Université de Douala
The University of Douala
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Faculté des Lettres et Sciences Humaines Faculty
of Letters and Social Sciences
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Division de la Recherche et Coopération Division
of Research and Cooperation
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COLE DOCTORALE « Lettres-Civilisations-Sciences
Humaines » Doctorate school of `'Letters-Civilizations-Social
Sciences» **************** UNITE DE FORMATION DOCTORALE «
Littératures et Civilisations » Doctorate Unit Training of
`'Literatures and Civilizations» ***************** LABORATOIRE DE
RECHERCHE « Littérature et Civilisation françaises
»
Research laboratory in `'French Literature and
Civilization»
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ESTHÉTIQUE PICARESQUE ET SATIRE SOCIALE DANS
L'HISTOIRE DE GIL BLAS DE SANTILLANE D'ALAIN-RENÉ LESAGE
ET ONITSHA DE JEAN-MARIE GUSTAVE LE CLÉZIO
Mémoire présenté et soutenu en vue de
l'obtention du diplôme de Master II en Littératures et
Civilisations comparées
Spécialité :
Littérature et Civilisation françaises
Par :
EKEUH Mathias Steve
Licencié ès Français et Études
francophones
Sous la direction de :
Dr Alain Fleury EKORONG
Chargé de Cours
ANNÉE ACADÉMIQUE 2016-2017
|
|
(c) Copyright by EKEUH Mathias
Steve, 2017 All Rights Reserved
DÉDICACE
À la mémoire de ma mère, Justine
TCHOUAKÉ EKEUH Partie très tôt
Page III
Page IV
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier mon directeur de recherche, Alain
Fleury EKORONG, pour sa patience, sa disponibilité et son support
chaleureux tout au long de la rédaction de ce mémoire. La passion
qui l'anime, et qui s'avère contagieuse, a grandement contribué
à me donner le goût d'entreprendre ce projet, puis de le mener
à bon port.
J'exprime aussi ma reconnaissance à tous les
enseignants du département de Français et Etudes Francophones,
qui se sont dévoué corps et âmes à nous donner,
à mes camarades et à moi, le meilleur d'eux-mêmes tout au
long de notre passage au département. Vous avez toujours
été un bel exemple pour nous tous. Je suis ravi d'avoir
développé avec certains une belle relation qui dépasse les
limites de la relation professionnelle.
Je remercie également ma famille pour leurs
encouragements et leur bienveillance, en particulier à mesdemoiselles
Suzanne Marianne TCHAYA DRAME, Yvette KADJI EKEUH. Merci de me prêter vos
oreilles toujours attentives, de me soutenir dans toutes mes aspirations et de
m'aider à trouver la force de les réaliser.
J'aimerais aussi saluer la générosité et
l'attention consciencieuse avec laquelle mon camarade Hervé WANDJI a,
plus d'une fois, relu mon travail.
Je n'oublie pas mes camarades de promotion, qui ont su
m'appuyer durant tout le processus de recherches. Je pense
particulièrement à mes amis de Literas Paradiso : Danielle, Eric,
Paulin, Lyna, Marie-Laurentine, Alex, Melvin. Nos différentes
conversations quotidiennes liées à la rédaction d'un
mémoire de Master m'ont permis de voir la lumière au bout du
tunnel.
Pour terminer, j'ai une pensée pour la famille KAMSI
Marie-Thérèse, monsieur Pierre TCHIENGUE, monsieur Patrice
TCHOUPE EKEUH, monsieur Philippe EKEUH, madame Solange FOYOU, madame Florance
SATCHA, qui ont faits preuve de beaucoup de patience et de soutien pendant mes
six années d'études universitaires et qui en feront autant pour
les autres à venir.
Page V
RÉSUMÉ
Ce mémoire interroge la pérennité de
l'esthétique picaresque dans la littérature française
actuelle, ceci à travers un corpus littéraire composé de
deux oeuvres romanesques à l'instar de L'histoire de Gil Blas de
Santillane (1735) et Onitsha (1991) écrites respectivement
par Alain René Lesage et Jean-Marie-Gustave Le Clézio. Ceci dit,
sur quels ressorts se fonde l'esthétique picaresque pour
représenter la marginalité ? Peut-on parler de modalités
picaresques ? Sur quels principes le picaresque se repose-t-il pour
réécrire les mentalités d'une civilisation donnée ?
A partir de cette problématique, nous érigeons les
hypothèses selon lesquelles le picaresque est une esthétique
marxiste représentant une forme de marginalité. Cette
esthétique est atemporelle dans la mesure où elle se sert de la
satire dans l'intention de réécrire une autre histoire des
mentalités. Ainsi, à l'aide de la théorie de la
transgénéricité développée par Dominique
Moncond'huy et Henri Scepi et de la critique sociologique de Lucien Goldman,
nous montrons que le picaresque, à travers sa modalité satirique,
met en relief une vision du monde. Le picaresque se transpose en
idéologie, porte le costume d'atemporalité tout en se
revendiquant comme moyen d'agir du bas social à travers des
péripéties rocambolesques liées à la
marginalité, une violence verbale comme symbole d'un regard marxiste
posé sur la société.
