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La citoyenneté en droit constitutionnel camerounais


par Ampère Romuald NGASSAM KANGUE
Université de Douala - Master 2 en droit public 2015
  

Disponible en mode multipage

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REPUBLIQUE DU CAMEROUN Paix-Travail-Patrie

UNIVERSITE DE DOUALA

 

REPUBLIC OF CAMEROON

Peace-Work-Fatherland

UNIVERSITY OF DOUALA

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

P.O. BOX : 4982 Dla. Tél/Fax : 233 40 11 28

FACULTY OF LAW AND POLITICAL SCIENCES

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Année académique 2012 -2013

Sujet : LA CITOYENNETE EN DROIT CONSTITUTIONNEL
CAMEROUNAIS

Mémoire de Master II Recherche en droit public

.

Option : Droit public interne

Présenté et soutenu publiquement par
NGASSAM KANGUE Ampère Romuald

Sous la direction de

WANDJI K. Jérôme Francis

1

INTRODUCTION GENERALE

Avec l'avènement de l'Etat au Cameroun le 1er janvier 1960, le concept de citoyenneté connait tout aussi son émergence. En effet, du statut de sujets coloniaux, les populations camerounaises vont automatiquement acquérir le plein statut de citoyen de la République du Cameroun, le nouvel Etat indépendant. Mais il est convenu que la citoyenneté est une notion dynamique dans sa nature et ses fonctions. Cela signifie que la citoyenneté doit se muer dans l'environnement et le contexte de l'Etat. Autrement dit, la conception de la citoyenneté de l'indépendance du Cameroun à nos jours a profondément évolué.

C'est fort de cette prédestination de la citoyenneté à l'évolution que le législateur camerounais a adopté une loi autorisant le vote des citoyens camerounais établis ou résidant à l'étranger1, mettant ainsi fin à une longue et vive revendication d'acteurs divers. En dépit de cela, le débat sur la citoyenneté reste permanent, relativement par exemple aux questions de la reconnaissance de la double nationalité et de la consécration constitutionnelle des notions de minorité et d'autochtonie2, dont la discussion fut d'ailleurs parmi les âpres lors des débats en vue de la réforme constitutionnelle de 19963.

Il s'ensuit dès lors que la citoyenneté est loin d'être une notion située, mais suit le chemin de la conceptualisation progressive. C'est dans ce contexte que s'inscrit notre étude portant sur la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais.

Ainsi, pour assurer une plus grande compréhension de notre sujet, il conviendra tout d'abord d'en assurer la détermination.

1 Il s'agit de la loi n° 2011/013 du 13 juillet 2011 relative au vote des citoyens camerounais établis ou résidant à l'étranger, abrogée par la loi no 2012/001 du 19 avril 2012, portant code électoral de la République du Cameroun ; qui reprend en son art. : « Les citoyens camerounais établis ou résidents à l'étranger exercent leur droit par la participation à l'élection du président de la république et au référendum ».

2 Voir le préambule de la loi constitutionnelle no 96/06 du 18 janvier 1996

3 Joseph Owona, Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain, Paris, L'Harmattan, 2010, p. 82.

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I. DETERMINATION DU SUJET

La détermination de notre sujet consistera d'abord à opérer quelques précisions terminologiques (A) avant d'analyser ses cadres théorique et spatio-temporel (B).

A. Les Précisions terminologiques

Pour un meilleur éclairage terminologique du sujet objet de l'étude, il convient de définir la notion de citoyenneté d'une part (1), et d'autre part la confronter en particulier à la notion voisine de nationalité (1).

1. La notion de citoyenneté

Le terme citoyenneté a pour radical citoyen. C'est donc à partir de ce dernier que nous retracerons l'historique du premier. Son étymologie est tirée du terme latin civis, qui signifie « celui qui a droit de cité ».

Les origines les plus anciennes du terme citoyen remontent à l'Egypte antique. En effet, sous les « Lagides », avec la création de grandes cités telles Alexandrie, le citoyen est celui qui appartient à l'élite macédonienne4.

Dans sa conception moderne, la notion de citoyen découle de la Grèce antique. Le citoyen est une composante de la cité grecque ou « polis ». Il définit celui qui participe aux décisions de la cité et aux débats de l' « agora », c'est-à-dire le grand forum des citoyens. Aristote affirme d'ailleurs que : « dans le mesure où quelqu'un a le droit de participer au conseil et de siéger dans les tribunaux, nous lui donnons le nom de citoyen de la cité à laquelle il appartient »5. L'on retient donc que le trait qui distingue le citoyen des esclaves et des métèques, eux aussi membres de la cité6, est que le premier « participe aux charges honorifiques »7.

4 Cf. http://fr.wikipédia.org (consulté le 10 juillet 2012 à 17h20).

5 Aristote, La politique, Paris, Hermann, éditeurs des sciences et des arts, traduction nouvelle, 1996, p.71.

6 Aristote fait remarquer qu' « on n'est pas citoyens simplement par le fait d'être domicilié dans une cité : Les métèques et les esclaves y ont aussi un domicile ». Lire Aristote, La politique, op. cit. p.69.

7 Ibid., p.79.

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Le statut de citoyen dans la Rome antique diffère de celui des cités grecques. En effet, la citoyenneté romaine est définie en termes juridiques. Ainsi, le civis romanus, c'est-à-dire le citoyen romain, dispose de droits civils et personnels. Pour les romains la citoyenneté n'est pas liée à un critère d'origine ethnique ; les étrangers peuvent également accéder à la citoyenneté.

Avec les révolutions américaine, anglaise et française, le terme citoyen renvoie à l'égalité de droits entre les hommes. L'idée de sujet disparait. La citoyenneté apparait de plus en plus comme une manifestation de valeurs et de droits fondamentaux tels que la démocratie, la liberté, l'égalité. Elle devient aussi un incubateur d'actions et d'interactions à caractère politique, économique, social ou culturel au sein de la société.

De même, bien qu'éminemment juridique, la notion de citoyenneté a des racines sociologiques. En effet l'historien et sociologue britannique T.H. Marshall (1893-1981) est reconnu comme l'un des premiers, sinon le premier avoir théorisé le concept moderne de citoyenneté. En fait, « la plupart des analyses contemporaines de la citoyenneté trouvent leur source dans une conférence que T.H. Marshall prononça en 1949 »8. Cet auteur expose, lors de cette conférence intitulée « citizenship and social class », que « la citoyenneté constitue avant tout un statut juridique, lié à l'attribution ou à l'obtention de droits dotés d'une validité empirique. Mais elle forme aussi une représentation, un idéal fondé sur des croyances et valeurs spécifiques »9.

Dans l'un de ses travaux sur la citoyenneté, le Pr. Alain Didier Olinga relevait l'idée de Nicolet, qui affirmait que : « Le citoyen est le produit d'une construction rationnelle, c'est-à dire qu'il doit son existence à un combat constant et au déploiement de la raison »10. Cet auteur poursuivait par ailleurs que : « la citoyenneté est une condition de réalisation de

8 Guy Rocher, « Droits fondamentaux, citoyens minoritaires, citoyens majoritaires » in Michel Coutu, Bosset Pierre, et al. , Droits fondamentaux et citoyenneté. Une citoyenneté fragmentée, limitée, illusoire. Montréal, Thémis, 2005, pp. 23-41, (spéc. p. 25). [document numérique] disponible sur http://www.thémis.umontréal.ca.

9 Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et citoyenneté », in Michel Coutu, Bosset Pierre, et al. , Ibid., pp. 1-20, (spéc. p. 7).

10 Cf. C. Nicolet, L'idée républicaine en France, essai d'histoire critique. Paris, Gallimard, 1982, p. 483. Cité par Alain Didier Olinga in Alain Ondoua (dir.), « La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : Bilan et perspectives », Yaoundé, Afrédit, 2007, pp.155-166, (spéc. p. 155).

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l'homme et, à ce titre, revêt un statut de primauté dans toutes les fins individuelles et sociales »11.

Le Pr. Alain Didier Olinga décèle d'ailleurs à travers le texte constitutionnel camerounais deux dimensions de la citoyenneté : une collective et l'autre individuelle.

La première renvoie aux notions de peuple, de nation et de patrie, et recouvre l'idée du vivre ensemble dans un univers politique ou culturel commun dont les membres peuvent influencer son fonctionnement et est adossée sur un sentiment d'appartenance générateur d'un esprit de solidarité.

Par contre, la seconde dimension concerne l'être individuel titulaire de droits et d'obligations. De là découle l'idée selon laquelle c'est l'assurance de la garantie des droits sociaux, culturels accessoirement, et, principalement des droits civils et politiques, qui confère à l'individu le statut du citoyen. Ainsi il n'y a pas de citoyenneté sans détention de libertés et droits fondamentaux. C'est d'ailleurs là la raison d'être de la disposition selon laquelle « L'Etat garantit à tous les citoyens de l'un et de l'autre sexe, les droits et libertés énumérés au préambule de la Constitution »12. La citoyenneté est donc l'assurance, mieux, la matrice de la garantie des droits fondamentaux de l'individu.

Au vu de toutes les définitions évoquées ci-dessus, l'on retient finalement que la citoyenneté est le statut accordé à l'individu au sein de l'Etat, lui conférant ainsi la détention et l'exercice des droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels. Elle confère notamment la capacité d'élire et de se faire élire et permet à cet effet la participation à l'exercice de la souveraineté par les membres de la communauté politique tant au plan national que local.

2. citoyenneté et nationalité

La notion de citoyenneté est voisine de celle de nationalité. Parce que touchant toutes les deux, plus ou moins différemment, au lien qui s'établit entre les habitants et la communauté politique à laquelle ils appartiennent, les notions de citoyenneté et de nationalité se confondent souvent. C'est ce qui justifie leur interchangeabilité, qui ne doit cependant pas voiler leur différence de sens. Il importe nécessairement de dégager une terminologie pour

11 Ibidem, p.155.

12 Cf. le préambule de la Constitution du Cameroun.

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chacune de ces notions qui soit le plus possible correcte et qui puisse faciliter leur compréhension et leur emploi.

Dans un premier sens, citoyenneté et nationalité se recouvrent presque entièrement. Lorsque dans un Etat donné la communauté des individus qui forment la nation, différents des étrangers, est unie par des éléments tels que la langue, la culture, la religion et la race communes, dans cette optique citoyenneté et nationalité ne font qu'un. Cela signifie que tous les citoyens d'un pays sont en principe les nationaux de celui-ci, et, seuls les nationaux en sont des citoyens. Dans cette optique, une notion est indifféremment utilisée pour désigner l'autre13. Ainsi, dans la batterie de droits fondamentaux reconnus et garantis à tout individu de par sa nature humaine14, il existe une catégorie substantielle de droits destinés exclusivement aux citoyens ou aux nationaux.

A l'état actuel du droit positif camerounais, le droit de vote et d'éligibilité par exemple ne sont pas reconnus aux étrangers ; seuls les nationaux en sont détenteurs. L'art. 2 al. 3 de la constitution camerounaise dispose que : « Le vote est légal et secret ; y participent tous les citoyens âgés d'au moins vingt (20) ans ». Une disposition analogue existe dans la Constitution française à son art. 3, qui affirme que : « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français ». La lecture croisée de ces deux dispositions donne à constater que les électeurs sont à la fois des citoyens et des nationaux, ce qui révèle une certaine similitude entre les nations de citoyenneté et de nationalité.

Dans un second sens, citoyenneté et nationalité ne s'assimilent pas dans la mesure où il existe entre les deux une différence dans les droits à bénéficier. L'individu ne nait pas forcément citoyen, il ne le devient que lorsque le droit lui confère ce statut juridique : la citoyenneté est dans cette optique une sorte de « capacitation juridique » de l'individu. La nationalité serait quant à elle la connexion nécessaire de nature juridique entre le sentiment d'appartenance à la communauté de l'individu avec la faculté de ce dernier à détenir et à exercer des droits et aussi à être débiteur d'obligations envers cette même communauté.

13 G. Cornu précise que le mot citoyen est parfois synonyme de national. Voir G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige. Dicos de poche, 7e éd., 2005, 970p.

14 Voir la disposition du préambule de la Constitution selon laquelle : « Le peuple camerounais proclame que l'être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

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Dans une autre hypothèse, le concept de citoyenneté ne renvoie pas à celui de nationalité lorsqu'on parle de citoyen du monde, expression qui s'inscrit dans le cadre de la mondialisation. Cette dernière voudrait que les interactions entre les Etats et les peuples soient suffisamment importantes pour que l'individu ne se considère plus seulement comme l'entité de la seule aire géographique, culturelle ou sociale dont il est originaire. C'est en fait un mouvement de déconstruction des frontières territoriales des Etats. Or, l'on sait que le cadre spatial de la citoyenneté est en principe le territoire de l'Etat au sein duquel elle est générée. Avec la mondialisation, le citoyen dévient un acteur transnational qui se déploie au-delà des frontières territoriales bien délimitées. Dans cette veine, le citoyen du monde n'a pas nécessairement la nationalité du pays dans lequel il porte des actions.

Au-delà de tout, il est important de retracer l'évolution de la citoyenneté au Cameroun, d'autant plus que les habitants des colonies et des territoires sous mandat de la France n'étaient pas des citoyens français 15 . Dans cette optique, l'on peut considérer que la revendication de la citoyenneté camerounaise est le fait de trois entités distinctes par leur nature.

La première entité est la Jeunesse camerounaise française (JEUCAFRA) qui, en tant que pionnière des organisations politiques camerounaises16, va réussir à contourner l'exclusion des « indigènes » du champ politique17, et, tenter de fabriquer pour ces derniers une certaine forme de citoyenneté18.

Par la suite, l'émergence du mouvement syndical donnera un nouveau tournant au mouvement de revendication populaire. En effet, ce mouvement est considéré comme une

15 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel. La théorie générale de l'Etat. Eléments, fonctions et organes de l'Etat, tome 2, 3e éd., première partie, 1928, p.16. Dans le même sens, il faut relever que la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 était « mise en veille en ce qui concerne les ressortissants des pays colonisés ou soumis à une limitation de souveraineté (tutelle) qui avaient été écartés [...] du bénéfice des droits et libertés ». Lire Jérôme Francis Wandji K., « L'organisation panafricaine dans son raport au principe d'humanité », Revue juridique et politique, no 4, 2013, pp. 395-431, (spéc. p.414).

16 C'est en fait le 15 décembre 1938 que remonte la première apparition publique de cette organisation. Lire à ce sujet Janvier Onana, « Entrée en politique : Voies promotionnelles de l'apprentissage et de l'insertion politiques des indigènes'' dans l'Etat colonial au Cameroun-l'expérience de la JEUCAFRA », polis, R.C.S.P./C.P.S.R., vol.7, no spécial, 1999-2000.

17 Le Pr. Janvier Onana parle dans ce sens d'un contexte « de disqualification civique et politique statutaire des indigènes'' ». Lire Janvier Onana, ibid., p.2.

18 Ibid., pp. 11-12.

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alternative permettant de mobiliser les populations camerounaises en vue de porter des revendications diverses19

Enfin, le dernier acteur est le mouvement partisan. Certes, « l'année 1947 vit la création de plusieurs partis politiques qui poussèrent comme des champignons dans plusieurs régions du Cameroun français »20.

B. Les cadres théorique et spatio-temporelle du sujet

La précision du cadre théorique du sujet (1) servira aisément à délimiter son cadre sptio-temporel (2).

1. Le cadre théorique du sujet

L'étude que nous entendons sur la citoyenneté relève fondamentalement de la théorie du droit, en ce sens qu'elle sera alimentée par l'analyse directe ou indirecte de certains concepts fondamentaux du droit constitutionnel tels que la République, la démocratie, les droits et libertés fondamentaux ou la Nation21.

De par l'intitulé de notre sujet, à savoir la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais, notre étude s'inscrit plus ou moins fondamentalement dans une démarche définitoire et de caractérisation de la notion de citoyenneté.

Ainsi, questionner cette notion reviendra en filigrane à passer au scanner la démocratie et le système de droits et libertés fondamentaux en vigueur au Cameroun. En fait, depuis la Grèce antique, le citoyen occupe une place centrale dans la vie et la gestion de la cité22. Il met en pratique ses droits et devoirs dans le cadre d'une société démocratique ; ce qui lui permet par ailleurs d'exercer la souveraineté et participer ainsi à la gestion du pouvoir à travers notamment le droit de vote, le droit à l'éligibilité, le contrôle des gouvernants et la

19 A ce propos, Abel Eyinga affirmait que : « ceux qui habitaient à Douala et Yaoundé se souviennent encore de l'engouement presque hystérique qui s'empara de la population pour la chose syndicale. De partout jaillissaient les associations professionnelles [...], un véritablement défoulement ». Lire Abel Eyinga, Démocratie de Yaoundé, tome 1, Syndicalisme d'abord, 1944-1945, Paris, L'Harmattan, 1985, p.65.

20 Victor A. Max Tamko, Abrégé d'histoire coloniale du Cameroun 1884-1961, Dschang, Dschang University Press, p.37.

21 Dans ce sens, Robert Mballa Owona affirme que « la théorie du droit se nourrit de l'analyse des grandes notions représentant les principaux instruments utilisés en droit ». Lire Robert Mballa Owona, La notion d'acte administratif au Cameroun, Thèse de doctorat de l'université de Yaoundé II Soa, 2010, p.6.

22 Cf. Aristote, La politique, op. cit., p.79.

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désobéissance civique lorsque ses droits sont menacés. Ainsi donc, cette étude entend analyser l'effectivité du statut du citoyen comme socle de la démocratie.

En outre, il faut relever que la citoyenneté est l'un des éléments consubstantiels de la République, en ce sens qu'elle constitue le Res publica, c'est la chose de tous. Les citoyens camerounais sont membres d'une communauté politique enracinée dans la mystique de ce qu'Ernest Renan désignait comme le « vouloir vivre ensemble »23. Ainsi, au sein de la République, le citoyen fonde ses qualités morales sur la recherche de l'intérêt général. De même, il doit se caractériser par une adhésion sans limites aux valeurs de la République, car il ne peut avoir de citoyenneté sans valeurs. Cette étude ambitionne donc de faire le décryptage de ce lien au regard du contexte camerounais.

2. Le cadre spatio-temporel

L'intitulé de notre sujet est la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais ; il y transparaît clairement son cadre géographique : seul le droit positif camerounais nous intéresse, les droits étrangers ne pourraient être évoqués qu'à titre de droit comparé, étant donné que « La méthode comparative est [...] employée à tous les stades de la recherche. Elle fait partie de l'observation, mais peut aussi suggérer des hypothèses et parfois même les vérifier »24.

En ce qui concerne le cadre temporel, il couvre la période de l'accession du Cameroun à l'indépendance le 1er janvier 1960 à nos jours. Cependant, le point culminant de notre étude se situera évidemment à partir de 1996. Ce repère temporel se justifie par le fait qu'il s'est opéré au Cameroun une réforme constitutionnelle substantielle en date du 18 janvier 1996 ; laquelle a été instauratrice de nouveaux paradigmes, qui dès lors fortement corrélés à la notion de citoyenneté. Il s'agit par exemple des concepts de minorités et de populations autochtones25 ou de décentralisation territoriale26. Le recours aux périodes de 1960, 1961 et 1972, années

23 En effet, selon Renan, « La Nation naît du besoin de vivre en commun, de la communauté d'intérêts résultant de la cohabitation sur un même territoire ». Lire Joseph Owona, op. cit., p.19.

24 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 11e éd., 2001, p. 420.

25 Voir le préambule de la constitution du 2 juin 1972, modifiée par loi constitutionnelle no 96/06 du 18 janvier 1996.

26 L'art. 1er al. 2 de la Constitution du Cameroun dispose que : « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé ».

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d'élaboration ou de révision de la Constitution, s'avère fort nécessaire ; car cela nous servira de base à la conduite d'une démarche évolutive et comparative.

Suite à sa détermination, peut-on seulement trouver en cette étude une certaine pertinence ?

II. L'INTERET DU SUJET

Traiter du sujet sur la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais permettra de révéler bien de champs qui méritent d'être étudiés.

Au plan heuristique, il est à préciser que notre étude entend « contribuer à une avancée dans l'ordre de la connaissance, de la réflexion, de l'analyse ou de la création »27.

Dans cet ordres d'idées, considérant en l'occurrence la récurrence des débats et revendications relatives à la double nationalité, notre étude tire l'un des éléments de son originalité en ce qu'elle entend contribuer à la construction théorique de ce à quoi pourrait ressembler la « citoyenneté hybride » dans la perspective de la consécration de la double nationalité au Cameroun ;d'autant plus que cette forme de citoyenneté a déjà cours, de façon certes informelle, mais notoire, dans notre pays. En effet, à l'observation, certaines personnes se prévalent allègrement de la citoyenneté camerounaise en dépit du fait qu'elles aient déjà obtenu une nationalité étrangère en perdant par-là la nationalité camerounaise. Notre étude peut ainsi servir à apporter, en termes de perspectives, des bases de la double nationalité formelle.

L'autre enjeu théorique de notre travail résidera dans l'analyse qu'elle entend mener sur l'état de la citoyenneté camerounaise dans une aire géographique particulière à plusieurs égards du territoire national, à savoir la presqu'île de Bakassi. Compte tenu de la fin le 14 août 2013 du régime spécial transitoire, prévu par les accords de Greentree du 12 juin 2006, le Cameroun a entre autres défis majeurs d'y promouvoir sa nationalité et sa citoyenneté en vue de faire face à la force démographique nigériane observable dans cette zone.

Parce que cette étude s'inscrit dans un cadre scientifique, il nous incombe de lui appliquer une démarche méthodologique.

27 Michel Beaud, L'art de la thèse, Paris, La découverte, 5e éd. 2006, p.10.

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III. LA METHODE RETENUE PAR L'ETUDE

Toute analyse scientifique d'une notion juridique nécessite une méthode. La méthode est selon Madeleine Grawitz le « moyen de parvenir à un aspect de la vérité »28.

Notre étude s'inscrit dans une démarche constructiviste, ce qui devra nous conduire à trouver les voies et moyens pour une adaptation de la citoyenneté aux évolutions de la société politique et juridique camerounaise. Il nous revient donc de relever d'abord le statut du citoyen, de l'analyser ensuite et enfin de dégager des perspectives fortes dans lesquels peut s'inscrire la citoyenneté au Cameroun. Il s'agit à terme de proposer des données en vue d'atteindre un saut qualitatif de la citoyenneté aussi bien aux plans politique, économique, social que culturel.

C'est dans cet objectif que nous ferons recours d'une part au positivisme juridique, en tant que méthode principale (A). Mais puisque « le propre de la méthode [...] est d'aider à comprendre au sens le plus large, non les résultats de la recherche scientifique, mais le processus de la recherche lui-même »29, nous ferons aussi appel au positivisme de nature sociologique (B).

A. Le positivisme juridique

Selon la doctrine du positivisme juridique, le droit existe indépendamment de toute considération sociologique, religieuse ou morale ; le droit est intrinsèque à l'Etat.

Cette doctrine se contente de présenter les normes telles qu'elles existent.

Le positivisme juridique est une approche conceptuelle du droit qui prône l'exégèse et la dogmatique juridique comme méthodes d'analyse du droit. Il exclut du champ de ce droit le droit naturel, qui découle de la volonté divine ou des valeurs morales.

Par le recours à cette méthode, nous allons évidemment consulter un éventail de documents, surtout constitutionnels, législatifs et doctrinaux relatifs à la thématique de la citoyenneté en vue de définir clairement le cadre juridique qui servira de jalons à nos analyses.

28 Madeleine Grawitz, op. cit., p. 419.

29 A. Kaplan, cité par Madeleine Grawitz, op. cit. , p. 15.

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Dans un premier temps, il s'agit des trois constitutions du Cameroun : la constitution du 4 mars 1960, celle du 1er septembre 1961 et enfin celle du 2 juin 1972. La loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, alors assimilée du point de vue formel à la loi portant révision de la constitution du 2 juin 1972, revêtant pourtant du point de vue matériel les caractères d'une véritable Constitution30, constituera un référent de taille à notre étude.

Ensuite, nous-nous appuierons sur une série de textes législatifs, notamment la loi no 2012/001 du 19 avril 2012, portant code électoral du Cameroun ; les lois relatives à la décentralisation31. De même, la loi 68 / NF/13 du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise constitue également un matériau de travail capital.

Enfin, suivant la dogmatique juridique, nous nous évertuerons à décrypter ces textes Constitutionnels et législatifs et éventuellement suggérer des perspectives quant à leur évolution, leur adaptabilité en vue de combler leurs éventuelles lacunes et vides.

B. Le positivisme sociologique

Le droit ne peut être détaché de l'environnement social, politique, culturel ou économique dans lequel il émerge ; il repose sur les nécessités de la société, lesquelles lui confèrent une force en tant que corps de règles obligatoires. Dans ce sens, le positivisme sociologique porte sur l'idée selon laquelle les normes juridiques tirent leur source et leur valeur des phénomènes sociaux. Cette méthode de recherche prôné l'idée de la libre recherche scientifique.

Parmi les tenants de cette tendance méthodologique, l'on peut citer François GENY, qui est considéré comme le précurseur de la méthode de libre recherche scientifique ou méthode d'interprétation sociologique du droit, reconnait notamment dans le droit une part de « donné » et une part de « construit ». Le « donné » produit des règles fondées directement sur

30 Lire à ce sujet Léopold Donfack Sokeng, « Existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux », Polis revue camerounaise de science politique, vol. 1, no spécial, 1996, pp. 2-3.

31 Il s'agit de la loi no 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation, de la loi n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicable aux communes et de la loi no 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions.

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ce qu'il appelle « la nature sociale », tandis que le « construit »permet d'adapter, de faire évoluer ces données brutes en vue de les rendre conformes aux besoins sociaux changeants32. Bien que juridique, la notion de citoyenneté revêt cependant un fort contenu sociologique, prédestinant ainsi un ancrage de notre étude dans le positivisme sociologique.

IV. LA PROBLEMATIQUE

D'après Michel Beaud, la problématique « c'est l'ensemble construit, autour d'une question principale, des hypothèses de recherche et des lignes d'analyse qui permettront de traiter le sujet choisi »33. Cela dit, l'axe central de notre étude est constitué de questions sur le statut, la participation du citoyen et la dynamique de la citoyenneté tels que transparaissant dans le constitutionnalisme camerounais. En fait, nous traiterons de la prise en charge de la thématique de la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais. Dans cette optique, la question qui se dégage est la suivante : quels sont les caractéristiques découlant du régime juridique de la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais ?

De cette question se dégage plusieurs autres questions connexes :

Quels sont les éléments à partir desquels se déterminent la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais ?

L'idée force de la citoyenneté républicaine est l'affirmation du principe d'égalité en droits de tous les citoyens, avec pour corollaire l'unicité et l'uniformité de la citoyenneté et le rejet de toute fragmentation de celle-ci. De cette façon, quelles sont les conséquences de la vive confrontation dans le constitutionnalisme camerounais entre l'idée d'unicité et d'indivisibilité de la République (socle de la citoyenneté) avec celle de promotion de la diversité culturelle et sociologique du pays ?

La conceptualisation de la citoyenneté prend inévitablement en compte le lien existant entre la Nation, la nationalité et le citoyen. Il est donc nécessaire d'examiner la distance qui sépare l'Etat de la citoyenneté, compte tenu du phénomène d'interpénétration des peuples, marqué par la « déterritorialisation » des communautés nationales, c'est-à-dire leur localisation en dehors de l'espace territorial national d'origine. Lequel phénomène n'est-il pas

32 Lire dans ce cadre François Gény, Science et technique en droit privé positif, Paris, Sirey, 1921

33 Beaud Michel, L'art de la thèse, op. cit., p. 55.

susceptible de conduire à la « dénationalisation » de la citoyenneté ? Autrement dit, la nationalité peut-elle encore demeurer le fondement exclusif du lien de citoyenneté ?

Relativement à la problématique ainsi dégagée, l'hypothèse, c'est-à-dire « la proposition de réponse à la question posée »34, que nous avançons repose sur l'idée selon laquelle les traits fondamentaux d'identification de la citoyenneté défini par le droit constitutionnel camerounais font d'elle une notion ambivalente. En effet, en cette notion cohabitent constance et volatilité juridiques.

V. L'ANNONCE DU PLAN

Analyser le régime juridique de la citoyenneté en droit constitutionnel tout en présentant ses caractéristiques reviendra à montrer qu'elle bénéficie d'un ancrage constitutionnel d'une part (première partie), et d'autre part à décrypter sa dynamique (seconde partie).

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34 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit., p.398.

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PREMIERE PARTIE :

L'ANCRAGE CONSTITUTIONNEL DE LA CITOYENNETE AU CAMEROUN

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Dès son accession à la souveraineté internationale le 1er janvier 1960, l'Etat du Cameroun a revêtu la forme constitutionnelle de République. Cela marquait en fait l'émergence de la citoyenneté camerounaise. Dans ce sens, l'acte majeur de l'Etat indépendant, nouveau membre de la communauté internationale, en faveur justement de la volonté de définir et de construire un statut du citoyen camerounais, fut son adhésion sans réserve aux textes internationaux relatifs aux droits de l'Homme et aux libertés publiques35 tels que la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948, la Charte des Nations Unies du 26 juin 1956. Ainsi, les populations camerounaises, considérées jusqu'à l'indépendance par les administrations coloniales française et anglaise comme des « indigènes » dépourvus de droits substantiels, allaient désormais se voir reconnaitre un véritable statut de citoyen ; car la citoyenneté tire son essence juridique de l'Etat. En effet il n'y a pas de citoyenneté réelle sans Etat, de même qu'il n'y a pas d'Etat sans citoyens.

Cette entreprise sera poursuivie par la suite à travers la réception en droit national de plusieurs autres textes fondamentaux tels que le pacte international sur les droits civils et politiques, La Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, la convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité 36 . La loi constitutionnelle no 96/06 du 18 janvier 1996 dispose que le peuple camerounais « affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte des Nations unies, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et toutes les conventions dûment ratifiées ».

De ce qui précède, La conséquence fondamentale de la citoyenneté dans l'ordre constitutionnel camerounais est l'élaboration d'un régime de droits et devoirs attachés à la citoyenneté (chapitre I). De même, la citoyenneté apparait comme l'élément de promotion de l'intérêt général (chapitre II).

35 En effet, la Constitution du 04 mars 1960 énonçait dans son préambule que le Peuple camerounais « Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Charte des Nations Unies ».

36 Le Cameroun a par exemple adhéré à la convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité de 1968, le 6 octobre 1972 et il a ratifié le pacte international sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966, le 27 juin 1984.

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CHAPITRE I :

LE REGIME DES DROITS ET DEVOIRS ATTACHES

A LA CITOYENETE

De prime abord, signalons que tous les individus vivant sur le territoire de l'Etat du Cameroun ne sont pas des citoyens camerounais. Le droit de citoyen est le droit reconnu à tout individu du fait de la détention de la nationalité camerounaise. Aristote affirmait à ce propos qu' « on n'est pas citoyens simplement par le fait d'être domicilié dans une cité »37 .

La citoyenneté est un faisceau dynamique de droits et devoirs reconnus au national de l'Etat. C'est dans ce sens que Dominique Schnapper affirmait que : « la citoyenneté définit un ensemble de droits et de devoirs réciproques à l'intérieur de la société étatique nationale»38.

Ainsi depuis la première Constitution camerounaise du 04 mars 1960 jusqu'à la loi constitutionnelle no 96/06 du 18 janvier 1996, modifiant la Constitution du 2 juin 1972, force est de constater une formulation expresse et de plus en plus enrichissante des droits et devoirs du citoyen. Le constituant s'est en effet toujours employé à inscrire les droits et les devoirs du citoyen au frontispice de la Constitution, à savoir le préambule, dont la pleine valeur juridique39 implique de les lier à l'ensemble du bloc de constitutionnalité. Au Cameroun, la consécration de ces droits et devoirs du citoyen s'est faite principalement par la technique énumérative, qui consiste justement à dresser dans le préambule de la Constitution une série de ces droits et devoirs40.

Le statut de citoyen est donc basé autour de deux pôles fondamentaux et indissociables, à savoir la consécration des droits (section 1) et la prescription de devoirs à la charge du citoyen (section 2).

37 Aristote, La politique, op. cit., p. 69.

38 Michel Coutu, « La nation entre communauté et société : réflexions autour de Ferdinand Tönnies et de Max Weber », in Michel Coutu, Pierre Bosset et al., op. cit., pp. 141-161, (spéc. p.143).

39 L'art. 65 de la loi constitutionnelle no 96/06 du 18 janvier 1996 dispose que : « Le préambule fait partie intégrante de la constitution ».

40 A coté de la technique dite énumérative, il existe celles de l'énonciation et de l'insertion. La première consiste à faire référence dans la constitution à certains textes fondamentaux régissant les droits et devoirs du citoyen. La seconde renvoie à une insertion dans le texte constitutionnel d'une ou de plusieurs déclarations des droits et devoirs.

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SECTION I : LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DES DROITS ATTACHES AU STATUT DU CITOYEN

La citoyenneté est un statut, une faculté d'obtenir de la société politique le bénéfice de divers droits. Par cette reconnaissance de droits au profit du citoyen, le constituant souscrit au principe d'humanité. En effet, l'Etat doit se préoccuper de « l'impératif qu'il y'a à faire également du droit national un droit protecteur des individus »41.

Dans cette optique, la citoyenneté se rattache inexorablement aux libertés et droits fondamentaux, car « l'affirmation des droits de l'homme est, dès l'origine, intrinsèquement liée à celle des droits du citoyen »42. C'est donc dire que le citoyen est voué à détenir des droits du seul fait de sa nature humaine.

La consécration des droits du citoyen camerounais a pleinement été entamée avec l'élaboration de la toute première Constitution du pays, celle du 4 mars 1960. Le Pr. Maurice Kamto disait à ce sujet que : « La détermination du lieu d'énonciation des droits dans les Constitutions africaines est une étape essentielle dans la recherche de leur assise juridique, car avant même de s'interroger sur leur contenu et leur garantie effective, il faut déjà s'assurer qu'il s'agit de normes juridiques »43. Ainsi, dans son oeuvre de construction de la citoyenneté, le constituant camerounais a opté pour une taxinomie des droits civils et politiques d'une part (§1), et des droits économiques, sociaux et culturels d'autre part (§ 2).

Paragraphe 1 : LES DROITS ET LIBERTES CIVILS ET POLITIQUES DU CITOYEN CAMEROUNAIS

Les droits civils et politiques sont des « droits fondamentaux des personnes reconnus par les instruments internationaux de protection des droits de l'Homme, tels que la liberté de la personne, sa dignité, le respect de sa personnalité, sa protection dans ses relations avec l'Etat et sa participation aux décisions de ce dernier » 44 . En dépit de leur insertion

41 Jérôme Francis Wandji K. « L'organisation panafricaine dans son rapport au principe d'humanité », Revue juridique et politique, 2013, no 4, pp. 395-431, (spéc. p. 398).

42 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès, Libertés publiques et droits de l'homme, Paris, Montchrestien, L.G.D.J., Lextenso, 9è éd., 2008, p. 27.

43 Maurice Kamto, « L'énoncé des droits dans les Constitutions des Etats africains francophones », RJA, nos 2 et 3, 1991, p.7.

44 Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., 2011, Dalloz, p.340.

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constitutionnelle constante45, ces droits vont connaitre leur plein essor au Cameroun avec la démocratisation au début des années 199046.

Outre les classifications dont les droits civils et politiques ont pu faire l'objet47, dans le cadre de ce travail, nous les énumérerons de manière sélective, étant entendu que certains d'entre eux sont consacrés pour en déduire d'autres. Ainsi nous aborderons les droits et libertés civils d'une part (A), et politiques d'autre part (B).

A. Les droits et libertés civils du citoyen

De manière générale, les droits civils visent à garantir la liberté et l'autonomie des citoyens, leur faculté de choix et de libre option. Il s'agit d'attributs qui en principe n'exigent qu'une obligation de la part de l'Etat, à savoir celle de les respecter. A ce niveau, nous aborderons tour à tour le groupe des libertés physiques (1) et celui des libertés intellectuelles (2).

1. Les libertés physiques

« Les libertés physiques concernent la personne humaine en tant qu'être charnel »48 Ressortissent à cette catégorie plusieurs types de droits, dont les plus importants sont notamment le droit à la vie, la sureté et la liberté d'aller et venir.

Le droit à la vie découle directement du principe d'humanité, lequel « exprime la valeur sacrée, inaliénable de la personne humaine et lui engendre en les conjuguant les droits à la vie, à la dignité »49. Il revêt un caractère fondateur, car son respect est « la condition nécessaire à l'exercice de tous les autres droits »50.

45 Les droits et libertés civils et politiques du citoyen sont en effet largement énoncés dans les différents préambules des constitutions du 04 mars 1960 et du 02 juin 1972.

46 Dans la foulée de la chute du mur de Berlin et de l'instauration d'un système démocratique au Cameroun, la définition du statut du citoyen prenait de plus en plus corps. Cela allait de soi dans la mesure où la démocratie est indispensable à l'effectivité de la citoyenneté. Autrement dit, la démocratie peut à juste titre être considérée comme l'environnement idéal de la citoyenneté.

47 Dans ce cadre, nous avons les distinctions suivantes : libertés individuelles-libertés collectives ; les libertés moyens-libertés fins ; libertés matérielles-libertés intellectuelles. Cf. D. Alland et S. Rials (dir), Dictionnaire de culture générale, Paris, Puf, 2003, p. 537.

48 Manuel Henri Oberdorff, Droits de l'homme et libertés fondamentales, Paris, LGDJ, 2008, p. 231.

49 Jérôme Francis Wandji K., « L'organisation panafricaine dans son rapport au principe d'humanité », op. cit., p. 398.

50 Serges François Sobze, La dignité humaine dans l'ordre juridique africain, thèse de doctorat de l'Université de Yaoundé II-Soa, 2013, p. 62.

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A première vue, le droit à la vie signifie simplement le droit à la vie physique. Il ne renvoie pas forcément au droit à une vie digne.

Concrètement, le droit à la vie concerne l'existence même de la vie, pour le dire ainsi. Le terme vie est entendu ici au sens biologique ; il s'agit donc en quelque sorte du droit à ne pas mourir51 face auquel l'Etat a une responsabilité négative, c'est-à-dire qu'il ne doit rien faire pour empêcher aux citoyens l'exercice de leur droit à la vie52.

Dans sa substance le droit à la vie ne concerne pas forcément jusqu'à la qualité de la vie. Dès lors, la distinction entre le droit à la vie proprement dit et le droit à un niveau et conditions de vie dignes, qui ressortissent des droits économiques et sociaux, s'impose d'elle-même53. Cependant, en dépit de cette distinction, il conviendrait de noter que la garantie du droit à une vie décente ou digne est souvent une condition de l'effectivité du droit à la vie. Il en est ainsi par exemple lorsque les mauvaises conditions de vie des citoyens peuvent entrainer leur décès. Il devient donc évident que la protection du droit à la vie implique nécessairement l'intervention de l'Etat en termes d'amélioration du niveau et de la qualité de vie de ses citoyens54.

La sûreté vise à protéger les divers aspects de l'activité humaine et en particulier à garantir la liberté : elle est considérée comme le droit à la liberté et « constitue un point de départ déterminant pour l'exercice de l'ensemble des autres libertés. L'atteinte arbitraire à la sûreté personnelle vide le contenu concret des autres libertés »55. Ainsi, nul ne peut être privé de liberté, sauf en cas de détention préventive à sa présentation devant l'autorité judiciaire d'une part, ou en cas de détention légale à la suite d'une condamnation par cette dernière d'autre part. A ce propos, toute personne doit être informée, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation56.

51 La question de l'avortement par exemple implique à la fois le droit à la vie du foetus et celui de la mère. Dans le premier cas, la protection du droit à la vie du foetus est garantie et cela entraine la condamnation pénale de l'avortement. Dans le second cas, le droit à la santé de la mère et son droit à la vie peuvent justifier l'avortement lorsque la conservation de la grossesse présente un danger certain à la vie de cette dernière.

52 Cf. Serges François Sobzé,op. cit., p. 62.

53 Le contenu du droit à la vie est plus facile à appréhender lorsqu'il se limite à la seule vie au sens physique ou physiologique du terme. Alors que le droit à une vie décente est déjà protégé par une série de droits économiques et sociaux comme le droit à la santé ou le droit au travail.

54 C'est dans ce sens que le préambule de la Constitution déclare que le Peuple camerounais est « résolu à exploiter ses richesses naturelles afin d'assurer le bien-être de tous en relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination »

55 Manuel Henri Oberdorff, Droits de l'homme et libertés fondamentales, op. cit. p. 233.

56 Cf. art. 31 de la loi no 2005 -007 du 27 juillet 2005, portant code de procédure pénale au Cameroun.

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Ce droit, qui vise à empêcher que toute personne soit arrêtée ou détenue de manière arbitraire est garanti par l'existence de certaines règles de procédure, surtout en matière pénale, notamment le respect de la présomption d'innocence, la célérité des procédures, le respect des droits de la défense et le principe de non-rétroactivité de la loi pénale.

La liberté d'aller et venir ou liberté de circulation signifie le droit pour tout citoyen de se déplacer à l'intérieur du territoire national sans aucune restriction. En effet, « Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer librement, sous réserve des prescriptions légales relatives à l'ordre, la sécurité et à la tranquillité publics »57. Jean Gicquel et Jean-Eric Gicquel disent à ce sujet que « L'indépendance physique de l'individu signifie, par ailleurs, qu'il peut se déplacer à l'intérieur du territoire national, s'y fixer, le quitter et le retrouver à son gré »58.

2. Les libertés intellectuelles ou de l'esprit

Le principal leitmotiv des lois de 1990 a été la définition du régime juridique de l'essentiel des droits, c'est-à-dire « l'encadrement juridique de la mutation politique »59. Elle a été marquée par l'adoption au cours de la « session parlementaire dite des libertés »60, d'une série de lois destinées en effet à consacrer un ensemble de droits et libertés civils qui, pour certains, présentent des traits connexes. Nous énumérons essentiellement sur la liberté de réunion et d'association (a), la liberté de communication (b) et la liberté de culte (c).

a). La liberté de réunion et d'association

La loi no 90/053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de réunion et d'association a été élaborée en vue de permettre à ceux qui partagent en commun un but, de se regrouper dans le cadre d'une association, à l'effet d'accomplir ledit but. La loi suscitée définit l'association comme « la convention par laquelle des personnes mettent en commun leurs connaissances ou

57 Voir le préambule de la Constitution du Cameroun.

58 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, EJA, 20e éd., 2005, p. 88.

