REPUBLIQUE DU CAMEROUN Paix-Travail-Patrie
UNIVERSITE DE DOUALA
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REPUBLIC OF CAMEROON
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UNIVERSITY OF DOUALA
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FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES
P.O. BOX : 4982 Dla. Tél/Fax : 233 40 11 28
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FACULTY OF LAW AND POLITICAL SCIENCES
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Année académique 2012 -2013
Sujet : LA CITOYENNETE EN DROIT
CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS
Mémoire de Master II Recherche en droit
public
.
Option : Droit public interne
Présenté et soutenu publiquement
par NGASSAM KANGUE Ampère Romuald
Sous la direction de
WANDJI K. Jérôme Francis
1
INTRODUCTION GENERALE
Avec l'avènement de l'Etat au Cameroun le
1er janvier 1960, le concept de citoyenneté connait tout
aussi son émergence. En effet, du statut de sujets coloniaux, les
populations camerounaises vont automatiquement acquérir le plein statut
de citoyen de la République du Cameroun, le nouvel Etat
indépendant. Mais il est convenu que la citoyenneté est une
notion dynamique dans sa nature et ses fonctions. Cela signifie que la
citoyenneté doit se muer dans l'environnement et le contexte de l'Etat.
Autrement dit, la conception de la citoyenneté de l'indépendance
du Cameroun à nos jours a profondément évolué.
C'est fort de cette prédestination de la
citoyenneté à l'évolution que le législateur
camerounais a adopté une loi autorisant le vote des citoyens camerounais
établis ou résidant à l'étranger1,
mettant ainsi fin à une longue et vive revendication d'acteurs divers.
En dépit de cela, le débat sur la citoyenneté reste
permanent, relativement par exemple aux questions de la reconnaissance de la
double nationalité et de la consécration constitutionnelle des
notions de minorité et d'autochtonie2, dont la discussion fut
d'ailleurs parmi les âpres lors des débats en vue de la
réforme constitutionnelle de 19963.
Il s'ensuit dès lors que la citoyenneté est loin
d'être une notion située, mais suit le chemin de la
conceptualisation progressive. C'est dans ce contexte que s'inscrit notre
étude portant sur la citoyenneté en droit constitutionnel
camerounais.
Ainsi, pour assurer une plus grande compréhension de
notre sujet, il conviendra tout d'abord d'en assurer la
détermination.
1 Il s'agit de la loi n° 2011/013 du 13
juillet 2011 relative au vote des citoyens camerounais établis ou
résidant à l'étranger, abrogée par la loi
no 2012/001 du 19 avril 2012, portant code électoral de la
République du Cameroun ; qui reprend en son art. : « Les citoyens
camerounais établis ou résidents à l'étranger
exercent leur droit par la participation à l'élection du
président de la république et au référendum
».
2 Voir le préambule de la loi constitutionnelle
no 96/06 du 18 janvier 1996
3 Joseph Owona, Droits constitutionnels et
institutions politiques du monde contemporain, Paris, L'Harmattan, 2010,
p. 82.
2
I. DETERMINATION DU SUJET
La détermination de notre sujet consistera d'abord
à opérer quelques précisions terminologiques (A) avant
d'analyser ses cadres théorique et spatio-temporel (B).
A. Les Précisions terminologiques
Pour un meilleur éclairage terminologique du sujet
objet de l'étude, il convient de définir la notion de
citoyenneté d'une part (1), et d'autre part la confronter en particulier
à la notion voisine de nationalité (1).
1. La notion de
citoyenneté
Le terme citoyenneté a pour radical citoyen. C'est donc
à partir de ce dernier que nous retracerons l'historique du premier. Son
étymologie est tirée du terme latin civis, qui signifie
« celui qui a droit de cité ».
Les origines les plus anciennes du terme citoyen remontent
à l'Egypte antique. En effet, sous les « Lagides
», avec la création de grandes cités
telles Alexandrie, le citoyen est celui qui appartient à l'élite
macédonienne4.
Dans sa conception moderne, la notion de citoyen
découle de la Grèce antique. Le citoyen est une composante de la
cité grecque ou « polis ». Il définit celui
qui participe aux décisions de la cité et aux débats de l'
« agora »,
c'est-à-dire le grand forum des citoyens. Aristote affirme
d'ailleurs que : « dans le mesure où quelqu'un a le droit de
participer au conseil et de siéger dans les tribunaux, nous lui donnons
le nom de citoyen de la cité à laquelle il appartient
»5. L'on retient donc que le trait qui distingue le citoyen des
esclaves et des métèques, eux aussi membres de la
cité6, est que le premier « participe aux charges
honorifiques »7.
4 Cf.
http://fr.wikipédia.org
(consulté le 10 juillet 2012 à 17h20).
5 Aristote, La politique, Paris, Hermann,
éditeurs des sciences et des arts, traduction nouvelle, 1996, p.71.
6 Aristote fait remarquer qu' « on n'est pas
citoyens simplement par le fait d'être domicilié dans une
cité : Les métèques et les esclaves y ont aussi un
domicile ». Lire Aristote, La politique, op. cit. p.69.
7 Ibid., p.79.
3
Le statut de citoyen dans la Rome antique diffère de
celui des cités grecques. En effet, la citoyenneté romaine est
définie en termes juridiques. Ainsi, le civis romanus,
c'est-à-dire le citoyen romain, dispose de droits civils et personnels.
Pour les romains la citoyenneté n'est pas liée à un
critère d'origine ethnique ; les étrangers peuvent
également accéder à la citoyenneté.
Avec les révolutions américaine, anglaise et
française, le terme citoyen renvoie à l'égalité de
droits entre les hommes. L'idée de sujet disparait. La
citoyenneté apparait de plus en plus comme une manifestation de valeurs
et de droits fondamentaux tels que la démocratie, la liberté,
l'égalité. Elle devient aussi un incubateur d'actions et
d'interactions à caractère politique, économique, social
ou culturel au sein de la société.
De même, bien qu'éminemment juridique, la notion
de citoyenneté a des racines sociologiques. En effet l'historien et
sociologue britannique T.H. Marshall (1893-1981) est reconnu comme l'un des
premiers, sinon le premier avoir théorisé le concept moderne de
citoyenneté. En fait, « la plupart des analyses contemporaines de
la citoyenneté trouvent leur source dans une conférence que T.H.
Marshall prononça en 1949 »8. Cet auteur expose, lors de
cette conférence intitulée « citizenship and social
class », que « la citoyenneté constitue avant tout un
statut juridique, lié à l'attribution ou à l'obtention de
droits dotés d'une validité empirique. Mais elle forme aussi une
représentation, un idéal fondé sur des croyances et
valeurs spécifiques »9.
Dans l'un de ses travaux sur la citoyenneté, le Pr.
Alain Didier Olinga relevait l'idée de Nicolet, qui affirmait que :
« Le citoyen est le produit d'une construction rationnelle, c'est-à
dire qu'il doit son existence à un combat constant et au
déploiement de la raison »10. Cet auteur poursuivait par
ailleurs que : « la citoyenneté est une condition de
réalisation de
8 Guy Rocher, « Droits fondamentaux, citoyens
minoritaires, citoyens majoritaires » in Michel Coutu, Bosset
Pierre, et al. , Droits fondamentaux et citoyenneté. Une
citoyenneté fragmentée, limitée, illusoire.
Montréal, Thémis, 2005, pp. 23-41, (spéc. p. 25).
[document numérique] disponible sur
http://www.thémis.umontréal.ca.
9 Michel Coutu, « Introduction : Droits
fondamentaux et citoyenneté », in Michel Coutu, Bosset
Pierre, et al. , Ibid., pp. 1-20, (spéc. p.
7).
10 Cf. C. Nicolet, L'idée
républicaine en France, essai d'histoire critique. Paris,
Gallimard, 1982, p. 483. Cité par Alain Didier Olinga in Alain
Ondoua (dir.), « La constitution camerounaise du 18 janvier
1996 : Bilan et perspectives », Yaoundé, Afrédit, 2007,
pp.155-166, (spéc. p. 155).
4
l'homme et, à ce titre, revêt un statut de
primauté dans toutes les fins individuelles et sociales
»11.
Le Pr. Alain Didier Olinga décèle d'ailleurs
à travers le texte constitutionnel camerounais deux dimensions de la
citoyenneté : une collective et l'autre individuelle.
La première renvoie aux notions de peuple, de nation et
de patrie, et recouvre l'idée du vivre ensemble dans un univers
politique ou culturel commun dont les membres peuvent influencer son
fonctionnement et est adossée sur un sentiment d'appartenance
générateur d'un esprit de solidarité.
Par contre, la seconde dimension concerne l'être
individuel titulaire de droits et d'obligations. De là découle
l'idée selon laquelle c'est l'assurance de la garantie des droits
sociaux, culturels accessoirement, et, principalement des droits civils et
politiques, qui confère à l'individu le statut du citoyen. Ainsi
il n'y a pas de citoyenneté sans détention de libertés et
droits fondamentaux. C'est d'ailleurs là la raison d'être de la
disposition selon laquelle « L'Etat garantit à tous les citoyens de
l'un et de l'autre sexe, les droits et libertés
énumérés au préambule de la Constitution
»12. La citoyenneté est donc l'assurance, mieux, la
matrice de la garantie des droits fondamentaux de l'individu.
Au vu de toutes les définitions évoquées
ci-dessus, l'on retient finalement que la citoyenneté est le statut
accordé à l'individu au sein de l'Etat, lui conférant
ainsi la détention et l'exercice des droits civils et politiques,
économiques, sociaux et culturels. Elle confère notamment la
capacité d'élire et de se faire élire et permet à
cet effet la participation à l'exercice de la souveraineté par
les membres de la communauté politique tant au plan national que
local.
2. citoyenneté et
nationalité
La notion de citoyenneté est voisine de celle de
nationalité. Parce que touchant toutes les deux, plus ou moins
différemment, au lien qui s'établit entre les habitants et la
communauté politique à laquelle ils appartiennent, les notions de
citoyenneté et de nationalité se confondent souvent. C'est ce qui
justifie leur interchangeabilité, qui ne doit cependant pas voiler leur
différence de sens. Il importe nécessairement de dégager
une terminologie pour
11 Ibidem, p.155.
12 Cf. le préambule de la Constitution
du Cameroun.
5
chacune de ces notions qui soit le plus possible correcte et
qui puisse faciliter leur compréhension et leur emploi.
Dans un premier sens, citoyenneté et nationalité
se recouvrent presque entièrement. Lorsque dans un Etat donné la
communauté des individus qui forment la nation, différents des
étrangers, est unie par des éléments tels que la langue,
la culture, la religion et la race communes, dans cette optique
citoyenneté et nationalité ne font qu'un. Cela signifie que tous
les citoyens d'un pays sont en principe les nationaux de celui-ci, et, seuls
les nationaux en sont des citoyens. Dans cette optique, une notion est
indifféremment utilisée pour désigner
l'autre13. Ainsi, dans la batterie de droits fondamentaux reconnus
et garantis à tout individu de par sa nature humaine14, il
existe une catégorie substantielle de droits destinés
exclusivement aux citoyens ou aux nationaux.
A l'état actuel du droit positif camerounais, le droit
de vote et d'éligibilité par exemple ne sont pas reconnus aux
étrangers ; seuls les nationaux en sont détenteurs. L'art. 2 al.
3 de la constitution camerounaise dispose que : « Le vote est légal
et secret ; y participent tous les citoyens âgés d'au moins vingt
(20) ans ». Une disposition analogue existe dans la Constitution
française à son art. 3, qui affirme que : « Sont
électeurs, dans les conditions déterminées par la loi,
tous les nationaux français ». La lecture croisée de ces
deux dispositions donne à constater que les électeurs sont
à la fois des citoyens et des nationaux, ce qui révèle une
certaine similitude entre les nations de citoyenneté et de
nationalité.
Dans un second sens, citoyenneté et nationalité
ne s'assimilent pas dans la mesure où il existe entre les deux une
différence dans les droits à bénéficier. L'individu
ne nait pas forcément citoyen, il ne le devient que lorsque le droit lui
confère ce statut juridique : la citoyenneté est dans cette
optique une sorte de « capacitation juridique » de l'individu. La
nationalité serait quant à elle la connexion nécessaire de
nature juridique entre le sentiment d'appartenance à la
communauté de l'individu avec la faculté de ce dernier à
détenir et à exercer des droits et aussi à être
débiteur d'obligations envers cette même communauté.
13 G. Cornu précise que le mot citoyen est
parfois synonyme de national. Voir G. Cornu, Vocabulaire juridique,
Paris, PUF, coll. Quadrige. Dicos de poche, 7e éd., 2005,
970p.
14 Voir la disposition du préambule de la
Constitution selon laquelle : « Le peuple camerounais proclame que
l'être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de
croyance, possède des droits inaliénables et sacrés
».
6
Dans une autre hypothèse, le concept de
citoyenneté ne renvoie pas à celui de nationalité
lorsqu'on parle de citoyen du monde, expression qui s'inscrit dans le cadre de
la mondialisation. Cette dernière voudrait que les interactions entre
les Etats et les peuples soient suffisamment importantes pour que l'individu ne
se considère plus seulement comme l'entité de la seule aire
géographique, culturelle ou sociale dont il est originaire. C'est en
fait un mouvement de déconstruction des frontières territoriales
des Etats. Or, l'on sait que le cadre spatial de la citoyenneté est en
principe le territoire de l'Etat au sein duquel elle est
générée. Avec la mondialisation, le citoyen dévient
un acteur transnational qui se déploie au-delà des
frontières territoriales bien délimitées. Dans cette
veine, le citoyen du monde n'a pas nécessairement la nationalité
du pays dans lequel il porte des actions.
Au-delà de tout, il est important de retracer
l'évolution de la citoyenneté au Cameroun, d'autant plus que les
habitants des colonies et des territoires sous mandat de la France
n'étaient pas des citoyens français 15 . Dans cette
optique, l'on peut considérer que la revendication de la
citoyenneté camerounaise est le fait de trois entités distinctes
par leur nature.
La première entité est la Jeunesse camerounaise
française (JEUCAFRA) qui, en tant que pionnière des organisations
politiques camerounaises16, va réussir à contourner
l'exclusion des « indigènes » du champ politique17,
et, tenter de fabriquer pour ces derniers une certaine forme de
citoyenneté18.
Par la suite, l'émergence du mouvement syndical donnera
un nouveau tournant au mouvement de revendication populaire. En effet, ce
mouvement est considéré comme une
15 Léon Duguit, Traité de droit
constitutionnel. La théorie générale de l'Etat.
Eléments, fonctions et organes de l'Etat, tome 2, 3e
éd., première partie, 1928, p.16. Dans le même sens, il
faut relever que la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10
décembre 1948 était « mise en veille en ce qui concerne les
ressortissants des pays colonisés ou soumis à une limitation de
souveraineté (tutelle) qui avaient été
écartés [...] du bénéfice des droits et
libertés ». Lire Jérôme Francis Wandji K., «
L'organisation panafricaine dans son raport au principe d'humanité
», Revue juridique et politique, no 4, 2013, pp.
395-431, (spéc. p.414).
16 C'est en fait le 15 décembre 1938 que
remonte la première apparition publique de cette organisation. Lire
à ce sujet Janvier Onana, « Entrée en politique : Voies
promotionnelles de l'apprentissage et de l'insertion politiques des
indigènes'' dans l'Etat colonial au
Cameroun-l'expérience de la JEUCAFRA », polis, R.C.S.P./C.P.S.R.,
vol.7, no spécial, 1999-2000.
17 Le Pr. Janvier Onana parle dans ce sens d'un
contexte « de disqualification civique et politique statutaire des
indigènes'' ». Lire Janvier Onana, ibid.,
p.2.
18 Ibid., pp. 11-12.
7
alternative permettant de mobiliser les populations
camerounaises en vue de porter des revendications diverses19
Enfin, le dernier acteur est le mouvement partisan. Certes,
« l'année 1947 vit la création de plusieurs partis
politiques qui poussèrent comme des champignons dans plusieurs
régions du Cameroun français »20.
B. Les cadres théorique et spatio-temporelle du
sujet
La précision du cadre théorique du sujet (1)
servira aisément à délimiter son cadre sptio-temporel
(2).
1. Le cadre théorique du
sujet
L'étude que nous entendons sur la citoyenneté
relève fondamentalement de la théorie du droit, en ce sens
qu'elle sera alimentée par l'analyse directe ou indirecte de certains
concepts fondamentaux du droit constitutionnel tels que la République,
la démocratie, les droits et libertés fondamentaux ou la
Nation21.
De par l'intitulé de notre sujet, à savoir la
citoyenneté en droit constitutionnel camerounais, notre étude
s'inscrit plus ou moins fondamentalement dans une démarche
définitoire et de caractérisation de la notion de
citoyenneté.
Ainsi, questionner cette notion reviendra en filigrane
à passer au scanner la démocratie et le système de droits
et libertés fondamentaux en vigueur au Cameroun. En fait, depuis la
Grèce antique, le citoyen occupe une place centrale dans la vie et la
gestion de la cité22. Il met en pratique ses droits et
devoirs dans le cadre d'une société démocratique ; ce qui
lui permet par ailleurs d'exercer la souveraineté et participer ainsi
à la gestion du pouvoir à travers notamment le droit de vote, le
droit à l'éligibilité, le contrôle des gouvernants
et la
19 A ce propos, Abel Eyinga affirmait que : «
ceux qui habitaient à Douala et Yaoundé se souviennent encore de
l'engouement presque hystérique qui s'empara de la population pour la
chose syndicale. De partout jaillissaient les associations professionnelles
[...], un véritablement défoulement ». Lire Abel Eyinga,
Démocratie de Yaoundé, tome 1, Syndicalisme d'abord,
1944-1945, Paris, L'Harmattan, 1985, p.65.
20 Victor A. Max Tamko, Abrégé
d'histoire coloniale du Cameroun 1884-1961, Dschang, Dschang University
Press, p.37.
21 Dans ce sens, Robert Mballa Owona affirme que
« la théorie du droit se nourrit de l'analyse des grandes notions
représentant les principaux instruments utilisés en droit ».
Lire Robert Mballa Owona, La notion d'acte administratif au Cameroun,
Thèse de doctorat de l'université de Yaoundé II Soa, 2010,
p.6.
22 Cf. Aristote, La politique,
op. cit., p.79.
8
désobéissance civique lorsque ses droits sont
menacés. Ainsi donc, cette étude entend analyser
l'effectivité du statut du citoyen comme socle de la
démocratie.
En outre, il faut relever que la citoyenneté est l'un
des éléments consubstantiels de la République, en ce sens
qu'elle constitue le Res publica, c'est la chose de tous. Les citoyens
camerounais sont membres d'une communauté politique enracinée
dans la mystique de ce qu'Ernest Renan désignait comme le « vouloir
vivre ensemble »23. Ainsi, au sein de la République, le
citoyen fonde ses qualités morales sur la recherche de
l'intérêt général. De même, il doit se
caractériser par une adhésion sans limites aux valeurs de la
République, car il ne peut avoir de citoyenneté sans valeurs.
Cette étude ambitionne donc de faire le décryptage de ce lien au
regard du contexte camerounais.
2. Le cadre spatio-temporel
L'intitulé de notre sujet est la citoyenneté en
droit constitutionnel camerounais ; il y transparaît clairement son cadre
géographique : seul le droit positif camerounais nous intéresse,
les droits étrangers ne pourraient être évoqués
qu'à titre de droit comparé, étant donné que «
La méthode comparative est [...] employée à tous les
stades de la recherche. Elle fait partie de l'observation, mais peut aussi
suggérer des hypothèses et parfois même les vérifier
»24.
En ce qui concerne le cadre temporel, il couvre la
période de l'accession du Cameroun à l'indépendance le
1er janvier 1960 à nos jours. Cependant, le point culminant
de notre étude se situera évidemment à partir de 1996. Ce
repère temporel se justifie par le fait qu'il s'est opéré
au Cameroun une réforme constitutionnelle substantielle en date du 18
janvier 1996 ; laquelle a été instauratrice de nouveaux
paradigmes, qui dès lors fortement corrélés à la
notion de citoyenneté. Il s'agit par exemple des concepts de
minorités et de populations autochtones25 ou de
décentralisation territoriale26. Le recours aux
périodes de 1960, 1961 et 1972, années
23 En effet, selon Renan, « La Nation
naît du besoin de vivre en commun, de la communauté
d'intérêts résultant de la cohabitation sur un même
territoire ». Lire Joseph Owona, op. cit., p.19.
24 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 11e éd., 2001, p. 420.
25 Voir le préambule de la constitution du 2
juin 1972, modifiée par loi constitutionnelle no 96/06 du 18
janvier 1996.
26 L'art. 1er al. 2 de la Constitution
du Cameroun dispose que : « La République du Cameroun est un Etat
unitaire décentralisé ».
9
d'élaboration ou de révision de la Constitution,
s'avère fort nécessaire ; car cela nous servira de base à
la conduite d'une démarche évolutive et comparative.
Suite à sa détermination, peut-on seulement
trouver en cette étude une certaine pertinence ?
II. L'INTERET DU SUJET
Traiter du sujet sur la citoyenneté en droit
constitutionnel camerounais permettra de révéler bien de champs
qui méritent d'être étudiés.
Au plan heuristique, il est à préciser que notre
étude entend « contribuer à une avancée dans l'ordre
de la connaissance, de la réflexion, de l'analyse ou de la
création »27.
Dans cet ordres d'idées, considérant en
l'occurrence la récurrence des débats et revendications relatives
à la double nationalité, notre étude tire l'un des
éléments de son originalité en ce qu'elle entend
contribuer à la construction théorique de ce à quoi
pourrait ressembler la « citoyenneté hybride » dans la
perspective de la consécration de la double nationalité au
Cameroun ;d'autant plus que cette forme de citoyenneté a
déjà cours, de façon certes informelle, mais notoire, dans
notre pays. En effet, à l'observation, certaines personnes se
prévalent allègrement de la citoyenneté camerounaise en
dépit du fait qu'elles aient déjà obtenu une
nationalité étrangère en perdant par-là la
nationalité camerounaise. Notre étude peut ainsi servir à
apporter, en termes de perspectives, des bases de la double nationalité
formelle.
L'autre enjeu théorique de notre travail
résidera dans l'analyse qu'elle entend mener sur l'état de la
citoyenneté camerounaise dans une aire géographique
particulière à plusieurs égards du territoire national,
à savoir la presqu'île de Bakassi. Compte tenu de la fin le 14
août 2013 du régime spécial transitoire, prévu par
les accords de Greentree du 12 juin 2006, le Cameroun a entre autres
défis majeurs d'y promouvoir sa nationalité et sa
citoyenneté en vue de faire face à la force démographique
nigériane observable dans cette zone.
Parce que cette étude s'inscrit dans un cadre
scientifique, il nous incombe de lui appliquer une démarche
méthodologique.
27 Michel Beaud, L'art de la thèse,
Paris, La découverte, 5e éd. 2006, p.10.
10
III. LA METHODE RETENUE PAR
L'ETUDE
Toute analyse scientifique d'une notion juridique
nécessite une méthode. La méthode est selon Madeleine
Grawitz le « moyen de parvenir à un aspect de la
vérité »28.
Notre étude s'inscrit dans une démarche
constructiviste, ce qui devra nous conduire à trouver les voies et
moyens pour une adaptation de la citoyenneté aux évolutions de la
société politique et juridique camerounaise. Il nous revient donc
de relever d'abord le statut du citoyen, de l'analyser ensuite et enfin de
dégager des perspectives fortes dans lesquels peut s'inscrire la
citoyenneté au Cameroun. Il s'agit à terme de proposer des
données en vue d'atteindre un saut qualitatif de la citoyenneté
aussi bien aux plans politique, économique, social que culturel.
C'est dans cet objectif que nous ferons recours d'une part au
positivisme juridique, en tant que méthode principale (A). Mais puisque
« le propre de la méthode [...] est d'aider à comprendre au
sens le plus large, non les résultats de la recherche scientifique, mais
le processus de la recherche lui-même »29, nous
ferons aussi appel au positivisme de nature sociologique (B).
A. Le positivisme juridique
Selon la doctrine du positivisme juridique, le droit existe
indépendamment de toute considération sociologique, religieuse ou
morale ; le droit est intrinsèque à l'Etat.
Cette doctrine se contente de présenter les normes telles
qu'elles existent.
Le positivisme juridique est une approche conceptuelle du
droit qui prône l'exégèse et la dogmatique juridique comme
méthodes d'analyse du droit. Il exclut du champ de ce droit le droit
naturel, qui découle de la volonté divine ou des valeurs
morales.
Par le recours à cette méthode, nous allons
évidemment consulter un éventail de documents, surtout
constitutionnels, législatifs et doctrinaux relatifs à la
thématique de la citoyenneté en vue de définir clairement
le cadre juridique qui servira de jalons à nos analyses.
28 Madeleine Grawitz, op. cit., p. 419.
29 A. Kaplan, cité par Madeleine Grawitz,
op. cit. , p. 15.
11
Dans un premier temps, il s'agit des trois constitutions du
Cameroun : la constitution du 4 mars 1960, celle du 1er septembre
1961 et enfin celle du 2 juin 1972. La loi constitutionnelle du 18 janvier
1996, alors assimilée du point de vue formel à la loi portant
révision de la constitution du 2 juin 1972, revêtant pourtant du
point de vue matériel les caractères d'une véritable
Constitution30, constituera un référent de taille
à notre étude.
Ensuite, nous-nous appuierons sur une série de textes
législatifs, notamment la loi no 2012/001 du 19 avril 2012, portant code
électoral du Cameroun ; les lois relatives à la
décentralisation31. De même, la loi 68 / NF/13 du 11
juin 1968 portant code de la nationalité camerounaise constitue
également un matériau de travail capital.
Enfin, suivant la dogmatique juridique, nous nous
évertuerons à décrypter ces textes Constitutionnels et
législatifs et éventuellement suggérer des perspectives
quant à leur évolution, leur adaptabilité en vue de
combler leurs éventuelles lacunes et vides.
B. Le positivisme sociologique
Le droit ne peut être détaché de
l'environnement social, politique, culturel ou économique dans lequel il
émerge ; il repose sur les nécessités de la
société, lesquelles lui confèrent une force en tant que
corps de règles obligatoires. Dans ce sens, le positivisme sociologique
porte sur l'idée selon laquelle les normes juridiques tirent leur source
et leur valeur des phénomènes sociaux. Cette méthode de
recherche prôné l'idée de la libre recherche
scientifique.
Parmi les tenants de cette tendance méthodologique,
l'on peut citer François GENY, qui est considéré comme le
précurseur de la méthode de libre recherche scientifique ou
méthode d'interprétation sociologique du droit, reconnait
notamment dans le droit une part de « donné » et une part de
« construit ». Le « donné » produit des
règles fondées directement sur
30 Lire à ce sujet Léopold Donfack
Sokeng, « Existe-t-il une identité démocratique camerounaise
? La spécificité camerounaise à l'épreuve de
l'universalité des droits fondamentaux », Polis revue
camerounaise de science politique, vol. 1, no spécial,
1996, pp. 2-3.
31 Il s'agit de la loi no 2004/017 du 22
juillet 2004 portant orientation de la décentralisation, de la loi
n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicable aux
communes et de la loi no 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les
règles applicables aux régions.
12
ce qu'il appelle « la nature sociale », tandis que le
« construit »permet d'adapter, de faire évoluer ces
données brutes en vue de les rendre conformes aux besoins sociaux
changeants32. Bien que juridique, la notion de citoyenneté
revêt cependant un fort contenu sociologique, prédestinant ainsi
un ancrage de notre étude dans le positivisme sociologique.
IV. LA PROBLEMATIQUE
D'après Michel Beaud, la problématique «
c'est l'ensemble construit, autour d'une question principale, des
hypothèses de recherche et des lignes d'analyse qui permettront de
traiter le sujet choisi »33. Cela dit, l'axe central de notre
étude est constitué de questions sur le statut, la participation
du citoyen et la dynamique de la citoyenneté tels que transparaissant
dans le constitutionnalisme camerounais. En fait, nous traiterons de la prise
en charge de la thématique de la citoyenneté en droit
constitutionnel camerounais. Dans cette optique, la question qui se
dégage est la suivante : quels sont les caractéristiques
découlant du régime juridique de la citoyenneté en droit
constitutionnel camerounais ?
De cette question se dégage plusieurs autres questions
connexes :
Quels sont les éléments à partir desquels
se déterminent la citoyenneté en droit constitutionnel
camerounais ?
L'idée force de la citoyenneté
républicaine est l'affirmation du principe d'égalité en
droits de tous les citoyens, avec pour corollaire l'unicité et
l'uniformité de la citoyenneté et le rejet de toute fragmentation
de celle-ci. De cette façon, quelles sont les conséquences de la
vive confrontation dans le constitutionnalisme camerounais entre l'idée
d'unicité et d'indivisibilité de la République (socle de
la citoyenneté) avec celle de promotion de la diversité
culturelle et sociologique du pays ?
La conceptualisation de la citoyenneté prend
inévitablement en compte le lien existant entre la Nation, la
nationalité et le citoyen. Il est donc nécessaire d'examiner la
distance qui sépare l'Etat de la citoyenneté, compte tenu du
phénomène d'interpénétration des peuples,
marqué par la « déterritorialisation » des
communautés nationales, c'est-à-dire leur localisation en dehors
de l'espace territorial national d'origine. Lequel phénomène
n'est-il pas
32 Lire dans ce cadre François Gény,
Science et technique en droit privé positif, Paris, Sirey,
1921
33 Beaud Michel, L'art de la thèse,
op. cit., p. 55.
susceptible de conduire à la «
dénationalisation » de la citoyenneté ? Autrement dit, la
nationalité peut-elle encore demeurer le fondement exclusif du lien de
citoyenneté ?
Relativement à la problématique ainsi
dégagée, l'hypothèse, c'est-à-dire « la
proposition de réponse à la question posée
»34, que nous avançons repose sur l'idée selon
laquelle les traits fondamentaux d'identification de la citoyenneté
défini par le droit constitutionnel camerounais font d'elle une notion
ambivalente. En effet, en cette notion cohabitent constance et
volatilité juridiques.
V. L'ANNONCE DU PLAN
Analyser le régime juridique de la citoyenneté
en droit constitutionnel tout en présentant ses caractéristiques
reviendra à montrer qu'elle bénéficie d'un ancrage
constitutionnel d'une part (première partie), et d'autre part à
décrypter sa dynamique (seconde partie).
13
34 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences
sociales, op. cit., p.398.
14
PREMIERE PARTIE :
L'ANCRAGE CONSTITUTIONNEL DE LA CITOYENNETE AU
CAMEROUN
15
Dès son accession à la souveraineté
internationale le 1er janvier 1960, l'Etat du Cameroun a
revêtu la forme constitutionnelle de République. Cela marquait en
fait l'émergence de la citoyenneté camerounaise. Dans ce sens,
l'acte majeur de l'Etat indépendant, nouveau membre de la
communauté internationale, en faveur justement de la volonté de
définir et de construire un statut du citoyen camerounais, fut son
adhésion sans réserve aux textes internationaux relatifs aux
droits de l'Homme et aux libertés publiques35 tels que la
Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre
1948, la Charte des Nations Unies du 26 juin 1956. Ainsi, les populations
camerounaises, considérées jusqu'à l'indépendance
par les administrations coloniales française et anglaise comme des
« indigènes » dépourvus de droits substantiels,
allaient désormais se voir reconnaitre un véritable statut de
citoyen ; car la citoyenneté tire son essence juridique de l'Etat. En
effet il n'y a pas de citoyenneté réelle sans Etat, de même
qu'il n'y a pas d'Etat sans citoyens.
Cette entreprise sera poursuivie par la suite à travers
la réception en droit national de plusieurs autres textes fondamentaux
tels que le pacte international sur les droits civils et politiques, La Charte
africaine des droits de l'Homme et des peuples, la convention sur
l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité 36 . La loi constitutionnelle no 96/06
du 18 janvier 1996 dispose que le peuple camerounais « affirme son
attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme, la Charte des Nations
unies, la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et toutes les
conventions dûment ratifiées ».
De ce qui précède, La conséquence
fondamentale de la citoyenneté dans l'ordre constitutionnel camerounais
est l'élaboration d'un régime de droits et devoirs
attachés à la citoyenneté (chapitre I). De même, la
citoyenneté apparait comme l'élément de promotion de
l'intérêt général (chapitre II).
35 En effet, la Constitution du 04 mars 1960
énonçait dans son préambule que le Peuple camerounais
« Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans
la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Charte des
Nations Unies ».
36 Le Cameroun a par exemple adhéré
à la convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et
des crimes contre l'humanité de 1968, le 6 octobre 1972 et il a
ratifié le pacte international sur les droits civils et politiques du 16
décembre 1966, le 27 juin 1984.
16
CHAPITRE I :
LE REGIME DES DROITS ET DEVOIRS ATTACHES
A LA CITOYENETE
De prime abord, signalons que tous les individus vivant sur le
territoire de l'Etat du Cameroun ne sont pas des citoyens camerounais. Le droit
de citoyen est le droit reconnu à tout individu du fait de la
détention de la nationalité camerounaise. Aristote affirmait
à ce propos qu' « on n'est pas citoyens simplement par le fait
d'être domicilié dans une cité »37 .
La citoyenneté est un faisceau dynamique de droits et
devoirs reconnus au national de l'Etat. C'est dans ce sens que Dominique
Schnapper affirmait que : « la citoyenneté définit un
ensemble de droits et de devoirs réciproques à l'intérieur
de la société étatique nationale»38.
Ainsi depuis la première Constitution camerounaise du
04 mars 1960 jusqu'à la loi constitutionnelle no 96/06 du 18
janvier 1996, modifiant la Constitution du 2 juin 1972, force est de constater
une formulation expresse et de plus en plus enrichissante des droits et devoirs
du citoyen. Le constituant s'est en effet toujours employé à
inscrire les droits et les devoirs du citoyen au frontispice de la
Constitution, à savoir le préambule, dont la pleine valeur
juridique39 implique de les lier à l'ensemble du bloc de
constitutionnalité. Au Cameroun, la consécration de ces droits et
devoirs du citoyen s'est faite principalement par la technique
énumérative, qui consiste justement à dresser dans le
préambule de la Constitution une série de ces droits et
devoirs40.
Le statut de citoyen est donc basé autour de deux
pôles fondamentaux et indissociables, à savoir la
consécration des droits (section 1) et la prescription de devoirs
à la charge du citoyen (section 2).
37 Aristote, La politique, op. cit.,
p. 69.
38 Michel Coutu, « La nation entre
communauté et société : réflexions autour de
Ferdinand Tönnies et de Max Weber », in Michel Coutu, Pierre
Bosset et al., op. cit., pp. 141-161, (spéc.
p.143).
39 L'art. 65 de la loi constitutionnelle
no 96/06 du 18 janvier 1996 dispose que : « Le préambule
fait partie intégrante de la constitution ».
40 A coté de la technique dite
énumérative, il existe celles de l'énonciation et de
l'insertion. La première consiste à faire référence
dans la constitution à certains textes fondamentaux régissant les
droits et devoirs du citoyen. La seconde renvoie à une insertion dans le
texte constitutionnel d'une ou de plusieurs déclarations des droits et
devoirs.
17
SECTION I : LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DES
DROITS ATTACHES AU STATUT DU CITOYEN
La citoyenneté est un statut, une faculté
d'obtenir de la société politique le bénéfice de
divers droits. Par cette reconnaissance de droits au profit du citoyen, le
constituant souscrit au principe d'humanité. En effet, l'Etat doit se
préoccuper de « l'impératif qu'il y'a à faire
également du droit national un droit protecteur des individus
»41.
Dans cette optique, la citoyenneté se rattache
inexorablement aux libertés et droits fondamentaux, car «
l'affirmation des droits de l'homme est, dès l'origine,
intrinsèquement liée à celle des droits du citoyen
»42. C'est donc dire que le citoyen est voué à
détenir des droits du seul fait de sa nature humaine.
La consécration des droits du citoyen camerounais a
pleinement été entamée avec l'élaboration de la
toute première Constitution du pays, celle du 4 mars 1960. Le Pr.
Maurice Kamto disait à ce sujet que : « La détermination du
lieu d'énonciation des droits dans les Constitutions africaines est une
étape essentielle dans la recherche de leur assise juridique, car avant
même de s'interroger sur leur contenu et leur garantie effective, il faut
déjà s'assurer qu'il s'agit de normes juridiques
»43. Ainsi, dans son oeuvre de construction de la
citoyenneté, le constituant camerounais a opté pour une taxinomie
des droits civils et politiques d'une part (§1), et des droits
économiques, sociaux et culturels d'autre part (§ 2).
Paragraphe 1 : LES DROITS ET LIBERTES CIVILS ET
POLITIQUES DU CITOYEN CAMEROUNAIS
Les droits civils et politiques sont des « droits
fondamentaux des personnes reconnus par les instruments internationaux de
protection des droits de l'Homme, tels que la liberté de la personne, sa
dignité, le respect de sa personnalité, sa protection dans ses
relations avec l'Etat et sa participation aux décisions de ce dernier
» 44 . En dépit de leur insertion
41 Jérôme Francis Wandji K. «
L'organisation panafricaine dans son rapport au principe d'humanité
», Revue juridique et politique, 2013, no 4, pp. 395-431,
(spéc. p. 398).
42 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle
Calvès, Libertés publiques et droits de l'homme, Paris,
Montchrestien, L.G.D.J., Lextenso, 9è éd., 2008, p.
27.
43 Maurice Kamto, « L'énoncé des
droits dans les Constitutions des Etats africains francophones »,
RJA, nos 2 et 3, 1991, p.7.
44 Lexique des termes juridiques 2012,
19e éd., 2011, Dalloz, p.340.
18
constitutionnelle constante45, ces droits vont
connaitre leur plein essor au Cameroun avec la démocratisation au
début des années 199046.
Outre les classifications dont les droits civils et politiques
ont pu faire l'objet47, dans le cadre de ce travail, nous les
énumérerons de manière sélective, étant
entendu que certains d'entre eux sont consacrés pour en déduire
d'autres. Ainsi nous aborderons les droits et libertés civils d'une part
(A), et politiques d'autre part (B).
A. Les droits et libertés civils du citoyen
De manière générale, les droits civils
visent à garantir la liberté et l'autonomie des citoyens, leur
faculté de choix et de libre option. Il s'agit d'attributs qui en
principe n'exigent qu'une obligation de la part de l'Etat, à savoir
celle de les respecter. A ce niveau, nous aborderons tour à tour le
groupe des libertés physiques (1) et celui des libertés
intellectuelles (2).
1. Les libertés physiques
« Les libertés physiques concernent la personne
humaine en tant qu'être charnel »48 Ressortissent à cette
catégorie plusieurs types de droits, dont les plus importants sont
notamment le droit à la vie, la sureté et la liberté
d'aller et venir.
Le droit à la vie découle directement du
principe d'humanité, lequel « exprime la valeur sacrée,
inaliénable de la personne humaine et lui engendre en les conjuguant les
droits à la vie, à la dignité »49. Il
revêt un caractère fondateur, car son respect est « la
condition nécessaire à l'exercice de tous les autres droits
»50.
45 Les droits et libertés civils et
politiques du citoyen sont en effet largement énoncés dans les
différents préambules des constitutions du 04 mars 1960 et du 02
juin 1972.
46 Dans la foulée de la chute du mur de
Berlin et de l'instauration d'un système démocratique au
Cameroun, la définition du statut du citoyen prenait de plus en plus
corps. Cela allait de soi dans la mesure où la démocratie est
indispensable à l'effectivité de la citoyenneté. Autrement
dit, la démocratie peut à juste titre être
considérée comme l'environnement idéal de la
citoyenneté.
47 Dans ce cadre, nous avons les distinctions
suivantes : libertés individuelles-libertés collectives ; les
libertés moyens-libertés fins ; libertés
matérielles-libertés intellectuelles. Cf. D. Alland et
S. Rials (dir), Dictionnaire de culture
générale, Paris, Puf, 2003, p. 537.
48 Manuel Henri Oberdorff, Droits de l'homme et
libertés fondamentales, Paris, LGDJ, 2008, p. 231.
49 Jérôme Francis Wandji K., «
L'organisation panafricaine dans son rapport au principe d'humanité
», op. cit., p. 398.
50 Serges François Sobze, La
dignité humaine dans l'ordre juridique africain, thèse de
doctorat de l'Université de Yaoundé II-Soa, 2013, p. 62.
19
A première vue, le droit à la vie signifie
simplement le droit à la vie physique. Il ne renvoie pas
forcément au droit à une vie digne.
Concrètement, le droit à la vie concerne
l'existence même de la vie, pour le dire ainsi. Le terme vie est entendu
ici au sens biologique ; il s'agit donc en quelque sorte du droit à ne
pas mourir51 face auquel l'Etat a une responsabilité
négative, c'est-à-dire qu'il ne doit rien faire pour
empêcher aux citoyens l'exercice de leur droit à la
vie52.
Dans sa substance le droit à la vie ne concerne pas
forcément jusqu'à la qualité de la vie. Dès lors,
la distinction entre le droit à la vie proprement dit et le droit
à un niveau et conditions de vie dignes, qui ressortissent des droits
économiques et sociaux, s'impose d'elle-même53.
Cependant, en dépit de cette distinction, il conviendrait de noter que
la garantie du droit à une vie décente ou digne est souvent une
condition de l'effectivité du droit à la vie. Il en est ainsi par
exemple lorsque les mauvaises conditions de vie des citoyens peuvent entrainer
leur décès. Il devient donc évident que la protection du
droit à la vie implique nécessairement l'intervention de l'Etat
en termes d'amélioration du niveau et de la qualité de vie de ses
citoyens54.
La sûreté vise à protéger les
divers aspects de l'activité humaine et en particulier à garantir
la liberté : elle est considérée comme le droit à
la liberté et « constitue un point de départ
déterminant pour l'exercice de l'ensemble des autres libertés.
L'atteinte arbitraire à la sûreté personnelle vide le
contenu concret des autres libertés »55. Ainsi, nul ne
peut être privé de liberté, sauf en cas de détention
préventive à sa présentation devant l'autorité
judiciaire d'une part, ou en cas de détention légale à la
suite d'une condamnation par cette dernière d'autre part. A ce propos,
toute personne doit être informée, au moment de son arrestation,
des raisons de cette arrestation56.
51 La question de l'avortement par exemple implique
à la fois le droit à la vie du foetus et celui de la mère.
Dans le premier cas, la protection du droit à la vie du foetus est
garantie et cela entraine la condamnation pénale de l'avortement. Dans
le second cas, le droit à la santé de la mère et son droit
à la vie peuvent justifier l'avortement lorsque la conservation de la
grossesse présente un danger certain à la vie de cette
dernière.
52 Cf. Serges François
Sobzé,op. cit., p. 62.
53 Le contenu du droit à la vie est plus facile
à appréhender lorsqu'il se limite à la seule vie au sens
physique ou physiologique du terme. Alors que le droit à une vie
décente est déjà protégé par une
série de droits économiques et sociaux comme le droit à la
santé ou le droit au travail.
54 C'est dans ce sens que le préambule de la
Constitution déclare que le Peuple camerounais est « résolu
à exploiter ses richesses naturelles afin d'assurer le bien-être
de tous en relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination
»
55 Manuel Henri Oberdorff, Droits de l'homme et
libertés fondamentales, op. cit. p. 233.
56 Cf. art. 31 de la loi no 2005 -007 du 27
juillet 2005, portant code de procédure pénale au Cameroun.
20
Ce droit, qui vise à empêcher que toute personne
soit arrêtée ou détenue de manière arbitraire est
garanti par l'existence de certaines règles de procédure, surtout
en matière pénale, notamment le respect de la présomption
d'innocence, la célérité des procédures, le respect
des droits de la défense et le principe de
non-rétroactivité de la loi pénale.
La liberté d'aller et venir ou liberté de
circulation signifie le droit pour tout citoyen de se déplacer à
l'intérieur du territoire national sans aucune restriction. En effet,
« Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se déplacer
librement, sous réserve des prescriptions légales relatives
à l'ordre, la sécurité et à la tranquillité
publics »57. Jean Gicquel et Jean-Eric Gicquel disent à
ce sujet que « L'indépendance physique de l'individu signifie, par
ailleurs, qu'il peut se déplacer à l'intérieur du
territoire national, s'y fixer, le quitter et le retrouver à son
gré »58.
2. Les libertés intellectuelles ou de
l'esprit
Le principal leitmotiv des lois de 1990 a
été la définition du régime juridique de
l'essentiel des droits, c'est-à-dire « l'encadrement juridique de
la mutation politique »59. Elle a été
marquée par l'adoption au cours de la « session parlementaire dite
des libertés »60, d'une série de lois
destinées en effet à consacrer un ensemble de droits et
libertés civils qui, pour certains, présentent des traits
connexes. Nous énumérons essentiellement sur la liberté de
réunion et d'association (a), la liberté de communication (b) et
la liberté de culte (c).
a). La liberté de réunion et
d'association
La loi no 90/053 du 19 décembre 1990
relative à la liberté de réunion et d'association a
été élaborée en vue de permettre à ceux qui
partagent en commun un but, de se regrouper dans le cadre d'une association,
à l'effet d'accomplir ledit but. La loi suscitée définit
l'association comme « la convention par laquelle des personnes mettent en
commun leurs connaissances ou
57 Voir le préambule de la Constitution du
Cameroun.
58 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Montchrestien, EJA,
20e éd., 2005, p. 88.
