Introduction
De la construction du système communautaire s'est
développée une série d'intéractions entre deux
modéles. En effet il est désormais nécessaire
d'étudier l'articulation entre l'intégration communautaire et la
souveraineté inhérente à l'Etat1(*).
L'élaboration du système de l'intégration
avec un droit de l'intégration par les traités institutifs des
communautés a fait l'objet d'une définition établie par la
Cour de justice des communautés européennes2(*). A cet égard, on peut
parler d'une consécration prétorienne de principes fondateurs et
notamment celui de la primauté du droit communautaire. Ce principe
revêt un caractère absolu3(*) et ce, en raison de l'autonomie et de la
spécificité de l'ordre juridique communautaire4(*).
Il est clair que cette interprétation
téleologique et systémique des traités institutifs par la
CJCE, si on ne peut la qualifier de révision judiciaire5(*), peut tout de même
apparaître audacieuse dans une certaine mesure.
Ainsi cette jurisprudence finaliste de la CJCE a pu se heurter
à des résistances plus ou moins marquées de certains Etats
membres. Parmi celles-ci, les résistances judiciaires sont sans doute
les plus importantes à l'égard de la primauté du droit
communautaire. En effet, si certains Etats ont admis la primauté du
droit communautaire sans la moindre hésitation en s'alignant
scrupuleusement sur la jurisprudence de la CJCE, il en est d'autres dont le
pouvoir judiciaire6(*) a
manifesté certaines résistances à cet égard.
L'objet et la nature de ces résistances sont divers mais on peut
admettre qu'elles sont similaires en ce qu'elles n'opèrent pas une
défiance frontale en la matière.
Aussi doit-on préciser que la majorité des Etats
membres n'a pas manifesté de résistances particulières et
ce sont principalement les juridictions de trois Etats membres qui se sont le
plus illustrées dans cette voie "conflictuelle"7(*).
Dans ce cadre, il convient d'examiner l'ensemble des
résistances que le pouvoir judiciaire de certains Etats a pu opposer
à l'égard de la primauté du droit communautaire. A cet
effet, il ne s'agit pas de dresser le "tableau" des confrontations mais bien
plus d'en systematiser le sens et c'est ici une perspective qui permet
d'identifier les véritables implications de ces résistances.
Dès lors, à la lumière des
différentes solutions dégagées par le pouvoir judiciaire
interne de certains Etats membres, en quoi peut-on affirmer que les
résistances judiciaires à la primauté du droit
communautaire ne sont pas de nature à en nier l'existence ?
L'enjeu qui peut être dégagé de cette
étude est que l'on peut déterminer raisonnablement les contours
de ces intéractions entre les développements
intégrationnistes, essentiellement d'origine jurisprudentielle, et les
réactions des Etats membres à cet égard.
On observe que la primauté du droit communautaire n'est
aucunement exclue par lesdites résistances judiciaires dans la mesure
où celles-ci n'ont d'autre objet que d'adapter un tel principe à
certaines considérations en modifiant la définition de ce
principe de primauté ( I ), et en apportant certaines restrictions
mesurées aux corrolaires de ce principe ( II ).
Partie I : L'aménagement de la définition
du principe à la base de sa reconnaissance.
Certes, si des résistances ont pu se manifester
à l'encontre de la primauté du droit communautaire, il s'agit
avant tout d'une réappropriation du principe de primauté qui
n'est en aucun cas exclu dès lors que le fondement ( A ), ainsi que la
portée ( B ) qui lui sont reconnus sont modifiés.
A. Le fondement constitutionnel de la primauté du
droit communautaire.
Il est vrai que l'acceptation du principe de primauté
du droit communautaire par le pouvoir judiciaire interne de certains Etats
membres s'est opérée à l'appui de l'approbation
constitutionnelle.
Section 1 : L'acceptation du principe sur la base de
l'article 55 de la Constitution française.
Depuis l'arrêt Costa rendu par la CJCE en
19648(*), la jurisprudence
constante de la CJCE énonce le principe fondamental de la
primauté du droit communautaire. C'est ici une innovation
prétorienne importante dans la mesure où le juge communautaire
élabore ainsi un ordonnancement juridique selon lequel le droit
communautaire doit prévaloir sur le droit interne des Etats membres au
sein de leur propre système juridique.
Et le fondement sur lequel elle pose un tel principe tient
à la spécificité même de l'ordre juridique
communautaire et son caractère autonome9(*). En effet, le juge communautaire considère que
la primauté du droit communautaire découle nécessairement
de l'originalité du système de l'intégration en ce qu'il
constitue un nouvel ordre juridique distinct et tout à fait autonome
dans la mesure où il procède de l'attribution limitative mais
définitive de compétences relevant par essence de la
souveraineté inhérente à l'Etat. Autrement dit, les Etats
membres, en ayant consenti à un tel transfert de certaines
compétences, ont admis qu'un ordre juridique indépendant soit mis
en place en vue d'exercer en commun ces compétences.
Dès lors, la nature proprement singulière de cet
ordre induit, selon la Cour, la primauté du droit communautaire comme un
élément essentiel.
Or, si les juridictions ordinaires françaises ont
bien admis la primauté du droit communautaire10(*), parfois après de
longues réticences, c'est le fondement sur la base duquel elles
opèrent un tel alignement qui est révélateur d'une
certaine défiance.
En effet, aussi bien le juge judiciaire que le juge
administratif ne se fondent pas sur la spécificité propre
à la nature de l'ordre juridique communautaire telle que soutenue par le
juge communautaire, mais sur la base de l'art. 55 de la Constitution
française qui prévoit la supériorité des
engagements internationaux par rapport aux lois. Cette "substitution de motifs"
opérée par ces juridictions ordinaires est significative d'une
certaine désobéissance à l'égard de la construction
jurisprudentielle de la CJCE, sans pour autant constituer une obstruction
à la reconnaissance du principe même de primauté. Ainsi,
ces juridictions ont abouti au même résultat que la CJCE, au sens
où le principe de primauté est symétriquement
consacré, mais tout en ayant adapté ce principe à
l'exigence d'un fondement constitutionnel.
S'agissant tout d'abord du juge judiciaire suprême, en
l'espèce de la Cour de cassation, on observe que, dans son arrêt
de principe11(*), il
consacre le principe de primauté du droit communautaire et renonce ainsi
à sa jurisprudence selon laquelle la loi qui lui serait
postérieure doit prévaloir. Il refuse néanmoins d'admettre
le fondement tenant à la spécificité de l'ordre juridique
communautaire dans la mesure où il retient explicitement l'art. 55 de la
Constitution française12(*). Dès lors, s'il accepte d'appliquer la norme
de droit communautaire en cas de conflit de celle-ci avec une norme de droit
interne, ce n'est pas en raison de la spécificité de l'ordre
juridique communautaire comme le prétend la CJCE, mais en vertu des
dispositions de la constitution nationale, et plus exactement de cet art. 55.
Il s'agit bien d'une résistance du juge judiciaire à
l'égard de la solution dégagée par la Cour de Luxembourg
dans la mesure où le fondement de la spécificité n'est
manifestement pas retenu13(*).
Ainsi, doit-on souligner que, si des résistances du
juge judiciaire ont pu s'exprimer à l'encontre de la solution
jurisprudentielle communautaire, le principe même de primauté du
droit communautaire n'a pas fait l'objet d'une exclusion inconditionnelle au
sens où il est tout à fait approuvé dans le cadre d'un
fondement différent, à savoir la base constitutionnelle issue de
l'art. 55.
Il en est de même pour la haute juridiction
administrative française dont le cheminement s'est avéré
bien plus long que celui du juge judiciaire mais qui, in fine, a
accepté de retenir la même solution14(*). Outre la circonstance que le
juge administratif a affirmé son "hostilité" à
reconnaître le principe de primauté du droit communautaire plus
longtemps que le juge judiciaire, c'est dans son revirement par lequel il
consacre ledit principe que l'on peut identifier une certaine résistance
qu'il a opposé au juge communautaire.
