2017-2018 MME LAPORTE
UNIVERSITE
PARIS
UIl11Islt U
FACULTÉ
JEAN MONNET droRC - tcotwmlc ·
Ges!IDn
EFFICACITÉ ET VIABILITÉ
DE L'ELECTRIFICATION
RURALE DÉCENTRALISÉE
DESCRIPTION ET ANALYSE DU RÔLE DE L'ÉLECTRIFICATION
RURALE DÉCENTRALISÉE DANS L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE
VIE ET LE DEVEL PPEI TIENT ÉCONOMIQUE DES PAYS DU SUD
THIBAULT ERARD - M2 GOUVERNANCE DE PROJETS
DE DEVELOPPEMENT DURABLE AU SUD STAGE A LA PION DATION ENERGIES
POUR LE MONDE MAR - JUILLET 2018
L'Université Paris Sud n'entend donner aucune
approbation ni improbation dans les mémoires et/ou rapports de stage
des étudiants. Ces opinions doivent
être considérées comme propres à leur
auteur.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
2
TABLE DES MATIERES
TABLE DES MATIERES 3
SIGLES ET ABREVIATIONS 5
TABLE DES FIGURES ET ILLUSTRATIONS
6
INTRODUCTION 7
PARTIE 1 : ELECTRIFICATION RURALE DECENTRALISEE, DE
QUOI PARLE-T-ON ? 9
LES EVOLUTIONS 9
HISTORIQUE SUCCINCT 9
BAISSE DES COUTS DE REVIENT 11
DES BESOINS ET CONTRAINTES TOUJOURS D'ACTUALITES
11
UNE REPARTITION DES BESOINS INEGALE 11
DES CONTRAINTES FORTES 13
UNE GAMME DE SOLUTIONS DISPONIBLES 15
LE RACCORDEMENT, SOLUTION HISTORIQUE 15
LES SOLUTIONS DECENTRALISEES 16
PARTIE 2 : LES IMPACTS POSITIFS DE
L'ELECTRIFICATION RURALE DECENTRALISEE 20
DES IMPACTS BIEN CONNUS 21
IMPACTS SUR LA SANTE 21
IMPACTS SUR L'EDUCATION 22
IMPACTS ECONOMIQUES 23
ET D'AUTRES MOINS ETUDIES 26
IMPACTS INSTITUTIONNELS 26
SYNERGIES MULTI-DOMAINES 27
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
3
PARTIE 3 : LIMITES DE L'ELECTRIFICATION RURALE
DECENTRALISEE ET EVOLUTIONS POSSIBLES 29
L'ELECTRIFICATION RURALE DECENTRALISEE ET SES LIMITES
29
UNE ELECTRIFICATION QUI NE SE CONCENTRE PAS SUR LES
PLUS DEFAVORISES 29
DES BIAIS DANS LA MESURE DES IMPACTS 30
LIMITES DANS LES USAGES DOMESTIQUES ET PRODUCTIFS
32
DES MOYENS DE PAIEMENT ET DES TARIFS LONGTEMPS PEU
ADAPTES 33
COMMENT LES DEPASSER ? 34
AMELIORATION DE LA METHODOLOGIE D'ETUDE 34
LES ACTIVITES PRODUCTIVES COMME POINT D'ANCRAGE
35
SOUPLESSE DANS LES MOYENS DE PAIEMENT ET LES TARIFS
36
CONCLUSION 38
BIBLIOGRAPHIE 39
RESUME 43
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
4
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
SIGLES ET ABREVIATIONS
AfDB : African Development Bank
AFME : Agence Française pour la Maîtrise
de l'Energie
ABD : Asian Development Bank
CFL : Compact Fluorescent Lamp
CLUB-ER : Club des Agences et Structures nationales
africaines en charge de l'Électrification
Rurale
COMES : Commissariat à l'Energie
Solaire
ENTSO-E : European Network of Transmission System
Operators for Electricity
ER : Electrification Rurale
ErD : Electrification rurale
Décentralisée
Fondem : Fondation Energies pour le Monde
IDH : Indice de Développement
Humain
IEA : International Energy Agency
kWh : Kilowatt-heure
LED : Light Emitting Diode
Lm : Lumen
ODD : Objectifs de Développement
Durable
OI : Organisation Internationale
OMD : Objectifs du Millénaire pour le
Développement
ONG : Organisation Non Gouvernementale
OSC : Organisation de la Société
Civile
PPP : Partenariat Public-Privé
PV : Photovoltaïque
UNDESA : United Nations Department of Economic and
Social Affairs
US$ : Dollard américain
W : Watt
Wc : Watt-crète
WHO : World Health Organisation
ZAE : Zone d'Activité
Electrifiée
5
TABLE DES FIGURES ET ILLUSTRATIONS
Figure 1 : Taux d'électrification rurale par
région géographique. Graphique construit par l'auteur avec les
données de la Banque Mondiale de 2014.
https://data.worldbank.org/
Figure 2 : Pourcentage de la population sans
accès au réseau d'électricité. Données
Banque Mondiale de 2012.
Figure 3 : Graphique représentant l'utilisation
finale de l'énergie par personne (IEA, 2015) « Other » inclus
le charbon, le pétrole, le gaz naturel, l'hydrogène et d'autres
sources renouvelables.
Figure 4 : Exemple de pico-dispositif pour
l'éclairage et la recharge USB proposé par Greenlight Planet.
https://www.greenlightplanet.com/shop/home-60/
Figure 5 : IDH en fonction de la consommation
d'électricité. Donnée de la Banque Mondiale de
2014.
Figure 6 : Evolution de la demande en énergie
pour l'éclairage en Inde (Kanagawa & Nakata, 2008).
Figure 7 : Mode d'influence des programmes
d'électrification rurale (Torero, 2015).
Figure 8 : Exemple d'utilisation de système
solaire débloqué avec un code SMS (Big Eye, 2013).
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
6
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
INTRODUCTION
Lire un livre ou cuisiner après le coucher du
soleil, écouter les actualités à la radio ou les regarder
à la télévision, recharger son portable chez soi, vivre
à proximité d'un centre de soin pouvant conserver des vaccins ou
vivre proche d'un commerce disposant d'un réfrigérateur sont
autant d'activités et de services basiques facilités ou rendus
possibles par l'électricité. Pourtant, près d'un milliard
de personnes dans le monde n'y ont toujours pas accès de nos jours et
84% d'entre elles habitent dans une zone rurale (International Energy Agency,
2017). Ces chiffres reflètent un déséquilibre et une
injustice dont les origines sont multiples et les solutions
connues.
L'électrification rurale
décentralisée (ErD) constitue un élément de
réponse à cette problématique revenue sur le devant de la
scène internationale depuis une dizaine d'années. L'ErD est une
solution permettant aux personnes, non desservies par le réseau de
distribution national, d'accéder à un service électrique.
Ces installations exploitent principalement des sources d'énergies
renouvelables pour permettre à des populations
défavorisées par leur isolement géographique de profiter
de l'électricité. Cet isolement géographique s'accompagne
souvent de nombreux désavantages impactant la santé,
l'éducation, l'économie et les conditions de vie en
général dans ces régions.
L'ErD a parfois été perçue comme
une réponse « miracle » à la problématique du
développement des populations rurales. Mais au vu des enjeux humains
(les conditions de vie de plus d'un milliard de personnes sont
concernées), environnementaux (la production d'électricité
est source de nombreuses pollutions et dégradations environnementales)
et économiques (augmentation potentielle des revenus pour les
bénéficiaires, montants des investissements nécessaires,
etc.), il est légitime de s'interroger sur le véritable
rôle et les réels impacts de cette solution. Plusieurs acteurs,
chercheurs ou bailleurs internationaux reprennent ce questionnement. En
d'autres termes, l'électrification rurale décentralisée
constitue-t-elle vraiment une réponse viable et efficace afin de
favoriser l'amélioration des conditions de vie et le
développement économique des populations rurales ? Ce
mémoire se fixe donc pour objectif de dresser un portrait global et
réaliste de l'ErD dans les pays émergents depuis sa
création dans les années 80 jusqu'à nos jours.
Ce document se base principalement sur une
étude documentaire1 ainsi que sur les observations et
expériences acquises lors d'un stage de cinq mois à la Fondation
Energies pour le Monde. La littérature est abondante dans le domaine de
l'électrification rurale et ses différentes facettes sont
largement abordées à travers des rapports et notes de travail
de
1 La majorité des écrits cités se
rapportent au continent Africain car celui-ci concentre aujourd'hui la plupart
des besoins.
7
bailleurs nationaux ou internationaux, des notes de
réflexion lors de rencontres ou forums mondiaux, des articles de
chercheurs, des évaluations de programmes ou de projets d'agence de
développement ou d'ONG, etc. Une vaste partie de cette
littérature est consacrée à l'analyse des impacts positifs
de l'ErD mais il existe aussi de nombreux documents contrebalançant ces
conclusions et témoignant d'une véritable conscience des limites
et contraintes existantes.
La première partie permet d'introduire l'ErD,
elle évoque ses évolutions politiques, institutionnelles et
techniques depuis ses débuts afin d`appréhender sa situation
actuelle. Elle expose les enjeux soulevés ainsi que les contraintes qui
s'appliquent. Enfin elle présente succinctement les solutions techniques
répondant à ces enjeux. Dans un deuxième temps, ce
document tente d'énumérer les contributions de l'ErD au
développement des pays émergents. Des impacts aussi
communément admis que la santé, l'éducation et le
dynamisme économique sont évoqués mais aussi d'autres
moins étudiés. La troisième partie relève les
principales critiques rencontrées par les programmes et projets d'ErD
(efficacité, évaluation des résultats et solutions
techniques privilégiées) afin d'évoquer les
évolutions possibles pour les surpasser.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
8
PARTIE 1 : ELECTRIFICATION RURALE DECENTRALISEE, DE
QUOI PARLE-T-ON ?
Les évolutions
Historique succinct
L'électrification des pays que l'on nomme
aujourd'hui émergents ou en développement a commencé,
dès le début du 20ème siècle, par la
construction de centres de production et de réseaux de distribution dans
les centres industriels et miniers. La production était assurée
par des centrales thermiques construite à proximité des sources
de charbon ou de pétrole. Il y a donc historiquement une forte
corrélation entre l'industrialisation des pays émergents et leur
électrification. Cette corrélation s'illustre parfaitement avec
l'exemple de l'Afrique du Sud, le pays a très tôt fait
évoluer de pair l'offre et la demande (pour l'industrie et les quartiers
blancs uniquement) en électricité, en exploitant les
réserves abondantes de charbons dont le pays disposait et a pu
même profiter, dans les années 1900, d'un tarif de
l'électricité inférieur à celui de la
Grande-Bretagne. Mais l'Afrique du Sud reste une exception car il faut attendre
l'indépendance des autres pays africains pour que les premiers
programmes d'extension de réseau voient le jour. La priorité est
toujours donnée aux centres industriels mais certains quartiers
d'habitation proches de ces centres sont raccordés. C'est le cas
notamment au Kenya et en Côte d'Ivoire (Debeugny, Jacquot & De
Gromard, 2017) mais ces extensions sont anecdotiques et peu suivies sur le
continent.
