INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION INDUSTRIELLE ET SOCIALE ?
Projet de fin d'étude
Référent entreprise : M. Stéphane
LANGEVIN
Référent campus CEI : M. Tony CRAGG
Projet de fin d'étude présenté en vue de
l'obtention du
Mastère Manager Logistique Achats Industriels
Kergueme Vincent
BOSCH GROUP
PARCOURS : MANAGER LOGISTIQUE SÉCURISÉE
INTELLIGENTE
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Remerciements
Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à
mon directeur de mémoire, Monsieur Tony CRAGG. Je le remercie de m'avoir
encadré, orienté, aidé et conseillé.
J'adresse mes sincères remerciements à tous les
professeurs, intervenants et toutes les personnes qui par leurs paroles, leurs
écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes
réflexions et ont accepté de me rencontrer et de répondre
à mes questions durant mes recherches.
Je remercie mes très chers parents, qui ont toujours
été là pour moi. Je remercie ma soeur, pour ses
encouragements.
Enfin, je remercie mes amis qui ont toujours été
là pour moi. Leur soutien inconditionnel et leurs encouragements ont
été d'une grande aide.
À tous ces intervenants, je présente mes
remerciements, mon respect et ma gratitude.
Reserve de responsabilité
« Le GIP Campus ESPRIT Industries n'entend donner ni
approbation ni improbation aux idées émises dans lesPFE et autres
documents soutenus en vue de l'obtention du diplôme. Ces opinions doivent
être considérées comme propres à leurs auteurs et
n'expriment en rien la position des institutions auxquelles ils
appartiennent. »
Table des matières
I. INTRODUCTION
2
II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION
INDUSTRIELLE ?
5
A. Industrie 4.0
5
1. Définition
5
2. Trois degrés de fabrication
numérisée
11
3. Industrie 4.0 et développement
durable
17
B. L'industrie du future vue par les
industriels
19
1. Industrie du futur et
compétitivité
20
2. Évolution du business model
23
3. Vers des organisations
responsabilisantes
24
C. L'industrie 4.0 dans le contexte du
développement mondial
25
1. Au-delà de l'économie
européenne - Menace pour les pays en développement
26
2. Objectifs de développement durable
- Implications pour l'industrie 4.0
30
D. Variation sectorielles dans le cadre de
l'industrie 4.0
32
1. Faible impact
32
2. Incidence moyenne
37
3. Incidence élevée
42
II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION
SOCIALE ?
48
A. Ressources humaines en période de
transformation industrielle
48
1. Fabrication intelligente
49
2. Lacunes et inadéquation des
compétences
52
B. L'industrie du futur et ses
conséquences sur le monde du travail
56
1. Conséquences à
l'échelle macroéconomique pour l'emploi
56
2. Conséquences sur l'organisation du
travail dans les entreprises
59
3. De l'innovation technique à
l'innovation sociale
63
III. CONCLUSION
67
I. INTRODUCTION
La quasi-totalité des grands
Le concept de « l`industrie 4.0 » a
été introduit dans le débat public par la «
Forschungsunion Wirtschaft und Wissenschaft ».Il désigne la
digitalisation de la production industrielle. Le concept dessine la vision
d`une usine intelligente, caractérisée par la mise en
réseau de toutes les parties et tous les processus de la production : le
pilotage virtuel en temps réel et l`emploi croissant de robots et
d`unités de travail autopilotées doivent contribuer à
accroître la productivité grâce à une plus grande
efficacité dans l`emploi des ressources. Cette mutation est
déjà en cours et la notion de « l`industrie 4.0 » est
aujourd`hui très présente dans le débat sur le
numérique.
Les convergences entre production et interaction, entre
travail et communication relèvent de plus en plus de compétences
interdisciplinaires pour préserver la compétitivité
économique. Non seulement les connaissances techniques, mais aussi la
flexibilité, la créativité et la capacité
d`innovation deviennent les facteurs décisifs de la réussite pour
les entreprises et leurs salariés. Toutefois, ces capacités
n`apparaissent pas spontanément dans les entreprises. L`industrie 4.0 a
besoin du soutien d`une politique appropriée en faveur de l`innovation.
Mais celle-ci n`est pas l`apanage de l`Etat. Au même titre que les
acteurs publics, les parties prenantes au sein de la société, des
entreprises et des sciences doivent élaborer une vision
systémique de l`innovation, pour pouvoir concevoir de façon
globale le passage au numérique dans les entreprises.
Les modifications mises en oeuvre par l`interconnexion et
l`utilisation des données ont une portée qui dépasse
largement la seule production industrielle. Elles remettent en partie en
question des éléments fondamentaux du monde du travail et de la
production. Elles impactent globalement nos structures économiques et
notre façon de vivre ensemble au sein de la société.Il
s'agit d'une association réunissant 28 représentants du monde de
l'entreprise et des sciences.Nous ne sommes qu`au début d`un
débat de fond qui apporte pour le moment plus de questions que de
réponses. Nous verrons dans ce mémoire que l`industrie 4.0 ne
doit pas seulement être considérée comme une innovation
technique, mais aussi comme une innovation sociale.
II. INDUSTRIE 4.0, UNE
REVOLUTION INDUSTRIELLE ?
A. Industrie 4.0
1. Définition
Les innovations technologiques transforment la fabrication
industrielle depuis les années 1900. Et, bien que ce ne soit là
rien de nouveau, un grand nombre de compagnies et de gouvernements discutent
depuis quelques années de la numérisation, qui est en train de
transformer le secteur manufacturier tel que nous le connaissons.
Dernièrement, les expressions « Industrie 4.0 » et «
quatrième révolution industrielle » sont utilisées
pratiquement comme des synonymes. Elles ont été utilisées
pour la première fois par la Deutsche Forschungszentrum für
Künstliche Intelligenz (DFKI ou Centre allemand de recherche sur
l'intelligence artificielle), mais il faut préciser que l'analyse du
DFKI ne fait pas l'unanimité. Quoi qu'il en soit, ces expressions sont
passées dans l'usage, même si leurs définitions sont
demeurées assez vagues. Elles désignent tour à tour des
compagnies qui utilisent Internet pour des solutions adaptées aux
besoins de leurs clients; des fournisseurs de services indirects qui font appel
à des travailleurs de plateforme, à des travailleurs
participatifs ou à des travailleurs de l'« économie à
la demande »; l'utilisation d'une vaste gamme de technologies allant de
l'impression tridimensionnelle (fabrication par couches) à la robotique
de pointe dans les usines de fabrication, en passant par les drones - et bien
plus encore. De fait, en plus de la numérisation, des technologies de
l'information et des communications, et de l'impression tridimensionnelle, la
liste des nouvelles sciences et des innovations techniques ne cesse de
s'allonger : photonique, biotechnologie, nanotechnologie, microtechnologie,
matériaux de pointe, sans oublier les changements radicaux
apportés aux technologies de l'énergie et de l'environnement - et
bien d'autres encore. Toutes ces nouvelles technologies sont mises en service
rapidement, et il est certain qu'elles auront un impact - possiblement un
impact perturbateur - sur la fabrication industrielle traditionnelle.
L'expression « Industrie 4.0 » n'est peut-être
pas idéale pour désigner les changements qui s'en viennent, mais
comme sonusage est répandu, il serait trop difficile de la remplacer par
unterme plus approprié. L'expression « Industrie4.0 » a
été utilisée pour la première fois comme nom
d'uneassociation de recherche entre le gouvernement allemand et unProjet
stratégique portant sur la haute technologie, dirigée parle
ministre allemand de la Recherche, mais elle a trouvé depuisd'autres
utilisations dans le monde anglophone. En décembre2015, le Forum
économique mondial s'est réuni à Davos pourdiscuter de ce
dossier; la revue The Economist a publié un numérospécial
sur l'Industrie 4.0; Eurofound, une agence de recherchede l'Union
européenne, a produit plusieurs rapports consacrés
àl'avenir du travail et portant sur certaines des conséquences
del'Industrie 4.0 sur les travailleuses et travailleurs. Le
résumé le plusconnu provient sans doute du Centre allemand de
recherche surl'intelligence artificielle (figure 1).Il y a évidemment
toujours une interaction entre les technologies, les intérêts
commerciaux et les structures sociales. Toutefois, ilserait faux de croire que
les technologies sont toujours, d'une façonunidirectionnelle, à
l'origine d'un changement.
Au contraire, il fautexaminer l'ensemble du contexte. Dans
quel environnement socialet économique les changements technologiques se
produisent-ils? Quelles pressions risquent-ils d'exercer sur la
société, l'économie ou l'environnement? Le
développement durable va découler de l'application d'une
pensée intégrative.
Figure 1. Les quatre
révolutions industrielles
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Source : Centre allemand de recherche sur l'intelligence
artificielle
De nouvelles avancées en technologie ont
déclenché des révolutions industrielles de diverses
durées au cours des siècles, et chacune d'elles a provoqué
d'importantes réactions chez les travailleurs et leurs porte-parole. Si
les révolutions industrielles précédentes se sont
soldées par la hausse des emplois, on peut s'attendre cette fois ci
à un résultat différent. Les révolutions
industrielles précédentes ont donné naissance à des
théories économiques et politiques non conventionnelles (par
exemple, le communisme) et à des structures sociales alternatives (par
exemple, l'État providence).
Les conséquences de l'Industrie 4.0 et la
transformation qu'elle opérera sur notre économie sont si
variées que l'analyse de ses menaces, avantages et solutions potentiels
doit être faite en accordant une place importante à la fabrication
industrielle (et à sa chaîne de valeur).
Les changements survenus dans la production industrielle, les
nouvelles technologies et leurs répercussions sur les travailleurs et le
travail ne sont rien de nouveau.
L'invention du moteur à vapeur qui a donné le
coup d'envoi à la fabrication industrielle dans la première
révolution; les bandes transporteuses et les chaînes de montage,
dans la seconde; l'utilisation d'ordinateurs et d'équipement
électronique pour contrôler la production, dans la
troisième, l'ont démontré à maintes reprises : les
travailleurs doivent faire face aux conséquences des changements
technologiques depuis des décennies et des siècles. Ce qui est
différent avec la quatrième révolution industrielle, c'est
la vitesse à laquelle ellepourrait exercer son potentiel d'impact
considérable et durable sur l'économie, sur les disparités
entre les pays en développement et les pays développés,
sur la main-d'oeuvre, sur le prix des produits et sur nos
sociétés. Quand le processus d'automatisation sera lui-même
automatisé grâce à des technologies comme l'intelligence
artificielle, l'accélération du changement qui en
résultera sera différente de tout ce que l'on a connu.
Jusqu'à présent, les entreprises et les
gouvernements ont dirigé les discussions en adoptant une approche
centrée sur l'économie et les technologies et en faisant
abstraction des impacts sociaux ou en ne leur accordant que très peu
d'importance. Les gouvernements, surtout en Europe, investissent dans des
recherches et des projets pilotes dans le but de mettre au point des processus
de production à l'aide des technologies de l'Industrie 4.0 (en
subventionnant efficacement les entreprises privées).
Cependant, l'analyse des répercussions sur la
société - portant à la fois sur les menaces et les
possibilités - de l'avenir du travail, des changements dans le
marché du travail, ainsi que des tensions potentielles sur les
systèmes d'aide sociale et sur les disparités économiques
actuelles, semble être reportée ou négligée
complètement dans les discussions. Au lieu de simplement attendre que
les impacts sociaux se manifestent, nous devrions nous employer à les
orienter. Si nous souhaitons éviter les pièges des
précédentes itérations de changements capitalistes, nous
devons insister pour que les technologies soient centrées sur l'humain,
c'est à dire que toute nouvelle technologie mise en service accorde une
place centrale aux humains en tant qu'opérateurs et décideurs
actifs, qui seront plus que des opérateurs de machines et des chargeurs
de matériaux. Les impacts sociaux peuvent et doivent être pris en
compte dans tout nouveau système.
Certains emplois seront transformés, d'autres
disparaîtront, d'autres encore seront créés. Les compagnies
qui ne s'adapteront pas seront obligées de fermer leurs portes ou de
fusionner avec d'autres. De nouvelles compagnies verront le jour.
Certains gouvernements joueront un rôle, d'autres, non.
Quant aux gouvernements qui interviennent déjà, ils se sont
jusqu'ici contentés de subventionner la recherche et le
développement, l'éducation et les formations professionnelles,
sans exiger de garanties d'emplois en retour.
· Nous avons besoin d'une meilleure interaction et de
meilleurs partenariats entre la recherche, l'éducation et l'industrie,
et nous devons renforcer le lien entre les compétences fondées
sur l'expérience et la recherche.
· Nous devons combler les lacunes dans les organismes de
financement public - pour développer et restructurer de grandes
compagnies matures, qui, à leur tour, font affaire avec une foule de
fournisseurs de petite et de moyenne taille.
Bien que toutes ces choses soient constamment à
l'oeuvre dans notre économie mondiale, les changements induits par
l'Industrie 4.0 se produiront beaucoup plus rapidement que tout ce que nous
avons vu jusqu'ici.
Bien sûr, les gouvernements ne doivent pas limiter leur
rôle à subventionner et à encourager la transformation
numérique. Au contraire, dans ce domaine d'évolution rapide, ils
doivent créer et appliquer des lois, des normes et des politiques
publiques, dans l'intérêt du public.
Le processus de numérisation « concentre le
pouvoir et la richesse dans des plateformes de marché numérique,
privant ainsi toutes les autres compagnies de la chaîne de valeur de la
capacité d'investir, d'innover et d'offrir de bons salaires et de bonnes
conditions de travail. Il s'attaque aux fondements de la relation d'emploi
permanent et à temps plein reposant sur des conventions collectives,
parce que toutes les fonctions de cette relation (dont le contrôle des
tâches) peuvent être effectuées individuellement,
automatiquement et à distance (et), par conséquent, les
travailleurs étant placés dans une concurrence internationale des
prix, le travail précaire assorti de conditions personnalisées
connaît un essor fulgurant (pigistes, pseudo travail indépendant,
travailleurs participatifs, travailleurs de plateformes ou travailleurs
à la demande). Le processus de numérisation ouvre des
possibilités sans précédent au contrôle
asymétrique, vertical et horizontal des travailleurs, tout en permettant
entre eux la coopération symétrique, horizontale,
multilatérale et démocratique.
Le graphique suivant (en forme de sourire) illustre à
quel point la fabrication a été sous-représentée,
comparativement aux autres étapes de la chaîne de valeur. C'est le
résultat de politiques publiques et privées plutôt qu'une
loi de la nature et, par conséquent, cette situation pourrait en
principe être changée.
Figure 2. Courbe
générique « en forme de sourire » dans une chaîne
de valeur

Source : adapté à partir du Smiling
Curve.svg, Rico Shen, Wikimedia Commons
Les prédictions portant sur l'Industrie 4.0 et ses
conséquences potentielles sur les marchés du travail semblent
très polarisées. Les optimistes s'attendent à une
augmentation du nombre d'emplois très bien
rémunérés, tandis que les pessimistes prédisent des
pertes d'emplois de l'ordre de 35 à 40 %. Même en prévoyant
une marge d'erreur entre la théorie et la (future)
réalité, il est étonnant de constater que les
prédictions faites au sujet d'une transformation industrielle qui est
déjà en train de se produire autour de nous semblent aussi peu
fiables qu'une boule de cristal.
Les conséquences générales de l'Industrie
4.0 sont, à certains égards, prévisibles, mais il en va
autrement des chiffres, dans ce scénario : la performance de
l'économie dans son ensemble, les dépenses gouvernementales en
matière de recherche et développement, de qualifications et
d'éducation entrent toutes en jeu dans ces prédictions.
Divers secteurs industriels seront touchés très
différemment par l'Industrie 4.0 et l'automatisation potentielle. La
complexité des produits, les prix et les qualifications actuelles de la
main-d'oeuvre de l'industrie sont des indicateurs qui peuvent nous aider
à prédire les conséquences pour la main-d'oeuvre et
influencer la façon dont nous imaginons le travail dans un avenir plus
ou moins rapproché. L'objectif du présent document est de faire
la lumière sur les différents résultats de l'Industrie 4.0
afin de nous préparer en vue des futures tendances qui se
Source : Deborah Greenfield, directrice
générale adjointe, Politiques, Organisation internationale du
Travail, 26 octobre 2017, Genève
Tableau 1. Incidence des technologies sur les emplois
: diverses estimations
manifesteront dans les industries et les secteurs
importants.