En effet, à l'instar du juge judiciaire, le Conseil
d'Etat, à travers la jurisprudence initiée par l'arrêt
Nicolo, se soumet bien à l'exigence de primauté du droit
communautaire dès lors que cette exigence ne découle pas de la
nature spécifique de l'ordre juridique communautaire. A cet
égard, le fondement qu'il retient à l'appui de la reconnaissance
de ce principe n'est autre que l'art. 55, ainsi selon lui, il ressort de cet
art. 55 que le juge national doit faire prévaloir les engagements
internationaux, et partant le droit communautaire, sur le droit interne des
Etats membres.
Dans cet ordre d'idées, on peut observer que le juge
administratif opère une "confrontation" plus affirmée que celle
du juge judiciaire car, contrairement à la Cour de cassation, il ne
s'attache pas même à prendre acte ou à examiner le
bien-fondé du critère de la spécificité. Il se
borne exclusivement à fonder la reconnaissance dudit principe sur un
raisonnement par lequel il vise explicitement "la constitution, notamment son
article 55", et c'est ici une véritable "relecture" des dispositions de
la constitution nationale15(*). La "rectitude juridique" d'un tel raisonnement est
révélatrice d'une certaine résistance, laquelle n'est pas
de nature à refuser l'existence même de la primauté du
droit communautaire mais à en aménager la base sur laquelle
celle-ci repose.
Par ailleurs, on peut relever que cette attitude subtile
consistant à résister au fondement retenu par la CJCE à la
base du principe de primauté tout en admettant le principe même, a
pour "reflet" l'attitude du Conseil constitutionnel.
Section 2 : L'acceptation du principe sur la base de la
constitutionnalisation interne du procéssus d'intégration.
Pour certains observateurs, le Conseil constitutionnel a pu
apparaître comme un des plus illustres représentants de la
résistance des juridictions internes à la primauté du
droit communautaire en ce qu'il excluait de son "bloc de
constitutionnalité" les normes de droit international et de droit
communautaire16(*). Il
considérait à cet égard que l'exercice d'un contrôle
de conventionnalité ne relève pas du même contrôle
que celui portant sur la constitutionnalité des normes
inférieures. Cette différence de nature ne lui permettait pas de
mettre en oeuvre et d'assurer le respect de l'art. 55. Ainsi, la position du
Conseil constitutionnel sur la question de savoir s'il reconnaissait le primat
conféré au droit communautaire, tel que l'envisage la CJCE,
demeurait en suspens.
Si cette attitude traduit une certaine résistance du
Conseil constitutionnel au sens où elle constitue, selon l'expression de
Laurence Burgorgue-Larsen, un "désengagement" manifeste à
l'égard de cette problématique, on observe qu'in fine il
s'est résolu à s'aligner sur la reconnaissance du principe de la
primauté du droit communautaire tout en développant un
raisonnement encore marqué d'une certaine "rebéllion".
En effet, par la décision importante rendue, au titre
de l'art. 54 de la constitution française, en novembre 2004 sur le
Traité établissant une Constitution pour l'Europe, le juge
constitutionnel français était tenu de se prononcer sur la
conformité du principe de primauté, tel qu'établi par
l'article I-6 dudit traité selon lequel "La Constitution et le droit
adopté par les institutions de l'Union [...] priment le droit des Etats
membres"17(*), au regard
des dispositions de la constitution nationale.
En ce sens, le juge constitutionnel a élaboré
une construction jurisprudentielle audacieuse par laquelle il opère une
résistance à la solution communautaire aboutissant
néanmoins à admettre un tel principe. Il estime que ce principe
de primauté énoncé par l'art. I-6 n'est en aucun cas
incompatible avec la constitution française puisqu'il ne doit pas
être entendu autrement que l'article 88-1 de la constitution
française l'a approuvé. Il considère ainsi que c'est le
"consentement constitutionnel" induit par les dispositions de la constitution
nationale, et notamment l'art. 88-1, qui constitue le fondement de la
soumission à un tel principe.
On peut analyser son raisonnement comme l'affirmation de sa
tendance à garantir la souveraineté nationale et ses composantes
essentielles, tout en admettant sa compatibilité avec le principe de
primauté du droit communautaire. Si ce principe de primauté
procède de la constitution, notamment l'art. 88-1, alors il ne peut
être exclu comme étant contraire à la Constitution
française18(*). Ce
principe de primauté résulte, pour ainsi dire, d'exigences
constitutionnelles internes, ce qui signifie que le Conseil constitutionnel a
entendu convertir cette primauté en une obligation à laquelle
s'est librement engagé le pouvoir constituant interne. C'est ici la
nuance de son raisonnement par rapport à la solution adoptée par
la Cour de Luxembourg en ce que si le principe de primauté n'est en rien
exclu, l'origine de celui-ci est assimilée à l'assentiment du
pouvoir constituant.
Dès lors, il s'agit bien de l'idée selon
laquelle l'acceptation du principe de primauté résulte non de la
spécificité de l'ordre juridique communautaire, mais de
l'intention du constituant. Ainsi, n'est pas compromise la primauté
dès lors qu'elle est fondée sur la constitution. Et on peut
également observer que la primauté du droit communautaire est
tout à fait admise dès lors que sa portée se trouve
encadrée.
B. L'encadrement de la portée de la
primauté du droit communautaire.
Bien que la validité du principe n'ait pas
été écartée, il apparaît que la
primauté du droit communautaire a fait l'objet d'un certain encadrement
quant à son champ d'application, dont les motifs peuvent varier selon
les Etats membres.
Section 1 : Des réserves de constitutionnalité
à la primauté sous l'angle de la protection des droits
fondamentaux.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de Luxembourg,
on retrouve l'idée selon laquelle la primauté du droit
communautaire doit revêtir un caractère "absolu" au sens où
aucune mesure issue du droit interne, même de nature constitutionnelle
entendue comme étant placée au sommet de la hiérarchie
juridique interne, ne saurait faire obstacle à l'application des normes
de droit communautaire19(*).
Il ressort ainsi des solutions prétoriennes de la CJCE
que la suprématie du droit communautaire doit d'imposer dans toute
hypothèse de conflit entre une norme de droit communautaire et une norme
de droit national, quelque soit sa nature.
Or, la consécration par la CJCE d'une telle
portée reconnue à la primauté du droit communautaire a
fait l'objet de certaines résistances. Le principe même de
primauté du droit communautaire étant reconnu et établi
par l'ensemble des juridictions nationales, c'est relativement au cadre
d'application dudit principe que se sont opposées certaines
contestations. Et ces confrontations ont été
particulièrement soulignées lorsqu'il s'agit, pour le juge
national, d'assurer le respect des droits fondamentaux. A cet égard, on
peut relever deux cas de figures topiques en ce sens, ce sont les
résistances conduites par les juges constitutionnels italiens et
allemands au titre de la protection des droits fondamentaux.
En effet, par deux décisions bien connues qui ont
été rendues respectivement par la Cour constitutionnelle
italienne et le Tribunal constitutionnel allemand20(*), ont été
émises des réserves de constitutionnalité par lesquelles
ils se reconnaissent compétent pour contrôler la conformité
des normes de droit communautaire avec leur constitution respective, afin
d'écarter le cas échéant l'application de la règle
de droit communautaire dès lors qu'elle serait jugée incompatible
avec les garanties de protection des droits fondamentaux telles qu'elles
résultent de leur constitution.
Ces réserves ne procèdent pas exactement de
mécanismes et de modalités tout à fait similaires mais le
principe substantiel qui préside à leur raisonnement est commun,
à savoir la subordination de la portée attachée à
la primauté du droit communautaire au respect impératif des
exigences constitutionnelles portant sur la protection des droits
fondamentaux.