Les premiers programmes de coopération
internationale en matière d'électrification font suite aux deux
chocs pétroliers de 1973 et 1979. Le développement des
énergies renouvelables, et particulièrement le solaire, initie la
création d'agences nationales de promotion de cette technologie dans les
pays du Nord et de mise en oeuvre de programmes internationaux (par exemple le
Commissariat à l'Energie Solaire, COMES, créé en 1978 en
France). Ces agences financent des programmes ciblés
géographiquement (anciennes colonies) et thématiques
(télécommunication, santé, etc.). L'objectif était
de participer au développement à long terme des pays anciennement
colonisés par la construction d'infrastructures permettant
d'améliorer les conditions de vie et de limiter la migration urbaine, la
déforestation, etc. En Asie, le Bangladesh met en place dès 1975
sa première initiative majeure pour étendre son réseau
électrique, le Total Electrification Program, qui
s'avèrera très efficace grâce à une implication
massive des habitants dans la construction et l'exploitation des
opérateurs (Khandker, Barnes & Samad, 2009).
Dans les années 80, de nouveaux programmes
innovants sont lancés au Maghreb. Ils initient ce que l'on appelle
aujourd'hui l'ErD (Debeugny, Jacquot & De Gromard, 2017)
c'est-à-dire la
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
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Projets de Développement Durable au Sud
9
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
prise en compte des usages de
l'électricité, complémentarité des solutions de
production (PV, diesel, hydraulique), l'introduction des batteries,
l'utilisation de lampes basse consommation, etc. Mais ces initiatives sont
coûteuses et le manque de données précises pour les
évaluer va conduire à leur ralentissement lors des
périodes d'ajustement structurel et du New Public
Management.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce ralentissement
(Bernard, 2010), la crise de la dette des pays du Sud impose de nouvelles
conditions de prêts plus exigeantes à ces pays, plusieurs
études jettent un doute sur l'efficacité de
l'électrification rurale (peu de personnes connectés et surtout
des foyers aisés, utilisation toujours massive de biocombustible et donc
déforestation, pas de baisse de la migration rurale, etc.). De plus, la
synergie électricité-croissance est aussi remise en cause, le
modèle « l'électricité entraine la demande » est
inversé et l'électrification n'est plus vue comme un facteur
déterminant de développement. Jusqu'à la fin des
années 2000, la priorité n'est donc plus donnée aux grands
programmes de coopération internationale en faveur de
l'électrification. C'est pendant cette période que les agences
nationales d'électrification seront créées dans les pays
du Sud et que les plans nationaux seront lancés. Leur efficacité
est relative en Afrique car, si certain pays (notamment au Maghreb) ont pu
s'appuyer sur un tissu industriel important pour soutenir
l'électrification rurale, d'autre ont souffert des plans d'ajustement
structurels (Club-ER, 2010). Le recours au Partenariats Public-Privé
(PPP) pour assurer le financement des programmes d'électrification
rurale a entrainé la multiplication des structures nationales sans
réflexion globale à long terme. Les interventions ponctuelles
n'ont pas permis d'atteindre efficacement les zones rurales et ont largement
privilégiées les centres urbains et industriels.
Une décennie plus tard,
l'électrification rurale redevient une priorité pour plusieurs
raisons. D'une part, de nouvelles études mettent en évidence le
rôle qu'elle peut avoir dans la réduction de la pauvreté,
objectif principal d'organisations internationales telles que l'ONU et la
Banque Mondiale. De nouveaux financements lui sont donc réservés
et de nombreux programmes voient le jour (évoqués plus bas).
D'autre part, un travail est aussi mené pour mieux évaluer les
impacts de ce type de programmes par l'ensemble des bailleurs et dans agences
de financement. Il semble pertinent de cité la création de
divisions spécialisées pour les grands bailleurs2
ainsi que des efforts de normalisation illustré par The Paris
Declaration on Aid Effectivness en 2005 et le Partenariat de Busan en
2011. Enfin, les avancées technologiques permettent de
considérablement baisser le coût de revient de
l'électrification et de l'ErD.
2 Par exemple l'Independent Evaluation Group de
la Banque Mondiale et le Network on Development Evaluation de
l'OCDE.
10
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Baisse des coûts de revient
Aujourd'hui, l'ErD devient de plus en plus abordable
et cela est particulièrement vrai quand la solution technique choisie
est le solaire. La baisse des coûts des panneaux photovoltaïques
(PV) et l'augmentation de leur rendement rendent toute une gamme de
systèmes, des lampes solaires aux centrales, viables et abordables pour
les populations rurales. Le prix au Watt des panneaux PV est passé de 75
US$ en 1976 à seulement 0.61US$ en 2015 (Bloomberg and Lighting Global,
2016). Le prix et l'efficacité des LED pour l'éclairage se sont
fortement améliorés : le prix de revient d'une LED qui
était de 0.4 US$ par unité en 2012 est aujourd'hui
inférieur à 0.1 US$, leur intensité lumineuse a quant
à elle augmenté de 166 lm/W en 2012 à 200 lm/W en 2016.
L'éclairage domestique et des commerces est donc devenu abordable pour
toute une partie de la population avec des solutions de lampes pico-solaires
disponibles pour 4 US$. Le stockage de l'électricité a lui aussi
profité d'évolutions technologiques rapides et d'une baisse des
coûts. Les batteries au plomb ont été remplacées par
des batteries lithium-ion plus efficaces et moins chères : de 1000
US$/kWh en 2010 à 350 US$/kWh en 2015. Ces avancées permettent de
rendre les modèles économiques plus faciles à
équilibrer et de permettre à l'ErD de répondre aux besoins
des populations.
Des besoins et contraintes toujours
d'actualités
Une répartition des besoins
inégale
En 2016, le nombre de personne vivant sans avoir
accès à l'électricité était de 1,1 milliard
soit 14% de la population mondiale (International Energy Agency, 2017). Ce
chiffre cache bien sûr de grandes disparités entre le nord et le
sud mais aussi entre les zones rurales et urbaines. Le taux
d'électrification est supérieur à 99% dans les pays
développés mais atteint seulement 43% en Afrique sub-saharienne.
Le continent comptabilise près de la moitié des personnes sans
accès à ce service vital et en 2014, 20 pays rassemblaient 80%
des personnes n'ayant pas accès à l'électricité
(Nations Unies, 2017). Comme expliqué plus haut, les disparités
se retrouvent aussi au sein même des pays avec des taux
d'électrification plus élevés dans les centres urbains que
dans les zones rurales. En Afrique subsaharienne, par exemple, le taux
d'électrification rurale est le plus bas du monde avec seulement 25% de
la population ayant accès à ce service3 (Figure 1).
Dans le monde, les populations rurales représentent 84% des personnes
sans accès à l'électricité. Plusieurs facteurs
peuvent expliquer que ce chiffre ne diminue que faiblement : une croissance
démographique plus élevée dans les zones rurales qu'en
ville et plus élevée que le taux de croissance des raccordements,
la manque d'usages productifs potentiels (développé plus bas) et
la faible capacité d ;e financement des populations.
3 Contre 60% environ en ville.
11
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 1 : Taux d'électrification rurale par
région géographique (Banque Mondiale)
Mais ces indicateurs semblent enfin s'améliorer
significativement. Ainsi, le taux d'électrification rurale en Afrique
subsaharienne, cité ci-dessus, a plus progressé ces 5
dernières années que depuis 1995. Cette décennie a vu se
succéder, avec une relative efficacité, des plans et programmes
internationaux ayant pour objectif « d'électrifier »
l'ensemble de la planète et notamment l'Afrique qui reste aujourd'hui le
continent le moins électrifié (Figure 2).
Figure 2 : Pourcentage de la population sans
accès au réseau d'électricité (Données
Banque Mondiale de 2012)
Peuvent être cités : le programme
Lighting Africa (2007) et Africa Electrification Initiative
(2008) tous deux de la Banque Mondiale, le programme des Nation unies
Sustainable Energy For All (SE4All) lancé en 2011, l'initiative
lancée par le gouvernement de Barack Obama en 2013
12
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Power Africa, l'Initiative Africaine pour
les Energies Renouvelables menée par l'Union Africaine en 2015 mais
aussi des projets privés comme celui du chanteur Akon et de l'entreprise
Solektra, Akon Lighting Africa, de 2014. Ces programmes s'accompagnent
de promesses de fonds (près de 320 milliards pour SE4All) mais les
investissements tardent.
D'autre part, les Objectifs du Millénaire
pour le Développement (OMD), effectifs jusqu'en 2015, ne
comprenaient pas de composantes particulières concernant l'accès
à l'énergie. Mais avec les Objectifs de Développement
Durable (ODD) adoptés en 2015 par 193 pays, c'est maintenant chose
faite. Ces successeurs aux OMD, comptent un volet, parmi les 17,
spécialement consacré à l'accès à
l'énergie.
Objectif de Développement Durable n°7:
Garantir l'accès à un service
énergétique abordable, fiable, durable et moderne pour
tous.
Des contraintes fortes
Les quatre dimensions développées par
cet objectif (abordable, fiable, durable et moderne) permettent de souligner
les principales contraintes dans le domaine de l'accès à
l'énergie. L'immense majorité des investissements et programmes
ou projets répondant à cet objectif concernent l'accès
à l'électricité ou dans une moindre mesure, l'installation
de système de cuissons plus efficaces.
La problématique du coût est bien
évidemment soulevée car il est primordial d'adapter et
d'équilibrer l'offre énergétique à la population.
Les programmes et projets participants à cet objectif doivent,
dès les premières étapes de conception, évaluer
finement les besoins et intégrer les capacités financières
des bénéficiaires. Cette étape est trop souvent
négligée par les bailleurs et cela met en péril
l'équilibre financier du projet et donc sa viabilité. Pour
s'assurer de la réponse à leurs besoins, le « business-plan
» doit au moins prendre en compte le revenu moyen de la région et
la part de ce revenu consacré aux dépenses
énergétiques (gasoil, bougie, piles, etc.). Pour proposer une
solution financièrement équilibrée, il est aussi important
de distinguer les utilisations domestiques et productives afin de
répartir équitablement le coût global du projet en
établissant une grille de tarif flexible et prenant en compte les
éventuelles aides ou subventions de l'Etat4. Qu'ils soient
publics ou privé, l'équilibre financier est difficile à
atteindre pour les exploitants. Les exploitants privés doivent
même aller au-delà et chercher à rentabiliser le service
d'électricité.