2. Trois degrés de fabrication
numérisée
Les effets à court, moyen et long terme de la
numérisation de la fabrication, ce qu'est en fait Industrie 4.0, ne sont
pas tout à fait clairs, mais il est certain qu'ils varieront
considérablement en fonction des différentes industries et du
degré auquel les usines seront en mesure d'appliquer les technologies
modernes. On identifie généralement trois degrés
différents : 1) les systèmes d'aide; 2) les systèmes
cyberphysiques; 3) l'intelligence artificielle.
Ces formes de technologies pourraient être
adoptées séparément ou simultanément dans un lieu
de travail donné.
Les systèmes d'aide sont le niveau le moins
sophistiqué de la numérisation dans les usines. Utilisés
surtout pour l'assemblage de produits, ces systèmes assistés par
ordinateur guident les travailleuses et travailleurs à travers leurs
différentes tâches, étape par étape. Certains
pronostics prévoient que l'utilisation de ces technologies aura pour
conséquence une augmentation considérable de la
productivité et des revenus, ainsi qu'une réduction
simultanée de la main-d'oeuvre allant jusqu'à 25 %.
Les systèmes cyberphysiques sont liés à
ce qu'on appelle « Internet des objets », mais ils sont plus
généraux. Pour les besoins du présent document, on entend
par « systèmes cyberphysiques » une usine intelligente dont
les machines, parfois autonomes, sont interreliées et où
l'état d'avancement de la production de n'importe quelle zone peut
être surveillé en tout temps. Pour ce faire, les machines doivent
être intégrées dans un réseau. Les composants sont
munis de puces d'identification par radiofréquence (IRF) qui
communiquent des informations sur l'état d'avancement de la production
aux services d'entretien, aux panneaux de commande des processus et parfois
même aux clients et qui envoient aussi des signaux aux machines pour leur
indiquer les spécifications du produit final et les étapes de
production nécessaires pour le produire.
La compagnie Adidas a récemment annoncé un
projet de fabrication numérisée très attrayant pour sa
clientèle, car la technologie utilisée permettra de personnaliser
les produits : le client choisira les couleurs, les finis ou les tissus pour un
produit; ses choix seront sauvegardés sur une puce IRF, qui transmettra
ensuite de façon automatique à la machine les matières
premières ou les parties à utiliser durant la production.
À titre d'exemple, en ce qui concerne l'économie
américaine, les chercheurs prévoient que l'ouverture d'usines
intelligentes entraînera une réduction des effectifs allant
jusqu'à 35 % dans l'ensemble du secteur manufacturier. Ces pronostics
sont cependant assez vagues au sujet des indicateurs de prédiction
utilisés et quant à la variation de la réduction des
effectifs en fonction des secteurs, ainsi qu'en fonction des compétences
et des qualifications actuelles de la main-d'oeuvre.
Cette technologie permettra de produire un petit volume de
produits personnalisés à un prix modérément bas,
mais comme chaque puce IRF coûte entre 12 et 25 cents américaines
(au coût de 2017), on les utilisera surtout pour la production d'articles
plus chers et de valeur ajoutée. L'utilisation de ces puces dans la
fabrication en série de produits bon marché employant une
technologie rudimentaire ne serait économiquement possible que si leur
coût unitaire descendait sous les 5 cents.
Les machines intelligentes, à la fois capables de lire
les codes IRF et compatibles avec un réseau intégré
à l'échelle de l'usine et incorporé dans un Internet des
objets, sont-elles aussi un investissement coûteux, que toutes les
entreprises ne peuvent pas se permettre. La plupart des petites et moyennes
entreprises (PME) sont incapables de faire ces investissements, à moins
de recevoir des subventions ou un autre type d'aide financière publique.
Cela dit, les prix des technologies de pointe devraient tôt ou tard
baisser considérablement.
Par ailleurs, les progrès technologiques récents
permettent une approche intermédiaire : des ponts électroniques
qui relient les unes aux autres des machines qui existent déjà.
Ces dernières sont incapables d'envoyer des rapports d'étape au
panneau de commande, mais comme les ponts sont interreliés, ils
remplacent cette fonctionnalité manquante dans les machines.
Grâce à cette technologie, les innovations des
PME pourraient continuer à faire concurrence aux grandes multinationales
qui ont les moyens, elles, de faire la transition vers la fabrication
entièrement intelligente. Selon le Centre allemand de recherche sur
l'intelligence artificielle, les ponts électroniques accroissent les
rendements des compagnies et pourraient entraîner des réductions
d'effectifs allant jusqu'à 10 %, ce qui est peu, mais c'est parce que la
plupart des tâches exigent encore la présence de travailleurs pour
faire fonctionner les machines.
La majorité de ces rationalisations seront
appliquées aux tâches d'entretien : les ponts électroniques
détecteront les problèmes dès leur apparition et
l'entretien sera alors géré sur demande.
L'intelligence artificielle est le degré de fabrication
numérisée le plus sophistiqué, sur le plan des
technologies, et le plus controversé. Elle n'est pas limitée au
secteur manufacturier : l'intelligence artificielle est aussi appliquée
aux emplois de bureau, par exemple, pour trier les bons de commande, traiter
les données des clients, sélectionner les candidats aux postes
affichés, traiter et analyser les « mégadonnées
». Le débat semble assez divisé sur l'intelligence
artificielle, ainsi que sur son utilisation et son incidence sur
l'économie et la main-d'oeuvre. Pour certains, c'est encore un produit
de fantaisie qui est loin d'être prêt à un usage commercial;
pour d'autres, c'est déjà un fait accompli qui transformera
rapidement la production. Précisons toutefois que l'intelligence
artificielle n'est pas synonyme de robotique de pointe - au contraire, elle va
contrôler et améliorer la robotique de pointe, entre autres
choses.
Le concept de l'intelligence artificielle ressemble un peu
à la fabrication intelligente : des machines - dans ce cas-ci, des
robots - communiquent les unes avec les autres et se répondent les unes
aux autres, mais, au lieu d'envoyer un rapport à un panneau de commande
central opéré par des travailleurs hautement qualifiés,
elles fonctionnent de façon tout à fait indépendante.
Mais, bien que la recherche sur ce sujet progresse, et progresse rapidement,
cette technologie est encore tellement chère qu'elle ne sera pas de
sitôt appliquée à la fabrication. Quand elle le sera, on la
retrouvera d'abord dans les industries de pointe et les industries à
forte valeur ajoutée qui sont en mesure de récupérer
l'énorme investissement initial sur une période relativement
courte.
Si l'intelligence artificielle n'occupe pas encore une place
importante dans la fabrication, c'est elle qui pourrait avoir l'impact le plus
marqué sur le travail industriel, et qui fera en sorte qu'un grand
nombre des travailleurs d'aujourd'hui seront tout à fait
dépassés. On se demandera un jour s'il y a un travail que les
humains peuvent faire mieux que les robots artificiellement intelligents.
Ces degrés de numérisation de la fabrication
industrielle caractérisent des dépendances de trajectoire variant
considérablement d'un secteur industriel à l'autre et entre les
régions d'un même secteur - non seulement la fabrication
industrielle dans son sens le plus strict, mais également le travail de
bureau et le secteur des services.
En outre, ils pourraient changer à court, moyen et long
terme, à mesure qu'évoluent les tâches au sein de chaque
secteur. Cela dit, les caractéristiques qu'ils ont en commun vont
redéfinir la façon dont nous considérons le travail.
L'intercommunication est le dénominateur commun dans tous ces cas : les
communications de machine à machine et de machine à humain seront
plus nombreuses dans la fabrication intelligente. La qualité et la
quantité de données vont augmenter - procurant de nets avantages
au fabricant et au client (possibilité de suivre l'état
d'avancement de la production d'un produit personnalisé, un peu comme
nous suivons aujourd'hui une commande passée auprès d'Amazon; une
meilleure capacité à prédire les futurs besoins en
production), mais donnant aussi les moyens de surveiller de près et avec
précision les travailleurs et leur productivité.
Les organisations devront refuser un tel contrôle des
données personnelles par les employeurs parce qu'il ne peut mener
qu'à une compétition sauvage entre les travailleuses et
travailleurs et affaiblir leur solidarité. Comment les travailleurs
pourront-ils être concurrentiels quand on comparera leur travail à
celui d'une machine? Comment la productivité sera-t-elle mesurée
quand le travail d'une personne sera exécuté dans le contexte
d'un système technique complexe fonctionnant sans arrêt et qu'il
n'y aura plus de corrélation claire entre les heures travaillées
et la production? Qu'adviendra-t-il de nos attentes relatives à un
minimum de respect de la vie privée, même au travail?
Nous devons nous assurer que les données personnelles
continueront d'être gardées en lieu sûr. Le terme «
mégadonnées » désigne la collecte et l'analyse
d'ensembles de données qui étaient jusqu'à présent
trop volumineux ou trop complexes pour être utiles. Mais comme les
ordinateurs sont toujours de plus en plus puissants, les algorithmes, de plus
en plus intelligents et complexes, et les logiciels, de plus en plus
sophistiqués, les mégadonnées sont devenues un outil de
gestion couramment utilisé par de nombreuses sociétés.
Toutefois, avec tous les systèmes de mégadonnées vient
aussi la menace de vol et de piratage des données. Qui sera
autorisé à accéder aux données et à les
utiliser? Et de quelles données est-il question, au juste - celles des
travailleuses et travailleurs ou celles de la compagnie?
Il est peu probable que les travailleuses et travailleurs
aient leur mot à dire sur la nature des données recueillies
à propos de leur rendement ni sur l'usage qui sera fait de ces
données.
De fait, compte tenu de la quantité de données
personnelles accessibles par le biais de plateformes telles que Facebook et
Google, le traitement et la revente de données personnelles et
collectives sont devenus une industrie majeure, même si elle est
essentiellement cachée. Le nouvel âge du capitalisme est
déjà surnommé « capitalisme de surveillance »
par certains - et les implications sur la confidentialité des
renseignements personnels, voire sur la démocratie, ont à peine
été analysées.
Si l'établissement de normes particulières est
permis, une quantité excessive de richesse se trouvera concentrée
en un seul point de la chaîne de valeur. Les plateformes
numériques et les mégadonnées ne doivent pas non plus
devenir des monopoles. Les trois principes suivants devraient s'appliquer : 1)
les mégadonnées doivent être considérées
comme des « données ouvertes »; 2) les algorithmes de
recherche doivent être ouverts et équitables; 3) les structures de
subventions croisées et les autres pratiques commerciales
déloyales doivent être empêchées ou cessées si
elles existent déjà.
Ces trois différentes formes de fabrication
numérisée - systèmes d'aide, systèmes
cyberphysiques et intelligence artificielle - qui sont tous des aspects de
l'Industrie 4.0 - vont métamorphoser le travail. Elles feront sentir
leurs effets sur les pays développés et les pays en
développement à des degrés divers et en vertu de divers
principes; elles établiront diverses exigences concernant les
qualifications des travailleurs; elles réduiront les effectifs dans
différentes proportions. Il est important de ne pas négliger
l'impact qu'auront ces changements technologiques sur des domaines de travail
autres que la fabrication. Ils vont redéfinir nos
sociétés, remettre en cause nos systèmes d'aide sociale,
exacerber les inégalités sociales qui existent
déjà; malheureusement, malgré leur importance capitale,
ces aspects sociétaux ne sont presque pas pris en considération.
Une fois encore, il incombe au mouvement syndical de faire valoir les
conséquences sociales.
3. Industrie 4.0 et développement
durable
Sur le plan économique, la numérisation de la
fabrication industrielle sera avantageuse pour les compagnies et les
gouvernements, et elle pourrait également favoriser le
développement durable. La production numérisée permet aux
compagnies d'utiliser les matières premières d'une façon
plus efficiente, et l'utilisation de puces IRF permet de sauvegarder
l'information sur l'assemblage des produits concernant les matériaux
utilisés dans tels ou tels composants. Le démontage et le
recyclage s'en trouvent facilités; le gaspillage des ressources,
réduit. Ce résultat est le fondement de ce que l'on appelle
l'« économie circulaire », l'un des principaux avantages sur
le plan de l'environnement et celui qui intéresse le plus les
gouvernements.
L'exploitation accrue de petites productions locales d'une
énergie renouvelable (par exemple, des cellules photovoltaïques
installées sur un toit), assortie d'une consommation d'énergie
contrôlée numériquement et de technologies de gestion de
l'énergie artificiellement intelligentes, pourrait aboutir à la
décentralisation de la production d'énergie et, tôt ou
tard, à la décentralisation du réseau
d'électricité lui-même. Cette tendance existe
déjà : en Europe, de nombreuses usines de papiers pratiquent
déjà la production combinée de chaleur et
d'électricité, laquelle sera, ou est déjà, une
réalité pour d'autres secteurs également, dans les usines
qui sont alimentées en électricité par leur propre groupe
électrogène. Le rejet thermique peut être transformé
en énergie utilisable grâce à des systèmes de
récupération de la chaleur perdue. Les compagnies pourraient de
plus en plus être alimentées par des énergies renouvelables
(énergies solaire, éolienne ou hydraulique). Le surplus
d'énergie produit par les usines industrielles - c'est à dire la
quantité d'énergie qui excède l'énergie
nécessaire à la fabrication de leurs produits - peut être
déversé dans le réseau d'électricité qui
dessert les collectivités voisines.
L'existence de nombreux petits sites de production
d'énergie obligera à modifier le réseau
d'électricité, conçu pour répondre aux besoins d'un
nombre relativement petit de vastes générateurs
électriques. L'application de ces principes permettra de réduire
considérablement le gaspillage d'énergie. L'Industrie 4.0
accentuera cette récente tendance vers la décentralisation des
réseaux électriques.
Certains chercheurs prévoient des impacts positifs sur
les infrastructures énergétiques des régions plus
précaires de la planète, en Afrique notamment. La
disponibilité de sources d'énergie de remplacement pourrait,
selon ces prédictions, non seulement améliorer le niveau de vie
des populations, mais également inciter les compagnies à employer
les ressources humaines régionales, stimulant par le fait même les
économies locales. Par contre, dans les centrales électriques ou
dans les services publics d'électricité, de nombreux emplois
seront perdus ou transformés.
D'un point de vue plus pessimiste, la capacité accrue
de répondre rapidement et avec souplesse aux désirs des
consommateurs risque d'accélérer le cycle de vie des produits et
de provoquer leur obsolescence de plus en plus rapidement. Il s'ensuivrait une
augmentation de la demande en ressources, suivie d'une augmentation de la
production de déchets. L'instauration des nouvelles technologies
numériques nécessite l'utilisation de ressources
supplémentaires, par exemple : des métaux du groupe des terres
rares pour les puces; d'autres minéraux pour l'équipement
numérique.
L'Industrie 4.0 pourrait représenter des avantages pour
l'environnement, mais elle risque aussi de faire peser des menaces sociales sur
les travailleurs, leur famille et leur collectivité, si la
sécurité des emplois n'est pas garantie pendant la
transformation. Jusqu'à présent, aucune transformation
économique induite par les technologies n'a pu être
stoppée, mais les syndicats doivent insister pour que les droits des
travailleuses et travailleurs soient améliorés par le changement
technologique, et non diminués. L'histoire a montré que les
révolutions industrielles de cette ampleur ne peuvent être
maîtrisées que si l'expertise et le savoir des travailleuses et
travailleurs sont pris en compte. S'ils sont négligés dans le
processus de transformation, de riches sources de connaissances et des
innovations futures seront gaspillées.
Les disparités entre les pays développés
et les pays en développement devraient particulièrement attirer
l'attention des gouvernements sur la façon de gérer cette
transformation en accordant la priorité aux conséquences
positives sur la société et en réduisant au maximum les
coûts pour la société.