MOTS CLÉS
Picaresque - satire sociale - marginalité -
Marxisme - imaginaire
Page VI
ABSTRACT
This dissertation examines the sustainability of picaresque
aesthetic in the current French literature. This is done through a corpus
composed of two novels such as L'histoire de Gil Blas de Santillane
and Onitsha written respectively by Alain-René Lesage and
Jean-Marie Gustave Le Clézio. However, in which basis the picaresque
aesthetic focuses on to represent marginality? Can we talk about picaresque
modalities? On what principles, does this genre is concentrated to rewrite the
mind-sets of a given civilization? From these questions, we notice the
picaresque is a Marxist aesthetic which represents a form of marginality. This
aesthetic is timeless as far as possible because it uses satire in the
intention to rewrite another history of mentalities. Therefore, from the both
transgénéricité theory developed by Dominique
Moncond'huy and Henri Scepi and structuralisme
génétique, a sociological theory by Lucien Goldman, we carry
out that the picaresque aesthetic, through its satirical modality, highlights a
vision of the world. The Picaresque becomes an ideology, wears the uniform of
timelessness and claims itself as a way of acting of the bas social
through weird events bound to the marginality, verbal violence as far as a
symbol of a Marxist view on the society.
KEYWORDS
Picaresque - Social Satire - Marginality - Marxism -
Imaginary
LISTE DES ABRÉVIATIONS
LGBS : L'histoire de Gil Blas de Santillane
Page VII
Page VIII
SOMMAIRE
Dédicace iii
Remerciement iv
Résumé .v
Abstract vi
Liste des abréviations vii
Introduction générale 9 PREMIÈRE
PARTIE : DE LA MISE EN SCÈNE DE LA MARGINALITÉ A
L'ÉCRITURE
DU SOCIAL 28
Chapitre 1 : Personnages et marginalité
30
Chapitre 2 : la satire sociale : une forme marxiste du
picaresque 44
DEUXIÈME PARTIE : LES MODALITÉS
ESTHÉTIQUES DU PICARESQUE 61
Chapitre 1 : La structure fonctionnelle du récit
picaresque .63
Chapitre 2: La mise en scène du langage picaresque
: les formes satiriques 75
TROISIÈME PARTIE : LE PICARESQUE : UNE AUTRE
HISTOIRE DES
MENTALITÉS 94
Chapitre 1 : Modes de résistance du bas social
96
Chapitre 2 : Picaresque et Littérature : une
vision du monde .109
Conclusion générale 120
Bibliographie ..123
Page 9
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Les motivations du choix du sujet et
justification
Le genre romanesque m'a toujours fasciné, son
élaboration, son esthétique et surtout les
péripéties que l'auteur y accorde une place indéniable.
Les romans lus la plupart du temps ne se ressemblent pas. Parfois à
cause de leur différence au niveau du temps, parfois à cause de
la vision du monde propre à chaque écrivain digne de ce nom.
Cette différence observée à la lecture de chaque roman
m'ont alors permis de m'interroger sur les genres ou types de romans. J'ai
constaté que je tombais toujours sur un genre particulier de roman, et
ce dernier me fascinait au regard du protagoniste mis en scène, les
actions que ce dernier entreprend pour se sortir des difficultés. Il
s'agit bien entendu du roman picaresque. La découverte du picaresque
comme genre romanesque a donc finir par attiser ma curiosité. En quoi
elle consiste ? Quel historique dégage-t-il, du moins d'où
provient-il ? La découverte originelle du picaresque a été
ce qui m'a plus motivé à m'interroger sur l'empreinte de ce genre
de roman dans la littérature française.
Originalité et intérêt du
sujet
Le picaresque est un genre romanesque qui s'exprime en
priorité dans les récits espagnols du siècle d'Or. Sa
venue dans la taxinomie littéraire apparaît en réaction aux
romans pastoraux et chevaleresques1. Il est essentiellement
subversif puisqu'il se démarque aussi bien par sa forme que par un
univers éthique auquel il voue une priorité indéniable.
