Analyse des crises sociopolitiques dans l'espace CEDEAO de 1990 à 2020: cas du Togo et de la Côte d'Ivoirepar Gnimpale BARTCHE Université de Kara - Master 2022 |
Paragraphe 1 : L'impact au niveau sous régionalLes violences et tueries post-électorales de novembre 2010 au Togo dépassent, de par leur nature et leur ampleur, l'entendement humain; « elles nous font pénétrer de plain-pied dans le monde de la barbarie et de l'animalité la plus sauvage »123. Ces évènements de crise qui ont émaillé le Togo et la Côte-d'Ivoire ont engendré des répercussions sur le reste des pays voisins ou plus encore sur le continent africain. 123 N'GUESSAN Kouamé (2015), Une réflexion récente en Côte d'Ivoire sur le multipartisme et l'ethnicisation de la vie politique : faut-il regretter le parti unique ? Pouvoirs anciens, pouvoirs modernes de l'Afrique d'aujourd'hui. Presses universitaires de Rennes, pp. 169-194, consulté le 28 octobre 2021, http://books.openedition.org/pur/62407 61 Une analyse comparative des conséquences de ces crises révèle des points de divergences et des points de convergences. Contrairement aux conflits que connaissent la plus part des Etats et dont certaines organisations apportent leur soutien tel qu'on l'appelle « aide humanitaire » d'ailleurs jugé insuffisante, la Côte-d'Ivoire a traversé des crises sociopolitiques qui ont engendré de fortes conséquences. A ce propos, il faut noter que face à certaines crises et à leurs impact directs et indirects, « il y a chez ses voisins des pays affectés positivement (Togo, Ghana et dans une moindre mesure Bénin), des pays affectés plus négativement (Mali, Burkina) et des Etats peu affectés (Sénégal, Guinée, Guinée-Bissau, Niger et Liberia) »124. Une crise, même si elle a des conséquences dévastatrices pour certains, elle peut également être bénéfique pour d'autres. Alors que la crise sociopolitique sévissait en Côte-d'Ivoire et que la situation économique était instable, les pays côtiers de la zone UEMOA de leur côté en profitaient. Le Togo, le Ghana et le Bénin avaient vu leurs infrastructures portuaires et côtières fortement sollicitées. En effet, les autorités de ces pays côtiers avaient dans cette crise qui sévissait en Côte-d'Ivoire, imaginé à des politiques susceptibles accroître les capacités portuaire. C'est dans ce sens que : « au Ghana (Tema et Takoradi) on a assisté à l'intensification des pratiques de shifting125 au sein du port mais également à destination des autres ports de la côte ; incitations tarifaires pour réorienter une partie du trafic vers Takoradi afin d'éviter l'engorgement de Tema ; projet de mise à disposition d'un nouveau terminal à conteneurs ; au Togo (Lomé) : projet d'investissement dans un nouveau quai ; construction de deux nouveaux sites à coton ; au Bénin (Cotonou) : projets d'aménagement de nouveaux terre-pleins, projet de transfert du parc à voitures à l'extérieur du port »126. La crise explosée au lendemain du deuxième tour de l'élection présidentielle de 2010 en Côte-d'Ivoire a eu des conséquences sur l'économie béninoise compte tenu de son poids économique dans la zone UEMOA. Une appréciation de ces répercussions sur les performances des entreprises, les conditions de vie des ménages et l'économie dans sa globalité révèle que « les canaux de transmission potentiels de la crise ivoirienne à 124 « La crise ivoirienne et son impact régional : regard sur l'actualité et scénarios pour l'avenir », Afrique contemporaine, vol. 206, no. 2, 2003, pp. 129-150. 125 Le shift, ou travail en shift, est un travail portuaire sans interruption. Sa durée est variable suivant les ports de 6 à 8H d'affilée. 126 « La crise ivoirienne et son impact régional : regard sur l'actualité et scénarios pour l'avenir », Op.cit. 62 l'économie béninoise sont le commerce extérieur, le trafic portuaire, les transferts de fonds des migrants et le système financier »127. Ainsi, sur 417 entreprises sélectionnées sur toute l'étendue du territoire et comprenant aussi bien des grandes et moyennes entreprises que des petites entreprises, il ressort selon le Ministère de l'économie et des finance béninoise qu'une entreprise sur cinq est impactée. Également un autre constat qui est fait est que la grande majorité des entreprises impactées a ressenti l'impact négativement. A contrario, les pays enclavés ont été affecté par la crise ivoirienne de 2010. La suspension de l'approvisionnement de ces pays a entraîné une augmentation du coût des matières premières importées telles que l'acier, tôle, matériaux de construction, et autres. Au Mali, la situation a très vite suscité des réflexions au sein du gouvernement et les opérateurs économiques à travers la Chambre de commerce et d'industrie de Bamako. Le fruit de ces réflexions a été la mise en place d'un plan opérationnel relatif aux échanges commerciaux et aux mouvements des populations victimes de la guerre. En effet ce nouveau plan se résume principalement à un accès à de nouveaux ports pour l'importation et l'exportation de produits, à la recherche de solutions pour l'évacuation des marchandises stockées à Abidjan, où plus de 8 millions de tonnes de marchandises ont été bloquées, à la recherche de nouvelles sources d'approvisionnement en hydrocarbures et matériaux de construction et au retour des immigrés maliens résidant en RCI, où vivaient plus de 2 millions de nationaux. Malgré les mesures prisent par le gouvernement et les opérateurs économiques à travers la Chambre du commerce et de l'industrie du Mali, on note des retombés commerciaux. En effet, « bien que relativement efficaces, ces mesures n'ont pas empêché la montée des prix de certains produits comme le ciment ou les fruits et légumes tropicaux sur les marchés maliens »128. Aussi, « l'exportation vers la RCI de tous les produits maliens, que ce soit pour la consommation ivoirienne ou en transit vers le port d'Abidjan, a été également confrontée à des difficultés »129. Il faut également noter que le BURKINA-FASO n'a pas été épargné par les secousses de cette crise ivoirienne. 127 Ministère de l'économie et des finances béninoises. consulté e ligne le 11 novembre 2021 sur https://www.dgae.finances.bj/wp-content/uploads/2021/05/Impact-de-la-crise-electorale-ivoirienne-sur-leconomie-beninoise.pdf 128 « La crise ivoirienne et son impact régional : regard sur l'actualité et scénarios pour l'avenir », Op.cit. 129 Idem 63 L'impact des crises sociopolitiques au Togo a également secoué la sous-région. En effet, tout comme celles ivoiriennes, ces crises ont été une occasion d'évaluer le rôle de la CEDEAO dans la promotion des valeurs démocratiques. Bien que l'intervention de la CEDEAO ait participé à la résolution des crises dans ces deux pays, il faut noter que plusieurs critiques ont été faites à l'égard de cette institution chargé normalement de la promotion des principes démocratiques. Le poids qu'occupe la Côte-d'Ivoire a également entraîné une légère régression dans le processus d'intégration économique de la CEDEAO. Selon le Professeur Kako Nubukpo, « la crise post-électorale en Côte-d'Ivoire renferme les germes de la disparition du franc CFA et de l'UEMOA »130. Si sur le plan économique il y'a eu des conséquences aussi lourdes pour les pays enclavés, ces pays ont également été la terre d'accueil pour les réfugiés. Les crises togolaises et ivoiriennes ont menacé la vie des populations. Cette tragédie a entraîné des déplacements massifs hors de leurs Etat. Le phénomène de déplacement massif des populations vers d'autres pays en période de crise s'explique par la menace qui pèse sur leur survie. En Côte-d'Ivoire comme au Togo, plusieurs personnes se sont déplacées pour ces raisons. Les autres pays de la sous-région ont été ainsi donc les endroits par excellence des réfugiés. Si ces crises sociopolitiques ont constitué des défis pour la crédibilité de la CEDEAO, il est à souligner que cette dernière a su également joué un rôle important dans leur gestion. Mais le défis ne s'est pas arrêté qu'avec les organisations sous régionales, il l'a été également à l'échiquier international. |
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