Pour être plus précis, l'arrêt Solange
I rendu par le juge constitutionnel de Karlsruhe en 1974 émet une
telle réserve en affirmant qu'il en sera ainsi tant qu'un niveau
équivalent de protection des droits fondamentaux ne sera pas
assuré par l'ordre juridique communautaire, mais pour la Cour
constitutionnelle italienne, une telle réserve n'exige pas autant que
cette protection soit ainsi symétrique. Les juges constitutionnels
traduisent ici l'idée de "plus-value" constitutionnelle qui consiste
à empêcher l'application de la règle de droit communautaire
si elle s'avère incompatible avec les principes essentiels de protection
des droits fondamentaux à l'aune des garanties constitutionnelles.
A cet égard, Laurence Burgorgue-Larsen ne manque pas de
rappeler que, malgré les décisions Granital et
Solange II "prenant acte des progrés réalisés
à l'échelle communautaire"21(*) et suspendant leurs réserves respectives, il
s'agit d'une simple interruption que ceux-ci peuvent réactiver
dès lors qu'ils l'estiment nécessaire.
Il est clair qu'il s'agit bien de résistances
affirmées à l'égard de la primauté du droit
communautaire puisque les juges constitutionnels italiens et allemands refusent
de s'aligner de façon inconditionnée sur le caractère
absolu du champ d'application conféré à un tel principe.
Il n'en demeure pas moins qu'elles ne constituent pas une obstruction au
principe de primauté car leur jurisprudence respective considère
que celui-ci est tout à fait valide à la réserve toutefois
que sa portée ne soit pas de nature à compromettre la garantie
visant à la sauvegarde des droits fondamentaux que l'ordre
constitutionnel interne assure. Autrement dit, cela signifie qu'il est
nullement question de nier l'existence même de la primauté mais
seulement d'en encadrer le champ d'application par l'aménagement de
réserves tout à fait déterminées, et en
l'espèce concernant la protection des droits fondamentaux.
Aussi, cette atténuation de la portée que
recouvre la primauté du droit communautaire a de même
été mise en oeuvre pour des motifs tenant essentiellement
à des considérations liées à la souveraineté
inhérente à l'Etat.
Section 2 : L'étendue limitée de la
primauté au sein de la hiérarchie normative interne.
On peut également se placer dans le cadre
général de la hiérarchie des normes juridiques, au sein du
système de l'ordre interne, pour observer qu'il existe certaines
résistances. Si des systèmes juridiques internes de certains
Etats membres ont établi le primat ratione materiae de la
constitution nationale en ce que ses garanties à l'égard des
droits fondamentaux sont préeminentes, de telle manière que la
primauté du droit communautaire y est soumise, il est des Etats membres
dont les juridictions internes ont consacré un primat formel de la
constitution nationale. Ce primat formel se prévaut dans une certaine
mesure d'une présomption irréfragable selon laquelle la
constitution nationale constitue l'expression "inaltérable" de la
souveraineté inhérente à l'Etat.
Dans cette optique, ce sont essentiellement les juridictions
ordinaires françaises qui portent ce mouvement jurisprudentiel, et plus
particulièrement le juge administratif suprême22(*).
L'arrêt Sarran, Levacher et autres rendu en
1998 par le Conseil d'Etat, ainsi que l'arrêt Mlle Fraisse rendu
en 2000 par la Cour de cassation qui rejoint la position adoptée par le
juge administratif, sont des solutions qui témoignent clairement de la
consécration de la primauté formelle conférée
à la constitution nationale, à laquelle la reconnaissance de la
primauté du droit communautaire ne peut aucunement porter atteinte. Ils
estiment que, dans l'ordre interne, la supériorité des
engagements internationaux en vertu de l'art. 55 ne saurait prévaloir
sur les dispositions de nature constitutionnelle.
Dès lors, la primauté du droit communautaire est
acceptée dans la mesure où elle fait l'objet d'un encadrement
quant à sa portée au sein de la hiérarchie juridique
interne, en l'espèce revêtant un caractère
supralégislatif et infraconstitutionnel. Il s'agit ici d'une
indéniable résistance à la primauté du droit
communautaire telle qu'elle résulte de la jurisprudence constante de la
CJCE puisque ces juges suprêmes nationaux refusent de se rallier à
la prétention visant à attribuer un caractère absolu
à ladite primauté. Néanmoins, on ne peut affirmer pour
autant qu'une telle résistance constitue un déni du principe de
primauté du droit communautaire dans la mesure où ils tiennent
celui-ci pour établi à l'égard des dispositions de nature
législative.
En effet, alors que le juge communautaire prévoit que
la norme de droit communautaire présente un caractère de
primauté auquel n'est susceptible de porter atteinte ou de
déroger aucune mesure relevant de l'ordre interne, les juges ordinaires
français inversent la logique en considérant que toute
règle de nature constitutionnelle est préeminente dans l'ordre
interne. Autrement dit, aucune mesure relevant de l'ordre interne ou de l'ordre
international ne peut prévaloir dans l'ordre interne sur les
dispositions issues de la constitution nationale.
Cette solution jurisprudentielle ainsi
développée n'est pas dépourvue de cohérence au sens
où elle s'inscrit dans la continuité du mouvement
systématique élaboré antérieurement. En effet,
ayant posé le principe de primauté du droit communautaire sur le
fondement tenant à l'art. 55 de la constitution française, on
peut admettre que les juges ordinaires entendent mettre en oeuvre ce principe
propre au système d'intégration par allégeance à
l'ordre constitutionnel interne, expression de la souveraineté
inhérente à l'Etat.
Cette vaste tendance jurisprudentielle, appuyée
notamment par les juges ordinaires français, s'étant d'abord
traduite par le fondement retenu à la base de la reconnaissance de la
primauté du droit communautaire, à savoir l'assise
constitutionnelle de l'art. 55, il eût été difficile
d'affirmer ensuite que cette primauté recouvre une portée absolue
s'imposant même à l'égard de la constitution nationale. Il
est vrai que l'on peut opposer des critiques, à l'instar de certains
auteurs23(*), en
considérant que le système d'intégration pouvait sans
doute inciter les juges internes à retenir des solutions moins
attachées au maintien de l'acception "traditionnelle" de la
souveraineté étatique, cependant on ne peut nier la logique
intrinsèque de cette construction prétorienne.
En effet, une lecture exégétique de l'art. 55 ne
permet pas de reconnaître un tel caractère absolu à la
primauté du droit communautaire car, comme le souligne Christine
Maugüé24(*),
l'autorité supérieure des engagements internationaux n'est
visée que par rapport aux lois. Par ailleurs, Denys Simon soulève
une interrogation tout à fait pertinente à cet égard, on
ne peut ignorer un paradoxe inéluctable à interpréter
l'art. 55 comme instituant la subordination des dispositions de la constitution
nationale aux normes internationales, et partant au droit communautaire, alors
que précisement ladite subordination, pour être absolue, doit
procéder d'elle-même et non d'un texte prétendu
inférieur, à savoir la constitution elle-même25(*).
C'est pourquoi, on peut avancer que ces résistances
judiciaires à la portée absolue de la primauté du droit
communautaire, ne remettent pas en cause l'acceptation du principe même
de ladite primauté. Il s'agit d'une appropriation du principe,
aménagée d'un encadrement qui consiste à ce que la
primauté ne soit admise qu'à travers une portée
limitée au sens où ce principe "ne saurait conduire, dans l'ordre
interne, à remettre en cause la suprématie de la
Constitution"26(*).