59 Lire à ce sujet Jérôme
Francis Wandji K., « Processus de démocratisation et
évolution du régime politique camerounais d'un
présidentialisme autocratique à un présidentialisme
démocratique », Revue belge de droit constitutionnel,
2001, pp. 437- 469, (spéc. p. 450).
60 Ibidem.
21
leurs activités dans un but autre que de partager des
bénéfices »61. L'utilisation du terme convention,
c'est-à-dire un accord de volontés entre des parties, pour
définir la notion d'association traduit certainement la volonté
du législateur de laisser une grande marge de liberté aux
citoyens, afin que ceux-ci, sans empiètement de la puissance publique,
puissent librement mettre en oeuvre leur volonté de créer des
associations. C'est dans ce sens que l'on dit que « la liberté
d'association signifie la liberté de créer une association
»62.
Toutefois, il convient de signaler que l'acquisition de la
personnalité juridique par une association ne passe en principe
qu'à la suite d'une déclaration63, sauf pour les
associations étrangères et religieuses pour lesquelles la loi
prévoit le régime de l'autorisation64.
La liberté d'association et de réunion est
intimement liée à la liberté de manifestation. Cette
dernière obéit tout aussi au simple régime de la
déclaration, c'est-à-dire que les citoyens regroupés au
sein des associations qui souhaitent organiser une manifestation publique ne
sont tenus que d'en faire la déclaration à l'autorité
administrative territorialement compétente. Cette dernière peut
cependant interdire la manifestation si elle estime qu'elle présenterait
des risques de trouble à l'ordre public. L'appréciation de ces
risques relève de la discrétion de cette autorité
administrative.
b). La liberté de
communication
La liberté de communication est régie par la loi
no 90/052 du 19 décembre 1990 relative à la
liberté de la communication sociale, modifiée par la loi
no 96/04 du 4 janvier 1996.
Elle englobe la liberté de presse, la liberté
d'expression, la liberté d'opinion et le droit à l'information.
En fait, la liberté d'opinion ne serait pas effective si elle
n'était pas accompagnée de la liberté d'expression. De ce
point de vue, tout citoyen a le droit d'exprimer et de diffuser librement ses
opinions par les moyens de la parole, de l'écrit, de l'image ou par
toute autre voie de communication. Le préambule de la Constitution du
Cameroun énonce que : « La liberté de communication, la
liberté de d'expression, la liberté de presse [...] sont
garanties dans les conditions fixées par la loi ». Dans cette
optique, la loi no 90/052 du 19
61 Voir l'art. 2 de la loi no 90/053 du 19
décembre 1990 relative à la liberté de réunion et
d'association
62 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle
Calvès, Libertés publiques et droits de l'homme,
Montchrestien, L.G.D.J., Lextenso, 2008, 9e éd., p. 49.
63 Voir les art. 5 al. 1 et 7. de la loi no
90/053 du 19 décembre 1990.
64 Voir art. 5al.2 de la loi no 90/053 du
19 décembre 1990.
22
décembre susmentionnée est destinée
à définir le régime juridique de la liberté de
communication. Elle prévoit par exemple pour le cas de la presse
écrite que « la publication des organes de presse est libre
»65. De même, elle énonce que : « Sous
réserve des textes relatifs à la radioélectricité
privée, la communication audiovisuelle est libre »66.
Avec la réforme de la loi de 1990 suscitée
à la faveur de la loi no 96/04 du 4 janvier 1996, la pratique
de la censure administrative a disparu dans le domaine de la presse
écrite. Le Pr. Albert Mbida disait à ce propos que : « Le
Cameroun s'est aligné sur les principes du système libéral
de tous les pays démocratiques qui excluent toute intervention
administrative préalable sur le contenu de l'information
»67.Dans la dynamique de la mise en oeuvre de la liberté
de communication, l'Etat camerounais a opéré dès
l'année 2000 la libéralisation du secteur de la communication
audiovisuelle. Ainsi, « Les activités de communication
audiovisuelle [...] sont subordonnées à l'obtention d'une licence
délivrée par arrêté du Ministre chargé de la
communication, après avis motivé du Conseil National de la
Communication68. L'on observe dès lors une grande
multiplicité des organes de presse écrite et audiovisuelle.
c). La liberté de culte
La liberté du culte est la liberté reconnue
à tout individu de choisir et d'exprimer sa foi et de se livrer aux
rites et pratiques imposées par sa religion. Elle est connexe à
la liberté de conscience et à la liberté de religion. Elle
reconnaît le droit à chacun de choisir librement sa confession
religieuse d'une part, et de d'exprimer sa foi d'autre part. La Constitution
camerounaise énonce à cet effet que : « La liberté du
culte et le libre exercice de sa pratique sont garantis »69.
Cela implique que nul ne peut subir une discrimination en raison de sa
religion. La garantie de la liberté de culte et de religion au Cameroun
réside dans la
65 Voir art. 6 de la loi no 90/052 du 19
décembre 1990 relative à la liberté de la communication
sociale, modifiée par la loi no 96/04 du 4 janvier 1996.
66 Voir art. 36 al.1 de la loi no 90/052 du
19 décembre 1990 relative à la liberté de la communication
sociale.
67 Albert Mbida, « Evolution du cadre
juridique des entreprises de presse au Cameroun », Cahier africain des
droits de l'homme, no 5, octobre 2000, pp. 33-42,
(spéc. p. 39).
68 Voir art.8 du décret no
2000/158 du 03 avril 2000, fixant les conditions et les modalités de
création et d'exploitation des entreprises de communication
audiovisuelle.
69 Cf. le préambule de la Constitution
du Cameroun.
23
proclamation constitutionnelle de la laïcité de
l'Etat70. Ainsi, parce qu'il n'existe pas de religion d'Etat, les
citoyens ne sont pas astreints à une uniformisation de la croyance
religieuse, ce qui permettrait d'éviter des conflits confessionnels.
Autrement dit, « une séparation de l'Etat et de l'Eglise a
été préférée afin de ne pas susciter des
conflits confessionnels »71.
B. Les droits politiques du citoyen
A l'origine de la citoyenneté, les droits politiques
étaient considérés comme la pierre angulaire du statut de
citoyen ; car ils « font de lui un acteur de la cité, partie
prenante à l'exercice du pouvoir »72. Autrement dit,
« la liberté politique est le droit, pour les citoyens, de
participer au gouvernement de l'Etat, c'est-à-dire de désigner et
de révoquer leurs gouvernants »73. Relèvent
essentiellement de la famille des droits politiques, le droit de vote (1) et le
droit à l'éligibilité (2).
1. Le droit de vote
Les autorités détentrices du pouvoir politique
au sein de l'Etat, tiennent leur pouvoir du peuple à travers la voie des
élections au suffrage universel direct ou indirect74. Ainsi,
« Le vote est égal et secret ; y participent tous les citoyens
âgés d'au moins vingt (20) ans »75. Par le moyen
du suffrage universel, les citoyens contribuent à la formation du destin
commun et de la volonté générale. Ce raisonnement est
partagé par Yves Déloye et Olivier Ihl, qui affirment que :
« le vote relie des gens qui ont peu en commun »76. Ils
ajoutent par ailleurs que l'acte de vote « procure aux citoyens le
sentiment d'appartenir à une même communauté nationale
»77.A la lecture de l'art. 2al. 3 de la loi constitutionnelle
du 18 janvier 1996 sus, les caractères du vote renvoient à
l'égalité, au secret et à la condition d'âge.
70 Le préambule de la Constitution
énonce en effet que « L'Etat est laïc. La neutralité et
l'indépendance de l'Etat vis-à-vis de toutes les religions sont
garanties »
71 Jérôme Francis Wandji K., « La
déclaration française des droits de l'homme et du citoyen du 26
août 1789 et l'Etat en Afrique », Revue française de
droit constitutionnel, 2014/3, no 99, pp.e1-e28,
(spéc. p. e10).
72 Ibid., p. e17.
73 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien,
20è éd., 2005, p. 83.
74 Voir art. 2 al.2 de la Constitution du Cameroun.
75 Voir art. 2 al.3 de la Constitution du Cameroun.
76 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de
vote, Paris, Presses de sciences po, 2008, p. 46.
77 Ibid., p. 47.
24
L'égalité du vote, encore appelée
égalité de suffrage, se résume par la formule « Un
homme, une voix ». Elle signifie que tous les citoyens-électeurs
participent égalitairement à la désignation des dirigeants
de l'Etat. Autrement dit, l'évaluation numérique du suffrage
valablement exprimé ne se fait pas en considération de la
condition sociale ou économique encore moins de la race, de la religion
ou de l'origine de l'électeur. Selon Elisabeth Zoller, le suffrage doit
être égal en ce sens que « l'électeur doit être
équitablement et effectivement représenté
»78. Ainsi, « Dire que le suffrage doit être
égal signifie au minimum que chaque voix doit peser d'un poids identique
à l'autre ou, si l'on préfère, que chaque voix doit
compter pour un vote, non pour une moitié de vote ou pour deux votes
»79. Le principe de l'égalité du vote exclut donc
automatiquement le vote familial, le suffrage multiple et le suffrage
plural80. La technique du découpage électoral
participe de la mise en oeuvre de la règle de l'égalité de
vote. Dans ce cadre, le nombre de sièges par circonscription
électorale est attribué sur la base de l'importance
démographique de celle-ci81.
Le secret du vote signifie que le vote est caché de la
vue, qu'il est confidentiel. Sur le plan pratique, ce sont entre autres la
présence d'un isoloir dans le bureau de vote, la mise du bulletin de
vote dans une enveloppe qui permettent de garantir la confidentialité du
vote.
Concrètement, à l'issue de la phase de campagne
électorale, après la ventilation des programmes et des
professions de foi des candidats, l'électeur se retrouvera tout seul
dans l'isoloir le jour du scrutin pour faire son choix entre plusieurs
bulletins de vote, cela loin des influences des médias et des groupes de
pression. Nul ne peut donc déterminer le bulletin qu'il a introduit dans
l'enveloppe. Le secret du vote permet donc de protéger
l'indépendance
78 Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel,
Paris, Puf, 1è éd. 1998, p. 503.
79Ibidem.
80 En fait, Le vote familial est un système
de vote dans lequel le chef de famille détient un nombre de voix qui
correspond à l'importance numérique de cette famille.
Quant au suffrage multiple, c'est un système qui permet
à une catégorie d'électeurs, en raison du fait qu'ils
remplissent certaines conditions, de voter dans plusieurs circonscriptions lors
d'une même élection. Il était en vigueur en Grande Bretagne
jusqu'en 1951.
Le suffrage plural enfin est celui qui attribue une ou
plusieurs voix supplémentaires aux électeurs qui ont un
intérêt spécial dans les affaires de l'Etat, il peut s'agir
des diplômés, des propriétaires, des chefs de famille
nombreuse, des opérateurs économiques, etc.
81 En ce qui concerne notamment l'élection
municipale, l'art. 173 al.1de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012, portant
code électoral, prévoit par exemple que pour : Les communes de
moins de cinquante mille habitants, le nombre de conseillers municipaux est de
vingt-cinq ; pour les communes de cinquante mille à cent mille
habitants, le nombre de conseillers est de trente et un ; alors que pour les
communes de cent mille un à deux cent mille habitants, le nombre de
conseillers est de trente-cinq.
25
de l'électeur. Ainsi, « pour les citoyens, il est
indispensable que le vote soit secret pour préserver leur liberté
et éviter les pressions »82.
Le Pr. Marie-Anne Cohendet pense par contre que le vote ne
devrait pas être secret pour les élus car la publicité de
leur vote est « nécessaire pour qu'ils respectent leurs engagements
et assument leurs responsabilités devant leurs électeurs
»83.
Un minimum de maturité intellectuelle et de conscience
politique sont nécessaires pour pourvoir participer aux élections
de manière éclairée. Longtemps fixée à 21
ans84, la majorité électorale a été
abaissée à 20 ans depuis la loi constitutionnelle du 18 janvier
196085.
Conformément à cette disposition
constitutionnelle, l'art. 45 de la loi no 2012/001 du 19 avril 2012,
portant Code électoral, prescrit que seuls les citoyens
âgés de 20 ans révolus peuvent être inscrits sur les
listes électorales86.
La condition d'âge est une exigence fondamentale du
droit électoral camerounais. C'est
fort de cela que les requêtes de deux parties
politiques, à savoir le SDF et de l'UNDP, portant sur l'annulation des
élections législatives et municipales du 30 juin 2002 dans la
circonscription électorale de la Mefou et Akono au motif qu'avaient pris
part au vote des jeunes âgés de moins de 20 ans. Au final, le juge
électoral, par l'arrêt no 32/CE/01-02 du 17 juillet
2002, avait donné une suite favorable à ces requêtes en
décidant de l'annulation et de la reprise des élections dans
ladite circonscription.
2. Le droit à
l'éligibilité
En principe, tout citoyen peut librement se porter candidat
à une élection nationale ou locale. Tel est en effet le sens du
droit à l'éligibilité, qui est le corolaire du droit de
vote ; car en effet, tout électeur à une élection peut
potentiellement être candidat à la même élection.
C'est dans ce sens qu'Elisabeth Zoller disait que : «
Théoriquement, les conditions d'éligibilité devraient
coïncider avec celles de l'électorat en ce sens que tout
électeur inscrit
82 Marie-Anne Cohendet, Droit
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 3e éd, 2006, p.
149.
83 Ibidem.
84 Voir l'art. 2 de la Constitution camerounaise du 02
juin 1972.
85 Voir l'art. 2 al. 3 de la Constitution.
86 Toutefois, l'art. 46 al. 2 du code
électoral atténue un tout petit peu cette exigence en
prévoyant que : « Peuvent également être inscrits sur
les listes électorales, les citoyens qui, ne remplissant pas les
conditions d'âge [...] requises lors de la révision des listes,
les rempliront avant la clôture définitive des inscriptions ou le
cas échéant, le jour du scrutin ».
26
dans une circonscription donnée devrait pouvoir se
présenter à toutes les élections ayant lieu dans la
circonscription en question »87 . Mais dans la
réalité, il existe des conditions à l'exercice du droit
à l'éligibilité. Elles sont prévues par la loi et
sont cumulatives. Il s'agit entre autres de L'âge, de la jouissance de
ses droits civiques et politiques ou de la résidence.
S'agissant de la condition d'âge, il faut relever que
conformément aux art. 6 al. 5 de la Constitution et 117 du code
électoral, les candidats à l'élection
présidentielle doivent avoir 35 ans révolus à la date de
l'élection. Il est à noter que depuis la Constitution du 04 mars
1960 jusqu'à celle du 02 juin 1972 en passant par les réformes
constitutionnelles du 18 janvier 1996 et du 14 avril 2008, l'âge minimum
exigé pour être candidat à cette élection est
demeuré maintenu à 35 ans.
En ce qui concerne des élections législatives,
sénatoriales, régionales ou municipales, l'âge requis pour
être candidat diffère en fonction du scrutin. En effet, les
candidats aux élections législatives, municipales et
régionales doivent avoir au moins 23 ans révolus à la date
de l'élection88. L'on remarque à propos de ces trois
scrutins que la tendance est à la juvénilisation.
Pour le cas des élections sénatoriales, «
Les candidats à la fonction de sénateur, ainsi que les
personnalités nommées à ladite fonction, doivent avoir
quarante (40) ans révolus à la date de l'élection ou de la
nomination »89. Manifestement la tendance est de faire du
sénat une chambre composée de personnes d'un âge plus ou
moins avancé. En tout cas, le moins qu'on puisse dire c'est que
l'âge minimal requis pour prétendre à la fonction de
sénateur est supérieur par rapport à celui exigé
pour autres les autres fonctions suscitées. Cela confortant ainsi
l'idée selon laquelle le sénat est une chambre de
gérontocrates.
De ce qui précède, force est de constater que
l'âge minimum requis pour être électeur, c'est-à-dire
vingt ans, ne coïncide pas avec celui exigé pour être
candidat à l'une ou l'autre des élections évoquées
ci-haut.
Le candidat à une élection doit jouir de la
plénitude de ses droits civiques et politiques. Aussi, ne peut
être candidat à une élection nationale ou locale,
l'individu frappé d'incapacité mentale ou d'indignité.
L'incapacité mentale renvoie à la situation des
aliénés mentaux ou des
87 Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel,
Paris, Puf, 1e éd., 1998, p. 532.
88 Voir les art. 156, 175 al. 1 et 252 du code
électoral camerounais.
89 Cf. art.220 al.1 du code électoral
camerounais
27
faibles d'esprit. Il s'agit de personnes mentalement
défaillantes, qui ne peuvent de ce fait raisonnablement exprimer leurs
choix, et, a fortiori exercer la fonction de représentation de
leurs concitoyens ; car un minimum de discernement est requis dans ce cadre.
Quant à l'indignité, elle renvoie à la
situation des personnes qui, soit sont ou ont été sous le coup
d'une condamnation pénale, soit sont coupables de complot ou de trahison
contre l'Etat. De ce point de vue, l'altération de la qualité de
citoyen de la République, être épris de valeurs communes,
par la personne même des individus rendus indignes, dissout le droit
à l'éligibilité. Le code électoral camerounais se
montre d'ailleurs clair à ce sujet en énonçant que sont
inéligibles à toutes les fonctions politiques nationales ou
locales90, « les personnes qui, de leur propre fait, se sont
placées dans une situation de dépendance ou d'intelligence
vis-à-vis d'une personne, d'une organisation ou d'une puissance
étrangère ou d'un Etat étranger »91. Il
est donc clair que tout citoyen qui aspire être élu à une
fonction politique doit jouir d'une certaine exemplarité du point de vue
du respect de la loi et des valeurs communes.
Quant à la condition de résidence, elle est
définie en fonction de la nature du scrutin. Pour ce qui est du candidat
à l'élection présidentielle, il doit justifier d'une
résidence continue sur le territoire national d'au moins douze mois
consécutifs92. Il en est ainsi parce que le candidat doit
être le plus proche possible des réalités nationales.
Pour les candidats au poste de député, il ne
leur est fait aucune obligation de résider sur le territoire de la
circonscription électorale où ils font office de candidature. Il
en est ainsi en vertu du fait que le député n'est pas seulement
l'élu de sa circonscription, mais de toute la nation entière. Le
cadre géographique de son élection est certes une circonscription
électorale donnée, mais sa sphère de représentation
concerne tout le territoire national. Or, les candidats à la fonction de
sénateur sont astreints de résider effectivement sur le
territoire de la région qui constitue leur circonscription
électorale.
Enfin, conformément à l'esprit de la
décentralisation93, le candidat à la fonction de
conseiller municipal doit justifier d'une résidence effective d'au moins
six mois sur le territoire de la commune concernée94.
Toutefois, la loi atténue cette exigence en énonçant
90 Il s'agit des fonctions de Président de
la République, de député, de sénateur de conseiller
municipal ou de conseiller régional.
91 Cette disposition est contenue
indifféremment dans les art. 118 al.1, 158 al.1 et 176 al.1 du code
électoral.
92 Voir l'art. 117 du code électoral.
93 La décentralisation vise en effet le
rapprochement de l'administration des citoyens locaux.
94 Voir l'art.175 al.1 du code électoral.
28
que : « Les personnes non résidentes peuvent
être candidates si elles justifient d'un domicile d'origine dans le
territoire de la commune concernée »95. De même,
le candidat à un mandat de conseiller régional, doit justifier
d'une résidence effective sur le territoire de la région
concernée96. Cependant, le candidat non résident sur
le territoire de la région concernée sera éligible s'il a
un domicile réel dans ladite région97.
Paragraphe 2 : LES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET
CULTURELS DU CITOYEN
Les droits économiques sociaux et culturels
relèvent de la catégorie des droits dont l'effectivité
nécessite une intervention de l'Etat vis-à-vis de ses
bénéficiaires. C'est la raison pour laquelle ils sont
qualifiés de droits-créances. Comme pour les droits civils et
politiques, leur consécration suprême réside
essentiellement dans le préambule de la Constitution. Il nous revient
ici d'examiner séparément ce groupe de droits.
A. Les droits économiques du citoyen
Les droits économiques du citoyen peuvent être
définis comme des droits dont la mise en oeuvre concourt à
l'amélioration des conditions de vie du citoyen en termes de
satisfaction de ses besoins élémentaires. Outre ceux qui sont
expressément énoncés par la loi constitutionnelle du 18
janvier 1996, à savoir le droit de propriété (1) et le
droit au travail (2), nous mentionnerons aussi la liberté d'entreprendre
(3).
1. Le droit de
propriété
Le droit de propriété est un droit sacré.
En effet, « A côté de la liberté individuelle
proprement dite, qui assure la sauvegarde physique de l'individu, le droit de
propriété assure sa sauvegarde économique et
matérielle »98 . Toutes les Constitutions du Cameroun
ont toujours reconnu ce droit comme étant fondamental. C'est ainsi que
la loi constitutionnelle du
95 Voir l'art.175 al.2 du code électoral.
96 Voir l'art. 251du code électoral.
97 Voir l'art 251 al. 2 du code électoral.
98 Louis Trotabas, Paul Isoart, Droit public,
Paris, L.G.D.J., 24e éd., 1998, p. 140.
29
18 janvier 1996 dispose tout aussi que : « La
propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer des biens
garantis à chacun par la loi. Nul ne saurait en être privé
si ce n'est pour cause d'utilité publique et sous la condition d'une
indemnisation dont les modalités sont fixées par la loi ».
De cet énoncé, il ressort que le droit de propriété
est le principe et l'expropriation l'exception.
Par ailleurs, le droit au logement est un corollaire du droit
de propriété. Le droit au logement est le droit reconnu à
chacun des citoyens de disposer d'un logement décent. De manière
simple, c'est le « droit à l'abri ».
L'Etat doit oeuvrer afin de permettre l'accès de ses
citoyens au logement : c'est la raison d'être des logements sociaux par
exemple, qui constituent un pilier du droit au logement.
De même, l'Etat facilite l'accès au logement
à travers la mise en oeuvre de programmes d'aide à la
construction. C'est à cet objectif que répond la création
au Cameroun du crédit foncier, qui est chargé de percevoir un
impôt et de le redistribuer ensuite à tous les citoyens sous forme
de prêt servant à l'accès au logement.
Dans le cadre de la décentralisation, ce rôle est
partagé entre l'Etat central et les collectivités territoriales
décentralisées. Ces dernières disposent, en matière
de logement, de nombreuses prérogatives relatives à l'occupation
du sol, à la planification urbaine etc.
En outre, il est à noter que l'exercice du droit de
propriété n'est pas géographiquement limité.
Autrement dit tout citoyen peut s'en prévaloir dans n'importe quelle
partie du territoire national. Il en est ainsi parce qu'aux termes de la
Constitution camerounaise, tout homme a le droit de se fixer en tout lieu sur
le territoire national.
Malgré tout, il est à noter que le droit de
propriété n'est pas absolu, car son exercice ne saurait
être contraire à l'utilité publique ou porter atteinte aux
droits de propriété et au logement d'autrui. Ainsi,
l'expropriation pour cause d'utilité publique doit automatiquement
donner lieu à une juste et préalable indemnisation.
30
2. Le droit au travail
Aux termes de la Constitution, « Tout homme a le droit
[...] de travailler »99. Le droit au travail est le droit
d'accéder à un emploi et de jouir des conditions de travail
justes, c'est-à-dire le droit à un salaire équitable et
régulier, à la promotion sociale, aux congés payés
et à la rémunération des jours fériés
notamment. La notion de travail fait d'ailleurs partie des trois concepts qui
constituent la devise de la République du Cameroun, à savoir
« Paix-Travail-Patrie ». Cela témoigne de l'importance du
droit au travail dans la logique des rapports entre l'Etat et ses citoyens. En
effet, le travail, outre une activité physique ou intellectuelle
exercée par une personne, moyennant une rémunération, est
aussi et surtout un facteur de cohésion sociale et de
développement économique et social du pays.
De toute évidence, l'Etat ne saurait assurer le
bien-être de tous ses citoyens s'il ne met en oeuvre des conditions
concrètes permettant l'accès de ceux-ci aux emplois
décents et qui leur confèrent une sécurité
sociale100. En fait, les travailleurs doivent pouvoir
bénéficier de mesures assurant leur protection vis-à-vis
de certains évènements ou risques sociaux liés à
leur activité professionnelle, tels que les accidents de travail, les
congés, la maladie, le décès et certaines charges
familiales.
Ainsi, il faut relever que l'effectivité du droit au
travail passe indéniablement par sa juxtaposition avec certains droits
comme la liberté syndicale et le droit de grève ; car ces
derniers permettent aux travailleurs, par l'entremise des syndicats
professionnels par exemple, de défendre leurs droits en revendiquant
simplement de meilleures conditions de travail ou de vie.
En outre, le droit au travail ne doit pas seulement être
envisagé comme un droit créance qui entraine une action ou une
intervention de l'Etat, mais il peut aussi être envisagé comme un
droit qui exige, pour sa mise en oeuvre, une abstention de l'Etat. En d'autres
termes, le droit au travail peut consister pour l'Etat à ne pas entraver
la liberté d'exercer une activité professionnelle.
99 Cf. le préambule de la Constitution
du 2 juin 1972, modifiée par la loi constitutionnelle du 18 janvier
1996.
100 Toutefois, le droit au travail qui est certes un droit
créance, ne signifie pas pour autant que l'Etat se hisse comme le seul
créateur d'emplois. Mais la liberté d'entreprendre qui permet aux
citoyens de générer eux-mêmes des emplois, nous
éloigne de la perspective où l'Etat est considéré
comme l'acteur exclusif du système d e création d'emplois.
31
1. La liberté d'entreprendre
Considérée comme la version moderne de la
liberté du commerce et de l'industrie reconnue en France après la
révolution de 1789101, la liberté d'entreprendre est
la faculté accordée à toute personne d'exercer telle
profession, art ou métier qu'elle trouve bon, sous la condition du
respect des lois et règlements. Autrement dit, la liberté
d'entreprendre permet le libre exercice de toute activité
économique ou entrepreneuriale, qui ne peut être restreinte que
pour des raisons d'intérêt général.
Elle tend à « la réalisation de sa
destinée personnelle, dans le domaine familial et professionnel
»102. Elle peut aussi impliquer la possibilité
d'exploiter tout patrimoine, car « la liberté d'exploiter
complète la liberté d'entreprendre ; en permettant à tout
entrepreneur de gérer son entreprise à sa guise » 103 . De
cette façon, considérée comme un moyen
d'épanouissement personnel, la liberté d'entreprendre est donc
nécessaire « à un individu qui souhaite réussir sa
vie sur le plan matériel »104 ; bien qu'elle «
comporte également la liberté de faire travailler autrui
»105.
Du point de vue économique, la liberté
d'entreprendre est un élément indispensable au fonctionnement de
l'Etat. En effet, le système économique basé sur le
principe de l'économie de marché est sous-tendu par la
liberté d'entreprendre. Elle est l'apanage des personnes aussi bien
physiques que morales.
B. Les droits sociaux
Les droits sociaux peuvent être entendus comme des
droits qui nécessitent la fourniture par l'Etat de services collectifs
destinés à assurer le bien-être de ses citoyens.
D'ailleurs, « Historiquement les droits sociaux ont joué un
rôle important, sinon crucial, pour le
101 La liberté du commerce et de l'industrie fut
consacrée en France par la loi des 2-17 mars 1791.
102 Jean Gicquel, Jean-Eric Gicquel, op. cit., p. 89.
103 Rémy Cabrillac, Marie-Anne Frison-Roche, Thierry
Revet (dir. ), Libertés et droits fondamentaux, Paris, Dalloz,
12e éd., 2006, p. 698.
104 Ibidem.
105 Jean Pélissier, Alain Supiot, Antoine Jeammaud,
Droit du travail, Paris, Dalloz, 23e éd. , 2006, p.
143.
32
développement de la citoyenneté
»106. Or, il apparaît souvent que les difficultés
économiques de l'Etat soient invoquées comme étant un
obstacle radical à leur effectivité107.
L'essentiel des droits sociaux sont le droit à la
santé (1) et le droit à l'éducation (2).
1. Le droit à la santé
Le droit à la santé est un droit dont la
protection est essentielle, car la santé touche à tous les
aspects de la vie de l'individu. En vue d'assurer le bien-être de ses
citoyens, l'Etat doit notamment leur garantir le droit à la
santé, qui « se décompose en un droit à
l''accès aux soins et un droit à bénéficier d'un
environnement sain »108, ceci sur toute l'étendue du
territoire national. Dans cette optique, le système sanitaire national
doit permettre une couverture sanitaire universelle pour tous.
Mais en plus, comme tous les autres droits du citoyen, le
droit à la santé doit, dans sa mise en oeuvre, répondre au
souci de garantir l'égalité de tous les citoyens,
c'est-à-dire un accès égal aux soins de santé.
C'est à cet objectif que répondent la création des
hôpitaux et centres de santé sur toute l'étendue du
territoire national aussi bien en zone urbaine que rurale, la subvention ou la
réduction des coûts de traitement de certaines maladies graves et
la mise sur pied d'une couverture vaccinale universelle pour l'ensemble des
citoyens.
Par ailleurs, en tant qu'il est le garant de la santé
publique, l'Etat doit élaborer et mettre en oeuvre des politiques de
prévention des pandémies et des épidémiques. Au
rang des mesures s'inscrivant dans ce cadre, nous pouvons mentionner
l'organisation de campagnes de vaccination gratuite contre certaines maladies.
Ces campagnes sont principalement destinées aux enfants, aux femmes
enceintes et aux personnes âgées, en raison notamment du
caractère vulnérable qu'engendre leur situation.
Toujours pour garantir le droit de ses citoyens à la
santé, l'Etat peut, à travers ses différents
démembrements organiques, prendre toutes mesures visant à
empêcher que toute situation ne vienne nuire à la santé de
ses citoyens. Ces mesures peuvent, de par leur contenu,
106 Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et
citoyenneté », op. cit., p. 15.
107 La possibilité de recourir à des dispositifs
institutionnels et normatifs pour assurer la protection des droits sociaux est
souvent limitée. En général, l'on pense que ces droits ne
peuvent être pleinement garantis que progressivement dans le temps en
fonction du niveau de développement du pays.
108 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès,
Libertés publiques et droits de l'homme, op. cit., p. 215.
33
porter atteinte à d'autres droits ou libertés.
Dans ce sillage, l'Etat peut par exemple interdire la commercialisation de
certains produits alimentaires, pharmaceutiques ou industriels
présentant des risques de trouble de la santé
publique109.
Il est important de mentionner que la garantir du droit
à la santé se fait aussi en amont à travers le
système de sécurité sociale auquel participe, au travers
des cotisations sociales, l'ensemble des citoyens, sinon la majorité
d'entre eux. Lequel système constitue ainsi un des instruments majeurs
de financement du système de santé publique.
2. Le droit à
l'éducation
Dans l'ordre juridique camerounais, le droit à
l'éducation revêt une valeur constitutionnelle. La loi
fondamentale énonce en effet dans son préambule que : «
L'Etat assure à l'enfant le droit à l'instruction. L'enseignement
primaire est obligatoire. L'organisation et le contrôle de l'enseignement
à tous les degrés sont des devoirs impérieux de l'Etat
».
Ainsi, la consécration des caractères
obligatoire et gratuit de l'enseignement primaire s'inscrit notamment dans
l'optique d'assurer la formation des citoyens afin de les rendre capables
à terme de conduire les affaires de l'Etat.
Cela constitue aussi la traduction concrète du concept
de l'école républicaine, qui est construite notamment autour du
principe de l'école pour tous. En d'autres termes, l'instruction doit
être accordée à tous sans discrimination liée au
statut socio-économique, au sexe, à la religion, à la
race, à la tribu etc. En un mot, la mise en oeuvre effective du droit
à l'éducation passe par la démocratisation de
l'accès à l'école. De ce point de vue, l'on peut dire que
l'effectivité du droit à l'éducation est aussi une voie de
garantie du principe d'égalité de tous les citoyens. En effet, il
s'agit à travers l'école républicaine, de permettre
l'accès à l'instruction du plus grand nombre, d'autant plus que
l'école constitue un puissant instrument d'intégration et
d'épanouissement sociales et de formation à l'acquisition des
valeurs républicaines.
109 La protection de la santé publique peut aboutir par
exemple à prendre des mesures interdisant, suspendant ou limitant la
protection et/ou la publicité des produits comme le tabac, l'alcool ou
la drogue.
34
De façon générale, l'on peut affirmer que
l'éducation au sens large du terme est un outil majeur de construction
de la citoyenneté, car elle « informe et forme les citoyens
»110. Elle permet en fait d'acquérir diverses
compétences et qualifications dont la mise en oeuvre est
nécessaire au progrès socio-économique et culturel du
pays.
Dans cette optique, il incombe à l'Etat de financer le
développement du secteur éducatif par la création
d'institutions d'enseignement primaire, secondaire et universitaire, par le
recrutement et la formation des ressources humaines et par le suivi et
l'harmonisation des programmes d'enseignement sur l'ensemble du territoire
national. Il est par ailleurs accompagné dans cette tâche par des
opérateurs privés, qui créent des établissements
d'enseignements à vocation laïque ou confessionnelle.
C. Les droits culturels du
citoyen
Les droits culturels peuvent être entendus comme des
« droits tenant à l'identité des personnes et des groupes,
à leur définition de soi, au respect d'un patrimoine particulier
de traditions et valeurs »111.
Au regard du constitutionnalisme camerounais, les droits
culturels portent essentiellement sur la préservation des traditions,
c'est-à-dire les croyances, les valeurs, les us et coutumes des
citoyens, en tant que ceux-ci appartiennent chacun aux divers groupes ethniques
ou tribaux qui composent le pays.
Les droits culturels sont exercés sous réserve
de leur conformité à la loi et aux bonnes moeurs112.
Dans cet esprit, toute pratique traditionnelle ou culturelle quelconque qui
viole la dignité et l'honneur de l'homme ne saurait être admise.
C'est à ce titre par exemple que le gouvernement combat la pratique
coutumière de l'excision des jeunes filles, qui est propre à
certains groupes ethniques des régions septentrionales du
pays113.
110 Alain Marie Matigi, Problématique de la
politique de l'équilibre régional au Cameroun à
l'ère de la démocratie pluraliste : Analyse des bases
justificatives en matière de concours administratifs,
mémoire de DEA de l'université de Yaoundé II-Soa,
1998 / 1999, p. 83.
111 Guy Rocher, « droits fondamentaux, citoyens
minoritaires, citoyens majoritaires », op cit. , p. 37.
112 A ce propos, l'art. 1er de la constitution
affirme respectivement dans ses al. 2 et 3 que la République «
reconnait et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes
démocratiques, aux droits de l'homme et à la loi » et «
garantit le la protection et la promotion des langues nationales ».
113 L'interdiction de la pratique coutumière de
l'excision répond par ailleurs à l'objectif affirmé par le
préambule de la Constitution selon lequel « La nation
protège la femme ».
35
Puisque les droits culturels sont surtout des droits
collectifs, qui tiennent à l'identité culturelle des citoyens et
à leur appartenance à des groupes ethno-tribaux distincts, l'on
peut dire qu'ils sont bâtis du point de vue de la diversité ethno
culturelle du pays. De ce fait, chaque communauté ethnique ou tribale a
le droit de promouvoir les éléments de sa culture. A ce sujet, la
vitalité dans l'exercice des droits culturels au Cameroun est
perceptible au regard de la pérennisation et de la multiplication
d'évènements culturels114.
Ainsi, les droits culturels consistent en le droit de
développer une culture, le droit d'un peuple à ne pas se faire
imposer une culture étrangère, le droit de protection des oeuvres
artistiques, littéraires, scientifiques, le droit au respect du
patrimoine artistique, historique et culturel, le droit au respect de son
identité linguistique.
Dans cette logique, la Constitution prévoit que la
République du Cameroun « oeuvre pour la protection et la promotion
des langues nationales »115. C'est de toute évidence
l'une des raisons pour lesquelles il serait difficile, sur les deux-cent
quatre-vingt langues nationales environ existant au Cameroun pour autant
d'ethnies, d'adopter et surtout de faire légitimer comme langues
nationales officielles quelques-unes seulement d'entre elles.
Toutefois, l'exercice des droits culturels ne doit en aucun
cas constituer un ombrage à la prévalence de l'identité
culturelle nationale. Mais la diversité culturelle doit être en
somme un facteur d'intégration nationale, mieux encore, l'expression
d'une identité nationale commune plus englobante116. De cette
manière, si la diversité culturelle, par essence
différentialiste, est susceptible de séparer les citoyens les uns
des autres, comme l'induit d'ailleurs Guy Rocher, lorsqu'il dit que « la
dimension culturelle de la citoyenneté peut comporter une forte tendance
à la fragmentation sociale et politique »117,
l'identité nationale doit en ce moment servir à les unir ; car l'
« Identité nationale et citoyenneté sont souvent des termes
interchangeables. Ils
114 Nous pouvons citer à titre d'illustration, le
Ngondo, le Medumba, le Ngan Nkam, le Mbog Lia, le Ngouon, qui sont autant de
festivals cultutrels et traditionnels bénéficiant par ailleurs de
la participation et du soutien des pouvoirs publics.
115 Cf. art. 1er al. 3 de la Constitution.
116 C'est en effet sur la diversité culturelle du
Cameroun que le constituant a bâti son unité, car aux termes du
préambule de la Constitution, la République du Cameroun fait de
sa diversité linguistique et culturelle l'élément de sa
personnalité nationale, non sans réaffirmer l'unicité de
la nation.
117 Cf. Michel Coutu, « Introduction : Droits
fondamentaux et citoyenneté », op cit., p. 13.
36
renvoient à la question fondamentale de savoir ce qui
unit les habitants partageant un même espace, qu'il soit politique,
culturel, social ou tout cela à la fois »118.
En somme, les droits culturels sont appelés à
s'épanouir en-dessous, sinon à l'intérieur de
l'identité nationale, et nullement l'inverse.
SECTION 2 : LA PRESCRIPTION DE DEVOIRS A LA CHARGE
DU CITOYEN
Au même titre que les droits, les devoirs constituent un
élément consubstantiel du statut du citoyen. A propos du terme
devoir, signalons de prime abord qu'il peut être perçu au
juridique et au plan moral : Le devoir juridique constitue une obligation qui
pèse sur une personne en vertu du droit 119 , tandis que le
devoir moral est une « obligation dont l'inexécution ne peut
être poursuivie en justice, ne chargeant l'obligé que d'un devoir
de conscience »120.
En tant que membre de la collectivité nationale, le
citoyen est astreint à plusieurs obligations à l'égard de
celle-ci, car « La citoyenneté est une fonction, comprenant des
droits et des charges, qui bénéficient et pèsent sur les
personnes »121.
Dans cette perspective, nous examinerons les devoirs du
citoyen sur les plans socio-politique d'une part (§ 1), et
économique d'autre part (§ 2).
Paragraphe 1 : LES DEVOIRS DU CITOYEN AU PLAN
SOCIO-POLITIQUE
Le citoyen est un être essentiellement juridique, de ce
fait, il est astreint à l'obligation de respect de la loi (A). Et en
tant que membre de la nation, il contribuer à la défense de la
Patrie (B).
118 François Rocher, « Citoyenneté
fonctionnelle et État multinational : pour une critique du jacobinisme
juridique et de la quête d'homogénéité »,
in Michel Coutu, Pierre Bosset et al., op. cit., pp.
201-235, (spéc. p. 204).
119 Voir le Lexique des termes juridiques, Paris,
Dalloz, 13e éd., 2001, p.203.
120 Ibidem.
121 A. Supiot (dir.), Au-delà de l'emploi.
Transformation du travail et devenir du droit du travail en Europe,
Flammarion, 1999. Cité par Olivier Déloye et Olivier Ihl,
L'acte de vote, op. cit., pp. 16-17.
37
A. L'obligation de respect de la loi
Le citoyen est soumis au devoir impératif de respecter
la loi au sens large du terme, tel est en effet la signification du devoir
civique. En effet, « le citoyen en tant que membre du Souverain a des
droits [...]. Mais ces droits ont un envers : ils lui imposent une obligation,
celle de respecter la décision collective prise par le Souverain »
122 . Aristote affirmait d'ailleurs que : « la vertu d'un citoyen digne
d'estime consiste à savoir bien [...] obéir »123.
L'obligation de respect de la loi est d'une part la conséquence de ce
que les citoyens sont les auteurs de la loi (1), d'autre part elle constitue la
garantie d'une vie sociale organisée d'autre part (2).
1. Les citoyens comme auteurs de la
loi
Les citoyens doivent respecter les lois de l'Etat parce qu'ils en
sont à l'origine ; car « La souveraineté nationale
appartient au peuple »124. Raymond Carré de Malberg
rappelait d'ailleurs fort opportunément le lien entre les citoyens et
l'élaboration de la loi, en disant que : « Quant aux citoyens, les
lois qui les régissent ne sont pas susceptibles d'être
envisagées comme des manifestations d'une puissance de commandement
extérieure à eux »125.
De plus, pour que la loi ait une force obligatoire à
l'égard des citoyens,
il faut nécessairement supposer que l'acte fait par
l'organe législatif est traité juridiquement comme une oeuvre
collective qui n'est pas propre seulement à l'auteur effectif de la loi
[...], mais qui, émanant d'un organe érigé en
représentant de la nation souveraine, vaut comme l'oeuvre de la nation
entière 126.
122 Olivier Beaud, « Fragments d'une théorie de la
citoyenneté chez Carré de Malberg. Ou comment articuler le
citoyen, l'État et la démocratie », Jus Politicum,
n° 8, 2012, p. 24.
123 Aristote, La politique, op. cit., p. 76.
124 Voir L'art. 2 al. 1 de la Constitution.
125 Raymond Carré De Malberg, La loi, expression de
la volonté générale, Paris, Économica
(Classiques), 1984, p. 151, cité par Olivier Beaud, op. cit.,
p. 28.
126 Olivier Beaud, op. cit., p. 30.
38
En d'autres termes, l'élaboration des lois de la
République est incontestablement l'apanage de tous les
citoyens127 ; lesquels « ont le droit de recourir
personnellement, ou par leurs représentants à sa formation
»128.
Mais dans le contexte camerounais de démocratie
représentative129, c'est l'élaboration des lois par
les représentants du peuple qui est le mécanisme le plus
usité. En dépit de cela, il faut convenir avec Olivier Beaud que
le mécanisme de la représentation n'entraine pas l'effacement du
citoyen de l'oeuvre de légifération130.
L'élaboration indirecte de la loi se fait par le
mécanisme de la représentation politique. Ainsi, en vertu de la
Constitution, le Président de la République et les membres du
parlement ont le pouvoir d'initier des lois131. Selon la
procédure législative, les projets et propositions de loi qui
sont déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur
celui du Sénat, après leur examen par les commissions
spécialisées de chacune de ces chambres132, feront
l'objet de discussions et d'éventuels amendements en séance
plénière. A la fin, le texte adopté par le Parlement doit
être transmis au Président de la République aux fins de
promulgation dans un délai de quinze (15) jours à compter de sa
transmission, après vérification de la conformité dudit
texte à la Constitution133. C'est seulement à partir
de cette promulgation que le texte s'impose inexorablement au citoyen, car
« le citoyen est réputé sortir de la communauté
nationale s'il n'obéit pas à la loi promulguée
»134.
Quant à l'élaboration directe de la loi par les
citoyens, elle se fait par la voie du référendum. Il s'agit d'un
procédé de vote permettant aux citoyens de se prononcer sur un
texte émanant du pouvoir exécutif. Par ce moyen, le texte est
soumis à l'appréciation du
127 Cette idée découle en fait de la
théorie du Contrat social de Rousseau, qui se fonde sur le mythe de la
volonté générale, source de la loi commune au sein de la
communauté.
128 Arlette Heymann-Doat, Gwénaëlle Calvès,
op. cit., p. 27.
129 L'art. 4 de la Constitution dispose en effet que
l'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la
République et le parlement.
130 Pour cet auteur, « Les citoyens en tant qu'individus
sont désormais inclus dans le concept du législateur et de loi
». Il renchérit cette idée en rapportant les propos de
Raymond Carré de Malberg selon lesquels les citoyens, en tant que
membres de la communauté nationale « ne peuvent donc point
être considérés comme des tiers par rapport à cet
acte [acte législatif], mais par l'effet d'une telle
représentation, ils se trouvent associés à la confection
de la loi, et chacun d'eux, pris individuellement, va dès lors,
être traité comme ayant été partie à son
adoption. ». Voir Olivier Beaud, op. cit., p. 31.
131 L'art. 25 de la Constitution dispose en effet que «
L'initiative des lois appartient concurremment au Président de la
République et aux membres du Parlement ».
132 Voir art. 29 a1. 1 de 1a Constitution.
133 Voir l'art. 31de la Constitution.
134 Olivier Beaud, op. cit., p. 30.
39
peuple constitué en corps électoral et dont le
consentement lui confère toute son autorité135. C'est
par exemple à la faveur du référendum constituant du 20
mai 1972 au Cameroun que la Constitution du 02 juin 1972 fut adoptée.
Au regard du constitutionnalisme camerounais, il est à
noter la décision de soumettre un texte au référendum
appartient délibérément au Chef de l'Etat, ce qui lui
permet d'opter à sa guise pour la voie législative en vue de
l'adoption des projets de loi. Pourtant, aux termes de la Constitution du Congo
du 20 janvier 2002, tout projet de révision de la Constitution, «
Lorsqu'il émane du Président de la République, [...] est
soumis directement au référendum »136
2. Le respect de la loi comme la garantie d'une
vie
sociale organisée
Le respect de la loi s'impose aux citoyens en raison du fait
qu'il constitue la garantie d'une vie sociale organisée. La violation de
la loi est source d'insécurité juridique, car elle trouble
l'ordonnancement juridique.
