Collège des Sciences Humaines et
Sociales Faculté d'Anthropologie sociale - Ethnologie
LA REVITALISATION DES LANGUES AUTOCHTONES DU CANADA
GRACE AU SPECTACLE VIVANT
Mémoire de recherche présenté en vue de
l'obtention de l'UE9 de la première année de Master
par Marlène Viardot
Sous la direction de Sophie Chave-Dartoen et Nathaniel Gernez
2019-2020
Remerciements
Je tiens à remercier tous et toutes les
professeur.es de
l'Université de Bordeaux, qui m'ont acceptée en Master alors que
ni mon sujet ni sa zone géographique ne sont étudiées dans
la faculté d'Anthropologie Sociale et Culturelle. Je n'y croyais pas
!
Merci à eux et à elles de m'avoir fait
découvrir cette matière tout au long de l'année, cela
s'est révélé aussi passionnant que je l'avais
imaginé.
En cette étrange année marquée par la
pandémie de covid-19, je les remercie également pour leur
compréhension et leur soutien face aux difficultés
rencontrées dans l'organisation du travail universitaire.
A mon directeur M. Nathaniel Gernez et ma directrice Mme
Sophie Chave-Dartoen, pour leurs encouragements constants, leur bienveillance
et leur encadrement, plein de bons conseils sensés et
compréhensifs, merci beaucoup. Être accompagnée par vous
deux dans ce travail fut un plaisir.
En parlant de
professeur.es, je
remercie aussi celles et ceux qui m'ont enseigné les Sciences du
Langage, en Licence à l'Université de Strasbourg. Je n'en serai
pas là sans vous.
Je remercie mes
ami.es, et mon partenaire, qui
m'ont écoutée leur parler d'ethnolinguistique avec enthousiasme,
sans montrer de lassitude face à mes intarissables discours sur la
sauvegarde des langues et sur les peuples autochtones. Je les remercie de
m'avoir fait rire dans les moments où j'avais besoin de souffler, avec
leurs vidéos d'animaux incroyables, leurs images humoristiques absurdes
et leurs Gifs improbables. Vous contribuez à mon équilibre mental
!
Je remercie ma fille, qui fait de ma vie une toute autre
aventure que celle qui m'aurait mené au fond des réserves
indiennes, et qui j'espère m'y accompagnera un jour prochain.
Je remercie son père, sans qui je n'aurais pas pu
faire ces études.
Ma famille reçoit elle aussi mes pensées de
gratitude, pour leurs conseils, leur intérêt pour mon travail et
leur soutien matériel.
Enfin, je remercie par-delà le temps toutes les
personnes qui ont fait des recherches sur la linguistique amérindienne.
Ces auteurs du XXème siècle auraient-ils pu imaginer qu'une
petite étudiante calée au fond de son canapé, lirait avec
passion leur travail, numérisé en PDF, 140 ans après leur
publication ?
AVANT-PROPOS
Note sur la terminologie des peuples autochtones
Pendant des siècles, les premiers habitants de
l'Amérique du Nord ont été définis en grande partie
par d'autres, à commencer par Christophe Colomb, qui a utilisé
à tort le terme Indiens pour désigner les divers peuples
établis dans les Amériques. Aujourd'hui, les attitudes à
l'égard des premiers peuples du Canada évoluent, et il convient
d'utiliser les bons termes si l'on veut entretenir des relations positives et
respectueuses avec les membres des Premières Nations, les Inuits et les
Métis.
Ainsi, même s'il est utilisé couramment, surtout
dans les médias, le nom propre Autochtone devrait être
évité. Le mot peut cependant être employé comme
adjectif. Ainsi, on parlera des "peuples autochtones" plutôt que des
"Autochtones".
Cependant il importe également de signaler que, si le
terme "indigenous" est utilisé plus régulièrement en
anglais, ce n'est pas le cas pour son équivalent français,
"indigène", qui comporte encore une connotation négative. Cette
réalité se reflète dans le fait que le nom du
Ministère demeure "Affaires autochtones et Développement du Nord
Canada" en français.
Par respect pour les Peuples Premiers, nous n'utiliserons donc
pas le terme "Autochtones" comme nom, ni "Indigènes" pour la raison
sémantique du français citée précédemment.
Nous parlerons donc de "peuples/nations/personnes autochtones" en tant
qu'adjectif, sauf dans les cas où nous citons des textes officiels (par
exemple dans la Commission de Vérité et de Réconciliation
ou les rapports statistiques) ou des ouvrages (par exemple celui de Desbiens
& Hirt, Les Autochtones au Canada : espaces et peuples en
mutation.).
Notes sur l'utilisation de l'écriture inclusive :
Je souhaite rédiger en écriture inclusive. Je
tiens de manière générale à inclure tous les
genres, et c'est aussi un engagement féministe de ma part.
À mon sens l'écriture française actuelle
permet de pérenniser la domination masculine, et par écho la
binarité des genres. La solution actuelle au problème posé
pas la langue française exclusive est l'écriture inclusive.
Les mots en écriture inclusive comporteront une barre
oblique ou un point entre la terminaison du masculin et celle du
féminin, pour les noms et les adjectifs, comme spectateur/trices,
chercheur/se.s, tou.te.s, etc.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
I. LA REVITALISATION DES LANGUES AUTOCHTONES
3
A. QU'EST-CE QU'UNE LANGUE AUTOCHTONES EN DANGER ?
3
1. Qu'est-ce qu'une langue autochtone ? 3
2. Qu'appelle-t-on une langue en danger ? 5
3. Mesures de protection mises en place 17
B. LE CONCEPT DE REVITALISATION 22
1. Revitalisation des langues : définition 22
2. Des exemples de renaissance réussie 24
CONCLUSION 26
II. LE CANADA ET SON RAPPORT AUX PEUPLES ET LANGUES
AUTOCHTONES 26
A. 630 PREMIERES NATIONS ET PRES DE 90 LANGUES
27
1. Trois catégories de peuples autochtones 27
2. 10 familles de langues, 88 langues 29
B. LES LANGUES AUTOCHTONES, DU DECLIN A LA RENAISSANCE
34
1. L'influence des écrasantes politiques
d'assimilation sur les langues autochtones 35
2. Le tournant des années 1970 36
3. L'urbanisation des peuples autochtones 40
4. Quelques grands textes de droit concernant les langues
autochtones 41
5. Situation linguistique aujourd'hui 42
6. Des améliorations, et encore un long chemin
à parcourir 46
CONCLUSION 48
III. SPECTACLES EN LANGUES NATIVES ET IMPACT
48
A. UN LIEN DIFFICILE A ETABLIR 49
B. L'ART VIVANT AUTOCHTONE A LA PERIODE ACTUELLE
50
1. La musique en langue autochtone 51
2. Les pow wows 53
3. Les festivals de contes 54
4. Le théâtre 55
CONCLUSION 58
CONCLUSION GENERALE 58
BIBLIOGRAPHIE 60
TABLE DES ANNEXES 67
TABLE DES ILLUSTRATIONS XI
TABLE DES MATIÈRES 80
1
Introduction
Ce mémoire s'intéresse aux langues autochtones
du Canada et à leur revitalisation au moyen du spectacle vivant.
L'origine de ce sujet remonte à loin : les domaines de
l'histoire des Amérindien.nes d'Amérique et de la sauvegarde des
langues rares me passionnent depuis longtemps. C'est en 2008, dans une revue
d'orientation sur les études post-bac, que j'ai découvert le
métier d'ethnolinguiste : ces gens qui partaient enregistrer les voix,
filmer les cultures, créer des dictionnaires des langues autochtones
menacées.
Mes intérêts pour les langues, ceux pour
l'ethnologie et mes idéaux de justice pouvaient donc se combiner,
compris-je à ce moment-là. Et ils n'en furent que
renforcés par la suite, lors de ma licence de Sciences du Langage, puis
de ce Master d'Anthropologie sociale et culturelle.
J'ai constaté au cours de mes formations que le sujet
de la disparition des langues autochtones, et leur revitalisation,
bénéficiait déjà d'un large traitement :
manifestations de la part des Natifs (manifestation pour les droits des
Aborigènes à Sydney en Australie en 1988 ; crise d'Oka au Canada
en 1990 ; résistance contre le projet de barrage de Belo Monte au
Brésil de 2011 à 2015 ; manifestation des femmes autochtones du
Brésil en 2019, pour n'en citer que quelques-unes), cours de langues,
création d'associations, émissions de radio, de
télé...
Réfléchissant à l'angle que je pourrais
prendre pour approcher le thème, avec l'aide de mon directeur et ma
directrice de mémoire, M. Gernez et Mme Chave-Dartoen, j'ai songé
aux spectacles en occitan ou en alsacien auxquels j'avais pu assister : j'ai
alors transposé cela sur les langues autochtones, et cela m'a
amenée à me demander si ces représentations d'art vivant
avaient un impact sur la revitalisation de ces langues.
Ce sujet-là précisément n'est que
très peu traité par la littérature. Les langues rares le
sont, leur revitalisation aussi, et l'anthropologie de la performance est
également fournie. Mais je n'ai trouvé aucun ouvrage traitant de
ces trois éléments ensemble lors de mes recherches.
Pour autant, utiliser le spectacle vivant pour faire passer un
message politique est courant. Les populations utilisent le
théâtre, le chant, la danse, pour exprimer leur
mécontentement, leur besoin de justice, pour dénoncer. L'art est
utilisé pour dénoncer.
Pour les groupes minoritaires, présenter cela dans leur
propre langue, ou juste utiliser leur langue pour des créations
artistiques, est une revendication de plus dans leur désir de
reconnaissance et de justice.
J'ai voulu donc explorer ici la problématique suivante
:
Dans quelle mesure le spectacle vivant --
théâtre, concert, danse, contes, festivals -- en langues
autochtones du Canada impacte-t-il la revitalisation de ces langues ? Cela
donne-t-il envie aux gens de les apprendre et de les transmettre, de s'y
intéresser ?
La démarche de recherche que nous avons utilisé
pour ce travail est une analyse documentaire. Nous avions prévu un
terrain au Canada, lors de l'été 2020, d'une durée
d'environ 2 à 3 mois, afin de réaliser des entrevues en
face-à-face ; la pandémie de covid-19 nous a contrainte à
reporter ce projet à une date ultérieure.
D'ailleurs, nous tenons à souligner l'impact que le
confinement engendré par cette pandémie a eu sur notre travail :
la fermeture des bibliothèques nous a privé de l'accès
à certains ouvrages, celle des salles de spectacle, musées,
centres de formations artistiques, écoles, nous a empêché
de réaliser des entretiens téléphoniques.
Le seul que nous ayons pu réaliser s'est tenu en
janvier 20201. Notre interlocuteur a été la seule
personne qui a répondu positivement à notre demande d'entretien,
les autres étant restées sans réponse ou
déclinées. C'est pour cela que nous aurions aimé avoir la
possibilité de contacter plus de personnes après cette date.
Ce mémoire s'appuie donc, en plus de cet entretien, sur
des documents textes, audios et vidéos.
Après avoir défini les notions de langues
autochtones du Canada et précisé le concept de revitalisation,
nous étudierons la situation du Canada, les langues et peuples
autochtones qui y vivent et comment ils y vivent. Nous réunirons ces
éléments dans une troisième partie, où nous verrons
quels types de spectacles vivants existent au Canada, et s'ils contribuent
à la revitalisation des langues autochtones - ou pas.
2
1 Voir annexe 7.
3
I. La revitalisation des langues autochtones
A. QU'EST-CE QU'UNE LANGUE AUTOCHTONES EN DANGER ?
1. QU'EST-CE QU'UNE LANGUE AUTOCHTONE ?
Nous allons étudier le territoire canadien, aussi
voyons quelle définition donne le Thésaurus du gouvernement du
Québec de "langue autochtone" :
"langue qui existe depuis plusieurs générations,
mais qui, sur un territoire donné, n'est plus parlée que par un
groupe restreint de locuteurs/trices, généralement
âgé/es, et qui n'est souvent plus la langue maternelle de la
nouvelle génération.".
Pour comparer, voyons quelle définition donne
l'anthropologie du mot "autochtone" : C. de Lespinay écrit que
"l'autochtone est un premier occupant qui n'a pas le souvenir d'une
migration antérieure à son installation sur les terres qu'il
occupe actuellement." (de Lespinay 2016). C'est celui "qui a toujours
été là". Ainsi, en Amérique, on qualifie
d'autochtone une personne appartenant à l'une des ethnies qui occupaient
déjà le continent avant l'arrivée des Européens.
Or, la colonisation par les Européens a eu pour
conséquence de rendre les personnes autochtones minoritaires sur leur
territoire d'origines : elles font désormais partie de ce qu'on appelle
les minorités ethniques.
Cette terminologie laisse donc entendre qu'il y a un groupe
majoritaire. Et, comme précise C. de Lespinay, elle indique
également un rapport de domination entre les deux. Selon lui, cette
étymologie touche aux notions de nombre et d'enfance ou
d'incapacité :
« Les "minoritaires" sont censés être 1)
moins nombreux, 2) moins "civilisés" puisque "dans l'enfance" par
rapport à la culture majoritaire, 3) avec moins de droits que les autres
puisque "mineurs" et minoritaires à la fois.2 »
La culture majoritaire quant à elle est
considérée comme adulte (civilisée) et dispose seule de la
capacité d'administrer les deux groupes, imposant leurs lois aux ethnies
minoritaires
2 Charles de Lespnay, "Les conceptis d'autochtone
(indigenous) et de minorité (minority)", 2016
4
"immatures".
La question du nombre est traître : un groupe culturel
dominant peut comporter moins de membres que le groupe qu'il domine. Le premier
n'en reste pas moins majoritaire et le second minoritaire.
Nous pouvons donc repréciser la définition : une
"minorité" ethnique est une population "non dominante", a contrario
dominée, et dépendante d'une autre population même si elle
est majoritaire en nombre.
Nous avons donc deux définitions, une pour le terme
"autochtone", et une pour celui de "minorité" :
· autochtone : le membre d'une population
installée sur un territoire donné avant tous les autres, qui a
établi des relations particulières, anciennes et toujours
actuelles avec ce territoire et son environnement, et qui a des coutumes et une
culture qui lui sont propres.
· "minoritaire" : le membre d'un groupe non dominant,
attaché ou non à un territoire, qui se distingue des groupes
environnants par ses spécificités sociales, culturelles et
économiques, par la conscience d'une identité spécifique,
et qui peut être régi ou non par des traditions qui lui sont
propres.
Comme nous l'avons vu, les deux qualificatifs se fondent
aujourd'hui, recouvrant les mêmes réalités sociales.
Ainsi, l'anthropologue Isabelle Schulte-Tenckhoff écrit
: « D'une manière générale, le qualificatif
d'autochtone est donc réservé à des populations
aujourd'hui non dominantes du point de vue économique, politique et
socioculturel (mais pas nécessairement numérique), descendant des
habitants originels d'un territoire donné, victimes de génocide,
de conquête et de colonisation.3 »
Dans ce mémoire, "langue autochtone" aura donc pour
signification la langue parlée par les personnes d'origine autochtone
vivant sur le territoire appelé aujourd'hui Canada.
3 Isabelle Schulte-Tenckhoff, La
question des peuples autochtones, Bruxelles, Bruylant et Paris, LGDJ
(Collection « Axes Savoir »), 1997, p. 179-184.
5
2. QU'APPELLE-T-ON UNE LANGUE EN DANGER ?
Il existerait aujourd'hui dans le monde au moins 7000 langues,
sachant qu'il est difficile de distinguer langue et dialecte. L'immense
majorité de la population ne parle qu'un infime pourcentage de ces
langues : 97% de la population mondiale parle 4 % des langues du monde et,
inversement, 96 % des langues du monde sont parlées par 3 % de la
population mondiale (Bernard 1996 : 142).
a) Les facteurs de la mise en danger d'une langue
Une langue est en danger lorsque ses locuteurs/trices cessent
de la pratiquer, la réservent à des domaines de plus en plus
restreints, et qu'elle ne se transmet plus de génération en
génération, donc quand il n'y a plus de nouveaux/elles
locuteurs/trices, adultes ou enfants.
Les facteurs de mise en danger sont variés : cela peut
être des forces externes, comme une domination militaire,
économique, religieuse, culturelle ou éducative ; ou des forces
internes, comme la perception négative qu'une communauté a de sa
propre langue.
Mais les deux sont liées : les pressions
extérieures engendrent souvent des pressions intérieures, et ce
cumul entraîne l'arrêt de la transmission des traditions
linguistiques et culturelles.
Dans les pays où la colonisation a eu lieu, c'est
à cause d'elle et des politiques et lois discriminatoires qui en ont
découlé que les langues autochtones sont menacées.
Dans les pays européens, les langues minoritaires en
danger le sont pour des raisons d'unification des territoires, mais au final
les comportements sont les mêmes : assimilation ou encouragement par
l'État, lutte des locuteurs/trices pour la sauvegarde et l'enseignement
ou abandon.
La plupart des peuples autochtones sont socialement
défavorisés, et cette situation les poussent à penser que
c'est à cause de leur culture, et qu'il ne vaut donc pas la peine de la
sauvegarder. Ils préfèrent y renoncer, culture dans l'espoir de
vaincre la discrimination, d'accroître leurs revenus, d'acquérir
une plus grande mobilité ou de se faire une place sur les marchés
mondiaux. Ces idées, engendrées par la culture dominante
menaçante, sont encouragées par celle-ci même, lorsqu'elle
pratique une politique d'assimilation.
b) Critères de vitalité des langues selon
l'UNESCO
L'UNESCO est l'Organisation des Nations Unies pour
l'Éducation, la Science et la Culture. Elle cherche à instaurer
la paix par la coopération internationale, depuis sa création en
1945.
Promouvoir la diversité linguistique fait partie de son
oeuvre. Elle protège ainsi le patrimoine linguistique et culturel de
l'humanité, et en particulier celui des populations autochtones et des
minorités, surtout depuis les années 80.
