1
REPUBLIQUE DE GUINEE
Travail - Justice -
Solidarité
MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT, SUPERIEURDE
LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET DE L'INNOVATION
DIRECTION NATIONALE DE L'ENSEIGNEMENT
SUPERIEUR
UNIVERSITE GENERAL LANSANA CONTE DE SONFONIA -
CONAKRY
UGLC-SC
************************************
FACULTE DES SCIENCES SOCIALES MASTER DE PHILOSOPHIE
ET PSYCHOPEDAGOGIE ANNEE UNIVERSITAIRE 2020- 2021
MEMOIRE MASTER
THEME
« L'alternance démocratique en Afrique
subsaharienne : cas de la République de Guinée de 1990
à 2020 »
Le jury :
1- Président : Pr Cheick Abdoul
CAMARA
2- Membre : Pr Ibrahima
Ninguélandé DIALLO
3- Rapporteur : Dr Mamadou Oury BARRY
Candidat : Moilimou Abdallah
Salim
Directeur de Mémoire : Pr
Ibrahima Ninguélandé Diallo
Présenté et Soutenu avec la Mention :
EXCELLENT ; à Conakry, le 30 septembre 2022
2
REPUBLIQUE DE GUINEE
Travail - Justice -
Solidarité
MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT, SUPERIEURDE
LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET DE L'INNOVATION
DIRECTION NATIONALE DE L'ENSEIGNEMENT
SUPERIEUR
UNIVERSITE GENERAL LANSANA CONTE DE SONFONIA -
CONAKRY
UGLC-SC
************************************
FACULTE DES SCIENCES SOCIALES MASTER DE PHILOSOPHIE
ET PSYCHOPEDAGOGIE ANNEE UNIVERSITAIRE 2020- 2021
MEMOIRE MASTER
THEME
« L'alternance démocratique en Afrique
subsaharienne : cas de la République de Guinée de 1990
à 2020 »
Le Candidat : Le Directeur de Master :
Moilimou Abdallah Salim Pr. Cheick Abdoul CAMARA
Le Consultant : Le Doyen :
Pr. Ibrahima Ninguélandé DIALLO Pr. Mohamed
Moustapha DIOP
3
Table des matières
Page de garde
|
1-2
|
Table des matières
|
.3
|
SYGLES ET ABREVIATIONS
|
5
|
DEDICACE
|
.7
|
AVANT-PROPOS
|
8
|
INDIRECTION GENERALE
|
11
|
CHPITRE I : CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
|
..14
|
Section 1 : Problématique
|
11
|
Section 2 : Objectif de recherche
|
.15
|
Section 3 : Hypothèse de recherche
|
.16
|
Section 4 : Revue de la littérature
|
16
|
Section 5 : Cadre conceptuel et théorique
|
18
|
Section 6 : Méthodologie de la recherche
|
25
|
Section 7 : La recherche documentaire
|
26
|
Section 8 : Les enquêtes de terrain et traitement des
données
|
.26
|
CHAPITRE II : EVALUATION DE L'IDEE DE DEMOCRATIE EN
GUINEE 28
Section 1 : Démocratie en Afrique subsaharienne :
réalité, discours ou simple théorie ? 28
Section 2 : Historique du processus démocratique en
Afrique 31
Section 3 : De la période coloniale à
l'indépendance en République de Guinée .33
Section 4 : De l'indépendance à la chute du mur
de Berlin .35
Section 5 : Les particularités du système
politique en République de Guinée 36
CHAPITRE III : LE MULTIPARTISME ET L'ALTERNANCE AU
POUVOIR EN
GUINEE
|
..41
|
Section 1 : La naissance des partis politique en Guinée
|
..41
|
Section 2 : Rupture et réintroduction du multipartisme en
Guinée
|
..44
|
Section 3 : Les partis politiques dans le processus
démocratique en Guinée
|
..47
|
4
Section 4 : Les facteurs du manque d'alternance politique en
Guinée 50
Section 5 : L'instrumentalisation de la société
civile 55
Section : 6 Le poids des acteurs internationaux et
l'alternance politique 61
Section 7 : Les techniques de campagne des partis politique en
Guinée .64
Section 8 : La formation de coalitions comme technique
électorale 71
Section 9 : L'alternance démocratique en
République de Guinée 74
CONCLUSION GENERALE 78
BIBLIOGRAPHIE .81
ANNEXE .84
5
SYGLES ET ABREVIATIONS
AOF : Afrique occidentale française
BOAD : Banque ouest-Afrique de
développement
BAG : Bloc Africain de Guinée
BPN : Bureau politique national
(Guinée)
BL : Bloc libéral (Guinée)
CUM : Comité d'union militaire
CEECG : Communauté des
élèves étudiants Comoriens en Guinée
CEDEAO : Communauté économique
des Etats d'Afrique de l'ouest
CMRN : Comité militaire de
redressement national (Junte Militaire Guinée)
CNDD : Conseil national pour le
développement et la démocratique (Junte Militaire
Guinée)
CTRN : Comité transitoire de
redressement national (avatar du CMRN, Guinée)
FPI : Front populaire ivoirien
IDH : Indices de développement humain
du PNUD
JRDA : Jeunesse de la révolution
démocratique Africain
MCP : Malawi congress party (Parti du
congrès Malawite)
NPP : New patriotic party (Nouveau parti
patriotique, Ghana)
PEDN : Parti de l'espoir pour le
développement national (Guinée)
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
PUP : Parti de l'unité et du
progrès (Guinée)
PDG : Parti démocratique de
Guinée
PRP : Parti de renouveau et du progrès
(Guinée)
PRA : Parti du regroupement Africain (en
AOF)
6
PDCI : Parti démocratique de
Côte d'Ivoire
PIB : produit intérieur brut
PRD : Parti du renouveau démocratique
du (Bénin)
PRB : Parti de la renaissance du Benin
RDA : Rassemblement démocratique
Africain
RPG : Rassemblement du Peuple de
Guinée
RDR : Rassemblement des républicaines
(Côte d'Ivoire)
SLPP : Sierra Leone people's party (Parti du
peuple Sierra-Léonais)
UPG : Union pour le progrès de la
Guinée
UNR : Union pour la nouvelle
république (Parti Politique Guinée)
UFDG : Union des forces démocratique
de Guinée
UFR : Union des forces républicaines
(parti Politique, Guinée)
UPR : Union pour le progrès et le
renouveau (Parti Politique, Guinée)
UDFM : Union démocratique des forces
du progrès (parti politique Malawi)
UDF : Front démocratique uni (parti
politique Malawite)
7
DEDICACE
Au nom de Dieu, clément et miséricordieux, nous
dédions ce mémoire à notre père : Salim
Abdallah Assane et à notre mère
Assimati Hamidoune Saïd
8
AVANT-PROPOS
Le principe politique selon lequel les citoyens doivent
détenir le pouvoir que constitue la démocratie est un facteur
déterminant dans les pays au sud du Sahara. La République de
Guinée, inscrite à l'ordre du jour des pays démocratiques
n'en fait pas exception. L'enjeu de l'analyse d'une telle préoccupation
est de saisir les conditions d'existence réelle de la démocratie
et de percevoir dans le sens de sa dynamique et de son amélioration. La
démocratie telle que perçue et entretenue par les pays
subsahariens est un enjeu déterminant qui, dans un contexte social et
culturel affecte défavorablement leur émergence.
L'alternance démocratique, qui ne cesse
d'étendre son hégémonie dans le monde, commande de voir
dans la démocratie un ensemble d'institutions dont la fonction est de
préserver aussi les libertés individuelles fondamentales de tous
sans exception. Or, il ne peut être possible d'exercer et de jouir
pleinement de celles-ci qu'au sein d'une société où le
droit définit et délimite le pouvoir de contrôle que les
individus ont sur leur propre personne et sur les objets matériels
qu'ils ont en leur possession. Pour parvenir à cela en République
de Guinée, il faut un Etat de droit caractérisé par la
force de la justice, c'est-à-dire la détermination de la justice
à faire respecter les droits de propriété reconnus comme
légitimes et surtout à en sanctionner toute forme de violation.
Sous cet angle de vue, on perçoit la démocratie comme un
régime reposant sur le socle de la justice, du
droit et de la liberté. Et cela laisse
entrevoir un lien étroit entre la démocratie et une certaine mise
en ordre ou configuration de la justice, du droit et de la
liberté.
Au début des années 1990, après plusieurs
décennies de régimes de parti unique et de juntes militaires, la
plupart des pays africains ont rétabli le système multipartite.
Des dizaines de partis politiques sont créés ou reconstruits avec
pour objectif précis d'accéder au pouvoir exécutif
suprême. Cependant, environ deux décennies plus tard, peu de ces
partis ont atteint leur objectif de conquête du pouvoir. Ainsi, sur 73
cas de changements pacifiques de leaders en Afrique subsaharienne entre 1990 et
2020, environs 25 ont bénéficié aux candidats
présentés par les partis politiques de l'opposition1.
Ce nombre semble décevant par rapport aux immenses espoirs de
`'véritable alternance» que ces partis politiques ont
suscité au début des années 1990.
1 AKINDES Francis, « Les mirages de la
démocratie en Afrique subsaharienne francophone », Paris,
Karthala, 1996.
9
Ce mémoire s'emploie à esquisser des
éléments de réponse à cette situation dans la
période allant de 1990 à 2020. Afin d'approfondir l'analyse sur
cette question, le cas de la Guinée a été choisi pour
faire une étude comparative entre le parti au pouvoir et les partis
d'opposition pour les raisons du manque d'alternance démocratique en
République de Guinée. N'étant pas Guinéen, le choix
de ce thème est parti tout d'abord d'une volonté de
découvrir d'autres réalités en démocratie, mais
aussi, du besoin de comprendre et faire des analyses et des réflexions
sur le sujet qui me fascine dans les rapports humains et qui s'expriment de
plus en plus virtuellement et malheureusement avec un élan
d'agressivité dans l'expression des opinions politiques.
Il est vrai qu'il y a eu l'alternance au pouvoir en Afrique
subsaharienne. Par exemple, au Bénin2. Mais tous les
présidents élus étaient des « candidats
indépendants ». Ensuite, le Ghana3 a eu deux alternances
au pouvoir par un parti politique de l'opposition. Mais, La Guinée n'a
connu aucune alternance dans la période du processus démocratique
de 1990 à 2020. Ceci problématise la situation et conduit
à la question suivante : comment expliquer l'échec des partis
politique de l'opposition en République de Guinée à
l'élection présidentielle ?
Cette démarche a permis d'avancer l'hypothèse
selon laquelle, l'alternance au pouvoir par un parti d'opposition n'est
possible que dans un système bipartisan ou bipolarisé, quoique la
satisfaction de l'une de ces conditions ne soit pas suffisante. Les exceptions
à cette observation sont rares en Afrique et sont le résultat
d'une rare combinaison de circonstances particulières. Le paysage
politique guinéen est caractérisé par une
prolifération de partis politiques qui ont jusque-là
échoué dans leurs tentatives de former une véritable
coalition électorale contre le parti au pouvoir. Le bipartisme
relève de l'environnement institutionnel, et la bipolarisation des
stratégies des leaders politiques, d'où notre recours aux
approches néo-institutionnelle et stratégique comme cadres
théoriques.
Pour réaliser ce travail, nous avons rencontré
de nombreuses difficultés à la fois techniques et
financières : Rareté des documents sur le sujet, la faiblesse de
nos compétences en matière de recherche pour un débutant
que nous sommes, la rareté des spécialistes en la matière.
Ainsi, avec toutes ces difficultés, nous n'avons pas le sentiment
d'avoir épuisé ce sujet à la
2 BOLLE Stéphane, `'Indication des
périodes de l'alternance au Bénin», 1991,1996 et 2006.
3 BAYART Jean-François, « La problématique
de la démocratie en Afrique noire : 'La Baule,' et puis après ?
» Politique africaine, 43 Octobre 1991, pp. 5-20.
.
10
satisfaction de tous. Néanmoins nous avons l'espoir que
d'autres chercheurs, mieux préparés que nous aiderons à
enrichir ce que nous avons ébauché.
Si ce mémoire a du mérite, nous le devons
à la contribution et au concours de tous ceux qui ont accepté de
nous lire et de corriger nos pages.
Nous ne saurions terminer cet avant-propos sans adresser nos
remerciements à tous ceux qui nous ont aidés à
réaliser ce travail. Nous ne pourrions les citer tous. Mais nous
demeurons reconnaissant à notre consultant en l'occurrence Pr. Ibrahima
Ninguélandé DIALLO pour la rigueur et la pertinence de ses
critiques et surtout sa disponibilité.
Nos remerciements vont également à l'endroit de
tous nos encadreurs, notamment ; Pr. Mohamed Moustapha DIOP (Doyen de la
F.S.S), M. Abdoulaye Mamadou TOURE (Vice Doyen/Etudes à la F.S.S), M.
Fodé SOUMAH (Chef de département de Philosophie), M. Abdoulaye
Théodore SOUMAH (Directeur du Centre de Recherche FSS), que tous ces
formateurs trouvent entre ces lignes l'expression de notre profonde
reconnaissance. Nous voulons rendre un vibrant hommage à notre
père Salim Abdallah Assane et à notre mère Assimati
Hamidoune Saïd ainsi qu'au Pr. Binko Mamady TOURE (Ex-Secrétaire
Générale de l'Enseignement Supérieur et la Recherche
Scientifique), Saïndou Attoumane Bacar (Chargé Principal de
Renforcement des Capacités à l'Institut Africain de
Développement) et Gabriel Edouard KAMANO (Officier d'Etat des Forces de
Défenses et de Sécurités) sans oublier Fatunaou, Roihama
et Dhoulfa.
Mes profonds remerciements à M. Abdou Malida
(Secrétaire d'Etat des Comores), M. Badrane Tchaké (Maire de la
Ville de Nioumachoi), M. Ben Massound Rachid (Conseiller du président de
l'Union des Comores Chargé de l'agriculture, pêche et
environnement), et M. Loudhoubi Hirachi (Proviseur de la Ville de Nioumachoi).
Mais aussi, ma grande famille pour tout le soutien que chacun apporte à
ce que je suis et ce que je deviens au quotidien. À mes chers
frères et soeurs de la CEECG, Zayad, Samine, Karama, Faniza, Sitti,
Toienti, Fazda, Djamidar, Izidaïllah, Abdou karim, Aboubacar, Yanik,
Nawab, Choukri et tous ceux qui m'ont aidé au début
jusqu'à la fin. Je tiens à remercier mes camarades de promotion
au master Philosophie et psychopédagogie au sein de cette
Université.
Enfin, je remercie le Dieu Tout puissant qui nous a
accordé la vie, la santé et le courage de réaliser cette
noble ambition.
11
INTRODUCTION GENERALE
Ce mémoire porte sur « L'alternance
démocratique en Afrique subsaharienne : cas de la République de
Guinée de 1990 à 2020 ». En effet, au début des
années 1990, après plusieurs décennies de régimes
de parti unique et de juntes militaires, la plupart des leaders africains
furent obligés, par des pressions locales conjuguées avec une
pression internationale, de céder aux appels exigeant l'ouverture
politique et l'instauration ou l'autorisation du multipartisme. Des dizaines de
partis politique sont créés dans les pays de la
sous-région, comme ailleurs en Afrique, avec un objectif précis
d'accéder au pouvoir exécutif suprême4.
Environ deux décennies plus tard, peu de ces partis ont
atteint leur objectif de conquête du pouvoir. Ainsi, le principal
objectif de ce mémoire est d'essayer de comprendre cette situation et,
dans le cas des partis d'opposition qui ont réussi à atteindre
leur objectif, comprendre et analyser comment ils y sont parvenus. Ceci dans le
cadre d'une étude comparative et empirique sur l'ensemble des 15 pays de
l'Afrique de l'Ouest, on notera qu'entre 1990 et 2020, c'est dans seulement
sept d'entre eux qu'un parti d'opposition a réussi à
conquérir le pouvoir exécutif.
Afin de présenter davantage et de justifier le champ de
recherche, nous avons procéder à une délimitation
périodique et géographique de la recherche et à la
justification théorique ou analytique du choix de pays retenus, ainsi
que préciser la nature de l'alternance au pouvoir qui nous
intéresse.
S'agissant de la période couverte, (1990-2020), deux
décennies du processus démocratique, le recul historique que
permet cette période semble raisonnable pour esquisser une étude.
Néanmoins, la référence est faite, chaque fois que cela
s'avère nécessaire, à l'histoire proche et/ou lointaine de
notre pays d'étude. En effet, comme l'a dit Maurice quoiqu'on puisse
relativiser ce propos concernant les partis politiques : « De même
que les hommes portent toute leur vie l'empreinte de leur enfance, ainsi les
partis subissent profondément l'influence de leurs origines5
». Et c'est là l'apport de l'approche historique à ce
mémoire comme cadre théorique et méthodologique.
Pour ce qui est de la délimitation géographique,
la recherche est limitée à un seul pays de la sous-région
ouest-africaine ; la République de Guinée. Le choix de ce pays
s'est opéré en
4 Carbone ; Giovanni, « Comprendre les partis et les
systèmes de partis africains : entre modèle et recherches
empiriques, » Politique africaine, décembre 2006, pp. 18-37.
5 DUVERGER Maurice, « Un opposant au pouvoir,
l'alternance piégée ? » Paris, la sentinelle, 1951, p.
181
12
fonction de trois critères. Premièrement ce pays
a servi de cadre pour notre formation académique, ce qui est un atout
capital dans toute recherche scientifique ; deuxièmement, par le fait
que la langue française qui est la langue officielle du pays et dans
laquelle la plupart des documents sont rédigés.
Troisièmement par le fait que ce pays a connu une relative
stabilité politique et un manque total d'alternance durant la
période retenue. Nous pensons que ce sont des raisons qui justifient une
telle étude du système démocratique guinéen.
Ensuite, d'autres pays ont connu des troubles politiques
majeurs dans la période retenue et ont été exclus
d'emblée, parce que ces troubles suspendent généralement
tout processus électoral. Or les élections constituent un
élément important dans la démonstration de notre
hypothèse. Tels que, la Côte d'Ivoire (en guerre civile entre
septembre 2002 et mars 2007), la Sierra Leone (en guerre civile entre 1991 et
2002), et le Libéria (bouleversé entre 1990 et 1996, puis de 1999
à 2003) ont été écartés6. Mais la
République de Guinée n'a jamais connu une guerre, de 1958
à la période de rédaction du présent mémoire
(septembre 2022).
De prime abord, « l'alternance au pouvoir » peut
s'appliquer à la fois au changement de la composition partisane de la
législature (Parlement) ainsi que le remplacement d'une équipe
dirigeante de l'exécutif par une autre. Dans ce dernier cas, elle peut
signifier simplement le remplacement de l'occupant du plus haut poste
exécutif par une autre personnalité. C'est le sens que semble lui
donner Jeffrey Herbst dans son état des lieux sur la
libéralisation politique en Afrique subsaharienne.
Cependant, l'usage populaire de l'expression en donne un sens
qui va au-delà du changement de personnalités d'un même
groupe dirigeant à un véritable changement d'équipe
gouvernementale. Ainsi, Jean-Louis Quermonne définit l'alternance au
pouvoir comme « un changement de rôle entre les forces politiques
situées dans l'opposition, qu'une élection au suffrage universel
fait accéder au pouvoir, et d'autres forces politiques qui renoncent
provisoirement au pouvoir pour entrer dans l'opposition. » C'est la
même définition que lui donne Michael Bratton (2004, p. 147-158)
dans son article visant à analyser l'effet de l'alternance sur la
perception des Africains de la démocratie (Hermet, 2005, p. 18). C'est
en ce sens que le terme est employé dans la présente
étude, c'est-à-dire le remplacement des anciennes
autorités par de nouvelles élites appartenant à un parti
de l'opposition ou une
6 BOLLE Stéphane, Communication
présentée à la « Conférence internationale :
Les défis de l'alternance démocratique, » Cotonou, 23 au 25
février 2009.
13
coalition de partis d'opposition." Et étant
donné que la Guinée a un système présidentiel,
l'alternance ainsi définie ne peut s'effectuer qu'à travers les
élections présidentielles. Ceci exclut donc de notre calcul les
élections législatives. Mais même en considérant ces
dernières, l'analyse des différentes échéances
électorales qui ont eu lieu dans notre pays durant la période
examinée montre que le vainqueur du scrutin présidentiel s'est
toujours imposé au Parlement. Sur le thème « L'alternance
démocratique en Afrique subsaharienne : cas de la Guinée de 1990
à 2020 », de nombreuses questions centrales surgissent, notamment
:
y' Pourquoi les partis politiques de l'opposition
guinéenne, ont toujours échoué dans leur tentative de
conquérir le pouvoir ?
y' Quelles sont les causes profondes des crises en
Guinée ? Sont-elles d'ordre social, culturel ou politique ?
y' L'absence d'alternance en République de
Guinée ou de concertations entre les acteurs peut-elle favoriser un
climat de paix et de quiétude sociale ?
Pour répondre à cette série de question,
nous avons bâti notre plan de travail autour de trois (3) chapitres :
Dans le chapitre I, titré ;
Cadre théorique et méthodologique,
subdivisé en huit (8) sections. Là, nous avons
abordé la Problématique, l'Hypothèse de recherche, la
Revue de la littérature, le Cadre conceptuel et théorique, la
Méthodologie de la recherche, la Recherche documentaire, Les
enquêtes de terrain et de traitement des données.
Dans le chapitre II, intitulé
; Evaluation de l'idée de démocratie en
République de Guinée est subdivisé en cinq
(5) sections. Les sections étudiées sont les suivantes :
Démocratie en Afrique subsaharienne : réalité, discours ou
simple théorie ? ; Historique du processus démocratique en
Afrique ; De la période coloniale à l'indépendance en
République de Guinée, De l'indépendance
à la chute du mur de Berlin, en fin, Les
particularités du système politique en République de
Guinée.
Dans le chapitre III, titré ;
Le multipartisme et l'alternance au pouvoir en République de
Guinée, subdivisé en neuf (9) sections à
savoir : La naissance des partis politique en Guinée,
Rupture et réintroduction du multipartisme en Guinée,
Les partis politiques dans le processus démocratique en
Guinée, Les facteurs du manque d'alternance politique
en Guinée, L'instrumentalisation de la
société civile, Le poids des acteurs
internationaux et l'alternance politique, Les techniques de
campagne des partis politique et l'alternance démocratique en
Guinée.
14
CHPITRE I : CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
Section 1 : Problématique
En dépit des multiples variations au tour du concept
d'alternance démocratique, celui-ci semble avoir pris aujourd'hui
presque dans tous les pays du monde une certaine préoccupation digne
d'intérêt. Cet intérêt est certainement lié
à l'éternel quête humaine de liberté, de
prospérité, d'égalité, et de bonheur.
En Afrique subsaharienne et particulièrement en
Guinée, avec la fin de la guerre froide en 1989, on assiste au
début des années ½90½a un élan de
démocratisation. En effet, avec la chute du mur de Berlin en 1989 suite
à la montée au pouvoir en Union Soviétique de Mikhaïl
GABATCHEV qui prônait une vision beaucoup plus libérale du monde,
on assiste en Afrique à un début du démantèlement
des régimes monopartites. Ce démantèlement des
régimes autoritaires africains sera d'avantage
accéléré par des soulèvements populaires dus
à une double crise : celle économique qui aboutit à
l'ajustement structurel et la crise de légitimité de l'Etat.
Aussi, le discours de François Mitterrand à Baule, le 20 juin
1990 va davantage ébranler la nostalgie des régimes
anti-démocratiques africains. Car dans son discours, Mitterrand
subordonnait la continuité de la traditionnelle aide française
vers les pays africains à l'introduction de la démocratie, du
multipartisme, à la proclamation des libertés, à la
reconnaissance de l'opposition.