En effet, sans le respect de la loi, il pèse un
réel danger sur la sécurité des droits et libertés
des uns et des autres d'une part, et sur la stabilité des institutions
étatiques d'autre part.
Une société dans laquelle l'ordre juridique
n'est pas respecté par ses membres court le risque de sombrer dans
l'anarchie ; ce qui entrainera inévitablement sa décadence. C'est
pourquoi il est impératif que les citoyens respectent les lois
existantes afin qu'elles demeurent le fondement de toute domination
légitime qui puisse peser sur eux.
Aussi, les forts n'écraseront pas les faibles ; car la
loi les en empêchera. Concrètement, le citoyen doit exercer ses
droits et libertés de manière à ne pas attenter à
ceux de ses concitoyens. C'est dans cette veine que la Constitution du Cameroun
affirme que : « La liberté et la sécurité sont
garanties à chaque individu dans le respect des droits d'autrui et de
l'intérêt supérieur de l'Etat »137.
Autrement dit, se prévaloir de ses droits dans le respect de ceux
d'autrui est un devoir impérieux du citoyen.
135 L'art. 63 al. 4 de la Constitution dispose à cet
effet que « Le Président de la République peut
décider de soumettre tout projet ou toute proposition de révision
de la Constitution au référendum. Dans ce cas, le texte est
adopté à la majorité simple des suffrages exprimés
».
136 Cf. art.186 de la Constitution du Congo du 20
janvier 2002.
137 Cf. préambule de la Constitution du 2 juin
1972, modifiée par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
40
En outre, il convient de noter que l'harmonie dans la
société et le civisme sont intimement liés. En effet, le
civisme, qui est un comportement individuel du citoyen consistant à
respecter et à faire respecter les lois et les règlements en
vigueur dans l'Etat, est l'un des piliers de l'organisation et du bon
fonctionnement de la société138. Envisagé du
point de vue horizontal, le respect de la loi impose à tout citoyen de
respecter autrui, c'est-à-dire ses concitoyens.
B. Le devoir de défense de la Patrie
Analyser le devoir de défense de la Patrie consistera
tout d'abord à aborder sa formulation théorique (1) avant de
présenter ses aspects concrets (2).
1. La formulation théorique du devoir de
défense de la Patrie
« Tous les citoyens contribuent à la
défense de la Patrie »139. Cette obligation constitue
l'un des devoirs sacrés du citoyen. Dans le prolongement de
l'énoncé suscité, la Constitution Camerounaise
prévoit que sont du domaine de la loi « Les devoirs et obligations
du citoyen en fonction des impératifs de la défense nationale
»140. A l'analyse de cette disposition, l'on peut
déduire que la défense nationale est étroitement
liée à la souveraineté qui, dans le cadre constitutionnel
camerounais, appartient au peuple.
Cela signifie que contribuer à la défense de la
Patrie c'est participer d'une certaine manière à l'exercice de la
souveraineté nationale. A ce sujet, la défense, tout comme la
citoyenneté, implique l'existence d'un lien d'allégeance au
pouvoir souverain, un rattachement à l'Etat et une appartenance à
la Nation. C'est ce que semblait relever Léon Duguit lorsqu'il affirmait
que : « La conscience que l'homme fait partie d'une nation, qu'il ne peut
vivre que s'il fait partie d'une nation, que son premier devoir comme son
premier intérêt est de défendre l'intégrité
de cette nation [...], telle est en son essence l'idée de patrie
»141
138 Par conséquent, le respect de la loi paraît
comme un moyen sûr de préservation de la morale, de l'ordre
public, bref, de l'intérêt général à
côté des multiples intérêts individuels.
139 Cf. préambule de la Constitution du
Cameroun.
140 Cf. art. 26 al. 2a. de la Constitution du
Cameroun.
141 Léon Duguit, Traité de droit
constitutionnel, 3e édition en cinq volumes, Tome 2, La
théorie générale de l'Etat, première partie.
Eléments, fonctions et organes de l'Etat, p. 10. Disponible sur
http://galicia.bnf.fr/Bibliothèquenationale
de France.
41
Au Cameroun, le devoir des citoyens de défendre la
Patrie est construit autour du paradigme de défense populaire. En effet,
l'un des axes de la réforme de l'armée entamée en 2001 a
été le renforcement du lien entre cette institution et la Nation.
Lequel lien est donc plus que jamais l'un des axes majeurs de la politique de
défense nationale. C'est dans ce moule que se forme la figure du «
citoyen-soldat », c'est-à-dire le citoyen civil qui joue un
rôle plus ou moins majeur dans l'opérationnalisation de la
politique nationale de défense. A ce sujet, le Capitaine de Vaisseau
Jean Pierre Meloupou affirme que l'un des enjeux de la professionnalisation de
l'armée camerounaise est « Le renforcement de l'adhésion des
populations à la défense nationale. L'interaction et les
interrelations civilo-militaires doivent être
systématisées, et normalisées pour mieux affronter la
nouvelle conflictualité dont les rouages se construisent souvent dans la
population »142.
Sous le prisme de la politique de défense populaire,
l'armée nationale et les citoyens forment en quelque sorte un duo qui se
déploie au travers d'une collaboration synergique, dont l'ultime
finalité est d'assurer la défense de l'intégrité du
territoire national et la sécurité des personnes et des biens.
2. Les aspects du devoir de défense de la
Patrie
En dépit du fait que la défense nationale
relève fondamentalement des missions d'un corps professionnel bien
organisé et bien déterminé, génériquement
dénommé les forces armées et de
sécurité,l'esprit de défense de la patrie doit subsister
en permanence chez chacun des citoyens : C'est l'idée de la
défense civile. Ainsi, l'on peut identifier trois aspects du devoir
citoyen de défense de la patrie.
Le premier concerne le renseignement. Il peut consister en la
dénonciation de toute personne ou activité suspecte susceptible
de porter atteinte à la sécurité des hommes et de leurs
biens. Pour ce faire, les forces armées et de sécurité
doivent se positionner comme des forces de contact avec les populations pour la
recherche dudit renseignement. D'ailleurs, l'efficacité des
opérations militaires dépend en grande partie de la
détention par l'armée du renseignement prévisionnel, qui
dans la plupart du temps, est fourni par les populations civiles. Cela est
d'autant important compte tenu de la montée du phénomène
de guerre
142Jean Pierre Meloupou, «L'évolution
de la défense et de la sécurité au Cameroun », Les
actes du colloque 2011 sur « 50 ans de défense et de
sécurité en Afrique : états et perspectives
stratégiques », p. 12.
42
asymétrique dans laquelle l'ennemi des forces
conventionnelles revêt parfois une forme nébuleuse qui lui permet
de dissimuler au sein des populations civiles.
Dès-lors, le citoyen apparait comme un rempart de la
sécurité et de la défense nationales, qui se
déploie à travers un cadre d'actions synergiques établi
entre les forces armées et les populations.
Le deuxième aspect est l'engagement des citoyens,
principalement les jeunes, dans les forces de défense et de
sécurité. L'idée-force ici est que chaque citoyen est un
potentiel soldat. Quand l'Etat subit une agression de sorte que
l'intégrité de son territoire ou de ses institutions est
menacée, le devoir citoyen de défense de la patrie peut aller
jusqu'à l'engagement volontaire ou non dans l'armée. Cela traduit
la responsabilité du citoyen vis-à-vis de la Nation et de sa
protection.
Malgré l'inexistence de la conscription au Cameroun, la
mobilisation des jeunes citoyens d'un certain âge dans les forces de
défense, en cas d'agression extérieure, n'est pas pour autant
exclue, d'autant plus que le préambule de la Constitution prescrit lato
sensu que « Tous les citoyens contribuent à la défense de la
Patrie ». Cela veut clairement dire qu'en période de guerre, c'est
un devoir sacré et impérieux de répondre à l'appel
du drapeau. Cela est révélateur de l'idée selon laquelle
le concept de « citoyen-soldat » est étroitement lié
à celui de Patrie ; car il y'a en chaque citoyen un soldat qui
sommeille.
Enfin, le troisième aspect est la contribution à
l'effort de guerre. Elle consiste pour les citoyens, à titre individuel
ou collectif, à mobiliser des ressources diverses en vue de soutenir les
efforts matériels et financiers qu'implique une guerre.
Concrètement, la contribution à l'effort de
guerre se fonde sur un élan de solidarité des citoyens, qui peut
être soit spontané, soit à la demande du gouvernement. Ce
moyen de participation à la défense nationale connait d'ailleurs
une résonnance particulière au Cameroun depuis le
déclenchement de la guerre contre la secte terroriste nigériane
Boko Haram. En effet, les citoyens de tous bords, exprimant à l'unisson
la détermination de vaincre l'ennemi de la Nation, se sont
regroupés à diverses échelles, notamment régional
ou
43
départementale, en vue de collecter des fonds et des
vivres alimentaires destinés aux forces de défense au front et
aux populations déplacées des zones de conflit143.
De manière générale, le devoir de
défense de la Patrie s'avère être d'une importance absolue,
c'est pourquoi l'Etat devrait instaurer « l'intégration du volet
défense-sécurité dans l'éducation à la
morale et à la citoyenneté à l'école
»144. A ces temps de menaces à la paix et à la
sécurité du Cameroun, l'option de l'institution du service
militaire obligatoire pour les jeunes âgés d'au moins dix-huit ans
apparait comme une question à examiner.
Paragraphe 2 : LES DEVOIRS DU CITOYEN AU PLAN
ECONOMIQUE
Au plan économique, le citoyen est notamment astreint
aux devoirs de payer les impôts (A) et de travailler (B).
A. Le devoir de payer les impôts
Au Cameroun le principe de l'impôt est consacré
par le préambule de la Constitution, qui prévoit que : «
Chacun doit participer, en proportion de ses capacités, aux charges
publiques ». A la lecture de cette disposition l'on se rend bien compte
que le devoir du citoyen de payer les impôts est un mécanisme ou
un moyen de participation commune indispensable. Etant donné que la
citoyenneté est le foyer de la vie dans une communauté
donnée, le paiement de l'impôt est une manifestation ou une
conséquence de l'appartenance à cette communauté.
Hervé Andres soutient cette idée en affirmant que : « le
devoir de payer
143 La contribution financière et les dons en nature en
faveur des forces armées a connu une réelle participation des
citoyens. A ce sujet, il ressortait du communiqué du ministre
camerounais de la communication en date du 07 avril 2015 les données
suivantes : 22.750.000 F.cfa des chefs traditionnels du département des
Bamboutos ; l'élite politique du département de l'océan a
collecté 20.000.000 F.cfa; les dons en nature d'une valeur de 50.000.000
F.cfa offerts par l'élite politique de l'extrême-nord; le
comité régional du Nord a reçu des espèces d'un
montant de 60.000.000 F.cfa et un important stock de dons en nature; les
élèves de la classe de 6e B du collège de la
retraite de Yaoundé ont offert 301 palettes d'eau minérale d'une
contenance d'un litre par bouteille. Le ministère du commerce a
reçu des dons en espèce collectés en région et
versés au trésor public provenant de certaines régions
à l'instar de l'Adamaoua avec 7.775.550 ; de l'Est avec 2.453.000 F.cfa
; du Nord, 4. 830.000 F.cfa ; de l'Ouest 39.027.255 F.cfa ; du Nord-ouest,
1.472 500 F.cfa et du Sud-ouest 44.107.900 F.cfa. Le communiqué
précise d'une part qu'en date du 02 avril 2015, le total des
contributions s'élevait à 99.666.205 F.cfa, et d'autre part que
d'autres régions s'organisent pour joindre leur voix à ce
mouvement de soutien patriotique pour renchérir le compte spécial
intitulé « contribution du peuple lutte contre Boko haram ».
Le gouvernement a tenu à communiquer le numéro dudit compte,
ouvert dans les livres du trésor public, qui est 4504137.
144 Cf. Jean Pierre Meloupou, « L'évolution
de la défense et de la sécurité au Cameroun »,
op. cit., p. 15.
44
des impôts fait partie des attributs du citoyen, en tant
que modalité de la mise en commun du vivre ensemble
»145.
La contribution à l'impôt est commune et
égalitaire. En ce sens, tous les citoyens sans exception y sont
concernés, chacun en fonction de ses capacités contributives.
Cependant, la contribution égalitaire à
l'impôt ne signifie pas que tous les citoyens doivent payer un montant
identique d'impôt, ni même qu'ils sont régis par un
régime fiscal commun. Elle signifie simplement que la loi fiscale ne
doit pas contenir des discriminations injustifiées qui se baseraient sur
le sexe, la race, la tribu ou l'origine du contribuable. De ce fait, le
législateur ne peut instituer des régimes fiscaux distincts entre
les contribuables que dans la mesure où cela se justifierait par une
différence de situations.
Sur un tout autre plan, il faut dire la contribution à
l'impôt est indispensable en vue de la couverture des dépenses
publiques146, tel est en effet la fonction financière de
l'impôt. Il importe donc, en vue de rendre l'impôt plus productif,
que le plus grand nombre de contribuables soient contraints à son
paiement. La participation à l'effort commun est indispensable pour
financer et faire vivre nos services publics : police, justice,
éducation,
hôpitaux, ramassage des ordures etc. Sans l'existence de
l'impôt, l'on aboutirait malheureusement à un
désengagement de l'Etat de ses missions régaliennes de
satisfaction du service public, pouvant déboucher sur la privatisation
de celui-ci.
De plus, le paiement de l'impôt permet d'assurer
l'allocation des aides aux couches sociales défavorisées. Par ce
moyen, la nation met ainsi en oeuvre le principe de la solidarité
nationale. Sous ce prisme, l'on peut dire que la nécessité de
l'impôt vise à assurer le système des
péréquations sociales. C'est ce qui explique le principe de la
progressivité de l'impôt, qui signifie que les charges fiscales du
citoyen évoluent proportionnellement à ses revenus.
145 Hervé Andres, « Le droit de vote des
étrangers. Etat des lieux et fondements théoriques »,
Thèse de doctorat de l'université de Paris 7 Denis Diderot,
2006-2007, p. 226.
146 L'impôt contribue dans une large proportion au
financement des dépenses du budget de l'Etat.
45
B. Le devoir de travailler
La loi fondamentale du Cameroun énonce que : «
Tout homme a [...] le devoir de travailler » 147 . Le devoir de travailler
renvoie à la participation au progrès et au développement
social, économique, culturel ou technologique de l'Etat. Il en est ainsi
parce que, par le travail, les citoyens sont au service de l'Etat et des
objectifs qu'il s'est donné d'atteindre. En d'autres termes, tout
citoyen camerounais a le devoir de contribuer par son travail à la
construction et à la prospérité du pays.
Le travail constitue donc, au même titre que
l'école, un instrument d'intégration citoyenne dans la
communauté nationale ; car en fait « l'obligation de travailler est
l'un des facteurs principaux de l'intégration sociale
»148. Il est donc un élément essentiel de la
citoyenneté. Les citoyens ont le devoir de travailler pour le bien
commun. Cela consiste, particulièrement pour ceux d'entre eux qui sont
des employés, à remplir leurs obligations professionnelles
vis-à-vis de leurs employeurs et de la société globale. A
ce sujet, Léon Duguit affirmait que : « La conscience que l'homme
fait partie d'une nation, qu'il ne peut vivre que s'il fait partie d'une
nation, que son premier devoir comme son premier intérêt est [...]
de travailler à son développement, telle est en son essence
l'idée de patrie »149. Suivant ce raisonnement, le
travail ne vise plus seulement l'objectif d'assurer le bien-être social
et économique de l'individu qui l'exerce, mais produit une plus-value
davantage étendue à l'échelle de la nation toute
entière.
De toute évidence, les contributions citoyennes au
destin et au bien-être communs se font de manière
différente, ceci en fonction des capacités de chacun. Elles ne
sauraient être identiques pour tous les citoyens notamment en termes de
productivité.
Quoiqu'il en soit, ce qui importe dans le fond c'est qu'elles
remplissent toutes le même rôle : la satisfaction de
l'intérêt général.
En ce qui concerne les fonctionnaires par exemple, ils ont
l'obligation de servir et de se consacrer au service, c'est-à-dire
qu'ils doivent consacrer l'intégralité de leurs activités
professionnelles aux tâches qui leur sont confiées, ils doivent
respecter la durée et les horaires
147 Voir le préambule de la Constitution du Cameroun.
148 Sandro Cattacin , Matteo Gianni, et al. «
Workfare, citoyenneté et exclusion sociale », in Michel
Coutu, Pierre Bosset et al., op cit. , pp. 363- 383,
(spéc. p. 372).
149 Léon Duguit, Traité de droit
constitutionnel, op. cit. , p. 10.
46
de travail, ils doivent mettre en oeuvre, par l'exercice
continu de leurs fonctions, le principe constitutionnel de la continuité
du service public150.
En outre, il est manifeste que l'obligation de travailler est
connexe à celle de s'acquitter de ses contributions fiscales. Cela
conforte davantage l'idée du travail comme moyen d'intégration
politique, économique et sociale, en ce sens que le citoyen se verra
prélever sur son revenu diverses taxes ou redevances qui serviront, soit
à financer la sécurité sociale, soit à assurer le
bon fonctionnement de certains services publics tels que la communication ou le
logement par exemple.
Au regard de tout ce qui précède, l'on peut
induire que le citoyen qui refuse de travailler, contrairement aux
prescriptions de la Constitution, représente une charge pour l'Etat tout
entier. Par ce refus, il s'inscrit aussi en marge de la dynamique sociale
commune, qui est l'atteinte du progrès et du développement ;
d'autant plus que la devise nationale au Cameroun est «
Paix-Travail-Patrie ». En référence à cette devise,
l'on peut aisément déduire la relation étroite entre le
travail et le patriotisme citoyen. Elle s'analyse dans l'idée que le
travail cumulé des citoyens permet de maintenir la Patrie encore plus
forte. Et, s'engager à travailler est une manifestation de son
patriotisme.
150 L'art. 36 al.1 du décret n° 94/199 du 07
octobre 1994 portant Statut Général de la Fonction Publique de
l'Etat, modifié et complété par le décret n°
2000/287 du 12 octobre 2000, prescrit à ce propos que « Le
fonctionnaire est tenu d'assurer personnellement le service public à lui
confier et de s'y consacrer en toute circonstance avec diligence,
probité, respect de la chose publique et sens de responsabilité
».
47
Conclusion du chapitre
L'avènement de l'Etat indépendant du Cameroun
suffisait à lui seul pour donner vie à la citoyenneté
camerounaise puisqu'il permettait a priori le passage des populations
du statut de sujets coloniaux à celui de citoyen de l'Etat.
Si l'accession de l'Etat à la souveraineté
représente pour ainsi dire l'acte de naissance de la citoyenneté,
il faut tout de même souligner que cette existence plus ou moins
théorique a été renforcée par la construction
dynamique d'un régime de la citoyenneté, qui se définit
clairement en une détention indivisible de droits et de devoirs.
En reconnaissant que le citoyen camerounais est d'abord et
avant tout un être humain, il s'ensuit que le régime de ses droits
varie autour de deux pôles majeurs, dont l'un est lié aux droits
fondamentaux inhérents à tout homme, et l'autre est relatif aux
droits de participation, rattachés par essence à la seule figure
du citoyen, national de l'Etat.
L'architecture constitutionnelle de la citoyenneté
camerounaise repose aussi sur la prescription de devoirs à l'
égard du citoyen, dont les versants touchent aux domaines sociopolitique
et économique notamment.
C'est au regard de cette assise juridique, que se fonde
l'idée selon laquelle la citoyenneté camerounaise est une
réalité constitutionnelle.
48
CHAPITRE II :
LA CONSECRATION D'UNE CITOYENNETE PROMOTRICE DE L'INTERET
GENERAL
Le citoyen est considéré comme « celui qui
est appelé à participer aux affaires de la cité
»151. Assurément, la participation à la vie de la
cité ne peut se faire sans l'adhésion à un ensemble de
règles et de valeurs communes. Cet ensemble normatif et axiologique
concret et/ou abstrait n'a pour finalité ultime que la promotion et la
garantie de l'intérêt général, lequel relevant bien
entendu de la citoyenneté collective.
Notons par ailleurs que la notion d'intérêt
général n'est pas facile d'accès, étant
donné qu'elle fait appel à des considérations d'ordre
politique, administratif et social.
Sur le plan politique, l'intérêt
général peut renvoyer à la conception que les gouvernants
se font de l'Etat et des autres personnes publiques.
Vu sous l'angle administratif, l'intérêt
général est incarné aussi bien par l'administration d'Etat
que par les administrations locales décentralisées. C'est pour
cette raison qu'il est permis de dire que l'intérêt
général porte l'empreinte de la puissance publique.
Enfin, l'aspect social de l'intérêt
général renvoie à la satisfaction des besoins collectifs
de la population de l'Etat ; d'où la création de nombreux
services publics dans des domaines variés.
Cependant, il faut se demander si l'intérêt
général signifie l'addition des intérêts
particuliers ou l'exclusion de ceux-ci. Autrement dit, les besoins particuliers
ou individuels de chaque citoyen sont-ils nécessairement
intégrés dans les besoins collectifs de la société
? A ce sujet, il faut dire que ce qui doit prévaloir c'est
l'intérêt général ; car théoriquement, sa
satisfaction entraîne conséquemment la satisfaction des besoins de
chaque citoyen.
Si l'intérêt général constitue la
finalité de toute démarche citoyenne vis-à-vis de la
communauté152, cela révèle la centralité
du lien qu'il a avec la citoyenneté (section 1).
151 Philippe Ardant, institutions politiques et droit
constitutionnel, LGCD, 17e éd., 2009, p.141.
152 Le terme communauté peut renvoyer ici à
l'Etat ou à une entité infra étatique telle que la
région, la commune, le quartier etc.
49
Toutefois, nous examinerons par ailleurs le déni de
citoyenneté par les atteintes à l'intérêt
général (section 2).
SECTION I : LA CENTRALITE DU LIEN CITOYENNETE -
INTERET
GENERAL
L'un des aspects majeurs de la citoyenneté est
l'intérêt général. En effet, les citoyens doivent
avoir vocation à servir la communauté. Il apparait évident
que cela ne peut être possible, au regard du constitutionnalisme
camerounais, que par la construction de cet intérêt
général autour de l'idéal d'unité nationale (§
1). De même, il se dégage une certaine connexité entre
l'intérêt général et l'action de la
société civile (§ 2).
Paragraphe 1 : LA CONSTRUCTION DE L'INTERET GENERAL
AUTOUR DE L'IDEAL D'UNITE NATIONALE
Aux termes de la loi constitutionnelle no 96/06 du
18 janvier 1996, il ressort que l'équilibre de la République du
Cameroun est bâti autour du principe d'unité
nationale153. Dès lors, si le destin commun réside en
l'unité nationale, cela signifie que c'est en cette dernière que
doit reposer de manière fondamentale la réalisation de
l'intérêt général. Dans ce sens, Pauline Mortier
relève à propos de la France que : « L'unité du
peuple français se justifie [...] par la conception absolue de la
souveraineté nationale qui impose que le peuple, composé de
l'ensemble des citoyens, ne soit qu'une seule volonté, au service de
l'intérêt général »154.
De ce qui précède, il est à constater que
l'intérêt général réside et s'exprime dans la
Nation, et nullement en dehors d'elle. Il en est ainsi en tant qu'elle est la
communauté des citoyens (A), qui ne peut se maintenir et se renforcer
que par l'existence d'un certain nombre de valeurs républicaines
attachées à la citoyenneté (B).
153 Cette affirmation se dégage du premier
considérant du préambule de la constitution, qui énonce
que « Le peuple camerounais [...] profondément conscient de la
nécessité impérieuse de parfaire son unité,
proclame solennellement qu'il constitue une seule et même nation,
engagée dans le même destin et affirme sa volonté
inébranlable de construire de construire la Patrie camerounaise sur la
base de l'idéal de fraternité, de justice et de progrès
»
154 Pauline Mortier, Les métamorphoses de la
souveraineté, thèse de doctorat de l'université
d'Angers, 2011, p.146.
50
A. La Nation comme communauté de citoyens
Le citoyen est avant tout un national, c'est-à-dire un
individu juridiquement lié à l'Etat et membre de la Nation. Il
est « membre d'une communauté » 155 . C'est ce qui explique
l'existence d'une communauté solidaire d'intérêt politique,
économique mais aussi social et culturel entre les citoyens de l'Etat ;
car « l'ensemble des citoyens devient une Nation grâce à la
volonté collective de construire un avenir commun »156.
Dans le même ordre d'idées, Raymond Carré de Malberg
appréhende le citoyen comme une composante de la nation. Il affirme
à ce sujet qu'il y a un « manque d'autonomie du concept de citoyen.
Au regard du droit public, [...] le citoyen n'existe pas vraiment en tant
qu'individu. Il doit être compris comme la partie d'un tout, la
nation»157. Cela signifie concrètement que la
citoyenneté s'exprime dans la nation, c'est ce qu'on appelle la
citoyenneté collective. Et, L'unité du peuple peut s'analyser
comme le produit d'un consensus commun, par ailleurs nécessaire à
la survie et au développement dudit peuple.
Avec la constitution du 4 Mars 1960, le constituant
s'était particulièrement montré engagé dans la
nécessité de masquer la diversité culturelle du Cameroun.
Ce constat ressort du fait que ce texte constitutionnel, ni dans son
préambule, ni dans son dispositif, ne fait mention de cette grande
diversité qui caractérise indéniablement le pays. Ce refus
d'objectiver, ne serait-ce que symboliquement, cette diversité peut
traduire la volonté de conquérir et de raffermir l'unité
nationale, fragilisée à cette époque par
l'instabilité politique due à la guerre civile entre le
gouvernement post colonial et le mouvement d'opposition UPC en
particulier158.
Le Pr Claude Abé fait d'ailleurs remarquer à ce
sujet que « Le Cameroun qui accède à la souveraineté
internationale le 1er janvier 1960 va hériter d'une situation
de conflictualité particulière »159. Dans ce
contexte, le défi du nouveau pouvoir politique établi est
absolument
155 Aristote, La politique, op. cit., p. 74.
156 Pauline Mortier, op.cit., p. 159.
157 Beaud Olivier, op. cit., pp. 12-13.
158 Agissant dans l'illégalité, l'Union des
populations du Cameroun, interdite à la faveur d'un décret du 12
juillet 1955, s'opposait militairement au pouvoir postcolonial. L'affrontement
entre les forces républicaines et les maquisards, appellation de la
branche armée de l'UPC, a généré au Cameroun un
climat identique à celui d'une guerre civile.
159 Claude Abé, « espace public et recompositions
de la pratique politique au Cameroun », Polis R.C.S.P / C.P.S.R.
vol. 13, nos 1-2, 2006, pp. 29-56, (spéc. p.
33).
51
de bâtir la nation. C'est pourquoi « la gestion du
cas UPC apparaît comme l'un des défis immédiats à
affronter par le tout nouveau chef d'Etat camerounais Ahmadou Ahidjo. Aussi ce
dernier s'est-il engagé dans une lutte sans merci contre ceux qu'il
appelait les ennemis de la nation »160. Dans ce
contexte de conflictualité, la construction de
lintérêt général passe par
l'homogénéisation de la communauté politique. Dès
lors, le citoyen n'apparait ni plus ni moins qu'un « sujet de la nation
»161.
Par contre, avec la Constitution du 2 Juin 1972 l'incontestable
diversité sociologique du
Cameroun est mentionnée au sein de la loi
fondamentale162. Elle est désormais déclinée,
aussi bien sur le plan culturel que linguistique avec l'adoption solennelle du
français et de l'anglais comme langues officielles.
L'altérité devient dès lors une richesse qu'il convient de
promouvoir.
Considérant qu'il « est exact que la cité
est une sorte de communauté et que cette communauté réunit
des citoyens »163, l'idée qui sous-tend la construction
de l'unité nationale dans la diversité « n'est pas [...]
celle de la construction d'un groupe social homogène, mais celle du
rassemblement de toutes les communautés en un seul peuple unifié
par le port des mêmes stigmates, de créer des repères
autour desquels s'agrègent les représentants de la
communauté »164.
C'est dans cet esprit que s'inscrivit le referendum
constitutionnel du 20 Mai 1972 dont l'objet était de consulter les
citoyens camerounais afin qu'ils se prononcent en faveur ou en défaveur
de l'unification. L'adhésion massive du peuple au projet d'unification
nationale constitua donc une parfaite illustration de la volonté de ce
dernier de bâtir l'intérêt général,
c'est-à dire l'intérêt de tous et de chacun, dans
l'unité nationale.
Du reste, les destins que peuvent se forger les
différentes communautés culturelles ou linguistiques doivent
fusionner dans le tremplin du destin national.
160 Claude Abé, ibid., p. 34.
161 Cf. Olivier Beaud, op. cit., p. 32.
162 Selon le préambule de la constitution du Cameroun
du 02 Juin 1972, le peuple camerounais, « fier de sa diversité
linguistique et culturelle, élément de sa personnalité
nationale [...], proclame solennellement qu'il constitue une seule et
même nation, engagée dans le même destin ».
163 Aristote, La politique, op. cit., p. 74.
164 Léopold Donfack Sockeng, « Fondements et
signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue
africaine de parlementarisme et de démocratie, volume III,
n°7, août 2013, pp. 7-18, (spéc. p. 16).
52
B. Les valeurs comme socle de la citoyenneté
collective
La République se bâtit et se maintient autour de
valeurs fondamentales. Le citoyen devient dès lors le « gardien
incontestable des valeurs républicaines »165, lesquelles
ont de toute manière pour finalité l'édification et la
protection de l'intérêt général. C'est pourquoi
« la vertu du bon citoyen doit appartenir à tous, car c'est la
condition nécessaire pour que la cité soit parfaite
»166. C'est dans ce sens que semblent abonder Yves
Déloye et Olivier Ihl en relevant que la période de la
troisième République en France est une période clé
de la construction de la citoyenneté, en ce sens que « C'est, en
effet, à cette époque que l'idée républicaine
devient, en France, pleinement une idéologie fondatrice : celle d'une
citoyenneté s'appuyant désormais sur un ensemble de valeurs et de
représentations communes »167. Dans le même
sillage, le Pr. Léoplod Donfack Sockeng, écrivait que : « La
polis [...], c'est-à-dire la communauté des citoyens
[...] a besoin pour se constituer et acquérir une identité
spécifique, de forger sa propre conscience collective en construisant un
champ de valeurs sociales »168.
Essentiellement consacrées par le préambule de
la constitution (1), les valeurs de la République camerounaise sont
parallèlement émises par les symboles nationaux, la devise en
l'occurrence (2).
1. Les valeurs consacrées par le
préambule de la constitution
Il ressort du préambule de la constitution que le
peuple « affirme sa volonté inébranlable de construire la
Patrie camerounaise sur la base de l'idéal de fraternité, de
justice et de progrès ». Deux valeurs fondamentales peuvent
être identifiées dans cet énoncé, à savoir la
fraternité (a) et la justice (b).
a) La fraternité
L'idéal de fraternité fait partie des valeurs
sur lesquelles le peuple camerounais entend construire la Patrie.
165 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », in Ondoua Alain (dir.), La
constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, op.
cit., p. 160.
166 Aristote, La politique, op. cit., p. 75.
167 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote,
Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p.327.
168 Léopold Donfack Sockeng, « Fondements et
signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue
africaine de parlementarisme et de démocratie, op. cit.,
p. 8.
53
Le dictionnaire Larousse définit le terme
fraternité comme étant : « le lien de solidarité et
d'amitié entre des êtres humains, entre les membres d'une
société »169.
Mais dans son sens anthropologique stricto sensu, ce terme
renvoie au lien de parenté entre frères et soeurs. Dans ce
contexte il exprime l'idée de consanguinité ou de fratrie.
Lato sensu, la fraternité peut être entendue
d'abord comme un lien étroit entre ceux qui, sans nécessairement
être des frères ou des soeurs, se traitent comme tels. Dans ce
cadre, elle renvoie à la concorde, à l'union entre les hommes
formant une communauté nationale notamment. De ce point de vue,
malgré sa forte dimension abstraite et symbolique, elle est un principe
fondateur du vivre ensemble, car elle prône le dépassement des
différences de toutes natures et une prise de conscience chez l'ensemble
des camerounais de la nécessité de la cohésion
nationale.
Au rang des implications majeures de la fraternité, il
y'a la solidarité. Cette dernière s'analyse d'abord comme
l'assistance que la collectivité apporte à ses membres afin
d'assurer leur bien-être. C'est dans cet esprit que la Constitution du
Cameroun affirme que le peuple camerounais est « Résolu à
exploiter ses richesse naturelles afin d'assurer le bien-être de tous en
relevant le niveau de vie des populations sans aucune discrimination...
»170.
La solidarité renvoie aussi à l'assistance que
la collectivité apporte à ceux de ses membres se trouvant dans
une situation économique ou sociale précaire qui les place ainsi
dans un état de vulnérabilité. En clair, en vertu du
devoir de solidarité nationale, toutes les catégories de la
population doivent pouvoir jouir des fruits de la richesse nationale : C'est le
système de l'entraide, qui doit en principe conduire à la
généralisation de la sécurité sociale à
l'ensemble des citoyens.
En outre, la solidarité nationale a obtenue
d'être constitutionnalisée relativement à la
décentralisation. En effet, La loi fondamentale dispose que : «
L'Etat veille au développement harmonieux de toutes les
collectivités territoriales décentralisées sur la base de
la solidarité nationale... »171. La solidarité
dans le domaine de la décentralisation territoriale se justifie par le
souci de promouvoir un développement plus ou moins
équilibré des collectivités territoriales
décentralisées, ceci en réduisant autant que possible les
disparités existant entre elles.
169 Cf. Le Petit Larousse. Grand format, Paris,
éd. Larousse, 2001, p. 451.
170 Voir le préambule de la constitution du Cameroun.
171 Voir l'art. 55 al. 4 de la constitution.
54
b) La justice
La notion de justice désigne simplement ce qui est
juste, c'est donc une « vertu, qualité morale qui consiste à
être juste, à respecter les droits d'autrui
»172.
Elle renvoie également à l'idée
d'équité. John Rawls dit à ce propos que : « La
justice comme équité envisage les citoyens comme des personnes
engagées dans la coopération sociale et comme pleinement capables
de remplir ce rôle pendant toute leur vie »173. De ce qui
suit, il est légitime d'affirmer ici que l'intérêt
général, qu'il s'agisse de sa recherche ou de sa
préservation, constitue le fondement de la coopération sociale
ainsi évoquée par l'auteur. Suivant le même raisonnement,
ce dernier affirme que : « Les citoyens doivent avoir un sens de la
justice ainsi que les vertus politiques qui soutiennent les institutions
politiques et sociales justes »174.
Ainsi, la justice doit être érigée au rang
des valeurs fondamentales de la citoyenneté ; car c'est cela qui
permettrait que des disparités se créent de moins en moins entre
les citoyens.
Du point de vue juridictionnel, « rendre la justice
consiste essentiellement à dire ce qui est juste dans l'espèce
concrète soumise au tribunal »175. L'existence et
l'application des principes de la justice est une condition de la vie
harmonieuse en société ; car l'existence d'une autorité
supérieure aux citoyens chargée de trancher les litiges qui les
opposent entre eux est une nécessité pour assurer la paix sociale
et l'ordre public. Nul ne peut se faire justice soi-même, car « La
loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice
»176. C'est pour cette raison que « La justice est rendue
sur le territoire de la République au nom du peuple camerounais
»177. Ledit peuple camerounais, renvoie, selon le Pr. Alain
Didier Olinga, à la dimension collective de la citoyenneté
178 . Cette idée nous permet de déduire par
172 Cf. Le Petit Larousse, op. cit. ,
p. 573.
173 John Rawls, La justice comme équité :
une reformulation de la théorie de la justice, Paris, éd. La
découverte/poche, 2008 (pour la traduction française), p. 39.
174 Idem, p. 222.
175 Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 330.
176 Voir le préambule de la Constitution.
177 Voir l'art. 37 al.1de la Constitution.
178 Le Pr. Alain Didier Olinga relève que le peuple, la
nation et la Patrie constituent les aspects de la citoyenneté
collective. Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit.
55
conséquent qu'il existe un lien consubstantiel entre le
peuple, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens, et la
justice179.
Du point de vue social, la justice correspond à
l'idée de répartition sur une base égalitaire ou
équilibrée des ressources de la communauté entre ses
membres. L'on parle dans ce cadre de justice sociale.
Par le moyen de la justice, la société
conçoit et implémente une série d'actions ou de programmes
à mettre en oeuvre principalement au profit des couches sociales
défavorisées. Rawls affirme dans ce sens que : « Dans une
société bien ordonnée (...), la distribution du revenu et
de la richesse illustre ce que nous pouvons nommer la justice
procédurale pure du contexte social »180.
2. Les valeurs contenues dans la devise de
l'Etat
En tant qu'emblème majeur de l'Etat, la devise
énonce des valeurs fondamentales. A ce propos, il est à souligner
qu' « Intérêt général et devise
républicaine sont intrinsèquement liés même s'ils ne
se confondent pas »181. La devise du Cameroun est
Paix-Travail-Patrie. Son adoption par une assemblée
représentative du peuple camerounais, c'est-à-dire
l'assemblée législative du Cameroun (ALCAM), et non pas par
l'administration coloniale de l'époque, lui confère toute la
légitimité nécessaire afin qu'elle obtienne d'être
acceptée comme la traduction des aspirations-mêmes de ce
peuple.
Etant donné que des développements
précédents ont porté d'une part sur la place du travail
comme moyen d'ancrage citoyen dans la communauté politique et sociale,
et d'autre part sur le devoir patriotique, matérialisé par le
devoir de défense de la Patrie, nous ne nous appesantirons à ce
niveau que sur la paix.
La paix est l'une des valeurs les plus importantes de notre
République. C'est sans aucun doute la raison pour laquelle elle est
placée au premier rang des valeurs émises par la devise du
Cameroun. Elle est un objectif dont la recherche reste constante dans notre
pays. L'aspiration à la paix tire ses origines de l'histoire coloniale
du Cameroun. En effet, cette
179 Concrètement, la justice se place comme une clause
déterminante du contrat social liant les concitoyens et permettant de
construire et de maintenir l'appartenance de l'individu à la
citoyenneté commune. C'est ce qui justifie que les citoyens de l'Etat,
sous réserve des immunités prévues pour certains
élus politiques, sont en principe tous justiciables devant les
tribunaux.
180John Rawls, La justice comme
équité : une reformulation de la théorie de la
justice, op. cit., p.79.
181 David Hiez et Rémi Laurent, « La nouvelle
frontière de L'économie sociale et solidaire :
L'intérêt général ? », RECMA- revue
internationale de l'économie sociale, n O 319, pp. 36-56,
(spéc. 44).
56
notion émerge en 1957 dans un contexte de guerre
d'indépendance dans lequel était plongé le pays. La
radicalisation de la lutte pour la décolonisation du Cameroun,
marquée par le passage du stade politique au départ, à
celui armé par la suite182, va plonger le pays dans une vive
tension sécuritaire. Fort de cela, l'adoption de la paix comme valeur
essentielle et aspiration profonde et suprême du peuple camerounais se
trouvait ainsi largement motivée.
Bien que le peuple ne fût pas encore rattaché
à un Etat indépendant, mais plutôt à un simple
territoire183, il entendait déjà bâtir les bases
du futur Etat sur le pilier de la paix.
Par la suite, l'avènement de l'Etat indépendant
en 1960 n'a pas entrainé le changement des valeurs déjà
prônées par la devise depuis 1958, année de son adoption.
Le maintien de la paix dans cette place traduit on ne peut plus clairement
l'idée qu'elle constitue une valeur vouée à la
pérennité184.
Ainsi, Loin d'être une interpellation
métaphysique, chaque citoyen camerounais est invité à
être un artisan de la paix, car la citoyenneté induit
naturellement une allégeance de l'individu vis-à-vis de l'Etat et
de tous ses symboles.
Paragraphe 2 : LA CONNEXITE ENTRE
L'INTERET GENERAL ET L'ACTION DE LA SOCIETE CIVILE
D'entrée de jeu, il faut noter que la notion de
société civile n'est pas facile d'accès185.
Pour autant, des contributions scientifiques significatives ont
été faites quant à la définition de ce
concept186.
182 Le principal parti politique UPC, après son
interdiction en 1955 par l'administration coloniale, va se constituer une
branche armée dont la mission est de lutter pour libérer le
Cameroun du joug colonial. Son action guérilla était
déployée dans plusieurs régions du pays.
183 Tel était en fait la terminologie utilisée pour
désigner les colonies.
184 D'ailleurs, même quelques années après
l'accession du Cameroun à l'indépendance, la situation
sécuritaire était toujours préoccupante. Cela est le fait
de la présence des opposants au nouveau régime en place, qui sont
retranchés dans certaines régions du pays, et dont les
agissements étaient propres à une guerre civile.
185 La notion de société civile souffre en effet
« de son imprécision et de son caractère extraordinairement
polysémique, au point d'apparaitre comme une notion « attrape-tout
» et dont la difficulté de définition n'a d'égale que
la généalogie scientifique ». Lire à ce sujet
René Otayek et al., « Les sociétés civiles
du Sud : Un état des lieux dans trois pays de la ZSP : Cameroun, Ghana,
Maroc », centre d'étude d'Afrique noire et l'institut
d'études politiques de Bordeaux, Paris, 2004, pp. 27-28.
186 Parmi ces contributions, on peut citer celle de Jean L.
Cohen et Andrew Arato. Nasser Etemadi revèle que ces deux auteurs «
à travers leur livre, civil society and political theory, ont
tenté une reformulation systématique du concept moderne de
société civile ». Pour ces auteurs, la société
civile est comprise « comme une visée
57
Ainsi, « Par définition, la société
civile camerounaise est tout autre chose dans l'Etat que le pouvoir politique
et son expression la plus visible qu'est l'administration publique
»187. Selon le Pr. Maurice Kamto, la société
civile est « la sphère sociale distincte de l'Etat et des partis
politiques formée de l'ensemble des organisations et
personnalités dont l'action concourt à l'émergence ou
à l'affirmation d'une idée sociale collective, à la
défense des droits de la personne humaine ainsi que des droits
spécifiques attachés à la citoyenneté
»188.
La formulation préalable du lien entre
société civile et Intérêt général (A)
nous conduira par la suite à présenter les mécanismes au
travers desquels la première elle contribue à la promotion du
second (B).
A. La formulation du lien société
civile-intérêt général
La promotion de l'intérêt général
est largement l'apanage de la société civile,
considérée comme « la société des citoyens
» et composée des organisations non gouvernementales, des
syndicats, des associations professionnelles, des communautés
religieuses, des autorités coutumières etc.
Avec l'avènement de la société civile, il
s'est produit comme un transfèrement partiel des missions de
réalisation du bien commun de l'Etat (qui est a priori le seul garant de
l'intérêt général) vers cette dernière.
En effet, à côté de l'Etat, la
société civile se pose comme l'un des acteurs « capables de
produire des biens publics et de contribuer, autant que possible, à la
satisfaction des besoins fondamentaux des populations camerounaises et à
la défense de leurs droits »189.
normative, capable de libérer, de mobiliser les forces
des changements alternatifs ». Lire Nasser Etemadi, concept de
société civile et idée du socialisme, Paris,
L'Harmattan, 2002, pp. 88-89.
Sur un tout autre plan, il faut noter que le concept de
société civile résulte de l'émergence de l'Etat
organisé au détriment de l'état de nature. Ainsi pour
Hobbes, « la société civile est une autre façon de
nommer l'Etat défini comme forme politique et organisée,
émanation du contrat social noué entre individus et
matérialisation de la civilité qui préside à leurs
relations ». Lire René Otayek « et al.», «
Les sociétés civiles du Sud : Un état des lieux dans trois
pays de la ZSP : Cameroun, Ghana, Maroc », op.cit. p. 31.
De la contribution de Gramsci à la saisine du concept
de société civile, il faut relever qu'il le définit comme
« un complexe d'institutions sociales privées » dont le
rôle est « la diffusion de normes et de valeurs, c'est-à-dire
d'une certaine conception de la vie en société, des rapports
entre individus et groupes sociaux, de la relation à l'Etat, de
représentations relatives à l'ordre, au pouvoir et à la
légitimité ». cf. op. cit. , p.
32.
187 Jérôme Francis Wandji K., « Processus de
démocratisation et évolution du régime politique
camerounais d'un présidentialisme autocratique à un
présidentialisme démocratique », op. cit.,
p. 446.
188 Maurice Kamto, « Rapports Etat-Société
Civile en Afrique », RJPIC, octobre-décembre,
no 31994, p.287.
189 René Otayek « et al.», op.
cit. , p. 39.
58
La loi no 99/014 du 22 décembre 1999
régissant les organisations non gouvernementales, conforte solidement
l'idée de l'implication de la société civile dans la
promotion de l'intérêt général, car aux termes de
cette dernière, « une ONG est une association [...]
agréée par l'administration en vue de participer à
l'exécution des missions d'intérêt général
»190. De même, ces missions d'intérêt
général peuvent ressortir des domaines divers, notamment
juridique, économique, social, culturel, sanitaire, sportif,
éducatif, humanitaire, protection de l'environnement ou promotion des
droits de l'Homme191.