La deuxième dimension abordée est celle
de la fiabilité, de la constance et de la « solidité »
du service. Dans les pays développés, en excluant les quelques
petites coupures d'électricité dues à des
éléments naturels imprévus (inondations, chute de neige,
de branches, etc.) ou à
4 La problématique du coût de
l'électricité et des tarifs est développée p. 33 et
36.
13
une trop forte demande ponctuelle, le service
électrique est assuré 7 jours sur 7 et 24h sur 24 toute
l'année. Ce n'est pas le cas dans les pays en développement,
où les populations raccordées aux réseaux nationaux
subissent régulièrement des coupures d'électricité
impactant la vie quotidienne et les activités économiques.
Au-delà des incidents naturels et des conflits, les entreprises
privées ou les compagnies nationales font face à une croissance
de la demande en électricité presque 2 fois supérieure
à celle de leurs capacités. Les producteurs
d'électricité ont donc recours au délestage soit la
coupure de l'alimentation en électricité de quartiers entiers et
pour plusieurs heures. Ces coupures atteignent dans certains pays un
équivalent de 56 jours par an. Les pertes économiques sont
évaluées à près de 2% de PIB (Heuraux, 2011) et de
7 à 13% d'heure de travail par an (Desarnaud, 2016). Pour faire face
à ce manque de fiabilité, les entreprises ont recours à
des groupes électrogènes d'appoints, couteux et
polluant.
La problématique de la durabilité de
l'accès à l'énergie nécessiterait à elle
seul un mémoire complet. Il est aujourd'hui largement admit que
l'utilisation massive de combustibles fossiles fait peser sur notre avenir une
menace globale. Les pays en développement sont particulièrement
concernés car la croissance rapide de leur économie s'appuie sur
un mix énergétique dominé par l'utilisation de charbon et
de biomasse (près de 60% de la consommation globale, Europan Commission,
2011), forts émetteurs de gaz à effet de serre. Le mix
énergétique doit se recentrer sur l'utilisation de techniques de
productions viables sur le long terme et adaptées aux potentiels de
chaque pays. La diversité de l'offre technologique actuelle (solaire,
hydraulique, éolien, biomasse, géothermie, etc.) permet
d'exploiter les potentiels énergétiques de ces pays et de
produire de l'électricité dans toutes les régions du
globe.
Le dernier enjeu abordé est la modernisation de
ce mix énergétique. Cette modernisation passe par (i) un recours
massif à l'électricité pour les usages domestiques et
économique de l'énergie ; (ii) l'utilisation d'équipements
plus efficients.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
14
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 3 : Utilisation finale de l'énergie
par personne (IEA, 2015)
L'objectif est de faire bénéficier de
l'amélioration des conditions de vie, des gains de rendement et de la
diversification des activités qu'offre l'usage de
l'électricité au plus grand nombre. Cette transformation est
aujourd'hui rendue possible grâce à la baisse des coûts de
production de l'électricité permettant l'élargissement des
possibilités.
Une gamme de solutions disponibles
Afin de produire et de distribuer
l'électricité aux populations, plusieurs solutions techniques
existent. Chacune d'entre elles répond à une demande et à
un contexte historique, socio-économique, géographique et
politique. Dans les pays industrialisés, toute la population à
accès à un service d'électricité et sa production
est centralisée. En effet, l'écrasante majorité de
l'électricité domestique et à usage productif est
générée par de grosses infrastructures (centrales
thermiques, nucléaires, barrages, parcs solaires, éoliens, etc.)
pour alimenter un réseau recouvrant tout le territoire et
connecté aux pays voisins (par exemple le European Network of
Transmission System Operators for Electricity - ENTSO-E regroupe les 41
gérants de réseaux électrique en Europe et est même
connecté avec des pays d'Afrique du Nord). Dans les pays
émergents, la centralisation de la production et la mise en
réseau nationale et internationale ne sont pas aussi
efficace.
Le raccordement, solution historique
Pour effectuer de nouveaux raccordements, la solution
historique a longtemps été, à l'instar des pays
industrialisés, l'extension du réseau existant. Des milliers de
kilomètres de nouvelles lignes hautes, moyennes et basses tensions ont
été construites mais cette technique pose aujourd'hui de nombreux
problèmes. D'une part, si ces nouveaux raccordements ne s'accompagnent
pas d'augmentation des capacités de génération, l'ensemble
du réseau n'est plus fiable et cela entraîne des coupures
volontaires (délestages) ou non. Le coût de construction et
d'entretien étant très élevés, les pays en
développement privilégiant cette technique ne sont
généralement pas en mesure d'assurer un service fiable à
la population
15
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
(Desarnaud, 2016). La clientèle,
majoritairement composée de ménages, les compagnies
d'électricité des pays peu électrifiés freine les
investissements importants car leur pouvoir d'achat et leur niveau de
consommation est faible comparée aux entreprises et industries. La
santé financière de ces compagnies est donc assez précaire
(Heuraux, 2011).
D'autre part, si le raccordement est
économiquement viable dans les zones densément peuplées,
il demande des investissements bien plus importants dans les
périphéries des villes et dans les zones rurales et cela se
ressent sur la somme que doivent débourser, dans certains pays, les
populations rurales pour être raccordées. Ce coût de
raccordement augmente avec l'éloignement par rapport à
l'infrastructure de production et alonge fortement l'atteinte d'un taux
d'électrification de 100%. Par exemple, il a fallu 20 ans pour que des
pays comme la Thailande et la Chine passent d'un taux de 30-40% à 85-90%
et de nouveau 20 ans pour atteindre l'accès universel (International
Energy Agency, 2017). Ce phénomène s'appelle le dernier
kilomètre.
Enfin, ces programmes nationaux sont très long
à prévoir et à mettre en oeuvre. Le tracé des
lignes et le choix des régions ou villages à desservir sont
souvent le résultat de longues négociations politiques sujettes
aux changements de gouvernements. A cela s'ajoutent les longues mais
indispensables procédures d'évaluations des impacts
environnementaux et sociaux5. Au total, il faut compter entre 5
(Heuraux, 2011) et 9 ans (Independant Evaluation Group, 2014) pour que la prise
de décision se transforme en réalisation technique. Même si
l'immense majorité (97%) des investissements pour
l'électrification depuis les années 2000 ont été
destiné à l'extension de réseaux (International Energy
Agency, 2017), cet ensemble non-exhaustif de limites montre bien qu'il n'est
pas possible d'atteindre un taux d'électrification globale de 100% d'ici
2030 uniquement par cette voie. Pour électrifier l'ensemble de la
population, il semble donc nécessaire d'envisager un nexus de solutions
centralisées et décentralisées.
Les solutions décentralisées
L'ErD se positionne aujourd'hui comme une alternative
viable à l'extension de réseau, surtout en zone rurale. Ce terme
regroupe plusieurs systèmes adaptés aux besoins domestiques et
économiques des foyers ruraux. En 2011, la consommation moyenne
d'énergie en Afrique était 35 fois inférieure à
celle de l'Union européenne et la consommation
d'électricité près de 100 fois inférieure (Europan
Commission, 2011), ces chiffres cachent de grandes disparités mais ils
sont encore plus importants dans les zones rurales. Cet écart
représente un avantage6 car la puissance à produire
pour répondre aux besoins des habitants est assez faible et
permet
5 Ces dernières années, les
procédures d'évaluation bénéficient toute fois
d'une nouvelle optimisation
6 Mais aussi un inconvénient, voir
p.32
16
une souplesse dans les solutions possibles. Ces
nouvelles solutions déconnectées du réseau national sont
développées plus bas et classées selon deux grandes
catégories et quatre sous-catégories déterminées
par le nombre de personnes alimentées, la puissance
délivrée et les usages possibles (ces caractéristiques
peuvent varier selon les auteurs) :
· Solutions « hors réseau »
composées des pico-dispositifs (standalone, pico-solar) et des
kits individuels (solar home systems) ;
· Solutions « en réseau »
composées des micro-réseaux et des
mini-réseaux.
Les pico-dispositifs sont généralement
constitués d'un petit panneau PV (moins d'une centaine de Watts), d'une
batterie (selon les modèles), d'un contrôleur et d'un ou plusieurs
petits équipements électriques (LED, chargeur de
téléphone, etc.). Ils constituent le premier échelon de
l'électrification et permettent de répondre aux besoins
domestiques les plus basiques (éclairage de la maison ou d'un commerce,
télécommunication, etc.) mais ne dépasse rarement ces
besoins. Ce secteur est extrêmement dynamique avec plusieurs dizaines de
millions de dispositifs vendus chaque année en Afrique (Bloomberg and
Lighting Global, 2016) et des dizaines d'entreprises sont en concurrence. Son
succès peut s`expliquer par la baisse des coûts de la technologie
PV7, le développement de nouveaux moyens de paiements tels
que le Pay As You Go8 et la facilité et la
rapidité de mise en fonctionnement facilitant sa diffusion à
grande échelle par des opérateurs privés. Un des autres
avantages est l'évolutivité des systèmes, les utilisateurs
pouvant ajouter des éléments assez facilement (panneaux PV,
batterie, etc.) et ainsi répondre, en fonction de leur revenus et
jusqu'à un certain point, à une évolution de leurs
besoins. Les pico-dispositifs sont aujourd'hui vendus dans plus 25 pays et
près de 15 à 20% des ruraux en sont équipés au
Kenya, en Tanzanie et en Ethiopie (Jacquemot, 2017). Ce premier échelon
permet de répondre aux besoins les plus basiques mais ne constitue pas,
à lui seul, une réponse suffisante à long terme. Certains
équipements permettant d'améliorer nettement le quotidien des
populations nécessitent des puissances plus
élevées.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
7 Les systèmes valent de 10 à 40 US$
environ.
17
8 Développé p.36
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 4 : Exemple de pico-dispositif pour
l'éclairage et la recharge USB proposé par Greenlight
Planet.
A partir de quelque centaines de Watts, les kits
individuels s'avèrent des solutions plus adaptées. Ces
systèmes se basent sur l'énergie solaire ou, plus rarement,
éolienne pour fournir de l'électricité à une
maison, une infrastructure publique ou privé (école, dispensaire,
petit commerce, antenne relai, etc.). Dans le cas des particuliers, ils
permettent d'alimenter de quelques lampes et une radio à un ensemble
d'équipements plus complet comprenant une télévision, un
réfrigérateur, un ventilateur, des chargeurs de portables, etc.