L'UNESCO a édité en 2003 un rapport qui
établit une liste de 9 critères pour évaluer le
degré de vitalité d'une langue.
Cette classification par cet organisme de
référence me paraît importante pour bien saisir le sujet.
Ces domaines sont à prendre en compte ensemble, et non pas
séparément.
1. la transmission intergénérationnelle
2. le nombre absolu de locuteurs/trices.
3. Le taux de locuteurs/trices sur l'ensemble de la
population
4. L'utilisation de la langue dans les différents
domaines publics et privés
5. La réaction face aux nouveaux domaines et
médias
6. Les matériels d'apprentissage et d'enseignement des
langues
7. Les attitudes et politiques linguistiques au niveau du
gouvernement et des institutions
8. L'attitude des membres de la communauté
vis-à-vis de leur propre langue
9. Le type et la qualité de la documentation
Fig. 1 : UNESCO La vitalité et le danger de disparition
des langues
6
Facteur 1 : Transmission de la langue d'une
génération à l'autre
Fishman, un des pionniers de la revitalisation linguistique,
indique que l'indice le plus couramment utilisé pour évaluer la
vitalité d'une langue est de savoir si elle se transmet d'une
génération à l'autre (Fishman 1991). L'UNESCO
définit une échelle à 6 niveaux de mesure de la
vitalité d'une langue, allant de "sûre" à "morte" (UNESCO
2003 : 10) :
Sûre (5) : La langue est parlée par toutes les
générations. Sa transmission est ininterrompue d'une
génération à l'autre.
Stable et pourtant menacée (5-) : Dans la plupart des
cas, la langue est parlée par toutes les générations qui
ne cessent de la transmettre, bien que le plurilinguisme dans la langue
maternelle et une ou plusieurs langues dominantes ait usurpé certains
domaines de communication importants. Il faut dire que le plurilinguisme ne
constitue pas forcément à lui seul une menace pour les
langues.
Précaire (4) : Dans la plupart des cas, les
ménages et les enfants d'une communauté donnée parlent
leur langue maternelle en première langue, mais cela peut se limiter
à des domaines spécifiques (par exemple, à la maison
où les enfants dialoguent avec leurs parents et leurs
grands-parents).
En danger (3) : La langue n'est plus enseignée aux
enfants comme langue maternelle à la maison. Les plus jeunes
locuteurs/trices appartiennent donc à la génération
parentale. Dans ce cas, les parents continuent de s'adresser à leurs
enfants dans leur langue, mais en général leurs enfants ne leur
répondent pas dans cette langue.
Sérieusement en danger (2) : La langue est seulement
parlée par les grands-parents et les générations plus
âgées ; certes, les parents arrivent encore à comprendre
cette langue, mais ne l'emploient plus avec leurs enfants ni entre eux.
Moribond (1) : Les dernier/es locuteurs/trices sont de la
génération des arrière-grands-parents et la langue n'est
pas pratiquée dans la vie de tous les jours. Les anciens, qui n'en ont
qu'un souvenir partiel, ne la parlent pas régulièrement d'autant
qu'il reste peu de gens avec qui ils peuvent dialoguer.
Morte (0) : Personne ne parle plus la langue ni ne s'en
souvient.
7
Facteur 2 : Nombre absolu de locuteurs/trices
8
Plus ce nombre est petit, plus la langue est en danger. Une
population peu nombreuse est forcément plus vulnérable à
la décimation face aux maladies, aux guerres ou aux catastrophes
naturelles par exemple. Un petit groupe linguistique peut aussi
s'intégrer plus facilement à un groupe plus grand, en abandonnant
sa langue et sa culture.
Facteur 3 : Taux de locuteurs/trices sur l'ensemble de la
population Reprenons l'échelle précédente :
Sûre (5) : toute la population parle la langue
Précaire (4) : Presque toute la population parle la langue
En danger (3) : La majorité de la population parle la langue
Sérieusement en danger (2) : Une minorité parle la langue
Moribond (1) : Un très petit nombre de personnes parlent la langue Morte
(0) : Plus personne ne parle la langue.
Facteur 4 : Utilisation de la langue dans les
différents domaines publics et privés
La transmission d'une langue est influencée par des
facteurs tels que le lieu, les personnes avec qui l'on communique, ou les
sujets abordés. Selon l'échelle établie :
Usage universel (5) : La langue est utilisée dans tous
les domaines et pour toutes les fonctions.
Parité multilingue (4) : Situation de diglossie :
répartition fonctionnelle des langues dans des contextes de
communication différents où la langue non dominante est
employée de manière informelle et dans le milieu familial, ou
pour des pratiques religieuses traditionnelles ou des commerces de
proximité ; alors que la langue dominante est réservée aux
domaines officiel et public.
Domaines en déclin (3) : La langue ancestrale est
utilisée en famille et investie de nombreuses fonctions, mais la langue
dominante commence à pénétrer dans le domaine familial.
9
Domaines limités (2) : La langue se pratique dans des
domaines sociaux limités et pour plusieurs fonctions : lieux de
sociabilité, festivals et cérémonies où les anciens
ont l'occasion de se retrouver, lieu de résidence des personnes
âgées de la famille. La majeure partie de la population comprend
la langue mais ne la parle pas.
Domaines extrêmement limités (1) : La langue est
réservée à des domaines très restreints et
très peu de fonctions (par exemple rites lors de
célébrations.).
Morte (0) : L'usage de la langue a disparu dans tous les
domaines
Facteur 5 : Réaction face aux nouveaux domaines et
médias
Si une langue n'arrive pas à attraper le train du
progrès en s'exprimant via les medias de masse, où règne
déjà la langue dominante, son degré de danger est
important. Il faut aussi qu'elle soit présente dans l'enseignement et
dans l'emploi, et de manière plus importante que seulement une heure par
semaine ou réservée à un seul type de profession.
Là encore il y a un classement de 5 (La langue est
utilisée dans tous les nouveaux domaines) à 0 (La langue n'est
utilisée dans aucun nouveau domaine.), allant de Dynamique (5),
Solide/active (4), Réceptive (3), Adaptable (2), Minimale (1), à
Inactive (0).
Facteur 6 : Matériels d'apprentissage et
d'enseignement des langues
Il est essentiel pour le maintien d'une langue que
l'éducation se fasse dans cette langue, pas seulement qu'on l'y
enseigne. Il faut pour cela passer par l'écrit, et certaines
communautés à tradition orale s'y refusent. D'autres y voient une
source de fierté. En général, cependant, cela est
directement lié au développement économique et social.
L'UNESCO distingue 6 niveaux :
5 : Orthographe établie, grammaires, dictionnaires,
textes littéraires de tout style : fiction, médias,
éducation, administratif.
4 : Matériels écrits et, à
l'école, les enfants apprennent à lire et écrire dans la
langue, mais elle n'est pas utilisée dans l'administration.
3 : Matériels écrits pouvant être
utilisés à l'école ; pas de presse écrite qui
pourrait encourager l'alphabétisation.
10
2 : Matériels écrits mais utiles seulement pour
une minorité ; pour les autres, ils ont éventuellement une valeur
symbolique. L'alphabétisation dans la langue n'est pas au programme
scolaire.
1 : Il existe une orthographe et un faible nombre de textes, en
cours de réalisation. 0 : Aucune orthographe.
Facteur 7 : Attitudes et politiques linguistiques au
niveau du gouvernement et des institutions - usage et statut officiels
La politique linguistique d'un État a un rôle
majeur dans la sauvegarde et l'encouragement des langues minoritaires, ou au
contraire de leur abandon. Souvent, la langue dominante se proclame comme
meilleure que la langue non-dominante, ou même comme symbole
fédérateur de l'État. Et quand plusieurs grandes
communautés linguistiques se disputent le même territoire, elles
peuvent elles-mêmes adopter des attitudes linguistiques conflictuelles.
Cela porte à croire que la multiplicité des langues est source de
division et représente un danger pour l'unité nationale. La
politique linguistique peut alors intervenir et limiter les pratiques. Mais que
l'État désigne une seule langue officielle et néglige les
autres, ou choisisse d'officialiser toutes les langues en usage sur son
territoire, son action a toujours une incidence importante sur l'attitude
linguistique de la communauté même.
Voici les échelons de la politique linguistique :
Soutien égalitaire (5) : Toutes les langues du pays sont
valorisées et protégées par la loi.
Soutien différencié (4) : Les langues
minoritaires sont essentiellement protégées dans le domaine
privé. L'usage de la langue dominée est prestigieux (par exemple,
lors des cérémonies).
Assimilation passive (3) : Le gouvernement central est
indifférent à l'usage des langues minoritaires, du moment que la
langue dominante est celle de l'interaction dans la sphère publique. La
langue du groupe dominant devient, par le fait même, la langue
officielle. Les langues minoritaires ne jouissent pas d'un grand prestige.
Assimilation active (2) : Le gouvernement encourage
l'assimilation à la langue dominante, notamment par l'enseignement de et
dans la langue dominante. Les langues minoritaires ne bénéficient
d'aucune protection.
11
Assimilation forcée (1) : Le gouvernement soutient
explicitement la langue dominante (statut officiel), alors que les langues
minoritaires ne sont ni reconnues, ni soutenues.
Interdiction (0) : L'usage des langues minoritaires est
strictement interdit dans tous les domaines. Il est parfois
toléré dans la vie privée.
Facteur 8 : Attitude des membres de la communauté
vis-à-vis de leur propre langue
Les membres d'une communauté dont la langue est
dominée peuvent avoir différents comportements par rapport
à celle-ci : ils peuvent choisir de la valoriser et la promouvoir,
être indifférents ou bien en avoir honte, la trouver nuisante
socialement et économiquement. Logiquement, l'attitude positive est
primordiale pour la stabilité d'une langue à longue
échéance.
Les différents degrés de cette échelle
sont :
5 : L'ensemble de la communauté est attaché
à sa langue et souhaite sa promotion. 4 : La majorité du groupe
est favorable au maintien de la langue.
3 : Beaucoup de membres de la communauté est favorable
au maintien de la langue, beaucoup d'autres y sont indifférents,
certains souhaitent l'abandon (transfert linguistique).
2 : Seulement quelques membres sont favorables au maintien de
la langue, d'autres sont indifférents ou favorables au transfert.
1 : Seul un petit nombre est favorable au maintien de la
langue ; la majorité du groupe est indifférente ou favorable au
transfert.
0 : Personne ne se sent concerné par la disparition de
la langue, tous préfèrent la langue dominante.
Lorsqu'une politique linguistique assimilatrice est en place,
les membres de la communauté de la langue dominée sont souvent
mis face à un choix binaire : "soit vous vous accrochez à votre
langue maternelle et à votre identité, mais vous ne trouvez pas
de travail, soit vous y renoncez et vous aurez de meilleures chances dans la
vie.". Ce dilemme est trompeur, car ces locuteurs/trices pratiquent
également la langue dominée, et cela est un avantage. Les membres
du groupe minoritaire sont poussés à abandonner leur langue, par
mésinformation ou manque
12
d'alternatives. Mais il arrive également qu'ils
résistent à la domination linguistique, et cet activisme prend
une des trois formes suivantes :
· Renouveau de la langue : pour des langues qui
étaient hors d'usage (hébreu pour Israël, gaélique
pour l'Irlande.).
· Défense de la langue : présence accrue
de la langue minoritaire pour résister à la langue dominante,
perçue comme menaçante (gallois.).
· Maintien de la langue : la langue dominée est
stable et soutenue, dans un Etat où existent à la fois le
plurilinguisme et la langue dominante (où celle-ci fait office de lingua
franca) (maori en Nouvelle-Zélande.). (UNESCO 2003 : 15)
Facteur 9 : Type et qualité de la
documentation
Les documents écrits comprennent les grammaires de la
langue non dominante, des documents audiovisuels, dont certains annotés
de l'expression orale dans son occurrence naturelle de la littérature
régulière et de toutes sortes. Les 6 niveaux sont les suivants
:
Excellente (5) : Grammaires et dictionnaires complets, textes
intégraux, nombreux documents audiovisuels annotés d'excellente
qualité.
Bonne (4) : Au moins une bonne grammaire, quelques dictionnaires
et des textes, de la littérature et de la presse quotidienne ; les
documents audiovisuels annotés sont convenables et de bonne
qualité.
Assez bonne (3) : Une bonne grammaire, quelques dictionnaires et
des textes, mais pas de presse quotidienne ; la qualité ou le niveau
d'annotation des documents audiovisuels est variable.
Fragmentaire (2) : Quelques règles grammaticales, un
lexique et des textes utiles dans le cadre d'une recherche linguistique
limitée, mais leur couverture est insuffisante. Il peut y avoir des
enregistrements son/image de qualité variable, avec ou sans aucune
annotation.
Insuffisante (1) : Il n'existe que quelques règles
grammaticales, un vocabulaire restreint et des textes fragmentaires. Les
documents audiovisuels sont inexistants, inexploitables ou totalement
dépourvus d'annotations.
Inexistante (0) : Aucun support.
13
Le rapport de l'UNESCO rappelle bien que c'est l'ensemble de
ces neuf facteurs (six mesurant la vitalité linguistique, deux
renseignant sur l'attitude vis-à-vis d'une langue et un concernant
l'urgence de la documentation) qui permet de faire le bilan de la situation
sociolinguistique des langues.
c) Etapes du processus d'érosion d'une langue
Une langue en voie d'extinction qu'il est impossible de sauver,
va disparaître.
Le linguiste C. Hagège a dans son livre Halte
à la mort des langues (2002) définit trois types de
disparition d'une langue (Hagège 2002 : 93). Nous allons les
présenter dans tout ce paragraphe :
- transformation : ce n'est pas vraiment une mort de
la langue, c'est plutôt quand elle évolue tellement qu'elle se
transforme en une autre - comme le latin qui a donné plusieurs langues
romanes par exemple.
- substitution : c'est lorsqu'une langue
extérieure remplace la langue d'origine, après une période
de coexistence. Elles fusionnent, ne laissant dans la langue nouvelle que
quelques rares mots et structures de la langue d'origine, dans une faible
minorité d'emplois.
- et extinction : une langue est
éteinte quand elle n'a plus de locuteurs/trices de naissance. Cela peut
arriver sur le territoire d'origine de la langue, ou lors d'immigration, les
jeunes apprenant la langue du pays et ne pratiquant plus celle de leurs
parents.
Quel que soit le type de disparition, le processus n'est pas
immédiat (à moins de catastrophe naturelle,
d'épidémie ou de génocide - le tsunami de 2004 a ainsi
presque anéanti le mentawai, parlé dans les Îles Mentawai
en Indonésie.).
Il y a plusieurs étapes :
1. défaut de transmission : les parents transmettent
de moins en moins à leurs enfants leur langue maternelle.
2. bilinguisme inégalitaire : deux langues, où
l'une est dans une position plus forte, du fait de son statut social ou de sa
large diffusion nationale ou internationale. C'est là qu'a lieu le
défaut de transmission cité ci-dessus : la communication entre
locuteurs/trices
âgé.es et jeunes devient de
plus en plus imparfaite.
3.
14
apparition de "sous-usagers" : c'est la conséquence du
point précédent. Ce sont les personnes pour lesquelles l'usage de
la langue d'origine de leur communauté devient de plus en plus
incertain. C'est le cas des familles d'immigrés récents, qui ont
une pratique fautive de la langue du pays d'accueil, sans avoir conservé
une compétence complète dans leur propre langue.
4. altération de la langue dominée, déni
de la légitimité : la langue d'origine est
méprisée, et par les locuteurs/trices de la langue dominante, et
par les sous-usagers qui souhaitent atteindre le prestige social que celle-ci
apporte.
5. invasion par l'emprunt : toutes les langues font des
emprunts, essentiellement lexicaux. Ce n'est pas en soi une cause de
l'extinction des langues. En revanche, c'est un signe alarmant lorsqu'il
envahit le "noyau dur" du langage : la grammaire et la phonologie. Ainsi,
l'alternance des codes (insertion dans un discours en une langue, des mots ou
des expressions d'une autre langue - "cette fête a l'air fun, let's go
!"), la perte des traits récessifs (traits distinctifs, comme par
exemple le "é" et le "è" en français), la réduction
de registres de styles, sont à surveiller s'ils font une intrusion trop
importante dans la langue.
Le dernier stade est celui des "vieillards muets" : les
personnes dont cette langue était la langue maternelle, mais qui ne
peuvent plus l'utiliser, car plus personne autour d'eux ne la parle.
d) Quelques exemples de langues en danger dans le monde
Comme nous l'avons vu, il existe différents
degrés de vulnérabilité d'une langue. Le linguiste et
sociolinguiste Jacques Leclerc, fondateur du site «L'aménagement
linguistique dans le Monde» qui présente les situations et
politiques linguistiques de 390 États ou territoires répartis
dans 195 pays du monde, a établi sa propre échelle, et donne des
exemples à chaque degré.
Nous présentons cette échelle car elle peut
paraître moins abstraite que celle de l'UNESCO (Leclerc 2019).
" 1. La protection assurée : les petites langues
qui ne présentent "aucun danger de disparition" sont celles qui
bénéficient du statut de langue officielle dans leur pays et de
frontières linguistiques imperméables. Pour l'Europe, il s'agit
du norvégien, du suédois, de l'islandais, du danois, du finnois,
du suédois à Åland (Finlande), du slovaque (Slovaquie), du
tchèque
15
(République tchèque), du slovène
(Slovénie), du hongrois (Hongrie), etc. Ailleurs dans le monde, on peut
citer le kinyarwanda (Rwanda), le kirundi (Burundi), le somali (Somalie), le
tigrinya (Érythrée), l'arménien (Arménie), le
géorgien (Géorgie), l'hébreu (Israël), le laotien
(Laos), le dzonkha (Bhoutan), etc.