Fort de ce qui suit, les organisations de la
société civile (OSC) apparaissent comme des laboratoires
d'étude des préoccupations de la société. Elles
sont des « lieux de proposition et d'imagination collective pour la
croissance et l'amélioration des conditions de vie de la nation
»192. En d'autres termes, l'activité citoyenne
menée par la société civile va au-delà d'un cercle
restreint, mais vise généralement à contribuer au
bien-être du maximum d'individus ou de la collectivité toute
entière 193; puisqu' « En se constituant, les groupes
d'ordres divers et particulièrement les groupes professionnels, bien
loin de compromettre le lien national, viennent le renforcer en donnant
à la solidarité nationale une structure plus complexe
»194.
Si « La participation citoyenne implique une intervention
directe des citoyens ou parfois leurs interventions indirectes à travers
le tissu associatif »195, cela révèle clairement
que la société civile est consubstantielle à la
citoyenneté. C'est ce que semblait reconnaitre Célestin Monga
lorsqu'il énonçait que l'action des organisations tenues comme
appartenant à la société civile « tend à
amplifier le processus d'affirmation des droits attachés à la
citoyenneté »196. C'est sans doute en vertu de ce
rôle de relais essentiel de l'expression citoyenne, faisant d'elle un
instrument d' « actionnariat collectif » à la disposition
des
190 Voir l'art. 2 al. 1de la loi no 99/014 du 22
décembre 1999 régissant les organisations non
gouvernementales.
191 Voir l'art. 3 de la loi no 99/014 du 22
décembre 1999 régissant les organisations non
gouvernementales.
192 Coalition citoyenne pour le changement (3C) observatoire
des promesses électorales, « Le pacte citoyen (La parole des
citoyens aux élus) pour moins de pauvreté et plus de
démocratie au Cameroun. Propositions de la société civile
aux candidats à la présidentielle de 2011 et aux futurs candidats
aux municipales et législatives de 2012 », Yaoundé,
septembre 2011, p.19.
193 A partir de là, l'on admet l'idée que «
Les associations sont [...] pratiquement orientées vers la poursuite
d'activités d'intérêt général, mais, plus
substantiellement, elles sont reconnues comme dépositaires d'une
parcelle de l'intérêt général au travers
d'intérêts collectifs ». Voir David Hiez et Rémi
Laurent, op. cit., pp. 4041.
194 Léon Duguit, Traité de droit
constitutionnel, op. cit. , p. 10.
195 Voir Zair Tarik dans son article intitulé :
citoyenneté et démocratie participative au Maroc, les conditions
de la construction d'un modèle, présenté lors du colloque
organisé à Marrakech les 29-30 mars 2012 dont le thème
général était : Processus constitutionnels et processus
démocratiques : Les expériences et les perspectives, p.7.
196 Voir Célestin, Monga, Anthropologie de la
colère : société civile et démocratie en
Afrique, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 102. Cité par Otayek
René et al., op. cit., p. 39.
59
citoyens, que la société civile constitue un
interlocuteur des autorités gouvernantes, dont elle influence par
ailleurs les décisions. De là découle toute la
légitimité des OSC, qui « sont une forme de
représentation de la population. Elles agissent dans
l'intérêt de celle-ci, en font émerger une parole
collective »197 ; ce qui fait de ces dernières une sorte
d'alternative198.
Le lien intérêt général et
société civile peut aussi être décrypté
à travers la politique des subventions accordées à cette
dernière pour la réalisation de ses activités. A ce sujet,
David Hiez et Rémi font observer que : « les subventions ne peuvent
être accordées qu'aux associations qui poursuivent des buts
d'intérêt général avéré
»199. Ils poursuivent en disant que : « Quand on
connaît le poids des subventions dans le budget des associations et le
nombre d'associations qui perçoivent de telles subventions [...], on
mesure le lien qui les rattache à cet intérêt
général »200.
Mais au-delà de leur formulation théorique, les
démarches citoyennes de la société civile sont
menées suivant plusieurs mécanismes pratiques.
B. Les mécanismes de promotion de
l'intérêt général par la société
civile
La participation citoyenne des OSC à la promotion et
à la défense de l'intérêt général peut
synthétiquement emprunter trois mécanismes, à savoir
l'information et la communication (1), le plaidoyer (2) et le contrôle de
la gestion des affaires publiques (3).
1. l'information et la communication
Dans le domaine de l'information et de la communication, les
OSC en général et les ONG en particulier, mènent des
initiatives en vue de sensibiliser les citoyens relativement à
197Ibid. p. 25.
198 A ce propos, l'on faisait déjà remarquer
qu'en Afrique en général et au Cameroun en particulier, la
société civile est considérée « comme l'unique
solution alternative à la crise de l'Etat post-colonial autoritaire dont
l'échec fut aussi bien politique qu'économique... ». Voir
René Otayek , op. cit., p. 33.
199 David Hiez, Rémi Laurent, « La nouvelle
frontière de L'économie sociale et solidaire :
L'intérêt général ? », op. cit. , p.
40.
200 Ibidem.
60
diverses questions relatives aux droits fondamentaux, au
patriotisme, à la participation électorale, à la
protection de l'environnement etc. A ce sujet, l'on remarque leur grande
implication, à travers l'organisation de
conférences-débats, de forums ou de manifestations publiques,
dans la célébration des journées nationales d'une part, et
internationales d'autre part consacrées soit au niveau de l'organisation
des Nations unies et relatives aux activités de l'un ou de l'autre de
ses organismes spécialisées, soit au niveau de l'Union africaine
ou de toute autre organisation sous-régionale dont le Cameroun est
membre. L'objectif recherché est notamment d'informer les citoyens sur
l'importance de tel ou tel évènement et son enjeu sur ses droits
ou ses conditions de vie.
Entre autres problématiques qui connaissent
particulièrement les interventions des OSC sur le plan de l'information
et de la communication, il y'a par exemple la participation électorale.
En fait, elles oeuvrent pour inciter les citoyens à prendre part
activement aux différentes phases du processus électoral. Ainsi,
à l'occasion de la refonte des listes électorales, entamée
dans le courant de l'année 2012 au Cameroun, l'on a pu observer une
forte activité de sensibilisation des populations par les OSC afin que
celles-ci s'inscrivent massivement sur les listes électorales et
remplissent ainsi leur devoir civique201.
Parmi les activités d'information et de communication
menées par les OSC, l'on citera également la publication de
rapports annuels et des résultats d'enquêtes circonstancielles
destinés à d'informer à la fois les pouvoirs publics et
les citoyens202 et portant sur divers domaines tels que la situation
des droits de l'homme en termes de leur violation et d'avancées dans
leur respect, la gouvernance publique ou la corruption. A la fin, il se
dégage que les campagnes d'information et de communication menées
par la société civile visent la promotion de la culture
citoyenne.
201 D'ailleurs, de nombreuses concertations ont
été menées entre l'organisme en charge des
élections au Cameroun à savoir ELECAM et plusieurs groupements de
la société civile à l'effet d'adopter des
stratégies visant à favoriser l'adhésion des citoyens
à ce processus là.
202Ces rapports et autres publications des OSC sont
d'une importance certaine, d'autant plus qu'ils servent parfois de base de
référence de certains organismes internationaux ou de certaines
missions diplomatiques dans l'appréciation de la situation des droits de
l'homme par exemple. A ce sujet, l'ex ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun,
Robert P. Jackson, dans son discours sur les Rapports par pays du
Département d'Etat américain sur la situation des droits humains
dans le monde en 2010, déclarait que « Aux fins
d'élaboration du chapitre consacré au Cameroun, le
Département d'Etat s'est appuyé sur des informations recueillies
par les fonctionnaires de notre ambassade [...].Nous avons également
sollicité et obtenu des informations utiles auprès d'autres
sources [...] non gouvernementales de défense des droits humains, aussi
bien internationales que nationales. Le Département d'Etat a recueilli
des informations auprès des universitaires, des avocats, des syndicats,
des chefs religieux et des médias ». Ce discours a
été recueilli sur le site de l'Ambassade des Etats -Unis (
http://yaounde.usembassy.gov),
(consulté le 13 décembre 2010 à 17H).
61
2. Le plaidoyer
Le rôle de plaidoyer, répondant au souci de
servir et de défendre la cause commune, peut être défini
comme « un ensemble d'actions ciblées en vue de soutenir une cause,
un problème, d'inverser une situation dommageable, une
législation insatisfaisante »203.
Au plan politique, le plaidoyer « consiste à agir
sur le pouvoir à travers la vie des associations démocratiques et
la libre discussion dans la sphère publique culturelle
»204. Le plaidoyer permet la société politique et
la société civile de mettre en avant la discussion dans leurs
rapports. C'est dans cette optique que s'inscrivait la publication du «
pacte citoyen pour moins de pauvreté et plus de démocratie
»205, document présentant une vue synoptique de la
situation du Cameroun sur tous les plans, et dont l'intérêt majeur
est qu'il était assorti d'un ensemble de propositions de solution aux
problèmes recensés d'une part, et qu'il fut adressé aux
candidats à l'élection présidentielle de 2011 aux
élections législatives et municipales de 2013. L'enjeu ici
était de subordonner le soutien de la société civile
à un quelconque candidat à l'acception par lui de mettre en
oeuvre le dit pacte une fois qu'il aurait été élu.
De façon générale, il faut remarquer que
la société civile camerounaise s'est toujours mobilisée
lorsque l'intérêt général était en
péril206. L'histoire politique de notre pays retiendra
à jamais sa participation à la fameuse conférence
tripartite convoquée du 30 octobre au 17 novembre 1991, qui avait
réuni, dans un même cadre et pour un même objectif, les
acteurs du pouvoir politique, ceux de l'opposition et ceux de la
société civile207. De cette rencontre
203 Association des amoureux du livre (ASSOAL), sous la
coordination de Nguebou jules Dumas, Manuel du budget participatif au Cameroun
: concepts, méthodes et outils pour suivre la décentralisation et
améliorer la gouvernance locale, Yaoundé, CRDL, 2014, p.207.
204 Voir Nasser Etemadi, concept de société
civile et idée du socialisme, Paris, L'Harmattan, coll. ouverture
philosophique, 2002, p. 92.
205 Il s'agit en fait d'un document élaboré par
un regroupement d'OSC dénommé coalition citoyenne pour le
changement (3C).
206 A titre d'exemples, le gouvernement, à travers le
Ministère du travail et de la sécurité sociale, a
consacré le concept de « dialogue social ». Ce concept
signifie tout simplement que la concertation entre l'Etat et les organisations
syndicales aussi bien patronales que des travailleurs, reste d'une part le
cadre idéal de présentation des problèmes liés au
conflit social patent ou potentiel inhérent au monde du travail ou
à l'activité socio-économique et d'autre part une
plateforme productrices de propositions en vue de la résolution de ces
problèmes. Dans ce cadre, plusieurs concertations entre les syndicats et
le gouvernement ont ainsi permis de désamorcer plusieurs grèves
dont les mots d'ordre avaient déjà pourtant été
donnés. Il y va ainsi de la préservation de la stabilité
sociale.
207 La tripartite permettait la présence de la
société dans la discussion pour l'élaboration d'une
nouvelle Constitution. Or, dans plusieurs pays africains, la conférence
nationale souveraine avait été retenue à cet effet, ce qui
ne mettait en scène que le pouvoir politique régnant et es
acteurs de l'opposition.
62
sortira la définition d'un nouvel avenir politique et
constitutionnel du pays adapté à l'avènement de la
démocratie au début des années 90208. Ainsi,
l'on conviendra que la société civile a joué dans
l'histoire constitutionnelle du Cameroun, le rôle majeur de pouvoir
constituant dérivé209. En effet, c'est de la
tripartite de 1991 qu'est née la loi constitutionnelle du 18 janvier
1996. Cela démontre, s'il en était encore besoin, de l'importance
de la place de la société civile dans la conduite du destin
national.
3. Le contrôle de la gestion des affaires
publiques
La société civile se veut très active
dans le contrôle de la gestion des affaires publiques. Ce rôle de
sentinelle de la gouvernance publique se matérialise concrètement
par des actions de suivi et d'évaluation des projets ou de programmes
initiés notamment par le gouvernement lui-même. Jean L. Cohen et
Andrew Arato font d'ailleurs remarquer que « la société
civile n'a pas pour but la prise en soi du pouvoir politique, elle
infléchit néanmoins sur ses orientations et ses formes de
fonction »210.
Le contrôle de la gestion des affaires publiques par les
OSC constitue un moyen de participation citoyenne à l'action publique,
puisque les citoyens sont les destinataires majeurs de l'activité
gouvernementale. Les actions qui en découlent consistent entre autres en
des descentes sur le terrain, des tables rondes, des ateliers, des
séminaires. C'est à toutes ces activités que renvoie
l'idée de suivi-évaluation participatif.
Par ailleurs, précisons que le contrôle de la
gestion des affaires publiques opéré par la société
civile ne peut être efficient que si sont consacrés en aval
certains principes fondamentaux tels que la transparence et l'obligation de
rendre compte.
Par le premier principe, le gouvernement est appelé
à garantir l'accès équitable, la justesse et la
compréhensibilité de l'information pour que transparaisse
effectivement la réalité de l'état des lieux relativement
à la gestion des deniers publics, au processus décisionnel au
sein de l'administration, à la conjoncture socio-économique par
exemple.
208 Le Pr. Joseph Owona dit à ce propos que la
tripartite s'était accordée sur la résolution d'une «
adaptation de la constitution de la République du Cameroun au processus
de libéralisation et de démocratisation en cours dans notre pays
». Lire Joseph Owona, Droits constitutionnels et institutions politiques
du monde contemporain, étude comparative, op. cit. , p.82.
209 Le pouvoir constituant dérivé est en fait le
pouvoir qui porte sur la révision d'une constitution déjà
existante, selon les règles qu'elle prescrit elle-même.
210 Nasser Etemadi, op. cit. , p.93.
63
L'obligation de rendre compte par contre, renvoie à
l'idée que les gouvernants sont redevables de la gestion publique qui
est la leur vis-à-vis des citoyens, de qui ils tiennent par ailleurs
leur pouvoir.
Le lien entre la citoyenneté et l'intérêt
général, tel qu'il a été développé
ci-dessus s'avère évident, mais qu'en est-il de sa portée
?
SECTION 2 : LE DENI DE CITOYENNETE PAR LES
ATTEINTES
A L'INTERET GENERAL
S'il est admis que l'intérêt
général constitue l'un des aspects essentiels de la
citoyenneté ; lequel se pose comme supérieurs aux
intérêts individuels211. Cependant, le déclin de
l'intérêt général dans le contexte camerounais est
manifeste à travers la montée de l'individualisme, qui se dresse
véritablement comme une atteinte à la citoyenneté
républicaine (§ 1). Face à cela, la réalisation dudit
intérêt général peut tout de même emprunter la
voie de la participation politique (§ 2).
Paragraphe 1 : L'INDIVIDUALISME COMME UNE ATTEINTE A LA
CITOYENNETE REPUBLICAINE
Les sociétés africaine en général
et camerounaise en particulier ont depuis toujours été
caractérisées par leur forme communautaire, marquée par
l'existence de systèmes de solidarité entre les individus. Cela
fait en sorte que l'individu est « subordonné à la
collectivité, car c'est du bien public que dépend le bien
individuel »212. Or, l'individualisme entraine la rupture de
cette relation. Il signifie d'une part la « tendance à s'affirmer
indépendamment des autres », et d'autre part la « tendance
à privilégier la valeur et les droits de l'individu contre les
valeurs et droits des groupes sociaux »213. C'est la seconde
acception
211 C'est le dogme de l'unité nationale qui
légitime la suprématie de l'intérêt
général sur les intérêts individuels particuliers,
le premier garantissant les seconds ; car le citoyen est tout d'abord un sujet
de la Nation dont la condition d'existence est l'unité. Ainsi, si
l'intérêt général repose dans la sacralité de
l'unité nationale, cela veut dire que les intérêts
privés ne peuvent que lui être inférieurs.
212 Jean-Claude Kamdem, « Personne, culture et droits en
Afrique noire », in Henri Pallard, Stamatios Tzitzis
(dir.), Droits fondamentaux et spécificités
culturelles, Paris, éd. L'Harmattan, 1997, pp. 95-117,
(spéc. p. 100).
213 Cf. le dictionnaire Petit Robert, op. cit.,
p. 542.
64
qui sied le mieux à notre analyse, dans laquelle nous
montrerons d'abord les dérives de l'individualisme au Cameroun (A) avant
d'en analyser ensuite l'impact (B).
A. Les dérives de l'individualisme au Cameroun
L'individualisme se manifeste au Cameroun aussi bien dans la
sphère de l'administration publique que dans la sphère
sociétale toute entière. D'ailleurs dans une adresse à la
Nation, le Chef de l'Etat l'a lui-même reconnu sans ambages. Ses
déclarations peuvent ainsi nous servir de grille d'analyse dans ce
segment.
Ainsi, si l'intérêt individuel en vient à
supplanter l'intérêt général, cela peut notamment
résulter d'une certaine déstructuration des rapports du citoyen
à la société globale, liée au
dépérissement des valeurs collectives d'une part (1), et de la
« privatisation » du service public d'autre part (2).
1. La déstructuration des rapports du citoyen
à la société globale : Le dépérissement des
valeurs collectives
A ce niveau, nous entendons expliquer l'idée selon
laquelle les citoyens au Cameroun se caractérisent par une sorte de
duplicité quant à leur identification. En effet, ces derniers
s'identifient selon deux repères.
Il y a d'abord les repères primaires, c'est-à-dire
que les citoyens s'identifient premièrement par rapports à leur
origine tribale ou ethno communautaire
Ensuite ; il y a le repère d'unité national par
lequel les citoyens ne s'identifie que secondairement.
En se détournant des contraintes sociales ou culturelles
et des valeurs qui ont été érigées en ciment de la
société camerounaise à un moment ou à un autre de
l'évolution historique, politique, sociale ou constitutionnelle du pays,
le citoyen marque par là son individualisme. Il s'agit d'une attitude
négative car l'individu, citoyen de l'Etat, s'écarte ainsi des
contraintes sociales mythiques telles que la politesse, le patriotisme, les
devoirs civiques, la solidarité etc. Lorsque le citoyen se
démarque de la sorte de la société globale, il se produit
alors chez lui une désintégration sociale, et donc, un
désintérêt pour les valeurs et les enjeux collectifs.
65
C'est cet individualisme que dénonçait le
Président de la République Paul Biya dans son traditionnel
discours à la Nation, en le considérant comme l'une des tares
majeures de notre société. A ce sujet, le Chef de L'Etat
affirmait ce qui suit : « Bien qu'attachés à nos
communautés d'origine - ce qui ne nous empêche pas d'être de
fervents patriotes lorsque l'honneur national est en jeu - nous sommes un
peuple d'individualistes, plus préoccupés de réussite
personnelle que d'intérêt général
»214. Il poursuivait en disant que : « Dans un Etat
moderne, cette dérive ne doit pas être tolérée
»215.
De l'exégèse de ces propos216, il
ressort que l'individualisme au Cameroun revêt un caractère
tribal, qui se traduit par un repli identitaire des citoyens vers leur
communauté tribale, entrainant justement des revendications de type
communautariste. Les individus affichent davantage leur
préférence pour leur tribu ou leur région
d'origine217 ; donnant ainsi lieu à la construction de
diverses solidarités primaires de nature tribale ou ethno
régionale ; lesquelles se dressent en réalité contre la
solidarité et l'unité nationales.
Dans ce sens, Alain-Gérard Slama affirmait que : «
la disparition des fondements nationaux du lien social entraîne des
mouvements inévitables de repli des citoyens [...] vers d'autres
références, d'autres appartenances. Ainsi se comprend [...] la
diffusion d'un individualisme tribal fait de revendications
catégorielles, corporatistes et communautaires »218.
Dans un contexte où le pôle ethno régional
est devenu de plus en plus la plateforme favorite de revendication citoyenne,
les individus sollicitent telle ou telle prestation vis-à-vis de l'Etat,
non pas en raison de leur statut de citoyen tout court219, mais du
fait de leur appartenance à une tribu ou à une région
donnée220. Pourtant le seul titre de citoyen de l'Etat
suffit, par lui-même à fonder des revendications ou des
créances légitimes vis-à-vis dudit Etat,
214 Voir le message du Chef de l'Etat S.E. Paul Biya à la
Nation, le 31 décembre 2013.
215 Ibidem.
216 Puisque ces propos portant sur la dénonciation de
l'individualisme émanent de la plus autorité de l'Etat, celle
qui, au sens de l'art. 5 al.2 de la Constitution, incarne l'unité
nationale, cela pousse davantage à jeter un grand coup de projecteur sur
ce phénomène.
217 A titre d'illustration, nous parlerons du
phénomène des lettres ou des mémorandums adressées
au gouvernement ou directement au Président de la République qui
a pris corps il y'a un certain temps au Cameroun ; et par lesquels les
populations d'une région ou d'une tribu, généralement
à travers ses élites, réclament de la part de l'Etat des
actions spécifiques en termes notamment de construction
d'infrastructures diverses.
218 Alain-Gérard Slama, « L'Etat sans citoyens
», revue pouvoirs, no 84, 1998, pp. 89-98,
(spéc. pp. 97-98).
219 Pourtant à ce titre ils sont déjà
normalement créanciers vis-à-vis de l'Etat.
220 C'est dans cette logique que s'inscrivait la revendication
des élites de la région de l'Extrême-Nord portant sur
l'admission automatique de tous les candidats originaires de cette
région qui s'étaient présentés au concours
d'entrée à l'école normale de Maroua en 2008. Ce lobbying
avait à la fin atteint ses objectifs.
66
et, que pour ce faire, le repli sur sa communautaire tribale
parait dès lors simplement superfétatoire.
Il est plus qu'évident que les intérêts
communautaro-tribaux ou ethno-régionaux ne servent nullement
l'intérêt général, entendu comme
l'intérêt de l'ensemble national unifié. Mais au contraire,
ils le dévoient tout en fragilisant du même coup les piliers de la
Nation en construction.
2. La « privatisation » du service
public
L'Etat, en tant qu'il est la personnification juridique de la
Nation221, apparait comme la première entité qui soit
véritablement en même de définir et de protéger
efficacement l'intérêt général. C'est dans cette
logique que J. Verhoeven affirme que la citoyenneté collective renvoie
à une « volonté de fusion des individualités dans une
entité unique, seule capable de les porter, d'assumer une
responsabilité entière dans la conduite de leur destin. Cette
entité c'est l'Etat »222. Par conséquent, s'il
est admis que c'est l'Etat qui garantit l'intérêt
général, elle le fait à travers son bras séculier,
à savoir l'Administration ; laquelle est vouée à
l'accomplissement des missions de service public. A ce sujet, le Dr.
Jérôme Wandji K. affirme que : « Le droit de la fonction
publique [...] repartit les fonctionnaires civils camerounais en
différents corps spécifiques qui trouvent leur cohésion
dans l'exercice d'activités au service de l'intérêt
général »223. Fort de cela, il est donc
envisageable d'analyser le dépérissement de
l'intérêt général et la montée de
l'individualisme dans le cadre du fonctionnement des services publics
étatiques.
Recourant une fois de plus au message du Chef de l'Etat
précédemment évoqué, l'on en ressort la
déclaration selon laquelle « Notre Administration reste
perméable à l'intérêt particulier. Ce dernier est le
plus souvent incompatible avec l'intérêt de la
communauté
221 En effet, Raymond Carré de Malberg voit en l'Etat
un « être de droit » « en qui se résume de
façon abstraite la collectivité nationale, c'est-à-dire
une personne morale dont l'une des fonctions est la personnification dudit
groupe humain ». Lire à ce sujet Joseph Owona, Droits
constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain, étude
comparative, op. cit. , p.19.
222 Cf. J. Verhoeven, Conclusions'', In
SFDI, Droit international et droit communautaire, perspectives
actuelles, Colloque de Bordeaux, Paris, Pedone, 2000, cité par Alain
Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel camerounais
», op. cit., p. 157.
223 Jérôme Francis Wandji K., « Principes du
procès équitable et procédure disciplinaire dans le
nouveau droit de la fonction publique au Cameroun », Annales de la
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'Université de
Dschang, Tome 15, 2011, pp. 283- 317, (spéc. p. 286).
67
nationale. Dans un Etat moderne, cette dérive ne doit
pas être tolérée »224.
L'intérêt particulier ainsi évoqué renverrait
à l'incivilité des agents publics, consistant en la pratique de
fléaux tels que la corruption, le népotisme, les
détournements de deniers publics etc.
Il ressort clairement que l'usage d'une charge publique
à des fins personnelles entraine fatalement l'abandon de
l'intérêt général. Lequel fonde pourtant le service
public d'une part, et constitue un élément fondamental de la
citoyenneté d'autre part. Dès lors, le sacrifice de
l'intérêt général à l'autel des
intérêts privés s'assimile véritablement à un
dévoiement de la citoyenneté républicaine et
patriotique225.
En somme, la conséquence majeure de la crise de
l'intérêt général est la remise en cause de la
cohésion sociale.
B. La remise en cause de la cohésion
sociale
Au regard de la loi fondamentale du Cameroun, la Nation est
une et indivisible. Au rang des facteurs de cette unité de la
collectivité des citoyens, figure en bonne place la cohésion
sociale. Dans cet ordre d'idées, l'individualisme constituerait un
déchirement de cette dernière ; car il entraine une division des
citoyens, leur écartèlement entre des aspirations
différentes et souvent opposées.
La cohésion sociale correspond à une situation
dans laquelle les membres d'une société entretiennent des liens
sociaux étroits, partagent les mêmes valeurs et ont le sentiment
d'appartenir une même collectivité sociale ou politique. Dans
cette optique, peut-on dire que les citoyens camerounais ont
véritablement le sentiment de faire partie indifféremment du
même Etat ? Mieux, le lien social entre ces derniers est-il suffisamment
fort ?
Parlant des liens sociaux, ils désignent l'ensemble des
relations qui unissent les individus faisant partie d'une même
collectivité telle que l'Etat.
Or, l'individualisme entraine un affranchissement du citoyen
des structures qui garantissent la cohésion sociale. Ainsi, le culte de
l'individuel au détriment du collectif est la cause de la
224 Cf. le message du Chef de l'Etat S.E. Paul Biya
à la Nation, le 31 décembre 2013.
225 A ce propos, Jean-Jacques Rousseau affirmait que chaque
homme a « une volonté particulière contraire ou dissemblable
à la volonté générale qu'il a comme citoyen ».
Voir Lucien Jaume, « La représentation : une fiction
malmenée », revue pouvoirs, Voter, no120, pp.
5-16, (spéc. p.9).
68
désunion de la société ; d'autant plus
que les outils d'intégration sociale tels la morale, la religion, le
patriotisme et la famille226 connaissent une certaine
fragilisation.
Cette situation contraste clairement avec les idéaux
d'unité nationale et de cohésion sociale définis par la
Constitution au Cameroun227. La fragilisation de
l'intérêt général se produit lorsque le citoyen
développe une certaine morale propre qui s'oppose à celle
collectivement consacrée.
En outre, la cohésion sociale est autant gravement
fragilisée par le phénomène du repli identitaire
matérialisé par des revendications particularistes ; car
entraine-t-il l'altération du caractère homogène de la
citoyenneté de type républicain.
De manière générale, les replis à
tendance communautaire se posent en s'opposant souvent à la
collectivité des citoyens. Tel est en réalité le fait
générateur d'un conflit ouvert entre l'intérêt
général de tous les citoyens sans exception et les
intérêts particuliers de quelques citoyens seulement. De ce qui
précède, il est impérieux d'opérer la
resocialisation des citoyens. Cette perspective pourrait passer par une sorte
de réarmement moral consistant à inculquer à l'individu
des normes et des valeurs républicaines.
Paragraphe 2 : LA REALISATION DE
L'INTERET GENERAL AU TRAVERS DE LA PARTICIPATION POLITIQUE
Pour Messieurs Alain Didier Olinga et Patrice Bigombè
Logo, la participation politique « signifie l'intérêt
manifeste que l'on porte aux choses de la cité, aux affaires qui
transcendent les préoccupations individuelles (sans les ignorer) pour
rechercher le bien commun, l'intérêt de la communauté dans
son ensemble »228. Dans ce cadre, la participation politique
apparaît comme une prise en main par le citoyen de l'intérêt
général (A). Cette réalité peut par ailleurs
être appréciée au regard de nouvelles perspectives offertes
par l'avènement de la décentralisation (B).
226 La famille on l'occurrence constitue une instance de
socialisation primaire ; c'est ce qui justifie la prescription
constitutionnelle selon laquelle « La nation protège et encourage
la famille, base naturelle de la société humaine... ». Voir
le préambule de la constitution du Cameroun.
227 En effet, le préambule de la constitution dispose
que le Peuple camerounais « ... constitue une seule et même nation,
engagée dans le même destin... ».
228 Alain Didier Olinga, Patrice Bigombè Logo, «
La participation politique et communautaire dans la dynamique de la mise en
oeuvre de la Constitution du 18 janvier 1996 », in : Alain
Ondoua, (dir.), La Constitution du 18 janvier 1996 : bilan et
perspectives, op. cit., pp. 187-202, (spéc. pp.
187-188).
69
A. La participation politique comme un moyen de prise
en main de l'intérêt
général par le citoyen
La participation politique est un moyen aux mains du citoyen
par lequel il assume en quelque sorte la société toute
entière. Ainsi, autant que nous présenterons l'enjeu de cette
assertion (1), de même nous en évoquerons les limites (2).
1. L'enjeu
Lorsque la participation politique est effective, cela est une
illustration de ce que les citoyens ont pleinement conscience de l'enjeu de
l'intérêt général, qui s'exprime aussi bien à
l'échelle nationale que locale. D'ailleurs, « La participation est
l'élément clé de la définition de la
citoyenneté »229. Kymlicka et Norman élaborent
deux conceptualisations différentes des théories de la
citoyenneté. Il s'agit de « la citoyenneté comme statut
légal permettant une participation pleine et entière dans une
communauté politique particulière, et la citoyenneté comme
activité souhaitable, où la qualité de la
citoyenneté est fonction du degré de participation dans la
communauté politique ».230
Ainsi, dans un système de démocratie
représentative, tel que consacré par les art. 2 al.1
et 4 de la constitution du Cameroun231, la
participation électorale se révèle comme une condition
d'existence du citoyen. A l'occasion de l'élection par exemple,
l'intérêt général s'avère être plus que
jamais un enjeu décisif. C'est dans cette logique que l'électeur
suit la campagne électorale, à l'effet de se faire une
idée plus ou moins précise sur le contenu des programmes
présentés par chacun des candidats ou listes de candidats en
compétition. Dès lors, il peut savoir justement lequel de ces
programmes répond le mieux à ses aspirations propres et aussi
à celles de la communauté toute entière. En effet, «
grâce au vote, il devient possible de se représenter la Nation en
acte, sinon d'interpréter ses volontés »232. Dans
le
229 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote,
op. cit., p. 25.
230 François Rocher, «Citoyenneté
fonctionnelle et État multinational : pour une critique du Jacobinisme
juridique et de la quête d'homogénéité »,
in Michel Coutu, Pierre Bosset, et al. op.cit., pp.
201- 235, (spéc. p. 208).
231 L'art. 2 al. 1 dispose que : « La souveraineté
nationale appartient au peuple camerounais qui l'exerce soit par
l'intermédiaire du Président de la République et des
membres du Parlement... » ; l'art. 4 quant à lui affirme que :
« L'autorité de l'Etat est exercée par le Président
de la République ; le Parlement ».
232 Yves Déloye, Olivier Ihl, L'acte de vote,
op.cit., p. 47.
70
même sens, l'on fera observer que « voter est un
droit, mais aussi un devoir engageant la conscience de l'individu
nécessairement lié à l'intérêt
général et à la destinée de la communauté
»233.
De toutes les façons, tout programme politique de
candidat à une élection revêt déjà en
lui-même des considérations d'intérêt
général, car il est conçu pour être soumis aux
électeurs, c'est-à-dire les gouvernés d'une part, et que
d'autre part, sa mise en oeuvre future, après approbation populaire, se
fait dans le cadre de la société politique globale.
C'est donc fort de son imprégnation des
différentes offres politiques que l'électeur introduit
logiquement tel ou tel bulletin de vote dans l'urne. Par cet acte, il participe
déjà à l'entame de la satisfaction de
l'intérêt général ; d'autant plus que selon le Pr.
Luc Sindjoun, au Cameroun, « Les élections sont [...] des moments
de promesses d'avantages matériels ou immatériels, de
réalisations d'infrastructures routières, sanitaires,
éducatives, ..., par (ou grâce) à l'Etat
»234.
Dans le même sillage, le Pr. Alain Didier Olinga et
Patrice Bigombè Logo affirmeront que : « la participation politique
exige de sortir de l'individualisme pour s'assumer comme partie d'un tout dont
on est solidaire »235. Dans la même logique, Ils
poursuivent en disant que : « l'effectivité de la participation
politique exige un environnement particulier, dans lequel l'idée
même de bien commun a pris corps, [...], où la conviction d'un
destin commun à la réalisation duquel l'on est disposé
à apporter sa part est confortée »236.
Ainsi donc, la participation politique en
général et électorale en particulier est une illustration
de la pleine connaissance par le citoyen des enjeux qui engagent la
société politique dans laquelle il vit ; c'est donc là un
moyen de recherche ou de préservation de l'intérêt
général.
C'est dans cette logique que peut s'inscrire d'une certaine
manière la théorie du vote utilitaire ou vote rationnel, dont
fait allusion Engueleguele Maurice, pour qui ce vote se caractérise par
« la montée en force du questionnement relatif aux programmes des
partis politiques »237.
233 Anne Muxel, « L'absention : Déficit
démocratique ou vitalité politique ? », revue
pouvoirs, Voter, no 120, pp. 43-55, (spéc.
p. 45).
234 Luc Sindjoun, « Le paradigme de la compétition
électorale dans la vie politique : entre tradition de monopole
politique, Etat parlementaire et Etat seigneurial », in :
Sindjoun Luc, (dir.), La révolution passive au Cameroun : Etat,
société et changement, Karthala-Codesria, 2000, pp. 269-329
(spéc. p. 320).
235 A.D. Olinga, Patrice Bigombè Logo, op. cit.,
p188.
236 ibidem.
237 Maurice Engueleguele, «Le paradigme économique
et l'analyse électorale africaniste : piste d'enrichissement ou source
de nouvelles impasses ? », in Colloque AFSP-CEAN : Voter en
Afrique : différenciations et comparaisons, 7-8 mars 2002, p.9.
71
Cependant, l'endossement de la participation politique sur les
considérations d'intérêt général n'est pas
absolu.
2. Les limites
Il convient de relever ici que l'acte de vote en particulier
ne constitue pas toujours un instrument par lequel le citoyen manifeste son
souci de contribuer à la garantie de l'intérêt
général comme cela a été démontré
plus haut. En effet, au Cameroun le vote n'est pas toujours revêtu de son
caractère utilitaire ; mais constitue plutôt un acte de
solidarité restreinte.
Le vote solidaire consiste pour le citoyen-électeur
d'opérer son choix en fonction, prioritairement ou exclusivement d'un
lien de nature tribale, religieuse ou linguistique existant entre lui et le
candidat à une élection. Maurice Engueleguele disait à ce
propos que : « Les choix politiques des électeurs africains lors
des scrutins organisés depuis 1990 ont été largement
présentés comme exclusivement déterminés par des
sentiments de solidarité, de loyauté, d'allégeance au
groupe d'appartenance; ils seraient fonction de l'affiliation sociale et non
des calculs d'utilité »238.
Ainsi, le phénomène de vote tribal est patent.
Pour s'en convaincre, il suffit de regarder la carte électorale du
Cameroun dessinée depuis les premières consultations
électorales multipartistes, et dont les traits sont restés
quasiment intacts jusqu'à nos jours. En effet, l'essentiel des partis
politiques et leurs leaders avec, ont pour l'essentiel, un ancrage davantage
ethno-régional que national239. Dans cet ordre
d'idées, le Pr. Luc Sindjoun déclare que : « L'implantation
partisane des partis politiques au Cameroun concourt à la construction
partisane de la périphérie. [...] dans un contexte de
girondinisme'', c'est-à-dire de régionalisation de la
vie politique, les partis politiques forment leurs électeurs ou leurs
sympathisants dans la perspective de la consolidation de l'habitus local ou
paroissial'' »240. Suivant le même
raisonnement, il poursuit en disant que : « L'interaction entre
238 Maurice Engueleguele, op.cit., p.3.
239 Très peu de partis politiques en effet connaissent
une implantation nationale. Pour la grande majorité d'entre eux, le
marquage territorial se résume limitativement à la région
ou au département d'origine de son leader.
240 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case
vide, éd. Economica, 2002, pp. 229-230.
72
girondinisme'' et construction partisane de la
périphérie contribue à fragiliser le centre comme point de
totalisation de l'espace »241.
Pour fournir quelques clichés de cette observation du
Pr Luc Sindjoun, l'on dira que l'UPC, perçu comme le parti des Bassa et
l'UDC étiqueté comme le parti des Bamoun, pour ne prendre que ces
deux cas, n'ont obtenu la totalité de leurs sièges à
l'Assemblée Nationale à l'issue de l'élection
législative du 30 septembre 2013, que dans les départements du
Nyong et kellé242 et du Noun243
respectivement244.
Comme on peut le voir, le vote au Cameroun est presque
fatalement soumis à un déterminisme communautaro-tribal, qui
constitue véritablement un enferment du citoyen. Dès lors, il ne
peut résulter de ce contexte qu'un dévoiement de la
citoyenneté ; car l'attachement affectif pour sa communauté et/ou
pour le candidat originaire de sa communauté tribale est susceptible
à bien des égards de détourner le citoyen de toute
objectivité dans son choix électoral. Ce risque est d'autant plus
grand que la compétition politique et électorale peut se
déplacer sur le plan communautaire, aboutissant ainsi à une
opposition tribale souterraine ou visible.
B. De nouvelles perspectives de participation
politique
à l'aune de la décentralisation au
Cameroun
A la faveur de la réforme constitutionnelle du 18
janvier 1996, la décentralisation a été consacrée
au Cameroun245. Cette technique d'organisation territoriale de
l'Etat entraine l'émergence de ce qu'il convient d'appeler la
citoyenneté locale. Cette dernière permet en fait une plus grande
implication des populations dans la gestion des affaires de la cité. En
cela, elle crée une certaine proximité ente les gouvernants
locaux et les populations locales, ouvrant inéluctablement à
l'égard de ces dernières un grand champ de participation
politique.
Tranchant avec les affirmations de M. Jean Kenfack selon
lesquelles « la collectivité territoriale
décentralisée est approchée moins comme un cadre
d'épanouissement citoyen
241 Ibid, p. 230.
242 Le département du Nyong et Kellé est le
territoire de localisation de l'ethnie bassa.
243 Le département du Noun est le territoire de
localisation de l'ethnie bamoun.
244 Cf. le « Rapport général sur
le déroulement du double scrutin législatif et municipal du 30
septembre 2013 », p. 269.
245 En effet, l'art. 1er al.2 de la Constitution
dispose que : « La République du Cameroun est un Etat unitaire
décentralisé ». Dans le même sillage, le titre x du
même texte est exclusivement consacré aux collectivités
territoriales décentralisées.
73
qu'un cadre de gestion administrative »246,
nous ferons plutôt observer qu'en conséquence de la
définition du domaine des affaires locales247, le sens
fonctionnel de la citoyenneté, qui met en avant l'idée de
contribution 248 , permet désormais aux citoyens de
s'ingérer significativement dans la gouvernance locale. En effet, la loi
no 2004/17 du 22 juillet 2004 portant loi d'orientation de la
décentralisation élève le citoyen local au rang
d'interlocuteur majeur de l'administration de la collectivité
décentralisée. Elle prévoit notamment que : « Toute
personne physique ou morale peut formuler, à l'intention de
l'exécutif régional ou communal, toutes propositions tendant
à impulser le développement de la collectivité
territoriale concernée et/ou à améliorer son
fonctionnement »249. Cette disposition met ainsi en exergue le
développement participatif, qui implique justement une grande
implication des citoyens dans l'élaboration et la mise en oeuvre des
actions de développement.
D'une autre manière, la participation politique est
effective si « Tout habitant ou contribuable d'une collectivité
territoriale peut, à ses frais, demander communication ou prendre copie
totale ou partielle des procès-verbaux du conseil régional ou du
conseil municipal, des budgets, comptes ou arrêtés revêtant
un caractère réglementaire, suivant des modalités
fixées par voie réglementaire »250.
Au regard de ce qui suit, l'on est bien loin de l'idée
de l' l'effacement de l'individu, habitant de la collectivité
territoriale décentralisée, avec pour conséquence sa
« mise à l'écart de son statut de citoyen pour ne retenir
que celui d'usager, de justiciable, de contribuable ou d'électeur
»251. Mais au contraire,il ressort clairement des dispositions
suscitées que dans le cadre de la décentralisation au Cameroun,
le citoyen n'est pas seulement confiné dans les seuls rôles
d'élire les autorités locales ou de payer diverses taxes. Bien
plus que cela, il représente davantage un acteur influent de la gestion
participative des collectivités locales, au regard par exemple de son
droit à l'information252.
246 Jean Kenfack, « Les perspectives de participation
offertes par l'avènement des collectivités territoriales
décentralisées », in Alain Ondoua (dir.),
op. cit., p. 206.
247 L'Etat transfère aux collectivités
territoriales des compétences dans les matières
nécessaires à leur développement économique,
social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif. Ces matières
constituent les affaires dites locales
248 Voir en ce sens Tarik Zair, Citoyenneté et
démocratie participative au Maroc, les conditions de la construction
d'un modèle », op. cit.,p. 3. L'auteur énonce que
« Prise dans un sens fonctionnel, la citoyenneté est perçue
en termes de contribution avant d'être une existence ».
249 Voir l'art. 13 al.1de la loi no 2004/17 du 22
juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.
250 Voir l'art. 13 al.2 de la loi no 2004/17 du 22
juillet 2004 portant loi d'orientation de la décentralisation.
251 Jean Kenfack, op. cit., p. 214.
252Cf. art. 37 al.1 et 40 al.1de la loi
no 2004/018 du 22 juillet 2004, fixant les règles applicables
aux commmunes.
74
Conclusion du chapitre
Parler de la consécration dans l'ordre constitutionnel
camerounais d'une citoyenneté promotrice de l'intérêt
général nous a conduit à analyser la centralité du
lien entre ces deux notions avant d'en dégager ensuite la
portée.
Ainsi, la centralité du lien entre la
citoyenneté et l'intérêt général
découle de ce que les deux rattachables à la République.
La citoyenneté est un élément dérivatif de la
République alors que l'intérêt général en est
une aspiration. Et, en tant que telle, l'intérêt
général se bâtit au Cameroun autour de l'idéal
d'unité nationale. Dans ce cadre, nous avons montré que cette
édification passe par la considération de la Nation comme la
communauté des citoyens qui, sans s'effacer, doivent d'une certaine
manière se dissoudre dans l'enveloppe nationale unie qui
sécrète par ailleurs un ensemble de valeurs communes liées
à la citoyenneté. De la sorte, relativement à la
conception de la citoyenneté en droit constitutionnel camerounais,
l'unité nationale de même que ces valeurs, se posent comme des
contenants ayant pour contenu l'intérêt général.
En outre, nous avons analysé la corrélation
entre l'intérêt général et la société
civile. Cette dernière, se démarquant du pouvoir politique, se
constitue comme un rempart de l'intérêt général,
qu'elle garantit en fait à travers divers mécanismes
Par ailleurs, la mise en exergue de la portée du lien
intérêt général et citoyenneté s'est
avérée nécessaire, car elle a permis de
révéler la fragilisation qui caractérise de plus en plus
ce lien, à cause notamment de la montée de l'individualisme.
Mais cette analyse nous a aussi permis de relever et
d'analyser le rapport entre l'intérêt général et la
participation politique. Cette dernière pouvant contribuer soit à
l'optimalisation du lien entre la citoyenneté et l'intérêt
général, soit à son relâchement.
75
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
La définition des droits et devoirs du citoyen dans le
préambule de la Constitution pose certes les bases d'un statut du
citoyen. Mais en les inscrivant dans son dispositif même, cela
contribuerait certainement à leur conférer une plus grande
autorité et opposabilité.
Concrètement, des titres distincts de la Constitution
doivent être consacrés respectivement aux droits et aux devoirs du
citoyen. Tel est en effet le cas dans la Constitution de plusieurs Etats
africains à l'exemple du Togo ou du Congo.
De même que des titres de la Constitution sont
consacrés distinctement aux autorités exécutives,
législatives ou judiciaires, cela pourrait tout aussi être le cas
pour le citoyen ; car, comme ces autorités, il est un pilier essentiel
de l'Etat.
Par ailleurs, cette démarche devrait être
similaire pour la société civile au regard du rôle qu'elle
joue dans la promotion et la préservation du bien-être des
citoyens ; de ce point de vue elle se pose comme un accompagnateur, un adjuvant
majeur de l'Etat.
76
SECONDE PARTIE :
LE DYNAMISME DE LA CITOYENNETE EN DROIT CONSTITUTIONNEL
CAMEROUNAIS
77
Comme tout concept juridique, la citoyenneté n'est pas
restée stable au regard du droit constitutionnel camerounais. Mais au
contraire, selon une approche dynamique253, l'on peut voir que suite
à sa consécration automatique et probante par l'accession du
Cameroun à l'indépendance, elle a connu un processus de
maturation progressif, entrainant une évolution de son contenu et
même de ses fonctions254.
