Section 2 : L'échec de sa mise en oeuvre.
Si l'on pouvait espérer que la solution de principe
dégagée par l'arrêt Köbler ait l'incidence
ainsi étudiée dans le cadre de la construction d'un droit
communautaire dont l'application se veut uniforme, on ne peut qu'être
déçu par la mise en oeuvre de celle-ci par la Cour. La
révolution entrevue dans ce domaine est, pour ainsi dire, tout au plus
« incantatoire » dans la mesure ou les orientations qu'elle
dégage dans sa solution ne sont aucunement suivies d'une mise en oeuvre
en conformité avec celles-ci.
On ne peut s'abstenir d'étudier l'application qui est
faîte de la solution de principe car son caractère
révolutionnaire est substantiellement lié à sa mise en
oeuvre concrète, or à cet égard on observe que
l'arrêt Köbler n'opère pas la mise en oeuvre qui
aurait conféré une valeur effective au bouleversement
perceptible. En somme le statu quo est de mise contrairement à la
révolution préfigurée des rapports entre les 2 ordres
juridiques dans le sens d'une garantie d'uniformité dans l'application
du droit communautaire.
En effet si l'on s'en tient à la seule solution de
principe dégagée par la Cour, elle laisse supposer que 2
hypothèses sont envisageables, soit la jurisprudence fournit clairement
et explicitement les réponses à une question donnée et
alors le renvoi préjudiciel n'est pas nécessaire mais facultatif
car les juridictions suprêmes nationales sont présumées
connaître le droit communautaire en cette hypothèse et ainsi ce
n'est pas l'inexécution du renvoi préjudiciel mais le
défaut de conformité entre la décision judiciaire
nationale et la jurisprudence communautaire qui est constitutif d'une violation
suffisamment caractérisée, soit la jurisprudence ne fournit
aucune réponse claire et alors le renvoi préjudiciel constitue en
cette hypothèse une obligation à la charge du juge suprême
national dont l'inexécution est par elle-même constitutive d'une
violation suffisamment caractérisée.
En l'espèce l'arrêt Köbler aurait
dû retenir la seconde hypothèse dans la mesure ou la Cour
relève que la réponse n'était pas évidente, que la
jurisprudence ne fournissait en aucun cas de réponse à ce sujet
et que la juridiction en cause a manqué à son obligation de
renvoi préjudiciel, elle ne tire pas pour autant les conclusions
appropriées à ce constat c'est à dire la réunion de
la condition d'une violation suffisamment caractérisée, et ce au
motif que ladite juridiction a retiré sa demande préjudicielle en
supposant à tort que la réponse était établie par
une solution récente de la Cour. Ainsi un tel raisonnement revient dans
une certaine mesure à admettre la théorie de l'acte clair puisque
le manquement à l'obligation de renvoi se trouve ainsi justifié
et donc conduit in fine à maintenir la viabilité des
résistances judiciaires nationales propres à mettre en
péril l'application uniforme du droit communautaire.
Ce que l'on peut retenir en fin de compte de ces
observations concerne l'application par la Cour de ses propres orientations de
principe qu'elle entendait développer afin de pouvoir construire les
bases d'un ordre juridique communautaire dont l'application uniforme serait
effectivement assurée. A cet égard on doit admettre que celle-ci
effectue un raisonnement qui ne permet pas de mettre en conformité
l'application concrète de la solution avec les principes ainsi
évoqués, il s'agit de l'acceptation
« déguisée » de la théorie de l'acte
clair qui interfère dans le raisonnement alors que les orientations
pressenties laissaient penser une remise en cause de cette théorie.
C'est pourquoi on ne peut valablement considérer que
l'arrêt Köbler introduit une révolution à cet
égard car bien que s'inscrivant dans le mouvement systématique
qui a pour objet d'harmoniser les rapports entre les 2 ordres juridiques en vue
de permettre l'application unifiée du droit communautaire et à ce
titre développant des principes propres à satisfaire cette
finalité, on doit constater qu'il conduit à un statu quo au sens
ou si l'on analyse l'articulation de ces principes qu'il met en oeuvre tout au
long de son raisonnement il ne remet aucunement en cause les résistances
judiciaires nationales, lesquelles constituent un obstacle indéniable
à l'avènement de la garantie d'uniformité, notamment
l'inexécution de l'obligation de renvoi préjudiciel que
l'arrêt Köbler prend pour établi au regard des
circonstances de l'espèce et même à ce titre constitutif
d'un manquement. Cela révèle la prudence dont fait preuve la Cour
qui, en dépit d'avoir manifesté une volonté de rupture en
énonçant un ensemble de considérations selon lequel il ne
serait plus possible de facto de contourner le renvoi au juge communautaire,
seul gardien de l'application uniforme du droit communautaire, ne contribue pas
à modifier la donne tant l'application n'y est pas conforme et
très en deçà d'une consolidation de la garantie
d'uniformité.
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