Les infrastructures privées et publiques peuvent profiter de
l'éclairage, d'un ordinateur, de ventilateurs, d'un
réfrigérateur/congélateur. Dans le cas de la chaîne
du froid domestique ou pour les petits commerce, le mini-réseau est
parfois couplé à un générateur diesel d'appoint
pour compenser les intermittences dans la production d'énergie (cycle
jour-nuit, abcence de vent, etc.). Cette hybridation est obligatoire pour les
dispensaires et les petits centres de soins. Pour ce genre
d'équipements, l'utilisation de batteries est indispensable au vu des
utilisations. Ces kits sont de fait plus onéreux (de quelques centaines
à quelques milliers de US$) et majoritairement introduits dans le cadre
de prgrammes d'éléctrification menés par des agences
nationales ou des OI prenant en charge une partie du coût global et
proposant des facilités de paiement.
Ces deux types de systèmes (pico et kits
individuels) permettent d'améliorer grandement les conditions de vie des
populations rurales. En revanche, ils ne permettent pas de soutenir la mise en
place d'accès à l'électricité à
l'échelle d'un village ou le développement d'activités
économiques plus demandeuses en énergie. Les micro-réseaux
et mini-réseaux désignent des infrastructures de production et de
distribution de l'électricité à plus grande
échelles mais toujours déconnéctées du
système national.
Si la zone possède les caractéristiques
adéquates (source d'énergie, clients potentiels, cadre
institutionnel, densité de population, etc.), une électrification
par micro-réseau est envisageable. Il s'agit d'une centrale de petite
dimension (quelque kilowatt) et généralement solaire, mais il est
parfois possible d'utiliser l'énergie hydraulique, couplée
à un réseau de distribution permettant de desservir les
habitations d'un village. Ce type d'infrastrucure demande une organisation et
un investissement plus important pour plusieurs raisons. D'une
18
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
part, le système nécessite
l'installation d'une unité de production (surface de panneau PV,
turbine, parc éolien, etc.) et d'un parc de batteries plus difficile
à entretenir que les systèmes précédants. Ces
contraintes techniques entrainent des contraintes organisationnelles, les
projets doivent respecter un cadre reglementaire plus lourd, se doter d'un
exploitant fiable et investit, assurer une sensibilisation et une implication
des populations plus poussées, etc. Les infrastructures peuvent
coûter aux alentours d'une centaine de milliers de US$ et sont donc
portés par des OSC et des OI mais peu de groupes privés. En
effet, l'équilibre financier des mini-réseaux est
généralement très précaire et dépend souvent
de subventions, de dotations des collectivités territoriales locales ou
de partenariats Nord-Sud. Dans certains cas les micro-réseaux peuvent
supporter la demande de petites activités économiques peu
consommatrices en éléctricité.
Si la zone à élelctrifier dispose d'un
tissu économique dynamique et potentiellement plus demandeur en
énergie, il s'agira alors d'un mini-réseau ou d'une Zone
d'Activité Electrifiée (ZAE). Les mini-réseaux permettent
de fournir un accès à l'électricité à
environ 2000-5000 personnes. Ils reprennent le principe de fonctionnement d'un
micro-réseaux mais à plus grande échelle. La puissance
potentiellement délivrée est plus imporant ce qui permet
d'envisager la création de véritables pôles
économiques avec des activités diversifiées et
énergivores (transformation agricole, restauration, commerce de produits
frais, menuiserie, ferronerie, cyber-café, atelier de couture, etc.) en
plus d'alimenter les foyers. Les investissements représentent plusieurs
centaines de milliers de US$ mais les mini-réseaux possèdent un
équilibre financier plus stable grâce aux activités
économiques. Celles-ci consomment plus d'élécticité
que les ménages et permettent d'obtenir cet équilibre plus
facilement.
Ce retour à une synergie
électrification/développement économique est aujourd'hui
bien présent dans l'ensemble des projets. Les organisations
internationales favorisent les « usages productifs de
l'électricité », en témoignent les nombreux rapports
de l'ONU9, la Banque Mondiale10, GIZ11,
USAID12, etc. soulignant l'importance de cet aspect pour mieux
rentabiliser les projets et démultiplier les impacts de
l'électrification sur les conditions de vie des populations.
9 Planning for Improved Energy Access and Productive Uses
of Electricity, UNDP, 2015
10 Maximizing the Productive Uses of Electricity to
Increase the Impact of Rural Electrification Programs, The World Bank,
2008
11 Promoting Productive Use of Energy in the Framework of
Energy Access Programmes, GIZ, 2013
12 Guides for Electric Cooperative Development and Rural
Electrification, USAID, 2009
19
PARTIE 2 : LES IMPACTS POSITIFS DE L'ELECTRIFICATION
RURALE DECENTRALISEE
Les parties précédentes tentent de
dresser un portrait de l'électrification et de ses évolutions
jusqu'à nos jours. La partie suivante a pour objectif de regrouper
l'ensemble des domaines impactés par l'électrification et
particulièrement de l'ErD.
Figure 5 : IDH en fonction de la consommation
d'électricité (Banque Mondiale, 2014)
Ce graphique (Figure 3) représentant l'Indice
de Développement Humain (IDH) en fonction de la consommation
d'électricité (en kWh par personne et par an) met en
lumière la corrélation entre l'accès à un service
électrique et la satisfaction de besoins basiques
représentés par l'IDH (notamment santé et
éducation). Même si cet indicateur ne représente pas
fidèlement le développement il permet de s'en approcher et le
plus intéressant sur ce graphique n'est pas la valeur de l'IDH mais
plutôt la forme de la courbe dessinée. Cette courbe logarithmique
croît très fortement sur les petites valeurs (de 0 à 5 000
kWh environ) et se stabilise, ou du moins croît avec beaucoup moins
d'intensité, après un certain seuil. Cela semble indiquer que
« les premiers kWh » sont les plus importants, que l'impact de
l'électrification se ressent même avec des installations de faible
puissance. Les systèmes décris précédemment
permettent de fournir ce service bénéfique dans de multiples
domaines.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
20
Des impacts bien connus
Impacts sur la santé
Les impacts de l'ErD sur la santé des
populations rurales se ressentent de multiples manières plus ou moins
évidentes. L'exemple de l'électrification des centres de soin est
éloquent et facilement compréhensible. En Afrique sub-saharienne,
seules 40% des infrastructures de soins ont accès à
l'électricité (African Development Bank, 2014) et près de
2/3 des hôpitaux et 3/4 des centres de soins subissent au moins une
coupure électrique prolongée par semaine (World Health
Organisation and World Bank, 2014). Que ce soit par le raccordement au
réseau national ou à l'aide d'une centrale photovoltaïque
dédiée couplée à un groupe
électrogène, ces infrastructures demandent une puissance
électrique conséquente et régulière du fait des
nombreuses utilisations de l'électricité. L'accès à
un éclairage adapté et fiable permet d'étendre les plages
horaires des consultations et opérations, le chauffage améliore
le confort des patients et personnels. Toute une gamme de nouveaux
matériels peut être convenablement utilisée comme des
appareils performants pour la stérilisation des instruments, des
réfrigérateurs pour la conservation des médicaments et
vaccins. Dans les cliniques africaines, 60% des réfrigérateurs
n'ont pas d'alimentation électrique fiable entrainant la perte de
près de la moitié des vaccins conservés (United Nations
Environment Programme, 2017). Des moyens de télécommunication
rapides permettent la mise en réseau de l'infrastructure et une
amélioration de sa réactivité, etc. En opérant
cette mise à niveau de leurs matériels, cela permet aussi aux
infrastructures rurales d'attirer les médecins des villes et donc
d'améliorer et diversifier leur service de soin (Cabraal, Barnes, &
Agarwal, 2005).
Les bénéfices de l'ErD sur la
santé se retrouvent aussi directement dans les foyers
électrifiés. 2,8 milliards de personnes utilisent quotidiennement
des combustibles fossiles pour s'éclairer, cuire les repas et se
chauffer (Torero, 2015). Or, au-delà de l'augmentation des risques
d'incendie, l'utilisation de ces biocombustibles (charbon, bois, etc.) pour la
cuisson des aliments et de lampe à pétrole ou de bougies pour
l'éclairage est une source de pollution intérieure reconnue avec
l'émission de substances toxiques et/ou cancérigènes comme
le monoxyde de carbone, différents oxydes d'azotes, le dioxyde de
souffre et les particules fines (Esther, Greenstone & Hana,
2008).
L'Agence Internationale de L'Energie (IAE) estime que
la pollution intérieure tue aujourd'hui près de 2,8 millions de
personnes par an. L'introduction de l'électricité permet de
considérablement réduire les impacts de cette pollution sur la
santé. Par exemple, l'électrification de foyers ruraux au
Salvador et en Erythrée a permis une réduction de presque 2/3 des
infections respiratoires des hommes adultes (Barron & Torero, 2015) et
d'environ 40% chez les enfants de moins de 6 ans (Barron & Torero, 2014)
avec une baisse d'environ 60%
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
21
de l'exposition aux particules fines (PM2.5). Une
étude de la Banque Asiatique de Développement suggère
quant à elle que les habitants des foyers électrifiés ont
13% de chance en moins de souffrir d'irritation des yeux (Asian Development
Bank, 2010).
|
Perception du flux lumineux en lumen (lm) selon le type
d'éclairage :
Bougie : 12 lm
Lampe à pétrole : 30-80 lm
Ampoule incandescente : 5-15 lm/Watt
LED : 30-100 lm/Watt
|
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 6 : Evolution de la demande en énergie
pour l'éclairage en Inde (Kanagawa & Nakata, 2008)
De plus, l'éclairage électrique
étant plus efficace que celui fourni par les traditionnelles lampes
à pétrole ou bougies (voir encadré ci-contre), les foyers
électrifiés peuvent préparer les repas, manger et dormir
dans de meilleures conditions grâce à la réduction des
risques de piqures d'insectes et la prévention d'invasions de nuisibles
(cafards, rats, etc.)
Impacts sur l'éducation
Les impacts de l'électrification rurale sur
l'éducation des populations sont aujourd'hui bien connus malgré
certaines divergences de la littérature sur les moyens de mesurer ces
impacts sur les foyers (voir partie sur les biais de mesure). Comme pour la
santé, l'électrification apporte ses bénéfices dans
les infrastructures dédiées et dans les foyers.
