INTRODUCTION
En l'état actuel du droit international et plus
généralement dans l'ensemble des relations internationales, la
responsabilité des Etats membres de l'Union européenne sur le
fondement de la violation du droit communautaire est sans doute un
élément sans commune mesure au sens ou il n'existe pas de
système aussi développé que celui-ci.
L'arrêt Köbler rendu par la Cour de
Justice des Communautés Européennes le 30 septembre 2003 à
titre préjudiciel, comme le prévoit l'article 234 du
Traité instituant les Communautés Européennes, s'inscrit
dans un mouvement jurisprudentiel initié par la Cour au début des
années 90, lequel a progressivement établi les bases d'une
responsabilité des Etats membres du fait d'une violation du droit
communautaire pouvant être engagée par des particuliers à
l'appui d'une demande en réparation du préjudice causé par
ladite violation. Et si ce principe est clairement établi et plusieurs
fois rappelé dans d'autres solutions, cet arrêt
Köbler a pour objet d'apporter des réponses attendues par
de nombreux commentateurs principalement concernant l'étendue, la
portée conférée à une telle
responsabilité.
C'est ainsi que l'arrêt Köbler
énonce en son dispositif que ce principe s'applique également
dès lors que la « violation en cause découle d'une
décision d'une juridiction statuant en dernier ressort »,
l'engagement de cette responsabilité étant soumise à la
réunion de 3 conditions selon lesquelles la violation doit porter sur
une règle de droit communautaire comportant des droits subjectifs dans
le chef des particuliers, que ladite violation soit suffisamment
caractérisée et présentant un lien de causalité
avec le préjudice subi par le particulier lésé.
Si l'on se place dans le cadre général et
systémique de cette évolution jurisprudentielle, on peut observer
deux étapes majeures, la consécration dudit principe de
responsabilité inhérent au système communautaire par
l'arrêt Francovitch en 1991 1(*) mettant fin au procédé de «
loyauté communautaire » 2(*) comme seule garantie de l'application «
correcte » du droit communautaire qui, il faut le rappeler, est
censé primer le droit interne des Etats membres 3(*). Et il s'ensuit son extension
opérée par la solution de l'arrêt Köbler
selon laquelle ce principe est également applicable pour le fait d'une
décision juridictionnelle nationale statuant en dernier ressort
dès lors que celle-ci constitue une violation du droit communautaire.
Il convient de porter notre attention dans cette
étude sur les implications et les perspectives qui peuvent se
dégager de l'arrêt Köbler en matière de
responsabilité de l'Etat membre pour violation du droit communautaire
imputable à l'Etat et plus généralement dans le cadre de
l'application du droit communautaire, et à ce titre il faut
précisément déterminer ces implications au regard des
données nouvelles établies par celui-ci à savoir notamment
l'idée selon laquelle cette responsabilité peut tout à
fait être engagée sur la base d'une décision
juridictionnelle nationale statuant en dernier ressort.
Ainsi à la lumière du raisonnement
opéré par la Cour, et à l'aune de la tendance
générale visant à l'application du droit communautaire
dans laquelle se place l'arrêt Köbler, doit-on parler
d'évolution ou de révolution, en d'autres termes l'arrêt
Köbler constitue-t-il un prolongement ou une rupture de la ligne
tracée jusqu'ici en la matière ?
L'enjeu qui se dégage de cette étude est de
pouvoir identifier, outre le sens de cet arrêt Köbler, sa
« valeur » dans la construction actuelle du système
communautaire c'est à dire s'il apporte de véritables changements
à cet égard, de telle manière que l'on puisse le qualifier
de révolutionnaire.
Il apparaît manifestement que la solution
énoncée par l'arrêt Köbler est guidée
par un certain équilibre entre une cohérence à
l'égard de la jurisprudence développée
antérieurement et un aménagement de celle-ci par des innovations
( I ), toutefois cet arrêt ne peut véritablement être
considéré comme une révolution majeure dans la mesure ou
il n'opère pas de transition fondamentale dans l'ordre
général de l'application du droit communautaire ( II ).
Partie I : Des innovations
« raisonnables ».
Il s'agit ici de mettre en évidence que si des
innovations peuvent être perçues au travers de la solution
établie par cet arrêt, il n'en demeure pas moins que celle-ci ne
présente aucune rupture de la jurisprudence antérieure tant pour
l'extension de la solution de principe (A) que pour l'aménagement de ses
conditions (B).
A. Le complément attendu d'un principe
général.
Section 1 : La confirmation d'un principe
jurisprudentiel établi.
Certes, la Cour de Justice des Communautés
Européennes a déjà énoncé, dans
l'arrêt Francovich 4(*), le principe fondamental selon lequel tout Etat membre
de l'Union européenne peut faire l'objet d'une action en
responsabilité dès lors qu'une violation du droit communautaire
lui est imputable, et ce au titre d'une demande en réparation du
préjudice subi par un particulier du fait de ladite violation. A cet
égard la Cour ne fait montre d'aucune innovation particulière
dans l'arrêt Köbler puisqu'elle considère ce
principe comme clairement établi et s'en prévaut à la base
de son raisonnement. Et c'est d'ailleurs de façon explicite qu'elle s'y
réfère à de nombreuses reprises 5(*).
Aussi la formulation, pour le moins général,
de l'arrêt Francovich suivant lequel ce principe est
inhérent au système du traité 6(*), est également
rappelé par la Cour 7(*) qui en cela, affirme indiscutablement la
« viabilité » de l'ensemble de la solution
jurisprudentielle découverte par la jurisprudence Francovich.
A la suite de l'arrêt Francovich le principe
étant posé, il convient d'en déterminer l'étendue
car en effet ce principe ayant pour objet d'admettre la mise en jeu de la
responsabilité étatique sur le fondement du droit communautaire
doit être clairement entendu quant aux hypothèses permettant sa
mise en oeuvre. Or à cet effet une option entre 2 acceptions est
envisageable, soit la Cour choisit un large champ d'application, soit elle
choisit un cadre restreint à certains cas limités.
Et c'est dans cette optique qu'est intervenu l'arrêt
Brasserie du pêcheur, lequel a opéré à une
large acception dudit principe dans la mesure ou celui-ci admet qu'il puisse
être appliqué pour toute hypothèse de violation du droit
communautaire imputable à l'Etat, et ce même si la violation en
cause découle du fait du législateur ou de l'exécutif.
Et à cet égard l'arrêt
Köbler n'est en aucun cas en contradiction avec la solution
antérieure dans la mesure ou il retient cette large acception du
principe général, et ce sans doute en vertu d'un axiome de base,
tel que l'entend notamment Isabelle Pingel 8(*), selon lequel on ne peut envisager ce principe de
responsabilité que si l'Etat est considéré dans l'ensemble
de ses composantes les plus essentielles. Mais si la Cour retient cette large
appréciation confirmant ainsi la position adoptée auparavant, il
reste néanmoins qu'elle introduit une donnée nouvelle, innovante
dans une certaine mesure, dans le cadre du champ d'application de ce principe
de responsabilité. En effet elle énonce expressément que
ce principe est également applicable dès lors que la violation du
droit communautaire est le fait d'une décision d'une juridiction
nationale statuant en dernier ressort.