59 Lire à ce sujet Jérôme Francis Wandji K., « Processus de démocratisation et évolution du régime politique camerounais d'un présidentialisme autocratique à un présidentialisme démocratique », Revue belge de droit constitutionnel, 2001, pp. 437- 469, (spéc. p. 450).

60 Ibidem.

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leurs activités dans un but autre que de partager des bénéfices »61. L'utilisation du terme convention, c'est-à-dire un accord de volontés entre des parties, pour définir la notion d'association traduit certainement la volonté du législateur de laisser une grande marge de liberté aux citoyens, afin que ceux-ci, sans empiètement de la puissance publique, puissent librement mettre en oeuvre leur volonté de créer des associations. C'est dans ce sens que l'on dit que « la liberté d'association signifie la liberté de créer une association »62.

Toutefois, il convient de signaler que l'acquisition de la personnalité juridique par une association ne passe en principe qu'à la suite d'une déclaration63, sauf pour les associations étrangères et religieuses pour lesquelles la loi prévoit le régime de l'autorisation64.

La liberté d'association et de réunion est intimement liée à la liberté de manifestation. Cette dernière obéit tout aussi au simple régime de la déclaration, c'est-à-dire que les citoyens regroupés au sein des associations qui souhaitent organiser une manifestation publique ne sont tenus que d'en faire la déclaration à l'autorité administrative territorialement compétente. Cette dernière peut cependant interdire la manifestation si elle estime qu'elle présenterait des risques de trouble à l'ordre public. L'appréciation de ces risques relève de la discrétion de cette autorité administrative.

b). La liberté de communication

La liberté de communication est régie par la loi no 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de la communication sociale, modifiée par la loi no 96/04 du 4 janvier 1996.

Elle englobe la liberté de presse, la liberté d'expression, la liberté d'opinion et le droit à l'information. En fait, la liberté d'opinion ne serait pas effective si elle n'était pas accompagnée de la liberté d'expression. De ce point de vue, tout citoyen a le droit d'exprimer et de diffuser librement ses opinions par les moyens de la parole, de l'écrit, de l'image ou par toute autre voie de communication. Le préambule de la Constitution du Cameroun énonce que : « La liberté de communication, la liberté de d'expression, la liberté de presse [...] sont garanties dans les conditions fixées par la loi ». Dans cette optique, la loi no 90/052 du 19

61 Voir l'art. 2 de la loi no 90/053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de réunion et d'association

62 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès, Libertés publiques et droits de l'homme, Montchrestien, L.G.D.J., Lextenso, 2008, 9e éd., p. 49.

63 Voir les art. 5 al. 1 et 7. de la loi no 90/053 du 19 décembre 1990.

64 Voir art. 5al.2 de la loi no 90/053 du 19 décembre 1990.

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décembre susmentionnée est destinée à définir le régime juridique de la liberté de communication. Elle prévoit par exemple pour le cas de la presse écrite que « la publication des organes de presse est libre »65. De même, elle énonce que : « Sous réserve des textes relatifs à la radioélectricité privée, la communication audiovisuelle est libre »66.

Avec la réforme de la loi de 1990 suscitée à la faveur de la loi no 96/04 du 4 janvier 1996, la pratique de la censure administrative a disparu dans le domaine de la presse écrite. Le Pr. Albert Mbida disait à ce propos que : « Le Cameroun s'est aligné sur les principes du système libéral de tous les pays démocratiques qui excluent toute intervention administrative préalable sur le contenu de l'information »67.Dans la dynamique de la mise en oeuvre de la liberté de communication, l'Etat camerounais a opéré dès l'année 2000 la libéralisation du secteur de la communication audiovisuelle. Ainsi, « Les activités de communication audiovisuelle [...] sont subordonnées à l'obtention d'une licence délivrée par arrêté du Ministre chargé de la communication, après avis motivé du Conseil National de la Communication68. L'on observe dès lors une grande multiplicité des organes de presse écrite et audiovisuelle.

c). La liberté de culte

La liberté du culte est la liberté reconnue à tout individu de choisir et d'exprimer sa foi et de se livrer aux rites et pratiques imposées par sa religion. Elle est connexe à la liberté de conscience et à la liberté de religion. Elle reconnaît le droit à chacun de choisir librement sa confession religieuse d'une part, et de d'exprimer sa foi d'autre part. La Constitution camerounaise énonce à cet effet que : « La liberté du culte et le libre exercice de sa pratique sont garantis »69. Cela implique que nul ne peut subir une discrimination en raison de sa religion. La garantie de la liberté de culte et de religion au Cameroun réside dans la

65 Voir art. 6 de la loi no 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de la communication sociale, modifiée par la loi no 96/04 du 4 janvier 1996.

66 Voir art. 36 al.1 de la loi no 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de la communication sociale.

67 Albert Mbida, « Evolution du cadre juridique des entreprises de presse au Cameroun », Cahier africain des droits de l'homme, no 5, octobre 2000, pp. 33-42, (spéc. p. 39).

68 Voir art.8 du décret no 2000/158 du 03 avril 2000, fixant les conditions et les modalités de création et d'exploitation des entreprises de communication audiovisuelle.

69 Cf. le préambule de la Constitution du Cameroun.

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proclamation constitutionnelle de la laïcité de l'Etat70. Ainsi, parce qu'il n'existe pas de religion d'Etat, les citoyens ne sont pas astreints à une uniformisation de la croyance religieuse, ce qui permettrait d'éviter des conflits confessionnels. Autrement dit, « une séparation de l'Etat et de l'Eglise a été préférée afin de ne pas susciter des conflits confessionnels »71.

B. Les droits politiques du citoyen

A l'origine de la citoyenneté, les droits politiques étaient considérés comme la pierre angulaire du statut de citoyen ; car ils « font de lui un acteur de la cité, partie prenante à l'exercice du pouvoir »72. Autrement dit, « la liberté politique est le droit, pour les citoyens, de participer au gouvernement de l'Etat, c'est-à-dire de désigner et de révoquer leurs gouvernants »73. Relèvent essentiellement de la famille des droits politiques, le droit de vote (1) et le droit à l'éligibilité (2).

1. Le droit de vote

Les autorités détentrices du pouvoir politique au sein de l'Etat, tiennent leur pouvoir du peuple à travers la voie des élections au suffrage universel direct ou indirect74. Ainsi, « Le vote est égal et secret ; y participent tous les citoyens âgés d'au moins vingt (20) ans »75. Par le moyen du suffrage universel, les citoyens contribuent à la formation du destin commun et de la volonté générale. Ce raisonnement est partagé par Yves Déloye et Olivier Ihl, qui affirment que : « le vote relie des gens qui ont peu en commun »76. Ils ajoutent par ailleurs que l'acte de vote « procure aux citoyens le sentiment d'appartenir à une même communauté nationale »77.A la lecture de l'art. 2al. 3 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 sus, les caractères du vote renvoient à l'égalité, au secret et à la condition d'âge.

70 Le préambule de la Constitution énonce en effet que « L'Etat est laïc. La neutralité et l'indépendance de l'Etat vis-à-vis de toutes les religions sont garanties »

71 Jérôme Francis Wandji K., « La déclaration française des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et l'Etat en Afrique », Revue française de droit constitutionnel, 2014/3, no 99, pp.e1-e28, (spéc. p. e10).

72 Ibid., p. e17.

73 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 20è éd., 2005, p. 83.

74 Voir art. 2 al.2 de la Constitution du Cameroun.

75 Voir art. 2 al.3 de la Constitution du Cameroun.

76 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote, Paris, Presses de sciences po, 2008, p. 46.

77 Ibid., p. 47.

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L'égalité du vote, encore appelée égalité de suffrage, se résume par la formule « Un homme, une voix ». Elle signifie que tous les citoyens-électeurs participent égalitairement à la désignation des dirigeants de l'Etat. Autrement dit, l'évaluation numérique du suffrage valablement exprimé ne se fait pas en considération de la condition sociale ou économique encore moins de la race, de la religion ou de l'origine de l'électeur. Selon Elisabeth Zoller, le suffrage doit être égal en ce sens que « l'électeur doit être équitablement et effectivement représenté »78. Ainsi, « Dire que le suffrage doit être égal signifie au minimum que chaque voix doit peser d'un poids identique à l'autre ou, si l'on préfère, que chaque voix doit compter pour un vote, non pour une moitié de vote ou pour deux votes »79. Le principe de l'égalité du vote exclut donc automatiquement le vote familial, le suffrage multiple et le suffrage plural80. La technique du découpage électoral participe de la mise en oeuvre de la règle de l'égalité de vote. Dans ce cadre, le nombre de sièges par circonscription électorale est attribué sur la base de l'importance démographique de celle-ci81.

Le secret du vote signifie que le vote est caché de la vue, qu'il est confidentiel. Sur le plan pratique, ce sont entre autres la présence d'un isoloir dans le bureau de vote, la mise du bulletin de vote dans une enveloppe qui permettent de garantir la confidentialité du vote.

Concrètement, à l'issue de la phase de campagne électorale, après la ventilation des programmes et des professions de foi des candidats, l'électeur se retrouvera tout seul dans l'isoloir le jour du scrutin pour faire son choix entre plusieurs bulletins de vote, cela loin des influences des médias et des groupes de pression. Nul ne peut donc déterminer le bulletin qu'il a introduit dans l'enveloppe. Le secret du vote permet donc de protéger l'indépendance

78 Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel, Paris, Puf, 1è éd. 1998, p. 503. 79Ibidem.

80 En fait, Le vote familial est un système de vote dans lequel le chef de famille détient un nombre de voix qui correspond à l'importance numérique de cette famille.

Quant au suffrage multiple, c'est un système qui permet à une catégorie d'électeurs, en raison du fait qu'ils remplissent certaines conditions, de voter dans plusieurs circonscriptions lors d'une même élection. Il était en vigueur en Grande Bretagne jusqu'en 1951.

Le suffrage plural enfin est celui qui attribue une ou plusieurs voix supplémentaires aux électeurs qui ont un intérêt spécial dans les affaires de l'Etat, il peut s'agir des diplômés, des propriétaires, des chefs de famille nombreuse, des opérateurs économiques, etc.

81 En ce qui concerne notamment l'élection municipale, l'art. 173 al.1de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012, portant code électoral, prévoit par exemple que pour : Les communes de moins de cinquante mille habitants, le nombre de conseillers municipaux est de vingt-cinq ; pour les communes de cinquante mille à cent mille habitants, le nombre de conseillers est de trente et un ; alors que pour les communes de cent mille un à deux cent mille habitants, le nombre de conseillers est de trente-cinq.

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de l'électeur. Ainsi, « pour les citoyens, il est indispensable que le vote soit secret pour préserver leur liberté et éviter les pressions »82.

Le Pr. Marie-Anne Cohendet pense par contre que le vote ne devrait pas être secret pour les élus car la publicité de leur vote est « nécessaire pour qu'ils respectent leurs engagements et assument leurs responsabilités devant leurs électeurs »83.

Un minimum de maturité intellectuelle et de conscience politique sont nécessaires pour pourvoir participer aux élections de manière éclairée. Longtemps fixée à 21 ans84, la majorité électorale a été abaissée à 20 ans depuis la loi constitutionnelle du 18 janvier 196085.

Conformément à cette disposition constitutionnelle, l'art. 45 de la loi no 2012/001 du 19 avril 2012, portant Code électoral, prescrit que seuls les citoyens âgés de 20 ans révolus peuvent être inscrits sur les listes électorales86.

La condition d'âge est une exigence fondamentale du droit électoral camerounais. C'est

fort de cela que les requêtes de deux parties politiques, à savoir le SDF et de l'UNDP, portant sur l'annulation des élections législatives et municipales du 30 juin 2002 dans la circonscription électorale de la Mefou et Akono au motif qu'avaient pris part au vote des jeunes âgés de moins de 20 ans. Au final, le juge électoral, par l'arrêt no 32/CE/01-02 du 17 juillet 2002, avait donné une suite favorable à ces requêtes en décidant de l'annulation et de la reprise des élections dans ladite circonscription.

2. Le droit à l'éligibilité

En principe, tout citoyen peut librement se porter candidat à une élection nationale ou locale. Tel est en effet le sens du droit à l'éligibilité, qui est le corolaire du droit de vote ; car en effet, tout électeur à une élection peut potentiellement être candidat à la même élection. C'est dans ce sens qu'Elisabeth Zoller disait que : « Théoriquement, les conditions d'éligibilité devraient coïncider avec celles de l'électorat en ce sens que tout électeur inscrit

82 Marie-Anne Cohendet, Droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 3e éd, 2006, p. 149.

83 Ibidem.

84 Voir l'art. 2 de la Constitution camerounaise du 02 juin 1972.

85 Voir l'art. 2 al. 3 de la Constitution.

86 Toutefois, l'art. 46 al. 2 du code électoral atténue un tout petit peu cette exigence en prévoyant que : « Peuvent également être inscrits sur les listes électorales, les citoyens qui, ne remplissant pas les conditions d'âge [...] requises lors de la révision des listes, les rempliront avant la clôture définitive des inscriptions ou le cas échéant, le jour du scrutin ».

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dans une circonscription donnée devrait pouvoir se présenter à toutes les élections ayant lieu dans la circonscription en question »87 . Mais dans la réalité, il existe des conditions à l'exercice du droit à l'éligibilité. Elles sont prévues par la loi et sont cumulatives. Il s'agit entre autres de L'âge, de la jouissance de ses droits civiques et politiques ou de la résidence.

S'agissant de la condition d'âge, il faut relever que conformément aux art. 6 al. 5 de la Constitution et 117 du code électoral, les candidats à l'élection présidentielle doivent avoir 35 ans révolus à la date de l'élection. Il est à noter que depuis la Constitution du 04 mars 1960 jusqu'à celle du 02 juin 1972 en passant par les réformes constitutionnelles du 18 janvier 1996 et du 14 avril 2008, l'âge minimum exigé pour être candidat à cette élection est demeuré maintenu à 35 ans.

En ce qui concerne des élections législatives, sénatoriales, régionales ou municipales, l'âge requis pour être candidat diffère en fonction du scrutin. En effet, les candidats aux élections législatives, municipales et régionales doivent avoir au moins 23 ans révolus à la date de l'élection88. L'on remarque à propos de ces trois scrutins que la tendance est à la juvénilisation.

Pour le cas des élections sénatoriales, « Les candidats à la fonction de sénateur, ainsi que les personnalités nommées à ladite fonction, doivent avoir quarante (40) ans révolus à la date de l'élection ou de la nomination »89. Manifestement la tendance est de faire du sénat une chambre composée de personnes d'un âge plus ou moins avancé. En tout cas, le moins qu'on puisse dire c'est que l'âge minimal requis pour prétendre à la fonction de sénateur est supérieur par rapport à celui exigé pour autres les autres fonctions suscitées. Cela confortant ainsi l'idée selon laquelle le sénat est une chambre de gérontocrates.

De ce qui précède, force est de constater que l'âge minimum requis pour être électeur, c'est-à-dire vingt ans, ne coïncide pas avec celui exigé pour être candidat à l'une ou l'autre des élections évoquées ci-haut.

Le candidat à une élection doit jouir de la plénitude de ses droits civiques et politiques. Aussi, ne peut être candidat à une élection nationale ou locale, l'individu frappé d'incapacité mentale ou d'indignité. L'incapacité mentale renvoie à la situation des aliénés mentaux ou des

87 Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel, Paris, Puf, 1e éd., 1998, p. 532.

88 Voir les art. 156, 175 al. 1 et 252 du code électoral camerounais.

89 Cf. art.220 al.1 du code électoral camerounais

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faibles d'esprit. Il s'agit de personnes mentalement défaillantes, qui ne peuvent de ce fait raisonnablement exprimer leurs choix, et, a fortiori exercer la fonction de représentation de leurs concitoyens ; car un minimum de discernement est requis dans ce cadre.

Quant à l'indignité, elle renvoie à la situation des personnes qui, soit sont ou ont été sous le coup d'une condamnation pénale, soit sont coupables de complot ou de trahison contre l'Etat. De ce point de vue, l'altération de la qualité de citoyen de la République, être épris de valeurs communes, par la personne même des individus rendus indignes, dissout le droit à l'éligibilité. Le code électoral camerounais se montre d'ailleurs clair à ce sujet en énonçant que sont inéligibles à toutes les fonctions politiques nationales ou locales90, « les personnes qui, de leur propre fait, se sont placées dans une situation de dépendance ou d'intelligence vis-à-vis d'une personne, d'une organisation ou d'une puissance étrangère ou d'un Etat étranger »91. Il est donc clair que tout citoyen qui aspire être élu à une fonction politique doit jouir d'une certaine exemplarité du point de vue du respect de la loi et des valeurs communes.

Quant à la condition de résidence, elle est définie en fonction de la nature du scrutin. Pour ce qui est du candidat à l'élection présidentielle, il doit justifier d'une résidence continue sur le territoire national d'au moins douze mois consécutifs92. Il en est ainsi parce que le candidat doit être le plus proche possible des réalités nationales.

Pour les candidats au poste de député, il ne leur est fait aucune obligation de résider sur le territoire de la circonscription électorale où ils font office de candidature. Il en est ainsi en vertu du fait que le député n'est pas seulement l'élu de sa circonscription, mais de toute la nation entière. Le cadre géographique de son élection est certes une circonscription électorale donnée, mais sa sphère de représentation concerne tout le territoire national. Or, les candidats à la fonction de sénateur sont astreints de résider effectivement sur le territoire de la région qui constitue leur circonscription électorale.

Enfin, conformément à l'esprit de la décentralisation93, le candidat à la fonction de conseiller municipal doit justifier d'une résidence effective d'au moins six mois sur le territoire de la commune concernée94. Toutefois, la loi atténue cette exigence en énonçant

90 Il s'agit des fonctions de Président de la République, de député, de sénateur de conseiller municipal ou de conseiller régional.

91 Cette disposition est contenue indifféremment dans les art. 118 al.1, 158 al.1 et 176 al.1 du code électoral.

92 Voir l'art. 117 du code électoral.

93 La décentralisation vise en effet le rapprochement de l'administration des citoyens locaux.

94 Voir l'art.175 al.1 du code électoral.

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que : « Les personnes non résidentes peuvent être candidates si elles justifient d'un domicile d'origine dans le territoire de la commune concernée »95. De même, le candidat à un mandat de conseiller régional, doit justifier d'une résidence effective sur le territoire de la région concernée96. Cependant, le candidat non résident sur le territoire de la région concernée sera éligible s'il a un domicile réel dans ladite région97.

Paragraphe 2 : LES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS DU CITOYEN

Les droits économiques sociaux et culturels relèvent de la catégorie des droits dont l'effectivité nécessite une intervention de l'Etat vis-à-vis de ses bénéficiaires. C'est la raison pour laquelle ils sont qualifiés de droits-créances. Comme pour les droits civils et politiques, leur consécration suprême réside essentiellement dans le préambule de la Constitution. Il nous revient ici d'examiner séparément ce groupe de droits.

A. Les droits économiques du citoyen

Les droits économiques du citoyen peuvent être définis comme des droits dont la mise en oeuvre concourt à l'amélioration des conditions de vie du citoyen en termes de satisfaction de ses besoins élémentaires. Outre ceux qui sont expressément énoncés par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, à savoir le droit de propriété (1) et le droit au travail (2), nous mentionnerons aussi la liberté d'entreprendre (3).

1. Le droit de propriété

Le droit de propriété est un droit sacré. En effet, « A côté de la liberté individuelle proprement dite, qui assure la sauvegarde physique de l'individu, le droit de propriété assure sa sauvegarde économique et matérielle »98 . Toutes les Constitutions du Cameroun ont toujours reconnu ce droit comme étant fondamental. C'est ainsi que la loi constitutionnelle du

95 Voir l'art.175 al.2 du code électoral.

96 Voir l'art. 251du code électoral.

97 Voir l'art 251 al. 2 du code électoral.

98 Louis Trotabas, Paul Isoart, Droit public, Paris, L.G.D.J., 24e éd., 1998, p. 140.

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18 janvier 1996 dispose tout aussi que : « La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer des biens garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé si ce n'est pour cause d'utilité publique et sous la condition d'une indemnisation dont les modalités sont fixées par la loi ». De cet énoncé, il ressort que le droit de propriété est le principe et l'expropriation l'exception.

Par ailleurs, le droit au logement est un corollaire du droit de propriété. Le droit au logement est le droit reconnu à chacun des citoyens de disposer d'un logement décent. De manière simple, c'est le « droit à l'abri ».

L'Etat doit oeuvrer afin de permettre l'accès de ses citoyens au logement : c'est la raison d'être des logements sociaux par exemple, qui constituent un pilier du droit au logement.

De même, l'Etat facilite l'accès au logement à travers la mise en oeuvre de programmes d'aide à la construction. C'est à cet objectif que répond la création au Cameroun du crédit foncier, qui est chargé de percevoir un impôt et de le redistribuer ensuite à tous les citoyens sous forme de prêt servant à l'accès au logement.

Dans le cadre de la décentralisation, ce rôle est partagé entre l'Etat central et les collectivités territoriales décentralisées. Ces dernières disposent, en matière de logement, de nombreuses prérogatives relatives à l'occupation du sol, à la planification urbaine etc.

En outre, il est à noter que l'exercice du droit de propriété n'est pas géographiquement limité. Autrement dit tout citoyen peut s'en prévaloir dans n'importe quelle partie du territoire national. Il en est ainsi parce qu'aux termes de la Constitution camerounaise, tout homme a le droit de se fixer en tout lieu sur le territoire national.

Malgré tout, il est à noter que le droit de propriété n'est pas absolu, car son exercice ne saurait être contraire à l'utilité publique ou porter atteinte aux droits de propriété et au logement d'autrui. Ainsi, l'expropriation pour cause d'utilité publique doit automatiquement donner lieu à une juste et préalable indemnisation.

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2. Le droit au travail

Aux termes de la Constitution, « Tout homme a le droit [...] de travailler »99. Le droit au travail est le droit d'accéder à un emploi et de jouir des conditions de travail justes, c'est-à-dire le droit à un salaire équitable et régulier, à la promotion sociale, aux congés payés et à la rémunération des jours fériés notamment. La notion de travail fait d'ailleurs partie des trois concepts qui constituent la devise de la République du Cameroun, à savoir « Paix-Travail-Patrie ». Cela témoigne de l'importance du droit au travail dans la logique des rapports entre l'Etat et ses citoyens. En effet, le travail, outre une activité physique ou intellectuelle exercée par une personne, moyennant une rémunération, est aussi et surtout un facteur de cohésion sociale et de développement économique et social du pays.

De toute évidence, l'Etat ne saurait assurer le bien-être de tous ses citoyens s'il ne met en oeuvre des conditions concrètes permettant l'accès de ceux-ci aux emplois décents et qui leur confèrent une sécurité sociale100. En fait, les travailleurs doivent pouvoir bénéficier de mesures assurant leur protection vis-à-vis de certains évènements ou risques sociaux liés à leur activité professionnelle, tels que les accidents de travail, les congés, la maladie, le décès et certaines charges familiales.

Ainsi, il faut relever que l'effectivité du droit au travail passe indéniablement par sa juxtaposition avec certains droits comme la liberté syndicale et le droit de grève ; car ces derniers permettent aux travailleurs, par l'entremise des syndicats professionnels par exemple, de défendre leurs droits en revendiquant simplement de meilleures conditions de travail ou de vie.

En outre, le droit au travail ne doit pas seulement être envisagé comme un droit créance qui entraine une action ou une intervention de l'Etat, mais il peut aussi être envisagé comme un droit qui exige, pour sa mise en oeuvre, une abstention de l'Etat. En d'autres termes, le droit au travail peut consister pour l'Etat à ne pas entraver la liberté d'exercer une activité professionnelle.

99 Cf. le préambule de la Constitution du 2 juin 1972, modifiée par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

100 Toutefois, le droit au travail qui est certes un droit créance, ne signifie pas pour autant que l'Etat se hisse comme le seul créateur d'emplois. Mais la liberté d'entreprendre qui permet aux citoyens de générer eux-mêmes des emplois, nous éloigne de la perspective où l'Etat est considéré comme l'acteur exclusif du système d e création d'emplois.

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1. La liberté d'entreprendre

Considérée comme la version moderne de la liberté du commerce et de l'industrie reconnue en France après la révolution de 1789101, la liberté d'entreprendre est la faculté accordée à toute personne d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouve bon, sous la condition du respect des lois et règlements. Autrement dit, la liberté d'entreprendre permet le libre exercice de toute activité économique ou entrepreneuriale, qui ne peut être restreinte que pour des raisons d'intérêt général.

Elle tend à « la réalisation de sa destinée personnelle, dans le domaine familial et professionnel »102. Elle peut aussi impliquer la possibilité d'exploiter tout patrimoine, car « la liberté d'exploiter complète la liberté d'entreprendre ; en permettant à tout entrepreneur de gérer son entreprise à sa guise » 103 . De cette façon, considérée comme un moyen d'épanouissement personnel, la liberté d'entreprendre est donc nécessaire « à un individu qui souhaite réussir sa vie sur le plan matériel »104 ; bien qu'elle « comporte également la liberté de faire travailler autrui »105.

Du point de vue économique, la liberté d'entreprendre est un élément indispensable au fonctionnement de l'Etat. En effet, le système économique basé sur le principe de l'économie de marché est sous-tendu par la liberté d'entreprendre. Elle est l'apanage des personnes aussi bien physiques que morales.

B. Les droits sociaux

Les droits sociaux peuvent être entendus comme des droits qui nécessitent la fourniture par l'Etat de services collectifs destinés à assurer le bien-être de ses citoyens. D'ailleurs, « Historiquement les droits sociaux ont joué un rôle important, sinon crucial, pour le

101 La liberté du commerce et de l'industrie fut consacrée en France par la loi des 2-17 mars 1791.

102 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, op. cit., p. 89.

103 Rémy Cabrillac, Marie-Anne Frison-Roche, Thierry Revet (dir. ), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz, 12e éd., 2006, p. 698.

104 Ibidem.

105 Jean Pélissier, Alain Supiot, Antoine Jeammaud, Droit du travail, Paris, Dalloz, 23e éd. , 2006, p. 143.

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développement de la citoyenneté »106. Or, il apparaît souvent que les difficultés économiques de l'Etat soient invoquées comme étant un obstacle radical à leur effectivité107.

L'essentiel des droits sociaux sont le droit à la santé (1) et le droit à l'éducation (2).

1. Le droit à la santé

Le droit à la santé est un droit dont la protection est essentielle, car la santé touche à tous les aspects de la vie de l'individu. En vue d'assurer le bien-être de ses citoyens, l'Etat doit notamment leur garantir le droit à la santé, qui « se décompose en un droit à l''accès aux soins et un droit à bénéficier d'un environnement sain »108, ceci sur toute l'étendue du territoire national. Dans cette optique, le système sanitaire national doit permettre une couverture sanitaire universelle pour tous.

Mais en plus, comme tous les autres droits du citoyen, le droit à la santé doit, dans sa mise en oeuvre, répondre au souci de garantir l'égalité de tous les citoyens, c'est-à-dire un accès égal aux soins de santé. C'est à cet objectif que répondent la création des hôpitaux et centres de santé sur toute l'étendue du territoire national aussi bien en zone urbaine que rurale, la subvention ou la réduction des coûts de traitement de certaines maladies graves et la mise sur pied d'une couverture vaccinale universelle pour l'ensemble des citoyens.

Par ailleurs, en tant qu'il est le garant de la santé publique, l'Etat doit élaborer et mettre en oeuvre des politiques de prévention des pandémies et des épidémiques. Au rang des mesures s'inscrivant dans ce cadre, nous pouvons mentionner l'organisation de campagnes de vaccination gratuite contre certaines maladies. Ces campagnes sont principalement destinées aux enfants, aux femmes enceintes et aux personnes âgées, en raison notamment du caractère vulnérable qu'engendre leur situation.

Toujours pour garantir le droit de ses citoyens à la santé, l'Etat peut, à travers ses différents démembrements organiques, prendre toutes mesures visant à empêcher que toute situation ne vienne nuire à la santé de ses citoyens. Ces mesures peuvent, de par leur contenu,

106 Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et citoyenneté », op. cit., p. 15.

107 La possibilité de recourir à des dispositifs institutionnels et normatifs pour assurer la protection des droits sociaux est souvent limitée. En général, l'on pense que ces droits ne peuvent être pleinement garantis que progressivement dans le temps en fonction du niveau de développement du pays.

108 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès, Libertés publiques et droits de l'homme, op. cit., p. 215.

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porter atteinte à d'autres droits ou libertés. Dans ce sillage, l'Etat peut par exemple interdire la commercialisation de certains produits alimentaires, pharmaceutiques ou industriels présentant des risques de trouble de la santé publique109.

Il est important de mentionner que la garantir du droit à la santé se fait aussi en amont à travers le système de sécurité sociale auquel participe, au travers des cotisations sociales, l'ensemble des citoyens, sinon la majorité d'entre eux. Lequel système constitue ainsi un des instruments majeurs de financement du système de santé publique.

2. Le droit à l'éducation

Dans l'ordre juridique camerounais, le droit à l'éducation revêt une valeur constitutionnelle. La loi fondamentale énonce en effet dans son préambule que : « L'Etat assure à l'enfant le droit à l'instruction. L'enseignement primaire est obligatoire. L'organisation et le contrôle de l'enseignement à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l'Etat ».

Ainsi, la consécration des caractères obligatoire et gratuit de l'enseignement primaire s'inscrit notamment dans l'optique d'assurer la formation des citoyens afin de les rendre capables à terme de conduire les affaires de l'Etat.

Cela constitue aussi la traduction concrète du concept de l'école républicaine, qui est construite notamment autour du principe de l'école pour tous. En d'autres termes, l'instruction doit être accordée à tous sans discrimination liée au statut socio-économique, au sexe, à la religion, à la race, à la tribu etc. En un mot, la mise en oeuvre effective du droit à l'éducation passe par la démocratisation de l'accès à l'école. De ce point de vue, l'on peut dire que l'effectivité du droit à l'éducation est aussi une voie de garantie du principe d'égalité de tous les citoyens. En effet, il s'agit à travers l'école républicaine, de permettre l'accès à l'instruction du plus grand nombre, d'autant plus que l'école constitue un puissant instrument d'intégration et d'épanouissement sociales et de formation à l'acquisition des valeurs républicaines.

109 La protection de la santé publique peut aboutir par exemple à prendre des mesures interdisant, suspendant ou limitant la protection et/ou la publicité des produits comme le tabac, l'alcool ou la drogue.

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De façon générale, l'on peut affirmer que l'éducation au sens large du terme est un outil majeur de construction de la citoyenneté, car elle « informe et forme les citoyens »110. Elle permet en fait d'acquérir diverses compétences et qualifications dont la mise en oeuvre est nécessaire au progrès socio-économique et culturel du pays.

Dans cette optique, il incombe à l'Etat de financer le développement du secteur éducatif par la création d'institutions d'enseignement primaire, secondaire et universitaire, par le recrutement et la formation des ressources humaines et par le suivi et l'harmonisation des programmes d'enseignement sur l'ensemble du territoire national. Il est par ailleurs accompagné dans cette tâche par des opérateurs privés, qui créent des établissements d'enseignements à vocation laïque ou confessionnelle.

C. Les droits culturels du citoyen

Les droits culturels peuvent être entendus comme des « droits tenant à l'identité des personnes et des groupes, à leur définition de soi, au respect d'un patrimoine particulier de traditions et valeurs »111.

Au regard du constitutionnalisme camerounais, les droits culturels portent essentiellement sur la préservation des traditions, c'est-à-dire les croyances, les valeurs, les us et coutumes des citoyens, en tant que ceux-ci appartiennent chacun aux divers groupes ethniques ou tribaux qui composent le pays.

Les droits culturels sont exercés sous réserve de leur conformité à la loi et aux bonnes moeurs112. Dans cet esprit, toute pratique traditionnelle ou culturelle quelconque qui viole la dignité et l'honneur de l'homme ne saurait être admise. C'est à ce titre par exemple que le gouvernement combat la pratique coutumière de l'excision des jeunes filles, qui est propre à certains groupes ethniques des régions septentrionales du pays113.

110 Alain Marie Matigi, Problématique de la politique de l'équilibre régional au Cameroun à l'ère de la démocratie pluraliste : Analyse des bases justificatives en matière de concours administratifs, mémoire de DEA de l'université de Yaoundé II-Soa, 1998 / 1999, p. 83.

111 Guy Rocher, « droits fondamentaux, citoyens minoritaires, citoyens majoritaires », op cit. , p. 37.

112 A ce propos, l'art. 1er de la constitution affirme respectivement dans ses al. 2 et 3 que la République « reconnait et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes démocratiques, aux droits de l'homme et à la loi » et « garantit le la protection et la promotion des langues nationales ».

113 L'interdiction de la pratique coutumière de l'excision répond par ailleurs à l'objectif affirmé par le préambule de la Constitution selon lequel « La nation protège la femme ».

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Puisque les droits culturels sont surtout des droits collectifs, qui tiennent à l'identité culturelle des citoyens et à leur appartenance à des groupes ethno-tribaux distincts, l'on peut dire qu'ils sont bâtis du point de vue de la diversité ethno culturelle du pays. De ce fait, chaque communauté ethnique ou tribale a le droit de promouvoir les éléments de sa culture. A ce sujet, la vitalité dans l'exercice des droits culturels au Cameroun est perceptible au regard de la pérennisation et de la multiplication d'évènements culturels114.

Ainsi, les droits culturels consistent en le droit de développer une culture, le droit d'un peuple à ne pas se faire imposer une culture étrangère, le droit de protection des oeuvres artistiques, littéraires, scientifiques, le droit au respect du patrimoine artistique, historique et culturel, le droit au respect de son identité linguistique.

Dans cette logique, la Constitution prévoit que la République du Cameroun « oeuvre pour la protection et la promotion des langues nationales »115. C'est de toute évidence l'une des raisons pour lesquelles il serait difficile, sur les deux-cent quatre-vingt langues nationales environ existant au Cameroun pour autant d'ethnies, d'adopter et surtout de faire légitimer comme langues nationales officielles quelques-unes seulement d'entre elles.

Toutefois, l'exercice des droits culturels ne doit en aucun cas constituer un ombrage à la prévalence de l'identité culturelle nationale. Mais la diversité culturelle doit être en somme un facteur d'intégration nationale, mieux encore, l'expression d'une identité nationale commune plus englobante116. De cette manière, si la diversité culturelle, par essence différentialiste, est susceptible de séparer les citoyens les uns des autres, comme l'induit d'ailleurs Guy Rocher, lorsqu'il dit que « la dimension culturelle de la citoyenneté peut comporter une forte tendance à la fragmentation sociale et politique »117, l'identité nationale doit en ce moment servir à les unir ; car l' « Identité nationale et citoyenneté sont souvent des termes interchangeables. Ils

114 Nous pouvons citer à titre d'illustration, le Ngondo, le Medumba, le Ngan Nkam, le Mbog Lia, le Ngouon, qui sont autant de festivals cultutrels et traditionnels bénéficiant par ailleurs de la participation et du soutien des pouvoirs publics.

115 Cf. art. 1er al. 3 de la Constitution.

116 C'est en effet sur la diversité culturelle du Cameroun que le constituant a bâti son unité, car aux termes du préambule de la Constitution, la République du Cameroun fait de sa diversité linguistique et culturelle l'élément de sa personnalité nationale, non sans réaffirmer l'unicité de la nation.

117 Cf. Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et citoyenneté », op cit., p. 13.

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renvoient à la question fondamentale de savoir ce qui unit les habitants partageant un même espace, qu'il soit politique, culturel, social ou tout cela à la fois »118.

En somme, les droits culturels sont appelés à s'épanouir en-dessous, sinon à l'intérieur de l'identité nationale, et nullement l'inverse.

SECTION 2 : LA PRESCRIPTION DE DEVOIRS A LA CHARGE

DU CITOYEN

Au même titre que les droits, les devoirs constituent un élément consubstantiel du statut du citoyen. A propos du terme devoir, signalons de prime abord qu'il peut être perçu au juridique et au plan moral : Le devoir juridique constitue une obligation qui pèse sur une personne en vertu du droit 119 , tandis que le devoir moral est une « obligation dont l'inexécution ne peut être poursuivie en justice, ne chargeant l'obligé que d'un devoir de conscience »120.

En tant que membre de la collectivité nationale, le citoyen est astreint à plusieurs obligations à l'égard de celle-ci, car « La citoyenneté est une fonction, comprenant des droits et des charges, qui bénéficient et pèsent sur les personnes »121.

Dans cette perspective, nous examinerons les devoirs du citoyen sur les plans socio-politique d'une part (§ 1), et économique d'autre part (§ 2).

Paragraphe 1 : LES DEVOIRS DU CITOYEN AU PLAN

SOCIO-POLITIQUE

Le citoyen est un être essentiellement juridique, de ce fait, il est astreint à l'obligation de respect de la loi (A). Et en tant que membre de la nation, il contribuer à la défense de la Patrie (B).

118 François Rocher, « Citoyenneté fonctionnelle et État multinational : pour une critique du jacobinisme juridique et de la quête d'homogénéité », in Michel Coutu, Pierre Bosset et al., op. cit., pp. 201-235, (spéc. p. 204).

119 Voir le Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 13e éd., 2001, p.203.

120 Ibidem.

121 A. Supiot (dir.), Au-delà de l'emploi. Transformation du travail et devenir du droit du travail en Europe, Flammarion, 1999. Cité par Olivier Déloye et Olivier Ihl, L'acte de vote, op. cit., pp. 16-17.

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A. L'obligation de respect de la loi

Le citoyen est soumis au devoir impératif de respecter la loi au sens large du terme, tel est en effet la signification du devoir civique. En effet, « le citoyen en tant que membre du Souverain a des droits [...]. Mais ces droits ont un envers : ils lui imposent une obligation, celle de respecter la décision collective prise par le Souverain » 122 . Aristote affirmait d'ailleurs que : « la vertu d'un citoyen digne d'estime consiste à savoir bien [...] obéir »123. L'obligation de respect de la loi est d'une part la conséquence de ce que les citoyens sont les auteurs de la loi (1), d'autre part elle constitue la garantie d'une vie sociale organisée d'autre part (2).

1. Les citoyens comme auteurs de la loi

Les citoyens doivent respecter les lois de l'Etat parce qu'ils en sont à l'origine ; car « La souveraineté nationale appartient au peuple »124. Raymond Carré de Malberg rappelait d'ailleurs fort opportunément le lien entre les citoyens et l'élaboration de la loi, en disant que : « Quant aux citoyens, les lois qui les régissent ne sont pas susceptibles d'être envisagées comme des manifestations d'une puissance de commandement extérieure à eux »125.

De plus, pour que la loi ait une force obligatoire à l'égard des citoyens,

il faut nécessairement supposer que l'acte fait par l'organe législatif est traité juridiquement comme une oeuvre collective qui n'est pas propre seulement à l'auteur effectif de la loi [...], mais qui, émanant d'un organe érigé en représentant de la nation souveraine, vaut comme l'oeuvre de la nation entière 126.

122 Olivier Beaud, « Fragments d'une théorie de la citoyenneté chez Carré de Malberg. Ou comment articuler le citoyen, l'État et la démocratie », Jus Politicum, n° 8, 2012, p. 24.

123 Aristote, La politique, op. cit., p. 76.

124 Voir L'art. 2 al. 1 de la Constitution.

125 Raymond Carré De Malberg, La loi, expression de la volonté générale, Paris, Économica (Classiques), 1984, p. 151, cité par Olivier Beaud, op. cit., p. 28.

126 Olivier Beaud, op. cit., p. 30.

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En d'autres termes, l'élaboration des lois de la République est incontestablement l'apanage de tous les citoyens127 ; lesquels « ont le droit de recourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation »128.

Mais dans le contexte camerounais de démocratie représentative129, c'est l'élaboration des lois par les représentants du peuple qui est le mécanisme le plus usité. En dépit de cela, il faut convenir avec Olivier Beaud que le mécanisme de la représentation n'entraine pas l'effacement du citoyen de l'oeuvre de légifération130.

L'élaboration indirecte de la loi se fait par le mécanisme de la représentation politique. Ainsi, en vertu de la Constitution, le Président de la République et les membres du parlement ont le pouvoir d'initier des lois131. Selon la procédure législative, les projets et propositions de loi qui sont déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur celui du Sénat, après leur examen par les commissions spécialisées de chacune de ces chambres132, feront l'objet de discussions et d'éventuels amendements en séance plénière. A la fin, le texte adopté par le Parlement doit être transmis au Président de la République aux fins de promulgation dans un délai de quinze (15) jours à compter de sa transmission, après vérification de la conformité dudit texte à la Constitution133. C'est seulement à partir de cette promulgation que le texte s'impose inexorablement au citoyen, car « le citoyen est réputé sortir de la communauté nationale s'il n'obéit pas à la loi promulguée »134.

Quant à l'élaboration directe de la loi par les citoyens, elle se fait par la voie du référendum. Il s'agit d'un procédé de vote permettant aux citoyens de se prononcer sur un texte émanant du pouvoir exécutif. Par ce moyen, le texte est soumis à l'appréciation du

127 Cette idée découle en fait de la théorie du Contrat social de Rousseau, qui se fonde sur le mythe de la volonté générale, source de la loi commune au sein de la communauté.

128 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès, op. cit., p. 27.

129 L'art. 4 de la Constitution dispose en effet que l'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la République et le parlement.

130 Pour cet auteur, « Les citoyens en tant qu'individus sont désormais inclus dans le concept du législateur et de loi ». Il renchérit cette idée en rapportant les propos de Raymond Carré de Malberg selon lesquels les citoyens, en tant que membres de la communauté nationale « ne peuvent donc point être considérés comme des tiers par rapport à cet acte [acte législatif], mais par l'effet d'une telle représentation, ils se trouvent associés à la confection de la loi, et chacun d'eux, pris individuellement, va dès lors, être traité comme ayant été partie à son adoption. ». Voir Olivier Beaud, op. cit., p. 31.

131 L'art. 25 de la Constitution dispose en effet que « L'initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux membres du Parlement ».

132 Voir art. 29 a1. 1 de 1a Constitution.

133 Voir l'art. 31de la Constitution.

134 Olivier Beaud, op. cit., p. 30.

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peuple constitué en corps électoral et dont le consentement lui confère toute son autorité135. C'est par exemple à la faveur du référendum constituant du 20 mai 1972 au Cameroun que la Constitution du 02 juin 1972 fut adoptée.

Au regard du constitutionnalisme camerounais, il est à noter la décision de soumettre un texte au référendum appartient délibérément au Chef de l'Etat, ce qui lui permet d'opter à sa guise pour la voie législative en vue de l'adoption des projets de loi. Pourtant, aux termes de la Constitution du Congo du 20 janvier 2002, tout projet de révision de la Constitution, « Lorsqu'il émane du Président de la République, [...] est soumis directement au référendum »136

2. Le respect de la loi comme la garantie d'une vie

sociale organisée

Le respect de la loi s'impose aux citoyens en raison du fait qu'il constitue la garantie d'une vie sociale organisée. La violation de la loi est source d'insécurité juridique, car elle trouble l'ordonnancement juridique.