En 2014, près de 188 millions d'enfants dans le
monde fréquentaient une école sans accès à
l'électricité et en Afrique sub-saharienne, cela
représente environ 90% des enfants (UNDESA, 2014). Les écoles,
collèges, lycées et bibliothèques peuvent également
étendre leurs horaires d'ouverture et donc proposer des cours du soir
permettant aux femmes et hommes travaillants la journée de les suivre.
L'accès à un service d'électricité permet aussi
d'améliorer le confort des élèves grâce à un
système de ventilation ou de chauffage et de disposer d'outils
informatiques (ordinateur, imprimante, etc.). Toutes ces améliorations
permettent d'attirer des
22
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
professeurs plus qualifiés13,
motivés et d'observer une baisse de l'absentéisme, une
augmentation des effectifs, de la durée moyenne de scolarité et
du taux de réussite aux examens (UNDESA, 2014).
Pour les usages domestiques, l'immense majorité
des programmes d'ErD se fixe comme objectif, a minima, de permettre
l'alimentation d'une ou plusieurs LED pour l'éclairage des foyers.
N'étant plus dépendant de l'éclairage naturel, les enfants
ont donc la possibilité d'étudier, lire et faire leurs devoirs
même après le coucher du soleil. De plus, l'éclairage des
lampes à LED est bien plus confortable pour la lecture que celui des
lampes à kérosène. Selon les études, on constate
que l'électrification du foyer entraîne un temps de lecture
augmenté de 7% (Barron & Torero, 2014) à 25% (Asian
Development Bank, 2010) pour les enfants de 6 à 15 ans ou de 7 minutes
(World Bank, 2013) à 48 minutes (World Bank, 2002) selon les pays et le
type d'électrification (le raccordement au réseau permettant une
plus longue utilisation des lampes que l'installation de panneaux solaires
individuels). Il est aussi suggéré que le taux de scolarisation
augmente avec l'accès à ce nouveau service comme, par exemple,
dans des villages ruraux au Vietnam où il a augmenté de 17% pour
les garçons et de 15% pour les filles 3 ans après
l'électrification du village. Mais les chiffres sont bien plus parlants
à long terme car 10 ans après l'électrification, ces taux
passent respectivement à 100% et 93% (Khandker S. , Barnes, Samad &
Minh, 2009).
La possession d'un poste de télévision
et/ou de radio engendre des impacts en demi-teinte. Dans toutes les
études abordant cet aspect, quand les revenus et le service
d'accès à l'électricité le permettent, une grande
majorité des personnes interrogées estiment que la
télévision est une bonne source d'informations
générales et d'actualités. Il est aussi possible pour les
enfants de suivre des programmes éducationnels à distance (par
exemple les « teleschool » au Brésil dans les années 90
ou plus récemment, des exercices de mathématiques par SMS au
Kenya avec le service MoMaths). Cependant ces études soulignent aussi
que la télévision peut avoir un impact négatif sur le
temps de travail et de lecture des enfants.
Impacts économiques
Au-delà des impacts indirects que peut avoir
l'électrification sur l'économie via un meilleur accès
à des services de santé modernes et à l'éducation,
il est aussi communément admis que celle-ci est un facteur
non-négligeable de développement économique. Les
manières dont l'électrification impacte l'économie des
foyers, villages, régions et pays électrifiés ne sont
pas
13 «Teachers are understandably reluctant to work
in deprived areas, which lack basic facilities such as electricity, good
housing and health care.» (UNESCO, 2014)
23
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
toutes encore bien connues ou comprises mais il est
tout de même possible de dresser un bilan sommaire.
Dans un premier temps et une fois le coût de
raccordement acquitté, les programmes d'électrification
domestique permettent aux foyers électrifiés de réaliser
des économies sur leur facture énergétique. Les
ménages ayant acquis des lampes électrique (systèmes
pico-solaires) ont réalisé des économies d'environ 2
à 3% au Rwanda et de 2 à 7% au Bangladesh par rapport au lampes
à pétrole (Bloomberg and Lighting Global, 2016). Le coût de
revient des lampes à pétrole ou des bougies varie selon les
régions et les périodes mais il est en moyenne plus
élevé que l'éclairage électrique (jusqu'à
100 fois plus onéreux au Bangladesh) (Khandker, Barnes & Samad,
2009). L'éclairage électrique permet aux ménages de
poursuivre leurs activités économiques et domestiques
après le coucher du soleil (couture, réparation de
matériel, entretien de l'habitat, etc.). En Afrique du Sud,
l'électrification a permis une augmentation de 3 à 4 % du temps
de travail annuel (Dinkelman, 2011) ; dans certains cas,
l'électrification augmente la part de temps consacré à des
activités génératrices de revenus particulièrement
pour les femmes (Chowdhury, 2010). Ce gain de temps et de revenus n'est pas
négligeable et engendre des effets positifs sur l'éducation et la
santé. En plus de l'éclairage, d'autres économies sont
réalisées lors de la recharge des appareils électriques et
notamment des portables. Dans les zones rurales des pays en
développement, les points d'accès à
l'électricité sont rares (il est parfois nécessaire de
parcourir plusieurs kilomètres pour pouvoir recharger, moyennant un
paiement, son portable) alors que les utilisations faites par les habitants du
téléphone portable sont nombreuses et participent au
développement économique de ces régions. Il semble
important de citer parmi les bénéfices l'amélioration de
la communication entres les acteurs économiques (producteurs, acheteurs,
grossistes, transporteurs, etc.), l'accès facilité à des
informations actualisées (bulletin météorologiques, prix
du marché, taux de change, etc.) et aux services bancaires, de
micro-crédit et d'assurance. Le téléphone portable permet,
dans une certaine mesure, de pallier l'absence de tous ces services dans les
zones rurales et de permettre à ses habitants de
bénéficier de leurs avantages. Le paiement par mobile est, quant
à lui, largement plus développé en Afrique qu'en Europe ou
en Amérique du Nord et cette technologie profite bien au
développement de l'électrification rurale
décentralisée14.
L'électrification des activités est
l'autre facteur majeur de développement économique. Elle permet
de les diversifier et favorise l'augmentation de la productivité des
activités existantes. L'exemple du secteur agricole est significatif car
il représente en moyenne près de 20% du PIB dans les pays en
développement ainsi que le plus gros secteur en terme d'emplois
(dans
14 Voir p.36
24
certains pays d'Afrique, 70% de la population
travaille dans l'agriculture dont une majorité de femmes, African
Development Bank, 2015) mais aussi car il possède un fort potentiel
d'amélioration et de modernisation. La modernisation des
équipements et la mécanisation permettent de fort gain de
production (comme l'installation de pompe pour l'irrigation, de
décortiqueuse électrique, etc.) mais aussi de
considérablement réduire les pertes une fois les produits
récoltés grâce à un stockage et une transformation
plus efficace. Ainsi au Vietnam, l'électrification rurale aurait permis
une augmentation des revenus agricoles de 30% (Khandker S. , Barnes, Samad
& Minh, 2009). En dehors de l'agriculture, l'électrification de
communautés rurales semble avoir un impact positif sur d'autres facteurs
économiques comme l'employabilité (en hausse de 9% en Afrique du
Sud, Dinkelman 2011), le temps de travail salarié annuel, en Inde cette
augmentation représenterait près de 17 jours de travail pour les
hommes et 6 jours pour les femmes (Van De Walle, Ravallion, Mendiratta, &
Koolwal, 2013). Enfin plusieurs études semble relever une
amélioration sur des indicateurs plus globaux comme le salaire moyen ou
le pouvoir d'achat (O'Dell & al., 2014 ; Khandker, Barnes & Samad,
2009). Cela peut s'expliquer par l'accès à des outils plus
performants, l'allongement des horaires d'ouverture grâce à
l'éclairage des commerces, des ateliers et des
marchés.
L'accès à un service
d'électricité permet non seulement de développer des
activités existantes mais aussi d'en créer de nouvelles. Dans un
premier temps, il s'agit de métiers et activités liées
à ce nouveau service : exploitation, maintenance, relation avec les
abonnées, etc. Selon la taille et le type d'installations, une dizaine
d'emplois peuvent être créés par gigawatt-heure avec
l'énergie éolienne et plus de 50 avec le solaire (Appiah, 2012).
Ces créations d'emploi s'accompagnent de formations dans des domaines
variés (électronique, gestion, comptabilité, management,
etc.) profitant à l'ensemble de la population. Comme abordé plus
haut, la création d'activités productives accompagnent de plus en
plus les projet d'électrification. Ceux-ci permettent la création
d'un tissu économique favorable au développement des
régions et à la réduction de la pauvreté
grâce à de nouveaux services (recharge des
téléphones portable, cyber-café, services sociaux, etc.)
et commerces (chaîne du froid, couture, transformation agricole,
férronerie-soudure, etc.).
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
25
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Figure 7 : Mode d'influence des programmes
d'électrification rurale (Torero, 2015)
Et d'autres moins étudiés
Les avantages qu'apporte l'ErD ne se résument
pas qu'aux aspects évoqués ci-dessus, il existe nombre de
conséquences positives plus difficilement mesurables ou moins
évidentes qui pourtant participent à l'amélioration des
conditions de vie et de développement des communautés
électrifiées.
Impacts institutionnels
Un des impacts positifs et indirects de l'ErD est la
structuration institutionnelle. Cet impact n'est pas forcément
évident ni souvent étudié dans la littérature car
il ne se retrouve pas dans tous les projets ni ne bénéficie
directement aux populations. Pour assurer la pérennité de
l'accès à l'électricité dans les zones rurales des
pays en développement, il est indispensable d'avoir recours à un
exploitant investi et compétent. L'exploitant est la personne ou
l'organisation, privée ou publique, chargée de l'entretien et de
la maintenance des installations ainsi que des relations avec les clients ou
abonnés. La création ou sélection de cet exploitant est
bénéfique car il est souvent nécessaire de regrouper des
représentants et notables de différents villages ou
communautés pour créer une institution simple mais
représentative. Cette mise en commun des préoccupations de
développement de la zone crée une dynamique d'échange et
de dialogue autour des besoins de la population pouvant résulter sur des
actions communes et concertées. Cette dynamique communautaire peut se
poursuivre avec le recours au tissu économique local pour les
étapes du projet utilisant une main d'oeuvre peu qualifiée et
avec, dans certain cas, la construction d'infrastructures de transport
(principalement routière) indispensable à l'acheminement des
systèmes électriques qui participent au désenclavement de
la région.
26
Le cas du CGESO dans la commune rurale de Ouonck au
Sénégal.