Section 2 : Une extension apparemment audacieuse du
principe établi.
On pourrait considérer que la solution
énoncée par l'arrêt Köbler est porteuse d'une
innovation fondamentale dans la mesure ou l'on observe qu'elle ne se contente
pas de rappeler l'ensemble des solutions développé
antérieurement mais opère un aménagement remarquable en
étendant expressément l'application du principe à
l'hypothèse d'une violation du droit communautaire imputable à
l'Etat du fait d'une décision juridictionnelle nationale rendue en
dernier ressort.
Si l'on doit parler d'innovation c'est bien
précisément dans cet ordre d'idées que cet arrêt
présente l'innovation la plus marquante car d'une part la Cour consolide
et renforce la position déjà retenue dans l'arrêt
Brasserie du pêcheur en élargissant le cadre
d'application de ce principe, et ce en admettant explicitement que soit
également applicable celui-ci pour le cas ainsi évoqué, et
d'autre part elle l'étend à un cas, pour le moins, singulier :
les décisions du pouvoir judiciaire car en effet la
spécificité même de la fonction juridictionnelle notamment
lorsqu'il s'agit de la juridiction de dernier ressort rend a priori
malaisé l'idée d'accepter qu'elle puisse être à
l'origine de l'engagement de la responsabilité étatique 9(*), principalement en raison de
l'autorité de chose définitivement jugée et de
l'indépendance dont doit bénéficier le juge.
C'est ainsi que cette solution peut être
analysée comme innovante puisqu'au delà de compléter un
principe par l'extension de son champ d'application, plus
précisément à travers les cas explicitement admis en la
matière, elle opère cette extension pour l'hypothèse
d'une violation commise par une décision judiciaire nationale de dernier
ressort, entendue au sens générique c'est à dire de
quelque ordre de juridiction que ce soit, or certains éléments
propre à la nature même du pouvoir judiciaire peuvent constituer
de premier abord un obstacle à une telle extension, c'est pourquoi l'on
pourrait considérer que cette solution traduit une certaine
révolution.
Il convient toutefois d'observer qu'une étude des
aspects a priori révolutionnaires de cette solution ainsi
identifiés révèle bien au contraire une continuité
certaine.
Section 3 : Une innovation equilibrée et
cohérente.
Ayant affirmé que cette solution peut
présenter a priori une certaine innovation, on ne peut se satisfaire
d'un si simple constat car si l'on analyse précisément cette
solution, elle n'est pas « révolutionnaire » dans la
mesure ou elle constitue le prolongement logique de la construction
opérée par la jurisprudence en la matière.
En effet certains gouvernements ont souligné, comme
cela l'est rappelé par la Cour qui reprend leurs observations afin de
les analyser et d'y répondre 10(*), qu'une telle extension ne devrait pas être
retenue par la Cour au motif qu'elle porterait une atteinte considérable
à plusieurs principes auxquels sont fortement attachés les Etats
membres, pour la plupart, dans leur tradition juridique respective. Il s'agit
notamment des principes de sécurité juridique, à travers
l'autorité de chose jugée, et de spécificité de la
fonction juridictionnelle qui implique l'indépendance des juges.
Si la solution comportait le risque de porter atteinte
à ces principes fondamentaux, alors il est clair qu'on aurait pu tout
à fait la considérer comme
« révolutionnaire » tant il s'agit de principes
essentiels dans la plupart, voire l'ensemble, des Etats membres. Or en
l'espèce on doit admettre que la solution est compatible avec de tels
principes et ne remet aucunement en cause ceux-ci.
Tout d'abord la reconnaissance du principe selon lequel est
responsable l'Etat membre de toute violation du droit communautaire du fait
d'une décision judiciaire nationale rendue en dernier ressort ne porte
pas intrinsèquement une atteinte à l'autorité de chose
définitivement jugée dans la mesure ou, comme le souligne la Cour
elle-même dans son raisonnement aux points 39 et 40, ce principe de
responsabilité n'a pas pour objet de mettre en oeuvre un système
visant à la révision de la décision de justice rendue en
dernier ressort mais seulement de permettre d'obtenir la réparation du
préjudice subi par la personne lésée par une telle
décision qui viole le droit communautaire, et ce au titre de la
responsabilité de l'Etat. Ainsi la personne lésée
obtiendra concrètement tout au plus la condamnation de l'Etat au
paiement d'indemnités de réparation mais en aucune façon
une révision de la décision en cause.
Donc on observe bien que l'établissement de ce
principe est tout à fait étranger à une prétendue
remise en cause de l'autorité de chose jugée.
Aussi c'est dans le même sens que doit être
souligné que l'indépendance du pouvoir judiciaire qui est une des
composantes essentielles de la spécificité liée à
la fonction juridictionnelle n'est pas affectée par la solution que
dégage l'arrêt Köbler puisqu'il n'y est absolument
pas prévue de responsabilité personnelle du juge. Il s'agit d'un
principe qui établit exclusivement la responsabilité de l'Etat
dans la mesure ou la violation est certes le fait d'une décision
judiciaire nationale mais imputable à l'Etat membre, dans une certaine
mesure on peut dire que cela équivaut non pas à une remise en
cause implicite de la décision de justice comme ont pu le soutenir
certains gouvernements dans leurs observations accompagnant les questions
préjudicielles mais plutôt une simple mise en cause de la
défaillance de l'Etat garant de l'application correcte du droit
communautaire impliquant nécessairement les violations découlant
du pouvoir judiciaire qui lui incombe.
Dans cet ordre d'idées l'arrêt
Köbler pose un principe nouveau que l'on ne peut valablement
considérer comme « révolutionnaire »
dès lors qu'il ne porte en rien atteinte aux principes fondamentaux que
constituent la sécurité juridique et l'indépendance du
pouvoir judiciaire.
Par ailleurs on peut avancer que le principe
dégagé par l'arrêt Köbler pouvait
raisonnablement être attendu au sens ou il s'avère un
complément nécessaire, ou du moins logique, du principe
général de responsabilité de l'Etat membre pour la
violation du droit communautaire qui lui est imputable. Si le principe ainsi
développé a une vocation générale et si l'on
considère l'Etat dans son « unité » c'est
à dire selon les fonctions qui le caractérisent par essence, on
ne peut nier que le service public de la justice joue un rôle fondamental
dans la mesure ou cette institution est la garante de la protection effective
des droits conférés aux individus. Or en matière de
responsabilité des Etats membres sur le fondement
« inhérent au système du traité » de
l'exigence d'effectivité de l'application des règles que le droit
communautaire crée dans le chef des particuliers au niveau des ordres
internes, on doit objectivement admettre que l'autorité juridictionnelle
nationale, surtout celle statuant en dernier ressort, ne saurait
échapper à cette exigence et engager ainsi la
responsabilité étatique chaque fois que par son activité
elle opère une violation du droit communautaire. A cet égard R.
Kovar s'était déjà prononcé en ce sens alors
même que les bases de ce système de responsabilité
n'étaient pas encore établies 11(*). L'anticipation de ce mouvement jurisprudentiel est
significatif et témoigne bien de l'idée suivant laquelle cette
solution dégagée par l'arrêt Köbler est
emprunte d'une certaine logique, ce qui d'ailleurs la rendait
prévisible, et attendue en tout état de cause en ce qui concerne
cette extension au fait du juge.