En effet, sans le respect de la loi, il pèse un réel danger sur la sécurité des droits et libertés des uns et des autres d'une part, et sur la stabilité des institutions étatiques d'autre part.

Une société dans laquelle l'ordre juridique n'est pas respecté par ses membres court le risque de sombrer dans l'anarchie ; ce qui entrainera inévitablement sa décadence. C'est pourquoi il est impératif que les citoyens respectent les lois existantes afin qu'elles demeurent le fondement de toute domination légitime qui puisse peser sur eux.

Aussi, les forts n'écraseront pas les faibles ; car la loi les en empêchera. Concrètement, le citoyen doit exercer ses droits et libertés de manière à ne pas attenter à ceux de ses concitoyens. C'est dans cette veine que la Constitution du Cameroun affirme que : « La liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d'autrui et de l'intérêt supérieur de l'Etat »137. Autrement dit, se prévaloir de ses droits dans le respect de ceux d'autrui est un devoir impérieux du citoyen.

135 L'art. 63 al. 4 de la Constitution dispose à cet effet que « Le Président de la République peut décider de soumettre tout projet ou toute proposition de révision de la Constitution au référendum. Dans ce cas, le texte est adopté à la majorité simple des suffrages exprimés ».

136 Cf. art.186 de la Constitution du Congo du 20 janvier 2002.

137 Cf. préambule de la Constitution du 2 juin 1972, modifiée par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

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En outre, il convient de noter que l'harmonie dans la société et le civisme sont intimement liés. En effet, le civisme, qui est un comportement individuel du citoyen consistant à respecter et à faire respecter les lois et les règlements en vigueur dans l'Etat, est l'un des piliers de l'organisation et du bon fonctionnement de la société138. Envisagé du point de vue horizontal, le respect de la loi impose à tout citoyen de respecter autrui, c'est-à-dire ses concitoyens.

B. Le devoir de défense de la Patrie

Analyser le devoir de défense de la Patrie consistera tout d'abord à aborder sa formulation théorique (1) avant de présenter ses aspects concrets (2).

1. La formulation théorique du devoir de défense de la Patrie

« Tous les citoyens contribuent à la défense de la Patrie »139. Cette obligation constitue l'un des devoirs sacrés du citoyen. Dans le prolongement de l'énoncé suscité, la Constitution Camerounaise prévoit que sont du domaine de la loi « Les devoirs et obligations du citoyen en fonction des impératifs de la défense nationale »140. A l'analyse de cette disposition, l'on peut déduire que la défense nationale est étroitement liée à la souveraineté qui, dans le cadre constitutionnel camerounais, appartient au peuple.

Cela signifie que contribuer à la défense de la Patrie c'est participer d'une certaine manière à l'exercice de la souveraineté nationale. A ce sujet, la défense, tout comme la citoyenneté, implique l'existence d'un lien d'allégeance au pouvoir souverain, un rattachement à l'Etat et une appartenance à la Nation. C'est ce que semblait relever Léon Duguit lorsqu'il affirmait que : « La conscience que l'homme fait partie d'une nation, qu'il ne peut vivre que s'il fait partie d'une nation, que son premier devoir comme son premier intérêt est de défendre l'intégrité de cette nation [...], telle est en son essence l'idée de patrie »141

138 Par conséquent, le respect de la loi paraît comme un moyen sûr de préservation de la morale, de l'ordre public, bref, de l'intérêt général à côté des multiples intérêts individuels.

139 Cf. préambule de la Constitution du Cameroun.

140 Cf. art. 26 al. 2a. de la Constitution du Cameroun.

141 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3e édition en cinq volumes, Tome 2, La théorie générale de l'Etat, première partie. Eléments, fonctions et organes de l'Etat, p. 10. Disponible sur http://galicia.bnf.fr/Bibliothèquenationale de France.

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Au Cameroun, le devoir des citoyens de défendre la Patrie est construit autour du paradigme de défense populaire. En effet, l'un des axes de la réforme de l'armée entamée en 2001 a été le renforcement du lien entre cette institution et la Nation. Lequel lien est donc plus que jamais l'un des axes majeurs de la politique de défense nationale. C'est dans ce moule que se forme la figure du « citoyen-soldat », c'est-à-dire le citoyen civil qui joue un rôle plus ou moins majeur dans l'opérationnalisation de la politique nationale de défense. A ce sujet, le Capitaine de Vaisseau Jean Pierre Meloupou affirme que l'un des enjeux de la professionnalisation de l'armée camerounaise est « Le renforcement de l'adhésion des populations à la défense nationale. L'interaction et les interrelations civilo-militaires doivent être systématisées, et normalisées pour mieux affronter la nouvelle conflictualité dont les rouages se construisent souvent dans la population »142.

Sous le prisme de la politique de défense populaire, l'armée nationale et les citoyens forment en quelque sorte un duo qui se déploie au travers d'une collaboration synergique, dont l'ultime finalité est d'assurer la défense de l'intégrité du territoire national et la sécurité des personnes et des biens.

2. Les aspects du devoir de défense de la Patrie

En dépit du fait que la défense nationale relève fondamentalement des missions d'un corps professionnel bien organisé et bien déterminé, génériquement dénommé les forces armées et de sécurité,l'esprit de défense de la patrie doit subsister en permanence chez chacun des citoyens : C'est l'idée de la défense civile. Ainsi, l'on peut identifier trois aspects du devoir citoyen de défense de la patrie.

Le premier concerne le renseignement. Il peut consister en la dénonciation de toute personne ou activité suspecte susceptible de porter atteinte à la sécurité des hommes et de leurs biens. Pour ce faire, les forces armées et de sécurité doivent se positionner comme des forces de contact avec les populations pour la recherche dudit renseignement. D'ailleurs, l'efficacité des opérations militaires dépend en grande partie de la détention par l'armée du renseignement prévisionnel, qui dans la plupart du temps, est fourni par les populations civiles. Cela est d'autant important compte tenu de la montée du phénomène de guerre

142Jean Pierre Meloupou, «L'évolution de la défense et de la sécurité au Cameroun », Les actes du colloque 2011 sur « 50 ans de défense et de sécurité en Afrique : états et perspectives stratégiques », p. 12.

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asymétrique dans laquelle l'ennemi des forces conventionnelles revêt parfois une forme nébuleuse qui lui permet de dissimuler au sein des populations civiles.

Dès-lors, le citoyen apparait comme un rempart de la sécurité et de la défense nationales, qui se déploie à travers un cadre d'actions synergiques établi entre les forces armées et les populations.

Le deuxième aspect est l'engagement des citoyens, principalement les jeunes, dans les forces de défense et de sécurité. L'idée-force ici est que chaque citoyen est un potentiel soldat. Quand l'Etat subit une agression de sorte que l'intégrité de son territoire ou de ses institutions est menacée, le devoir citoyen de défense de la patrie peut aller jusqu'à l'engagement volontaire ou non dans l'armée. Cela traduit la responsabilité du citoyen vis-à-vis de la Nation et de sa protection.

Malgré l'inexistence de la conscription au Cameroun, la mobilisation des jeunes citoyens d'un certain âge dans les forces de défense, en cas d'agression extérieure, n'est pas pour autant exclue, d'autant plus que le préambule de la Constitution prescrit lato sensu que « Tous les citoyens contribuent à la défense de la Patrie ». Cela veut clairement dire qu'en période de guerre, c'est un devoir sacré et impérieux de répondre à l'appel du drapeau. Cela est révélateur de l'idée selon laquelle le concept de « citoyen-soldat » est étroitement lié à celui de Patrie ; car il y'a en chaque citoyen un soldat qui sommeille.

Enfin, le troisième aspect est la contribution à l'effort de guerre. Elle consiste pour les citoyens, à titre individuel ou collectif, à mobiliser des ressources diverses en vue de soutenir les efforts matériels et financiers qu'implique une guerre.

Concrètement, la contribution à l'effort de guerre se fonde sur un élan de solidarité des citoyens, qui peut être soit spontané, soit à la demande du gouvernement. Ce moyen de participation à la défense nationale connait d'ailleurs une résonnance particulière au Cameroun depuis le déclenchement de la guerre contre la secte terroriste nigériane Boko Haram. En effet, les citoyens de tous bords, exprimant à l'unisson la détermination de vaincre l'ennemi de la Nation, se sont regroupés à diverses échelles, notamment régional ou

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départementale, en vue de collecter des fonds et des vivres alimentaires destinés aux forces de défense au front et aux populations déplacées des zones de conflit143.

De manière générale, le devoir de défense de la Patrie s'avère être d'une importance absolue, c'est pourquoi l'Etat devrait instaurer « l'intégration du volet défense-sécurité dans l'éducation à la morale et à la citoyenneté à l'école »144. A ces temps de menaces à la paix et à la sécurité du Cameroun, l'option de l'institution du service militaire obligatoire pour les jeunes âgés d'au moins dix-huit ans apparait comme une question à examiner.

Paragraphe 2 : LES DEVOIRS DU CITOYEN AU PLAN ECONOMIQUE

Au plan économique, le citoyen est notamment astreint aux devoirs de payer les impôts (A) et de travailler (B).

A. Le devoir de payer les impôts

Au Cameroun le principe de l'impôt est consacré par le préambule de la Constitution, qui prévoit que : « Chacun doit participer, en proportion de ses capacités, aux charges publiques ». A la lecture de cette disposition l'on se rend bien compte que le devoir du citoyen de payer les impôts est un mécanisme ou un moyen de participation commune indispensable. Etant donné que la citoyenneté est le foyer de la vie dans une communauté donnée, le paiement de l'impôt est une manifestation ou une conséquence de l'appartenance à cette communauté. Hervé Andres soutient cette idée en affirmant que : « le devoir de payer

143 La contribution financière et les dons en nature en faveur des forces armées a connu une réelle participation des citoyens. A ce sujet, il ressortait du communiqué du ministre camerounais de la communication en date du 07 avril 2015 les données suivantes : 22.750.000 F.cfa des chefs traditionnels du département des Bamboutos ; l'élite politique du département de l'océan a collecté 20.000.000 F.cfa; les dons en nature d'une valeur de 50.000.000 F.cfa offerts par l'élite politique de l'extrême-nord; le comité régional du Nord a reçu des espèces d'un montant de 60.000.000 F.cfa et un important stock de dons en nature; les élèves de la classe de 6e B du collège de la retraite de Yaoundé ont offert 301 palettes d'eau minérale d'une contenance d'un litre par bouteille. Le ministère du commerce a reçu des dons en espèce collectés en région et versés au trésor public provenant de certaines régions à l'instar de l'Adamaoua avec 7.775.550 ; de l'Est avec 2.453.000 F.cfa ; du Nord, 4. 830.000 F.cfa ; de l'Ouest 39.027.255 F.cfa ; du Nord-ouest, 1.472 500 F.cfa et du Sud-ouest 44.107.900 F.cfa. Le communiqué précise d'une part qu'en date du 02 avril 2015, le total des contributions s'élevait à 99.666.205 F.cfa, et d'autre part que d'autres régions s'organisent pour joindre leur voix à ce mouvement de soutien patriotique pour renchérir le compte spécial intitulé « contribution du peuple lutte contre Boko haram ». Le gouvernement a tenu à communiquer le numéro dudit compte, ouvert dans les livres du trésor public, qui est 4504137.

144 Cf. Jean Pierre Meloupou, « L'évolution de la défense et de la sécurité au Cameroun », op. cit., p. 15.

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des impôts fait partie des attributs du citoyen, en tant que modalité de la mise en commun du vivre ensemble »145.

La contribution à l'impôt est commune et égalitaire. En ce sens, tous les citoyens sans exception y sont concernés, chacun en fonction de ses capacités contributives.

Cependant, la contribution égalitaire à l'impôt ne signifie pas que tous les citoyens doivent payer un montant identique d'impôt, ni même qu'ils sont régis par un régime fiscal commun. Elle signifie simplement que la loi fiscale ne doit pas contenir des discriminations injustifiées qui se baseraient sur le sexe, la race, la tribu ou l'origine du contribuable. De ce fait, le législateur ne peut instituer des régimes fiscaux distincts entre les contribuables que dans la mesure où cela se justifierait par une différence de situations.

Sur un tout autre plan, il faut dire la contribution à l'impôt est indispensable en vue de la couverture des dépenses publiques146, tel est en effet la fonction financière de l'impôt. Il importe donc, en vue de rendre l'impôt plus productif, que le plus grand nombre de contribuables soient contraints à son paiement. La participation à l'effort commun est indispensable pour financer et faire vivre nos services publics : police, justice, éducation,

hôpitaux, ramassage des ordures etc. Sans l'existence de l'impôt, l'on aboutirait
malheureusement à un désengagement de l'Etat de ses missions régaliennes de satisfaction du service public, pouvant déboucher sur la privatisation de celui-ci.

De plus, le paiement de l'impôt permet d'assurer l'allocation des aides aux couches sociales défavorisées. Par ce moyen, la nation met ainsi en oeuvre le principe de la solidarité nationale. Sous ce prisme, l'on peut dire que la nécessité de l'impôt vise à assurer le système des péréquations sociales. C'est ce qui explique le principe de la progressivité de l'impôt, qui signifie que les charges fiscales du citoyen évoluent proportionnellement à ses revenus.

145 Hervé Andres, « Le droit de vote des étrangers. Etat des lieux et fondements théoriques », Thèse de doctorat de l'université de Paris 7 Denis Diderot, 2006-2007, p. 226.

146 L'impôt contribue dans une large proportion au financement des dépenses du budget de l'Etat.

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B. Le devoir de travailler

La loi fondamentale du Cameroun énonce que : « Tout homme a [...] le devoir de travailler » 147 . Le devoir de travailler renvoie à la participation au progrès et au développement social, économique, culturel ou technologique de l'Etat. Il en est ainsi parce que, par le travail, les citoyens sont au service de l'Etat et des objectifs qu'il s'est donné d'atteindre. En d'autres termes, tout citoyen camerounais a le devoir de contribuer par son travail à la construction et à la prospérité du pays.

Le travail constitue donc, au même titre que l'école, un instrument d'intégration citoyenne dans la communauté nationale ; car en fait « l'obligation de travailler est l'un des facteurs principaux de l'intégration sociale »148. Il est donc un élément essentiel de la citoyenneté. Les citoyens ont le devoir de travailler pour le bien commun. Cela consiste, particulièrement pour ceux d'entre eux qui sont des employés, à remplir leurs obligations professionnelles vis-à-vis de leurs employeurs et de la société globale. A ce sujet, Léon Duguit affirmait que : « La conscience que l'homme fait partie d'une nation, qu'il ne peut vivre que s'il fait partie d'une nation, que son premier devoir comme son premier intérêt est [...] de travailler à son développement, telle est en son essence l'idée de patrie »149. Suivant ce raisonnement, le travail ne vise plus seulement l'objectif d'assurer le bien-être social et économique de l'individu qui l'exerce, mais produit une plus-value davantage étendue à l'échelle de la nation toute entière.

De toute évidence, les contributions citoyennes au destin et au bien-être communs se font de manière différente, ceci en fonction des capacités de chacun. Elles ne sauraient être identiques pour tous les citoyens notamment en termes de productivité.

Quoiqu'il en soit, ce qui importe dans le fond c'est qu'elles remplissent toutes le même rôle : la satisfaction de l'intérêt général.

En ce qui concerne les fonctionnaires par exemple, ils ont l'obligation de servir et de se consacrer au service, c'est-à-dire qu'ils doivent consacrer l'intégralité de leurs activités professionnelles aux tâches qui leur sont confiées, ils doivent respecter la durée et les horaires

147 Voir le préambule de la Constitution du Cameroun.

148 Sandro Cattacin , Matteo Gianni, et al. « Workfare, citoyenneté et exclusion sociale », in Michel Coutu, Pierre Bosset et al., op cit. , pp. 363- 383, (spéc. p. 372).

149 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, op. cit. , p. 10.

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de travail, ils doivent mettre en oeuvre, par l'exercice continu de leurs fonctions, le principe constitutionnel de la continuité du service public150.

En outre, il est manifeste que l'obligation de travailler est connexe à celle de s'acquitter de ses contributions fiscales. Cela conforte davantage l'idée du travail comme moyen d'intégration politique, économique et sociale, en ce sens que le citoyen se verra prélever sur son revenu diverses taxes ou redevances qui serviront, soit à financer la sécurité sociale, soit à assurer le bon fonctionnement de certains services publics tels que la communication ou le logement par exemple.

Au regard de tout ce qui précède, l'on peut induire que le citoyen qui refuse de travailler, contrairement aux prescriptions de la Constitution, représente une charge pour l'Etat tout entier. Par ce refus, il s'inscrit aussi en marge de la dynamique sociale commune, qui est l'atteinte du progrès et du développement ; d'autant plus que la devise nationale au Cameroun est « Paix-Travail-Patrie ». En référence à cette devise, l'on peut aisément déduire la relation étroite entre le travail et le patriotisme citoyen. Elle s'analyse dans l'idée que le travail cumulé des citoyens permet de maintenir la Patrie encore plus forte. Et, s'engager à travailler est une manifestation de son patriotisme.

150 L'art. 36 al.1 du décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de l'Etat, modifié et complété par le décret n° 2000/287 du 12 octobre 2000, prescrit à ce propos que « Le fonctionnaire est tenu d'assurer personnellement le service public à lui confier et de s'y consacrer en toute circonstance avec diligence, probité, respect de la chose publique et sens de responsabilité ».

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Conclusion du chapitre

L'avènement de l'Etat indépendant du Cameroun suffisait à lui seul pour donner vie à la citoyenneté camerounaise puisqu'il permettait a priori le passage des populations du statut de sujets coloniaux à celui de citoyen de l'Etat.

Si l'accession de l'Etat à la souveraineté représente pour ainsi dire l'acte de naissance de la citoyenneté, il faut tout de même souligner que cette existence plus ou moins théorique a été renforcée par la construction dynamique d'un régime de la citoyenneté, qui se définit clairement en une détention indivisible de droits et de devoirs.

En reconnaissant que le citoyen camerounais est d'abord et avant tout un être humain, il s'ensuit que le régime de ses droits varie autour de deux pôles majeurs, dont l'un est lié aux droits fondamentaux inhérents à tout homme, et l'autre est relatif aux droits de participation, rattachés par essence à la seule figure du citoyen, national de l'Etat.

L'architecture constitutionnelle de la citoyenneté camerounaise repose aussi sur la prescription de devoirs à l' égard du citoyen, dont les versants touchent aux domaines sociopolitique et économique notamment.

C'est au regard de cette assise juridique, que se fonde l'idée selon laquelle la citoyenneté camerounaise est une réalité constitutionnelle.

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CHAPITRE II :

LA CONSECRATION D'UNE CITOYENNETE PROMOTRICE DE L'INTERET GENERAL

Le citoyen est considéré comme « celui qui est appelé à participer aux affaires de la cité »151. Assurément, la participation à la vie de la cité ne peut se faire sans l'adhésion à un ensemble de règles et de valeurs communes. Cet ensemble normatif et axiologique concret et/ou abstrait n'a pour finalité ultime que la promotion et la garantie de l'intérêt général, lequel relevant bien entendu de la citoyenneté collective.

Notons par ailleurs que la notion d'intérêt général n'est pas facile d'accès, étant donné qu'elle fait appel à des considérations d'ordre politique, administratif et social.

Sur le plan politique, l'intérêt général peut renvoyer à la conception que les gouvernants se font de l'Etat et des autres personnes publiques.

Vu sous l'angle administratif, l'intérêt général est incarné aussi bien par l'administration d'Etat que par les administrations locales décentralisées. C'est pour cette raison qu'il est permis de dire que l'intérêt général porte l'empreinte de la puissance publique.

Enfin, l'aspect social de l'intérêt général renvoie à la satisfaction des besoins collectifs de la population de l'Etat ; d'où la création de nombreux services publics dans des domaines variés.

Cependant, il faut se demander si l'intérêt général signifie l'addition des intérêts particuliers ou l'exclusion de ceux-ci. Autrement dit, les besoins particuliers ou individuels de chaque citoyen sont-ils nécessairement intégrés dans les besoins collectifs de la société ? A ce sujet, il faut dire que ce qui doit prévaloir c'est l'intérêt général ; car théoriquement, sa satisfaction entraîne conséquemment la satisfaction des besoins de chaque citoyen.

Si l'intérêt général constitue la finalité de toute démarche citoyenne vis-à-vis de la communauté152, cela révèle la centralité du lien qu'il a avec la citoyenneté (section 1).

151 Philippe Ardant, institutions politiques et droit constitutionnel, LGCD, 17e éd., 2009, p.141.

152 Le terme communauté peut renvoyer ici à l'Etat ou à une entité infra étatique telle que la région, la commune, le quartier etc.

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Toutefois, nous examinerons par ailleurs le déni de citoyenneté par les atteintes à l'intérêt général (section 2).

SECTION I : LA CENTRALITE DU LIEN CITOYENNETE - INTERET

GENERAL

L'un des aspects majeurs de la citoyenneté est l'intérêt général. En effet, les citoyens doivent avoir vocation à servir la communauté. Il apparait évident que cela ne peut être possible, au regard du constitutionnalisme camerounais, que par la construction de cet intérêt général autour de l'idéal d'unité nationale (§ 1). De même, il se dégage une certaine connexité entre l'intérêt général et l'action de la société civile (§ 2).

Paragraphe 1 : LA CONSTRUCTION DE L'INTERET GENERAL AUTOUR DE L'IDEAL D'UNITE NATIONALE

Aux termes de la loi constitutionnelle no 96/06 du 18 janvier 1996, il ressort que l'équilibre de la République du Cameroun est bâti autour du principe d'unité nationale153. Dès lors, si le destin commun réside en l'unité nationale, cela signifie que c'est en cette dernière que doit reposer de manière fondamentale la réalisation de l'intérêt général. Dans ce sens, Pauline Mortier relève à propos de la France que : « L'unité du peuple français se justifie [...] par la conception absolue de la souveraineté nationale qui impose que le peuple, composé de l'ensemble des citoyens, ne soit qu'une seule volonté, au service de l'intérêt général »154.

De ce qui précède, il est à constater que l'intérêt général réside et s'exprime dans la Nation, et nullement en dehors d'elle. Il en est ainsi en tant qu'elle est la communauté des citoyens (A), qui ne peut se maintenir et se renforcer que par l'existence d'un certain nombre de valeurs républicaines attachées à la citoyenneté (B).

153 Cette affirmation se dégage du premier considérant du préambule de la constitution, qui énonce que « Le peuple camerounais [...] profondément conscient de la nécessité impérieuse de parfaire son unité, proclame solennellement qu'il constitue une seule et même nation, engagée dans le même destin et affirme sa volonté inébranlable de construire de construire la Patrie camerounaise sur la base de l'idéal de fraternité, de justice et de progrès »

154 Pauline Mortier, Les métamorphoses de la souveraineté, thèse de doctorat de l'université d'Angers, 2011, p.146.

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A. La Nation comme communauté de citoyens

Le citoyen est avant tout un national, c'est-à-dire un individu juridiquement lié à l'Etat et membre de la Nation. Il est « membre d'une communauté » 155 . C'est ce qui explique l'existence d'une communauté solidaire d'intérêt politique, économique mais aussi social et culturel entre les citoyens de l'Etat ; car « l'ensemble des citoyens devient une Nation grâce à la volonté collective de construire un avenir commun »156. Dans le même ordre d'idées, Raymond Carré de Malberg appréhende le citoyen comme une composante de la nation. Il affirme à ce sujet qu'il y a un « manque d'autonomie du concept de citoyen. Au regard du droit public, [...] le citoyen n'existe pas vraiment en tant qu'individu. Il doit être compris comme la partie d'un tout, la nation»157. Cela signifie concrètement que la citoyenneté s'exprime dans la nation, c'est ce qu'on appelle la citoyenneté collective. Et, L'unité du peuple peut s'analyser comme le produit d'un consensus commun, par ailleurs nécessaire à la survie et au développement dudit peuple.

Avec la constitution du 4 Mars 1960, le constituant s'était particulièrement montré engagé dans la nécessité de masquer la diversité culturelle du Cameroun. Ce constat ressort du fait que ce texte constitutionnel, ni dans son préambule, ni dans son dispositif, ne fait mention de cette grande diversité qui caractérise indéniablement le pays. Ce refus d'objectiver, ne serait-ce que symboliquement, cette diversité peut traduire la volonté de conquérir et de raffermir l'unité nationale, fragilisée à cette époque par l'instabilité politique due à la guerre civile entre le gouvernement post colonial et le mouvement d'opposition UPC en particulier158.

Le Pr Claude Abé fait d'ailleurs remarquer à ce sujet que « Le Cameroun qui accède à la souveraineté internationale le 1er janvier 1960 va hériter d'une situation de conflictualité particulière »159. Dans ce contexte, le défi du nouveau pouvoir politique établi est absolument

155 Aristote, La politique, op. cit., p. 74.

156 Pauline Mortier, op.cit., p. 159.

157 Beaud Olivier, op. cit., pp. 12-13.

158 Agissant dans l'illégalité, l'Union des populations du Cameroun, interdite à la faveur d'un décret du 12 juillet 1955, s'opposait militairement au pouvoir postcolonial. L'affrontement entre les forces républicaines et les maquisards, appellation de la branche armée de l'UPC, a généré au Cameroun un climat identique à celui d'une guerre civile.

159 Claude Abé, « espace public et recompositions de la pratique politique au Cameroun », Polis R.C.S.P / C.P.S.R. vol. 13, nos 1-2, 2006, pp. 29-56, (spéc. p. 33).

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de bâtir la nation. C'est pourquoi « la gestion du cas UPC apparaît comme l'un des défis immédiats à affronter par le tout nouveau chef d'Etat camerounais Ahmadou Ahidjo. Aussi ce dernier s'est-il engagé dans une lutte sans merci contre ceux qu'il appelait les ennemis de la nation »160. Dans ce contexte de conflictualité, la construction de lintérêt général passe par l'homogénéisation de la communauté politique. Dès lors, le citoyen n'apparait ni plus ni moins qu'un « sujet de la nation »161.

Par contre, avec la Constitution du 2 Juin 1972 l'incontestable diversité sociologique du

Cameroun est mentionnée au sein de la loi fondamentale162. Elle est désormais déclinée, aussi bien sur le plan culturel que linguistique avec l'adoption solennelle du français et de l'anglais comme langues officielles. L'altérité devient dès lors une richesse qu'il convient de promouvoir.

Considérant qu'il « est exact que la cité est une sorte de communauté et que cette communauté réunit des citoyens »163, l'idée qui sous-tend la construction de l'unité nationale dans la diversité « n'est pas [...] celle de la construction d'un groupe social homogène, mais celle du rassemblement de toutes les communautés en un seul peuple unifié par le port des mêmes stigmates, de créer des repères autour desquels s'agrègent les représentants de la communauté »164.

C'est dans cet esprit que s'inscrivit le referendum constitutionnel du 20 Mai 1972 dont l'objet était de consulter les citoyens camerounais afin qu'ils se prononcent en faveur ou en défaveur de l'unification. L'adhésion massive du peuple au projet d'unification nationale constitua donc une parfaite illustration de la volonté de ce dernier de bâtir l'intérêt général, c'est-à dire l'intérêt de tous et de chacun, dans l'unité nationale.

Du reste, les destins que peuvent se forger les différentes communautés culturelles ou linguistiques doivent fusionner dans le tremplin du destin national.

160 Claude Abé, ibid., p. 34.

161 Cf. Olivier Beaud, op. cit., p. 32.

162 Selon le préambule de la constitution du Cameroun du 02 Juin 1972, le peuple camerounais, « fier de sa diversité linguistique et culturelle, élément de sa personnalité nationale [...], proclame solennellement qu'il constitue une seule et même nation, engagée dans le même destin ».

163 Aristote, La politique, op. cit., p. 74.

164 Léopold Donfack Sockeng, « Fondements et signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue africaine de parlementarisme et de démocratie, volume III, n°7, août 2013, pp. 7-18, (spéc. p. 16).

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B. Les valeurs comme socle de la citoyenneté collective

La République se bâtit et se maintient autour de valeurs fondamentales. Le citoyen devient dès lors le « gardien incontestable des valeurs républicaines »165, lesquelles ont de toute manière pour finalité l'édification et la protection de l'intérêt général. C'est pourquoi « la vertu du bon citoyen doit appartenir à tous, car c'est la condition nécessaire pour que la cité soit parfaite »166. C'est dans ce sens que semblent abonder Yves Déloye et Olivier Ihl en relevant que la période de la troisième République en France est une période clé de la construction de la citoyenneté, en ce sens que « C'est, en effet, à cette époque que l'idée républicaine devient, en France, pleinement une idéologie fondatrice : celle d'une citoyenneté s'appuyant désormais sur un ensemble de valeurs et de représentations communes »167. Dans le même sillage, le Pr. Léoplod Donfack Sockeng, écrivait que : « La polis [...], c'est-à-dire la communauté des citoyens [...] a besoin pour se constituer et acquérir une identité spécifique, de forger sa propre conscience collective en construisant un champ de valeurs sociales »168.

Essentiellement consacrées par le préambule de la constitution (1), les valeurs de la République camerounaise sont parallèlement émises par les symboles nationaux, la devise en l'occurrence (2).

1. Les valeurs consacrées par le préambule de la constitution

Il ressort du préambule de la constitution que le peuple « affirme sa volonté inébranlable de construire la Patrie camerounaise sur la base de l'idéal de fraternité, de justice et de progrès ». Deux valeurs fondamentales peuvent être identifiées dans cet énoncé, à savoir la fraternité (a) et la justice (b).

a) La fraternité

L'idéal de fraternité fait partie des valeurs sur lesquelles le peuple camerounais entend construire la Patrie.

165 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », in Ondoua Alain (dir.), La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op. cit., p. 160.

166 Aristote, La politique, op. cit., p. 75.

167 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p.327.

168 Léopold Donfack Sockeng, « Fondements et signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue africaine de parlementarisme et de démocratie, op. cit., p. 8.

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Le dictionnaire Larousse définit le terme fraternité comme étant : « le lien de solidarité et d'amitié entre des êtres humains, entre les membres d'une société »169.

Mais dans son sens anthropologique stricto sensu, ce terme renvoie au lien de parenté entre frères et soeurs. Dans ce contexte il exprime l'idée de consanguinité ou de fratrie.

Lato sensu, la fraternité peut être entendue d'abord comme un lien étroit entre ceux qui, sans nécessairement être des frères ou des soeurs, se traitent comme tels. Dans ce cadre, elle renvoie à la concorde, à l'union entre les hommes formant une communauté nationale notamment. De ce point de vue, malgré sa forte dimension abstraite et symbolique, elle est un principe fondateur du vivre ensemble, car elle prône le dépassement des différences de toutes natures et une prise de conscience chez l'ensemble des camerounais de la nécessité de la cohésion nationale.

Au rang des implications majeures de la fraternité, il y'a la solidarité. Cette dernière s'analyse d'abord comme l'assistance que la collectivité apporte à ses membres afin d'assurer leur bien-être. C'est dans cet esprit que la Constitution du Cameroun affirme que le peuple camerounais est « Résolu à exploiter ses richesse naturelles afin d'assurer le bien-être de tous en relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination... »170.

La solidarité renvoie aussi à l'assistance que la collectivité apporte à ceux de ses membres se trouvant dans une situation économique ou sociale précaire qui les place ainsi dans un état de vulnérabilité. En clair, en vertu du devoir de solidarité nationale, toutes les catégories de la population doivent pouvoir jouir des fruits de la richesse nationale : C'est le système de l'entraide, qui doit en principe conduire à la généralisation de la sécurité sociale à l'ensemble des citoyens.

En outre, la solidarité nationale a obtenue d'être constitutionnalisée relativement à la décentralisation. En effet, La loi fondamentale dispose que : « L'Etat veille au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales décentralisées sur la base de la solidarité nationale... »171. La solidarité dans le domaine de la décentralisation territoriale se justifie par le souci de promouvoir un développement plus ou moins équilibré des collectivités territoriales décentralisées, ceci en réduisant autant que possible les disparités existant entre elles.

169 Cf. Le Petit Larousse. Grand format, Paris, éd. Larousse, 2001, p. 451.

170 Voir le préambule de la constitution du Cameroun.

171 Voir l'art. 55 al. 4 de la constitution.

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b) La justice

La notion de justice désigne simplement ce qui est juste, c'est donc une « vertu, qualité morale qui consiste à être juste, à respecter les droits d'autrui »172.

Elle renvoie également à l'idée d'équité. John Rawls dit à ce propos que : « La justice comme équité envisage les citoyens comme des personnes engagées dans la coopération sociale et comme pleinement capables de remplir ce rôle pendant toute leur vie »173. De ce qui suit, il est légitime d'affirmer ici que l'intérêt général, qu'il s'agisse de sa recherche ou de sa préservation, constitue le fondement de la coopération sociale ainsi évoquée par l'auteur. Suivant le même raisonnement, ce dernier affirme que : « Les citoyens doivent avoir un sens de la justice ainsi que les vertus politiques qui soutiennent les institutions politiques et sociales justes »174.

Ainsi, la justice doit être érigée au rang des valeurs fondamentales de la citoyenneté ; car c'est cela qui permettrait que des disparités se créent de moins en moins entre les citoyens.

Du point de vue juridictionnel, « rendre la justice consiste essentiellement à dire ce qui est juste dans l'espèce concrète soumise au tribunal »175. L'existence et l'application des principes de la justice est une condition de la vie harmonieuse en société ; car l'existence d'une autorité supérieure aux citoyens chargée de trancher les litiges qui les opposent entre eux est une nécessité pour assurer la paix sociale et l'ordre public. Nul ne peut se faire justice soi-même, car « La loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice »176. C'est pour cette raison que « La justice est rendue sur le territoire de la République au nom du peuple camerounais »177. Ledit peuple camerounais, renvoie, selon le Pr. Alain Didier Olinga, à la dimension collective de la citoyenneté 178 . Cette idée nous permet de déduire par

172 Cf. Le Petit Larousse, op. cit. , p. 573.

173 John Rawls, La justice comme équité : une reformulation de la théorie de la justice, Paris, éd. La découverte/poche, 2008 (pour la traduction française), p. 39.

174 Idem, p. 222.

175 Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 330.

176 Voir le préambule de la Constitution.

177 Voir l'art. 37 al.1de la Constitution.

178 Le Pr. Alain Didier Olinga relève que le peuple, la nation et la Patrie constituent les aspects de la citoyenneté collective. Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit.

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conséquent qu'il existe un lien consubstantiel entre le peuple, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens, et la justice179.

Du point de vue social, la justice correspond à l'idée de répartition sur une base égalitaire ou équilibrée des ressources de la communauté entre ses membres. L'on parle dans ce cadre de justice sociale.

Par le moyen de la justice, la société conçoit et implémente une série d'actions ou de programmes à mettre en oeuvre principalement au profit des couches sociales défavorisées. Rawls affirme dans ce sens que : « Dans une société bien ordonnée (...), la distribution du revenu et de la richesse illustre ce que nous pouvons nommer la justice procédurale pure du contexte social »180.

2. Les valeurs contenues dans la devise de l'Etat

En tant qu'emblème majeur de l'Etat, la devise énonce des valeurs fondamentales. A ce propos, il est à souligner qu' « Intérêt général et devise républicaine sont intrinsèquement liés même s'ils ne se confondent pas »181. La devise du Cameroun est Paix-Travail-Patrie. Son adoption par une assemblée représentative du peuple camerounais, c'est-à-dire l'assemblée législative du Cameroun (ALCAM), et non pas par l'administration coloniale de l'époque, lui confère toute la légitimité nécessaire afin qu'elle obtienne d'être acceptée comme la traduction des aspirations-mêmes de ce peuple.

Etant donné que des développements précédents ont porté d'une part sur la place du travail comme moyen d'ancrage citoyen dans la communauté politique et sociale, et d'autre part sur le devoir patriotique, matérialisé par le devoir de défense de la Patrie, nous ne nous appesantirons à ce niveau que sur la paix.

La paix est l'une des valeurs les plus importantes de notre République. C'est sans aucun doute la raison pour laquelle elle est placée au premier rang des valeurs émises par la devise du Cameroun. Elle est un objectif dont la recherche reste constante dans notre pays. L'aspiration à la paix tire ses origines de l'histoire coloniale du Cameroun. En effet, cette

179 Concrètement, la justice se place comme une clause déterminante du contrat social liant les concitoyens et permettant de construire et de maintenir l'appartenance de l'individu à la citoyenneté commune. C'est ce qui justifie que les citoyens de l'Etat, sous réserve des immunités prévues pour certains élus politiques, sont en principe tous justiciables devant les tribunaux.

180John Rawls, La justice comme équité : une reformulation de la théorie de la justice, op. cit., p.79.

181 David Hiez et Rémi Laurent, « La nouvelle frontière de L'économie sociale et solidaire : L'intérêt général ? », RECMA- revue internationale de l'économie sociale, n O 319, pp. 36-56, (spéc. 44).

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notion émerge en 1957 dans un contexte de guerre d'indépendance dans lequel était plongé le pays. La radicalisation de la lutte pour la décolonisation du Cameroun, marquée par le passage du stade politique au départ, à celui armé par la suite182, va plonger le pays dans une vive tension sécuritaire. Fort de cela, l'adoption de la paix comme valeur essentielle et aspiration profonde et suprême du peuple camerounais se trouvait ainsi largement motivée.

Bien que le peuple ne fût pas encore rattaché à un Etat indépendant, mais plutôt à un simple territoire183, il entendait déjà bâtir les bases du futur Etat sur le pilier de la paix.

Par la suite, l'avènement de l'Etat indépendant en 1960 n'a pas entrainé le changement des valeurs déjà prônées par la devise depuis 1958, année de son adoption. Le maintien de la paix dans cette place traduit on ne peut plus clairement l'idée qu'elle constitue une valeur vouée à la pérennité184.

Ainsi, Loin d'être une interpellation métaphysique, chaque citoyen camerounais est invité à être un artisan de la paix, car la citoyenneté induit naturellement une allégeance de l'individu vis-à-vis de l'Etat et de tous ses symboles.

Paragraphe 2 : LA CONNEXITE ENTRE L'INTERET GENERAL ET L'ACTION DE LA SOCIETE CIVILE

D'entrée de jeu, il faut noter que la notion de société civile n'est pas facile d'accès185. Pour autant, des contributions scientifiques significatives ont été faites quant à la définition de ce concept186.

182 Le principal parti politique UPC, après son interdiction en 1955 par l'administration coloniale, va se constituer une branche armée dont la mission est de lutter pour libérer le Cameroun du joug colonial. Son action guérilla était déployée dans plusieurs régions du pays.

183 Tel était en fait la terminologie utilisée pour désigner les colonies.

184 D'ailleurs, même quelques années après l'accession du Cameroun à l'indépendance, la situation sécuritaire était toujours préoccupante. Cela est le fait de la présence des opposants au nouveau régime en place, qui sont retranchés dans certaines régions du pays, et dont les agissements étaient propres à une guerre civile.

185 La notion de société civile souffre en effet « de son imprécision et de son caractère extraordinairement polysémique, au point d'apparaitre comme une notion « attrape-tout » et dont la difficulté de définition n'a d'égale que la généalogie scientifique ». Lire à ce sujet René Otayek et al., « Les sociétés civiles du Sud : Un état des lieux dans trois pays de la ZSP : Cameroun, Ghana, Maroc », centre d'étude d'Afrique noire et l'institut d'études politiques de Bordeaux, Paris, 2004, pp. 27-28.

186 Parmi ces contributions, on peut citer celle de Jean L. Cohen et Andrew Arato. Nasser Etemadi revèle que ces deux auteurs « à travers leur livre, civil society and political theory, ont tenté une reformulation systématique du concept moderne de société civile ». Pour ces auteurs, la société civile est comprise « comme une visée

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Ainsi, « Par définition, la société civile camerounaise est tout autre chose dans l'Etat que le pouvoir politique et son expression la plus visible qu'est l'administration publique »187. Selon le Pr. Maurice Kamto, la société civile est « la sphère sociale distincte de l'Etat et des partis politiques formée de l'ensemble des organisations et personnalités dont l'action concourt à l'émergence ou à l'affirmation d'une idée sociale collective, à la défense des droits de la personne humaine ainsi que des droits spécifiques attachés à la citoyenneté »188.

La formulation préalable du lien entre société civile et Intérêt général (A) nous conduira par la suite à présenter les mécanismes au travers desquels la première elle contribue à la promotion du second (B).

A. La formulation du lien société civile-intérêt général

La promotion de l'intérêt général est largement l'apanage de la société civile, considérée comme « la société des citoyens » et composée des organisations non gouvernementales, des syndicats, des associations professionnelles, des communautés religieuses, des autorités coutumières etc.

Avec l'avènement de la société civile, il s'est produit comme un transfèrement partiel des missions de réalisation du bien commun de l'Etat (qui est a priori le seul garant de l'intérêt général) vers cette dernière.

En effet, à côté de l'Etat, la société civile se pose comme l'un des acteurs « capables de produire des biens publics et de contribuer, autant que possible, à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations camerounaises et à la défense de leurs droits »189.

normative, capable de libérer, de mobiliser les forces des changements alternatifs ». Lire Nasser Etemadi, concept de société civile et idée du socialisme, Paris, L'Harmattan, 2002, pp. 88-89.

Sur un tout autre plan, il faut noter que le concept de société civile résulte de l'émergence de l'Etat organisé au détriment de l'état de nature. Ainsi pour Hobbes, « la société civile est une autre façon de nommer l'Etat défini comme forme politique et organisée, émanation du contrat social noué entre individus et matérialisation de la civilité qui préside à leurs relations ». Lire René Otayek « et al.», « Les sociétés civiles du Sud : Un état des lieux dans trois pays de la ZSP : Cameroun, Ghana, Maroc », op.cit. p. 31.

De la contribution de Gramsci à la saisine du concept de société civile, il faut relever qu'il le définit comme « un complexe d'institutions sociales privées » dont le rôle est « la diffusion de normes et de valeurs, c'est-à-dire d'une certaine conception de la vie en société, des rapports entre individus et groupes sociaux, de la relation à l'Etat, de représentations relatives à l'ordre, au pouvoir et à la légitimité ». cf. op. cit. , p. 32.

187 Jérôme Francis Wandji K., « Processus de démocratisation et évolution du régime politique camerounais d'un présidentialisme autocratique à un présidentialisme démocratique », op. cit., p. 446.