B. L'industrie du future vue par les
industriels
« L'industrie du futur est un sujet trop important pour
le laisser entre les seules mains de l'État ». C'est par ces mots
que Philippe Darmayan, président de l'Alliance Industrie du futur, du
Groupement des fédérations industrielles et d'Arcelor- Mittal
France, a ouvert la séquence du 20 avril 2017 consacrée à
la conception et l'organisation de l'usine du futur dans les entreprises
industrielles.
Du point de vue des industriels, le sujet de l'industrie du
futur reste trop souvent associé dans le débat public au
thème de la robotisation et à la question sociale qui en
résulte. Cela relève d'une mauvaise compréhension de ses
enjeux. À la différence des précédentes
révolutions industrielles et technologiques, l'industrie 4.0 ne concerne
pas prioritairement la productivité du travail.
Selon Philippe Darmayan, les enjeux de l'industrie du futur
vus par les industriels sont de quatre ordres :
· la différenciation de l'offre par une
adaptation plus fine à la demande (personnalisation) ;
· la compétitivité (baisse des
coûts, amélioration continue, robotisation, traitement des
données) ;
· la réduction des capitaux engagés
(rapidité de traitement, chaînage entre conception et usine,
réduction des besoins en fonds de roulement, maintenance
prédictive) ;
· la transformation des business models.
Les industriels doivent s'impliquer dans les grandes questions
transversales, telles que la gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences et la standardisation. Les entreprises européennes
laissent trop souvent à d'autres le soin de définir les standards
et les normes. Sur ce point, le leadership américain est incontestable.
Des questions telles que les infrastructures européennes du cloud, le
marché intérieur numériqueet son cadre juridique
européen, revêtent une importance capitale, sous peine pour
l'Europe de devenir un « Tiers-monde numérique », selon le
terme de Laurent Alexandre auditionné au Sénat le 19 janvier 2017
sur l'intelligence artificielle.
Dans la pratique, le concept d'industrie du futur
présente une certaine plasticité : il varie selon les
priorités des entreprises et les secteurs d'activités. Passage en
revue de quelques cas d'application.
1. Industrie du futur et
compétitivité
- Le cas Vallourec
Pour Philippe Crouzet, président du directoire de
Vallourec, l'usine du futur ouvre trois champs d'opportunités :
· une meilleure maîtrise des
procédés de production (y compris dans des industries très
anciennes comme celle de l'acier), qui permet des gains de productivité
par la baisse de la non-qualité (grâce notamment aux capteurs et
aux nouvelles capacités d'analyse de données) ;
· une meilleure utilisation des actifs (diminution du
besoin en fonds de roulement, nouvelle jeunesse pour les équipements
anciens, disparition des stocks intermédiaires) ;
· une amélioration significative de l'offre aux
clients (services et produits).
Les tubes que Vallourec fabrique pour l'industrie
pétrolière et gazière, par exemple, disposent
désormais d'une fiche d'identité technique très
détaillée grâce à l'utilisation des data de la
production, qui permet aux clients de gérer différemment leurs
stocks et de mettre en oeuvre les tubes en fonction de leurs propres besoins.
Ceci a ouvert pour Vallourec un nouveau champ de réflexion, afin d'aider
les clients à optimiser l'ordre dans lequel ils positionneront les tubes
dans le sol. Les nouvelles technologies permettent ainsi de
générer une nouvelle valeur ajoutée pour les clients -
sans qu'il soit question de robots ou de baisse d'effectifs. Remplacer les
hommes par des robots n'est pas du tout l'objectif de l'industrie 4.0.
- Le cas Valeo
Valeo est un fournisseur de premier rang de l'industrie
automobile. Jean-Luc di Paola- Galloni, directeur du développement de
Valeo, indique la triple évolution que va connaître l'automobile :
· l'électrification des produits
(véhicules hybrides et électriques) ;
· la connectivité et la progressive
automatisation des véhicules (véhicules autonomes) ;
· les services de mobilité liés au
digital.
En parallèle, une révolution a lieu dans les
usines, du côté des processus. Valeo est présent dans plus
de 30 pays dans le monde, y compris la France et l'Allemagne. Mais l'usine de
Valeo la plus avancée en matière de robotisation se situe en
Tchéquie.
Plus que des robots, elle utilise des cobots : des robots
collaboratifs. Non seulement cette utilisation ne supprime pas
nécessairement des emplois, mais en plus elle améliore la
qualité du travail des opérateurs. Chez un équipementier
automobile, la valeur ajoutée innovante provient essentiellement du
niveau de maîtrise des opérations. Les opérateurs
deviennent donc des quasi-techniciens, voire des quasi-ingénieurs.
L'évolution vers l'industrie du futur permet
d'accompagner les changements sur les sites industriels en termes de produits,
en améliorant leur valeur ajoutée. À Nogent-le- Rotrou,
par exemple, Valeo exerçait des métiers de plus faible valeur
ajoutée. Grâce à la modernisation, la production a pu
être rattachée à un autre business group.
En outre, là où il existe des enjeux de
qualité extrême (moins de cinq défauts par million de
pièces produites, par exemple), l'industrie 4.0 aide à
l'amélioration de la transmission des données depuis
l'approvisionnement jusqu'à la sortie des produits finaux. Elle retire
notamment un certain nombre de charges dans des métiers très
stratégiques, comme la logistique des usines : l'introduction des
véhicules automatisés à l'intérieur des usines
apporte un vrai plus, mais également davantage de
sécurité. Enfin, elle apporte une amélioration très
nette des outils de gestion, des interconnexions de données et des
échanges entre les différents métiers, qui sont sources
d'innovation. La numérisation et la digitalisation au sein des
entreprises sont donc capitales pour prendre de l'avance en matière de
produits innovants.
Certes, tout cela représente un coût. Sur ce
point, l'Allemagne a été un pays extrêmement
précurseur dans les dispositifs de financement collaboratif
public-privé, mais la France y vient également.
En tant que co-gestionnaire de la plateforme de recherche
automobile auprès de la Commission européenne, Jean-Luc di Paola-
Galloni constate que les programmes en place fonctionnent, mais qu'il convient
d'aller plus loin, car les entreprises ont besoin à la fois de
programmes digitaux et numériques spécifiques à leur
secteur, et de programmes plus transverses. Les systèmes cyber-physiques
(embarqués), par exemple, affectent plusieurs industries. Mettre en
commun tous les programmes de financement pluri-industriels à
l'échelle européenne est donc capital. Dans cette optique, sans
doute faut-il davantage harmoniser les schémas nationaux et les
schémas européens.
Enfin, les coopérations sur ces sujets doivent aussi
aller au-delà du cadre européen. Valeo a ainsi
décidé d'aider le gouvernement tunisien, de la même
façon que PSAet Renault aideront le gouvernement marocain qui
s'apprête à disposer d'une base industrielle automobile
inédite.
Jouer la carte franco-allemande, européenne et
euro-méditerranéenne est un atout pour l'avenir.
- Le cas Cuisines Schmidt
Schmidt Groupe est allé loin dans la
numérisation et la robotisation avec son projet lancé il y a dix
ans : une cuisine fabriquée en un jour livrée au bout de dix
jours avec une qualité de 100 %. Le vendeur crée virtuellement
une cuisine avec les clients ; la commande est traitée par
échange de données informatiques ; la fabrication est
robotisée. Une commande standard peut ainsi être
réalisée presque sans intervention humaine. Mais les
collaborateurs n'ont pas perdu leurs emplois comme ils pouvaient le craindre :
ils se sont transformés en opérateurs et en pilotes
d'installations complexes. Cela a nécessité du temps beaucoup de
formation et de la confiance facilitée par la dimension familiale de
l'entreprise. L'entreprise croît désormais jusqu'en Chine et
réalise un CA de 1,5 milliard d'euros.
2. Évolution du business model
Sanofi, laboratoire pharmaceutique, renforce son implication
au service d'une prise en charge globale du patient. Comme l'explique Jean-Yves
Moreau, directeur des relations institutionnelles France, au-delà de la
recherche de molécules, Sanofi a depuis plusieurs années la
volonté de proposer une offre de santé qui comprend, certes des
médicaments mais aussi des dispositifs médicaux innovants dans le
cadre d'une prise en charge personnalisée du patient.
Un exemple en est donné avec le traitement du
diabète. Maladie chronique touchant 3 millions personnes en France, le
diabète représente un défi thérapeutique majeur
pour rendre autonomes les patients sous insuline. L'innovation digitale -
l'e-santé - est au coeur de l'accompagnement des patients
diabétiques sous insuline, parce que les nouvelles technologies
apportent de vraies solutions pour aider les patients dans l'accompagnement du
traitement de leur diabète. Sanofi qui a une expertise historique sur
l'insuline, développe des outils d'accompagnement sur les
différentes étapes : le diagnostic, l'aide au calcul de dose
d'insuline, la télésurveillance des données
auto-relevées par le patient dans le cadre d'une démarche de
télémédecine, etc.
L'entreprise s'est également rapprochée de la
filiale santé de Google (Verily Life Sciences) afin de créer une
filiale commune : Onduo. Celle-ci travaillera à la conception de
nouvelles solutions combinant dispositifs médicaux, logiciels,
médicaments et soins professionnels, pour une prise en charge simple et
intelligente de la maladie.
Onduo profitera à la fois de l'expérience de
Verily en matière d'électronique miniaturisée, de
techniques analytiques et de développement de logiciels grand public, et
de l'expérience clinique de Sanofi pour proposer des traitements
novateurs aux personnes atteintes de diabète.
Cependant, dans certains pays comme la France, les
modalités d'évaluation pour ce type d'innovation ne sont pas
encore matures. En effet, les molécules, les dispositifs médicaux
et les actes médicaux sont évalués par des instances
différentes avec une approche encore en discussion sur la place de ces
nouvelles solutions intégrées.
Une évolution de cette approche avec la prise en compte
des attentes des patients et de l'utilisation de ces nouveaux produits est
souhaitée. Elle fait l'objet de discussion multilatérale au sein
du comité de filière, sous l'égide du CSIS : le Conseil
stratégique des industries de santé.
Comme le note Philippe Darmayan en complément, la
logique par filière industrielle peut parfois aussi se
révéler paralysante pour concevoir l'innovation, car aujourd'hui
beaucoup d'innovations sont combinatoires : par exemple, la plasturgie et
l'électronique donnent la « plastronique » qui permet
d'obtenir des produits « intelligents » destinés aux
applications médicales (pompes à injecter, activateurs
musculaires, pompes à oxygène, etc.)
3. Vers des organisations
responsabilisantes
On sait que l'industrie du futur nécessitera une plus
grande autonomisation et responsabilisation des salariés. On observe
aussi que des organisations du travail construit sur la responsabilisation des
salariés renforcent l'engagement de ces derniers et améliorent la
performance globale de l'entreprise. En intégrant la réflexion
sur le travail (les tâches, les relations, les processus) et la
qualité du lien social aux changements de l'organisation, les
entreprises favorisent l'initiative des salariés et parviennent aussi
à mieux cerner où se crée réellement la valeur.
C'est le cas, par exemple, de Michelin, comme le rapporte Marc
Deluzet, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et
président de l'Institut Érasme.
Depuis 2013, Michelin a décidé de mener une
expérimentation, en sélectionnant une quarantaine d'îlots
de fabrication à travers le monde et en leur donnant carte blanche pour
s'organiser comme ils l'entendent. Précisons qu'un îlot est
formé par une équipe d'opérateurs sur un
périmètre machines, qui se succèdent en continu. Des gains
de productivité ont été observés et la
non-qualité a été fortement réduite. Le taux de
satisfaction au travail des ouvriers de ces groupes a fortement crû et
tend à rejoindre celui des cols blancs, ce qui est rarissimedans une
entreprise industrielle. Auparavant, même s'ils savaient ce qu'il fallait
faire, les ouvriers devaient attendre l'accord de la maîtrise.
Désormais, les problèmes sont résolus en
temps réel par les ouvriers, et le travail de la maîtrise consiste
davantage à faire de l'anticipation. Il est intéressant de noter
qu'aucun des îlots sélectionnés n'a complètement
changé le mode de production des pneus. Il s'est plutôt agi de
favoriser la responsabilisation des acteurs, sans modélisation a priori.
Fort de ce résultat, Michelin a décidé
d'étendre la démarche à plusieurs sites industriels
complets et leur a, notamment, proposé de s'affranchir du reporting. Ce
faisant, le management s'est mis en situation de repenser et d'inventer
l'ensemble du fonctionnement des usines. Le dialogue et l'ajustement sont
intégrés dans le processus de production, avec une mise en avant
du cas par cas et de la responsabilisation des acteurs plutôt que de la
modélisation générale du système.
C. L'industrie 4.0 dans le contexte du
développement mondial
Le débat sur l'Industrie 4.0 est jusqu'ici
dirigé par quelques pays et régions. L'Europe a eu une grande
influence, tant dans le monde universitaire qu'en politique, mais d'autres pays
mettent en oeuvre des stratégies voisines, dont la stratégie
« Fabriqué en Chine 2025 » est un exemple. Lancée en
2006 par l'Union européenne, la stratégie « Europe 2020
» a pour objectif « une croissance intelligente, durable et inclusive
». Cette stratégie ne se limite pas à la croissance
économique : elle prend en considération un grand nombre de
facteurs sociaux, l'adaptation nécessaire de l'UE et l'adoption de
politiques nationales en matière d'éducation et d'aide sociale.
Cela dit, les pays européens développés dirigent cette
discussion en faisant peu de cas des effets que cette transformation risque
d'avoir sur le monde en voie de développement. Or, il ne faut pas
laisser l'Industrie 4.0 devenir, aux mains des pays développés,
un nouveau moyen de punir les pays qui le sont moins.
Il est probable que la mise en oeuvre de l'Industrie 4.0
débutera dans chaque secteur par les industries où les
coûts de cette transformation auront le plus de chance d'être
rapidement compensés par des gains de productivité - et donc des
hausses de bénéfices. Les premiers utilisateurs de ces
technologies exerceront des pressions sur leurs fournisseurs et clients
immédiats qui, à leur tour, exerceront des pressions sur leurs
fournisseurs et clients respectifs, et ainsi de suite, tant vers le haut que
vers le bas et d'un bout à l'autre de la chaîne de valeur, pour
qu'ils emboîtent le pas. Leurs concurrents, ainsi que leurs propres
chaînes de valeur, devront céder aux pressions et adopter les
technologies de l'Industrie 4.0. L'adoption croissante ne sera donc pas un
processus graduel ou linéaire. Elle s'étendra plutôt de
façon exponentielle, une fois qu'elle sera pleinement lancée, et,
grâce aux chaînes de valeur mondialisées d'aujourd'hui, elle
ne demeurera pas bien longtemps un phénomène propre aux pays
européens ou aux pays développés - ce qu'elle n'est
déjà plus, en fait. La forme et l'orientation actuelles des
chaînes d'approvisionnement mondiales et de la mobilité de la
main-d'oeuvre seront de nouveau en harmonie.
L'Industrie 4.0 changera plus que les méthodes de
production. Elle déplacera l'endroit où la plus grande valeur est
ajoutée sur la chaîne de valeur. Les différentes
étapes - conception, ingénierie et entretien - doivent être
prises en considération au-delà de la fabrication industrielle
d'un produit. Il faudra peut-être repenser les droits de
propriété intellectuelle (brevets et droits d'auteur) et les
droits relatifs aux mégadonnées. Les lois en vigueur dans ce
domaine ont permis à un petit nombre de compagnies d'accumuler
d'énormes richesses.
1. Au-delà de l'économie
européenne - Menace pour les pays en développement
La façon dont les pays développés
agissent dans cette transformation et la façon dont les gouvernements
décident de subventionner ce changement socioéconomique ou
d'assurer un soutien par d'autres moyens (p. ex., des réductions
d'impôt) ont des effets marqués et très directs sur les
pays en développement. Dans une économie mondialisée, les
bas salaires versés dans les pays en développement sont l'un des
principaux avantages compétitifs de ces derniers par rapport aux pays
développés.