En Guinée, le retour à l'ordre
démocratique à très tôt commencé avec le
président LANSANA CONTE. Dans son discours programme du 22
décembre 1985, il fit le serment solennel de respecter les droits de
l'homme, de créer les bases d'une démocratie réelle et de
rétablir les libertés syndicales7. Ce changement
politique abouti dans la plupart des pays de l'Afrique subsaharienne à
la naissance du multipartisme, des élections plus ou moins
crédibles.
Cependant, malgré l'avènement de la
démocratie en Afrique subsaharienne et la tenue d'élections
régulières et compétitives, la Guinée avec une
histoire politique de plus de 60 ans n'a jusqu'à présent pas
connu d'alternance démocratique nonobstant un environnement
électoral compétitif. Ce sujet empreint d'interrogation,
mérite d'être analysé dans le cadre d'un mémoire.
7 Dominique Bangoura, Mohamed
Tétémadi Bangoura et Moustapha Diop ; « Enjeux et
défis démocratiques en Guinée, février
2007-décembre 2010, Paris, L'Harmattan, 2007, pp. 85-90.
15
? Quels sont les facteurs qui entravent la
réalisation de l'alternance démocratique en Guinée de 1990
à 2020 ?
? Les partis au pouvoir seraient-ils solides, mieux
organisés, voire plus populaires que les partis d'opposition ?
? Pourquoi dans certains cas les règles
constitutionnelles sont appliquées avec succès et dans d'autres
cas, elles sont plutôt contournées ou modifiées ?
1-1- Question spécifique de recherche
Cette problématique soulève plusieurs
interrogations relatives au développement en Afrique de la bonne
gouvernance, de la démocratisation des Etats et de l'alternance au
pouvoir. Mais, dans le but de cadrer notre recherche, nous avons limité
notre travail à une question spécifique. Celle de savoir : Quels
sont les facteurs qui ont empêché l'effectivité de
l'alternance démocratique en Guinée de1990 à 2020 ? , une
simple coïncidence ou une préméditation ?
Section 2 : Objectif de recherche : En
réalisant cette étude, nous avons proposé d'atteindre deux
types d'objectifs. Ces objectifs sont les suivants :
2-1- Objectif générale :
Notre objectif général est de produire un
document scientifique qui étudie les problèmes de l'alternance
démocratique en République de Guinée entre 1990 et 2020 et
proposer des recommandations.
2-2-Objectif spécifique : Nos objectifs
spécifiques consistent à :
- Remettre en cause avec le regard du philosophe le dispositif
politique, juridique et institutionnels relatif à l'alternance
démocratique en République de Guinée d'une part, et
comprendre les contraintes et limites justifiant l'absence de l'alternance
constaté d'autre part.
- Identifier les facteurs qui ont contribué au
changement de pouvoir par la transition en lieu et place de l'alternance.
- Etudier les aspects liés à
l'imprécision des dispositifs normatifs qui favorisent non seulement la
pratique des révisions constitutionnelles mais également la
pratique de l'interprétation biaisée de ces mêmes
dispositions.
16
- Analyser les causes profondes de l'usage abusif du pouvoir,
les dessous de la révision de la constitution et le manque de rigueur
dans la formulation de certains énoncés constitutionnels qui ont
contribué à freiner où à éloigner la
perspective de l'alternance démocratique en République de
Guinée.
Section 3 : Hypothèse de recherche
Maurice Duverger soutient que « l'alternance suppose le
dualisme », c'est-à-dire qu'il faut un système bipartisan
pour qu'un parti de l'opposition puisse parvenir au pouvoir. D'autres auteurs
tel que Adejumobi dans «Partis politiques en
Afrique de l'Ouest : le défi de la démocratisation dans les Etats
fragiles» ont opté pour le « système
bipolarisé », c'est-à-dire une coalition des partis
d'opposition contre le parti au pouvoir, comme un substitut au système
bipartisan afin d'assurer l'alternance véritable.
Cependant, malgré l'adhésion de la Guinée
au pluralisme démocratique en 1990 et l'organisation
régulière d'élections compétitives, le pays n'a
connu aucune alternance démocratique jusqu'à nos jours (2022).
Sur ce, notre hypothèse de départ est que certains facteurs, soit
ethniques ou régionalistes... influencent négativement la
matérialisation de la démocratie guinéenne. De ceux-ci,
nous croyons que le manque d'alternance politique en République de
Guinée de 1990 à 2020 est dû fondamentalement à des
facteurs et à des circonstances telles que :
? La volonté expresse des chefs d'Etats à
tripatouiller la constitution pour aller au-delà des mandats requis est
l'une des raisons de l'absence de l'alternance en République de
Guinée ;
? Faire recours à l'instrumentalisation de la
société civile guinéenne dans l'optique de la sauvegarde
du pouvoir ;
? L'organisation de la fraude électorale en
complicité avec l'institution en charge de l'organisation des
élections ;
? Le caractère ethnique et/ou régionaliste des
partis politiques en République de Guinée ; ? L'ingérence
des puissances étrangères dans les politiques internes des Etats
en Afrique.
Section 4 : Revue de la littérature
Ils existent une abondante littérature sur notre
thème de recherche et autres sujets comme la démocratie et
l'histoire générale de la vie politique et
socio-économique du pays qui fait l'objet d'étude de notre
recherche. Cela signifie que nous sommes sur un terrain déjà
exploré
17
par bon nombres de chercheurs. Néanmoins, il est utile
de remarquer qu'une insuffisance apparait dans les études sur la
démocratie guinéenne. Généralement, celles qui
portent sur le multipartisme et la démocratie, se limitent à
leurs caractéristiques, leurs historiques et à la vie des partis
au pouvoir. Dans son mémoire, « La pratique du multipartisme en
Afrique de l'ouest : Etude croisée des cas Guinéens et
Sénégalais de 1990 à 2015 », Abou CISSE remarque
contre la thèse défendue par J-F Bayart dans son article «la
problématique de la démocratie en Afrique noire» que
l'échec de la démocratie libérale et la gestion
autoritaire du pouvoir en Afrique noire n'est pas relatif à la
reproduction du système de l'administration coloniale.
Par ailleurs, Richard Banégas, dans son ouvrage «
Politique africaine ; parlement de la rue, espace publics de la parole et
citoyenneté en Afrique », montre les logiques paradoxales qui
caractérisent la consolidation démocratique dans ce pays. Ils
remarquent qu'au cours des campagnes électorales, le clientélisme
et l'achat des électeurs sont courant, mais n'empêche pas ces
derniers de voter selon leur conscience8. Bien ! Avec cet auteur,
nous sommes d'accord que la marchandisation de la démocratie n'affecte
pas la conscience des électeurs le jour du vote. Mais, nous remarquons
qu'elle peut constituer une véritable source de conflit
électorale. Puisque, au cours de la campagne électorale, les
statiques de sondage du code de popularité donneront un candidat favori
par rapport aux autres. Alors que dans la réalité des urnes,
cette popularité ne s'exprime pas. Un tel candidat, peut à la
proclamation des résultats se fier à la popularité qu'il a
acquise à travers l'achat des électeurs lors de la campagne pour
contester les résultats. D'où les conflits.
Quant à Francis AKINDES, dans son article
intitulé «Lutte contre les inégalités : état
d'urgence», il note que la démocratie en Afrique Subsaharienne,
souffre d'un dysfonctionnement majeur, celui de l'incompatibilité de la
culture africaine caractérisée par un esprit communautaire et le
besoin conscient et inconscient d'un chef fort et riche, ne devant souffrir
d'aucune contestation et les valeurs démocratiques occidentales
fondées sur le culte de l'individualisme9. On est bien
d'accord avec cet auteur que l'esprit communautaire, régionaliste est le
principal frein de l'expression d'une démocratie alternative en
Afrique
8 Richard Banégas, chercheur en sciences po,
« Politique africaine ; parlement de la rue, espace publics de la parole
et citoyenneté en Afrique ». Ed. KARTHALA 22-24, boulevard Arago
75013. Paris
9 Francis Augustin AKINDES, Professeur de
sociologie à l'Université Alassane Ouattara, Côte d'Ivoire,
«Lutte contre les inégalités : état d'urgence»,
Dakar, 2011.
18
noire. Mais, ce caractère n'est pas le seul qui
justifie la difficile de l'alternance en Afrique. Il pourrait être
justifié par l'instrumentalisation de la société civile ou
sa destruction par les partis au pouvoir. Donc, il convient de noter que tous
les régimes tyranniques qui ont fait d'innombrables victimes ont d'abord
détruit ou sapé la société civile, puis assis leur
pouvoir sur des idéologies discriminatoires ou intolérantes.
La démocratie ne peut pas exister sans la
société civile et la société civile ne peut pas
exister sans une population qui a la volonté et la capacité d'en
défendre les valeurs et les institutions. Par ailleurs, d'autres
théoriciens de la démocratie construisent leur conception en
établissant un lieu entre démocratie et croissance
économique. Pour cette conception, la démocratie est comme
`'un véhicule de progrès social». C'est pourquoi
ils en font une question de substance alors que la conception
procédurale des auteurs suscités, en fait une question de
procédure.10
Partant de l'analyse d'une étude sur les perceptions de
la démocratie Zambienne faite par Jean Pascal Daloz, Issiaka soutient
que c'est cette conception qui est privilégiée par les masses
populaires en Afrique. Selon l'auteur, pour les habitants du quartier Lusaka de
Zambie et presque pour tous les milieux populaires africains, la
démocratie est synonyme d'amélioration des conditions
d'existence, la démocratie, c'est d'abord pour les gens du quartier, des
magasins qui ne sont plus vides.
Pour Amartya, les libertés politiques et civiles
catalysent les initiatives privées qui a leur tour promeuvent le
développement socio-économique. Pour cet auteur, le régime
politique est ce qui détermine le niveau des secteurs d'activités
publiques et que la défaillance de la démocratie est la cause
principale du sous-développement structurel qui sévit en Afrique
subsaharienne.
Section 5 : Cadre conceptuel et théorique 5-1-
Cadre conceptuel :
Dans le cadre de ce mémoire, nous nous sommes
intéressés à l'analyse des concepts de démocratie
et d'alternance. à ceux-ci viennent s'ajouter les concepts connexes.
Nous avons traité ces concepts selon deux visions : premièrement,
nous les avons abordé d'une manière générale
c'est-à-dire les définitions et les débats
théoriques autour de ces concepts, deuxièmement nous avons
apporté la perception particulièrement africain.
10 Jean Pascal Daloz, « Transitions
démocratiques africaines : dynamiques et contraintes », la
philosophie Africaine, 2009, p.45
19
5-1-1- Démocratie :
Le concept démocratie requiert une pluralité de
sens. En dépit de cette diversité de définition, il est
utile de noter que presque tous les auteurs conviennent qu'il dérive de
deux mots grecs ; dêmos (« peuple »)
et kratos (« pouvoir »), ce qui signifient
littéralement pouvoir du peuple. Dans la
présente étude, notre objectif ne se limite pas à la
connaissance de ce que signifie le mot démocratie ; mais
également quel système peut être qualifié de
démocratique. Dans cette optique, les conceptions des auteurs y varient
constamment.
Pour Robert Dahl, un régime pour être
qualifié de démocratique, doit remplir deux conditions
essentielles : une participation effective de la population aux prises des
décisions et l'organisation d'une compétition
réelle11. Quant à Joseph Schumpeter, la
démocratie est une méthode de gouvernement qui repose sur
l'idée qu'il n'y a aucune doctrine générale qui
s'imposerait à tous, mais elle permet à la société
de s'auto-administrer par la libre compétition des groupes partageant
les charges et les privilèges de la coopération sociale.
Par ailleurs, Jean François Revel la définit
comme «forme de société qui parvient à concilier
l'efficacité de l'Etat avec sa légitimité, son
autorité avec la liberté des individus». Pour Legros, il l'a
défini en se fondant sur deux principes : un principe culturel ou social
et un principe politique. Du point de vue social ou culturel, il la fonde sur
l'égalité des conditions de vie des citoyens en soutenant que les
sociétés pré-démocratiques reposaient sur un
principe d'inégalité des conditions de vie des citoyens. Sur le
plan politique, il entend par démocratie, `'un système politique
dans lequel le pouvoir repose sur le principe de souveraineté de la
nation». Au regard des définitions susmentionnées, nous
pouvons dire que la démocratie est un droit fondamental du citoyen qui
doit être exercé dans des conditions de liberté,
d'égalité, de transparence et de responsabilité, dans le
respect de la pluralité des opinions et dans l'intérêt
commun. Elle est à la fois un idéal à poursuivre et un
mode de gouvernement à appliquer selon des modalités traduisant
la diversité des expériences et des particularités
culturelles, sans déroger aux principes, normes et règles
internationalement reconnus. En ce sens, la démocratie vise
essentiellement à préserver et à promouvoir la
dignité de du citoyen et du peuple.
11 Amartya, « La liberté politique en
Afrique noir », 2010, p.14-15
20
5-1-2- Alternances :
Ce concept renvoie premièrement à la situation
d'un régime politique ou des courants, des tendances au pouvoir. Elle
intervient lorsque la majorité politique est renversée par
l'opposition dans le respect des règles constitutionnelles, lors d'une
élection législative ou présidentielle.
De ce fait, nous pouvons dire que tout changement le
régime qui ne s'inscrit pas dans la logique du strict respect des
règles constitutionnelles n'est pas politique. En tant que condition
indispensable à la démocratie, l'alternance témoigne de
l'existence des libertés politiques et d'un régime pluraliste ou
le parti au pouvoir accepte de se retirer en cas de défaite
électorale. Elle a pour conséquence le renforcement de la
légitimité de la constitution et l'adhésion des citoyens
au régime politique.
Au nombre des conditions pour une vraie démocratie en
Afriques, Lokengo Antshuka plaide pour l'instauration d'une gestion rotative du
pouvoir. Pour lui, la finalité d'une telle gestion du pouvoir est
d'assurer la paix dans cité. Car, l'alternance est l'expression de la
reconnaissance des autres, de leurs valeurs, de leurs idéologies, de
leur philosophie. Elle suppose de ce fait l'acceptation de l'autrui. Elle est
fondée sur une vertu, la tolérance qui est la condition de toute
cohabitation paisible. De ce fait, elle permet également d'assurer les
droits fondamentaux de l'individu, la justice sociale, à favoriser le
développement économique et social de la collectivité,
à renforcer la cohésion sociale ainsi que la stabilité
nationale et à créer un climat propice à la paix
internationale. En tant que forme de gouvernement, elle est le meilleur moyen
d'atteindre ces objectifs ; elle est aussi le seul système politique
apte à se corriger lui-même. L'Etat démocratique est celui
qui garantit que les processus d'accessions au pouvoir et d'exercice et
d'alternance du pouvoir permettent une libre concurrence politique et
émanent d'une participation populaire ouverte, libre et non
discriminatoire.
5-1-3- Les partis politiques :
Le concept de partis politique est sujet à plusieurs
interprétations. En d'autres termes, il n'y a pas une définition
précise d'un parti politique. Mais, il existe des usages politiques et
sociaux très variés qu'on applique souvent à des groupes
considères comme partis politiques. Sur ce, Offerlé donne une
double définition aux partis politiques. Ce sont notamment une
définition limitée selon laquelle un partis politique est : une
organisation durable (dont l'espérance de
21
vie politique est supérieure à celle de ses
dirigeants) ; bien établie au niveau local et national du pays dans
lequel il se trouve ; avec une volonté de ses dirigeants de prendre et
d'exercer le pouvoir, seul ou avec d'autres partis politiques ; et qui a enfin
le souci de rechercher un soutien populaire à travers les
élections ou toutes autres manières.
Cette définition est qualifiée de limitée
par ce qu'il est difficile à certains partis politiques de
répondre à tous ces critères sans que cela ne leur
empêche d'être considères comme partis politiques. Par
exemple, la plupart des partis politiques américains tels que : Le
conservative party of New York, Le new progressive party of puerto
Rico, Le southerm party, Vermont prossive party sont régionaux,
provinciaux. Mais cela ne les empêche nullement d'être des partis
politiques.
La deuxième définition est celle élargie
selon laquelle les politiques sont des : associations reposant sur un
engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leurs chefs
le pouvoir au sein d'un groupement et à leurs militants actifs des
chances idéales ou matérielles de poursuivre des buts et
objectifs, d'obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux
ensembles12.
Dans le même sillage, Michel Offerlé
définit les partis politiques comme des : organisations plus ou moins
développées et plus ou moins permanentes, des organisations qui
cherchent à faire élire des candidats dans un corps
électoral, qui comprennent une proportion plus ou moins grande des
personnes considérées comme adultes dans la collectivité
ou ont lieu des élections13. Cette définition pose
trois conditions pour qu'une organisation soit qualifiée de parti
politique. Il s'agit premièrement de l'organisation et la permanence du
groupe, en suite sa participation aux élections et en fin son ambition
de former un gouvernement.
Pour Ibrahima Fall, les partis politiques sont : des
associations spécifiques de citoyens partageant une même
conception de l'organisation à des fins de pouvoir politique. Cette
association décide de conquérir démocratiquement tout dans
l'appareil d'Etat en vue de réaliser son projet de
société. Quant à Brechon, il définit les partis
politiques en se fondant sur quatre critères qui sont notamment, une
organisation durable c'est-à-dire qui va au-delà de la vie de ses
fondateurs, une organisation complète qui est structurée de la
base au sommet et
12 Jean François Revel, « relation
international » 1999, P.14
13 Michel Offerlé, « les partis
politiques », 128 pages, collection que sais-je ? Ed. Presse universitaire
de France, 2018
22
caractérisée par une relation permanente entre
ses étapes d'organisations et la recherche du soutien populaire.
Comme on le voit bien, ces définitions suscitées
ont entre elles des points de convergences et de divergences. Mais, en se fiant
aux points de convergence entre elles, on pourrait dire dans le cadre de cette
étude, qu'un parti politique est toute organisation porteuse d'une
idéologie, d'un programme de société différent de
celui qui est dominant, qui cherche à faire valoir son idéologie,
ambitionne de contrôler et de conquérir le pouvoir d'Etat par le
biais d'une compétition électorale régulière. Ici,
l'ambition de conquérir le pouvoir, la diversité des
idéologies sont les critères fondamentaux pour qu'une
organisation soit qualifiée de parti politique. Car, l'existence de
plusieurs partis politiques ou du multipartisme en un mot, est fondée
sur deux idées essentielles : elle est premièrement fondée
sur l'idée que la nature humaine est contradictoire, variée et
que cette variété de la nature humaine entraine
nécessairement une variété de sentiment,
d'intérêts, d'idées. Donc, les partis politiques sont
l'expression de la diversité naturelle des sentiments, des
intérêts, des idées des hommes ; le deuxième
fondement est qu'aucune idée, personne, sentiment particulier n'est
indispensable, mais que tout est relatif.
Pour Paul Ricoeur, est démocratique, une
société qui se reconnait diviser, c'est-à-dire
traversé par des contradictions d'intérêt et qui fixe comme
modalité d'associer à part égales chaque citoyen dans
l'expression de ces contradictions, l'analyse de ces contradictions et la mise
en délibération de ces contradictions en vue d'arriver à
un arbitrage. Cette conception de Ricoeur sous-entend l'existence d'une
diversité d'opinion, de pensée, d'idéologie entre les
quelles le peuple libre, souverain choisi celui qui doit le représenter,
le diriger. C'est la démocratie au sens de la pluralité
politique, idéologique. C'est ce sens qui retient notre attention dans
cette étude.
5-1-4-Afrique subsaharienne :
L'Afrique subsaharienne est l'étendue du continent
africain au Sud du Sahara, séparée écologiquement des pays
du Nord par le climat rude du plus vaste désert chaud du monde. Elle
abrite quarante-huit États, dont les frontières sont issues de la
décolonisation. Ses climats se distinguent par la variation
pluviométrique annuelle plutôt que par les variations des
températures. C'est la zone riche sur le plan de la biodiversité
quoique vulnérable au dérèglement climatique.
23
L'Afrique subsaharienne est aussi la partie de la
planète terre la plus dynamique en matière démographique.
Elle a une Superficie de 22.431.000 km2 avec une population
estimée à 1.022.664 451 habitants (2017)14. Son taux
de croissance annuel est de 2,3 %. Sa situation démographique
conditionne sa situation économique actuelle et à
venir15. Vous verrez bien des illustrations en annexe.
5-2-Cadre théorique :
5-2-1- L'approche institutionnelle :
Ordinairement, on distingue deux types d'institutionnalisme :
l'institutionnalisme sociologique et l'institutionnalisme historique. Mais,
avant d'établir la différence entre les deux types
d'institutionnalisme, il est nécessaire de souligner qu'il n'y pas de
compromis entre les théoriciens de l'institutionnalisme sur le nombre de
ses variations. La théorie institutionnelle n'est pas un courant de
pensée unifié. Mais, en dépit du manque de consensus entre
les théoriciens de l'institutionnalisme, nous optons dans le cadre de ce
mémoire pour une division binaire de la théorie.
Revenons maintenant à la distinction entre les deux
formes de l'institutionnalisme susmentionnées. Les théoriciens de
l'institutionnalisme historique mettent particulièrement l'accent sur
les institutions qu'ils définissent comme les procédures, les
protocoles, les normes et les conventions officielles et officieuses
inhérentes à la structure organisationnelle de l'Etat ou de
l'économie politique. Selon Issiaka dans son essai de sciences-po sur
`'la réinvention de soi dans la violence», cette forme de structure
est celle qui a dominé la politique comparée du dernier tiers du
19esiècle jusqu'à l'entrée des deux guerres.
Pour ses tenants, la comparaison doit se faire entre les institutions
réputées fonctionnelles ou non et les conséquences
politiques de ces institutions ou dispositions institutionnelles, leur impact
sur la consolidation de la démocratie.
De même que les tenants de l'institutionnalisme
historique, les partisans de l'institutionnalisme sociologique accordent la
primauté aux institutions dans l'étude des
phénomènes sociaux comme le processus démocratique. Mais,
à la différence de leurs prédécesseurs, ils optent
pour une définition beaucoup plus large des institutions afin de couvrir
l'étude traditionnelle de l'Etat, des institutions sociales, de la
démocratisation, des
14 Statistique de l'Organisation des Nations Unies,
2017.
15 Donnée de la Banque mondiale dans le
rapport intitulé « La transition démographique africaine :
dividende ou désastre », 2015.
24
luttes pour le contrôle du pouvoir politique, ainsi que
des grandes entreprises et firmes multinationales. Mais, que ça soit
l'institutionnalisme historique ou sociologique, il est évident que
l'approche institutionnelle met l'accent sur les institutions et le rôle
de celle-ci dans l'avènement et la consolidation de la démocratie
dans un pays. On s'intéresse spécifiquement aux aspects
juridiques et formels notamment les garanties constitutionnelles pour les
partis politiques, les règles électorales en vigueur ainsi qu'aux
dynamiques d'institutionnalisation du système (le type de régime
politique dans le pays selon qu'il est présidentiel ou parlementaire).
C'est pourquoi, nous y recourons en plus de l'approche stratégique pour
comprendre le rôle des mécanismes institutionnels dans notre pays
d'étude et leur impact dans le processus démocratique
déclenché véritablement en 1990.
Cependant, il est nécessaire de souligner que
l'approche institutionnelle présente certaine insuffisance. Puisque, en
dépit du fait qu'elle permet d'expliquer la consolidation
démocratique, la stabilité et la continuité des
institutions, ses postulats ontologiques sont moins prégnants pour
rendre compte des changements et des transitions de régimes. Et
même dans le cadre de la consolidation démocratique, il est
nécessaire de tenir compte du rôle principal que jouent les
acteurs politiques.
5-2-2 L'approche stratégique :
Pour les partisans de cette approche, la compréhension
des phénomènes sociaux comme la lutte pour le pouvoir qui est le
principal sujet de cette étude, nécessite de prendre en compte
les acteurs ainsi que leur action comme variables explicatives. Sur ce, on se
rabat sur les motivations individuelles pour aboutir à
l'émergence d'un effet global par association des comportements
individuels. Cet individualisme méthodologique est un point de consensus
pour les perspectives de l'approche stratégique.
