La protection juridique des droits de l’enfant en situation de conflit armé: l’exemple de la république centrafricainepar Stephane YOUFEINA Universite de Nantes en France - Master 2 en Droit International et Europeen des Droits Fondamentaux 2017 |
Introduction GénéralePeu de situations mettent davantage les personnes en danger que les guerres; que celles-ci soient internes ou internationales, elles détruisent les vies humaines, le tissu économique et social dont dépendent les êtres humains occasionnant des violations constantes de leurs droits1(*). En somme, elles causent des dégâts inestimables, souvent irréparables2(*). Cependant, par son réalisme, le droit international s'emploie à redonner à l'homme l'espoir perdu par la protection des droits qu'il tente d'assurer en pleine situation de conflits armés. Et pour mieux remplir sa mission, la Communauté internationale a posé au plan conventionnel des règles et des mécanismes pour la rendre effective. A ce titre, une protection spéciale est réservée aux personnes les plus vulnérables dont les enfants de façon à ce qu'ils ne fassent pas l'objet d'exploitations diverses. En effet, face à la multiplication des conflits armés en Afrique, la question de la protection des droits de l'enfant dans cette situation est devenue une préoccupation qui appelle, non seulement la participation des acteurs institutionnels tant sur le plan national qu'international, mais également une prise de conscience tout autant que l'implication des belligérants et de tous les acteurs sociaux. Cette épineuse question demeure d'actualité, particulièrement, en Centrafrique où les conflits armés continuent d'enregistrer la participation des enfants dans les combats. Outre cet aspect, les enfants y sont également victimes de plusieurs formes d'exploitation et de déplacements forcés vers d'autres régions du pays, voire au-delà des frontières3(*). Pour le professeur Jérôme Francis WANDJI K, d'une manière générale, «l'enfant désigne l'être humain de sa naissance jusqu'à l'âge adulte, et même si la majorité civile ne coïncide pas encore d'un pays à l'autre, ce qui est invariant et caractérise l'enfant, quels que soient le contexte et le texte de loi, c'est son immaturité physique et intellectuelle au fondement de sa vulnérabilité. Aussi se trouve-t-il dans l'incapacité de se protéger tout seul du fait de la dépendance émotionnelle, physique et économique que sa condition introduit à l'égard des adultes. À partir de là, les enfants ne peuvent manifestement pas faire valoir les moyens juridiques existants de protection des droits de l'homme sur un pied d'égalité avec les adultes, car ils ne sont pas adaptés à leur condition. C'est pourquoi, malgré l'existence de textes généraux sur les droits de la personne au niveau internationale continental, l'enfant a fait l'objet de la part des Nations unies d'un intérêt particulier et d'une protection spécifique avec l'adoption le 20 novembre 1989 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE) ; celle-ci consacre ainsi ses droits fondamentaux et une protection adaptée à son degré de maturité physique et intellectuelle. Sur le plan régional, le 11 juillet 1990, a été adoptée la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant (CADBE) qui vient prolonger cet intérêt (des Nations unies) en l'élargissant aux éléments spécifiques au contexte africain, notamment à ses particularités sociopolitiques et culturelles»4(*). Notre travail de recherche montrera l'intérêt particulier de l'action nationale et internationale à l'endroit des enfants victimes de la guerre dans le dessein d'attirer l'attention de la Communauté internationale quant au laxisme dont elle ferait montre à l'endroit de l'application d'un certain nombre de dispositions notamment du Statut de la Cour Pénale Internationale contre les criminels de guerre5(*). Par conséquent, ce travail a pour ambition de mettre en lumière la protection insuffisante des droits de l'enfant dans un contexte de conflit armé autant que l'inefficacité avérée des garanties de protection des droits de l'enfant dans ledit contexte.Pour en apporter la démonstration, la protection lacunaire des droits de l'enfant dans un contexte de conflit armé met un accent, d'une part sur une protection juridique limitée, et d'autre part sur un cadre institutionnel inadéquat. Pour lever un coin de voile sur l'inefficacité avérée des garanties de protection des droits de l'enfant dans un contexte de conflit armé, il convient de mettre un accent particulier sur les actions aux résultats parfois stériles, souvent mitigés, l'abord de ce point donne l'occasion de faire des propositions dans le sens d'une amélioration de la protection des droits de l'enfant dans un contexte de conflit armé. S'agissant des formes d'exploitation des enfants dans le conflit armé en Centrafrique, une réponse y sera apportée à partir d'une analyse des données recueillies sur le terrain6(*). A la lecture du droit positif, lors d'un conflit armé, qu'il soit international ou non, l'enfant bénéficie de la protection générale accordée par le droit international humanitaire aux personnes civiles qui ne participent pas aux hostilités. Mais étant donné la vulnérabilité particulière de l'enfant, lesprotocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés prévoient également un régime de protection spéciale en sa faveur, qui bénéficie même à l'enfant qui prend directement part aux hostilités7(*). La République Centrafricaine a signé ces
protocoles le 27 septembre 2010 et les a ratifié le 21 septembre 2017.