188 Maurice Kamto, « Rapports Etat-Société Civile en Afrique », RJPIC, octobre-décembre, no 31994, p.287.

189 René Otayek « et al.», op. cit. , p. 39.

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La loi no 99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales, conforte solidement l'idée de l'implication de la société civile dans la promotion de l'intérêt général, car aux termes de cette dernière, « une ONG est une association [...] agréée par l'administration en vue de participer à l'exécution des missions d'intérêt général »190. De même, ces missions d'intérêt général peuvent ressortir des domaines divers, notamment juridique, économique, social, culturel, sanitaire, sportif, éducatif, humanitaire, protection de l'environnement ou promotion des droits de l'Homme191.

Fort de ce qui suit, les organisations de la société civile (OSC) apparaissent comme des laboratoires d'étude des préoccupations de la société. Elles sont des « lieux de proposition et d'imagination collective pour la croissance et l'amélioration des conditions de vie de la nation »192. En d'autres termes, l'activité citoyenne menée par la société civile va au-delà d'un cercle restreint, mais vise généralement à contribuer au bien-être du maximum d'individus ou de la collectivité toute entière 193; puisqu' « En se constituant, les groupes d'ordres divers et particulièrement les groupes professionnels, bien loin de compromettre le lien national, viennent le renforcer en donnant à la solidarité nationale une structure plus complexe »194.

Si « La participation citoyenne implique une intervention directe des citoyens ou parfois leurs interventions indirectes à travers le tissu associatif »195, cela révèle clairement que la société civile est consubstantielle à la citoyenneté. C'est ce que semblait reconnaitre Célestin Monga lorsqu'il énonçait que l'action des organisations tenues comme appartenant à la société civile « tend à amplifier le processus d'affirmation des droits attachés à la citoyenneté »196. C'est sans doute en vertu de ce rôle de relais essentiel de l'expression citoyenne, faisant d'elle un instrument d' « actionnariat collectif » à la disposition des

190 Voir l'art. 2 al. 1de la loi no 99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.

191 Voir l'art. 3 de la loi no 99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.

192 Coalition citoyenne pour le changement (3C) observatoire des promesses électorales, « Le pacte citoyen (La parole des citoyens aux élus) pour moins de pauvreté et plus de démocratie au Cameroun. Propositions de la société civile aux candidats à la présidentielle de 2011 et aux futurs candidats aux municipales et législatives de 2012 », Yaoundé, septembre 2011, p.19.

193 A partir de là, l'on admet l'idée que « Les associations sont [...] pratiquement orientées vers la poursuite d'activités d'intérêt général, mais, plus substantiellement, elles sont reconnues comme dépositaires d'une parcelle de l'intérêt général au travers d'intérêts collectifs ». Voir David Hiez et Rémi Laurent, op. cit., pp. 4041.

194 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, op. cit. , p. 10.

195 Voir Zair Tarik dans son article intitulé : citoyenneté et démocratie participative au Maroc, les conditions de la construction d'un modèle, présenté lors du colloque organisé à Marrakech les 29-30 mars 2012 dont le thème général était : Processus constitutionnels et processus démocratiques : Les expériences et les perspectives, p.7.

196 Voir Célestin, Monga, Anthropologie de la colère : société civile et démocratie en Afrique, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 102. Cité par Otayek René et al., op. cit., p. 39.

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citoyens, que la société civile constitue un interlocuteur des autorités gouvernantes, dont elle influence par ailleurs les décisions. De là découle toute la légitimité des OSC, qui « sont une forme de représentation de la population. Elles agissent dans l'intérêt de celle-ci, en font émerger une parole collective »197 ; ce qui fait de ces dernières une sorte d'alternative198.

Le lien intérêt général et société civile peut aussi être décrypté à travers la politique des subventions accordées à cette dernière pour la réalisation de ses activités. A ce sujet, David Hiez et Rémi font observer que : « les subventions ne peuvent être accordées qu'aux associations qui poursuivent des buts d'intérêt général avéré »199. Ils poursuivent en disant que : « Quand on connaît le poids des subventions dans le budget des associations et le nombre d'associations qui perçoivent de telles subventions [...], on mesure le lien qui les rattache à cet intérêt général »200.

Mais au-delà de leur formulation théorique, les démarches citoyennes de la société civile sont menées suivant plusieurs mécanismes pratiques.

B. Les mécanismes de promotion de l'intérêt général par la société civile

La participation citoyenne des OSC à la promotion et à la défense de l'intérêt général peut synthétiquement emprunter trois mécanismes, à savoir l'information et la communication (1), le plaidoyer (2) et le contrôle de la gestion des affaires publiques (3).

1. l'information et la communication

Dans le domaine de l'information et de la communication, les OSC en général et les ONG en particulier, mènent des initiatives en vue de sensibiliser les citoyens relativement à

197Ibid. p. 25.

198 A ce propos, l'on faisait déjà remarquer qu'en Afrique en général et au Cameroun en particulier, la société civile est considérée « comme l'unique solution alternative à la crise de l'Etat post-colonial autoritaire dont l'échec fut aussi bien politique qu'économique... ». Voir René Otayek , op. cit., p. 33.

199 David Hiez, Rémi Laurent, « La nouvelle frontière de L'économie sociale et solidaire : L'intérêt général ? », op. cit. , p. 40.

200 Ibidem.

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diverses questions relatives aux droits fondamentaux, au patriotisme, à la participation électorale, à la protection de l'environnement etc. A ce sujet, l'on remarque leur grande implication, à travers l'organisation de conférences-débats, de forums ou de manifestations publiques, dans la célébration des journées nationales d'une part, et internationales d'autre part consacrées soit au niveau de l'organisation des Nations unies et relatives aux activités de l'un ou de l'autre de ses organismes spécialisées, soit au niveau de l'Union africaine ou de toute autre organisation sous-régionale dont le Cameroun est membre. L'objectif recherché est notamment d'informer les citoyens sur l'importance de tel ou tel évènement et son enjeu sur ses droits ou ses conditions de vie.

Entre autres problématiques qui connaissent particulièrement les interventions des OSC sur le plan de l'information et de la communication, il y'a par exemple la participation électorale. En fait, elles oeuvrent pour inciter les citoyens à prendre part activement aux différentes phases du processus électoral. Ainsi, à l'occasion de la refonte des listes électorales, entamée dans le courant de l'année 2012 au Cameroun, l'on a pu observer une forte activité de sensibilisation des populations par les OSC afin que celles-ci s'inscrivent massivement sur les listes électorales et remplissent ainsi leur devoir civique201.

Parmi les activités d'information et de communication menées par les OSC, l'on citera également la publication de rapports annuels et des résultats d'enquêtes circonstancielles destinés à d'informer à la fois les pouvoirs publics et les citoyens202 et portant sur divers domaines tels que la situation des droits de l'homme en termes de leur violation et d'avancées dans leur respect, la gouvernance publique ou la corruption. A la fin, il se dégage que les campagnes d'information et de communication menées par la société civile visent la promotion de la culture citoyenne.

201 D'ailleurs, de nombreuses concertations ont été menées entre l'organisme en charge des élections au Cameroun à savoir ELECAM et plusieurs groupements de la société civile à l'effet d'adopter des stratégies visant à favoriser l'adhésion des citoyens à ce processus là.

202Ces rapports et autres publications des OSC sont d'une importance certaine, d'autant plus qu'ils servent parfois de base de référence de certains organismes internationaux ou de certaines missions diplomatiques dans l'appréciation de la situation des droits de l'homme par exemple. A ce sujet, l'ex ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, Robert P. Jackson, dans son discours sur les Rapports par pays du Département d'Etat américain sur la situation des droits humains dans le monde en 2010, déclarait que « Aux fins d'élaboration du chapitre consacré au Cameroun, le Département d'Etat s'est appuyé sur des informations recueillies par les fonctionnaires de notre ambassade [...].Nous avons également sollicité et obtenu des informations utiles auprès d'autres sources [...] non gouvernementales de défense des droits humains, aussi bien internationales que nationales. Le Département d'Etat a recueilli des informations auprès des universitaires, des avocats, des syndicats, des chefs religieux et des médias ». Ce discours a été recueilli sur le site de l'Ambassade des Etats -Unis ( http://yaounde.usembassy.gov), (consulté le 13 décembre 2010 à 17H).

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2. Le plaidoyer

Le rôle de plaidoyer, répondant au souci de servir et de défendre la cause commune, peut être défini comme « un ensemble d'actions ciblées en vue de soutenir une cause, un problème, d'inverser une situation dommageable, une législation insatisfaisante »203.

Au plan politique, le plaidoyer « consiste à agir sur le pouvoir à travers la vie des associations démocratiques et la libre discussion dans la sphère publique culturelle »204. Le plaidoyer permet la société politique et la société civile de mettre en avant la discussion dans leurs rapports. C'est dans cette optique que s'inscrivait la publication du « pacte citoyen pour moins de pauvreté et plus de démocratie »205, document présentant une vue synoptique de la situation du Cameroun sur tous les plans, et dont l'intérêt majeur est qu'il était assorti d'un ensemble de propositions de solution aux problèmes recensés d'une part, et qu'il fut adressé aux candidats à l'élection présidentielle de 2011 aux élections législatives et municipales de 2013. L'enjeu ici était de subordonner le soutien de la société civile à un quelconque candidat à l'acception par lui de mettre en oeuvre le dit pacte une fois qu'il aurait été élu.

De façon générale, il faut remarquer que la société civile camerounaise s'est toujours mobilisée lorsque l'intérêt général était en péril206. L'histoire politique de notre pays retiendra à jamais sa participation à la fameuse conférence tripartite convoquée du 30 octobre au 17 novembre 1991, qui avait réuni, dans un même cadre et pour un même objectif, les acteurs du pouvoir politique, ceux de l'opposition et ceux de la société civile207. De cette rencontre

203 Association des amoureux du livre (ASSOAL), sous la coordination de Nguebou jules Dumas, Manuel du budget participatif au Cameroun : concepts, méthodes et outils pour suivre la décentralisation et améliorer la gouvernance locale, Yaoundé, CRDL, 2014, p.207.

204 Voir Nasser Etemadi, concept de société civile et idée du socialisme, Paris, L'Harmattan, coll. ouverture philosophique, 2002, p. 92.

205 Il s'agit en fait d'un document élaboré par un regroupement d'OSC dénommé coalition citoyenne pour le changement (3C).

206 A titre d'exemples, le gouvernement, à travers le Ministère du travail et de la sécurité sociale, a consacré le concept de « dialogue social ». Ce concept signifie tout simplement que la concertation entre l'Etat et les organisations syndicales aussi bien patronales que des travailleurs, reste d'une part le cadre idéal de présentation des problèmes liés au conflit social patent ou potentiel inhérent au monde du travail ou à l'activité socio-économique et d'autre part une plateforme productrices de propositions en vue de la résolution de ces problèmes. Dans ce cadre, plusieurs concertations entre les syndicats et le gouvernement ont ainsi permis de désamorcer plusieurs grèves dont les mots d'ordre avaient déjà pourtant été donnés. Il y va ainsi de la préservation de la stabilité sociale.

207 La tripartite permettait la présence de la société dans la discussion pour l'élaboration d'une nouvelle Constitution. Or, dans plusieurs pays africains, la conférence nationale souveraine avait été retenue à cet effet, ce qui ne mettait en scène que le pouvoir politique régnant et es acteurs de l'opposition.

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sortira la définition d'un nouvel avenir politique et constitutionnel du pays adapté à l'avènement de la démocratie au début des années 90208. Ainsi, l'on conviendra que la société civile a joué dans l'histoire constitutionnelle du Cameroun, le rôle majeur de pouvoir constituant dérivé209. En effet, c'est de la tripartite de 1991 qu'est née la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. Cela démontre, s'il en était encore besoin, de l'importance de la place de la société civile dans la conduite du destin national.

3. Le contrôle de la gestion des affaires publiques

La société civile se veut très active dans le contrôle de la gestion des affaires publiques. Ce rôle de sentinelle de la gouvernance publique se matérialise concrètement par des actions de suivi et d'évaluation des projets ou de programmes initiés notamment par le gouvernement lui-même. Jean L. Cohen et Andrew Arato font d'ailleurs remarquer que « la société civile n'a pas pour but la prise en soi du pouvoir politique, elle infléchit néanmoins sur ses orientations et ses formes de fonction »210.

Le contrôle de la gestion des affaires publiques par les OSC constitue un moyen de participation citoyenne à l'action publique, puisque les citoyens sont les destinataires majeurs de l'activité gouvernementale. Les actions qui en découlent consistent entre autres en des descentes sur le terrain, des tables rondes, des ateliers, des séminaires. C'est à toutes ces activités que renvoie l'idée de suivi-évaluation participatif.

Par ailleurs, précisons que le contrôle de la gestion des affaires publiques opéré par la société civile ne peut être efficient que si sont consacrés en aval certains principes fondamentaux tels que la transparence et l'obligation de rendre compte.

Par le premier principe, le gouvernement est appelé à garantir l'accès équitable, la justesse et la compréhensibilité de l'information pour que transparaisse effectivement la réalité de l'état des lieux relativement à la gestion des deniers publics, au processus décisionnel au sein de l'administration, à la conjoncture socio-économique par exemple.

208 Le Pr. Joseph Owona dit à ce propos que la tripartite s'était accordée sur la résolution d'une « adaptation de la constitution de la République du Cameroun au processus de libéralisation et de démocratisation en cours dans notre pays ». Lire Joseph Owona, Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain, étude comparative, op. cit. , p.82.

209 Le pouvoir constituant dérivé est en fait le pouvoir qui porte sur la révision d'une constitution déjà existante, selon les règles qu'elle prescrit elle-même.

210 Nasser Etemadi, op. cit. , p.93.

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L'obligation de rendre compte par contre, renvoie à l'idée que les gouvernants sont redevables de la gestion publique qui est la leur vis-à-vis des citoyens, de qui ils tiennent par ailleurs leur pouvoir.

Le lien entre la citoyenneté et l'intérêt général, tel qu'il a été développé ci-dessus s'avère évident, mais qu'en est-il de sa portée ?

SECTION 2 : LE DENI DE CITOYENNETE PAR LES ATTEINTES

A L'INTERET GENERAL

S'il est admis que l'intérêt général constitue l'un des aspects essentiels de la citoyenneté ; lequel se pose comme supérieurs aux intérêts individuels211. Cependant, le déclin de l'intérêt général dans le contexte camerounais est manifeste à travers la montée de l'individualisme, qui se dresse véritablement comme une atteinte à la citoyenneté républicaine (§ 1). Face à cela, la réalisation dudit intérêt général peut tout de même emprunter la voie de la participation politique (§ 2).

Paragraphe 1 : L'INDIVIDUALISME COMME UNE ATTEINTE A LA CITOYENNETE REPUBLICAINE

Les sociétés africaine en général et camerounaise en particulier ont depuis toujours été caractérisées par leur forme communautaire, marquée par l'existence de systèmes de solidarité entre les individus. Cela fait en sorte que l'individu est « subordonné à la collectivité, car c'est du bien public que dépend le bien individuel »212. Or, l'individualisme entraine la rupture de cette relation. Il signifie d'une part la « tendance à s'affirmer indépendamment des autres », et d'autre part la « tendance à privilégier la valeur et les droits de l'individu contre les valeurs et droits des groupes sociaux »213. C'est la seconde acception

211 C'est le dogme de l'unité nationale qui légitime la suprématie de l'intérêt général sur les intérêts individuels particuliers, le premier garantissant les seconds ; car le citoyen est tout d'abord un sujet de la Nation dont la condition d'existence est l'unité. Ainsi, si l'intérêt général repose dans la sacralité de l'unité nationale, cela veut dire que les intérêts privés ne peuvent que lui être inférieurs.

212 Jean-Claude Kamdem, « Personne, culture et droits en Afrique noire », in Henri Pallard, Stamatios Tzitzis (dir.), Droits fondamentaux et spécificités culturelles, Paris, éd. L'Harmattan, 1997, pp. 95-117, (spéc. p. 100).

213 Cf. le dictionnaire Petit Robert, op. cit., p. 542.

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qui sied le mieux à notre analyse, dans laquelle nous montrerons d'abord les dérives de l'individualisme au Cameroun (A) avant d'en analyser ensuite l'impact (B).

A. Les dérives de l'individualisme au Cameroun

L'individualisme se manifeste au Cameroun aussi bien dans la sphère de l'administration publique que dans la sphère sociétale toute entière. D'ailleurs dans une adresse à la Nation, le Chef de l'Etat l'a lui-même reconnu sans ambages. Ses déclarations peuvent ainsi nous servir de grille d'analyse dans ce segment.

Ainsi, si l'intérêt individuel en vient à supplanter l'intérêt général, cela peut notamment résulter d'une certaine déstructuration des rapports du citoyen à la société globale, liée au dépérissement des valeurs collectives d'une part (1), et de la « privatisation » du service public d'autre part (2).

1. La déstructuration des rapports du citoyen à la société globale : Le dépérissement des valeurs collectives

A ce niveau, nous entendons expliquer l'idée selon laquelle les citoyens au Cameroun se caractérisent par une sorte de duplicité quant à leur identification. En effet, ces derniers s'identifient selon deux repères.

Il y a d'abord les repères primaires, c'est-à-dire que les citoyens s'identifient premièrement par rapports à leur origine tribale ou ethno communautaire

Ensuite ; il y a le repère d'unité national par lequel les citoyens ne s'identifie que secondairement.

En se détournant des contraintes sociales ou culturelles et des valeurs qui ont été érigées en ciment de la société camerounaise à un moment ou à un autre de l'évolution historique, politique, sociale ou constitutionnelle du pays, le citoyen marque par là son individualisme. Il s'agit d'une attitude négative car l'individu, citoyen de l'Etat, s'écarte ainsi des contraintes sociales mythiques telles que la politesse, le patriotisme, les devoirs civiques, la solidarité etc. Lorsque le citoyen se démarque de la sorte de la société globale, il se produit alors chez lui une désintégration sociale, et donc, un désintérêt pour les valeurs et les enjeux collectifs.

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C'est cet individualisme que dénonçait le Président de la République Paul Biya dans son traditionnel discours à la Nation, en le considérant comme l'une des tares majeures de notre société. A ce sujet, le Chef de L'Etat affirmait ce qui suit : « Bien qu'attachés à nos communautés d'origine - ce qui ne nous empêche pas d'être de fervents patriotes lorsque l'honneur national est en jeu - nous sommes un peuple d'individualistes, plus préoccupés de réussite personnelle que d'intérêt général »214. Il poursuivait en disant que : « Dans un Etat moderne, cette dérive ne doit pas être tolérée »215.

De l'exégèse de ces propos216, il ressort que l'individualisme au Cameroun revêt un caractère tribal, qui se traduit par un repli identitaire des citoyens vers leur communauté tribale, entrainant justement des revendications de type communautariste. Les individus affichent davantage leur préférence pour leur tribu ou leur région d'origine217 ; donnant ainsi lieu à la construction de diverses solidarités primaires de nature tribale ou ethno régionale ; lesquelles se dressent en réalité contre la solidarité et l'unité nationales.

Dans ce sens, Alain-Gérard Slama affirmait que : « la disparition des fondements nationaux du lien social entraîne des mouvements inévitables de repli des citoyens [...] vers d'autres références, d'autres appartenances. Ainsi se comprend [...] la diffusion d'un individualisme tribal fait de revendications catégorielles, corporatistes et communautaires »218.

Dans un contexte où le pôle ethno régional est devenu de plus en plus la plateforme favorite de revendication citoyenne, les individus sollicitent telle ou telle prestation vis-à-vis de l'Etat, non pas en raison de leur statut de citoyen tout court219, mais du fait de leur appartenance à une tribu ou à une région donnée220. Pourtant le seul titre de citoyen de l'Etat suffit, par lui-même à fonder des revendications ou des créances légitimes vis-à-vis dudit Etat,

214 Voir le message du Chef de l'Etat S.E. Paul Biya à la Nation, le 31 décembre 2013.

215 Ibidem.

216 Puisque ces propos portant sur la dénonciation de l'individualisme émanent de la plus autorité de l'Etat, celle qui, au sens de l'art. 5 al.2 de la Constitution, incarne l'unité nationale, cela pousse davantage à jeter un grand coup de projecteur sur ce phénomène.

217 A titre d'illustration, nous parlerons du phénomène des lettres ou des mémorandums adressées au gouvernement ou directement au Président de la République qui a pris corps il y'a un certain temps au Cameroun ; et par lesquels les populations d'une région ou d'une tribu, généralement à travers ses élites, réclament de la part de l'Etat des actions spécifiques en termes notamment de construction d'infrastructures diverses.

218 Alain-Gérard Slama, « L'Etat sans citoyens », revue pouvoirs, no 84, 1998, pp. 89-98, (spéc. pp. 97-98).

219 Pourtant à ce titre ils sont déjà normalement créanciers vis-à-vis de l'Etat.

220 C'est dans cette logique que s'inscrivait la revendication des élites de la région de l'Extrême-Nord portant sur l'admission automatique de tous les candidats originaires de cette région qui s'étaient présentés au concours d'entrée à l'école normale de Maroua en 2008. Ce lobbying avait à la fin atteint ses objectifs.

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et, que pour ce faire, le repli sur sa communautaire tribale parait dès lors simplement superfétatoire.

Il est plus qu'évident que les intérêts communautaro-tribaux ou ethno-régionaux ne servent nullement l'intérêt général, entendu comme l'intérêt de l'ensemble national unifié. Mais au contraire, ils le dévoient tout en fragilisant du même coup les piliers de la Nation en construction.

2. La « privatisation » du service public

L'Etat, en tant qu'il est la personnification juridique de la Nation221, apparait comme la première entité qui soit véritablement en même de définir et de protéger efficacement l'intérêt général. C'est dans cette logique que J. Verhoeven affirme que la citoyenneté collective renvoie à une « volonté de fusion des individualités dans une entité unique, seule capable de les porter, d'assumer une responsabilité entière dans la conduite de leur destin. Cette entité c'est l'Etat »222. Par conséquent, s'il est admis que c'est l'Etat qui garantit l'intérêt général, elle le fait à travers son bras séculier, à savoir l'Administration ; laquelle est vouée à l'accomplissement des missions de service public. A ce sujet, le Dr. Jérôme Wandji K. affirme que : « Le droit de la fonction publique [...] repartit les fonctionnaires civils camerounais en différents corps spécifiques qui trouvent leur cohésion dans l'exercice d'activités au service de l'intérêt général »223. Fort de cela, il est donc envisageable d'analyser le dépérissement de l'intérêt général et la montée de l'individualisme dans le cadre du fonctionnement des services publics étatiques.

Recourant une fois de plus au message du Chef de l'Etat précédemment évoqué, l'on en ressort la déclaration selon laquelle « Notre Administration reste perméable à l'intérêt particulier. Ce dernier est le plus souvent incompatible avec l'intérêt de la communauté

221 En effet, Raymond Carré de Malberg voit en l'Etat un « être de droit » « en qui se résume de façon abstraite la collectivité nationale, c'est-à-dire une personne morale dont l'une des fonctions est la personnification dudit groupe humain ». Lire à ce sujet Joseph Owona, Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain, étude comparative, op. cit. , p.19.

222 Cf. J. Verhoeven, Conclusions'', In SFDI, Droit international et droit communautaire, perspectives actuelles, Colloque de Bordeaux, Paris, Pedone, 2000, cité par Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit., p. 157.

223 Jérôme Francis Wandji K., « Principes du procès équitable et procédure disciplinaire dans le nouveau droit de la fonction publique au Cameroun », Annales de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de Dschang, Tome 15, 2011, pp. 283- 317, (spéc. p. 286).

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nationale. Dans un Etat moderne, cette dérive ne doit pas être tolérée »224. L'intérêt particulier ainsi évoqué renverrait à l'incivilité des agents publics, consistant en la pratique de fléaux tels que la corruption, le népotisme, les détournements de deniers publics etc.

Il ressort clairement que l'usage d'une charge publique à des fins personnelles entraine fatalement l'abandon de l'intérêt général. Lequel fonde pourtant le service public d'une part, et constitue un élément fondamental de la citoyenneté d'autre part. Dès lors, le sacrifice de l'intérêt général à l'autel des intérêts privés s'assimile véritablement à un dévoiement de la citoyenneté républicaine et patriotique225.

En somme, la conséquence majeure de la crise de l'intérêt général est la remise en cause de la cohésion sociale.

B. La remise en cause de la cohésion sociale

Au regard de la loi fondamentale du Cameroun, la Nation est une et indivisible. Au rang des facteurs de cette unité de la collectivité des citoyens, figure en bonne place la cohésion sociale. Dans cet ordre d'idées, l'individualisme constituerait un déchirement de cette dernière ; car il entraine une division des citoyens, leur écartèlement entre des aspirations différentes et souvent opposées.

La cohésion sociale correspond à une situation dans laquelle les membres d'une société entretiennent des liens sociaux étroits, partagent les mêmes valeurs et ont le sentiment d'appartenir une même collectivité sociale ou politique. Dans cette optique, peut-on dire que les citoyens camerounais ont véritablement le sentiment de faire partie indifféremment du même Etat ? Mieux, le lien social entre ces derniers est-il suffisamment fort ?

Parlant des liens sociaux, ils désignent l'ensemble des relations qui unissent les individus faisant partie d'une même collectivité telle que l'Etat.

Or, l'individualisme entraine un affranchissement du citoyen des structures qui garantissent la cohésion sociale. Ainsi, le culte de l'individuel au détriment du collectif est la cause de la

224 Cf. le message du Chef de l'Etat S.E. Paul Biya à la Nation, le 31 décembre 2013.

225 A ce propos, Jean-Jacques Rousseau affirmait que chaque homme a « une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu'il a comme citoyen ». Voir Lucien Jaume, « La représentation : une fiction malmenée », revue pouvoirs, Voter, no120, pp. 5-16, (spéc. p.9).

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désunion de la société ; d'autant plus que les outils d'intégration sociale tels la morale, la religion, le patriotisme et la famille226 connaissent une certaine fragilisation.

Cette situation contraste clairement avec les idéaux d'unité nationale et de cohésion sociale définis par la Constitution au Cameroun227. La fragilisation de l'intérêt général se produit lorsque le citoyen développe une certaine morale propre qui s'oppose à celle collectivement consacrée.

En outre, la cohésion sociale est autant gravement fragilisée par le phénomène du repli identitaire matérialisé par des revendications particularistes ; car entraine-t-il l'altération du caractère homogène de la citoyenneté de type républicain.

De manière générale, les replis à tendance communautaire se posent en s'opposant souvent à la collectivité des citoyens. Tel est en réalité le fait générateur d'un conflit ouvert entre l'intérêt général de tous les citoyens sans exception et les intérêts particuliers de quelques citoyens seulement. De ce qui précède, il est impérieux d'opérer la resocialisation des citoyens. Cette perspective pourrait passer par une sorte de réarmement moral consistant à inculquer à l'individu des normes et des valeurs républicaines.

Paragraphe 2 : LA REALISATION DE L'INTERET GENERAL AU TRAVERS DE LA PARTICIPATION POLITIQUE

Pour Messieurs Alain Didier Olinga et Patrice Bigombè Logo, la participation politique « signifie l'intérêt manifeste que l'on porte aux choses de la cité, aux affaires qui transcendent les préoccupations individuelles (sans les ignorer) pour rechercher le bien commun, l'intérêt de la communauté dans son ensemble »228. Dans ce cadre, la participation politique apparaît comme une prise en main par le citoyen de l'intérêt général (A). Cette réalité peut par ailleurs être appréciée au regard de nouvelles perspectives offertes par l'avènement de la décentralisation (B).

226 La famille on l'occurrence constitue une instance de socialisation primaire ; c'est ce qui justifie la prescription constitutionnelle selon laquelle « La nation protège et encourage la famille, base naturelle de la société humaine... ». Voir le préambule de la constitution du Cameroun.

227 En effet, le préambule de la constitution dispose que le Peuple camerounais « ... constitue une seule et même nation, engagée dans le même destin... ».

228 Alain Didier Olinga, Patrice Bigombè Logo, « La participation politique et communautaire dans la dynamique de la mise en oeuvre de la Constitution du 18 janvier 1996 », in : Alain Ondoua, (dir.), La Constitution du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op. cit., pp. 187-202, (spéc. pp. 187-188).

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A. La participation politique comme un moyen de prise

en main de l'intérêt général par le citoyen

La participation politique est un moyen aux mains du citoyen par lequel il assume en quelque sorte la société toute entière. Ainsi, autant que nous présenterons l'enjeu de cette assertion (1), de même nous en évoquerons les limites (2).

1. L'enjeu

Lorsque la participation politique est effective, cela est une illustration de ce que les citoyens ont pleinement conscience de l'enjeu de l'intérêt général, qui s'exprime aussi bien à l'échelle nationale que locale. D'ailleurs, « La participation est l'élément clé de la définition de la citoyenneté »229. Kymlicka et Norman élaborent deux conceptualisations différentes des théories de la citoyenneté. Il s'agit de « la citoyenneté comme statut légal permettant une participation pleine et entière dans une communauté politique particulière, et la citoyenneté comme activité souhaitable, où la qualité de la citoyenneté est fonction du degré de participation dans la communauté politique ».230

Ainsi, dans un système de démocratie représentative, tel que consacré par les art. 2 al.1

et 4 de la constitution du Cameroun231, la participation électorale se révèle comme une condition d'existence du citoyen. A l'occasion de l'élection par exemple, l'intérêt général s'avère être plus que jamais un enjeu décisif. C'est dans cette logique que l'électeur suit la campagne électorale, à l'effet de se faire une idée plus ou moins précise sur le contenu des programmes présentés par chacun des candidats ou listes de candidats en compétition. Dès lors, il peut savoir justement lequel de ces programmes répond le mieux à ses aspirations propres et aussi à celles de la communauté toute entière. En effet, « grâce au vote, il devient possible de se représenter la Nation en acte, sinon d'interpréter ses volontés »232. Dans le

229 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote, op. cit., p. 25.

230 François Rocher, «Citoyenneté fonctionnelle et État multinational : pour une critique du Jacobinisme juridique et de la quête d'homogénéité », in Michel Coutu, Pierre Bosset, et al. op.cit., pp. 201- 235, (spéc. p. 208).

231 L'art. 2 al. 1 dispose que : « La souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l'exerce soit par l'intermédiaire du Président de la République et des membres du Parlement... » ; l'art. 4 quant à lui affirme que : « L'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la République ; le Parlement ».

232 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote, op.cit., p. 47.

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même sens, l'on fera observer que « voter est un droit, mais aussi un devoir engageant la conscience de l'individu nécessairement lié à l'intérêt général et à la destinée de la communauté »233.

De toutes les façons, tout programme politique de candidat à une élection revêt déjà en lui-même des considérations d'intérêt général, car il est conçu pour être soumis aux électeurs, c'est-à-dire les gouvernés d'une part, et que d'autre part, sa mise en oeuvre future, après approbation populaire, se fait dans le cadre de la société politique globale.

C'est donc fort de son imprégnation des différentes offres politiques que l'électeur introduit logiquement tel ou tel bulletin de vote dans l'urne. Par cet acte, il participe déjà à l'entame de la satisfaction de l'intérêt général ; d'autant plus que selon le Pr. Luc Sindjoun, au Cameroun, « Les élections sont [...] des moments de promesses d'avantages matériels ou immatériels, de réalisations d'infrastructures routières, sanitaires, éducatives, ..., par (ou grâce) à l'Etat »234.

Dans le même sillage, le Pr. Alain Didier Olinga et Patrice Bigombè Logo affirmeront que : « la participation politique exige de sortir de l'individualisme pour s'assumer comme partie d'un tout dont on est solidaire »235. Dans la même logique, Ils poursuivent en disant que : « l'effectivité de la participation politique exige un environnement particulier, dans lequel l'idée même de bien commun a pris corps, [...], où la conviction d'un destin commun à la réalisation duquel l'on est disposé à apporter sa part est confortée »236.

Ainsi donc, la participation politique en général et électorale en particulier est une illustration de la pleine connaissance par le citoyen des enjeux qui engagent la société politique dans laquelle il vit ; c'est donc là un moyen de recherche ou de préservation de l'intérêt général.

C'est dans cette logique que peut s'inscrire d'une certaine manière la théorie du vote utilitaire ou vote rationnel, dont fait allusion Engueleguele Maurice, pour qui ce vote se caractérise par « la montée en force du questionnement relatif aux programmes des partis politiques »237.

233 Anne Muxel, « L'absention : Déficit démocratique ou vitalité politique ? », revue pouvoirs, Voter, no 120, pp. 43-55, (spéc. p. 45).

234 Luc Sindjoun, « Le paradigme de la compétition électorale dans la vie politique : entre tradition de monopole politique, Etat parlementaire et Etat seigneurial », in : Sindjoun Luc, (dir.), La révolution passive au Cameroun : Etat, société et changement, Karthala-Codesria, 2000, pp. 269-329 (spéc. p. 320).

235 A.D. Olinga, Patrice Bigombè Logo, op. cit., p188.

236 ibidem.

237 Maurice Engueleguele, «Le paradigme économique et l'analyse électorale africaniste : piste d'enrichissement ou source de nouvelles impasses ? », in Colloque AFSP-CEAN : Voter en Afrique : différenciations et comparaisons, 7-8 mars 2002, p.9.

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Cependant, l'endossement de la participation politique sur les considérations d'intérêt général n'est pas absolu.

2. Les limites

Il convient de relever ici que l'acte de vote en particulier ne constitue pas toujours un instrument par lequel le citoyen manifeste son souci de contribuer à la garantie de l'intérêt général comme cela a été démontré plus haut. En effet, au Cameroun le vote n'est pas toujours revêtu de son caractère utilitaire ; mais constitue plutôt un acte de solidarité restreinte.

Le vote solidaire consiste pour le citoyen-électeur d'opérer son choix en fonction, prioritairement ou exclusivement d'un lien de nature tribale, religieuse ou linguistique existant entre lui et le candidat à une élection. Maurice Engueleguele disait à ce propos que : « Les choix politiques des électeurs africains lors des scrutins organisés depuis 1990 ont été largement présentés comme exclusivement déterminés par des sentiments de solidarité, de loyauté, d'allégeance au groupe d'appartenance; ils seraient fonction de l'affiliation sociale et non des calculs d'utilité »238.

Ainsi, le phénomène de vote tribal est patent. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder la carte électorale du Cameroun dessinée depuis les premières consultations électorales multipartistes, et dont les traits sont restés quasiment intacts jusqu'à nos jours. En effet, l'essentiel des partis politiques et leurs leaders avec, ont pour l'essentiel, un ancrage davantage ethno-régional que national239. Dans cet ordre d'idées, le Pr. Luc Sindjoun déclare que : « L'implantation partisane des partis politiques au Cameroun concourt à la construction partisane de la périphérie. [...] dans un contexte de girondinisme'', c'est-à-dire de régionalisation de la vie politique, les partis politiques forment leurs électeurs ou leurs sympathisants dans la perspective de la consolidation de l'habitus local ou paroissial'' »240. Suivant le même raisonnement, il poursuit en disant que : « L'interaction entre

238 Maurice Engueleguele, op.cit., p.3.

239 Très peu de partis politiques en effet connaissent une implantation nationale. Pour la grande majorité d'entre eux, le marquage territorial se résume limitativement à la région ou au département d'origine de son leader.

240 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, éd. Economica, 2002, pp. 229-230.

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girondinisme'' et construction partisane de la périphérie contribue à fragiliser le centre comme point de totalisation de l'espace »241.

Pour fournir quelques clichés de cette observation du Pr Luc Sindjoun, l'on dira que l'UPC, perçu comme le parti des Bassa et l'UDC étiqueté comme le parti des Bamoun, pour ne prendre que ces deux cas, n'ont obtenu la totalité de leurs sièges à l'Assemblée Nationale à l'issue de l'élection législative du 30 septembre 2013, que dans les départements du Nyong et kellé242 et du Noun243 respectivement244.

Comme on peut le voir, le vote au Cameroun est presque fatalement soumis à un déterminisme communautaro-tribal, qui constitue véritablement un enferment du citoyen. Dès lors, il ne peut résulter de ce contexte qu'un dévoiement de la citoyenneté ; car l'attachement affectif pour sa communauté et/ou pour le candidat originaire de sa communauté tribale est susceptible à bien des égards de détourner le citoyen de toute objectivité dans son choix électoral. Ce risque est d'autant plus grand que la compétition politique et électorale peut se déplacer sur le plan communautaire, aboutissant ainsi à une opposition tribale souterraine ou visible.

B. De nouvelles perspectives de participation politique

à l'aune de la décentralisation au Cameroun

A la faveur de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, la décentralisation a été consacrée au Cameroun245. Cette technique d'organisation territoriale de l'Etat entraine l'émergence de ce qu'il convient d'appeler la citoyenneté locale. Cette dernière permet en fait une plus grande implication des populations dans la gestion des affaires de la cité. En cela, elle crée une certaine proximité ente les gouvernants locaux et les populations locales, ouvrant inéluctablement à l'égard de ces dernières un grand champ de participation politique.

Tranchant avec les affirmations de M. Jean Kenfack selon lesquelles « la collectivité territoriale décentralisée est approchée moins comme un cadre d'épanouissement citoyen

241 Ibid, p. 230.

242 Le département du Nyong et Kellé est le territoire de localisation de l'ethnie bassa.

243 Le département du Noun est le territoire de localisation de l'ethnie bamoun.

244 Cf. le « Rapport général sur le déroulement du double scrutin législatif et municipal du 30 septembre 2013 », p. 269.

245 En effet, l'art. 1er al.2 de la Constitution dispose que : « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé ». Dans le même sillage, le titre x du même texte est exclusivement consacré aux collectivités territoriales décentralisées.

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qu'un cadre de gestion administrative »246, nous ferons plutôt observer qu'en conséquence de la définition du domaine des affaires locales247, le sens fonctionnel de la citoyenneté, qui met en avant l'idée de contribution 248 , permet désormais aux citoyens de s'ingérer significativement dans la gouvernance locale. En effet, la loi no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation élève le citoyen local au rang d'interlocuteur majeur de l'administration de la collectivité décentralisée. Elle prévoit notamment que : « Toute personne physique ou morale peut formuler, à l'intention de l'exécutif régional ou communal, toutes propositions tendant à impulser le développement de la collectivité territoriale concernée et/ou à améliorer son fonctionnement »249. Cette disposition met ainsi en exergue le développement participatif, qui implique justement une grande implication des citoyens dans l'élaboration et la mise en oeuvre des actions de développement.

D'une autre manière, la participation politique est effective si « Tout habitant ou contribuable d'une collectivité territoriale peut, à ses frais, demander communication ou prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux du conseil régional ou du conseil municipal, des budgets, comptes ou arrêtés revêtant un caractère réglementaire, suivant des modalités fixées par voie réglementaire »250.

Au regard de ce qui suit, l'on est bien loin de l'idée de l' l'effacement de l'individu, habitant de la collectivité territoriale décentralisée, avec pour conséquence sa « mise à l'écart de son statut de citoyen pour ne retenir que celui d'usager, de justiciable, de contribuable ou d'électeur »251. Mais au contraire,il ressort clairement des dispositions suscitées que dans le cadre de la décentralisation au Cameroun, le citoyen n'est pas seulement confiné dans les seuls rôles d'élire les autorités locales ou de payer diverses taxes. Bien plus que cela, il représente davantage un acteur influent de la gestion participative des collectivités locales, au regard par exemple de son droit à l'information252.

246 Jean Kenfack, « Les perspectives de participation offertes par l'avènement des collectivités territoriales décentralisées », in Alain Ondoua (dir.), op. cit., p. 206.

247 L'Etat transfère aux collectivités territoriales des compétences dans les matières nécessaires à leur développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif. Ces matières constituent les affaires dites locales

248 Voir en ce sens Tarik Zair, Citoyenneté et démocratie participative au Maroc, les conditions de la construction d'un modèle », op. cit.,p. 3. L'auteur énonce que « Prise dans un sens fonctionnel, la citoyenneté est perçue en termes de contribution avant d'être une existence ».

249 Voir l'art. 13 al.1de la loi no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.

250 Voir l'art. 13 al.2 de la loi no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.

251 Jean Kenfack, op. cit., p. 214.

252Cf. art. 37 al.1 et 40 al.1de la loi no 2004/018 du 22 juillet 2004, fixant les règles applicables aux commmunes.

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Conclusion du chapitre

Parler de la consécration dans l'ordre constitutionnel camerounais d'une citoyenneté promotrice de l'intérêt général nous a conduit à analyser la centralité du lien entre ces deux notions avant d'en dégager ensuite la portée.

Ainsi, la centralité du lien entre la citoyenneté et l'intérêt général découle de ce que les deux rattachables à la République. La citoyenneté est un élément dérivatif de la République alors que l'intérêt général en est une aspiration. Et, en tant que telle, l'intérêt général se bâtit au Cameroun autour de l'idéal d'unité nationale. Dans ce cadre, nous avons montré que cette édification passe par la considération de la Nation comme la communauté des citoyens qui, sans s'effacer, doivent d'une certaine manière se dissoudre dans l'enveloppe nationale unie qui sécrète par ailleurs un ensemble de valeurs communes liées à la citoyenneté. De la sorte, relativement à la conception de la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais, l'unité nationale de même que ces valeurs, se posent comme des contenants ayant pour contenu l'intérêt général.

En outre, nous avons analysé la corrélation entre l'intérêt général et la société civile. Cette dernière, se démarquant du pouvoir politique, se constitue comme un rempart de l'intérêt général, qu'elle garantit en fait à travers divers mécanismes

Par ailleurs, la mise en exergue de la portée du lien intérêt général et citoyenneté s'est avérée nécessaire, car elle a permis de révéler la fragilisation qui caractérise de plus en plus ce lien, à cause notamment de la montée de l'individualisme.

Mais cette analyse nous a aussi permis de relever et d'analyser le rapport entre l'intérêt général et la participation politique. Cette dernière pouvant contribuer soit à l'optimalisation du lien entre la citoyenneté et l'intérêt général, soit à son relâchement.

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CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

La définition des droits et devoirs du citoyen dans le préambule de la Constitution pose certes les bases d'un statut du citoyen. Mais en les inscrivant dans son dispositif même, cela contribuerait certainement à leur conférer une plus grande autorité et opposabilité.

Concrètement, des titres distincts de la Constitution doivent être consacrés respectivement aux droits et aux devoirs du citoyen. Tel est en effet le cas dans la Constitution de plusieurs Etats africains à l'exemple du Togo ou du Congo.

De même que des titres de la Constitution sont consacrés distinctement aux autorités exécutives, législatives ou judiciaires, cela pourrait tout aussi être le cas pour le citoyen ; car, comme ces autorités, il est un pilier essentiel de l'Etat.