Le CGESO (Comité de Gestion de
l'Electrification Solaire à Ouonck) a été
créé en 2011 à l'occasion d'un projet
d'électrification de la Fondation Energies pour le Monde. Il est
composé d'habitants des villages de la commune et sa mission
première fut de gérer l'installation et l'exploitation de kits
individuels. Ses membres ne possédaient pas de compétences en
lien avec l'électrification mais ont été formé
durant les différents projets de la Fondation dans la commune pour
assurer l'entretien des systèmes, la gestion financière et la
relation avec les abonnés. Il exploite aujourd'hui plus de 150 kits et
s'est diversifié en assurant aussi l'exploitation de pompe solaire pour
les périmètres maraichers alentour.
|
De plus, la création du rôle
d'exploitant, corps de métier inexistant dans la zone avant le projet,
est alors l'occasion d'une montée en compétence de ces personnes.
L'exploitant doit être formé à divers missions techniques
nécessaires au bon fonctionnement des installations électriques
mais aussi à des domaines tel que la comptabilité, la gestion
financière, la gestion relationnelle avec les clients, etc. Les
personnes formées possèdent alors un savoir-faire qui sera
utilisé et diffusé à d'autres activités
économiques ou communautaires.
Les impacts institutionnels de
l'électrification sont donc très structurants et se
répercutent dans de nombreux secteurs.
Synergies multi-domaines
Il semble aussi important de citer les projets
d'éclairage public et leurs impacts sur la sécurité et la
vie communautaire. L'installation de lampadaires (potentiellement solaires)
permet de réduire le nombre d'agressions, de vols et ainsi le sentiment
global d'insécurité. Ils sont aussi un formidable moyen de
développer des activités communautaires telles que des
marchés, évènements culturels et fêtes religieuses
en permettant à la population de se rassembler après le coucher
du soleil.
Une autre conséquence peu évidente
attribuée aux programmes d'ErD serait la baisse de la fertilité.
En effet, un des liens envisagé serait que l'accès à
l'électricité permet aux foyers et notamment aux femmes de mieux
s'informer sur les méthodes de contraception, les risques liés
à la grossesse, le planning familial, etc. via la radio, la
télévision ou Internet. A cela s'ajoute la diffusion de programme
qui illustrent d'autres modes de vie et influencent les idéaux
familiaux, comme par exemple les « soap opera ». Un rapport de la
Banque Asiatique de
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
27
Développement indique que sur 9 pays
étudiés15, l'électrification aurait fait
baisser le taux de fertilité de 8 d'entre eux avec des baisses allant de
0,04 enfant par femme au Nicaragua à 2 enfants au Sénégal
(Asian Development Bank, 2010). En Côte d'Ivoire, une étude semble
confirmer ces résultats pour les populations rurales mais relève
un effet inverse dans les villes (Peters & Vance, 2011). Ces études
ne prouvent pas que l'électrification accélère la
transition démographique des pays émergents mais mettent en
évidence une corrélation intéressante.
De manière plus générale, la
réduction de la fracture énergétique,
l'amélioration globale des conditions de vie, des infrastructures de
santé, d'éducation, de l'attractivité économique et
sociale des espaces ruraux électrifiés permettent de
réduire les disparités qui existent avec les
agglomérations.
L'ensemble de cette partie se base sur une
littérature assez fournie qui semble converger sur la contribution de
l'électrification au développement de secteurs variés
(institutions, santé, éducation, revenus, etc.). Cependant,
toutes les études ne sont pas unanimes et certaines soulignent plusieurs
critiques et limites.
28
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
15 Bangladesh, Ghana, Indonésie, Maroc,
Népal, Nicaragua, Pérou, Philippines,
Sénégal.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
PARTIE 3 : LIMITES DE L'ELECTRIFICATION RURALE
DECENTRALISEE ET EVOLUTIONS POSSIBLES
Malgré les nombreuses contributions de l'ErD au
développement des pays émergents, celle-ci ne fait pas
l'unanimité. Il existe une partie de la littérature remettant en
cause plusieurs aspects de l'ErD. Cette partie tente, dans un premier temps, de
rassembler et de mettre en lumière les réserves des chercheurs,
ONG et groupes d'évaluation sur les difficultés à
atteindre les populations les plus pauvres, le manque de données fiables
pour attester des impacts ainsi que les problèmes organisationnels et
techniques. Puis dans un deuxième temps, il s'agira de montrer que des
solutions méthodologiques, organisationnelles et techniques existent
afin de dépasser ces limites.
L'Electrification rurale Décentralisée et
ses limites
Une électrification qui ne se concentre pas sur
les plus défavorisés
Une des menaces pesant sur le financement de l'ErD est
la tendance des grands bailleurs internationaux à s'orienter vers des
partenariats public-privé (PPP). Ces partenariats demandent des retours
sur investissements plus rapides (Jacquemot, 2017), ce qui favorise les types
de programmes plus rentables que l'ErD tels qu'une extension de réseau
urbain ou la construction d'une centrale thermique. Les investissements se
concentrent donc sur des groupes de population en général plus
aisés que les ruraux et qui bénéficient déjà
d'un environnement électrifié (infrastructures, commerces,
services de bases, etc.). Cette tendance des grands bailleurs internationaux de
recourir aux PPP fragilise les financements de l'ErD et ne permet pas de
fournir un service électrique fiable et abordable aux populations les
plus économiquement et géographiquement
défavorisées.
Cet écart d'investissement se retrouve aussi
à plus grande échelle avec les choix d'investissement des grands
bailleurs. La Banque Mondiale, par exemple, représente à elle
seule près de 500 milliards de US$ d'investissement en faveur de
l'accès à l'électricité entre 2000 et 2014. Or
selon le rapport du Groupe d'Evaluation Indépendant de la Banque
Mondiale, 46% des montants investis dans l'électrification ont
été destinés à des pays ayant un taux
d'électrification déjà élevé voir disposant
d'un accès universel (Independant Evaluation Group, 2014). Les pays
ayant un faible taux d'électrification n'ont perçu que 22% des
montants investis et la part consacrée à l'ErD est minime (de
l'ordre de 1%).
Plusieurs raisons peuvent expliquer la
frilosité des bailleurs internationaux pour les projets « off-grid
» (Power 4 All, 2016) :
o les équipes de ces OI sont habituées
aux gros projets d'infrastructures (extension de réseau, mise à
niveau d'infrastructures existantes, importants projets
29
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
hydroélectriques et thermique, etc.), les
personnes recrutées (ingénieurs et économistes) sont
issues d'écoles et formations spécialisées sur ce type de
projets
;
o les agences de notation des banques valorisent
davantage les gros projets d'infrastructures ;
o les entreprises actives dans ce secteur sont
jeunes, ont des capitaux plus faibles (maximum 50 millions de US$) donc moins
rassurants ;
o les clients de ces solutions sont moins
solvables.
De plus, quand la construction des installations de
production d'électricité est terminée, celle-ci n'est pas
toujours suivie de raccordements massifs. Ce décalage s'explique souvent
par le prix du service et notamment celui du raccordement. Le coût de
raccordement est compris entre 50 et 250 euros (Bernard, 2010) selon les
programmes et les régions. Même si il ne revient pas en
intégralité aux abonnés16, il reste
élevé et représente un lourd investissement pouvant
atteindre 3 mois de salaires complets (Barron & Torero, 2015) pour les
ménages les plus pauvres. En Afrique sub-saharienne, où le
pourcentage de la population vivant avec moins de 1,90$ par jour est d'environ
42% en 2013 (World Bank, 2014), il n'est pas rare de constater que les taux de
connexion, pourcentage de la population connectée dans les zones
où un accès au service est pourtant disponible, sont assez bas
(Bernard, 2010). Il en résulte que les foyers raccordés sont
souvent les plus riches. Les premiers bénéficiaires des
programmes sont les ménages capables de réaliser l'effort
financier correspondant au coût du raccordement. Cela remet en cause
l'objectif de l'ErD de fournir un service électrique de qualité
au plus grand nombre et induit des biais non négligeables dans la mesure
des impacts.
Des biais dans la mesure des impacts
L'objectif général de la grande
majorité des projets ErD est l'amélioration des conditions de vie
des bénéficiaires et le développement économique
des régions électrifiées, or ces résultats sont
parfois subjectifs (mesure du développement, de la qualité de
vie, etc.) et dépendent de multiples variables. Les évaluateurs
et chercheurs ne peuvent contrôler toutes ces variables comme dans la
recherche médicale et leurs accès est souvent limité
(durée de l'évaluation, absence de données,
fiabilité, etc.) ce qui rend les évaluations complexes et induit
des biais. Toutes les études d'impacts et évaluations de
programmes ou de projets en comportent et ceux-ci sont plus ou moins influents,
plus ou moins connus et plus ou moins pris en compte.
16 Le reste étant subventionné par l'Etat,
des programmes de coopération internationale ou des ONG.
30
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
Dans le cas de l'ErD, les biais sont présents
car il est difficile de constituer des échantillons de personnes
témoins et donc d'étudier rigoureusement les différences
entre ces groupes témoins et les personnes bénéficiaires.
Par exemple, si le groupe témoin (foyers non électrifiés)
se situe dans le même village que les foyers électrifiés
par kits individuels ou par réseau, il est tout à fait
envisageable qu'il bénéficie indirectement de
l'électrification (nouveaux produits ou services moins onéreux,
pouvoir d'achat des clients croissant, amélioration de la
sécurité, etc.) et biaisent donc la comparaison. Si le groupe
témoin se situe dans un autre village, d'autres externalités
entrent en jeu. Il est aussi périlleux de se contenter d'une comparaison
avant/après. D'une part, celle-ci ne serait que descriptive et ne
permettrait pas d'analyser les résultats et d'autre part, ces
résultats ne se manifestent parfois que des années après
la mise en service des installations et ne sont donc pas
répertoriés. En l'absence de méthode robuste et
acceptée par l'ensemble de la communauté de chercheurs et
d'évaluateurs, nombre d'études soulignant les effets positifs de
l'électrification (santé, éducation, développement
économique, etc.) se retrouvent sujets aux critiques et remises en cause
par d'autres études ou rapport (Bernard, 2010 ; Van De Walle, Ravallion,
Mendiratta & Koolwal, 2013 ; Winther, 2015). En 2008, le Groupe
d'Evaluation Indépendant de la Banque Mondiale remettait en cause le
nombre d'études fiables en écrivant « la base de
données reste faible pour nombre des avantages revendiqués par
l'électrification rurale » (Independant Evaluation Group,
2008).