C'est d'ailleurs cet avantage qui est à l'origine de la
désindustrialisation de certains pays développés, mais
l'expression « relocalisation industrielle » serait plus
appropriée pour décrire ce phénomène.
Bien que le travail précaire soit
particulièrement répandu dans les pays du Tiers-Monde, de
nombreux travailleurs, leur famille et leur collectivité ont vraiment
besoin du (petit) revenu qu'ils tirent de ce travail industriel, même
s'il est parfois insuffisant pour combler leurs besoins fondamentaux.
En somme, l'Industrie 4.0 rend possible la production en
petits nombres de produits spécialisés à des prix
relativement bas, même dans le monde développé. Les
ressources et les matériaux sont utilisés d'une façon plus
rationnelle, mieux réutilisés et mieux recyclés; la
décentralisation de la production d'énergie et des réseaux
de distribution d'électricité permet aux compagnies de produire
elles-mêmes l'énergie dont elles ont besoin et de retirer un
revenu supplémentaire en déversant leurs surplus d'énergie
dans le réseau électrique qui dessert les collectivités
avoisinantes. Et, bien sûr, les rationalisations et les réductions
d'effectifs exercent elles aussi une tendance à la baisse sur les
coûts de production, ce qui représente un immense avantage pour
les compagnies. Pour certains chercheurs, ces changements sont un stimulant
économique puissant, surtout pour l'Europe, car, associé à
des produits de grande qualité, le sceau « Fabriqué en
Europe » est très recherché sur le marché.
Toutefois, quand la fabrication de produits coûte de
moins en moins cher dans les pays développés, les pays en
développement commencent à perdre leur avantage compétitif
et sont placés en concurrence directe avec eux - et cela se fait la
plupart du temps aux dépens des travailleuses et travailleurs. Les
technologies qui gravitent autour de l'Industrie 4.0 - il s'agit ici surtout de
systèmes d'aide et de systèmes cyberphysiques - coûtent
encore relativement cher et, en raison des bas salaires versés dans les
pays en développement, elles ne sont pas près d'être
appliquées dans ces pays. Cela dit, il s'ensuit que les travailleuses et
travailleurs des pays en développement subissent des pressions directes
quand les compagnies menacent de relocaliser leur production dans les pays
développés qui offrent la fabrication numérisée.
Lasociété allemande Adidas illustre parfaitement
cette réalité. À l'été de 2016, elle a
annoncé la construction en Allemagne d'une usine numérique de
pointe pour les chaussures de sport haut de gamme, où elle relocalisera
une partie de la production qui était auparavant fabriquée dans
ses usines situées en Asie orientale. Les pressions exercées sur
les salaires versés aux travailleuses et travailleurs des pays du
Tiers-Monde augmenteront, même si ces travailleurs sont
déjà confrontés à des situations de travail
précaire et à des salaires à peine suffisants pour assurer
leur subsistance. Qui plus est, les pressions globales exercées sur les
travailleurs pourraient toucher d'autres aspects, notamment le nombre d'heures
de travail, la santé et la sécurité au travail, etc.
Les technologies de l'Industrie 4.0 sont encore relativement
chères, mais lorsque les coûts de la robotique de pointe seront
inférieurs aux coûts de la main-d'oeuvre, il y aura un risque
élevé de réduction des effectifs, même dans le monde
en développement. Selon la théorie du choix rationnel, on serait
porté à croire que, parmi les pays du Tiers-Monde, ceux où
les salaires sont les plus élevés seront les premiers à
subir des réductions d'effectifs à la suite de l'automatisation
de leurs usines par la robotique de pointe. Pourtant, l'exemple bien connu de
Foxconn, un fabricant chinois de téléphones intelligents, prouve
le contraire. Les salaires versés en Chine se situent dans la moyenne
asiatique. Cela n'a pas empêché la société Foxconn
d'effectuer d'importants investissements dans ce qu'elle appelle « son
Foxbot », un robot, par lequel elle a déjà remplacé
30 % de ses effectifs - au total, quelque 300 000 travailleuses et
travailleurs. Les effets de la numérisation sur les pays en
développement peuvent paraître indirects, à première
vue, mais c'est seulement parce que les pays développés peuvent
les forcer à entrer dans une concurrence qu'ils n'ont tout simplement
pas les moyens de soutenir dans la durée. Ils ne sont donc pas à
l'abri des conséquences directes négatives de l'Industrie 4.0 sur
les travailleuses et travailleurs - lesquelles pourraient n'être que
reportées à plus tard. En fait, les pays en développement
seront touchés beaucoup plus durement pour les raisons suivantes :
problèmes actuels au sujet des bas salaires; soutien pratiquement
inexistant en matière de santé; situations de travail
précaire; faiblesse des systèmes d'aide sociale, surtout dans les
pays où le travail informel et atypique est répandu. Pour toutes
ces raisons, les travailleuses et travailleurs de ces pays courent un risque
élevé de tomber en chute libre le jour où ils seront
touchés par les rationalisations découlant de l'automatisation.
Enfin, il faut comprendre les objectifs et les
répercussions des règles et des ententes commerciales. Une
tendance récente consiste à donner à l'économie
numérique un statut spécial au sein des accords commerciaux, ce
qui rendra encore plus difficile pour les futurs gouvernements de
contrôler le pouvoir de monopole et la concentration excessive de la
richesse. Parmi les tendances politiques, mentionnons la protection accrue des
brevets et des droits d'auteur (propriété intellectuelle) et la
mise en place d'obstacles afin de bloquer le contrôle des données
ou de la vie privée, lorsque les données sont stockées
dans un autre pays. Ces tendances risquent d'empêcher la
réalisation des objectifs en matière de développement
durable. La délocalisation de la production contrôlée
numériquement à partir d'un endroit éloigné; la
production locale utilisant la technologie d'impression tridimensionnelle
à l'aide de logiciels et de modèles qui sont
protégés par des droits d'auteur, voilà d'autres nouveaux
domaines qui ne sont pas encore bien compris.
Il faut souligner que les expressions « pays
développés » et « pays en développement »
ne sont pas absolues. Il existe tout un continuum de développement
économique, selon le degré de dépendance à
l'égard de l'exploitation des matières premières et de la
production industrielle qui (dans de nombreuses régions) n'ont pas
encore tout à fait incorporé les avantages et les leçons
des révolutions industrielles précédentes. Ce qui est
clair, c'est qu'il doit exister un chemin vers un meilleur avenir pour tout le
monde. Les avantages de l'Industrie 4.0 doivent être partagés
à la fois à l'intérieur des pays et entre les pays.
Les actions des gouvernements et des compagnies dans le monde
développé, surtout en Europe, ont une incidence directe sur le
monde en développement. C'est pourquoi les pays développés
doivent prendre en compte ces actions quand ils prennent des décisions
au sujet de l'Industrie 4.0.
2. Objectifs de développement
durable - Implications pour l'industrie 4.0
En 2015, les Nations Unies ont annoncé leurs objectifs
de développement durable (ODD) (figure 3), qui s'inscrivent dans le
prolongement de leurs objectifs du Millénaire pour le
développement (OMD), fixés en 2000. Il va de soi que les pays
développés devraient s'engager de quelque façon à
l'égard du développement durable relativement à
l'Industrie 4.0.
Presque tous ces objectifs visent clairement à faire en
sorte que la transformation industrielle imminente soit faite de façon
durable. Les ODD numéros 1, 2, 3 et 8 visent la création
d'emplois durables offrant des salaires décents, l'interdiction du
travail précaire et l'amélioration de la santé et de la
sécurité au travail. Le développement de l'industrie, de
l'innovation et de l'infrastructure (ODD n°9) représente un
problème à la fois pour les pays développés et les
pays du Tiers-Monde, et il est très pertinent dans le contexte de la
numérisation de la fabrication. L'Industrie 4.0 arrive avec toute une
gamme de nouveaux défis et de nouvelles exigences relatives aux
qualifications des travailleuses et travailleurs. Plus les systèmes
d'éducation seront efficaces, plus ils seront en mesure de s'adapter aux
nouveaux changements qui verront le jour dans l'industrie et de rendre les
inégalités moins systémiques (ODD n°4, 5 et 10).
Le plus important des ODD est probablement le n°17 parce
qu'il indique clairement la nécessité d'une coopération
à l'échelle de la planète et de partenariats mondiaux pour
la réalisation des objectifs et pour que la transformation industrielle
opérée par l'Industrie 4.0 profite des avantages et
réduise les menaces au maximum.
L'une des conséquences positives de la transformation
numérique est la possibilité d'obtenir, ou d'exiger, des
informations détaillées concernant toute la chaîne de
valeur d'un produit : le lieu de fabrication, les méthodes
utilisées et sous quelles conditions. Ce type de signature
numérique permettrait de réaliser la promesse d'une
responsabilité sociale d'entreprise.
Figure 3. Sommaire des
objectifs de développement durable des Nations Unies jusqu'en 2030,
adoptés en décembre 2015
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Source :
www.un.org
Il reste que l'Industrie 4.0 est un phénomène
mondial, dans le cadre duquel les pays ne peuvent pas et ne devraient pas tenir
compte uniquement de leur économie nationale, mais saisir l'occasion de
s'attaquer à ce problème à l'échelle
internationale. De nombreuses possibilités accompagneront cette
transformation, mais les travailleuses et travailleurs ne doivent pas
être les seuls à en payer le prix, notamment en se voyant
contraints d'accepter des baisses salariales, des conditions de travail
précaires, de faire concurrence à des machines, tout en courant
le risque de perdre leurs emplois. Par ailleurs, ces opportunités que
l'Industrie 4.0 pourrait créer ne seront offertes qu'aux travailleuses
et travailleurs capables d'obtenir une formation et de l'éducation leur
permettant d'acquérir les compétences et les qualifications
requises dans les domaines qui seront recherchés.
D. Variation sectorielles dans le cadre de
l'industrie 4.0
Les conséquences de l'Industrie 4.0 dépendent
d'un vaste éventail d'indicateurs, dont certains ont déjà
été vus dans le présent document : l'Industrie 4.0 aura
une incidence sur divers secteurs industriels et diverses régions du
globe, sur lesquels elle n'influera pas toujours de la même façon,
et elle renforcera probablement les inégalités déjà
présentes tant au sein des régions qu'entre les régions.
En outre, la complexité et la tarification des produits, le niveau
requis de compétence et le niveau antérieur d'automatisation sont
d'autres indicateurs importants, car ils permettent de prédire le
comportement des gouvernements et des compagnies durant cette transition. Si
l'investissement initial en capital est trop élevé pour
être assez rapidement rentabilisé par des revenus, les compagnies
n'auront pas tendance à investir dans des technologies de pointe. De
même, s'il n'y a pas suffisamment de personnel qualifié capable de
travailler avec ces technologies, leur investissement sera fait en vain. On
peut regrouper les secteurs en trois catégories, selon qu'ils seront
peu, moyennement ou très influencés par l'Industrie 4.0, dans un
avenir plus ou moins rapproché.
1. Faible impact
Métaux de base
Les secteurs industriels comme les métaux de base ne
connaîtront probablement pas, à court terme, une grande
transformation sous l'influence de l'Industrie 4.0. Ce secteur à
main-d'oeuvre élevée a besoin de travailleuses et travailleurs
hautement qualifiés. Jusqu'à présent, les emplois de ce
secteur ne se prêtent pas bien à l'automatisation, même avec
la robotique de pointe, ce qui nécessiterait de la part des compagnies
un investissement initial élevé et non rentable. Il ne faut
toutefois pas en déduire qu'il ne subira aucune transformation.
L'industrie sidérurgique a encore la réputation
de créer un grand nombre d'emplois, mais la situation est en train de
changer.
À plus ou moins long terme, certaines parties du
processus de production pourraient être externalisées ou
numérisées et un plus grand nombre de processus seront
commandés à partir de salles de commande centrales plutôt
que dans les ateliers.
Des calculateurs industriels prendront de plus en plus de
décisions, entre autres, à propos des mélanges
précis de matières premières, et les machines pourront de
plus en plus diagnostiquer leurs propres besoins en matière d'entretien.
La gestion de l'entretien pourrait devenir numérique et être
confiée à des fournisseurs de services spécialisés
dans des plateformes spécifiques. La location d'équipement de
production, plutôt que l'achat, aura le même effet : le fournisseur
d'équipement conservera les responsabilités touchant l'entretien
et sera tenu au courant des besoins en matière d'entretien par des
composants numériques de TIC intégrés dans les machines.
De nouveaux progrès technologiques dans le domaine des véhicules
autonomes seraient un atout intéressant dans ces secteurs - si les
véhicules autonomes ne sont pas encore assez sophistiqués pour
prendre en charge le transport et la livraison au complet, ils pourraient au
moins prendre en charge la manipulation du matériel au sein de l'usine
elle-même.
À plus long terme, il est certain que même les
emplois dont l'automatisation n'est pas rentable pour le moment finiront par
être transformés. L'Institut de recherche allemand Fraunhofer IAIS
fait une différence entre, d'une part, l'intégration
numérique à l'intérieur de l'usine, dans l'optique de
l'optimisation de la production et, d'autre part, l'intégration
numérique faisant intervenir des entités externes, notamment les
fournisseurs et les clients. La première a tendance à
améliorer l'efficience, la productivité et la qualité,
tandis que la deuxième concerne l'adaptabilité, la
personnalisation, les stocks et la logistique. La vitesse de cette
transformation variera considérablement, mais elle est
déjà en cours dans certains domaines. La nouvelle usine de
laminage de Voestalpine AG, en Autriche, n'a besoin que de 14 travailleurs pour
produire autant de produits que ce que mille travailleurs produisaient dans les
années 1960. Cet exploit est rendu possible grâce à
l'automatisation avancée et à une commande centralisée des
processus. Exception faite du personnel d'entretien et du personnel de
logistique (qui comptent environ 300 personnes encore à l'usine), les
quelques emplois liés à la production qui restent encore à
l'usine sont les employés de bureau et les techniciens à la
régie.
À l'échelle mondiale, la production d'une tonne
d'acier exige maintenant en moyenne 250 travailleurs-heures, par rapport
à 700 travailleurs-heures il y a 20 ans - cette tendance à la
baisse se poursuit et pourrait même s'accélérer. Les hauts
fourneaux, par la nature de leur travail, risquent de moins bien se
prêter, à court terme, à ce type radical d'automatisation,
comparativement à une usine de laminage, mais des changements sont
à venir là aussi. Voestalpine cherche déjà des
moyens de moderniser ces lieux de travail et d'éliminer un grand nombre
d'emplois.
Secteur minier
Le secteur minier est relativement diversifié quant aux
progrès technologiques utilisés dans les mines. Quelques mines
nécessitent encore une grande proportion de travail manuel, mais
d'autres sont déjà très automatisées, ce qui
semblerait indiquer que les mines sont de bonnes candidates pour une
numérisation industrielle plus poussée. Bien que la
transformation numérique (ou la diffusion de ces technologies) varie
selon la région où se trouvent les mines, la « mine
numérique » n'est pas loin à l'horizon. Dans les pays
où la main-d'oeuvre est bon marché et où les technologies
couramment utilisées sont rudimentaires, les compagnies n'auront pas
tendance à investir à court terme dans la numérisation des
mines parce que le rendement de cet investissement demeurerait plutôt
bas.
Cela dit, il y a déjà des mines où des
robots ou des machines téléguidées accomplissent une
grande partie du travail qui était fait autrefois par des humains sur la
paroi rocheuse; le forage est un bon exemple. Plus le coût de ces
technologies sera bas, plus elles seront utilisées.
L'accessibilité des technologies de pointe, notamment les capteurs, les
analyseurs et la connectivité des machines de production, placera
l'Internet des objets et les services en nuage au centre de l'environnement
numérique de l'industrie minière. « Les forces à
l'oeuvre derrière l'essor de la «mine numérique» sont
aussi impérieuses que celles qui provoquent le changement dans d'autres
industries. » - Marcelo Sávio, architecte, Solutions industrielles
mondiales, chez IBM. Les forces motrices derrière l'essor de la «
mine numérique », ce que Marcelo Sávio appelle l'«
économie transformée » de l'exploitation minière,
sont la productivité, les défis techniques et sociaux, la hausse
du prix des intrants, la chute des cours des produits de base et les exigences
en matière de sécurité. Les statistiques concernant la
numérisation sont étonnantes.