2. La protection presque assurée : les langues
dont la protection est presque assurée sont des idiomes bien
établis, disposant d'une reconnaissance régionale et d'un statut
juridique, et comptant au moins un million de locuteurs/trices. C'est le cas du
catalan en Catalogne (Espagne), du français au Québec (Canada),
de l'espagnol à Porto Rico, du créole en Haïti, du tamoul au
Tamil Nadu (Inde), du sindhi dans la province de Sindh (Pakistan), etc.
3. Les langues "à danger limité" : les
langues "à danger limité" disposent d'un nombre relativement
restreint de locuteurs/trices, moins d'un million, et d'un statut assez
enviable. On place dans cette catégorie les petites langues jouissant de
conditions géographiques favorables : le féroïen aux
îles Féroé, le groenlandais au Groenland, le basque au Pays
basque, le frison aux Pays-Bas, le français en Acadie
(Nouveau-Brunswick), les germanophones de Belgique et d'Italie (Bolzano),
l'anglais au Québec, etc.
4. Les langues "à danger notable" : ce sont des
langues comptant un assez grand nombre de locuteurs/trices, mais dont le statut
demeure très faible, sinon inexistant : le sarde et le frioulan en
Italie, l'occitan et le breton en France, le gallois au pays de Galles
(Royaume-Uni), le français en Ontario, l'espagnol aux États-Unis,
le maori en Nouvelle-Zélande, l'ibo, le yorouba et le peul au Nigeria,
etc.
5. Les langues en grand danger : les langues en grand
danger sont celles qui, bien que disposant d'une reconnaissance juridique
formelle, ne sont appuyées que par un nombre très restreint de
locuteurs/trices. C'est le cas de l'irlandais en Irlande, du romanche en
Suisse, de l'aranais au val d'Aran (Catalogne-Espagne), du français au
val d'Aoste (Italie) et au Manitoba (et Canada anglais en
général), de l'hawaïen à Hawaï, du kiribati au
Kiribati, du samoan aux Samoa occidentales, du chamorro à l'île de
Guam, du tongau à Tonga, du tuvaluan à Tuvalu, etc. Ajoutons dans
cette liste les langues de la plupart des petites minorités
bénéficiant d'une république autonome dans la
fédération de Russie : l'ossète en Ossétie du Nord,
l'adyghéen en Adyghe, le tcherkesse en Karatchaevo-Tcherkessie, le
kabardien en Kabardino-Balkarie, le tchétchène en
Tchétchénie, l'ingouche en Ingouchie, etc.
6. Les langues en voie d'extinction : les langues en
voie d'extinction sont très peu parlées et n'ont pu
acquérir aucun statut officiel. C'est le lapon dans les pays
scandinaves, l'écossais et
16
l'irlandais au Royaume-Uni, le français dans certaines
provinces anglaises (Terre-Neuve, Saskatchewan, Colombie-Britannique, Alberta),
etc. On pourrait mentionner des centaines de petites langues parlées par
les peuples autochtones d'Amérique, d'Océanie, d'Asie
(Indonésie, Philippines, Inde, Birmanie, etc.) et d'Afrique. "
Avec la mondialisation et la domination linguistique et
culturelle d'un nombre réduit de langues, la lutte pour la survie de
celles qui sont en danger est aggravée. Calvet (Calvet 2017) parle de
«marché aux langues» : les individus, selon les lieux, selon
leurs besoins, selon les politiques autorisées, parlent de plus en plus
certaines langues, et de moins en moins d'autres. Ils délaissent celles
qui leur paraissent le moins utile, et pratiquent celles qui leur semblent les
plus profitables. Ainsi le «marché aux langues» n'est pas le
même à Dakar, à Hong-Kong, à Barcelone ou à
São Paulo. Et certains langages subsistent, d'autres sont florissants,
d'autres risquent de disparaître de ce marché.
e) Pourquoi s'en préoccuper ?
Bien que certains ne soient pas de cet avis4, la
sauvegarde des langues est importante. Chaque langue reflète une vision
du monde unique avec ses systèmes de valeurs, sa philosophie et ses
caractéristiques culturelles propres. L'extinction d'une langue a pour
résultat la perte irrémédiable du savoir culturel unique
qu'elle a représenté pendant des siècles, notamment de
connaissances historiques, spirituelles et environnementales qui peuvent
être indispensables à la survie non seulement de ses
locuteurs/trices, mais aussi d'innombrables autres personnes. Pour les
communautés de locuteurs/trices, les langues sont les créations
et les vecteurs de la tradition. Elles étayent l'identité
culturelle et sont une composante essentielle du patrimoine du groupe.
Citons le poète evenki5 Alitet Nemtushkin
:
«Si j'oublie ma langue natale
Et les chansons que mon peuple chante
4 Miller, un chroniqueur américain du
National Review, estime que tout comme les êtres humains, les
langages sont mortels, et que la disparition de 15 mots de vocabulaire d'un
dialecte aborigène d'Australie pour désigner le type de larve
comestible n'est pas une grande perte, puisque la majorité de
l'humanité préférerait manger un Big Mac plutôt que
des vers (Miller 2002).
5 Une petite langue de Chine parlée par 19000
locuteurs/trices, en Mongolie-Intérieure, dans la province du
Heilongjiang et au Xianjiang.
17
À quoi me servent mes yeux et mes oreilles ? À quoi
me sert ma bouche ?
Si j'oublie l'odeur de la terre Et ne lui suis pas utile
À quoi me servent mes mains ? Pourquoi vis-je dans le
monde ?
Comment puis-je croire à l'idée insensée Que
ma langue est faible et pauvre Si les derniers mots de ma mère
Ont été en evenki ?
3. MESURES DE PROTECTION MISES EN PLACE
Au niveau mondial, la question des langues minoritaires est
gérée principalement par l'ONU (le Forum des Nations Unies sur
les questions relatives aux minorités) et par l'UNESCO (la Section des
langues et du multilinguisme).
a) L'UNESCO : un des piliers de la défense et de la
sauvegarde des langues en danger.
La protection de la diversité linguistique par l'UNESCO
prend de multiples formes, de la publication de textes normatifs à
l'édition de dictionnaires.
Citons parmi ses actions :
- La création d'un Atlas des langues en danger dans le
monde : l'objectif était de susciter une prise de conscience de la part
des autorités, des communautés de locuteurs/trices et du public
en général à propos des langues menacées et de la
nécessité de sauvegarder la diversité linguistique
mondiale.
La première édition est sortie en 1996 : elle
répertoriait 600 langues, et a provoqué un vif
intérêt académique et journalistique. C'est devenu un
ouvrage de référence. La deuxième édition est parue
en 2001 : reflétant l'augmentation de l'intérêt et de la
recherche porté au sujet, il contient cette fois 800 langues. La
troisième et dernière
18
édition date de 2010 : cette fois, il catalogue environ
2500 langues, un nombre proche de celui généralement
accepté de 3000 langues en danger dans le monde.
Il existe également une version en ligne, depuis 2009 :
c'est un site interactif, avec donc les possibilités de laisser des
commentaires ou de proposer de rajouter une langue à la liste. Cette
version recense 2464 langues, et fournit les informations suivantes sur la
langue : nom, niveau de vitalité (vulnérable - en danger -
sérieusement en danger - en situation critique - éteinte), pays
où elle est parlée, nombre de locuteurs/trices, projets qui y
sont reliés, sources, codes de langue ISO 639-3.
L'Atlas est le fruit de la collaboration internationale de
plus de 30 linguistes du monde entier.
- La création de la Journée Internationale de la
langue maternelle : créée en novembre 1999,
célébrée depuis 2000, cette journée a pour but de
promouvoir les langues de la planète, chaque 21 février. Le
thème change chaque année (par exemple, pour 2020, il s'agissait
de "langues sans frontières", les langues transfrontalières.).
Cet évènement a été
instauré pour que soit reconnue l'importance de toutes les langues et
qu'émerge une mobilisation en faveur du multilinguisme.
- La promotion régulière de la diversité
linguistique à travers des textes normatifs :
A. la Déclaration Universelle sur diversité
culturelle de 2001 : elle contient la mise en place d'un Plan d'action qui
appelle les États membres à prendre les mesures pour :
a) Sauvegarder le patrimoine linguistique de
l'humanité et soutenir l'expression, la création et la diffusion
dans le plus grand nombre possible de langues ;
b) Encourager la diversité linguistique à tous
les niveaux de l'éducation, et stimuler l'apprentissage du
plurilinguisme dès le plus jeune âge ;
c) Et promouvoir la diversité linguistique sur les
supports numériques
o la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel de 2003 : elle reconnaît le rôle essentiel du
langage dans l'expression et la transmission du patrimoine vivant. Dans le
domaine des traditions et expressions orales, la langue n'est pas seulement un
vecteur, elle constitue l'essence même de ce patrimoine
immatériel.
19
o la Convention sur la protection et la promotion de la
diversité des expressions
culturelles de 2005 : elle affirme dans son préambule
que la diversité linguistique est un élément fondamental
de la diversité culturelle. Elle propose d'adopter des dispositions
relatives à la langue utilisée dans le cadre d'activités,
biens et services culturels.
- Enfin, dernièrement, la proclamation de 2019 telle
que l'Année Internationale des Langues Autochtones par
l'Assemblée Générale des Nations Unies, en rapport avec
les droits des peuples autochtones. 900 évènements liés
aux langues autochtones ont été organisés, par 77 pays.
Entre autres : des projets artistiques (comme des playlists de chansons en
langues autochtones), des expositions, des spectacles, des publications de
dictionnaires, une semaine spéciale littérature jeunesse, des
réunions d'experts nationaux et internationaux et la création
d'une page sur Facebook aussi. Tout cela afin d'attirer l'attention sur les
risque critiques auxquels les langues autochtones et les peuples qui les
parlent sont
confronté.es, et leur
importance pour le développement durable, et la consolidation de la
paix. La visée : une amélioration concrète de la vie des
peuples autochtones.
Il y a également l'article 13 de la Déclaration
Universelle des Droits des Peuples Autochtones des Nations Unies
(commencée en 1993, adoptée en 2007), qui stipule que ces peuples
ont le droit de revivifier, d'utiliser, de développer et de transmettre
aux générations futures leur langue, leurs traditions orales,
leur système d'écriture et leur littérature. Il
prévoit en outre que les États prennent des mesures efficaces
pour protéger ce droit en fournissant, si nécessaire, des
services d'interprétation dans les procédures politiques,
juridiques et administratives. Les articles 14 et 16 stipulent que les peuples
autochtones ont le droit d'établir leurs propres systèmes
scolaires et médias dans leur propre langue et d'accéder à
l'enseignement dans leur propre langue.
b) Droits linguistiques des peuples autochtones et
minoritaires
Outre la protection de ces organismes, d'autres textes
législatifs protégeant les minorités linguistiques et
culturelles existent de par le monde. Ils sont tous assez récents - les
plus vieux ont une trentaine d'années -, marque de
l'intérêt moderne pour le sujet.
La plupart de ces textes concernent les langues
européennes ou américaines. Il n'y a que peu de textes pour les
langues africaines, asiatiques, ou océaniennes.
20
Ainsi, la première loi pour la sauvegarde des langues
aborigènes en Australie est très récente : elle date de
2017, il s'agit de la Aboriginal Languages Bill.
Pour l'Europe, un texte majeur est la Charte européenne
des langues régionales ou minoritaires : c'est un traité
européen du Conseil de l'Europe, adopté en 1992, destiné
à protéger et favoriser les langues historiques régionales
et les langues des minorités en Europe. Les États n'ont pas
l'obligation de la signer, et en effet en 2017, 25 États l'ont
signée et ratifiée, 8 États l'ont signée sans la
ratifier, et 14 États ne l'ont ni signée, ni ratifiée.
Quant au continent américain, citons la Commission de
Vérité et Réconciliation du Canada : de nombreux articles
concernent les langues autochtones, réclamant une protection du droit de
les utiliser, notamment dans l'enseignement ; des fonds pour leur
revitalisation ; leur promotion générale - par exemple en
autorisant ces langues à être parlées à la radio.
Nous y reviendrons dans un paragraphe suivant.
c) L'action des ONG
Des ONG oeuvrent pour sauver les langues, comme :
? l'Endangered Language Fund, qui finance des projets de
revitalisation : création de programmes radio autochtones dans le Dakota
du Sud, enregistrement du dernier historien vivant de la langue shor de
Sibérie de l'Ouest, ou tout simplement création de documents
d'enseignement de langues en danger.
? Terralingua, une ONG américaine travaillant sur la
protection de la biodiversité et la diversité linguistique
? SIL International (Summer Institute of Linguistics), ONG qui
gère entre autres le portail Ethnologue - base de données sur les
langues du monde
? The Endangered Languages Documentation Project (ELDP)
? Maaya, réseau international de promotion de la
diversité linguistique basé à Genève
d) De nombreux projets
Il existe des grands projets autour de la défense des
langues, comme le programme de recherches Sorosoro, lancé en 2008
(arrêté en 2012 mais toujours disponible sur le net avec de
très riches ressources sur la diversité linguistique mondiale) ;
ou the Endangered Languages
21
Project, un projet de l'Alliance for the Linguistic Diversity
: un site collaboratif qui réunit des informations sur les langues en
danger.
Et bien entendu de nombreux projets scolaires,
étudiants et enseignants se montent chaque année autour de cette
thématique.
e) Propres initiatives des peuples
Lorsque les peuples ont une vision positive de leur langue, et
que l'État ne les en empêche pas de manière trop forte, il
arrive qu'ils parviennent à réinsuffler de la vitalité
à leur langue.
Par exemple par l'enseignement : les peuples autochtones
d'Hawaï ont promu un enseignement en langue hawaïenne dans les
écoles publiques, où les programmes ont été
entièrement dispensés en langue hawaïenne, afin de
revitaliser leur langue. Et ainsi, celle-ci, qui était sur le point de
disparaître dans les années 80 (moins de 50 enfants
locuteurs/trices d'hawaïen en 1987), possède aujourd'hui 15%
d'enfants autochtones locuteurs/trices - c'est-à-dire 250 enfants
autochtones par classe d'âge sur 1750 qui sont parfaits locuteurs/trices
- contre 0,1% en 1987.
Avec les technologies de l'information et de la communication,
il est également aisé pour les minorités de diffuser leurs
langues : fleurissent des chansons en langues autochtones par des canaux de
musique en ligne, des applications pour smartphones, des vidéos de
vocabulaire sur YouTube6.
Pour finir citons l'initiative originale de Christine
Schreyer, professeure d'anthropologie linguistique, et Louise Gordon,
directrice au ministère des Terres et des Ressources pour la
Première Nation Tlingit de Taku River : elles ont eu l'idée de
créer un jeu de société pour la réappropriation de
la langue tlingit par la Première Nation Tlingit de la Taku River.
Le jeu fait appel aux noms de lieux, aux histoires qui s'y
rattachent et aux ressources qui sont utilisées par le peuple tlingit et
intègre des informations sur le territoire traditionnel des Tlingits
(Schreyer & Gordon 2007).
6 Comme cette adolescente, Emma
Stevens, qui a reprit la chanson "Blackbird" des Beatles en micmac.
22
B. LE CONCEPT DE REVITALISATION
1. REVITALISATION DES LANGUES : DEFINITION
Ce terme de "revitalisation" a été ainsi traduit
de l'anglais depuis les travaux de Fishman, linguiste étatsunien
(1926-2015). Cet auteur est un des pionniers de la revitalisation linguistique.
Il a commencé à en parler en 1960, dans son cours de
sociolinguistique/sociologie du langage, à l'Université de
Pennsylvanie, et a inspiré une grande partie sinon tou.tes les
auteur.es qui ont traité la
question par la suite.
Il est parti des termes "language shift", traduit en
français par "substitution linguistique", ou "assimilation
linguistique", reprenant l'expression de Weinreich (1968 [1953] : 68-69 et
106110) pour parler d'un éventuel cas de changement linguistique chez
des individus bilingues. Puis il y a ajouté le verbe "renverser",
"reversing" dans son ouvrage Reversing Language Shift : Theoretical
and Empirical Foundations of Assistance to Threatened Languages (1991), et
c'est cette expression qui va être traduite par "revitalisation".
Dans cet ouvrage, l'auteur donne un schéma conceptuel
de la revitalisation langagière en 8 stades : en voici la version
traduite en français par Marisa Cavalli (2005: 41), qui a
effectué une synthèse des grilles de 1991 et 2001 (date à
laquelle Fishman a publié un nouveau volume sur le thème de la
sauvegarde des langues à l'aube du nouveau siècle) ; elle est
à lire de bas en haut
:
Stade 1
|
Quelques emplois de la langue minoritaire sont
disponibles dans l'enseignement supérieur, dans le travail, dans le
gouvernement central et dans les médias nationaux.
|
Stade 2
|
Les services administratifs de base et les moyens de
communication sont disponibles dans la langue minoritaire.
|
Stade 3
|
La langue minoritaire est utilisée dans
certains domaines du travail moins spécialisé et à
l'extérieur de la communauté, ce qui implique l'interaction avec
les locuteurs/trices de la langue majoritaire.
|
23
Stade 4
|
4a. Des cours sont dispensés dans la langue
minoritaire au niveau de l'école de base dans les écoles
publiques sous le contrôle du groupe majoritaire.
4b. Des écoles en langue minoritaire existent
et sont sous le contrôle du groupe minoritaire.
|
Inversion de l'assimilation linguistique visant
à dépasser la diglossie, après l'avoir
atteinte.