D'ailleurs, Aristote semblait reconnaitre le caractère
dynamique de la citoyenneté en affirmant que : « le citoyen
lui-même est nécessairement différent d'une constitution
à l'autre »255. Dans le même sens, Sandrine
Maillard disait que : « Le concept de citoyenneté est un concept
que nous pouvons qualifier de dynamique »256.
De caractère fluctuant, c'est-à-dire
vouée à s'adapter aux changements de l'univers social, politique,
juridique, culturel et même économique au sein de l'Etat, la
citoyenneté camerounaise a dû subir des chocs divers dans ce
cadre-là. De la sorte, autant que Paul Valéry répondait
à la question de savoir qu'est-ce que le droit en disant que « Nous
le savons et nous ne le savons pas »257, s'il nous était
aussi demandé de répondre à la question l'on serait tout
autant porté de dire que nous le savons en même temps que nous ne
le savons pas.
Etant donné que notre étude à ce niveau
entend traiter de la question du comment, nous entendons recourir ici à
la méthode explicative 258 . C'est dans cette optique que
nous entendons mobiliser tous les outils et techniques qui nous permettront
à terme de rendre compte de la réalité de notre
thématique qui, « loin d'être un stock acquis,
représente un véritable programme à développer
»259.
En somme, il importe de déterminer et de regrouper de
façon cohérente et objective les aspects saillants et
significatifs de la tendance à la fluctuation de la citoyenneté
en droit constitutionnel camerounais. Dans ce cadre, nous traiterons d'une part
la citoyenneté différenciée (chapitre. I), et d'autre part
la dissociation du lien entre appartenance à la Nation et
citoyenneté (chapitre. II).
253 Lire à ce sujet Madeleine Grawitz, op. cit.,
p. 83.
254 La fonction de la citoyenneté réside dans ce
qu'elle est un attribut fondamental de la Républiqie, et donc dans ce
cadre, sert à réaffirmer les bases de cette dernière.
255 Aristote, La politique, op. cit., p. 70.
256 Sandrine Maillard, L'émergence de la
citoyenneté sociale européenne, presses universitaires
D'aix-Marseille-PUAM, 2008, p. 38.
257 Paul Valery, Regards sur le monde actuel et autres
essais, Gallimard, 1988, p. 31.
258 Madeleine Grawitz, op. cit., p. 419.
259 Olinga Alain, « Le citoyen dans le cadre constitutionnel
camerounais », op. cit., p.165.
78
CHAPITRE I :
LA CITOYENNETE DIFERRENCIEE
Dans un contexte d'Etat républicain, parler d'une
citoyenneté différenciée reviendra révéler
clairement la cohabitation divergente entre cette dernière et la
citoyenneté républicaine universelle.
Le premier type de citoyenneté peut découler
d'une sorte de rupture de la ligne horizontale sur laquelle doivent en principe
être placés tous les citoyens, cela en raison par exemple de
l'aménagement de statuts particuliers au profit de certaines
catégories de citoyens alors que d'autres se voient privés de
certaines facultés juridiques. Par contre, le second est inhérent
à la garantie suprême du principe fondamental de
l'égalité en droit de tous les citoyens.
Au regard de ce qui suit, dans ce chapitre, l'on est
amené de façon générale à scruter les
contours de la citoyenneté camerounaise en vue d'y déceler tous
les éléments de droit qui établissent des
différences entre les citoyens.
Dans ce cadre, nous montrerons que dans l'ordre
constitutionnel camerounais, la citoyenneté différenciée
résulte de la reconnaissance des minorités et des populations
autochtones d'une part (section I), et du système électoral
d'autre part (section II).
SECTION I : LA RECONNAISSANCE DES MINORITES ET DES
POPULATIONS AUTOCHTONES
L'une des innovations majeures de la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun a été la
reconnaissance constitutionnelle des minorités et des populations
autochtones260. Dans un contexte sociologique marqué par la
grande diversité ethnoculturelle, il se pose l'équation du
modèle de citoyenneté à construire dans ce paysage
multiculturaliste.
260 En effet, désormais « L'Etat assure la
protection des minorités et préserve les droits des populations
autochtones conformément à la loi » au regard du
préambule de la constitution du Cameroun.
79
A cette question, le constituant de 1996 semble avoir
opté pour un type de citoyenneté tout aussi multiculturelle.
Dans ce sens, la reconnaissance des minorités et des
populations autochtones peut être perçue comme répondant au
souci de l'objectivation de la diversité sociologique ; ce qui conduira
malheureusement à l'émergence d'une citoyenneté à
double vitesse (§1), subissant du même coup une fragmentation du
fait de l'adoption de programmes de discrimination positive (§2).
Paragraphe 1 : DU SOUCI DE L'OBJECTIVATION DE LA
DIVERSITE CULTURELLE A L'EMERGENCE D'UNE CITOYENNETE A DOUBLE
VITESSE
Telle l'image du Janus ou telle une médaille et son
fâcheux revers, la reconnaissance des minorités et des populations
autochtones comporte indissociablement des atouts et des tares. En effet, la
gestion du multiculturalisme au Cameroun s'est traduite par la dynamique
assimilation-différenciation (A), la conséquence majeure qui en
découle étant l'établissement d'une catégorie de
citoyens sui generis (B).
A. La dynamique assimilation-différenciation
La réforme de la Constitution du 02 juin 1972 avait
entre autres objectifs de prendre en compte les « aspirations et les
préoccupations du peuple camerounais telles qu'elles se sont
exprimées ces dernières années »261. Mais
de quelles aspirations et préoccupations s'agissait-il
concrètement ? S'agissait-il de revendications particularistes ou
identitaires ?
Hélène-Laure Menthong fait à ce sujet
état d'une flopée de revendications à caractère
ethno régional qui ont rythmé la vie politique du pays au
lendemain de l'ouverture démocratique. Elles étaient largement
relayées et publiées par le journal gouvernemental Cameroun
Tribune et fusaient de toutes parts sur l'ensemble des régions du
pays.
L'on peut citer par exemple les revendications des «
"forces vives du littoral" (N° 5365 du 27 Avril 1993,
N° 5372 du 4 Mai 1993, p. 6), des "élites du Mfoundi"
(N° 5386 du 27 Mai 1993),
261 Voir à ce sujet l'exposé des motifs du
projet de loi n° 590/PLI/AN portant révision de La Constitution du
02 Juin 1972, déposé par le Gouvernement sur le bureau de
l'Assemblée nationale en décembre 1995.
80
des "élites de la province de l'Est" (N°
5388 du 2 Juin 1993, p. 3), des "Populations du Sud" (N° 5389 du
3 Juin 1993, p.3) »262.
Pourtant avant 1996, le chantier de construction de la Nation
au Cameroun utilisait entre autres matériaux
l'homogénéisation culturelle ; traduisant ainsi une politique
constitutionnelle d'assimilation culturelle ou ethnique dont les
mécanismes ont consisté en un mutisme du texte constitutionnel
sur la diversité ethno sociologique du pays. Dans cet esprit, l'un des
traits caractéristiques qui étaient accolés à la
nation en construction était le monolithisme identitaire, qui signifiait
que la communauté nationale est le seul cadre d'appartenance des
citoyens263.
Cependant, en consacrant l'existence des minorités et
des populations autochtones en tant que nouveaux sujets
différenciés de droit, le constituant de 1996 aurait voulu donner
une dimension réaliste et concrète à la diversité
culturelle qui caractérise indiscutablement le Cameroun. Le Pr. Alain
Didier Olinga fait observer à ce propos qu' : « il semble qu'en
proclamant l'obligation de l'Etat de protéger les minorités et
les populations autochtones, la constitution ait voulu démystifier la
nation monolithique en tant que creuset et engager à une gestion
intelligente de la diversité des composantes de la nation
»264.
Cette position peut être épouse celle de Michel
Coutu, qui affirme que :
Le pluralisme culturel, sur le plan identitaire, se
caractérise par les luttes de reconnaissance de multiples groupements
(minorités ethniques et nationales, minorités religieuses,
sexuelles, personnes handicapées, etc.) ; ceux-ci s'attachent au projet
d'une identification citoyenne qui ne s'adresse pas en priorité à
la communauté politique étatique, mais plutôt aux
communautés plurielles présentes dans la
société265.
262 Hélène-Laure Menthong, « La
construction des enjeux locaux dans le débat constitutionnel au Cameroun
», polis/ R.C.S.P/C.P.S.R., vol. 2, no 2, 1996, pp.
69-90 (spéc. p. 76).
263A ce propos, le Pr. Jean Njoya parle d'une «
conception qui construit son épistémologie autour d'une
appréhension uniformiste et assimilationniste de la construction de
l'État ». Il relève ainsi que le cas du Cameroun
répond à ce schéma. Voir Jean Njoya, « États,
peuples et minorités en Afrique sub-saharienne : droit, contraintes
anthropologiques et défi démocratique », in «
Démocratie, organisation territoriale de l'État et protection des
minorités », 4e Forum mondial des droits de l'homme.
Face à la crise, les droits de l'homme ?, Nantes-France, 28
Juin-1er juillet 2010, p. 2.
264 Alain Didier Olinga, « La protection des
minorités et des populations autochtones en droit public camerounais
», Revue Africaine de Droit International et Comparé, vol.
10, 1998, pp.271-291.
265 Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux et
citoyenneté », op. cit., p. 13.
81
Concrètement, le phénomène majoritaire,
impliqué par la démocratie 266, peut entrainer une
domination peut-être diffuse, mais plus ou moins réelle, d'une
certaine majorité sur une ou des minorités267. Telle
est manifestement la raison des revendications sus évoquées, pour
lesquelles la reconnaissance et la protection des minorités et des
populations autochtones devaient en être, selon leurs auteurs, la
satisfaction. C'est dans ce sens que s'inscrivent les propos du Pr. Alain
Didier Olinga selon lesquels « la protection des minorités et la
préservation des droits des populations autochtones ne seraient que des
accompagnateurs de la transition démocratique, des amortisseurs du choc
que constitue, pour certaines communautés, le passage à la
démocratie majoritaire »268.
A l'évidence, les propos du Pr. Alain Didier Olinga
sont en l'occurrence confortés par le contenu des revendications de ce
qui se faisait appeler la « minorité autochtone sawa » qui,
lors d'une marche de protestation tenue à Douala le 10 février
1996, scandait les messages suivants : « Démocratie oui,
hégémonie non » ; « pas de démocratie sans
protection des minorités autochtones » ; « la majorité
ethnique n'est pas l'expression de la démocratie mais celle de
l'expansionnisme »269.
Nul doute que les auteurs de ces revendications
réclament une certaine représentativité dans la gestion de
la sphère démocratique locale
particulièrement270. En effet, le chef Essaka Ekwalla Essaka,
porte-parole des chefs traditionnels Douala, déclara que : « nous
demandons que les postes de maires reviennent aux autochtones [...]. Nous
disons simplement que les listes qui ont été
déclarées victorieuses comportent dans leur sein des autochtones.
Ils ont le droit d'être maire »271.
266 Dans le contexte de la démocratie
électorale, le phénomène majoritaire renvoie à
l'idée selon laquelle les forces politiques gouvernantes au niveau local
ou national sont celles qui ont reçu la majorité des suffrages
électoraux exprimés par les électeurs.
267 Cet état des choses laisse ainsi clairement
apparaitre les limites intrinsèques du principe sacro-saint de
l'égalité de tous les citoyens.
268 Alain Didier Olinga, « La protection des
minorités et des populations autochtones en droit public camerounais
», Ibid., p. 276.
269 Voir le journal Cameroon Tribune no
6036, mardi 13 février 1996, p. 6, cité par Bernard Guimdo Dogmo,
« Reconnaissance des minorités et démocratie : Duel ou duo ?
», Annales de la faculté des sciences juridiques et politiques de
l'université de Dschang, Tome 1, volume 1, 1997, p.127.
270 En effet, l'usage des expressions «
hégémonie non » et « majorité ethnique »
conduit à subodorer de façon objective que, du fait de leur
infériorité numérique dans la ville de Douala, les sawa se
voyaient, à tort ou à raison, presque naturellement
écartés ou éloignés de la possibilité
d'accéder à des postes électifs au sein de leur ville
d'origine. C'est cette phobie qui justifie manifestement leurs
revendications.
271Ibid, p. 128.
82
Des mouvements de revendications identitaires similaires
à celui précité se sont fait entendre de part et autre du
pays272 ; donnant ainsi à penser que leur montée
traduit une sorte de rejet du modèle de citoyenneté qui
prévalait en ce moment-là, c'est-à-dire la
citoyenneté universelle, à laquelle il fallait apporter des
correctifs.
Dès lors, pour certains, il fallait absolument parvenir
à la reconnaissance d'une citoyenneté spécifique des
minorités et des autochtones en vue de garantir pour eux une certaine
équité. D'ailleurs, cette idée avait entre-temps
été défendue par une frange de la doctrine camerounaise de
droit public273 . A s'en tenir à cette tendance doctrinale,
l'objectif de construction de l'Etat-nation camerounais qui fasse abstraction
de l'ethnicité ou de la tribalité dont les pendants sont la
minorité et l'autochtonie, ne relèverait purement que de
l'utopie274.
Toutefois, il convient de relever les tares et les avatars de
la reconnaissance des statuts particuliers de citoyen, notamment le
dépouillement de la notion de citoyenneté.
272 En effet, « pour les "Forces vives du Littoral",
il faut une juste répartition des minorités autochtones dans
la région par des mécanismes appropriés en tenant compte
des spécificités de chaque province. Pour les populations du Sud,
le chef de l'exécutif de la région devrait être élu
parmi les ressortissants de la région (...). L'ASFESEM propose quant
à elle la consécration du terme "autochtone" et le
recrutement des membres du conseil régional et de l'exécutif
communal parmi les autochtones. La distinction entre autochtone et
allogène est soulignée par la contribution d'une "partie de
l'élite extérieure de l'Est" au débat constitutionnel
». Lire Hélène-Laure Menthong, op.cit. pp.
76-77.
273 Le Pr. par exemple dit que la question des
minorités et des populations autochtones est une « Noble
préoccupation dont l'objet est de d'assurer la participation de toutes
les couches citoyennes à la gestion des affaires publiques.
Envisagée comme une formule de soutien aux populations en situation de
faiblesse, le principe se comprend sans difficultés notamment à
travers les lois forestières, domaniales, les lois électorales
». Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit., p. 163.
Le Pr. Luc Sindjoun affirme quant à lui que : « la
proclamation des droits des minorités relève de la reconnaissance
de l'égalité entre personnes, du respect de l'appartenance des
individus à des communautés ». Lire Luc Sindjoun, « La
démocratie est-elle soluble dans le pluralisme culturel ?
Eléments pour une discussion politiste de la démocratie dans les
sociétés plurales », Introduction inaugurale au colloque
international Fracophonie-Commonwealth sur la démocratie et les
sociétés plurielles, Yaoundé, 2000.
Abondant dans le même sens, le Pr. James Mouanguè
Kobila affirme quant à lui que : « la codification de la protection
des minorités et des populations autochtones en 1996 a davantage
consisté à refléter le droit positif qu'à
reconnaître des droits nouveaux, même si elle est riche en
virtualités. Elle est par conséquent plus descriptive que
réformatrice » 273 . Lire James Mouanguè Kobila, «
Droit de la participation politiques des minorités et des populations
autochtones. L'application de l'exigence constitutionnelle de la prise en
compte des composantes sociologiques de la circonscription dans la constitution
des listes de candidats aux élections au Cameroun », revue
française de droit constitutionnel, no 75, juillet 2008,
revue trimestrielle, pp. 629-664 (spéc. p. 653).
274 A ce sujet, le Le Pr. Etienne Charles
Lékéné Donfack disaitt que : « Dans le continent,
nous préconisons l'Etat Pluri-ethnique, calqué sur notre
pluralisme, c'est-à-dire sur nos éléments
hétérogènes au sein desquels se sont établis les
différentes formes de consensus qui permettent des échanges
». Voir Etienne Charles Lékéné Donfack,
L'expérience du fédéralisme camerounais : Les causes et
les enseignements d'un échec, Tome II, Thèse pour le doctorat
d'Etat en droit de l'université de Clermont 1, Faculté de droit
et des sciences politiques, octobre 1979, p. 330.
83
B. Minorités et populations autochtones :
catégories de citoyens sui generis
Déjà handicapées par leur
imprécision constitutionnelle (1), les notions de minorités et
des populations autochtones sont instauratrices au Cameroun d'une fragmentation
de la citoyenneté républicaine (2).
1. l'imprécision constitutionnelle des notions
de minorités et de populations autochtones
C'est dans la loi constitutionnelle no 96/06 du 18
janvier 1996 que les termes minorité et autochtone font pour la
première fois leur apparition dans les textes juridiques au Cameroun.
Mais il va s'en dire que le texte suscité n'offre aucune
visibilité sur l'identification de ces groupes, faisant ainsi d'eux de
véritables serpents de mer, une véritable nébuleuse. En
effet, l'identification des groupes dits minoritaires ou autochtones est
difficile, car le constituant proclame simplement la protection de leurs droits
sans au préalable définir les critères clairs de leur
identification réelle, pourtant cette question « est indissociable
de celle de la qualification et, partant, de la définition de la
communauté infranationale objet de reconnaissance. C'est pourquoi ces
deux aspects doivent être évoqués simultanément
»275. Ainsi, l'inexistence des critères constitutionnels
et/ou législatifs d'identification des minorités et des
populations autochtones traduit-elle une réserve du constituant ?
Quoiqu'il en soit, le flou qui recouvre ces notions a fait que lors du
débat suite l'adoption de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996,
« ce sont les preneurs de parole qui construisent certains groupes comme
étant soit des minorités soit des autochtones, soit les deux
à la fois »276 ; suscitant ainsi un amalgame à
propos de ces deux notions qui pourrait par exemple laisser croire à
leur homologie.
275 Norbert Rouland, Stéphane Pierré-Caps,
Jacques Poumarède, Droit des minorités et des peuples
autochtones, Paris, PUF, Coll. Droit politique et théorique, 1996,
581 pp. version numérique, Marcelle Bergeron, coll. "Les classiques des
sciences sociales", disponible sur : http://classiques.uqac.ca/
276 Hélène-Laure Menthong, « La
construction des enjeux locaux dans le débat constitutionnel au Cameroun
», op.cit. p 78.
84
a) S'agissant de la notion de minorité
Il est difficile de trouver une définition consensuelle
de la notion de minorité qui puisse être adoptée dans un
texte à vocation universelle ou régionale. Toutefois, nous
retiendrons celle proposée par le Pr. Francisco Capotorti277
; qui retient notamment notre attention en raison du fait qu'elle est issue
d'une étude relative à la mise en oeuvre des droits des
minorités garantis à l'article 27 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, texte que le Cameroun a ratifié le 27
juin 1984. Ainsi pour ce dernier, une minorité est :
Un groupe numériquement inférieur au reste
de la population d'un État, en position non dominante, dont les membres
- ressortissants de l'État - possèdent du point de vue ethnique,
religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de
celles du reste de la population et manifestent même de façon
implicite un sentiment de solidarité, à l'effet de
préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur
langue278.
Cette définition met en exergue le critère
numérique dans la définition. Ainsi, un groupe est dit
minoritaire au sein d'un Etat lorsqu'il est numériquement
inférieur au reste de la population de cet Etat. De ce point de vue, du
fait de la pluralité des ethnies au Cameroun, il serait difficile de
dire qu'il existe véritablement un groupe ethnique minoritaire à
côté d'un autre groupe majoritaire. La réalité
laisse plutôt voir qu'il n'existe pas une majorité dominante, mais
plutôt une multitude de communautés tribales plus ou moins
numériquement égales279. On peut y déceler la
raison pour laquelle la loi n'a pas jusqu'ici spécifiquement
désigné un groupe comme étant minoritaire.
Un autre écueil réside au niveau de la
détermination de l'échelon géographique permettant
d'apprécier le critère numérique sus évoqué.
En effet, les minorités au Cameroun
277 Il était le rapporteur spécial de la
sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la
protection des minorités des Nations Unies
278 F. Capotorti, « Étude des droits des personnes
appartenant aux minorités ethniques, religieuses et linguistiques
», New York, Nations Unies, l979 (Doc. E/CN 4 Sub. 2/384/Rev.l), p. 102,
cité par José Woehrling, in « Les trois dimensions
de la protection des minorités en droit constitutionnel comparé
», R.D.U.S., avril 2003, no 34, pp. 93-155,
(spéc. p. 100).
279 Dans ce contexte, aucun des différents groupes
ethniques du pays ne saurait, sous le prétexte d'une quelconque
spécificité, revendiquer automatiquement une protection
spéciale par rapport aux autres groupes ethnies, puisque la
diversité entraine naturellement la différence.
85
sont-elles nationales ou régionales ? Cette question
dégage une réelle confusion. En effet, le gouvernement utilise le
concept générique de « populations dites marginales »
pour désigner les pygmées, les mbororo et les montagnards kirdi,
qui sont considérés comme des minorités nationales en
raison de leurs difficultés à s'intégrer pleinement dans
la société moderne dominante tout en sauvegardant leur
identité culturelle.
Pourtant d'un autre côté, certains groupes
ethniques se réclament d'être des minorités, seulement au
niveau d'une circonscription administrative telle la région par
exemple.
De ce qui suit, le Cameroun reconnait-il les minorités
nationales ou les minorités locales ou encore les deux à la fois
?
En fait, un groupe peut bien à la fois être
majoritaire dans une région donnée mais constituer pourtant une
minorité à l'échelle de l'État ou l'inverse, car
« Toutes les différences ethniques, culturelles, linguistiques ou
religieuses ne conduisent pas nécessairement à la création
des minorités nationales »280.
Dans ce contexte, il est légalement difficile
d'identifier les minorités au Cameroun, qu'elles soient nationales ou
ethniques. De la sorte, il est tout aussi difficile de définir leurs
droits281.
b) S'agissant de la notion d'autochtone
En ce qui concerne la notion d'autochtone, il est tout aussi
difficile d'en avoir la définition au regard du droit camerounais. Cela
rend ainsi complexe l'identification de ces groupes. Le Cameroun utilise
plutôt le concept générique de « populations
marginales pour désigner ces groupes. C'est ce qui se dégage en
fait du deuxième rapport périodique qu'il a soumis à la
commission africaine des droits de l'homme et des peuples et au comité
pour l'élimination de la discrimination raciale. Il y est
énoncé ce qui suit :
Au Cameroun, certaines catégories de la population,
telles que les peuples pygmées (Baka, Bakola, Bagyéli, Badzang),
les Mbororo et d'autres identités ethniques que les Nations Unies
désignent par « peuples autochtones » ou
280 in R.U.D.H., 1991, p.518, cité par Léopold
Donfack Sokeng, « existe-t-il une identité démocratique
camerounaise ? La spécificité camerounaise à
l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux »,
polis, vol.1, numéro spécial, Février 1996, p
14.
281 S'interrogeant sur les droits à reconnaître
aux minorités, le Pr. Léopold Donfack Sokeng déclare que
« La Constitution camerounaise demeure assez silencieuse sur la question,
s'agissant notamment du cas des minorités ethniques ». Voir
Léopold Donfack Sokeng, « existe-t-il une identité
démocratique camerounaise ? La spécificité camerounaise
à l'épreuve de l'universalité des droits fondamentaux
», Ibidem.
86
encore « peuples indigènes et tribaux »
à cause de leurs modes de vie et de leurs valeurs socioculturelles
basées sur leurs traditions ancestrales, sont désignées
sur le plan institutionnel par « populations marginales » du fait de
leur rupture avec l'identité socioculturelle de la majorité de
leurs concitoyens282.
Au regard de ce qui suit, la marginalisation semble être
le critère d'identification des populations autochtones en dépit
de ce qu'il crée la confusion. C'est la raison pour laquelle le
comité pour l'élimination des discriminations raciales, lors de
l'examen du rapport à lui soumis par l'État du Cameroun, lui a
recommandé de renoncer à l'utilisation de la notion de
populations marginales, qui est contraire à l'esprit de la
Convention283. En outre, il a déploré le fait que,
conformément à la constitution, aucune loi n'avait jusqu'ici
été élaborée pour rendre effective la protection
des minorités et des populations autochtones284.
Dans ce contexte de silence des textes, nous pouvons tout de
même ressortir la définition de la notion, notamment par
Jérôme Francis Wandji, qui dit que l'autochtone serait «
celui qui parmi les camerounais serait établi dans une région ou
sur une portion du territoire actuel avant la colonisation, peu importe qu'il
soit venu d'ailleurs »285.
Il note par ailleurs que le critère qui sert à
différencier l'autochtone de l'allogène est l'origine
Géographique coloniale et postcoloniale des parents et non la naissance
de l'individu sur un point du territoire286.
Il est beau d'affirmer la légitimité de la
protection des minorités et des populations autochtones, mais il serait
bien plus meilleur de pouvoir dresser la liste exhaustive des groupes ethniques
ou tribaux du Cameroun qui devraient être considérés comme
tels. Cette indétermination ne fait cependant pas de la reconnaissance
de ces groupes une illusion. Autrement dit, la seule reconnaissance de ces deux
groupes spécifiques de citoyens est porteuse de conséquences
282 Voir le deuxième rapport périodique du Cameroun
sur les droits des peuples autochtones, paragraphe 342.
283 Voir le rapport du comité pour l'élimination
des discriminations raciales portant sur la situation des populations
autochtones au Cameroun intitulé CERD/C/CMR/CO/15-18, 16 mars 2010. Il
s'agit de la convention sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale.
284 CERD/C/CMR/CO/15-18, 16 mars 2010, paragraphe 15.
285 Jérôme Francis Wandji, « La
décentralisation du pouvoir au Cameroun entre rupture et
continuité. Réflexion sur les réformes engagées
entre 1996 et 2009, CAFRAD, no 76, 2011, pp. 65-101,
(spéc. p. 84).
286 Jérôme Francis Wandji, ibid, p. 85.
87
2. La fragmentation de la citoyenneté
républicaine
Le modèle de citoyenneté républicaine est
un modèle neutre qui ne fait référence à aucune
identité de nature tribale, religieuse raciale ou linguistique, mais
exalte et préserve plutôt l'identité nationale commune
à tous les citoyens membres de la Nation.
Mais la reconnaissance de droits particuliers au profit des
minorités et des populations autochtones instaure un malaise dans la
citoyenneté camerounaise 287 , car elle entraine
inéluctablement de graves discriminations dans le traitement des
citoyens de l'Etat. Elle pose sérieusement la question du seuil
acceptable de prise en compte de particularismes sociologiques dans le cadre
d'un État un et indivisible tel que le Cameroun.
Ainsi, marquée par l'émergence de statuts
distincts, voir opposés de citoyens, cette reconnaissance entraine
fatalement la segmentation de la citoyenneté.
Cette analyse est en effet propre à une bonne partie de
la doctrine camerounaise de droit public :
Le Pr. Maurice Kamto écrit que : « l'opposition
autochtone-allogène est devenue le clivage fondamental de la vie
politique nationale »288
Le Pr. Léopold Donfack Sokeng soutient que «
L'introduction on ne peut plus brutale des notions de « minorités
» mais surtout d' »autochtones » nantis de droits
spécifiques à préserver traduit à n'en point douter
la crise du modèle classique d'intégration sociale (...) elle
donne lieu à une définition différenciée et
contradictoire de la citoyenneté camerounaise »289.
Suivant ce même raisonnement, le Pr. Guimdo Dogmo
Bernard pense que « l'idée de minorité est
littéralement inconciliable avec le respect d'un principe
d'égalité ou de nondiscrimination »290.
De plus, l'on fait reùarquer que : « la
citoyenneté particulariste, dès lors qu'elle prend la
Constitution pour cible, finit par scinder symboliquement la communauté
politique en une
287 A ce propos, le Pr. Léopold Donfack Sokeng
affirmait que « la pertinence de l'introduction dans la constitution de la
distinction autochtones/allochtones peut être discutée au regard
de son impact sur la conception de la citoyenneté et de la
République ». Voir Léopold Donfack Sokeng, «
Existe-t-il une identité démocratique camerounaise ? La
spécificité camerounaise à l'épreuve de
l'universalité des droits fondamentaux », op. cit. , 4
288 Maurice Kamto, « Dynamique constitutionnelle du
Cameroun indépendant », Revue juridique africaine, Puc,
1995, no 1, 2, 3, p. 46.
289 Léopold Donfack Sokeng, « existe-t-il une
identité démocratique camerounaise ? La spécificité
camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits
fondamentaux », op. cit. , p.16.
290 Bernard Guimdo Dogmo, « Reconnaissance des
minorités et démocratie : Duel ou duo ? », Annales de la
faculté des sciences juridiques et politiques de l'université de
Dschang, tome I, vol. 1, 1997, p. 128.
88
multiplicité de groupes d'ayant droit qui n'ont d'autre
univers que celui de la reconnaissance judiciaire de leur particularité
et de leurs droits »291. Le juge constitutionnel
français s'est montré clair sur cette question en
déclarant dans une décision du 9 mai 1991, relative au nouveau
statut de la corse, que la reconnaissance d'un peuple corse diviserait la
République292.
La « citoyenneté des minorités et des
populations autochtones » crée fatalement une dichotomie au sein de
l'Etat et perturbe ainsi les certitudes de son indivisibilité et
d'unité du peuple camerounais. Patrick Dollart aboutissait
déjà à cette conclusion lorsqu'il affirmait que : «
L'introduction des citoyennetés d'outre-mer et de l'Union
européenne dans l'ordre juridique français marque une inflexion
notoire de la tradition républicaine de l'indivisibilité de la
Nation au bénéfice de l'union du peuple français
»293.
Pour le cas du Cameroun, le Pr. Léopold Donfack Sokeng
parle même de l'inconstitutionnalité de la loi constitutionnelle
du 18 janvier 1996 qui instaure les notions de minorités et
d'autochtones, car altèrent-elles l'unicité et
l'indivisibilité de la République. Il dit à ce propos que
:
S'agissant de la Constitution de 1972, l'on
relèvera que le principe de l'unité qui induit l'unicité
et l'indivisibilité de la République et de son peuple
composé de citoyens égaux en droits et en devoirs, (...)
apparaissent comme autant de principes fondamentaux, substantiels, qui ne
sauraient être remis en cause par une simple loi
constitutionnelle294.
L'idée de République implique la prohibition de
toute discrimination295. Ainsi, il ne doit pas exister de statuts
différentiels de citoyens selon que ces derniers sont autochtones ou
allogènes d'une part, et d'autre part majoritaires ou minoritaires.
Etablir une catégorie de
291 Voir Michel Coutu, « Introduction : Droits fondamentaux
et citoyenneté », op. cit. , p. 13.
292 Le juge déclare in extenso que : « la
République étant indivisible et le peuple français
constitué de tous les citoyens, ces derniers étant sans
distinction d'origine, de race ou de religion, égaux devant la loi, il
ne peut y avoir un peuple corse composante du peuple français. En
s'intercalant entre les citoyens et le peuple français, celui-là
constituerait en effet un élément de division de la
République ». Voir Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991,
« statut de la Corse ». JO 14 mai 1991, p. 6350.
293 Patrick Dollat, « La citoyenneté française
: une superposition de citoyennetés », RFDA, 2005, n°
1, p. 73.
294 Léopold Donfack Sokeng, « existe-t-il une
identité démocratique camerounaise ? La spécificité
camerounaise à l'épreuve de l'universalité des droits
fondamentaux », op. cit. , p 17.
295 La loi doit être « aveugle » face à
des caractéristiques comme le sexe, la religion, la tribu etc.
89
citoyens sui generis introduit par-là
même des disparités dans le statut de citoyen, remettant ainsi en
cause le principe d'égalité en droit de tous les citoyens
prôné par la Constitution296. A cause de cette
différenciation, tous les citoyens ne jouissent pas à proprement
parler des mêmes droits au sein de l'Etat.
L'un des terrains où se manifeste le partitionnement de
la citoyenneté est surtout l'espace local, compte tenu du fait que c'est
à ce niveau que la « désormais bataille »297
entre autochtones et allogène est culminante.
En effet, l'art. 57 al.3 de la Constitution dispose que :
« Le conseil régional est présidé par une
personnalité autochtone de la région élue en son sein pour
la durée du mandat du conseil ». A propos de cette disposition, le
Dr. Wandji Jérôme affirme que : « la démocratie
régionale souffre d'un déficit quant à
l'égalité des droits politiques des citoyens » 298 . Elle
est discriminatoire à l'égard du citoyen allogène qui
serait né dans une région, qui y'aurait bâti toute sa vie
et y résiderait encore, mais qui malgré tout, se verra
malheureusement exclu de la possibilité d'être porté
à la tête du conseil régional de ladite région.
Pourtant, rien ne laisse croire que le citoyen autochtone est plus
concerné ou plus soucieux de l'intérêt
général dans une région que le citoyen allochtone, et que,
par conséquent, il serait le plus apte pour le satisfaire.
En plus de paraitre comme une présomption
d'incapacité chez les citoyens allochtones, cette discrimination porte
atteinte au principe d'égalité de tous les citoyens. Or, il est
constitutionnellement reconnu au Cameroun le droit de tout citoyen de se fixer
en tout lieu sur le territoire national299. Elle entraine donc une
exclusion de jure et de facto de ces derniers du droit
à l'éligibilité ou à la nomination. L'exclusion de
droit trouve son fondement dans l'art.57 al.3 de la Constitution300,
tandis que l'exclusion de fait est la résultante de ce que
296 Cf. art. 1er al. 2. de la Constitution du
Cameroun.
297 Lire à ce sujet Maurice Kamto, qui
révélait que « l'opposition autochtone-allogène
instaurait un clivage dans la vie politique nationale. Voir Maurice Kamto
« Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant »,
op. cit., p. 46.
298 Jérôme Francis Wandji K., « La
décentralisation du pouvoir au Cameroun entre rupture et
continuité : Réflexion sur les réformes engagées
entre 1996 et 2009 », revue CAFRAD, vol. 1, no 76, pp.
65-101, (spéc. p. 83).
299 Voir le préambule de la Constitution du Cameroun.
300 A ce sujet, le Dr. Wandji Jérôme Francis
affirme que le choix du président du conseil régional parmi les
seules personnalités autochtones composant le conseil régional
« est une atteinte au principe de principe constitutionnel
d'égalité des droits politiques parce qu'il va à
l'encontre du concept de citoyenneté, concept imposé par le
caractère républicain de l'Etat afin d'établir et de
maintenir une égalité de droit au-delà d'une
inégalité de fait ». Voir Jérôme Francis Wandji
K. , Ibid , p. 85.
90
l'origine tribale influence fortement la nomination ou
l'élection de responsables à certains postes. L'illustration peut
en être donnée par le constat selon lequel la plupart, sinon tous
les délégués du gouvernement auprès des quatorze
communautés urbaines nommés par le Chef de l'Etat sont des
personnalités autochtones de la région, mais surtout de la ville
en question301.
Par ailleurs, il est à noter que malgré la
consécration du terme de populations, et non pas celle de peuples, comme
c'est le cas dans la terminologie au niveau international, l'autochtonie reste
attentatoire à l'indivisibilité et l'unicité de la
république autant qu'à l'égalité des citoyens.
Paragraphe 2 : LA FRAGMENTATION DE LA CITOYENNETE AU
TRAVERS DE LA DISCRIMINATION POSITIVE
Le programme de discrimination positive au Cameroun est connu
sous l'appellation de principe de l'équilibre régional. Il s'agit
d'un programme dit d'inégalités compensatrices. Ce principe
entraine la fragmentation de la citoyenneté en raison du fait qu'il
porte atteinte au principe fondamental d'égale admissibilité aux
emplois publics (B), principe qu'il conviendra, dans un souci de
lisibilité, de présenter au préalable (A).
A. Le principe d'égale admissibilité aux
emplois publics
Nous aborderons d'abord la question de la réception de
ce principe en droit national (1) avant d'analyser son contenu proprement dit
(2).
1. La réception du principe en droit
national
L'égalité d'admissibilité aux emplois
publics est un principe fondamental du droit de la fonction publique au
Cameroun. Il est un dérivé du principe général de
l'égalité en droits de
301 Pour le cas de Douala nous avons M. Fritz Ntonè
Ntonè, qui est un natif de Douala, d'ailleurs tous ses
prédécesseurs étaient eux aussi natifs de Douala ;
à Yaoundé il M. Tsimi Evouna, un ressortissant de la même
ville ; à Bafoussam, M. Emmanuel Nzété qui tout aussi un
natif de la même ville. Ce schéma est similaire pour les autres
communautés urbaines. Dans ce contexte, l'on court risque d'un certain
dessaisissement délibéré des citoyens allochtones des
affaires de la région ou de la ville dans laquelle ils vivent, car s'y
sentant exclus d'une certaine façon.
91
tous les citoyens. Bien que la Constitution ne mentionne pas
expressément ce principe, la Déclaration universelle des droits
de l'homme du 10 décembre 1948302 et la Charte africaine des
droits de l'Homme et des peuples303, le consacrent pour autant.
Au regard de la réception de ces textes en droit
camerounais, conformément aux dispositions de la
Constitution304, il convient d'affirmer que le principe
d'égale admissibilité aux emplois publics fait dès lors
pleinement partie du droit positif camerounais, car ces textes sont inscrits
dans le bloc de constitutionnalité305.
D'ailleurs, ce principe a connu une application
jurisprudentielle dans l'affaire CS/CA jugement du 14 décembre 2005,
Moukon à Ebong Martin c/ Etat du Cameroun. Dans cette espèce, le
juge de la cour suprême déclare que : « Le principe
d'égalité que prévoit la Constitution emporte
l'égalité de chance d'accès aux emplois publics ».
Dès lors, le juge administratif notamment se présente comme un
garant de ce principe, qui prévalait déjà à l'aube
de la mise sur pied de la fonction publique camerounaise au lendemain de
l'accession du pays à l'indépendance le 1er janvier
1960.
2. le contenu du principe proprement
dit
Le principe d'égale admissibilité aux emplois
publics interdit les discriminations entre les citoyens. En effet, il ne doit y
avoir aucune distinction entre les citoyens en raison de leur origine, de leur
appartenance ethnique ou raciale, de leur langue ou de leurs opinions ou de
leur religion etc. Concrètement, ce principe renvoie à
l'interdiction de la mise en oeuvre d'un système de recrutement dans la
fonction publique fondé sur des critères étrangers aux
talents, à la vertu et aux capacités des candidats. Dans cette
optique, même la recherche de la parité hommes/femmes ne saurait
être admise, le seul critère devant prévaloir est le
mérite306.
302 L'art. 21 al. 2 de la Déclaration universelle des
Droits de l'Homme en effet que « Toute personne a droit à
accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions
publiques de son pays ».
303 L'art.13 al. 2 de la Charte africaine des droits de
l'Homme et des peuples prévoit que « Tous les citoyens ont
également le droit d'accéder aux fonctions publiques de leurs
pays ».
304 A ce propos, il faut relever que le préambule de la
Constitution affirme que le peuple camerounais « Affirme son attachement
aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration
universelle des droits de l'homme, la Charte des Nations unies, La Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples... ». Par ailleurs, l'art
65 de la Constitution énonce que « Le préambule fait partie
intégrante de la Constitution ».
305 Car selon l'art. 65 de la Constitution, « Le
préambule fait partie intégrante de la Constitution ».
306 En droit français, le principe d'égale
admissibilité aux emplois publics est énoncé par l'art. 6
de la déclaration française des droits de l'homme et du cioyen,
qui affirme que « Tous les citoyens sont également
92
Le décret no 94/199 du 7 octobre 1994
portant statut général de la fonction publique, modifié et
complété par le décret no 2000/287 du 12
novembre 2000, énonce clairement ce principe en prévoyant que
« L'accès à la fonction publique est ouvert, sans
discrimination aucune, à toutes personnes de nationalité
camerounaise... »307.
Le juge administratif camerounais fera d'ailleurs une stricte
application de ce principe dans l'affaire CS/CA du 27 octobre 1994, Ndongo
née Mbonzi Ngombo. Cette instance porte sur le refus de titularisation
de la requérante, qui était d'origine zaïroise mais dont le
mariage avec un camerounais lui avait pourtant conféré
l'obtention de la nationalité camerounaise. Le juge annulera ce refus de
titularisation dans la fonction publique en invoquant le motif selon lequel
« Lui refuser l'intégration dans la fonction publique camerounaise
serait créer une discrimination entre les camerounais devant un emploi
public, ce qui constitue une violation de la Constitution
»308.
De façon générale, le principe
d'égale admissibilité aux emplois publics est une garantie
nécessaire des chances de tous et de chacun d'accéder à la
fonction publique309, que ce soit par la voie du recrutement ou par
celle de la nomination, car même le pouvoir discrétionnaire de
nomination y est soumis.
B. Le principe d'égale admissibilité
aux emplois publics à l'épreuve de la règle de
l'équilibre régional
Le principe de l'équilibre régional a
été institué au Cameroun par l'ordonnance no
59/70 du 27 novembre 1959 relative au statut des fonctionnaires au Cameroun
oriental. De nos jours il est régi notamment par le décret
no 2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime
général des concours administratifs, qui dispose qu' : « un
arrêté du Premier Ministre fixe les quotas de places
réservées lors des concours administratifs aux candidats de
chaque province »310.
admissibles à toute dignité, places et emplois
publics selon leurs capacités sans autre distinction que celle vertu ou
de leur talent ».
307 Voir l'art. 12 al. 1 du décret no 94/199
du 7 octobre 1994 portant statut général de la fonction publique
de l'Etat, modifié et complété pa r le décret
no 2000/287 du 12 novembre 2000.
308 Voir l'affaire Ndongo née Mbonzi Ngombo CS/CA du 27
octobre 1994.
309 Toutefois, il faut signaler que ce principe revêt
quelques limites. Par exemple le statut de ministre du culte est incompatible
avec la qualité de fonctionnaire, l'art. 14 du statut
général de la fonction publique dispose à cet effet que :
« Le recrutement ou le maintien dans des corps crées en application
du statut est incompatible avec la qualité de ministre du culte
»
310 Voir l'art. 60 al.1du décret no
2000/696/PM du 13 septembre 2000 fixant le régime général
des concours administratifs au Cameroun.
93
De prime abord, il faut noter que la règle de
l'équilibre régional est une entorse à la
méritocratie dans l'accès à la fonction publique parce
qu'elle fonde le recrutement, certes sur deux critères au moins. Le
premier, plus prépondérant, étant la
représentativité ethno-régionale, le second, étant
ce qui resterait de la méritocratie311.
Appliquée au départ dans le but de faciliter
l'accès à la fonction publique des citoyens camerounais
originaires des régions accusant un retard dans la
scolarisation312, la règle de l'équilibre
régional s'étend aussi significativement au sein de l'enceinte
gouvernementale. A ce propos, le Pr. Luc Sindjoun disait que : « parce que
le pouvoir exécutif, considéré constitutionnellement comme
celui qui assure la représentation et l'unité de l'Etat,
[...] c'est le gouvernement qui va être privilégié comme
instance de réalisation de l'équilibre régional
»313.
Dès lors, quel est le bilan de l'application de ce
principe, qui semble être de plus en plus contesté de nos jours au
motif qu'il ne conviendrait plus à la raison fondamentale et originelle
de son institution, c'est-à-dire juguler le déficit scolaire de
certaines régions du pays ?
Alain Didier Olinga déclarait, à propos de la
mise en oeuvre du principe de l'équilibre régional, que : «
l'Etat devrait affecter aux mesures adoptées en ce sens un statut
essentiellement provisoire, car leur raison d'être est d'accompagner les
mesures structurelles dont la finalité qui maintiennent certains groupes
ou catégories de populations dans une situation de
vulnérabilité, dans un besoin d'assistance
»314.
Cependant, l'on note indéniablement que des efforts ont
été faits par l'Etat dans le sens de l'amélioration du
niveau de scolarisation dans l'ensemble des régions du pays de sorte
à réduire les écarts entre ces dernières, si ce
n'est de les combler entièrement 315 . Par conséquent,
les mesures de discrimination positives doivent avoir un caractère
provisoire et
311 C'est dans ce contexte que pendant une certaine
période, pour l'entrée aux cycles A et B de l'Ecole Nationale
d'Administration et de Magistrature (ENAM), les candidats ressortissants de
l'ère géographique dite du Grand-Nord du Cameroun devaient
présenter le Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC), tandis ceux du
Grand-Sud devaient avoir le baccalauréat. L'on voit bien qu'avec
l'application de ce système, la méritocratie perd un peut de sa
valeur puisqu'elle ne s'apprécie plus à l'échelle
nationale, mais plutôt au niveau régional.
312 A ce sujet, Alain Marie Matigi relevait que d'après
les études de l'UNESCO et de la Banque Mondiale, la carte scolaire
nationale est constituée de trois types de zones, dont les taux de
scolarisation respectifs présentent des décalages importants,
à savoir les zones de forte densité scolaire, les zones
moyennement scolarisées et les zones sous scolarisées. Lire Alain
Marie Matigi, op. cit, p. 84.
313 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case
vide, op. cit., p. 313.
314 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit. , p. 162.
315 En guise de preuve, l'on note par exemple que jusqu'en
1993, le pays ne comptait qu'une seule université d'Etat, aujourd'hui il
en existe huit ; c'est dire à quel point la carte scolaire du pays a
changé entre temps.