Cependant, il faut souligner qu'il n'y a pas de compromis
entre les tenants de cette approche sur tous ses postulats. C'est ce qui fait
dire à Issiaka que la théorie stratégique n'est qu'une
étiquette qui rassemble une communauté de chercheurs peu
liée qui participent ensemble à un programme de recherches
commun.
Par ailleurs, il faut dire que la théorie de l'approche
stratégique est sujette à plusieurs critiques16. L'une
des plus âpres est l'oeuvre de Donald Green et Ian Shapiro, `'pathologies
of national choice theory». Pour ces deux auteurs, l'application empirique
de la théorie de
16 Issikia Souaré, essai de sciences-po
«la réinvention de soi dans la violence», 2010, p.19
25
l'approche stratégique est émaillée de
plusieurs lacunes méthodologiques générées en
grande partie, par les prétentions universalistes de ses tenants. Ces
failles auraient pour causes l'obsession des tenants de l'approche
stratégique avec les démarches et concepts subjectifs au
préjudice de la compréhension et de la recherche de solutions aux
problèmes. Alors, ces critiques sont-elles fondées et est ce
qu'elles sont de nature à invalider le recoure à l'approche
stratégique comme cadre théorique dans la présente
étude ?
Pour répondre à cette question, il est
nécessaire de souligner qu'en dépit de leur critique, les deux
autres (Tshiyembe, 2001 et Diamond, 2007) reconnaissent à l'approche
stratégique un certain mérite et précisent que les failles
qu'elle comporte sont inévitables. Sur ce, ils préconisent
une½ universalité partielle' 'et exigent que la théorie
stratégique soit dirigée vers la résolution des
problèmes, donc les études empiriques au lieu de se limiter aux
simples exercices de théorisation et de modélisation. Cela veut
dire que, si ces failles étaient évitées, il n'y a aucun
problème pour nous de s'en servir comme cadre théorique dans la
présente étude. Dans tous les cas, pour traiter le sujet
d'alternance politique dans ce mémoire, les partisans de l'approche
stratégique mettraient l'accent sur les actions et les stratégies
des leaders des partis politiques. Ainsi, des postulats de cette approche sont
employés pour mieux analyser le rôle que jouent les acteurs
politiques dans notre pays d'étude.
Section 6 : Méthodologie de la recherche
Dans le présent mémoire, nous précisons
que notre choix de démarche est la démarche
hypothético-déductive. Le choix de cette démarche se
justifie par sa compatibilité avec la nature de notre sujet de
recherche. Cette démarche est, de surcroit, celle qui est la plus
usuelle en science sociale. Elle génère des idées et des
hypothèses pouvant contribuer à comprendre comment une question
est aperçue par la population cible et permet de définir ou
cerner les options liées à cette question. Elle se
caractérise par une approche qui vise à décrire et
à analyser la culture et le comportement des humains et de leur groupe
du point de vue de ceux qui sont étudiés. Elle consiste à
poser une question spécifique de recherche ; adopter un cadre d'analyse
approprié a l'objet d'étude ; formuler une ou plusieurs
hypothèses et réaliser des tests empiriques ou théoriques
dans le but de vérifier la véracité de la réponse
à la question spécifique de recherche17. Cette
démarche hypothético-déductive nous a permis de mettre
en
17 Dominique Bangoura, Mohamed
Tétémadi Bangoura et Moustapha Diop, « Enjeux et
défis démocratiques en Guinée (février 2007 -
décembre 2010) », Paris, L'Harmattan, 2007, pp. 85-90.
26
oeuvre des techniques de collète des données qui
sont notamment les enquêtes de terrain, l'observation, les entrevues et
des documents.
Section 7 : La recherche documentaire
Bien qu'insuffisant, il est nécessaire de noter avant
tout, qu'il existe un nombre important de textes sur notre sujet d'étude
et autres sujets relatifs, comme l'histoire générale de la vie
politique, socioculturelle, les processus électoraux et la
démocratisation de notre pays d'étude.
Vu le caractère complexe de notre sujet d'étude,
il nous a apparu judicieux de nos différentes lectures, les points
essentiels de notre problématique. Aussi, nous avons accordé une
importance spécifique aux facteurs qui expliquent l'échec des
partis politiques en Guinée. Nous avons également porté un
regard critique sur les règlements et dispositions constitutionnelles de
notre pays d'étude afin de couvrir et d'analyser les facteurs
institutionnels, structurels qui pourraient être un enjeu important ;
nous avons enfin porté un regard critique sur les mécanismes
institutionnels devant permettre le bon fonctionnement du processus
démocratique notamment les organes de gestion des élections.
Section 8 : Les enquêtes de terrain et traitement
des données 8-1- Enquêtes de terrain :
Notre pays d'étude constitue a priori notre terrain de
recherche. Mais, pour le cas de la Guinée, les principales techniques de
recherche ont été employées pour les enquêtes de
terrain : l'entrevue et l'observation. Ces techniques sont compatibles avec la
démarche hypothético-déductive
Nous avons préparé des questions d'entrevue.
Dans ce questionnaire, les personnes ont interviewé ont
été classés en deux catégories. Chaque
catégorie contenait des questions adaptées à son statut.
La première catégorie était les leaders et les militants
des principaux partis politiques de l'opposition et la deuxième
catégorie était les responsables de la société
civile guinéenne.
Dans notre stratégie de collecte et de
vérification de l'information, nous avons utilisé aussi
l'observation documentaire. Il s'agit de consulter la documentation sur le
sujet d'étude et d'en tirer de l'information, particulièrement
dans les références bibliographiques, articles scientifiques et
internet.
27
8-2- Traitement des données :
En ce qui concerne le traitement des données, nous
l'avons divisé en deux phases selon les techniques utilisées par
bon nombre de chercheurs. Il s'agit notamment de la prise de notes et le
traitement proprement dit de ces notes.
Pour le traitement de ces données, les interlocuteurs
ont été classés en fonction de leur statut et de la nature
des renseignements qu'ils nous ont fournis. Cela nous a permis de voir quelles
sont les divergences d'avis sur les différents sujets. Ensuite, ces
renseignements ont été examinés à la lumière
de nos propres observations.
28
CHAPITRE II : EVALUATION DE L'IDEE DE DEMOCRATIE EN
GUINEE
Section 1 : Démocratie en Afrique subsaharienne :
réalité, discours ou simple théorie ?
De nos jours, la démocratie est
généralement admise comme le mode de gouvernance par
excellence.18 Pour Abraham Lincoln, elle est le gouvernement du
Peuple, par le peuple et pour le peuple. Prise dans ce sens, la
démocratie s'oppose à tout pouvoir qui n'est pas
l'émanation du peuple. Cependant, force est de constater que dans les
pays en voie de développement, elle est trop souvent une façade
où le pouvoir provient finalement « du plus fort, par le plus fort
et pour le plus fort ». En ce sens, notre objet de recherche se
concentrera principalement sur la démocratie en Afrique. À ce
sujet, de nombreux auteurs ont des opinions divergentes sur cette question de
démocratie sur le continent noir. Pour certains auteurs, la
démocratie n'existe pas en Afrique noir. Ils citent des facteurs qui
entravent la démocratisation du continent noir. Il s'agit notamment du
facteur ethnique. Pour eux, « la démocratie d'un Etat fonctionne
relativement bien en premier lieu lorsqu'elle s'applique dans une nation, au
sens civique comme au sens ethnique ».
Partant de l'idée selon laquelle « Le
découpage territorial opéré par le colonisateur pour
créer de toutes pièces des États a été
effectué sans égards aux ensembles ethniques », ils
soutiennent que le parti au pouvoir ne représente
généralement qu'un groupe ethnique parmi l'ensemble de la nation.
Il est important de mentionner que l'on retrouve, dans la plupart des pays
africains, bon nombre de communautés ethniques divergentes. Le fait
d'avoir un parti au pouvoir qui représente son ethnie d'origine assure
à cette ethnie une certaine protection, la prospérité
économique et des faveurs sociales. Le parti au pouvoir, garantissant
les intérêts de l'ethnie dont il est issu, va tout faire pour
garder ce pouvoir plutôt que de le céder au profit d'un autre
parti qui représentera une autre ethnie.
Alors, il importe de comprendre que dans la plupart des pays
africains, le concept de nation étant donc très fortement
ethnique, le partage du pouvoir politique s'avère difficile, donnant
lieu à des conflits interethniques, des refus d'alternance en faveur de
« l'autre ». Le professeur Albert Bourgi nous éclaire sur ce
fait : « Les antagonismes ethniques ont été peu à peu
exacerbés par un exercice du pouvoir fondé sur l'accaparement de
tous les privilèges par le groupe dirigeant, et donc sur l'exclusion des
autres communautés, condamnées dès lors à ressasser
leurs frustrations et à cultiver leur soif de revanche. » Dans le
même ordre d'idée, nous expliquerons un peu plus bas comment le
facteur de pauvreté est en relation étroite aussi
18 Albert Bourgi et Avril Pierre, «Essais sur les
partis politiques», Paris, Payot, 1990, p.632
29
avec ce concept de pluriethnicité19. Tout au
long de son histoire, le continent africain a été
confronté à divers problèmes sociaux. Actuellement, ces
problèmes sociaux sévissent avec une gravité alarmante
dans les populations des États africains. En effet, la pauvreté,
l'ignorance, la maladie, les conflits ainsi que l'analphabétisme font
rage sur le continent noir. Les spécialistes tels que Michal Bratton,
Jean-François Bayart, Samuel Fambon et Noél Kodia n'estiment que
ces nombreux problèmes sociaux qui ont un impact négatif sur
l'implantation de la démocratie en Afrique subsaharienne.
Cependant, les études de ces chercheurs ne tendent pas
vers une conclusion unanime. Cette partie est consacrée à
l'explication de l'impact de la pauvreté et du manque de scolarisation
sur la vie démocratique en Afrique noir. En relation avec la
pauvreté et le manque d'éducation, il faut comprendre que le taux
d'alphabétisation est un élément essentiel dans la
réussite d'une démocratie. Par exemple, « l'Afrique à
voir beaucoup dans ce domaine ; lorsqu'une population locale ne parvient pas
à bien apprécier un programme politique lors d'un vote »,
cette démocratie ne peut avoir un sens politique. Un autre
élément dans l'explication de l'échec de la
démocratie en Afrique réside dans l'incapacité chronique
à respecter l'alternance.
À cet effet, « l'histoire africaine apporte des
éléments qui se superposent pour finalement expliquer la
situation actuelle. L'analyse de l'histoire de l'autorité en Afrique
avant la période coloniale met en lumière le fait que, dans la
plupart des pays du continent noir, l'alternance politique était chose
inconnue et très rarement la présence d'une autorité au
pouvoir durant plusieurs années était contestée. Puisque
les clans ou les ethnies étaient homogènes, la
légitimité du pouvoir en place était assurée :
Rares étaient les peuples qui se révoltaient contre leur
souverain pour une alternance. L'alternance «à l'africaine»
est régie par des traditions bien précises qui font que le
candidat à l'alternance est connu de longue date ». Les essayistes
et économistes Kodia et Martin se prononcent sur cette Question.
Pour autant, le respect de l'autorité est sacré
et l'alternance « démocratique » (dans l'acception actuelle du
terme) n'était pas exactement la caractéristique principale de ce
système. Le fort lien communautaire qu'on trouve en Afrique contraste
d'ailleurs avec l'individualisme en Occident qui a pu y permettre un
fonctionnement de la démocratie qui respecte les droits individuels et
qui circonscrit le pouvoir de l'autorité politique. Avec ces
institutions précoloniales autoritaires et communautaristes, le terrain
est donc déjà préparé en
19 Martin Pierre, « Les systèmes
électoraux et les modes de scrutin », Paris, Montchrestien,
3ème éd. 2006, p.19
30
Afrique pour un futur autoritarisme « national »
À la lumière de ce passé politique précolonial, il
n'était pas réellement possible d'instaurer en Afrique une
démocratie dite occidentale. En fait, l'une des principales
difficultés à l'implantation de la démocratie sur le
continent réside dans le fait qu'on a « appliqué le
modèle occidental d'État nation « civique » sur des
territoires qui sont en réalité « plurinationaux ».
Bien entendu, il s'avèrera problématique «de forcer la
démocratie à l'occidentale dans des pays qui n'en ont pas la
culture et ont une histoire spécifique ».
Les sociologues appellent ce phénomène le
transplant institutionnel, c'est-à-dire l'exportation dans un pays, dit
«à développer», d'une ou plusieurs institutions en
provenance d'un autre pays, dit «développé». Le
professeur Lottieriet, analyste, jette le pavé dans la marre à
travers sa réflexion. Pour lui, si l'exportation se fait par le haut,
les institutions exportées devront remplir la même fonction que
dans leur contexte d'origine, leur « ordre institutionnel »
d'origine. Mais cela est justement impossible car les institutions dans un
contexte dépendent d'autres institutions pour assurer leur fonction. Si
ces autres institutions ne sont pas présentes dans l'ordre
institutionnel d'accueil, le transplant ne produira pas les effets
escomptés, et sans doute produira-t-il même des effets pervers.
Cependant, pour d'autres auteurs, la démocratie existe
bel et bien en Afrique subsaharienne. Selon eux, la démocratie en
Afrique, malgré ses faiblesses et lacunes, existe. Bien qu'elle soit
nettement différente des démocraties présentes dans le
monde occidental, une forme de démocratie existe bel et bien sur le
continent noir. L'histoire du continent confirme d'ailleurs la présence
de certaines formes de démocraties dans différentes
périodes. Cependant, ces auteurs estiment en revanche que l'implantation
démocratique sous la forme occidentale ne peut fonctionner dans des
États africains si différents des États du nord. En aucun
cas, cette démocratie ne peut être le système politique
adapté aux gouvernements africains.
Ces auteurs partent de l'organisation et du fonctionnement des
sociétés africaines précoloniales pour soutenir leur
thèse d'existence de la démocratie en Afrique subsaharienne. De
ce fait, voyons quelques-uns de leur argument.
31
Section 2 : Historique du processus démocratique
en Afrique
2-1- Le temps précolonial :
Selon des auteurs comme Jean-François Bayart, Nzue
Prince et François Mpuila Tshipamba, la démocratie dans la
société négro-africaine se manifeste depuis
déjà plusieurs siècles20. Il existe une vaste
littérature sur l'émergence de la démocratie aux
États-Unis, en France ou au Royaume-Uni, littérature reconnue sur
le plan international. Par contre, en ce qui concerne le cas des pays
subsahariens, l'histoire est moins connue ; cependant un regard sur les
systèmes de gouvernance dans ces États nous révèle
une forme de démocratie. Au prime à bord, en partant de la
position géographique des pays de l'Afrique noire, nous voyons une nette
différence avec l'Occident, le désert du Sahara ayant
constitué une barrière naturelle. À l'époque, ce
désert constituait un obstacle de taille pour les échanges avec
les autres pays. Les États africains de l'époque ont donc
dû développer des systèmes de gouvernance inspirés
de leurs propres cultures locales compte tenu de leu ;' isolement. En
étudiant ces cultures, les spécialistes relèvent certains
traits caractéristiques propres aux régimes démocratiques
et estiment aussi que l'avènement de la démocratie moderne a
débuté avant la colonisation effective sur ce continent.
À cet effet, le premier auteur noir, lauréat
d'un prix Nobel de littérature, Wole Soyinka, demanda au
Président Chirac s'il croyait que l'Afrique n'ait jamais
été mûre pour la démocratie. En réponse
à ce questionnement, un expert des relations franco-africaines,
François-Xavier Verchave, souligne « qu'on oublie toujours que
l'Afrique a derrière elle des millénaires de traditions
politiques qui étaient tout sauf des systèmes totalitaires
Quelles sont les caractéristiques des systèmes politiques
d'Afrique qui s'apparentent à celles de la démocratie moderne
?
Tout d'abord, dans les systèmes politiques
centralisés, « il existait souvent des moyens de sanctionner ou
d'empêcher la tendance à l'absolutisme, au despotisme à
travers des mécanismes de participation du peuple au pouvoir ou de
limitation de la liberté d'actions du Chef ». En effet, les
pouvoirs du Chef des diverses sociétés africaines sont
contrôlées par des instances d'opposition. Par exemple, le Chef
« était tempéré soit par le Conseil Royal, soit par
la Cour de la « Reine Mère », soit par des fonctionnaires
religieux, des sociétés secrètes qui jouaient dans
l'investiture du roi.
20 Fall Ibrahima, « Esquisse d'une
théorie de la transition : du monopartisme au multipartisme en Afrique
» Paris, Economica, 1993, pp. 42-53.
32
À ce propos, on peut aussi constater l'exercice d'une
forme de démocratie africaine dans des communautés locales
spécifiques. Notons par exemple le cas de l'empire manding de Soudiata
Keita ou l'empire wassoulou de Samori Touré et du fouta Djallon. Nous
pouvons noter que la gouvernance du royaume du Fouta Djallon, de Samori
Touré par exemple, revêtait un caractère
démocratique. Dans le royaume wassoulou de Samori Touré, «Le
conseil du roi n'est pas un organisme familial, les parents étant
écartés au profit de routiniers ou d'hommes de castes».
Cette brève description du royaume de Samori Touré ainsi que
celui du Fouta Djallon et du Mali prouve davantage que les valeurs
démocratiques n'étaient pas absentes dans les
sociétés guinéennes précoloniales.
Nous pouvons également mentionner le cas de l'empire
Mossi de Ouagadougou où le Chef Suprême nommé Mogh'Naba
« avait autour de lui de nombreux fonctionnaires et dignitaires qui
faisaient partie du Conseil des ministres ou du Conseil du Roi ». Ce
Conseil avait pour mandat d'avoir la fonction de tribunal d'État. Il se
prononçait donc sur les verdicts découlant de la volonté
générale. L'auteur Prince évoque quelques proverbes qui
témoignent de la soumission du Chef à un Conseil de Sages :
« le Monarque apparemment puissant doit se soumettre au Conseil des Sages
», ou « le Roi qui n'écoute pas les Sages écoute les
courtisans ». Un autre aspect des formes de démocratie
précoloniale en Afrique subsaharienne consiste en la transition
démocratique.
Même avant tout contact avec la civilisation
occidentale, la tradition africaine proposait (dans bon nombre de cultures
politiques de la région) une limitation de mandat. Pour citer quelques
exemples de cette tradition de transition politique, nous pouvons penser au
peuple Abouré, aux Agni Indéniés et aux Morafoués
où « le règne d'un souverain n'excédait jamais sept
ans ». Dans d'autres communautés traditionnelles, la limitation du
pouvoir et du mandat passe davantage par le jeu des pouvoirs opposés.
Notons que près de la Côte de la Guinée,
les Chefs des confédérations étaient
contrôlés par un collège d'oligarques nommé
Mpanymfo. Cette limitation de pouvoir est aussi constatée dans le
Royaume Ashanti (actuel Ghana) ou les Chefs provinciaux possédaient de
larges pouvoirs qui venaient limiter ceux de l'Asantehene (le Chef
Suprême).
À la lumière de ce bref historique de
l'époque précoloniale sur le continent noir, il nous
apparaît évident que certaines manifestations des attitudes
démocratiques étaient palpables dans la tradition
africaine21. Bien entendu, les principes d'alternance ou de
transition
21 Offerlé Michel, « Les partis politiques
», Paris, PUF, 1997.
33
démocratique, de balance du pouvoir, de limitation des
mandats, etc. n'étaient pas des valeurs communes à l'ensemble des
communautés traditionnelles ; malgré tout, bon nombre d'exemples
de sociétés locales de diverses régions africaines nous
démontrent la manifestation d'une forme de démocratie. Voyons
maintenant l'impact de la période coloniale sur ce processus
démocratique.
Section 3 : De la période coloniale à
l'indépendance en République de Guinée
Bien que la Guinée ait accédé à
son indépendance avant 1960, nous considérons cette date comme
celle de la fin de la colonisation européenne sur le continent africain.
Cela parce qu'elle marque l'année d'indépendance de la plupart
des territoires de l'Afrique occidentale notamment dans les colonies
françaises groupées dans une grande fédération
dénommée Afrique occidentale française (A.O.F).
Joseph Kizerbo écrivait à propos des
premières attitudes des africains à l'arrivée des
colonisateurs : « Depuis des premières tentatives de
pénétration, sous des formes multiples, parfois ambiguës, le
nationalisme africain s'est toujours exprimé sans interruption
jusqu'à la reconquête de l'indépendance ». Ce
nationalisme africain à la veille de la colonisation est un corolaire de
la situation plus ou moins démocratique des sociétés
précoloniales.
Alors, dans le cadre de l'Afrique de l'ouest et plus
particulièrement celui de la Guinée, il est utile de remarquer
avant tout que les trois premières époques de l'ère
coloniale se divisent en deux périodes : la première va de 1880
jusqu'au début des années 1900. La seconde commence à
partir de 1900 jusqu'à la première guerre mondiale en 1914. En
effet, la première phase est marquée du côté
africain en général et guinéen en particulier par la
résistance souvent sous forme armée contre le colonialisme. C'est
pourquoi les français ne sont parvenus à s'installer solidement
en Guinée qu'après l'arrestation de Samori Touré le 29
janvier 1898.
Pour la seconde phase, elle aurait été
marquée par des révoltes armées et les fuites. En effet,
c'est des tentatives visant à rejeter la domination coloniale qui pesait
très lourd au regard de ses conséquences (brimades, travaux
forcés, crimes).
A ces deux facteurs, vient se greffer un troisième pour
faciliter la compréhension de la nature du système politique en
Afrique coloniale. Il s'agit notamment de l'incompatibilité de
l'entreprise coloniale avec le système démocratique. En effet, la
démocratie repose fondamentalement sur le respect des droits et
libertés humaines, notamment la liberté d'association, de
pensée, d'action et sur l'idée de l'autogestion. Donc, la
démocratie est en
34
d'autres termes l'opposé de tout pouvoir arbitraire et
de toute répression ou oppression des libertés humaines.
Cependant, l'entreprise coloniale, dans sa logique, est une négation de
ces libertés et droits humains.
Sur ce, au regard, de la résistance à laquelle
les puissances colonisatrices étaient confrontées, et cela leur
donnant le prétexte de continuer avec des procédés ou
méthodes oppressives, il serait logique de soutenir que durant toute la
première moitié de l'ère coloniale, il n'y a pas eu des
processus démocratiques en Guinée et probablement nulle part
ailleurs en Afrique.
Par ailleurs, après la première guerre mondiale,
on assiste au lancement d'un processus de réforme politique. Ce
processus de réforme dépendait d'une nécessité
fondamentale notamment celle du maintien du pouvoir colonial de l'époque
qui commençait à être menacé par la monté
dans les populations coloniales un nationalisme effréné,
engendré par l'activisme politique de l'élite africaine ainsi
qu'aux populations notamment ceux qui avaient combattu du côté de
leur maitre. En reprenant le General De gaule, Joseph Kizerbo note à ce
propos : « sous l'action des forces psychiques que la guerre a
déclenchée, chaque population, chaque individu lève la
tête, regarde au-delà du jour et s'interroge sur son destin
».
Mais, pour le cas de la colonie de la Guinée, il a
fallu attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour qu'il ait une
réelle réforme politique et un véritable processus
démocratique. Ainsi, en Guinée comme ailleurs en Afrique
occidentale française, les soulèvements populaires, les
mouvements de grève contre les pratiques oppressives du système
colonial, l'affaiblissement de la France par la guerre ont conduit le
gouvernement français à entreprendre des réformes ouvrant
la voie à un processus démocratique dans ses colonies. C'est dans
ce cadre qu'on assista en 1946 à l'adoption par referendum la
constitution de la IVème République22. En
effet, cette constitution intègre les territoires d'outre-mer dans
l'union française tout en accordant la citoyenneté aux
populations des colonies.