Stade 5
|
L'écrit (littéracie) en langue
minoritaire est utilisé à la maison, à l'école,
dans la communauté. Il est nécessaire de soutenir les mouvements
en faveur de la littéracie dans la langue minoritaire, sans compter sur
un soutien gouvernemental. C'est le stade qui, étant focalisé sur
la littéracie, a affaire, en partie, avec le domaine
éducationnel, mais s'appuie uniquement sur les moyens et la
volonté de la communauté linguistique.
|
Stade 6
|
La langue de la minorité est transmise d'une
génération à une autre et est parlée dans une
communauté démographiquement concentrée. Il est alors
nécessaire de soutenir la langue d'un point de vue institutionnel pour
assurer sa continuité entre les générations. C'est le
stade où une langue est en attente d'une transmission
intergénérationnelle par les jeunes à l'intérieur
de leurs familles et à l'intérieur de communautés
suffisamment consistantes.
|
Stade 7
|
La langue minoritaire est utilisée par la
génération la plus ancienne, socialement intégrée
et active au niveau ethnolinguistique mais qui n'est plus en âge d'avoir
des enfants. Il est alors nécessaire de diffuser la langue auprès
de la génération la plus jeune. C'est le stade d'une langue
parlée par des locuteurs/trices âgé/es et en attente
d'être réapprise par les jeunes.
|
Stade 8
|
La langue minoritaire n'est parlée que par de
rares locuteurs/trices âgé/es et socialement isolé/es. Il
faut alors, récupérer la langue à travers leurs discours
et leurs mémoires et l'enseigner à des adultes dispersés
démographiquement. C'est le stade d'une langue en voie de disparition
qui doit être reconstruite et réapprise.
|
Inversion de l'assimilation linguistique visant
à atteindre la diglossie
D'autres échelles ont été
réalisées (Bauman, 1980, 6 stades ; UNESCO, 2003, 6 stades ;
Lewis and Simons, 2010, 13 stades.). Nous avons retenu celle-ci car elle est
connue et pratique.
24
Pour tenter de donner une définition concise de la
revitalisation, c'est une reconnaissance par un groupe de sa langue
d'origine, après son abandon par les générations
précédentes.
Que le groupe en arrive à cette volonté de
changement, de retour à un stade antérieur où la langue
était encore largement pratiquée, marque un changement dans les
mentalités, et notamment une nouvelle conception de sa propre
identité, plus positive.
D'ailleurs, comme le précisent Landry, Deveau et Allard
(Landry, Deveau et Allard 2006 : 37) la revitalisation ethnolangagière
est un concept qui indique une prise en charge de sa destinée par le
groupe. Plus que maintenir sa langue et sa culture dans un état
fragilisé, il s'agit là de réellement se
réapproprier des caractéristiques linguistiques et culturelles et
des ressources perçues comme étant légitimement
siennes.
2. DES EXEMPLES DE RENAISSANCE REUSSIE
Beaucoup de langues en danger sont soutenues, mais souvent,
malgré toutes les actions des locaux, des linguistes, des États,
il est très difficile d'inverser la tendance du déclin.
Dans de rares cas néanmoins, les efforts payent : voici
deux exemples de langues revitalisées, en fait les deux seuls connus.
Ces langages sont stables dans des domaines sociaux et
quotidiens, comme la mobilité sociale, l'économie, la technologie
et la culture moderne jeune.
a) L'hébreu
C'est certainement le meilleur exemple d'une langue
réactivée. Jusqu'au début du XXème siècle,
aucun enfant n'avait l'hébreu comme langue maternelle. Elle
n'était utilisée que sous sa forme écrite, dans des
contextes religieux. En 1890, le Hebrew Language Council a été
créé pour inventer les mots nécessaires à une
utilisation quotidienne de la langue. Elle s'est ainsi répandue petit
à petit, et le phénomène s'est
accéléré après 1905, au fur et à mesure que
les Juifs fuyaient l'Europe pour s'installer en Palestine.
Aujourd'hui, grâce à un enseignement intense sur
plusieurs générations, elle est maintenant
"vernacularisée" comme le dit Fishman, modernisée et
restandardisée (Fishman 1991 : 291),. Langue officielle d'Israël,
elle compte 9 millions de locuteurs/trices.
b) Le gaélique
25
Cette langue celtique connaît une renaissance depuis les
années 1970.
Le gaélique irlandais est principalement
parlé dans le Gaeltacht (prononcer [guel-taukt]) sur la
côté ouest de l'Irlande. Bien que langue minoritaire, c'est la
première langue officielle de la République d'Irlande, l'anglais
ne venant qu'en seconde place. Cet idiome avait été fortement
atteint par la Grande Famine de 1845-1850, qui a entraîné de
nombreux décès et une immigration importante. Néanmoins,
il est toujours resté le symbole de l'indépendance du territoire
irlandais, ardemment défendue. Le peuple n'a donc pas perdu la
fierté qu'il apportait à sa langue.
Aujourd'hui l'école peut se faire en irlandais de la
maternelle à la primaire - néanmoins le secondaire est souvent
bilingue, et à l'université les cours se donnent en anglais.
Il existe plusieurs radios en gaélique, dont une,
RTÉ Radió na Gaeltachta, qui émet sur tout le territoire
irlandais. Il y a une chaîne télé publique en irlandais et
une chaîne satellite pour enfants. Les panneaux routiers ainsi que les
plaques de rues sont bilingues, et la population y tient beaucoup.
Le gaélique écossais7 est lui
aussi remonté en puissance, grâce à de nombreuses
initiatives locales portant sur la culture (pièces de
théâtre, films, festivals, radios, chaînes de
télé) et l'éducation (garderies, écoles,
création du centre universitaire du Sabhal Mòr Ostaig sur
l'île de Skye, à partir d'une initiative privée : depuis la
fin des années 1990, il est possible de suivre un cursus
entièrement dispensé en gaélique, dans toutes les
matières, de la maternelle à l'université.). Le
gaélique est ainsi sorti du cercle privé pour s'introduire dans
la vie publique. Il a aussi réussi à prendre le tournant de la
technologie : ainsi, il est bien présent sur le web : plusieurs logiciel
open source ont été traduits, comme le moteur de recherche Opera,
Firefox et Thunderbird (la messagerie de Mozilla). Wikipedia a aussi sa version
gaélique, Uicipeid et Google a une interface en gaélique depuis
2001. Sur Facebook et Twitter, qui ne sont pas traduites, le gaélique
est très présent, et partagé avec les locuteurs/trices de
l'irlandais.
Du fait de l'immigration, il existe des communautés
gaélophones au Canada, et en Nouvelle-Écosse notamment où
elle est très vivace : le gaélique écossais y est
enseigné dans certaines petites écoles (avec le français
et le micmac, les trois langues les plus présentes sur ce territoire.)
et transmis entre générations. Toute la région est
favorable à cette langue, et elle trouve un grand appui chez les jeunes
: ils et elles sont
conscient.es que leurs grands-parents
n'ont pas eu autant d'opportunités de la pratiquer, et ils et elles sont
très actif.ves dans les activités culturelles
7 À ne pas confondre avec le
scots, autre langue d'Écosse, d'origine germanique.
26
et artistiques (associations, danse (square dance), chant
("chant à fouler" : bien que le foulage soit une activité qui
n'existe plus, les ouvriers et ouvrières ayant été
remplacé.es par des machines,
cette pratique reste célébrée aujourd'hui lors des
festivals culturels).). Les jeunes espèrent appuyer encore la tendance
et avoir la possibilité de travailler dans cette langue plus tard.
CONCLUSION
Dans cette partie, nous avons introduit les concepts
traités dans ce mémoire : qu'est-ce qu'une langue native,
qu'est-ce qu'une langue en danger, où trouve-t-on ces langues dans le
monde. Nous avons exploré la notion de revitalisation d'une langue,
développant ces différentes étapes et constatant que ces
théories marchaient en pratique, grâce aux exemples de
l'hébreu et du gaélique.
Après ce tour du monde global, concentrons notre sujet sur
la zone géographique qui nous intéresse : le territoire
canadien.
II. Le Canada et son rapport aux peuples et langues
autochtones
Les premiers contacts dont nous ayons trace entre
Européens et peuples autochtones de ce qu'on appelle aujourd'hui le
Canada et l'Amérique du Nord, datent de la toute fin du XVème
siècle. C'étaient des navigateurs italiens qui recherchaient un
passage maritime pour le commerce.
A partir de ce moment-là, les colons d'Europe n'ont
cessé d'affluer, et des relations de commerce se sont établies
avec les Indigènes (fourrures, cuivre, pierres, ivoire de morse.). Des
missionnaires sont arrivés également. Au début de la
période coloniale, des relations d'interdépendance se sont
formées entre Européens et Indigènes,
l'intérêt pour cette culture autre étant mutuel des deux
côtés. Afin de réaliser leurs missions de troc pour les
uns, d'évangélisation pour les autres, les Européens
adoptent les techniques de survie des locaux et surtout apprennent leurs
langues.
Par la suite, les relations sont vite devenues conflictuelles
entre tribus et colons, mais cela n'a pas empêché un grand
intérêt pour les cultures amérindiennes de la part des
Européens : ils en ramènent des carnets, des dessins, et ce qui
nous intéresse : des notes sur le langage. Par exemple, le
Jésuite Jean de Brébeuf, qui vécut 15 ans parmi les
Hurons, a fait des descriptions
27
ethnographiques et linguistiques remarquables de cette tribu,
relevant avec admiration l'éloquence et le lyrisme de cette langue.
L'actuel Canada est une fédération de 10
provinces et de trois territoires. Voici une carte du territoire actuel
ci-dessous. Voyons comment les Peuples Premiers et leurs langues s'y
répartissent :
Fig. 2 :Carte politique du Canada en français,
tirée de l'Atlas du Canada en ligne.
A. 630 PREMIERES NATIONS ET PRES DE 90 LANGUES
1. TROIS CATEGORIES DE PEUPLES AUTOCHTONES
28
Le Canada compte une population de 37,5 millions de personnes,
dont plus d'un million et demi se définissent comme Autochtones (4,9% de
la population du pays), répartis inégalement dans toutes les
provinces du Canada.
La loi Constitutionnelle de 1982 distingue trois
catégories de peuples autochtones : les Premières Nations, les
Métis et les Inuits.
a) Les Premières Nations
Ce sont les peuples autochtones canadiens qui ne sont ni des
Inuits ni des Métis. Ils représentent 63,5% de la population
autochtone du pays. Les termes "Indiens" ou "Amérindiens" sont
également utilisés, mais comportent une connotation
négative.
Un "Indien inscrit" dans le Registre des Indiens, le
répertoire officiel, bénéficie de certains droits et
avantages auxquels n'ont pas droit les "Indiens non-inscrits" ni les
Métis, notamment des mesures d'aide au logement dans les
réserves, des services d'éducation et une exemption des
impôts fédéral et provincial ou territorial dans certaines
situations. Le Registre des Indiens contient les noms et les informations
d'état civil de tous les Indiens inscrits.
Les membres des Premières Nations se
répartissent en 50 groupes linguistiques et 617 communautés.
De nos jours, la majorité vivent en milieu urbain et
non pas sur une réserve.
b) Les Métis
Ce sont les individus ayant déclaré être
des Métis, sans avoir indiqué faire partie ni des
Premières Nations ni des Inuits.
Ce sont les
descendant.es des Européens et
des Amérindiens,
né.es de mariages anciens entre des
femmes cries, ojibwées et saulteuses avec des Canadiens français
et anglais.
Sa langue traditionnelle est le métchif, un créole
développé à partir du français et du cri. De nos
jours, les Métis parlent principalement l'anglais, mais le
français est encore présent. Le métchif a malheureusement
presque disparu, même si une volonté de le faire revivre existe.
Ils et elles représentent 32,3 % de la population autochtone du pays.
c) Les Inuits
Cette catégorie comprend les individus ayant
indiqué être des Inuits, sans avoir indiqué faire partie
des Premières Nations ou des Indiens de l'Amérique du Nord, ni
des Métis.
Ils vivent dans les régions arctiques de
l'Amérique du Nord. En 1999, le territoire fédéral du
29
Nunavut a été créé, terme signifiant
"notre terre" en inuktitut, la langue principale des Inuits, les rendant de
nouveau maîtres de leurs terres ancestrales. Ils représentent 4,2
% de la population autochtone du pays.
Voici une carte de la proportion des Peuples Premiers par
province/territoire, toutes catégories confondues :
Fig 3 : proportion des Peuples Premiers par province/territoire
L'aménagement linguistique dans le monde
2. 10 FAMILLES DE LANGUES, 88 LANGUES
Les premiers travaux linguistiques sur la classification des
langues d'Amérique du Nord sont dus à Powell (1892), qui les
classait en 58 familles, chacune regroupant de nombreux groupes.
En 1929, Sapir reprit cette liste, la retravailla, pour donner
au final un classement des langues en 6 familles comprenant les langues
parlées sur ce territoire.
Nous pouvons comparer leurs études sur les cartes
ci-dessous :
La classification de Powell :
Fig. 4 : Thèse de Powell : 58 langages indiens
basiques.
The Map Archive. Powell's Thesis : 58 Basic Indian Languages.
30
La classification de Sapir :
31
Fig. 5 : Thèse de Sapir : 6 langages indiens basiques.
The Map Archive. Sapir's Thesis : Six Basic Indian Languages.
Ces travaux étant d'une remarquable précision,
ils ont servi de base pour la classification actuelle des langues du continent
américain.
Sur le territoire canadien, le dernier recensement (2016)
dénombre 86 langues autochtones, classées en 10 familles. Parmi
celles-ci, 36 étaient parlées par au moins 500
locuteurs/trices8. Ces langues sont très diverses dans leurs
structures et leur phonétique, laquelle peut aller d'un petit nombre de
sons distincts à un grand nombre d'entre eux. Par exemple, la langue
cayuga (famille iroquoienne) compte très peu de sons différents,
avec ses dix consonnes et ses six voyelles. À l'autre extrême, la
langue dénée witsuwit'en comporte 35 consonnes et
8 cf annexe 1
32
6 voyelles, ou la langue oowekyala (famille wakashane), 45
consonnes, 4 voyelles neutres, 3 voyelles glottales et 3 voyelles ouvertes.
Les langues officielles du Canada ne sont que l'anglais et le
français, mais au Nunavut et aux Territoires du Nord-Ouest certaines
langues autochtones sont reconnues comme officielles. Et leur importance est
également de plus en plus reconnue dans les autres États.
Nous présenterons ici les principales langues
parlées9 - la liste complète se trouve sur le site de
l'Encyclopédie Canadienne'0.
1. Algonquien
|
Cri
|
Ojibwé
|
Innu/montagnais
|
Mi'kmaq
|
Blackfoot
|
Métchif (créole cri-français)
|
2. Eskaléoute
|
Inuktitut
|
3. Déné (athapaskan)
|
Déné
|
tli?cho? yatìi (flanc de chien)
|
Esclave du Sud
|
Dakelh (porteur)
|
Tlingit
|
4. Iroquoien
|
Mohawk
|
5. Sioux
|
Stoney
|
Dakota
|
6. Salishan
|
|
9 Voir en annexe 3 le tableau
détaillé des langues, le pourcentage de personnes les parlant et
les zones où elles sont parlées.
'0 Rice, K. (2020) Langues autochtones au Canada,
l'Encyclopédie Canadienne.
33
Secwepemctsin (Shuswap)
|
Halkomelem
|
7. Tsimshianique
|
Gitksan
|
Nisga'a
|
8. Wakashan
|
Kwakiutl (kwak'wala)
|
Nootka (nuu-chah-nulth)
|
9. Haïda
|
10. Kutenai
|
|
Le haïda et le kutenai sont des isolats linguistiques : des
langues qui n'ont pas de filiation avec d'autres langues vivantes. Certaines le
deviennent lorsque toutes les langues auxquelles elles sont reliées
s'éteignent ; d'autres le sont depuis que leur existence est
documentée.
Les langues autochtones qui ont le plus de locuteurs/trices sont
le cri, l'inuktitut et l'ojibwé, à la fois en langue maternelle
et en langue parlée à la maison (donc apprise en tant que langue
seconde - c'est d'ailleurs le cas pour la majorité des personnes
déclarant parler une langue autochtone aujourd'hui, il est rare que ce
soit leur langue maternelle.).
Pour avoir une meilleure idée du foisonnement de ces
langues, voici une image datant de 2020 extraite de la carte interactive
créée par Native Land, une ONG fondée et dirigée
par des Autochtones11 :
11 L'existence d'une telle carte montre que
l'intérêt porté aux langues autochtones par les personnes
natives elles-mêmes est très vivace. Comme préconisé
par le facteur 5 de l'échelle de la vitalité des langues de
l'UNESCO (cf I.A.), les langues amérindiennes sont présentes sur
les canaux technologiques, ce qui est une marque de présence et de
volonté de reconnaissance forte de la part de la communauté des
locuteurs/trices.
34
Fig. 6 : les langues autochtones du Canada.
Aboriginal languages accross Canada, 2020 (
Native-Land.ca)
Comme on peut le voir, les aires linguistiques sont
extrêmement nombreuses, se chevauchent et sont particulièrement
prolifiques sur la côte Ouest. Cette concentration des familles de
langues dans la région nord-ouest du Pacifique suggère que
l'Ouest canadien soit une vieille région linguistique à la source
de migrations successives de locuteurs/trices vers le Sud et vers l'Est, une
hypothèse que confirment les recherches archéologiques et
ethnologiques.
Les communautés de locuteurs/trices sont donc
légion, mais comptent peu de membres. Toutes les langues autochtones
actuellement parlées au Canada sont classées dans l'un des quatre
niveaux de danger de l'UNESCO - mais les choses évoluent, lentement mais
sûrement.
B. LES LANGUES AUTOCHTONES, DU DECLIN A LA
RENAISSANCE
A cause des politiques coloniales, les langues autochtones du
Canada sont menacées d'extinction. Des lois très restrictives,
visant l'assimilation des peuples autochtones, ont interdit l'usage de ces
langues maternelles, menant à leur abandon forcé.
35
1. L'INFLUENCE DES ECRASANTES POLITIQUES
D'ASSIMILATION SUR LES LANGUES AUTOCHTONES
a) Les réserves
Les premières réserves indiennes ont
été crées en 1850 (Kitigan Zibi, Pessamit, Mashteuiatsh).