Voici quelques chiffres tirés d'un webinaire de la
division Energy Insights de la société International Data
Corporation (IDC), intitulé Digital Transformation in Mining : Driving
Productivity Improvements : À l'échelle internationale, 28 % des
sociétés minières comptent augmenter leurs budgets de TI
malgré les défis auxquels l'industrie est confrontée
actuellement.
Les technologies jouent un rôle de plus en plus
déterminant du côté des investissements : 70 % des
compagnies envisagent d'investir dans l'automatisation de leurs mines; 69 %
examinent la possibilité d'installer un poste de commande et de
contrôle centralisé; plus de 25 % étudient le rôle
que pourrait jouer la robotique. Les compagnies qui réussiront à
créer une différentiation concurrentielle se retrouveront dans la
meilleure position pour obtenir de bons résultats dès maintenant
et quand les cours des produits de base remonteront. Les compagnies
minières augmenteront progressivement leurs visibilité, dynamisme
et contrôle au moyen de leurs données. On s'attend à une
augmentation de 30 % chez les sociétés minières qui
utiliseront l'analytique avancée dans leurs opérations au cours
des prochaines années, particulièrement pour la gestion de
l'énergie, des minerais et de la chaîne d'approvisionnement.
L'incidence sur les emplois est évidente, ainsi que la
nécessité pour les travailleuses et travailleurs
d'acquérir de nouvelles compétences. Les mesures favorisant une
transition équitable dans le secteur de l'énergie - c'est
à dire les programmes qui devraient être mis en place pour
protéger les travailleuses et travailleurs touchés par cette
transition - devront être complétées par des projets de
diversification économique réalisés par les gouvernements
nationaux. La diversification des économies locales serait
renforcée par un modèle de développement économique
intégré - une politique industrielle durable - qui obligera les
compagnies minières à intégrer leurs plans de
développement des infrastructures à l'intérieur des plans
de développement des économies locales.
Ces plans ont été mis en place jusqu'ici lorsque
l'investissement était justifié par des circonstances
exceptionnelles, comme l'exploitation de minerai d'uranium à très
haute teneur, qu'il serait impossible d'extraire à l'aide de
travailleurs humains à cause du danger d'irradiation. Précisons
que les technologies capables de remplacer divers emplois du secteur minier par
des robots existent déjà. Nul doute qu'elles seront de plus en
plus utilisées à mesure que le coût de ces technologies
diminuera.
Secteur du textile, de l'habillement et du cuir
Le secteur du textile, de l'habillement et du cuir est lui
aussi relativement diversifié en ce qui concerne les produits et les
technologies utilisés. Les fibres et les textiles utilisés dans
la fabrication de matériaux spéciaux, par exemple, les tissus et
les plastiques renforcés de fibres de carbone, entrent de plus en plus
dans la construction des automobiles, des avions, etc., et utilisent
déjà de l'équipement très moderne. Par ailleurs, la
confection de vêtements et d'articles en cuir profite encore d'une
main-d'oeuvre bon marché, mais elle est effectuée dans des
conditions de travail extrêmement précaires, malsaines et
dangereuses, presque toujours dans le monde en développement. Ce secteur
sera probablement partiellement touché par l'Industrie 4.0 : la
confection de textiles spéciaux qui se fait déjà à
l'aide de machines de haute technologie pourrait être
numérisée davantage.
Encore récemment, l'automatisation de la fabrication de
vêtements était considérée comme une tâche
très difficile, à cause notamment des caractéristiques
extensibles des tissus et de l'obligation de personnaliser les produits. Cela
dit, il y a eu des percées dans ce domaine, et des robots sont
maintenant capables de faire le travail qui était autrefois accompli par
des opérateurs de machines à coudre. À mesure que cette
technologie fera ses preuves, des centaines de milliers - peut-être
même des millions - d'opératrices de machines à coudre
risqueront de perdre leurs emplois. À titre d'exemple, au Bangladesh,
l'automatisation avancée a déjà éliminé des
centaines de milliers d'emplois dans les usines de chandails. Comme ce secteur
est un secteur clé dans certains pays en développement, les
risques sociaux et les risques de développement seront énormes.
En effet, la possibilité que l'automatisation devienne rentable,
même dans les pays où la main-d'oeuvre est bon marché,
soulève des questions importantes.
Cette initiative et d'autres semblables
réussiront-elles à inciter les fabricants à
accélérer l'implantation des technologies de pointe? Le tannage
et le cuir ont eux aussi résisté dans une certaine mesure aux
changements technologiques, mais ce n'est plus nécessairement le cas, et
les conséquences pourraient être considérables. En Inde,
les emplois dans l'industrie du tannage et du cuir sont déjà
passés de presque 200 000 à environ 30 000 (ces pertes d'emplois
ne sont pas dues qu'aux seuls changements technologiques, mais à une
combinaison de facteurs).
Par ailleurs, en raison de tolérances de plus en plus
strictes par rapport au contrôle de la qualité, les fournisseurs
de textiles, de vêtements et de cuir se verront obligés d'adopter
la haute technologie. Les parties du secteur du vêtement exigeant des
travailleurs peu qualifiés pourraient être touchées par la
relocalisation d'usines vers des pays européens - comme l'a
déjà fait Adidas. Cette relocalisation permet aux compagnies de
produire à l'aide de méthodes en grande partie
numérisées, mais de vendre leurs produits plus cher parce qu'ils
sont de meilleure qualité et que le sceau « Fabriqué en
Europe » exerce un attrait sur les consommateurs.
2. Incidence moyenne
Secteur de l'aérospatiale
Comme l'Industrie 4.0 réussit à fournir des
solutions personnaliséesaux besoins des consommateurs, même des
secteurs commecelui de l'aérospatiale seront très touchés
par l'application de lanumérisation avancée. Bien que
l'automatisation soit déjà trèsprésente dans le
secteur de l'aérospatiale, elle sera amenée àde plus hauts
niveaux grâce à l'utilisation de robots intelligentsdurant le
montage. Ces changements seront motivés en partie parl'adoption de
seuils de plus en plus stricts en matière de contrôlede la
qualité, en vue notamment de faire en sorte que les piècesaient
le poids minimal capable d'assurer force et sécurité.
Airbusprévoit construire d'ici 2025 une usine intelligente qui
produiraune nouvelle ligne d'aéronefs à l'aide de plusieurs
technologiesmodernes : des technologies de véhicules autonomes
servirontdans la manutention logistique et la manutention des
matériaux;des outils intelligents aideront les travailleuses et
travailleurs dela chaîne de montage; la technologie laser fera en sorte
que lespièces assemblées soient parfaitement ajustées avec
le minimumde temps et d'effort. L'impression tridimensionnelle est
déjà utiliséepour certaines composantes des avions.
À titre d'exemple, Arconic,un fournisseur d'Airbus,
produit un support en titane imprimé entrois dimensions qui entrera dans
la production régulière des
sériesd'Airbus.L'aérospatiale est un secteur industriel
très sensible aux décisionspolitiques.
Contrats militaires, appui à l'exportation,
accordscommerciaux, retombées et transferts de technologies ont
toustendance à avoir une plus grande incidence sur ce secteur -
àl'heure actuelle - que les changements technologiques. C'estpourquoi il
est plus difficile d'analyser l'incidence de l'Industrie4.0 sur cette industrie
déjà très avancée sur le plan technologiquequ'est
l'aérospatiale.
Secteur de l'automobile
Le secteur de l'automobile partage quelques-unes
descaractéristiques de l'aérospatiale que nous venons
d'analyser.Ce secteur est déjà très automatisé et
on peut donc s'attendre àun niveau encore plus grand de
numérisation dans l'assemblagedes pièces. Comme c'est le cas pour
le secteur de l'aérospatiale,on prévoit une augmentation de la
fabrication intelligente pourle secteur de l'automobile, mais comme le
pourcentage demarge bénéficiaire est beaucoup plus
élevé pour les avions quepour les automobiles, les compagnies
auront tendance à investirprogressivement dans la numérisation de
leurs usines plutôt qued'installer les technologies des usines
intelligentes dans leursusines. Les systèmes d'aide seront de plus en
plus utilisés dansla chaîne d'approvisionnement, et les
technologies de véhiculesautonomes auront une grande incidence sur la
logistique.
Ce qui est moins évident, c'est l'impact de ces
nouveaux véhiculessur le système de fabrication. Certains
constructeurs d'automobilesen profiteront indéniablement pour apporter
des changementsfondamentaux à l'organisation du travail et au
degré d'utilisation desrobots, tout en s'adaptant aux demandes du
marché, notammentdans le but d'offrir plus de véhicules
électriques et moins devéhicules à combustible fossile. Il
est clair qu'un changementradical est imminent dans le marché des
transports, car plusieursgouvernements ont indiqué clairement par leurs
politiques que lesmoteurs à combustion interne ne sont plus
désirés. Daimler faitobserver que la marge
bénéficiaire sur les véhicules électriquesest
(jusqu'ici) moins élevée que sur les véhicules à
carburant.Par ailleurs, Daimler estime que le nombre de travailleuses
ettravailleurs nécessaires pour construire un groupe
motopropulseurélectrique pourrait être aussi peu que le
sixième du nombre requispour construire un groupe motopropulseur
à combustion.
Cetteestimation incitera les constructeurs d'automobiles
à éliminer leurseffectifs dans la mesure du possible.Des experts
croient que tout le modèle d'entreprise de l'industrieautomobile est
à l'aube d'un changement révolutionnaire quine concernera pas
seulement la transition allant des moteursà combustion interne aux
moteurs électriques, non plus quesimplement la transition vers les
véhicules autonomes, maiségalement une transition allant de la
possession de véhiculesparticuliers à l'achat ou à la
location de véhicules partagés ou deservices de mobilité.
Au cours de cette transition, les constructeursd'automobiles s'appuieront de
plus en plus sur des mégadonnées.
Secteurs des produits chimiques, des
produitspharmaceutiques, du caoutchouc et du papier
Les secteurs des produits chimiques, des produits
pharmaceutiques,du caoutchouc et du papier sont déjà relativement
avancés du côtéde l'automatisation. Les calculateurs
industriels sont la normeplutôt que l'exception. Quand les processus
fonctionnent sansheurts, les usines ont besoin d'un nombre relativement petit
detravailleuses et travailleurs. On peut s'attendre néanmoins à
uneplus grande utilisation de la fabrication assistée par ordinateur
età des technologies de numérisation avancée encore plus
pousséespour ces produits à forte valeur ajoutée, partout
où la période derécupération de ces investissements
sera brève.
Ces secteurs sontdominés par de grandes multinationales
qui pourraient trouver pluséconomique d'investir dans des technologies
de numérisation trèssophistiquées.En revanche, dans les
pays en développement, le secteur continued'employer des effectifs
très nombreux, surtout dans les domainescomme l'emballage et
l'expédition, lesquels pourraient être à
risque.Récemment, Duc Giang Chemical and Detergent Powder JSC
aremplacé par des robots presque 90 % de l'effectif d'une usinede
détergents au Vietnam. Si cette option est rentable au Vietnam- pays qui
était jusqu'ici une destination pour les compagnies à larecherche
d'une main-d'oeuvre bon marché - alors nous pourrionsêtre
témoins du début de la fin de l'avantage compétitif des
petitssalaires.
Le nombre insuffisant d'opérateurs humains sur place
est unepréoccupation propre au secteur des produits chimiques - et
ausecteur de l'énergie.
Dans un grand nombre d'usines de produitschimiques, les
opérateurs humains ne sont plus assez nombreuxpour intervenir
efficacement lors d'une situation d'urgence, si jamaisles mesures de protection
et les systèmes d'arrêt automatiquesne parviennent pas à
maîtriser la situation. Comme ces usinescontiennent des matières
très dangereuses, il s'ensuit un niveaude risque accru pour les
travailleurs en place et les agglomérationsavoisinantes.Secteur des
matériauxLe secteur des matériaux est en train de changer
radicalement.
Encore récemment, la même analyse faite
précédemment pour lesmétaux de base aurait
été valide, mais de nouvelles études montrentque les
compagnies de ce secteur sont beaucoup plus touchées parla
numérisation que ce que l'on croyait. Par exemple,
l'entrepriseSaint-Gobain figure maintenant parmi les dix multinationales
chezlesquelles les effets de la numérisation se font le plus sentir.Les
consommateurs peuvent créer en ligne leurs propres« recettes »
de matériaux spécialisés selon leurs
propresspécifications.Les sociétés de matériaux
offrent sur le Web des progicielsde soin à la clientèle, des
systèmes de gestion des relationsclientset des plateformes conjointes
d'applications.Processus d'extraction automatisés (comme dans les
industriesd'exploitation minière)Processus de production
entièrement automatisés de bout enbout (extraction >
transformation > (emballage) > transport)Technologies d'autoanalyse pour
l'entretien des fours et deschaudières (ou des applications de
réalité augmentée pour lestechniciens en entretien et en
réparation).Ce processus transforme également toute
l'organisation dans lesindustries de matériaux, ainsi que les lieux de
travail qui appartiennentà ces industries.
Ce développement est particulièrement
difficile,car il est question ici de relations d'entreprise à
entreprise. En effet,peu de consommateurs s'approvisionnent directement
auprès desproducteurs de ciment, de verre ou de céramique de
pointe.L'industrie subit de fortes pressions qui l'incitent à adopter
destechnologies de pointe, puisqu'elle est une grande
consommatriced'énergie et une importante productrice de dioxyde de
carbone.La réduction de l'impact sur l'environnement et
l'accroissementde l'efficacité énergétique doive
naturellement être considéréscomme des progrès
bénéfiques, mais ces améliorations ont eu deseffets sur
les travailleuses et travailleurs de ce secteur.
Secteurs de la construction navale
La construction navale est un processus de fabrication quel'on
pourrait comparer à plusieurs égards à
l'aérospatiale etaux automobiles, mais qui a tendance à faire
intervenir plus detravail humain en raison de la taille et du poids des
élémentsconstitutifs. Chaque navire est plus ou moins bâti
sur mesure, cequi rend l'automatisation difficile, mais pas impossible.
À courtterme, les systèmes d'information qui surveillent les
progrès dechaque composante d'un navire, de ses origines dans la
chaîned'approvisionnement à son installation sur le navire,
deviendrontprogressivement plus sophistiqués et importants. Certains
voletsde la construction et certaines composantes seront adaptés
à lanumérisation et de plus en plus automatisés. À
plus long terme, onpeut s'attendre à ce que d'énormes robots
sophistiqués remplacentdes humains pour une grande partie des
procédés de construction.En revanche, le
démantèlement de navires dépend davantage d'ungrand nombre
de travailleurs manuels qui démantèlent les naviresmis hors
service, dans le but de les recycler à l'aide de
technologiesrudimentaires.
C'est pourquoi cette industrie se retrouveprincipalement
aujourd'hui dans les pays où la main-d'oeuvre estbon marché, par
exemple : en Inde, au Pakistan et au Bangladesh.En outre, comme chaque navire
est différent et que l'environnementde travail est difficile, on peut
s'attendre à ce que la numérisationet l'utilisation de robots
s'implantent lentement dans ce secteur,tant que les salaires demeureront bas.
À long terme, cependant,les navires pourraient être
recyclés efficacement par des machinesgéantes. Des informations
stockées sous forme numérique ausujet du montage exact de chaque
navire pourraient permettre dereconnaître avec précision les
pièces qui peuvent être recyclées etle meilleur moyen de
les démonter. Le démantèlement physiqued'un navire en vue
du recyclage peut également être fait par desmachines
dotées d'une puissance suffisante. Cette technologieexiste; la question
est de savoir quand les coûts d'investissementpour ces systèmes
d'information et ces énormes machines serontjustifiables en comparaison
du coût de la main-d'oeuvre.
3. Incidence élevée
Secteur de l'énergie
La numérisation de la fabrication change les industries
non seulementen ce qui a trait à la production, mais également
par rapport à laproduction et à la consommation d'énergie.