94
non définitif316, car elles sont
susceptibles de créer un phénomène de stigmatisation
à l'égard de ses bénéficiaires, pouvant être
marqué par une présomption handicapante d'incompétence ou
de médiocrité, d'où l'idée selon laquelle sans leur
existence ces derniers n'auraient pas la possibilité d'accéder
à certains écoles ou à certains postes.
De même, ces bénéficiaires pourraient
aussi développer et entretenir une mentalité d'assisté,
les poussant ainsi à ne faire que le moindre effort317.
En outre, la mobilité des populations à
l'intérieur du territoire national est plus importante qu'elle ne
l'était en 1959, date de l'institution du principe de l'équilibre
régional. De ce fait, des personnes peuvent en effet entamer leur cycle
scolaire primaire, secondaire ou universitaire dans une région
donnée du pays et l'achever dans une autre. De la sorte, certaines
citoyens originaires des régions dites sous scolarisées ont pu se
déplacer vers celles considérées comme fortement ou
moyennement scolarisées et inversement.
Sur un tout autre plan, il faut relever que l'équilibre
régional remet en cause le principe d'égalité des
citoyens. En effet, toute discrimination, fut-elle positive, au profit d'un
individu, constitue par voie de conséquence une discrimination
négative à l'égard d'un autre. Le Pr. Alain Didier Olinga
disait que le maintien du principe de l'équilibre régional au
Cameroun « a pour effet de dépouiller le principe de
l'égalité des citoyens et de l'égalité des chances
de sa substance réelle au point où il n'est pas
superfétatoire de se demander s'il existe plusieurs niveaux de
citoyenneté »318.
Quoiqu'il en soit, l'objectivité du principe peut
être remise en cause dans sa pratique concrète. En effet, il est
censé être un outil de représentation de la région
administrative. Mais force est de constater qu'il serait difficile de
réaliser les équilibres intra ou infra régionaux.
Concrètement, l'équilibrage régional n'intègre pas
toujours concomitamment l'échelle du département, de
l'arrondissement ou même du village dans l'attribution des places. C'est
la thèse du pseudo équilibre, qui est paradoxalement
générateur d'inégalité entre des
316 Les discriminations positives doivent être
temporaires et mourir de leur propre mort une fois les circonstances ayant
présidé à leur mise en place ont disparu ou lorsqu'elles
ont atteint l'objectif visé. Alain Didier Olinga fait ainsi observer que
le maintien du principe de l'équilibre régional participe d'une
instrumentalisation « pour justifier telle ou telle décision ou
telle action ». Lire Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit. , p.162.
317 Dans ce contexte, l'on peut assister à la naissance
d'un sentiment d'exaspération et de gêne chez ceux des citoyens
qui ne bénéficient pas aussi de privilèges similaires
à ceux accordés aux autres.
318 Ibidem.
95
composantes territoriales ou ethniques de la
région319. Dès lors, ce principe ne constitue plus
à proprement parler un chèque en blanc. Le Pr. Luc Sindjoun
relevait ces tares en affirmant que « La notion d'équilibre
régional camoufle l'incorporation différentielle'' des groupes
ethno-régionaux dans l'Etat »320. Manifestement,
malgré l'application du principe de l'équilibre régionale
la sur-représentation de certaines régions et ethnies et la
sous-représentation des autres est notoire. En effet, «
L'inégalité de répartition régionale ou locale des
postes gouvernementaux entraine une différenciation mieux une
hiérarchisation entre les localités qui trahit le
déséquilibre de la politique d'équilibre régional
»321
Outre, la consécration des minorités et des
populations autochtones, le droit électoral camerounais porte lui aussi
les germes d'une citoyenneté différenciée.
SECTION II : LA DIFFERENCIATION DE LA CITOYENNETE
AU
TRAVERS DU DROIT ELECTORAL
Une vue panoramique jetée sur le droit électoral
camerounais révèle que certains de ses aspects sont
substantiellement de nature à engendrer des disparités manifestes
au niveau de la citoyenneté. Dans ce cadre, l'on montrera d'une part que
le découpage électoral est une source d'exercice inégal de
la souveraineté nationale par les citoyens (§1), et d'autre part
que le droit à l'éligibilité est instaurateur de
distinctions entre citoyens (§ 2).
Paragraphe 1 : LES DECOUPAGES ELECTORAUX SPECIAUX COMME
SOURCE D'EXERCICE INEGALITAIRE DE LA SOUVERAINETE
La mise en oeuvre du suffrage universel passe par
l'opération du découpage électoral, qui est une «
technique qui lors des élections législatives consiste à
diviser le territoire national en circonscriptions électorales et
à leur affecter un nombre de sièges déterminés
»322.
319 Tous les départements ou arrondissements composant
une région ne voient pas toujours leurs ressortissants être admis
à des concours administratifs malgré l'application de la
règle de l'équilibre régional. A ce sujet, comment
sera-t-il possible de répartir un quota régional de six places
par exemple à un concours administratif entre des candidats tous
originaires d'une même région comptant huit départements
avec trois ou quatre arrondissements pour les uns et six pour les autres ? En
tout cas il va s'en dire que le risque est grand que ni toutes les
régions, ni tous les départements, ni tous les arrondissements ne
seront pas représentés dans certaines circonstances.
320 Luc Sindjoun, L'Etat ailleurs. Entre noyau dur et case
vide, op. cit., p. 312.
321 Ibid, p. 313.
322 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit. , p. 164.
96
Toutefois, il existe à coté de ce
découpage électoral, dit général, des
découpages électoraux spéciaux, dont l'usage
éminemment politique (A) entraine dans les faits l'exercice
inégalitaire de la souveraineté nationale (B).
A. L'usage politique de la technique du découpage
électoral spécial
Parlant du découpage électoral spécial,
le Pr. Alain Didier Olinga révèle que « cette pratique n'est
pas nouvelle dans l'histoire du droit électoral camerounais
»323, car l'article 2 du décret n° 66/50 du 4 mars
1960 opérait déjà la division des départements du
Wouri et du Moungo dans le but d'assurer « une équitable
représentation des minorités ethniques »324.
Cette technique est utilisée au Cameroun respectivement pour les
élections législatives325 et
régionales326 pour lesquelles la circonscription
électorale est en principe le département.
Toutefois, la compétence exclusive du Président
de la République en la matière, en vertu de ce qu'il lui est
constitutionnellement reconnu le rôle de garant de l'organisation et du
bon fonctionnement des institutions de la République327, est
sujette à caution ceci à cause de sa position de président
national du parti politique au pouvoir.
En effet, le fait que le Chef de l'Etat détienne et
conserve sa casquette de chef incontesté de son parti328 peut
laisser émerger contre celui-ci une présomption
d'impartialité dans la délimitation territoriale des
circonscriptions électorales et dans l'attribution des sièges
à chacune d'elle. Le Dr. Menguele Menyengue Aristide évoque
à ce sujet que des partis politiques d'opposition « contestent
systématiquement cette compétence présidentielle
«superfétatoire» du fait de «la
multipositionnalité » inhérente au jeu de rôle
présidentiel, étant
323Alain Didier Olinga, « Politique et droit
électoral au Cameroun : Analyse juridique de la politique
électorale », Polis R.C.P.S. /C.P.S.R., Vol. 6,
no 2, 1998, pp. 31-52 (spéc. p. 44).
324Ibidem.
325 Selon l'art. 149 al. 2 du code électoral, «
... compte tenu de leur situation particulière, certaines
circonscriptions peuvent faire l'objet d'un découpage spécial par
décret du Président de la République ».
326 L'art. 247 al. 2 du code électoral dispose que
«... en raison de leur situation particulière, certaines
circonscriptions peuvent faire l'objet d'un regroupement ou d'un
découpage spécial par décret du Président de la
République ».
327 En vertu de l'art. 5 de la constitution, le
Président de la République peut exercer ce pouvoir d'arbitrage
qu'est le découpage électoral, et ce, dans
l'équité, c'est-à-dire en faisant correspondre le plus
exactement possible le nombre de députés à attribuer
à une circonscription électorale avec sa taille
démographique.
328 Au sein du parti au pouvoir au Cameroun, le RDPC, il est
dit du Président de la République Paul Biya, par ailleurs
président de ce parti, qu'il est son candidat naturel à
l'élection présidentielle. Cela montre à suffisance que le
Chef de l'Etat, malgré son statut de Président de la
République, ne reste pas moins foncièrement attaché
à son parti.
97
entendu que par «dédoublement
fonctionnel», le Président de la République [...] est
par ailleurs resté jusqu'ici le président national du parti au
pouvoir »329. Il poursuit en affirmant qu'
Il serait naïf de penser que le Président de
la République par ailleurs président national du R.D.P.C- parti
au pouvoir- ferait un usage équitable du découpage
électoral lorsque et tant que les militants de son parti sont en
compétition avec des militants d'autres partis politiques dans une
échéance électorale f...] cet usage partisan du
découpage électoral est presque consubstantiel à «
l'invention» de la pratique330.
Par ailleurs, la loi électorale énonce que
compte tenu de leur situation particulière, certaines circonscriptions
peuvent faire l'objet soit d'un découpage spécial, soit d'un
regroupement par décret du Président de la
République331.
Au sens de cette disposition, le motif juridique du
découpage électoral est la « situation particulière
» de la circonscription électorale en question. Mais il se pose un
réel problème découlant de ce que cette expression n'a pas
été définie par le législateur. Quels sont en fait
les éléments qui font d'une circonscription électorale
qu'elle devienne particulière ?
Le silence de la loi sur la question laisse ainsi un large
pouvoir d'appréciation au Président de la République,
détenteur exclusif de la compétence de délimitation
territoriale des circonscriptions électorales. Dans ce contexte, des
risques sont grands que l'on assiste à une manipulation politique du
découpage électoral spécial.
Cette suspicion, déjà exprimée par
l'opposition, peut tout à fait avoir une certaine
légitimité si l'on se fonde sur l'idée que le
découpage électoral spécial s'assimile au
gerrymandering332, qui est une pratique consistant à
définir les limites des circonscriptions
329 Aristide M. Menguele Menyengue, « La
problématique du découpage spécial des circonscriptions
électorales au Cameroun », revue africaine de parlementarisme
et de démocratie, SOLON, vol. III, n°8, août
2014, pp.143-173, (spéc. p. 147).
330 Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 157.
331 Voir les art. 149 al. 2 et 247 al. 2 du code
électoral.
332 « On doit la technique du
découpage électoral à Eldbridge GERRY du nom d'un ancien
gouverneur de l'Etat du Massachussetts qui initia au début du
XIXème siècle le désormais très fameux
procédé du découpage électoral ». Ainsi,
« Le concept de gerrymander provient donc de la contraction de
«Gerry» et de «mander». D'où le
qualificatif de gerrymandering. Lire Aristide M. Menguele
Menyengue, op. cit., p. 158.
98
électorales en vue de favoriser les candidats du parti
au pouvoir333. C'est dans ce sens que s'inscrivent les propos de
Thomas Ehrhard, qui dit que « le gerrymandering, qualifie ainsi
toute pratique consistant à « charcuter » les limites
des circonscriptions pour avantager certains candidats »334.
Pour le Pr. Alain Didier Olinga, ce charcutage semble effectivement avoir eu
lieu lors des élections législatives de mai 1997. Il confesse
qu'une « observation d'ensemble permet d'affirmer que le découpage
spécial a nettement joué en faveur du RDPC dans de nombreuses
circonscriptions délicates »335. Ainsi, « Le
découpage spécial apparaît donc clairement comme une
donnée politique de premier plan, un amortisseur de défaites
électorales ou un facteur de victoires électorales pour les
gouvernants en place »336.
En confrontant cette suspicion de l'arbitraire du
découpage électoral spécial avec la réalité
de son opérationnalisation au Cameroun, il découle un
déséquilibre dans la représentation des différentes
circonscriptions électorales.
B. L'exercice inégalitaire de facto de la
souveraineté
En vertu du principe d'égalité des suffrages,
chaque électeur ne doit disposer que d'une seule voix. Mais lorsque les
circonscriptions électorales sont représentées de
façon disproportionnelle, le poids des voix dès lors n'est plus
égal. Autrement dit, à nombre d'habitants identique, deux
circonscriptions électorales données peuvent être
représentées par un nombre différent de
députés.
L'atteinte à l'égalité dans le droit de
vote « peut exister en cas de découpage inégal des
circonscriptions »337, avec comme conséquence l'exercice
inégalitaire de la souveraineté nationale338 par les
citoyens.
333Aristide M. Menguele Menyengue affirme dans ce
sens qu'« il est certain que l'offre présidentielle du cadre
géographique de la compétition électorale par
«ciselage» plus ou moins arbitraire des circonscriptions
électorales vise aussi l'organisation et «la répartition
vicieuse» des zones d'influence politique qui oscille entre
consolidation de l'hégémonie politique du parti au pouvoir et
affaiblissement progressif du marquage territorial des partis d'opposition
». Lire Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p.159.
334 Thomas Ehrhard, « Dualité et théorie
pratique : le découpage électoral au prisme
révélateur de la mobilisation des savants et des savoirs »,
Section Thématique n°- 36 : Découpage Electoral, Histoire,
Enjeux et Méthodes, Congrès A.F.S.P. Strasbourg, 2011, p.1.
Cité par Aristide M. Menguele Menyengue, op. cit., p. 158.
335 Alain Didier Olinga, « Politique et droit
électoral au Cameroun : Analyse juridique de la politique
électorale », op. cit. , p. 45.
336 Ibidem.
337 Marie-Anne Cohendet, Droit constitutionnel, op
cit. p.148.
99
C'est manifestement ce qui découle du décret
présidentielle no 2013/222 du 03 juillet 2013 portant
répartition des sièges par circonscription électorale
à l'Assemblée Nationale, qui abrogeait le décret
no 97/061 du 02 avril 1997 portant sur le même objet. En
effet, la confrontation des rapports entre le nombre de sièges
attribués aux circonscriptions électorales et leur poids
démographique montre que ce décret ignore les résultats du
dernier recensement général de la population.
Au niveau des régions, il ressort du troisième
recensement général de la population du Cameroun effectué
en 2005 que la région du Centre est la plus peuplée avec
3.525.664 habitants, l'Extrême-Nord vient tout juste après avec
3.480.141, puis le Littoral, peuplé de 2.865.795. Pour le cas seulement
de ces trois régions, il existe une disproportion dans la
représentation parlementaire des populations au niveau de
l'Assemblée Nationale : La première citée, d'après
le dernier découpage électoral effectué en 2013, compte 28
députés contre 29 pour la deuxième et 19 pour la
troisième.
De ce qui précède, comment comprendre que la
région du Centre soit numériquement moins
représentée par rapport à l'Extrême-Nord pourtant
est-elle plus peuplée que cette dernière, soit une
différence de 72.250 habitants. Il est clair dans cette situation que ce
n'est pas le critère du poids démographique qui a
présidé à la répartition du nombre de
députés entre ces deux régions. Le Dr. Menguele Menyengue
Aristide justifie cette disparité en expliquant que « le
décret n°- 2013/222 du 03 juillet 2013 consacre le principe de
l'attribution équitable du nombre de sièges au prorata de la
densité démographique. Suivant ce principe, la région de
l'Extrême-nord par exemple se voit attribuer le plus grand nombre de
sièges de députés »339. En effet, selon
les résultats du 3e recensement général de la
population et de l'habitat sur lequel s'appuie le décret du 03 juillet
2013 suscité, la densité de la population dans
l'Extrême-Nord est de 101,6 habitants/km2 contre 51,1
habitants/km2 pour le Centre.
Cependant, quand bien même l'on retiendrait le
critère de la densité de la population, l'on constate qu'il n'a
pas prévalu dans l'attribution du nombre de députés pour
toutes les
338 En effet, selon, l'art. 4 de la constitution,
l'autorité de l'Etat est exercée par le président de la
République et le Parlement. De plus, les députés, bien
qu'élus au niveau local, sont considérés comme les
élus de la Nation toute entière.
339Aristide Menguele Menyengue, « La
problématique du découpage spécial des circonscriptions
électorales au Cameroun », op. cit. , p. 169.
100
autres régions. Nous observons les données
démographiques de trois régions successives pour soutenir cette
conclusion :
- Le Littoral, avec 2.865.795 habitants et 141,5
habitants/km2 compte 19 députés ;
- Le Nord-Ouest, avec 1.804.695 habitants et 104,3
habitants/km2 compte 20 députés ;
- l'Ouest, avec 1.785.285 habitants et 128,5
habitants/km2 compte 25 députés340.
A l'observation, l'on constate que le critère de la
densité démographique ne prévaut pas ici, si oui la
région du littoral aurait le plus grand nombre de députés
et la région la moins peuplée qu'est l'Ouest n'aurait pas
paradoxalement le plus grand nombre de sièges341. De la
sorte, un député se verra élire par deux ou trois fois
plus de populations qu'un autre ou inversement, biaisant ainsi
l'équité dans la représentation des citoyens.
A l'échelon des départements l'on observe tout
aussi des disproportions dans la répartition du nombre de
députés.
Dans le premier cas, il existe des circonscriptions
électorales qui comptent un nombre plus élevé de
sièges de députés par rapport à d'autres pourtant
démographiquement plus importantes. C'est cet état de fait que
dénonçait le mémorandum des élites du Grand-Nord du
23 septembre 2002, qui estimaient que le Grand-Nord (qui regroupe les
régions de l'Adamaoua, du Nord et de l'Extrême-Nord) était
sous représenté à l'Assemblée nationale à la
suite du découpage électoral à la faveur du scrutin
législatif de 2002. Elles déclaraient à ce propos que :
Le département de la Bénoué avec ses
676 000 habitants a 4 députés. Dans le même temps le
département du Dja et Lobo avec ses 138 000 habitants, a 5
députés. Si le département de la Bénoué
avait bénéficié du même traitement que le Dja et
Lobo, il aurait 24 députés. De même, le département
du Mayo Tsanaga infiniment plus peuplé que la province du Sud serait aux
anges. Cette situation de discrimination flagrante heurte la conscience de tout
démocrate,
340 Voir le décret no 2013/222 du 03 juillet
2013 portant répartition des sièges par circonscription
électorale à l'Assemblée Nationale.
341 Ce contraste résulte certainement du grossissement
de la région de l'Ouest par la création continue, jusqu'au
décret no 2013/222 du 03 juillet 2013 de plusieurs
circonscriptions électorales spéciales notamment dans le
département du Noun.
101
car elle vise de manière parfaitement arbitraire
à diminuer le poids du Grand-nord dans cette Institution malgré
son poids démographique342.
Le second cas concerne les disparités du nombre de
sièges de députés entre des départements d'une
même région. Pour le démontrer, nous ferons le choix
arbitraire du département Nkam343, qui ne compte qu'un seul
député sur les 19 de la région du Littoral. Pourtant les
multiples singularités qui le caractérisent auraient
peut-être pu, selon la lettre de l'art. 149 al. 2 du code
électoral, motiver qu'il fît l'objet d'un découpage
spécial344. En effet, le Nkam est le seul département
du Littoral qui ne soit pas relié à la ville chef-lieu de
région par une route bitumée, il est le plus enclavé de la
région car il n'y existe pas de routes bitumées reliant ses
différents arrondissements345.
Il n'est pas inimaginable que le cas singulier du
département Nkam soit similaire à celui de bien d'autres
départements dans le pays.
Paragraphe 2 : L'EXISTENCE DE DISTINCTIONS ENTRE LES
CITOYENS PAR LE DROIT A L'ELIGIBILITE
Les disparités entre citoyens à propos du droit
à l'éligibilité découlent d'une part des cas
d'inéligibilité liés à la qualité de citoyen
d'adoption (A), de même ces inéligibilités sont
inhérentes à la candidature indépendante aux
élections (B).
A. Les cas d'inéligibilité liés
à la qualité de citoyen d'adoption
Au regard du Code électoral camerounais, le droit
à l'éligibilité n'a pas les mêmes contours selon
qu'il concerne le citoyen d'origine et le citoyen d'adoption.
L'inéligibilité
342 Voir à ce sujet le mémorandum du «
Grand-nord (Cameroun) » intitulé « Le Nord en
déperdition qui accuse», in Le Messager du 23 septembre 2002.
343 Il convient tout de même de signaler que ce qui a
présidé au choix du département du Nkam est le fait que
nous résidions dans la région du Littoral, d'où une
certaine proximité géographique avec elle, ce qui nous permet de
mieux cerner les réalités qui lui sont propres.
344 Car, avec un plus grand nombre de députés,
sa cause se verrait ainsi encore plus amplement défendue au niveau
national, lui permettant par-là de rattraper le niveau de
développement des autres départements de la région.
345 Le Dr Mballa Owona Robert fait ainsi remarquer que «
Dans la région du Littoral par exemple, il y a des différences si
accusées entre le département du NKAM, notoirement enclavé
et le département du WOURI, fortement urbanisé » Cf.
Robert Mballa Owona « La notion d'acte administratif au Cameroun
», Thèse de doctorat de l'université de Yaoundé II
Soa 2010 p. 595.
102
absolue de ce dernier aux élections
présidentielle et sénatoriale (1) est toutefois
conditionnée par l'écoulement d'une période de probation
pour les autres élections (2).
1. L'inéligibilité absolue des citoyens
d'adoption aux élections présidentielle et
sénatoriale
Aux termes de la Constitution camerounaise, « Les
candidats aux fonctions de Président de la République doivent
être citoyens camerounais d'origine »346. Cette
disposition est reprise in extenso par l'art.117 du Code
électoral camerounais. Ce texte dispose dans le même sens que les
candidats à la fonction de sénateur « doivent être
citoyens camerounais d'origine »347. Ainsi, bien
qu'étant membres de l'Etat du Cameroun348 aux plans juridique
et politique, les citoyens d'adoption sont clairement frappés d'une
incapacité de jouissance qui les rend inaptes à être
titulaires du droit à l'éligibilité aux postes
suscités.
A chacune de ces exclusions se rattachement bien entendu des
raisons diverses.
La fonction présidentielle est incontestablement la
fonction suprême de l'Etat au regard des pouvoirs constitutionnels qui y
sont attachés349. Cela pourrait expliquer la raison pour
laquelle elle doit être exercée par une personnalité qui
soit foncièrement rattachée à l'Etat aussi bien
affectivement, mais surtout originellement, c'est-à- dire par le lien de
sang350. Cette option est aussi celle des constituants
togolais351, tchadien352 et congolais353.
En fait, comment le Président de la République,
citoyen d'adoption et par conséquent « étranger d'origine
», peut-il, en vertu de l'art.8 al.1 de la Constitution,
représenter « l'Etat dans tous les actes de la vie publique »
notamment dans ses rapports avec l'Etat dont il originaire ? En tout cas, le
risque est grand que cette double appartenance fasse peser sur lui
346 Voir art. 6 al. 5 de la Constitution.
347 Voir art. 220 al. 2 du code électoral.
348 Car leur naturalisation leur confère ces liens et
politiques avec l'Etat du Cameroun.
349 Voir les art.5 et suivants de la constitution.
350 Le lien de sang permet la détermination de la
nationalité d'après la filiation de l'individu.
C'est-à-dire que ses parents doivent être des camerounais
d'origine.
351 L'art 62 de la constitution du Togo prévoit que nul
ne peut être candidat aux fonctions de Président de la
République s'il n'est exclusivement de nationalité togolaise de
naissance
352 L'art. 62 de la Constitution du Tchad du 31 mars 1996
prévoit que les candidats aux fonctions de Président de la
République doivent « être Tchadien de naissance, né de
père et de mère eux-mêmes tchadiens d'origine et n'avoir
pas une nationalité autre que tchadienne ».
353 L'art. 58 de la constitution du Congo du 20 janvier 2002
prévoit que : Nul ne peut être candidat aux fonctions de
Président de la République « s'il n'est de
nationalité congolaise d'origine ».
103
un risque de confusion des intérêts de l'Etat et
puisse influencer ses choix politiques354. De ce point de vue, cette
inéligibilité, bien qu'étant un vecteur d'exclusion se
justifie néanmoins valablement.
Quant à l'inéligibilité des citoyens
camerounais d'adoption à l'élection sénatoriale, elle est
la conséquence d'un revirement législatif. En effet, en vertu de
l'art. 10 de la loi no 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions
d'élection des sénateurs, tout candidat à la fonction de
sénateur devait être un citoyen camerounais d'origine ou
naturalisé depuis au moins dix (10) ans. Cette loi a par la suite
été abrogée avant même de commencer à
être appliquée par la loi no 2012/001 du 19 avril 2012
portant code électoral du Cameroun
Nous pouvons trouver la raison de ce changement
législatif dans la logique de la cohérence de l'ordre juridique
constitutionnel notamment. En effet, en maintenant la possibilité pour
les citoyens d'adoption d'être élus ou nommés aux fonctions
de sénateur comme le prévoyait la loi de 2006, l'on pourrait se
trouver dans l'éventualité d'avoir un citoyen naturalisé
exerçant les fonctions de Président de la République,
puisque l'al. 4a de l'art. 6 de la constitution mentionne que «
L'intérim du Président de la République est exercé
de plein droit, jusqu'à l'élection du nouveau Président de
la République, par le Président du Sénat. Et si ce dernier
est, à son tour empêché, par son suppléant suivant
l'ordre de préséance du Sénat ». Au regard de cette
disposition, même si le Président du Sénat ou l'un de ses
suppléants est un citoyen naturalisé il ne pourrait pour
être disqualifié à assurer la fonction de Président
de la République par intérim, bien que cela remettrait en cause
les art.6 al.5 de la constitution et 117 du code
électoral355.
2. La période de probation, préalable
à la jouissance par les citoyens d'adoption du droit à
l'éligibilité aux autres élections
politiques
A partir de l'acquisition de la nationalité
camerounaise, le nouveau citoyen ne peut cependant pas immédiatement
jouir de tous les droits qui en découlent. En effet la loi n°
68-
354 C'est pour pallier à ce risque que le code
électoral camerounais prévoit déjà en amont en son
art. 118 al. 1 que sont inéligibles à la fonction de
Président de la République « les personnes qui, de leur
propre fait, se sont placées dans une situation de dépendance ou
d'intelligence vis-à-vis [...] d'un Etat étranger ». Cette
disposition est donc connexe au refus du droit à
l'éligibilité, car la situation de dépendance ou
d'intelligence vis-à-vis d'un Etat étranger peut justement
être favorisée a priori par le fait que le candidat élu ou
à élire en est originaire.
355 Ces deux dispositions prévoient similairement que
les candidats aux fonctions de Président de la République doivent
être des citoyens camerounais d'origine.
104
LF-3 du 11 juin 1968 portant code de la nationalité
camerounaise et le code électoral prévoient conjointement cette
incapacité pour le citoyen naturalisé d'être candidat aux
élections législatives, municipales et régionales, sauf
après l'écoulement d'une période de probation de dix ans.
A ce propos justement, il est opportun de révéler une double
ambiguïté découlant de l'examen conjoint des deux textes
suscités.
La première vient de ce que le code de
nationalité fixe la durée de la période de probation
à cinq ans, alors que le code électoral la fixe à dix
ans.
Le premier texte prévoit en effet que « pendant un
délai de cinq ans à compter du décret de naturalisation,
l'étranger naturalisé ne peut être investi de fonctions de
mandat électif »356. Tandis que les art. 157 et 175 al.
3 du second disposent mutatis mutandis que : « L'étranger
qui a acquis la nationalité camerounaise par naturalisation n'est
éligible qu'à l'expiration d'un délai de dix (10) ans
à compter de la date d'acquisition ».
Dès lors, il existe à ce sujet une
contrariété patente sur la durée de la période de
probation, laissant ainsi le citoyen d'adoption dans l'embarras quant à
savoir le texte à invoquer pour revendiquer son
éligibilité à l'une ou l'autre des élections sus
mentionnées.
La seconde ambiguïté réside en ce que le
code de nationalité prévoit une exception à l'exigence de
l'écoulement d'un délai préalable de cinq ans à la
possibilité de candidature des citoyens d'adoption. Dans ce sens, il
dispose que : « l'étranger naturalisé qui a rendu au
Cameroun des services exceptionnels ou dont la naturalisation présente
pour le Cameroun un intérêt exceptionnel, peut être
relevé de l'incapacité précitée par décret
»357. Or, le code électoral est muet sur la question et
ne prévoit aucune dérogation à l'exigence de l'expiration
du délai de dix ans préalablement à
l'éligibilité des citoyens naturalisés.
Quoiqu'il en soit, contrairement à la France où
le législateur a permis l'éligibilité immédiate des
citoyens naturalisés 358 , au Cameroun ces derniers ne
peuvent pas immédiatement jouir de ce droit au même titre que les
citoyens d'origine.
356 Voir l'art. 30 al. 2 de la loi n° 1968-LF-3 du 11 juin
1968, portant code de la nationalité camerounaise.
357 Voir l'art.30 al.2 du code de la nationalité
camerounaise.
358 « Depuis la loi organique n° 83-1096 du 20
décembre 1983, les personnes ayant acquis la nationalité
française par mariage [...] sont immédiatement éligibles
». Lire Mastor Wanda, « Les droits du candidat à
l'élection présidentielle », Pouvoirs, 2011/3
n°138, p. 33-46, (spéc. p. 37).
105
B. Les disparités entre citoyens
inhérentes à la candidature indépendante aux
élections
L'on parle de candidature indépendante lorsqu'un
citoyen se présente à une élection locale ou nationale
sans être investi par un parti politique. A défaut d'être
tout simplement exclue comme c'est le cas pour les élections locales
(1), la candidature indépendante à l'élection
présidentielle est soumise à plusieurs pesanteurs (2),
1. L'exclusion de la candidature indépendante
aux élections locales
Au Cameroun, dans le cadre des élections
sénatoriales, législatives, régionales et municipales, les
partis politiques sont les seuls foyers pourvoyeurs de compétiteurs
électoraux. En effet, pour ces élections, tout citoyen
désireux de briguer un mandat doit de façon incontournable
être investi par un parti politique légal.
En effet, la déclaration de candidature à
l'élection des députés à l'Assemblée
Nationale doit indiquer entre autres le titre de la liste et, le parti
politique auquel elle se rattache en plus d'une attestation par laquelle le
parti politique investit l'intéressé en qualité de
candidat359, l'absence de cette pièce entraînant
ipso facto l'invalidation de la candidature. Cette exigence est
reprise mutatis mutandis concernant la candidature à la
fonction de sénateur360.
De la même manière, à travers l'exigence
selon laquelle la déclaration de candidature aux élections
municipales et régionales doit comporter une attestation par laquelle le
parti politique investit l'intéressé en qualité de
candidat361, l'on constate l'exclusion explicite de la candidature
indépendante à ces élections.
Mais en dépit de ce que la loi électorale
précise que les conditions d'éligibilité exigées
pour la validation de la candidature, notamment la présentation par un
parti politique, doivent continuer d'être remplies par les candidat
élu pendant toute la durée de son mandat, sous peine de
déchéance, ce dernier, une fois élu, n'est pas contraint
de demeurer dans ce parti. En effet, le parti politique ne saurait être
pour l'élu une camisole de force. Si ce dernier est exclu
359 Voir l'art.164 al. 4 et 165 du code électoral.
360 Voir l'art. 231 du code électoral.
361 Voir l'art. 182 du code électoral.
106
ou démissionne du parti politique qui l'a investi, il
ne peut être déchu de son mandat, car aux termes de l'art. 15 al.
3 de la Constitution, « Tout mandat impératif est nul ».
De ce qui suit, si l'élu séparé du parti
politique qu'il l'a investi peut se prévaloir d'un mandat libre
vis-à-vis de celui-ci, pourquoi un tel affranchissement ne pourrait-il
pas exister en amont de telle sorte que tout citoyen puisse,
indépendamment d'un parti politique, se porter candidat à l'une
des élections susmentionnées ? D'autant plus que les partis
politiques, bien qu'ils soient chargés de concourir « à
l'expression du suffrage universel »362, ils ne sont pas en
réalité les seules entités politiques et devraient donc en
aucun cas monopoliser le jeu électoral.
2. Les pesanteurs de la candidature
indépendante à l'élection
présidentielle
Lors de la compétition électorale, le candidat
indépendant et celui investi par un parti politique sont soumis à
des traitements différents susceptibles de faire naitre entre les deux
une inégalité.
Le Pr. Luchaire disait qu' « on ne se porte pas candidat
soi-même à la Présidence de la République ; il faut
être présenté »363. C'est ainsi que
l'art.121 du code électoral prévoit qu'ils doivent être
« présentés comme candidat à l'élection du
Président de la République par au moins trois cents (300)
personnalités originaires de toutes les Régions, à raison
de trente (30) par Région et possédant la qualité soit de
membre du Parlement ou d'une Chambre Consulaire, soit de Conseiller
Régional ou de Conseiller Municipal, soit de Chef Traditionnel de
premier degré ».
Cependant, l'on peut imaginer la difficulté pour un
candidat indépendant à recueillir les signatures des
personnalités indiquées, compte tenu de ce qu'aucune obligation
n'est faite aux personnalités énumérées par l'art.
121 du code électoral d'apposer leur signature sur la lettre de
présentation du potentiel candidat. De plus, « une signature
donnée pourrait être interprétée comme un acte de
dissidence ou de désaveu de Paul Biya »364. Dès
lors, elles n'encourent aucune sanction en cas de refus,
délibéré ou non motivé de signature. Cela signifie
malheureusement que le candidat indépendant ne peut se prévaloir
d'un droit à être présenté.
362 Voir l'art. 3 de la Constitution du Cameroun.
363 F. Luchaire, Le conseil constitutionnel, Economica,
1980, p.281.
364 Jérôme Francis Wandji K., « Processus de
démocratisation et évolution du régime politique
camerounais d'un présidentialisme autocratique à un
présidentialisme démocratique », op. cit.,
p.444.
107
Par ailleurs, de l'analyse de la législation
électorale, l'on note l'existence de certains éléments
défavorisant d'une manière ou d'une autre les candidats
indépendants.
C'est le cas par exemple en matière de contentieux
pré-électoral relatif à la couleur, au sigle ou au
symbole. L'art.131al. 2 du code électoral prévoit que « le
Conseil Constitutionnel attribue par priorité à chaque candidat
sa couleur, son sigle ou son symbole traditionnel, par ordre
d'ancienneté du parti qui l'a investi et, dans les autres cas, suivant
la date de dépôt de la candidature, le
récépissé de dépôt faisant foi ». Il
découle de cette disposition que le juge s'attèle prioritairement
à départager les partis politiques. Cela entraine donc que ce
contentieux soit désavantageux pour les candidats indépendants,
qui sont exposés au risque de perdre leurs couleurs, sigles et symboles
initiaux.
In fine, les candidats à l'élection
présidentielle, investis ou indépendants, ne
bénéficient pas tous d'un traitement identique.
108
Conclusion du chapitre
Faire une analyse synoptique de la citoyenneté sous le
prisme de son caractère différencié nous a permis de
montrer que les citoyens ne sont pas logés à la même
enseigne. Ainsi, en dépit de ce que la République doit être
le creuset où viennent se décanter les spécificités
tribales, ethniques et autres d'une part, et où doivent émerger
l'universel et l'égalité entre tous les citoyens d'autre part, il
se dégage une citoyenneté différenciée à
bien des égards.
Nous avons montré que la consécration des
minorités et des populations autochtones, qui participe d'un
mécanisme d'aménagement du multiculturalisme, s'érigeait
en fait aux antipodes de la citoyenneté républicaine, car elle
fait voler en éclats le principe fondamental de l'égalité
de tous les citoyens. Ce constat est véritablement de nature à
susciter des analyses sur les fondements et les perspectives de la
République au Cameroun quant au droit à l'égalité
à côté du droit à la diversité. D'ailleurs on
peut s'interroger à ce propos sur les voies à mettre en oeuvre en
vue d'assurer une sorte de cohabitation pacifique entre l'universel et le
multiculturalisme
Sur un tout autre plan, nous avons montré que le champ
du droit électoral offre des vues sur la différenciation des
citoyens. En effet, pour pourvoir détecter les éléments de
disparités entre les citoyens, il a suffi de mettre devant la
citoyenneté le droit électoral comme miroir. Sur ce dernier, on y
voit transparaitre les découpages électoraux spéciaux pour
le compte des élections législatives, qui se
révèlent comme une gangrène contre l'exercice
égalitaire de la souveraineté par les citoyens chacun dans sa
circonscription électorale de rattachement d'une part.
D'autre part, il est permis de voir que les citoyens ne sont
logés à la même enseigne en ce qui concerne le droit
à l'éligibilité à différentes
élections politiques. Entre inéligibilité absolue ou
relative des citoyens d'adoption et disparités liées à la
candidature indépendante, il est plus que jamais donné de toucher
du doigt le traitement différentiel des citoyens.
De la sorte, l'on aboutit à la conclusion selon
laquelle la citoyenneté est loin d'être un bloc uni.
109
CHAPITRE II :
LA DISSOCIATION DU LIEN ENTRE APPARTENANACE
A LA NATION ET CITOYENNETE
La possession du statut de citoyen est soumise au
déterminisme incontournable de l'appartenance à la Nation.
Autrement dit, n'est considéré comme citoyen d'un Etat que
l'individu qui appartient à la communauté globale que constitue
la Nation. Il ne peut donc en aucun cas être extérieur à
cette dernière. Toutefois, concernant le cas du Cameroun, il convient de
relever que ce lien n'est pas absolu. Sa rupture est manifeste et
résulte de l'interdiction de la double nationalité en droit
positif camerounais d'une part (section 1), d'autre part, elle revêt une
forme insidieuse, et, découle du faible enracinement de la
citoyenneté camerounaise dans la presqu'île de Bakassi en
particulier (section 2).
SECTION I : L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITE
En l'état actuel de la législation camerounaise
la double nationalité n'est pas admise365. Il en
découle que les camerounais d'origine jouissant d'une autre
nationalité, dont il reste à déterminer l'appartenance ou
non à la Nation camerounaise, seront exclus du statut de citoyen
camerounais. Dans ce sillage, nous analyserons l'infléchissement de la
Nation du fait de l'interdiction de la double nationalité (§1) ; ce
qui nous conduira par la suite à explorer les implications d'une
éventuelle reconnaissance de la double nationalité (§2).
Paragraphe 1 : L'INFLECHISSEMENT DE LA NATION DU FAIT
DE L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITE
« Il est tout à fait courant, dans diverses
parties du monde, qu'un État ne regroupe pas toutes les personnes qui se
définissent comme appartenant à la communauté ethnique,
historique, religieuse, c'est-à-dire nationale366 . Ainsi,
pour montrer que l'interdiction de la
365 Cette interdiction de la double nationalité est
contenue dans l'art.31 al (a) du code la nationalité camerounaise, qui
prévoit que la perte de la nationalité camerounaise est
opposée au « Camerounais majeur qui acquiert ou conserve
volontairement une nationalité étrangère ».
366 Charles Leben « Nationalité et
citoyenneté en droit constitutionnel », Controverses,
Dossier : post colonialisme & sionisme, pp. 151- 163,
(spéc. p. 158).
110
double nationalité constitue un facteur
d'infléchissement de la Nation, nous recourrons à la
méthode dialectique, à travers laquelle nous exposerons les
termes du débat portant sur l'appartenance ou non des camerounais
d'origine à la Nation. Ainsi, à la négation de cette
appartenance (A) s'oppose radicalement sa matérialisation
concrète (B).
A. La négation de l'appartenance des camerounais
d'origine à la Nation
Aux termes de l'art. 31 (a) de la loi n° 1968-LF-3 du 11
juin 1968, portant code de la nationalité au Cameroun, les individus
considérés comme camerounais 367 perdront leur
nationalité du fait qu'ils ont acquis et conservé une
nationalité étrangère. Aussi, il conviendra d'analyser, au
sens de la loi en vigueur, le contenu de cette interdiction (1) avant d'en
examiner les raisons probables (2).
1. Le contenu de l'interdiction de la double
nationalité
La loi de 1968 interdit la double nationalité en
prévoyant en son art. 31 (a) que perdra la nationalité
camerounaise « Le Camerounais majeur qui acquiert ou conserve
volontairement une nationalité étrangère
»368. L'exégèse de cette disposition
établit que la perte de la nationalité camerounaise est
automatiquement consécutive, soit à l'acquisition, soit à
la conservation d'une nationalité étrangère.
S'agissant de l'acquisition d'une nationalité
étrangère, elle peut correspondre à trois
hypothèses distinctes :
- La première est la plus classique. Il s'agit de la
naturalisation, qui consiste pour un camerounais d'origine à demander
volontairement et à obtenir une nationalité
étrangère. Les conditions y afférentes dépendent
donc de la législation de l'Etat en question.
- La deuxième hypothèse renvoie à
l'acquisition d'une nationalité étrangère
consécutive à la répudiation de la nationalité
camerounaise, notamment par une femme camerounaise à travers une
déclaration faite au moment de la célébration de son
mariage avec
367 Selon l'art. 45 de la Loi n° 1968-LF-3 du 11 juin
1968, portant code de la nationalité camerounaise, « Sont
considérés comme Camerounais les individus qui, le 1er janvier
1960 au Cameroun oriental avaient la possession d'état de ressortissants
camerounais, et le 1er octobre 1961 au Cameroun occidental la possession
d'état d'originaires de cet Etat ».
368Cf. art. 31 al. (a) de la Loi n°
1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité
camerounaise.
111
un étranger ; au cas où la loi nationale du pays
de son mari lui permet d'acquérir sa
nationalité369.
- La dernière hypothèse correspond à la
situation de l'enfant né à l'étranger de parents
camerounais, qui acquiert la nationalité de son pays de naissance
à la suite d'une déclaration de nationalité par laquelle
il opte pour la nationalité de son pays de naissance.
En ce qui concerne la conservation d'une nationalité
étrangère, elle renvoie à la situation d'un ressortissant
camerounais qui a acquis une nationalité étrangère par
quelle que voie que ce soit et qui n'y renonce pas à moment ou à
un autre. Elle peut aussi être consécutive à la
réintégration d'un camerounais d'origine dans sa
nationalité étrangère370, tout comme elle peut
correspondre à la situation des enfants nés à
l'étranger de parents d'origine camerounaise qui, en vertu du jus
soli, sont réputés avoir la nationalité de leur pays
de naissance au moment de leur majorité371 pourtant
l'origine camerounaise de leurs parents était de nature à leur
conférer la nationalité camerounaise, en raison du jus
sanguinis372.
2. Les probables raisons de l'interdiction de la
double nationalité
Par le recours à la méthode explicative, en ce
qu'elle permet, selon Madeleine Grawitz, de répondre à la
question du pourquoi373, nous entendons rechercher ici le ratio
legis, c'est-à-dire les raisons probables d'ordre juridique ayant
présidé à l'interdiction de la double nationalité
au Cameroun, à l'effet d'évaluer leur pertinence aujourd'hui.
Ainsi, les mobiles potentiels de l'interdiction de la double nationalité
au Cameroun sont a priori liés au principe du loyalisme des citoyens
à l'Etat, mais ils remontent significativement à l'histoire
politique du pays.
Le principe du loyalisme du citoyen à l'Etat peut
constituer a priori le motif probable du refus de la double nationalité
au Cameroun. Ce loyalisme, assimilé au devoir d'allégeance,
signifie que l'individu ressortissant d'un Etat doit être fidèle
aux institutions politiques,
369 Cf. art. 32 de la loi de 1968 portant code la
nationalité camerounaise.
370 Ici la conservation de la nationalité
étrangère réside dans le fait que le camerounais d'origine
qui perd sa nationalité étrangère a la possibilité,
en vertu de l'art. 28 de 1968, de recouvrer la nationalité camerounaise.
Ainsi, ne pas se prévaloir de sa qualité d'ancien ressortissant
camerounais traduit en quelque sorte un renoncement à la
nationalité camerounaise.
371 En vertu du jus soli, le lien de nationalité
se détermine selon le lieu de naissance de l'individu.
372 Selon Car selon l'art.6 al. (a), est camerounais «
l'enfant légitime né de parents camerounais ».
373 Lire Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences
sociales, op. cit. , p. 410.
112
juridiques, sociales et culturelles dudit Etat374.
En se basant sur ces considérations, le refus de la double
nationalité par le législateur de 1968 recèlerait une
entière légitimité375.
L'allégeance exclusive à l'Etat de ses
ressortissants confère ainsi la faculté à ce dernier de
priver un individu de sa nationalité. D'ailleurs, au regard de la
convention n° 989 U.N.T.S. 175 sur la réduction des cas
d'apatridie, adoptée par l'Assemblée Générale des
Nations Unies (entré en vigueur le 13 décembre 1975), l'Etat
contractant se réserve la faculté de priver un individu de sa
nationalité si ce dernier « a prêté serment
d'allégeance, ou a fait une déclaration formelle
d'allégeance à un autre Etat, ou a manifesté de
façon non douteuse par son comportement sa détermination de
répudier son allégeance envers l'Etat contractant
»376.
Pour répondre à la question de la
génétique, c'est-à-dire du quand ou du fait
générateur historique377 de l'interdiction de la
double nationalité au Cameroun, scellé dans l'art. 31 al. (a) de
la loi no 1968-LF du 11 juin 1968, portant code de la
nationalité camerounaise, il convient de faire observer que de nombreux
acteurs politique, en particulier ceux de l'opposition, s'accordent à
dire qu'elle visait à empêcher le retour au Cameroun des opposants
politiques au régime en place à cette époque-là. Le
contexte sociopolitique de l'élaboration de cette loi était en
fait marqué par la lutte armée menée par le parti UPC
à travers ce qui était appelé le maquis. Le Pr. Etienne
Lékéné Donfack affirme dans ce sens que : « Pendant
les années 19581959 - début 1960 -, l'UPC, par sa branche
extérieure, sera l'enfant terrible de la vie politique camerounaise.