Concernant les impacts sur l'éducation et
l'économie, il existe de multiples biais. Certains sont connus et pris
en compte depuis longtemps tel que le biais de placement : si la zone
électrifiée est proche d'une ville ou d'une région
déjà électrifiée, les habitants ont de fortes
chances d'avoir des revenus plus élevés que les habitants de
zones plus éloignées, ils sont généralement plus
dynamiques économiquement et l'électrification leur sera plus
profitable, maximisant ses impacts (Cook, 2011). Ce biais de placement
influence donc le développement économique par l'achat de nouveau
matériel électrique facilité et plus abordable, des
clients potentiels plus importants en cas de diversification ou de
création d'activités, la présence d'infrastructures de
transport, etc. L'accès à une meilleure éducation est,
lui, facilité par un nombre d'écoles, collèges et
universités plus important, la présence de librairies et
bibliothèques, etc. Dès 1975, la Banque Mondiale a pris en compte
ce biais en établissant des critères de localisation des projets
d'électrification rurale (Bernard, 2010) mais ce n'est pas le cas pour
tous les programmes et projets.
Comme indiqué dans la sous-partie
précédente, le revenu des foyers influence grandement leur
propension à se connecter lors des projets d'électrification,
mais il implique aussi d'autres conséquences. Une fois connectés,
les foyers les plus riches bénéficient plus de
l'électrification et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord et d'un
point de vue économique, il a
31
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
été constaté par plusieurs
études et chercheurs que le revenu moyen augmentait plus
significativement (10% pour les foyers riches contre 2% pour les foyers pauvres
aux Philippines ; Cook, 2011) ainsi que le pouvoir d'achat (12% contre 3 % au
Bangladesh ; Khandker, Barnes & Samad, 2009). Cela contribue grandement
à l'amélioration des conditions de vie et aux possibilités
de développement économique. Les évaluations des impacts
des programmes d'électrification sur l'éducation diffèrent
aussi selon le revenu pré-électrification. Au Bangladesh,
l'étude de Khandker, Barnes & Samad (2009) semble indiquer un
écart sur le temps de lecture quotidien ainsi que sur le niveau
d'étude atteint. Ce biais, quand il n'est pas clairement
identifié et pris en compte influence plusieurs indicateurs souvent
utilisés lors des évaluation et études et jette donc un
doute sur l'exactitude de celle-ci.
Pour les impacts sur la santé, les
réserves concernent plus les performances techniques des installations
que la mesure et la prise en compte des biais dans
l'évaluation.
Limites dans les usages domestiques et
productifs
La réduction de l'utilisation de bougies et
lampe à pétrole, source de particules nocives, est bien
confirmée par la grande majorité des études17
mais des doutes sont émis sur l'efficacité de l'ErD à
réduire la pollution des moyens de cuisson et de chauffage. Comme
évoqué auparavant, l'ErD ne permet pas de fournir de grandes
puissances électriques dans le cas des solutions individuelles et des
micro-réseaux.
Dans l'immense majorité des cas,
l'électricité ne remplace pas les biocombustibles pour la cuisson
des aliments et le chauffage des ménages ruraux18. Cela
s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, la quantité
d'énergie nécessaire pour la cuisson et le chauffage est trop
importante pour être alimentée par les systèmes solaires ou
éoliens les plus accessibles et répandus : les kits individuels.
D'autre part, ces biocombustibles sont accessibles gratuitement ou pour un
faible investissement toute l'année, argument particulièrement
décisif pour les foyers et région rurales les plus pauvres. Ces
éléments limitent l'impact de l'ErD sur la réduction de la
pollution intérieure des foyers et ne permet pas de ralentir
l'utilisation des biocombustibles.
Ces faibles puissances proposées par les kits
individuels limitent aussi grandement le développement
d'activités génératrices de revenus pour les foyers
électrifiés. Avec ce type de système, il est difficile
d'envisager l'utilisation d'équipements électriques gourmands
permettant la mécanisation d'activités (moulins
électriques, pompes, scies, etc.) existantes et le développement
de nouvelles activités (réfrigérateurs, soudeuses,
cyber-cafés, etc.).
17 Voir p. 21
18 En Afrique du Sud par exemple,
l'électricité ne remplace pas les biocombustibles pour la cuisson
dans 90% des cas et dans 99% des cas pour le chauffage (Madubansi &
Shackleton, 2006)
32
Des moyens de paiement et des tarifs longtemps peu
adaptés
La pérennité des projets d'ErD de type
micro et mini-réseaux repose sur la viabilité de l'exploitant et
le renouvellement des équipements électriques défaillants
(panneaux, batteries, petit matériel, etc.). Cela n'est possible que si
le nombre d'abonnés est suffisant et si le paiement de la redevance est
régulièrement effectué, or une des limites de l'ErD a
longtemps résidé dans son système de paiement. Celui-ci
était calqué sur les pays occidentaux avec un versement de
mensualités. Mais ce système de paiement mensuel par forfait
n'est pas le plus adapté au mode de vie des habitants des
ruralités des pays émergents. En effet, la majorité des
foyers et entrepreneurs sont plus habitués à payer
régulièrement de petites sommes pour leur accès à
l'énergie que des mensualités non adaptées à leur
trésorerie. Sans l'électricité, l'approvisionnement en
énergie se fait en fonction du besoin : achat de carburant, bois,
charbon, piles, bougies, etc. L'électrification et les systèmes
de paiement classiques obligent à changer ce mode de consommation et ce
changement n'est pas toujours bien compris ou accepté. De plus, les
exploitants sont obligés de se déplacer dans les foyers et
entreprises pour collecter les paiements. Ces frais de fonctionnement
supplémentaires fragilisent l'équilibre financier des exploitants
et la pérennité des projets.
Il est aussi important de souligner l'importance des
tarifs de l'électricité. Du point de vue des exploitants, les
coûts d'investissement de l'ErD sont élevés et
l'équilibre financier est précaire dans ces régions
à faible densité de charge (peu de clients et peu de consommation
par personne). Si le pays opte pour une tarification nationale homogène
basée sur le coût de revient du réseau national
d'électricité, le prix payé par les abonnés sera
inférieur au prix de revient pour les systèmes
décentralisés ruraux, mettant en péril les exploitants
(The Africa Electrification Initiative, 2012). Le cadre législatif peut
donc, dans certains cas, freiner le développement de l'ErD par un
encadrement non adapté des tarifs.
Cette inadéquation entre les habitudes de
paiement traditionnelles couplée à une tarification
défavorable et une sensibilisation insuffisante en amont des projets
sont des facteurs pouvant expliquer les faibles taux de recouvrement pour les
services d'électricité et notamment en milieu rural.
Il apparait donc que l'ErD souffre de plusieurs
limites et contraintes liées à son évaluation, son
fonctionnement, ses régions d'interventions, aux limites technologiques
de ses systèmes, etc. Mais celles-ci ne sont pas définitives et
il existe des améliorations et évolutions qui, une fois
généralisées, permettront de les
dépasser.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
33
Comment les dépasser ?
Amélioration de la méthodologie
d'étude
Dans le cadre de l'évaluation de projet de
développement, il est impossible de disposer de conditions parfaitement
contrôlées mais les études d'impacts et les
évaluations de projets ou programmes d'ErD disposent d'outils
méthodologiques permettant de contrer une partie des biais
évoqués plus haut, ou du moins mieux les prendre en compte. Au vu
du nombre de facteurs extérieurs, une simple comparaison
avant/après n'est pas envisageable pour les projets d'ErD. Il est
possible de recourir à d'autres méthodes dont deux très
utilisées : la méthode de la « simple différence
» et celle de la « double différence ». Ces deux
techniques d'évaluation nécessitent un groupe de contrôle.
Il s'agira, avec la méthode de la « simple différence
», de comparer sur un ensemble d'indicateurs le groupe de contrôle
avec le groupe de population électrifié. C'est une méthode
standard qui ne neutralise pas tous les biais. Si les chercheurs ou
évaluateurs dispose de temps et de bases de données suffisantes,
ils peuvent envisager la méthode de la « double différence
», plus fine dans son analyse. En effet, celle-ci reprend le principe de
la « simple différence » mais étend la comparaison avec
le groupe de contrôle dans le temps. Elle permet donc une mesure de
l'évolution plutôt que des résultats finaux.
Deux étapes indispensables de ces
méthodes sont sujettes aux critiques et ont été
renforcées avec le temps. La première est la définition
des indicateurs qui seront utilisés pour la comparaison entre le groupe
de contrôle et le groupe électrifié. Ces indicateurs
doivent être définis bien en amont du projet et répondre
à certaines contraintes (Winther, 2015) : (i) être accessible afin
de s'assurer que la récolte des données sera possible (temps de
production des données, personne compétente pour la
récolte, etc.) ; (ii) correspondre aux objectifs du projet et ne pas se
contenter d'illustrer les résultats les plus évidents (exemple :
taux de connexion VS usage productif de l'électricité) ; (iii)
permettre une évaluation des impacts à long-terme sur des
années voire des dizaines d'années (évolution de la
consommation, achat progressif d'équipements, utilisation de ces
équipements, etc.) et (iv) permettre une différenciation selon le
niveau de revenu avant-projet des foyers.
La deuxième étape importante est la
définition d'un groupe de contrôle fiable et adapté.
Plusieurs techniques peuvent être envisagées afin de créer
ce groupe dans les projets et programmes d'électrification (Duflo, 2005)
mais elles posent des questions éthiques. Par exemple «
l'appariement par score de propension » : il s'agit, dans un premier
temps, de collecter le plus de données possibles sur la population
étudiée (conditions de vie, économie, santé,
démographie, éducation, etc.) puis de créer des paires
d'individus, de groupes
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
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Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
d'individus ou de foyers avec des
caractéristiques aussi proches que possible. Un des deux groupes ainsi
constitué sera le groupe de contrôle.
Une autre technique est aussi souvent citée car
elle permet de contrer de nombreux biais : l'assignation aléatoire. Dans
le cas de l'électrification, cette assignation facilite
financièrement (peu importe le revenu) l'accès au service
électrique par la distribution aléatoire de bons de
réduction (ou crédits) sur le coût de raccordement au
réseau local (Bernard & Torero, 2011) ou sur l'achat de kits
individuels. Ces bons, pour des raisons de transparence et de fiabilité
des études, doivent être nominatifs, non échangeables et
distribués au vu et au su de tous. Le groupe ainsi désigné
se veut représentatif de l'ensemble de la population
étudiée et permet d'évaluer l'impact global de
l'électrification mais pas de manière individuelle. Comme pour
les indicateurs, plusieurs contraintes sont à prévoir (White,
2011). Par exemple, l'assignation aléatoire doit être
prévue et acceptée par toutes les parties prenantes dès la
préparation du projet et il n'est pas possible de l'appliquer à
des projets déjà en cours ou finis car cela induit de nouveaux
biais De plus, il faut respecter une taille critique de l'échantillon
à étudier car l'assignation aléatoire a pour objectif de
fournir une vision globale des impacts. Elle se révèle donc
parfois plus coûteuse que des techniques plus classiques (collecte et
analyse des données, distribution des bons, suivis, etc.).