Cela explique pourquoi d'aucuns pensent que « le genre picaresque s'est
posé en s'opposant » (Bodo B., 2005 :21) aux genres
médiévaux. Autrement dit, le picaresque est une esthétique
de révolte. Son esthétique se transpose d'un point de vue
diachronique en une idéologie, en défenseur des valeurs humaines
et se veut engageante. Le picaresque se conçoit comme un miroir de la
société de par son goût pour l'observation morale et celui
de la raillerie. La satire sociale en est une modalité essentielle de
son écriture. Dans le picaresque, le héros s'initie à
faire face
1 Les livres pastoraux et de chevalerie sont des
récits en prose qui relatent les vaillantes aventures d'un guerrier
extraordinaire, le chevalier errant, paradigme des vertus héroïques
et sentimentales. Ces romans, héritiers des valeurs
médiévales, amour, vaillance, foi, sacrifice, loyauté,
associent le service dû à la dame aimée aux aventures. La
guerre (contre les païens), l'amour, l'honneur (à travers la
loyauté et le sacrifice) constituent les sujets majeurs du
chevaleresque. En somme, le chevaleresque et le pastoral sont l'écriture
de la noblesse : noblesse du héros, de la matière, du langage.
Ces genres sont conservateurs et apologétiques dans la mesure où
il offre à son lecteur qu'un monde artificiellement parfait et
peuplé de figures trop exemplaires qui ne visent qu'à valider et
soutenir la pensée officielle.
Page 10
aux multiples difficultés de l'existence à
travers des aventures typiquement périlleuses et rocambolesques.
Pour des critiques de genre comme Maurice Molho ou encore
Edmond Cros, le picaresque est une esthétique littéraire ayant
vécu uniquement entre le XVIe et le XVIIe siècle en Espagne. Le
véritable roman picaresque serait donc aujourd'hui
considéré comme disparu. Par conséquent, il ne se
constitue plus comme un genre à part entière étant
donné qu'il n'obéit pas au même contexte historique de sa
genèse. Cependant, notre travail démontre au contraire la
permanence du picaresque dans le discours littéraire français.
Ainsi, l'objet de ce mémoire est de redéfinir le picaresque afin
de montrer la pérennité de son esthétique dans la
littérature française actuelle. Pour que cela soit
réalisable, nous fondons notre réflexion sur un corpus
littéraire composé de deux romans : L'histoire de Gil
Blas de Santillane et Onitsha, respectivement
écrits par Alain-René Lesage et Jean-Marie-Gustave Le
Clézio. Le choix de ces deux oeuvres repose sur le fait qu'ils mettent
en relief le caractère atemporel du picaresque. Ceci étant,
L'histoire de Gil Blas de santillane s'avère
donc indispensable dans l'analyse de notre sujet dans la mesure où elle
se caractérise par une empreinte culturelle espagnole. Par ailleurs,
elle est considérée par les critiques comme le modèle du
picaresque en France. A elle seule, elle est déjà une
évolution au niveau de son esthétique et se revendique être
un imaginaire de pérennité du picaresque. Quant à
Onitsha, elle est choisie parce qu'elle dégage les
critères de la contemporanéité liée au picaresque :
l'initiation du héros à la question de la classe sociale et aux
difficultés de l'existence.
Problématique et
hypothèses
Notre mémoire pose un problème de genre. Ceci
étant, poser le fondement de la pérennité du picaresque
dans la littérature française actuelle, nous permet de formuler
les problématiques suivantes. Comment se manifeste le picaresque dans
les textes de notre corpus? Sur quels ressorts se fonde t- il pour
représenter la marginalité ? Peut-on parler de modalités
picaresques ? Si oui comment se construisent-elles ? Quels rapports
s'établissent entre le picaresque et l'Histoire ? Sur quels principes ce
genre se repose-t-il pour réécrire les mentalités d'une
civilisation donnée ?
Une telle problématique, nous permet de proposer les
hypothèses suivantes : le picaresque est un genre de nature marxiste
représentant une forme essentielle de la marginalité. Les
outils
Page 11
satiriques font du picaresque un genre atemporel. Le
picaresque réécrit l'histoire des mentalités d'une
civilisation donnée.
Cadre théorique et
méthodologique
Les approches théoriques et méthodologiques que
nous considérons les mieux adaptées pour mettre en exergue la
problématique de notre analyse sont la
transgénéricité et le structuralisme
génétique de Lucien Goldman.
Pour ce qui est de la critique transgénérique,
notre choix s'est porté sur elle dans la mesure où elle fonde sa
méthode sur le transfert des compétences d'un genre
littéraire dans un autre et d'une époque à une autre. Ceci
dit, la trangénéricité s'est donnée pour
tâche - par le biais de la transtextualité
développée par Genette Gérard - d'insister sur le
phénomène de la transversalité d'un genre dans un autre ou
encore la traversée d'un genre d'un siècle à un autre. Car
comme le signale Josias Semujanga (2001 : 156 )
Transgénérique ne [signifie] nullement absence
de cultures nationales ni de genres littéraires, mais refus de toute
vision homogénéisante de l'écriture, de tout principe
privilégiant des canons reconnus d'emblée comme légitimes.