La décentralisation dela production d'énergie et du réseau
de distribution d'électricité faitaussi sentir ses effets sur
l'industrie énergétique. À l'heure actuelle,les sources
d'énergie renouvelable qui sont le mieux placées pourconcurrencer
les combustibles fossiles sur la base des coûts sontl'énergie
éolienne et l'énergie solaire (d'autres types
d'énergieseront peut-être concurrentiels dans un avenir
rapproché). Chacunede ces sources a des problèmes qui lui sont
propres quand vient letemps d'alimenter un réseau. Une plus grande
proportion d'énergiesera produite et consommée localement.
Quand les dispositifsde production d'énergie seront
capables de s'auto-approvisionneren électricité, alors les
centrales électriques centraliséesdeviendront moins nombreuses.
Par ailleurs, des emplois serontcréés localement et
décentralisés des centrales, surtout en ce quiconcerne les
énergies renouvelables. Les centrales à combustiblefossile
pourraient subir des fermetures et des pertes d'emplois, nonpour la seule
raison de la décentralisation du réseau
énergétiquedans le contexte de l'Industrie 4.0, mais
également dans la fouléedes objectifs de développement
durable (ODD) et de l'Accord deParis sur le climat, fixés et conclus
respectivement lors de la COP21(la 21e Conférence des parties à
la Convention-cadre des NationsUnies sur les changements climatiques).
Le personnel des servicespublics d'électricité
devra faire face à la transformation rapide dece secteur, en ce qui a
trait aussi au réseau de distribution.Au cours des prochaines
décennies, les industries pétrolièreet gazière
connaîtront des bouleversements numériques quitransformeront de
façon radicale les méthodes d'exploitationcouramment
utilisées aujourd'hui. À l'aide des technologies del'Industrie
4.0, les opérations de forage menées par les
sociétéspétrolières et gazières deviendront
entièrement automatisées, demême que l'inspection des
pipelines, le forage et l'abandon despuits. On peut imaginer que le
bouleversement numérique desindustries pétrolière et
gazière sera général et rapide. Le prix dupétrole
aura une grande incidence sur le taux de transformationnumérique de
l'industrie.Les cours du pétrole sont instables depuis quelques
années.L'effondrement des prix en 2008 a été suivi d'un
redressementaprès la crise, puis de nouvelles baisses brutales ont eu
lieu en 20142016 (figure 8).
Pendant la plus récente crise des prix du
pétrole,les sociétés pétrolières ont
réduit leurs investissements et se sontmises à investir dans les
technologies. Selon les données compiléespar les experts de
l'industrie, l'ingénierie des puits est responsabled'environ 40 % des
frais de développement d'un projet typiqued'installation d'une
plateforme pétrolière en eau profonde. Dansle but de
réduire l'investissement total dans ce domaine, plusieursinitiatives ont
été lancées pour trouver des façons plus rentables
deconstruire des puits sous-marins. Des technologies novatrices, tellesque des
systèmes de terminaux intelligents, permettent des zonesde production
multiples dans un même puits de forage, ce qui réduitla
nécessité d'investir dans l'exploration et la production d'une
zoneconsistant en plusieurs sites ou sites de production.Comme pour le secteur
des produits chimiques, la réduction continuedes effectifs
présents dans les raffineries de pétrole et embauchés
parles compagnies pipelinières (par exemple) a soulevé des
questionsrelatives à la sécurité. Comme elles ont de plus
en plus recours à desdispositifs d'arrêt automatique pour
gérer les situations d'urgence,le personnel sur place est tout
simplement trop peu nombreux pourintervenir, si jamais ces dispositifs ne
fonctionnent pas comme prévu.
Figure 4. Cours au comptant du
pétrole brut de référence brent

Sources : Administration de l'information sur
l'énergie (EIA) et Bureau des statistiques sur le travail (BLS) des
États-Unis
Secteur des technologies de l'information et des
communications, de l'électricité et de l'électronique
Le secteur des technologies de l'information et des
communications (TIC), de l'électricité et de
l'électronique pourrait connaître une croissance
considérable, puisqu'il est le fournisseur de la plupart des
technologies qui seront recherchées par les autres secteurs industriels.
La numérisation de la fabrication industrielle sous-entend que les
machines et les systèmes de commande exigent des technologies
sophistiquées en matière d'information et de communication, ainsi
qu'une demande accrue dans le secteur des TIC, de l'électricité
et de l'électronique. Il est important d'examiner l'ensemble de ce
secteur sur le plan des chaînes de valeur intégrées
plutôt que de penser à des usines isolées.
Sous cet angle, il est évident que les gouvernements
doivent adopter des règlements afin d'empêcher que deux ou trois
grandes sociétés de technologie récoltent la
majorité des avantages de la transformation industrielle, ne laissant
que des miettes aux autres entreprises de la chaîne de valeur. Les
études qui se sont penchées sur ce sujet semblent unanimes
à prédire que des emplois seront créés dans ce
secteur dans le contexte de l'Industrie 4.0.
Fait étonnant, ce secteur n'a pas dans l'ensemble fait
de grands efforts pour numériser la production de TIC de qualité
commerciale - au moins en ce qui concerne l'assemblage des produits, bien que
la fabrication des puces et des composants électroniques soit
déjà hautement numérisée. Étant donné
qu'un grand nombre de ces usines sont concentrées en Asie, on pourrait
croire que ce secteur sera, à court terme, relativement peu
touché par l'automatisation. Cela est dû aux bas salaires qui sont
actuellement versés dans les pays abritant les usines à forte
intensité demain-d'oeuvre, ce qui rend la transformation technologique
de haut niveau non rentable dans ce contexte.
Toutefois, la société Foxconn, est un exemple
qui prouve que des efforts en TIC sont déjà faits quant à
l'utilisation privée de produits des TIC (téléphones
intelligents, tablettes, etc.), et il n'est donc pas improbable que des
transformations semblables soient faites dans les TIC de qualité
commerciale. Dans l'ensemble, ce secteur sera probablement touché au
moins par les systèmes d'aide, par des percées dans la robotique
de pointe et par des réductions d'effectifs. Les processus d'assemblage
de ce secteur peuvent être très automatisés.
Il faut aussi mentionner qu'il y aura probablement une
division régionale du travail entre la conception industrielle
elle-même (création d'emplois, probablement dans le monde
développé) et la fabrication industrielle (emplois perdus,
probablement dans le monde en développement).
Secteur du génie mécanique
À part le secteur des TIC, le secteur du génie
mécanique sera l'un des secteurs les plus touchés par la
numérisation de la fabrication. Qui dit nouvelle production dit
nouvelle machinerie, et il y aura donc une demande accrue du côté
du génie mécanique de haute technologie. La transformation de ce
secteur a en fait beaucoup de points communs avec la systématique des
TIC parce que le design industriel et la fabrication industrielle subiront des
effets très différents sur l'emploi. Quand la production de
l'équipement de génie mécanique sera
numérisée et que d'autres procédés de fabrication
modernes tels l'impression tridimensionnelle seront utilisés pour
remplacer le travail humain, leur production entraînera des pertes
d'emploi.
En revanche, dans le design industriel et dans les diverses
disciplines du génie, des emplois pourraient être
créés consécutivement à une hausse de la demande en
équipement de génie mécanique de pointe. Cependant, comme
nous l'avons mentionné au chapitre 3, les profils des emplois qui seront
perdus et ceux des emplois qui seront gagnés seront très
différents. On assiste déjà à une tendance vers les
emplois de col blanc, non seulement dans les services, mais également
dans la production, la création et l'entretien lui-même : de
technicien à ingénieur, d'ingénieur à agent
polyvalent au service de la clientèle.
Secteur des cols blancs
Le secteur des cols blancs est composé de travailleuses
et travailleurs dont le travail consiste principalement à obtenir,
à gérer, à employer, à analyser et à
distribuer de l'information et des connaissances, par opposition à des
biens et des produits - même s'ils touchent par moments à des
biens ou des produits. Encore récemment, on croyait que ces
travailleuses et travailleurs étaient relativement à l'abri des
effets de l'automatisation et de l'externalisation. Ce n'est plus le cas, et on
peut s'attendre à ce que les systèmes d'intelligence artificielle
aient une incidence importante sur les emplois de col blanc. Les emplois de
bureau et de soutien technique, ainsi que les emplois d'analystes et
d'ingénieurs, sont tous susceptibles d'être remplacés par
des ordinateurs de pointe et, au bout du compte, par des systèmes
d'intelligence artificielle.
L'une des conséquences de la révolution
numérique sera la transformation d'un grand nombre des anciens emplois
de col bleu, lesquels ressembleront beaucoup plus à ce que nous
appelions auparavant les emplois de col blanc. La production consistera de plus
en plus à contrôler le processus, plutôt qu'à faire
le travail. Les travaux d'entretien pourraient être
transférés aux fournisseurs de services. Malheureusement, le
travail accompli par les cols blancs deviendra de plus en plus stressant dans
le contexte de l'Industrie 4.0. On peut déjà observer une
tendance à la hausse de leurs heures de travail; la ligne entre le
travail et le temps libre devient de plus en plus floue; le travail mobile
cause un stress supplémentaire et des troubles de santé;
l'automatisation des tâches routinières exécutées
par les cols blancs augmente la pression sur ces travailleuses et travailleurs
dans d'autres domaines.
Ajoutez à cela l'accélération des
exigences changeantes en matière de compétences et une pression
constante sur les travailleuses et travailleurs pour qu'ils s'adaptent à
tous ces changements, et le milieu de travail des cols blancs devient la
recette parfaite pour une augmentation spectaculaire des cas de
dépression, d'épuisement professionnel et de maladies
liées au stress, tels que les maladies du système circulatoire et
le cancer.
III. II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION SOCIALE ?
A. Ressources humaines en période
de transformation industrielle
Les prévisions concernant les futures exigences en
matière de compétences dans le secteur manufacturier varient
beaucoup. Certains prévoient qu'elles vont augmenter et que les
compétences en programmation et en technologie de l'information (TI)
seront les plus recherchées. D'autres prédisent que les
travailleuses et travailleurs occuperont surtout des postes de contrôle
et que les qualifications exigées vont diminuer. Dans certaines
industries, nous observons de plus en plus le regroupement de sous-segments de
la production industrielle (ventes, conception, création, production et
entretien) dans un « service intégral », dont le personnel est
très qualifié et polyvalent.
Dans d'autres industries, nous assistons à une
déqualification des travailleuses et travailleurs, à mesure que
des robots exécutent de plus en plus de tâches à leur
place, laissant les tâches subalternes, mais non
répétitives (donc difficiles à automatiser) aux humains
(figure 4). Les variations entre les prédictions sont dues à
trois raisons principales. Premièrement, comme les exigences
professionnelles varient grandement d'un secteur à l'autre, elles
doivent être analysées séparément.
Deuxièmement, les variations régionales ont une incidence
importante sur les résultats de ces pronostics : les aptitudes
exigées en Europe ne seront pas les mêmes qu'aux États
Unis; les résultats de l'Asie orientale seront différents des
résultats de l'Amérique du Sud, etc. Troisièmement, les
exigences de qualification varient en fonction du degré de
numérisation. L'emploi des technologies de pointe en fabrication
entraîne pour les travailleuses et travailleurs des défis
variés et de nouvelles exigences.
Figure 5. Estimation des
ventes mondiales annuelles de robots industriels par secteur
2016-2018

Source : World Robotics 2019
1. Fabrication intelligente
La « fabrication intelligente » amène les
travailleuses et travailleurs hautement qualifiés à un niveau
tout à fait nouveau. Il va de soi que tous les travailleurs et
travailleuses d'une usine intelligente doivent posséder des
habiletés pratiques, des compétences techniques et des
compétences en programmation. D'une manière
générale, les qualifications requises dans une installation
industrielle vont probablement devenir plus élevées. Le travail
d'entretien, par ailleurs, bien qu'il exige des niveaux élevés de
compétences, sera surtout externalisé ou gardé «
captif » par les fabricants de machinerie qui passeront à un
modèle de services d'entretien et de réparation
après-vente plutôt que de se limiter à la vente
d'équipement.
Cette tendance soulève d'ailleurs des questions
importantes à propos, notamment du continuel échec des efforts
déployés pour transférer les technologies au monde en
développement. On peut dire quand même, tout bien
considéré, que les pays ayant déjà en moyenne une
main-d'oeuvre hautement qualifiée s'adapteront plus facilement à
ces changements que les pays dont la main-d'oeuvre est surtout moyennement et
peu qualifiée.
Toutefois, cela ne les protégera pas contre les
rationalisations qui seront entreprises quand le secteur de la fabrication aura
moins besoin du travail humain.
Ce sujet est analysé de façon plus
controversée par Ben Shneiderman, professeur d'informatique à
l'Université du Maryland, qui écrit que :
« Les robots et l'intelligence artificielle fournissent
matière à des reportages captivants pour les journalistes, mais
ils donnent une vision erronée des grands changements
économiques. Les journalistes ont perdu leurs emplois à cause des
changements survenus dans la publicité, les professeurs sont
menacés par les cours en ligne ouverts à tous (CLOT), et les
commis de magasin perdent leurs emplois au profit des vendeurs sur Internet.
L'amélioration des interfaces d'utilisateurs, la livraison
électronique (vidéos, musique, etc.) et l'autonomie accrue des
clients ont pour résultat une diminution des besoins en main-d'oeuvre.
Parallèlement, on bâtit de nouveaux sites Web, on gère des
plans d'entreprise pour les réseaux sociaux, on crée de nouveaux
produits, etc. L'amélioration des interfaces d'utilisateurs, de nouveaux
services et des idées novatrices créera plus d'emplois. »
Une étude menée en 2016 par Wolter et des
collaborateurs, pour le compte de l'Agence fédérale allemande
pour l'emploi, prédit qu'à mesure qu'augmentera la demande envers
les technologies numériques, il sera de plus en plus nécessaire
d'investir dans l'éducation et les formations professionnelles.
L'étude prédit la perte de 1 540 000 emplois et la
création de 1 510 000 emplois d'ici 2025. Comme l'Allemagne a fait
preuve par le passé d'une grande capacité d'adaptation, notamment
à la suite de la fermeture des mines de charbon, on peut supposer que
les quelque 30 000 travailleuses et travailleurs qui se retrouveront au
chômage trouveront rapidement un autre emploi.
Admettons que ces deux prévisions - celle de Ben
Shneiderman et celle de Wolter - contiennent toutes deux un peu de
vérité, il est clair que : comme les profils et les exigences
professionnelles des emplois perdus sont différents des profils et des
exigences professionnelles des emplois créés, il faudra, pour
répondre aux exigences de ces derniers, mettre en place de nouveaux
programmes d'éducation et de formation professionnelle intensifs, ce qui
ne s'improvise pas du jour au lendemain. Rien ne garantit non plus que tous les
nouveaux emplois créés seront accessibles aux travailleuses et
travailleurs d'aujourd'hui déplacés pour d'autres raisons - ils
pourraient, par exemple, se trouver dans des régions complètement
différentes.
La transition vers la fabrication intelligente produit toute
une gamme d'effets sur la façon dont le travail peut être fait et
sera fait à l'avenir, ainsi que sur son degré d'inclusion ou
d'exclusion à l'égard de certains travailleurs. Le travail manuel
est en baisse, tandis que le travail par ordinateur est à la hausse.
Posséder des connaissances en informatique et être capable de
comprendre et de travailler avec les langages de programmation les plus
courants seront des compétences précieuses à l'avenir.
Pour permettre l'acquisition de ces compétences, il faudra mettre en
place des programmes d'éducation et de formation professionnelle, ainsi
que fournir des possibilités de perfectionnement, lesquels ne seront pas
accessibles à tous. De même que pour les langues parlées,
la maîtrise des langages de programmation s'acquiert plus facilement
à un jeune âge, ce qui veut dire que les générations
de travailleurs plus âgés pourraient avoir de la difficulté
à acquérir les qualifications nécessaires. Les
travailleurs migrants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais peuvent se
retrouver en situation d'inégalité sur le plan de la formation
(bien que des études montrent qu'ils ne sont pas aussi
désavantagés qu'on pourrait le croire, en raison de la nature
extrêmement logique des langages de programmation).
