B L' « Etat des
autonomies » ; une construction jurisprudentielle du Tribunal
Constitutionnel. Le monopole du juge constitutionnel espagnol, comme
interprète suprême de la Constitution de 1978
Comme nous allons le voir dans un premier temps, la CE de 1978
n'a pas tranché pour un modèle d'Etat défini mais ouvre la
possibilité d'une autonomie pour les différentes régions
que compte l'Espagne (1) ; il est donc revenu au T.C. d'apprécier
et d'encadrer ce droit à l'autonomie et donc par là même de
configurer, par sa jurisprudence, le « patron » de l'Etat
autonomique (2).
1_ La justification historique du modèle ; le
« droit à l'autonomie » et le principe
« dispositif »
La forme sui generis de l'Etat autonomique espagnol n'est
pas une modalité d'organisation étatique choisie au hasard.
En effet, l'idée régionale n'a jamais
été réellement absente de l'histoire de l'Espagne. Si le
thème suscite aujourd'hui un immense intérêt dans l'Espagne
post franquiste, c'est sans doute d'abord parce qu'il est ancré dans la
mentalité collective du peuple espagnol.
Si l'Espagne franquiste a, conformément à la
logique centralisatrice du régime, réprimé durement toute
velléité d'autonomie régionale, le régionalisme a
tout de même connu dans un passé récent quelques temps
forts ; en effet, la Constitution éphémère de la
première République en 1873 établissait une organisation
étatique de type fédérale et celle de 1931, instaurant la
Seconde République, tentait d'organiser un Etat dit
« intégral », en somme, très
régionalisé.
Autrement dit, en Espagne, le régionalisme politique a
de façon quasi constante, été associé à la
conquête des libertés démocratiques.
Il n'apparait donc pas hasardeux que l'avènement du
régionalisme en Espagne coïncide avec son retour dans la famille
des démocraties libérales.
Le choix d'une organisation autonomique intrinsèque
à l'Etat espagnol trouve donc son explication première dans le
problème régional et la
nécessité d'intégrer distinctes
réalités géographiques, économiques et
culturelles.
Il s'agissait en effet, pour les constituants de 1978 de
réagir et de prendre le contre pied du postulat franquiste basé
sur la dialectique « répression et centralisme », en
instaurant, à l'inverse un modèle étatique reposant sur
les principes de démocratie, de liberté et d'autonomie.
Toute l'ambigüité et le géni
constitutionnels de la norme fondamentale espagnole repose donc en sa
capacité à intégrer des vecteurs aussi distincts voire
quasi antinomiques que la diversité et l'unité,
l'hétérogénéité et l'intégration, en
assurant ainsi la viabilité d'un Etat non pas unitaire et centraliste
(puisque c'est bien de ce modèle qu'il s'agissait de sortir) mais
plutôt très largement décentralisé et maintenant
corrélativement une solidarité interterritoriale entre les
régions effective.
Aucune disposition dans la CE n'institue
l' « Etat autonomique ». La norme fondamentale ne pose
en effet pas de modèle d'organisation étatique
constitutionnellement défini.
La Constitution opte ainsi pour une formule d'un autre genre
et c'est là que se révèle toute l'ambigüité de
l'article 2 de la CE en intégrant deux éléments
fondamentaux : premièrement, il établit un « Etat
unique », doté d'une Constitution et d'un ordonnancement
juridique uniques ; ensuite, il reconnait et garantit également le
« droit à l'autonomie des nationalités et
régions qui intègrent l'Espagne ».
Ce sera donc l'article 2 ainsi que le titre VIII
« De l'organisation territoriale de l'Etat » de la CE qui
poseront réellement les « fondations »
constitutionnelles pour la construction de l'Etat autonomique.
Bien entendu, la conciliation des principes de base
unitaire de l'Etat espagnol » et de « droit à
l'autonomie des régions » énoncé par l'article 2
de la Constitution nécessite de nombreux aménagements
institutionnels qui seront posés par le titre VIII de la Constitution
(consacré à l'aménagement des C.A., à leur
processus de formation, aux compétences qu'elles pourront ou non
recueillir etc.).
Quant à lui, le T.C. est amené, en tant que juge
des conflits de compétence entre C.A. et Etat et de par la souplesse des
principes énoncés à l'article 2 CE, à jouer un
rôle clé dans leur articulation du système et donc dans la
construction autonomique de l'Etat ; voilà pourquoi beaucoup
parleront de l'« Etat jurisprudentiel autonomique » pour
qualifier la configuration organisationnelle de l'Etat espagnol dont la
construction doit beaucoup à la jurisprudence du T.C..
L'article 2 et le titre VIII de la CE incarnent donc
fondamentalement l'option constitutionnelle faite en faveur d'une profonde
réorganisation territoriale de l'Etat, partant de la reconnaissance d'un
large ensemble de possibilités, pour accéder à distincts
niveaux d'autogouvernement pour les territoires qui en expriment la
volonté.
En consacrant une organisation tripartite du territoire
espagnol en municipalités, en provinces et en C.A. (Art.137 CE)
ainsi qu'en régulant le processus d'accès à l'autonomie,
le titre VIII, chapitre III CE fixe le cadre juridique à
l'intérieur duquel « peut » se déployer
l'exercice du droit à l'autonomie reconnu à l'article 2 de la
CE.
Celui-ci fut très largement critiqué pour son
caractère jugé inachevé et ambigu, car ouvert à des
développements incertains et potentiellement conflictuels, ce qui a
amené la doctrine à parler d'une
« déconstitutionnalisation de la structure de
l'Etat ».
Néanmoins, cet article 2 et le titre VIII
consacré à l'organisation territoriale de l'Etat, ont
prouvé par le temps qu'ils furent capables de fonctionner de
façon satisfaisante ; autrement dit, ils ont servi de plateforme
juridique à la transformation de l'Etat espagnol, en passant d'un des
Etats les plus centralistes au monde, en un des Etats les plus
décentralisés, calqué sur un modèle
fonctionnellement « semi-fédéral ».
La clé du succès autonomique espagnol
réside ainsi en cette combinaison ingénieuse de l'article 2 de la
CE et du titre VIII qui le concrétise et complète en posant les
bases du « principe dispositif ». Ce que la doctrine
appelle communément le « principe dispositif » n'est
rien d'autre qu'une option constitutionnelle, consistant à faire de
l'autonomie une faculté, une disponibilité du système.
Il apparaît ainsi encore un peu plus clair qu'avec le
principe dispositif consacré à l'article 2 et
concrétisé par le titre VIII CE que la CE ne crée pas un
Etat de structure autonomique sinon qu'elle permet sa création.
Le principe dispositif, basé sur le principe de
volonté des C.A. d'assumer ou non les compétences qui leur sont
ouvertes par la Constitution confère donc au modèle espagnol une
extraordinaire flexibilité, ce qui constitue un avantage dans le souci
d'adapter le système à une réalité mouvante.
Néanmoins, le principe dispositif, de par la largesse
et étendue de son concept, laisse le modèle territorial de l'Etat
espagnol ouvert à des bouleversements vacillant selon les caprices des
majorités politiques fluctuantes.
Il en découle une organisation politique basée
sur la différence et confirmant le postulat du juriste Francisco Tomas y
Valiente, « L'unité ne correspond pas au monolithisme ni
à l'uniformité, sinon à l'intégration des parties
dans le tout ».
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