SECTION 2 : LA LIBERALISATION FINANCIERE DANS LES
FAITS : UNE REVUE DE QUELQUES TRAVAUX EMPIRIQUES
De la théorie à la pratique, la
réalité peut s'avérer différente. Ce fut
précisément le cas lors des premières expériences
de la libéralisation financière marquées par des crises
bancaires. Dans cette section il sera question de revenir sur les
premières expériences de la libéralisation
financière (I) et de passer en revue les travaux empiriques sur l'effet
de la libéralisation financière sur la croissance
économique (II).
I- Les leçons tirées des
premières expériences de la libéralisation
financière
Si les recommandations de Mc Kinnon (1973) et Shaw (1973) ont
suscité une vive euphorie et une grande adhésion, les auteurs
s'accordent à dire que la réalité de leur application a
été très décevante. Dans la plupart des pays en
développement où la libéralisation financière fut
expérimentée dès les années 70, il s'en est suivi
des épisodes de crises bancaires (Gamra et Clévenot,
2006 ;Miotti et Plihon, 2001 ; Venet, 1994 ; Eggoh, 2009).
Pourtant la libéralisation financière apparaissait comme une voie
de sortie aux nombreuses crises qui secouaient ces pays, et un moyen simple et
efficace de les conduire vers le développement. La
sévérité des crises a été variable en
fonction des pays, selon les modalités d'application et la profondeur de
la libéralisation financière. Dans les pays d'Amérique
latine où la libéralisation financière a été
totale (Mexique, Argentine, Chili), les crises ont été plus
sévères ; par contre elles ont été
modérées dans les pays d'Asie (Corée du Sud, Taiwan)
où la libéralisation a été partielle (Venet, 1994).
Selon Gamra et Clévenot (2008), le nombre de crises a quadruplé
à partir de la fin des années 1970 pour atteindre 18 crises
pendant les années 1980. Et vers la fin des années 90 ce nombre
est passé à 23.
A- La version totale de la
libéralisation financière en Amérique latine
C'est en Amérique latine que le processus de
libéralisation a débuté, au milieu des années 70,
pour les pays émergents. Il a été accompagné par
l'apparition de crises bancaires vers la fin de la décennie et au cours
des années 1980 malgré le ralentissement de la tendance de la
libéralisation en réaction à la crise de la dette pendant
la même période. Nous allons prendre le cas du Mexique et du
Chili.
1- Le cas du chili
Le Chili amorce sa libéralisation financière au
début des années 70. Au plan interne elle a consisté
à l'abandon de la fixation des taux d'intérêt. La
libéralisation des taux d'intérêt s'accompagna d'une
privatisation des banques publiques, de la disparition de toute espèce
de restriction à l'entrée dans le secteur (suppression du capital
social minimum) et, plus généralement, de toutes les formes de
surveillance de l'activité bancaire par les Autorités
Monétaires. Au niveau externe, toutes les restrictions à
l'entrée ou à la sortie de capitaux furent abolies. Les
résultats furent catastrophiques, se matérialisant par des
faillites bancaires en cascade dès les premiers mois. La privatisation
ne permit pas l'émergence de la concurrence dans le secteur bancaire. En
1982, les deux plus grandes entreprises chiliennes contrôlaient les
principales compagnies d'assurance, les principaux fonds mutuels et les deux
plus grandes banques commerciales du pays. Le gouvernement fut contraint de
prendre une série de mesure pour limiter les effets. Ainsi il fut
instauré à nouveau un capital social minimum. Par ailleurs le
gouvernement annonçant qu'aucune banque en situation de faillite latente
ne recevrait l'appui de la banque centrale en tant que prêteur en dernier
ressort, il fut obligé de revenir sur sa position suite à
l'enlisement de la crise dans les années 1977 (Venet, 1994). En effet
l'une des plus grosses banques se trouvant en difficulté, l'Etat a
craint que la faillite d'une banque de telle envergure n'affecte la confiance
des déposants. Ce qui pouvait être terriblement fatal pour le
secteur bancaire chilien. Plus grave, la crise s'est étendue
au-delà du cadre bancaire pour toucher même les entreprises.
D'importantes entreprises ont ainsi fait faillite de 1974 à 1982.
D'après une étude de Burkett et Dutt (1991), le
processus de libéralisation financière entrepris au Chili n'a
permis ni la croissance de l'investissement ni la croissance économique.
L'épargne constituée, conséquence de la hausse des taux
d'intérêt, s'orienta principalement dans des activités non
productives : importation des biens de consommation de luxe, spéculation
sur le marché d'actions.
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