On peut affirmer ainsi que le principe posé par
l'arrêt Köbler est complémentaire mais ne
présente pas de caractère proprement révolutionnaire.
B. L'explicitation de conditions traditionnelles.
Section 1 : Une transposition des conditions.
L'arrêt Köbler, en posant le principe
ainsi étudié, énonce également les conditions de
fond nécessaires à l'engagement d'une telle
responsabilité. Et on ne peut faire l'économie de l'observation
des conditions dans la mesure ou ledit principe n'a de véritable
« substance » que par ce qu'en permet l'articulation des
conditions qui l'encadrent. En ce sens la Cour reprend aux points 51 et 52 la
« trilogie » de base mise en place par la jurisprudence
antérieure, laquelle est établie par les arrêts
Francovich et Brasserie du pêcheur puis rappelée
à maintes reprises notamment dans l'arrêt Haim 12(*). Il s'agit de 3 conditions
cumulatives à savoir des droits subjectifs conférés aux
particuliers par la règle de droit communautaire violée,
l'exigence d'une violation suffisamment caractérisée et
l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice subi et la
violation en cause. Ce sont les conditions de fond sans lesquelles la
responsabilité de l'Etat ne peut être engagée, autrement
dit l'effectivité de ce principe de responsabilité est
subordonnée à la réunion de ces 3 conditions.
Ce sont ici les conditions déjà retenues dans
le cadre du principe général de responsabilité de l'Etat
membre en cas de violation du droit communautaire qui lui est imputable, tel
que développé dans l'arrêt Brasserie du
pêcheur. Ainsi la Cour ne fait que transposer ces 3 conditions pour
l'hypothèse d'une violation du fait d'une décision judiciaire
nationale rendue en dernier ressort.
Les juges reprennent les conditions classiques c'est
à dire celles retenues par une jurisprudence continue, il est clair
qu'ils ne font pas preuve d'une innovation particulière en la
matière, mais il est intéressant de remarquer une certaine
évolution dans la mesure ou ils s'attachent à en approfondir
l'interprétation, notamment s'agissant de la deuxième condition,
et c'est en cela l'innovation la plus marquée.
Section 2 : L'interprétation des conditions plus
approfondie.
Si les conditions relatives à la nature de la
règle de droit violée et au lien de causalité peuvent
présenter une certaine difficulté d'interprétation, ou du
moins prêter à discussion, la condition relative à
l'exigence d'une violation suffisamment caractérisée constitue
sans doute la plus difficile à appréhender pour plusieurs
raisons. D'une part elle implique intrinsèquement un jugement de valeur
ou plus exactement une appréciation subjective, d'autre part cette
difficulté d'appréhension tient en sa formulation abstraite et
insuffisamment claire. En effet l'utilisation de
« suffisamment » dénote dans une certaine mesure la
volonté d'évaluer le degré qui caractérise la
violation en cause, or cela relève largement d'un pouvoir souverain
d'appréciation des juges, et ce pouvoir n'étant pas suffisamment
encadré par un « minimum » d'éléments
objectifs à cause de ce défaut de précision et de
clarté de la formulation même de ladite condition, il en
résulte un « flou juridique ». Ensuite cette
difficulté se trouve accentuée par la spécificité
liée à la fonction juridictionnelle car transposer cette
condition pour le cas des décisions judiciaires nationales de dernier
ressort nécessite de prendre en considération cette dimension de
la spécificité du pouvoir judiciaire, en effet la
difficulté est plus grande lorsqu'il s'agit de déterminer la
réunion de cette condition si l'on examine celle-ci sur la base de
l'activité du juge puisqu'il faut apprécier si la décision
de justice est ou non constitutive d'une violation suffisamment
caractérisée.
L'arrêt Köbler ayant admis l'application
du principe général de responsabilité au cas des
décisions de justice, il en apporte pas moins des précisions
importantes afin de répondre aux difficultés
d'interprétation ainsi étudiées. C'est ici l'un des
intérêts principaux de cet arrêt au sens ou il ne se
contente pas simplement de transposer ces 3 conditions, il en apporte des
aménagements au travers d'explicitations notamment à
l'égard de celle qui prévoit une violation suffisamment
caractérisée.
La Cour a recours dans son raisonnement au critère de
la « violation manifeste » du droit communautaire pour
clarifier le sens et la portée d'une telle condition 13(*) et ce critère comprend
lui-même toute une série de faisceaux d'indices qui permettent
d'apprécier beaucoup plus objectivement si ce critère est bien
réuni tout en prenant en compte la spécificité liée
à la fonction juridictionnelle. C'est ainsi qu'elle considère
qu'il convient d'examiner cette condition à la lumière
d'éléments indicateurs tels que le caractère excusable ou
non de l'erreur de droit, le degré de clarté et de
précision de la règle violée ou encore
l'inexécution de son obligation de renvoi préjudiciel par la
juridiction de dernier ressort sur la base de l'article 234 alinéa 3
TCE. Aussi en toute hypothèse la violation doit être
considéré comme manifeste dès lors qu'elle est contraire
à une jurisprudence clairement établie par la Cour.
En d'autres termes on peut dire que le critère de
violation manifeste, lui-même recouvrant tout un ensemble
d'éléments qui permettent à la fois d'apprécier au
mieux de la réunion de cette condition et de tenir compte de la
spécificité propre à l'activité judiciaire, sert en
quelque sorte de guide, de « mode d'emploi » à
l'usage du juge.
Il semble que cet arrêt présente une innovation
importante dans la mesure ou il permet d'éviter que le pouvoir
d'interprétation du juge concernant la réunion des conditions
soit excessivement large, et par la même occasion il devient moins
fondé de craindre le « spectre » de
« gouvernement des juges », car désormais cette
condition posant l'exigence d'une violation suffisamment
caractérisée se trouve aménagée d'un critère
qui la clarifie en énonçant plusieurs indicateurs qu'il convient
de prendre en considération dans ce cadre.
On peut pourtant mettre en évidence certains points
qui tendent à affaiblir le caractère novateur de cet
aménagement.
Section 3 : La prudence caractérisée de cet
aménagement.
Bien que cette solution peut sembler à
première vue novatrice par l'aménagement qu'elle apporte aux
conditions de fond, principalement dans l'explicitation de la condition d'une
violation suffisamment caractérisée, on peut observer qu'elle
n'est pas proprement révolutionnaire à cet égard. Cet
aménagement est même révélateur d'une certaine
prudence de la Cour.
Il faut souligner avant tout que cet aménagement a
pour seul objet de préciser le sens de ladite condition qui demeure
l'exigence d'une violation suffisamment caractérisée à
l'aide du critère de violation manifeste qui ne joue qu'un rôle
limité au service de l'appréciation du juge quant à la
réunion ou non de cette condition. En effet il ne s'agit tout au plus
que d'un critère, lui-même composé de plusieurs
critères, que le juge est invité à prendre en
considération.