Dans son article N°41, elle stipule expressément
que `'la France forme avec les territoires d'outre-mer d'une part et les Etats
associes d'autres part une union librement consentie». Cette brèche
introduite en 1946, va se poursuivre avec les contestations incessantes de
l'élite politique africaine de l'époque par l'adoption de la loi
N° 56-619 du juin 1956 dite loi cadre Defferre. Cette dernière,
plus que la première réforme, accorde beaucoup de libertés
aux colonies.
22 Ki-Zerbo Joseph, « Histoire de l'Afrique Noire
: D'Hier à Demain », Paris, Hatier, 1978.
35
Elle accorde la possibilité pour les colonies de former
des assemblées territoriales, des gouvernements locaux et introduisit le
suffrage universel dans la gestion du pouvoir. Ainsi, avec ces réformes
citées ci-haut, l'élite africaine et guinéenne en
particulier emprunta les voies de la légalité et se constitua en
mouvement et partis politiques.
Section 4 : De l'indépendance à la chute
du mur de Berlin
Au point de départ de notre étude dans cette
section. Il faut remarquer que presque durant toutes les trois premières
décennies de la période postcoloniale, la gouvernance du nouvel
Etat guinéen à l'instar de celles des autres pays de l'Afrique a
été caractérisée par une tendance plus ou moins
orientée vers l'autoritarisme à tous les échelons de la
société (politique, économique, sociale, culturelle). En
effet, les partis au pouvoir en Afrique, dominés par la doctrine
marxiste dont ils se réclamaient, prétextant que les
débats idéologiques, politiques, philosophiques étaient
empreints de communautarisme, de régionalisme, ont
préféré instaurer le parti unique. Se proclamant
«partis de masses», ces partis uniques étaient
caractérisés dans leur ensemble par une forte concentration du
pouvoir d'Etat, l'étouffement des initiatives privées, la
confiscation des libertés et des droits fondamentaux du citoyen.
De ce fait, l'enracinement des actions autoritaires africaines
découlait d'un souci de légitimation idéologique des
nouveaux chefs d'Etat. A ce propos, J.F. Médard remarque :
`'L'efficacité du parti unique, quelles que soient ses
modalités, reposait sur l'articulation de la légitimation
idéologique et de l'encadrement politique23». Cependant,
il est utile de remarquer qu'il existait d'importantes différences entre
les régimes autoritaires africains. Durant cette période, il a
existé trois tendances communes à la plupart des Etats africains
: les sultanismes, les autoritarismes durs et les autoritarismes
modérés. En ce qui concerne les autoritarismes durs, ils sont
caractérisés par un fort degré de violence politique et
reposent sur une peur permanente et insidieuse plus que sur la terreur. Dans
ces Etats, les arrestations parfois arbitraires, les tortures, la liquidation
des suspects, les emprisonnements définitifs sont les modes d'expression
du pouvoir. Il s'agit là de réels régimes policiers ou les
services de sécurité et de répression sont des
administrations qui fonctionnent le mieux. Le régime du PDG/RDA de
Sékou Touré en Guinée est exemple illustratif.
23 Médard Jean-François, «
Autoritarismes et démocraties en Afrique noire », Politique
Africaine, Paris, L'Harmattan, pp. 92-104. 2006.
36
La constitution guinéenne de 1958 prévoyait
à son article 40, un pluralisme politique. En effet, l'article 40 de
cette constitution stipulait : `'Les citoyens de la République de
Guinée jouissent de la liberté de parole, de presse, de
réunion, d'association, de cortège et de manifestation dans les
conditions déterminées par la loi». Cependant,
jusqu'à la veille de la chute du mur de Berlin en 1989, la Guinée
n'était pas à proprement dit un pays pluraliste.
La scène politique guinéenne est restée
dominée de 1958 à 1984 par un seul parti, en l'occurrence le
Parti Démocratique de Guinée (PDG), le parti au pouvoir.
Après la mort de son président, le pays fut conduit par une junte
militaire, le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) qui en
était aussi le seul maitre. Ainsi, l'avènement du parti unique et
les procédures par lesquelles il a été établi, les
caractéristiques des régimes de parti unique, des juntes
militaires et leurs impacts sur les partis politiques. Les aspects
affectés par ces caractéristiques comprennent aussi bien les
activités des partis que les stratégies qu'ils seront
amenés à adopter.
Section 5 : Les particularités du système
politique en République de Guinée
D'une manière générale, au lendemain des
indépendances, les pays de l'Afrique occidentale n'affichaient pas un
monopole juridique du regroupement des électeurs. Lorsque la
constitution contient une disposition relative aux partis politiques, la
disposition ne consacre pas le monopole du parti au pouvoir.
En République de Guinée par exemple, même
si l'article 40 de la constitution de 1958 garantissait la liberté
d'association, de réunion et de formation de partis politiques autres
que le P.D.G, il faut admettre que Sékou Touré, dans un entretien
avec un journaliste Danois en 1960, n'a pas manqué d'afficher sa
volonté favorable à la création de partis politiques
différents du sien (P.D.G.). Il souligne, je cite « Si certains le
désirent, qu'ils fondent un parti communiste Guinéen. Mais, le
nouveau pari doit se définir dans le sens de l'intérêt
majeure de la nation ». Selon Seydou Madani Sy, le président
Sékou Touré est allé jusqu'à avouer sa
disponibilité à apporter son aide au nouveau parti dans son
implantation en mettant à sa disposition les moyens nécessaires
à son développement. Tout en se réservant de porter un
jugement sur cet engagement de Sékou, nous certifions que la
réalité du monopole du parti au pouvoir n'était pas
posée en droit.
C'est-à-dire, l'établissement du régime
de parti unique n'était pas un fait constitutionnel. Cependant, dans les
faits, il en était autrement. En effet, il était à peu
près inacceptable qu'un
37
nouveau parti émerge en opposition au parti
démocratique Guinéen dans la mesure où ce dernier
était déjà identifié et confondu avec le peuple
dont il croyait incarner les aspirations les plus profondes, détenir ses
destinés, d'être sa pensée collective et le gardien de sa
volonté. Lors d'un meeting, Sékou Touré ne tarde pas
à faire comprendre implicitement aux Guinéens qu'il ne saurait y
avoir qu'un seul et unique maitre lorsqu'il annonce : `'... le parti impose sa
dictature comme un conducteur impose sa dictature aux passagers d'un
véhicule...». Tel était le sens profond de la
révolution envisagée par Sékou Touré. Alors,
l'existence des droits et des libertés fondamentales du peuple, comme la
liberté d'association, de communication et d'information, de
manifestation, syndicale, idéologique devenait inconcevable en
Guinée. Bref, on ne pouvait s'entendre qu'à un règne
unitaire et sans partage du P.D.G.
En effet, l'autorisation d'un pluralisme, qu'il soit
idéologique, philosophique, politique, syndicale ou économique
constituerait à l'époque un facteur de désunion. Ainsi,
suite à ce meeting, certaines mesures restrictives sont
immédiatement prises par les autorités politiques. Par exemple,
en 1959, par un décret, la liberté d'information est
supprimée ; plus grave encore, on va jusqu'à conseiller aux
particuliers d'avoir un poste récepteur du moment que le ministre de
l'intérieur percevait cela comme un signe apparent de contestation du
pouvoir. Ensuite, on procéda à l'interdiction de Guinée
matin qui était actif dans toute l'Afrique occidentale et l'hebdomadaire
du parti, la liberté fut le seul autorisé. Il fut
également interdit aux avocats, notaires et huissiers de justice
d'exercer leur profession sans la demande des autorités.
Par ailleurs, un fait plus marquant de la direction qu'a pris
le régime du P.D.G est la création d'une organisation unique de
jeunesse appelée jeunesse de la révolution démocratique
africaine24. En effet, cette organisation de jeunesse, se trouvant
rattaché directement au parti démocratique de Guinée, se
trouvant sous sa tutelle, était un moyen d'étouffer les
libertés d'association des jeunes afin de mettre main sur eux. Lors du
congre constitutif de la jeunesse de la révolution démocratique,
Sékou Touré annonçait dans son discours : `'A partir de ce
moment, crie-t-il du haut de la tribune, aucune organisation des jeunes
étudiants, équipes sportives, scouts, associations culturelles ou
religieuses n'a d'existence légale en Guinée. Tous doivent
désormais se fondre dans la JRDA. En feront obligatoirement parti tous
les jeunes garçons et filles âgés de 10 à 25
ans». Cette organisation n'était en vérité qu'une
24 Kéita Sidiki Kobélé, «
Des complots contre la Guinée de Sékou Touré, 1958-1984
», Conakry, La Classique guinéen, 2002, p-45-47
38
machine pour canaliser les mouvements de jeunesse. Le P.D.G.
s'en est toujours servi pour assurer son contrôle sur les jeunes qui
constituent le fer de lance de toute révolution populaire.
En 1958 déjà, les leaders partis politiques de
l'opposition, regroupés au sein du PRA-Guinée, ont
décidé de se rallier au mot d'ordre de l'indépendance
immédiate de Sékou Toué et de son parti : Selon Mamady
Sanassy Keita que nous rencontré, après l'indépendance, la
section guinéenne du PRA se sentant en position d'impopularité
face au PDG d'une part, et d'autres part soucieuse de la conservation de
l'unité nationale, a fini par se rallier en acceptant les exigences du
PDG.
Ce constat est partagé par Ibrahima Baba Kaké
dans son oeuvre le héros et le tyran. Selon ce dernier, aux
premières heures de l'indépendance en Guinée, tous les
Hommes politiques Guinéens jouaient le jeu de l'unité. Ainsi,
dans le but de conserver l'Independence nouvellement acquise, de renforcer le
tissu social et par peur à quelque égards (ceux qui ne voulaient
pas observer la logique du régime du P.D.G étaient exposer
à la perte de leurs postes ou de leurs têtes), le peuple trouva en
Sékou et en son parti l'homme et le parti nécessaires pour
conduire les aspirations les plus légitimes du peuple. Dès lors,
le PDG ne pouvait être qu'unique en Guinée. L'unicité du
régime du PDG était une nécessité politique du
moment. Nous venons de sortir du contexte de la colonisation dont la
stratégie essentielle était de diviser pour dominer.
Donc, la réalisation de l'unité nationale
était un préalable au service du jeune Etat africain. Par
conséquent, la fragmentation politique constituerait un frein pour la
réalisation de cet objectif. Par ailleurs, il est utile de remarquer
qu'au sein du P.D.G, la gestion des affaires ou la prise des décisions
revêtaient parfois une certaine caractéristique
démocratique. En effet, lorsqu'il était question de prendre une
décision importante, le pouvoir révolutionnaire central
consultait systématiquement tous les autres maillons de l'organisation,
notamment le pouvoir révolutionnaire régional, le pouvoir
révolutionnaire d'arrondissement et le pouvoir révolutionnaire
local, pouvoir qui, en raison de bonne organisation sur la base de l'Etat
central, a finalement le premier et le dernier mot. Cette consultation faisait
l'objet d'un véritable débat contradictoire.
Sur ce, contrairement à ceux qui pensent que le
gouvernement de PDG était marqué dans son ensemble par le
despotisme, la dictature, l'absolutisme, nous objections que bien que le
régime du PDG soit un régime à parti unique, à
l'intérieur de ce parti, existait une pluralité d'options,
d'idéologies, de convictions et la prise des décisions se faisait
des fois de façons
39
collégiale. Selon l'avis convergent de la plupart des
personnes que nous avons rencontré, la gouvernance du PDG était
bien un régime à parti unique, mais le peuple, de la base au
sommet, était toujours appelé à donner son avis par
rapport à la prise des décisions. S'était une
véritable démocratie populaire.
Sur ce, il est possible de lire que la gouvernance du PDG
était régime à parti unique par sa forme, mais à
l'intérieur du quel existait une pluralité politique,
idéologique qui s'articulait conforment aux principales de la
démocratie pluraliste qui est l'acceptation de la différence dans
l'unité.
Néanmoins, le régime de PDG a réussi
à éteindre complètement l'effervescence partisane et la
contestation politique entre 1958 et 1984. En effet, le régime du PDG
était un régime de parti unique à direction centralisateur
avec une direction populaire fondée sur les principes du centralisme
démocratique. Dans ce cas, on note une primauté du parti sur
l'Etat. En ce qui concerne les régimes militaires, il est utile de noter
avant tout, qu'entre 1960 et 1990, les militaires ont réussi à
supplanter les gouvernements civils presque dans la moitié des Etats
africains25.
L'Afrique de l'ouest s'est montré la région la
plus attrayante aux phénomènes des coups d'Etat. Cela s'explique
par une double situation de crises qui prévalaient dans les Etats qui
l'ont expérimenté entre 1960 et 1990. Il s'agit notamment d'une
situation de décrépitude économique (qui est l'effet du
bannissement de l'initiative privée et de la nationalisation de toutes
les entreprises sous les régimes de partis unique) et d'une situation de
violation des droits de l'homme.
Alors, pour remédier à ces situations de
violation des droits de l'homme et de crises économiques, certains
militaires ou civils ont préféré renverser le pouvoir en
place qui est considéré comme la cause du mal collectif. C'est
pourquoi, la plupart des coups d'Etats comme celui du CMRN en 1984 et du CNDD
en 2008 en Guinée furent félicité par le peuple. Dans le
cadre spécifique de la Guinée, la junte militaire une fois au
pouvoir en 1984, interdit le PDG et la plupart de ses structures. Il s'agit
notamment de l'interdiction du CUM (comité d'union militaire) et la
dissolution de la milice populaire ; elle intègre la majorité des
membres de cette milice dans l'armée et la police. Elle procéda
également à l'amélioration
25 Souaré Issaka et Paul-Simon Handy, «
Bons coups, mauvais coups ? Les errements d'une transition qui peut encore
réussir en Guinée », Pretoria, Institut d'études de
sécurité, 2009, Papier no. 195.
40
des conditions de vie des forces armées. Ensuite, la
fin du règne du P.D.G annoncée par les nouvelles autorités
militaires, les promesses d'engager la Guinée sur la voie de
l'édification.
41
CHAPITRE III : LE MULTIPARTISME ET L'ALTERNANCE AU
POUVOIR EN
REPUBLIQUE DE GUINEE :
Section 1 : La naissance des partis politique en
Guinée
En dépit de la controverse entre les auteurs sur le
lieu précis et la date précise de la naissance du
phénomène partisan, il faut noter que ce soit en Afrique ou
ailleurs, la naissance et le développement du phénomène
partisan est lié à la naissance de la démocratie et
à l'introduction du suffrage universel au XIXe
siècle26. Plusieurs études corroborent cette
idée. Par exemple, Ostrogorski, dans son oeuvre, ? Démocratie et
organisation des partis politiques?, argue que l'émergence des partis
politiques en Angleterre et Etats-Unis s'explique par le développement
de la démocratie et l'apparition du suffrage.
Quant à Maurice Duverger, il situe l'origine du
phénomène partisan en occident à partir de la seconde
moitié du XIXe siècle. Pour cet auteur, les partis politiques, au
sens moderne du terme, sont apparu en Amérique en 1850. Il argue aussi
qu'avant cette date, tout ce qui a existé dans les autres
sociétés n'était que des clubs politiques, des
associations de pensée, des groupes parlementaires. Dans la même
logique que ses prédécesseurs, il soutient que l'essor des partis
politiques modernes est lié au développement de la
démocratie et à l'existence du suffrage universel.
Dans le cadre de l'Afrique noire, il est utile de noter que
c'est avec la démocratisation partielle des régimes coloniaux que
le phénomène partisan s'est rependu partout en Afrique au sud du
Sahara. Il est également utile de souligner qu'entre 1945 et 1968, plus
de 148 partis politiques sont établis sur le continent africain.
L'existence des partis politiques était nécessaire à
partir du moment où les peuples se voyaient attribuer le droit de vote.
Sur ce, on peut situer l'origine du phénomène partisan en Afrique
au lendemain de la seconde guerre mondiale. A partir de ces remarques, on peut
déduire que le phénomène partisan en Guinée tout
comme ailleurs en Afrique est lié à l'introduction du suffrage
universel et au développement de la démocratie.
Cependant, si nous disons avec certitude que la
création des partis politiques en Afriques est le résultat de ce
que nous appelons démocratisation partielle des régimes
coloniaux, suivre ce
26 Elleinstein, « Réflexions sur le
marxisme, la démocratie et l'alternance », Revue Pouvoirs, Paris,
Alman Colin, 1977, pp.73, 74 et 84.
42
schéma évolutif, peut cacher certaines
réalités importantes de l'histoire du phénomène
partisan en Afrique27. Il s'agit notamment de leurs origines.
Ainsi, une étude très détaillée de
l'histoire coloniale de l'Afrique occidentale réalisée par Albert
Adu Boahen, certifie de l'existence dès après la première
guerre mondiale d'un nombre important d'associations, de clubs, de
sociétés ethniques, littéraires, d'assistance sociale, de
jeunesse. `'L'entre-deux-guerres vit se constituer, dans beaucoup de pays
d'Afrique occidentale, en nombre toujours croissant, une foule d'associations,
de clubs, de sociétés (ethniques, d'assistance sociale,
littéraires, d'anciens élèves, bénévoles et
de jeunesse)».
Cependant, il atteste que durant la période allant de
1919 à 1935, il y a eu un manque relatif d'activités politiques,
nationalistes et syndicales dans les colonies de l'Afrique occidentale
française (AOF) par rapport aux colonies Britanniques. Selon lui, cet
état de fait dans les colonies françaises, dépendait d'une
part, de `'l'attitude plus restrictive de la France à l'égard
des activités et organisations politiques africaines, et (d'autre part),
à l'absence en Afrique occidentale française d'une presse
vigoureuse comparable à celle de la Sierra Léone, de la Gold
Coast et Nigeria».
Dans le cadre des colonies de l'Afrique occidentale
française, il montre que l'essentiel des activités politiques,
nationaliste ou syndicales s'est déroulé à paris entre
1924-1936 ; Elles furent marquées par la fondation de la ligue
universelle pour la défense de la race noire en 1924 à Paris, en
suite, la création du comité de la défense de la race
nègre qui sera plus tard rebaptisé ligue de la défense de
la race nègre. En plus de ces organisations, il faut signaler aussi que
la ligue des droits de l'Homme (organisation humanitaire française)
avait des sections dans beaucoup de colonies françaises. Et, ces
sections servaient par manque d'activités politiques, des instruments de
contestation de l'administration coloniale. Mais, pour le cas de la colonie de
la Guinée, il est utile de noter qu'il n'a existé presqu'aucun
mouvement à caractère politique ou syndical vif dans la
période de l'après première guerre
27 Boahen Adu, « La politique et le nationalisme
en Afrique occidentale, 1919-1935, », Histoire générale de
l'Afrique: vol. VII, édition abrégée, Paris,
UNESCO/Présence africaine, 1998, pp. 427-441.
43
mondiale.28 Tout semblait à l'époque
comme si les Guinéens étaient favorables au joug colonial. Selon
Ibrahima Baba Kaké, Emmanuel Mounier, après un voyage à
travers le continent noir, écrivait en 1948 : « Arrivée
en Guinée, vous cherchez le problème guinéen. Vous ne
trouvez rien... Vous vous apercevez alors pourquoi la Guinée est si
reposante au terme d'un long voyage dans l'outrance africaine. C'est un pays
sans obsession. Pas d'agitation sociale, pas d'agitation politique. Il existe
un grand parti guinéen. N'en entend vous pas un nom de bataille : il
s'appelle l'union franco-guinéenne. Son personnage dominant est un homme
raisonnable et pondéré, que tout le monde estime. M. Yacine
Diallo. Les élections se-sont déroulées avec une absence
monotone d'incidents. Comme disait son gouverneur, il n'y a qu'une
exubérassions en Guinée : la pluie pendant l'hivernage
».
Cette brève description de la Guinée par Mounier
au lendemain de la seconde guerre mondiale, certifie davantage l'idée de
l'inexistence d'activités partisanes après la première
guerre mondiale. Pour emprunter l'expression d'Ibrahima Baba Kaké, la
Guinée était comme : «la belle ou bois
dormant».
Cependant, bien qu'il n'y avait pas des mouvements vifs en
Guinée à cette époque, il faut signaler qu'avant la
seconde guerre mondiale et même après la guerre, il existait en
Guinée des organisations et organisations d'entraide cantonale, des
clubs politiques, des associations ethnies. Mais, ces organisations n'avaient
aucune vision politique dans leur programme. Car elles évitaient
à tout moment de rentrer en conflit avec l'administration coloniale.
L'article 14 du statut de l'amicale stipulait : «Dans toutes les
activés de l'amicale, les discussions politiques sont interdites».
La Guinée ne va se réveiller de son sommeil partisan que quelques
années après la seconde guerre mondiale.
Ainsi, en Guinée, on assiste d'abord à la
création des organisations à caractère régional
comme l'union de la basse côte, l'union de la Guinée
forestière, l'union manding, l'amicale Vieillard Gilbert ; ensuite des
mouvements syndicaux comme le syndicat des professionnels des gens et sous
agents indigènes du service de transmission de Guinée, l'union
des syndicats confédérés de Guinée ; enfin des
partis politiques comme le PDG/RDA, le BAG, l'union franco-guinéenne de
Yacine Diallo, le parti progressiste africain de Guinée. Dans un premier
temps, ces partis étaient considérés comme l'extension des
partis métropolitains. Nous avons
28 Ibrahima Baba Kaké, « Partis
politiques et processus de transition démocratique en Afrique noire :
Recherches sur les enjeux juridiques et sociologiques du multipartisme dans
quelques pays de 1 'espace francophone », Paris, Editions Publibook, 2006,
p.773-774
44
par exemple l'affiliation du PDG/ RDA au parti communiste
français, de l'union franco-guinéen au parti socialiste
français. Ensuite, ils rompirent avec ces derniers en recourant à
leurs autonomies.
Section 2 : Rupture et réintroduction du
multipartisme en Guinée
A la veille des indépendances, la guinée
était un pays multipartite29. En effet, avec les
réformes politiques introduites dans les colonies au lendemain de la
deuxième guerre mondiale, on assista à une activité
partisane en Guinée comme ailleurs en Afrique occidentale
française. En Guinée à la faveur de ces réformes,
on assista premièrement à la création des organisations
régionalistes, ethniques, ensuite des organisations syndicales puis des
partis politiques.
Au niveau politique, plusieurs partis politiques furent
créés. Nous avons par exemple l'union franco-guinéenne de
Yacine Diallo, le parti progressiste africain de Guinée, l'union
démocratique africaine de Lamine Kaba, le parti socialiste de
Guinée, le parti démocratique guinéen. Mais, à
cause des considérations ethniques, régionalistes dominantes, ces
partis ont été marqués par une grande division entre eux.
Lors des élections législatives et territoriales, chaque ethnie
s'épuisait dans la constitution de listes de candidature sur la base
communautaires, régionales.
Chaque association ethnique désirait choisir un
représentant à elle. Ainsi, l'absence d'une plate-forme politique
cohérente, le repliement des responsables politiques sur leurs
communautés, l'absence d'organisations politique unique capable de
mobiliser les masses constituaient l'une des causes de leur échec
partiel. Mais, jusqu'à la veille de la chute du mur de Berlin en 1989,
la Guinée n'était pas à proprement dit un pays pluraliste.
La scène politiques guinéenne est restée dominée de
1958 à 1984 par un seul parti, en l'occurrence le parti
démocratique Guinée (PDG). Après la mort de son
président, le pays fut conduit par une junte militaire, le comité
militaire de redressement national qui en était le seul maitre.
En effet, dans son oeuvre intitulé
«L'avènement du parti unique en Afrique noire'', le
professeur Ahmed Mahiou certifie qu'en 1958, il y avait une soixantaine de
partis politiques dans les 15 pays de l'Afrique subsaharienne. Mais, il note
aussi que dès 1946, ce nombre
29 Bangroura Dominique, « De quel État et
de quel régime politique parlons-nous ? », décembre 2003,
Paris, L'Harmattan, 2004, pp. 29-38.