Les études et les formations exigent du temps et des
efforts en dehors de l'horaire normal de travail. L'Union européenne
estime qu'il nécessite en moyenne un minimum de 40 heures par
année dans certains métiers, alors que la moyenne d'aujourd'hui
se situe autour de 9 heures par année. Les travailleurs qui ont de
jeunes enfants, et surtout les femmes, auront donc plus de difficulté
à concilier leurs obligations de travail avec leurs obligations
familiales. Les travailleuses et travailleurs ayant une incapacité, plus
particulièrement les personnes ayant une incapacité mentale,
avaient jusqu'ici leur place dans les usines de fabrication, où elles
exécutaient les tâches plus simples - mais étant
donné la complexité croissante des tâches et la
nécessité de posséder des compétences en
informatique et en programmation, ces emplois sont eux aussi en train de
devenir plus fermés.
Le travailleur du nouveau savoir, que certains appellent
« innovateur col bleu » et d'autres, « travailleur de
l'innovation », a étudié pendant des années et est
à tout le moins capable de comprendre les principaux langages de
programmation, à défaut de les maîtriser parfaitement. Or,
pour arriver à un tel niveau de main-d'oeuvre, il faut offrir des
programmes d'éducation et de formation professionnelle avancés
aux travailleuses et travailleurs.
Cela doit être fait d'une façon qui respecte les
choix des travailleurs, d'une façon inclusive et sans aggraver les
inégalités sociales déjà à l'oeuvre.
Contrairement à la fabrication intelligente, les
industries qui utilisent des systèmes d'aide ont besoin de
compétences très différentes. Les programmes informatiques
facilitent l'assemblage des produits en donnant à chaque travailleuse et
travailleur des instructions relativement claires sur les tâches à
accomplir. Dans ce scénario, le profil d'un travailleur est donc
très différent du travailleur du savoir. Les compétences
manuelles sont plus importantes dans ce cas-ci, et les compétences en
programmation sont inutiles pour ce travail. Dans les économies
émergentes où la main-d'oeuvre est moyennement qualifiée,
cette transformation pourrait s'avérer une opportunité
intéressante et exercer un attrait sur les compagnies parce que cette
main-d'oeuvre moyennement qualifiée est déjà
présente et que leur embauche pourrait stimuler leur économie
nationale.
2. Lacunes et inadéquation des
compétences
On ne peut pas dire que les travailleuses et travailleurs
d'aujourd'hui manquent de compétences, mais leurs compétences ne
sont pas toujours celles qui sont recherchées dans les nouveaux lieux de
travail. On reconnaît généralement que les qualifications
sont l'un des plus grands défis de l'Industrie 4.0. Les nouveaux besoins
en matière de compétences sont un défi pour les
travailleurs, mais ils ont aussi de fortes répercussions sur les
sociétés, surtout dans les pays développés
où les lacunes dans les compétences et l'inadéquation des
compétences causent déjà des problèmes très
présents dans le marché du travail (voir figure 5).
Pour compliquer davantage le problème, le
vieillissement de la main-d'oeuvre - un phénomène ressenti le
plus vivement au Japon, dans les pays européens, au Canada et en
Australie - a pour conséquence que, dans ces régions, les
stratégies en matière d'éducation et de formation
professionnelle doivent, pour donner de bons résultats, tenir compte des
forces et des faiblesses des travailleurs plus âgés. Le Japon voit
en effet ces technologies comme une solution partielle à la crise
démographique de son pays.
La géographie, les migrations et l'urbanisation doivent
également être prises en compte au moment de planifier la
stratégie qui permettra de rendre l'éducation et les formations
professionnelles accessibles à ceux qui en auront besoin. Dans le
contexte de l'accessibilité à l'éducation et aux
formations, les syndicats sont depuis longtemps les organisations les plus
efficaces en ce qui a trait à l'offre de formations professionnelles.
Sont-ils prêts à assumer ce rôle dans les domaines de
technologie de pointe? À titre d'exemple, les syndicats italiens ont
proposé de créer des centres de compétences ou des centres
d'excellence, qui faciliteraient l'acquisition et la transmission des
compétences, pas nécessairement à l'intérieur du
présent cadre universitaire.
Dans la plupart des économies
développées, le design industriel et la fabrication de produits
de grande qualité exigent beaucoup de travailleurs et
d'ingénieurs hautement qualifiés. Par ailleurs, il y a un besoin
permanent de services privés et personnels, tels que des services de
nettoyage, de buanderie, d'entretien, etc., qui demandent peu de
compétences. D'autre part, les compétences moyennes sont requises
dans une bien moindre mesure parce qu'une plus grande proportion des usines de
fabrication ayant besoin d'une main-d'oeuvre moyennement qualifiée ont
été relocalisées dans d'autres pays.
Figure 6. Comparaison entre
la répartition des compétences requises et celle des
compétences déjà acquises; marchés du travail
industriel dans les pays développés

Source : Hilpert, Y, (2017)
Dans les sociétés occidentales, la
répartition des qualifications acquises est très
différente de la répartition des compétences
nécessaires. Comme les systèmes d'éducation et les
programmes de formation en apprentissage sont établis depuis longtemps,
de vastes segments de la société possèdent au moins des
compétences moyennes, tandis qu'une proportion relativement petite de la
population est peu spécialisée. Bien que cela soit un bon signe
pour les systèmes d'éducation, cette constatation fait
également ressortir un problème d'offre et de demande.
La surproduction potentielle d'une main-d'oeuvre moyennement
qualifiée signifie qu'une grande proportion de ce groupe pourrait avoir
de la difficulté à dénicher un emploi correspondant
à ses qualifications. Ces personnes sont surqualifiées pour les
emplois exigeant moins de qualifications (moins bien
rémunérés, mais elles n'ont pas les qualifications
requises pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée dans
les emplois exigeant les plus hauts niveaux de qualification. Alors que le
travail industriel et la conception intéressent moins les nouvelles
générations des sociétés occidentales, les lacunes
dans les compétences posent de plus en plus problème en ce qui
concerne les emplois hautement spécialisés.
Pour tenter de remédier à cette situation, les
compagnies et les gouvernements de l'Union européenne ont entrepris une
planification stratégique des compétences et pris des mesures
pour rendre les emplois industriels plus attrayants, notamment en distribuant
des bourses d'études en sciences, en technologies, en génie et en
mathématiques (disciplines STGM) et en annonçant des offres
d'emploi garanti aux diplômés des programmes de formation en
apprentissage. (Un aspect négatif de cette stratégie est que
certains pourraient faire valoir qu'en général les compagnies ne
font pas leur part et qu'elles se fient plutôt au secteur public pour
subventionner leurs besoins en matière d'éducation et de
formations professionnelles.)
Il est évident que diverses initiatives
d'élaboration de politiques sont nettement axées sur les
technologies, spécialement les politiques en matière
d'éducation, mais le jour viendra où le travail humain sera moins
recherché, et il faudra alors mettre l'accent sur l'invention de
nouvelles solutions aux problèmes sociaux. Les sciences sociales et les
arts libéraux, qui ont leur place en tant qu'innovateurs sociaux,
devraient attirer autant d'attention politique et d'investissements que les
disciplines STGM.
Cette démonstration met en évidence plusieurs
problèmes. L'inadéquation des compétences ne signifie pas
seulement qu'une certaine proportion de travailleuses et travailleurs seront
obligés d'occuper des emplois qui ne correspondent pas à leurs
qualifications respectives et pour lesquels ils sont surqualifiés et
sous-payés. Cela veut dire aussi qu'une grande proportion des ressources
humaines actuelles risquent de demeurer sans emploi, malgré des niveaux
de qualification plutôt élevés. Quelle est la pertinence de
ces constatations dans le contexte de l'Industrie 4.0?
Les compétences et les qualifications présentes
dans la société, ainsi que les problèmes actuels dans le
marché du travail, tels que les pénuries de main-d'oeuvre
qualifiée et l'inadéquation des compétences, qui sont
d'importants indicateurs, donnent une idée de l'incidence qu'aura
l'Industrie 4.0 sur la société. La demande en main-d'oeuvre peu
qualifiée continuera probablement de stagner dans les pays
développés : l'exploitation d'usines de fabrication demandant peu
de compétences coûte moins cher dans les pays en
développement, et, d'ailleurs, un grand nombre d'entre elles ont
déjà été délocalisées vers ces pays.
En revanche, les emplois manufacturiers qui exigent des compétences
moyennes ont tendance à être des emplois numériques, et ils
sont donc plus à risque d'être touchés par la
réduction et la rationalisation des effectifs.
Les services qui ont besoin d'une main-d'oeuvre moyennement
qualifiée (conception Web, calculs, etc.) peuvent facilement être
externalisés et fournis, pour une fraction du prix, à partir de
n'importe quelle région de la planète par le biais de diverses
plateformes. Ils auront donc pour effet de diminuer, dans ce secteur, les
possibilités d'emploi local dans le monde développé. On
peut donc s'attendre à une réduction de la part occupée
par les emplois pour main-d'oeuvre moyennement qualifiée, alors que les
travailleuses et travailleurs capables d'occuper ces postes représentent
une grande proportion de la population active. Une partie de la fabrication
faite par des travailleuses et travailleurs hautement qualifiés pourra
à l'avenir être effectuée dans des usines de fabrication
intelligente, ce qui entraînera des réductions d'effectifs; une
deuxième partie pourra être améliorée par des
systèmes d'aide et une troisième partie pourrait au contraire
créer des emplois. Les travailleuses et travailleurs moyennement
qualifiés déjà sur le marché de l'emploi auront
accès à ces postes dans la mesure où des programmes
d'enseignement et de formation professionnelle seront créés et
offerts.
Même les travailleuses et travailleurs hautement
qualifiés tels que les techniciens et les ingénieurs se trouvent
devant une situation où leur instruction et leurs compétences
risquent de devenir obsolètes et de ne plus être
recherchées par les employeurs, si elles ne sont pas continuellement
mises à jour.
B. L'industrie du futur et ses
conséquences sur le monde du travail
Que signifie l'industrie du futur pour l'homme au travail ?
On voit dès aujourd'hui se dessiner les tendances
suivantes. Premièrement, l'organisation du travail est de plus en plus
flexible dans le temps et dans l'espace. Deuxièmement, les
opérations tendent à s'affranchir des hiérarchies et du
centralisme. Troisièmement, les processus gagnent en transparence.
Quatrièmement, de plus en plus de tâches routinières sont
numérisées et automatisées.
La question au coeur de toutes les préoccupations est
la suivante : la progression du numérique va-t-elle condamner au
chômage les personnes travaillant dans les entreprises de production ? Il
semble difficile d'apporter une réponse définitive à cette
question, tant les analyses demeurent incertaines.
1. Conséquences à
l'échelle macroéconomique pour l'emploi
La disparition des emplois ?
Alors que les révolutions technologiques successives se
sont accompagnées jusqu'à présent du développement
de l'emploi suite à des redistributions (le « déversement
sectoriel » d'Alfred Sauvy), la diffusion du numérique - et demain
de l'intelligence artificielle - dans les sites de production fait craindre une
diminution globale du besoin en travail humain. De nombreuses études,
parfois contradictoires, certaines très alarmistes, d'autres plus
rassurantes, font état du remplacement du travail humain par des robots
ou d'autres formes d'automatisation des tâches.
Par ailleurs, l'épuisement des ressources naturelles et
les enjeux climatiques, amènent à repenser le modèle de
croissance qui doit évoluer vers une plus grande sobriété.
Une priorité environnementale qui pourrait peser sur l'activité
économique tandis que la productivité, avec la
numérisation de l'industrie, continuera à progresser. Les effets
conjugués de ces deux phénomènes pourraient réduire
les marges de redistribution, comme jamais ce ne fut le cas
antérieurement.
« Le remplacement de l'homme par la machine est peu
à peu devenu une réalité ». C'est ce qu'affirme le
cabinet Roland Berger Strategy Consultants dans un rapport de 2014
intitulé Les classes moyennes face à la transformation
digitale. Dans ce rapport, le cabinet affirme que 42 % des métiers
seront automatisables d'ici à 20 ans. Et ce ne seront pas uniquement des
métiers manuels. D'ici à 2025, 3 millions d'emplois risqueraient
d'être détruits en France par la digitalisation de
l'économie. Cette étude suivait celle, très
commentée, de deux chercheurs de l'université d'Oxford, Frey et
Osborne, affirmant que 47 % des emplois aux États- Unis
présentent un fort risque d'automatisation d'ici 10 à 20 ans.
La méthode pour parvenir à ces estimations - et
donc la signification même de ces chiffres - sont très
controversées. Vu d'Allemagne, ce scénario semble d'autant moins
réaliste que les systèmes de production et les profils de
qualification y sont différents de ceux des États-Unis. En outre,
les conséquences de l'industrie 4.0 sur l'emploi pourraient être
moins drastiques en Allemagne que dans d'autres pays, ne serait-ce que du fait
de l'évolution démographique et du risque de manque de
main-d'oeuvre qualifiée.
Un tel scénario catastrophe est également
contesté en France : le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), une
instance d'expertise rattachée aux services du Premier ministre, indique
que ce sont « seulement » moins de 10 % des emplois en France qui
sont en danger à cause de l'automatisation. Il préfère
souligner l'impact positif, sans pouvoir le chiffrer, que la
numérisation de l'économie peut avoir sur les créations
d'emplois. « Parmi les 149 nouveaux métiers apparus depuis 2010,
105 appartiennent au domaine du numérique », soulignent les auteurs
du document.
En réalité, personne n'est vraiment capable de
prédire, au niveau macro-économique, par quels nouveaux emplois
les emplois perdus seront compensés. Mais selon Louis Gallois, il
importe que les futurs emplois créés soient, dans des proportions
aussi fortes que possible, des emplois exposés à la concurrence
mondiale, car ces types d'emploi sont mieux rémunérés et
ont un effet d'entraînement plus important sur le reste de
l'économie. Par nature, tous les territoires sont en compétition
entre eux pour attirer et fixer les emplois « nomades ». Ce qui
nécessite une réflexion poussée sur les conditions
d'attractivité territoriale de ces emplois, qui reposeront sur la
qualité des infrastructures matérielles et immatérielles,
concentrées dans des pôles interconnectés ou « hubs
».
La polarisation des emplois ?
Parmi les conséquences de la numérisation de
l'économie, on évoque également depuis plusieurs
années la « polarisation » de l'emploi. Cette thèse
renvoie à l'idée que la part des métiers les plus
qualifiés augmente, de même que la part des métiers les
moins qualifiés, alors que la part des emplois intermédiaires
diminue. On parle alors de courbe en U ou smiling curve. Cette tendance semble
surtout vérifiée aux États-Unis. En France, on observe
effectivement une élévation de la part des plus qualifiés,
mais la part des moins qualifiés ne croît qu'en raison de la
récente explosion des emplois de services à la personne : si l'on
fait abstraction de ce phénomène, les emplois sont
détruits d'autant plus vite qu'ils sont moins qualifiés,
notamment dans l'industrie. L'avenir de ces évolutions reste incertain :
d'aucuns pensent que les tâches routinières vont connaître
une disparition accélérée qui touchera l'ensemble des
qualifications, qu'elles soient faibles ou élevées, et l'ensemble
des secteurs (industrie et services). Quoi qu'il en soit, à l'heure
actuelle, en France, on observe que le chômage de masse touche
prioritairement les moins qualifiés, comme l'indique le graphique
7ci-après, ce qui justifie d'inciter les jeunes à acquérir
un niveau élevé de qualification.
La tendance qui se dessine est donc celle d'un
nécessaire monté en compétences du travail humain, qui
devra aller de pair avec une réforme profonde des systèmes
éducatifs et de la formation tout au long de la vie professionnelle,
afin d'assurer aux travailleurs le niveau requis par des emplois de plus en
plus exigeants, et d'accompagner les reconversions issues de la redistribution
des activités.