Dans ce rôle, le parti de UM NYOBE ne facilitera pas le triomphe à
Monsieur AHIDJO »378.
En effet, Les principaux leaders de l' « UPC
extérieur »379, en exil à
l'étranger380, avaient pour la plupart acquis la
nationalité de leur pays d'accueil, notamment celles
374 L'obligation d'obéissance et de
fidélité de l'individu à l'égard de l'Etat dont il
est le national est justement la contrepartie des prérogatives
attachées à la qualité de citoyen.
375 Cet argument peut être battu en brèche si
l'on considère l'avancé du phénomène communautaire,
qui entraine la construction d'une citoyenneté transnationale à
côté la citoyenneté nationale étatique. Dès
lors, le cadre national se trouve supplanté par celui communautaire,
l'Etat ne conserve donc plus l'exclusivité de l'allégeance de ses
citoyens.
376 Voir art. 8 al. 3b de la de la convention n° 989
U.N.T.S. 175 sur la réduction des cas d'apatridie, adoptée par
l'Assemblée Générale des nations unies, entrée en
vigueur le 13 décembre 1975
377 Lire à ce sujet Madeleine Grawitz,
Méthodes des sciences sociales, op. cit. , p. 422.
L'auteure relève que « la méthode génétique
cherche la génèse des évènements,
c'est-à-dire les antécédents ».
378 Etienne Charles Lékéné Donfack,
L'expérience du fédéralisme camerounais : Les causes
et les enseignements d'un échec, op. cit., p.178.
379 Cette expression renvoie à la branche
extérieure de l'UPC placée à côté de celle
intérieure, toutes les deux créées suite à
l'expulsion de Kumba par le gouvernement britannique du gouvernement en exil de
l'UPC dans
113
ghanéenne et guinéenne (Il s'agit entre autres
de Félix Roland Moumié et Ossendé Afana). Ainsi donc, en
vue de les empêcher de réinvestir formellement le champ politique
camerounais, cette disposition de l'art. 31 al. (a) sus évoqué
fut spécialement utilisée comme artifice juridique d'exclusion,
d'autant plus que la nationalité est le fondement premier de la
citoyenneté.
Cet argument est d'ailleurs conforté par les
députés SDF qui, dans une proposition de loi modifiant et
complétant la loi sur la nationalité, affirmaient que l'art. 31
al. (a) de ladite loi « avait été institué en 1968
pour barrer la voie à l'opposition politique de l'époque qui
vivait en grand nombre à l'étranger et jouissait des
privilèges de la nationalité des pays hôtes
»381.
Dans le même sens, il est relevé que : « La
loi no 1968-LF du 11 juin 1968, portant code de la
nationalité, avait été adoptée et promulguée
dans un contexte socio - politique où le souci primordial était
d'enlever aux camerounais qui avaient acquis une nationalité
étrangère, la possibilité de présenter leurs
candidatures aux élections législatives et présidentielles
»382.
Au demeurant, le lien entre la Nation et les camerounais
d'origine est plus que manifeste.
B. La matérialisation concrète de
l'appartenance des camerounais d'origine a la Nation
En adoptant un raisonnement par déduction383
pour démontrer que les camerounais d'origine384 peuvent
être considérés comme appartenant à la Nation
camerounaise, nous-nous baserons sur l'importance et la valeur des actions, des
interventions et de la participation de
cette ville. Le parti s'y était établi
après sa dissolution par décret du 13 juillet 1955 par le
gouvernement français à la suite des émeutes de mai de la
même année.
380 Le Pr. Etienne Charles Lékéné Donfack
écrit à ce propos que : « L'Egypte et le Soudan offrirent
l'asile politique à celui des groupes qui se rendit au Caire sous la
protection du Président NASSER. Conakry, Accra, Alger et les pays de
l'Est l'accueilleront à leur tour ces "voyageurs" de l'histoire ».
Lire Etienne Charles Lékéné Donfack, op. cit., p.
178.
381 Cf. la « proposition de loi modifiant et
complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de
la nationalité camerounaise », initié par les Honorables
députés Joshua Osih, Joseph Mbah-Ndam et les membres du groupe
parlementaire SDF lors de la session ordinaire de l'Assemblée Nationale
de novembre 2014, p. 2.
382 Cf. la lettre des députés
adressée au Président de la République, le 2
décembre 2015, dont l'objet était « Appel des
Députés de la Nation en vue de réformer la Loi
No 68-LF-3 Du 11 juin 1968, portant de la Nationalité
».
383 Lire dans ce cadre Madeleine Grawitz, Méthodes des
sciences sociales, op. cit. , p. 16.
384 Les camerounais d'origine sont des ressortissant
camerounais qui ont perdu cette qualité, suite à l'acquisition ou
à la conservation par eux d'une nationalité
étrangère.
114
ces individus à la vie nationale camerounaise. Cette
appartenance se manifeste à l'égard du Cameroun par la
persistance du lien affectif (1) et l'expression d'un lien de solidarité
active (2).
1) La persistance du lien affectif
Le lien affectif envers une Nation peut être entendu
comme l'attachement d'un individu à cette dernière,
généralement du fait de ses origines, et, marqué par la
manifestation d'une volonté constante de lui appartenir,
indépendamment de sa résidence ou non sur le territoire
national385. L'on peut trouver ses fondements dans l'origine (a). Et
il se manifeste de diverses manières (b).
a) L'origine camerounaise comme fondement du lien
affectif
Il est courant d'entendre dire, pour désigner certains
français, allemands ou belges qu'ils sont des camerounais d'origine. A
titre d'exemple, l'expression « franco-camerounais » renvoie à
un individu qui est d'origine camerounaise et de nationalité
française386. Pourtant, normalement au regard de
l'interdiction de la double nationalité par la loi de 1968, cette
dénomination est juridiquement inappropriée387.
L'obtention de la nationalité étrangère
par ces individus ne leur enlève pas leur origine camerounaise, qui ne
peut d'ailleurs être déniée. Cette origine camerounaise, de
par les liens culturels et anthropologiques qu'elle concentre, joue le
rôle majeur d'identifiant à la Nation camerounaise et constitue de
ce fait l'élément qui maintient vivace le lien affectif des
camerounais d'origine vis-à-vis du Cameroun ; car « Il ne se fait
aucun doute que les camerounais de l'étranger restent attachés
à leur pays d'origine. Ceci est vrai même pour ceux
385 L'illustration la plus forte de l'existence ou de la
persistance du lien affectif entre des individus et une Nation est celle du
peuple juif. Ce lien affectif a été matérialisé par
le sionisme, mouvement politique dont l'objectif était le retour en
Palestine des juifs de la diaspora, disséminés de par le monde en
vue de la création de l'Etat d'Israël, dont la
concrétisation intervint en 1948.
386 Des personnalités telles que Manu Dibango, Yannick
Noah, Calixte Beyala, Marie-Roger Biloa et bien d'autres, sont ainsi
désignés sous l'étiquette de franco-camerounais.
387 Au sens de la loi des 1968, l'on devrait parler de
camerounais d'origine ou encore d'étranger pour désigner ces
individus, car parler par exemple de franco-camerounais ou de belgo-camerounais
signifierait que la double nationalité est admise, pourtant tel n'est
pas encore le cas.
115
parmi eux qui ont reçu une nationalité
étrangère »388. La naturalisation est
utilisée par ces derniers comme un moyen opportuniste.
Ainsi, « il ne s'agit pas de renier ses origines, mais la
naturalisation est un moyen pour pouvoir bénéficier au maximum
des avantages qu'offre le pays d'accueil »389. Dans le
même sens, l'on relèvera aussi que : « Nos compatriotes de la
Diaspora ont acquis une autre nationalité beaucoup plus par
nécessité que par rejet de notre patrie qui leur est chère
»390.
Dès lors, l'évocation de l'origine camerounaise
de ces individus peut susciter chez eux un sentiment de frustration ; la
frustration d'être traités comme d'illustres étrangers
n'ayant aucun lien avec le Cameroun391. Pourtant ce dernier est
ontologiquement le berceau de leurs ancêtres selon la lettre de l'hymne
national392. Le Doyen Léopold Donfack Sockeng dit d'ailleurs
que : « L'hymne national fonde le sentiment d'appartenir à une
collectivité commune en théorie et en pratique
».393. Et, puisque l'hymne national « a une fonction
constitutive [...] et une fonction de rassemblement » 394 , tous les
individus d'origine camerounaise, du seul fait justement de cette origine,
doivent être concernés et inclus dans le projet de construction et
de consolidation de la Nation.
388 Louis Bernard Tchekoumi, « Interactions diasporas -
pays d'origine dans le secteur du développement local au Cameroun :
enjeux et perspectives », Département analyse et politique
économiques, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
Appliquée de l'Université de Douala, p. 10.
389 Louis Bernard Tchekoumi, op. cit., p. 10.
390Cf.
la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant et
complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la
nationalité camerounaise », op. cit., p. 4.
391 La frustration des camerounais d'origine est
justifiée par le fait qu'ils sont contraints, comme les
étrangers, à s'aligner dans les services des
représentations diplomatiques et consulaires du Cameroun à
l'étranger pour demander le visa d'entrée au Cameroun ; sans
compter que l'accomplissement de cette formalité est
généralement accompagnée de tracasseries diverses. Des
entretiens que nous avons eu avec certaines de ces camerounais d'origine, il
nous été révélé que l'ambiance
prévalant entre les camerounais d'origine demandeurs de visa et les
agents consulaires ou diplomatiques est très souvent soit distendue,
soit hostile, soit empreinte d'un manque de cordialité. Cela
résulterait, selon nos interlocuteurs, d'une sorte de sentiment de
révolte exprimé a priori par les camerounais d'origine. Ces
derniers se révoltent d'être traités comme des
étrangers.
392 L'énoncé de l'Hymne national selon lequel le
Cameroun est le « berceau de nos ancêtres » signifie que toutes
les personnes qui sont originaires de ce pays appartiennent à la Nation
; et par conséquent doivent avoir sa nationalité en tant que
symbole de l'héritage à eux légués par les
ancêtres de notre pays.
393 Léoplod Donfack Sockeng, « Fondements et
signification de l'hymne national du Cameroun », SOLON, revue
africaine de parlementarisme et de démocratie, volume III,
n°7, août 2013, pp. 7-18, (spéc. p.13).
394Ibid., p. 14.
116
b) La manifestation du lien affectif
Souscrivant entièrement avec Renan pour qui « il y
a dans la nationalité un côté de sentiment
»395, nous concluons à juste titre qu'en l'absence d'un
lien affectif, la justification de l'appartenance des camerounais d'origine
à notre Nation serait impossible396.
D'ailleurs, c'est certainement en raison de ce lien que de
nombreux sportifs, particulièrement les footballeurs, à l'instar
de Roger Milla, Samuel Eto'o Fils, Joel Matip, Eric Maxime Choupo Moting,
Stéphane Mbia et bien d'autres, ont opté de défendre les
couleurs du Cameroun sous la bannière des lions indomptables,
plutôt que d'évoluer sous les couleurs de l'autre pays dont chacun
d'eux a concurremment la nationalité.
L'opportunisme qui dans la plus des cas motive l'acquisition
d'une nationalité étrangère, n'empêche pas la
volonté des camerounais d'origine de servir la Nation, témoignant
ainsi de l'attachement qu'ils gardent pour elle. A ce sujet, dans une lettre
adressée au Président de la République en date du 2
décembre 2015, un groupe de dix députés à
l'Assemblée Nationale fait observer que : « la double
nationalité est revendiquée par les élites originaires de
notre pays qui brillent en particulier dans les secteurs universitaires,
économiques, scientifiques, artistiques, sportifs, à
l'étranger »397. Ces députés poursuivent
en disant que de nombreux camerounais d'origine manifestent le voeu de «
se réaliser au Cameroun »398.
Toujours dans le même sens, les députés
SDF déclarent que « nombreux sont ceux de nos compatriotes
aujourd'hui qui font la fierté de notre pays [...] et qui aimeraient
mettre à la disposition de notre pays leur talent, leur expertise et
leur compétence affirmés et parfois acquis à
l'international »399. Tout cela ressortit de ce qu'il convient
d'appeler la « citoyenneté
395Cf. Ernest Renan, « Qu'est ce
qu'une nation ? », conférence faite à la Sorbonne, le 11
mars 1882.
396A ce propos, il est tout à fait objectif d'analyser
l'allégeance faite à la Russie par un grand nombre d'ukrainiens
dans les zones sécessionnistes de l'Ukraine, bien qu'ils aient la
nationalité de ce pays, comme ayant pour fondement le lien affectif
qu'ils portent à la Russie. Comme quoi, le démantèlement
de l'ex URSS n'a pas détruit le rattachement historique, peut être
seulement symbolique aujourd'hui, entre l'Etat soviétique incarné
d'alors par la Russie et les ex ressortissants de cet Etat.
397 Cf. la lettre adressée au Président
de la République le 02 décembre 2014 sous le couvert du
secrétaire général de la Présidence de la
République. Par un groupe de dix députés à
l'Assemblée Nationale ayant pour objet «Appel des
députés en vue de réformer la loi N° 68-LF-3, du 11
juin 1968 portant Code de la nationalité».
398 Ibidem.
399 Cf. la proposition de loi initiée par le
SDF, modifiant et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant
code de la nationalité camerounaise », op. cit., p.2.
117
d'identification » des camerounais d'origine
vis-à-vis du Cameroun, c'est-à-dire qu'en dépit de la
rupture du lien juridique de nationalité, ces derniers
développent une citoyenneté parallèle dont les ressorts
sont sociologiques, culturels, anthropologiques et identitaires.
Dans l'esprit de l'interpellation par l'hymne national aux
fils du Cameroun à le servir400, les camerounais d'origine
entreprennent diverses actions en sa faveur, confortant davantage l'idée
selon laquelle le lien affectif ne se rompt pas nécessairement avec
l'acquisition d'une nationalité étrangère. Cette
idée semble d'ailleurs être implicitement approuvée par les
autorités gouvernementales camerounaises, qui désignent au
service du pays des binationaux à qui il est même assigné
des « missions de représentation »401 de la patrie
camerounaise402. Ainsi, la mise en exergue du lien affectif permet
la reconnaissance tacite de la double nationalité403
même si cela est source d'ambigüité, car parallèlement
la double nationalité est refusée pour les
autres404.
Dès lors, il apparait un profond hiatus entre la lettre
de la loi sur la nationalité et son application d'une part, car la
double nationalité est légalement interdite, mais paradoxalement
permise dans les faits. En fait, loin de parler d'une désuétude
de l'art. 31(a) du code de nationalité qui interdit la double la double
nationalité, l'on constate que l'amour pour Cameroun et la
volonté de le servir triomphent dans plusieurs cas sur cette disposition
législative.
400 L'hyme national énonce en effet la formule suivante :
« Te servir que ce soit leur seul but... ».
401 Cf. Ruth Manga Edimo, « La participation des
diasporas camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie
politique nationale : Emergence et consolidation de la citoyenneté
à distance », mémoire de DEA en science politique de
l'université de Yaoundé II- Soa, 2005-2006, p. 85.
402 La nationalité française de l'ancien
footballeur camerounais S.E Albert Roger Albert Milla est une
vérité de lapalissade, pourtant ce dernier est quand même
investi de la haute fonction diplomatique d'ambassadeur itinérant du
Cameroun. Cet exemple peut être multiplié concernant bien de
membres du gouvernement ou dirigeants d'entreprises publiques ayant une
nationalité étrangère.
403 Ruth Manga Edimo fait observer que « le Lyonnais
Joseph Désiré Job, le Lensois Assou- Ekotto, l'Auxerrois Perrier
Doumbè, pour ne citer qu'eux, jouent pour le Cameroun, sont nés
en France et sont de nationalité française, avant d'être
camerounais. L'acceptation par ceux-ci de défendre les couleurs du
Cameroun est un signal fort du lien gardé avec la mère patrie.
Leur intégration dans l'équipe des » lions indomptables '',
l'une des plus importantes institutions de représentation de l'Etat
camerounais à l'extérieur et dans les compétitions
internationales montre non seulement le degré de responsabilité
de ces individus envers la Nation, mais également leur reconnaissance
par l'Etat. Leur situation identitaire prouve que, quand il y va aussi bien de
l'intérêt de la Nation que de l'attachement manifesté par
les membres des diasporas camerounaises, l'Etat n'hésite pas à
outrepasser certaines dispositions juridiques, telle que celle de l'acceptation
des joueurs de nationalité française et d'origine camerounaise
alors que les textes n'admettent pas encore la bi-nationalité ».
Lire Ruth Manga Edimo, op. cit., p. 85.
404 L'on a évoquera en ce sens que l'élection de
l'artiste Ndedi Eyango à la tête de la société
collective de gestion des droits d'auteur dans le domaine de l'art musical
avait été précisément constatée du fait de
sa nationalité américaine pourtant quelques années avant,
l'artiste Manu Dibango, de nationlité française avait
été porté quelques années avant à la
tête de la CMC, la devancière de la SOCAM.
118
2) L'expression du lien de
solidarité
De façon générale, le lien de
solidarité des camerounais d'origine est marqué par leur
participation et leur implication multiformes à la vie nationale du
Cameroun (dans les domaines financier, économique, social, politique,
sanitaire etc.).
Ainsi, répondant à la question de savoir quel
est le facteur essentiel qui a produit et qui maintient le lien national,
Léon Duguit affirmait qu' « on a mis en avant la communauté
d'autorité politique, la communauté de race et de langue, la
communauté de croyance religieuse. [...] mais aucun n'était
puissant pour créer à lui seul la solidarité nationale
»405. Il poursuit en disant que la Nation est une
réalité qui « consiste dans le lien de solidarité
[...] qui unit entre eux, d'une manière particulièrement
étroite, les hommes qui sont membres d'une même nation
»406.
C'est d'ailleurs au renforcement de ce lien que le
Président de la République invitait la diaspora camerounaise, en
déclarant ce qui suit : « Vous, Camerounais de la diaspora en
particulier, [...] le moment est venu de mettre votre expertise au service de
votre pays »407. Cet appel du Chef de l'Etat correspond
parfaitement à l'idée d'union entre les membres d'une même
Nation, et, montre que l'Etat d'origine « affirme fortement le lien qu'il
veut maintenir avec ses nationaux alors même que ceux-ci
bénéficient de la citoyenneté de l'État où
ils se trouvent »408. Sauf que par cet appel même, le
Chef de l'Etat donnait une approbation tacite de la double nationalité,
car parlait-il indifféremment des « camerounais de la diaspora
», dont nombre d'entre eux ont pourtant acquis une nationalité
étrangère. Dans cette optique, le terme diaspora revêt un
caractère englobant, car il désigne à la fois les
camerounais de l'étranger ayant conservé leur nationalité
et ceux ayant obtenu une nationalité
étrangère409.
Quoiqu'il en soit, il apparait bien qu'au niveau politique, la
porte n'est fermée à la double nationalité tant que le
pays a besoin des camerounais d'origine. Ainsi, le Document
405 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel,
Traité de droit constitutionnel, op.cit., pp. 4-5.
406Ibid., p.12.
407Extrait du discours de S.E M. Paul Biya, le
03novembre 2011 lors de sa prestation de serment à l'Assemblée
Nationale.
408 Charles Leben, « nationalité et
citoyenneté en droit constitutionnel », op. cit.,
p.158.
409 Les camerounais ayant acquis une nationalité
étrangère sont considérés, malgré tout,
comme faisant partie de la diaspora camerounaise ; si tant est que la diaspora
est entendue comme une communauté d'individus dispersée en dehors
de son lieu d'origine. De ce point de vue, la diaspora est
indifféremment constituée des camerounais ayant conservé
leur nationalité, que de ceux ayant acquis une nationalité
étrangère.
119
Stratégique pour la Croissance et l'Emploi
(DSCE)410 classe la mobilisation des ressources de la diaspora dans
la catégorie des modalités de renforcement de la mobilisation de
l'épargne nationale. Il y est clairement énoncé que
Les transferts de la diaspora constituent une source de
devises étrangères importantes [...]. Conformément aux
orientations données dans la Vision 2035, les autorités comptent
encourager les camerounais de l'étranger à investir au pays, au
travers de divers mécanismes, dont : une prise en charge
institutionnelle de cette question au niveau approprié [...], diverses
incitations pour canaliser les transferts de la diaspora vers l'investissement
productif et les emprunts publics411.
Fort de ce que « les membres d'une même nation sont
particulièrement unis entre eux par les liens de la solidarité
[...] ; car, étant plus près les uns des autres, ils
échangent naturellement plus fréquemment et plus facilement les
services qu'ils peuvent se rendre à cause de leurs aptitudes
différentes »412, la diaspora est un acteur majeur du
développement au Cameroun. Le gouvernement a d'ailleurs pleinement pris
conscience de l'intérêt du renforcement de son implication dans ce
sens413. Laquelle implication porte par exemple sur des
investissements directs réalisés par le moyen des transferts de
savoir-faire et d'argent vers les familles au Cameroun.
Dans le même sens, les députés du SDF
affirment que la capacité de la diaspora « à booster
pleinement et de façon constructive le processus de développement
de notre Nation [...] n'est plus à démontrer. L'émergence
du Cameroun projetée pour 2035 se fera avec nos compatriotes de la
diaspora, nos familles binationales et non sans eux ou contre eux
»414.
410 Le DSCE est un instrument de planification
économique élaboré pour la période décennale
2010-2020, qui vise à termes l'amélioration des performances
économiques du Cameroun, avec pour effets inductifs, la création
d'emplois, la réduction de la pauvreté, et l'amélioration
des conditions de vie des populations.
411Cf. le DSCE, p. 81.
412 Léon Duguit, op. cit., p. 8.
413 C'est en fait ce qui ressort de la mise en oeuvre de
plusieurs initiatives allant dans ce sens, en l'occurrence le DAVOC (Draw A
Vision Of Cameroon), dont la 5ème édition tenue les 11 et 12
octobre 2012 à Genève sur le thème: « Contribution
des migrants africains aux stratégies de développement - Diaspora
camerounaise et DSCE - Document Stratégique pour la Croissance et
l'Emploi », avait pour but de présenter à la diaspora le
rôle qu'elle peut et doit jouer dans la mise en oeuvre du DSCE.
414Cf.
la proposition de loi initiée par le SDF, modifiant
et complétant la loi no 1968-LF du 11 juin 1968 portant code de la
nationalité camerounaise, op. cit., p. 4.
120
Au plan politique, la « citoyenneté » des
camerounais de la diaspora se matérialise par l'activisme et le
militantisme politiques. En effet, plusieurs membres de la diaspora militent au
sein des partis politiques. A ce sujet, Ruth Manga Edimo souligne à
propos des camerounais de la diaspora, qu' : « on note une participation
partisane intense en accordéon avec les militants de l'intérieur.
Celle-ci se caractérise par de constantes relations avec le parti en
question [...], l'implication même à distance dans les campagnes
électorales, et des activités militantes »415.
L'on assiste donc dans ce contexte à la conduite d'activités de
propagande dont l'objet porte sur des questions d'enjeu national telles que les
élections, les droits de l'homme, la gouvernance etc.
Toujours dans le cadre de la participation politique,
notamment contestataire, le Pr. Antoine Wongo Ahanda révèle que
l'enjeu essentiel de la communication416 des camerounais d'origine
installés en dehors du territoire national est « l'affirmation et
la consolidation du lien avec le pays d'origine »417. C'est
à cette forme d'activisme politique extraterritorial que correspond
l'idée d'exopolitie camerounaise évoquée par l'auteur,
c'est-à-dire une forme de citoyenneté qui se déploie en
dehors du territoire national418.
En admettant que l'appartenance des camerounais d'origine est
certaine et qu'elle devrait entraîner la reconnaissance de la double
nationalité, quelles devraient dès lors en être les
implications ?
Paragraphe 2 : LES IMPLICATIONS D'UNE EVENTUELLE
RECONNAISSANCE DE LA DOUBLE NATIONALITE AU CAMEROUN
Eût égard à la démonstration
précédemment faite sur l'appartenance des camerounais d'origine
à la nation camerounaise, il va s'en dire que la législation
actuelle devrait
415 Ruth Manga Edimo, « La participation des diasporas
camerounaises de France et de Grande-Bretagne à la vie politique
nationale : Emergence et consolidation de la citoyenneté à
distance », mémoire de DEA en science politique, université
de Yaoundé II- Soa, année académique 2005-2006, p. 95.
416 Cette communication peut notamment renvoyer à
l'utilisation d'opportunités et de canaux d'expression médiatique
offerts par le développement des nouvelles technologiques de
l'information et de la communication.
417 Antoine Wongo Ahanda, « Le C.O.D.E, figure
médiatique de l'exopolitie camerounaise », SOLON, revue
africaine de parlementarisme et de démocratie, Vol. III, n°8,
Août 2014, pp. 61-90, (spéc. p. 64).
418 Lire à ce propos Antoine Wongo Ahanda, ibid.
, pp. 64 et s.
121
logiquement évoluer vers la reconnaissance de la double
nationalité afin de s'accommoder ainsi aux évolutions du temps,
marqué de plus en plus par la multiplicité des communautés
auxquelles le citoyen peut être loyal.
Au regard de cette perspective, les implications de la
reconnaissance de la double nationalité consisteront en la
réintégration des camerounais d'origine dans la
nationalité d'une part (A), et en la nécessité
définir des axes d'aménagement de la double citoyenneté
d'autre part (B).
A. La réintégration dans la
nationalité camerounaise
Dans la perspective de la reconnaissance légale de la
double nationalité419, tous les individus qui, en vertu de la
l'art. 31 (a) de la loi de 1968, avaient perdu leur nationalité
camerounaise, pourront la recouvrer par le processus de la
réintégration. De la sorte, il émergera une
citoyenneté hybride, c'est-à-dire une citoyenneté
née de la combinaison ou de la juxtaposition de la citoyenneté
étrangère avec celle du Cameroun.
Au regard de la loi n° 68-LF-3 du 11 juin 1968 portant
code de la nationalité, la réintégration dans la
nationalité des camerounais d'origine s'avérerait plus ou moins
complexe. Cette loi prévoit en effet que : « La
réintégration dans la nationalité camerounaise est
accordée [...] à condition toutefois que
l'intéressé apporte la preuve qu'il a eu la qualité de
ressortissant camerounais et justifie de sa résidence au Cameroun au
moment de la réintégration »420.
S'agissant particulièrement de la preuve de la
nationalité camerounaise, elle peut être apportée en
l'occurrence par la production d'un acte d'état civil tel que l'acte de
naissance notamment. Par ailleurs, la réintégration telle que
définie actuellement ne pourra être appliquée à la
situation des camerounais d'origine compte tenu de la condition de
résidence à cause du fait que ces derniers sont des individus
essentiellement issus de la diaspora, qui par conséquent ne
résident pas sur le territoire camerounais.
Dans l'objectif de la réintégration des
camerounais d'origine, des mécanismes juridiques doivent pouvoir
créer d'une part des moyens pour faciliter le retour des personnes
d'origine camerounaise et leur installation permanente au Cameroun. Cela
commencerait par
419 Cette reconnaissance légale se présenterait
comme le prolongement de la reconnaissance sociologique et politique de la
double nationalité.
420Cf. art. 28 de la loi portant code de
nationalité.
122
la suppression de l'obtention par ces dernières du visa
d'entrée au Cameroun. D'autre part, ces mécanismes doivent
permettre l'octroi automatique de la nationalité et de la
citoyenneté camerounaises à l' égard des personnes
susmentionnées en les dispensant de certaines conditions légales
requises notamment celle de renoncer forcément à leur
nationalité étrangère. De la sorte, bien qu'étant
citoyens d'autres Etats, les individus d'origine camerounaise se verraient
reconnaitre en même temps au Cameroun le statut légal de citoyen,
avec tous les droits qui y sont attachés ; sous réserve
évidemment de certains droits comme l'éligibilité à
certaines fonctions421.
La réintégration dans la nationalité a
souvent été un mécanisme important mis en oeuvre dans le
processus de construction de l'Etat-Nation. Elle permet en fait le resserrement
des liens entre l'Etat et ses nationaux vivant à l'étranger de
sorte que survive sur la nationalité étrangère de ces
derniers, la manifestation concrète de leur appartenance à leur
Nation d'origine.
En se référant au droit comparé, il faut
remarquer que la réintégration dans la nationalité des
personnes qui sont originaires du pays est facilitée au travers du droit
positif. La constitution arménienne par exemple prévoit en son
article 14 que « toute personne d'origine arménienne aura la
faculté d'obtenir la citoyenneté, via une procédure
simplifiée ». En Allemagne par contre, la Constitution permet
à toute personne de souche allemande de réintégrer la
nationalité allemande. Mieux encore, une loi « a étendu le
droit automatique à la citoyenneté à toute personne de
souche allemande habitant l'Europe de l'Est et de l'Union soviétique
»422.
De ce qui suit, la réintégration des camerounais
d'origine dans la nationalité constituerait un moyen pour montrer que le
lien de sang entre eux et la Nation peut certainement connaitre
l'érosion, mais qu'il reste invulnérable à la
péremption.
421 Cette barrière trouverait sa justification dans le
fait que les personnes élus à ces différents scrutins
exercent des fonctions de représentation du peuple aussi bien à
l'échelle nationale qu'internationale, cela explique qu'elles ne
puissent pas partager leur loyauté entre le Cameroun et un autre pays.
Par ailleurs, la constitution du Cameroun énonce en son art.4 que
l'autorité de l'Etat est exercée par le Président de la
République et le Parlement. De ce point de vue, dans le souci de la
préservation des intérêts de l'Etat et du fait de la
sacralité des fonctions de Président de la République ou
de parlementaire, elles ne doivent pas être exercées par des
binationaux. Dans le cadre de la commune notamment, la coopération
décentralisée au niveau international pourrait potentiellement
placer les élus binationaux dans une situation embarrassante.
422 A. Rubinstein, A. Yakobson, Israël et les Nations.
L'État-nation juif et les droits de l'homme, Paris, PUF, 2006, p. 174,
cité par Charles Leben, op. cit., p. 159
.
123
B. Les axes d'aménagement de la double
citoyenneté
Dans la perspective de la reconnaissance de la double
nationalité ou double citoyenneté au Cameroun, il
s'avérerait impératif d'y appliquer quelques aménagements.
Lesquels tourneraient autour de l'objectif de garantir l'allégeance des
binationaux à l'égard de l'Etat du Cameroun d'une part (1), de
même qu'ils auront trait à la protection diplomatique d'autre part
(2).
1. La garantie de l'allégeance des citoyens
binationaux à l'égard de l'Etat du Cameroun
L'un des aspects essentiels des rapports entre l'Etat et le
citoyen est l'obligation d'allégeance du second à l'égard
du premier. L'effectivité d'une telle obligation à propos
spécialement des binationaux passe par la mise sur pied par la
législation sur la nationalité de mécanismes divers.
Il peut s'agir par exemple de la mise à la charge pour
les binationaux, de l'obligation de déclarer allégeance à
l'Etat du Cameroun, cela sous la forme d'une prestation de serment. Ce
mécanisme peut être opérationnalisé par l'insertion
dans la loi d'une formule par laquelle le binational s'engage à
être loyal à l'Etat du Cameroun en dépit de son autre
nationalité. L'énoncé de cette formule peut être le
suivant : « je promets de faire allégeance à l'Etat du
Cameroun, de respecter en tout temps et en tout lieu les lois et valeurs de la
République et de protéger les intérêts de notre
Nation ». Par le prononcé de cette formule, l'individu affirmera
pour ainsi dire sa « camerounité » et sa volonté
à servir le Cameroun. Dans le même sens, par cette promesse de
loyauté, l'intéressé s'engage à éviter
d'adopter une position ambivalente vis-à-vis du Cameroun et surtout face
à l'autre Etat dont il est tout aussi citoyen. Autrement dit, il ne doit
pas, à travers son comportement, ses actes ou ses déclarations,
marquer implicitement ou explicitement sa préférence pour son
autre Etat. C'est dire ici que le double national ne doit pas être
tiraillé entre les deux allégeances, mais doit plutôt
établir entre elles une sorte de coexistence pacifique.
Cette déclaration d'allégeance peut aussi se
faire à travers plusieurs formules séparées, mais dont le
contenu et la finalité seront identiques.
124
Bien évidemment, le comportement déloyal du
citoyen binational doit donner lieu à des sanctions, dont principalement
la déchéance de la nationalité, sans préjudice des
condamnations judiciaires qui peuvent s'y adjoindre. A ce sujet, la Convention
des Nations Unies sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août
1961, entrée en vigueur le 13 décembre 1975, prévoit qu'un
Etat peut conserver la faculté de priver un individu de sa
nationalité si ce dernier, dans des conditions impliquant de sa part un
manque de loyalisme envers l'Etat contractant a eu un comportement de nature
à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels
de l'Etat423.
En tout état de cause, la double nationalité ne
doit d'aucune manière infléchir la souveraineté de l'Erat
sur ses ressortissants.
2. Les aménagements relatifs à la
protection diplomatique
Approuver la double nationalité c'est aussi donner vie
à la double allégeance.
Sur le plan pratique, cette double allégeance peut
poser des problèmes quant à la question de la protection
diplomatique. En fait, Un Etat peut-il exercer la protection diplomatique en
faveur de son ressortissant qui est à la fois le national de l'Etat
auquel la violation des droits est imputée ?
En outre, dans le cas de figure où la violation des droits
est imputée à un Etat tiers, lequel des deux Etats dont
l'individu est le national devra-t-il assurer la protection diplomatique ?
C'est à ces questions, souvent hautement sensibles du point de vu des
relations internationales bilatérales, que devra répondre une
législation à venir sur la double nationalité au
Cameroun.
En guise de réponse à la première
interrogation, il faut simplement dire qu'un Etat ne peut prétendre
détenir un droit de protection diplomatique lorsque cette protection
doit être exercée en faveur de son ressortissant, qui
possède concurremment la nationalité de l'Etat en l'encontre
duquel elle doit être mise en oeuvre. Concrètement, un camerounais
binational ne pourrait, afin de bénéficier de la protection
diplomatique de son autre Etat, se prévaloir de sa nationalité
étrangère à l'égard du Cameroun ; ce dernier le
considérera plutôt comme son ressortissant exclusif. C'est donc
à cette solution que doit tendre la législation sur la double
nationalité à venir au Cameroun ; car l'enjeu ici serait la
préservation de la souveraineté de
423 Voir l' art. 8 al. 3a ii de la Convention des Nations Unies
sur la réduction des cas d'apatridie du 30 août 1961.
125
l'Etat. Elle serait du reste une application de la
règle de la non-responsabilité consacrée par la convention
de la Haye sur la nationalité du 12 avril 1930424.
D'ailleurs, la Cour internationale de Justice a fait application de cette
règle lorsqu'elle déclara se référer à la
« pratique généralement suivie selon laquelle un
Etat n'exerce pas sa protection au profit d'un de ses
nationaux contre un Etat qui considère celui-ci comme son propre
national»425.
A la question de savoir entre le Cameroun et un autre Etat
dont un individu est concurremment le ressortissant lequel devra exercer la
protection diplomatique à l'encontre d'un Etat tiers, il faut dire que
la solution serait moins complexe. En fait, l'exercice de la protection
diplomatique pourra revenir à l'Etat de résidence dudit
individu.
La déconnexion entre la nationalité et la
citoyenneté au Cameroun est encore plus plausible lorsqu'on
évoque la situation particulière de la presqu'île de
Bakassi.
SECTION II : LE FAIBLE ENRACINEMENT DE LA NATIONALITE
CAMEROUNAISE DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI
Selon la théorie générale de l'Etat, la
population est l'un des éléments essentiels de
l'Etat426. Le territoire de Bakassi est certes retourné dans
le giron du territoire national427, cette zone présente
cependant des particularités démographiques notoires. En effet,
compte tenu de la forte concentration des ressortissants nigérians en
l'occurrence dans cette zone, dont l'importance numérique est
particulièrement élevée, la nationalité
camerounaise y est plutôt à l'étroit en quelque sorte.
Du point de vue juridique, cette situation ne peut manquer de
susciter des interrogations quant à son impact à la fois sur la
nationalité et la citoyenneté camerounaises dans cette zone. En
effet, la force démographique des étrangers nigérians
établis dans la zone de Bakassi est
424Cf. art. 4. de la convention de la Haye
sur la nationalité.
425Cf. l'avis consultatif de la CIJ sur la
réparation des dommages subis au service des Nations Unies du 11 avril
1949.
426 Selon le Pr. Joseph Owona par exemple, « la
population est constitue le groupement humain qui est à la base de
l'Etat ». Lire Joseph Owona, Droits fondamentaux et institutions
politiques du monde contemporain. Etude comparative, op. cit. , p. 18.
427 Le Cameroun a recouvré sa pleine
souveraineté sur ce territoire suite notamment au verdict de la CIJ du
10 octobre 2002 et à l'accord de retrait de l'administration civile et
des forces de police de la République fédérale du
Nigéria et de transfert d'autorité à la République
du Cameroun du 14 août 2008.
126
susceptible d'y entrainer la perméabilité de la
nationalité camerounaise (§1) cette occurrence nous conduit ainsi
à examiner les perspectives de la nationalité et de la
citoyenneté dans cette zone là (§ 2).
Paragraphe 1 : LA PERMEABILITE DE LA NATIONALITE
CAMEROUNAISE DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI
Compte tenu du contexte marqué par la forte
présence démographique des nigérians dans la
presqu'île de Bakassi, la citoyenneté camerounaise s'en sort
vulnérable, car elle devient exposée à des risques
d'infiltration (A). D'où la nécessité d'analyser les
enjeux qui se rattachent à la mise à l'épreuve de la
nationalité camerounaise du fait de ce facteur démographique
(B).
A. Les risques d'infiltration de la citoyenneté
camerounaise
Les risques d'infiltration de la nationalité
428 et par ricochet de la citoyenneté
camerounaise429 à Bakassi sont tributaires de la localisation
massive des étrangers nigérians dans cette partie du territoire
national. Ce fait démographique ne peut en effet être
ignoré dans toute étude objective sur la nationalité ou la
citoyenneté dans cette zone, d'autant plus qu' « il n'est
guère de phénomènes sociaux qui n'aient un aspect
démographique »430.
Dans l'entreprise de démonstration de cette
idée, nous utiliserons l'induction comme type de raisonnement, en ce
qu'il est « une généralisation, opération par
laquelle on étend à une classe d'objets ce que l'on a
observé sur un individu ou quelques cas particuliers
»431. Dans ce même sillage, l'induction amplifiante qui,
« d'un nombre déterminé de faits observés,
généralise, à un nombre infini de faits possibles
»432, nous parait objectivement opératoire.
428 Le terme infiltration renvoie ici à la
détention indue, parce que frauduleuse, de la nationalité
429 Nous utiliserons indifféremment les termes de
nationalité et de citoyenneté à ce niveau ; la possession
de la première entrainant logiquement l'exercice de la seconde, l'une
impliquant l'autre.
430 Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences
sociales, op. cit. , p. 264.
431 Ibid., p. 16.
432 Ibidem.
127
Selon la définition des Nations Unies, le terme
étranger « s'applique [...] à tout individu qui ne
possède pas la nationalité de l'Etat dans lequel il se trouve
»433. De ce point de vue, les étrangers ne peuvent pas
prétendre jouir des droits attachés à la qualité de
citoyen de l'Etat dans lequel ils résident. Mais la forte
présence démographique de la colonie nigériane qui, dans
plusieurs localités de Bakassi, est même supérieure
à l'effectif de la population camerounaise, peut donner à penser
qu'il ne s'agit même plus d'une colonie étrangère, mais
plutôt d'une réelle communauté nationale. La
conséquence majeure qui en découle est qu'il se crée
inéluctablement une confusion quant à l'identification du
réel citoyen camerounais.
Ce présage semble être conforté par Molem
Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, qui affirment que : « The
Nigerian indigenes [...] do not necessarily have residence permits and other
legal documents permitting them to reside and engage in business in what is now
legally Cameroonian territory »434.
Si l'infiltration de la citoyenneté camerounaise par
des immigrés nigérians en particulier est possible jusque dans la
ville de Douala où ces derniers ne représentent qu'une infime
proportion de la population, il est logiquement donné à croire
qu'elle serait plus facile et plus massive dans la presqu'île de Bakassi
dans laquelle ces mêmes ressortissants étrangers forment un
impressionnant effectif de la population totale.
En effet, Jean-Blaise Nkéné révèle
notamment que les stratégies d'insertion des immigrés
nigérians à Douala « s'inscrivent dans des logiques de
contournement, d'évitement, de subtiles infiltrations dans le corps
social »435. L'auteur ajoute que malgré la souplesse de
l'administration locale et de la législation camerounaise en
matière de titre de séjour, « les immigrés
nigérians semblent préférer des voies frauduleuses. Ils
optent dans ce cas pour des solutions diverses [...] ils se font
délivrer des fausses cartes d'identité camerounaises
433 Cf. la résolution47/144 adoptée par
l'Assemblée générale de l'ONU le 13 décembre
1985.
434 Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, «
Reclaiming the Bakassi Kingdom: The Anglophone Cameroon - Nigeria Border
», Afrika Zamani, nos. 13 et 14, 2005-2006, pp.103-122,
(spéc. p. 117). « Les autochtones nigérians ne
détiennent pas forcément des permis de séjour et autres
documents légaux les autorisant à résider et à
entreprendre des affaires dans ce qui désormais est un territoire
camerounais du point de vue juridique ». La traduction est de nous.
435 Blaise-Jacques Nkéné, « Les
immigrés nigérians à Douala : Problèmes et
stratégies d'insertion sociale des étrangers en milieu urbain
», in polis, R.C.S.P/C.PS.R., vol. 7, numéro
spécial, 1999-2000, p. 14.
128
moyennant argent ... »436. La possession de la
carte nationale par ces derniers montre le degré d'infiltration de cette
nationalité, qui semble devenue d'ailleurs un phénomène
récurrent437.
A propos des mêmes immigrés nigérians au
Cameroun, Jacques-Blaise Nkéné met en lumière leur
entrée dans le champ politique local en tant qu'acteurs,
singulièrement à Douala toujours. A ce propos, il affirme que son
« intuition de départ est basée sur le fait que la
présence massive d' «étrangers » dans certaines aires
sociales ne peut ne pas avoir des conséquences sur le champ politique
»438. Cette immixtion des immigrés nigérians dans
la vie politique de la ville de Douala439 est justement possible par
la détention frauduleuse de la nationalité camerounaise, par
laquelle ils se prévalent, au même titre les nationaux
camerounais, d'un droit de vote.
A titre d'illustration, l'on révèlera que «
Les élections dans l'arrondissement de Manoka - Douala VI - sont le
reflet de la participation ou non des associations immigrées
nigérianes qui regorgent en leur sein près de 85% de la
population locale. Leur contrôle est alors un gage important pour
l'expression des suffrages »440.
Ainsi, l'infiltration de la nationalité camerounaise
par les étrangers constitue une grave entorse à l'idée de
Nation, dans la mesure où ces derniers, parce que leur démarche
est frauduleuse et opportuniste, ne peuvent certainement pas se dévouer
au service de la Nation camerounaise. C'est ce que semble soulever
Jacques-Blaise Nkene lorsqu'il affirme que l'acquisition de la
citoyenneté par des immigrés nigérians « leur permet
tantôt de marchander leur voix en période électorale ou
surtout d'acquérir des passe-droits sans pour autant se sentir des
camerounais, [...] c'est donc d'une acquisition à des fins
essentiellement mercantiles qu'il s'agit »441. Il
renchérit en disant que : « La citoyenneté camerounaise pour
l'immigré nigérian n'est qu'un instrument de travail
»442.
436 Ibid, p. 20.
437 En effet, un nigérian interpellé à
Douala le 1er juillet 1999 par la police au motif qu'il
détenait deux cartes nationales d'identité, une camerounaise et
une autre nigériane. avoua ce qui suit : « je me suis
débrouillé comme ça à me faire établir une
carte nationale d'identité camerounaise pour éviter les
tracasseries policières ». Lire Jacques-Blaise Nkéné,
Ibid, p. 21.
438 Jacques-Blaise Nkéné, « Les
étrangers, acteurs de la vie politique camerounaise :
L'expérience des immigrés nigérians dans la ville de
Douala », R.C.S.P. /C.P.S.R., vol.8, numéro
spécial, 2001, p. 3
439 Cette immixtion se fait, selon les mots de Jacques-Blaise
Nkéné, par « une incorporation ou une infiltration physique
ou/et symbolique dans les instances du pouvoir politique local ». Lire
Jacques-Blaise Nkéné, Ibidem.
440 Ibid., pp. 8-9.
441 Ibid., p. 29.
442 Ibidem.
129
Au regard de ce qui précède, il est plus que
raisonnable d'entrevoir l'orchestration des mêmes manoeuvres
d'infiltration de la nationalité et par ricochet de la
citoyenneté camerounaises dans la presqu'île de Bakassi,
même si pour cette zone ladite infiltration prendraient une plus grande
ampleur par rapport à Douala.
En effet, la citoyenneté camerounaise est en proie
à un « quasi étouffement » à Bakassi en raison
de la forte présence étrangère, qui concurrence dans
certaines zones l'effectif des ressortissants camerounais. Pour les cas par
exemple de l'arrondissement de Bamusso, l'on dénombre 12230
ressortissants nigérians pour une population totale de
19230443 ; alors que dans l'arrondissement de Kombo Itindi l'on
compte jusqu'à 1366 nigérians pour 2956
habitants444.