Le but est à la fois de contrôler les populations autochtones,
considérées comme des "sauvages", en les amenant à se
sédentariser, et d'accéder plus facilement aux ressources
minières de leurs territoires.
b) la Loi sur les Indiens
À la suite du déclin du commerce des fourrures
en 1820 et à la fin du conflit militaire entre les Américains et
les Britanniques, la Couronne britannique n'a plus besoin objectivement de
maintenir de bonnes relations et des alliances avec les Premières
Nations. Au contraire, elle convoite maintenant leurs territoires à des
fins économiques et de colonisation.
Ainsi, en 1876 est votée la Loi sur les Indiens : elle
définit ce qu'est un "Indien", leur prévoit certains droits et
incapacités et indique que les Indiens sont placés sous la
protection de l'État. L'objectif est ouvertement clair :
éradiquer la culture des Premières Nations et promouvoir
l'assimilation de leurs membres dans la société canadienne. Le
droit à l'éducation de leurs enfants selon leurs propres cultures
et traditions, leurs pratiques religieuses, cérémonies
traditionnelles, costumes, danses, langues sont interdites au fur et à
mesure des modifications de cette loi toujours plus restrictive.
Pour devenir majeur, l'Indien pouvait s'émanciper de
son statut d'Indien : en se mariant avec un non-Autochtone12 pour
les femmes, ou en obtenant des diplômes pour les hommes. Ils devenaient
alors citoyen canadien, sans autre distinction. C'était bien le but
recherché par le gouvernement fédéral, qui voulait faire
voir dans ce statut d'Indien quelque chose de temporaire, à modifier,
pour accéder à la pleine maturité en embrassant la culture
occidentale.
c) les pensionnats
Un des éléments les plus traumatisants et les
plus destructeurs pour les cultures et les langues autochtones a
été les pensionnats. Ils avaient pour but de christianiser et
d'éduquer à
12 Par rapport à l'utilisation du terme
"Autochtone" en tant que nom ici, nous citons la Loi sur les Indiens (cf
Avant-propos).
36
l'occidentale les membres des Peuples Premiers, et ce
dès l'enfance. Le premier a ouvert en 1831, le dernier a fermé en
1996. Au total, il y a eu environ 130 pensionnats indiens au Canada sur ces 165
ans. Les enfants y étaient
envoyé.es obligatoirement, tout
signe de leur culture d'origine était effacé dès leur
arrivée et ils n'avaient pas l'autorisation de parler leur langue
maternelle, seulement l'anglais ou le français. Les conditions de vie
étaient horribles (abus physiques psychologiques et sexuels) et beaucoup
y perdirent la vie (au moins 150 000 enfants y furent envoyés, et au
moins 6000 y moururent suite aux mauvais traitements - les données
étant incomplètes et les chiffres étant sûrement
plus élevés.).
Bien entendu on peut imaginer l'effet dévastateur que
de telles pratiques ont pu avoir sur la transmission de la langue et sur la
perception de celles-ci par leurs locuteurs/trices : abandon forcé ou
"volontaire" du fait de la vision négative de la langue, due au
mépris dont elle faisait l'objet, refus de transmettre sa culture et sa
langue par peur de l'exclusion, et par conséquent fort déclin de
la langue.
2. LE TOURNANT DES ANNEES 1970
Écartons-nous un instant des considérations
purement linguistiques pour embrasser une vision plus générale de
la vie des peuples autochtones.
a) Livre Blanc et Livre Rouge
En 1969, le gouvernement fédéral a
présenté le Livre Blanc, dont les intentions premières
étaient louables : il s'agissait d'éliminer le statut juridique
distinct des Autochtones13, qui les place dans une position de
pupille face à l'État. Cette situation de tutelle devait
être éliminée, en abrogeant la Loi sur les Indiens et
supprimant donc le statut d' "Indien"14. L'idée était
de placer tous les individus du pays sur un même pied
d'égalité.
Ce changement de cap a toutefois été loin de
correspondre à la vision des principaux concernés. La
réaction des Peuples Premiers a été quasi-unanime : ils
ont considéré cette perte de droits collectifs comme une autre
facette de l'assimilation. En miroir au Livre Blanc, ils expriment
13 Même raison que note
précédente.
14 cf II.B.1.b
37
donc leur position dans le Livre Rouge : ce document a reconnu
que le statut d' "Indien", malgré ses désavantages, constitue une
assise essentielle au maintien de l'identité culturelle. Il a en outre
soutenu que les bases législatives et constitutionnelles de ce statut,
et les droits qui en découlent, devraient être maintenus
jusqu'à ce que les Peuples Premiers désirent les négocier
eux-mêmes.
Par le Livre Rouge, les Peuples Premiers ont enfin
réussi à se faire une place dans la place politique canadienne ;
depuis, ils y ont joué un rôle déterminant.
b) Le Mouvement de prise en charge
C'est suite à cet épisode que les
Premières Nations et les Inuits décident de reprendre en main
leur destin et d'améliorer leur situation en lançant en 1972 le
Mouvement de prise en charge dans un secteur capital pour la survie
des Premiers Peuples : celui de l'éducation. Le mot d'ordre était
sans ambiguïté : l'éducation indienne par les Indiens. Cela
s'inscrit dans le projet d'amérindianisation des écoles,
lancé par le Ministère des Affaires indiennes du Canada.
Rapidement, le Mouvement de prise en charge allait s'étendre à
d'autres secteurs d'activités, santé, services sociaux,
développement économique, services policiers, etc. Par exemple,
les agents de police dans les communautés autochtones sont d'origine
autochtone, ou la co-gestion des ressources naturelles (les savoirs autochtones
en matière de gestion des eaux et des forêts sont reconnus.).
Les efforts ont été centrés sur
l'idée que les peuples autochtones eux-mêmes doivent
répondre aux besoins de leurs communautés et assurer leur
protection afin qu'elles ne soient pas victimes de discrimination
légale.
Ainsi, le régime des pensionnats indiens à pris
fin en 1969. Au milieu des années 1970, le Ministère des Affaires
Indiennes et du Nord Canada assurait l'administration d'une trentaine
d'écoles primaires dans les communautés autochtones.
c) La standardisation de l'écriture autochtone
Les langues autochtones sont de tradition orale. Avant
l'arrivée des Européens, il n'existait pas de système
d'écriture. En 1840, le missionnaire James Evans conçoit le
premier système d'écriture pour rendre les langues autochtones :
un alphabet syllabique, pour le cri. Les caractères syllabiques sont des
symboles qui représentent une combinaison de consonnes et de
38
voyelles. Dans les années 1870, un autre missionnaire,
Edmund Peck, adapte le syllabaire cri à l'inuktitut15.
Cet alphabet est appelé syllabaire autochtone canadien
(car il existe d'autres syllabaires dans le monde, comme le syllabaire yi ou le
syllabaire suméro-akkadien). Il est utilisé aujourd'hui chez les
Cris, les Naskapis et les Inuits.
Fig.7 : version originale du script de syllabaire cri de J.
Evans, 1841.
D'autres chercheurs ont étudié les langues
amérindiennes, et en ont rendu une description très fine dans des
ouvrages remarquablement numérisés ou bien
conservés16 : citons entre autres le travail de
Jean-André Cuoq (1821-1898), prêtre, missionnaire, linguiste,
philologue et auteur, qui a publié de nombreux travaux sur les langues
iroquoises (ojibwé) et
15 Voir annexes.
16 Notons ici la présence, dans la
réserve de la Bibliothèque Mériadeck de Bordeaux, d'un
manuscrit original de F. Boas sur la langue iroquoise, datant de 1909, dont les
pages jaunies par le temps n'altèrent en rien la qualité de
lecture et l'émotion du toucher et de l'intellect.
39
algonquines (mohawk). Tl les signait "N.O.", des noms qu'on
lui avait donné dans ces langues : "Nij-Kwenatc-anibic" en algonquin,
signfiant "second Bellefeuille" en mémoire d'un missionnaire
vénéré, et "Orakwanentakon" en iroquois, "étoile
fixe" sans doute en raison de la fixité de son oeil gauche qu'un
accident de jeunesse avait endommagé.
Bien sûr nous ne pourrions pas parler des langues
autochtones d'Amérique du Nord sans parler de Boas, qui a donné
dans ses "Handbook[s] of American Indian Languages" des descriptions
complètes de nombreuses langues (tlingit, haida, tsmimshian,
kwakiutl...), des caractéristiques phonétiques aux
catégories grammaticales.
Mais dans ces exemples l'alphabet latin est utilisé
pour rendre compte des mots décrits dans les langues autochtones, et pas
seulement pour les donner à comprendre au lecteur : il n'y a pas
d'autres écritures que celle utilisant l'alphabet latin pour les
transcrire.
Tl y a donc coexistence de ces deux types d'alphabets pour
écrire les langues autochtones. Cela peut mener à des conflits
linguistiques : par exemple, les Cris des Prairies utilisent l'alphabet latin,
alors que ceux du Québec et du nord de l'Ontario utilisent le
syllabique. Tl s'agit ici de continuums de dialectes souvent mutuellement
intelligibles à l'oral, mais que l'utilisation de systèmes
d'écriture radicalement différents rend inintelligibles à
l'écrit. Compte tenu des faibles effectifs des populations autochtones,
les profondes divisions engendrées par ces conventions divergentes
d'écriture sont regrettables, car elles les privent d'une force
importante. Le problème paraît toutefois insoluble puisque les
groupes qui utilisent le syllabique y sont profondément attachés,
car ils y voient le reflet de leur spécificité culturelle. En
dépit de son introduction relativement récente (au siècle
dernier), le syllabique est en effet devenu l'emblème de la langue, de
la culture et partie intégrante de l'héritage culturel. Tl n'est
pas rare qu'un système d'écriture distinct soit maintenu, ou mis
sur pied, dans le but précis de maintenir une identité distincte
(Fishman 1977).
Une autre source de discorde est la variété des
prononciations :
« En français, par exemple, on ne se demande pas
si "monsieur" va s'écrire avec ou sans «r». Or, c'est le genre
de débat qui peut avoir lieu dans une communauté autochtone.
Chacun veut que sa propre prononciation soit reflétée dans la
langue écrite. Aussi, ce qui se passe quand il n'y a pas de langue
écrite, c'est que la langue se fractionne en dialectes. »
40
Lynn Drapeau, spécialiste de la langue
innue17.
L'écriture, tant syllabique que latine, a
été standardisée par une décision de
l'assemblée générale d'Inuit Tapirisat du Canada en 1976.
Leurs caractères sont unifiés par des tables de caractères
Unicode, ce qui signifie qu'on peut les utiliser sur toutes sortes de
plate-formes informatiques.
3. L'URBANISATION DES PEUPLES AUTOCHTONES
À partir des années 1980, le taux de population
autochtone vivant en métropole a fait un bond en avant. De nos jours,
plus de la moitié des membres de ces communautés vivent en
région urbaine, et c'est un phénomène qui est en
augmentation. C'est Winnipeg ("win nipee", "eaux boueuses" en cri) qui compte
le plus grand nombre de personnes autochtones, 10 % des résidents de la
ville. Cette population se compose majoritairement de Métis, ensuite des
membres des Premières nations et des Inuits. Ces derniers sont moins
présents dans l'espace urbain que les autres, mais ils restent visibles
grâce à leurs associations et institutions
culturelles.18
La présence autochtone en ville grandissante donne
naissance à de nouvelles institutions et devient un espace public
propice à la prise de parole ainsi qu'à des mobilisations
citoyennes autochtones.
Une base pour ces réseaux entre communautés sont
les Centres d'Amitié Autochtones (CAA) : créés, à
l'origine, en 1950, pour offrir du soutien aux individus, soit lors d'un
séjour limité soit lors d'un déménagement plus
permanent en ville, les CAA ont grandement élargi leur palette de
services, développant des programmes en éducation, santé,
emploi, logement, petite enfance, soutien aux familles, transmission de la
culture, et donc cours de langues pour enfants et adultes. Il en existe
aujourd'hui 119 sur dans tout le pays19. Dans certaines villes, les
services proposés sont même disponibles directement en langue
autochtone (comme le CAA de Maniwaki, où l'offre est disponible en
anglais, en français et en algonquin20).
17 in Drapeau, L. (2014)
Grammaire de la langue innue, Québec, Presses de l'Université du
Québec.
18 Ces données sont issues de l'article du
magazine Géo par S. Desurmont.
19 Source : site internet du
Regroupement des Centres d'Amitié Autochtones du Québec
20 Idem.
41
Le fait que les membres des Peuples Premiers soient ainsi
présents dans la ville, permet à des nouveaux liens de se tisser
: entre les communautés autochtones, entre les différentes
communautés des Premières Nations (à Montréal, le
CAA propose des cours d'atikamek, d'anishnabe, de cri, de huron, d'innu,
d'inktitut et de mohawk - ce qui signifie que des membres de chacune de ces
bandes vivent là.). Des ponts se construisent de plus en plus
fréquemment entre ces deux milieux de vie longtemps perçus et
étudiés comme opposés, voire incompatibles.
4. QUELQUES GRANDS TEXTES DE DROIT CONCERNANT LES LANGUES
AUTOCHTONES
Depuis le début de la période de prise en
charge, de nombreuses lois et de nombreux traités ont
été
discuté.es et
signé.es. Bien qu'il y ait encore
une grande quantité de problématiques à régler, ces
textes vont dans la direction d'une amélioration des relations, pour
résoudre le casse-tête de l'imbrication juste et harmonieuse des
coutumes et des institutions politiques autochtones et allochtones.
J'en présenterai ici
quelques-un.es, parlant de la langue
:
- Loi sur la radiodiffusion (1991) : prévoit
que "le système canadien de radiodiffusion devrait offrir une
programmation qui reflète les cultures autochtones du Canada, au fur et
à mesure de la disponibilité des moyens". Dans les faits, cela se
traduit par un crédit d'impôt pour encourager la
représentation culturelle des peuples autochtones dans la programmation
canadienne ; par l'octroi de licences pour des stations de radio autochtones ;
par la création du Aboriginal Peoples Television Network (ATPN), premier
réseau de télévision public créé par et pour
les peuples autochtones.
- Loi sur le Nunavut (1999) : le territoire est
créé de manière officielle le 1er avril. Il
hérite de la Loi sur les langues officielles des Territoires du
Nord-Ouest, où en plus de l'anglais et du français, neuf langues
autochtones sont officielles : le chipewyan, le cri, l'esclave du Nord,
l'esclave du Sud, le gwich'in, l'inuinnaqtun, l'inuktitut, l'inuvialuktun et le
tåîchô (les personnes autochtones représentant plus de
48% de la population totale.). Ainsi, au Nunavut, l'inuinnagtun et l'inuktitut,
les deux langues autochtones principales, deviennent officielles. Leurs
locuteurs/trices, les Inuits, composent 85% de la population du Nunavut
42
- Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de
surface du Nunavut (2002) : les Inuits ont le droit d'utiliser leur langue
maternelle, l'inuktitut, pour gérer les questions portant sur
l'accès aux terres, à l'indemnisation des titulaires de droits de
surface pour l'utilisation du sable et du gravier, ainsi que les demandes
d'indemnisation pour perte de ressources fauniques.
- Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones (2008) : Adoptée par le Canada en 2010, elle
stipule que "les peuples autochtones ont le droit de revitaliser, d'utiliser,
de développer et de transmettre aux générations futures
leur histoire, leurs langues, leurs traditions orales, leurs philosophies,
leurs systèmes d'écriture et leurs littératures, et de
désigner et conserver leur propre nom pour les communautés, les
lieux et les personnes." (article 13.1). L'article 14.1 stipule que "les
peuples autochtones ont le droit d'établir et de contrôler leurs
systèmes éducatifs et leurs institutions dispensant un
enseignement dans leur propre langue, d'une manière appropriée
à leurs méthodes culturelles d'enseignement et
d'apprentissage.".
- Loi sur les langues autochtones (2019) : vise
à protéger et à revitaliser les langues autochtones au
Canada. Elle indique que les documents administratifs doivent être
traduits dans une langue autochtone, que des services d'interprétation
soient offerts afin de faciliter l'usage de ces langues ; qu'il y aura aussi un
Bureau du commissaire aux langues autochtones ; qu'il faut soutenir les peuples
autochtones dans leurs efforts visant à se réapproprier les
langues autochtones et à les revitaliser, les maintenir et les
renforcer.
Cependant, attention, cette loi ne crée aucun droit
linguistique. Elle n'élève pas les langues autochtones au statut
privilégié des langues officielles du Canada. Néanmoins,
elle établit les balises juridiques pouvant éventuellement y
mener.
5. SITUATION LINGUISTIQUE AUJOURD'HUI
a) Les langues autochtones enseignées à
l'école
Comme nous l'avons vu, les peuples autochtones ont pu
gérer leur éducation eux-mêmes à partir des
années 1970. Cela s'est fait graduellement (rappelons que le dernier
pensionnait a fermé en 1996), mais le phénomène tend
à prendre de l'ampleur. Dans toutes les réserves il y a
désormais des écoles primaires et secondaires.
43
Notons aussi la création de l'Institution Kiuna, de
niveau collégial21, en 2011. Située dans la
communauté abénaquise d'Odanak (une réserve proche de
Montréal), elle propose des services éducatifs culturellement
adaptés, qui tiennent compte de l'Histoire, des valeurs culturelles et
des traditions propres aux nations autochtones. Institution bilingue, elle
n'est pas réservée qu'aux
seul.es membres autochtones car la
sensibilisation des non-Autochtones22 est une de ses
préoccupations (Lepage 2019).
Les langues autochtones à l'école, c'est
réintroduire de la continuité là où elle avait
été abolie : continuité entre la maison et l'école,
continuité entre les ancêtres et les enfants.
