2. REVUE DE LITTERATURE
Notre ambition est de répertorier un ensemble
de facteurs à même de nous permettre de construire nos cadres
conceptuels.
D'après Kochen et Deutsch(1980), la
prestation des services est d'autant plus décentralisée que les
relations de communication et de contrôle entre les prestateurs et les
prestataires de services prennent moins de temps et sont plus directes que dans
la centralisation. Cette conception de la décentralisation les a
amenés à définir 8 variables qui à leur sens,
permettent de juger du niveau de décentralisation d'une organisation qui
dispense des services aux publics. Les 8 variables sont les suivantes : la
pluralité, la dispersion, la spécialisation, la
sensibilité, l'aplatissement, la délégation, la
participation courante et la participation reconfigurante. Nous reviendrons en
détails sur ces variables que les auteurs nomment dimensions dans la
section suivante. Nous emprunterons ce cadre pour vérifier notre
première hypothèse.
Valéry Ridde (2005) a relevé 10
logiques d'acteurs dans le cadre de la mise en oeuvre de l'Initiative de
Bamako. Ainsi, dans leur lutte pour le contrôle des ressources, les
différents acteurs, chacun en fonction de sa position et des
bénéfices escomptés, met en pratique les stratégies
susceptibles de lui permettre d'engranger le maximum de profits. Les logiques
sont contenues dans le tableau suivant :
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Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
Tableau 2 : Les dix logiques
repérées
Accaparement
|
Neutra /domination
|
Discours
|
Clientélisme
|
Opacité
|
Connivence
|
Evitement
|
Suspicion
|
Substitution
|
Mépris du service public
|
Source : Ridde, 2005
Ce cadre nous semble bien pertinent et pourra nous
aider à analyser le jeu des acteurs dans la mise en oeuvre de la
décentralisation sanitaire.
Selon Walt et Gilson (1994), les facteurs
à prendre en compte dans l'analyse des politiques publiques sont au
nombre de quatre : le contenu des politiques, les stratégies
d'implantation, le contexte dans lequel elles se déroulent et enfin les
acteurs affectés ou influents par rapport à cette nouvelle
politique.
Le contenu des politiques fait référence
à la nature des solutions pour venir à bout des problèmes
qui ont fait l'objet de la formulation de la politique. Dans le cas particulier
de notre étude, la politique de décentralisation est un
concentré de solutions aux diverses difficultés que traverse le
secteur de la santé. Aussi, faut- il que les solutions proposées
soient capables d'apporter les changements souhaités et indispensables.
Généralement, on constate que dans beaucoup de pays du sud, les
solutions ne s'adaptent pas aux problèmes pour lesquels elles ont
été formulées, car importées d'ailleurs, loin des
réalités locales.
Les stratégies d'implantation comprennent
l'ensemble des mesures et dispositions qui doivent être prises pour la
mise en oeuvre de la politique. Ces dispositions et mesures doivent permettre
d'atteindre les objectifs visés. Il est souvent fait
référence aux stratégies « top-down ou bottom-up
» (voir Sabatier 1986, Hill 1997 cités par Ridde, 2005). Une autre
distinction originale a été proposée par Elmore (1979 ;
1982) autour de deux approches différentes. D'un côté, il y
a le « forward mapping » laissant penser que les dirigeants
contrôlent l'ensemble du processus d'implantation qui se déroule
conformément aux attentes initiales. De l'autre côté, il
est possible
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Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
de concevoir la mise en oeuvre au regard des
comportements des personnes pour qui les politiques publiques sont
implantées afin de répondre à leurs besoins, soit le
« backward mapping », partant du principe que « that is not the
policy or the policymaker that solves the problem, but someone with immediate
proximity » (Elmore 1979, p 612) (cité par Ridde, 2005, p
23).
Le contexte concerne les aspects sociaux,
économiques, technologiques, politiques et organisationnels de la
réforme. Selon le contexte, des occasions seront offertes et des
contraintes pèseront sur les modalités de la mise en oeuvre
(Monnier 1992). Nous choisirons ce modèle pour la vérification de
notre deuxième hypothèse pour cause.
