1.4 Problématique
Dans l'univers des politiques publiques, les
politiques de décentralisation occupent une place particulière en
ce sens qu'elles sont encadrant d'autres politiques (Lemieux, 2001, pp7). En
effet, ces politiques se caractérisant généralement par un
transfert d'attributions du centre vers la périphérie ou en sens
inverse sont susceptibles d'engendrer des modifications au niveau d'autres
politiques déjà en place, du fait qu' elles restent des
tentatives de régulation selon des normes , en réponse à
des situations où se posent des problèmes publics de distribution
des ressources. Cette régulation peut se faire à
différents niveaux et à partir de plusieurs stratégies ou
techniques.
Ramenées dans le domaine particulier de la
santé, les politiques de décentralisation adoptées depuis
quelques dizaines d'années par nombre de pays dont le Burkina Faso afin
de faire face aux difficultés financières, organisationnelles et
institutionnelles qui caractérisent le secteur de la santé,
portent d' abord sur une réorganisation du ministère de la
santé par une redéfinition des pouvoirs et des
responsabilités des différentes instances constitutifs du
ministère et ensuite par une régulation des rapports avec son
environnement externe.
Depuis 1993 le ministère de la santé du
Burkina Faso s'essaie à cet exercice par la privatisation des
pharmacies, l'érection des nationaux et régionaux en
établissements publics à caractère administratif(EPA) et
la création des districts sanitaires, instances de gestion des questions
de santé au niveau périphérie. L'innovation majeure
introduite par cette nouvelle démarche repose sur l'autonomie de gestion
qui rythme désormais les rapports entre ces différentes instances
et le niveau central représenté par le
ministère.
Dans le cadre du présent mémoire, les
investigations se focaliseront essentiellement sur la décentralisation
à travers les districts car les districts impliquent mieux et touchent
directement les populations dans l'amélioration de leur
santé.
Il existe plusieurs démarches analytiques dans
l'étude des politiques publiques. En effet, l'approche des
déterminants pose comme question de cherche principale les facteurs
économiques et politiques qui conditionnent les politiques publiques.
Elle explique selon Lemieux les politiques publiques par un ensemble de
facteurs disposés dans une séquence, qui
14
Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
va des conditions historiques et géographiques
au comportements des élites, en passant successivement par les facteurs
socio- économiques , le comportement des masses et les institutions
gouvernementales. L'approche qui consiste à distinguer les
étapes des politiques publiques, il s'agit d'une démarche
descriptive qui s'intéresse au déroulement temporel des
politiques. Considérant les acteurs comme des fins calculateurs, le
modèle de l'action rationnelle fait des règles ou
aménagements institutionnels du jeu des acteurs l'objet de recherche en
politiques publiques. Enfin, le modèle de relation de pouvoir
qui met un accent particulier sur la capacité de contrôle des
ressources des différents acteurs impliqués dans une politique
publique. Partant d'une typologie des ressources et considérant
certaines comme « contraignants » et d' autres comme «
habilitantes » , ce modèle postule que c' est grâce
à des ressources utilisées à titres d' atouts que les
acteurs peuvent participer aux politiques publiques et chercher à
contrôler les distributions des ressources qui en sont les enjeux. Il y a
contrôle de leur part quand le résultat des opérations
correspondent à leurs préférences, ce contrôle se
traduisant en du pouvoir, partagé ou non, par rapport à d'autres
acteurs (Lemieux, 2002, pp23).Cette approche nous semble pertinente pour
étudier le fonctionnement des districts sanitaires qui sont les
unités les plus décentralisées du système de
santé du Burkina Faso. Si les districts rencontrent des obstacles
à leur fonctionnement, c'est parce que les acteurs au niveau sont
dépossédés du contrôle des ressources
habilitantes.
Après plus d'une décennie de la mise en
oeuvre de la politique de décentralisation sanitaire, il semble opportun
de s'interroger sur le fonctionnement effectif des districts sanitaires et la
nature réelle des pouvoirs qui leur sont
concédés.
Le discours officiel les présente comme des
entités décentralisées, jouissant d'une autonomie de
gestion certaine qui s'observe dans la planification des activités, la
liberté dans les dépenses, la quête de partenariat, le
recrutement de personnel, l'imputabilité.
A côté de ce discours «politique
», des propos discordant indiquent que dans la pratique, d'énormes
efforts restent à pourvoir afin de concéder une réelle
autonomie aux districts. Des études mentionnent que les districts ne
disposent pas encore de pouvoir et de compétences suffisants pour
assurer la gestion des ressources humaines. (ABSP, CRDI, 2001). Aussi, on
note
15
Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
que beaucoup de districts ne parviennent à
exécuter leurs plans d'actions pour deux raisons essentielles : le
manque de moyens financiers et l'exécution ou la réalisation
d'activités non planifiées comme les campagnes de vaccination
(Enq02). Sur le plan financier, la contribution de l'Etat aux districts selon
une étude, varie entre 20 à 30% de leur budget total ; et que le
niveau central n'a alloué en 1998 que 14% du budget total aux 53
districts tandis que les hôpitaux nationaux recevaient 22% de ce
même budget (Bodart et al.., 2001). Sur le plan de la participation
communautaire, des écrits soulignent que la participation communautaire
semble se limiter à générer des ressources
financières à partir de la vente des MEG(Médicaments
Essentiels Génériques) et de la tarification des prestations
(GTZ, 1997 ; A. Meunier, 1999).
La disparité observée dans le
fonctionnement des districts se caractérise par une absence de personnel
notamment les médecins, une insuffisance d'infrastructures et
d'équipement, des insuffisances considérables dans le
fonctionnement des CoGes et bien d'autres obstacles. Une étude
menée en 2001, remarquait qu'à l'échelle du pays, moins de
5 districts disposaient en 2000 du nombre requis de médecins et
seulement 17 des 53 hôpitaux de district étaient en mesure de
réaliser des césariennes ( Bodart et al.., 2001). Une autre
étude affirmait que sur un total de 57 médecins formés en
gestion en 1994, 38 (67%) étaient dans les districts sanitaires en 1999
(Catrayé et al, 2001). Pour les médecins formés en
chirurgie essentielle à partir de 1992 au nombre de 47, seulement 26
(55%) servaient encore dans les districts en1999 (Ministère de la
santé, décembre 2000). Selon un rapport de la CADSS (1999),
à la fin de l'année 1999, aucun des districts ne satisfaisait
à l'ensemble des critères d'opérationnalité. Un
autre document (Ministère de la santé, 2001) notait qu'à
la fin de l'année 2000, un seul district (celui de Boulsa) sur les 53
pouvait prétendre répondre à l'ensemble des
critères retenus : soit 2% de district opérationnels. La
récente évaluation du PNDS (2005) indiquait des avancées
notables au niveau de la couverture sanitaire. Il reste néanmoins que
l'opérationnalisation des districts, passage obligé pour leur
autonomie, éprouve d'énormes difficultés dans son
déroulement. Dans une étude menée en 2006 dont le titre
est : décentralisation et réduction de la pauvreté au
Burkina Faso : quelles stratégies, Hervé Kafimbou et Jean
Sanou font une analyse critique de la décentralisation de façon
générale au Burkina Faso. Ils ont relevé un nombre
important de contraintes et d'écueils au bon fonctionnement des communes
parmi lesquels on peut citer l'absence de ressources humaines
compétentes, faiblesse des ressources, le refus des citoyens de payer
les impôts et les
16
Analyse de la politique de décentralisation du
système de santé du Burkina Faso
taxes, les incessantes dissensions au sein des
conseils municipaux. Ces contraintes et écueils handicapent
sérieusement le développement des communes ne seront pas sans
conséquences sur les capacités de participation des conseils
municipaux à l'opérationnalisation des districts.
La mise en oeuvre d'une politique publique constitue
une étape cruciale pour son aboutissement. En effet, à cette
étape il peut y avoir des « ré-reformulations et même
des ré-émergences », aussi ce moment constitue une
opportunité pour certains acteurs de s'exprimer. Cette étape
cristallise tant d'enjeux qu'elle est déterminante pour sa
réussite. De nombreux facteurs (les solutions proposées, le
contexte, le temps, le niveau de formation des acteurs, la nature des parties
impliquées, les stratégies de mise en oeuvre, etc.) peuvent de
façon isolée ou combinée, influencer la réalisation
d'une politique. Ce travail se donne fixe pour objectif de s'interroger sur les
facteurs qui influencent la mise en oeuvre de la politique de
décentralisation du système de santé.
Le profil que présentent les districts
sanitaires oblige à se garder de les créditer du label
d'unité décentralisée. Au regard des insuffisances qui
caractérisent le système de santé de district au Burkina
Faso, il nous paraît pas aisé d'arguer que les districts
sanitaires dans leur situation actuelle présentent tous les attributs
d'un service décentralisé : accessibilité,
adaptabilité, capacité et participation des populations. Ce
questionnement nous amène à formuler les questions,
hypothèses et objectifs de recherche suivants.
1. 4.1 Questions de recherche
1. Les districts sanitaires dans leur situation
actuelle, présentent -ils les caractéristiques d'un service
décentralisé ?
2. Le processus actuel de la mise en oeuvre de la
décentralisation favorise t- il le bon fonctionnement des districts
sanitaires ?
|