Figure 7. Le chômage
de masse concerne en France les travailleurs peu qualifiés

Source : Marché du travail : la grande fracture,
Institut Montaigne
2. Conséquences sur l'organisation
du travail dans les entreprises
Que signifie concrètement l'industrie 4.0 pour
l'organisation du travail ?
Changement de la nature du travail
Konrad Klingenburg, directeur du bureau de Berlin du principal
syndicat allemand de l'industrie, IG Metall, analyse les changements attendus
sur six dimensions (graphique 8).
Les savoir-être, la capacité à
échanger, à partager, à s'accorder, l'autonomie et la
créativité vont prendre une importance capitale dans l'industrie
du futur. Les relations horizontales tendront à se substituer aux
rapports hiérarchiques verticaux. Les collaborations s'étendront
hors de l'entreprise dans une logique d'entreprise-réseau ou
entreprise-plateforme.
Changement des formes d'organisation
À ces changements dans la nature du travail
répond toute une gamme de formes d'organisation des entreprises, allant
de l'organisation polarisée à l'organisation en essaim - en
passant par des variantes issues d'une conjugaison de ces deux
modèles.
L'organisation polarisée s'appuie sur
l'hétérogénéité des tâches, des
qualifications et des emplois au sein de l'entreprise. Elle répond aux
besoins des systèmes de production qui consistent à maintenir un
nombre limité d'opérateurs en charge de tâches simples,
n'offrant que peu ou pas de marges de manoeuvre, et un groupe croissant de
techniciens et de spécialistes, dont le niveau de qualification est
nettement supérieur à celui des ouvriers qualifiés
traditionnels. Ces salariés sont non seulement chargés des
tâches de maintenance (par exemple, gestion des pannes), mais assument
aussi diverses tâches de gestion de la production.
À l'autre bout du spectre se trouve l'organisation en
essaim (en France, on parle plutôt d'« entreprise
libérée », ce qui introduit un jugement de valeur assez
contestable, ou encore d'holacratie). Cette forme d'organisation du travail se
caractérise par un réseau plus souple de salariés
très qualifiés et opérant sur un pied
d'égalité. Dans cette forme d'organisation, on ne trouve plus de
tâches simples, nécessitant peu de qualifications, celles-ci ayant
été en grande partie automatisées. Les tâches ne
sont pas définies pour chacun des salariés : le collectif de
travail opère en s'auto-organisant et en s'adaptant à chaque
situation (figure 8).
Figure 8. Changement de la
nature du travail

Source : Zukunft der Arbeit - IG Metall
Figure 9. Organisation
polarisée versus en essaim

Source : Hirsch-Kreinsen
Dans chacune de ces hypothèses, l'homme reste au centre
de l'activité mais sa dépendance à l'égard des
données augmente fortement. C'est l'une des raisons pour lesquelles la
sécurité et la protection des données revêtent une
importance particulière.
Risques et opportunités pour les travailleurs
Les changements dans la nature du travail, ainsi que dans les
modèles d'organisation, ouvrent pour les travailleurs des risques et des
opportunités. Le représentant d'IG Metall les résume dans
le tableau ci-contre.
Il estime probable que, le travail quittant de plus en plus
ses formes et ses lieux classiques, on observera une forte augmentation du
« travail à distance » et du « travail sur le cloud
», effectué par des personnes moins bien payées, travaillant
en freelance, bénéficiant d'une moindre protection sociale et
sans accès à la participation. Ce crowdworking se
déploiera d'abord et prioritairement dans le monde des nouvelles
technologies, mais pourrait à court terme essaimer et « contaminer
» les entreprises traditionnelles. Il faut donc s'attendre à un
creusement des inégalités entre actifs (salariés versus
travailleurs indépendants et indépendants économiquement
dépendants), particulièrement en matière de protection
sociale, d'accès au crédit et aux assurances.
Laurent Berger, secrétaire général de la
CFDT, va dans le même sens en soulignant que la pression sur les
salariés risque encore d'augmenter en raison du décloisonnement
entre vie professionnelle et vie privée, d'astreintes « en continu
» et d'une surveillance accentuée, concrétisant le «
panoptique » cher à Michel Foucault. La géo-localisation des
chauffeurs de poids lourds en offre déjà un exemple.
Dans les prochaines années, l'organisation du travail
devrait devenir l'un des principaux enjeux du dialogue social.
3. De l'innovation technique à
l'innovation sociale
Pour Isabelle Martin, responsable du service Économie
et société à la CFDT, il y a une fascination
française pour la technologie. Mais la technologie ne sera une
réussite - au sens sociétal, durable et écologique - que
si nous sommes capables collectivement de transformer le travail et d'«
embarquer » l'ensemble des parties prenantes.
L'entreprise doit favoriser l'échange des points de vue
entre parties prenantes et reconnaître que celui-ci est source de
performance. L'histoire récente de l'industrie française montre
que cette conception du dialogue social fait souvent défaut. Ainsi le
« Lean » déployé dans une approche exclusive de gains
de compétitivité, sans associer les salariés à la
mise en place des nouvelles organisations du travail et sans discussions sur la
qualité du travail, n'a pas toujours permis d'atteindre les niveaux de
performance attendus.
Figure 10. Risques et
opportunités pour les travailleurs

Source : IG Metall
Selon une enquête menée par la CFDT auprès
de 200 000 salariés, 75 % d'entre eux souhaitent être davantage
associés aux décisions qui les concernent. De plus, les
collectifs de travail sont souvent les mieux à même d'apporter des
solutions pertinentes aux problèmes auxquels ils sont confrontés.
Il est donc nécessaire de poursuivre,
parallèlement, la transformation des rapports sociaux dans l'entreprise,
ne serait-ce que pour faire baisser le caractère anxiogène du
changement.
Le travail doit être considéré comme une
source d'innovation à part entière.
Cela implique de reconnaître la place du travail dans la
stratégie et la gouvernance des entreprises. L'entrée des
administrateurs salariés dans les conseils d'administration des grandes
entreprises a représenté une avancée significative en ce
sens, mais il est nécessaire d'aller encore plus loin, d'approfondir et
d'étendre la mesure à un plus grand nombre d'entreprises.
Mais avant tout, le travail et son organisation doivent
être discutés entre partenaires sociaux. La mise en oeuvre des
décisions stratégiques peut se faire selon divers
scénarios dont les conséquences économiques et sociales ne
sont pas identiques. Ces options doivent être discutées avant que
les choix définitifs soient arrêtés, et les
représentants des salariés doivent disposer d'une réelle
capacité à peser sur ces choix ; le cas échéant,
ils doivent pouvoir saisir le conseil d'administration des difficultés
qui n'auraient pas été anticipées par ce dernier. Un
dialogue social de haut niveau est une condition essentielle pour
réussir la transition vers l'industrie du futur, il doit être
considéré comme un levier d'accompagnement du changement de
l'entreprise et non comme un frein à sa mutation.
L'industrie du futur ne saurait se concevoir comme un
progrès sans y associer le progrès social.
Au terme de cette vision de l'industrie du futur, nous pouvons
retenir que les avancées offertes par le numérique offrent
d'immenses perspectives d'innovation. Au niveau technique, avec la fusion des
biens et des services en produits intelligents, dont la fabrication pourra
être à la fois plus rapide et davantage économe en
ressources. Au niveau du contenu du travail, grâce à de nouvelles
organisations des entreprises, de nouvelles formes d'emploi et de nouveaux
modèles économiques.
Au niveau social, par une meilleure conciliation entre le
travail et la vie personnelle avec le travail à distance, le recul de la
barrière de l'âge et du handicap. Pour autant, ces
évolutions portent aussi leur part de risque - pour l'individu comme
pour la société.
La flexibilité peut être synonyme de
porosité accrue entre vie professionnelle et vie privée,
d'intensification du travail et de stress supplémentaire.
De même, des domaines sensibles tels que la protection
et la sécurité des données, l'augmentation des moyens de
contrôle des hommes par les systèmes, l'avenir des collectifs de
travail ou encore le rythme des disparitions et des créations d'emplois
comportent encore un grand nombre de questions sans réponses.
IV. CONCLUSION
A l'avenir, les entreprises mettront en réseau leurs
machines, leurs systèmes de stockage, leurs outils, leurs
salariés, leurs sous-traitants et leurs partenaires, mais aussi leurs
clients dans des systèmes sociotechniques (des systèmes
cyberphy-siques) à l'échelle mondiale. Pour l'industrie 4.0, il y
a là un potentiel énorme : il deviendra possible de prendre en
compte les désirs individuels des clients et même de produire de
façon rentable des pièces uniques ; la production sera plus
rapide et plus flexible ; on diminuera la consommation des ressources et on
augmentera la productivité. La productivité des salariés
pourrait également s'en trouver accrue. Des modes de travail flexibles
leur permettraient de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale,
dans le temps, mais aussi dans l'espace. Il est en effet tout à fait
concevable que certaines parties de la production s'installent (de nouveau) en
France et puissent être localisées dans les zones urbaines.
Même si le sujet est abordé jusqu'ici
essentiellement sous l'angle de la technique, l'homme fait partie de
l'industrie 4.0, décentralisée et auto-organisée.
Cependant, son travail est appelé à beaucoup évoluer dans
de nombreux domaines. Les tâches vont devenir plus complexes, les
réseaux de création de valeur plus dynamiques. Cela exige
beaucoup de flexibilité. De nouveaux outils d'apprentissage devront
être employés - systèmes d'assistance, robots, e-learning.
L'industrie 4.0 nécessite davantage de savoir issu de
l'expérience et de réflexion en réseau. Les machines
fonctionnent bien dans la fabrication standardisée et assistent les
hommes pour que ceux-ci puissent préparer et prendre de meilleures
décisions. Pour schématiser : les hommes posent de meilleures
questions - et les machines doivent les aider à trouver de meilleures
réponses. Cette configuration confère aussi un rôle central
au travail de conception (par exemple pour la mise au point de commandes
intuitives) et de communication (interne et externe).
Ainsi, l'industrie 4.0 offre un potentiel important pour le
numérique dans les innovations, les nouveaux services et les nouveaux
modèles économiques. Elle pourrait offrir des chances
particulières aux start-ups et aux créations d'entreprises. Parmi
les formes d'entreprises existantes, c'est peut-être justement «
l'entrepreneur » qui exprime le mieux l'avantage compétitif de
l'homme par rapport aux machines.
Quelles sont les missions que doit assumer la politique en
faveur de l'innovation ? Elles sont nombreuses. Selon l'indice d'observation de
l'industrie 4.0, les trois quarts des entreprises interrogées
déplorent le manque de soutien approprié de la part des
politiques. Il faut donc agir. Dans ce cadre, les responsables politiques
doivent cependant s'efforcer de promouvoir aussi bien les innovations
techniques que les innovations sociales - en envisageant toute la gamme
complète des possibilités, tant du côté de l'offre
que du côté de la demande. Pour ce faire, il est nécessaire
d'avoir une compréhension systémique de la politique en faveur de
l'innovation, qui intègre également une stratégie et une
mise en oeuvre coordonnée, afin que l'innovation technologique devienne
aussi une innovation sociale et puisse apporter une contribution importante
à l'émergence d'un progrès social.
Concrètement, la politique fait face à une
multitude d'objectifs : elle peut stimuler le savoir collectif - en impliquant
également les entreprises à faible intensité de recherche
- pour que les nouvelles technologies et le nouveau savoir puissent se diffuser
plus rapidement. La politique en faveur de l'innovation peut aussi utiliser des
concours et des mécanismes de financements incitatifs pour favoriser la
création d'alliances autour de projets et de centres de
compétences interdisciplinaires et ainsi soutenir le transfert de la
recherche fondamentale vers le développement d'applications - via les
laboratoires d'universités, les laboratoires vivants et les usines de
démonstration. Ce type de mesure favorise la communication et la
coopération et prépare un terrain fertile pour les innovations
sociales et techniques. Ces innovations sont avant tout nécessaires dans
les domaines de la sécurité et de la protection des
données. La politique en faveur de l'innovation pourra partir de l'offre
et de la demande, par des acquisitions directes ou indirectes, de
l'information, des centres de certification, le développement
d'infrastructures plus sures, la formation initiale et continue, etc. En outre,
il faut voir dans l'Europe une chance pour l'industrie 4.0. C'est un
marché porteur qui a le potentiel pour définir des normes
mondiales, y compris en matière de protection et de
sécurité des données (par exemple via des «
infrastructures européennes du Cloud » ou la définition d'un
cadre juridique européen).
Néanmoins, l'industrie 4.0 doit encore apporter la
preuve de son utilité pour la société. Les potentiels de
l'industrie 4.0 ne seront reconnus et utilisés que lorsque les
évolutions qui en découlent constitueront une valeur
ajoutée pour la société, avec l'implantation de nouvelles
techniques, de nouvelles règles, de nouveaux services et de nouveaux
modes d'organisation en mesure d'être considérés comme
« meilleurs pour l'homme ». Pour y parvenir, une coordination rapide
et une politique proactive seront nécessaires; une politique qui
soutient et qui exige, qui fixe des règles claires, mais qui investit
dans l'avenir en faisant preuve d'audace.
BIBLIOGRAPHIE
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juin 2020, site de débat et réflexion dédié aux
problématiques de l'industrie
http://wwwlesechos.fr/, mai 2020,
site d'information économique et financière
http://www.usinenouvelle.com/ ,
juin2020, site d'information consacré à l'économie et aux
technologies dans le monde industriel
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nouveau capitalisme productif, La République des idées,
Seuil, 2017.
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quel bilan ?,Les Synthèses de La Fabrique, n°12, avril 2017
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des plateformes, Le Passeur, 2016
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XXIe siècle, Odile Jacob, 2017
Institut Montaigne, Marché du travail : la grande
fracture, février 2015.
http://www.industriall-union.org/
, aout 2020, fédération syndicale internationale
Sommaire des illustrations
Figure 1. Les quatre révolutions industrielles
2
Figure 2. Courbe générique « en
forme de sourire » dans une chaîne de valeur
10
Figure 3. Sommaire des objectifs de
développement durable des Nations Unies jusqu'en 2030, adoptés en
décembre 2015
31
Figure 4. Cours au comptant du pétrole brut de
référence brent
44
Figure 5. Estimation des ventes mondiales annuelles de
robots industriels par secteur 2016-2018
49
Figure 6. Comparaison entre la répartition des
compétences requises et celle des compétences déjà
acquises; marchés du travail industriel dans les pays
développés
53
Figure 7. Le chômage de masse concerne en France
les travailleurs peu qualifiés
59
Figure
8. Changement de la nature du travail
61
Figure 9. Organisation polarisée versus en
essaim
62
Figure 10. Risques et opportunités pour les
travailleurs
64
Résumé
Dans un contexte de pandémie mondiale les entreprises
ont pu constater l'importance de la digitalisation et de l'automatisation. Il
est évident que les entreprises ayant développé ces points
ont eu un avantage sur les autres. Cet évènement va surement
encourager les entreprises qui hésitaient encore à
développer l'industrie 4.0 à leur mettre dans leur top
priorité. Mais attention, une révolution industrielle ne doit pas
se prendre à la légère. En effet si les avancées
techniques ne sont pas anticipées, le marché de l'emploi s'en
trouvera bouleversé. Comme nous pourrons le voir dans ce mémoire
les compétences recherchées par les entreprises seront trop
éloignés des compétences acquises par les travailleurs.
Cela mettrait en péril les travailleurs, l'entreprise et le
marché du travail.
Mots clés: Industrie 4.0, révolution industrielle,
usine du future, marché de l'emploi, travailleurs de demain
Abstract
In the context of a global pandemic, companies have seen the
importance of digitization and automation. It is obvious that the companies
having developed these points had an advantage over the others. This event will
surely encourage companies that were still hesitant to develop Industry 4.0 to
put them in their top priority. But beware, an industrial revolution should not
be taken lightly. Indeed, if technical advances are not anticipated, the job
market will be upset. As we will be able to see in this brief, the skills
sought by companies will be too far removed from the skills acquired by
workers. It would put workers, business and the labor market at risk.
Keyswords: Industry 4.0, industrial revolution, factory of the
future, job market, workers of tomorrow
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