45
avait baissé à 20 parmi les premiers pays
africains à adopter le système de parti unique, figue la
Guinée, la Centre-Afrique. Alors, à la lumière de ce qui
est dit ci-haut, il faut se poser la question de savoir comment des pays comme
la Guinée où régnait le multipartisme à la veille
indépendances, ont-ils débouché sur des régimes de
partis uniques ?
En effet, cette situation est l'aboutissement d'un processus
historique et politique dans les Etats qui l'ont expérimenté. En
Afrique, ce processus a commencé sous le signe du multipartisme,
remplacé par le bipartisme (dans certains pays) et le parti
unifié (dans d'autres). Effectivement, la situation sociopolitique qui
prévalait dans certains pays africains au lendemain des
indépendances, justifiait des comportement ou actes allant dans le sens
de l'établissement de l'union nationale. Personne n'était
censé ou jugeait sage d'aller contre l'indépendance acquise,
contre l'unité nationale.
Par ailleurs, il est utile de souligner aussi qu'au fond,
l'avènement des régimes de partis uniques en Afrique et
particulièrement en République de Guinée découlait
d'un souci de conversation du pouvoir des nouveaux responsables. En effet, ne
voulant pas céder le pouvoir, ces derniers ont opté pour une
stratégie d'exclusion de tout concurrent afin de demeurer le seul maitre
du jeu politique. Ainsi, on a procédé dans un premier temps
à l'établissement des partis dits' 'unifiés½ (lorsque
l'ensemble des partis politiques ont accepté de s'associer autours d'un
programme commun dans un même gouvernement). Plus tard, le parti unique
s'est imposé lorsque les partis membres de la coalition ont perdu leurs
identités. De même, Lancinet Sylla remarque que
l'établissement des systèmes de parti unique en Afrique noire
s'est opéré trois méthodes : des procédés
juridiques ou institutionnels, politiques et autoritaires.
Si les procédés politiques ont suivi le
schéma que nous avons décrit ci-haut, les procédés
juridiques et institutionnels ont consisté en un renforcement du parti
gouvernemental face aux paris minoritaires et les acteurs politiques. Mais, il
faut noter que la réussite de ce procédé dépendait
beaucoup du charisme du leader au pouvoir. Par exemple contrairement à
beaucoup d'auteurs qui prétendent que l'unicité et la
longévité du régime du PDG de Sékou Touré
s'explique par l'oppression et le culte de personnalité de ce dernier,
nous certifions ici, sur la base de témoignages nombreux et concordant,
que c'est la réussite du leader du PDG à bien communiquer son
idéologie à ses militants et la volonté
délibérée des responsables des autres
46
partis politiques à oeuvrer avec le PDG à la
veille du référendum de 1958 qui explique son influence sans
conteste jusqu'en 1984.30
Le contexte de la guerre froide représenté aussi
facteur important dans l'explication de l'avènement et la
longévité du règne de la plupart des régimes de
partis uniques. Par exemple, Issiaka, atteste que le régime du PDCI-RDA
de Félix Houphouët-Boigny a pu résister aux multiples
vicissitudes du temps grâce au soutien permanent de la France au nom de
la solidarité idéologique et des considérations
géostratégiques et économiques.
Par ailleurs, avec la disparition naturelle du
président de la république, Sékou Touré le 26 mars
1984, se posa la question de sa succession constitutionnelle. En effet, selon
l'article 51 de la constitution de 1982, `'En cas de vacance de la
présidence pour quelque cause que ce soit, le gouvernement
révolutionnaire reste en fonction pour expédier les affaires
courantes jusqu'à l'élection d'un nouveau chef d'Etat dans un
délai de 45 jours, au cours desquels les élections
présidentielles sont organisées».
Mais, cette disposition présente des insuffisances
liées à son interprétation. Elle ne désigne pas
explicitement de successeur constitutionnel du président de la
république. A partir de ce moment, se manifeste plusieurs protagonistes
pour assurer l'intérim du président. Néanmoins, le premier
ministre assura l'intérim 26 mars au 3 avril 1984.
Conscient de la faiblesse juridico-institutionnelle
caractérisée par un texte constitutionnel flou et un parti d'Etat
dont l'organisation et le fonctionnement dépendait du ressort de son
chef, il était certain que la guerre de succession sera
déclenchée. Ainsi, un groupe de militaires à sa tête
certain Lansana Conté, profite pour prendre le pouvoir à la suite
d'un coups-d `Etat sans effusion de sang. Ce coups-d `Etat mettait fin à
26 ans de règne du PDG et marquait le début d'un régime
militaire.
L'ouverture politique ou la réintroduction du
multipartisme n'est intervenue en Guinée qu'au début des
années 1990. En effet, c'est suite à la contestation de
l'opposition rentrée de l'exile contre l'article 95 de la loi
fondamentale du 23 décembre 1990 qui limitait le nombre de partis
politiques susceptibles d'être constitués à deux, qu'est
intervenu en 1991, une loi organique, la loi organique L/9/003/CTRN du 23
décembre 1991 instaurant le multipartisme intégral ou sans limite
de nombre en Guinée. Dès lors, la scène politique
guinéenne s'enrichit aussi de
30 Sylla Lancine, « Tribalisme et parti unique en
Afrique noire », Abidjan, Presse de la fondation nationale de science
politique, 1977.
47
plusieurs partis politiques. En 1992 déjà on
compte presqu'une quarantaine de partis politiques légalisés.
Aujourd'hui, nombre s'élève à plus de deux-cent paris
politiques. Sur ce, quel est l'impact des partis politiques guinéens
dans le processus démocratique amorcé depuis 1990 par Lansana
Conté ?
Section 3 : Les partis politiques dans le processus
démocratique en Guinée
Pour mieux apprécier le dynamisme des partis politiques
guinéens dans le processus démocratique de 1990 à 2020, il
est utile de procéder avant tout à une division binaire de la
période considérée : il s'agit notamment de la
période allant de 1990 à 2008 et de celle de 2008 à
2020.
En effet, la première période, marquée
par le règne du PUP constitue une période très critique de
l'activité partisane en Guinée. Certes, l'ouverture politiques
amorcée en 1985 représente une avancée démocratique
incontestable par rapport au monopole de fait qui eut cours entre 1958 et 1984.
Mais, cette ouverture était très contestée à cause
de son caractère autoritaire et arbitraire. Elle était ressentie
comme une démocratie `'voilée», c'est-à-dire qui ne
respectait pas dans la pratique les principes théoriques d'une
démocratique pluraliste. En effet, elle n'admettait pas les
échanges. Par exemple, lors de la convention de son parti, le 13
décembre 2003, le président Lansana Conté déclarait
à propos des partis politiques d'opposition qu'ils étaient des
étrangers qui n'avaient pour autres vocations en Guinée que la
conquête du pouvoir. Alors, il remarqua qu'il s'engagera à leur
empêcher d'atteindre cet objectif et de s'installer.
D'ailleurs, dans son discours, il considérait les
partis politiques d'opposition comme des ennemis et non des adversaires. Durant
cette période, malgré la pléthore des partis politiques,
la scène politique est restée dominer par le PUP : dans la
période considérée, ce parti fut le seul à
remporter toutes les élections législatives et
présidentielles du pays. Ce monopole du PUP s'exerçait avec
l'appui de l'armée dont était issu le président et la
complicité de certains leaders politiques. Aussi, le militantisme dans
le PUP était la règle d'or du clientélisme et de la
promotion administrative.
48
Dans ce cadre, l'opposition politique était sujette
à des brimades militaires et policières, à des menaces
d'intimidation politicienne, à des arrestations arbitraires, à
des tortures... Bref, le pouvoir de PUP fut un régime
autoritaire31. Pourtant, ce régime proclamait, surtout
à l'étranger, qu'il adhérait aux principes de la
démocratie pluraliste. Il s'agissait en vérité d'une
démocratie de propagande qui, par sa forme, présentait l'image
d'un système multipartite dont le contenu était vide.
Néanmoins, le PUP ne réussit pas à
éteindre complètement la dynamique partisane et contestation
politique. Plusieurs partis politiques furent créés, soit une
moyenne à peu près de 47 partis entre 1993 et 2008. Certains de
ces partis ont d'une manière relative dominée la scène
politique. Il s'agit notamment du Rassemblement du Peuple de Guinée
(RPG), de l'Union pour le Progrès de la Guinée (UPG), de l'Union
pour la Nouvelle République/Union des Forces Démocratiques de
Guinée (UNR/UFDG), de l'Union des Forces Républicaines (UFR), le
Parti du Renouveau et du Progrès/Union pour le Progrès et le
Renouveau.
Ici, il est utile de noter que chacun de l'UNR/UFDG et PRP/UPR
ont été créé respectivement comme UNR et PRP en
1992. Ils ont chacun en ce qui le concerne, participé aux
élections présidentielles de 1993 et législatives de 1995
sous ces noms. Mais, à la veille de l'élection
présidentielle de 1998, ils ont fusionné en UPR et ont
présenté un candidat unique à cette élection, le
président de l'UNR, Amadou Bhoye Bah. Aussi, aux élections
législatives de 2002, ils ont présenté une liste commune.
Mais, après cette élection, la coalition éclata quand Ba
Amadou a quitté la coalition pour adhérer à l'UFDG. De ce
fait, l'ancien PRP conserva la dénomination commune de l'UPR. Il est
également utile de noter que c'est en raison de sa popularité et
de son implantation sur le territoire national à partir de l'an 2000 que
nous considérons l'UFR parmi les principaux partis politiques.
Par ailleurs, suite à la mort du président de la
République, le Général Lansana Conté en 2008, un
groupe de militaire à sa tâte le capitaine Moussa Dadis Camara
profite de la situation et prend le pouvoir par le biais d'un coup d'Etat.
L'arrivée de cette junte au pouvoir suscita un grand espoir au sein de
la classe politique guinéenne. Au lendemain de son coup d'Etat, le
président de la junte, Moussa Dadis Camara affiche sa volonté
d'assurer la transition politique et de céder le pouvoir aux civils par
le biais d'une élection démocratique libre, transparente et
crédible.
31 Chambers, Paul, « Guinée : le prix
d'une stabilité à court terme, » Politique africaine, 2004,
pp. 128-148.
49
Mais hélas, le président de la junte, à
travers une sortie médiatique, annonce de façon implicite et
contre toute attente des leaders de l'opposition et de la communauté
internationale sa volonté d'ôter la tenue et de se
présenter à la prochaine élection présidentielle.
Alors, l'opposition politique, surtout la plus radicale dans son opposition
était exposée à des menaces d'intimidations, à des
injures. En septembre 2009, une manifestation de l'opposition est violemment
réprimée par les militaires qui a fait au moins 156 personnes
disparues ou tuées, leurs cadavres enterrés dans des fosses
communes. Environ 109 filles et femmes victimes de violences sexuelles et
tortures32. Mais rien de cela n'a permis de fléchir le
dynamisme de l'opposition. On assiste au contraire à une
prolifération du nombre de partis politiques sur la scène
marquée par un dynamisme effréné.
Cependant, en dépit de cette pléthore des partis
politique, seulement cinq partis politiques ont réellement du
dominé la scène politique guinéenne dans l'intervalle de
2008 à 2015. Il s'agit notamment du RPG, de l'UFDG, de l'UFR, du PEDN,
du BL et de l'UPG. Il est utile de noter que le bloc libéral est
considéré parmi les principaux partis politiques en raison de son
succès électoral lors des élections présidentielles
de 2015.
De même que certains pays africains, la distinction
partis de masses et partis de cadres est obsolète pour analyser le
paysage politique guinéen. Car, il est difficile compte tenu de la
complexité des organisations partisanes guinéennes
d'établir une bonne idéologique entre elles. Dans ce contexte, il
est possible de dire qu'il n'y a ni de partis de masse ni de partis cadre en
Guinée. Néanmoins, lorsqu'on part de l'examen des statuts des
différents partis politiques, les divergences idéologiques
apparaissent à certains égards. Mais, elles disparaissent dans la
pratique et l'expérience de la discussion publique. Ce qui
caractérise les partis politiques guinéens de l'opposition dans
le processus démocratique de 1990 à 2015, c'est leur
efficacité clientéliste, leur performance électorale, leur
incapacité de s'unir contre le parti majoritaire. Il leur manque
également de stratégies claires pour atteindre leurs objectifs de
conquête. En effet, les partis politiques guinéens, à
l'instar de ceux du Sénégal, se démarquant d'une part par
le durcissement de leurs oppositions ou l'acceptation de la solidarité
gouvernementale. D'autre part, ils ont pour traits essentiels de regrouper un
grand nombre de partisans sur la base des relations ethniques, communautaires
ou régionales (les facteurs ethnique, communautaire et régional
sont essentiels et déterminants en Guinée).
32 Commission d'enquête du Haut-Commissariat des
Nations Unies au Droit de L'Homme (HCDH), article, 2009.
50
Par ailleurs, la cohabitation gouvernementale guinéenne
est l'expression la plus déformés de la démocratie
multipartite33. En effet, malgré son association
gouvernement, l'opposition n'intervient pas du tout dans le processus de prise
des décisions. Cela implique qu'il y a certainement une connivence qui
est nécessairement une convention imparfaite et non une conciliation de
compromis. En Guinée, les partis politiques qui participent au
gouvernement au lieu d'être les partenaires de la discussion
démocratique, se réduisent à des témoins passifs,
à des faire-valoir d'une démocratie pluraliste.
Ainsi, la Guinée malgré son adhésion
à la démocratie pluraliste dans les 1990, est toujours
confrontée à la culture du parti unique. En effet, malgré
la pléthore des partis politiques, le champ politique guinéen,
est marqué par un manque de mobilité, d'alternance
démocratique. Cela sous-entend semble - il un manque de dynamisme ou
d'efficacité des partis politiques guinéens dans le processus
démocratique. La plupart des partis politiques guinéens n'existe
que de non comme des têtes d'affiche de l'opposition. Cela explique
nécessairement un dysfonctionnement des institutions politiques et ses
fâcheuses conséquences dont le risque de pérennisation du
parti au pouvoir et l'inadéquation des partis politiques par rapport,
à l'histoire de la nation et au besoin de la population. En
Guinée, faire de la politique, c'est chercher une place.
L'idéologie des partis, leurs orientations politiques est absentes dans
tout débat. Ils ne sont là que pour amuser la galerie, remplir
une coquille vide. La plupart des partis politiques guinéens sont
créés non pas pour marquer la diversité idéologique
ou pour défendre les projets alternatifs de société, mais
pour satisfaire des intérêts égoïstes, ethniques,
communautaristes ou régionalistes de leurs responsables.
Section 4 : Les facteurs du manque d'alternance
politique en Guinée
4-1- Fraudes électorales comme stratégie
de conservation du pouvoir : Il convient, d'emblée, de
définir ce qui constitue, objectivement, une « fraude
électorale ». Cette définition permettra, ensuite,
d'analyser certaines des pratiques considérées comme telle. Ceci
à travers des approches normative ou juridique, sociologique et
stratégique. Cette démarche est d'autant plus nécessaire
que la plupart des rapports ou déclarations faisant état de
fraude électorale de la part des partis au pouvoir proviennent souvent
des partis de l'opposition « victimes » et observateurs
électoraux qui ne font pas, adéquatement, une différence
entre ce qui constitue
33 Lehoucq Fabrice, « Electoral Fraud :
Causes, Types, and Consequences, » Annual Review of political Science,
2003, pp. 233-256.
51
une fraude électorale et ce qui relève de la
stratégie politique, « machiavélienne » que
soit-elle34.
Fabrice Lehoucq définit la fraude électorale
comme des « efforts clandestins déployés en violation des
règles établies dans le but d'influencer le résultat des
scrutins électoraux. » Il est vrai que des actes de truquage
peuvent apparaître comme flagrants et être facilement
détectés. Mais il n'est pas moins vrai que les truqueurs essaient
toujours de cacher leurs actes, et nient même, en cas de
découverte, d'avoir commis les faits qui leur sont reprochés.
Ainsi, la clandestinité ou l'intention de cacher et
l'illégalité sont deux conditions importantes pour
établir, de façon objective, le caractère «
frauduleux » d'un acte en jeu compétitif.
Pour nombre d'analystes et d'observateurs de la politique
africaine, la principale stratégie qu'emploient les partis au pouvoir
afin de conserver celui-ci est la fraude électorale, soutient que les
partis au pouvoir en Afrique ont développé des techniques de
fraude électorale très sophistiquées et subtiles, rendant
difficile la détection de certaines pratiques aussi bien par le
chercheur que par les observateurs électoraux. Selon une
déclaration de Pascal Lissouba, l'ancien président congolais,
« les régimes africains au pouvoir n'organisent pas les
élections pour les perdre ». Kokoroko part de cette
déclaration, qu'il utilise pour introduire son article qui porte sur les
élections dans ce qu'il appelle l'Afrique noire francophone. Ainsi, il
soutient que, dans la pratique, l'élection libre et honnête semble
démentie dans la plupart de ces pays, ce qui justifierait, selon lui,
qu'on se pose la question de savoir si les élections qui se
déroulent dans ces pays sont des moyens crédibles de promotion
des alternances démocratique et politique.
Ceci rejoint les arguments avancés pour justifier le
désintérêt, pour très longtemps, de la recherche
africaniste occidentale en science politique aux scrutins africains. Car ces
scrutins n'étaient pas jugés libres et transparents dans la
plupart des cas. La recherche africaniste n'avait donc pas jugé opportun
d'élaborer une problématique générale visant
à expliquer leur sens, leur déroulement ou leur rôle dans
le processus de démocratisation, contrairement à
l'intérêt porté aux échéances
électorales ayant lieu dans les démocraties occidentales stables,
voire dans les pays sud-américains35. Élargissant son
analyse à l'ensemble de l'Afrique, note que la plupart des processus
électoraux qu'a connus le continent depuis les années 1990 ont
34 Ninsin Kwame, « Introduction: The
Contradictions and Ironies of Elections in Africa, » Africa Development,
2006, pp. 1-10.
35 Shedler, Andreas, « The Menu of Manipulation,
» Journal of Democracy, juin 2002, pp. 36-50.
52
été entachés d'énormes
irrégularités, « lesquelles non seulement se
généralisent, mais aussi se diversifient à toutes les
étapes du processus électoral ».
Ces étapes du processus électoral seraient au
nombre de quatre, selon Daniel Calingaert. Il s'agit des phases de recensement
des électeurs, de la campagne électorale, des procédures
du jour de scrutin et, enfin, de la comptabilisation et la proclamation des
résultats (Calingaert, 2006). C'est l'ensemble de ces techniques
qu'Andreas Schedler (2002) dénomme « menu de la
manipulation».
Tous les spécialistes reconnaissent que la plupart des
régimes au pouvoir en Afrique font ou tentent souvent de faire recours
à une ou plusieurs de ces techniques de truquage électoral. Dans
le cadre des pays d'étude, les partis d'opposition guinéens et
plusieurs observateurs de la politique guinéenne ont
dénoncé ce qu'ils estiment être des pratiques de fraude
électorale du parti au pouvoir, le Parti de l'Unité et du
Progrès.36 De même, au Bénin, les candidats du
parti la Renaissance du Bénin (PRB), Nicéphore Soglo, et du Parti
du renouveau démocratique (PRD), Adrien Houngbedji, arrivés
respectivement en 2ème et 3ème positions du
scrutin présidentiel de mars 2001, ont décidé de boycotter
le second tour en raison d'allégations de fraude à l'encontre du
régime au pouvoir. Curieusement, les partisans de Soglo, alors
président sortant, reprochent à Kérékou alors dans
l'opposition et les siens de lui avoir « volé» la victoire du
scrutin présidentiel de mars 1996.
Il convient d'analyser certains de ces actes à la
lumière de la définition et à l'aide des approches
susmentionnées. Ainsi, des actes comme la manigance des listes
électorales afin d'en exclure certains électeurs
éligibles, l'interdiction aux autres leaders politiques d'accéder
à certaines parties du territoire national aux fins de campagne
électorale en temps régulier, et le bourrage des urnes
constituent des actes de fraude électorale s'ils ont été
commis délibérément afin d'influencer les
résultats. Ces actes sont interdits dans les codes électoraux de
presque tous les États, et dans notre pays d'étude37.
Quant aux actes comme 1' « achat de votes » aussi appelé
« corruption morale », « don électoral » ou «
marchandisation du vote » et la cooptation des éléments de
l'opposition par le parti au pouvoir, ceux-ci sont des actes qui doivent faire
l'objet de plusieurs lectures. Étant donné que chacun de ces
actes prennent des formes multiples, l'analyse doit porter sur les
différentes manifestations de l'acte et les traiter
36 Banégas Richard, « Mobilisations
sociales et oppositions sous Kérékou, » Politique Africaine,
octobre 1995, pp. 25-44
37 Bebel Bernd et Alexandra Scacco, « What the
Numbers Say: A Digit-Based Test for Election Fraud Using New Data from Nigeria
», Communication présentée à la conférence
annuelle de American Political Science Association, Boston, août 2008.
53
au cas par cas. Il y en a qui sont prohibés par les
règles électorales ou constitutionnelles en vigueur, et ceux-ci
sont illégaux et relèvent donc de la fraude électorale.
Par exemple, dans une requête qu'il a
déposée à la Cour constitutionnelle le 8 mars 2001,
Mathieu Kérékou, le candidat sortant à l'élection
présidentielle de mars 2001 au Bénin, a demandé à
la Cour d'annuler les votes au niveau de certains bureaux de vote. Il
justifiait sa requête par des irrégularités
électorales que ses agents auraient constatées au niveau de ces
bureaux de vote lors du premier tour du scrutin, le 4 mars. Les
irrégularités évoquées comprenaient, par exemple,
le fait que des « militants du parti d'opposition la Renaissance du
Bénin distribuait du riz au gras aux électeurs » le jour du
scrutin. Dans sa décision à propos de cette requête, la
Cour a reconnu l'irrégularité de ces actes et noté qu'ils
avaient été déjà pris en compte, examinés et
sanctionnés avec l'annulation des voix au niveau des bureaux de vote
où les irrégularités ont été
établies38.
S'agissant de l'achat de votes ou don électoral, s'il
n'est pas proscrit par les règles en vigueur, il n'est pas
évident qu'il constitue un fait de fraude électorale. Vu sous un
prisme normatif, cependant, éthique enseignerait l'évitement d'un
tel acte. Sauf que l'analyse sociologique dédramatise les conclusions de
ce regard normatif. En effet, l'on assiste, depuis quelques années,
à une monétarisation extrême des relations sociales dans la
plupart des sociétés africaines, y compris dans les mariages, les
rapports conjugaux des femmes refusant de se marier qu'au plus offrant, les
amitiés et même les relations entre parents. Or la conduite des
politiques est influencée, dans une grande mesure, par les matrices
morales de la société qu'ils représentent. Ainsi,
s'inscrivant parfaitement dans la logique de la « politique du ventre
», la plupart des électeurs africains considèrent la
promesse ou l'offre d'argent et autres faveurs en période
électorale comme une vertu éthique et civique, et n'y voient rien
d'anormal. Il est même possible d'arguer que certains les
considèrent comme une obligation que leur doivent les politiques. Dans
les canevas de questionnaire de nos enquêtes de terrain figurait les
questions suivantes : « Qu'est-ce qui vous a convaincu
d'adhérer à ce parti ? » et « Qu'est-ce qui
vous a convaincu de soutenir une personnalité indépendante comme
Boni (pour les militants de Yayi Boni au Bénin) ? » La
question conséquente que nous posions souvent était : «
pourquoi pas supporter tel ou tel autre candidat ? » Les
réponses de certains informateurs étaient
révélatrices à cet égard. En Guinée, le
premier élément évoqué par la plupart des militants
et sympathisants du parti au pouvoir était de dire que « Lansana
Conté est un homme de paix qui a préservé la
stabilité en Guinée malgré les crises politiques qui
prévalaient dans
38 Déposition de la Cour constitutionnelle
beninoise, 2001.