Au regard de ce qui précède, il ne serait pas
erroné de dire qu'autant les frontières séparant le
Cameroun et le Nigéria sont poreuses, autant la citoyenneté
camerounaise l'est aussi au profit des ressortissants nigérians.
B. La nationalité camerounaise à
l'épreuve de la forte
démographie nigériane à
Bakassi : Les enjeux
Les enjeux de la nationalité à Bakassi peuvent
se dessiner à deux niveaux : d'abord au niveau de l'Etat et des
ressortissants nigérians (1), ensuite au niveau de l'Etat du Cameroun
(2).
1. Les enjeux propres à l'Etat et aux
ressortissants nigérians
L'irrédentisme nigérian relativement au
territoire de Bakassi avait ou continue d'avoir pour socle la
nationalité des populations qui y habitent. En effet, le Nigéria
s'était fondé sur une pseudo autorité politique
établie et manifestée sur ce territoire et sur ses populations
pour revendiquer sa souveraineté sur ce territoire445. C'est
dire que la présence massive de
443 Cf. les résultats du 3e
recensement général de la population et de l'habitat de 2005.
444 Ibid.
445 Le Nigéria revendique sa souveraineté sur
Bakassi en s'appuyant sur trois fondements. Il s'agit d'abord de l'occupation
de longue date de ce territoire par le Nigéria et des ressortissants
nigérians, qui constitue une
130
ressortissants nigérians dans la presqu'île,
territoire camerounais, constitue à n'en point douter un enjeu
géopolitique important pour l'Etat du Nigéria.
Dans cette optique, il ne serait pas erroné de
conjecturer que la forte présence des citoyens nigérians dans la
presqu'île de Bakassi peut avoir comme influences géopolitiques
à la fois l'installation ou la réinstallation et l'accroissement
de l'autorité de cet Etat dans cette partie du territoire
camerounais.
Cette hypothèse peut raisonnablement être
confortée par le fait qu'en novembre 2007, le Sénat
nigérian s'était opposé à la rétrocession de
la péninsule au Cameroun en déclarant qu'elle était
illégale.
De même, en 2008, des habitants de Bakassi avaient saisi
un juge de la Haute Cour fédérale du Nigéria
réclamant l'arrêt du processus juridico diplomatique de transfert
d'autorité au profit du Cameroun. Ce juge avait accordé une
réponse favorable à la requête en prononçant le gel
du transfert de souveraineté. Bien que le pouvoir exécutif
nigérian n'eut pas suivi ces sons de cloche, car avait-il signé
l'accord de Calabar le 14 août 2008446, il reste que persiste
tout de même au Nigéria un certain irrédentisme tant au
niveau fédéral que fédéré à propos de
Bakassi.
Cet irrédentisme est beaucoup plus poussé dans
l'Etat fédéré du Cross River dont était
rattachée la péninsule au moment de son occupation par le
Nigéria. En effet, certains acteurs nigérians contestent la
souveraineté du Cameroun sur la presqu'île en arguant que les
populations indigènes qui y sont établies depuis toujours sont
des citoyens nigérians. Autrement dit, il n'est pas envisageable pour
les acteurs susmentionnés que des citoyens nigérians soient sous
l'autorité du Cameroun, un Etat étranger selon eux.
consolidation historique de sa souveraineté ; ensuite
de la possession paisible par le Nigéria de ce territoire en
qualité de souverain, possession qui n'a suscité aucune
protestation de la part du Cameroun ; enfin des manifestations de
souveraineté du Nigéria, en même temps que l'acquiescement
du Cameroun à la souveraineté nigériane sur la
presqu'île de Bakassi. Voir à ce sujet l'arrêt de la CIJ du
10 octobre 2002 sur l'affaire de la frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria.
446 L'accord de Calabar a en effet parachevé le
processus qui devait permettre au Cameroun de recouvrer sa pleine
souveraineté sur la péninsule. Il dispose ainsi qu'« Il est
reconnu, par le présent acte que (a) le retrait de l'administration
civile et des forces de police de la République fédérale
du Nigeria de la Zone (Annexe I et Annexe II de 1 'Accord de Greentree) et (b)
le transfert d'autorité à la République du Cameroun sur la
totalité de la presqu'île de Bakassi ont été
achevés ce jour, jeudi 14 août 2008 ».
131
Conformément à cette position, c'est le
rattachement de ces populations au Nigéria, et par-là même,
la citoyenneté de ce pays, qui doivent y prévaloir. Cette
position est relevée par Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross,
qui rapportent les propos suivants de certains habitants de Bakassi : « We
are Nigerians and here in our ancestral home. You can see some of the graves
here dating back to the 19th century. How can you force a strange culture and
government on us? »447.
Il va s'en dire que toutes les entreprises de valorisation ou
de promotion de la citoyenneté nigériane menées dans
l'optique de légitimer la souveraineté du Nigéria, et de
contester par voie de conséquence celle du Cameroun sur Bakassi, sont de
nature à éprouver le raffermissement de la citoyenneté
camerounaise dans cette zone. Par exemple, le mouvement dénommé
Assemblée des jeunes de l'Etat du Cross River, après une vaste
consultation, a rejeté la décision de la CIJ du 10 octobre 2002 ;
c'est ce qui ressort des déclarations suivantes :
- We the Cross River State Youths reject completely the
handover of Bakassi Peninsula to the Republic of Cameroun because it lacked the
consent and approval of the indigenous Bakassi people who are
Nigerians.
- The Bakassi people refused to be transferred forcefully
to a foreign country in the haste to obey a fraudulent world court
judgment.
- Historically, other countries are known to have
disobeyed the judgment of the world court including some Western
Nations.
- Bakassi remains and will always remain part and parcel
of Cross River State of Nigeria and not to be transferred to the Republic of
Cameroun because the inhabitants have no ancestral, historical, archaeological
and political links or ties. They are Nigerians and will always remain
Nigerians448.
447 Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross, loc
cit. , p.111. « Nous sommes nigérians et nous sommes ici sur
la terre de nos ancêtres. L'on peut voir ici certaines tombes qui datent
du 19è siècle. Comment peut-on nous soumettre à
une culture et à un gouvernement étranger ? ». La traduction
est de nous
448 Lire Molem Christopher Sama et Debora Johnson-Ross,
loc.cit. , pp. 111-112. La traduction est de nous. - Nous la jeunesse
de l'Etat du Cross River rejetons complètement le transfert de la
péninsule de Bakassi à la République du Cameroun en raison
du fait qu'il a été opéré sans le consentement et
l'approbation des populations indigènes de Bakassi qui sont des
nigérians.
132
Ainsi, l'un des enjeux de la mise en exergue de la
citoyenneté nigériane, comme étant la citoyenneté
naturelle des populations de Bakassi, participe d'une stratégie conduite
par des entités nigérianes449en vue de remettre en
cause la souveraineté du Cameroun sur ce territoire à cause du
fait, selon elles, que l'essentiel de la population est composé, non pas
de ses ressortissants, mais des citoyens d'un autre Etat, en l'occurrence le
Nigéria.
Dans ce contexte, la question de la citoyenneté des
populations de Bakassi doit normalement préoccuper au premier chef
l'Etat du Cameroun.
2. Les enjeux liés à l'Etat du
Cameroun
L'enjeu majeur de la citoyenneté dans la
presqu'île de Bakassi pour l'Etat du Cameroun est l'ancrage total de sa
souveraineté sur cette zone, car selon Adeline Braux, «
l'appartenance civique à tel ou tel Etat est une affaire de
souveraineté »450. Selon l'accord de
Greentree451, le Cameroun s'engage « à ne pas forcer les
ressortissants nigérians vivant dans la presqu'île de Bakassi
à quitter la zone ou à changer de nationalité
»452 . Ainsi, après l'acquisition de la plénitude
de sa souveraineté sur ce territoire453, il est
fondamentalement indispensable de la rendre tout aussi effective sur les
populations qui s'y trouvent ; étant entendu que l'Etat « est
doté d'une autorité politique établie qui doit assurer
l'unité de la population et du territoire »454. C'est
dire que l'effectivité de la souveraineté du Cameroun sur cette
localité
- Le peuple de Bakassi a refusé d'être
transféré de force à un pays étranger ceci dans la
précipitation de se conformer au jugement erroné d'une
juridiction internationale.
- Historiquement, d'autres pays sont reconnus pour ne
s'être pas conformés au jugement de la juridiction internationale
y compris certaines Nations occidentales.
- Bakassi demeure et demeurera toujours une partie
intégrante de l'Etat du Cross River du Nigéria et ne doit pas
être transféré à la République du Cameroun
parce que les habitants n'ont pas avec elle des liens ou attaches ancestraux,
historiques, archéologiques et politiques. Ils sont et demeureront
toujours des nigérians.
449 Il peut s'agir de groupes associatifs ou criminels ou
d'acteurs politiques fédéraux ou fédérés
etc.
450 Adeline Braux, « De la citoyenneté
soviétique à la citoyenneté russe : Les
conflits d'allégeance des immigrés sud-caucasiens en
fédération de Russie »,
http://www.ceri-sciences-po.org,
mars 2010, p.6.
451 L'accord de Greentree est un accord politique signé
le 12 juin 2006 entre le Cameroun et le Nigéria sous l'égide de
l'ONU, ayant pour objet la définition des modalités de retrait et
de transfert d'autorité dans la presqu'île de Bakassi
conformément à la décision de la CIJ du 10 octobre
2002.
452Cf. art. 3 al. 2a. de l'accord de
Greentree signé le 12 avril 2006 entre le Cameroun et le Nigéria,
concernant les modalités de retrait et de transfert d'autorité
dans la presqu'île de Bakassi.
453 Le Cameroun a recouvré la plénitude de sa
souveraineté sur la presqu'île de Bakassi depuis la fin du
régime spécial transitoire de cinq ans le 14 août 2013.
454 Joseph Owona, Droits constitutionnels et institutions
politiques du monde contemporain. Etude comparative, op. cit., p.
20.
133
passe aussi par le contrôle et la maitrise des
nationalités, c'est-à-dire le pays doit être capable
d'identifier clairement qui est son national et qui est étranger.
Il s'avère donc effectivement que la nationalité
et la citoyenneté sont des attributs de la
souveraineté455. Sous ce prisme, afin d'enraciner
hermétiquement le territoire de Bakassi dans le pré carré
du Cameroun, il s'avère impérieux d'y protéger et d'y
renforcer la nationalité camerounaise. Cela est d'autant plus
nécessaire dans la mesure où la nationalité peur
être source d'ingérence extérieure456 ;
d'ailleurs, conformément à l'accord de Greentree, les
autorités civiles nigérianes avaient déjà la
possibilité d'accéder aux populations installées dans la
Zone457. De cette manière, les nombreux nigérians
établis à Bakassi constituent en quelque sorte un bloc, qui peut
servir d'une manière ou d'une autre, de canal d'expression ou
d'influence du Nigéria vis-à-vis du Cameroun.
En outre, la protection de la citoyenneté camerounaise
à Bakassi constitue aussi un enjeu quant à la préservation
de l'identité nationale, car le concept de Nation est étroitement
lié à celui de citoyenneté. En effet, selon le Pr. Luc
Sindjoun, « La nation se représente dans une large mesure à
partir de l'identité, d'un référentiel commun à des
acteurs sociaux »458. Or, il n'existe aucun rapport
d'identification des ressortissants nigérians vivant à Bakassi,
à la nation camerounaise. Et, compte tenu de leur grand nombre, il se
crée dès lors une certaine déconnexion entre les deux
éléments que sont la communauté nationale et les
populations devant la composer. En d'autres termes, l'enjeu de l'attestation de
l'existence d'une communauté nationale camerounaise auquel tend
l'identité nationale459, peut être remis en cause
singulièrement à cause du déficit d'intégration ou
d'assimilation des hommes à la communauté dans laquelle ils
vivent. Ce qui revient à dire que les ressortissants nigérians
455 Cette idée peut ainsi être illustrée
par le fait que c'est la présence massive et de longue date des
nationaux nigérians sur la presqu'île de Bakassi en l'occurrence
qui a amené le Nigéria à y mettre en oeuvre des
mécanismes d'exercice de sa souveraineté, ce qu'il a
qualifié d' « exercice d'une autorité effective ».
Cf. l'arrêt de la CIJ relative à l'affaire de la
frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria.
456 Le nombre de ressortissants d'un Etat résidant dans
un autre Etat est un facteur déterminant dans la conduite des relations
bilatérales entre eux.
457 Cf. para. 4a de l'annexe 1 de l'accord de Greentree,
relatif au régime spécial transitoire.
458 Luc Sindjoun, « Identité nationale et «
révision constitutionnelle » du 18 janvier 1996 : Comment
constitutionnalise-t-on le « nous » au Cameroun dans l'Etat post-
unitaire ? », Polis, R.C.S.P/C.P.S.R., Vol.1,n°
spécial, Février 1996, p.1.
459 Selon le Pr. Luc Sindjoun, l'enjeu de l'identité
nationale est la construction et la mobilisation « des signes, des actes
et des pratiques attestant de l'existence d'une communauté, d'un groupe
social soudé ou alors faisant croire en l'existence de celle-ci ou de
celui-ci ». Cf. Luc Sindjoun, Ibidem.
134
établis à Bakassi, du fait toujours de leur
nombre élevé, font prospérer de manière fort
significative, non pas l'identité nationale camerounaise, mais celle
nigériane ; avec le risque qu'on assiste à la supplantation de
l'identité camerounaise par celle étrangère.
Paragraphe 2 : LES PERSPECTIVES D'ANCRAGE DE LA
CITOYENNETE CAMEROUNAISE A BAKASSI
Etant donné que selon l'accord de Greentree, le
Cameroun ne peut pas forcer les ressortissants nigérians vivant dans la
presqu'île de Bakassi à quitter la zone ou à changer de
nationalité, la logique de facilitation de l'intégration des
populations étrangères qui y vivent s'inscrit dès lors en
une perspective envisageable. Elle peut tourner autour de la mise sur pied de
mécanismes exceptionnels d'accès à la nationalité
camerounaise d'une part (A), et par l'octroi de droits politiques
limités aux ressortissants nigérians d'autre part (B).
A. La mise sur pied de mécanismes
exceptionnels d'accès à la nationalité
camerounaise
Afin de sauvegarder la connexion entre l'appartenance à
la Nation et la citoyenneté, il importe de mettre en oeuvre des
mécanismes exceptionnels d'accès à la nationalité
camerounaise par les ressortissants étrangers, en dehors de toute
politique de peuplement du territoire de Bakassi par les propres citoyens
camerounais.
La naturalisation des étrangers, en l'occurrence les
ressortissants nigérians, peut ainsi avoir comme fondement le jus
soli460. Le territoire de Bakassi ayant été
rétrocédé au Cameroun, ceux de ses habitants qui ont
manifesté le voeu de demeurer sur ce sol devraient pouvoir avoir la
possibilité d'être naturalisés camerounais ; car en effet,
le droit du sol est l'une des modalités d'attribution de la
nationalité camerounaise461.
De façon pratique, le gouvernement du Cameroun,
à travers son ministère de l'Administration territoriale et de la
décentralisation, peut par exemple initier des campagnes
itinérantes de consultation des populations dans les circonscriptions
territoriales constitutives
460 Le jus soli renvoie à l'attribution de la
nationalité d'après le lieu de naissance de l'individu.
461 Voir l'art. 26 al. a de la loi n° 1968-LF-3 du 11 juin
1968, portant code de la nationalité camerounaise.
135
de la péninsule de Bakassi en vue de recueillir leur
avis quant à leur volonté ou non d'accéder à la
nationalité camerounaise. Au vu des résultats de ces
consultations, les nigérians qui en exprimeront la volonté, se
verraient reconnaitre le statut de citoyens camerounais, titulaires de droits
et tenus à des devoirs conformément au droit positif
camerounais.
Une politique nationale spéciale de naturalisation des
étrangers permettrait ainsi à termes de régulariser leur
situation. Le faire serait reconnaitre l'importance du phénomène
démographique, qui a selon Emile Durkheim « le statut
d'infrastructure de la vie sociale »462 Cette naturalisation mettrait
ainsi fin à l'ambiguïté qui caractérise la
citoyenneté à Bakassi, qui découle du fait que des
ressortissants nigérians, bien qu'ils aient en réalité le
statut juridique d'étrangers, ne sont pas pour autant traités
comme tels dans les faits. En effet, il ne leur est pas exigé de
justifier d'un permis de séjour ou de résidence en territoire
camerounais.
En outre, la naturalisation par des voies exceptionnelles de
certains individus vivant dans la péninsule s'avère
nécessaire au regard de la prévention des risques d'apatridie. En
effet, il convient de relever que la situation sécuritaire qui
prévalait à Bakassi, marquée à une période
donnée par un affrontement militaire entre le Cameroun et le
Nigéria, a certainement pu rendre difficile, sinon impossible
l'enregistrement des naissances par l'un ou l'autre de ces Etats. De la sorte,
il se dessine le spectre d'une profonde difficulté quant à la
détermination de la citoyenneté des personnes nées
à Bakassi pendant la période de son occupation par les forces
armées et de police nigérianes de décembre 1993 à
août 2008463.
Le recensement des personnes nées pendant la
période sus indiquée doit participer de la clarification de leur
statut et de la facilitation éventuelle de leur naturalisation. Cette
démarche obéirait de toutes les façons aux prescriptions
de la Convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas
d'apatridie, qui dispose que : « Tout Etat contractant accorde sa
nationalité à l'individu né sur son territoire et qui,
autrement, serait apatride »464.
Toutefois, la naturalisation des étrangers de Bakassi
n'est pas le moyen ultime.
462 Cf. Madeleine Grawitz, Méthodes des
sciences sociales, op. cit. , p. 264.
463 Le 14 août est la date de tenue d'une
cérémonie officielle à Calabar symbolisant le retrait
définitif l'armée nigériane et le transfert
d'autorité au Cameroun sur la péninsule de Bakassi. Même si
le 14 août 2006 s'était tenue dans la localité d'Akwa une
cérémonie marquant le retrait partiel de l'armée
nigériane.
464 Voir l'art.1er de la convention de l'ONU du 30
août 1961 sur la réduction des cas d'apatridie.
136
B. L'octroi de droits politiques limités aux
ressortissants nigérians
En vue de consolider l'appartenance légale de Bakassi
au Cameroun et, dissiper par-là l'impression que cette zone est
camerounaise moins par la population que par le territoire, il est
nécessaire de mettre en oeuvre l'imprégnation de
l'identité camerounaise chez ceux des ressortissants nigérians
qui ont décidé de conserver leur nationalité. Cela est en
effet possible par le dépassement du paradigme de la nationalité
et de la citoyenneté comme facteurs d'exclusion dressant des limites
à la participation politique de certains individus au sein de la
communauté465. Ce qui suivrait serait la définition
d'une citoyenneté de résidence subsidiaire exceptionnellement
pour la zone de Bakassi.
Dans cet ordre d'idées, loin de souscrire
forcément à l'idée selon laquelle « la
nationalité ne saurait continuer à servir de critère
d'appréciation de l'appartenance au cercle des citoyens politiques
»466, l'octroi de droits politiques limités, notamment
le droit de vote, à ces étrangers semble
envisageable467 ; car, comme l'affirme Andres Hervé, «
le droit de vote des étrangers permettrait de favoriser
l'intégration, et serait la première marche d'un processus qui
aboutirait, par exemple, à la naturalisation »468.
Au demeurant, la définition de droits politiques au
profit des ressortissants étrangers à Bakassi devrait
obéir à divers critères :
D'abord le critère de résidence et de sa
durée, qui se justifierait par le fait qu'un grand nombre
d'étrangers nigérians sont nés à Bakassi et/ou y
sont établis depuis de nombreuses années ; ce qui fait à
ce propos de la notion d'étranger une notion difficile à cerner
dans ce cas précis 469 . En vertu du critère de la
durée de la résidence, plusieurs contours sont
465 Lire à ce propos Jean Leca, « La
citoyenneté entre la nation et la société civile »,
dans Dominique Colas, Claude Emeri, Jacques Zylberberg (dir.),
Citoyenneté et nationalité. Perspectives en France et au
Québec, Paris, PUF, 1991, p. 479.
466Cf. Sandrine Maillard,
L'émergence de la citoyenneté sociale européenne,
op. cit., p. 423.
467 Historiquement, cette hypothèse fut
consacrée en France par la Constitution montagnarde, jamais
appliquée, du 24 mai 1793. Son art. 4 accordait des droits politiques
à « tout étranger âgé de vingt et un ans
accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de
son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une
Française, ou adopte un enfant... ». Par la suite, les droits de
vote et d'éligibilité ont été accordés aux
étrangers dans plusieurs pays, notamment l'Irlande en 1963, le Danemark
en 1981 et les Pays-Bas en 1985.
468 Hervé Andres, « Le droit de vote des
étrangers. Etat des lieux et fondements théoriques », op
cit. , p. 227.
469 Il est évident que l'essentiels des ressortissants
nigérians vivant dans la presqu'île de Bakassi ne se
considèrent pas comme étant des étrangers dans ce
territoire, compte tenu du fait qu'ils y sont nés et qu'ils ont
été pendant plusieurs années soumis à
l'autorité de leur Etat d'origine, le Nigéria en l'occurrence.
Logiquement on n'est pas étranger dans un territoire administré
par des autorités de son pays d'origine.
137
envisageables. Premièrement, les droits politiques sus
évoqués ne doivent être que l'apanage des ressortissants
nigérians qui sont nés dans cette zone et qui y justifient d'une
résidence continue.
Deuxièmement, pour ceux des ressortissants
nigérians qui ne sont pas nés à Bakassi, mais qui s'y sont
installés à un moment donné, la durée de la
résidence nécessaire peut donc être
déterminée à partir de certains points de
référence tous liés aux principales séquences du
dénouement diplomatico-judiciaire du conflit ayant opposé le
Cameroun au Nigéria470. En tout état de cause, le
cadre temporel devant être retenu dans ce cadre ne doit pas être
postérieur à la date de l'acquisition par le Cameroun de sa
pleine souveraineté sur le territoire de Bakassi, c'est-à-dire le
14 août 2013.
Ensuite, le critère de la nature de l'élection
porte sur la représentation des ressortissants nigérians à
l'échelon de l'élection municipale au maximum. Ce scrutin est en
général le degré le plus élevé de
représentation politique des ressortissants étrangers dans leur
pays d'accueil471. Même l'union européenne, en
dépit du niveau avancé de l'intégration entre ses pays
membres n'a pas consacré mieux que cela, à l'exception des
élections européennes472.
Enfin, le critère de l'éligibilité ou
non. A ce sujet, le droit d'éligibilité peut consister en la
fixation d'un quota maximal de représentation des ressortissants
nigérians au sein de l'organe délibérant de la
commune473. Un droit à l'éligibilité de
portée limitée, marqué par un accès ouvert d'une
part au conseil municipal, et fermé d'autre part aux fonctions de chef
ou d'adjoint de l'exécutif communal.
470 Les différentes séquences du conflit
frontalier entre le Cameroun et le Nigéria sont constituées dans
un ordre chronologique par la décision de la CIJ le 10 octobre 2002, la
signature de l'accord de Greentree le 12 juin 2006, l'accord de Calabar du 14
août 2008 et la fin du régime spécial transitoire le 14
août 2013.
471 Dans cette optique les scrutins présidentiel et
législatif et les référendums sont exclus de ce champ.
472 Le traité de Maastricht du 7 février 1992
prévoit en effet que les citoyens de l'Union disposent d'un droit de
vote et d'éligibilité pour les élections municipales et
européennes dans l'Etat membre où ils résident et dont ils
ne sont pas ressortissants.
473 Le quota maximal légalement défini devrait
dans ce sens correspondre à un nombre de conseillers bien
déterminé à l'avance, sur la base du nombre total de
conseillers que compte la commune en question.
138
Conclusion du chapitre
Au Cameroun, la déconnexion du lien traditionnel entre
appartenance à la Nation et citoyenneté découle de deux
phénomènes différents.
L'interdiction de la double nationalité instaure un
schisme, elle montre en effet que la citoyenneté et la
nationalité sont bâties autour de principes figés et
endurcis dont le rendement a été ni plus ni moins que
l'expurgation des camerounais d'origine du berceau de leurs ancêtres.
Pourtant la force transcendante que véhicule l'idée de Nation est
restée agissante chez ces derniers. Dès lors, pour recoller les
morceaux de la citoyenneté brisée, la reconnaissance de la double
nationalité se présente comme un enjeu de taille qui viendrait
par ailleurs réconcilier une Nation et ses enfants, c'est-à-dire
les camerounais d'origine ; afin que, plus que jamais, les auspices de
rassemblement de tous les fils et filles de la Nation autour d'un destin commun
soient promus.
Par ailleurs, le démantèlement du lien
citoyenneté nationalité est scruté dans la faiblesse de
l'ancrage à la fois de la nationalité et de la citoyenneté
camerounaises à Bakassi qui, du fait de l'imposante démographie
nigériane dans cette zone, sont désormais placées sur une
sorte de qui-vive. C'est la raison pour laquelle elles doivent
bénéficier d'une attention tout à fait
particulière, car il y va de la préservation de la
souveraineté du Cameroun sur ce territoire. Dans ce sens, il s'ouvre
bien de perspectives ouvertes à la citoyenneté et à la
nationalité à Bakassi doivent toutes, au-delà de tout,
concourir à promouvoir l'identité nationale camerounaise.
139
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE
En somme, il faut souligner que la citoyenneté
camerounaise, inscrite dans une inéluctable dynamique évolutive,
a connu et connait encore des fortunes diverses. Entre fragmentation et
désagrégation, elle apparait plus que jamais exposée
à la force des vents des changements politiques, juridiques, sociaux et
culturels.
D'une part, la citoyenneté a connu une inflexion vers
la différenciation. Cette orientation s'inscrit dans une logique plus ou
moins contradictoire ; car elle se situe d'une part aux antipodes des
aspirations de construction de la démocratie et d'érection d'une
République forte où les citoyens revêtent un visage et des
attributs identiques ; d'autre part, la différenciation s'inscrit comme
une étape de la construction de ladite citoyenneté.
Toujours dans une logique dynamique, la citoyenneté est
désormais sur le coup de se détacher d'un de ses plus forts
alliés, à savoir l'appartenance à la Nation. Laquelle est
entendue comme le lien de nationalité. Cette occurrence a pour effet de
bouleverser véritablement les fondations de la Nation camerounaise, dont
le chantier de la construction n'est pas encore achevé. Dans cette
situation, la citoyenneté se fraye difficilement un chemin ; car en
fait, elle ne peut manquer de subir les balbutiements et les lacunes qui
marquent la construction de l'Etat-nation camerounais.
140
CONCLUSION GENERALE
L'entreprise de caractérisation de la
citoyenneté en droit constitutionnel camerounais nous a amené
à décrypter les voies par lesquelles elle est prise en charge.
Employée dans l'oeuvre de conceptualisation de la citoyenneté, il
nous a semblé judicieux d'inscrire notre étude dans une vision
holistique ; ce qui a permis certes d'aborder les aspects parcellaires de la
citoyenneté, tout en essayant cependant de les dépasser et de les
synchroniser.
La citoyenneté est le produit d'une construction
historique qui est partie de l'émergence de la flamme de la conscience
citoyenne du sujet indigène et s'est poursuivie au fil des
aménagements textuels. Elle émerge véritablement à
l'aube de l'accession de l'Etat à la souveraineté internationale.
Dès lors, sa saisine et son encadrement par le constitutionnalisme
naissant furent immédiats. D'ailleurs, il faut souligner à ce
propos que l'intégration de la citoyenneté dans le processus de
renforcement des bases du nouvel Etat était nécessaire ; car la
citoyenneté « revêt un statut de primauté dans toutes
les fins [...] sociétales »474.
En ce sens, au regard du constitutionnalisme camerounais, la
citoyenneté se caractérise par un ancrage
certain475.
Dans un premier temps, les différentes constitutions
ont bâti et renforcé au fil du temps un arsenal juridique des
droits et devoirs du citoyen, qui a connu un enrichissement notoire à la
suite de l'avènement des courants démocratiques et des droits et
libertés fondamentales. A ce niveau seulement, l'essentiel, ou encore,
le squelette de la citoyenneté est perceptible.
Mais, le constituant a aussi voulu attribuer à la
citoyenneté un rôle encore plus fonctionnel476. C'est
dans ce sillage que nous avons montré comment elle est promotrice de
l'intérêt général, car il n'existe pas de
citoyenneté pour la citoyenneté. Cette dernière ne sera
utile que si elle permet de sauvegarder les acquis du vivre ensemble. Lesquels,
dans le
474 Alain Didier Olinga, « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit., p. 155.
475 Alain Didier Olinga dans « Le citoyen dans le cadre
constitutionnel camerounais », op. cit. , parle dans de ce sens
du citoyen comme étant au « coeur du constitutionnalisme
camerounais ».
476 Malinowski étudie la notion de fonction à
travers le postulat du système social global, dans lequel ses
éléments remplissent chacun un rôle et sont
interdépendants. Voir Madeleine Grawitz , op. cit., p. 242.
141
contexte camerounais, se résument en l'unité
nationale et la République des valeurs fondamentales transcendantes des
aspirations communautaires ethno régionales entre autres.
Par rapport à cette mission suprême, nous avons
pu identifier la connexion entre l'intérêt général
et la société civile. Analysant le déploiement de cette
dernière, l'on s'est aperçu que son action déterminante
permet de faire ressortir les avantages de la citoyenneté collective. En
effet, en tant la société civile se place à la fois dans
la posture de porte-parole des citoyens et d'interlocuteur des gouvernants.
Analysant par ailleurs la portée du lien
indéniable entre la citoyenneté et l'intérêt
général, nous avons pu constater sa déstabilisation par la
montée de l'individualisme au Cameroun. Désormais la
citoyenneté est en crise ; sa perte de vitesse semble être due
aussi au dévoiement de la participation politique. Il s'en suit que la
recapitalisation de la citoyenneté doit passer par l'ouverture constante
de possibilités de participation citoyenne.
En outre, pour montrer le caractère dynamique de la
citoyenneté en droit constitutionnel camerounais, nous avons
recensé les éléments qui ont ou sont susceptibles de
modifier ses bases structurantes telles que l'égalité,
l'universalité et l'appartenance à la Nation.
De là, nous avons montré le caractère
différencié de la citoyenneté, qui instaure dès
lors le paradoxe dans l'idée de République.
Sous ce prisme, nous avons démontré l'implosion
de la citoyenneté républicaine par la consécration des
minorités et des populations autochtones. Relevant au préalable
que cette reconnaissance participait d'une certaine accommodation à la
diversité sociologique et culturelle qui caractérise le Cameroun,
il a été démontré à termes que cela a
gravement désagrégé la citoyenneté. En ce sens, en
relevant l'imprécision constitutionnelle des notions de minorité
et de populations autochtones, comme traductrice d'une réserve du
constituant, nous avons par ailleurs soutenu l'idée du
démantèlement de la règle fondamentale de
l'égalité en droits des citoyens par l'existence de divers
mécanismes de discrimination positive.
Par ailleurs, pour montrer que la citoyenneté ne se
caractérise pas par une certaine homogénéité, nous
avons identifié dans le droit électoral des
éléments de distanciation entre les citoyens. Cela nous a permis
de constater d'une part que l'égalité des citoyens en sort
atténuée, privant un certain nombre d'individus de la
plénitude la citoyenneté.
142
Au demeurant, nous avons analysé l'évolution
difficile de la citoyenneté, déconnectée, qu'elle est
devenue, de l'appartenance à la Nation. Cette déconnexion en
effet, apparait sous deux visages.
Premièrement, la négation de l'appartenance
à la nation des camerounais d'origine est appréhendée
comme un facteur d'exclusion. Mais par la démonstration du rattachement
patent, liée à leur origine, nous avons abouti à la
conclusion que le refus de la double nationalité était
anachronique et que la perspective logique serait la reconnaissance de la
citoyenneté hybride par la voie de la double nationalité.
Dans le même cadre, la situation démographique
qui prévaut dans le territoire camerounais de Bakassi, marquée
par la forte démographie nigériane, serait susceptible de
déboucher sur une confusion réelle. En effet, se prévaloir
opportunément de la nationalité camerounaise sans pour autant se
sentir camerounais dans son affect, remet en cause la substance du sentiment
d'appartenance à la Nation. C'est pourquoi, nous avons
suggéré des pistes par lesquelles la garantie de
l'intégrité de la citoyenneté camerounaise pourrait se
faire.
A la fin, il est à noter que la thématique de la
citoyenneté reste un objet d'étude important, d'autant qu'elle se
construit tous les jours au gré des évolutions de l'Etat.
143
ANNEXES
Annexe 1 : Proposition de loi modifiant et
complétant la loi no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code
de la nationalité camerounaise.
Annexe 2 : Lettre des députés au
Président de la République Paul Biya en vue de la réforme
de la no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la
nationalité camerounaise.
144
Annexe 1 : Proposition de loi modifiant et
complétant la loi no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code
de la nationalité camerounaise.
142
Annexe 2 : Lettre des députés au
Président de la République Paul Biya en vue de la réforme
de la no 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la
nationalité camerounaise.
143
144
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146
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IV- THESES ET MEMOIRES
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étrangers. Etat des lieux et fondements théoriques,
Thèse de doctorat de l'université de Paris 7 Denis Diderot,
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d'acte administratif au Cameroun, Thèse de doctorat de
l'université de Yaoundé II Soa 2010, 753p.
· MORTIER (P.), Les
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de l'université d'Angers, 2011, n° 1125, 473 p.
· SOBZE (S. F.), La dignité
humaine dans l'ordre juridique africain, thèse de doctorat de
l'université de Yaoundé II-Soa, 2013, 573 p.
V- SUPPORTS METHODOLOGIQUES
· BEAUD (M.), L'art de la
thèse, Paris, coll. Grands répères, La
découverte, 5e éd., 2006, 202p.
·
154
GRAWITZ (M.), Méthodes des
sciences sociales, Paris, Dalloz, 11e éd, 2001, 1019
p.
VIII- JURISPRUDENCE
· Affaire Ndongo née Mbonzi Ngombo, CS/CA du 27
octobre 1994.
· Avis consultatif de la CIJ sur la réparation
des dommages subis au service des Nations Unies du 11 avril 1949.
· Arrêt de la CIJ du 10 octobre 2002 sur l'affaire
de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
Nigéria.
IX- TEXTES OFFICIELS
A. Textes internationaux
· Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
du 26 juin 1981.
· Accord de Calabar du 14 août 2008 entre le
Cameroun et la République fédérale du Nigéria sur
le retrait et de transfert d'autorité.
· Accord de Greentree entre la république du
Cameroun et la république fédérale du Nigeria concernant
les modalités de retrait et de transfert d'autorité dans la
presqu'ile de bakassi du 12 juin 2006.
· Convention n° 989 U.N.T.S. 175 sur la
réduction des cas d'apatridie, adoptée par l'Assemblée
Générale des nations unies, le 30août 1961.
· Déclaration universelle des Droits de l'Homme
du 10 décembre 1948.
B. Constitutions
· Constitutions camerounaises du 04 mars 1960 et du
1er septembre 1961 et du 02 juin 1972.
· Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant
révision de la constitution du 02 juin 1972 modifiée et
complétée par loi n°2008/001 du 1 4 avril 2008.
· Constitution des Etats-Unis d'Amérique.
·
155
Constitution tchadienne du 31 mars 1996.
· Constitution togolaise de 2002.
· Constitution de la République du Congo du 20
janvier 2002.
C. Lois
· Loi no 2004/017 du 22 juillet 2004 portant
orientation de la décentralisation.
· Loi n° 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les
règles applicable aux communes
· Loi no 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les
règles applicables aux régions.
· Loi no 2012/001 du 19 avril 2012 portant code
électoral du Cameroun.
· Loi 68 / NF/13 du 11 juin 1968 portant code de la
nationalité au Cameroun.
· Loi no 90/053 du 19 décembre 1990
relative à la liberté de réunion et d'association.
· Loi no 90/052 du 19 décembre 1990
relative à la liberté de la communication sociale.
· Loi no99/014 du 22 décembre 1999
régissant les organisations non gouvernementales.
D. Décrets et arrêtés
· Décret no 2000/158 du 03 avril 2000,
fixant les conditions et les modalités de création et
d'exploitation des entreprises de communication audiovisuelle.
· Décret n° 94/199 du 07 octobre 1994 portant
Statut Général de la Fonction Publique de l'Etat, modifié
et complété par le décret n° 2000/287 du 12 octobre
2000.
· Décret no 2000/696/PM du 13 septembre
2000 fixant le régime général des concours administratifs
au Cameroun.
156
TABLES DE MATIERES
INTRODUCTION GENERALE 1
I. DETERMINATION DU SUJET 2
A. Précisions terminologiques 2
1. La notion de citoyenneté 2
2. Citoyenneté et nationalité 4
B. Les cadres théorique et spatio-temporel de
l'étude 7
1. Le cadre théorique du sujet . 7
2. Le cadre spatio-temporel 8
II. L'INTERET DE L'ETUDE 9
III. LA METHODE RETENUE PAR L'ETUDE . 10
A. Le positivisme juridique . 10
B. Le positivisme sociologique 11
IV. LA PROBLEMATIQUE .. 12
V. L'ANNONCE DU PLAN 13 PREMIERE PARTIE : L'ANCRAGE
CONSTITUTIONNEL DE LA
14
CITOYENNETE AU CAMEROUN
CHAPITRE I : LE REGIME DES DROITS ET DEVOIRS
ATTACHES
16
A LA CITOYENNETE
SECTION I : LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DES
DROITS
17
ATTACHES AU STATUT DU CITOYEN
Paragraphe 1 : Les droits et libertés civils et politiques
du citoyen camerounais 17
A. Les droits et libertés civils du citoyen . 18
1. Les libertés physiques 18
2. Les libertés intellectuelles ou de l'esprit 20
a) La liberté de réunion et d'association 20
b) La liberté de communication 21
c) La liberté de culte . 22
157
B. Les droits politiques du citoyen 23
1. Le droit de vote 23
2. Le droit à l'éligibilité 25
Paragraphe 2 : Les droits économiques, sociaux et
culturels du citoyen 28
A. Les droits économiques du citoyen . 28
1. Le droit de propriété 28
2. Le droit au travail 30
3. La liberté d'entreprendre . 31
B. Les droits sociaux 31
1. Le droit à la santé 32
2. Le droit à l'éducation . 33
C. Les droits culturels du citoyen . 34
SECTION II : LA PRESCRIPTION DE DEVOIRS A LA CHARGE DU CITOYEN
.. 36
Paragraphe 1 : Les devoirs du citoyen au plan socio politique
. 36
A. L'obligation de respect de la loi 37
1. Les citoyens comme auteurs de la loi . 37
2. Le respect de la loi comme la garantie d'une vie sociale
organisée 39
B. Le devoir de défense de la patrie 40
1. La formulation théorique du devoir de
défense 40
2. Les aspects du devoir de défense de la patrie
41
Paragraphe 2 : Les devoirs du citoyen au plan
économique 43
A. Le devoir de payer les impôts . 43
B. Le devoir de travailler 45
CONCLUSION DU CHAPITRE 47
CHAPITRE II : LA CONSECRATION D'UNE CITOYENNETE PROMOTRICE
DE
|
48
|
L'INTERET GENERAL
SECTION I : LA CENTRALITE DU LIEN CITOYENNETE-INTERET GENERAL
49
Paragraphe 1 : La construction de l'intérêt
général autour de l'idéal d'unité nationale ..
49
A.
158
La nation comme communauté de citoyens 50
B. Les valeurs comme socle de la citoyenneté collective
52
1. Les valeurs consacrées par le préambule de la
constitution 52
a). La fraternité 52
b). La justice . 54
2. Les valeurs contenues dans la devise de l'Etat . 55
Paragraphe 2 : La connexité entre l'intérêt
général et l'action de la société civile 56
A. La formulation du lien 57
B. Les mécanismes de promotion de l'intérêt
général par la société civile 59
1. L'information et la communication 59
2. Le plaidoyer 61
3. Le contrôle de la gestion des affaires publiques .
62
SECTION II : LE DENI DE CITOYENNETE PAR LES
ATTEINTES
63
A L'INTERET GENERAL .
Paragraphe 1 : L'individualisme comme une atteinte à la
citoyenneté républicaine .. 63
A. Les dérives de l'individualisme au Cameroun . 64
1. La déstructuration des rapports du citoyen à la
société globale : le dépérissement
64
des valeurs collectives
2. La « privatisation » du service public 66
B. La remise en cause de la cohésion sociale 67
Paragraphe 2 : La réalisation de l'intérêt
général au travers de la participation politique..... 68
A. La participation politique comme un moyen de prise en main
69
de l'intérêt général par le citoyen
.
1. L'enjeu . 69
2. Les limites 71
B. De nouvelles perspectives de participation politique à
l'aune
72
de la décentralisation au Cameroun .
CONCLUSION DU CHAPITRE . 74
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 75
SECONDE PARTIE : LE DYNAMISME DE LA CITOYENNETE EN DROIT
76
CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS
159
CHAPITRE I : LA CITOYENNETE DIFFERENCIEE 78
SECTION I : LA RECONNAISSANCE DES MINORITES ET DES POPULATIONS
AUTOCHTONES 78
Paragraphe 1 : Du souci de l'objectivation de la diversité
culturelle à l'émergence
d'une citoyenneté à double vitesse . 79
A. La dynamique assimilation-différenciation 79
B. Minorités et population autochtones : catégorie
de citoyens sui generis 83
1. L'imprécision constitutionnelle des notions de
minorités
et de populations autochtones . 83
a). S'agissant de la notion de minorité . 84
b). S'agissant de la notion d'autochtones 85
2. La fragmentation de la citoyenneté républicaine
. 87
Paragraphe 2 : la fragmentation de la citoyenneté au
travers
de la discrimination positive 90
A. Le principe d'égale admissibilité aux emplois
publics 90
1. La réception du principe en droit national 90
2. Le contenu du principe proprement dit . 91
B. Le principe d'égale admissibilité aux emplois
publics à l'épreuve
de la règle de l'équilibre régional
92 SECTION II : LA DIFFERENCIATION DE LA CITOYENNETE
AU TRAVERS DU DROIT ELECTORAL 95 Paragraphe 1 : Les
découpages électoraux comme source d'exercice
inégalitaire
de la souveraineté 95
A. L'usage politique de la technique du découpage
électoral spécial . 96
B. L'exercice inégalitaire de facto de la
souveraineté 98
Paragraphe 2 : L'existence de distinctions entre les citoyens par
le droit à l'éligibilité . 101
A. Les cas d'inéligibilité liés à la
qualité de citoyen d'adoption 101
1. L'inéligibilité absolue des citoyens
d'adoption aux élections présidentielle
et sénatoriale . 102
160
2. La période de probation, préalable à la
jouissance par les citoyens d'adoption
103
du droit à l'éligibilité aux autres
élections politiques
B. Les disparités entre citoyens inhérentes
à la candidature indépendante aux élections 105
1. L'exclusion de la candidature indépendante aux
élections locales 105
2. Les pesanteurs de la candidature de la candidature
indépendante à l'élection
106
présidentielle .
CONCLUSION DU CHAPITRE 108
CHAPITRE II : LA DISSOCIATION DU LIEN ENTRE APPARTENNACE
109
A LA NATION ET CITOYENNETE ..
SECTION I : L'INTERDICTION DE LA DOUBLE NATIONALITE 109
Paragraphe 1 : L'infléchissement de la Nation du fait de
l'interdiction de la double
nationalité 109
A. La négation de l'appartenance des camerounais d'origine
à la Nation . 110
1. Le contenu de l'interdiction de la double nationalité
110
2. Les probables raisons de l'interdiction de la double
nationalité 111
B. La matérialisation concrète de l'appartenance
des camerounais d'origine à la Nation 113
1. La persistance du lien affectif . 114
a). L'origine camerounaise comme fondement du lien affectif
114
b). La manifestation du lien affectif 116
2. L'expression du lien de solidarité . 118
Paragraphe 2 : Les implications d'une éventuelle
reconnaissance de la double
120
nationalité au Cameroun
A. La réintégration dans la nationalité
camerounaise . 121
B. Les axes d'aménagement de la double citoyenneté
123
1. La garantie de l'allégeance des citoyens
binationaux
123
à l'égard de l'Etat du Cameroun .
2. Les aménagements relatifs à la protection
diplomatique 124 SECTION II : LE FAIBLE ENRACINEMENT DE LA NATIONALIT
161
CAMEROUNAISE DANS LA PRESQU'ILE DE BAKASSI 12 6
Paragraphe 1 : La perméabilité de la
nationalité camerounaise dans la presqu'île de Bakassi 126
A. Les risques d'infiltration de la citoyenneté
camerounaise 126
B. La nationalité camerounaise à l'épreuve
de la forte démographie nigériane à
Bakassi : Les enjeux 129
1. Les enjeux propres à l'Etat et aux ressortissants
nigérians 129
2. Les enjeux liés à l'Etat du Cameroun 132
Paragraphe 2 : Les perspectives d'ancrage de la
citoyenneté camerounaise à Bakassi . 134
A. La mise sur pied de mécanismes exceptionnels
d'accès à la nationalité
camerounaise . 134
B. L'octroi de droits politiques limités aux
ressortissants nigérians 136
CONCLUSION DU CHAPITRE . 138
CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE . 139
CONCLUSION GENERALE .. 140
ANNEXES . 143
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 147
TABLE DES MATIERES 154
|