Or la véritable innovation en la matière
eût été de remplacer cette condition, sans pour autant la
dénaturer, et ainsi de poser une autre condition plus claire, laissant
moins de place à la subjectivité et plus soucieuse de la
spécificité de la fonction juridictionnelle. En ce sens certains
critères prévus tel l'exercice ou non du renvoi
préjudiciel sont intéressants mais la Cour fait ici preuve de
prudence dans la mesure ou elle considère que ceux-ci ne doivent
être retenus que comme des indices à la discrétion des
juges et dont l'examen ne les lient pas.
C'est pourquoi on peut dire tout d'abord que la prudence
prédomine la solution dans l'aménagement qu'elle introduit par la
nature même de cet aménagement.
Ensuite il convient d'étudier l'usage dont font les
juges de cet aménagement pour souligner une fois encore la prudence de
la Cour, et cela n'est pas sans lien avec le rôle exclusivement
explicatif conféré à celui-ci.
Il s'agit de l'application des critères
opérée par la Cour et dans ce cadre on peut relever qu'elle
utilise ces critères de telle sorte qu'ils conduisent à
créer une inadéquation entre la réalité des
données de l'espèce et la conclusion tirée sur la
réunion de ladite condition. Autrement dit l'aménagement
introduit n'est pas en soi un gage d'efficacité, en effet la
jurisprudence de la CJCE faisait défaut sur la question en cause et la
réponse à cette question n'étant pas évidente on
peut légitimement s'attendre à ce que le renvoi
préjudiciel ait été utilisé par la juridiction en
cause, or celle-ci a unilatéralement retiré sa requête
préjudicielle car elle estimait que la réponse était
donnée dans un arrêt récent de la Cour, la Cour n'en
conclue pas moins que la violation n'est pas suffisamment
caractérisée eu égard à sa lecture erronée
de l'arrêt. C'est ici une application critiquable desdits critères
car comme le souligne I. Pingel 14(*) si la jurisprudence ne permettait pas de trouver une
réponse écartant tout doute raisonnable alors
l'inexécution de son obligation de renvoi préjudiciel devait
être considérée, selon toute vraisemblance, comme
constitutive d'une violation suffisamment caractérisée
conformément aux critères dont la Cour préconise
l'utilisation.
On peut donc affirmer que cet aménagement ne permet pas
de résoudre la part importante de subjectivité quant à
l'appréciation des conditions et en particulier celle qui fait l'objet
de précisions avec les éléments indicateurs dont le but
est pourtant d'optimiser l'objectivité des juges à cet effet.
Partie II : Des innovations
« inachevées ».
Si l'on se place dans le cadre global et systémique de
la construction de l'édifice juridique communautaire, l'arrêt
Köbler marque une étape supplémentaire mais insuffisante,
illustrant en ce sens la méthode dite des « petits
pas » tant à l'égard de la consolidation de la
primauté du système communautaire (A), que pour
l'uniformité de l'application du droit communautaire (B).
A. Une avancée restreinte vers la
primauté effective.
Section 1 : Le développement de l'effectivité
de la primauté.
Tout d'abord l'arrêt Köbler marque une
étape importante dans l'oeuvre prétorienne visant à
établir un système dans lequel la primauté du droit
communautaire est non seulement un principe fondamental de base, et ce en vertu
de l'arrêt Costa c. Enel CJCE 1964 15(*), mais aussi une
réalité effective dans son application et l'arrêt
Simmenthal a amorcé cette tendance 16(*), laquelle a
présidé à toute l'évolution opérée
par la Cour depuis lors.
En ce sens l'arrêt Köbler marque une étape
cruciale car la responsabilité de l'Etat membre pour la violation du
droit communautaire qui lui est imputable, établie par la Cour dans ses
arrêts de principe comportait une lacune au sens ou cette
responsabilité n'était pas explicitement prévue pour le
fait d'une décision de justice nationale. L'extension expresse à
cette catégorie d'activité effectuée par l'arrêt
Köbler n'est pas dépourvue d'intérêt dans la
mesure ou elle s'inscrit dans ce développement systématique d'un
ordre juridique communautaire garantissant une protection juridictionnelle
effective et complète. Il s'agit, en principe, d'un apport fondamental
dans la consolidation d'une communauté de droit qui doit, à ce
titre, mettre en place un ensemble de voies de droit aux citoyens de l'Union
dont le but est de permettre une protection des droits qu'ils tirent
directement de cet ordre juridique communautaire.
En effet envisager la primauté du droit communautaire
n'a de sens que si elle s'accompagne de l'ensemble des instruments
nécessaires afin que celle-ci ait une valeur effective, or l'arrêt
Köbler est novateur à cet égard puisqu'il participe
de ce mouvement, notamment en élargissant la sphère d'application
du principe général de responsabilité découvert par
l'arrêt Francovich en vue d'instaurer un système de
responsabilité étatique cohérent, unifié et
complet. Ainsi outre l'engagement de ladite responsabilité du fait du
législateur 17(*)
et du fait de l'exécutif 18(*), l'arrêt Köbler admet
désormais que cette responsabilité soit engagée du fait
d'une décision de justice nationale de dernier ressort.
Désormais le droit communautaire dispose d'un
système de responsabilité ouvert à l'ensemble des
« branches » du pouvoir étatique, lesquelles sont
potentiellement génératrices dans l'exercice même de leur
fonction respective de violations du droit communautaire imputables à
l'Etat.
A ce titre on peut parler d'un développement
jurisprudentiel dans le sens d'une plus importante effectivité de la
primauté du droit communautaire dès lors qu'il est
consacré ledit principe de responsabilité au fait d'une autre
activité qui incombe à l'Etat à savoir le pouvoir
judiciaire dont le rôle est considérable dans la protection des
droits des particuliers. Autrement dit la primauté effective du droit
communautaire passe nécessairement par le contrôle de
l'activité juridictionnelle nationale par quelque moyen que ce soit,
à cet égard l'arrêt Köbler ne manque pas de prendre
acte de cette exigence en posant le principe ainsi étudié.
Section 2 : Une avancée limitée vers la
pleine effectivité de la primauté.
Si l'on peut reconnaître à l'arrêt
Köbler de favoriser le développement de la mise en oeuvre
d'un ordre juridique communautaire dont la primauté est pleinement
assurée, il faut toutefois souligner qu'il n'opère en aucun cas
de bouleversements radicaux propres à le considérer comme un
véritable tournant décisif à cet égard. Il
témoigne bien au contraire de la méthode des « petits
pas » de la Cour.
La mise en place d'un ordre juridique communautaire assorti de
l'ensemble des instruments assurant sa primauté effective et absolue
suppose que soit érigé un système de responsabilité
qui, étant inhérent au système du traité c'est
à dire découlant nécessairement de l'esprit de la
« charte constitutionnelle de base » selon une expression
traditionnelle formulée par la Cour, doit présenter les
caractéristiques essentielles lui permettant de constituer le coeur de
la garantie de primauté du droit communautaire. Et il ne suffit pas de
poser simplement les principes de bases lesquels sont indispensables mais
inutiles ou insuffisants s'ils ne sont pas accompagnés de la garantie
réelle et concrète qu'ils trouveront aisément application
des lors que les particuliers sont légitimement fondés à
s'en prévaloir.
Or s'agissant de l'arrêt Köbler on observe
tout d'abord qu'il reste silencieux sur 2 questions qui ont leur importance
dans la détermination du cadre d'application dans lequel s'étend
ce système de responsabilité et il est révélateur
d'une certaine rigidité quant à l'effectivité de son
application.