54
les pays voisins. » Mais le deuxième
élément de réponse de bon nombre d'entre eux, et le
premier même pour certains, était de dire que Conté
lui-même ou un membre influent de son parti « est très
bienfaisant et généreux ». Trois personnes à Conakry
ont dit qu'ils n'étaient que sympathisants avec le PUP mais qu'elles
sont dorénavant très engagées parce que le
Président Conté a fait partir leurs parents à la Mecque
pour le pèlerinage musulman.
Au Bénin, quatre militants du PRD ont reconnu qu'ils
soutiennent le programme politique du leader de leur parti, mais qu'ils
déplorent le fait qu'il ne se montre pas suffisamment
généreux. À propos des difficultés non politiques
auxquelles ils font face, presque tous les leaders de l'opposition au
Bénin, en Guinée et au Ghana (notamment les petits partis) ont
mis l'accent sur la question de financement. Demandés pourquoi ils ne
mobilisaient pas suffisamment de fonds à partir des cotisations de leurs
militants, la réponse d'environ les deux tiers des Guinéens et
des Béninois et la moitié des Ghanéens était de
dire que « les militants ne sont pas bien engagés, ils sont
pauvres et beaucoup s'attendent d'ailleurs à ce que le parti leur fasse
des faveurs pour leur engagement ».
Pour Richard Banégas, parlant du cas béninois,
notamment lors des élections législatives de 1995, «la
période électorale est en effet perçue par la
majorité des citoyens comme le moment où l'on peut reprendre aux
hommes politiques l'argent qu'ils ont accumulé depuis leur accession au
pouvoir ou, plus généralement, depuis l'indépendance.
» De ce fait, soutient-il : Dans certains cas, les paysans d'un quartier
se sont organisés pour maximiser le profit tiré de la campagne
électorale ... Mais, contrairement à ce que laisse accroire une
image répandue, les citoyens ordinaires sont loin de se conformer
passivement au vote obligé que leur proposent les donateurs de ces
cadeaux ; ils monnayent âprement leur voix et veillent, chacun à
leur niveau, à maximiser l'échange électoral39.
Loin de consacrer la mise sous tutelle des électeurs, souvent
évoquée dans les analyses du clientélisme, la relation
client taire, instrumentalisée par les groupes populaires,
apparaît à ce titre comme un des vecteurs majeurs d'initiation aux
règles nouvelles du pluralisme40. Et loin d'être
l'oeuvre des seuls partis au pouvoir, il faut reconnaître que les acteurs
des partis d'opposition, qu'ils soient candidats à la présidence
ou à la députation, s'adonnent également à cette
pratique.
39 Mahiou Ahmed, « L'avènement du parti
unique en Afrique noire, l'expérience des États d'expression
française », Paris, LGDJ, 1969.
40 Banégas Michel, « Mobilisations
sociales et oppositions sous Kérékou », Politique africaine,
1995, p. 78
55
Vue sous cet angle, l'offre du don électoral constitue
pour les politiques une « stratégie rationnelle » qui vise
à gagner des électeurs en étant sensibles à leurs
désirs et préférences41. D'ailleurs, comme nous
l'avons vu au premier chapitre, Weber (1971) reconnaît dans sa
définition de parti politique le fait que les partis ont aussi pour but
de procurer à leurs militants actifs « des chances idéales
ou matérielles de poursuivre des buts et objectifs, d'obtenir des
avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble
»42. Il est vrai que les partis au pouvoir, disposant de plus
de moyens, bénéficient davantage de cette donne et de cette
stratégie que les partis d'opposition.
Section 5 : L'instrumentalisation de la
société civile
Nous avons déjà souligné que les
mouvements syndicaux et les associations socioculturelles, régionales et
de jeunesse de l'entre-deux-guerres ont constitué les avant-gardistes
des premiers partis politiques en Afrique subsaharienne. De même, les
groupes communément connus aujourd'hui comme «
société civile » sont ceux qui ont assuré le relais
entre le monopartisme et le multipartisme dans la plupart des pays africains
à partir de la seconde moitié des années 1980. Ainsi, il
convient de porter le regard particulier sur ces mouvements et leur rôle
dans la libéralisation des systèmes politiques dans notre pays
d'étude, la Guinée. Pour ce faire, nous commençons par la
définition du concept de la société civile, avant de
passer en revue leur rôle de « sage-femme » ou de « fer de
lance » pour les partis politiques établis ou reconstruits au
début des années 1990.
- Définir la « société
civile » :
La « société civile » est un vieux
concept en usage déjà au XVIIIe et XIX
|
esiècles en Europe43.
|
Selon Thériault (1986), se référant
à Hobbes, le concept de société civile est apparu, dans un
premier temps, comme une tentative laïque d'expliquer la cohérence
du social. Il s'agissait, en ce moment, « d'embrasser, dans un même
mot clé, tout le moment de civilisation, tout le moment culturel, qui
s'oppose, ou actualise, ce moment asocial refoulé dans un ailleurs :
l'état de nature. » Les continuateurs de Hobbes, comme Locke,
Rousseau, Diderot et Kant, entendent par le concept « le vaste champ de la
sociabilité qui actualise, ou s'oppose à, une
réalité liée à l'individu dans l'état de
nature. » Mais la société civile décrite par ces
penseurs
41 Buijtenhuijs Robert, « Les partis
politiques africains ont-ils des projets de société ? L'exemple
du Tchad », Politique africaine, 1994, pp 119-135.
42 Offerlé Michel, « Les partis
politiques, collection que sais-je ? », éd- presse universitaire de
France, 1987, p 20
43 Otayek, René, « Vu d'Afrique :
Société civile et démocratie : de l'utilité du
regard decentré, » Revue Internationale de Politique
Comparée, 2002, pp. 193-212.
56
n'est pas encore une réalité concrète,
elle est une virtualité, « un possible inscrit dans l'état
de nature » (Thériault, 1986, p. 110).
Il se précise un peu davantage lorsque la dichotomie
état de nature/société civile est substituée
e
par celle de société
civile/société politique chez Hegel, au début du XIX
siècle. L'ordre naturel, l'individualité première, la
société civile s'oppose alors à l'État
interventionniste, quasi-féodal. Mettant l'emphase sur le
caractère essentiellement économique, la société
civile passe pour « l'ensemble des rapports sociaux hors-État, mais
définis par et à travers la sphère marchande de la
société bourgeoise »44, le philosophe allemand ne
dissocie pas totalement la société civile de l'État, car,
selon lui, «la société civile [hégélienne] se
caractérise par la primauté des intérêts
particuliers individuels ou collectifs dont le dépassement ne peut se
réaliser qu'à travers l'État ».
Quant à sa conception contemporaine, presque tous les
spécialistes le renvoient à Gramsci qui l'étudie vers la
fin du premier quart du XXème siècle dans le contexte
italien et selon ses postulats sur les concepts de l'hégémonie et
de la dominance. Pour Gramsci, la société civile, en tant que
complexe d'institutions privées (incluant les Églises, le
système éducatif et les syndicats), joue un rôle crucial
dans la reproduction de l'hégémonie sociale, car elle diffuse
l'idéologie dominante, réalisant ainsi la combinaison de
coercition et de consentement qui rend possible la domination.45
Cependant, en Afrique subsaharienne, c'est à partir des
années 1980 que la société civile a commencé
à s'impose dans le débat politique. Elle le fera davantage et
plus décisivement encore dans la décennie suivante. Pour Thiriot
(2002, p. 277), l'émergence de la société civile en
Afrique subsaharienne est due aux changements politiques que la majorité
des régimes africains ont expérimentés durant cette
période. Pour elle, les mouvements de la société civile
africains ont joué un rôle important aussi bien dans la phase de
libéralisation (avec la contrainte exercée sur les régimes
autoritaires), que dans la gestion de la phase de transition.
Mais quel est le sens ou la définition de la
société civile depuis cette redécouverte, d'autant plus
qu'elle assume des responsabilités et s'implique dans des domaines
beaucoup plus différents et épars que ses
prédécesseurs du XVIIIème au
XIXème siècle, voire même de la première
moitié du XXèmè siècle ? De plus, le
phénomène de société civile n'est plus
limité à son
44 Ayittey George, « La démocratie en
Afrique précoloniale » Afrique 2000, Revue africaine de politique
internationale, 1990, pp. 39-75
45 Thériault Joseph Yvon, « La
société civile est-elle démocratique ?», L'Harmattan
et Les Presses de l'Université de Montréal, 1992, pp. 57-79.
57
berceau européen ou occidental, pour ne pas oublier
l'Amérique de Tocqueville. En effet, le concept est dorénavant
approprié par les théoriciens libéraux des transitions
démocratiques pour identifier les groupes qui s'emploient pour la
transition du totalitarisme à la démocratie dite libérale,
très proche du capitalisme de marché.
Il est possible, cependant, de fournir une définition,
ne serait-ce qu'approximative, qui tente de saisir un bon nombre des groupes
qui s'en réclament, notamment dans le contexte africain. Il faut
d'ailleurs se référer Monga et Otayek qui s'inspire aussi de
Cohen et Arato (1992) dans cette définition. Ainsi, on peut
définir la `' société civile» comme l'ensemble des
mouvements (souvent volontaires) socioculturels et des
intellectuels » organisés et autonomes (des forces politiques)
qui s'engagent pour exprimer et canaliser les frustrations des masses contre
les gouvernants ou agissent comme intermédiaires entre les deux et
avancent des causes particulières comme la libéralisation du
système politique46. Ils comprennent les médias
indépendants, les avocats, les groupes de plaidoyer, les
syndicats, les mouvements estudiantins, les groupes féminins, les
organisations de défense des droits humains, et les mouvements
religieux47.
- La société civile et la
démocratisation
Tocqueville fut parmi les premiers penseurs à souligner
le lien entre la société civile et la démocratie en
attribuant la vigueur de la démocratie américaine au dynamisme
associatif de la société américaine, en plus de son
pluralisme religieux et le caractère modeste et
décentralisé de son appareil administratif. Pour lui, les
Américains n'ont pas cessé de multiplier les efforts afin de
donner à leurs citoyens les occasions d'agir ensemble, et de leur faire
sentir tous les jours qu'ils dépendent les uns des autres
»48. Il ajoute que les Américains réussissent
à travers
la multitude innombrable de petites entreprises à
exécuter tous les jours à l'aide de l'association »,
c'est en cela qu'aucun pouvoir politique ne serait capable de susciter et
d'imposer sa propre doctrine49.
Dans un article portant sur le rôle des mouvements de la
société civile et l'avènement ainsi que la consolidation
de la démocratie dans le pays du Sud, Diamond note que la plupart des
transitions de l'autoritarisme à la démocratie ont
été « négociées » entre le pouvoir et
les
46 Monga Célestin, « Société
civile démocratisation en Afrique francophone », revue
d'études africaines modernes 1995, pp. 359-379.
47 Monga, « Société civile
démocratisation en Afrique francophone », revue d'études
africaines modernes 1995, p. 364
48 Alexis de Tocqueville, « De la
démocratie en Amerique », Essai, Non-fiction, Ed. C-Gosselin, 1940.
49Tocqueville, « De la démocratie en Amerique »,
Essai, Non-fiction, Ed. C-Gosselin, 1940, p. 139.
58
forces de l'opposition. Ainsi, il juge nécessaire de
bien étudier la société civile afin de comprendre les
changements démocratiques du début des années 1990.
Cependant, Otayek postule qu'il y a une certaine romanisation ou
exagération du rôle attribué à la
société civile dans les processus de démocratisation. Pour
lui, Crest plutôt aux élites que les transit logues attribuent
plus volontiers ce rôle ou, en tout cas, qu'ils s'intéressent
prioritairement, compte tenu de l'importance qu'ils accordent au paradigme
stratégique, au détriment de la société et de cette
autre arène qu'est la culture politique.
La `'transitologie» est fondamentalement à
l'écoute des acteurs étatiques et la société civile
n'est intégrée à l'analyse que dans la mesure où sa
mobilisation crée les conditions favorables à partir desquelles
les élites réformistes, au pouvoir et dans l'opposition, sont en
mesure de négocier la transition ; elle n'émerge donc qu'une fois
que « quelque chose » s'est passée au sein même de
l'élite autoritaire au pouvoir.50
Otayek trouve un renfort dans l'argument de Baker qui
soutient, suivant des spécialistes consolidologues, que la mobilisation
de la société civile durant la phase de consolidation doit
être de basse intensité, de manière à ne pas
être perçue comme une « menace » par le système
et donc provoquer un retour en arrière. Ainsi, il conclut que « les
transit logues reconnaissent donc un rôle aux mouvements sociaux mais
ex post, lorsque tout est dit ou presque ». Certes, mais il nous
semble que l'auteur confond ici le rôle de la société
civile dans deux phases différentes du processus et, par
conséquent, passe un verdict qui n'est vrai que pour une des deux
phases, celle de la consolidation51.
Ici, notre intérêt pour la société
civile est simplement son rôle de précurseur et de relais pour les
partis politiques d'opposition dans une période où ces derniers
n'étaient pas encore légalisés. Ceci cadre d'ailleurs bien
avec l'argument d'Otayek lui-même quand il soutient que «la
société civile ne peut jouer son rôle
démocratisé que si elle se politise et
s'institutionnalise»52.
En effet, comme le montre bien Monga (1995, p. 366), les
activités et revendications initialement sectorielles et apolitiques des
mouvements de la société civile ont fini par prendre des
connotations politiques de l'opposition. C'est en ce moment que bon nombre de
ces
50 Cohen Jean et Andrew Arato, « La
société civile et la théorie politique s'entremêlent
avec la presse », Paris, L'Harmattan, 1997, pp. 62-80.
51 Diamond, 1994, p. 6 ; Bratton et Van de Walle,
1997, p. 62 ; Kasfir, 1998, p. 70
52 Van de Walle, « Voter en Afrique :
Comparaisons et différenciations » 2002, p. 2001.
59
mouvements, maintenant soupçonnés sinon mis en
garde par les régimes jusque-là tolérant envers eux, se
dissocient ou se transforment en mouvements ou partis politiques.
Par exemple, parlant de la société civile
guinéenne après l'adoption d'une constitution garantissant le
multipartisme en 1990 mais avant l'autorisation des partis politiques, Raulin
et Diarra (1993) remarquent que la société civile « est
favorable à la démocratie ; elle est même empressée.
C'est également l'une des franges qui n'attend que le feu vert pour se
lancer dans le jeu politique proprement dit » (c'est nous qui
soulignons). C'est bien ce processus de transformation de la
société civile, ou une partie d'elle, qui nous intéresse
ici et qu'il convient d'analyser dans les cas spécifiques de notre pays
d'étude, la Guinée. Quant à son rôle après le
passage au multipartisme, ceci est partiellement remarquer, notamment le
rôle des médias -qui font partie de la société
civile -dans la facilitation de l'alternance au pouvoir53.
- La société civile comme
précurseur de libéralisation en République de
Guinée.
Gardant à l'esprit la définition de la
société civile fournie ci haut, y compris les différents
groupes qui la constituent, il convient de noter que les régimes
militaires ou de parti unique qui régnaient en Guinée dans les
années 1980 s'accommodaient et étaient bienveillants envers
certains types d'associations « apolitiques », dont certains
étaient à leurs comptes.
En Guinée, Il est également vrai que les
mouvements s'appelant officiellement «société civile»
se sont constitués tardivement en Guinée par rapport aux autres
pays et bien d'autres en Afrique subsaharienne. De même, les centrales
syndicales, qui avaient pourtant donné l'élan à la
contestation -certes pacifique -contre l'administration coloniale et se sont
engagées dans la campagne pour l'indépendance du pays dans les
années 1950, n'ont joué presqu'aucun rôle avant-gardiste
pour les partis politiques de l'après-1990. En effet, avec leur
absorption ou persécution sous le régime du PDG (1958-1984),
celles-ci sont restées presque dormantes jusqu'en 2006.
Jusque-là, ni les syndicats ni aucun groupe de la société
civile ne faisaient le poids comme contre-pouvoir. C'est à travers
l'organisation d'une série de grèves générales bien
suivies en 2006 et 2007 qu'elles se sont fait entendre sur la scène
politique nationale.
Surtout en janvier et février 2007, de façon
sans précédent dans l'histoire postcoloniale de la Guinée,
les populations ont massivement répondu au mot d'ordre de grève
générale et illimitée lancé par les centrales
syndicales et les associations de la société civile. Appelant,
au
53 McGovem, Mike, « [Guinée :] Janvier
2007 - Sékou Touré est mort, » Politique africaine 107
(octobre 2007), pp. 125-145.
60
départ, pour une amélioration de leurs
conditions de vie, elles ont fini par exiger et obtenir le renvoi de tous les
membres de l'exécutif et la formation d'un gouvernement de consensus
dont aucun membre (en réponse à une autre exigence) n'avait
occupé un poste ministériel dans un gouvernement de Lansana
Conté depuis son arrivée au pouvoir en 1984. Depuis lors, les
populations guinéennes et les forces sociales semblent constituer un
véritable contrepoids que les acteurs politiques ne peuvent plus
négliger dans leurs calculs politiques.
En ce sens, il y a eu en Guinée, dans presque la
même période, les coordinations régionales » qui ont
été plus tard investies par les partis politiques54.
Déjà en juillet 1985, suivant un coup d'État manqué
contre Lansana Conté par son ancien Premier ministre, Diarra
Traoré, la réaction des autorités militaires avaient
ciblé les membres de l'ethnie de ce dernier, en l'occurrence les
Malinkés, qui est aussi le groupe ethnique de Sékou Touré,
le président défunt. Dès lors, une opposition plus ou
moins publique s'est constituée en Haute Guinée -la région
dominée par ce groupe 'ethnique -au régime de CMRN. Des
ressortissants de la région créent une coordination de
Mandé qui exige du Chef de l'État des excuses publiques pour la
persécution dont des ressortissants de la région avaient
été victimes après ladite tentative de putsch Plusieurs
autres coordinations régionales verront le jour travers le pays. Surtout
quand un Comité de soutien à l'action de Lansana Conté
(Cosa lac) est créé par des ressortissants de la Basse
Guinée avec des connotations ethnico-politiques et dans la perspective
de l'instauration du multipartisme annoncée par la junte au pouvoir en
décembre 198855.
L'émergence du Cosa lac et ses prises de position
politiques n'a que confirmé les soupçons que des opposants
politiques avaient déjà émis sur l'engagement des
militaires à quitter le pouvoir après des élections
libres, crédibles et transparentes. Ainsi, « les mouvements
politiques s'élaborent autour des coordinations régionales. Les
vieux routiers de l'opposition à l'ancien régime, devenus de
nouveaux opposants au régime en place, les exploitent à fond.
Le
-
pouvoir en place -encore auréolé de sa
période de grâce prolongéeleur a offert les
éléments essentiels de discours et de prises de position
politique ».
Il est évident de ce qui précède qu'il y
avait des mouvements politiques en Guinée vers la fin des années
1980 et avant la légalisation des partis politiques. La qualité
politique des actions menées par ces mouvements et leur lien avec les
partis politiques varie d'un pays à l'autre et d'un moment à un
autre dans le même pays. La force de ces mouvements d'opposition et
leur
54 Raulin, Arnaud et Eloi Diarra, « La
transition démocratique en Guinée, », L'Afrique en
transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, pp.
311-329.
55 Souaré, Issaka K. et Paul-Simon Handy,
Bons coups, mauvais coups ? Les errements d'une transition qui peut encore
réussir en Guinée, Pretoria, Institut d'études de
sécurité, 2009 (Papier no. 195)
61
rôle dans le choix du mode de changement. Par exemple,
les Béninois ayant réussi à imposer la tenue d'une
conférence nationale « souveraine » a eu un impact sur leur
position dans le paysage politique d'après.
Section : 6 Le poids des acteurs internationaux et
l'alternance politique
Compte tenu de la dépendance politique et
économique un peu disproportionnée de la plupart des pays
africains de l'étranger, le poids de ce dernier semble constituer un
facteur important dans l'explication de la situation politique par rapport aux
processus de libéralisation dans bon nombre de ces pays africains. Ceci
est vrai aussi bien au stade de libéralisation et de transition
qu'à la phase de consolidation, ce qui nécessite un rappel du
débat sur les origines ou «facteurs catalyseurs » des
changements politiques qui ont rythmé la vie politique de plusieurs pays
africains au début des années 199056.
Ainsi, dans son analyse des conditionnalités politiques
de la coopération allemande en Afrique entre 1990 et 1994, Gerhard
Boké semble accorder une grande importance au rôle de ces
conditionnalités dans l'avènement de la démocratie en
Afrique, des conditionnalités qui s'étaient longtemps
heurtées « aux intérêts divergents qui
prévalaient dans les rapports entre l'Ouest et l'Est tout au long de la
guerre froide ». Pour sa part, Goldsmith voit une corrélation entre
le niveau de libéralisation du système politique dans les pays
africains et le volume d'aides étrangères dont ces derniers ont
bénéficié au début des années 1990.
Mais en quoi concrètement le poids politique et
économique de l'étranger serait-il important pour l'alternance au
pouvoir dans ces pays ? Selon Moss, le rôle de l'étranger se
manifeste de deux manières principales : Par la « politique du
bâton », d'une part et, par celle « de la carotte »,
d'autre part. Dans le premier cas, il s'agit de conditionner l'offre
d'assistance aux régimes africains par la démocratisation au
stade de libéralisation. Aux stades de la transition et de la
consolidation, il s'agit d'exiger que les pays africains jouent par les
règles démocratiques déjà établies. Dans le
second cas, c'est une question de promettre une aide accrue aux pays qui
s'engagent dans la voie de la démocratie pour soutenir et encourager
leurs efforts.
Goldsmith ajoute deux autres stratégies par lesquelles
les pays donateurs ou institutions financières internationales peuvent
influencer l'attitude des régimes africains par rapport à la
démocratisation. Une de ces deux stratégies est le soutien que
certains donateurs accordent
56 Moss, Todd J., « politique américaine
et démocratisation en Afrique les limites de l'universalisme
libéral revue d'étude africaines modernes » 1995, pp.
189-209.
62
aux organisations de la société civile qui
luttent pour la démocratie et le respect des droits humains dans les 173
pays africains. Hearne attribue un rôle important à de tels
groupes dans l'avènement des réformes politiques successives
intervenues au Ghana dans les années 1990. L'autre stratégie
qu'identifie Goldsmith est celle qu'il considère comme «
accidentelle », c'est-à-dire les réformes politiques
qu'entreprennent des régimes africains afin de satisfaire aux exigences
« économiques » et « techniques » que leur imposent
les programmes d'ajustement structurel des institutions financières
internationales. Bon nombre de pays, comme le Ghana, ont adopté ces
programmes à partir de la seconde moitié des années
1980.
Sans nier la possibilité que les stratégies
mentionnées plus haut des acteurs externes puissent avoir un impact sur
l'alternance au pouvoir dans des pays africains, il importe de nuancer les
arguments précédents par deux principales remarques. D'abord, il
n'est pas évident que les « conditionnalités » des pays
occidentaux dans l'octroi de leurs fonds d'assistance s'appliquent à
tous les pays ou de la même manière. Leurs effets « positifs
» ou objectifs escomptés ne sont pas non plus évidents,
même quand on les applique de façon directe.
Alors, où est-ce que le poids de l'étranger peut
compter concrètement dans la problématique d'alternance en
Afrique et comment ? Il est possible d'arguer que cela réside davantage
dans son effet « négatif » que dans son hypothétique
effet « positif ». En d'autres termes, le poids de l'étranger
compte davantage lorsque des puissances étrangères se rangent au
côté du régime au pouvoir ou demeurent indifférentes
aux appels de l'opposition par rapport aux manquements de ce régime aux
règles démocratiques, rendant ainsi extrêmement difficile
l'avènement de l'alternance, sans qu'elle ne soit pour autant
impossible. Ce soutien « négatif » de l'extérieur peut
n'avoir aucun lien direct avec le paysage politique à l'intérieur
du pays. Cependant, il peut s'avérer important dans la mesure où
il peut constituer un support psychologique non négligeable pour le
pouvoir en place. Dépendamment des stratégies que ce dernier
emploiera ensuite pour exploiter cette situation, les actions du régime
en place peuvent constituer un obstacle majeur en face des partis d'opposition
dans leur quête pour le pouvoir.
Par exemple, des faits historiques et socioculturels ont fait
que la plupart des réfugiés libériens et
sierra-léonais, fuyant la guerre civile dans leurs pays dans les
années 1990, ont choisi la Guinée comme lieu d'asile. Pour ces
raisons et autres considérations politiques, la Guinée fut
amenée à jouer un rôle important dans le maintien de la
paix et de la stabilité dans ces deux pays voisins, voire aussi en
Guinée-Bissau en 1998-99, sous l'égide de la
63
CEDEAO57. Ceci, et le traitement appréciable
qu'ont reçu ces réfugiés en Guinée ont fait du
régime de Lansana Conté un « partenaire important » de
la communauté internationale soucieuse de rétablir la paix et la
stabilité dans la sous-région ouest-africaine.
Un autre facteur s'est ajouté à cela, notamment
vers la fin des années 1990 et le début du nouveau
millénaire. Il s'agit là de l'antagonisme entre Londres et
Washington, d'une part, et le régime de Charles Taylor au Liberia
d'autre part, en plus du fait que Taylor s'était fait une image d'ennemi
à Conakry en tentant de déstabiliser la Guinée en
septembre 2000. De cette dynamique s'est créée 176 alliance entre
Washington, Londres et Conakry contre Taylor, et cette alliance s'est traduite
par un soutien important de ces deux puissances pour le régime de
Lansana Conté afin d'éliminer Taylor. Or, les partis d'opposition
guinéens étaient au moins ambivalents à l'égard de
cette politique d'isolement de Taylor et du soutien militaire de la
Guinée pour les groupes armés libériens opposés
à Taylor. Certains s'y sont carrément opposés. Cela
explique peut-être la défense de ces deux puissances
étrangères de tout acte pouvant déstabiliser le
régime de Conakry, d'où leur indifférence, au moins
jusqu'au départ de Taylor du pouvoir en 2003, à l'égard
des appels des partis d'opposition qu'ils sont en face d'une dictature. Ceci a
eu pour conséquence un confort psychologique pour le régime de
Conté, car ce support lui aurait permis de maintenir le statu quo avec
un minimum de concessions.
Mais comme nous l'avons démontré plus haut, les
pressions en provenance de l'étranger peuvent avoir un effet «
positif » en faveur de l'opposition dans l'avènement de
l'alternance. Il semblerait, cependant, qu'une telle hypothèse est
conditionnée à au moins trois facteurs : que l'acteur
étranger ait déjà des bons rapports avec le régime
en place ; qu'il exerce cette pression de façon très
discrète mais ferme ; et, finalement, qu'il y ait une opposition
largement crédible et capable de battre le parti au pouvoir aux urnes
dès lors que cette dernière joue aux règles
démocratiques du jeu électoral.
Toutes ces trois conditions auraient été
réunies au Ghana à l'approche des élections
présidentielles de décembre 2000 qui ont vu le parti
d'opposition, NPP, venir au pouvoir, son
57 Annan Kofi, « Les causes des conflits et la
promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique »
Rapport du Secrétaire général de l'ONU, Éditions
Berger-Levrault, avril 1998.
64
candidat ayant battu celui du parti au Pouvoir. Un autre
élément externe aux partis politiques est la situation
économique du pays58.
Un exemple frappant est le cas du Bénin et du Niger
étudié, en détail, par Gazibo (2005). Les indicateurs de
développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le
développement (PNUD) confirment ce constat. Par exemple, en 2000, quand
la première alternance au pouvoir est intervenue au Ghana, le PIB par
habitant de ce pays, selon le rapport 2000 du PNUD basé sur les
données de 1998 qui faisait 390$ contre 530$ pour la Guinée et
$380 pour le Bénin. L'argument devient d'ailleurs irréfutable
avec une vue d'ensemble sur le classement des pays africains dans ce rapport.
En effet, la Libye et l'Algérie, deux pays moins libéraux sinon
autocratiques occupent respectivement les 72ème et
107ème rangs sur 174 pays, loin devant le Ghana
12ème, le Bénin 157ème et le Mali
165ème libéraux. Aucune de ces conditions ne semble
être réunie en Guinée. Mais là aussi, les
stratégies des acteurs de l'opposition n'y sont pas pour rien.
Section 7 : Les techniques de campagne des partis
politique en Guinée
7-1- Technique des paris aux pouvoirs : Le
regard sur les stratégies des partis au pouvoir est nécessaire
dans la mesure où ils sont généralement les maîtres
du jeu politique, notamment dans les démocraties non consolidées
en Afrique subsaharienne. Et considérant que leurs stratégies
visent leur maintien au pouvoir et qu'ils emploient, à ces fins, des
moyens aussi orthodoxes que non orthodoxes (fraude), il sera ici question de
s'attarder sur chacune de ces deux dimensions de leurs stratégies.
Dans la continuation de ce qui a été
déjà esquissé dans la sous-section
Précédente, seront abordés ici quelques principaux
facteurs qui favorisent les partis au pouvoir. Certains de ces facteurs, ou
leur usage ou abus, peuvent être en conflit avec la «
moralité, » voire proscrits par les règles en vigueur. Mais
l'analyse ici se fait dans un cadre strictement stratégique, avec pour
principal but de démontrer comment ces facteurs permettent-ils le
maintien au pouvoir de ceux qui y sont59.
58 Ceci suppose que la menace du boycottage
était motivée par la première variable explicative
citée plus haut, c'est-à-dire les anomalies réelles ou
anticipées dans le processus électoral, des imperfections que
l'opposition considère être le principal facteur qui pourrait
l'empêcher de gagner. 133 L'expression est empruntée à
Ndjock (1999, p. 53).
59 Daloz, Jean-Pascal, « Perceptions de la
démocratisation' dans un quartier populaire de Lusaka, » in
Jean-Pascal Daloz et Patrick Quantin, Transitions démocratiques
africaines, Paris, Katthala, 1997, pp. 243-262.
65
Il convient, d'emblée, d'établir que le fait
d'être déjà au pouvoir a des avantages intrinsèques
dans chaque jeu compétitif. Pour se situer dans le cas spécifique
des pays africains qui font l'objet de la présente étude, il est
évident que le principal enjeu pour les électeurs est
l'amélioration de leurs conditions de vie matérielle surtout et
politique, ainsi que la dotation en infrastructures de base (routes,
hôpitaux, écoles, etc.) de leur pays. C'est au moins ce que nous
avons pu recueillir lors de nos enquêtes de terrain, quand des
interlocuteurs n'hésitent pas à qualifier la démocratie
comme moyen de « prospérité économique ».
Or pour bénéficier de leur vote, les
prétendants aux différents postes électifs qu'ils y soient
déjà ou en quête d'y accéder-se doivent de les
convaincre que leur parti ou eux-mêmes sont à même de «
mieux » répondre à ces aspirations. Ainsi, le manifeste de
tous les partis politiques et les discours de campagne de leurs leaders sont
embellis par des promesses à cet égard. Là, le pouvoir de
montrer quelques réalisations dans ce sens constitue un instrument de
campagne majeur pour chaque prétendant. Par exemple, la plupart de ceux
sur qui nous avons reçu des informations au Bénin et qui avaient
voté pour le candidat indépendant, Yayi Boni, lors du scrutin
présidentiel de mars 2006, auraient décidé ainsi
grâce à l'impression que le candidat leur avait donnée
quant à sa capacité de répondre à ces
aspirations.
En effet, à deux ans au moins des élections
présidentielles, alors qu'il était directeur depuis huit ans de
la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), le candidat ne
manquait aucune occasion pour faire des descentes tous azimuts sur les
chantiers financés par son institution au Bénin, pour en
contrôler l'exécution ou pour les inaugurer. Ce à faisant,
il tentait dire aux électeurs béninois qu'il était le
candidat le mieux à même de répondre à leurs
aspirations de développement économique. Sa machine de campagne
mettra donc ces « réalisations » à son actif, pour
ainsi dire qu'il pouvait faire mieux pour le Bénin s'il était
élu.
Cependant, les partis au pouvoir sont naturellement
avantagés dans la mesure où le simple fait de s'acquitter de le
devoir en répondant ou même en tentant de répondre à
ces aspirations leur garantit, généralement, la
fidélité des électeurs. Ainsi, une stratégie
à laquelle ils font souvent recours est de retarder l'inauguration de
nouvelles infrastructures ou le début de leur construction
jusqu'à la période électorale, pour ainsi influencer les
électeurs. C'est une stratégie que Socpa associe à la
notion de « don électoral ». Mais vu d'un angle
stratégique et rationnel, cette technique est comparable au placement
des capitaux sur les bourses au moment où l'investisseur estime pouvoir
en tirer le maximum de profits. Elle est également comparable à
la pratique de la plupart des partis d'opposition africains qui
préfèrent garder
66
leurs maigres ressources pour ne s'activer, sur le terrain,
qu'à l'approche des élections. De cela se dégage un autre
facteur qui favorise les partis au pouvoir et que ces derniers exploitent,
directement ou indirectement électorale, aux fins de propagande.
Mais alors comment expliquer le maintien au pouvoir des
régimes qui ont lamentablement échoué à
répondre aux aspirations de leurs électeurs ? Faut-il conclure
que c'est seulement par la fraude électorale que cela se passe ? La
fraude électorale est sûrement un des moyens par lesquels ces
régimes se maintiennent au pouvoir, mais elle ne saurait être la
seule explication.
Il importe de présenter ici les résultats d'une
étude empirique entreprise par Carolyn Logan (2008) en 2005-2006
concernant le niveau de confiance qu'ont les électeurs de 18 pays en
Afrique subsaharienne dont le Bénin et le Ghana -dans un nombre
d'institutions politiques et administratives dans leurs pays, y compris les
partis au pouvoir et ceux de l'opposition. Il ressort de sa comparaison entre
ces deux institutions que la marge de confiance que les électeurs de ces
pays ont dans les partis au pouvoir dépasse celle des partis
d'opposition par 20 points de pourcentage en moyenne. Par exemple, au
Bénin, le ratio était de 37-28 en faveur du parti ou
régime au pouvoir (9 points de différence), tandis que le parti
au pouvoir au Ghana dépassait l'opposition de 16%, avec un ratio de
67-51. Dans des pays comme la Tanzanie, les Comores, le Mozambique et l'Afrique
du Sud, la marge oscille entre 55 points pour le premier, et 33 points pour le
dernier. C'est seulement au Nigeria 2, au Cap-Vert et en Zambie 3 ainsi qu'au
Zimbabwe 16 que les interviewés ont exprimé plus de confiance en
l'opposition que le parti au pouvoir60.
Mais comment expliquer ces différences
d'appréciation des partis au pouvoir et ceux de l'opposition par les
populations africaines ? L'auteure fait recours à quatre principales
variables explicatives, c'est-à-dire les facteurs
socioéconomiques et démographiques (âge, sexe, dotation
matérielle et lieu de résidence en campagne ou en ville), la
connaissance politique des électeurs, leurs évaluations de la
performance du parti au pouvoir et leurs attitudes vis-à-vis de la
compétition politique (Logan, 2008).
Tout en reconnaissant ces facteurs dans l'explication du
soutien pour les partis au pouvoir, les limites des valeurs explicatives de
certains d'entre eux appellent à une analyse plus approfondie. Par
exemple, l'appartenance ethnolinguistique ne peut pas bien expliquer le
60 Logan Carolyn, « Rejeter l'opposition
déloyale ? Le manque de confiance dans les attitudes de masse envers les
partis au pouvoir et d'opposition en Afrique », papier
africabaromètre (février 2008), sur
www.Afrobaromete.org
67
soutien dont bénéficient des leaders politiques
issus de groupes ethniques minoritaires. Une façon de pousser l'analyse
dans ce sens est de porter un regard critique sur la performance de quelques
partis politiques de l'opposition qui ont réussi à
conquérir le pouvoir, même dans d'autres pays de la région,
car il n'est pas exclu que les électeurs s'en inspirent également
dans leurs choix.
En effet, pour qu'il Y ait changement, il ne suffit pas
seulement que l'occupant actuel tombe en disgrâce ; il faut aussi que les
prétendants à sa succession bénéficient de la
grâce ou de la confiance des électeurs. Sinon les électeurs
peuvent décider de garder le mauvais occupant faute de meilleure
alternative ou par précaution de ne pas opter pour l'inconnu. Et l'on
trouve une telle évaluation de la performance de quelques leaders de
l'opposition, parvenus à conquérir le pouvoir : Au Mali, au
Sénégal, en Guinée, aux Comores, en Côte d'Ivoire et
partout où les tenants du pouvoir ont un passé militant et un
discours engagé, les observateurs, les analystes et les citoyens se
perdent.
Comme il est évident de cette citation, quoique dans un
autre contexte, bon nombre de leaders de l'opposition qui sont parvenus au
pouvoir ont déçu les populations. Pas nécessairement parce
qu'ils sont des mauvais gestionnaires, mais parce qu'ils sont circonscrits par
des difficultés structurelles qu'ils ont héritées de leurs
prédécesseurs ou qui sont imposées par le système
mondial. Le citoyen ordinaire n'étant pas au courant de ces
détails se sent parfois trahi. Quand la désunion des partis
d'opposition et les querelles personnelles qui les traversent s'ajoutent
à cela, le parti au pouvoir ne peut que tirer profit de la situation, ne
serait-ce que pour être retenu par les électeurs comme le «
moindre de deux maux ».
Il convient de souligner, enfin, que les partis au pouvoir
bénéficient du concours de l'administration publique. Ceci peut
être un abus du pouvoir comme il peut être un concours
souhaité par le pouvoir mais pas recherché de façon
délibérée. Ainsi, la mise à la disposition des
militants du parti au pouvoir des véhicules de l'État, des
bâtiments publics et l'envoi des fonctionnaires publics en missions de
campagne pour le parti au pouvoir aux frais de l'État relèvent
évidemment du premier cas (Ghana,2004).
Mais la même stratégie est également
employée par les militants des partis d'opposition. En effet, plus ses
efforts sont reconnus dans la victoire du parti dans sa localité, plus
grandes sont ses chances de bénéficier des faveurs du chef de
parti élu. Elle est cependant une stratégie qui
bénéficie davantage au parti au pouvoir qu'aux partis
d'opposition. Ces premiers ont le privilège de pouvoir nommer des
représentants et individus influents de toutes les régions et
68
de tous les principaux groupes ethniques du pays pour ainsi
s'assurer du soutien, au moment opportun, des électeurs de leurs
régions et de leurs ethnies respectives.
7-2- Techniques des partis d'opposition :
Suivant l'assertion faite dans l'hypothèse selon laquelle
l'alternance au pouvoir entre deux partis politiques n'est possible que dans un
système bipartisan ou bipolarisé, la formation de coalitions
électorales par des partis de l'opposition constitue une
stratégie allant dans le sens de la création d'un tel
système. Elle peut même avoir d'autres avantages pour
l'opposition, comme rendre difficile pour le parti au pouvoir de truquer les
élections. Mais au-delà de ces propositions
générales, quelle est, concrètement, l'utilité
stratégique de la formation de coalitions dans un jeu politique comme
les élections ? Comment peut-elle contribuer à expliquer, ne
serait-ce que partiellement, la situation dans notre pays d'étude ? Et
avant tout cela, quelle est la définition théorique d'une
coalition, quels sont les facteurs qui influent sur la formation d'une
coalition et quels sont ceux qui facilitent leur maintien ou contribuent
à leur éclatement.
La réponse à ces questions doit se faire en deux
étapes. Elle nécessite, dans un premier temps, d'entreprendre une
analyse théorique du concept de « coalitions » dans
l'arène politique ainsi qu'une analyse des facteurs contribuant à
leur formation. Cette analyse s'effectuera à partir des théories
de coalitions ou théories des jeux. Celles-ci sont des variantes de la
théorie stratégique.61 Il faudra, ensuite,
entreprendre une étude empirique afin d'expliquer la situation dans
notre pays d'étude à la lumière des propositions
théoriques faites dans cette première section.
Ensuite, il faut noter, d'emblée, que les politologues
en études africaines ne semblent pas s'être
intéressés, jusque-là, à la théorisation des
coalitions électorales, exception faite d'une étude de Nicolas
van de Walle (2006). Mais le phénomène est bien
étudié dans les sciences sociales, notamment par des politologues
et des économistes américains. Ainsi, considéré
comme l'un des pionniers de la théorie de coalitions, les définit
comme des « alliances temporaires, de caractère instrumental, entre
des individus ou des groupes dont les buts sont différents ».
Vincent Lemieux développe cette définition et présente les
coalitions comme « des ensembles concertés et temporaires d'acteurs
individuels ou collectifs qui ont des rapports de coopération et de
conflit ... et qui cherchent par une structuration du pouvoir approprié
à prédominer sur leurs adversaires de façon à ce
que les coalisés obtiennent ainsi des avantages
61 Gamson William, « Une théorie de la
formation des coalitions revue sociologique américaine », Paris,
PUF, 1961, pp. 373-382.
69
plus grands que s'ils n'avaient pas fait partie de la
coalition. » L'auteur souligne une différence entre les coalitions
et trois autres types d'alliance, selon qu'ils sont concertés ou non,
temporaires ou permanents. Ceci fait des coalitions, selon Lemieux, une
variante de l'alliance qui comprendrait d'autres types de groupements ou
d'ensembles. Ainsi, il identifie les «associations»
(concertées et durables), « tendances » (non concertées
mais durables), et « agrégats » (ni concertés ni
durables), comme les autres types d'alliance.
Pour Guillaume Haeringer (dont le cadre théorique est
celui de la théorie des jeux), une coalition est un ensemble de joueurs
qui se regroupent afin de réaliser certains choix stratégiques
qui seraient difficilement soutenables sans ces regroupements. Haeringer
introduit une notion importante dont il faudra tenir compte dans l'analyse des
facteurs explicatifs de l'échec ou de la réussite partielle de
certaines coalitions des partis d'opposition dans le pays d'étude. Cette
notion est celle de la « coopération partielle » qu'on peut
qualifier autrement comme « coalition partielle ». Une
coopération partielle s'observe lorsque deux ou plusieurs joueurs
(membres de la coalition) décident d'agir conjointement
(c'est-à-dire coopérer) dans certains types ou champs d'action,
mais de ne pas coopérer pour d'autres types.
Il est possible d'élargir cette notion de
coopération partielle aux différentes étapes d'une
même action, c'est-à-dire de l'élargir au « temps
» et ne pas se limiter aux « champs » de l'action. Par exemple,
il est très courant pour les partis politiques d'opposition des pays
africains dont le système électoral est majoritaire à deux
tours de convenir que chacun présente son propre candidat au premier
tour des élections présidentielles, et de s'entendre de s'allier
au second tour derrière celui, parmi eux, qui aura été le
mieux placé à l'issue du premier tour. Cependant, une telle
stratégie comporte le risque de disperser les votes de l'opposition et
de permettre au parti au pouvoir de gagner les élections avec une simple
majorité (50,01 % par exemple) dès le premier tour.
Il est évident de leurs définitions que Gamson
et Lemieux mettent un accent particulier sur le caractère «
temporaire » des coalitions, notamment en parlant d'une alliance entre
partis politiques. Mais ce point pose un problème. Par exemple, quelle
est la durée maximale de la vie d'un groupement pour qu'il passe du
statut de Coalition à celui d'association ? Ainsi, il faudra expliciter
le type de coalition qui importe pour la présente étude, d'autant
plus que ces auteurs s'intéressent davantage aux coalitions
gouvernementales. Il y a d'ailleurs un lien entre les coalitions
gouvernementales et le système parlementaire, car les calculs y
aboutissant sont
70
souvent basés sur le nombre de sièges dont
disposent les partis au Parlement et dont un nombre est requis pour qu'un parti
ou une coalition de partis puisse former le gouvernement.
Le pays d'étude ayant tous le même système
présidentiel et la problématique de la recherche étant
l'alternance et non pas la formation de gouvernements, il convient de
préciser que l'intérêt porte ici sur les « coalitions
préélectorales », même si elles peuvent -elles doivent
d'ailleurs -perdurer après les élections La définition
étant ainsi claire, il importe maintenant de s'attarder sur les facteurs
qui incitent les acteurs politiques à se coaliser. Il est vrai que
l'objectif principal de toute coalition ou alliance est d'unir les ressources
de ses membres pour atteindre un but qui sera difficile d'obtenir sans le
groupe, comme il est bien expliqué plus haut. Mais quels sont les
calculs stratégiques que font les acteurs avant de décider de
former ou d'adhérer à une alliance ou une coalition ?
Mais il faut préciser que les bénéfices
ne se mesurent pas seulement en termes utilitaristes. En effet, au-delà
des postes gouvernementaux auxquels les membres d'une coalition
préélectorale peuvent s'attendre en cas de victoire de leur
coalition, il y a bien de préférences stratégiques non
utilitaristes, comme les considérations idéologiques (Gemson,
1961, p. 375 ; Lemieux, 1998, p. 25). En Afrique subsaharienne, il faut
également tenir compte des liens interpersonnels entre les leaders des
partis politiques, ainsi que les affiliations ethniques et régionales,
selon les cas62.
Par exemple, avant le second tour des élections
présidentielles de 2006 au Bénin offrent frappant pour confirmer
ce constat. Supposant que les partis politiques de l'opposition voudraient
réaliser l'alternance au pouvoir en permettant au leader de l'un d'entre
eux, pour la première fois, d'accéder au pouvoir et de permettre
au reste de bénéficier de quelques postes gouvernementaux, un
ralliement des trois principaux partis politiques à Adrien
Houngbédji, le candidat du Parti du renouveau démocratique du
Benin (PRDB), aurait sûrement abouti à cet objectif.
Partant d'une approche dite non rationnelle, Mazur introduit
la notion de considérations « affectives » ou «
émotionnelles » qui peuvent influencer la décision de
certains acteurs. La proposition de l'auteur est qu'il y a « des
déterminants émotionnels qui ne sont pas quantifiables et qui ne
se prêtent pas aux postulats utilitaristes ou maximalistes des
théories du
62 Riker William H. « La théorie des
coalitions politiques New Haven et Londres Yale Université press »,
revue de résolution des conflits, 1962.
71
choix rationnel » mais qu'ils sont importants dans
l'explication de la décision d'un acteur d'adhérer ou non
à une coalition.
Enfin, Chertkloff (1966) montre que les acteurs prennent en
considération la probabilité de succès d'une coalition
avant d'accepter d'en faire partie. L'auteur a formulé ce postulat
contre celui qui soutient que les acteurs faibles ont tendance à se
coaliser entre eux plutôt que de s'allier à des acteurs forts, car
ce premier choix leur permet de peser au sein de la coalition contrairement
à une coalition composée d'acteurs plus forts qu'eux. Il en est
ainsi puisque malgré l'importance du postulat contraire dans certains
contextes, ce qui concerne les « transactions internes » de la
coalition, chaque acteur voulant adhérer à une coalition se doit
de s'assurer que la coalition pèsera devant les autres acteurs en dehors
de la coalition et/ou face de ceux qui forment une autre coalition.
Ce qui ressort de ces discussions est que la formation de
coalitions constitue une stratégie importante dans les jeux
compétitifs, mais qu'aucune seule variable explicative n'est à
même d'expliquer les calculs complexes que font les acteurs politiques
avant de les créer ou d'y adhérer. Il faut alors
considérer plusieurs facteurs, tenant compte du contexte sociopolitique
particulier des groupes qui font l'objet de l'analyse. C'est l'approche qui
sera privilégiée dans la section suivante, laquelle analyse les
expériences et les tentatives de formation de coalitions
préélectorales dans le pays d'étude.