En effet, la prévision qu'implique un système stable est
contraire à l'écriture agissant comme transformation, comme
processus instable et même comme insolence vis-à-vis des canons
esthétiques. [...] les oeuvres [...] transgénériques vont
se multiplier, opérer des déplacements de plus en plus inattendus
et renouveler les genres classiques.
On note que les esthétiques littéraires à
travers leur univers générique ne se constituent pas seulement
comme appartenant à une période fixe et figée mais elles
sont également atemporelles et peuvent dans certaines mesures fonder
d'autres esthétiques. Dans cette perspective, en partant du postulat de
la différenciation entre les genres littéraires, nous arrivons
à rendre compte du phénomène de l'intertextualité
et de la transtextualité.
Cela dit, la transgénéricité ou encore
« genre de travers2 » est une critique qui découle
de plusieurs théories développées autour du genre
romanesque. En ce qui concerne son histoire, nous faisons d'abord appel
à Bakhtine Mïchael qui dans son ouvrage critique
Esthétique et théorie du roman3 (1978)
donnait les canons essentiels permettant d'observer le phénomène
de la transversalité dans le discours littéraire. Ainsi le genre
romanesque ne s'exprime mieux qu'à travers une « polyphonie »,
un « plurilinguisme » voire une « polyculturalité »
dans la
2 Concept développé par Dominique
Moncond'huy et Henri Scepi dans leur ouvrage collectif né à
l'issu d'un colloque intitulé Les genres de travers :
littérature et transgénéricité. Ces termes
sont utilisés pour mieux étayer le concept de la
transgénéricité qui se repose sur une
expérience de la traverse et de la transversalité d'une
esthétique littéraire par une autre.
3 Traduction en 1978 par les éditions
Gallimard
Page 12
mesure où on peut identifier dans un échantillon
de texte plusieurs esthétiques ou schèmes textuels qui
s'entrecroisent et s'entremêlent. Le genre romanesque devient donc un
dialogue entre deux ou plusieurs cultures. Bakhtine parle d'ailleurs de «
dialogisme » permettant d'expliquer le fait que le roman soit la «
manifestation historico-littéraire du métissage culturel, [...]
et serait dès l'origine le point de rencontre de plusieurs dialectes, de
discours multiples encore perceptibles » (Valette, 1992 :42). Bakhtine
marque ainsi le premier pas quant à identifier le roman comme une
traversée des genres en théorisant son concept de «
dialogisme ».
En s'inscrivant dans la même vision du texte romanesque
que son contemporain Bakhtine, Julia Kristeva apporte un plus dans l'analyse du
texte romanesque. Ainsi, cette essayiste théorise le concept de l'
« intertextualité ». Ce terme est employé pour la
première fois dans son essai sur Bakhtine « le mot, le dialogue et
le roman » mais c'est dans sa Révolution du langage
poétique (1974) qu'elle confère au mot «
intertextualité » une définition délégitimant
les axes de l'écriture romanesque. Ainsi on comprendra que « le
terme d'intertextualité [est] la transposition d'un (ou de plusieurs)
système(s) de signes en un autre » (59). De ce fait, l'objectif de
l'intertextualité de Kristeva est de montrer comment la
littérature est créée et comment elle se constitue parmi
des univers pluriels et hétérogènes. Ainsi,
lorsqu'on dit qu'un texte individuel est intertextuel, cela ne veut pas dire
uniquement que ce texte est joint à un autre à travers des traces
concrètes, au contraire, cela signifie que toute oeuvre se constitue
à travers les autres. Selon Kristeva, le processus de lecture a plus
d'importance que le processus d'écriture de l'auteur dans la
création de liens et de rapports entre une oeuvre et d'autres qui l'ont
précédée ou suivie (60). Par conséquent, dans une
étude intertextuelle, ce n'est pas l'intention seule de l'auteur qui
compte, ce sont également les perceptions par le lecteur des traces
d'autres textes. L'intérêt de toute recherche intertextuelle est
d'étudier comment la cohabitation des textes produit de nouvelles
significations.
Gérard Genette (1992) opère dans le même
sillage que Kristeva mais oriente sa conception de l'intertextualité au
même titre que meta- extra- archi- et hypertextualité comme des
sous catégories de ce qu'il nomme de «
transtextualité4 ». Ainsi dans son ouvrage
Palimpsestes, la littérature au second degré, il
définit l'intertextualité comme « d'une manière sans
doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou
plusieurs textes, c'est-à-dire [...], par
4 Dans Palimpsestes - La Littérature au second
degré, l'auteur définit la transtextualité, ou
transcendance textuelle du texte, par tout ce qui met un texte en relation,
manifeste ou secrète, avec d'autres textes. La transtextualité
est donc selon lui un terme général qui englobe toutes sortes de
relations textuelles où « l'on voit un texte se superposer à
un autre qu'il ne dissimule pas mais laisse voir par transparence ».