Ainsi, on peut affirmer que les résistances
judiciaires à la primauté du droit communautaire ne sont pas de
nature à exclure la reconnaissance et la validité d'un tel
principe, au sens où c'est sa définition qui a fait l'objet de
telles résistances. Au même titre, de telles résistances
à l'égard des implications inhérentes à la
primauté du droit communautaire n'ont pas compromis l'existence dudit
principe, dans la mesure où ces oppositions sont nuancées.
Partie II : La relative résistance aux
corollaires existentiels du principe.
Il s'agit ici de mettre en évidence que si l'on peut
relever des résistances à l'égard des implications
liées au principe de la primauté du droit communautaire,
celles-ci ne constituent pas pour autant une profonde obstruction de nature
à compromettre le principe même de ladite primauté, que ce
soit au regard de l'applicabilité directe ( A ), ou de
l'applicabilité uniforme ( B ) du droit communautaire qui sont de
véritables exigences à la base de la pleine effectivité de
ladite primauté.
A. La résistance avortée à
l'applicabilité directe du droit communautaire.
L'applicabilité directe du droit communautaire qui se
rattache fondamentalement à la primauté du droit communautaire, a
pu faire l'objet de certaines résistances qu'il convient toutefois de
nuancer dans une certaine mesure.
Section 1 : La garantie d'effectivité de la
primauté à travers l'effet direct.
S'il peut sembler commode de distinguer la primauté
du droit communautaire et l'applicabilité directe de celui-ci, en tant
que deux notions a priori dissociées, cette disjonction est peu
pertinente dès lors que l'on se place dans le cadre de
l'effectivité du principe de primauté du droit communautaire.
En effet, ces deux principes participent d'un même
mouvement jurisprudentiel en ce qu'ils constituent des préceptes de base
du système d'intégration27(*). Une approche systématique
révéle une cohérence et une complémentarité
entre ces deux notions, ladite primauté serait, en effet,
dépourvue d'effectivité si n'était pas reconnue une
garantie selon laquelle le droit communautaire est d'applicabilité
directe. Dans l'hypothèse où l'on ne pourrait appliquer
directement la norme de droit communautaire dans l'ordre interne, ce serait
vider de sa substance le principe même de la primauté car celui-ci
n'a de sens que s'il s'avère effectif.
Dès lors, on peut comprendre que la jurisprudence de la
CJCE s'est efforcée, dans la logique du mouvement visant au
développement du système de l'intégration, de poser
préalablement l'exigence de l'effet direct du droit communautaire avant
d'énoncer le principe de primauté28(*).
Et dans cet ordre d'idées, c'est sans doute
l'arrêt Simmenthal rendu par la CJCE en 1978 qui met
véritablement en lumière l'exigence d'effet direct comme
corollaire existentiel de la primauté. La primauté implique,
selon la Cour, l'inapplicabilité de plein droit de la norme nationale
incompatible avec la règle communautaire, et à cet effet le juge
national est tenu d'écarter lui-même la première au profit
de la seconde. Il s'agit ainsi de conférer à la norme de droit
communautaire ce que certains désignent comme étant un effet
maximal dit de "substitution" car celle-ci est censé suppléer la
norme interne, en vue de permettre la pleine effectivité de la
primauté du droit communautaire.
Il existe dans une certaine mesure une
interdépendance entre ces deux attributs du droit communautaire que sont
la primauté et l'applicabilité directe, et par conséquent
toute opposition à l'effet direct du droit communautaire revient, en
quelque sorte, à compromettre la primauté du droit
communautaire.
Section 2 : Le refus de l'effet direct de substitution des
directives non transposées.
Au sein des ordres juridiques internes des Etats membres,
l'applicabilité directe du droit communautaire a pu connaître
certaines confrontations. A cet égard, de tels blocages se sont
manifestés à l'encontre du droit communautaire
dérivé et, pour ainsi dire, exclusivement à l'encontre des
directives communautaires. L'illustration la plus marquante de cette
résistance ressort de la jurisprudence administrative à travers
la solution dégagée par l'arrêt Cohn Bendit rendu
par le Conseil d'Etat en 1978.
Il s'agit ici d'une solution qui a suscité de
nombreuses critiques de commentateurs, qui prétendent notamment qu'elle
caractérise l'hostilité de la haute juridiction administrative
à l'égard de l'ensemble du mouvement systématique du
processus d'intégration et ce, dans le prolongement d'une jurisprudence
initiée par l'arrêt Syndicat général des
fabricants de semoules de France de 1968. En cela, pouvait être
crainte ce que certains ont pu qualifier de "guerre des juges" entre les
solutions du juge communautaire et celles du juge administratif29(*).
En effet, le juge administratif refuse clairement de s'aligner
sur le principe d'effet direct de substitution pour le cas de figure des
directives communautaires non transposées. Bien que le juge
communautaire ait expréssement affirmé la reconnaissance de
l'effet direct aux directives communautaires30(*), en excluant qu'elles puissent relever d'un
quelconque régime juridique spécifique, le juge administratif
développe un raisonnement à rebours de celui-ci.
Le juge administratif considére qu'il ressort des
dispositions des traités institutifs que les directives communautaires
appartiennent à une "catégorie normative" particulière en
ce qu'elles ne lient les Etats membres que dans les objectifs et les
résultats à atteindre, et il appartient librement aux Etats
d'opérer leur mise en oeuvre par une transposition dans le cadre du
respect de l'autonomie procédurale des Etats membres. Dès lors,
une directive communautaire, selon le juge administratif, ne peut revêtir
intrinséquement l'effet direct de substituition puisqu'un tel effet est
subordonné à sa nécessaire transposition en droit
interne.
Et il déduit de cette analyse que l'on ne peut se
prévaloir d'une directive communautaire non transposée à
l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif
individuel31(*).
Cette position du Conseil d'Etat, largement commentée
par les auteurs, s'est heurtée à une grande partie de la doctrine
qui n'a eu de cesse d'inviter le juge administratif à renoncer à
cette solution de défiance frontale à l'égard de la
jurisprudence de la CJCE. Ainsi, si le juge communautaire a pu
reconnaître, par l'arrêt Van Duyn, un effet direct aux
directives communautaires par elles-mêmes pour autant qu'elles seraient
suffisament précises pour trouver application par
elles-mêmes32(*), le
Conseil d'Etat a refusé de manière constante de suivre cette voie
et a réiteré ce refus dans plusieurs solutions.
Toutefois, bien que le juge administratif n'ait pas
abondonné son refus initial à l'égard du principe d'effet
direct des directives communautaires non transposées, il s'est
efforcé d'élaborer un ensemble de solutions qui permettent
d'assurer un « effet utile » à celles-ci afin que le
principe de primauté du droit communautaire, qu'il a reconnu par
l'arrêt Nicolo, ne s'en trouve pas dénué de
véritable effectivité.
Section 3 : La garantie d'effectivité de la
primauté par l'effet utile des directives.
Certes, la jurisprudence administrative française
opérait une asymétrie entre l'effet direct tout à fait
admis pour les dispositions des traités communautaires, ainsi que pour
des actes dérivés du droit communautaire que sont les
réglements communautaires33(*), et la résistance à reconnaître
l'effet direct des directives communautaires. Et cette asymétrie pouvait
être considérée comme préjudiciable pour
l'effectivité de la primauté du droit communautaire dans la
mesure où une incompatibilité entre la directive communautaire
non transposée et le droit interne pouvait tout à fait perdurer,
et par conséquent les actes administratifs individuels pris sur le
fondement du droit interne ainsi incompatible ne pouvaient être
attaqués à l'appui d'un recours invoquant une telle directive
communautaire en vue de respecter la « légalité
communautaire ».
Ceci étant dit, on ne peut ignorer que le juge
administratif ne s'est pas contenté d'établir cette position de
principe car, l'évolution de sa jurisprudence atteste de son attachement
à adjoindre à la primauté du droit communautaire toute son
effectivité, et notamment s'agissant des directives communautaires
auxquelles il confére un effet utile.
En effet, le juge administratif énonce, dans un
arrêt important Cie Alitalia en 1989, que l'administration est
tenue de faire droit à toute demande tendant à l'abrogation d'un
acte administratif réglementaire illégal, et partant cette
injonction s'applique au cas où il s'agit d'un acte administratif
réglementaire incompatible avec les objectifs d'une directive
communautaire. Or, c'est ici une évolution certaine puisqu'il est
rappelé le principe visant à interdire l'édiction de
dispositions réglementaires qui porteraient atteinte aux objectifs d'une
directive, et une précision importante y est apportée en ce que
les autorités nationales compétentes ne peuvent laisser subsister
des dispositions réglementaires, notamment après les
délais de transposition impartis, qui ne sont pas conformes aux
objectifs prévus par une directive34(*).
S'agissant plus précisement de l'invocabilité de
la directive, qui constitue un des éléments garantissant
l'effectivité de la primauté du droit communautaire, le Conseil
d'Etat a procédé dans l'optique de lui assurer un effet utile
à défaut d'un effet direct. Ainsi, on peut observer que cette
logique est à l'oeuvre pour l'hypothèse d'une absence de
transposition de la directive en droit interne, et ce sont ici deux solutions
qui peuvent illustrer cette tendance.
Tout d'abord, la combinaison de deux arrêts rendu en
1992 par le Conseil d'Etat35(*) est significative à cet égard, le juge
administratif considère que peut être engagée la
responsabilité pour faute imputable l'Etat du fait de la
défaillance ou de la diligence tardive des autorités nationales
à transposer une directive dans le cadre du respect des délais
impartis à cet effet. Et selon la même logique sous-jacente, en
cas d'absence de transposition ou de retard, le juge administratif est
compétent pour censurer un acte administratif réglementaire pris
sur le fondement d'une loi dont l'application a été
écartée au motif de son incompatibilité avec les objectifs
de la directive. On peut affirmer qu'il s'agit d'une solution qui prend la
mesure de la portée importante de l'arrêt Nicolo, en
d'autres termes l'exclusion de l'applicabilité directe de la directive
ne doit pas compromettre la primauté du droit communautaire et son
effectivité est assurée dans la mesure où la directive
permet d'écarter l'application d'une loi incompatible avec les objectifs
définis aux termes de ladite directive et également de censurer
une norme réglementaire prise sur la base de cette loi. On observe donc
que le juge administratif entend remédier, par un mécanisme
indirect, à son refus visant l'applicabilité directe des
directives36(*).
Aussi, doit-on souligner que, par l'arrêt Cabinet
Revert et Badelon de 1996, la haute juridiction administrative
réaffirme sa solution initiale qui exclut la recevabilité d'un
recours pour excès de pouvoir dès lors qu'il s'agit d'une
directive qui est invoquée à l'appui d'une contestation
dirigée à l'encontre d'un acte administratif individuel.
Toutefois cet arrêt est révelateur d'une évolution
considérable de la jurisprudence administrative au sens où elle
reconnaît une invocabilité au titre de « l'exception
d'illégalité », c'est à dire que le juge
administratif est compétent pour censurer l'acte administratif
individuel pris sur le fondement du droit interne, que ce soit une loi ou un
règlement, incompatible avec les objectifs de la directive non
transposée. C'est encore une illustration du souci qui l'anime visant
à pallier à l'absence d'effet direct de la directive de telle
manière que soit assurée l'effectivité de la
primauté du droit communautaire. Et c'est précisement en ce sens
qu'intervient l'effet utile de la directive que le juge administratif
développe par des solutions qui aménagent la
« rigidité » de sa position de principe initiale
dégagée par l'arrêt Cohn Bendit.
Donc, l'effectivité de la primauté du droit
communautaire n'est pas compromise par l'hostilité de la jurisprudence
administrative à l'égard de l'effet direct des directives
communautaires, lequel constitue une garantie en ce sens, dans la mesure
où la construction prétorienne met en oeuvre toute une
série de solutions consolidant l'effet utile des directives. On peut
d'ailleurs avancer que cette idée se retrouve également de mise
pour une autre garantie d'effectivité de ladite primauté,
à savoir le mécanisme de coopération
préjudicielle.
B. L'abandon progressif des résistances à
l'applicabilité uniforme du droit communautaire.
Le socle de base de la primauté du droit communautaire
que constitue l'uniformité de son application a rencontré
certaines résistances judiciaires, qu'il convient encore de relativiser
dans une certaine mesure.
Section 1 : Le mécanisme préjudiciel,
« pierre angulaire » de la primauté du droit
communautaire.
Il est clair que la primauté du droit communautaire
repose essentiellement sur son application uniforme, plus exactement
l'uniformité que permet le mécanisme de coopération
préjudicielle prévu par l'article 234 TCE constitue une
véritable garantie à la base de l'effectivité de ladite
primauté. En effet, on ne peut prétendre ériger un
principe de primauté du droit communautaire si l'application du droit
communautaire varie et s'avère complétement tributaire de
l'appréciation discrétionnaire laissée aux Etats membres.
Les divergences d'application du droit communautaire entre les juges nationaux
d'un Etat membre à l'autre sont de nature à compromettre la
primauté du droit communautaire car, ne peut être
considéré comme suprême que ce qui s'impose erga
omnes sans dérogation possible, ainsi on ne peut envisager
d'assurer la primauté du droit communautaire sans assurer
coréllativement l'application uniforme du droit communautaire.
C'est donc dans cette optique que les traités
institutifs prévoient, aux termes de l'article 234 TCE37(*), le mécanisme du renvoi
préjudiciel selon lequel le juge national d'un Etat membre dispose d'une
compétence facultative et discrétionnaire lui permettant de
surseoir à statuer en renvoyant au juge communautaire une question
préjudicielle portant sur l'interprétation et l'application, ou
encore sur l'appréciation en validité d'une règle de droit
communautaire. Or, si cette compétence est en principe facultative pour
le juge national, celle-ci devient liée pour l'hypothèse d'une
question délicate de droit communautaire posée devant le juge
national statuant en dernier ressort.
A cet égard, le juge communautaire fait figure de
l'organe juridictionnel « centralisé », il est ainsi
le tenant de l'unicité de l'application du droit communautaire38(*). Par conséquent, le
mécanisme de renvoi préjudiciel est un instrument qui est
« au centre » de la primauté du droit communautaire.
On doit donc déduire de cet ordre d'idées que des
résistances à ce mécanisme de coopération
préjudicielle, essentiellement celles provenant des juridictions qui y
sont tenues, sont de nature à compromettre, du moins ont pour incidence
d'affaiblir l'effectivité de la primauté du droit
communautaire.
Or, on peut observer que plusieurs solutions de
jurisprudence développées par les juges internes de certains
Etats membres ont mis en oeuvre des principes visant à contourner,
à tort ou à raison, cette coopération
préjudicielle.
Section 2 : Des obstacles à la primauté
effective par les réserves à l'applicabilité uniforme du
droit communautaire.
Il serait compliqué de relever l'ensemble des
résistances au mécanisme du renvoi préjudiciel tant les
solutions de jurisprudence sont nombreuses et les motifs variables, et cela
tient notamment à la nature de la juridiction en cause39(*).
Cependant, on peut exposer principalement une solution
caractéristique de ce mouvement visant à contourner la
coordination approfondie tendant à l'unité d'application du droit
communautaire. Il s'agit de la théorie de « l'acte
clair » initiée par la jurisprudence administrative
française en 196440(*). A cet égard, c'est bien le Conseil d'Etat qui
n'a pas manqué de s'illustrer dans l'utilisation de ce moyen habile de
contourner le renvoi préjudiciel.
Cette théorie consiste à écarter
l'exercice du renvoi préjudiciel, même s'il s'agit d'une
obligation qui lie toute juridiction statuant en dernier ressort aux termes de
l'art. 234 TCE, dès lors que la disposition de droit communautaire en
cause est suffisament claire, qu'un sursis à statuer au titre du renvoi
préjudiciel devant le juge communautaire serait dépourvu de toute
utilité. Ainsi, dans ce cadre l'activation du mécanisme
préjudiciel est soumise à sa pertinence au regard du
caractère de clarté de la norme communautaire dont s'agit et ce,
à la libre appréciation des juges nationaux de dernier ressort.
Ce qui signifie que l'application du droit communautaire est relative car, par
cette théorie, il dépend de ce qu'en décide le juge
national. Pourtant, si l'on retient une interprétation
herméneutique de l'art. 234 TCE, il apparaît clairement que la
mise oeuvre du renvoi préjudiciel par les juridictions nationales
statuant en dernier ressort, n'est pas conditionnée à des
considérations liées à la clarté suffisante ou non
de la règle communautaire. On peut donc affirmer que la théorie
de « l'acte clair » constitue une découverte
prétorienne en vue de se soustraire, de bonne ou mauvaise foi, selon la
pertinence et l'effet utile d'un tel renvoi.
Or, dans une certaine mesure cet obstacle à la garantie
de cohérence dans l'application du droit communautaire, est dommageable
à la pleine effectivité de la primauté du droit
communautaire puisque la primauté implique nécessairement
l'uniformité. Autrement dit, les résistances à
l'activation du mécanisme de coopération préjudicielle
opèrent, par « ricochet », une résistance
à l'effectivité de la primauté du droit communautaire.
Mais on ne peut s'abstenir de souligner qu'une telle
« mise en péril » de l'effectivité de la
primauté du droit communautaire a fait l'objet d'une évolution,
par laquelle le renvoi préjudiciel s'inscrit dans une logique
d'harmonisation dans l'application du droit communautaire et ce, notamment dans
la perspective de garantir la pleine effectivité de ladite
primauté.
Section 3 : L'abondon progressif des obstacles vers un
« dialogue des juges » harmonieux dans le sens d'une
effectivité de la primauté.
Il est vrai que la théorie de « l'acte
clair » a rencontré un certain succès, notamment en
France avec en première ligne le Conseil d'Etat et dans une moindre
mesure la Cour de cassation, et n'a pas été abondonnée
depuis lors, néanmoins son acception tend à évoluer
largement au sens où elle ne s'apparente plus à un obstacle. En
effet, une construction jurisprudentielle importante s'est opérée
sous l'angle d'une harmonisation des rapports entretenus entre le juge national
et le juge communautaire.
C'est d'ailleurs une solution communautaire qui a pris
l'initiative d'infléchir cette logique de
« concurrence » entre le juge de Luxembourg et le juge
interne dans le cadre de l'interprétation et l'application du droit
communautaire41(*). La
Cour de Luxembourg, dans son arrêt CILFIT, pose les bases sur
lesquelles doivent s'orienter juges nationaux de dernier ressort et juge
communautaire. Elle énonce en ce sens que le juge national n'est tenu
d'exécuter son obligation de renvoi que dans la mesure où il
subsiste un doute raisonnable sur un point relatif à
l'interprétation d'une règle communautaire, et sur lequel le juge
communautaire n'a pas eu à se prononcer. A l'exclusion de ce cas de
figure, le juge national est réputé libre d'activer ou non le
renvoi car il est supposé connaître ce qu'une application correcte
du droit communautaire lui impose42(*).
Ainsi, tout en réaffirmant le modèle finaliste
du système et du droit de l'intégration au travers duquel la
primauté repose sur l'uniformité par la coopération
préjudicielle, elle entend développer des pistes qui donnent au
juge national une place plus importante. En cela, elle s'efforce, de
façon plus ou moins latente, d'impliquer le juge national dans la
participation au processus d'intégration puisqu'elle rompt avec la
présomption implicite selon laquelle le juge national est,
nécessairement, susceptible de « mal faire »
l'application correcte du droit communautaire.
Dès lors, la théorie de « l'acte
clair » a vu son rôle considérablement réduit en
ce que les juges nationaux ne s'en prévalent plus de manière
abusive afin de ne pas compromettre l'application cohérente et uniforme
du droit communautaire, et partant sa primauté effective ainsi garantie.
S'agissant d'une tendance jurisprudentielle dont le sens profond est clairement
dirigé vers un « dialogue des juges », on ne peut
relever une solution de principe proprement significative à cet
égard. Par cette attitude avisée qui « prend
acte » de la volonté affirmée d'harmoniser les rapports
entre les deux ordres juridiques, on peut affirmer qu'il n'est pas question
d'un revirement de jurisprudence opéré par les juges nationaux,
mais d'une évolution manifeste dans la mesure où le motif pris de
« l'acte clair » comme procédé permettant de
ne pas activer le mécanisme préjudiciel n'est pas
abondonné mais largement restreint et encadré. Si l'obligation de
renvoi préjudiciel à laquelle le juge national de dernier ressort
est tenu, peut encore faire l'objet d'un tel contournement, il n'empêche
qu'il ressort de la jurisprudence interne aux Etats membres que,
désormais, la théorie de « l'acte clair »
n'est invoquée que dans la conformité des conditions
définies par la CJCE depuis l'arrêt CILFIT .
Ainsi, à travers ces solutions, l'effectivité
de la primauté du droit communautaire n'est pas compromise dans la
mesure où l'application uniforme du droit communautaire est
assurée par un développement important du dialogue entre le juge
communautaire et le juge national de dernier ressort afin de permettre autant
que possible la cohérence dans l'interprétation et l'application
du du droit communautaire.
Conclusion
Cette étude permet d'observer qu'il existe au sein
des Etats membres des résistances « subtiles »
à la primauté du droit communautaire dans la mesure où
celles-ci ne sont pas de nature à exclure la validité de ladite
primauté. Ainsi, la primauté du droit communautaire constitue un
principe sur lequel s'accordent les juges communautaire et nationaux dès
lors qu'il s'agit de le consacrer dans l'articulation entre l'ordre juridique
communautaire et les systèmes juridiques internes, mais qui engendre des
conflits si l'on se place dans le cadre de son acception et de sa mise en
oeuvre.
Dès lors, dans une certaine mesure, on peut affirmer
qu'il s'agit de résistances dont la vocation essentielle n'est
aucunement l'obstruction à la primauté du droit communautaire
mais l'appropriation de ce principe au sein de modèles juridiques qui
entendent s'y adapter par « petits pas ».
Cette asymétrie entre les solutions de la CJCE
exprimant des innovations audacieuses visant à développer la
dynamique de l'intégration, notamment à travers la
primauté du droit communautaire, et les résistances
mesurées et contrebalancées de la jurisprudence interne de
certains Etats membres à l'égard de ce mouvement, est-elle de
nature à remettre en cause par « à coups » la
viabilité de l'intégration, ou bien préfigure-t-elle
seulement des intéractions entre deux systèmes évitant une
importante altération de leurs propres caractéristiques ?
BIBLIOGRAPHIE
Documents officiels
Traité instituant les Communautés
européennes, Journal Officiel des Communautés européennes
n° C 325 du 24 décembre 2002
Ouvrages
Florence CHALTIEL, La souveraineté de l'Etat et
l'Union européenne, l'exemple français. Recherches sur la
souveraineté de l'Etat membre, Librairie Générale de
Droit et de Jurisprudence, 1999, 606 p.
Joël RIDEAU (Dir.), Les Etats membres de l'Union
européenne, Adaptations, mutations, résistances, LGDJ, 1997,
540 p.
Les grands arrêts de la jurisprudence
administrative, Grands arrêts, Dalloz, 14ème édition,
2003, 962 p.
Articles
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communautaire, méthodes et raisonnements », Revue de Droit
Public, 1993, pp. 398-430
Dominique CARREAU, « Droit communautaire et droits
nationaux : concurrence ou primauté ? », Revue
Trimestrielle de Droit Européen, 1978, pp. 319-418
Bertrand MATHIEU, « L'appréhension de l'ordre
juridique communautaire par le droit constitutionnel
français », Mélanges Gautron, Les dynamiques du
droit européen en début de siècle, Pédone,
2004, p. 169
Laurence BURGORGUE-LARSEN, « Les résistances
des Etats de droit », De la Communauté de droit vers
l'Union de droit, J. Rideau (dir.), Colloque de Nice d'Avril 1999, Paris,
LGDJ, 2000, pp. 423-458
Jean WALINE, « La boîte de Pandore. Droit
administratif et droit communautaire », Mélanges Dubouis,
Au carrefour des droits, Dalloz, 2002, pp. 461-489
Louis CARTOU, « La Cour de justice des
Communautés européennes et le droit communautaire »,
Mélanges Waline, Le juge et le droit public, Paris, LGDJ, 1974,
Tome I, pp. 163-171
Christine MAUGÜÉ, « La constitution, le
traité et la loi : contributions au débat sur la
hiérarchie des normes. L'arrêt Sarran, entre apparence et
réalité », Cahiers du Conseil Constitutionnel,
n° 7-99 / janvier 1999 à septembre 1999
Olivier CAYLA, « La constitution, le traité
et la loi : contributions au débat sur la hiérarchie des normes.
Lire l'article 55 : Comment comprendre un texte établissant une
hiérarchie des normes comme étant lui-même le texte d'une
norme ? », CCC, n° 7-99 / janvier 1999 à
septembre 1999, p. 77
Theodora PAPADIMITRIOU, « Constitution
européenne et constitutions nationales : l'habile convergence des juges
constitutionnels français et espagnol. À propos des
décisions n° 2004-505 DC du Conseil constitutionnel français
et 1/2004 DTC du Tribunal constitutionnel espagnol », CCC,
n° 18-2005 / novembre 2004 à mars 2005, p. 162
TABLE DES MATIÈRES
Introduction..................................................................................................................................page
1
Partie I : L'aménagement de la définition du
principe à la base de sa reconnaissance................page 3
A. Le fondement constitutionnel de la primauté du droit
communautaire..................................page 3
Section 1 : L'acceptation du principe sur la base de l'article
55 de la Constitution française......page 3
Section 2 : L'acceptation du principe sur la base de la
constitutionnalisation interne
du procéssus
d'intégration............................................................................................................page
6
B. L'encadrement de la portée de la primauté du
droit communautaire......................................page 7
Section 1 : Des réserves de constitutionnalité
à la primauté sous l'angle de la protection
des droits
fondamentaux..............................................................................................................page
7
Section 2 : L'étendue limitée de la
primauté au sein de la hiérarchie normative
interne.............page 9
Partie II : La relative résistance aux corollaires
existentiels du principe...................................page 12
A. La résistance avortée à
l'applicabilité directe du droit
communautaire................................page 12
Section 1 : La garantie d'effectivité de la
primauté à travers l'effet
direct.................................page 12
Section 2 : Le refus de l'effet direct de substitution des
directives non transposées.................page 13
Section 3 : La garantie d'effectivité de la
primauté par l'effet utile des directives....................page 14
B. L'abondon progressif des résistances à
l'applicabilité uniforme du droit
communautaire...........................................................................................................................page
17
Section 1 : Le mécanisme préjudiciel,
« pierre angulaire » de la primauté du droit
communautaire...........................................................................................................................page
17
Section 2 : Des obstacles à la primauté
effective par les réserves à l'applicabilité uniforme
du droit
communautaire.............................................................................................................page
18
Section 3 : L'abondon progressif des obstacles vers un
« dialogue des juges » harmonieux
dans le sens d'une effectivité de la
primauté..............................................................................page
19
Conclusion.................................................................................................................................page
21
Bibliographie..............................................................................................................................page
22
Table des
matières......................................................................................................................page
24
* 1 On peut se reporter à une
étude très approfondie de cette question complexe : Florence
CHALTIEL, La souveraineté de l'Etat et l'Union européenne,
l'exemple français. Recherches sur la souveraineté de l'Etat
membre, L.G.D.J, 1999, 606 p.
Elle développe en particulier l'idée selon
laquelle une contribution réciproque est à l'oeuvre entre ces
deux modèles juridiques, l'évolution d'un "Etat de droit
européen" ne se substituant pas à L'Etat-nation souverain, c'est
au niveau de leur souveraineté respective que jouent ces
intéractions.
* 2 A ce propos on doit retenir le
tryptique des arrêts de la CJCE, Van Gend en Loos CJCE 5
février 1963, affaire 26/62 ; Costa c. Enel CJCE 15 juillet
1964, affaire 6/64 ; Simmenthal CJCE 9 septembre 1978, affaire
70/77.
* 3 L'arrêt Costa,
ibidem, est la "pierre angulaire" de la consécration de ce
caractère absolu au sens où il rattache ce caractère
à l'existence même du système d'intégration. La CJCE
considére, dans le droit fil de ce raisonnement, que le droit
communautaire primaire et dérivé doit prévaloir sur
l'ensemble du droit interne des Etats membres et ce, même sur les
dispositions de nature constitutionnelle nationale.
* 4 La CJCE, dans l'arrêt
Costa, ibid., considére que la Communauté
constitue un nouvel ordre juridique autonome et spécifique car celle-ci
exerce indépendemment des compétences que lui ont
transférés les Etats membres. Ce transfert de compétences
déterminées mais définitif marque l'originalité de
ce système.
* 5 Il ne s'agit pas du tout d'une
révision judiciaire en l'espèce dans la mesure où la Cour
n'opère pas une modification substantielle de l'objet et du but des
traités institutifs affectant le consentement originel des Etats membres
qui y ont adhéré. Elle met en oeuvre son pouvoir
d'interprétation desdits traités, au titre de sa fonction
prévue par l'article 220 TCE, et les Etats membres ont accepté
une telle prérogative reconnue à la CJCE. Mais s'agissant d'une
construction jurisprudentielle de l'organe juridictionnel de la
Communauté, ils ne sont pas tenus de se conformer à celle-ci
dès lors qu'ils estiment qu'une telle interprétation n'est pas
tout à fait compatible avec les principes auxquels ils ont consenti.
Cela relève ici de leur autonomie procédurale qui n'est
expréssement encadrée que par l'art. 10 TCE qui prévoit
une obligation de "coopération loyale", c'est à dire une simple
obligation de moyens.
* 6 Il faut entendre ici le pouvoir
judiciaire au sens générique. Par cette large définition,
il convient d'examiner les résistances tant du juge ordinaire que du
juge constitutionnel. Et bien que certaines particularités puissent
exister, à plusieurs égards, selon les Etats membres, il s'agit
de retenir celles dont la fonction est de "dire le droit".
* 7 Il s'agit principalement du pouvoir
judiciaire de l'Allemagne, de l'Italie, et bien plus encore de la France, voir
en ce sens Dominique CARREAU, "Droit communautaire et droits nationaux :
concurrence ou primauté ?", RTDE, 1978, pp. 319-418.
* 8 Arrêt Costa,
ibid.
* 9 Dans l'arrêt Costa,
ibid., la cour adopte un raisonnement comme suit : "qu'issu d'une
source autonome, le droit né du traité ne pourrait donc, en
raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer
un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère
communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la
Communauté elle-même".
* 10 Après une série de
réticences, elles ont admis in fine le principe de la
primauté du droit communautaire. A cet égard l'arrêt de
principe rendu par le juge judiciaire suprême est l'arrêt
Société des cafés Jacques Vabre , C. Cass, ch.