Conformément au paragraphe 2 de l'article3 du
protocole, le Gouvernement centrafricain déclare
que,«conformément à l'article 4 du Décret n°
85.432, du 12 septembre 1985, fixant la réglementation applicable aux
personnels militaires non officiers de l'armée de terre, et à
l'article 6 du décret n° 09.011 du 16 janvier 2009, fixant les
règles applicables de la loi n° 08.016,portant statut de la police
centrafricaine, l'âge minimum pour l'engagement dans les forces
armées centrafricaines, la gendarmerie lapoliceestfixé
àdix-huit(18)ans
révolus». 3 La République Centrafricaine a adopté divers instruments juridiques sur le plan national, régional et international, dans le domaine de la promotion et de protection des droits de l'enfant12(*).Elle reconnaît, dans le premier article de la Constitution du 30 mars 2016, l'existence des droits de l'homme comme « base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde».A cet égard, la Constitution proclame le peuple centrafricain « résolu à construire un État de droit fondé sur une démocratiepluraliste, garantissant la sécurité des personnes et des biens, la protection des plus faibles, notamment les personnes vulnérables, les minorités et le plein exercice des libertés et droits fondamentaux ». En outre, la Constitution exprime la conviction qu'il est essentiel que les droits de l'Homme soient protégés par un régime de droit. Sur le plan international, la RCA a ratifié plusieurs instruments juridiques internationaux et régionaux dans le domaine de droits de l'enfant. La RCA a signé le 30 juillet 1990 la convention des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et l'a ratifié le 23 avril 1992. Le 27 septembre 2010, la RCA a signé le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés de New York du 25 Mai 2000. Elle a aussi signé le 27 septembre 2010 le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants de New York du 25 Mai 2000 et l'a ratifié le 24 octobre 2012. Au niveau régional, la RCA a signé le 04 février 2003 la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant, de l'Addis-Abeba du Juillet 1990. Ces instruments offrent une base légale très forte pour la protection des droits de l'enfant. Cependant, certains instruments clés comme la Charte africaine pour les droits et le bien-être de l'enfant ne sont pas encore ratifiés par la RCA13(*).Cependant, bien que la Constitution et une panoplie de lois nationales qui consacrent plusieurs dispositions à la promotion et à la protection des droits de l'Homme, en réalité, l'État Centrafricain est confronté à d'énormes difficultés et contraintes dans la mise en oeuvre de ces principes. I. Contexte et justification du sujet4 La République Centrafricaine, qui a ratifié la Convention internationale relative aux Droits de l'Enfant (CIDE) le 30 juillet 1990, s'est engagée à respecter, défendre et promouvoir les droits des enfants en Centrafrique. Or, malgré sa promesse, le pays doit faire face à d'importants problèmes qui, actuellement, entravent encore la pleine jouissance des droits des enfants.D'après le rapport publié par l'UNICEF en 2016 sur la situation des enfants en Centrafrique, en République Centrafricaine, 67% de la population vit avec moins d'un dollar américain par jour. Les familles sont, par conséquent, bien souvent incapables de satisfaire les besoins essentiels de leurs enfants14(*). La pauvreté engendre des répercussions extrêmement graves sur l'accès des enfants à une alimentation saine, des ressources financières, des services de santé, une éducation de qualité etc. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans reste toujours très inquiétant, en République Centrafricaine. En effet, en raison d'un système d'assainissement inadéquat, d'un manque d'eau potable et d'une absence de services de santé dans les régions sous contrôle des groupes armés en Centrafrique, 171 enfants sur 1000 décèdent encore chaque année. En République centrafricaine, la malnutrition reste un problème grave. En effet, 38% des enfants souffrent de malnutrition chronique et 10% de malnutrition aiguë.D'après ce même rapport, En raison de la pauvreté qui prévaut dans le pays, les familles n'ont pas les moyens de se nourrir convenablement. Cette alimentation inadaptée entraîne, bien souvent, des insuffisances pondérales ainsi que d'importants problèmes de croissance. Le taux de prévalence du VIH est également très préoccupant dans le pays. Généralement, les jeunes centrafricains ont été infectés par la transmission du virus de la mère à l'enfant, par des violences sexuelles ou par des transfusions sanguines non-sécurisées. Le S IDA est devenu, en République Centrafricaine, non seulement un problème de santé, mais également un problème économique et social. En République Centrafricaine, l'annonce des naissances aux autorités a fortement diminué en raison de l'absence de l'autorité de l'Etat dans les 11 préfectures du pays. Le coût des enregistrements, les différentes crises militaro-politiques et l'absence des services d'état-civil dans certaines régions sont autant de facteurs qui freinent les familles à enregistrer la naissance de leurs enfants. Ce qui représente une violation de la loi n° 1961.212 du 20 avril 1961 portant code de la nationalité centrafricaine. 5 Or, il faut savoir que sans certificat de naissance, le droit d'identité des enfants n'est pas respecté. En effet, ils ne sont pas reconnus en tant que membre à part entière de la société et ne peuvent pas faire valoir leurs droits15(*). Ils apparaissent dès lors comme invisibles aux yeux de la collectivité. Par ailleurs, les enfants, qui n'ont pas été enregistrés, ne sont pas protégés contre les abus, tels que le travail forcé, la prostitution, les mariages précoces, le trafic, la traite, etc. Dans le Nord, le Sud Est et le Nord Est de la République Centrafricaine, des milliers d'enfants fréquentent des « écoles de brousse » rudimentaires. Dans cette région, le secteur éducatif est touché par une pénurie d'enseignants qualifiés et d'infrastructures adéquates16(*). En outre, en raison de conflits entre les groupes rebelles et les forces gouvernementales, les disparités en termes d'accès et de qualité s'accentuent. Suite aux insécurités et aux violences qui persistent en République centrafricaine, les enfants déplacés de façon interne (kidnappage, enlèvement, etc.) font face à d'importants problèmes de protection. Globalement, ces enfants ont besoin urgemment de nourriture, de logement, d'eau, etc. Par ailleurs, ils sont contraints de travailler pour subvenir à leurs besoins essentiels. Ils évoluent de ce fait dans des conditions de vie très pénibles. En outre, les enfants déplacés, notamment les Peuhls, sont victimes de pratiques discriminatoires. En effet, certaines communautés pensent qu'ils sont des coupeurs de routes, ce qui est perçu négativement. Dans l'ensemble du pays, de nombreux groupes armés sévissent et terrorisent les communautés; un grand nombre d'enfants sont enlevés. Les garçons centrafricains sont entraînés à l'emploi des armes, avec lesquelles ils sont contraints de commettre des atrocités pillages, incendies, assassinats, etc. Les filles, quant à elles, sont forcées de faire les travaux domestiques. Il arrive également qu'elles soient données en tant qu'esclaves sexuelles aux commandants. Les enfants-soldats, en République Centrafricaine, manquent d'importantes étapes à leur développement et mettent en péril, involontairement, leur bien-être à court-terme comme à long-terme. Leur droit à l'éducation est également compromis. La République centrafricaine est une source et une destination connue pour le trafic des enfants. Ces derniers sont souvent exploités sexuellement, forcés de travailler dans les champs ou les mines, vendus dans les rues, etc. Il arrive, par ailleurs, que les enfants soient envoyés de République Centrafricaine vers d'autres pays africains, où ils sont enrôlés dans des forces ou groupes armés. Le conflit récent a exacerbé la vulnérabilité des enfants et dévasté les systèmes et structures de protection sociale et de protection de l'enfance du pays, qui étaient déjà fragiles. La capacité des familles et des communautés