Les alternatives ou évolutions
évoquées ci-dessus ne permettent pas d'éliminer tous les
biais ni d'atteindre des conditions d'évaluation parfaites. Le secteur
de l'évaluation des programmes de développement étudie des
phénomènes sociaux complexes et ne peut se targuer d'une
objectivité absolue ou d'une analyse complète.
L'amélioration des méthodes d'évaluation est
nécessaire et possible mais elle ne pourra être efficace sans un
renforcement des capacités des acteurs locaux. En effet, il est
difficile d'envisager des évaluations sans bases de données
fiables (institutions nationales spécialisées), connaissances du
terrain et suivis rigoureux (bureaux d'études, associations,
etc.).
Les activités productives comme point
d'ancrage
Le développement d'activités productives
peut être vu comme une conséquence de l'électrification
d'un village mais c'est aussi un facteur important pour le développement
des projets d'électrification et particulièrement en milieu
rural. Cette synergie est présente depuis les débuts de
l'électrification rurale comme urbaine et se justifie encore
aujourd'hui.
Afin de rendre l'électrification aussi utile
que possible, il est montré que les nouveaux projets et programme
doivent se baser sur une étude fine des besoins de la population mais
aussi des activités présentes, en développement ou en
projet (Bernard, 2010 ; IFDD, 2015 ; Short, 2015 ; International Energy Agency,
2017). Il s'agit de caractériser au mieux le tissu économique
local et d'identifier les filières productives pouvant
bénéficier de l'électricité. C'est
35
une étape indispensable car ces
activités peuvent servir de point d'ancrage à l'exploitant et
donc au projet c'est-à-dire être un/des client(s) important(s) et
stable(s). Si ces activités sont prises en compte dès la
préparation du projet, cela permet d'établir un business plan
plus robuste et de faire profiter aux abonnés de tarifs plus
abordables.
Dans un rapport de 2015, Tenenbaum, Greacen,
Siyambalapitiya & Knickles prennent l'exemple des tours
téléphoniques en Inde comme activité productive d'ancrage.
9 000 d'entre elles, situées dans des zones non connectées au
réseau national, sont alimentées par un exploitant local. Des
systèmes hybrides solaires-éoliens-biogaz produisent de
l'électricité pour ces tours mais elle est aussi
distribuée aux habitants proches. De cette façon, 150 000 foyers
et petits commerces étaient raccordés en 2012.
Lors des périodes d'étude et de
sensibilisation, il est important d'informer très tôt les
populations des possibilités productives qu'offre
l'électricité. Par cette sensibilisation en amont et une aide
financière adaptée (crédits, subvention, dons), les
habitants pourront anticiper l'arrivée de ce nouveau service et
s'équiper en récepteurs électriques pour leur permettre de
profiter pleinement de ses avantages.
Souplesse dans les moyens de paiement et les
tarifs
Grâce aux avancées technologiques et
à la pénétration massive du téléphone
portable, même dans les régions les plus reculées du monde,
de nouvelles solutions adaptées ont été mises en place
pour faciliter le paiement du service électrique. Pour les installations
électriques rurales, l'installation de compteurs intelligents
connectés et le paiement par mobile permettent, paradoxalement, de se
rapprocher des modes traditionnels de consommation avec de faibles montants
payés plus fréquemment. Les abonnés peuvent choisir
d'acheter une recharge leur donnant droit à une certaine quantité
d'énergie et une fois cette quantité épuisée, le
système cesse de fonctionner. Le paiement peut aussi se faire a
postériori avec un suivi précis de la consommation et la
possibilité de recevoir des alertes par SMS en cas de dépassement
d'un seuil établi à l'avance.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
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Thibault Erard - Efficacité et Viabilité de
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Figure 8 : Exemple d'utilisation de système
solaire débloqué avec un code SMS (Big Eye,
2013).
Ces méthodes, appelées « Pay As You
Go », permettent de payer le service électrique mais ouvrent aussi
la voie à l'acquisition des systèmes par les foyers. En effet,
les entreprises proposent aux clients de devenir propriétaire des
équipements en incluant dans la facture d'électricité le
paiement d'un crédit. Ce système est de plus en plus
utilisé et certains gouvernements19 s'associent avec des
compagnies privées pour le diffuser largement. Les gouvernements peuvent
aussi faciliter l'acquisition des systèmes par des subventions pour le
raccordement ou l'octroi de crédit à travers leurs compagnies
nationales d'électricité. Au Botswana, il a été
montré que 80% des personnes raccordées avec un crédit ne
l'aurait pas été sans l'aide financière du gouvernement
(Prasad, 2008).
Le problème de la tarification est complexe car
c'est aussi une question politique. D'une part, il est possible de laisser les
exploitants fixer eux-même leurs prix pour assurer la
pérennité des systèmes mais cela excluera les foyers les
plus pauvres. D'autre part et comme évoqué p. 33, un prix du kWh
national met en péril l'équilibre financier des exploitants mais
permet au plus grand nombre d'accéder au service électrique. Une
des solutions envisagées est alors la subvention d'un tarif rural par
l'Etat. Afin d'évaluer le prix hypothétique maximum du kWh dans
ces régions, des études (Cook, 2011) proposent de se baser sur
les dépenses moyennes des foyers pour l'éclairage et les
utilisations possibles de l'électricité (par exemple le diesel
nécessaire aux pompes à eau, la recharge des télphones
portables, etc.).
« Je vais rendre l'électricité si bon
marché que seuls les riches pourront se payer le luxe d'utiliser des
bougies. »
Thomas Edison, prononcée en 1887
19 Notamment au Togo ; International Energy Agency,
2017.
37
CONCLUSION
L'électrification rurale
décentralisée constitue une alternative à la technique
historique de l'extension de réseaux depuis les années 80. Mais
son application à grande échelle fut ralentie par plusieurs
facteurs aujourd'hui largement dépassés. D'une part, les
technologies favorisées par l'ErD, et particulièrement le
solaire, sont arrivées à maturité en terme de rendement et
de coûts. Il est aussi important de rappeler les innovations permises par
la diffusion du téléphone portable ainsi que les
opportunités créées (paiement par mobile, Pay As You
Go, achat des systèmes, etc.). Ces technologies sont amenées
à encore gagner en efficacité dans les années qui viennent
mais elles ont permis d'élargir la gamme des solutions possibles et de
les adapter à une grande variété de
situations.
Cette agilité de l'ErD est indispensable et
constitue l'un de ses principaux atouts. L'objectif d'une
électrification complète des populations rurales afin
d'améliorer leurs conditions de vie et de développement
économique, ne se fera pas en une fois. Les pico-dispositifs et les
petits kits individuels constituent une première étape, une
introduction à l'électricité. Ils permettent de
s'éclairer, de recharger son téléphone portable ou
d'écouter la radio mais ne sont pas suffisants. Les micro-réseaux
représentent une étape importante car ils nécessitent la
mise en fonction d'un exploitant motivé et qualifié. Ils ne sont
pas envisageables sans une sensibilisation, une concertation, et une
étude fine des besoins au sein des communautés et bien en amont
des projets et programmes. La mise en place d'une centrale et d'un
mini-réseau couplé à un ensemble d'activités
productives représentent la forme la plus complète et viable de
l'ErD. Comme pour un mini-réseau, son installation n'est pas possible
sans une étude approfondie des besoins et des filières
déjà présentes. Les activités
développées permettent de créer un business-plan robuste
et de proposer des tarifs adaptés. Elles sont aussi un
élément déterminant afin de maximiser les impacts de l'ErD
dans tous les domaines et ainsi améliorer durablement les conditions de
vie des populations rurales.
L'électrification rurale
décentralisée existe depuis les années 80 et après
une remise en cause elle est aujourd'hui revenue sur le devant de la
scène internationale. Les contraintes et limites abordées sont
loin d'être insurmontables et ne l'empêchent pas de constituer une
réponse viable et efficace afin de participer à
l'amélioration des conditions de vie et de développement
économique des populations rurales.
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
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Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
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RESUME
S'appuyant sur une étude documentaire ainsi que
sur les observations et expériences acquises lors d'un stage à la
Fondation Energies pour le Monde, ce mémoire tente de dresser un
portrait global et réaliste de l'électrification rurale
décentralisée (ErD). Après un historique rapide, il aborde
les enjeux auxquels l'ErD essaie de répondre ainsi que les limites de la
solution classique du raccordement au réseau national. Il
présente la gamme de nouvelles solutions rendues accessibles grâce
aux évolutions technologiques et discute de leurs limites. Pour
comprendre le rôle de l'ErD dans l'amélioration des conditions de
vie et le développement économique des populations rurales, les
principaux impacts sont listés et discutés ainsi que d'autres
moins étudiés. Le point de vue positif de l'ErD est ensuite remis
en cause par un ensemble de critiques sur son efficacité,
l'évaluation des résultats et les solutions techniques
privilégiées. Ce mémoire aborde aussi les
évolutions envisagées pour dépasser une partie de ces
critiques et ainsi permettre à l'ErD de constituer une
opportunité viable de développement.
MOTS CLES : ELECTRICITE, ELECTRIFICATION, RURALE,
DECENTRALISATION, DEVELOPPEMENT, ENERGIES, IMPACTS, EVALUATION
Based on a documentary study as well as on the
observations and experiences gained during an internship at the Fondation
Energies Pour le Monde, this thesis attempts to draw a global and realistic
portrait of decentralized rural electrification (ErD). After a brief history,
it broaches the issues that the ErD is trying to answer as well as the limits
of the traditional solution of the connection to the national network. It
presents the range of new solutions made available thanks to the technological
evolutions and discusses their limits. To understand the role of the ErD in
improving the living conditions and economic development of rural populations,
the main impacts are listed and discussed as well as others less studied. The
positive view of the ErD is then challenged by a set of criticisms of its
effectiveness, the evaluation of results and the preferred technical solutions.
This thesis also discusses the evolutions envisaged to overcome some of these
criticisms and thus allow the ErD to constitute a viable development
opportunity.
KEYWORDS: ELECTRICITY, ELECTRIFICATION, RURAL,
DECENTRALIZATION, DEVELOPMENT, ENERGY, IMPACTS, EVALUATION
Thibault Erard - Efficacité et Viabilité
de l'Electrification Rurale Décentralisée Master 2 Gouvernance de
Projets de Développement Durable au Sud
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