Par ailleurs, cette démarche devrait être similaire pour la société civile au regard du rôle qu'elle joue dans la promotion et la préservation du bien-être des citoyens ; de ce point de vue elle se pose comme un accompagnateur, un adjuvant majeur de l'Etat.

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SECONDE PARTIE :

LE DYNAMISME DE LA CITOYENNETE EN DROIT CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS

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Comme tout concept juridique, la citoyenneté n'est pas restée stable au regard du droit constitutionnel camerounais. Mais au contraire, selon une approche dynamique253, l'on peut voir que suite à sa consécration automatique et probante par l'accession du Cameroun à l'indépendance, elle a connu un processus de maturation progressif, entrainant une évolution de son contenu et même de ses fonctions254.

D'ailleurs, Aristote semblait reconnaitre le caractère dynamique de la citoyenneté en affirmant que : « le citoyen lui-même est nécessairement différent d'une constitution à l'autre »255. Dans le même sens, Sandrine Maillard disait que : « Le concept de citoyenneté est un concept que nous pouvons qualifier de dynamique »256.

De caractère fluctuant, c'est-à-dire vouée à s'adapter aux changements de l'univers social, politique, juridique, culturel et même économique au sein de l'Etat, la citoyenneté camerounaise a dû subir des chocs divers dans ce cadre-là. De la sorte, autant que Paul Valéry répondait à la question de savoir qu'est-ce que le droit en disant que « Nous le savons et nous ne le savons pas »257, s'il nous était aussi demandé de répondre à la question l'on serait tout autant porté de dire que nous le savons en même temps que nous ne le savons pas.

Etant donné que notre étude à ce niveau entend traiter de la question du comment, nous entendons recourir ici à la méthode explicative 258 . C'est dans cette optique que nous entendons mobiliser tous les outils et techniques qui nous permettront à terme de rendre compte de la réalité de notre thématique qui, « loin d'être un stock acquis, représente un véritable programme à développer »259.

En somme, il importe de déterminer et de regrouper de façon cohérente et objective les aspects saillants et significatifs de la tendance à la fluctuation de la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais. Dans ce cadre, nous traiterons d'une part la citoyenneté différenciée (chapitre. I), et d'autre part la dissociation du lien entre appartenance à la Nation et citoyenneté (chapitre. II).

253 Lire à ce sujet Madeleine Grawitz, op. cit., p. 83.

254 La fonction de la citoyenneté réside dans ce qu'elle est un attribut fondamental de la Républiqie, et donc dans ce cadre, sert à réaffirmer les bases de cette dernière.

255 Aristote, La politique, op. cit., p. 70.

256 Sandrine Maillard, L'émergence de la citoyenneté sociale européenne, presses universitaires D'aix-Marseille-PUAM, 2008, p. 38.

257 Paul Valery, Regards sur le monde actuel et autres essais, Gallimard, 1988, p. 31.

258 Madeleine Grawitz, op. cit., p. 419.

259 Olinga Alain, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit., p.165.

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CHAPITRE I :

LA CITOYENNETE DIFERRENCIEE

Dans un contexte d'Etat républicain, parler d'une citoyenneté différenciée reviendra révéler clairement la cohabitation divergente entre cette dernière et la citoyenneté républicaine universelle.

Le premier type de citoyenneté peut découler d'une sorte de rupture de la ligne horizontale sur laquelle doivent en principe être placés tous les citoyens, cela en raison par exemple de l'aménagement de statuts particuliers au profit de certaines catégories de citoyens alors que d'autres se voient privés de certaines facultés juridiques. Par contre, le second est inhérent à la garantie suprême du principe fondamental de l'égalité en droit de tous les citoyens.

Au regard de ce qui suit, dans ce chapitre, l'on est amené de façon générale à scruter les contours de la citoyenneté camerounaise en vue d'y déceler tous les éléments de droit qui établissent des différences entre les citoyens.

Dans ce cadre, nous montrerons que dans l'ordre constitutionnel camerounais, la citoyenneté différenciée résulte de la reconnaissance des minorités et des populations autochtones d'une part (section I), et du système électoral d'autre part (section II).

SECTION I : LA RECONNAISSANCE DES MINORITES ET DES

POPULATIONS AUTOCHTONES

L'une des innovations majeures de la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun a été la reconnaissance constitutionnelle des minorités et des populations autochtones260. Dans un contexte sociologique marqué par la grande diversité ethnoculturelle, il se pose l'équation du modèle de citoyenneté à construire dans ce paysage multiculturaliste.

260 En effet, désormais « L'Etat assure la protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi » au regard du préambule de la constitution du Cameroun.

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A cette question, le constituant de 1996 semble avoir opté pour un type de citoyenneté tout aussi multiculturelle.

Dans ce sens, la reconnaissance des minorités et des populations autochtones peut être perçue comme répondant au souci de l'objectivation de la diversité sociologique ; ce qui conduira malheureusement à l'émergence d'une citoyenneté à double vitesse (§1), subissant du même coup une fragmentation du fait de l'adoption de programmes de discrimination positive (§2).

Paragraphe 1 : DU SOUCI DE L'OBJECTIVATION DE LA DIVERSITE CULTURELLE A L'EMERGENCE D'UNE CITOYENNETE A DOUBLE VITESSE

Telle l'image du Janus ou telle une médaille et son fâcheux revers, la reconnaissance des minorités et des populations autochtones comporte indissociablement des atouts et des tares. En effet, la gestion du multiculturalisme au Cameroun s'est traduite par la dynamique assimilation-différenciation (A), la conséquence majeure qui en découle étant l'établissement d'une catégorie de citoyens sui generis (B).

A. La dynamique assimilation-différenciation

La réforme de la Constitution du 02 juin 1972 avait entre autres objectifs de prendre en compte les « aspirations et les préoccupations du peuple camerounais telles qu'elles se sont exprimées ces dernières années »261. Mais de quelles aspirations et préoccupations s'agissait-il concrètement ? S'agissait-il de revendications particularistes ou identitaires ?

Hélène-Laure Menthong fait à ce sujet état d'une flopée de revendications à caractère ethno régional qui ont rythmé la vie politique du pays au lendemain de l'ouverture démocratique. Elles étaient largement relayées et publiées par le journal gouvernemental Cameroun Tribune et fusaient de toutes parts sur l'ensemble des régions du pays.

L'on peut citer par exemple les revendications des « "forces vives du littoral" (N° 5365 du 27 Avril 1993, N° 5372 du 4 Mai 1993, p. 6), des "élites du Mfoundi" (N° 5386 du 27 Mai 1993),

261 Voir à ce sujet l'exposé des motifs du projet de loi n° 590/PLI/AN portant révision de La Constitution du 02 Juin 1972, déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée nationale en décembre 1995.

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des "élites de la province de l'Est" (N° 5388 du 2 Juin 1993, p. 3), des "Populations du Sud" (N° 5389 du 3 Juin 1993, p.3) »262.

Pourtant avant 1996, le chantier de construction de la Nation au Cameroun utilisait entre autres matériaux l'homogénéisation culturelle ; traduisant ainsi une politique constitutionnelle d'assimilation culturelle ou ethnique dont les mécanismes ont consisté en un mutisme du texte constitutionnel sur la diversité ethno sociologique du pays. Dans cet esprit, l'un des traits caractéristiques qui étaient accolés à la nation en construction était le monolithisme identitaire, qui signifiait que la communauté nationale est le seul cadre d'appartenance des citoyens263.

Cependant, en consacrant l'existence des minorités et des populations autochtones en tant que nouveaux sujets différenciés de droit, le constituant de 1996 aurait voulu donner une dimension réaliste et concrète à la diversité culturelle qui caractérise indiscutablement le Cameroun. Le Pr. Alain Didier Olinga fait observer à ce propos qu' : « il semble qu'en proclamant l'obligation de l'Etat de protéger les minorités et les populations autochtones, la constitution ait voulu démystifier la nation monolithique en tant que creuset et engager à une gestion intelligente de la diversité des composantes de la nation »264.

Cette position peut être épouse celle de Michel Coutu, qui affirme que :

Le pluralisme culturel, sur le plan identitaire, se caractérise par les luttes de reconnaissance de multiples groupements (minorités ethniques et nationales, minorités religieuses, sexuelles, personnes handicapées, etc.) ; ceux-ci s'attachent au projet d'une identification citoyenne qui ne s'adresse pas en priorité à la communauté politique étatique, mais plutôt aux communautés plurielles présentes dans la société265.

262 Hélène-Laure Menthong, « La construction des enjeux locaux dans le débat constitutionnel au Cameroun », polis/ R.C.S.P/C.P.S.R., vol. 2, no 2, 1996, pp. 69-90 (spéc. p. 76).

263A ce propos, le Pr. Jean Njoya parle d'une « conception qui construit son épistémologie autour d'une appréhension uniformiste et assimilationniste de la construction de l'État ». Il relève ainsi que le cas du Cameroun répond à ce schéma. Voir Jean Njoya, « États, peuples et minorités en Afrique sub-saharienne : droit, contraintes anthropologiques et défi démocratique », in « Démocratie, organisation territoriale de l'État et protection des minorités », 4e Forum mondial des droits de l'homme. Face à la crise, les droits de l'homme ?, Nantes-France, 28 Juin-1er juillet 2010, p. 2.

264 Alain Didier Olinga, « La protection des minorités et des populations autochtones en droit public camerounais », Revue Africaine de Droit International et Comparé, vol. 10, 1998, pp.271-291.

265 Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et citoyenneté », op. cit., p. 13.

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Concrètement, le phénomène majoritaire, impliqué par la démocratie 266, peut entrainer une domination peut-être diffuse, mais plus ou moins réelle, d'une certaine majorité sur une ou des minorités267. Telle est manifestement la raison des revendications sus évoquées, pour lesquelles la reconnaissance et la protection des minorités et des populations autochtones devaient en être, selon leurs auteurs, la satisfaction. C'est dans ce sens que s'inscrivent les propos du Pr. Alain Didier Olinga selon lesquels « la protection des minorités et la préservation des droits des populations autochtones ne seraient que des accompagnateurs de la transition démocratique, des amortisseurs du choc que constitue, pour certaines communautés, le passage à la démocratie majoritaire »268.

A l'évidence, les propos du Pr. Alain Didier Olinga sont en l'occurrence confortés par le contenu des revendications de ce qui se faisait appeler la « minorité autochtone sawa » qui, lors d'une marche de protestation tenue à Douala le 10 février 1996, scandait les messages suivants : « Démocratie oui, hégémonie non » ; « pas de démocratie sans protection des minorités autochtones » ; « la majorité ethnique n'est pas l'expression de la démocratie mais celle de l'expansionnisme »269.

Nul doute que les auteurs de ces revendications réclament une certaine représentativité dans la gestion de la sphère démocratique locale particulièrement270. En effet, le chef Essaka Ekwalla Essaka, porte-parole des chefs traditionnels Douala, déclara que : « nous demandons que les postes de maires reviennent aux autochtones [...]. Nous disons simplement que les listes qui ont été déclarées victorieuses comportent dans leur sein des autochtones. Ils ont le droit d'être maire »271.

266 Dans le contexte de la démocratie électorale, le phénomène majoritaire renvoie à l'idée selon laquelle les forces politiques gouvernantes au niveau local ou national sont celles qui ont reçu la majorité des suffrages électoraux exprimés par les électeurs.

267 Cet état des choses laisse ainsi clairement apparaitre les limites intrinsèques du principe sacro-saint de l'égalité de tous les citoyens.

268 Alain Didier Olinga, « La protection des minorités et des populations autochtones en droit public camerounais », Ibid., p. 276.

269 Voir le journal Cameroon Tribune no 6036, mardi 13 février 1996, p. 6, cité par Bernard Guimdo Dogmo, « Reconnaissance des minorités et démocratie : Duel ou duo ? », Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques de l'université de Dschang, Tome 1, volume 1, 1997, p.127.

270 En effet, l'usage des expressions « hégémonie non » et « majorité ethnique » conduit à subodorer de façon objective que, du fait de leur infériorité numérique dans la ville de Douala, les sawa se voyaient, à tort ou à raison, presque naturellement écartés ou éloignés de la possibilité d'accéder à des postes électifs au sein de leur ville d'origine. C'est cette phobie qui justifie manifestement leurs revendications.

271Ibid, p. 128.

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Des mouvements de revendications identitaires similaires à celui précité se sont fait entendre de part et autre du pays272 ; donnant ainsi à penser que leur montée traduit une sorte de rejet du modèle de citoyenneté qui prévalait en ce moment-là, c'est-à-dire la citoyenneté universelle, à laquelle il fallait apporter des correctifs.

Dès lors, pour certains, il fallait absolument parvenir à la reconnaissance d'une citoyenneté spécifique des minorités et des autochtones en vue de garantir pour eux une certaine équité. D'ailleurs, cette idée avait entre-temps été défendue par une frange de la doctrine camerounaise de droit public273 . A s'en tenir à cette tendance doctrinale, l'objectif de construction de l'Etat-nation camerounais qui fasse abstraction de l'ethnicité ou de la tribalité dont les pendants sont la minorité et l'autochtonie, ne relèverait purement que de l'utopie274.

Toutefois, il convient de relever les tares et les avatars de la reconnaissance des statuts particuliers de citoyen, notamment le dépouillement de la notion de citoyenneté.

272 En effet, « pour les "Forces vives du Littoral", il faut une juste répartition des minorités autochtones dans la région par des mécanismes appropriés en tenant compte des spécificités de chaque province. Pour les populations du Sud, le chef de l'exécutif de la région devrait être élu parmi les ressortissants de la région (...). L'ASFESEM propose quant à elle la consécration du terme "autochtone" et le recrutement des membres du conseil régional et de l'exécutif communal parmi les autochtones. La distinction entre autochtone et allogène est soulignée par la contribution d'une "partie de l'élite extérieure de l'Est" au débat constitutionnel ». Lire Hélène-Laure Menthong, op.cit. pp. 76-77.

273 Le Pr. par exemple dit que la question des minorités et des populations autochtones est une « Noble préoccupation dont l'objet est de d'assurer la participation de toutes les couches citoyennes à la gestion des affaires publiques. Envisagée comme une formule de soutien aux populations en situation de faiblesse, le principe se comprend sans difficultés notamment à travers les lois forestières, domaniales, les lois électorales ». Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit., p. 163.

Le Pr. Luc Sindjoun affirme quant à lui que : « la proclamation des droits des minorités relève de la reconnaissance de l'égalité entre personnes, du respect de l'appartenance des individus à des communautés ». Lire Luc Sindjoun, « La démocratie est-elle soluble dans le pluralisme culturel ? Eléments pour une discussion politiste de la démocratie dans les sociétés plurales », Introduction inaugurale au colloque international Fracophonie-Commonwealth sur la démocratie et les sociétés plurielles, Yaoundé, 2000.

Abondant dans le même sens, le Pr. James Mouanguè Kobila affirme quant à lui que : « la codification de la protection des minorités et des populations autochtones en 1996 a davantage consisté à refléter le droit positif qu'à reconnaître des droits nouveaux, même si elle est riche en virtualités. Elle est par conséquent plus descriptive que réformatrice » 273 . Lire James Mouanguè Kobila, « Droit de la participation politiques des minorités et des populations autochtones. L'application de l'exigence constitutionnelle de la prise en compte des composantes sociologiques de la circonscription dans la constitution des listes de candidats aux élections au Cameroun », revue française de droit constitutionnel, no 75, juillet 2008, revue trimestrielle, pp. 629-664 (spéc. p. 653).

274 A ce sujet, le Le Pr. Etienne Charles Lékéné Donfack disaitt que : « Dans le continent, nous préconisons l'Etat Pluri-ethnique, calqué sur notre pluralisme, c'est-à-dire sur nos éléments hétérogènes au sein desquels se sont établis les différentes formes de consensus qui permettent des échanges ». Voir Etienne Charles Lékéné Donfack, L'expérience du fédéralisme camerounais : Les causes et les enseignements d'un échec, Tome II, Thèse pour le doctorat d'Etat en droit de l'université de Clermont 1, Faculté de droit et des sciences politiques, octobre 1979, p. 330.

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B. Minorités et populations autochtones : catégories de citoyens sui generis

Déjà handicapées par leur imprécision constitutionnelle (1), les notions de minorités et des populations autochtones sont instauratrices au Cameroun d'une fragmentation de la citoyenneté républicaine (2).

1. l'imprécision constitutionnelle des notions de minorités et de populations autochtones

C'est dans la loi constitutionnelle no 96/06 du 18 janvier 1996 que les termes minorité et autochtone font pour la première fois leur apparition dans les textes juridiques au Cameroun. Mais il va s'en dire que le texte suscité n'offre aucune visibilité sur l'identification de ces groupes, faisant ainsi d'eux de véritables serpents de mer, une véritable nébuleuse. En effet, l'identification des groupes dits minoritaires ou autochtones est difficile, car le constituant proclame simplement la protection de leurs droits sans au préalable définir les critères clairs de leur identification réelle, pourtant cette question « est indissociable de celle de la qualification et, partant, de la définition de la communauté infranationale objet de reconnaissance. C'est pourquoi ces deux aspects doivent être évoqués simultanément »275. Ainsi, l'inexistence des critères constitutionnels et/ou législatifs d'identification des minorités et des populations autochtones traduit-elle une réserve du constituant ? Quoiqu'il en soit, le flou qui recouvre ces notions a fait que lors du débat suite l'adoption de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, « ce sont les preneurs de parole qui construisent certains groupes comme étant soit des minorités soit des autochtones, soit les deux à la fois »276 ; suscitant ainsi un amalgame à propos de ces deux notions qui pourrait par exemple laisser croire à leur homologie.

275 Norbert Rouland, Stéphane Pierré-Caps, Jacques Poumarède, Droit des minorités et des peuples autochtones, Paris, PUF, Coll. Droit politique et théorique, 1996, 581 pp. version numérique, Marcelle Bergeron, coll. "Les classiques des sciences sociales", disponible sur : http://classiques.uqac.ca/

276 Hélène-Laure Menthong, « La construction des enjeux locaux dans le débat constitutionnel au Cameroun », op.cit. p 78.

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a) S'agissant de la notion de minorité

Il est difficile de trouver une définition consensuelle de la notion de minorité qui puisse être adoptée dans un texte à vocation universelle ou régionale. Toutefois, nous retiendrons celle proposée par le Pr. Francisco Capotorti277 ; qui retient notamment notre attention en raison du fait qu'elle est issue d'une étude relative à la mise en oeuvre des droits des minorités garantis à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, texte que le Cameroun a ratifié le 27 juin 1984. Ainsi pour ce dernier, une minorité est :

Un groupe numériquement inférieur au reste de la population d'un État, en position non dominante, dont les membres - ressortissants de l'État - possèdent du point de vue ethnique, religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la population et manifestent même de façon implicite un sentiment de solidarité, à l'effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue278.

Cette définition met en exergue le critère numérique dans la définition. Ainsi, un groupe est dit minoritaire au sein d'un Etat lorsqu'il est numériquement inférieur au reste de la population de cet Etat. De ce point de vue, du fait de la pluralité des ethnies au Cameroun, il serait difficile de dire qu'il existe véritablement un groupe ethnique minoritaire à côté d'un autre groupe majoritaire. La réalité laisse plutôt voir qu'il n'existe pas une majorité dominante, mais plutôt une multitude de communautés tribales plus ou moins numériquement égales279. On peut y déceler la raison pour laquelle la loi n'a pas jusqu'ici spécifiquement désigné un groupe comme étant minoritaire.

Un autre écueil réside au niveau de la détermination de l'échelon géographique permettant d'apprécier le critère numérique sus évoqué. En effet, les minorités au Cameroun

277 Il était le rapporteur spécial de la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies

278 F. Capotorti, « Étude des droits des personnes appartenant aux minorités ethniques, religieuses et linguistiques », New York, Nations Unies, l979 (Doc. E/CN 4 Sub. 2/384/Rev.l), p. 102, cité par José Woehrling, in « Les trois dimensions de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé », R.D.U.S., avril 2003, no 34, pp. 93-155, (spéc. p. 100).

279 Dans ce contexte, aucun des différents groupes ethniques du pays ne saurait, sous le prétexte d'une quelconque spécificité, revendiquer automatiquement une protection spéciale par rapport aux autres groupes ethnies, puisque la diversité entraine naturellement la différence.

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sont-elles nationales ou régionales ? Cette question dégage une réelle confusion. En effet, le gouvernement utilise le concept générique de « populations dites marginales » pour désigner les pygmées, les mbororo et les montagnards kirdi, qui sont considérés comme des minorités nationales en raison de leurs difficultés à s'intégrer pleinement dans la société moderne dominante tout en sauvegardant leur identité culturelle.

Pourtant d'un autre côté, certains groupes ethniques se réclament d'être des minorités, seulement au niveau d'une circonscription administrative telle la région par exemple.

De ce qui suit, le Cameroun reconnait-il les minorités nationales ou les minorités locales ou encore les deux à la fois ?

En fait, un groupe peut bien à la fois être majoritaire dans une région donnée mais constituer pourtant une minorité à l'échelle de l'État ou l'inverse, car « Toutes les différences ethniques, culturelles, linguistiques ou religieuses ne conduisent pas nécessairement à la création des minorités nationales »280.

Dans ce contexte, il est légalement difficile d'identifier les minorités au Cameroun, qu'elles soient nationales ou ethniques. De la sorte, il est tout aussi difficile de définir leurs droits281.

b) S'agissant de la notion d'autochtone

En ce qui concerne la notion d'autochtone, il est tout aussi difficile d'en avoir la définition au regard du droit camerounais. Cela rend ainsi complexe l'identification de ces groupes. Le Cameroun utilise plutôt le concept générique de « populations marginales pour désigner ces groupes. C'est ce qui se dégage en fait du deuxième rapport périodique qu'il a soumis à la commission africaine des droits de l'homme et des peuples et au comité pour l'élimination de la discrimination raciale. Il y est énoncé ce qui suit :

Au Cameroun, certaines catégories de la population, telles que les peuples pygmées (Baka, Bakola, Bagyéli, Badzang), les Mbororo et d'autres identités ethniques que les Nations Unies désignent par « peuples autochtones » ou

280 in R.U.D.H., 1991, p.518, cité par Léopold Donfack Sokeng, « existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux », polis, vol.1, numéro spécial, Février 1996, p 14.

281 S'interrogeant sur les droits à reconnaître aux minorités, le Pr. Léopold Donfack Sokeng déclare que « La Constitution camerounaise demeure assez silencieuse sur la question, s'agissant notamment du cas des minorités ethniques ». Voir Léopold Donfack Sokeng, « existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux », Ibidem.

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encore « peuples indigènes et tribaux » à cause de leurs modes de vie et de leurs valeurs socioculturelles basées sur leurs traditions ancestrales, sont désignées sur le plan institutionnel par « populations marginales » du fait de leur rupture avec l'identité socioculturelle de la majorité de leurs concitoyens282.

Au regard de ce qui suit, la marginalisation semble être le critère d'identification des populations autochtones en dépit de ce qu'il crée la confusion. C'est la raison pour laquelle le comité pour l'élimination des discriminations raciales, lors de l'examen du rapport à lui soumis par l'État du Cameroun, lui a recommandé de renoncer à l'utilisation de la notion de populations marginales, qui est contraire à l'esprit de la Convention283. En outre, il a déploré le fait que, conformément à la constitution, aucune loi n'avait jusqu'ici été élaborée pour rendre effective la protection des minorités et des populations autochtones284.

Dans ce contexte de silence des textes, nous pouvons tout de même ressortir la définition de la notion, notamment par Jérôme Francis Wandji, qui dit que l'autochtone serait « celui qui parmi les camerounais serait établi dans une région ou sur une portion du territoire actuel avant la colonisation, peu importe qu'il soit venu d'ailleurs »285.

Il note par ailleurs que le critère qui sert à différencier l'autochtone de l'allogène est l'origine Géographique coloniale et postcoloniale des parents et non la naissance de l'individu sur un point du territoire286.

Il est beau d'affirmer la légitimité de la protection des minorités et des populations autochtones, mais il serait bien plus meilleur de pouvoir dresser la liste exhaustive des groupes ethniques ou tribaux du Cameroun qui devraient être considérés comme tels. Cette indétermination ne fait cependant pas de la reconnaissance de ces groupes une illusion. Autrement dit, la seule reconnaissance de ces deux groupes spécifiques de citoyens est porteuse de conséquences

282 Voir le deuxième rapport périodique du Cameroun sur les droits des peuples autochtones, paragraphe 342.

283 Voir le rapport du comité pour l'élimination des discriminations raciales portant sur la situation des populations autochtones au Cameroun intitulé CERD/C/CMR/CO/15-18, 16 mars 2010. Il s'agit de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

284 CERD/C/CMR/CO/15-18, 16 mars 2010, paragraphe 15.

285 Jérôme Francis Wandji, « La décentralisation du pouvoir au Cameroun entre rupture et continuité. Réflexion sur les réformes engagées entre 1996 et 2009, CAFRAD, no 76, 2011, pp. 65-101, (spéc. p. 84).

286 Jérôme Francis Wandji, ibid, p. 85.

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2. La fragmentation de la citoyenneté républicaine

Le modèle de citoyenneté républicaine est un modèle neutre qui ne fait référence à aucune identité de nature tribale, religieuse raciale ou linguistique, mais exalte et préserve plutôt l'identité nationale commune à tous les citoyens membres de la Nation.

Mais la reconnaissance de droits particuliers au profit des minorités et des populations autochtones instaure un malaise dans la citoyenneté camerounaise 287 , car elle entraine inéluctablement de graves discriminations dans le traitement des citoyens de l'Etat. Elle pose sérieusement la question du seuil acceptable de prise en compte de particularismes sociologiques dans le cadre d'un État un et indivisible tel que le Cameroun.

Ainsi, marquée par l'émergence de statuts distincts, voir opposés de citoyens, cette reconnaissance entraine fatalement la segmentation de la citoyenneté.

Cette analyse est en effet propre à une bonne partie de la doctrine camerounaise de droit public :

Le Pr. Maurice Kamto écrit que : « l'opposition autochtone-allogène est devenue le clivage fondamental de la vie politique nationale »288

Le Pr. Léopold Donfack Sokeng soutient que « L'introduction on ne peut plus brutale des notions de « minorités » mais surtout d' »autochtones » nantis de droits spécifiques à préserver traduit à n'en point douter la crise du modèle classique d'intégration sociale (...) elle donne lieu à une définition différenciée et contradictoire de la citoyenneté camerounaise »289.

Suivant ce même raisonnement, le Pr. Guimdo Dogmo Bernard pense que « l'idée de minorité est littéralement inconciliable avec le respect d'un principe d'égalité ou de nondiscrimination »290.

De plus, l'on fait reùarquer que : « la citoyenneté particulariste, dès lors qu'elle prend la Constitution pour cible, finit par scinder symboliquement la communauté politique en une

287 A ce propos, le Pr. Léopold Donfack Sokeng affirmait que « la pertinence de l'introduction dans la constitution de la distinction autochtones/allochtones peut être discutée au regard de son impact sur la conception de la citoyenneté et de la République ». Voir Léopold Donfack Sokeng, « Existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux », op. cit. , 4

288 Maurice Kamto, « Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », Revue juridique africaine, Puc, 1995, no 1, 2, 3, p. 46.

289 Léopold Donfack Sokeng, « existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux », op. cit. , p.16.

290 Bernard Guimdo Dogmo, « Reconnaissance des minorités et démocratie : Duel ou duo ? », Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques de l'université de Dschang, tome I, vol. 1, 1997, p. 128.

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multiplicité de groupes d'ayant droit qui n'ont d'autre univers que celui de la reconnaissance judiciaire de leur particularité et de leurs droits »291. Le juge constitutionnel français s'est montré clair sur cette question en déclarant dans une décision du 9 mai 1991, relative au nouveau statut de la corse, que la reconnaissance d'un peuple corse diviserait la République292.

La « citoyenneté des minorités et des populations autochtones » crée fatalement une dichotomie au sein de l'Etat et perturbe ainsi les certitudes de son indivisibilité et d'unité du peuple camerounais. Patrick Dollart aboutissait déjà à cette conclusion lorsqu'il affirmait que : « L'introduction des citoyennetés d'outre-mer et de l'Union européenne dans l'ordre juridique français marque une inflexion notoire de la tradition républicaine de l'indivisibilité de la Nation au bénéfice de l'union du peuple français »293.

Pour le cas du Cameroun, le Pr. Léopold Donfack Sokeng parle même de l'inconstitutionnalité de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui instaure les notions de minorités et d'autochtones, car altèrent-elles l'unicité et l'indivisibilité de la République. Il dit à ce propos que :

S'agissant de la Constitution de 1972, l'on relèvera que le principe de l'unité qui induit l'unicité et l'indivisibilité de la République et de son peuple composé de citoyens égaux en droits et en devoirs, (...) apparaissent comme autant de principes fondamentaux, substantiels, qui ne sauraient être remis en cause par une simple loi constitutionnelle294.

L'idée de République implique la prohibition de toute discrimination295. Ainsi, il ne doit pas exister de statuts différentiels de citoyens selon que ces derniers sont autochtones ou allogènes d'une part, et d'autre part majoritaires ou minoritaires. Etablir une catégorie de

291 Voir Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et citoyenneté », op. cit. , p. 13.

292 Le juge déclare in extenso que : « la République étant indivisible et le peuple français constitué de tous les citoyens, ces derniers étant sans distinction d'origine, de race ou de religion, égaux devant la loi, il ne peut y avoir un peuple corse composante du peuple français. En s'intercalant entre les citoyens et le peuple français, celui-là constituerait en effet un élément de division de la République ». Voir Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, « statut de la Corse ». JO 14 mai 1991, p. 6350.

293 Patrick Dollat, « La citoyenneté française : une superposition de citoyennetés », RFDA, 2005, n° 1, p. 73.

294 Léopold Donfack Sokeng, « existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux », op. cit. , p 17.

295 La loi doit être « aveugle » face à des caractéristiques comme le sexe, la religion, la tribu etc.

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citoyens sui generis introduit par-là même des disparités dans le statut de citoyen, remettant ainsi en cause le principe d'égalité en droit de tous les citoyens prôné par la Constitution296. A cause de cette différenciation, tous les citoyens ne jouissent pas à proprement parler des mêmes droits au sein de l'Etat.

L'un des terrains où se manifeste le partitionnement de la citoyenneté est surtout l'espace local, compte tenu du fait que c'est à ce niveau que la « désormais bataille »297 entre autochtones et allogène est culminante.

En effet, l'art. 57 al.3 de la Constitution dispose que : « Le conseil régional est présidé par une personnalité autochtone de la région élue en son sein pour la durée du mandat du conseil ». A propos de cette disposition, le Dr. Wandji Jérôme affirme que : « la démocratie régionale souffre d'un déficit quant à l'égalité des droits politiques des citoyens » 298 . Elle est discriminatoire à l'égard du citoyen allogène qui serait né dans une région, qui y'aurait bâti toute sa vie et y résiderait encore, mais qui malgré tout, se verra malheureusement exclu de la possibilité d'être porté à la tête du conseil régional de ladite région. Pourtant, rien ne laisse croire que le citoyen autochtone est plus concerné ou plus soucieux de l'intérêt général dans une région que le citoyen allochtone, et que, par conséquent, il serait le plus apte pour le satisfaire.

En plus de paraitre comme une présomption d'incapacité chez les citoyens allochtones, cette discrimination porte atteinte au principe d'égalité de tous les citoyens. Or, il est constitutionnellement reconnu au Cameroun le droit de tout citoyen de se fixer en tout lieu sur le territoire national299. Elle entraine donc une exclusion de jure et de facto de ces derniers du droit à l'éligibilité ou à la nomination. L'exclusion de droit trouve son fondement dans l'art.57 al.3 de la Constitution300, tandis que l'exclusion de fait est la résultante de ce que

296 Cf. art. 1er al. 2. de la Constitution du Cameroun.

297 Lire à ce sujet Maurice Kamto, qui révélait que « l'opposition autochtone-allogène instaurait un clivage dans la vie politique nationale. Voir Maurice Kamto « Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », op. cit., p. 46.

298 Jérôme Francis Wandji K., « La décentralisation du pouvoir au Cameroun entre rupture et continuité : Réflexion sur les réformes engagées entre 1996 et 2009 », revue CAFRAD, vol. 1, no 76, pp. 65-101, (spéc. p. 83).

299 Voir le préambule de la Constitution du Cameroun.

300 A ce sujet, le Dr. Wandji Jérôme Francis affirme que le choix du président du conseil régional parmi les seules personnalités autochtones composant le conseil régional « est une atteinte au principe de principe constitutionnel d'égalité des droits politiques parce qu'il va à l'encontre du concept de citoyenneté, concept imposé par le caractère républicain de l'Etat afin d'établir et de maintenir une égalité de droit au-delà d'une inégalité de fait ». Voir Jérôme Francis Wandji K. , Ibid , p. 85.

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l'origine tribale influence fortement la nomination ou l'élection de responsables à certains postes. L'illustration peut en être donnée par le constat selon lequel la plupart, sinon tous les délégués du gouvernement auprès des quatorze communautés urbaines nommés par le Chef de l'Etat sont des personnalités autochtones de la région, mais surtout de la ville en question301.

Par ailleurs, il est à noter que malgré la consécration du terme de populations, et non pas celle de peuples, comme c'est le cas dans la terminologie au niveau international, l'autochtonie reste attentatoire à l'indivisibilité et l'unicité de la république autant qu'à l'égalité des citoyens.

Paragraphe 2 : LA FRAGMENTATION DE LA CITOYENNETE AU TRAVERS DE LA DISCRIMINATION POSITIVE

Le programme de discrimination positive au Cameroun est connu sous l'appellation de principe de l'équilibre régional. Il s'agit d'un programme dit d'inégalités compensatrices. Ce principe entraine la fragmentation de la citoyenneté en raison du fait qu'il porte atteinte au principe fondamental d'égale admissibilité aux emplois publics (B), principe qu'il conviendra, dans un souci de lisibilité, de présenter au préalable (A).

A. Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics

Nous aborderons d'abord la question de la réception de ce principe en droit national (1) avant d'analyser son contenu proprement dit (2).

1. La réception du principe en droit national

L'égalité d'admissibilité aux emplois publics est un principe fondamental du droit de la fonction publique au Cameroun. Il est un dérivé du principe général de l'égalité en droits de

301 Pour le cas de Douala nous avons M. Fritz Ntonè Ntonè, qui est un natif de Douala, d'ailleurs tous ses prédécesseurs étaient eux aussi natifs de Douala ; à Yaoundé il M. Tsimi Evouna, un ressortissant de la même ville ; à Bafoussam, M. Emmanuel Nzété qui tout aussi un natif de la même ville. Ce schéma est similaire pour les autres communautés urbaines. Dans ce contexte, l'on court risque d'un certain dessaisissement délibéré des citoyens allochtones des affaires de la région ou de la ville dans laquelle ils vivent, car s'y sentant exclus d'une certaine façon.

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tous les citoyens. Bien que la Constitution ne mentionne pas expressément ce principe, la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948302 et la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples303, le consacrent pour autant.

Au regard de la réception de ces textes en droit camerounais, conformément aux dispositions de la Constitution304, il convient d'affirmer que le principe d'égale admissibilité aux emplois publics fait dès lors pleinement partie du droit positif camerounais, car ces textes sont inscrits dans le bloc de constitutionnalité305.

D'ailleurs, ce principe a connu une application jurisprudentielle dans l'affaire CS/CA jugement du 14 décembre 2005, Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun. Dans cette espèce, le juge de la cour suprême déclare que : « Le principe d'égalité que prévoit la Constitution emporte l'égalité de chance d'accès aux emplois publics ». Dès lors, le juge administratif notamment se présente comme un garant de ce principe, qui prévalait déjà à l'aube de la mise sur pied de la fonction publique camerounaise au lendemain de l'accession du pays à l'indépendance le 1er janvier 1960.

2. le contenu du principe proprement dit

Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics interdit les discriminations entre les citoyens. En effet, il ne doit y avoir aucune distinction entre les citoyens en raison de leur origine, de leur appartenance ethnique ou raciale, de leur langue ou de leurs opinions ou de leur religion etc. Concrètement, ce principe renvoie à l'interdiction de la mise en oeuvre d'un système de recrutement dans la fonction publique fondé sur des critères étrangers aux talents, à la vertu et aux capacités des candidats. Dans cette optique, même la recherche de la parité hommes/femmes ne saurait être admise, le seul critère devant prévaloir est le mérite306.

302 L'art. 21 al. 2 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme en effet que « Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ».

303 L'art.13 al. 2 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples prévoit que « Tous les citoyens ont également le droit d'accéder aux fonctions publiques de leurs pays ».

304 A ce propos, il faut relever que le préambule de la Constitution affirme que le peuple camerounais « Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte des Nations unies, La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples... ». Par ailleurs, l'art 65 de la Constitution énonce que « Le préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

305 Car selon l'art. 65 de la Constitution, « Le préambule fait partie intégrante de la Constitution ».

306 En droit français, le principe d'égale admissibilité aux emplois publics est énoncé par l'art. 6 de la déclaration française des droits de l'homme et du cioyen, qui affirme que « Tous les citoyens sont également

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Le décret no 94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique, modifié et complété par le décret no 2000/287 du 12 novembre 2000, énonce clairement ce principe en prévoyant que « L'accès à la fonction publique est ouvert, sans discrimination aucune, à toutes personnes de nationalité camerounaise... »307.

Le juge administratif camerounais fera d'ailleurs une stricte application de ce principe dans l'affaire CS/CA du 27 octobre 1994, Ndongo née Mbonzi Ngombo. Cette instance porte sur le refus de titularisation de la requérante, qui était d'origine zaïroise mais dont le mariage avec un camerounais lui avait pourtant conféré l'obtention de la nationalité camerounaise. Le juge annulera ce refus de titularisation dans la fonction publique en invoquant le motif selon lequel « Lui refuser l'intégration dans la fonction publique camerounaise serait créer une discrimination entre les camerounais devant un emploi public, ce qui constitue une violation de la Constitution »308.

De façon générale, le principe d'égale admissibilité aux emplois publics est une garantie nécessaire des chances de tous et de chacun d'accéder à la fonction publique309, que ce soit par la voie du recrutement ou par celle de la nomination, car même le pouvoir discrétionnaire de nomination y est soumis.

B. Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics à l'épreuve de la règle de l'équilibre régional

Le principe de l'équilibre régional a été institué au Cameroun par l'ordonnance no 59/70 du 27 novembre 1959 relative au statut des fonctionnaires au Cameroun oriental. De nos jours il est régi notamment par le décret no 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général des concours administratifs, qui dispose qu' : « un arrêté du Premier Ministre fixe les quotas de places réservées lors des concours administratifs aux candidats de chaque province »310.

admissibles à toute dignité, places et emplois publics selon leurs capacités sans autre distinction que celle vertu ou de leur talent ».

307 Voir l'art. 12 al. 1 du décret no 94/199 du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique de l'Etat, modifié et complété pa r le décret no 2000/287 du 12 novembre 2000.

308 Voir l'affaire Ndongo née Mbonzi Ngombo CS/CA du 27 octobre 1994.

309 Toutefois, il faut signaler que ce principe revêt quelques limites. Par exemple le statut de ministre du culte est incompatible avec la qualité de fonctionnaire, l'art. 14 du statut général de la fonction publique dispose à cet effet que : « Le recrutement ou le maintien dans des corps crées en application du statut est incompatible avec la qualité de ministre du culte »

310 Voir l'art. 60 al.1du décret no 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général des concours administratifs au Cameroun.

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De prime abord, il faut noter que la règle de l'équilibre régional est une entorse à la méritocratie dans l'accès à la fonction publique parce qu'elle fonde le recrutement, certes sur deux critères au moins. Le premier, plus prépondérant, étant la représentativité ethno-régionale, le second, étant ce qui resterait de la méritocratie311.

Appliquée au départ dans le but de faciliter l'accès à la fonction publique des citoyens camerounais originaires des régions accusant un retard dans la scolarisation312, la règle de l'équilibre régional s'étend aussi significativement au sein de l'enceinte gouvernementale. A ce propos, le Pr. Luc Sindjoun disait que : « parce que le pouvoir exécutif, considéré constitutionnellement comme celui qui assure la représentation et l'unité de l'Etat, [...] c'est le gouvernement qui va être privilégié comme instance de réalisation de l'équilibre régional »313.

Dès lors, quel est le bilan de l'application de ce principe, qui semble être de plus en plus contesté de nos jours au motif qu'il ne conviendrait plus à la raison fondamentale et originelle de son institution, c'est-à-dire juguler le déficit scolaire de certaines régions du pays ?

Alain Didier Olinga déclarait, à propos de la mise en oeuvre du principe de l'équilibre régional, que : « l'Etat devrait affecter aux mesures adoptées en ce sens un statut essentiellement provisoire, car leur raison d'être est d'accompagner les mesures structurelles dont la finalité qui maintiennent certains groupes ou catégories de populations dans une situation de vulnérabilité, dans un besoin d'assistance »314.

Cependant, l'on note indéniablement que des efforts ont été faits par l'Etat dans le sens de l'amélioration du niveau de scolarisation dans l'ensemble des régions du pays de sorte à réduire les écarts entre ces dernières, si ce n'est de les combler entièrement 315 . Par conséquent, les mesures de discrimination positives doivent avoir un caractère provisoire et

311 C'est dans ce contexte que pendant une certaine période, pour l'entrée aux cycles A et B de l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature (ENAM), les candidats ressortissants de l'ère géographique dite du Grand-Nord du Cameroun devaient présenter le Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC), tandis ceux du Grand-Sud devaient avoir le baccalauréat. L'on voit bien qu'avec l'application de ce système, la méritocratie perd un peut de sa valeur puisqu'elle ne s'apprécie plus à l'échelle nationale, mais plutôt au niveau régional.

312 A ce sujet, Alain Marie Matigi relevait que d'après les études de l'UNESCO et de la Banque Mondiale, la carte scolaire nationale est constituée de trois types de zones, dont les taux de scolarisation respectifs présentent des décalages importants, à savoir les zones de forte densité scolaire, les zones moyennement scolarisées et les zones sous scolarisées. Lire Alain Marie Matigi, op. cit, p. 84.

313 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op. cit., p. 313.

314 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit. , p. 162.

315 En guise de preuve, l'on note par exemple que jusqu'en 1993, le pays ne comptait qu'une seule université d'Etat, aujourd'hui il en existe huit ; c'est dire à quel point la carte scolaire du pays a changé entre temps.

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non définitif316, car elles sont susceptibles de créer un phénomène de stigmatisation à l'égard de ses bénéficiaires, pouvant être marqué par une présomption handicapante d'incompétence ou de médiocrité, d'où l'idée selon laquelle sans leur existence ces derniers n'auraient pas la possibilité d'accéder à certains écoles ou à certains postes.