Page 13
la présence effective d'un texte dans un autre »
(7-8). Pour lui les pratiques de la citation5, du
plagiat6 et de l'allusion7 sont en effet pour lui des
exemples de l'intertextualité par excellence, puisqu'elles
témoignent de la présence locale d'un texte dans un autre. La
conception genettienne de l'intertextualité comme faisant partie
intégrante du concept de la transtextualité marque ici un pas
vers la critique transgénérique. Puisqu'en fin de compte et comme
le signale d'ailleurs Eric Bordas (2005 : 231) :
À l'heure actuelle, dans l'analyse littéraire,
la transtextualité en est venue à signifier tout
phénomène de changement, d'évolution, d'un support textuel
à un autre, et elle comprend, par exemple, la réécriture
en prose d'un texte en vers et l'adaptation d'un récit en pièce
de théâtre.
La critique de Genette sur la transtextualité marque
ainsi un point fort de toute analyse de réécriture, des reprises
ou encore de survivances d'une esthétique littéraire à
travers le temps et l'espace. Cette critique ouvre le champ sans aucun doute
à la notion de transgénéricité.
Dominique Moncond'huy et Henri Scepi (2008) apportent
d'ailleurs une nette appréhension sur l'écriture
transgénérique dans leur ouvrage les genres de travers : la
transgénéricité. Ils trouvent que la théorie
de la transgénéricité repose en effet sur le :
Passage, croisement, interférence, intersection,
télescopage, les termes abondent qui pourraient efficacement
décrire ces phénomènes esthétiques, formels et
rhétopoétiques qui font de l'oeuvre littéraire à la
fois une traversée des genres et un espace traversé par les
genres. [...] Il s'agit des relations intergénériques qui
favorisent le glissement d'un genre vers un autre, selon une logique de
l'attraction, de l'interpolation ou de la contamination,
génératrice de phénomènes d'hybridation ou de
montage hétérogène. Mais ce glissement, par quoi peut
toujours se révéler une « volonté d'affranchissement
sans limites » du créateur, s'ordonne aussi et d'abord en un
faisceau de rapports et de discours qui, de l'intérieur du texte,
commandent des attitudes interprétatives et des comportements de lecture
voués à configurer les modes d'intelligibilité de
l'oeuvre.(8)
A partir de ces mots, qui paraissent définitoires de la
chose transgénérique, on comprend qu'elle accorde une place non
seulement à toute esthétique pouvant être identifiée
dans un seul genre littéraire ou encore la pérennité d'un
genre à travers des siècles. Ainsi, la
transgénéricité pourrait se définir comme une
pratique littéraire qui utilise différents genres ou
esthétiques romanesques dans un même texte, d'une période
à une autre. De ce fait, on note sans doute le concept
d'hybridité textuelle qui est en effet, l'esthétique qui nait de
la jonction ou du moins de la rencontre entre plusieurs esthétiques
littéraires. Nous parlons ici en connaissance au regard du lien entre le
picaresque et le satirique. L'entremêlement des genres
5 Un emprunt très explicite et littéral
avec guillemets, avec ou sans référence précise.
6 Un emprunt moins explicite et moins canonique, non
déclaré mais encore littéral.
7 Un énoncé dont la pleine
intelligence suppose la perception d'un rapport entre lui et un autre auquel
elle renvoie.
Page 14
peut se faire à l'aide de n'importe quel genre et peut
se faire à n'importe quel moment dans le texte (Hamelin, 2010 :6).
Tout compte fait, la critique transgénérique
nous permet, au regard de la problématique que pose le présent
travail, d'insister, d'une part, sur l'alliance archétypale qui lie le
picaresque au satirique et, d'autre part, sur les modalités majeures qui
confèrent au picaresque son immortalité à travers des
siècles.
Cependant, si la transgénéricité s'appuie
effectivement sur les motifs picaresques pour mettre en relief la
traversée du picaresque dans les oeuvres à travers des
siècles, l'appel à la critique sociologique nous permet d'asseoir
ce genre dans son un contexte bien défini, dans son milieu social afin
de montrer, d'un point de vue diachronique, comment le picaresque travaille les
marges de la société.
Ceci étant, nous faisons donc appel au
structuralisme génétique de Lucien Goldman pour analyser
notre corpus. Ce choix s'est orienté vers la critique sociologique car
elle considère le texte littéraire comme le reflet de la
société. A partir de ce postulat, la littérature semble
donc être un fait social. Autrement dit elle se conçoit comme le
reflet d'une conscience collective réelle et donnée dans la
mesure où elle met en relief l'oeuvre littéraire comme
correspondant à la structure mentale d'un groupe social bien
élaboré. Vu les concepts de notre analyse, c'est-à-dire le
picaresque à travers sa satire sociale, nous pensons que la sociologie
de la littérature est la mieux indiquée pour permettre de
comprendre le groupe social - la basse classe - où prend corps le
picaro.
Lucien Goldman (1964) théorise en sociologie de la
littérature une méthode qui nous semble beaucoup plus pratique
pour atteindre notre but : il s'agit du structuralisme
génétique. Inspiré des travaux de Georges
Lukács, de Girard sur l'esthétique du roman et de la critique
marxiste, l'approche sociologique de Goldmann décèle chez ces
prédécesseurs des manquements sur la correspondance exclusive de
contenus8 car « la vie sociale ne saurait s'exprimer
sur le plan littéraire [...] qu'à travers la chaine
intermédiaire de la conscience collective ».(42-43) Il
considère que le structuralisme génétique
parvient plus facilement à mieux dégager les liens
nécessaires en les rattachant à des unités
collectives dont la structuration est beaucoup plus facile à mettre en
lumière. Pour lui :
8 Goldmann trouve que la sociologie
littéraire orientée vers le contenu a souvent un
caractère anecdotique et s'avère surtout opératoire et
efficace lorsqu'on étudie des oeuvres de niveau moyen ou
des courants littéraires, mais perd progressivement tout
intérêt à mesure qu'elle approche les grandes
créations.
Page 15
Le structuralisme génétique part de
l'hypothèse que tout comportement humain est un essai de donner
une réponse significative à une situation
particulière et tend par cela même à créer un
équilibre entre le sujet de l'action et l'objet sur lequel elle porte,
le monde ambiant. (338)
On voit ici que cette méthode fait un effort de
dégager des relations nécessaires entre les
phénomènes. Ceci dit, les tentatives de mettre en relation les
oeuvres culturelles avec les groupes sociaux en tant que sujets acteurs
s'avèrent beaucoup plus opératoires que tous les essais de
considérer l'individu comme le véritable sujet de la
création littéraire. Vu que le picaresque semble être une
esthétique toujours vivante aussi bien chez Lesage que chez Le
Clézio à travers sa modalité satirique, ceci suppose que
:
Le caractère collectif de la création
littéraire provient du fait que les structures de l'univers de
l'oeuvre sont homologues aux structures mentales de certains groupes
sociaux ou en relation intelligible avec elles. (345)
On comprends ici que le groupe social constitue un processus
de structuration qui élabore dans la conscience de ses membres des
tendances mentales affectives, intellectuelles et pratiques, vers une
réponse cohérente aux problèmes que posent leurs relations
avec la nature et leurs relations interhumaines. Comme l'affirme Goldmann
(1964):
Le grand écrivain est précisément
l'individu exceptionnel qui réussit à créer dans un
certain domaine, celui de l'oeuvre littéraire [...], un imaginaire,
cohérent ou presque rigoureusement cohérent, dont la structure
correspond à celle vers laquelle tend l'ensemble du groupe. (347)
Ainsi, le structuralisme génétique voit
donc dans l'oeuvre littéraire un des éléments
constitutifs les plus importants de celle-ci, celui qui permet aux membres
d'un groupe de prendre conscience de ce qu'ils pensent, sentent et font sans en
savoir objectivement la signification. De ce fait, la critique de Goldmann
s'avère opératoire, quand il s'agit d'étudier les chefs
d'oeuvre de la littérature mondiale.
Présentation et résumé des
oeuvres du corpus
L'histoire de Gil Blas de Santillane est
écrite entre 1715- 1735. C'est l'histoire de Gil Blas, le fils d'un
écuyer, élevé par son oncle et quitte le domicile tutoriel
pour des études supérieures à Salamanque. Beaucoup de
péripéties rendent impossible cette entreprise. Par sa
stupidité, il est dupé au cours de son voyage et voit la fortune
de sa vie à venir s'envoler. La contrainte le pousse à devenir
tour à tour volage, gueux et servent de petit maitre pour faire aux
multiples pièges des villes espagnoles. Accusé injustement,
emprisonné puis libéré, il rencontre Fabrice à
Valladolid qui le soutient dans la majorité de ses entreprises. Ayant
accumulé de petits métiers les uns après les autres dans
une course folle dans toute l'Espagne, il retourne dans sa
Page 16
contrée natale auprès de son père-tuteur
agonisant. Il y épouse Antonia et rejoint enfin la cour sous la tenue de
protégé du roi et favori du comte d'Olivares. Suite à
d'autres événements malencontreux, il devient veuf. Au
crépuscule de sa vie, il épouse Dorothée et devient
père de plusieurs enfants.
En ce qui concerne Onitsha, il est publié en
1991 aux éditions Gallimard. Ce texte est écrit par Jean-Marie
Gustave Le Clézio. ce texte relate des aventures périlleuses de
trois personnages au coeur d'Onitsha, une contrée nigériane sous
les baies de Biafra. Il s'agit de l'histoire de Fintan, Maou, Geoffroy : trois
rêves, trois révoltes et une même soif. A l'âge de
douze ans, Fintan Allen débarque en Afrique avec sa mère. Il
arrive plus précisément à Onitsha, une ville au sud-est du
Nigeria pour rejoindre Geoffroy son père qu'il ne connait pas. Ce
dernier est en service à l'United Africa. Durant ces
années à Onitsha, Fintan découvre une l'Afrique
croupissant dans la misère et ce, sous les yeux des colons despotiques.
La rencontre avec une Afrique bien différente de ses imaginations
dépasse cruellement ses attentes. Ici c'est un conformisme oppressant,
celui du milieu colonial fait de haines, de mesquineries et d'échecs
inavouables. Fintan mène de son côté une existence volage
et marginal, se révolte contre son père, contre ce nouveau monde
et passe ses journées dans les plantations avec de jeunes Noirs
dépravés. Il refuse d'obéir aux lois interdisant tout
rapport avec les Noirs. Il finit par quitter Onitsha pour une pension en
Angleterre lorsque la guerre éclate sur la baie de Biafra.
Revue de la littérature
Le picaresque est une esthétique romanesque qui
revendique l'idéologie des écrivains de la basse classe
communément nommée Tiers-état. Ces derniers, dans leurs
récits, font une satire acerbe des moeurs tout en insistant sur
l'injustice causée par l'institution des classes et sa division. Le
fossé existant entre la noblesse et la classe des paysans est un
problème majeur pour ces écrivains. De ce fait, ils
réclament une société de justice tout en tournant en
dérision l'esprit noble et apologétique des hommes de la cour.
Ceci s'observe lorsqu'on interroge l'étymologie du vocable «
picaresque ».
Maurice Molho (1990) citant Pierre Sanchez affirme que
l'adjectif picaresque vient de l'espagnol picaresco. Celui-ci
découle du substantif picaro signifiant tour à tour
« un personnage de basse extraction, sans métier fixe, serviteur
aux nombreux maîtres, incessant voyageur, vagabond, voleur, mendiant,
lâche » (306). Ces différents qualificatifs contribuent
à la construction de la figure du picaro en littérature
et donnent à l'esthétique picaresque des connotations aussi bien
péjoratives que revendicatrices. C'est la raison pour laquelle le
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picaresque devient une esthétique de révolte, de
révolution par le biais de son esprit de satire des moeurs. Ceci dit,
les premiers romans picaresques naissent en Espagne au siècle d'Or.
L'Espagne devient donc le lieu d'ancrage du récit picaresque dans la
mesure où elle est fortement « picarisée » (Souiller,
1980 :16). Il naît ici les textes canoniques picaresques. Ainsi, c'est en
1554 que le premier récit picaresque voit le jour. Dans un univers
castillan, La Vie de Lazarillo de Tormes, écrit par un anonyme,
vient s'opposer aux genres pastoraux et de chevalerie déjà connus
comme les esthétiques les plus prisées de l'Espagne
médiévale et destinées à une classe sociale
particulière : la noblesse. On note que cet auteur axe sa recherche sur
l'étude philologique du terme « picaresque ». Ceci dit, il
n'interroge en aucun cas la pérennité de l'esthétique
picaresque dans la littérature française.
Manuel Montoya (2006), pour sa part, signale plutôt
cette rupture que prétend amorcer le picaresque espagnol lorsqu'il
affirme que :
Le roman dit picaresque réagit à sa façon
contre d'autres genres romanesques qui ont connu un succès immense,
même après la parution du Lazarillo. Il s'agit du roman
pastoral et du roman de chevalerie dont les thèmes et les structures
sont d'après Mateo Aleman obsolètes et dignes d'une autre
époque. (112)
Pour elle, dans le roman picaresque, la préoccupation
quotidienne est de survivre et cet objectif constitue déjà une
aventure à part entière. En prenant directement la parole et en
retraçant les origines modestes, le héros picaresque
réclame le droit d'exister et d'aspirer au mieux dans une
société où, en définitive, les plus démunis
sont suffisamment nombreux pour qu'une telle requête soit
considérée comme pleinement légitime.
Nous notons que Manuel Montoya focalise son attention dans la
comparaison du roman picaresque aux autres romans en vogue dans la
littérature européenne médiévale. Il montre que le
picaresque a apporté une révolution au niveau du genre
romanesque. Il ne parle en aucun cas de la pérennité de ce genre
à travers les siècles.