Concernant le cadre d'application, une première
question se pose à laquelle il ne répond pas explicitement, il
s'agit de l'idée selon laquelle la responsabilité est bien
prévue pour le fait d'une décision de justice nationale rendue en
dernier ressort mais on ne peut induire indubitablement ni du raisonnement
opéré ni du dispositif si cela équivaut ou non à
une condition d'épuisement préalable des voies de droit interne.
On peut considérer qu'il ne s'agit pas d'une telle condition mais
seulement d'un principe applicable à tous les degrés de
juridiction et a fortiori à la juridiction de dernier ressort par
essence non susceptible d'un quelconque recours de nature juridictionnelle.
Mais on peut également penser à l'instar de J.G. Huglo 19(*), que cela tend plutôt
à admettre une telle condition en vue d'un alignement implicite sur le
modèle de la responsabilité sur le fondement de la Convention
européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits
de l'homme ou encore de la responsabilité extra contractuelle de la
Communauté sur le fondement de l'article 288 alinéa 2 TCE. Et
surtout à défaut d'énonciation expresse contraire on peut
admettre que le principe est exclusivement applicable au cas prévu
explicitement par l'arrêt, à savoir les décisions de
dernier ressort. Indépendamment des considérations
d'« engorgement » de la justice qu'entraînerait sans
doute l'absence de cette condition, c'est ici une limite que l'on ne peut
négliger dans la mesure ou les décisions de justice susceptibles
de recours peuvent tout à fait violer le droit communautaire, d'autant
que ne pèse sur ces juridictions aucune obligation de renvoi
préjudiciel, mais l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur
cette base est exclue, or il eût été plus audacieux
d'admettre une plus large solution en précisant notamment que la
condition d'épuisement préalable au lieu d'être entendue
formellement c'est à dire une fois que la juridiction de dernier ressort
a statué, elle doit être entendue matériellement c'est
à dire dès lors que plus aucun recours n'est possible ou n'a
d'intérêt.
Aussi une autre interrogation peut être
soulevée, celle concernant la responsabilité extra contractuelle
de la Communauté. En effet si l'on analyse l'état actuel du droit
positif en la matière on peut relever une asymétrie entre le
régime de la responsabilité des Etats membres établi par
la jurisprudence et celui de la responsabilité extra contractuelle de la
Communauté. A cet égard le gouvernement de la République
d'Autriche invitait la Cour à se prononcer en ce sens aux termes de ses
observations émises sur cette exigence de symétrie entre ces 2
régimes de responsabilité 20(*). Or la Cour a une nouvelle fois fait preuve d'une
attitude avisée en admettant la responsabilité des Etats membres
du fait des décisions de leurs juridictions de dernier ressort sans
l'admettre corrélativement pour la Communauté pour les
mêmes faits de ses autorités juridictionnelles et sans
répondre sur le bien-fondé de cette exigence de symétrie,
certes on peut comprendre les difficultés de mise en oeuvre que cela
comporterait avec notamment l'absence d'une juridiction chargée de
statuer sur une éventuelle violation du droit communautaire par la CJCE
mais cet absence de for compétent n'a pas pour effet d'exclure
l'application du principe à l'égard des Etats membres. Ainsi la
solution conduit indirectement à valider cette asymétrie,
l'arrêt Köbler refuse de saisir l'opportunité de
tirer l'ensemble des conclusions qui s'imposent à savoir ici
l'alignement du régime de la responsabilité extra contractuelle
de la Communauté sur celui des Etats membres.
Par conséquent les 2 questions qui entourent la
solution sont révélatrices du souci de la Cour de ne pas
prévoir un cadre d'application qui serait élargi à
l'intégralité des hypothèses dans lesquelles une violation
du droit communautaire est pourtant tout à fait possible.
Enfin ce mécanisme de responsabilité ne peut
s'avérer une véritable garantie de primauté effective du
droit communautaire seulement s'il existe une souplesse quant à
l'application effective de cette responsabilité. Or l'arrêt
Köbler entreprend une mise en oeuvre rigide de ce
mécanisme qui tend à compromettre, du moins à affaiblir
son effectivité. Et c'est sans doute S. Drake 21(*) qui en fait la
démonstration la plus pertinente, selon elle la Cour est constamment
guidée par deux impulsions divergentes, d'une part celle qui tend
à innover dans la protection effective des droits que les citoyens
tirent de l'ordre juridique communautaire et d'autre part celle qui tend
à limiter cette même protection dans l'intérêt des
Etats membres.
Et ayant étudié la manière dont la Cour a
apprécié les conditions d'engagement de cette
responsabilité, notamment la condition relative à la violation
suffisamment caractérisée, on peut observer que la
réalité concrète n'est pas tellement conforme à la
portée étendue du principe, en d'autres termes l'arrêt
Köbler n'est pas aussi novateur qu'il apparaît dans la
mesure ou il rend une telle responsabilité encadrée dans des
conditions excessivement restrictives dans leur application effective. Ainsi en
reconnaissant l'extension dudit principe de responsabilité cet
arrêt permet en théorie d'envisager la garantie de primauté
du droit communautaire par ce système « coercitif »
mais il ne contribue pas à assurer son effectivité, son
efficacité pratique.
B. La garantie d'application uniforme en suspens.
Section 1 : La volonté implicite d'une garantie
d'uniformité.
L'arrêt Köbler s'inscrit
également dans une tendance de la jurisprudence à consolider
l'uniformité de l'application du droit communautaire, corollaire de
celle visant à consolider la primauté pleine et effective du
droit communautaire, dans cette perspective cet arrêt semble se diriger
vers une harmonisation des relations entre les 2 ordres que constituent l'ordre
juridique communautaire et l'ordre juridique interne 22(*).
A cet égard on peut retenir qu'il existe un
mécanisme important expressément prévu dans le texte du
TCE qui permet précisément de réaliser une application
uniforme du droit communautaire afin d'éviter la « guerre des
juges » opposant les applications divergentes du juge national et du
juge communautaire mais surtout entre les juges nationaux d'un Etat à
l'autre. Il s'agit du renvoi préjudiciel au titre de l'article 234 TCE,
compétence facultative à la discrétion du juge national
à l'exception de la juridiction nationale de dernier ressort dont la
compétence est liée chaque fois qu'une question délicate
de droit communautaire lui est posée.
Malgré l'existence de ce recours on a pu assister
à de véritables résistances judiciaires nationales
s'illustrant ici au travers de la théorie de l'« acte
clair » 23(*),
moyen habile de contourner l'obligation de renvoi en estimant, de bonne foi ou
non, que l'acte est suffisamment clair et un tel renvoi serait ainsi
dépourvu d'effet utile, les données de l'espèce à
l'origine de l'arrêt Köbler en fournissent un exemple
significatif avec le retrait unilatéral de la demande
préjudicielle de la juridiction autrichienne de dernier ressort.