De même, ces bénéficiaires pourraient aussi développer et entretenir une mentalité d'assisté, les poussant ainsi à ne faire que le moindre effort317.

En outre, la mobilité des populations à l'intérieur du territoire national est plus importante qu'elle ne l'était en 1959, date de l'institution du principe de l'équilibre régional. De ce fait, des personnes peuvent en effet entamer leur cycle scolaire primaire, secondaire ou universitaire dans une région donnée du pays et l'achever dans une autre. De la sorte, certaines citoyens originaires des régions dites sous scolarisées ont pu se déplacer vers celles considérées comme fortement ou moyennement scolarisées et inversement.

Sur un tout autre plan, il faut relever que l'équilibre régional remet en cause le principe d'égalité des citoyens. En effet, toute discrimination, fut-elle positive, au profit d'un individu, constitue par voie de conséquence une discrimination négative à l'égard d'un autre. Le Pr. Alain Didier Olinga disait que le maintien du principe de l'équilibre régional au Cameroun « a pour effet de dépouiller le principe de l'égalité des citoyens et de l'égalité des chances de sa substance réelle au point où il n'est pas superfétatoire de se demander s'il existe plusieurs niveaux de citoyenneté »318.

Quoiqu'il en soit, l'objectivité du principe peut être remise en cause dans sa pratique concrète. En effet, il est censé être un outil de représentation de la région administrative. Mais force est de constater qu'il serait difficile de réaliser les équilibres intra ou infra régionaux. Concrètement, l'équilibrage régional n'intègre pas toujours concomitamment l'échelle du département, de l'arrondissement ou même du village dans l'attribution des places. C'est la thèse du pseudo équilibre, qui est paradoxalement générateur d'inégalité entre des

316 Les discriminations positives doivent être temporaires et mourir de leur propre mort une fois les circonstances ayant présidé à leur mise en place ont disparu ou lorsqu'elles ont atteint l'objectif visé. Alain Didier Olinga fait ainsi observer que le maintien du principe de l'équilibre régional participe d'une instrumentalisation « pour justifier telle ou telle décision ou telle action ». Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit. , p.162.

317 Dans ce contexte, l'on peut assister à la naissance d'un sentiment d'exaspération et de gêne chez ceux des citoyens qui ne bénéficient pas aussi de privilèges similaires à ceux accordés aux autres.

318 Ibidem.

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composantes territoriales ou ethniques de la région319. Dès lors, ce principe ne constitue plus à proprement parler un chèque en blanc. Le Pr. Luc Sindjoun relevait ces tares en affirmant que « La notion d'équilibre régional camoufle l'incorporation différentielle'' des groupes ethno-régionaux dans l'Etat »320. Manifestement, malgré l'application du principe de l'équilibre régionale la sur-représentation de certaines régions et ethnies et la sous-représentation des autres est notoire. En effet, « L'inégalité de répartition régionale ou locale des postes gouvernementaux entraine une différenciation mieux une hiérarchisation entre les localités qui trahit le déséquilibre de la politique d'équilibre régional »321

Outre, la consécration des minorités et des populations autochtones, le droit électoral camerounais porte lui aussi les germes d'une citoyenneté différenciée.

SECTION II : LA DIFFERENCIATION DE LA CITOYENNETE AU

TRAVERS DU DROIT ELECTORAL

Une vue panoramique jetée sur le droit électoral camerounais révèle que certains de ses aspects sont substantiellement de nature à engendrer des disparités manifestes au niveau de la citoyenneté. Dans ce cadre, l'on montrera d'une part que le découpage électoral est une source d'exercice inégal de la souveraineté nationale par les citoyens (§1), et d'autre part que le droit à l'éligibilité est instaurateur de distinctions entre citoyens (§ 2).

Paragraphe 1 : LES DECOUPAGES ELECTORAUX SPECIAUX COMME SOURCE D'EXERCICE INEGALITAIRE DE LA SOUVERAINETE

La mise en oeuvre du suffrage universel passe par l'opération du découpage électoral, qui est une « technique qui lors des élections législatives consiste à diviser le territoire national en circonscriptions électorales et à leur affecter un nombre de sièges déterminés »322.

319 Tous les départements ou arrondissements composant une région ne voient pas toujours leurs ressortissants être admis à des concours administratifs malgré l'application de la règle de l'équilibre régional. A ce sujet, comment sera-t-il possible de répartir un quota régional de six places par exemple à un concours administratif entre des candidats tous originaires d'une même région comptant huit départements avec trois ou quatre arrondissements pour les uns et six pour les autres ? En tout cas il va s'en dire que le risque est grand que ni toutes les régions, ni tous les départements, ni tous les arrondissements ne seront pas représentés dans certaines circonstances.

320 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case vide, op. cit., p. 312.

321 Ibid, p. 313.

322 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit. , p. 164.

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Toutefois, il existe à coté de ce découpage électoral, dit général, des découpages électoraux spéciaux, dont l'usage éminemment politique (A) entraine dans les faits l'exercice inégalitaire de la souveraineté nationale (B).

A. L'usage politique de la technique du découpage électoral spécial

Parlant du découpage électoral spécial, le Pr. Alain Didier Olinga révèle que « cette pratique n'est pas nouvelle dans l'histoire du droit électoral camerounais »323, car l'article 2 du décret n° 66/50 du 4 mars 1960 opérait déjà la division des départements du Wouri et du Moungo dans le but d'assurer « une équitable représentation des minorités ethniques »324. Cette technique est utilisée au Cameroun respectivement pour les élections législatives325 et régionales326 pour lesquelles la circonscription électorale est en principe le département.

Toutefois, la compétence exclusive du Président de la République en la matière, en vertu de ce qu'il lui est constitutionnellement reconnu le rôle de garant de l'organisation et du bon fonctionnement des institutions de la République327, est sujette à caution ceci à cause de sa position de président national du parti politique au pouvoir.

En effet, le fait que le Chef de l'Etat détienne et conserve sa casquette de chef incontesté de son parti328 peut laisser émerger contre celui-ci une présomption d'impartialité dans la délimitation territoriale des circonscriptions électorales et dans l'attribution des sièges à chacune d'elle. Le Dr. Menguele Menyengue Aristide évoque à ce sujet que des partis politiques d'opposition « contestent systématiquement cette compétence présidentielle «superfétatoire» du fait de «la multipositionnalité » inhérente au jeu de rôle présidentiel, étant

323Alain Didier Olinga, « Politique et droit électoral au Cameroun : Analyse juridique de la politique électorale », Polis R.C.P.S. /C.P.S.R., Vol. 6, no 2, 1998, pp. 31-52 (spéc. p. 44).

324Ibidem.

325 Selon l'art. 149 al. 2 du code électoral, « ... compte tenu de leur situation particulière, certaines circonscriptions peuvent faire l'objet d'un découpage spécial par décret du Président de la République ».

326 L'art. 247 al. 2 du code électoral dispose que «... en raison de leur situation particulière, certaines circonscriptions peuvent faire l'objet d'un regroupement ou d'un découpage spécial par décret du Président de la République ».

327 En vertu de l'art. 5 de la constitution, le Président de la République peut exercer ce pouvoir d'arbitrage qu'est le découpage électoral, et ce, dans l'équité, c'est-à-dire en faisant correspondre le plus exactement possible le nombre de députés à attribuer à une circonscription électorale avec sa taille démographique.

328 Au sein du parti au pouvoir au Cameroun, le RDPC, il est dit du Président de la République Paul Biya, par ailleurs président de ce parti, qu'il est son candidat naturel à l'élection présidentielle. Cela montre à suffisance que le Chef de l'Etat, malgré son statut de Président de la République, ne reste pas moins foncièrement attaché à son parti.

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entendu que par «dédoublement fonctionnel», le Président de la République [...] est par ailleurs resté jusqu'ici le président national du parti au pouvoir »329. Il poursuit en affirmant qu'

Il serait naïf de penser que le Président de la République par ailleurs président national du R.D.P.C- parti au pouvoir- ferait un usage équitable du découpage électoral lorsque et tant que les militants de son parti sont en compétition avec des militants d'autres partis politiques dans une échéance électorale f...] cet usage partisan du découpage électoral est presque consubstantiel à « l'invention» de la pratique330.

Par ailleurs, la loi électorale énonce que compte tenu de leur situation particulière, certaines circonscriptions peuvent faire l'objet soit d'un découpage spécial, soit d'un regroupement par décret du Président de la République331.

Au sens de cette disposition, le motif juridique du découpage électoral est la « situation particulière » de la circonscription électorale en question. Mais il se pose un réel problème découlant de ce que cette expression n'a pas été définie par le législateur. Quels sont en fait les éléments qui font d'une circonscription électorale qu'elle devienne particulière ?

Le silence de la loi sur la question laisse ainsi un large pouvoir d'appréciation au Président de la République, détenteur exclusif de la compétence de délimitation territoriale des circonscriptions électorales. Dans ce contexte, des risques sont grands que l'on assiste à une manipulation politique du découpage électoral spécial.

Cette suspicion, déjà exprimée par l'opposition, peut tout à fait avoir une certaine légitimité si l'on se fonde sur l'idée que le découpage électoral spécial s'assimile au gerrymandering332, qui est une pratique consistant à définir les limites des circonscriptions

329 Aristide M. Menguele Menyengue, « La problématique du découpage spécial des circonscriptions électorales au Cameroun », revue africaine de parlementarisme et de démocratie, SOLON, vol. III, n°8, août 2014, pp.143-173, (spéc. p. 147).

330 Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 157.

331 Voir les art. 149 al. 2 et 247 al. 2 du code électoral.

332 « On doit la technique du découpage électoral à Eldbridge GERRY du nom d'un ancien gouverneur de l'Etat du Massachussetts qui initia au début du XIXème siècle le désormais très fameux procédé du découpage électoral ». Ainsi, « Le concept de gerrymander provient donc de la contraction de «Gerry» et de «mander». D'où le qualificatif de gerrymandering. Lire Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 158.

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électorales en vue de favoriser les candidats du parti au pouvoir333. C'est dans ce sens que s'inscrivent les propos de Thomas Ehrhard, qui dit que « le gerrymandering, qualifie ainsi toute pratique consistant à « charcuter » les limites des circonscriptions pour avantager certains candidats »334. Pour le Pr. Alain Didier Olinga, ce charcutage semble effectivement avoir eu lieu lors des élections législatives de mai 1997. Il confesse qu'une « observation d'ensemble permet d'affirmer que le découpage spécial a nettement joué en faveur du RDPC dans de nombreuses circonscriptions délicates »335. Ainsi, « Le découpage spécial apparaît donc clairement comme une donnée politique de premier plan, un amortisseur de défaites électorales ou un facteur de victoires électorales pour les gouvernants en place »336.

En confrontant cette suspicion de l'arbitraire du découpage électoral spécial avec la réalité de son opérationnalisation au Cameroun, il découle un déséquilibre dans la représentation des différentes circonscriptions électorales.

B. L'exercice inégalitaire de facto de la souveraineté

En vertu du principe d'égalité des suffrages, chaque électeur ne doit disposer que d'une seule voix. Mais lorsque les circonscriptions électorales sont représentées de façon disproportionnelle, le poids des voix dès lors n'est plus égal. Autrement dit, à nombre d'habitants identique, deux circonscriptions électorales données peuvent être représentées par un nombre différent de députés.

L'atteinte à l'égalité dans le droit de vote « peut exister en cas de découpage inégal des circonscriptions »337, avec comme conséquence l'exercice inégalitaire de la souveraineté nationale338 par les citoyens.

333Aristide M. Menguele Menyengue affirme dans ce sens qu'« il est certain que l'offre présidentielle du cadre géographique de la compétition électorale par «ciselage» plus ou moins arbitraire des circonscriptions électorales vise aussi l'organisation et «la répartition vicieuse» des zones d'influence politique qui oscille entre consolidation de l'hégémonie politique du parti au pouvoir et affaiblissement progressif du marquage territorial des partis d'opposition ». Lire Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p.159.

334 Thomas Ehrhard, « Dualité et théorie pratique : le découpage électoral au prisme révélateur de la mobilisation des savants et des savoirs », Section Thématique n°- 36 : Découpage Electoral, Histoire, Enjeux et Méthodes, Congrès A.F.S.P. Strasbourg, 2011, p.1. Cité par Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 158.

335 Alain Didier Olinga, « Politique et droit électoral au Cameroun : Analyse juridique de la politique électorale », op. cit. , p. 45.

336 Ibidem.

337 Marie-Anne Cohendet, Droit constitutionnel, op cit. p.148.

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C'est manifestement ce qui découle du décret présidentielle no 2013/222 du 03 juillet 2013 portant répartition des sièges par circonscription électorale à l'Assemblée Nationale, qui abrogeait le décret no 97/061 du 02 avril 1997 portant sur le même objet. En effet, la confrontation des rapports entre le nombre de sièges attribués aux circonscriptions électorales et leur poids démographique montre que ce décret ignore les résultats du dernier recensement général de la population.

Au niveau des régions, il ressort du troisième recensement général de la population du Cameroun effectué en 2005 que la région du Centre est la plus peuplée avec 3.525.664 habitants, l'Extrême-Nord vient tout juste après avec 3.480.141, puis le Littoral, peuplé de 2.865.795. Pour le cas seulement de ces trois régions, il existe une disproportion dans la représentation parlementaire des populations au niveau de l'Assemblée Nationale : La première citée, d'après le dernier découpage électoral effectué en 2013, compte 28 députés contre 29 pour la deuxième et 19 pour la troisième.

De ce qui précède, comment comprendre que la région du Centre soit numériquement moins représentée par rapport à l'Extrême-Nord pourtant est-elle plus peuplée que cette dernière, soit une différence de 72.250 habitants. Il est clair dans cette situation que ce n'est pas le critère du poids démographique qui a présidé à la répartition du nombre de députés entre ces deux régions. Le Dr. Menguele Menyengue Aristide justifie cette disparité en expliquant que « le décret n°- 2013/222 du 03 juillet 2013 consacre le principe de l'attribution équitable du nombre de sièges au prorata de la densité démographique. Suivant ce principe, la région de l'Extrême-nord par exemple se voit attribuer le plus grand nombre de sièges de députés »339. En effet, selon les résultats du 3e recensement général de la population et de l'habitat sur lequel s'appuie le décret du 03 juillet 2013 suscité, la densité de la population dans l'Extrême-Nord est de 101,6 habitants/km2 contre 51,1 habitants/km2 pour le Centre.

Cependant, quand bien même l'on retiendrait le critère de la densité de la population, l'on constate qu'il n'a pas prévalu dans l'attribution du nombre de députés pour toutes les

338 En effet, selon, l'art. 4 de la constitution, l'autorité de l'Etat est exercée par le président de la République et le Parlement. De plus, les députés, bien qu'élus au niveau local, sont considérés comme les élus de la Nation toute entière.

339Aristide Menguele Menyengue, « La problématique du découpage spécial des circonscriptions électorales au Cameroun », op. cit. , p. 169.

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autres régions. Nous observons les données démographiques de trois régions successives pour soutenir cette conclusion :

- Le Littoral, avec 2.865.795 habitants et 141,5 habitants/km2 compte 19 députés ;

- Le Nord-Ouest, avec 1.804.695 habitants et 104,3 habitants/km2 compte 20 députés ;

- l'Ouest, avec 1.785.285 habitants et 128,5 habitants/km2 compte 25 députés340.

A l'observation, l'on constate que le critère de la densité démographique ne prévaut pas ici, si oui la région du littoral aurait le plus grand nombre de députés et la région la moins peuplée qu'est l'Ouest n'aurait pas paradoxalement le plus grand nombre de sièges341. De la sorte, un député se verra élire par deux ou trois fois plus de populations qu'un autre ou inversement, biaisant ainsi l'équité dans la représentation des citoyens.

A l'échelon des départements l'on observe tout aussi des disproportions dans la répartition du nombre de députés.

Dans le premier cas, il existe des circonscriptions électorales qui comptent un nombre plus élevé de sièges de députés par rapport à d'autres pourtant démographiquement plus importantes. C'est cet état de fait que dénonçait le mémorandum des élites du Grand-Nord du 23 septembre 2002, qui estimaient que le Grand-Nord (qui regroupe les régions de l'Adamaoua, du Nord et de l'Extrême-Nord) était sous représenté à l'Assemblée nationale à la suite du découpage électoral à la faveur du scrutin législatif de 2002. Elles déclaraient à ce propos que :

Le département de la Bénoué avec ses 676 000 habitants a 4 députés. Dans le même temps le département du Dja et Lobo avec ses 138 000 habitants, a 5 députés. Si le département de la Bénoué avait bénéficié du même traitement que le Dja et Lobo, il aurait 24 députés. De même, le département du Mayo Tsanaga infiniment plus peuplé que la province du Sud serait aux anges. Cette situation de discrimination flagrante heurte la conscience de tout démocrate,

340 Voir le décret no 2013/222 du 03 juillet 2013 portant répartition des sièges par circonscription électorale à l'Assemblée Nationale.

341 Ce contraste résulte certainement du grossissement de la région de l'Ouest par la création continue, jusqu'au décret no 2013/222 du 03 juillet 2013 de plusieurs circonscriptions électorales spéciales notamment dans le département du Noun.

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car elle vise de manière parfaitement arbitraire à diminuer le poids du Grand-nord dans cette Institution malgré son poids démographique342.

Le second cas concerne les disparités du nombre de sièges de députés entre des départements d'une même région. Pour le démontrer, nous ferons le choix arbitraire du département Nkam343, qui ne compte qu'un seul député sur les 19 de la région du Littoral. Pourtant les multiples singularités qui le caractérisent auraient peut-être pu, selon la lettre de l'art. 149 al. 2 du code électoral, motiver qu'il fît l'objet d'un découpage spécial344. En effet, le Nkam est le seul département du Littoral qui ne soit pas relié à la ville chef-lieu de région par une route bitumée, il est le plus enclavé de la région car il n'y existe pas de routes bitumées reliant ses différents arrondissements345.

Il n'est pas inimaginable que le cas singulier du département Nkam soit similaire à celui de bien d'autres départements dans le pays.

Paragraphe 2 : L'EXISTENCE DE DISTINCTIONS ENTRE LES CITOYENS PAR LE DROIT A L'ELIGIBILITE

Les disparités entre citoyens à propos du droit à l'éligibilité découlent d'une part des cas d'inéligibilité liés à la qualité de citoyen d'adoption (A), de même ces inéligibilités sont inhérentes à la candidature indépendante aux élections (B).

A. Les cas d'inéligibilité liés à la qualité de citoyen d'adoption

Au regard du Code électoral camerounais, le droit à l'éligibilité n'a pas les mêmes contours selon qu'il concerne le citoyen d'origine et le citoyen d'adoption. L'inéligibilité

342 Voir à ce sujet le mémorandum du « Grand-nord (Cameroun) » intitulé « Le Nord en déperdition qui accuse», in Le Messager du 23 septembre 2002.

343 Il convient tout de même de signaler que ce qui a présidé au choix du département du Nkam est le fait que nous résidions dans la région du Littoral, d'où une certaine proximité géographique avec elle, ce qui nous permet de mieux cerner les réalités qui lui sont propres.

344 Car, avec un plus grand nombre de députés, sa cause se verrait ainsi encore plus amplement défendue au niveau national, lui permettant par-là de rattraper le niveau de développement des autres départements de la région.

345 Le Dr Mballa Owona Robert fait ainsi remarquer que « Dans la région du Littoral par exemple, il y a des différences si accusées entre le département du NKAM, notoirement enclavé et le département du WOURI, fortement urbanisé » Cf. Robert Mballa Owona « La notion d'acte administratif au Cameroun », Thèse de doctorat de l'université de Yaoundé II Soa 2010 p. 595.

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absolue de ce dernier aux élections présidentielle et sénatoriale (1) est toutefois conditionnée par l'écoulement d'une période de probation pour les autres élections (2).

1. L'inéligibilité absolue des citoyens d'adoption aux élections présidentielle et sénatoriale

Aux termes de la Constitution camerounaise, « Les candidats aux fonctions de Président de la République doivent être citoyens camerounais d'origine »346. Cette disposition est reprise in extenso par l'art.117 du Code électoral camerounais. Ce texte dispose dans le même sens que les candidats à la fonction de sénateur « doivent être citoyens camerounais d'origine »347. Ainsi, bien qu'étant membres de l'Etat du Cameroun348 aux plans juridique et politique, les citoyens d'adoption sont clairement frappés d'une incapacité de jouissance qui les rend inaptes à être titulaires du droit à l'éligibilité aux postes suscités.

A chacune de ces exclusions se rattachement bien entendu des raisons diverses.

La fonction présidentielle est incontestablement la fonction suprême de l'Etat au regard des pouvoirs constitutionnels qui y sont attachés349. Cela pourrait expliquer la raison pour laquelle elle doit être exercée par une personnalité qui soit foncièrement rattachée à l'Etat aussi bien affectivement, mais surtout originellement, c'est-à- dire par le lien de sang350. Cette option est aussi celle des constituants togolais351, tchadien352 et congolais353.

En fait, comment le Président de la République, citoyen d'adoption et par conséquent « étranger d'origine », peut-il, en vertu de l'art.8 al.1 de la Constitution, représenter « l'Etat dans tous les actes de la vie publique » notamment dans ses rapports avec l'Etat dont il originaire ? En tout cas, le risque est grand que cette double appartenance fasse peser sur lui

346 Voir art. 6 al. 5 de la Constitution.

347 Voir art. 220 al. 2 du code électoral.

348 Car leur naturalisation leur confère ces liens et politiques avec l'Etat du Cameroun.

349 Voir les art.5 et suivants de la constitution.

350 Le lien de sang permet la détermination de la nationalité d'après la filiation de l'individu. C'est-à-dire que ses parents doivent être des camerounais d'origine.

351 L'art 62 de la constitution du Togo prévoit que nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s'il n'est exclusivement de nationalité togolaise de naissance

352 L'art. 62 de la Constitution du Tchad du 31 mars 1996 prévoit que les candidats aux fonctions de Président de la République doivent « être Tchadien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes tchadiens d'origine et n'avoir pas une nationalité autre que tchadienne ».

353 L'art. 58 de la constitution du Congo du 20 janvier 2002 prévoit que : Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République « s'il n'est de nationalité congolaise d'origine ».

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un risque de confusion des intérêts de l'Etat et puisse influencer ses choix politiques354. De ce point de vue, cette inéligibilité, bien qu'étant un vecteur d'exclusion se justifie néanmoins valablement.

Quant à l'inéligibilité des citoyens camerounais d'adoption à l'élection sénatoriale, elle est la conséquence d'un revirement législatif. En effet, en vertu de l'art. 10 de la loi no 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d'élection des sénateurs, tout candidat à la fonction de sénateur devait être un citoyen camerounais d'origine ou naturalisé depuis au moins dix (10) ans. Cette loi a par la suite été abrogée avant même de commencer à être appliquée par la loi no 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral du Cameroun

Nous pouvons trouver la raison de ce changement législatif dans la logique de la cohérence de l'ordre juridique constitutionnel notamment. En effet, en maintenant la possibilité pour les citoyens d'adoption d'être élus ou nommés aux fonctions de sénateur comme le prévoyait la loi de 2006, l'on pourrait se trouver dans l'éventualité d'avoir un citoyen naturalisé exerçant les fonctions de Président de la République, puisque l'al. 4a de l'art. 6 de la constitution mentionne que « L'intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu'à l'élection du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat. Et si ce dernier est, à son tour empêché, par son suppléant suivant l'ordre de préséance du Sénat ». Au regard de cette disposition, même si le Président du Sénat ou l'un de ses suppléants est un citoyen naturalisé il ne pourrait pour être disqualifié à assurer la fonction de Président de la République par intérim, bien que cela remettrait en cause les art.6 al.5 de la constitution et 117 du code électoral355.

2. La période de probation, préalable à la jouissance par les citoyens d'adoption du droit à l'éligibilité aux autres élections politiques

A partir de l'acquisition de la nationalité camerounaise, le nouveau citoyen ne peut cependant pas immédiatement jouir de tous les droits qui en découlent. En effet la loi n° 68-

354 C'est pour pallier à ce risque que le code électoral camerounais prévoit déjà en amont en son art. 118 al. 1 que sont inéligibles à la fonction de Président de la République « les personnes qui, de leur propre fait, se sont placées dans une situation de dépendance ou d'intelligence vis-à-vis [...] d'un Etat étranger ». Cette disposition est donc connexe au refus du droit à l'éligibilité, car la situation de dépendance ou d'intelligence vis-à-vis d'un Etat étranger peut justement être favorisée a priori par le fait que le candidat élu ou à élire en est originaire.

355 Ces deux dispositions prévoient similairement que les candidats aux fonctions de Président de la République doivent être des citoyens camerounais d'origine.

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LF-3 du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise et le code électoral prévoient conjointement cette incapacité pour le citoyen naturalisé d'être candidat aux élections législatives, municipales et régionales, sauf après l'écoulement d'une période de probation de dix ans. A ce propos justement, il est opportun de révéler une double ambiguïté découlant de l'examen conjoint des deux textes suscités.

La première vient de ce que le code de nationalité fixe la durée de la période de probation à cinq ans, alors que le code électoral la fixe à dix ans.

Le premier texte prévoit en effet que « pendant un délai de cinq ans à compter du décret de naturalisation, l'étranger naturalisé ne peut être investi de fonctions de mandat électif »356. Tandis que les art. 157 et 175 al. 3 du second disposent mutatis mutandis que : « L'étranger qui a acquis la nationalité camerounaise par naturalisation n'est éligible qu'à l'expiration d'un délai de dix (10) ans à compter de la date d'acquisition ».

Dès lors, il existe à ce sujet une contrariété patente sur la durée de la période de probation, laissant ainsi le citoyen d'adoption dans l'embarras quant à savoir le texte à invoquer pour revendiquer son éligibilité à l'une ou l'autre des élections sus mentionnées.

La seconde ambiguïté réside en ce que le code de nationalité prévoit une exception à l'exigence de l'écoulement d'un délai préalable de cinq ans à la possibilité de candidature des citoyens d'adoption. Dans ce sens, il dispose que : « l'étranger naturalisé qui a rendu au Cameroun des services exceptionnels ou dont la naturalisation présente pour le Cameroun un intérêt exceptionnel, peut être relevé de l'incapacité précitée par décret »357. Or, le code électoral est muet sur la question et ne prévoit aucune dérogation à l'exigence de l'expiration du délai de dix ans préalablement à l'éligibilité des citoyens naturalisés.

Quoiqu'il en soit, contrairement à la France où le législateur a permis l'éligibilité immédiate des citoyens naturalisés 358 , au Cameroun ces derniers ne peuvent pas immédiatement jouir de ce droit au même titre que les citoyens d'origine.

356 Voir l'art. 30 al. 2 de la loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise.

357 Voir l'art.30 al.2 du code de la nationalité camerounaise.

358 « Depuis la loi organique n° 83-1096 du 20 décembre 1983, les personnes ayant acquis la nationalité française par mariage [...] sont immédiatement éligibles ». Lire Mastor Wanda, « Les droits du candidat à l'élection présidentielle », Pouvoirs, 2011/3 n°138, p. 33-46, (spéc. p. 37).

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B. Les disparités entre citoyens inhérentes à la candidature indépendante aux élections

L'on parle de candidature indépendante lorsqu'un citoyen se présente à une élection locale ou nationale sans être investi par un parti politique. A défaut d'être tout simplement exclue comme c'est le cas pour les élections locales (1), la candidature indépendante à l'élection présidentielle est soumise à plusieurs pesanteurs (2),

1. L'exclusion de la candidature indépendante aux élections locales

Au Cameroun, dans le cadre des élections sénatoriales, législatives, régionales et municipales, les partis politiques sont les seuls foyers pourvoyeurs de compétiteurs électoraux. En effet, pour ces élections, tout citoyen désireux de briguer un mandat doit de façon incontournable être investi par un parti politique légal.

En effet, la déclaration de candidature à l'élection des députés à l'Assemblée Nationale doit indiquer entre autres le titre de la liste et, le parti politique auquel elle se rattache en plus d'une attestation par laquelle le parti politique investit l'intéressé en qualité de candidat359, l'absence de cette pièce entraînant ipso facto l'invalidation de la candidature. Cette exigence est reprise mutatis mutandis concernant la candidature à la fonction de sénateur360.

De la même manière, à travers l'exigence selon laquelle la déclaration de candidature aux élections municipales et régionales doit comporter une attestation par laquelle le parti politique investit l'intéressé en qualité de candidat361, l'on constate l'exclusion explicite de la candidature indépendante à ces élections.

Mais en dépit de ce que la loi électorale précise que les conditions d'éligibilité exigées pour la validation de la candidature, notamment la présentation par un parti politique, doivent continuer d'être remplies par les candidat élu pendant toute la durée de son mandat, sous peine de déchéance, ce dernier, une fois élu, n'est pas contraint de demeurer dans ce parti. En effet, le parti politique ne saurait être pour l'élu une camisole de force. Si ce dernier est exclu

359 Voir l'art.164 al. 4 et 165 du code électoral.

360 Voir l'art. 231 du code électoral.

361 Voir l'art. 182 du code électoral.

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ou démissionne du parti politique qui l'a investi, il ne peut être déchu de son mandat, car aux termes de l'art. 15 al. 3 de la Constitution, « Tout mandat impératif est nul ».

De ce qui suit, si l'élu séparé du parti politique qu'il l'a investi peut se prévaloir d'un mandat libre vis-à-vis de celui-ci, pourquoi un tel affranchissement ne pourrait-il pas exister en amont de telle sorte que tout citoyen puisse, indépendamment d'un parti politique, se porter candidat à l'une des élections susmentionnées ? D'autant plus que les partis politiques, bien qu'ils soient chargés de concourir « à l'expression du suffrage universel »362, ils ne sont pas en réalité les seules entités politiques et devraient donc en aucun cas monopoliser le jeu électoral.

2. Les pesanteurs de la candidature indépendante à l'élection présidentielle

Lors de la compétition électorale, le candidat indépendant et celui investi par un parti politique sont soumis à des traitements différents susceptibles de faire naitre entre les deux une inégalité.

Le Pr. Luchaire disait qu' « on ne se porte pas candidat soi-même à la Présidence de la République ; il faut être présenté »363. C'est ainsi que l'art.121 du code électoral prévoit qu'ils doivent être « présentés comme candidat à l'élection du Président de la République par au moins trois cents (300) personnalités originaires de toutes les Régions, à raison de trente (30) par Région et possédant la qualité soit de membre du Parlement ou d'une Chambre Consulaire, soit de Conseiller Régional ou de Conseiller Municipal, soit de Chef Traditionnel de premier degré ».

Cependant, l'on peut imaginer la difficulté pour un candidat indépendant à recueillir les signatures des personnalités indiquées, compte tenu de ce qu'aucune obligation n'est faite aux personnalités énumérées par l'art. 121 du code électoral d'apposer leur signature sur la lettre de présentation du potentiel candidat. De plus, « une signature donnée pourrait être interprétée comme un acte de dissidence ou de désaveu de Paul Biya »364. Dès lors, elles n'encourent aucune sanction en cas de refus, délibéré ou non motivé de signature. Cela signifie malheureusement que le candidat indépendant ne peut se prévaloir d'un droit à être présenté.

362 Voir l'art. 3 de la Constitution du Cameroun.

363 F. Luchaire, Le conseil constitutionnel, Economica, 1980, p.281.

364 Jérôme Francis Wandji K., « Processus de démocratisation et évolution du régime politique camerounais d'un présidentialisme autocratique à un présidentialisme démocratique », op. cit., p.444.

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Par ailleurs, de l'analyse de la législation électorale, l'on note l'existence de certains éléments défavorisant d'une manière ou d'une autre les candidats indépendants.

C'est le cas par exemple en matière de contentieux pré-électoral relatif à la couleur, au sigle ou au symbole. L'art.131al. 2 du code électoral prévoit que « le Conseil Constitutionnel attribue par priorité à chaque candidat sa couleur, son sigle ou son symbole traditionnel, par ordre d'ancienneté du parti qui l'a investi et, dans les autres cas, suivant la date de dépôt de la candidature, le récépissé de dépôt faisant foi ». Il découle de cette disposition que le juge s'attèle prioritairement à départager les partis politiques. Cela entraine donc que ce contentieux soit désavantageux pour les candidats indépendants, qui sont exposés au risque de perdre leurs couleurs, sigles et symboles initiaux.

In fine, les candidats à l'élection présidentielle, investis ou indépendants, ne bénéficient pas tous d'un traitement identique.

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Conclusion du chapitre

Faire une analyse synoptique de la citoyenneté sous le prisme de son caractère différencié nous a permis de montrer que les citoyens ne sont pas logés à la même enseigne. Ainsi, en dépit de ce que la République doit être le creuset où viennent se décanter les spécificités tribales, ethniques et autres d'une part, et où doivent émerger l'universel et l'égalité entre tous les citoyens d'autre part, il se dégage une citoyenneté différenciée à bien des égards.

Nous avons montré que la consécration des minorités et des populations autochtones, qui participe d'un mécanisme d'aménagement du multiculturalisme, s'érigeait en fait aux antipodes de la citoyenneté républicaine, car elle fait voler en éclats le principe fondamental de l'égalité de tous les citoyens. Ce constat est véritablement de nature à susciter des analyses sur les fondements et les perspectives de la République au Cameroun quant au droit à l'égalité à côté du droit à la diversité. D'ailleurs on peut s'interroger à ce propos sur les voies à mettre en oeuvre en vue d'assurer une sorte de cohabitation pacifique entre l'universel et le multiculturalisme

Sur un tout autre plan, nous avons montré que le champ du droit électoral offre des vues sur la différenciation des citoyens. En effet, pour pourvoir détecter les éléments de disparités entre les citoyens, il a suffi de mettre devant la citoyenneté le droit électoral comme miroir. Sur ce dernier, on y voit transparaitre les découpages électoraux spéciaux pour le compte des élections législatives, qui se révèlent comme une gangrène contre l'exercice égalitaire de la souveraineté par les citoyens chacun dans sa circonscription électorale de rattachement d'une part.

D'autre part, il est permis de voir que les citoyens ne sont logés à la même enseigne en ce qui concerne le droit à l'éligibilité à différentes élections politiques. Entre inéligibilité absolue ou relative des citoyens d'adoption et disparités liées à la candidature indépendante, il est plus que jamais donné de toucher du doigt le traitement différentiel des citoyens.

De la sorte, l'on aboutit à la conclusion selon laquelle la citoyenneté est loin d'être un bloc uni.

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CHAPITRE II :

LA DISSOCIATION DU LIEN ENTRE APPARTENANACE

A LA NATION ET CITOYENNETE

La possession du statut de citoyen est soumise au déterminisme incontournable de l'appartenance à la Nation. Autrement dit, n'est considéré comme citoyen d'un Etat que l'individu qui appartient à la communauté globale que constitue la Nation. Il ne peut donc en aucun cas être extérieur à cette dernière. Toutefois, concernant le cas du Cameroun, il convient de relever que ce lien n'est pas absolu. Sa rupture est manifeste et résulte de l'interdiction de la double nationalité en droit positif camerounais d'une part (section 1), d'autre part, elle revêt une forme insidieuse, et, découle du faible enracinement de la citoyenneté camerounaise dans la presqu'île de Bakassi en particulier (section 2).

SECTION I : L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITE

En l'état actuel de la législation camerounaise la double nationalité n'est pas admise365. Il en découle que les camerounais d'origine jouissant d'une autre nationalité, dont il reste à déterminer l'appartenance ou non à la Nation camerounaise, seront exclus du statut de citoyen camerounais. Dans ce sillage, nous analyserons l'infléchissement de la Nation du fait de l'interdiction de la double nationalité (§1) ; ce qui nous conduira par la suite à explorer les implications d'une éventuelle reconnaissance de la double nationalité (§2).

Paragraphe 1 : L'INFLECHISSEMENT DE LA NATION DU FAIT DE L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITE

« Il est tout à fait courant, dans diverses parties du monde, qu'un État ne regroupe pas toutes les personnes qui se définissent comme appartenant à la communauté ethnique, historique, religieuse, c'est-à-dire nationale366 . Ainsi, pour montrer que l'interdiction de la

365 Cette interdiction de la double nationalité est contenue dans l'art.31 al (a) du code la nationalité camerounaise, qui prévoit que la perte de la nationalité camerounaise est opposée au « Camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère ».

366 Charles Leben « Nationalité et citoyenneté en droit constitutionnel », Controverses, Dossier : post colonialisme & sionisme, pp. 151- 163, (spéc. p. 158).

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double nationalité constitue un facteur d'infléchissement de la Nation, nous recourrons à la méthode dialectique, à travers laquelle nous exposerons les termes du débat portant sur l'appartenance ou non des camerounais d'origine à la Nation. Ainsi, à la négation de cette appartenance (A) s'oppose radicalement sa matérialisation concrète (B).

A. La négation de l'appartenance des camerounais d'origine à la Nation

Aux termes de l'art. 31 (a) de la loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité au Cameroun, les individus considérés comme camerounais 367 perdront leur nationalité du fait qu'ils ont acquis et conservé une nationalité étrangère. Aussi, il conviendra d'analyser, au sens de la loi en vigueur, le contenu de cette interdiction (1) avant d'en examiner les raisons probables (2).

1. Le contenu de l'interdiction de la double nationalité

La loi de 1968 interdit la double nationalité en prévoyant en son art. 31 (a) que perdra la nationalité camerounaise « Le Camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère »368. L'exégèse de cette disposition établit que la perte de la nationalité camerounaise est automatiquement consécutive, soit à l'acquisition, soit à la conservation d'une nationalité étrangère.

S'agissant de l'acquisition d'une nationalité étrangère, elle peut correspondre à trois hypothèses distinctes :

- La première est la plus classique. Il s'agit de la naturalisation, qui consiste pour un camerounais d'origine à demander volontairement et à obtenir une nationalité étrangère. Les conditions y afférentes dépendent donc de la législation de l'Etat en question.

- La deuxième hypothèse renvoie à l'acquisition d'une nationalité étrangère consécutive à la répudiation de la nationalité camerounaise, notamment par une femme camerounaise à travers une déclaration faite au moment de la célébration de son mariage avec

367 Selon l'art. 45 de la Loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise, « Sont considérés comme Camerounais les individus qui, le 1er janvier 1960 au Cameroun oriental avaient la possession d'état de ressortissants camerounais, et le 1er octobre 1961 au Cameroun occidental la possession d'état d'originaires de cet Etat ».

368Cf. art. 31 al. (a) de la Loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise.

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un étranger ; au cas où la loi nationale du pays de son mari lui permet d'acquérir sa nationalité369.

- La dernière hypothèse correspond à la situation de l'enfant né à l'étranger de parents camerounais, qui acquiert la nationalité de son pays de naissance à la suite d'une déclaration de nationalité par laquelle il opte pour la nationalité de son pays de naissance.

En ce qui concerne la conservation d'une nationalité étrangère, elle renvoie à la situation d'un ressortissant camerounais qui a acquis une nationalité étrangère par quelle que voie que ce soit et qui n'y renonce pas à moment ou à un autre. Elle peut aussi être consécutive à la réintégration d'un camerounais d'origine dans sa nationalité étrangère370, tout comme elle peut correspondre à la situation des enfants nés à l'étranger de parents d'origine camerounaise qui, en vertu du jus soli, sont réputés avoir la nationalité de leur pays de naissance au moment de leur majorité371 pourtant l'origine camerounaise de leurs parents était de nature à leur conférer la nationalité camerounaise, en raison du jus sanguinis372.

2. Les probables raisons de l'interdiction de la double nationalité

Par le recours à la méthode explicative, en ce qu'elle permet, selon Madeleine Grawitz, de répondre à la question du pourquoi373, nous entendons rechercher ici le ratio legis, c'est-à-dire les raisons probables d'ordre juridique ayant présidé à l'interdiction de la double nationalité au Cameroun, à l'effet d'évaluer leur pertinence aujourd'hui. Ainsi, les mobiles potentiels de l'interdiction de la double nationalité au Cameroun sont a priori liés au principe du loyalisme des citoyens à l'Etat, mais ils remontent significativement à l'histoire politique du pays.

Le principe du loyalisme du citoyen à l'Etat peut constituer a priori le motif probable du refus de la double nationalité au Cameroun. Ce loyalisme, assimilé au devoir d'allégeance, signifie que l'individu ressortissant d'un Etat doit être fidèle aux institutions politiques,

369 Cf. art. 32 de la loi de 1968 portant code la nationalité camerounaise.

370 Ici la conservation de la nationalité étrangère réside dans le fait que le camerounais d'origine qui perd sa nationalité étrangère a la possibilité, en vertu de l'art. 28 de 1968, de recouvrer la nationalité camerounaise. Ainsi, ne pas se prévaloir de sa qualité d'ancien ressortissant camerounais traduit en quelque sorte un renoncement à la nationalité camerounaise.

371 En vertu du jus soli, le lien de nationalité se détermine selon le lieu de naissance de l'individu.

372 Selon Car selon l'art.6 al. (a), est camerounais « l'enfant légitime né de parents camerounais ».

373 Lire Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 410.

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juridiques, sociales et culturelles dudit Etat374. En se basant sur ces considérations, le refus de la double nationalité par le législateur de 1968 recèlerait une entière légitimité375.

L'allégeance exclusive à l'Etat de ses ressortissants confère ainsi la faculté à ce dernier de priver un individu de sa nationalité. D'ailleurs, au regard de la convention n° 989 U.N.T.S. 175 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies (entré en vigueur le 13 décembre 1975), l'Etat contractant se réserve la faculté de priver un individu de sa nationalité si ce dernier « a prêté serment d'allégeance, ou a fait une déclaration formelle d'allégeance à un autre Etat, ou a manifesté de façon non douteuse par son comportement sa détermination de répudier son allégeance envers l'Etat contractant »376.

Pour répondre à la question de la génétique, c'est-à-dire du quand ou du fait générateur historique377 de l'interdiction de la double nationalité au Cameroun, scellé dans l'art. 31 al. (a) de la loi no 1968-LF du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise, il convient de faire observer que de nombreux acteurs politique, en particulier ceux de l'opposition, s'accordent à dire qu'elle visait à empêcher le retour au Cameroun des opposants politiques au régime en place à cette époque-là. Le contexte sociopolitique de l'élaboration de cette loi était en fait marqué par la lutte armée menée par le parti UPC à travers ce qui était appelé le maquis. Le Pr. Etienne Lékéné Donfack affirme dans ce sens que : « Pendant les années 19581959 - début 1960 -, l'UPC, par sa branche extérieure, sera l'enfant terrible de la vie politique camerounaise. Dans ce rôle, le parti de UM NYOBE ne facilitera pas le triomphe à Monsieur AHIDJO »378.