Section 8 : La formation de coalitions comme technique
électorale
Peut-on établir, à partir de ce qui
précède, une certaine corrélation, voire un lien de
causalité, entre la stratégie de formation de coalitions et la
possibilité de victoire électorale des partis d'opposition en
Afrique subsaharienne ? Nicolas Van de Walle pense qu'il y a une
corrélation entre les deux mais que le lien causal est moins
prégnant. Il conditionne la corrélation au niveau de la
démocratisation dans le pays concerné. Ainsi, pour lui, la
probabilité de fraude électorale dépend du niveau de
démocratisation dans un pays, et celui-ci, à son tour,
détermine la probabilité qu'une coalition de l'opposition
aboutisse ou non à la victoire électorale. Certes, le lien causal
est moins clair, mais la corrélation est plus évidente que
l'auteur ne veut l'admettre ou qu'il n'a pu la remarquer. Cet argument est
basé selon laquelle l'alternance n'est possible que dans un
système bipartisan (Duverger, 1973) ou bipolarisé (Quermonne,
1988).
72
Chacun de ces deux systèmes comprend une certaine
notion de coalition. Le premier sous-entend l'existence de deux grandes
coalitions plus ou moins durables, tandis que la notion de coalition est
presqu'explicite dans le second. Compris en ce sens, il est possible de
démontrer, à partir des 30 expériences d'alternance au
pouvoir « par les partis d'opposition » en Afrique subsaharienne
entre 1990 et 2020 en particulier notre cher pays d'étude la
Guinée. La formation de coalition est une condition nécessaire,
quoique pas suffisante, pour la victoire électorale de l'opposition.
Par exemple, les cas d'alternance au pouvoir par un parti
d'opposition advenus en Afrique entre 1990 et 2020 sont intervenus dans des
systèmes bipartisans et/ou grâce à une coalition
formée par un certain nombre de partis d'opposition63. Les
deux seules exceptions à cette affirmation sont la victoire
électorale de Bakili Muluzi de l'UDF au Malawi en mai 1994, et celle de
Laurent Gbagbo du FPI en Côte d'Ivoire en octobre 2000. Dans ce dernier
cas, l'élection avait été boycottée par le Parti
démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), l'ancien parti au pouvoir,
et le candidat populaire du Rassemblement des républicains (RDR),
Alassane Ouattara, n'avait pas été autorisé par la junte
au pouvoir (sous le Général Robert Gueï) à contester
le scrutin.
Quant au cas malawite, il convient de rappeler que le scrutin
a été disputé entre trois principaux partis politiques et
un quatrième parti « mineur ». Les trois sont le Front
démocratique uni (UDF) de Muluzi, qui l'a remporté avec 47% des
voix ; le Parti du congrès malawite (MCP) du président sortant,
Hastings Banda, qui s'est placé en deuxième position avec 33,45%
des voix ; et l'Alliance pour la démocratie, du syndicaliste Chakufwa
Chihana, qui a eu 19% des voix. Ces résultats présentent un
système plutôt « tripartite », donc multipartite, ce qui
semble contredire notre argument à propos de la nécessité
du bipartisme ou de la bipolarisation pour effectuer l'alternance.
Ces exemples montrent bien l'impact positif de la formation de
coalitions sur les chances de l'opposition d'effectuer dans l'alternance au
pouvoir. Il est fort possible d'en déduire presqu'une
impossibilité, pour les partis d'opposition des pays multipartistes,
d'effectuer l'alternance sans se coaliser. L'exemple précité de
l'élection présidentielle Comorienne de 24 mars 2016 illustre
bien ce constat. Les résultats de l'élection
présidentielle gabonaise d'août 2009 offrent un autre cas de
figure. Le système électoral y étant plural taire, Ali
Bongo, le candidat du Parti démocratique du Gabon (PDG, au pouvoir) l'a
remportée avec seulement
63 Quermonne, Jean-Louis, « L'alternance au
pouvoir », Paris, PUF, 1988.
73
41,5%, selon la Commission électorale. Or ses deux plus
grands adversaires ont obtenu, chacun, 25% des voix. Avec un total de 50% des
voix (soit 8% de plus que celui du candidat du parti au pouvoir), une coalition
entre ces deux personnalités aurait très vraisemblablement
assuré la victoire à l'opposition.
Lors de nos enquêtes de terrain, nous posions aux
militants et sympathisants des partis d'opposition la question suivante :
« Selon vous, qu'est-ce qui explique la ténacité du
régime au pouvoir et quelles sont les principales faiblesses de
l'opposition ? » Une réponse courante était de dire que
le parti au pouvoir truque les élections et l'exemple
précité de l'élection présidentielle
Guinéenne sont celles de 1993 ; de 1998 et de 2003. Le parti au pouvoir
(PUP) a réussi à altérer les élections ; ainsi que,
l'élection présidentielle de 2010 ; 2015 et 2020 le parti au
pouvoir (RPG) a fait la même chose (modifier les élections). Mais
beaucoup de militants guinéens ajoutaient la désunion des partis
d'opposition et leur échec de former des coalitions électorales.
Le manque d'unité était d'ailleurs la seule réponse pour
certains. Bon nombre de personnes en Guinée ont
régionalisé la réponse à la seconde partie de la
question, blâmant la faiblesse de l'opposition sur le « manque
d'attente entre les Sudistes », étant donné que les leaders
de tous les principaux partis d'opposition sont du Sud du pays.
Conscients de ce fait, les partis d'opposition guinéens
ont tenté, à plusieurs reprises, de former des coalitions
électorales contre le régime de Lansana Conté. Faye (2007,
p. 53-82) en recense au moins sept entre 1992 et 2006. Mais aucune de ces
coalitions n'a réussi à se maintenir ou à présenter
un candidat -de poids unique. Pour un membre du Bureau politique national (BPN)
de l'Union pour le progrès et le renouveau (UPR), les partis
d'opposition guinéens n'ont jamais formé d'alliance, proprement
dite, car toutes les expériences sont des groupements
préélectoraux dont les membres ont leurs stratégies et
leurs programmes particuliers.
Presque toutes les personnes que nous avons
interviewées ont reconnu l'égoïsme des leaders d'opposition
comme l'une des principales raisons de l'échec de ces tentatives. Quatre
jeunes étudiants interviewés en groupe ciblés à
l'Université de Conakry en septembre 2015 se sont dits
déçus par les leaders de l'opposition. Deux d'entre eux avaient
décidé de se désengager de leur parti (UFDG), tandis que
deux autres n'avaient jamais appartenu à un parti politique. À
notre question de savoir pourquoi ils avaient démissionné de leur
parti ou n'adhéraient pas à un, ils ont répondu dans les
propos suivants :
Moi, je me suis rendu compte que tous ces leaders sont les
mêmes ; ils veulent tous le pouvoir, aucun ne veut s'effacer pour
l'autre, même si qu'il sait bien qu'il n'a aucune chance.
74
C'est pourquoi ils ne s'entendent jamais entre eux. C'est la
raison pour laquelle moi j'ai décidé de ne plus jamais les
suivre. Maintenant, je m'occupe de mes études supérieures.
Lansana CONTE était là depuis 1984 jusqu'à en 2008 et
aujourd'hui, Alpha CONDE va s'en aller quand Dieu voudra, car ces opposants ne
pourront jamais le battre s'ils ne se donnent pas la main (Entrevue le 7
novembre 2021).
Pour l'un des deux qui n'appartiennent pas à un
parti64: « Bon, pour moi, je pense qu'ils voudraient bien
former une coalition ; ils l'ont tenté plusieurs fois.... Mais je pense
que le problème est que chacun veut être le chef de la coalition,
et c'est là le problème. Bon, à vrai dire, je comprends
parfois, c'est la politique ; mais nous nous voudrions qu'ils mettent
l'intérêt national avant leurs calculs politiciens. C'est vraiment
dommage. » Mais un membre du BPN du Rassemblement du peuple de
Guinée (RPG) soutient que l'infiltration des alliances par des partis
satellitaires agissant au compte du régime au pouvoir aurait souvent
joué contre les alliances. Peu importe les raisons de cet échec
et leur pertinence, la conclusion est que l'échec de former de
coalitions a contribué à l'échec des tentatives des partis
d'opposition visant à conquérir le pouvoir en Guinée.
Section 9 : L'alternance démocratique en
République de Guinée
Cependant, l'usage populaire de l'expression en donne un sens
qui va au-delà du changement de personnalités d'un même
groupe dirigeant à un véritable changement d'équipe
gouvernementale. Ainsi, Jean-Louis Quermonne définit l'alternance au
pouvoir comme « un changement de rôle entre les forces politiques
situées dans l'opposition, qu'une élection au suffrage universel
fait accéder au pouvoir, et d'autres forces politiques qui renoncent
provisoirement au pouvoir pour entrer dans l'opposition. » C'est la
même définition que lui donne Michael Bratton65 dans
son article visant à analyser l'effet de l'alternance sur la perception
des Africains de la démocratie. C'est en ce sens que le terme est
employé dans la présente étude, c'est-à-dire le
remplacement des anciennes autorités par de nouvelles élites
appartenant à un parti de l'opposition ou une coalition de partis
d'opposition." Et étant donné que chacun la Guinée a un
système présidentiel, l'alternance ainsi définie ne peut
s'effectuer qu'à travers les élections présidentielles.
Ceci exclut donc de notre calcul les élections législatives. Mais
même en considérant ces dernières, l'analyse des
différentes échéances
64 Faye, « Guinée : Chronique d'une
démocratie annoncée », Canada, Trafford, 2007.
65 Michael Bratton Dictionnaire de la science
politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin (2004, pp.
147-158)
75
électorales qui ont eu lieu dans notre pays durant la
période examinée montre que le vainqueur du scrutin
présidentiel s'est toujours imposé au Parlement.
En ce sens, 1' « alternance au pouvoir » peut
s'appliquer à la fois au changement de la composition partisane de la
législature (Parlement) ainsi que le remplacement d'une équipe
dirigeante de l'exécutif par une autre. Dans ce dernier cas, elle peut
signifier simplement le remplacement de l'occupant du plus haut poste
exécutif par une autre personnalité. C'est le sens que semble lui
donner Jeffrey Herbst dans son état des lieux sur la
libéralisation politique en Afrique. Car l'auteur, en parlant des
changements de régimes, ne cite que les changements de leaders qui ont
perdu des élections et, par conséquent, ont quitté le
pouvoir.
Il est vrai qu'il y a eu des alternances au sommet de
l'État, par exemple au Bénin, mais tous ceux qui sont venus au
pouvoir dans ce pays depuis 1991 sont des candidats indépendants qui
n'étaient pas présentés par des partis politiques. Et la
Guinée était dirigée par le Parti de l'unité et du
progrès (PUP) lequel est d'ailleurs l'avatar de l'ancienne junte
militaire à la tête du pays depuis avril 1984 -depuis
l'introduction du multipartisme dans le pays en 1991. Ce sont la mort, le 22
décembre 2008, du président Lansana Conté, et la prise du
pouvoir, le lendemain, par une junte militaire qui ont mis fin au règne
du PUP. C'est pour dire qu'aucun parti d'opposition n'y a réussi
à conquérir le pouvoir dans la période
considérée. Sauf le parti du (RPG) en 2010 diriger par
l'ex-président Alpha Condé après plus 40 ans d'opposition.
Que dire alors de ces variations ?
Pourquoi en est-il ainsi ? Les partis au pouvoir seraient-ils
plus solides, mieux organisés, voire plus populaires que les partis
d'opposition ? Y aurait-il un déficit organisationnel ou
déficience stratégique de la part des partis d'opposition ? Pour
bon nombre d'observateurs de la politique africaine et presque tous les leaders
vaincus de l'opposition, la réponse est simple : les partis au pouvoir
s'y maintiennent grâce au truquage des processus électoraux ;
Ainsi, les partis d'opposition contestent souvent les résultats et
crient à la manipulation.
D'autre part, l'alternance voulue est-elle ethnique ou
idéologique ? Ces interrogations sont toutes légitimes dans un
débat libre et démocratique. En effet, jamais dans son histoire
politique, la Guinée n'a connu l'alternance démocratique au
sommet de l'État. Aucun président au pouvoir n'a encore perdu une
élection permettant à son concurrent de prendre sa place.
L'ouverture démocratique initiée par le Général
Lansana Conté après la prise du pouvoir par l'armée a
certes permis la tenue de plus d'une élection présidentielle,
mais elle
76
n'a pas empêché ce dernier à demeurer
jusqu'à son dernier souffle le maître suprême du palais
présidentiel. Avant lui, le Président Ahmed Sékou
Touré était à la tête d'un régime où
il était suicidaire de se déclarer opposant66.
Les deux présidents ont ainsi régné
pendant un peu plus d'un demi-siècle sans que les guinéens ne
vivent une seule fois l'alternance démocratique par la voie des urnes.
À la mort de Lansana Conté, le Capitaine Moussa Dadis Camara
à la tête d'une junte militaire avait au départ promis la
transmission du pouvoir aux civils avant de se rétracter et d'être
lui-même intéressé par celui-ci. Il a fallu l'entrée
en scène du Général Sékouba Konaté,
après la mise à l'écart de Dadis pour que les
guinéens puissent voter en 2010 leur président, en la personne du
Professeur Alpha Condé, dans le cadre d'une élection
réunissant plusieurs candidatures concurrentes. Il ressort très
clairement de ce cheminement historique que les chefs d'État
guinéens se sont succédé à la tête du pays
soit par suite d'une mort naturelle (cas de Sékou Touré et
Lansana Conté), soit par une mise à l'écart
provoquée par autrui (cas de Dadis Camara) et soit par un retrait
volontaire (cas de Sékouba Konaté) après la tenue d'une
élection qui a propulsé Alpha Condé à la tête
du pays.
Ainsi, la Guinée a plutôt connu une succession de
chefs d'État par différents mécanismes mais non par une
alternance démocratique dans le sens d'une victoire électorale
remportée par un président entrant contre un président
sortant. L'autre question soulevée par la nécessité de
l'alternance démocratique est de savoir ce que sera sa valeur
ajoutée compte tenu de la nature du combat politique en Guinée.
Ce combat se résume dans ses grandes lignes par une confrontation
essentiellement ethnique. Les formations politiques les plus importantes du
pays ne se définissent pas par leurs positionnements idéologiques
ou leurs visions en faveur du développement. Au contraire, elles se
distinguent par leurs capacités d'instrumentalisation des groupes
ethniques auxquels appartiennent leurs leaders et qui forment autour d'eux un
bloc homogène rigide. Cela est rendu possible par le fait que
l'État en Guinée est encore et toujours dans sa forme
néo-patrimoniale du pouvoir. C'est pour vous dire que, malgré
toutes les techniques d'une coalition électorale de partis de
l'opposition, on à remarquer c'est toujours le parti du pouvoir qui
gagne l'élection depuis 1990 à 2020 dans notre pays
d'étude la Guinée. Il est régi par un régime
où ceux qui ont accès aux ressources nationales se
préoccupent tout d'abord de « prendre soin » des leurs. Cette
logique aboutit à la mise en place d'un système de redistribution
où seuls auront accès aux postes de responsabilité les
66 Bratton Michael, « l'effet d'alternance en
Afrique revue de la démocratie », 2004, pp. 147-158.
membres du réseau clientéliste constitué
principalement des membres de l'ethnie auquel appartient le chef d'État.
Et ce dernier n'a qu'un souci : demeurer à vie au pouvoir. C'est la
seule garantie que lui et les siens continueront de bénéficier de
leurs privilèges. Ils passeront ainsi la part la plus productive de leur
temps à simuler des subversions et des complots, attribués
à d'autres groupes ethniques dont le crime serait de rêver de
prendre leur place. Ainsi, l'alternance recherchée ressemble fort
à une alternance ethnique qui dans le fond, ne change pas grand-chose
dans les maux de la société67.
Ce type de combat ramène perpétuellement sur la
scène publique les mêmes problèmes d'unité et de
cohésion sociale auxquels les citoyens sont confrontés dans
l'ensemble. Dans ces conditions, le risque pour les nouveaux venus, à la
suite d'une alternance même régulière, d'être
combattus pour les mêmes raisons est énorme. Les partis
politiques, les plus significatifs par le nombre, se battent en
réalité pour les mêmes raisons : conquérir le
pouvoir, s'y maintenir et s'approprier ses privilèges à titre
exclusif et jamais dans l'intérêt collectif. C'est du moins
l'impression qui se dégage en observant de près le combat
politique en Guinée.
Or, il y a nécessité que le combat politique
mute Guinée. Que la confrontation idéologique se substitue
à la confrontation ethnique afin que l'alternance gagne en
crédibilité et devienne la source d'évolution de nos
moeurs politiques rétrogrades. C'est aussi à cette condition que
l'alternance souhaitée pour la vitalité de la démocratie
dans notre pays apportera un profond changement de notre système de
gouvernance et renforcera l'unité nationale, qui reste le plus grand
défi de la Guinée depuis plus de 60 années d'existence en
tant qu'État.
77
67 Shedler, Andreas, « le menu de la
manipulation, journal de la démocratie » juin 2002, pp. 36-50.
78
CONCLUSION GENERALE
La présente étude a, de manière
générale porté sur l'alternance au pouvoir exécutif
par les partis politiques de l'opposition en Afrique
subsaharienne68. Le fait marquant est que malgré la
prolifération du multipartisme dans la sous-région au
début des années 1990, malgré la nature relativement
compétitive des élections présidentielles, la victoire des
candidats présentés par les partis de l'opposition n'est pas
fréquente à ces élections.
En dépit de tout, certains partis d'opposition de la
zone de notre étude ont bien réussi à conquérir le
pouvoir exécutif. Ce constat a dû être
problématisé. Le questionnement conséquent de cette
problématisation est de savoir comment expliquer la réussite de
certains partis d'opposition dans ladite zone et l'échec des autres dans
leurs efforts de conquérir le pouvoir d'État. Pour
répondre à cette question, nous avons réduit le champ
d'étude dans notre pays de la sous-région, en l'occurrence, la
République de Guinée. Nous avons ensuite procédé
à une étude comparative entre les dynamiques politiques et les
techniques d'acteurs de notre
pays entre janvier 1990 et décembre 2020. À
l'issue de cette étude, un certain nombre de conclusions sont apparues
évidentes.
Cependant, l'étude abordée sur certaines
questions est faite de façon sommaire. Car n'étant pas
directement liées à la problématique, mais qui comportent
des aspects intéressants méritant d'être analysés en
profondeur. Certaines de ces questions sont pourtant moins
étudiées et constituent donc des champs en jachère pour la
discipline de science politique. Ainsi, en plus de relever cette conclusion, il
sera également question d'identifier quelques pistes de réflexion
pouvant constituer des projets de recherche future.
Comme souligné ci-dessus, nous avons abordé un
certain nombre de questions sans pour autant approfondir l'analyse de tous
leurs aspects, car ces dernières ne sont pas directement liées
à la problématique de l'étude. Or, certaines de ces
questions ou leurs aspects non étudiés en profondeur
méritent de l'être, ne serait-ce que pour le développement
de la discipline. Le rôle crucial que jouent les acteurs individuels ou
collectifs dans les changements politiques a été suffisamment mis
en évidence dans la présente étude. Il a été
surtout question de souligner l'importance des stratégies qu'emploient
ces acteurs en vue de se maintenir au pouvoir ou d'y
68 Ouazani, Le Niger pourrait être
considéré comme le neuvième pays ayant aboli ce
dispositif, suivant l'adoption d'une nouvelle constitution en août 2009
qui ne le contient pas, 2009, CEDEAO. Coup d'Etat militaire ayant
renversé le régime de Mamadou Tandja le 18 février
2010.
79
accéder. Mais une question dont tous les aspects n'ont
pas été suffisamment abordés est le rôle des
individus au pouvoir qui facilitent ou bloquent le changement. En d'autres
mots, il a été bien établi que la plupart des leaders
africains étaient contraints, par une conjugaison de pressions locales
et étrangères, à permettre un certain degré de
libéralisation de leurs systèmes politiques au début des
années 1990. Ce processus a débouché sur une
véritable libéralisation, voire de démocratisation, dans
certains pays (comme au Bénin, au Ghana, et au Cap-Vert). Par contre,
les leaders autoritaires d'autres pays (comme ceux de la République de
Guinée, du Gabon, du Cameroun et du Burkina Faso) ont tangué et
font quelques concessions sans vraiment céder.
Les concessions que certains de ces derniers ont fait seront
plus tard récupérées à travers des tripatouillages
constitutionnels, tels que ceux qui ont visé l'abolition des clauses
limitatives des mandats présidentiels, introduites dans les
constitutions de la plupart des pays africains au début des
années 1990. Nous avons bien tenté d'expliquer pourquoi certains
leaders ont réussi à outre passer la pression et/ou à
amender ainsi la constitution, tandis que d'autres ont échoué.
Les facteurs explicatifs avancés sont à la fois locaux (faiblesse
de l'opposition, par exemple) et étrangers (les considérations
géostratégiques des grandes puissances dans un pays comme
l'Égypte).
Mais des questions sont restées en suspens : pourquoi
des leaders, comme Rawlings au Ghana, n'ont « pas tenté » de
modifier la constitution pour se maintenir au pouvoir tandis que d'autres,
comme les Guinéens Lansana Conté et Alpha Condé, l'ont
fait, de meme que Alassane Wattara en Côte D'Ivoire, sachant que certains
de ceux qui ne l'ont pas fait pouvaient bien se le permettre ? Le cas de
Mamadou Tandja au Niger ne se conforme d'ailleurs pas aux variables
utilisées pour expliquer l'échec de Muluzi au Malawi (2002-2003),
de Chiluba en Zambie (2000-2001) et d'Übassanjo au Nigeria (2006) à
se maintenir au pouvoir. En effet, Tandja a en vue de se maintenir au pouvoir
au-delà de son second et dernier mandat constitutionnel devant expirer
le 22 décembre 2009, proposé de prolonger ce dernier de trois ans
puis d'abolir la clause limitative dans la constitution.
Comme dans le cas de ces leaders, la tentative de Tandja a
été efficacement opposée par la majorité
écrasante des partis de l'opposition, des organisations de la
société civile, de trois grandes institutions
républicaines (le Parlement, la Cour constitutionnelle et la Commission
électorale nationale), et des membres de la coalition dirigeante dont
des ministres ont démissionné de son gouvernement. Certes,
l'histoire postcoloniale de l'Afrique recèle
80
plusieurs exemples de ce type de cas, mais les temps ont
changé depuis quelques années et bon nombre de ses homologues.
Peut-être la réponse se trouve dans une analyse
psychologique de la personnalité des leaders en question.
Peut-être ceux qui ont quitté le pouvoir étaient-ils soumis
à des pressions non apparentes ? Une étude de David Owen (2009)
tente une telle démarche. Selon cet auteur, l'expérience du
pouvoir entraîne, chez un grand nombre de chefs d'État, des
altérations psychologiques qui se traduisent par des illusions de
grandeur et des attitudes narcissiques et irresponsables. Ces illusions
constituent un « syndrome d'hubris » politique, qui fait que ces
dirigeants estiment qu'ils savent toujours mieux que les autres et que les
règles de moralité ne s'appliquent pas à eux.
81
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complots contre la Guinée de Sékou Touré »,
1958-1984, Conakry, La Classiques guinéens, 2002.
84
ANNEXE
La carte du continent africain, vue d'ensemble :
La couleur grise représente l'Afrique blanche ou encore le
Maghreb
La couleur verte est la partie du continent appelée
Afrique subsaharienne
85
Source : fr.m.wikipedia.orp
86
Le découpage des territoires en fonction des
pays. Aperçu de l'Afrique au sud du Sahara.
Source : fr.m.wikipedia.orp
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