Il est clair que de telles résistances, qu'elles soient
de bonne ou mauvaise foi, ne vont pas dans le sens d'une uniformité de
l'application du droit communautaire 24(*). Or l'arrêt Köbler semble
annoncer un abandon forcé de cette théorie et plus
généralement semble imposer en quelque sorte une coordination
approfondie des juges nationaux avec le tenant de l'unicité de
l'application du droit communautaire, le juge communautaire. Bien que cette
idée ne soit pas littéralement ou explicitement exposée
dans les énonciations expresses, on ne peut totalement nier que celle-ci
ressort des principes dégagés, il convient d'induire ces
implications à partir des données inscrites aux termes de la
solution de principe.
En effet l'inexécution de l'obligation de renvoi
préjudiciel tel qu'énoncé par l'article 234 TCE est
susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat et plus encore toute
décision de justice nationale rendue en dernier ressort qui intervient
en méconnaissance manifeste de la jurisprudence clairement
établie par la Cour doit être considérée en toute
hypothèse comme une violation suffisamment
caractérisée.
Dans une certaine mesure cela devrait signifier que les
juridictions de dernier ressort sont en principe présumées
connaître le droit communautaire dès lors que celui-ci est
clairement établi par la jurisprudence de la Cour puisqu'une
décision contraire doit en toute hypothèse être
considérée comme une violation suffisamment
caractérisée. Ainsi non seulement la solution semble de plus en
plus exigeante à l'encontre des juridictions internes dans leur
connaissance du droit communautaire mais en plus elle entend, semble-t-il,
ériger le renvoi préjudiciel en un véritable instrument
dont l'intérêt et la force contraignante se trouvent largement
renforcés dans l'application du droit communautaire dans la mesure ou
son inexécution est susceptible d'engager la responsabilité de
l'Etat et dans la mesure ou il permettrait à la juridiction en cause de
savoir s'il existe ou non une jurisprudence sur la question afin de ne pas
prendre le risque inutile de statuer en méconnaissance de celle-ci.
L'incidence de cette solution est donc qu'elle tend a priori
à imposer de facto aux juges suprêmes nationaux un travail
respectueux et soucieux de l'uniformité dans l'application du droit
communautaire. C'est ainsi que l'on pourrait a priori considérer que cet
arrêt est emprunt d'une certaine révolution puisqu'il aurait pour
conséquence de modifier la logique des rapports entre les 2 ordres,
laquelle n'est plus soumise aux résistances des juges nationaux à
l'égard du juge communautaire portant atteinte à
l'uniformité. Désormais la logique semble se tourner vers une
étroite coordination par laquelle les juges nationaux seraient tenus de
connaître le droit communautaire, et en cas de doute ou de
méconnaissance se verraient contraints d'utiliser le renvoi
préjudiciel.
Cependant une analyse plus approfondie du raisonnement de la
Cour conduit à considérer que l'arrêt Köbler
n'effectue pas un tel bouleversement et ne permet pas d'opérer ce
tournant vers la garantie d'uniformité de l'application du droit
communautaire.
Section 2 : L'échec de sa mise en oeuvre.
Si l'on pouvait espérer que la solution de principe
dégagée par l'arrêt Köbler ait l'incidence
ainsi étudiée dans le cadre de la construction d'un droit
communautaire dont l'application se veut uniforme, on ne peut qu'être
déçu par la mise en oeuvre de celle-ci par la Cour. La
révolution entrevue dans ce domaine est, pour ainsi dire, tout au plus
« incantatoire » dans la mesure ou les orientations qu'elle
dégage dans sa solution ne sont aucunement suivies d'une mise en oeuvre
en conformité avec celles-ci.
On ne peut s'abstenir d'étudier l'application qui est
faîte de la solution de principe car son caractère
révolutionnaire est substantiellement lié à sa mise en
oeuvre concrète, or à cet égard on observe que
l'arrêt Köbler n'opère pas la mise en oeuvre qui
aurait conféré une valeur effective au bouleversement
perceptible. En somme le statu quo est de mise contrairement à la
révolution préfigurée des rapports entre les 2 ordres
juridiques dans le sens d'une garantie d'uniformité dans l'application
du droit communautaire.
En effet si l'on s'en tient à la seule solution de
principe dégagée par la Cour, elle laisse supposer que 2
hypothèses sont envisageables, soit la jurisprudence fournit clairement
et explicitement les réponses à une question donnée et
alors le renvoi préjudiciel n'est pas nécessaire mais facultatif
car les juridictions suprêmes nationales sont présumées
connaître le droit communautaire en cette hypothèse et ainsi ce
n'est pas l'inexécution du renvoi préjudiciel mais le
défaut de conformité entre la décision judiciaire
nationale et la jurisprudence communautaire qui est constitutif d'une violation
suffisamment caractérisée, soit la jurisprudence ne fournit
aucune réponse claire et alors le renvoi préjudiciel constitue en
cette hypothèse une obligation à la charge du juge suprême
national dont l'inexécution est par elle-même constitutive d'une
violation suffisamment caractérisée.
En l'espèce l'arrêt Köbler aurait
dû retenir la seconde hypothèse dans la mesure ou la Cour
relève que la réponse n'était pas évidente, que la
jurisprudence ne fournissait en aucun cas de réponse à ce sujet
et que la juridiction en cause a manqué à son obligation de
renvoi préjudiciel, elle ne tire pas pour autant les conclusions
appropriées à ce constat c'est à dire la réunion de
la condition d'une violation suffisamment caractérisée, et ce au
motif que ladite juridiction a retiré sa demande préjudicielle en
supposant à tort que la réponse était établie par
une solution récente de la Cour. Ainsi un tel raisonnement revient dans
une certaine mesure à admettre la théorie de l'acte clair puisque
le manquement à l'obligation de renvoi se trouve ainsi justifié
et donc conduit in fine à maintenir la viabilité des
résistances judiciaires nationales propres à mettre en
péril l'application uniforme du droit communautaire.
Ce que l'on peut retenir en fin de compte de ces
observations concerne l'application par la Cour de ses propres orientations de
principe qu'elle entendait développer afin de pouvoir construire les
bases d'un ordre juridique communautaire dont l'application uniforme serait
effectivement assurée. A cet égard on doit admettre que celle-ci
effectue un raisonnement qui ne permet pas de mettre en conformité
l'application concrète de la solution avec les principes ainsi
évoqués, il s'agit de l'acceptation
« déguisée » de la théorie de l'acte
clair qui interfère dans le raisonnement alors que les orientations
pressenties laissaient penser une remise en cause de cette théorie.
C'est pourquoi on ne peut valablement considérer que
l'arrêt Köbler introduit une révolution à cet
égard car bien que s'inscrivant dans le mouvement systématique
qui a pour objet d'harmoniser les rapports entre les 2 ordres juridiques en vue
de permettre l'application unifiée du droit communautaire et à ce
titre développant des principes propres à satisfaire cette
finalité, on doit constater qu'il conduit à un statu quo au sens
ou si l'on analyse l'articulation de ces principes qu'il met en oeuvre tout au
long de son raisonnement il ne remet aucunement en cause les résistances
judiciaires nationales, lesquelles constituent un obstacle indéniable
à l'avènement de la garantie d'uniformité, notamment
l'inexécution de l'obligation de renvoi préjudiciel que
l'arrêt Köbler prend pour établi au regard des
circonstances de l'espèce et même à ce titre constitutif
d'un manquement. Cela révèle la prudence dont fait preuve la Cour
qui, en dépit d'avoir manifesté une volonté de rupture en
énonçant un ensemble de considérations selon lequel il ne
serait plus possible de facto de contourner le renvoi au juge communautaire,
seul gardien de l'application uniforme du droit communautaire, ne contribue pas
à modifier la donne tant l'application n'y est pas conforme et
très en deçà d'une consolidation de la garantie
d'uniformité.
CONCLUSION
Cette étude met en lumière 2 idées
importantes s'agissant de la portée de l'arrêt
Köbler, tout d'abord on peut retenir que les innovations que peut
comporter la solution dans le strict cadre du principe général de
responsabilité des Etats membres pour violation du droit communautaire
ne traduisent pas de bouleversements radicaux mais des compléments
conformes aux développements prétoriens en la matière;
ensuite on peut observer que cet arrêt ne crée aucune rupture
véritable dans le mouvement systémique guidé par la
consolidation de la primauté et de l'uniformité dans
l'application du droit communautaire au sens ou l'ensemble de ses innovations
de principe sont compromises par leur mise en oeuvre restrictive.
Il s'ensuit une caractéristique fondamentale que l'on
peut rattacher à l'arrêt Köbler, il s'agit de la
méthode dite des « petits pas » qui préside
à la solution par laquelle chaque innovation est mesurée et
contrebalancée d'une effectivité rigoureusement encadrée.
Ainsi on peut considérer que cet arrêt opère une
évolution mais certainement pas une révolution.
L'absence de rupture de l'arrêt Köbler
avec la dynamique traditionnelle est sans doute un élément que
les Etats membres percevront comme un signe ambivalent, lequel leur exprime le
respect, du moins la prise en compte par la Cour de leur intérêt
à ce que leur responsabilité soit engagée le moins
possible, mais aussi une incitation à oeuvrer de telle sorte que l'on
puisse aboutir à un respect plus large de l'ordre communautaire. A
supposer que l'on soit bien en présence d'un tel
« compromis », privilégier cette méthode
compromissoire à une solution révolutionnaire constitue-t-il la
meilleure alternative afin d'accomplir l'intégration ?
BIBLIOGRAPHIE
Documents officiels
Arrêt Gerhard Köbler / Republik Österreich CJCE
30 septembre 2003, Affaire C-224/01, Recueil de jurisprudence 2003, p.
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Traité instituant les Communautés
européennes, Journal Officiel des Communautés européennes
n° C 325 du 24 décembre 2002
Ouvrages
Eric CAPRANO, Etat de droit et droits européens.
L'évolution du modèle de l'Etat de droit dans le cadre de
l'européanisation des systèmes juridiques, L'Harmattan,
collection Logiques Juridiques, 2005, 662 p.
Manuels
Jean COMBACAU, Serge SUR, Droit international public,
Montchrestien, 6ème édition, 2004, 809 p.
Articles
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judicial error : A false dawn for the effective protection of the individual's
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membres du fait des violations du droit communautaire commises par les
juridictions nationales : Un autre regard », Gazette du
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Denys SIMON, « Droit communautaire et
responsabilité de la puissance publique : Glissements progressifs ou
révolution tranquille ? », Actualité juridique du
droit administratif, 1993, Chroniques, p. 235
B. KOTSCHY, « Responsabilité de
l'Etat », Revue du droit de l'Union européenne, 2003,
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Rostane MEHDI, Chronique de jurisprudence du Tribunal et de la
CJCE, Journal du droit international, 2004, pp.552-559
TABLE DES MATIERES
Introduction
.............................................................................................................................page
1
Partie I : Des innovations
« raisonnables »...............................................................................page
4
A. Le complément attendu d'un principe
général.....................................................................page
4
Section 1 : La confirmation d'un principe jurisprudentiel
établi.......................page 4
Section 2 : Une extension apparemment audacieuse du principe
établi...............page 5
Section 3 : Une innovation équilibrée et
cohérente...........................................page 7
B. L'explicitation de conditions
traditionnelles........................................................................page
9
Section 1 : Une transposition des conditions
....................................................page 9
Section 2 : L'interprétation des conditions plus
approfondie.............................page 10
Section 3 : La prudence caractérisée de cet
aménagement...............................page 12
Partie II : Des innovations
« inachevées »..............................................................................page
14
A. Une avancée restreinte vers la primauté
effective.............................................................page
14
Section 1 : Le développement de l'effectivité de
la primauté............................page 14
Section 2 : Une avancée limitée vers la pleine
effectivité de la primauté.........page 16
B. La garantie d'application uniforme en
suspens..................................................................page
19
Section 1 : La volonté implicite d'une garantie
d'uniformité...........................page 19
Section 2 : L'échec de sa mise en
oeuvre.........................................................page 21
Conclusion..............................................................................................................................page
24
Bibliographie..........................................................................................................................page
25
Table des
matières..................................................................................................................page
27
* (1) 1 On fait référence
ici aux arrêts Francovich CJCE 19 novembre 1991, C-9/90, et Brasserie du
Pêcheur CJCE 5 mars 1996, C-46/93, lesquels énoncent
respectivement que « les Etats membres sont obligés de
réparer les dommages causés aux particuliers par les violations
du droit communautaire qui leur sont imputables » et que ce principe
« est valable pour toute hypothèse de violation du droit
communautaire par un Etat membre, et quel que soit l'organe de l'Etat membre
dont l'action ou l'omission est à l'origine du
manquement ».
* (2) 2 Cette obligation de
« loyauté communautaire » découle de
l'article 10 du Traité des Communautés européennes. La
Communauté ne disposant pas de la compétence qui lui permettrait
de mettre directement en oeuvre le droit communautaire dans l'ordre interne des
Etats membres, la seule garantie repose ainsi sur la coopération loyale
de ceux-ci, il ne s'agit que d'une obligation de moyens. On ne peut vraiment
faire de parallèle avec la loyauté fédérale qui est
incontestablement ancré dans la culture juridique des Etats
fédérés contrairement aux Etats membres de la
Communauté encore très marqué par l'égalité
souveraine.
* (3) 3 Il faut souligner que la
primauté du droit communautaire est affirmée par une
jurisprudence constante de la Cour, et ce depuis les arrêts de principe
Costa c. Enel CJCE 15 juillet 1964, affaire 6/64, et Simmenthal CJCE 28 juin
1978, affaire 70/77. La primauté est avant tout un principe
d'ordonnancement juridique selon lequel le droit communautaire est un ordre
juridique original et distinct de l'ordre juridique international,
intégré à l'ordre juridique interne des Etats membres dont
il prime le droit interne.
* (4) 4 L'arrêt Francovich,
ibidem, est celui qui a découvert ce principe
général de responsabilité des Etats membres pour violation
du droit communautaire.
* (5) 5 Les points 30 et 46 montrent que
la Cour entend prendre explicitement appui sur la solution retenue par
l'arrêt Francovich.
* (6) 6 Arrêt Francovich,
ibid., point 35. Il s'agit de l'idée selon laquelle ce principe
de responsabilité est une composante nécessaire liée aux
buts et à l'objet des traités institutifs de la
Communauté.
* (7) 7 La Cour ne manque pas de
réaffirmer ce principe de façon expresse au point 30.
* (8) 8 Isabelle Pingel, « La
responsabilité de l'Etat pour violation du droit communautaire par une
juridiction suprême », Gazette du Palais, 2004, II,
Doctrine, pp. 723-728. L'auteur montre que cette dimension de l'unicité
de l'Etat que connaît le droit communautaire, utilisée ici par la
Cour, n'est sans doute pas tout à fait singulière et l'influence
du droit international est fort probable. Ce n'est pas sans fondement car le
droit communautaire ne peut complètement ignorer les modèles
développés par le droit international essentiellement à la
base des relations internationales par son origine ancienne et sa vocation plus
large. En quelque sorte cette unité de l'Etat est une influence que le
droit communautaire a assimilé et s'est approprié pour son propre
système juridique.
* (9) 9 Une telle extension au fait des
décisions de justice n'était pas sans susciter des a priori
négatifs de certains Etats, et ce pour 2 raisons qui constituent des
intérêts juridiques « vitaux » que ceux-ci
prétendent défendre face à la menace d'une telle
extension. Ce sont l'autorité de chose jugée, a fortiori celle
définitivement jugée en vertu du principe de
sécurité juridique, et l'indépendance du pouvoir
judiciaire. L'autorité de chose jugée consiste à ne pas
permettre de révision de la décision sur le même objet, sur
la même cause, et entre les mêmes parties, quant à
l'indépendance du pouvoir judiciaire, il s'agit ici de ne pas mettre en
jeu la responsabilité du juge dès lors qu'il a pu « mal
faire » dans l'exercice de ses fonctions créant ainsi un
préjudice à l'une des parties. C'est bien sur cette base que se
placent ceux-ci, notamment les gouvernements autrichiens et britanniques.
* (10) 10 Ce sont principalement les
gouvernements d'Autriche et du Royaume-Uni qui invoquent de tels arguments dans
leurs observations aux points 20, 21, 25, et 26. Une telle extension dudit
principe de responsabilité leur apparaissait comme opposée et
incompatible avec les principes juridiques qu'ils invoquaient.
* (11) 11 R. Kovar « Voies
ouvertes aux individus devant les instances nationales en cas de violation des
normes et décisions du droit communautaire », in Institut
d'études européennes, ULB, Les recours des individus devant
les instances nationales en cas de violation du droit européen,
Bruxelles, Larcier, 1978, p. 253.
* (12) 12 Arrêt Haim CJCE 4
juillet 2000, C-424/97.
* (13) 13 C'est au point 53 que la Cour
indique dans quelles mesure la deuxième condition doit être
appréciée pour le cas des décisions de justice, en ayant
recours au critère de la violation manifeste du droit communautaire.
* (14) 14 I. Pingel, op. cit.,
p. 727. L'auteur souligne les critiques que l'on peut adresser à la Cour
quant à l'application des conditions d'engagement de cette
responsabilité et par la même occasion met en évidence les
lacunes des nouvelles précisions qu'elle apporte à propos de la
deuxième condition. Si les critères n'ont pas été
de nature à conduire à un tel raisonnement, ils n'ont pour autant
pas permis d'en développer un autre qui soit plus conforme à ce
que l'on pouvait légitimement attendre. En cela on peut se demander si
l'utilisation du terme « cas exceptionnel » au point 53
n'est pas une manière de se prémunir contre toute critique
éventuelle, afin de légitimer l'application ainsi faîte.
* (15) 15 Arrêt Costa c. Enel,
ibidem. Cet arrêt est fondamental dans la construction
communautaire dans la mesure ou il définit la nature et la portée
du système de la Communauté. C'est de la
spécificité même de la nature de l'ordre juridique
communautaire que découle sa primauté, ce principe
inhérent à l'essence de la Communauté signifie en
substance que le droit communautaire est la norme fondamentale au sens ou elle
prévaut le droit interne.
* (16) 16 Arrêt Simmenthal,
ibidem. La cour précise ici les corollaires du principe de
primauté. Il s'agit notamment de l'exigence suivant laquelle le juge
national, en toute hypothèse, doit faire prévaloir la norme
communautaire et aucun acte d'origine interne ne saurait y constituer un
obstacle. On comprend dès lors que la logique de la primauté est
utilisée à son paroxysme par le juge communautaire qui entend la
poursuivre et en permettre la réalisation intégrale.
* (17) 17 Le fait du législateur
était le premier cas explicitement prévu à l'origine dudit
principe de responsabilité, en ce sens cf. Francovich, ibidem.
* (18) 18 Le fait de l'exécutif
à cet effet est apparu ensuite, notamment avec l'arrêt Brasserie
du Pêcheur, ibidem.
* (19) 19 Jean-Guy Huglo,
« La responsabilité des Etats membres du fait des violations
du droit communautaire commises par les juridictions nationales : un autre
regard », Gazette du Palais, 2004, I, Jurisprudence, pp.
34-40. Son hypothèse s'appuie sur des données infalsifiables
puisqu'il ne fait que postuler cet alignement, mais rien n'indique que l'on ne
peut suivre un tel raisonnement.
* (20) 20 On observe au point 21 que le
gouvernement autrichien exprime l'exigence d'une symétrie entre les
régimes de responsabilité des Etats membres et de la
Communauté car à une situation similaire doit correspondre un
traitement similaire. Ainsi soit la Cour décide de maintenir le
système de responsabilité prévue pour la Communauté
et ne pourrait être admis la responsabilité des Etats membres du
fait du juge sans porter atteinte à cette symétrie, soit celle-ci
est admise et alors la Cour doit en faire de même pour celle de la
Communauté avec sa responsabilité pouvant être
engagée du fait du juge communautaire.
* (21) 21 Sara Drake, « State
liability under community law for judicial error : a false dawn for the
effective protection of the individual's community rights »,
Irish journal of European law, 2004, pp. 34-51. L'auteur explique que
la solution de principe peut être innovante prima facie mais il n'en est
rien si l'on examine son effectivité, et c'est ici toute la nuance que
l'on ne peut négliger.
* (22) 22 Lorsque l'on parle de 2
ordres juridiques distincts on peut rappeler que cela n'empêche pas le
juge communautaire, et dans une moindre mesure le juge national, de
considérer que le droit communautaire repose sur une conception moniste,
plus exactement intégrative. Ainsi cela passe par une harmonisation des
rapports entre les juges pour l'application du droit communautaire. Il existe
en d'autres termes une interdépendance entre l'intégration et les
rapports harmonisés entre juges.
* (23) 23 La théorie de
l'« acte clair » est apparue en France dans la
jurisprudence administrative initiée par le Conseil d'Etat avec
l'arrêt Société des Pétroles Shell Berre du 19 juin
1964. Cette jurisprudence qui a fait l'objet d'une importante controverse a
néanmoins connu un certain succès parmi les juges nationaux les
plus réticents à se conformer à l'exigence de renvoi
préjudiciel.
* (24) 24 On peut retenir ici que les
résistances du juge national sont contraires à l'exigence
d'uniformité puisque le juge communautaire, s'il peut « mal
faire », n'en est pas moins le garant exclusif. Se dispenser d'un tel
mécanisme revient à accepter que l'application du droit
communautaire est relative car dépendante de ce qu'en décide le
juge national.
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