En effet, Les principaux leaders de l' « UPC extérieur »379, en exil à l'étranger380, avaient pour la plupart acquis la nationalité de leur pays d'accueil, notamment celles

374 L'obligation d'obéissance et de fidélité de l'individu à l'égard de l'Etat dont il est le national est justement la contrepartie des prérogatives attachées à la qualité de citoyen.

375 Cet argument peut être battu en brèche si l'on considère l'avancé du phénomène communautaire, qui entraine la construction d'une citoyenneté transnationale à côté la citoyenneté nationale étatique. Dès lors, le cadre national se trouve supplanté par celui communautaire, l'Etat ne conserve donc plus l'exclusivité de l'allégeance de ses citoyens.

376 Voir art. 8 al. 3b de la de la convention n° 989 U.N.T.S. 175 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée par l'Assemblée Générale des nations unies, entrée en vigueur le 13 décembre 1975

377 Lire à ce sujet Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 422. L'auteure relève que « la méthode génétique cherche la génèse des évènements, c'est-à-dire les antécédents ».

378 Etienne Charles Lékéné Donfack, L'expérience du fédéralisme camerounais : Les causes et les enseignements d'un échec, op. cit., p.178.

379 Cette expression renvoie à la branche extérieure de l'UPC placée à côté de celle intérieure, toutes les deux créées suite à l'expulsion de Kumba par le gouvernement britannique du gouvernement en exil de l'UPC dans

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ghanéenne et guinéenne (Il s'agit entre autres de Félix Roland Moumié et Ossendé Afana). Ainsi donc, en vue de les empêcher de réinvestir formellement le champ politique camerounais, cette disposition de l'art. 31 al. (a) sus évoqué fut spécialement utilisée comme artifice juridique d'exclusion, d'autant plus que la nationalité est le fondement premier de la citoyenneté.

Cet argument est d'ailleurs conforté par les députés SDF qui, dans une proposition de loi modifiant et complétant la loi sur la nationalité, affirmaient que l'art. 31 al. (a) de ladite loi « avait été institué en 1968 pour barrer la voie à l'opposition politique de l'époque qui vivait en grand nombre à l'étranger et jouissait des privilèges de la nationalité des pays hôtes »381.

Dans le même sens, il est relevé que : « La loi no 1968-LF du 11 juin 1968, portant code de la nationalité, avait été adoptée et promulguée dans un contexte socio - politique où le souci primordial était d'enlever aux camerounais qui avaient acquis une nationalité étrangère, la possibilité de présenter leurs candidatures aux élections législatives et présidentielles »382.

Au demeurant, le lien entre la Nation et les camerounais d'origine est plus que manifeste.

B. La matérialisation concrète de l'appartenance des camerounais d'origine a la Nation

En adoptant un raisonnement par déduction383 pour démontrer que les camerounais d'origine384 peuvent être considérés comme appartenant à la Nation camerounaise, nous-nous baserons sur l'importance et la valeur des actions, des interventions et de la participation de

cette ville. Le parti s'y était établi après sa dissolution par décret du 13 juillet 1955 par le gouvernement français à la suite des émeutes de mai de la même année.

380 Le Pr. Etienne Charles Lékéné Donfack écrit à ce propos que : « L'Egypte et le Soudan offrirent l'asile politique à celui des groupes qui se rendit au Caire sous la protection du Président NASSER. Conakry, Accra, Alger et les pays de l'Est l'accueilleront à leur tour ces "voyageurs" de l'histoire ». Lire Etienne Charles Lékéné Donfack, op. cit., p. 178.

381 Cf. la « proposition de loi modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise », initié par les Honorables députés Joshua Osih, Joseph Mbah-Ndam et les membres du groupe parlementaire SDF lors de la session ordinaire de l'Assemblée Nationale de novembre 2014, p. 2.

382 Cf. la lettre des députés adressée au Président de la République, le 2 décembre 2015, dont l'objet était « Appel des Députés de la Nation en vue de réformer la Loi No 68-LF-3 Du 11 juin 1968, portant de la Nationalité ».

383 Lire dans ce cadre Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 16.

384 Les camerounais d'origine sont des ressortissant camerounais qui ont perdu cette qualité, suite à l'acquisition ou à la conservation par eux d'une nationalité étrangère.

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ces individus à la vie nationale camerounaise. Cette appartenance se manifeste à l'égard du Cameroun par la persistance du lien affectif (1) et l'expression d'un lien de solidarité active (2).

1) La persistance du lien affectif

Le lien affectif envers une Nation peut être entendu comme l'attachement d'un individu à cette dernière, généralement du fait de ses origines, et, marqué par la manifestation d'une volonté constante de lui appartenir, indépendamment de sa résidence ou non sur le territoire national385. L'on peut trouver ses fondements dans l'origine (a). Et il se manifeste de diverses manières (b).

a) L'origine camerounaise comme fondement du lien affectif

Il est courant d'entendre dire, pour désigner certains français, allemands ou belges qu'ils sont des camerounais d'origine. A titre d'exemple, l'expression « franco-camerounais » renvoie à un individu qui est d'origine camerounaise et de nationalité française386. Pourtant, normalement au regard de l'interdiction de la double nationalité par la loi de 1968, cette dénomination est juridiquement inappropriée387.

L'obtention de la nationalité étrangère par ces individus ne leur enlève pas leur origine camerounaise, qui ne peut d'ailleurs être déniée. Cette origine camerounaise, de par les liens culturels et anthropologiques qu'elle concentre, joue le rôle majeur d'identifiant à la Nation camerounaise et constitue de ce fait l'élément qui maintient vivace le lien affectif des camerounais d'origine vis-à-vis du Cameroun ; car « Il ne se fait aucun doute que les camerounais de l'étranger restent attachés à leur pays d'origine. Ceci est vrai même pour ceux

385 L'illustration la plus forte de l'existence ou de la persistance du lien affectif entre des individus et une Nation est celle du peuple juif. Ce lien affectif a été matérialisé par le sionisme, mouvement politique dont l'objectif était le retour en Palestine des juifs de la diaspora, disséminés de par le monde en vue de la création de l'Etat d'Israël, dont la concrétisation intervint en 1948.

386 Des personnalités telles que Manu Dibango, Yannick Noah, Calixte Beyala, Marie-Roger Biloa et bien d'autres, sont ainsi désignés sous l'étiquette de franco-camerounais.

387 Au sens de la loi des 1968, l'on devrait parler de camerounais d'origine ou encore d'étranger pour désigner ces individus, car parler par exemple de franco-camerounais ou de belgo-camerounais signifierait que la double nationalité est admise, pourtant tel n'est pas encore le cas.

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parmi eux qui ont reçu une nationalité étrangère »388. La naturalisation est utilisée par ces derniers comme un moyen opportuniste.

Ainsi, « il ne s'agit pas de renier ses origines, mais la naturalisation est un moyen pour pouvoir bénéficier au maximum des avantages qu'offre le pays d'accueil »389. Dans le même sens, l'on relèvera aussi que : « Nos compatriotes de la Diaspora ont acquis une autre nationalité beaucoup plus par nécessité que par rejet de notre patrie qui leur est chère »390.

Dès lors, l'évocation de l'origine camerounaise de ces individus peut susciter chez eux un sentiment de frustration ; la frustration d'être traités comme d'illustres étrangers n'ayant aucun lien avec le Cameroun391. Pourtant ce dernier est ontologiquement le berceau de leurs ancêtres selon la lettre de l'hymne national392. Le Doyen Léopold Donfack Sockeng dit d'ailleurs que : « L'hymne national fonde le sentiment d'appartenir à une collectivité commune en théorie et en pratique ».393. Et, puisque l'hymne national « a une fonction constitutive [...] et une fonction de rassemblement » 394 , tous les individus d'origine camerounaise, du seul fait justement de cette origine, doivent être concernés et inclus dans le projet de construction et de consolidation de la Nation.

388 Louis Bernard Tchekoumi, « Interactions diasporas - pays d'origine dans le secteur du développement local au Cameroun : enjeux et perspectives », Département analyse et politique économiques, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion Appliquée de l'Université de Douala, p. 10.

389 Louis Bernard Tchekoumi, op. cit., p. 10.

390Cf. la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise », op. cit., p. 4.

391 La frustration des camerounais d'origine est justifiée par le fait qu'ils sont contraints, comme les étrangers, à s'aligner dans les services des représentations diplomatiques et consulaires du Cameroun à l'étranger pour demander le visa d'entrée au Cameroun ; sans compter que l'accomplissement de cette formalité est généralement accompagnée de tracasseries diverses. Des entretiens que nous avons eu avec certaines de ces camerounais d'origine, il nous été révélé que l'ambiance prévalant entre les camerounais d'origine demandeurs de visa et les agents consulaires ou diplomatiques est très souvent soit distendue, soit hostile, soit empreinte d'un manque de cordialité. Cela résulterait, selon nos interlocuteurs, d'une sorte de sentiment de révolte exprimé a priori par les camerounais d'origine. Ces derniers se révoltent d'être traités comme des étrangers.

392 L'énoncé de l'Hymne national selon lequel le Cameroun est le « berceau de nos ancêtres » signifie que toutes les personnes qui sont originaires de ce pays appartiennent à la Nation ; et par conséquent doivent avoir sa nationalité en tant que symbole de l'héritage à eux légués par les ancêtres de notre pays.

393 Léoplod Donfack Sockeng, « Fondements et signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue africaine de parlementarisme et de démocratie, volume III, n°7, août 2013, pp. 7-18, (spéc. p.13).

394Ibid., p. 14.

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b) La manifestation du lien affectif

Souscrivant entièrement avec Renan pour qui « il y a dans la nationalité un côté de sentiment »395, nous concluons à juste titre qu'en l'absence d'un lien affectif, la justification de l'appartenance des camerounais d'origine à notre Nation serait impossible396.

D'ailleurs, c'est certainement en raison de ce lien que de nombreux sportifs, particulièrement les footballeurs, à l'instar de Roger Milla, Samuel Eto'o Fils, Joel Matip, Eric Maxime Choupo Moting, Stéphane Mbia et bien d'autres, ont opté de défendre les couleurs du Cameroun sous la bannière des lions indomptables, plutôt que d'évoluer sous les couleurs de l'autre pays dont chacun d'eux a concurremment la nationalité.

L'opportunisme qui dans la plus des cas motive l'acquisition d'une nationalité étrangère, n'empêche pas la volonté des camerounais d'origine de servir la Nation, témoignant ainsi de l'attachement qu'ils gardent pour elle. A ce sujet, dans une lettre adressée au Président de la République en date du 2 décembre 2015, un groupe de dix députés à l'Assemblée Nationale fait observer que : « la double nationalité est revendiquée par les élites originaires de notre pays qui brillent en particulier dans les secteurs universitaires, économiques, scientifiques, artistiques, sportifs, à l'étranger »397. Ces députés poursuivent en disant que de nombreux camerounais d'origine manifestent le voeu de « se réaliser au Cameroun »398.

Toujours dans le même sens, les députés SDF déclarent que « nombreux sont ceux de nos compatriotes aujourd'hui qui font la fierté de notre pays [...] et qui aimeraient mettre à la disposition de notre pays leur talent, leur expertise et leur compétence affirmés et parfois acquis à l'international »399. Tout cela ressortit de ce qu'il convient d'appeler la « citoyenneté

395Cf. Ernest Renan, « Qu'est ce qu'une nation ? », conférence faite à la Sorbonne, le 11 mars 1882.

396A ce propos, il est tout à fait objectif d'analyser l'allégeance faite à la Russie par un grand nombre d'ukrainiens dans les zones sécessionnistes de l'Ukraine, bien qu'ils aient la nationalité de ce pays, comme ayant pour fondement le lien affectif qu'ils portent à la Russie. Comme quoi, le démantèlement de l'ex URSS n'a pas détruit le rattachement historique, peut être seulement symbolique aujourd'hui, entre l'Etat soviétique incarné d'alors par la Russie et les ex ressortissants de cet Etat.

397 Cf. la lettre adressée au Président de la République le 02 décembre 2014 sous le couvert du secrétaire général de la Présidence de la République. Par un groupe de dix députés à l'Assemblée Nationale ayant pour objet «Appel des députés en vue de réformer la loi N° 68-LF-3, du 11 juin 1968 portant Code de la nationalité».

398 Ibidem.

399 Cf. la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise », op. cit., p.2.

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d'identification » des camerounais d'origine vis-à-vis du Cameroun, c'est-à-dire qu'en dépit de la rupture du lien juridique de nationalité, ces derniers développent une citoyenneté parallèle dont les ressorts sont sociologiques, culturels, anthropologiques et identitaires.

Dans l'esprit de l'interpellation par l'hymne national aux fils du Cameroun à le servir400, les camerounais d'origine entreprennent diverses actions en sa faveur, confortant davantage l'idée selon laquelle le lien affectif ne se rompt pas nécessairement avec l'acquisition d'une nationalité étrangère. Cette idée semble d'ailleurs être implicitement approuvée par les autorités gouvernementales camerounaises, qui désignent au service du pays des binationaux à qui il est même assigné des « missions de représentation »401 de la patrie camerounaise402. Ainsi, la mise en exergue du lien affectif permet la reconnaissance tacite de la double nationalité403 même si cela est source d'ambigüité, car parallèlement la double nationalité est refusée pour les autres404.

Dès lors, il apparait un profond hiatus entre la lettre de la loi sur la nationalité et son application d'une part, car la double nationalité est légalement interdite, mais paradoxalement permise dans les faits. En fait, loin de parler d'une désuétude de l'art. 31(a) du code de nationalité qui interdit la double la double nationalité, l'on constate que l'amour pour Cameroun et la volonté de le servir triomphent dans plusieurs cas sur cette disposition législative.

400 L'hyme national énonce en effet la formule suivante : « Te servir que ce soit leur seul but... ».

401 Cf. Ruth Manga Edimo, « La participation des diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique nationale : Emergence et consolidation de la citoyenneté à distance », mémoire de DEA en science politique de l'université de Yaoundé II- Soa, 2005-2006, p. 85.

402 La nationalité française de l'ancien footballeur camerounais S.E Albert Roger Albert Milla est une vérité de lapalissade, pourtant ce dernier est quand même investi de la haute fonction diplomatique d'ambassadeur itinérant du Cameroun. Cet exemple peut être multiplié concernant bien de membres du gouvernement ou dirigeants d'entreprises publiques ayant une nationalité étrangère.

403 Ruth Manga Edimo fait observer que « le Lyonnais Joseph Désiré Job, le Lensois Assou- Ekotto, l'Auxerrois Perrier Doumbè, pour ne citer qu'eux, jouent pour le Cameroun, sont nés en France et sont de nationalité française, avant d'être camerounais. L'acceptation par ceux-ci de défendre les couleurs du Cameroun est un signal fort du lien gardé avec la mère patrie. Leur intégration dans l'équipe des » lions indomptables '', l'une des plus importantes institutions de représentation de l'Etat camerounais à l'extérieur et dans les compétitions internationales montre non seulement le degré de responsabilité de ces individus envers la Nation, mais également leur reconnaissance par l'Etat. Leur situation identitaire prouve que, quand il y va aussi bien de l'intérêt de la Nation que de l'attachement manifesté par les membres des diasporas camerounaises, l'Etat n'hésite pas à outrepasser certaines dispositions juridiques, telle que celle de l'acceptation des joueurs de nationalité française et d'origine camerounaise alors que les textes n'admettent pas encore la bi-nationalité ». Lire Ruth Manga Edimo, op. cit., p. 85.

404 L'on a évoquera en ce sens que l'élection de l'artiste Ndedi Eyango à la tête de la société collective de gestion des droits d'auteur dans le domaine de l'art musical avait été précisément constatée du fait de sa nationalité américaine pourtant quelques années avant, l'artiste Manu Dibango, de nationlité française avait été porté quelques années avant à la tête de la CMC, la devancière de la SOCAM.

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2) L'expression du lien de solidarité

De façon générale, le lien de solidarité des camerounais d'origine est marqué par leur participation et leur implication multiformes à la vie nationale du Cameroun (dans les domaines financier, économique, social, politique, sanitaire etc.).

Ainsi, répondant à la question de savoir quel est le facteur essentiel qui a produit et qui maintient le lien national, Léon Duguit affirmait qu' « on a mis en avant la communauté d'autorité politique, la communauté de race et de langue, la communauté de croyance religieuse. [...] mais aucun n'était puissant pour créer à lui seul la solidarité nationale »405. Il poursuit en disant que la Nation est une réalité qui « consiste dans le lien de solidarité [...] qui unit entre eux, d'une manière particulièrement étroite, les hommes qui sont membres d'une même nation »406.

C'est d'ailleurs au renforcement de ce lien que le Président de la République invitait la diaspora camerounaise, en déclarant ce qui suit : « Vous, Camerounais de la diaspora en particulier, [...] le moment est venu de mettre votre expertise au service de votre pays »407. Cet appel du Chef de l'Etat correspond parfaitement à l'idée d'union entre les membres d'une même Nation, et, montre que l'Etat d'origine « affirme fortement le lien qu'il veut maintenir avec ses nationaux alors même que ceux-ci bénéficient de la citoyenneté de l'État où ils se trouvent »408. Sauf que par cet appel même, le Chef de l'Etat donnait une approbation tacite de la double nationalité, car parlait-il indifféremment des « camerounais de la diaspora », dont nombre d'entre eux ont pourtant acquis une nationalité étrangère. Dans cette optique, le terme diaspora revêt un caractère englobant, car il désigne à la fois les camerounais de l'étranger ayant conservé leur nationalité et ceux ayant obtenu une nationalité étrangère409.

Quoiqu'il en soit, il apparait bien qu'au niveau politique, la porte n'est fermée à la double nationalité tant que le pays a besoin des camerounais d'origine. Ainsi, le Document

405 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, Traité de droit constitutionnel, op.cit., pp. 4-5.

406Ibid., p.12.

407Extrait du discours de S.E M. Paul Biya, le 03novembre 2011 lors de sa prestation de serment à l'Assemblée Nationale.

408 Charles Leben, « nationalité et citoyenneté en droit constitutionnel », op. cit., p.158.

409 Les camerounais ayant acquis une nationalité étrangère sont considérés, malgré tout, comme faisant partie de la diaspora camerounaise ; si tant est que la diaspora est entendue comme une communauté d'individus dispersée en dehors de son lieu d'origine. De ce point de vue, la diaspora est indifféremment constituée des camerounais ayant conservé leur nationalité, que de ceux ayant acquis une nationalité étrangère.

119

Stratégique pour la Croissance et l'Emploi (DSCE)410 classe la mobilisation des ressources de la diaspora dans la catégorie des modalités de renforcement de la mobilisation de l'épargne nationale. Il y est clairement énoncé que

Les transferts de la diaspora constituent une source de devises étrangères importantes [...]. Conformément aux orientations données dans la Vision 2035, les autorités comptent encourager les camerounais de l'étranger à investir au pays, au travers de divers mécanismes, dont : une prise en charge institutionnelle de cette question au niveau approprié [...], diverses incitations pour canaliser les transferts de la diaspora vers l'investissement productif et les emprunts publics411.

Fort de ce que « les membres d'une même nation sont particulièrement unis entre eux par les liens de la solidarité [...] ; car, étant plus près les uns des autres, ils échangent naturellement plus fréquemment et plus facilement les services qu'ils peuvent se rendre à cause de leurs aptitudes différentes »412, la diaspora est un acteur majeur du développement au Cameroun. Le gouvernement a d'ailleurs pleinement pris conscience de l'intérêt du renforcement de son implication dans ce sens413. Laquelle implication porte par exemple sur des investissements directs réalisés par le moyen des transferts de savoir-faire et d'argent vers les familles au Cameroun.

Dans le même sens, les députés du SDF affirment que la capacité de la diaspora « à booster pleinement et de façon constructive le processus de développement de notre Nation [...] n'est plus à démontrer. L'émergence du Cameroun projetée pour 2035 se fera avec nos compatriotes de la diaspora, nos familles binationales et non sans eux ou contre eux »414.

410 Le DSCE est un instrument de planification économique élaboré pour la période décennale 2010-2020, qui vise à termes l'amélioration des performances économiques du Cameroun, avec pour effets inductifs, la création d'emplois, la réduction de la pauvreté, et l'amélioration des conditions de vie des populations.

411Cf. le DSCE, p. 81.

412 Léon Duguit, op. cit., p. 8.

413 C'est en fait ce qui ressort de la mise en oeuvre de plusieurs initiatives allant dans ce sens, en l'occurrence le DAVOC (Draw A Vision Of Cameroon), dont la 5ème édition tenue les 11 et 12 octobre 2012 à Genève sur le thème: « Contribution des migrants africains aux stratégies de développement - Diaspora camerounaise et DSCE - Document Stratégique pour la Croissance et l'Emploi », avait pour but de présenter à la diaspora le rôle qu'elle peut et doit jouer dans la mise en oeuvre du DSCE.

414Cf. la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise, op. cit., p. 4.

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Au plan politique, la « citoyenneté » des camerounais de la diaspora se matérialise par l'activisme et le militantisme politiques. En effet, plusieurs membres de la diaspora militent au sein des partis politiques. A ce sujet, Ruth Manga Edimo souligne à propos des camerounais de la diaspora, qu' : « on note une participation partisane intense en accordéon avec les militants de l'intérieur. Celle-ci se caractérise par de constantes relations avec le parti en question [...], l'implication même à distance dans les campagnes électorales, et des activités militantes »415. L'on assiste donc dans ce contexte à la conduite d'activités de propagande dont l'objet porte sur des questions d'enjeu national telles que les élections, les droits de l'homme, la gouvernance etc.

Toujours dans le cadre de la participation politique, notamment contestataire, le Pr. Antoine Wongo Ahanda révèle que l'enjeu essentiel de la communication416 des camerounais d'origine installés en dehors du territoire national est « l'affirmation et la consolidation du lien avec le pays d'origine »417. C'est à cette forme d'activisme politique extraterritorial que correspond l'idée d'exopolitie camerounaise évoquée par l'auteur, c'est-à-dire une forme de citoyenneté qui se déploie en dehors du territoire national418.

En admettant que l'appartenance des camerounais d'origine est certaine et qu'elle devrait entraîner la reconnaissance de la double nationalité, quelles devraient dès lors en être les implications ?

Paragraphe 2 : LES IMPLICATIONS D'UNE EVENTUELLE RECONNAISSANCE DE LA DOUBLE NATIONALITE AU CAMEROUN

Eût égard à la démonstration précédemment faite sur l'appartenance des camerounais d'origine à la nation camerounaise, il va s'en dire que la législation actuelle devrait

415 Ruth Manga Edimo, « La participation des diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique nationale : Emergence et consolidation de la citoyenneté à distance », mémoire de DEA en science politique, université de Yaoundé II- Soa, année académique 2005-2006, p. 95.

416 Cette communication peut notamment renvoyer à l'utilisation d'opportunités et de canaux d'expression médiatique offerts par le développement des nouvelles technologiques de l'information et de la communication.

417 Antoine Wongo Ahanda, « Le C.O.D.E, figure médiatique de l'exopolitie camerounaise », SOLON, revue africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III, n°8, Août 2014, pp. 61-90, (spéc. p. 64).

418 Lire à ce propos Antoine Wongo Ahanda, ibid. , pp. 64 et s.

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logiquement évoluer vers la reconnaissance de la double nationalité afin de s'accommoder ainsi aux évolutions du temps, marqué de plus en plus par la multiplicité des communautés auxquelles le citoyen peut être loyal.

Au regard de cette perspective, les implications de la reconnaissance de la double nationalité consisteront en la réintégration des camerounais d'origine dans la nationalité d'une part (A), et en la nécessité définir des axes d'aménagement de la double citoyenneté d'autre part (B).

A. La réintégration dans la nationalité camerounaise

Dans la perspective de la reconnaissance légale de la double nationalité419, tous les individus qui, en vertu de la l'art. 31 (a) de la loi de 1968, avaient perdu leur nationalité camerounaise, pourront la recouvrer par le processus de la réintégration. De la sorte, il émergera une citoyenneté hybride, c'est-à-dire une citoyenneté née de la combinaison ou de la juxtaposition de la citoyenneté étrangère avec celle du Cameroun.

Au regard de la loi n° 68-LF-3 du 11 juin 1968 portant code de la nationalité, la réintégration dans la nationalité des camerounais d'origine s'avérerait plus ou moins complexe. Cette loi prévoit en effet que : « La réintégration dans la nationalité camerounaise est accordée [...] à condition toutefois que l'intéressé apporte la preuve qu'il a eu la qualité de ressortissant camerounais et justifie de sa résidence au Cameroun au moment de la réintégration »420.

S'agissant particulièrement de la preuve de la nationalité camerounaise, elle peut être apportée en l'occurrence par la production d'un acte d'état civil tel que l'acte de naissance notamment. Par ailleurs, la réintégration telle que définie actuellement ne pourra être appliquée à la situation des camerounais d'origine compte tenu de la condition de résidence à cause du fait que ces derniers sont des individus essentiellement issus de la diaspora, qui par conséquent ne résident pas sur le territoire camerounais.

Dans l'objectif de la réintégration des camerounais d'origine, des mécanismes juridiques doivent pouvoir créer d'une part des moyens pour faciliter le retour des personnes d'origine camerounaise et leur installation permanente au Cameroun. Cela commencerait par

419 Cette reconnaissance légale se présenterait comme le prolongement de la reconnaissance sociologique et politique de la double nationalité.

420Cf. art. 28 de la loi portant code de nationalité.

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la suppression de l'obtention par ces dernières du visa d'entrée au Cameroun. D'autre part, ces mécanismes doivent permettre l'octroi automatique de la nationalité et de la citoyenneté camerounaises à l' égard des personnes susmentionnées en les dispensant de certaines conditions légales requises notamment celle de renoncer forcément à leur nationalité étrangère. De la sorte, bien qu'étant citoyens d'autres Etats, les individus d'origine camerounaise se verraient reconnaitre en même temps au Cameroun le statut légal de citoyen, avec tous les droits qui y sont attachés ; sous réserve évidemment de certains droits comme l'éligibilité à certaines fonctions421.

La réintégration dans la nationalité a souvent été un mécanisme important mis en oeuvre dans le processus de construction de l'Etat-Nation. Elle permet en fait le resserrement des liens entre l'Etat et ses nationaux vivant à l'étranger de sorte que survive sur la nationalité étrangère de ces derniers, la manifestation concrète de leur appartenance à leur Nation d'origine.

En se référant au droit comparé, il faut remarquer que la réintégration dans la nationalité des personnes qui sont originaires du pays est facilitée au travers du droit positif. La constitution arménienne par exemple prévoit en son article 14 que « toute personne d'origine arménienne aura la faculté d'obtenir la citoyenneté, via une procédure simplifiée ». En Allemagne par contre, la Constitution permet à toute personne de souche allemande de réintégrer la nationalité allemande. Mieux encore, une loi « a étendu le droit automatique à la citoyenneté à toute personne de souche allemande habitant l'Europe de l'Est et de l'Union soviétique »422.

De ce qui suit, la réintégration des camerounais d'origine dans la nationalité constituerait un moyen pour montrer que le lien de sang entre eux et la Nation peut certainement connaitre l'érosion, mais qu'il reste invulnérable à la péremption.

421 Cette barrière trouverait sa justification dans le fait que les personnes élus à ces différents scrutins exercent des fonctions de représentation du peuple aussi bien à l'échelle nationale qu'internationale, cela explique qu'elles ne puissent pas partager leur loyauté entre le Cameroun et un autre pays. Par ailleurs, la constitution du Cameroun énonce en son art.4 que l'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la République et le Parlement. De ce point de vue, dans le souci de la préservation des intérêts de l'Etat et du fait de la sacralité des fonctions de Président de la République ou de parlementaire, elles ne doivent pas être exercées par des binationaux. Dans le cadre de la commune notamment, la coopération décentralisée au niveau international pourrait potentiellement placer les élus binationaux dans une situation embarrassante.

422 A. Rubinstein, A. Yakobson, Israël et les Nations. L'État-nation juif et les droits de l'homme, Paris, PUF, 2006, p. 174, cité par Charles Leben, op. cit., p. 159

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B. Les axes d'aménagement de la double citoyenneté

Dans la perspective de la reconnaissance de la double nationalité ou double citoyenneté au Cameroun, il s'avérerait impératif d'y appliquer quelques aménagements. Lesquels tourneraient autour de l'objectif de garantir l'allégeance des binationaux à l'égard de l'Etat du Cameroun d'une part (1), de même qu'ils auront trait à la protection diplomatique d'autre part (2).

1. La garantie de l'allégeance des citoyens binationaux à l'égard de l'Etat du Cameroun

L'un des aspects essentiels des rapports entre l'Etat et le citoyen est l'obligation d'allégeance du second à l'égard du premier. L'effectivité d'une telle obligation à propos spécialement des binationaux passe par la mise sur pied par la législation sur la nationalité de mécanismes divers.

Il peut s'agir par exemple de la mise à la charge pour les binationaux, de l'obligation de déclarer allégeance à l'Etat du Cameroun, cela sous la forme d'une prestation de serment. Ce mécanisme peut être opérationnalisé par l'insertion dans la loi d'une formule par laquelle le binational s'engage à être loyal à l'Etat du Cameroun en dépit de son autre nationalité. L'énoncé de cette formule peut être le suivant : « je promets de faire allégeance à l'Etat du Cameroun, de respecter en tout temps et en tout lieu les lois et valeurs de la République et de protéger les intérêts de notre Nation ». Par le prononcé de cette formule, l'individu affirmera pour ainsi dire sa « camerounité » et sa volonté à servir le Cameroun. Dans le même sens, par cette promesse de loyauté, l'intéressé s'engage à éviter d'adopter une position ambivalente vis-à-vis du Cameroun et surtout face à l'autre Etat dont il est tout aussi citoyen. Autrement dit, il ne doit pas, à travers son comportement, ses actes ou ses déclarations, marquer implicitement ou explicitement sa préférence pour son autre Etat. C'est dire ici que le double national ne doit pas être tiraillé entre les deux allégeances, mais doit plutôt établir entre elles une sorte de coexistence pacifique.

Cette déclaration d'allégeance peut aussi se faire à travers plusieurs formules séparées, mais dont le contenu et la finalité seront identiques.

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Bien évidemment, le comportement déloyal du citoyen binational doit donner lieu à des sanctions, dont principalement la déchéance de la nationalité, sans préjudice des condamnations judiciaires qui peuvent s'y adjoindre. A ce sujet, la Convention des Nations Unies sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août 1961, entrée en vigueur le 13 décembre 1975, prévoit qu'un Etat peut conserver la faculté de priver un individu de sa nationalité si ce dernier, dans des conditions impliquant de sa part un manque de loyalisme envers l'Etat contractant a eu un comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'Etat423.

En tout état de cause, la double nationalité ne doit d'aucune manière infléchir la souveraineté de l'Erat sur ses ressortissants.

2. Les aménagements relatifs à la protection diplomatique

Approuver la double nationalité c'est aussi donner vie à la double allégeance.

Sur le plan pratique, cette double allégeance peut poser des problèmes quant à la question de la protection diplomatique. En fait, Un Etat peut-il exercer la protection diplomatique en faveur de son ressortissant qui est à la fois le national de l'Etat auquel la violation des droits est imputée ?

En outre, dans le cas de figure où la violation des droits est imputée à un Etat tiers, lequel des deux Etats dont l'individu est le national devra-t-il assurer la protection diplomatique ? C'est à ces questions, souvent hautement sensibles du point de vu des relations internationales bilatérales, que devra répondre une législation à venir sur la double nationalité au Cameroun.

En guise de réponse à la première interrogation, il faut simplement dire qu'un Etat ne peut prétendre détenir un droit de protection diplomatique lorsque cette protection doit être exercée en faveur de son ressortissant, qui possède concurremment la nationalité de l'Etat en l'encontre duquel elle doit être mise en oeuvre. Concrètement, un camerounais binational ne pourrait, afin de bénéficier de la protection diplomatique de son autre Etat, se prévaloir de sa nationalité étrangère à l'égard du Cameroun ; ce dernier le considérera plutôt comme son ressortissant exclusif. C'est donc à cette solution que doit tendre la législation sur la double nationalité à venir au Cameroun ; car l'enjeu ici serait la préservation de la souveraineté de

423 Voir l' art. 8 al. 3a ii de la Convention des Nations Unies sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août 1961.

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l'Etat. Elle serait du reste une application de la règle de la non-responsabilité consacrée par la convention de la Haye sur la nationalité du 12 avril 1930424. D'ailleurs, la Cour internationale de Justice a fait application de cette règle lorsqu'elle déclara se référer à la « pratique généralement suivie selon laquelle un

Etat n'exerce pas sa protection au profit d'un de ses nationaux contre un Etat qui considère celui-ci comme son propre national»425.

A la question de savoir entre le Cameroun et un autre Etat dont un individu est concurremment le ressortissant lequel devra exercer la protection diplomatique à l'encontre d'un Etat tiers, il faut dire que la solution serait moins complexe. En fait, l'exercice de la protection diplomatique pourra revenir à l'Etat de résidence dudit individu.

La déconnexion entre la nationalité et la citoyenneté au Cameroun est encore plus plausible lorsqu'on évoque la situation particulière de la presqu'île de Bakassi.

SECTION II : LE FAIBLE ENRACINEMENT DE LA NATIONALITE CAMEROUNAISE DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI

Selon la théorie générale de l'Etat, la population est l'un des éléments essentiels de l'Etat426. Le territoire de Bakassi est certes retourné dans le giron du territoire national427, cette zone présente cependant des particularités démographiques notoires. En effet, compte tenu de la forte concentration des ressortissants nigérians en l'occurrence dans cette zone, dont l'importance numérique est particulièrement élevée, la nationalité camerounaise y est plutôt à l'étroit en quelque sorte.

Du point de vue juridique, cette situation ne peut manquer de susciter des interrogations quant à son impact à la fois sur la nationalité et la citoyenneté camerounaises dans cette zone. En effet, la force démographique des étrangers nigérians établis dans la zone de Bakassi est

424Cf. art. 4. de la convention de la Haye sur la nationalité.

425Cf. l'avis consultatif de la CIJ sur la réparation des dommages subis au service des Nations Unies du 11 avril 1949.

426 Selon le Pr. Joseph Owona par exemple, « la population est constitue le groupement humain qui est à la base de l'Etat ». Lire Joseph Owona, Droits fondamentaux et institutions politiques du monde contemporain. Etude comparative, op. cit. , p. 18.

427 Le Cameroun a recouvré sa pleine souveraineté sur ce territoire suite notamment au verdict de la CIJ du 10 octobre 2002 et à l'accord de retrait de l'administration civile et des forces de police de la République fédérale du Nigéria et de transfert d'autorité à la République du Cameroun du 14 août 2008.

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susceptible d'y entrainer la perméabilité de la nationalité camerounaise (§1) cette occurrence nous conduit ainsi à examiner les perspectives de la nationalité et de la citoyenneté dans cette zone là (§ 2).

Paragraphe 1 : LA PERMEABILITE DE LA NATIONALITE

CAMEROUNAISE DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI

Compte tenu du contexte marqué par la forte présence démographique des nigérians dans la presqu'île de Bakassi, la citoyenneté camerounaise s'en sort vulnérable, car elle devient exposée à des risques d'infiltration (A). D'où la nécessité d'analyser les enjeux qui se rattachent à la mise à l'épreuve de la nationalité camerounaise du fait de ce facteur démographique (B).

A. Les risques d'infiltration de la citoyenneté camerounaise

Les risques d'infiltration de la nationalité 428 et par ricochet de la citoyenneté camerounaise429 à Bakassi sont tributaires de la localisation massive des étrangers nigérians dans cette partie du territoire national. Ce fait démographique ne peut en effet être ignoré dans toute étude objective sur la nationalité ou la citoyenneté dans cette zone, d'autant plus qu' « il n'est guère de phénomènes sociaux qui n'aient un aspect démographique »430.

Dans l'entreprise de démonstration de cette idée, nous utiliserons l'induction comme type de raisonnement, en ce qu'il est « une généralisation, opération par laquelle on étend à une classe d'objets ce que l'on a observé sur un individu ou quelques cas particuliers »431. Dans ce même sillage, l'induction amplifiante qui, « d'un nombre déterminé de faits observés, généralise, à un nombre infini de faits possibles »432, nous parait objectivement opératoire.

428 Le terme infiltration renvoie ici à la détention indue, parce que frauduleuse, de la nationalité

429 Nous utiliserons indifféremment les termes de nationalité et de citoyenneté à ce niveau ; la possession de la première entrainant logiquement l'exercice de la seconde, l'une impliquant l'autre.

430 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 264.

431 Ibid., p. 16.

432 Ibidem.

127

Selon la définition des Nations Unies, le terme étranger « s'applique [...] à tout individu qui ne possède pas la nationalité de l'Etat dans lequel il se trouve »433. De ce point de vue, les étrangers ne peuvent pas prétendre jouir des droits attachés à la qualité de citoyen de l'Etat dans lequel ils résident. Mais la forte présence démographique de la colonie nigériane qui, dans plusieurs localités de Bakassi, est même supérieure à l'effectif de la population camerounaise, peut donner à penser qu'il ne s'agit même plus d'une colonie étrangère, mais plutôt d'une réelle communauté nationale. La conséquence majeure qui en découle est qu'il se crée inéluctablement une confusion quant à l'identification du réel citoyen camerounais.

Ce présage semble être conforté par Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, qui affirment que : « The Nigerian indigenes [...] do not necessarily have residence permits and other legal documents permitting them to reside and engage in business in what is now legally Cameroonian territory »434.

Si l'infiltration de la citoyenneté camerounaise par des immigrés nigérians en particulier est possible jusque dans la ville de Douala où ces derniers ne représentent qu'une infime proportion de la population, il est logiquement donné à croire qu'elle serait plus facile et plus massive dans la presqu'île de Bakassi dans laquelle ces mêmes ressortissants étrangers forment un impressionnant effectif de la population totale.

En effet, Jean-Blaise Nkéné révèle notamment que les stratégies d'insertion des immigrés nigérians à Douala « s'inscrivent dans des logiques de contournement, d'évitement, de subtiles infiltrations dans le corps social »435. L'auteur ajoute que malgré la souplesse de l'administration locale et de la législation camerounaise en matière de titre de séjour, « les immigrés nigérians semblent préférer des voies frauduleuses. Ils optent dans ce cas pour des solutions diverses [...] ils se font délivrer des fausses cartes d'identité camerounaises

433 Cf. la résolution47/144 adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 13 décembre 1985.

434 Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, « Reclaiming the Bakassi Kingdom: The Anglophone Cameroon - Nigeria Border », Afrika Zamani, nos. 13 et 14, 2005-2006, pp.103-122, (spéc. p. 117). « Les autochtones nigérians ne détiennent pas forcément des permis de séjour et autres documents légaux les autorisant à résider et à entreprendre des affaires dans ce qui désormais est un territoire camerounais du point de vue juridique ». La traduction est de nous.

435 Blaise-Jacques Nkéné, « Les immigrés nigérians à Douala : Problèmes et stratégies d'insertion sociale des étrangers en milieu urbain », in polis, R.C.S.P/C.PS.R., vol. 7, numéro spécial, 1999-2000, p. 14.

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moyennant argent ... »436. La possession de la carte nationale par ces derniers montre le degré d'infiltration de cette nationalité, qui semble devenue d'ailleurs un phénomène récurrent437.

A propos des mêmes immigrés nigérians au Cameroun, Jacques-Blaise Nkéné met en lumière leur entrée dans le champ politique local en tant qu'acteurs, singulièrement à Douala toujours. A ce propos, il affirme que son « intuition de départ est basée sur le fait que la présence massive d' «étrangers » dans certaines aires sociales ne peut ne pas avoir des conséquences sur le champ politique »438. Cette immixtion des immigrés nigérians dans la vie politique de la ville de Douala439 est justement possible par la détention frauduleuse de la nationalité camerounaise, par laquelle ils se prévalent, au même titre les nationaux camerounais, d'un droit de vote.

A titre d'illustration, l'on révèlera que « Les élections dans l'arrondissement de Manoka - Douala VI - sont le reflet de la participation ou non des associations immigrées nigérianes qui regorgent en leur sein près de 85% de la population locale. Leur contrôle est alors un gage important pour l'expression des suffrages »440.

Ainsi, l'infiltration de la nationalité camerounaise par les étrangers constitue une grave entorse à l'idée de Nation, dans la mesure où ces derniers, parce que leur démarche est frauduleuse et opportuniste, ne peuvent certainement pas se dévouer au service de la Nation camerounaise. C'est ce que semble soulever Jacques-Blaise Nkene lorsqu'il affirme que l'acquisition de la citoyenneté par des immigrés nigérians « leur permet tantôt de marchander leur voix en période électorale ou surtout d'acquérir des passe-droits sans pour autant se sentir des camerounais, [...] c'est donc d'une acquisition à des fins essentiellement mercantiles qu'il s'agit »441. Il renchérit en disant que : « La citoyenneté camerounaise pour l'immigré nigérian n'est qu'un instrument de travail »442.

436 Ibid, p. 20.

437 En effet, un nigérian interpellé à Douala le 1er juillet 1999 par la police au motif qu'il détenait deux cartes nationales d'identité, une camerounaise et une autre nigériane. avoua ce qui suit : « je me suis débrouillé comme ça à me faire établir une carte nationale d'identité camerounaise pour éviter les tracasseries policières ». Lire Jacques-Blaise Nkéné, Ibid, p. 21.

438 Jacques-Blaise Nkéné, « Les étrangers, acteurs de la vie politique camerounaise : L'expérience des immigrés nigérians dans la ville de Douala », R.C.S.P. /C.P.S.R., vol.8, numéro spécial, 2001, p. 3

439 Cette immixtion se fait, selon les mots de Jacques-Blaise Nkéné, par « une incorporation ou une infiltration physique ou/et symbolique dans les instances du pouvoir politique local ». Lire Jacques-Blaise Nkéné, Ibidem.

440 Ibid., pp. 8-9.

441 Ibid., p. 29.

442 Ibidem.

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Au regard de ce qui précède, il est plus que raisonnable d'entrevoir l'orchestration des mêmes manoeuvres d'infiltration de la nationalité et par ricochet de la citoyenneté camerounaises dans la presqu'île de Bakassi, même si pour cette zone ladite infiltration prendraient une plus grande ampleur par rapport à Douala.

En effet, la citoyenneté camerounaise est en proie à un « quasi étouffement » à Bakassi en raison de la forte présence étrangère, qui concurrence dans certaines zones l'effectif des ressortissants camerounais. Pour les cas par exemple de l'arrondissement de Bamusso, l'on dénombre 12230 ressortissants nigérians pour une population totale de 19230443 ; alors que dans l'arrondissement de Kombo Itindi l'on compte jusqu'à 1366 nigérians pour 2956 habitants444.