Les éléments qui forment ce cadre nous
semblent à même de nous permettre d'expliquer la mise en oeuvre de
la politique de décentralisation. En effet, nous soupçons que les
contenus de cette politique, imposée plus ou moins par des «
opérateurs politiques internationaux » conviendraient peu aux
attentes de certains acteurs clés, ce qui ne va manquer de jouer sur
leur participation au processus. Aussi, la littérature informe que
l'échec de nombre de politique est imputable au choix de
stratégies d'intervention ; il leur est reproché d'être
inadaptées au contexte, exorbitant au niveau des coûts pour ne
citer que ces exemples. Il va de soi que les stratégies d'intervention
ne sont pas sans conséquence sur la réussite d'une politique. En
outre, la mise en oeuvre des politiques dans les pays africains mobilise un
nombre important d'acteurs, comme c'est le cas avec la décentralisation
du système de santé du Burkina.
C'est le jeu des acteurs qui fait en partie que dans
la mise en oeuvre des politiques, on s'écarte généralement
de ce qui avait été prévu. Enfin, le modèle de Walt
et Gilson accorde une importance au contexte qui est producteur, semble-t-il de
situations, d'éléments à même d'entacher
l'implantation d'une politique. Ce cadre est riche d'éléments
susceptibles d'être pertinents dans l'explication de notre
deuxième hypothèse.
Paul Sabatier (1986) propose quelques
éléments, qui selon lui peuvent être favorables à
une amélioration des résultats des politiques publiques. Il note
que les politiques ayant atteint leurs buts disposaient d'objectifs
raisonnables et clairement énoncés, de contenus proches des
préférences des acteurs clefs et avaient un nombre de
négociateurs réduit à un niveau gérable
tout
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Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
en s'assurant que la majorité des acteurs sont
favorables à l'initiative. Il met donc l'accent sur les objectifs, la
nature des solutions et le nombre des acteurs impliqués dans une
politique comme des éléments à suivre avec une attention
soutenue dans la mise en oeuvre. Même s'il accorde une place aux acteurs
dans la mise en oeuvre, ce cadre ne contient pas un certains types
d'éléments (stratégies, le contexte, les ressources) qui
peuvent être déterminants dans l'implantation de la
décentralisation sanitaire.
Bridgman et Davis (1998) apportent quatre
autres éléments. Selon eux, pour garantir le succès
à une politique publique, il s'avère indispensable de
réduire les étapes entre la phase de formulation et celle de la
mise en oeuvre, d'opter pour une évaluation continue, aussi les
dirigeants se doivent de s'investir sérieusement dans la mise en oeuvre.
L'important au niveau de ce modèle est qu'il fait de l'évaluation
un facteur non négligeable dans la mise en oeuvre des politiques
publiques. Dans nombre de cas concrets, on ne pense à
l'évaluation qu'au moment où se termine le programme ou le
projet. Ce modèle semble très restrictif des
éléments d'influence de la mise en oeuvre.
Gun (1978) a dressé une liste de 10
conditions préalables à la réussite de la mise en oeuvre
d'une politique publique. Ces conditions sont les suivantes : un contexte
favorable, du temps et des ressources, des moyens disponibles à chaque
étape de la mise en oeuvre, une politique fondée sur une
théorie valide, un lien direct entre les causes et les effets
désirés, une seule agence indépendante pour gérer
l'implantation, une bonne compréhension et l'acceptation des objectifs,
une liste d'activités bien spécifiques pour chaque participant
à la politique, un niveau de coordination parfait et, enfin une
autorité en mesure de faire respecter ses décisions2.
Appliquer un tel modèle offre l'avantage d'aller dans les moindres
détails dans l'explication du processus de mise en oeuvre. Seulement, il
ne prend pas en compte les acteurs, qui, estimons-nous, portent en eux une
grande capacité d'influence du processus. Les différentes
logiques qui orientent les actions des uns et des autres dans la
décentralisation sanitaire constituent un foyer d'éléments
favorisant ou limitant la marche du processus.
2 Ce résumé de l'ouvrage de Gun a
été recopié dans la thèse de Valery Ridde, pp20 et
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système de santé du Burkina Faso
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