Cependant, la pression sociale et économique reste forte :
les langues amérindiennes ne jouissant d'aucune reconnaissance
officielle spécifique dans la Constitution canadienne (à part aux
Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, et encore il ne s'agit pas de toutes
celles qui y sont parlées), certains comportements pouvant être
considérés comme contradictoires apparaissent :
« J'ai même vu des parents envoyer leurs enfants
à l'école en innu, mais leur parler en français à
la maison, pour s'assurer qu'ils n'ont pas de retard. Les gens sont
coincés. Ils veulent que leurs enfants réussissent à
l'école et dans la vie, en français ou en anglais, et ils veulent
aussi qu'ils connaissent leur langue. Mais ils voient cela comme s'il fallait
choisir entre l'un ou l'autre, alors que la plupart des linguistes vont dire
qu'on peut avoir beaucoup de succès en étant bilingue ».
Lynn Drapeau, spécialiste de la langue
innue23.
b) La formation à l'enseignement en langue autochtone
Avec le Mouvement de prise en charge, la priorité
étant de fermer les horribles pensionnats, l'ouverture d'écoles
gérées par les Peuples Premiers s'est accompagnée de la
21 Ce niveau n'existe pas en
France : l'accès à l'enseignement collégial se fait
normalement après l'obtention d'un diplôme d'études
secondaires, alors que l'élève a typiquement 17 ou 18 ans. Un
diplôme d'études collégiales (DÉC) peut être
préuniversitaire (2 ans, prépare aux études
universitaires) ou technique (3 ans, prépare au marché du
travail).
22 Par rapport à
l'utilisation du terme "Autochtone" en tant que nom ici, nous citons ici le
site internet de l'Institution Kiuna (cf Avant-propos).
23 in Drapeau, L. (2014)
Grammaire de la langue innue, Québec, Presses de l'Université du
Québec.
44
formation d'enseignant.es : ainsi l'Université du
Québec à Chicoutimi (UQAC) a décerné entre 1975 et
2003, 579 diplômes, des certificats en sciences de l'éducation ou
en technolinguistique autochtone et, pour près de la moitié, des
baccalauréats en éducation pré-scolaire et en enseignement
primaire.
Citons également l'exemple de l'Université du
Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) : située dans la
province du Québec, dans une région où la nature a une
place importante (beaucoup de forêts et de cours d'eaux), l'UQAT a mis en
place un Service Premières Nations composé d'une équipe
dédiée au soutien des
étudiant.es autochtones,
à l'écoute de leurs besoins particuliers que ce soit sur les
plans scolaire, personnel ou culturel. En 2016, l'UQAT s'est dotée d'une
École d'études autochtones qui offre des programmes de 1er et de
2e cycles ainsi que des sphères de recherches développées
en étroite collaboration avec le milieu autochtone. Alors que certains
programmes d'études s'adressent spécifiquement à une
clientèle autochtone, d'autres, tel le Certificat en études
autochtones, sont offerts à toute personne intéressée
à mieux connaitre les réalités des Premiers
Peuples24.
Dans de nombreuses universités existent des Certificats
en langue autochtone et alphabétisation des autochtones, leadership
pédagogique pour les Premières Nations et les Inuits, certificat
en formation de conseillers pédagogiques et des Premières
Nations, etc.
En 2016, l'Université McGill de Montréal a
innové en proposant un baccalauréat en enseignement
entièrement dispensé au sein d'une communauté des
Premières Nations : 18
étudiant.es ont suivi cette
formation sur le territoire même de la communauté micmaque de
Listuguj en Gaspésie. C'est une première au Canada.
c) Résultats de ces efforts
Statistique Canada a effectué en 2011 une enquête
nationale auprès des ménages (4,5 millions de ménages,
soit un tiers de tous les ménages) à travers le pays, afin
d'estimer les rapports que les Autochtones entretiennent avec leurs langues
d'origine25.
D'après cette enquête, il ressort qu'environ un
Autochtone sur six peut soutenir une conversation
24 Nous avions d'ailleurs
postulé à cette formation, offerte également à
distance dans son intégralité. Nous avions été
acceptée ; le coût néanmoins avait été un
frein : il est de plus de 4400$ l'année pour un.e étudiant.e
français.e ou belge, en comparaison avec 1600$ pour un.e
étudiant.e québecois.e.
25 Tous les chiffres de ce
paragraphe sont issus de ce Rapport de Statistique Canada "Les peuples
autochtones et la langue - enquête nationale auprès des
ménages."
45
dans une langue autochtone. La plus forte proportion des trois
groupes autochtones ayant déclaré cela a été
observée chez les Inuits (63,7% d'entre eux, comparé à
22,4% parmi les Premières Nations et 2,5% chez les Métis.).
- Langue autochtone comme langue maternelle :
De plus, 14,5% de la population autochtone a
déclaré une langue autochtone comme langue maternelle,
définie comme la première langue apprise à la maison dans
l'enfance et encore comprise par le ou la répondant/e au moment de
l'enquête.
Et sans forcément que la langue autochtone soit langue
maternelle, 14% ont déclaré parler une langue autochtone à
la maison.
- Populations autochtones et langues officielles :
En 2011, et nous supposons que cette estimation a peu
évolué depuis, la grande majorité (99,2%) des Autochtones
ont déclaré pouvoir soutenir une conversation en anglais ou en
français. Ce qui revient à calculer que moins de 1% de cette
population ne pouvait parler un niveau compréhensible dans les langues
officielles du Canada. Là encore, c'est une plus forte proportion
d'Inuits qui a déclaré ne pas les connaître suffisamment
pour soutenir une conversation : 8,5%.
Parmi les personnes ayant déclaré pouvoir parler
l'anglais ou le français, 49,8% ont déclaré que le
français était leur seule langue maternelle, et 41,4% l'anglais
comme seule langue maternelle. 5,9% avait une langue autochtone comme seule
langue maternelle.
- Langue autochtone comme langue seconde :
Les Autochtones étaient plus nombreux à avoir
déclaré pouvoir soutenir une conversation dans une langue
autochtone qu'à avoir une langue autochtone comme langue maternelle.
Cela suppose donc que certains Autochtones ont acquis une langue autochtone
comme langue seconde26 : parmi les 240 815 Autochtones qui ont
déclaré pouvoir soutenir une conversation dans une langue
autochtone, 188 540 ou 78,3 % ont déclaré cette même langue
comme leur langue maternelle. Les autres 52 275, ou 21,7 % ont
déclaré une langue différente, tel l'anglais ou le
français, comme langue maternelle. C'est cette proportion
(composé à 35,3% de Métis,
26 En 2011, 240 815 Autochtones ont
déclaré qu'ils pouvaient soutenir une conversation dans une
langue autochtone, tandis que 202 495 Autochtones ont déclaré
avoir une langue autochtone comme langue maternelle.
46
23,1% de Première Nations et 10,2% d'Inuits) qui a
acquis une langue autochtone en langue seconde.
- Les non-Autochtones apprennent aussi :
D'après l'ENM de 2011, 4 305 non-Autochtones ont
déclaré connaître une langue autochtone. La plupart d'entre
eux (80,5 %) ne l'ont pas déclarée comme langue maternelle et
l'ont donc acquise comme langue seconde.
- Les Autochtones oublient moins leur langue :
Moins d'un Autochtone sur dix ayant déclaré une
langue maternelle autochtone a perdu sa capacité de soutenir une
conversation dans cette langue : parmi tous les Autochtones ayant
déclaré une langue autochtone comme langue maternelle, seuls 6,9%
ne pouvaient plus soutenir une conversation dans cette langue, même s'ils
la comprenaient encore (12% pour les Métis, 7,6 % pour les
Premières Nations et 2,5 % pour les Inuits)
6. DES AMELIORATIONS, ET ENCORE UN LONG CHEMIN A
PARCOURIR
Les communautés autochtones sont soumises à de
fortes discriminations et à un racisme systémique. Elles
représentent la part de la population qui est la plus
incarcérée, pour laquelle le taux de chômage est
exceptionnellement élevé, tout comme celui de suicides - et
notamment chez les jeunes. D'autres problèmes sociaux sont importants,
comme l'insalubrité des logements, le décrochage scolaire, les
non-enquêtes sur les disparitions des personnes d'origine autochtone, ou
l'insécurité des quartiers autochtones dans les zones
urbaines.
La différence avec avant, c'est que désormais
leurs voix se font entendre, et elles sont de plus en plus nombreuses, et de
plus en plus écoutées.
Si la Loi sur les Indiens demeure en vigueur au Canada, les
revendications territoriales autochtones et les ententes continuent de se
multiplier dans le but de réinstaurer l'autonomie des Premières
nations. Il reste bien sûr beaucoup à faire, on ne se
débarrasse pas de siècles de colonisation en un clin d'oeil, mais
le simple fait que soient de plus en plus dénoncées les
injustices permet de faire avancer les choses.
Notons que c'est en 1960 que tous les Indiens ont eu le droit
de vote au fédéral, et en 1969 au Québec, sans perdre leur
statut d'Indien.
La loi constitutionnelle de 1982 quant à elle, en plus
de créer les trois catégories de peuples
47
autochtones, leur accordent une protection de leurs droits,
ancestraux (une avancée remarquable qui prouve que le gouvernement
reconnaît la place des Peuples Premiers) ou issus de traités. La
Charte canadienne des droits et libertés, contenue dans cette loi, est
modifiée en 1985 : elle supprime notamment les discriminations envers
les femmes et autorises les bandes27 à déterminer
elles-mêmes la listes de leurs membres.
La gestion de leurs territoires avait été une
grande source de conflits pour les Premières Nations : la Loi sur les
Indiens de 1876 ne respectait pas l'utilisation traditionnelle de la terre
(elle soumettait la gestion des terres au surintendant des affaires indiennes,
qui pouvait notamment diviser les terres en parcelles et demander aux
Autochtones d'obtenir des titres individuels.). En 1999, la loi sur la gestion
des terres des premières nations permet aux bandes de recevoir la
gestion des terres sur leur réserve.
Les initiatives de la part des communautés se
multiplient, tout comme celles du gouvernement. Un pas important a
été la création de la Commission de Vérité
et de Réconciliation, en 2008, pour analyser les séquelles des
pensionnats indiens, permettre une reconnaissance de l'injustice et des torts
causés aux Autochtones, et enclencher le processus de compensation et de
guérison.
Dans ce cadre, le Premier Ministre Harper a prononcé en
juin 2008 les excuses officielles du gouvernement, pour les mauvais traitements
subis dans les pensionnats. Des compensations financières
s'élevaient à 10 000$ pour chaque ancien.nes pensionnaires pour
leur première année, plus 3000$ de plus par année. Ces
personnes sont appelées "les
survivant.es".
On pourrait trouver que ces repentirs viennent bien tard, le
dernier pensionnat ayant fermé en 1996. Mais "mieux vaut tard que
jamais", et ces mots marquent la reconnaissance par le gouvernement de la
souffrance passée. Un fort élément
thérapeutique.
De plus, même si la plupart des anciens pensionnaires
étaient
décédé.es à
l'heure des excuses (rappelons que le premier pensionnat fut ouvert en 1831),
leur énonciation note qu'elles valent aussi pour leurs
descendant.es : puisque l'impact des
pensionnats indiens touche non seulement ceux et celles qui y ont vécu
mais aussi leurs enfants, les processus de guérison doivent se
poursuivre à travers les générations.
La Commission de Vérité et de
Réconciliation, dont le rapport final est paru en 2015, a pour titre
"Honorer la vérité, réconcilier pour l'avenir". Il a
conclu au "génocide culturel" des
27 Une bande est "un regroupement d'Indiens membres de
la même communauté".
48
Autochtones par les pensionnats. 94 recommandations y sont
énoncées28, allant des enquêtes nationales sur
les disparitions de femmes et filles autochtones jusqu'à l'augmentation
du financement de CBC/Radio Canada pour les programmes autochtones, en passant
par l'amélioration de l'accès des Autochtones aux études
post-secondaires et à la réduction du nombre d'enfants
autochtones dans les familles d'accueil.
CONCLUSION
Dans ce chapitre, nous avons vu qui sont les peuples
autochtones du territoire appelé Canada, et quelles sont leurs langues.
Nous avons analysé la politique coloniale assimilationniste mise en
place depuis l'arrivée des premiers Européens au XVème
siècle, jusqu'à la fin du XXème siècle. Face
à ces récurrentes interdictions de pratiquer leur culture, de
réduction de territoire, de discrimination, de mépris, la
résilience des Peuples Premiers du Canada est ce qui ressort : de nos
jours, ils se battent pacifiquement pour faire reconnaître leurs droits
et leur place. Les injustices sont nombreuses à réparer, et les
mesures prises par les gouvernements récents laissent penser que le
Canada a désormais choisi de respecter les aspirations culturelles et
politiques des Premières nations, des Inuits et des Métis.
Les efforts de revitalisation pour les langues autochtones du
Canada sont vifs et prennent de multiples formes : outre l'éducation,
nous avons vu que des cours sont dispensés, qu'il y a une reconnaissance
plus grande de la part des autorités gouvernementales, que les
initiatives locales telles que créer des panneaux en langue autochtone
se multiplient29 ; que surtout les communautés de
locuteurs/trices veulent faire vivre leur langue, par tous les moyens.
Voyons donc à présent si l'un de ces moyens est
efficace dans la revitalisation, et si oui comment : le spectacle vivant.
III. Spectacles en langues natives et impact
28 Les "appels à l'action".
29 Voir annexe 6.
49
Malgré les persécutions, les cultures
autochtones se sont battues pour leur survie, et elles reviennent petit
à petit sur le devant de la scène au fur et à mesure que
les gouvernements reconnaissent la place des Amérindiens.
Ainsi, les pratiques artistiques autochtones du Québec
vivent depuis le début des années 2000 une véritable
ébullition. Que ce soit en littérature, en arts visuels ou en
cinéma, les créateurs/trices des Premières Nations
opèrent une prise de parole au sein de l'espace public et
créatif, démontrant le dynamisme de leurs cultures, de même
que leur singularité.
Nous centrons notre recherche sur les formes de pratiques
artistiques appelées "spectacle vivant". Voici ici la définition
qu'en donne la loi française :
" Le vocable "spectacle vivant" désigne
l'ensemble des spectacles "produits ou diffusés par des personnes qui,
en vue de la représentation en public d'une oeuvre de l'esprit,
s'assurent la présence physique d'au moins un artiste du spectacle". La
danse, la musique, le théâtre, dans toute la diversité de
leurs formes (opéra, musique de variété, chorales,
fanfares, cirque, arts de la rue, conte, marionnettes...), appartiennent au
spectacle vivant, par opposition au spectacle enregistré
(cinéma-audiovisuel).30 "
A. UN LIEN DIFFICILE A ETABLIR
Comme nous l'avions précisé en introduction,
nous n'avons pas trouvé de littérature portant sur la
revitalisation des langues autochtones par le biais du spectacle vivant. Nous
comptions donc sur les entretiens téléphoniques pour explorer
l'existence de ce lien - entretiens qui n'ont donc pas pu avoir lieu en raison
de la pandémie.
Car lors de nos recherches, nous avons constaté que la
création artistique en langue autochtone existe, et est pleine de
vigueur : des théâtres proposant des pièces et des cours en
langues autochtones, des artistes musicaux de tous styles et de toutes les
Nations, des festivals petits et grands.
Rappelons ici que notre objectif est de savoir si toutes ces
manifestations ont une influence sur le degré de revitalisation des
langues pratiquées, c'est-à-dire savoir si elles sont
davantage
30 Source : site du Ministère de la Culture.
50
transmises de génération en
génération, apprises en tant que langue seconde et donc si le
nombre de locuteurs/trices augmente.
Car bien sûr que performer est une manière de
revendiquer sa place, d'affirmer sa culture et de demander à se faire
reconnaître, ou d'asseoir une reconnaissance. Utiliser une langue
d'origine rajoute une dimension politique forte, sachant à quel point
elles ont été réprimées par le passé. Nous
citerons ici J. Beaupré :
« Les pratiques artistiques autochtones contemporaines ne
constituent pas un sujet politiquement neutre. Elles ne portent pas toutes
à un même degré un message à caractère
politique, mais la simple mention du travail des créateurs[/trices]
autochtones démontre que les Amérindiens n'ont pas "disparu",
qu'ils existent toujours, au présent. Évoquer ces oeuvres
contribue à l'entreprise, poursuivie par nombre d'artistes
eux-mêmes, consistant à prouver que leurs cultures ne doivent pas
être reléguées à un passé lointain, une
fable, celle du Nouveau Monde. »
(Beaupré 2015)
L'aspect politique de revendication n'est donc bien entendu pas
à renier. Mais qu'en est-il de l'impact linguistique ?
Voyons quels types d'arts vivants peut-on trouver aujourd'hui sur
le territoire canadien.
B. L'ART VIVANT AUTOCHTONE A LA PERIODE
ACTUELLE
Comme l'ont rapporté les premiers voyageurs,
missionnaires, colonisateurs puis anthropologues, le chant et la danse avaient
une importance sérieuse pour les populations autochtones.
Boas commença à recueillir des chansons des
Amérindiens de la Côte ouest pendant les années 188031, et
ses premières publications inspirèrent une
génération de collecteurs, dont entre autres Marius Barbeau
(1883-1969) : considéré comme le fondateur de l'anthropologie
canadienne et québécoise, il a été l'un des plus
importants collectionneurs de la mémoire collective
québécoise et des Premières Nations du Canada. Il a
enregistré sur environ 300032
31 Dont "Chinook songs", JAF, 1888, p.
220-226; "Kwakiutl songs and dances", JAF, 1888, p. 49-64.
32 Source : Bibliothèque et Archives nationales
du Québec.
51
cylindres de cire33 des chants et des contes
folkloriques, à partir de 1911.
Nous savons ainsi grâce à lui qu'il existait des
chants pour les visiteurs importants, des chants de guerre, ou des rituels de
guérisons où un guérisseur portait un masque
(appelé "faux-visage") : il représentait un médecin ou un
esprit de l'autre monde, qui venait pour chasser la maladie. Ces rituels
étaient également accompagnés de chants
spéciaux34.