à s'occuper des enfants et à les protéger a également été fortement entamée avec l'engrenage des conflits, la pauvreté chronique et la faible couverture sociale de base. La crise traversée par le pays a dressé les communautés les unes contre les autres, et les violations perpétrées contre les enfants ont atteint de nouveaux sommets de brutalité. Des enfants ont été mutilés et tués, abusés sexuellement et enrôlés dans des groupes armés et des milices locales. Parmi les enfants les plus vulnérables, on trouve ceux qui ont fui leurs foyers et qui sont seuls ou séparés de leur famille. Tout aussi à risque sont les enfants musulmans assiégés et menacés par les milices armées. Enfin, on rapporte de hauts niveaux de violence sexiste, notamment le recours au viol des femmes et des filles dans le but de terroriser les communautés et de briser les liens familiaux. * 1CICR, «Le Droit international humanitaire», Genève, CICR production, Juillet 2001, p.4. * 2 Rapport du CICR lors de la XXVIè Conférence Internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sur «La protection des populations civiles en période de conflit armé»; publié en juillet 2004, consulté le 20/04/2019. * 3TAVERNIER (P.) (dir.), «Regards sur les droits de l'Homme en Afrique», Paris, l'Harmattan 2008. p.108-111 * 4WANDJI K, (J.F.) « La protection de l'enfance en droit comparé : l'expérience africaine», in FIALAIRE (J) (s/d), Du droit à la protection de l'Enfance, Entre bonheur et bien-être; Paris, LexisNexis, p.81 * 5David E.«Principes de Droit de conflits armés», 3e édition, Bruxelles, Bruylant 2002, p. 492. * 6DE SCHUTTER (O.), TULKENS (F.) & VAN DROOGHENBROECK (S.), «Code de droit international des droits de l'homme»2005, 3e édition à jour au 1er mai 2005, Bruxelles, Bruylant, 2005 p.477-488 * 7 DE L'ESPINAY, (Ch)« Les Eglises et le génocide dans la région des grands lacs est africain », Consulté le 20/04/2019. p.69-78 * 8Déclaration en vertu du paragraphe 2 de l'article 3 : « Le Gouvernement de la République centrafricaine déclare que, conformément à l'article 4 du Décret n° 85.432, du 12 septembre 1985, fixant la réglementation applicable aux personnels militaires non officiers de l'armée de terre, et à l'article 6 du décret n° 09.011 du 16 janvier 2009, fixant les règles applicables de la loi n° 08.016, portant statut de la police centrafricaine : L'âge minimum pour l'engagement dans les forces armées centrafricaines, la gendarmerie et la police est fixé à dix-huit (18) ans révolus. L'engagement est absolument volontaire et ne peut être fait qu'avec le plein gré du concerné. » * 9 David E. Principes de Droit de conflits armés, 3e édition, Bruxelles, Bruylant 2002, p. 492. * 10 Banza K, « La question des enfants soldats. Cas de la RDC » in Le travail en Afrique noire,p.227 * 11 Banza, K« La question des enfants soldats. Cas de la RDC » in Le travail en Afrique noire, p.88 * 12La Constitution centrafricaine du 30 mars 2016 en son article 1 et le préambule. * 13 Voir le Rapport national présenté par la République Centrafricaine sur la situation des droits de l'enfant sous le numéro: A/HRC/WG.6/5/CAF/1 (23 février 2009), para. 18; et, pour la mise à jour des ratifications des instruments internationaux: www.ohchr.org. * 14Le rapport de l'UNICEF sur la situation des Enfants en Centrafrique de 2016 intitulé : «Les enfants et la pauvreté en Centrafrique briser le cercle vicieux des conflits en Centrafrique», p. 68-87 * 15 Loi n° 1961.212 du 20 avril 1961 portant code de la nationalité centrafricaine: conformément à l'article premier de cette loi:« La loi détermine quels individus ont à leur naissance la nationalité Centrafricaine à titre de nationalité d'origine. La nationalité Centrafricaine s'acquiert ou se perd après la naissance par l'effet de la loi ou par une décision de l'autorité publique prise dans les conditions fixées par la loi». * 16 Le récent rapport de l'UNICEF sur l'accès en éducation des enfants en Centrafrique publié en décembre 2018, p.27, consulté le 24 janvier 2019 |
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