Mixte 24 mai 1975. Pour la haute juridiction administrative, il s'agit de
l'arrêt Nicolo CE 20 octobre 1989.
* 11 Arrêt Sté des
cafés J. Vabre, ibid., cette solution de principe
constitue un revirement de la jurisprudence initiée depuis longtemps,
notamment sous l'impulsion de l'avocat général Matter, qui
consistait à faire prévaloir sur les engagements internationaux
la loi qui leur serait postérieure.
* 12 A la différence de
l'avocat général Touffait qui, dans ses conclusions, invitait la
Cour à suivre la CJCE sur le fondement de la spécificité,
la C. cass. se contente d'en tenir compte et ne retient comme fondement
à part entière que l'art. 55 C.
* 13 C'est ici une résistance,
certes moins évidente que celle du juge administratif, en ce que le juge
judiciaire semble réticent à admettre ce fondement tenant
à la singularité de l'ordre juridique communautaire.
* 14 Après avoir
résisté à la reconnaissance du principe de primauté
du droit communautaire sur les lois postérieures, la jurisprudence
administrative, par l'arrêt Nicolo, fait sienne la solution de
la CJCE en ce qu'elle accepte ce principe de primauté.
* 15 Alors qu'il refusait de se
reconnaître lié par l'art. 55 C, de contrôler la
conformité de la loi postérieure au regard du droit communautaire
et plus généralement du droit international, il renonce à
ce paradigme dans l'arrêt Nicolo. On peut noter que Paul
Sabourin estime qu'il s'agit d'une méthode tout à fait
réflechie et fondée entreprise par le juge administratif car, il
s'agissait de l'appréhension de son propre rôle qui
présidait à l'évolution d'une telle jurisprudence. On peut
renvoyer aux remarques pertinentes de cet auteur : Sabourin Paul,
« Le conseil d'Etat face au droit communautaire, méthodes et
raisonnements », RDP, 1993, pp. 398-430.
* 16 On fait référence
ici à la décision dite IVG Cons. Const., 15 janvier
1975, n° 74-54.
* 17 Cet article I-6 correspond en
quelque sorte à la consécration institutionnelle du principe de
primauté tel que "découvert" par la jurisprudence de la CJCE.
* 18 Florence Chaltiel a
anticipé avec pertinence ce mouvement systémique auquel participe
cette solution du Cons. Const. Car, elle tire la conclusion de ce que la
souveraineté nationale s'acommode progressivement de
l'intégration, op. cit.
* 19 Cette idée que l'on peut
rattacher à l'arrêt Costa, ibid., a
été ensuite explicitée, notamment à travers la
jurisprudence Internationale Handelsgesellschaft CJCE 17
décembre 1970, Aff. 11/70.
* 20 Ce sont ici les arrêts
Pozzani, Cour constitutionnelle italienne 27 décembre 1973,
n° 183/73 ; et Solange I, Tribunal constitutionnel allemand 29
mai 1974.
* 21 Burgorgue-Larsen Laurence,
« Les résistances des Etats de droit », De la
Communauté de droit vers l'Union de droit, J. Rideau (dir.),
Colloque de Nice d'avril 1999, Paris, LGDJ, 2000, pp. 423-458.
* 22 Il s'agit ici des arrêts
Sarran CE 1998, SNIP CE 2001 ; et Fraisse C. cass.
2000.
* 23 Burgorgue-Larsen Laurence,
ibid., au delà de la solution de principe elle-même,
c'est bien plus largement la vaste tendance, plus ou moins
développée, visant à maintenir les caractères
traditionnels de la souveraineté nationale que regrettent de nombreux
observateurs.
* 24 Maugüé Christine,
« L'arrêt Sarran, entre apparence et
réalité », CCC, n° 7-99, p.
87.
* 25 Cayla Olivier, « Lire
l'article 55 : Comment comprendre un texte établissant une
hiérarchie des normes comme étant lui-même le texte d'une
norme ? », CCC, n° 7-99, p. 77.
* 26 La formule est celle utilisée
par l'arrêt SNIP, ibid.
* 27 La construction
prétorienne de la Cour, où certains commentateurs voient un
« activisme judiciaire », n'a eu de cesse de mettre en
oeuvre des principes innovants traduisant la singularité de
l'intégration. Parmi ceux-ci figurent les principes de primauté
et d'applicabilité du droit communautaire, puisque le droit né
des traités communautaires constitue une source normative autonome et
intégrée au sein de l'ordre juridique interne des Etats
membres.
* 28 Arrêt Van Geen en
Loos, ibid., puis Costa, ibid.
* 29 Selon la célèbre
formule employée par le commissaire de gouvernement Genevois dans ses
conclusions.
* 30 Il faut se référer
à l'arrêt Van Duyn, CJCE, 4 décembre 1974, Aff.
C-41/74.
* 31 Arrêt Cohn Bendit,
CE, Ass., 22 décembre 1978. Aux termes de cet arrêt, le recours
pour excès de pouvoir est irrecevable devant le juge administratif en
vue de contrôler la légalité d'un acte administratif
unilatéral de caractère individuel au regard d'une directive
communautaire non transposée.
* 32 Toute norme internationale n'est
applicable par elle-même dans l'ordre interne, qu'à la condition
qu'elle comporte un caractère auto-exécutoire, c'est à
dire suffisament clair et précis.
* 33 Arrêt Boisdet CE
1990. L'affirmation de la suprématie des réglements
communautaires n'est que le prolongement de l'arrêt Nicolo.
* 34 Cf. GAJA, Dalloz, 14ème
édition, 2003, observations pp. 693-694 sur l'arrêt
Alitalia, on peut préciser d'ailleurs que cette jurisprudence
permet à tout intéressé d'inviter les autorités
administratives compétentes à mettre la réglementation
nationale en conformité avec les objectifs des directives
communautaires. On observe ainsi que le juge administratif est pragmatique en
ce qu'il entend dégager des solutions qui permettent d'assurer un effet
utile aux directives comunautaires.
* 35 SA Rothmans CE 1992,
Arizona Tobacco CE 1992.
* 36 Il s'agit de solutions soucieuses
de ne pas compromettre l'effectivité de la primauté du droit
communautaire car il semble acquis que le juge administratif n'est pas enclin
à suivre scrupuleusement la jurisprudence communautaire, sa
démarche consiste à établir progressivement un ensemble de
solutions, selon sa propre logique, afin d'aboutir à une garantie
d'effectivité de ladite primauté.
* 37 Art. 234 TCE (ex-art. 177). Ce
mécanisme de renvoi préjudiciel assure à la Cour un
pouvoir général d'interprétation du droit communautaire,
elle agit ici comme la gardienne exclusive du respect du droit communautaire.
* 38 Cartou Louis, « La Cour
de justice des Communautés européennes et le droit
communautaire », Mélanges Waline, Le juge et le
droit public, Paris, LGDJ,1974, Tome I, pp. 163-171.
* 39 Deux attitudes possibles que l'on
pouvait attendre, ce sont celles des juges ordinaires ne statuant pas en
dernier ressort et des juges constitutionnels, notamment espagnols et
français, dont la vocation structurelle n'est pas d'ordre contentieux et
dont la nature du contrôle exercée ne permet pas d'avoir recours
à ce renvoi.
* 40 Société de
Pétroles Shell Berre, CE,19 juin 1964, lequel a été
critiqué mais a connu un certain succès.
* 41 CILFIT, CJCE, 6 octobre
1982, Aff. 283/81.
* 42 Cf. points 16 et 21 de
l'arrêt CILFIT précité, on peut analyser ce
raisonnement comme la mise en jeu de la coopération loyale, telle que
prévue à l'art. 10 TCE, au sens où c'est sous sa
« propre responsabilité » que le juge interne
décide d'activer ou non le mécanisme préjudiciel.
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