Les chants étaient donc principalement
cérémoniels.
1. LA MUSIQUE EN LANGUE AUTOCHTONE
Pour comprendre un peu l'évolution de ce domaine, il
faut savoir que pendant la période d'évangélisation,
beaucoup de traditions musicales autochtones ont disparues. Les nations ont
perdu l'utilisation de leurs instruments traditionnels (l'utilisation du
tambour traditionnel, le Teweikan, était interdite.).
Pendant longtemps on n'a plus entendu de musique d'origine
autochtone. Ce n'est que récemment que les Peuples Premiers font
réentendre leur voix, en mêlant leur passé à la
culture dominante occidentale. Ils créent de nouveaux sons tout en
préservant les racines.
À partir des années 1950, des
auteur.es-compositeurs/trices-interprètes en langue autochtone font leur
apparition dans le milieu musical public. Les morceaux ne sont pas des chants
traditionnels : cela commence par de la country, puis est suivi par de la pop
(par l'influence d'Elvis),
chanté.es en atikamekw, en langue
abénakise, en innu, en mohawk... Certains jeunes vont même
jusqu'à traduire les paroles des "hits" du moment dans leur langue, pour
en faire des reprises version autochtone. De cette période citons
René Weizineau - reconnu parmi les siens comme le premier
auteur-compositeur-interprète country en langue atikamekw - ; Alanis
O'Bomsawin, artiste engagée et militante ; Émile Grégoire,
surnommé "l'Elvis innu" ; le groupe The Mighty Mohawks : Indian Showband
(ils reprenaient aussi les
33 L'ancêtre du disque. Les
deux principales utilisations du cylindre étaient l'enregistrement de
musique et la prise de notes.
Le cylindre de cire avait un avantage marqué sur les
disques plats : un cylindre pouvait être effacé et
réenregistré plusieurs fois. Bien que la commercialisation des
cylindres ait cessé vers 1929, leur utilisation en tant que support
d'enregistrement a continué au moins jusqu'aux années 1940.
34 Source : archives de Radio
Canada, extrait de l'émission télévisée Votre
choix du 26 sept. 1964 : Interview de M. Barbeau par les animatrices
Nicole Germain et Ludmilla Chiriaeff. Il est impressionnant de voir ce vieux
monsieur octogénaire entonner ces chants, de mémoire.
52
tubes d'Elvis - dont Jailhouse Rock habillés
en prisonniers, mais coiffés de chevelures style mohawk).
Au fur et à mesure du temps, les artistes musicaux
autochtones se sont emparé de tous les genres pour chanter dans leurs
langue : folk, rock, gospel...
Et petit à petit, les formes traditionnelles de leurs
musiques montent dans la sphère musicale publique.
Ainsi, dans les années 2000, les aînés du
Nunavik ont décidé collectivement que les chants de gorge inuit
étaient réservés aux Inuits : eux seuls peuvent apprendre
et transmettre cette pratique et surtout, donner des spectacles et produire des
enregistrements.
Aujourd'hui le chant de gorge traditionnel inuit est
principalement pratiqué au Nunavik (Nord du Québec) et sur
l'Île de Baffin au Nunavut.
Un groupe important pour les membres des Premières
Nations est Kashtin : fondé en 1984 par Vollant and McKenzie, ce mot qui
signifie "tornade" en innu, mais qui peut également faire
référence au terme d'argot "cashing in", "encaisser" en
français, en réponse aux traditionnalistes qui critiquaient le
duo pour leur approche commerciale de la musique innue. Le groupe a
commencé à tourner dans les festivals et les bars, et leur
succès a été confirmé avec leur premier album en
1989, deux fois disque de platine, avec plus de 150 000 exemplaires vendus dans
les 6 mois suivant sa sortie. Le morceau "E uassiuian", "Mon enfance", est
devenu un hit, et s'est très bien vendue en France.
Leur popularité continuant de grandir, la musique de
Kashtin devint la voix de la Crise d'Oka35, un conflit opposant les
Mohawks au gouvernement québecois puis canadien : ils protestaient
contre l'agrandissement du golf de la ville d'Oka prévu sur un
cimetière mohawk. Le conflit dura de mars à septembre 1990, et
nécessita l'intervention de l'armée. Plusieurs stations de radio
ont banni la musique du groupe pendant cette période, mais leurs
chansons sont restées comme symbole de la fierté
culturelle.36
Des récompenses existent, incluant des prix pour les
productions artistiques autochtones:
35 Voir documentaire d'O'Bomsawin,
"Kanehsatake, 270 ans de résistance."
36 Sources : Harris, C. (2016)
Heartbeat, Warble, and the Electric Powwow : American Indian Music. University
of Oklahoma Press,
53
- les Juno Awards possèdent depuis 1994 une
catégorie "Juno Award for Indigenous Music Album of the
Year"37 ;
- et les Canadian Aboriginal Music Awards, prix
créés en 1999 pour reconnaître, honorer et
célébrer la création musicale autochtone au Canada,
comportent des catégories telles que le prix de la Sauvegarde de la
Tradition, le prix du Meilleur album de pièces de tambour à
mains, ou le prix du meilleur album de flûte traditionnelle - des preuves
indéniables de la reconnaissance de la culture musicale
particulière des communautés autochtones sur le territoire.
Enfin, citons l'existence de la plateforme d'écoute
musicale Nikamowin, qui permet de découvrir tant les artistes que les
cultures autochtones du Canada. On y trouve un classement par genre musical
(alternatif, blues, chants de gorge, grunge, jazz, métal, traditionnel,
électro...), par nation/territoire (anishnabe, atikamekw, cree,
dené, huron-wendat, naskapi, kanien'kehá:ka, wolastoqiyik...), et
par langue (anglais, français, inuktitut, mig'maq, iiyiyuu
ayimuun...).
2. LES POW WOWS
Le pow wow est un grand rassemblement traditionnel
organisé par les Amérindien.nes pour célébrer leur
identité et où plusieurs Nations se rencontrent pour festoyer,
faire des compétitions entre elles et honorer leurs
aîné.es. Cette fête
convoque la musique, les danses, les habillements traditionnels, les aliments
et les objets d'artisanat autochtone.
De 1886 à 1951, les pow-wows, comme toutes les autres
cérémonies traditionnelles autochtones, ont été
interdits par le gouvernement canadien.
La tradition a cependant ressurgi dans les années 1960
et s'est tranquillement étendue à toute l'Amérique du Nord
dans les dernières décennies. Il y a maintenant des pow-wows dans
toutes les provinces canadiennes, du début du printemps à la fin
de l'automne. Et ces fêtes se déroulent tant dans les
communautés autochtones que dans les villes.
Donc, même si pour un regard extérieur le pow wow
représente l'image d'Épinal de culture traditionnelle, il faut
garder en tête que cette forme de rassemblement date de moins d'un
siècle. Hobsbawm et Ranger (Hobsbawm & Ranger 1983) analysent cela
comme un cas d' "invention de tradition", répondant aux nouvelles
nécessités de la vie dans les réserves et des
37 Les artistes autochtones ne sont pas
restreint.es à cette seule
catégorie ; ainsi
certain.es préfèrent ne
pas soumettre leur musique dans celle-ci, préférant être
classé.es dans les
catégories plus générales.
54
nationalismes amérindiens naissant durant le
XXème siècle (Marienstras 1980) : les communautés
autochtones ont constaté l'intérêt des touristes pour ces
manifestations, et ont décidé d'en faire une vitrine. Ce qui
était et demeure en premier lieu un événement social,
festif et cérémoniel est donc devenu aussi un spectacle, par le
simple fait de la présence et du regard de spectateurs. Pour exister
comme entités politiques, les Premières Nations (certaines
d'entre elles, en tout cas) semblent désormais miser sur la
visibilité et l'opinion publique autant que sur la reconnaissance
formelle du gouvernement (Maligne 2010).
Les non-Autochtones sont donc acceptés comme pouvant
prendre part à ce spectacle - ils et elles doivent cependant rester
respectueux.ses38. La piste de danse, circulaire et nettement
limitée, est ainsi en général réservée aux
danseur.se.s en compétition (par
catégories de sexe, d'âge et de types de danse), ou à
celles et ceux effectuant des démonstrations (comme la "danse des
cerceaux"), mais à certains moments elle est accessible au public, lors
des danses dites "intertribales". A d'autres moments, il est demandé au
public d'éteindre leurs caméras et de ne pas prendre de photos,
comme pour le rite destiné à ramasser une plume tombée de
la tenue d'un danseur ("retrieve the Feather").
Il existe aujourd'hui plus d'une centaine de pow wows sur le
territoire canadien.
3. LES FESTIVALS DE CONTES
Comme nous l'avons vu, les peuples autochtones du Canada
étaient de tradition orale. Les histoires contées avaient donc
une place capitale39.
Cet héritage est transmis aujourd'hui grâce aux
festivals de contes, en plus des pow wow où il existe une transmission
également.
Nous n'avons trouvé que deux occurrences de ce type de
manifestations - les deux se déroulant dans la province de
Québec, mais à 1000 km d'intervalle :
- Le Festival de contes et légendes Atalukan, depuis
2010
- Le Festival du conte et de la légende de l'Innucadie,
depuis 2006.
38 Radio-Canada a d'ailleurs
publié un article contenant un paragraphe " Petit guide d'éthique
pour les non-Autochtones".
39 Récoltés
principalement par M. Barbeau.
55
Lors de ces évènements, la plupart des contes
sont racontés en français, et quelques légendes en langue
autochtones.
4. LE THEATRE
Notre sujet nous a poussée à savoir s'il existait
des pièces de théâtre en langues autochtones.
Contrairement aux chants ou aux contes, le
théâtre (tel qu'on l'entend au sens occidental) ne fait pas partie
du répertoire traditionnel habituel des peuples autochtones du
Canada.
Cet aspect, couplé à la situation linguistique
appauvrie des communautés autochtones du fait des politiques
d'assimilation précédemment étudiées, a pour
conséquence qu'il n'existe pas d'oeuvres théâtrales en
langues amérindiennes, qui se produisent en tous cas sur les
scènes des théâtres officiels.
Ce qui est appelé "théâtre autochtone"
désigne les productions réalisées par et/ou avec des
personnes d'origine autochtone, et surtout traitant des problématiques
culturelles particulières relatives à ces communautés. Les
titres de certaines pièces seront en langue autochtone, quelques mots
dans la pièce, mais ce ne sera pas la langue majoritaire utilisée
pour l'oeuvre.
K. Grajewski dresse une liste de ce théâtre
autochtone pour la partie anglophone du pays : des dramaturges d'origine
autochtones ont commencé à produire des pièces, à
partir des années 1970, en anglais.
En 1974, l'Association for Native Development in the
Performing and Visual Arts (ANDPVA) fonde la Native Theatre School (maintenant
le Centre for Indigenous Theatre), qui dispense des cours intensifs permettant
aux jeunes talents d'apprendre leur art avec les meilleurs professeurs de
diction, de gestuelle et de déclamation et qui prône
l'étude des traditions culturelles et des formes de spectacles propres
aux Amérindien.nes.. La quasi-totalité des comédiens
autochtones du Canada étudient à cette école de
théâtre.
En 1982, la troupe Native Earth Performing Arts est
fondée à Toronto : elle présente des créations
traitant des problématiques liées aux communautés
autochtones, et remporte un franc succès.
En 1984, la troupe De-Ba-Jeh-Muh-Jig, de l'île
Manitoulin dans le nord de l'Ontario, est la première est toujours
aujourd'hui la seule compagnie théâtrale oeuvrant dans une
réserve.
La troupe inuite Nakai Theatre met l'accent sur les
expériences des habitants du Grand-Nord produit des pièces qui
abordent les sujets de l'itinérance, de la pauvreté, de la
discrimination et de l'appropriation culturelle.
56
À Saskatoon, le Gordon Tootoosis
Nîkânîwin Theatre (anciennement la Saskatchewan Native
Theatre Company), fondé en 1999 offre des programmes qui encouragent les
jeunes à s'impliquer dans le milieu artistique, ainsi que des programmes
de formation professionnelle et de coproduction.
À Edmonton, l'Alberta Aboriginal Arts est
cofondée en 2009 par deux Métis d'Edmonton, Ryan Cunningham et
Christine Sokaymoh Frederick, afin de développer les traditions
autochtones dans les milieux artistiques. Ils organisent un Rubaboo Arts
Festival annuel (rubaboo est un mot métchif désignant un
ragoût cuisiné sur la ligne de trappe), une
célébration du théâtre et de la culture autochtones.
(Grajewski 2017)
Du côté francophone, le théâtre
Ondinnok a été fondé en 1985 : c'est la première
compagnie de théâtre francophone amérindien au Canada (15
ans après le premier théâtre anglophone autochtone). Les
créations qui y ont lieu "explorent et questionnent la complexité
d'être
amérindien.ne au temps de la
modernité et de l'urbanité". Il a lui aussi mis sur pied à
partir de 2004 un programme de formation intensive en théâtre pour
les Autochtones40.
Bien que toutes les pièces réalisées par
les théâtres et les compagnies citées ci-dessus ne soient
pas parlées en langues autochtones, nous avons trouvé qu'elles
avaient de l'importance : en effet, l'intensité de cette production
théâtrale et les sujets traités marquent sans aucun doute
l'émergence de nouvelles pratiques d'énonciation et d'affirmation
identitaires au sein des communautés autochtones. Voici l'analyse que
fait François Paré du théâtre autochtone
contemporain :
« Le théâtre autochtone s'élabore
désormais comme un ensemble de réalisations dramatiques,
axées sur la récupération des pratiques et mythes
ancestraux et toujours accompagnées d'un discours méthodologique
visant à instruire les spectateurs et les chercheurs non autochtones sur
la manière de lire et d'interpréter l'expérience
théâtrale et, au-delà du seul spectacle, l'histoire
même des peuples autochtones. [...] Ces textes d'accompagnement visent
à la fois à dénoncer, souvent de façon virulente,
les structures coloniales contre lesquelles les sociétés
40 Par rapport à l'utilisation du terme
"Autochtone" en tant que nom ici, nous reprenons ici les termes employés
sur le site internet du théâtre (cf Avant-propos).
57
autochtones d'Amérique continuent de lutter et à
proposer une lecture thérapeutique et émancipatrice de la
représentation scénique. »
(Paré 2013)
Comme nous l'avons indiqué plus au début de ce
paragraphe, le théâtre occidental ne fait pas partie des arts
autochtones. Et donc, pour la majorité des dramaturges,
comédien.nes et danseur.ses autochtones de la fin des années
1980, les structures du théâtre à la manière
européenne, où le texte et le metteur en scène dominent,
reproduisent les conditions mêmes de l'oppression coloniale dont les
peuples autochtones continuent d'être les victimes.
Présenter des oeuvres permettant de présenter
sur scène, à un public, les perspectives autochtones, est certes
un pas en avant, mais ne suffit pas si elles restent dans le cadre classique du
théâtre. C'est cela qu'a souhaité instaurer Yves
Sioui-Durand, le fondateur d'Ondinnok, en créant un parcours nomade,
représentatif des cultures autochtones.
Ainsi, nous pouvons déduire que, si nos recherches ont
conclu à l'inexistence de pièces intégralement
jouées en langue amérindienne sur les scènes de
théâtres publics et urbains, ce n'est pas par manque d'envie de la
part des communautés autochtones, ni par absence totale de structures,
d'artistes, de moyens : c'est bien par limitation linguistique.
C'est donc avec admiration pour la résilience et la
détermination de ces peuples que la dernière étape de
notre recherche sur le théâtre autochtone s'est achevée en
apprenant que, pour la toute première fois, en septembre 2019, le Centre
National des Arts (CNA) d'Ottawa a lancé sa toute première saison
de Théâtre autochtone en langues autochtones :
intitulée "Nos histoires guérissent", ce projet artistique met en
valeur des spectacles dans une dizaine de langues autochtones, en plus du
français et de l'anglais. Bien que cette programmation s'adresse
à un auditoire autochtone, en traitant de sujets qui les touchent
très directement (comme les disparitions des femmes et des filles
autochtones sur lesquelles aucune enquête ne sont ouvertes, les
ravageuses conséquences des pensionnats comme le suicide ou
l'alcoolisme, ou les enlèvements d'enfants autochtones par les services
sociaux pour des adoptions forcées), un public plus large est
également visé. Le directeur artistique du Théâtre
autochtone du CNA, Kevin Loring, pense que tous les publics
viendront41.
41 Article en ligne de Radio Canada du 04/09/2019.
58
CONCLUSION
Nous venons de faire un tour d'horizon des différents
types d'arts vivants autochtones au Canada. Nous avions choisi de voir ceux qui
utilisent la parole afin d'estimer le degré d'utilisation des langues
d'autochtones dans ces arts : chant, contes, théâtre.
Il ressort de nos observations qu'au fur et à mesure du
temps, depuis les années 1950, le nombre d'artistes autochtones ne fait
qu'augmenter. Dans le domaine de la musique notamment, les jeunes investissent
de plus en plus cet espace42, grâce à leur
maîtrise et leur habitude des technologies informatiques.
Corollairement, la variété et le nombre de
langues utilisées pour leurs performances artistiques augmentent
également, menant à une plus large représentation de cette
frange de la population canadienne, à la fois dans le domaine des arts
mais aussi dans leurs revendications politiques43.
Conclusion générale
Cette analyse documentaire a expliqué les concepts de
langues en danger, de leur nécessaire sauvegarde, et des moyens à
employer pour y parvenir. Les premiers à se pencher sur la question
furent les linguistes, qui tirèrent la sonnette d'alarme, pour que
puissent intervenir des entités ayant le pouvoir de modifier la
situation : c'est ainsi que la liste des 9 critères de vitalité
d'une langue de l'UNESCO est parue en 2003, et son Atlas des langues en danger
en 2009. L'importance de cet organisme pèse suffisamment pour que les
États soient contraints à l'action, sous peine d'être
pointés du doigt par la communauté internationale.