Au regard de ce qui précède, il ne serait pas erroné de dire qu'autant les frontières séparant le Cameroun et le Nigéria sont poreuses, autant la citoyenneté camerounaise l'est aussi au profit des ressortissants nigérians.

B. La nationalité camerounaise à l'épreuve de la forte

démographie nigériane à Bakassi : Les enjeux

Les enjeux de la nationalité à Bakassi peuvent se dessiner à deux niveaux : d'abord au niveau de l'Etat et des ressortissants nigérians (1), ensuite au niveau de l'Etat du Cameroun (2).

1. Les enjeux propres à l'Etat et aux ressortissants nigérians

L'irrédentisme nigérian relativement au territoire de Bakassi avait ou continue d'avoir pour socle la nationalité des populations qui y habitent. En effet, le Nigéria s'était fondé sur une pseudo autorité politique établie et manifestée sur ce territoire et sur ses populations pour revendiquer sa souveraineté sur ce territoire445. C'est dire que la présence massive de

443 Cf. les résultats du 3e recensement général de la population et de l'habitat de 2005.

444 Ibid.

445 Le Nigéria revendique sa souveraineté sur Bakassi en s'appuyant sur trois fondements. Il s'agit d'abord de l'occupation de longue date de ce territoire par le Nigéria et des ressortissants nigérians, qui constitue une

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ressortissants nigérians dans la presqu'île, territoire camerounais, constitue à n'en point douter un enjeu géopolitique important pour l'Etat du Nigéria.

Dans cette optique, il ne serait pas erroné de conjecturer que la forte présence des citoyens nigérians dans la presqu'île de Bakassi peut avoir comme influences géopolitiques à la fois l'installation ou la réinstallation et l'accroissement de l'autorité de cet Etat dans cette partie du territoire camerounais.

Cette hypothèse peut raisonnablement être confortée par le fait qu'en novembre 2007, le Sénat nigérian s'était opposé à la rétrocession de la péninsule au Cameroun en déclarant qu'elle était illégale.

De même, en 2008, des habitants de Bakassi avaient saisi un juge de la Haute Cour fédérale du Nigéria réclamant l'arrêt du processus juridico diplomatique de transfert d'autorité au profit du Cameroun. Ce juge avait accordé une réponse favorable à la requête en prononçant le gel du transfert de souveraineté. Bien que le pouvoir exécutif nigérian n'eut pas suivi ces sons de cloche, car avait-il signé l'accord de Calabar le 14 août 2008446, il reste que persiste tout de même au Nigéria un certain irrédentisme tant au niveau fédéral que fédéré à propos de Bakassi.

Cet irrédentisme est beaucoup plus poussé dans l'Etat fédéré du Cross River dont était rattachée la péninsule au moment de son occupation par le Nigéria. En effet, certains acteurs nigérians contestent la souveraineté du Cameroun sur la presqu'île en arguant que les populations indigènes qui y sont établies depuis toujours sont des citoyens nigérians. Autrement dit, il n'est pas envisageable pour les acteurs susmentionnés que des citoyens nigérians soient sous l'autorité du Cameroun, un Etat étranger selon eux.

consolidation historique de sa souveraineté ; ensuite de la possession paisible par le Nigéria de ce territoire en qualité de souverain, possession qui n'a suscité aucune protestation de la part du Cameroun ; enfin des manifestations de souveraineté du Nigéria, en même temps que l'acquiescement du Cameroun à la souveraineté nigériane sur la presqu'île de Bakassi. Voir à ce sujet l'arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 sur l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria.

446 L'accord de Calabar a en effet parachevé le processus qui devait permettre au Cameroun de recouvrer sa pleine souveraineté sur la péninsule. Il dispose ainsi qu'« Il est reconnu, par le présent acte que (a) le retrait de l'administration civile et des forces de police de la République fédérale du Nigeria de la Zone (Annexe I et Annexe II de 1 'Accord de Greentree) et (b) le transfert d'autorité à la République du Cameroun sur la totalité de la presqu'île de Bakassi ont été achevés ce jour, jeudi 14 août 2008 ».

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Conformément à cette position, c'est le rattachement de ces populations au Nigéria, et par-là même, la citoyenneté de ce pays, qui doivent y prévaloir. Cette position est relevée par Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, qui rapportent les propos suivants de certains habitants de Bakassi : « We are Nigerians and here in our ancestral home. You can see some of the graves here dating back to the 19th century. How can you force a strange culture and government on us? »447.

Il va s'en dire que toutes les entreprises de valorisation ou de promotion de la citoyenneté nigériane menées dans l'optique de légitimer la souveraineté du Nigéria, et de contester par voie de conséquence celle du Cameroun sur Bakassi, sont de nature à éprouver le raffermissement de la citoyenneté camerounaise dans cette zone. Par exemple, le mouvement dénommé Assemblée des jeunes de l'Etat du Cross River, après une vaste consultation, a rejeté la décision de la CIJ du 10 octobre 2002 ; c'est ce qui ressort des déclarations suivantes :

- We the Cross River State Youths reject completely the handover of Bakassi Peninsula to the Republic of Cameroun because it lacked the consent and approval of the indigenous Bakassi people who are Nigerians.

- The Bakassi people refused to be transferred forcefully to a foreign country in the haste to obey a fraudulent world court judgment.

- Historically, other countries are known to have disobeyed the judgment of the world court including some Western Nations.

- Bakassi remains and will always remain part and parcel of Cross River State of Nigeria and not to be transferred to the Republic of Cameroun because the inhabitants have no ancestral, historical, archaeological and political links or ties. They are Nigerians and will always remain Nigerians448.

447 Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, loc cit. , p.111. « Nous sommes nigérians et nous sommes ici sur la terre de nos ancêtres. L'on peut voir ici certaines tombes qui datent du 19è siècle. Comment peut-on nous soumettre à une culture et à un gouvernement étranger ? ». La traduction est de nous

448 Lire Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, loc.cit. , pp. 111-112. La traduction est de nous. - Nous la jeunesse de l'Etat du Cross River rejetons complètement le transfert de la péninsule de Bakassi à la République du Cameroun en raison du fait qu'il a été opéré sans le consentement et l'approbation des populations indigènes de Bakassi qui sont des nigérians.

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Ainsi, l'un des enjeux de la mise en exergue de la citoyenneté nigériane, comme étant la citoyenneté naturelle des populations de Bakassi, participe d'une stratégie conduite par des entités nigérianes449en vue de remettre en cause la souveraineté du Cameroun sur ce territoire à cause du fait, selon elles, que l'essentiel de la population est composé, non pas de ses ressortissants, mais des citoyens d'un autre Etat, en l'occurrence le Nigéria.

Dans ce contexte, la question de la citoyenneté des populations de Bakassi doit normalement préoccuper au premier chef l'Etat du Cameroun.

2. Les enjeux liés à l'Etat du Cameroun

L'enjeu majeur de la citoyenneté dans la presqu'île de Bakassi pour l'Etat du Cameroun est l'ancrage total de sa souveraineté sur cette zone, car selon Adeline Braux, « l'appartenance civique à tel ou tel Etat est une affaire de souveraineté »450. Selon l'accord de Greentree451, le Cameroun s'engage « à ne pas forcer les ressortissants nigérians vivant dans la presqu'île de Bakassi à quitter la zone ou à changer de nationalité »452 . Ainsi, après l'acquisition de la plénitude de sa souveraineté sur ce territoire453, il est fondamentalement indispensable de la rendre tout aussi effective sur les populations qui s'y trouvent ; étant entendu que l'Etat « est doté d'une autorité politique établie qui doit assurer l'unité de la population et du territoire »454. C'est dire que l'effectivité de la souveraineté du Cameroun sur cette localité

- Le peuple de Bakassi a refusé d'être transféré de force à un pays étranger ceci dans la précipitation de se conformer au jugement erroné d'une juridiction internationale.

- Historiquement, d'autres pays sont reconnus pour ne s'être pas conformés au jugement de la juridiction internationale y compris certaines Nations occidentales.

- Bakassi demeure et demeurera toujours une partie intégrante de l'Etat du Cross River du Nigéria et ne doit pas être transféré à la République du Cameroun parce que les habitants n'ont pas avec elle des liens ou attaches ancestraux, historiques, archéologiques et politiques. Ils sont et demeureront toujours des nigérians.

449 Il peut s'agir de groupes associatifs ou criminels ou d'acteurs politiques fédéraux ou fédérés etc.

450 Adeline Braux, « De la citoyenneté soviétique à la citoyenneté russe : Les conflits d'allégeance des immigrés sud-caucasiens en fédération de Russie », http://www.ceri-sciences-po.org, mars 2010, p.6.

451 L'accord de Greentree est un accord politique signé le 12 juin 2006 entre le Cameroun et le Nigéria sous l'égide de l'ONU, ayant pour objet la définition des modalités de retrait et de transfert d'autorité dans la presqu'île de Bakassi conformément à la décision de la CIJ du 10 octobre 2002.

452Cf. art. 3 al. 2a. de l'accord de Greentree signé le 12 avril 2006 entre le Cameroun et le Nigéria, concernant les modalités de retrait et de transfert d'autorité dans la presqu'île de Bakassi.

453 Le Cameroun a recouvré la plénitude de sa souveraineté sur la presqu'île de Bakassi depuis la fin du régime spécial transitoire de cinq ans le 14 août 2013.

454 Joseph Owona, Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain. Etude comparative, op. cit., p. 20.

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passe aussi par le contrôle et la maitrise des nationalités, c'est-à-dire le pays doit être capable d'identifier clairement qui est son national et qui est étranger.

Il s'avère donc effectivement que la nationalité et la citoyenneté sont des attributs de la souveraineté455. Sous ce prisme, afin d'enraciner hermétiquement le territoire de Bakassi dans le pré carré du Cameroun, il s'avère impérieux d'y protéger et d'y renforcer la nationalité camerounaise. Cela est d'autant plus nécessaire dans la mesure où la nationalité peur être source d'ingérence extérieure456 ; d'ailleurs, conformément à l'accord de Greentree, les autorités civiles nigérianes avaient déjà la possibilité d'accéder aux populations installées dans la Zone457. De cette manière, les nombreux nigérians établis à Bakassi constituent en quelque sorte un bloc, qui peut servir d'une manière ou d'une autre, de canal d'expression ou d'influence du Nigéria vis-à-vis du Cameroun.

En outre, la protection de la citoyenneté camerounaise à Bakassi constitue aussi un enjeu quant à la préservation de l'identité nationale, car le concept de Nation est étroitement lié à celui de citoyenneté. En effet, selon le Pr. Luc Sindjoun, « La nation se représente dans une large mesure à partir de l'identité, d'un référentiel commun à des acteurs sociaux »458. Or, il n'existe aucun rapport d'identification des ressortissants nigérians vivant à Bakassi, à la nation camerounaise. Et, compte tenu de leur grand nombre, il se crée dès lors une certaine déconnexion entre les deux éléments que sont la communauté nationale et les populations devant la composer. En d'autres termes, l'enjeu de l'attestation de l'existence d'une communauté nationale camerounaise auquel tend l'identité nationale459, peut être remis en cause singulièrement à cause du déficit d'intégration ou d'assimilation des hommes à la communauté dans laquelle ils vivent. Ce qui revient à dire que les ressortissants nigérians

455 Cette idée peut ainsi être illustrée par le fait que c'est la présence massive et de longue date des nationaux nigérians sur la presqu'île de Bakassi en l'occurrence qui a amené le Nigéria à y mettre en oeuvre des mécanismes d'exercice de sa souveraineté, ce qu'il a qualifié d' « exercice d'une autorité effective ». Cf. l'arrêt de la CIJ relative à l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria.

456 Le nombre de ressortissants d'un Etat résidant dans un autre Etat est un facteur déterminant dans la conduite des relations bilatérales entre eux.

457 Cf. para. 4a de l'annexe 1 de l'accord de Greentree, relatif au régime spécial transitoire.

458 Luc Sindjoun, « Identité nationale et « révision constitutionnelle » du 18 janvier 1996 : Comment constitutionnalise-t-on le « nous » au Cameroun dans l'Etat post- unitaire ? », Polis, R.C.S.P/C.P.S.R., Vol.1,n° spécial, Février 1996, p.1.

459 Selon le Pr. Luc Sindjoun, l'enjeu de l'identité nationale est la construction et la mobilisation « des signes, des actes et des pratiques attestant de l'existence d'une communauté, d'un groupe social soudé ou alors faisant croire en l'existence de celle-ci ou de celui-ci ». Cf. Luc Sindjoun, Ibidem.

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établis à Bakassi, du fait toujours de leur nombre élevé, font prospérer de manière fort significative, non pas l'identité nationale camerounaise, mais celle nigériane ; avec le risque qu'on assiste à la supplantation de l'identité camerounaise par celle étrangère.

Paragraphe 2 : LES PERSPECTIVES D'ANCRAGE DE LA CITOYENNETE CAMEROUNAISE A BAKASSI

Etant donné que selon l'accord de Greentree, le Cameroun ne peut pas forcer les ressortissants nigérians vivant dans la presqu'île de Bakassi à quitter la zone ou à changer de nationalité, la logique de facilitation de l'intégration des populations étrangères qui y vivent s'inscrit dès lors en une perspective envisageable. Elle peut tourner autour de la mise sur pied de mécanismes exceptionnels d'accès à la nationalité camerounaise d'une part (A), et par l'octroi de droits politiques limités aux ressortissants nigérians d'autre part (B).

A. La mise sur pied de mécanismes exceptionnels d'accès à la nationalité camerounaise

Afin de sauvegarder la connexion entre l'appartenance à la Nation et la citoyenneté, il importe de mettre en oeuvre des mécanismes exceptionnels d'accès à la nationalité camerounaise par les ressortissants étrangers, en dehors de toute politique de peuplement du territoire de Bakassi par les propres citoyens camerounais.

La naturalisation des étrangers, en l'occurrence les ressortissants nigérians, peut ainsi avoir comme fondement le jus soli460. Le territoire de Bakassi ayant été rétrocédé au Cameroun, ceux de ses habitants qui ont manifesté le voeu de demeurer sur ce sol devraient pouvoir avoir la possibilité d'être naturalisés camerounais ; car en effet, le droit du sol est l'une des modalités d'attribution de la nationalité camerounaise461.

De façon pratique, le gouvernement du Cameroun, à travers son ministère de l'Administration territoriale et de la décentralisation, peut par exemple initier des campagnes itinérantes de consultation des populations dans les circonscriptions territoriales constitutives

460 Le jus soli renvoie à l'attribution de la nationalité d'après le lieu de naissance de l'individu.

461 Voir l'art. 26 al. a de la loi n° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise.

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de la péninsule de Bakassi en vue de recueillir leur avis quant à leur volonté ou non d'accéder à la nationalité camerounaise. Au vu des résultats de ces consultations, les nigérians qui en exprimeront la volonté, se verraient reconnaitre le statut de citoyens camerounais, titulaires de droits et tenus à des devoirs conformément au droit positif camerounais.

Une politique nationale spéciale de naturalisation des étrangers permettrait ainsi à termes de régulariser leur situation. Le faire serait reconnaitre l'importance du phénomène démographique, qui a selon Emile Durkheim « le statut d'infrastructure de la vie sociale »462 Cette naturalisation mettrait ainsi fin à l'ambiguïté qui caractérise la citoyenneté à Bakassi, qui découle du fait que des ressortissants nigérians, bien qu'ils aient en réalité le statut juridique d'étrangers, ne sont pas pour autant traités comme tels dans les faits. En effet, il ne leur est pas exigé de justifier d'un permis de séjour ou de résidence en territoire camerounais.

En outre, la naturalisation par des voies exceptionnelles de certains individus vivant dans la péninsule s'avère nécessaire au regard de la prévention des risques d'apatridie. En effet, il convient de relever que la situation sécuritaire qui prévalait à Bakassi, marquée à une période donnée par un affrontement militaire entre le Cameroun et le Nigéria, a certainement pu rendre difficile, sinon impossible l'enregistrement des naissances par l'un ou l'autre de ces Etats. De la sorte, il se dessine le spectre d'une profonde difficulté quant à la détermination de la citoyenneté des personnes nées à Bakassi pendant la période de son occupation par les forces armées et de police nigérianes de décembre 1993 à août 2008463.

Le recensement des personnes nées pendant la période sus indiquée doit participer de la clarification de leur statut et de la facilitation éventuelle de leur naturalisation. Cette démarche obéirait de toutes les façons aux prescriptions de la Convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, qui dispose que : « Tout Etat contractant accorde sa nationalité à l'individu né sur son territoire et qui, autrement, serait apatride »464.

Toutefois, la naturalisation des étrangers de Bakassi n'est pas le moyen ultime.

462 Cf. Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 264.

463 Le 14 août est la date de tenue d'une cérémonie officielle à Calabar symbolisant le retrait définitif l'armée nigériane et le transfert d'autorité au Cameroun sur la péninsule de Bakassi. Même si le 14 août 2006 s'était tenue dans la localité d'Akwa une cérémonie marquant le retrait partiel de l'armée nigériane.

464 Voir l'art.1er de la convention de l'ONU du 30 août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.

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B. L'octroi de droits politiques limités aux ressortissants nigérians

En vue de consolider l'appartenance légale de Bakassi au Cameroun et, dissiper par-là l'impression que cette zone est camerounaise moins par la population que par le territoire, il est nécessaire de mettre en oeuvre l'imprégnation de l'identité camerounaise chez ceux des ressortissants nigérians qui ont décidé de conserver leur nationalité. Cela est en effet possible par le dépassement du paradigme de la nationalité et de la citoyenneté comme facteurs d'exclusion dressant des limites à la participation politique de certains individus au sein de la communauté465. Ce qui suivrait serait la définition d'une citoyenneté de résidence subsidiaire exceptionnellement pour la zone de Bakassi.

Dans cet ordre d'idées, loin de souscrire forcément à l'idée selon laquelle « la nationalité ne saurait continuer à servir de critère d'appréciation de l'appartenance au cercle des citoyens politiques »466, l'octroi de droits politiques limités, notamment le droit de vote, à ces étrangers semble envisageable467 ; car, comme l'affirme Andres Hervé, « le droit de vote des étrangers permettrait de favoriser l'intégration, et serait la première marche d'un processus qui aboutirait, par exemple, à la naturalisation »468.

Au demeurant, la définition de droits politiques au profit des ressortissants étrangers à Bakassi devrait obéir à divers critères :

D'abord le critère de résidence et de sa durée, qui se justifierait par le fait qu'un grand nombre d'étrangers nigérians sont nés à Bakassi et/ou y sont établis depuis de nombreuses années ; ce qui fait à ce propos de la notion d'étranger une notion difficile à cerner dans ce cas précis 469 . En vertu du critère de la durée de la résidence, plusieurs contours sont

465 Lire à ce propos Jean Leca, « La citoyenneté entre la nation et la société civile », dans Dominique Colas, Claude Emeri, Jacques Zylberberg (dir.), Citoyenneté et nationalité. Perspectives en France et au Québec, Paris, PUF, 1991, p. 479.

466Cf. Sandrine Maillard, L'émergence de la citoyenneté sociale européenne, op. cit., p. 423.

467 Historiquement, cette hypothèse fut consacrée en France par la Constitution montagnarde, jamais appliquée, du 24 mai 1793. Son art. 4 accordait des droits politiques à « tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant... ». Par la suite, les droits de vote et d'éligibilité ont été accordés aux étrangers dans plusieurs pays, notamment l'Irlande en 1963, le Danemark en 1981 et les Pays-Bas en 1985.

468 Hervé Andres, « Le droit de vote des étrangers. Etat des lieux et fondements théoriques », op cit. , p. 227.

469 Il est évident que l'essentiels des ressortissants nigérians vivant dans la presqu'île de Bakassi ne se considèrent pas comme étant des étrangers dans ce territoire, compte tenu du fait qu'ils y sont nés et qu'ils ont été pendant plusieurs années soumis à l'autorité de leur Etat d'origine, le Nigéria en l'occurrence. Logiquement on n'est pas étranger dans un territoire administré par des autorités de son pays d'origine.

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envisageables. Premièrement, les droits politiques sus évoqués ne doivent être que l'apanage des ressortissants nigérians qui sont nés dans cette zone et qui y justifient d'une résidence continue.

Deuxièmement, pour ceux des ressortissants nigérians qui ne sont pas nés à Bakassi, mais qui s'y sont installés à un moment donné, la durée de la résidence nécessaire peut donc être déterminée à partir de certains points de référence tous liés aux principales séquences du dénouement diplomatico-judiciaire du conflit ayant opposé le Cameroun au Nigéria470. En tout état de cause, le cadre temporel devant être retenu dans ce cadre ne doit pas être postérieur à la date de l'acquisition par le Cameroun de sa pleine souveraineté sur le territoire de Bakassi, c'est-à-dire le 14 août 2013.

Ensuite, le critère de la nature de l'élection porte sur la représentation des ressortissants nigérians à l'échelon de l'élection municipale au maximum. Ce scrutin est en général le degré le plus élevé de représentation politique des ressortissants étrangers dans leur pays d'accueil471. Même l'union européenne, en dépit du niveau avancé de l'intégration entre ses pays membres n'a pas consacré mieux que cela, à l'exception des élections européennes472.

Enfin, le critère de l'éligibilité ou non. A ce sujet, le droit d'éligibilité peut consister en la fixation d'un quota maximal de représentation des ressortissants nigérians au sein de l'organe délibérant de la commune473. Un droit à l'éligibilité de portée limitée, marqué par un accès ouvert d'une part au conseil municipal, et fermé d'autre part aux fonctions de chef ou d'adjoint de l'exécutif communal.

470 Les différentes séquences du conflit frontalier entre le Cameroun et le Nigéria sont constituées dans un ordre chronologique par la décision de la CIJ le 10 octobre 2002, la signature de l'accord de Greentree le 12 juin 2006, l'accord de Calabar du 14 août 2008 et la fin du régime spécial transitoire le 14 août 2013.

471 Dans cette optique les scrutins présidentiel et législatif et les référendums sont exclus de ce champ.

472 Le traité de Maastricht du 7 février 1992 prévoit en effet que les citoyens de l'Union disposent d'un droit de vote et d'éligibilité pour les élections municipales et européennes dans l'Etat membre où ils résident et dont ils ne sont pas ressortissants.

473 Le quota maximal légalement défini devrait dans ce sens correspondre à un nombre de conseillers bien déterminé à l'avance, sur la base du nombre total de conseillers que compte la commune en question.

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Conclusion du chapitre

Au Cameroun, la déconnexion du lien traditionnel entre appartenance à la Nation et citoyenneté découle de deux phénomènes différents.

L'interdiction de la double nationalité instaure un schisme, elle montre en effet que la citoyenneté et la nationalité sont bâties autour de principes figés et endurcis dont le rendement a été ni plus ni moins que l'expurgation des camerounais d'origine du berceau de leurs ancêtres. Pourtant la force transcendante que véhicule l'idée de Nation est restée agissante chez ces derniers. Dès lors, pour recoller les morceaux de la citoyenneté brisée, la reconnaissance de la double nationalité se présente comme un enjeu de taille qui viendrait par ailleurs réconcilier une Nation et ses enfants, c'est-à-dire les camerounais d'origine ; afin que, plus que jamais, les auspices de rassemblement de tous les fils et filles de la Nation autour d'un destin commun soient promus.

Par ailleurs, le démantèlement du lien citoyenneté nationalité est scruté dans la faiblesse de l'ancrage à la fois de la nationalité et de la citoyenneté camerounaises à Bakassi qui, du fait de l'imposante démographie nigériane dans cette zone, sont désormais placées sur une sorte de qui-vive. C'est la raison pour laquelle elles doivent bénéficier d'une attention tout à fait particulière, car il y va de la préservation de la souveraineté du Cameroun sur ce territoire. Dans ce sens, il s'ouvre bien de perspectives ouvertes à la citoyenneté et à la nationalité à Bakassi doivent toutes, au-delà de tout, concourir à promouvoir l'identité nationale camerounaise.

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CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

En somme, il faut souligner que la citoyenneté camerounaise, inscrite dans une inéluctable dynamique évolutive, a connu et connait encore des fortunes diverses. Entre fragmentation et désagrégation, elle apparait plus que jamais exposée à la force des vents des changements politiques, juridiques, sociaux et culturels.

D'une part, la citoyenneté a connu une inflexion vers la différenciation. Cette orientation s'inscrit dans une logique plus ou moins contradictoire ; car elle se situe d'une part aux antipodes des aspirations de construction de la démocratie et d'érection d'une République forte où les citoyens revêtent un visage et des attributs identiques ; d'autre part, la différenciation s'inscrit comme une étape de la construction de ladite citoyenneté.

Toujours dans une logique dynamique, la citoyenneté est désormais sur le coup de se détacher d'un de ses plus forts alliés, à savoir l'appartenance à la Nation. Laquelle est entendue comme le lien de nationalité. Cette occurrence a pour effet de bouleverser véritablement les fondations de la Nation camerounaise, dont le chantier de la construction n'est pas encore achevé. Dans cette situation, la citoyenneté se fraye difficilement un chemin ; car en fait, elle ne peut manquer de subir les balbutiements et les lacunes qui marquent la construction de l'Etat-nation camerounais.

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CONCLUSION GENERALE

L'entreprise de caractérisation de la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais nous a amené à décrypter les voies par lesquelles elle est prise en charge. Employée dans l'oeuvre de conceptualisation de la citoyenneté, il nous a semblé judicieux d'inscrire notre étude dans une vision holistique ; ce qui a permis certes d'aborder les aspects parcellaires de la citoyenneté, tout en essayant cependant de les dépasser et de les synchroniser.

La citoyenneté est le produit d'une construction historique qui est partie de l'émergence de la flamme de la conscience citoyenne du sujet indigène et s'est poursuivie au fil des aménagements textuels. Elle émerge véritablement à l'aube de l'accession de l'Etat à la souveraineté internationale. Dès lors, sa saisine et son encadrement par le constitutionnalisme naissant furent immédiats. D'ailleurs, il faut souligner à ce propos que l'intégration de la citoyenneté dans le processus de renforcement des bases du nouvel Etat était nécessaire ; car la citoyenneté « revêt un statut de primauté dans toutes les fins [...] sociétales »474.

En ce sens, au regard du constitutionnalisme camerounais, la citoyenneté se caractérise par un ancrage certain475.

Dans un premier temps, les différentes constitutions ont bâti et renforcé au fil du temps un arsenal juridique des droits et devoirs du citoyen, qui a connu un enrichissement notoire à la suite de l'avènement des courants démocratiques et des droits et libertés fondamentales. A ce niveau seulement, l'essentiel, ou encore, le squelette de la citoyenneté est perceptible.

Mais, le constituant a aussi voulu attribuer à la citoyenneté un rôle encore plus fonctionnel476. C'est dans ce sillage que nous avons montré comment elle est promotrice de l'intérêt général, car il n'existe pas de citoyenneté pour la citoyenneté. Cette dernière ne sera utile que si elle permet de sauvegarder les acquis du vivre ensemble. Lesquels, dans le

474 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit., p. 155.

475 Alain Didier Olinga dans « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais », op. cit. , parle dans de ce sens du citoyen comme étant au « coeur du constitutionnalisme camerounais ».

476 Malinowski étudie la notion de fonction à travers le postulat du système social global, dans lequel ses éléments remplissent chacun un rôle et sont interdépendants. Voir Madeleine Grawitz , op. cit., p. 242.

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contexte camerounais, se résument en l'unité nationale et la République des valeurs fondamentales transcendantes des aspirations communautaires ethno régionales entre autres.

Par rapport à cette mission suprême, nous avons pu identifier la connexion entre l'intérêt général et la société civile. Analysant le déploiement de cette dernière, l'on s'est aperçu que son action déterminante permet de faire ressortir les avantages de la citoyenneté collective. En effet, en tant la société civile se place à la fois dans la posture de porte-parole des citoyens et d'interlocuteur des gouvernants.

Analysant par ailleurs la portée du lien indéniable entre la citoyenneté et l'intérêt général, nous avons pu constater sa déstabilisation par la montée de l'individualisme au Cameroun. Désormais la citoyenneté est en crise ; sa perte de vitesse semble être due aussi au dévoiement de la participation politique. Il s'en suit que la recapitalisation de la citoyenneté doit passer par l'ouverture constante de possibilités de participation citoyenne.

En outre, pour montrer le caractère dynamique de la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais, nous avons recensé les éléments qui ont ou sont susceptibles de modifier ses bases structurantes telles que l'égalité, l'universalité et l'appartenance à la Nation.

De là, nous avons montré le caractère différencié de la citoyenneté, qui instaure dès lors le paradoxe dans l'idée de République.

Sous ce prisme, nous avons démontré l'implosion de la citoyenneté républicaine par la consécration des minorités et des populations autochtones. Relevant au préalable que cette reconnaissance participait d'une certaine accommodation à la diversité sociologique et culturelle qui caractérise le Cameroun, il a été démontré à termes que cela a gravement désagrégé la citoyenneté. En ce sens, en relevant l'imprécision constitutionnelle des notions de minorité et de populations autochtones, comme traductrice d'une réserve du constituant, nous avons par ailleurs soutenu l'idée du démantèlement de la règle fondamentale de l'égalité en droits des citoyens par l'existence de divers mécanismes de discrimination positive.

Par ailleurs, pour montrer que la citoyenneté ne se caractérise pas par une certaine homogénéité, nous avons identifié dans le droit électoral des éléments de distanciation entre les citoyens. Cela nous a permis de constater d'une part que l'égalité des citoyens en sort atténuée, privant un certain nombre d'individus de la plénitude la citoyenneté.

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Au demeurant, nous avons analysé l'évolution difficile de la citoyenneté, déconnectée, qu'elle est devenue, de l'appartenance à la Nation. Cette déconnexion en effet, apparait sous deux visages.

Premièrement, la négation de l'appartenance à la nation des camerounais d'origine est appréhendée comme un facteur d'exclusion. Mais par la démonstration du rattachement patent, liée à leur origine, nous avons abouti à la conclusion que le refus de la double nationalité était anachronique et que la perspective logique serait la reconnaissance de la citoyenneté hybride par la voie de la double nationalité.

Dans le même cadre, la situation démographique qui prévaut dans le territoire camerounais de Bakassi, marquée par la forte démographie nigériane, serait susceptible de déboucher sur une confusion réelle. En effet, se prévaloir opportunément de la nationalité camerounaise sans pour autant se sentir camerounais dans son affect, remet en cause la substance du sentiment d'appartenance à la Nation. C'est pourquoi, nous avons suggéré des pistes par lesquelles la garantie de l'intégrité de la citoyenneté camerounaise pourrait se faire.

A la fin, il est à noter que la thématique de la citoyenneté reste un objet d'étude important, d'autant qu'elle se construit tous les jours au gré des évolutions de l'Etat.

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ANNEXES

Annexe 1 : Proposition de loi modifiant et complétant la loi no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise.

Annexe 2 : Lettre des députés au Président de la République Paul Biya en vue de la réforme de la no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise.

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Annexe 1 : Proposition de loi modifiant et complétant la loi no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise.

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Annexe 2 : Lettre des députés au Président de la République Paul Biya en vue de la réforme de la no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise.

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· MATIGI (A. M.), Problématique de la politique de l'équilibre régional au Cameroun à l'ère de la démocratie pluraliste : Analyse des bases justificatives en matière de concours administratifs, mémoire de DEA de l'université de Yaoundé II-Soa, année 1998 / 1999.

· MBALLA OWONA (R.) La notion d'acte administratif au Cameroun, Thèse de doctorat de l'université de Yaoundé II Soa 2010, 753p.

· MORTIER (P.), Les métamorphoses de la souveraineté, thèse de doctorat de l'université d'Angers, 2011, n° 1125, 473 p.

· SOBZE (S. F.), La dignité humaine dans l'ordre juridique africain, thèse de doctorat de l'université de Yaoundé II-Soa, 2013, 573 p.

V- SUPPORTS METHODOLOGIQUES

· BEAUD (M.), L'art de la thèse, Paris, coll. Grands répères, La découverte, 5e éd., 2006, 202p.

·

154

GRAWITZ (M.), Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 11e éd, 2001, 1019 p.

VIII- JURISPRUDENCE

· Affaire Ndongo née Mbonzi Ngombo, CS/CA du 27 octobre 1994.

· Avis consultatif de la CIJ sur la réparation des dommages subis au service des Nations Unies du 11 avril 1949.

· Arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 sur l'affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria.

IX- TEXTES OFFICIELS

A. Textes internationaux


· Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 26 juin 1981.

· Accord de Calabar du 14 août 2008 entre le Cameroun et la République fédérale du Nigéria sur le retrait et de transfert d'autorité.

· Accord de Greentree entre la république du Cameroun et la république fédérale du Nigeria concernant les modalités de retrait et de transfert d'autorité dans la presqu'ile de bakassi du 12 juin 2006.

· Convention n° 989 U.N.T.S. 175 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée par l'Assemblée Générale des nations unies, le 30août 1961.

· Déclaration universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948.

B. Constitutions

· Constitutions camerounaises du 04 mars 1960 et du 1er septembre 1961 et du 02 juin 1972.

· Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972 modifiée et complétée par loi n°2008/001 du 1 4 avril 2008.

· Constitution des Etats-Unis d'Amérique.

·

155

Constitution tchadienne du 31 mars 1996.

· Constitution togolaise de 2002.

· Constitution de la République du Congo du 20 janvier 2002.

C. Lois

· Loi no 2004/017 du 22 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation.

· Loi n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicable aux communes

· Loi no 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions.

· Loi no 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral du Cameroun.

· Loi 68 / NF/13 du 11 juin 1968 portant code de la nationalité au Cameroun.

· Loi no 90/053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de réunion et d'association.

· Loi no 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de la communication sociale.

· Loi no99/014 du 22 décembre 1999 régissant les organisations non gouvernementales.

D. Décrets et arrêtés

· Décret no 2000/158 du 03 avril 2000, fixant les conditions et les modalités de création et d'exploitation des entreprises de communication audiovisuelle.

· Décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de l'Etat, modifié et complété par le décret n° 2000/287 du 12 octobre 2000.

· Décret no 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général des concours administratifs au Cameroun.

156

TABLES DE MATIERES

INTRODUCTION GENERALE 1

I. DETERMINATION DU SUJET 2

A. Précisions terminologiques 2

1. La notion de citoyenneté 2

2. Citoyenneté et nationalité 4

B. Les cadres théorique et spatio-temporel de l'étude 7

1. Le cadre théorique du sujet . 7

2. Le cadre spatio-temporel 8

II. L'INTERET DE L'ETUDE 9

III. LA METHODE RETENUE PAR L'ETUDE . 10

A. Le positivisme juridique . 10

B. Le positivisme sociologique 11

IV. LA PROBLEMATIQUE .. 12

V. L'ANNONCE DU PLAN 13
PREMIERE PARTIE : L'ANCRAGE CONSTITUTIONNEL DE LA

14

CITOYENNETE AU CAMEROUN

CHAPITRE I : LE REGIME DES DROITS ET DEVOIRS ATTACHES

16

A LA CITOYENNETE

SECTION I : LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DES DROITS

17

ATTACHES AU STATUT DU CITOYEN

Paragraphe 1 : Les droits et libertés civils et politiques du citoyen camerounais 17

A. Les droits et libertés civils du citoyen . 18

1. Les libertés physiques 18

2. Les libertés intellectuelles ou de l'esprit 20

a) La liberté de réunion et d'association 20

b) La liberté de communication 21

c) La liberté de culte . 22

157

B. Les droits politiques du citoyen 23

1. Le droit de vote 23

2. Le droit à l'éligibilité 25

Paragraphe 2 : Les droits économiques, sociaux et culturels du citoyen 28

A. Les droits économiques du citoyen . 28

1. Le droit de propriété 28

2. Le droit au travail 30

3. La liberté d'entreprendre . 31

B. Les droits sociaux 31

1. Le droit à la santé 32

2. Le droit à l'éducation . 33

C. Les droits culturels du citoyen . 34

SECTION II : LA PRESCRIPTION DE DEVOIRS A LA CHARGE DU CITOYEN .. 36

Paragraphe 1 : Les devoirs du citoyen au plan socio politique . 36

A. L'obligation de respect de la loi 37

1. Les citoyens comme auteurs de la loi . 37

2. Le respect de la loi comme la garantie d'une vie sociale organisée 39

B. Le devoir de défense de la patrie 40

1. La formulation théorique du devoir de défense 40

2. Les aspects du devoir de défense de la patrie 41

Paragraphe 2 : Les devoirs du citoyen au plan économique 43

A. Le devoir de payer les impôts . 43

B. Le devoir de travailler 45

CONCLUSION DU CHAPITRE 47

CHAPITRE II : LA CONSECRATION D'UNE CITOYENNETE PROMOTRICE DE

48

L'INTERET GENERAL

SECTION I : LA CENTRALITE DU LIEN CITOYENNETE-INTERET GENERAL 49

Paragraphe 1 : La construction de l'intérêt général autour de l'idéal d'unité nationale .. 49

A.

158

La nation comme communauté de citoyens 50

B. Les valeurs comme socle de la citoyenneté collective 52

1. Les valeurs consacrées par le préambule de la constitution 52

a). La fraternité 52

b). La justice . 54

2. Les valeurs contenues dans la devise de l'Etat . 55

Paragraphe 2 : La connexité entre l'intérêt général et l'action de la société civile 56

A. La formulation du lien 57

B. Les mécanismes de promotion de l'intérêt général par la société civile 59

1. L'information et la communication 59

2. Le plaidoyer 61

3. Le contrôle de la gestion des affaires publiques . 62

SECTION II : LE DENI DE CITOYENNETE PAR LES ATTEINTES

63

A L'INTERET GENERAL .

Paragraphe 1 : L'individualisme comme une atteinte à la citoyenneté républicaine .. 63

A. Les dérives de l'individualisme au Cameroun . 64

1. La déstructuration des rapports du citoyen à la société globale : le dépérissement

64

des valeurs collectives

2. La « privatisation » du service public 66

B. La remise en cause de la cohésion sociale 67

Paragraphe 2 : La réalisation de l'intérêt général au travers de la participation politique..... 68

A. La participation politique comme un moyen de prise en main

69

de l'intérêt général par le citoyen .

1. L'enjeu . 69

2. Les limites 71

B. De nouvelles perspectives de participation politique à l'aune

72

de la décentralisation au Cameroun .

CONCLUSION DU CHAPITRE . 74

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 75

SECONDE PARTIE : LE DYNAMISME DE LA CITOYENNETE EN DROIT

76

CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS

159

CHAPITRE I : LA CITOYENNETE DIFFERENCIEE 78

SECTION I : LA RECONNAISSANCE DES MINORITES ET DES POPULATIONS

AUTOCHTONES 78

Paragraphe 1 : Du souci de l'objectivation de la diversité culturelle à l'émergence

d'une citoyenneté à double vitesse . 79

A. La dynamique assimilation-différenciation 79

B. Minorités et population autochtones : catégorie de citoyens sui generis 83

1. L'imprécision constitutionnelle des notions de minorités

et de populations autochtones . 83

a). S'agissant de la notion de minorité . 84

b). S'agissant de la notion d'autochtones 85

2. La fragmentation de la citoyenneté républicaine . 87

Paragraphe 2 : la fragmentation de la citoyenneté au travers

de la discrimination positive 90

A. Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics 90

1. La réception du principe en droit national 90

2. Le contenu du principe proprement dit . 91

B. Le principe d'égale admissibilité aux emplois publics à l'épreuve

de la règle de l'équilibre régional 92
SECTION II : LA DIFFERENCIATION DE LA CITOYENNETE

AU TRAVERS DU DROIT ELECTORAL 95
Paragraphe 1 : Les découpages électoraux comme source d'exercice inégalitaire

de la souveraineté 95

A. L'usage politique de la technique du découpage électoral spécial . 96

B. L'exercice inégalitaire de facto de la souveraineté 98

Paragraphe 2 : L'existence de distinctions entre les citoyens par le droit à l'éligibilité . 101

A. Les cas d'inéligibilité liés à la qualité de citoyen d'adoption 101

1. L'inéligibilité absolue des citoyens d'adoption aux élections présidentielle

et sénatoriale . 102

160

2. La période de probation, préalable à la jouissance par les citoyens d'adoption

103

du droit à l'éligibilité aux autres élections politiques

B. Les disparités entre citoyens inhérentes à la candidature indépendante aux élections 105

1. L'exclusion de la candidature indépendante aux élections locales 105

2. Les pesanteurs de la candidature de la candidature indépendante à l'élection

106

présidentielle .

CONCLUSION DU CHAPITRE 108

CHAPITRE II : LA DISSOCIATION DU LIEN ENTRE APPARTENNACE

109

A LA NATION ET CITOYENNETE ..

SECTION I : L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITE 109

Paragraphe 1 : L'infléchissement de la Nation du fait de l'interdiction de la double

nationalité 109

A. La négation de l'appartenance des camerounais d'origine à la Nation . 110

1. Le contenu de l'interdiction de la double nationalité 110

2. Les probables raisons de l'interdiction de la double nationalité 111

B. La matérialisation concrète de l'appartenance des camerounais d'origine à la Nation 113

1. La persistance du lien affectif . 114

a). L'origine camerounaise comme fondement du lien affectif 114

b). La manifestation du lien affectif 116

2. L'expression du lien de solidarité . 118

Paragraphe 2 : Les implications d'une éventuelle reconnaissance de la double

120

nationalité au Cameroun

A. La réintégration dans la nationalité camerounaise . 121

B. Les axes d'aménagement de la double citoyenneté 123

1. La garantie de l'allégeance des citoyens binationaux

123

à l'égard de l'Etat du Cameroun .

2. Les aménagements relatifs à la protection diplomatique 124
SECTION II : LE FAIBLE ENRACINEMENT DE LA NATIONALIT

161

CAMEROUNAISE DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI 12 6

Paragraphe 1 : La perméabilité de la nationalité camerounaise dans la presqu'île de Bakassi 126

A. Les risques d'infiltration de la citoyenneté camerounaise 126

B. La nationalité camerounaise à l'épreuve de la forte démographie nigériane à

Bakassi : Les enjeux 129

1. Les enjeux propres à l'Etat et aux ressortissants nigérians 129

2. Les enjeux liés à l'Etat du Cameroun 132

Paragraphe 2 : Les perspectives d'ancrage de la citoyenneté camerounaise à Bakassi . 134

A. La mise sur pied de mécanismes exceptionnels d'accès à la nationalité

camerounaise . 134

B. L'octroi de droits politiques limités aux ressortissants nigérians 136

CONCLUSION DU CHAPITRE . 138

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE . 139

CONCLUSION GENERALE .. 140

ANNEXES . 143

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 147

TABLE DES MATIERES 154






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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera