Conclusion Chapitre 2
Les musiques jamaïcaines, le reggae, le dub et la
culture sound system se sont progressivement importés dans le paysage
musical français depuis la fin des années 1990. Toute une
communauté s'est passionnée pour cette culture et a su mettre en
oeuvre tous les moyens possibles pour diffuser cette manière
d'appréhender la musique au grand public.
Les années 2000 ont marqué un temps fort
l'histoire du dub en France grâce à des artistes et groupes
musicaux qui ont reproduit les techniques de dub avec des instruments sur
scène.
Les années 2010 ont pris un tout autre tournant
pour cette fois développer la culture sound system au plus grand nombre.
De nombreux collectifs et acteurs se sont passionnés pour cette culture
et ont montré à d'autre que le mouvement était accessible.
Certains ont l'objectif d'en vivre, d'autres veulent seulement trouver une
échappatoire et un espace de liberté grâce à cet
outil de diffusion, le sound system.
26
61 BARBIER Sarah, « High Tone : Le Dub est le
grand-père de la musique électronique » Op. Cit.
27
Conclusion Première Partie
Nous venons de voir dans cette première partie que
la Jamaïque est un véritable cluster musical. L'essor de cette
culture en Angleterre et dans le monde entier a développé les
différentes techniques musicales originaire de l'île. De nombreux
acteurs et artistes se sont appropriés ces techniques et ont
donné naissance à de nouveaux genres musicaux des musiques
actuelles.
Les musiques jamaïcaines, le reggae, le dub et la
culture sound system se sont progressivement importés dans le paysage
musical français depuis la fin des années 1990. Les
français se sont d'abord approprié le dub en le jouant avec des
instruments.
La scène sound system s'est aujourd'hui
imposée en France. Nous remarquons une forte importance de collectifs
qui se forment quant aux formations artistiques de dub live instrumentales qui
sont devenues minoritaires. Toute une communauté s'est passionnée
pour cette culture et a su mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour
diffuser cette manière d'appréhender la musique au grand
public.
Le fonctionnement initial de la contre-culture musicale
jamaïcaine, dans l'indépendance la plus totale, perdure encore
aujourd'hui. De nombreuses recherches et entretiens avec les acteurs de cette
culture nous permettront de comprendre, dans la seconde partie de ce
mémoire, pourquoi les acteurs de ce mouvement gardent cette
indépendance et y tiennent, comme une véritable tradition. Nous
nous pencherons également sur les acteurs de ce secteur, actifs et
visibles, en dépit d'une totale indépendance.
28
Deuxième partie - La scène sound system
française actuelle Introduction deuxième
partie
Nous venons de voir que la scène dub
française se divise en deux pratiques bien distinctes : la scène
live et la scène sound system. Nous allons à présent nous
focaliser sur la scène sound system dub en France, sujet principal du
présent mémoire.
Une poignée de passionnés se sont
emparés de la culture sound system dub pour développer des
médias spécialisés, organiser des
événements, écrire des articles et ouvrages empreints des
problématiques intrinsèques à cette musique si
particulière. En revanche, très peu d'ouvrages fondamentalement
sociologiques nous ont permis d'accéder à une analyse
concrète de ce mouvement. Cette constatation nous mène à
deux réflexions : la culture sound system est un phénomène
relativement récent en France et ce mouvement reste, comme toujours,
très indépendant. C'est pourquoi nous avons fait le choix de
construire nos propos aux moyens d'un ensemble de rencontres et
d'échanges, au contact des acteurs de cette culture qui évolue
hors des sentiers battus.
Les différents médias
spécialisés furent essentiels dans les recherches que nous avons
menées. L'ensemble des réponses des personnes interrogées
et le contenu existant des différents médias indépendants
nous ont permis de comprendre pourquoi les acteurs de ce mouvement conservent
l'indépendance de ce mouvement, comme le veut la tradition.
29
Chapitre 1 - Développement, fonctionnement et
visibilité des acteurs Introduction chapitre 1
Nous allons ici tenter de soulever les différentes
caractéristiques de l'indépendance de la culture sound system en
France par le biais de douze entretiens réalisés tout au long de
l'année, dans le milieu de culture sound system dub. Par leurs propos,
leur enthousiasme et leur positivisme, l'ensemble des personnes
interrogées nous ont renseigné sur l'engouement actuel autour de
cette culture.
Nous montrerons également, dans cette nouvelle
partie, que le fonctionnement initial de la culture sound system dans
l'indépendance la plus totale en Jamaïque reste le même
aujourd'hui, notamment en France. Comment ces acteurs restent-ils actifs et
visibles tout en s'affranchissant, tant que possible, des aides
financières de l'État ?
Le dub en France : l'importation et son
évolution
Depuis quelques années, l'apparition de plusieurs
centaines de collectifs et la naissance de plusieurs événements
dédiés à la culture sound system révèle un
réel intérêt des français. On peut observer que
cette scène attire un public de plus en plus jeune, attiré par
une réelle expérience physique, vibrante, englobante. Un des
bénévoles de l'association dijonnaise Skanky Yard explique la
présence des amateurs de cette culture dans la ville de Dijon : «
Je pense qu'avec les sessions régulières qui s'organisent
depuis plusieurs années, un public s'est constitué. À
Dijon il n'y a pas vraiment d'autres soirées donc plus les personnes
viennent, plus elles en parlent autour d'elles. Ça a aussi dû
donner l'envie à d'autres de monter leur collectif car le mouvement a
montré que c'était accessible et possible pour tout le monde d'en
faire partie. Ce qui est bien dans le sound system, c'est de faire partie d'un
collectif. En plus de l'équipement sonore, il y a un vrai engagement
militant dans les collectifs qui se montent en
France62».
62 Entretien avec trois bénévoles de
l'association Skanky Yard et du sound system Dubatriation à Dijon. Cf.
Annexe n°1 p. 67
30
Le sound system : une passion à temps
plein
Les entretiens réalisés mettent en
évidence un élément crucial. La majorité des
acteurs sont passionnés. Mais les entretiens révèlent
aussi que la plupart des acteurs exercent aussi une profession, en
parallèle. Est-ce un choix ou une nécessité ? DopeShack,
sélecteur de King Hi-Fi Sound System63, nous en dit plus sur
son choix : « Je n'ai jamais eu l'ambition que ce sound system
devienne mon métier, c'est mon espace de liberté. Je suis
ingénieur à côté avec tout ce que ça peut
impliquer concernant la rigueur et le cadre. Du coup, dans le sound system,
j'essaie de m'affranchir de tout ça64 ». Le point
de vue de Polak, sélecteur et MC de Legal Shot Sound
System65, nous fait comprendre que c'est un choix pour son collectif
de ne pas en vivre, il explique pourquoi : « On joue une fois par mois
environ. C'est une volonté de notre part, si on veut faire plus on peut
mais on respecte les vies de famille de chacun et le rythme professionnel de
chacun puisqu'on a tous nos activités à côté. Il
serait difficile, pour un sound qui tourne juste une fois par mois, de faire
vivre correctement 5 copropriétaires. C'est mission
impossible66 ». En revanche, Quentin, MC et cofondateur de
Brainless Sound System67 a pour ambition de professionnaliser
l'activité du collectif « Au départ, nous faisions des
contrats de représentation bénévole et nous faisions un
cachet artiste qui rentrait dans les sous de notre association. Petit à
petit, on a tous arrêté nos études et un besoin s'est fait
à ce niveau-là. Du coup, les contrats d'intermittence se sont
enchaînés pour Théo, puis pour Léo, qui nous a
rejoint rapidement. Moi, je suis sur des cachets de booking puisque je m'occupe
de la diffusion de Brainless avec l'association Exoria68
».
L'association dijonnaise Skanky Yard, organisatrice
d'événements, avait engagé deux employés
grâce aux contrats aidés, aujourd'hui révolus, à
leur grand regret : « Pendant un an jusqu'à novembre dernier,
on était deux salariés dans l'association à temps partiel
en contrat aidé. Ils ont supprimé les contrats et le nôtre
se terminait en novembre dernier, on n'a pas eu de chance. On l'a mal
vécu au début mais maintenant ce n'est pas grave, la machine est
lancée et on se rend compte qu'on peut quand même la gérer.
Avec notre travail à côté, on est obligés d'avoir un
rythme69 ».
63 Aperçu des sound systems des collectifs
interviewés. Cf. Annexe 8, p. 102
64 Entretien avec Dopeshack, sélecteur de King
Hi-Fi Sound System à Lyon. Cf. Annexe n°1 p. 69
65 Aperçu des sound systems des collectifs
interviewés. Cf. Annexe 8, p. 102
66 Entretien avec Polak, MC et cofondateur de Legal
Shot Sound System à Rennes. Cf. Annexe n°1 p. 81
67 Aperçu des sound systems des collectifs
interviewés. Cf. Annexe 8, p. 102
68 Entretien avec Quentin Deniaud, cofondateur de
Brainless Sound System à Bourg-en-Bresse. Cf. Annexe n°1 p. 83
69 Entretien avec trois bénévoles de
l'association Skanky Yard et du sound system Dubatriation à Dijon. Cf.
Annexe n°1 p. 67
31
Le sound system, une réelle profession pour
une poignée de collectifs
Seulement trois collectifs français vivent de leur
activité aujourd'hui. C'est le cas d'OBF sound system. Rico, le
sélecteur du collectif, explique comment leur persévérance
leur a permis d'en vivre depuis peu : « On en vit tous aujourd'hui. On
est tout le temps sur la route. La semaine, on produit de la musique pour que
les programmateurs aient envie de nous programmer. On bosse vraiment à
fond, c'est notre métier ! Guillaume70 est le seul à
avoir un travail à côté. Je m'occupe aussi du label
Dubquake et d'organiser des soirées. On s'occupe de pleins de choses
à côté de notre activité de production musicale mais
tout est lié à OBF71 ».
C'est également le cas pour le collectif Stand High
Patrol Sound System72. Morgan, manager, expose la situation du
collectif à l'heure actuelle : « On avait tous des
métiers à côté au début, on a tourné
pendant cinq ans en étant vraiment amateurs et un jour on a
décidé de changer puisque c'est beaucoup de travail avec le
label. On s'est dit qu'on arrêtait nos trucs à côté
pour se concentrer sur le label et qu'on allait devenir intermittents du
spectacle. Le seul qui n'est pas intermittent du spectacle est le chanteur car
il garde son métier, c'est important pour lui d'avoir un
équilibre entre le son et son métier, ses deux
passions73 ».
À l'heure actuelle, peu de collectifs
réussissent à vivre de leur activité musicale. Certains
s'en sortent grâce au statut d'intermittent du spectacle. Ils
délaissent leurs professions respectives pour s'investir,
intégralement, dans leur activité artistique et collective.
Fonctionnement autonome des acteurs
Pourquoi peut-on définir la culture sound system comme
indépendante ? Les réponses des personnes interviewées se
rejoignent. À l'unanimité, les acteurs interrogés
considèrent que la culture sound system est plus indépendante que
d'autres branches de l'industrie musicale car le milieu, à l'heure
actuelle, est encore assez peu structuré. Le fonctionnement singulier de
ces acteurs nous en dit également plus sur leur indépendance.
Polak décrit sa vision : « Effectivement, il y
a cette notion d'indépendance avec le Do It Yourself. On pourrait dire
qu'il y a une grande part des sound systems qui se débrouillent
eux-mêmes pour construire leurs enceintes, pour s'équiper et pour
fonctionner. [...] Mais indépendant car c'est peut-être
moins structuré quant à d'autres styles musicaux. Je ne
sais
70 Guillaume, opérateur d'OBF Sound System.
71 Entretien avec Rico, sélecteur d'OBF Sound
System à Genève. Cf. Annexe n°1 p. 73
72 Aperçu des sound systems des collectifs
interviewés. Cf. Annexe 8, p. 102
73 Entretien avec Morgan Le Godec, manager du sound
system Stand High Patrol à Morlaix. Cf. Annexe n°1 p. 75
32
pas trop comment l'exprimer. C'est vrai que les sound
systems ne sont pas trop basés sur des labels, sur des maisons de
disques, on compte vraiment sur nous-mêmes et c'est en ce sens qu'un
sound system est assez indépendant. L'indépendance
transparaît à plusieurs niveaux. C'est aussi lié au fait
que ce soit des sonos mobiles aussi, on peut jouer un soir à un endroit,
un soir à un autre, sous réserve des autorisations
nécessaires évidemment 74 ». Rico
complète l'avis de Polak : « Quand on amène notre sound
system, on amène tout le matériel. On amène le matos pour
sonoriser, notre matos pour pouvoir jouer dont les platines, on amène
notre crew qui va installer, que nous allons nous-même conduire jusqu'au
lieu de l'événement. Juste la façon de faire et de
concevoir toute cette scène sound system, c'est autogéré
et indépendant. On a construit nous-mêmes notre sound system, on
fait développer toutes nos machines par nos amis, c'est très Do
It Yourself et, déjà ça, dans l'approche et la
manière de fonctionner, c'est indépendant75
». Morgan ajoute : « Il y a des écarts incroyables entre
les artistes qui vont se produire sur la scène sound system que l'on
peut voir sur cette scène, certains sont médiatisés et
d'autres pas du tout. Certains sont suivis du grand public et d'autres pas du
tout. Parmi eux, certains se donnent une mission vraiment locale, [...]
C'est ça qui fait que c'est un milieu assez riche où tu vas
avoir des puristes très traditionnels sur le reggae, le roots classique
et tu vas en avoir d'autres qui vont mélanger ça avec les
musiques électroniques, plus proche de la techno76
». Morgan n'est pas un manager comme ceux que l'on trouve dans les
sphères musicales plus traditionnelles : « Avec Stand High, si
j'ai cette position de «manager» c'est parce que je fais la
coordination. À aucun moment je ne décide pour eux. En revanche,
je suis l'intermédiaire entre eux et la prise des décisions. Je
suis l'interlocuteur pour tout ce qui va être booking, labels,
distributeurs. Si les professionnels de la musique veulent entrer en contact
avec le groupe, ils passent par moi mais ce n'est pas moi qui prend la
décision finale. C'est une position assez particulière et
l'essentiel du travail c'est qu'on soit un collectif et qu'on décide de
tout ensemble77 ». Naturellement, les plus petits
collectifs partagent la même vision que les autres. Quentin, de Brainless
sound system, pense : « On peut encore le dire, je ne sais pas encore
pour combien de temps, mais la plupart des sound-systems sont autoproduits ou
sont produits par des labels qui sont eux-mêmes
indépendants78 ».
74 Entretien avec Polak, MC et cofondateur de Legal
Shot Sound System à Rennes. Cf. Annexe n°1 p. 81
75 Entretien avec Rico, sélecteur d'OBF Sound
System à Genève. Cf. Annexe n°1 p. 73
76 Entretien avec Morgan Le Godec, manager du sound
system Stand High Patrol à Morlaix. Cf. Annexe n°1 p. 75
77 Entretien avec Morgan Le Godec, manager du sound
system Stand High Patrol à Morlaix. Cf. Annexe n°1 p. 75
78 Entretien avec Quentin Deniaud, cofondateur de
Brainless Sound System à Bourg-en-Bresse. Cf. Annexe n°1 p. 83
33
Les organisateurs partagent la même vision que les
collectifs. La culture est naturellement considérée comme
étant indépendante. Frédéric Péguillan,
organisateur du Télérama Dub Festival depuis seize ans
décrit sa vision : « Ce n'est pas que je la considère,
c'est qu'elle l'est ! Toutes ces associations fonctionnent en totale
indépendance. [...] C'est leur choix et leur manière de
fonctionner. Certains artistes créent leurs propres labels mais il n'y a
pas de gros labels qui signent des sound system, donc ce n'est pas le
but79 ». Les bénévoles de l'association
Skanky Yard ont un fonctionnement particulier lors des événements
qu'ils organisent : « On n'a jamais fait un planning
bénévole car ça ne marche pas aux tanneries et ça
désengage plus les gens qu'autre chose. Avec notre système,
même au niveau de l'asso, cela permet aux gens de penser
régulièrement à ce qu'il faut faire pour s'impliquer.
C'est un peu du bon sens80 ». Cette
liberté au niveau de l'organisation fait encore référence
à la force intrinsèque des collectifs. Les compétences de
chacun sont valorisées. Les bénévoles se sentent
pleinement investis dans les soirées, sans sentir sur leurs
épaules le joug de la contrainte.
Les médias indépendants et
spécialisés dans cette culture partagent une vision identique.
Alex Dub, fondateur et rédacteur du magazine en ligne Culture
Dub explique : « Le sound system est diffuseur de la musique que
les acteurs composent eux-mêmes, pressent en vinyles eux-mêmes,
diffusent à partir de labels qu'ils ont créé. Cela permet
une certaine indépendance, pour développer une économie
parallèle. De fait, cette façon de faire avancer ce mouvement lui
permet de sortir du formatage radiophonique, de défendre un message sans
compromis. En 2018 il est très rare de pouvoir, comme cela,
maîtriser une culture de A à Z, sans se faire approprier par des
étatiques81 ». Emmanuel Valette, rédacteur
pour le webzine Musical Echoes, donne aussi son avis sur la question :
« Je ne sais pas si c'est toujours indépendant mais en tout
cas, ce qui est bien, c'est qu'il y a des collectifs qui commencent à
gagner leur vie dans tout ça. Mais à quel prix ? À quel
rythme ? Faire des soirées tous les week-ends, c'est épuisant.
Mais les autres donnent tous leurs moyens et n'en vivent pas forcément.
C'est un gouffre financier énorme quand on s'y met, l'équipement
est coûteux82 ».
Les acteurs rencontrés partagent, globalement, la
même vision de la culture sound system. Les collectifs, organisateurs et
médias revendiquent leur fonctionnement autonome. L'esprit
79 Entretien avec Frédéric
Péguillan, fondateur et programmateur du Télérama Dub
Festival. Cf. Annexe n° 1 p.79
80 Entretien avec trois bénévoles de
l'association Skanky Yard et du sound system Dubatriation à Dijon. Cf.
Annexe n°1 p. 67
81 Entretien avec Alex Dub, fondateur et
rédacteur du webzine Culture Dub à Poitiers. Cf. Annexe n°1
p. 71
82 Entretien avec Emmanuel Valette, fondateur et
rédacteur de Musical Echoes à Paris. Cf. Annexe n°1 p. 77
34
d'équipe se ressent profondément au sein d'un
collectif mais toutefois au sein de la culture à part entière.
Dynamique et visibilité des collectifs de
sound system
Internet est, aujourd'hui, un outil essentiel pour un
collectif de sound system. C'est le meilleur outil de communication, le
meilleur moyen de développer une visibilité publique, à
moindre frais. La diffusion de la musique en ligne permet de partager les
projets avec le plus grand nombre, sans aucune frontière.
Pour preuve, OBF, un des collectifs aujourd'hui fort reconnus,
a profité de l'émergence d'Internet et des réseaux sociaux
pour se rendre visible : « On a eu la chance de commencer avant
l'engouement au début des années 2000. On a eu la chance
d'arriver avant tous ces nouveaux sound systems qui arrivent sur le
marché, qui sont en masse et qui n'arrivent pas à se
différencier. C'est pour ça qu'on arrive à rester visible,
maintenant tout le monde peut se rendre visible avec Internet. Même si tu
es indépendant ! [...] On travaille beaucoup, on bosse
énormément au studio pour pouvoir sortir des morceaux et le plus
possible83 ». Polak exprime également les pratique
de collectif dont il est copropriétaire : « La
détermination nous a permis de rester actif et visibles, tout simplement
! On croit en notre collectif, en la qualité de notre son, notamment au
niveau acoustique, de notre sélection, de ce qu'on est capable de faire
en clash, de ce qu'on est capable de faire en tant que producteurs. Ce n'est
pas pour prouver quoi que ce soit aux autres ou à nous-mêmes, mais
juste être honnête par rapport à sa musique, à notre
musique84 ». Le collectif Brainless oeuvre d'arrache-pied
pour rester dans la mouvance : « On va essayer de continuer
d'être présent, de promouvoir les dates sur lesquelles on va
jouer, de promouvoir le pendant, l'après. On va essayer de sortir des
morceaux en téléchargement gratuit pour faire avancer le
mouvement. On n'a pas forcément 200€ de sponsors à mettre
dans chacun des publications qu'on fait sur Facebook, on n'est pas
financé par une major mais ça n'empêche pas de grossir un
auditoire pour autant85 ».
Nous remarquons que les sound systems créent de la
visibilité par eux-mêmes. Souvent, ils s'invitent les uns les
autres, pour jouer ensemble sur la sonorisation d'un collectif ou en assemblant
leurs sound systems respectifs. DopeShack évoque une dimension
importante de ce
83 Entretien avec Rico, sélecteur d'OBF Sound
System à Genève. Cf. Annexe n°1 p. 73
84 Entretien avec Polak, MC et cofondateur de Legal
Shot Sound System à Rennes. Cf. Annexe n°1 p. 81
85 Entretien avec Quentin Deniaud, cofondateur de
Brainless Sound System à Bourg-en-Bresse. Cf. Annexe n°1 p. 83
35
régulier partage : « En ce moment on est bien
lié avec Brainless, avec qui on joue depuis longtemps et qui, eux,
tournent beaucoup. Là on a une date avec eux au mois d'avril où
on va assembler les sonos. C'est rare qu'on ait plus de deux ou trois
mois de visibilité, on n'a jamais un an de dates calées mais des
fois tu te dis qu'il n'y a rien et d'un coup on te propose une date sans t'y
attendre. Une fois par mois ça nous va bien86 ».
Les bénévoles de l'association Skanky Yard expliquent
également : « On est un vrai crew, tous les artistes ont
l'impression que nous sommes une grande famille. Il n'y a pas cette ambiance
partout. Les artistes mangent avec nous et c'est convivial. De
l'extérieur, on peut croire que tous ces gens qui travaillent
bénévolement travaillent pour le sound system mais en fait, de
l'intérieur, c'est le sound system qui travaille pour tout le monde.
D'un point de vue d'union collective, c'est parce qu'on a monté ce sound
system que maintenant nous pouvons l'allumer, faire jouer des artistes dessus.
C'est aussi un luxe de recevoir des gens, de parler anglais tous les
mois87 ». Cet état d'esprit au sein du milieu se
construit sur l'entraide. Les sound clashs continuent, prouvant encore une fois
que la tradition jamaïcaine continue mais, à présent, dans
un climat totalement pacifiste.
Les organisateurs et les médias participent
évidemment à la visibilité des collectifs.
Frédéric Péguillan explique que le Télérama
Dub Festival offre trois axes de développement aux artistes : «
Le premier est de faire venir des artistes qui ont une
notoriété mais qu'on ne voit pas souvent en France. En second,
c'est du développement, c'est-à-dire plein de jeunes artistes. Il
y en a plein à qui le festival a permis de donner une
notoriété qu'ils n'avaient pas auparavant, ça leur a
donné un peu des coups de pouce. La troisième dimension à
laquelle je tiens fortement c'est la dimension création, car le dub est
un peu un terrain d'exploration musicale où on peut quasiment tout
faire. C'est beaucoup les rencontres, des créations spéciales,
faire travailler des gens d'univers différents. Je cite toujours, en
exemple, Kali live dub qui était venu faire un concert au
Télérama Dub Festival et il était venu avec Éric
Truffaz, un trompettiste de Jazz 88».
Alex Dub décrit sa façon de promouvoir les
organisateurs et les collectifs : « Aujourd'hui, en plus de mettre en
avant le maximum de sorties des collectifs, Culture Dub accompagne les
artistes dans leur développement, leur diffusion. Culture Dub
est au service du
86 Entretien avec Dopeshack, sélecteur de King
Hi-Fi Sound System à Lyon. Cf. Annexe n°1 p. 69
87 Entretien avec trois bénévoles de
l'association Skanky Yard et du sound system Dubatriation à Dijon. Cf.
Annexe n°1 p. 67
88 Entretien avec Frédéric
Péguillan, fondateur et programmateur du Télérama Dub
Festival. Cf. Annexe n° 1 p. 79
36
peuple à travers son site, ses deux
émissions radiophoniques, son label, l'organisation de soirées,
la promotion d'artistes...89 ».
Emmanuel Valette explique le fonctionnement, singulier, du
média pour lequel il écrit bénévolement : «
À l'origine, Musical Echoes n'a pas été
pensé comme quelque chose qui fait de la promotion. Ce ne sont pas les
artistes qui nous disent de faire la promotion de leur album, c'est
plutôt nous qui choisissons. On dit ce que l'on pense, si on n'aime pas
quelque chose on peut en parler, ou alors écrire clairement que l'on
n'aime pas, ça n'arrive pas souvent mais c'est déjà
arrivé. Même si on est tout petit, je pense qu'on se
différencie des autres médias, justement, qui vont plus
être dans la promotion et dire que tout est génial et super. L'axe
de développement, c'est aussi des sélection vinyles tous les mois
et ça peut être une vitrine pour les artistes, c'est vraiment une
carte blanche aux artistes pour faire connaître et partager leurs
influences90 ».
La visibilité du secteur et de ses acteurs s'est
développée et pérennisée grâce au
déploiement de la diffusion en ligne, tant par les collectifs
eux-mêmes que par les médias spécialisés. Les
acteurs de la scène dub mutualisent leurs compétences, dans un
esprit de solidarité, d'entraide et de bienveillance pour rester dans la
mouvance.
Indépendance
financière
Les sound systems sont nés, nous l'avons vu, dans la
plus totale indépendance financière, en Jamaïque. Les
acteurs français, nous l'aurons compris, conservent cette tradition.
Est-ce par le simple respect des mécanismes passés ou par
nécessité au regard de l'économie actuelle?
L'association Skanky Yard de Dijon nous expose son
fonctionnement financier : « On n'a pas de partenaire. On
s'autofinance avec les événements. On paye les artistes, les
Tanneries, l'entretien du sound system quand on casse du
matériel91 ». Rico, sélecteur d'OBF sound
system, explique également les manoeuvres pour rentabiliser les
coûts que le collectif engage dans toute la chaîne de production et
de diffusion : « Nous n'avons jamais eu de subventions. Quelquefois,
c'est dur parce que maintenant qu'on est des travailleurs légaux, on a
beaucoup de taxes à payer, on a beaucoup de frais. Vu qu'on est
organisé, plusieurs personnes travaillent
89 Entretien avec Alex Dub, fondateur et
rédacteur du webzine Culture Dub à Poitiers. Cf. Annexe n°1
p. 71
90 Entretien avec Emmanuel Valette, fondateur et
rédacteur de Musical Echoes à Paris. Cf. Annexe n°1 p. 77
91 Entretien avec trois bénévoles de
l'association Skanky Yard et du sound system Dubatriation à Dijon. Cf.
Annexe n°1 p. 67
37
pour nous et tout le monde est
rémunéré à juste valeur. A la fin d'une session, je
ne sais pas si des gens pensent qu'on se fait de l'argent mais... on n'a pas
grand-chose. Tout est autogéré, autoproduit, que ce soit le
label, les clips, les enregistrements, l'entretien et l'évolution du
sound system92 ». DopeShack, sélecteur de King
Hi-Fi, explique également leurs sources de revenus : « Non,
financièrement nous ne sommes pas soutenus. On a mis de l'argent au
début et le projet s'autofinance, en quelque sorte, aujourd'hui. Vu
qu'on joue régulièrement et qu'on a réussi à
maintenir un niveau de cachet correct, ça nous permet d'investir, de
réparer et de racheter du matériel. On est en totale
autoproduction93 ». Quentin de Brainless explique
également le fonctionnement de son association : « Aujourd'hui,
on fait rentrer de l'argent dans l'association quand on organise des
événements, mais c'est une petite partie de notre activité
puisqu'on fait deux évènements par an. Sinon, c'est le
sound-system. À chaque fois qu'on le sort on fait des factures. On le
loue, entre guillemets, mais c'est plutôt un défraiement.
Ça nous fait un petit fond de roulement dans l'association pour pouvoir
réinvestir par derrière94 ». Pour Polak, le
fonctionnement de Legal Shot rejoint celui des autres : « Nous
finançons le collectif grâce à l'argent que celui-ci
rapporte avec le merchandising et en produisant des dates. Les
bénéfices et excédents sont réinvestis dans l'outil
de travail, le sound system95 ».
L'intégralité des collectifs fonctionnent en
autoproduction. Ils organisent des événements mais ne font pas de
profit ; l'argent rémunère les artistes, rembourse les frais de
l'entretien du sound system et une petite marge permet parfois d'alimenter la
trésorerie de leurs associations. Leur fonctionnement ne leur permet pas
de faire de profit et ce n'est pas, pour la majorité, ce qu'ils
souhaitent.
Autoproduction ou production sur des labels
indépendants
La majorité des collectifs créent leur propre
label dans la mesure où ils préfèrent produire leur
musique, et celles d'autres artistes du milieu, pour conserver leur fameuse
indépendance. La production d'autres artistes permet d'étoffer
quelque-peu la trésorerie des associations comme le faisait
déjà Duke Reid ou Coxsone en Jamaïque. DopeShack explique
pourquoi il est important, pour un collectif, de monter son propre label :
« À force de sélectionner des disques, pour se
différencier, il faut produire de la musique. Le but, c'est aussi de
faire avancer le
92 Entretien avec Rico, sélecteur d'OBF Sound
System à Genève. Cf. Annexe n°1 p. 73
93 Entretien avec Dopeshack, sélecteur de King
Hi-Fi Sound System à Lyon. Cf. Annexe n°1 p. 69
94 Entretien avec Quentin Deniaud, cofondateur de
Brainless Sound System à Bourg-en-Bresse. Cf. Annexe n°1 p. 83
95 Entretien avec Polak, MC et cofondateur de Legal
Shot Sound System à Rennes. Cf. Annexe n°1 p. 81
38
mouvement. À force de jouer, j'ai rencontré
pas mal de chanteurs, de riddim makers. On travaille avec tous ces gens pour
sortir des productions sur le label. Un lien s'effectue aussi avec mon
métier d'ingénieur. Il faut gérer toute la chaîne,
l'aspect musical mais aussi tout l'aspect technique, faire le mastering,
presser les vinyles, gérer la distribution, la communication, le lien
avec les graphistes pour le macaron du vinyle96 ». Morgan
Le Godec, manager de Stand High Patrol, témoigne également :
« Tout l'argent qui entre dans le label est réinvesti
directement dans le disque, dans de nouveaux albums pour produire de nouveaux
artistes, payer le graphiste de la pochette, les photos, les clips... Il peut
aussi servir à entretenir le sound system ou le faire évoluer.
[...] Mais le label c'est vraiment quelque chose qui
s'autogère, enfin qui fonctionne tout seul sur un modèle
associatif. Le fait d'être indépendant permet de sortir ce que tu
veux. Tu t'en moques que ça plaise à un label ou non puisque le
label, c'est le tien97 ».
Les collectifs n'ont pas pour ambition de se produire chez des
majors*, des labels traditionnels ou des maisons de disques importantes. Ils
préfèrent sortir leurs albums et leurs morceaux sur des labels
indépendants comme Original Dub Gathering, e-label proposant une base de
données libre de droits sur internet : Quentin, cofondateur du sound
system Brainless le décrit : « La plupart des sound systems
sont autoproduits ou sont produits par des labels qui sont eux-mêmes
indépendants. Tout est basé sur des rapports humains. En
général il n'y a pas de contrat avec les maisons de disques. Sur
ODG, on a sorti un EP en digital. À aucun moment on nous a fait signer
un contrat, on ne nous demande rien98 » ; ou favoriser les
labels indépendants comme celui de Jarring Effects à Lyon, qui
perdure depuis 1995 et a fait sa place dans le milieu : « Il y en a
plein qui préfèrent rester avec cette structure
indépendante, des gens comme High Tone par exemple. Ils ont
été pendant longtemps les plus gros vendeurs en France et n'ont
jamais voulu aller sur des gros labels. Ils n'ont jamais voulu quitter Jarring
Effect. C'est un état d'esprit aussi et c'est ce qui fait le charme de
la chose99 ».
Aucun collectif n'a ni l'ambition, ni l'envie de faire
produire ses disques chez une major. Les réseaux de production sont
libres et multiples : certains s'autoproduisent en créant leur propre
96 Entretien avec Dopeshack, sélecteur de King
Hi-Fi Sound System à Lyon. Cf. Annexe n°1 p. 69
97 Entretien avec Morgan Le Godec, manager du sound
system Stand High Patrol à Morlaix. Cf. Annexe n°1 p. 75
98 Entretien avec Quentin Deniaud, cofondateur de
Brainless Sound System à Bourg-en-Bresse. Cf. Annexe n°1 p. 83
99 Entretien avec Frédéric
Péguillan, fondateur et programmateur du Télérama Dub
Festival. Cf. Annexe n° 1 p. 79
39
label, d'autres produisent leur vinyle sur des labels
indépendants, sous-entendus eux-mêmes des collectifs de sound
systems.
Les médias et la culture sound
system
Les collectifs rencontrés n'ont pas tous la même
vision de l'intégration de la culture sound system dans les
médias dits « de masse ». Rico a la volonté de faire
rayonner cette culture et, de fait, ce que produit son collectif, au plus grand
nombre : « Il y a des gens qui pensent que ce n'est pas bien, qu'il
faut rester underground et, justement, ne pas intégrer ces
médias. Personnellement, je trouve que si on arrive à faire
passer notre message avec notre musique et notre vibe, ça peut faire du
bien à notre scène100 ». Quentin partage sa
vision et ses craintes quant à la médiatisation à grande
échelle : « Il faut prendre en compte que c'est récent.
Il y a 25 ans de ça, on en était encore au rock steady en
Jamaïque. J'ai du mal à me dire que ça va le rester, avec
tout le côté dub où il faut s'adapter et jouer sur des
scènes. L'effet Panda Dub et Rakoon, artistes qui ont vulgarisé
la chose auprès du grand public, c'est une bonne chose aussi, mais nous
espérons que les deux côtés seront conservés. Que le
plus de monde possible ait accès à ce style, je pense que
personne dans le milieu ne crachera dessus, mais il faut aussi qu'on puisse
continuer à mettre une sono sans se faire trop embêter. Je ne sais
pas si j'aurais envie qu'on parle de nous dans les médias de masse. Je
jetterais bien un coup d'oeil à ce qu'ils pourraient
dire101». Polak rejoint l'avis des autres
collectifs : « Si les médias de masse s'intéressent
à nous, on ne va pas cacher ce qu'on fait. Nous n'avons rien à
cacher et puis, si ça se vulgarise, j'en serais le premier ravi ! Je ne
m'oppose pas frontalement aux mass médias pour leur fermer les portes
parce que cette culture doit rester underground. Après, attention, il ne
faut pas que ce qu'ils en racontent et ce qu'ils en montrent soit
galvaudé. L'honnêteté doit être des deux
côtés, la transparence aussi102 ». L'avis de
Morgan rejoint ceux de Quentin et Polak. En tant que manager de Stand High
Patrol, il confirme les craintes précédemment
évoquées : « Oui, comme dans Trax ou
Tsugi, à partir du moment où tu as un bon journaliste et
que tu peux avoir un bon article, c'est cool ! Après, on a des
expériences d'interviews télé où le journaliste ne
connaît pas son sujet et, du coup, c'est une mauvaise expérience
pour l'artiste car il ne peut pas s'exprimer clairement. Ça ne donne pas
une bonne image de ce que l'on fait. Tout ce qui est télé ou
interview filmée, ce n'est pas des trucs qu'ils aiment car ils
ont
100 Entretien avec Rico, sélecteur d'OBF Sound System
à Genève. Cf. Annexe n°1 p. 73
101 Entretien avec Quentin Deniaud, cofondateur de Brainless
Sound System à Bourg-en-Bresse. Cf. Annexe n°1 p. 83
102 Entretien avec Polak, MC et cofondateur de Legal Shot Sound
System à Rennes. Cf. Annexe n°1 p. 81
40
eu des mauvaises expériences103
». En revanche, d'autres collectifs pensent que le dub et ses
dérivés sont uniquement voués à être
joués sur un sound system et que la musique n'aurait pas de sens en
diffusion radiophonique : « Pour moi, ce qu'on fait, c'est de la
musique dédiée pour être jouée en sound system. Ce
n'est pas de la musique qui est écrite pour passer à la radio.
Sur des enceintes de salon ou à la radio, tu n'entendras pas la basse,
et puis c'est de la musique assez minimaliste104 ».
Jean-Paul Deniaud, rédacteur en chef chez Trax
Magazine, presse écrite nationale spécialisée dans la
musique électronique, techno et house, nous en apprend encore davantage
sur cette culture. Pour lui, les acteurs des scènes dub ne cherchent
pas, effectivement, à se rendre visibles dans les médias de masse
: « Il faut savoir que nous, on parle de musiques électroniques
mais que le dub, notamment les sound systems dub, ce n'est pas forcément
du dub digital. On est très peu au courant et pourtant on est un
média national, on s'intéresse au rock, au rap, à plein de
styles mais pour tout ce qui va être sound system dub, on n'est pas au
courant de ce qu'il se passe. Je pense que c'est déjà
indépendant du point de vue de la communication, elle se fait via des
réseaux sociaux, des communautés qui se connaissent, des flyers,
des disquaires, mais pas par les médias traditionnels105
». Le magazine Trax cherche à entrer en contact avec les
collectifs : « Il y a comme une espèce de frontière.
Ça vient rarement des sound systems mais plutôt de nous. Quand on
va les voir sur une affiche, on se dit qu'on aimerait bien faire un truc avec
eux et c'est plutôt nous qui allons à leur rencontre pour leur
poser des questions106 ». Jean-Paul explique que les
acteurs et collectifs de ce mouvement ne cherchent pas forcément
à entrer en contact les médias de masse pour se rendre visibles
auprès du grand public : « Je pense que ça vient du fait
qu'ils ne connaissent pas le média, ils pensent qu'on ne parle que de
techno, de house et de musique de club. Du coup je pense qu'ils ne viennent pas
forcément nous voir car ils se réservent peut-être plus
pour Reggae vibes ou ce genre de magazine, plus porté sur la
culture jamaïcaine à la base107 ».
L'ensemble des acteurs ne se montrent pas réticents
à la médiatisation de cette culture. En revanche, si les
médias de masse veulent en parler, les acteurs insistent sur le fait
qu'ils devront restituer une information objective de cette culture au grand
public.
103 Entretien avec Morgan Le Godec, manager du sound system Stand
High Patrol à Morlaix. Cf. Annexe n°1 p. 75
104 Entretien avec Dopeshack, sélecteur de King Hi-Fi
Sound System à Lyon. Cf. Annexe n°1 p. 69
105 Entretien avec Jean-Paul Deniaud, rédacteur en chef
à Trax Magazine. Cf. Annexe n°1 p. 85
106 Entretien avec Jean-Paul Deniaud, rédacteur en chef
à Trax Magazine. Cf. Annexe n°1 p. 85
107 Entretien avec Jean-Paul Deniaud, rédacteur en chef
à Trax Magazine. Cf. Annexe n°1 p. 85
41
Les institutions et la culture sound
system
Pour quelle raisons cette culture, en plein essor dans le
paysage francophone, n'est-elle pas reconnue par les institutions et acteurs
politiques ? Nous avons posé la question à l'ensemble des acteurs
interviewés.
Frédéric Péguillan pense que les
collectifs n'ont pas envie d'être récupérés par les
institutions et vice-versa car : « Le problème, c'est que les
subventions dans la culture n'arrêtent pas de baisser, partout. Par
rapport au Télérama Dub Festival, on n'a jamais eu de subventions
ou juste quelque petites de l'ADAMI ou du CNV mais autrement, nous n'avons pas
de subventions d'État, de région, de département, nous
n'avons pas de sponsors. Au moins, quand les subventions baissent, ça ne
changera rien pour cette scène108 ». En effet, les
baisses générales de subventions culturelles en France ne
favorisent pas les acteurs de cette culture à les solliciter pour une
aide financière. DopeShack partage la même vision et pense que les
institutions ignorent totalement ce mouvement : « Je ne suis
même pas sûr qu'ils perçoivent cette culture en fait. C'est
tellement underground et marginal comme style de son par rapport au rap ou
à la techno, c'est un petit mouvement. Quand on fait des soirées,
c'est dans les clous, il y a le souci de basse et la réglementation ne
va pas dans notre sens mais à part ça ils ne nous connaissent
pas109 ». Rico rejoint la vision de Frédéric
Péguillan et de DopeShack, il ne souhaite pas les solliciter : «
Si tu construis quelque chose avec une institution, tu es obligé de
leur redonner quelque chose en échange. On en a déjà
parlé, on pourrait en avoir mais en contrepartie il faut mettre leur
logo sur la couverture de l'album et je n'en ai pas envie. On est
indépendant dans la façon de faire, on s'est toujours
débrouillé et on a envie justement de rester là-dedans et
de tout réussir par nous-mêmes. On n'a jamais demandé
l'aide de personne110 ». Polak pense que c'est une
question de visibilité et de fréquentations : « Quant au
fait de construire des liens avec les institutions, je préfère
être indépendant financièrement et ne pas dépendre
de subventions pour faire tourner l'association et le sound system. Là
où on en est actuellement, je trouve que l'indépendance a quand
même pas mal d'avantages, notamment au niveau
financier111 ».
Certains collectifs comment Skanky Yard ont tenté une
approche avec les acteurs politiques mais leur méconnaissance du secteur
ne les a pas poussés à continuer leur collaboration :
« La
108 Entretien avec Frédéric Péguillan,
fondateur et programmateur du Télérama Dub Festival. Cf. Annexe
n° 1 p. 79
109 Entretien avec Dopeshack, sélecteur de King Hi-Fi
Sound System à Lyon. Cf. Annexe n°1 p. 69
110 Entretien avec Rico, sélecteur d'OBF Sound System
à Genève. Cf. Annexe n°1 p. 73
111 Entretien avec Polak, MC et cofondateur de Legal Shot Sound
System à Rennes. Cf. Annexe n°1 p. 81
42
mairie de Dijon nous avait donné un lieu pour la
fête de la musique mais ils ne se sont pas intéressés
à ce qu'on allait y faire. Du coup, Le voisinage s'est plaint du volume
sonore et des basses, la mairie n'a pas voulu renouveler. On n'a rien à
leur offrir mais ils ne nous ont jamais remercié pour ce qu'on faisait
pour les jeunes de Dijon. On n'a pas envie de demander des subventions et de
leur rendre des comptes. De toute façon, on n'a pas les documents pour
faire une demande de subventions, ils limitent les demandes comme ça
aussi. On en revient à la définition de ce que l'on fait, c'est
underground et alternatif112 ».
Le collectif de Stand High Patrol a déjà eu
quelques expériences avec les institutions concernant la diffusion du
groupe à l'étranger mais il n'envisage pas de demander des
subventions pour le collectif en lui-même : «
Concernant les subventions, sur le label on n'en a pas mais sur le
booking, si tu veux monter une tournée à l'étranger, tu
peux demander des subventions et en avoir, on en a déjà eu
d'ailleurs ! Mais on n'a jamais vraiment compté sur les subventions pour
développer le collectif. Ça vient aussi de l'esprit sound system
à la base qui est plutôt «démerde-toi». C'est
toujours un bonus mais ce n'est pas la principale ressource113
».
En revanche, le collectif Brainless a une toute autre vision
des institutions. Il entretient des relations étroites avec les acteurs
politiques de la ville de Bourg-en-Bresse pour se produire : «
Ça s'est toujours bien passé avec la ville de
Bourg-en-Bresse quand on voulait organiser des événements
près de chez nous. L'année dernière, on a
fêté nos cinq ans et on a demandé des autorisations un peu
plus spéciales, c'est-à-dire ouvrir le skate parc, pouvoir y
mettre un sound system, faire un événement qui dure
l'après-midi puis faire une transition dans la salle de concert. Mais
c'est comme tout événement culturel, le sound system n'est pas
exclu ! Les institutions sont ouvertes au dialogue, nous avons pu
défendre et argumenter notre projet et ils ont su nous donner raison et
nous font désormais confiance. C'est important d'entretenir des liens
avec eux, ils ont toutes les clés. Et on n'a pas le choix, si on veut
perdurer et avoir plus d'argent pour faire ce que l'on a envie de faire, on se
doit de garder des liens avec les institutions114 ».
112 Entretien avec trois bénévoles de
l'association Skanky Yard et du sound system Dubatriation à Dijon. Cf.
Annexe n°1 p. 67
113 Entretien avec Morgan Le Godec, manager du sound system Stand
High Patrol à Morlaix. Cf. Annexe n°1 p. 75
114 Entretien avec Quentin Deniaud, cofondateur de Brainless
Sound System à Bourg-en-Bresse. Cf. Annexe n°1 p. 83
43
Nous remarquons que les institutions commencent à
s'intéresser à cet essor. La culture sound system a
intégré deux lieux culturels majeurs de la capitale de
l'hexagone. Sébastien Carayol fut commissaire de ces deux expositions
« Say Watt » à la Gaîté Lyrique à Paris du
21 juin au 23 août 2013 et « Jamaica Jamaica » à la
Philharmonie de Paris du 4 avril au 13 août 2017. La première
était consacrée à la culture sound system. La seconde
était plus largement dédiée à la Jamaïque
reconnue pour être à l'initiative de toutes les techniques de
composition et de productions musicales actuelles.
D'après l'ensemble des acteurs interrogés, la
culture sound system n'est pas encore reconnue par les institutions. En
revanche, pour d'autres, elle pourrait l'être dans quelques
années. Il faudrait que les collectifs fassent les démarches
nécessaires. Une minorité s'en rapprochent déjà
aujourd'hui. Les collectifs appartenant à la nouvelle
génération commencent à le faire.
44
|