Nous avons ensuite précisé notre zone
géographique en se concentrant sur le territoire de l'actuel Canada,
où de nombreux langages risquent de disparaître. Cela est dû
aux politiques coloniales d'assimilation de la part des Européens, qui
ont voulu "tuer l'Indien" en le forçant à abandonner ses coutumes
traditionnelles, ses langues, ses pratiques, ses vêtements, ses lieux.
Les premiers colons avaient débarqués en 1497, et ce n'est
qu'à partir des années 1970 que le gouvernement canadien a
commencé à redonner un peu de droits aux Peuples Premiers.
Depuis, la tendance
42 Et la population autochtone est
plus jeune que le reste de la population canadienne, en raison de ses taux de
fécondité supérieurs et de son espérance de vie
plus courte : presque 50% de la population autochtone totale est
âgée de 24 ans ou moins, contre 30% pour les non-Autochtones
(source : Statistique Canada).
43 Des pièces de
théâtre comme nous avons vu, et des chanteur.ses comme le jeune
rappeur Tarrak qui
dénonce le mal-être de la jeunesse
groënlandaise, ou la star de la pop Buffy Sainte-Marie, très
engagée
pour les droits des Amérindien.nes.
59
est ascendante et les textes de lois vont vers plus
d'acceptation, de reconnaissance des torts, de respect. Beaucoup reste
cependant à faire, les populations autochtones souffrant de tous les
maux touchant les minorités ethniques méprisées (taux de
chômage important, taux de suicide important, décrochage scolaire,
logements insalubres, difficultés de mobilité, racisme,
discrimination, etc.). Elles font néanmoins preuve d'une grande force et
d'une grande résilience, en multipliant les initiatives locales,
dénonçant pacifiquement les torts qui leur sont faits, et
revitalisant leurs cultures.
C'est ce que la troisième partie de ce mémoire a
montré : les cultures autochtones sont très vivaces. Un grand
travail de mémoire est fait, à la fois pour que le passé
récent des deux derniers siècles où l'assimilation a
été extrêmement dure avec les pensionnats (1831-1996), et
à la fois pour que les traditions perdues soient retrouvées -
notamment les instruments de musique, les chants et les danses traditionnelles,
longtemps interdites.
Par les grands rassemblements, ouverts à tous, comme
les pow wows ou les festivals, les communautés autochtones de tout le
pays arrivent à se faire une place. Leurs langues trouvent des voix de
plus en plus entendues par le biais de la musique, depuis les années
1950, et la croissance du nombre d'artistes étant exponentielle
depuis.
Et les spectacles vivants en langue autochtone, comme des
pièces de théâtre, de marionnettes, d'humour même,
sont encore très rares dans la large sphère publique, si nous
n'avons pas pu prouver avec ce travail qu'ils encouragent plus la population
à apprendre ces langues, et bien contribuent à leur maintien et
à la continuité des cultures dans le temps et dans l'espace.
60
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Table des annexes
1. Toute première carte de la classification des
langues amérindiennes par Powell (1877) ..i
2. Infographie des 36 langues parlées par au moins 500
locuteurs/trices ii
3. Tableau des langues autochtones avec taux de populations
les parlant et zones
géographiques iii
4. Syllabaires autochtones canadiens .v
5. Panneau trilingue français algonquin anglais vi
6. Revitaliser le mohawk, une pancarte à la fois
vii
7. Interview du leader du groupe de musique traditionnelle
Young Spirit viii
8. Pow wow de Montréal 2017 x
1. Toute première carte de la classification des langues
amérindiennes par Powell (1877)
II
2. Infographie des 36 langues parlées par au moins 500
locuteurs/trices
III
3. Tableau de la Population d'identité autochtone
pouvant parler une langue autochtone, selon la famille linguistique, les
principales langues au sein de ces familles, et les principales concentrations
provinciales et territoriales, Canada, 2016
Familles linguistiques autochtones et langues
principales
|
|
Principales concentrations provinciales et
territoriales
|
Population Tableau 1
|
|
Note 1
|
|
Langues algonquiennes
|
175 825
|
Manitoba (21,7 %), Québec (21,2 %), Ontario (17,2 %),
Alberta (16,7 %), Saskatchewan (16,0 %)
|
|
96 575
|
Saskatchewan (27,8 %), Alberta (24,0 %), Manitoba (21,6 %),
Québec (18,0 %)
|
Cri Tableau 1 Note 2
|
|
|
Ojibwé
|
28 130
|
Ontario (56,6 %), Manitoba (34,1 %)
|
Oji-cri
|
15 585
|
Manitoba (51,6 %), Ontario (48,2 %)
|
Montagnais (innu)
|
11 360
|
Québec (86,0 %)
|
Mi'kmaq
|
8 870
|
Nouvelle-Écosse (61,9 %), Nouveau-Brunswick (24,6 %)
|
Atikamekw
|
6 600
|
Québec (99,9 %)
|
Pied-noir
|
5 565
|
Alberta (98,7 %)
|
Langues inuites
|
42 065
|
Nunavut (64,1 %), Québec (29,4 %)
|
Inuktitut
|
39 770
|
Nunavut (65,0 %), Québec (30,8 %)
|
Langues athabascanes
|
23 455
|
Saskatchewan (38,7 %), Territoires du Nord-Ouest (22,9 %),
Colombie-Britannique
(18,4 %)
|
Déné
|
13 005
|
Saskatchewan (69,7 %), Alberta (15,3 %)
|
Langues salishennes
|
5 620
|
Colombie-Britannique (98,8 %)
|
Shuswap (secwepemctsin)
|
1 290
|
Colombie-Britannique (98,4 %)
|
Langues siouennes
|
5 400
|
Alberta (74,9 %), Manitoba (14,2 %)
|
Stoney
|
3 665
|
Alberta (99,3 %)
|
iv
Langues iroquoiennes
|
2 715
|
Ontario (68,9 %), Québec (26,9 %)
|
Mohawk
|
2 350
|
Ontario (66,6 %), Québec (28,9 %)
|
Langues tsimshennes
|
2 695
|
Colombie-Britannique (98,1 %)
|
Gitxsan (gitksan)
|
1 285
|
Colombie-Britannique (98,1 %)
|
Langues wakashanes
|
1 445
|
Colombie-Britannique (98,6 %)
|
Kwakiutl (kwak'wala)
|
585
|
Colombie-Britannique (98,3 %)
|
Mitchif
|
1 170
|
Saskatchewan (41,9 %), Manitoba (17,5 %)
|
Haïda
|
445
|
Colombie-Britannique (98,9 %)
|
Tlingit
|
255
|
Yukon (76,5%), Colombie-Britannique
|
|
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(21,6 %)
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Kutenai
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170
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Colombie-Britannique (100,0 %)
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Total des locuteurs/trices de langues autochtones
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260 550
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Québec (19,3 %), Manitoba (15,5 %), Saskatchewan (14,5
%), Alberta (13,8 %),
Ontario (12,7 %)
|
Note 1
|
Le nombre de locuteurs/trices d'une famille linguistique ne
correspond pas au nombre
|
total pour la famille parce que seules les langues principales
sont affichées. Les langues
|
principales sont les 10 langues comptant le plus grand nombre de
locuteurs/trices. Si une
|
famille linguistique ne comporte pas de langue comprise dans les
10 principales, on
|
indique la langue de la famille la plus parlée.
|
|
Retour à la référence de note 1referrer
|
|
Note 2
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|
Les langues cries comprennent les catégories suivantes :
cri non déclaré ailleurs (ce qui
|
renvoie à ceux qui ont déclaré « cri
»), cri des plaines, cri des bois, cri des marais, cri du
|
Nord-Est, cri de Moose, cri du Sud-Est. Pour obtenir les chiffres
pour ces sept catégories
|
de langues particulières, voir le no
98-400-X2016159
|
au catalogue.
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Retour à la référence de note 2referrer
|
|
Note : « Identité autochtone »
désigne les personnes s'identifiant
|
aux peuples autochtones du Canada. Il s'agit
|
des personnes qui sont Premières Nations (Indiens de
l'Amérique du Nord), Métis ou Inuk (Inuit) et/ou les
|
personnes qui sont des Indiens inscrits ou des traités
(aux termes de la Loi sur les Indiens du Canada) et/ou les
|
personnes membres d'une Première Nation ou d'une bande
indienne.
|
Source : Statistique Canada, Recensement de la
population, 2016.
|
V
4. Syllabaires autochtones canadiens
Inscription en langue crie du dialecte des plaines se trouvant
dans le parc La Fourche à Winnipeg au Manitoba.
Panneau de stop à Iqaluit écrit en inuktitut et
en anglais. Le texte de la photo de droite, ??bbrt?, se
translittère en nuqqarit.
vi
5. Panneau trilingue français anglais algonquin,
Réserve faunique La Vérendrye au Québec
"Manàdjitòdan kakina kegòn
netàwigig kakina e-dashiyag" signifie littéralement "Soyez
doux avec toutes choses de la nature pour chacun."
6. Des pancartes en mohawk44
VII
En 2018, Callie Karihwiióstha Montour, une citoyenne de
Kahnawake, a conçu des panneaux signalétiques en
Kanien'kéha, la langue mohawk.
« Gardez votre chien en laisse », « Veuillez
recycler », « Attention aux enfants »... La jeune femme de 29
ans, qui a appris le mohawk à l'âge adulte, a eu cette idée
dans le but d'exposer les jeunes au mohawk, dans une collectivité
où la langue a longtemps été en déclin.
« Je me suis dit : "s'ils reconnaissent au moins le
pictogramme des pancartes en anglais ou même en français, ils vont
savoir ce que ça signifie en kanien'kéha" ».
44 Tiré de l'article de
Villeneuve, J.-F. (2018, 13 juin) Revitaliser le mohawk, une pancarte à
la fois. Radio-Canada.
VIII
7. Interview du leader du groupe de musique traditionnelle
Young Spirit
Interview de Jacob, leader du groupe de musique
traditionnelle Young Spirit.
Interview téléphonique du 02/01/2020.
Young Spirits est un groupe de musique cree (prononcer
«cri»), formé à Frog Lake, en Alberta, en 2001. Leur
musique consiste en un groupe de chanteurs formant un cercle et frappant des
tambours à l'unison. C'est là une forme traditionnelle de musique
sacrée, qu'ils ont contemporanisé. En 2018, le groupe a
reçu une récompense aux Grammy Awards pour leur album
Mewasinsational - Cree Round Dance Songs.
Bonjour Jacob, et tout d'abord merci d'avoir accepté de
répondre à mes questions. Commençons par vos
représentations : où les tenez-vous ?
- Dans les festivals : ceux de musique, des festivals
privés, des pow-wows, des Cercles de Danseurs, partout aux Etats-Unis et
au Canada.
- Quel est votre public ?
- Un public très varié vient à ce genre
de rassemblements. Il n'y a pas seulement des personnes faisant partie des
Peuples Premiers ; en fait n'importe qui qui s'intéresse à
ça, à l'originalité de la musique, à la musique des
Natifs, à leur langue. Dans ces chants on parle beaucoup du lien
à la terre, et beaucoup de gens peuvent se projeter dans cela.
- Pensez-vous que chanter dans votre langue a un impact sur
les jeunes qui vous entendent ?
- Ah oui, clairement. Les jeunes générations
sont déconnectées de leur langue native, elles ne parlent
qu'anglais. Avec ce genre de musique Première, la langue autochtone est
promue. Et les jeunes ont l'envie de l'apprendre, grâce à la
musique.
- A votre avis, quelle est l'importance de la Commission de
Vérité et de Réconciliation du Canada ?
- C'est juste un début. La porte est à peine
entr'ouverte. Mais c'est un pas en avant, un bon pas en avant. Mais la
population a du mal avec cette transition, et il y en aura toujours pour
être contre. Il y a encore beaucoup de discrimination, et il reste encore
beaucoup à faire.
ix
- Et bien merci beaucoup, ç'a été
très enrichissant de vous écouter, et normalement je devrais
venir au Canada cet été pour poursuivre mes recherches, si je
passe par l'Alberta je ne manquerai pas de vous contacter.
- Oh oui je vous en prie, venez donc ! Nous serions heureux de
vous accueillir, nous vous ferions rencontrer des aînés, ça
serait sûrement encore mieux pour vous de leur parler en personne, et
nous pourrions aller dans des pow-wows !
- Ce serait génial ! Au plaisir de se voir cet
été alors !
- Au plaisir oui ! A bientôt.
X
8. Pow wow de Montréal 2017
xi
Table des illustrations
Fig. 1 : 9 critères de classification de la
vitalité des langues par l'UNESCO, 2003 Fig.2 : Carte du Canada
Fig.3 : Carte de la proportion des Autochtones par
province/territoire Fig.4 : Carte de la classification des langues
amérindiennes par Powell, 1892 Fig.5 : Carte de la classification des
langues amérindiennes par Sapir, 1929 Fig.6 : Carte des langues
amérindiennes actuelles, 2020
Fig.7 : Version originale du script du syllabaire du cri par
Evans, 1841
80
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS 2
AVANT-PROPOS 3
SOMMAIRE 4
INTRODUCTION 1
I. LA REVITALISATION DES LANGUES AUTOCHTONES
3
A. QU'EST-CE QU'UNE LANGUE AUTOCHTONES EN DANGER ?
3
1. Qu'est-ce qu'une langue autochtone ?
3
2. Qu'appelle-t-on une langue en danger ?
5
a) Les facteurs de la mise en danger d'une langue 5
b) Critères de vitalité des langues selon l'UNESCO
5
c) Etapes du processus d'érosion d'une langue 13
d) Quelques exemples de langues en danger dans le monde 14
e) Pourquoi s'en préoccuper ? 16
3. Mesures de protection mises en place
17
a) L'UNESCO : un pilier de la défense et de la sauvegarde
des langues en danger. 17
b) Droits linguistiques des peuples autochtones et minoritaires
19
c) L'action des ONG 20
d) De nombreux projets 20
e) Propres initiatives des peuples 21
B. LE CONCEPT DE REVITALISATION 22
1. Revitalisation des langues : définition
22
2. Des exemples de renaissance réussie
24
a) L'hébreu 24
b) Le gaélique 24
CONCLUSION 26
II. LE CANADA ET SON RAPPORT AUX PEUPLES ET LANGUES
AUTOCHTONES 26
A. 630 PREMIERES NATIONS ET PRES DE 90 LANGUES
27
1. Trois catégories de peuples autochtones
27
a)
81
Les Premières Nations 28
b) Les Métis 28
c) Les Inuits 28
2. 10 familles de langues, 88 langues
29
B. LES LANGUES AUTOCHTONES, DU DECLIN A LA RENAISSANCE
34
1. L'influence des écrasantes politiques
d'assimilation sur les langues
autochtones 35
a) Les réserves 35
b) la Loi sur les Indiens 35
c) les pensionnats 35
2. Le tournant des années 1970
36
a) Livre Blanc et Livre Rouge 36
b) Le Mouvement de prise en charge 37
c) La standardisation de l'écriture autochtone 37
3. L'urbanisation des peuples autochtones
40
4. Quelques grands textes de droit concernant les
langues autochtones 41
5. Situation linguistique aujourd'hui
42
a) Les langues autochtones enseignées à
l'école 42
b) La formation à l'enseignement en langue autochtone
43
c) Résultats de ces efforts 44
6. Des améliorations, et encore un long chemin
à parcourir 46
CONCLUSION 48
III. SPECTACLES EN LANGUES NATIVES ET IMPACT
48
A. UN LIEN DIFFICILE A ETABLIR 49
B. L'ART VIVANT AUTOCHTONE A LA PERIODE ACTUELLE
50
1. La musique en langue autochtone
51
2. Les pow wows 53
3. Les festivals de contes 54
4. Le théâtre 55
CONCLUSION 58
CONCLUSION GENERALE 58
BIBLIOGRAPHIE 60
82
TABLE DES ANNEXES 67
1. TOUTE PREMIERE CARTE DE LA CLASSIFICATION DES LANGUES
AMERINDIENNES PAR
POWELL (1877) I
2. INFOGRAPHIE DES 36 LANGUES PARLEES PAR AU MOINS 500
LOCUTEURS/TRICES II
3. TABLEAU DE LA POPULATION D'IDENTITE AUTOCHTONE POUVANT PARLER
UNE LANGUE AUTOCHTONE, SELON LA FAMILLE LINGUISTIQUE, LES PRINCIPALES LANGUES
AU SEIN DE CES FAMILLES, ET LES PRINCIPALES CONCENTRATIONS PROVINCIALES ET
TERRITORIALES,
CANADA, 2016 III
4. SYLLABAIRES AUTOCHTONES CANADIENS V
5. PANNEAU TRILINGUE FRANÇAIS ANGLAIS ALGONQUIN, RESERVE
FAUNIQUE LA
VERENDRYE AU QUEBEC VI
6. DES PANCARTES EN MOHAWK VII
7. INTERVIEW DU LEADER DU GROUPE DE MUSIQUE TRADITIONNELLE YOUNG
SPIRIT VIII
8. POW WOW DE MONTREAL 2017 X
TABLE DES ILLUSTRATIONS XI
Fig. 1 : 9 critères de classification de la
vitalité des langues par l'UNESCO, 2003 Fig.2 : Carte du Canada
Fig.3 : Carte de la proportion des Autochtones par
province/territoire Fig.4 : Carte de la classification des langues
amérindiennes par Powell, 1892 Fig.5 : Carte de la classification des
langues amérindiennes par Sapir, 1929 Fig.6 : Carte des langues
amérindiennes actuelles, 2020
Fig.7 : Version originale du script du syllabaire du cri par
Evans, 1841 Fig. 8 : Pow wow de Montréal 2017
TABLE DES MATIÈRES 80
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