Pour Sonia Marta Mora Escalante (1994), les oeuvres
picaresques sont nées en Espagne. Pour elle, ces ouvrages semblent
obéir à la naissance du picaresque dans la mesure où :
En [se] référant à la tradition
picaresque, [on se] limite, pour l'instant, aux romans picaresques du
Siècle d'Or espagnol. [...] Les critiques sont d'accord sur le fait que
Lazarillo de Tormes (1554), Guzmân d'Alfarache (1599 et
1604) et le Buscôn (1626) occupent une place capitale dans cette
production textuelle ; [...] ces ouvrages constituent un élément
actif du système littéraire en vigueur dans la
société [espagnole]. (82)
On note que le picaresque entre donc, avec des
virtualités sémantiques très puissantes, dans le processus
de composition que suppose son écriture en Espagne entre le XVIe et le
XVIIe
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siècle. Satirique et caricaturale, cette
esthétique est, pour Sonia Marta, un violent manifeste contre les romans
chevaleresques et pastoraux très prisés durant la grande
période médiévale. Ces romans ayant comme centre
d'intérêt l'amour, l'honneur, la foi, le merveilleux, l'imaginaire
guerrier des croisades, se retrouvent ainsi reléguer au second rang. Le
picaresque met fin à cet élan de superficialité et
transpose la société et ses maux dans ses récits. Il est
mordant et se veut dénonciateur des tares dont l'Espagne du
Siècle d'or fait semblant d'ignorer, ceci en privilégiant les
procédés satiriques. Nous constatons également que cette
auteure ne privilégie en aucun cas l'esprit atemporel qui se manifeste
dans l'écriture du picaresque à travers les âges.
Pour Gilles Del Vecchio (2011) dans son analyse du roman
picaresque se focalise sur le modalité essentielle de cette
esthétique. Ainsi il affirme :
Après un demi-siècle de succès, le roman
de chevalerie est concurrencée par de nouveaux genres [...] Le voyage et
l'aventure rattachant le roman byzantin au roman de chevalerie : l'amour et la
tendance à l'idéalisation rattachent les romans pastoraux au
genre chevaleresque. Le Lazarillo, considérée comme le
texte fondateur du roman picaresque, s'éloigne radicalement du roman de
chevalerie. La noblesse du comportement ne trouve pas sa place dans l'oeuvre,
les personnages de sang royal ont disparu au même titre que les combats
et sentiments amoureux. [...] Lazarillo, en affichant la bassesse de ses
origines, tourne le dos à une société qui, en dépit
des difficultés qui se présentent à elle, conserve un
penchant immodéré et déplacé pour la
généalogie. (16)
A partir ce qui précède, on comprend que, pour
cet auteur, le picaresque depuis ses origines est effectivement comme
susmentionné une esthétique de révolution. Une
révolution aussi bien sur le plan social que sur le plan de
l'esthétique littéraire. Le picaresque réclame sa
liberté et fonde l'esthétique romanesque de la
génération suivant le Siècle d'or espagnol de par se. La
pensée de cet auteur est ici limitée car il focalise son
étude sur les modalités de l'esthétique picaresque ceci au
vu de ses origines fictionnelles, contrairement à nous qui insistons que
ce qui fait l'immortalité de l'esthétique dans la
littérature française.
Bodo Cyprien (2005) dans sa thèse de doctorat
L'esthétique picaresque dans le roman subsaharien d'expression
française fait une étude sur l'emprunt du picaresque dans le
roman africain comme le symbole d'un legs colonial. Ceci dit, avec la
montée en puissance des discriminations sociales, l'esthétique
picaresque est mise en avant grâce à son personnage principal qui
semble revendiquer un récit romanesque centralisé sur une vie de
gueuserie et de vagabond étant donné qu'enfin de compte comme
l'affirme Bodo Cyprien (2005 :24):
Le chevaleresque est [...] la littérature des
aristocrates [...] Le personnage chevaleresque se maintient vers le haut, le
personnage picaresque est issu du bas, des
Page 19
profondeurs de la société [...] Le picaro est
déclassé, un marginal, la négation de la noblesse.
Ces différentes attributions forment la figure du
personnage picaresque. Il s'agit effectivement du picaro. Ce-dernier devient
donc la nouvelle muse qui fascine les nouveaux romanciers par ses traits
caractéristiques non chevaleresques et revanchards face à
l'injustice qui sévit de façon perpétuelle dans la
société. Autrement dit, on assiste pour ainsi dire à un
protagoniste du roman désemparé. De ce fait, Body Cyprien (2005)
citant Souiller Didier dénombre comme modalités atemporelles :
La naissance est infamante quant à l'origine du
héros, une éducation négligée et de mauvais
traitements dont il est victime, l'abondance des thèmes comme l'errance,
l'apparence, la faim, le destin, l'amour impossible. Quant à la
structure du texte, Soullier constate que le récit [obéit
à des règles] : l'itinéraire géographique
(matériel et spirituel), le passage par différents maitres, les
récits librement insérés ou les histoires
indépendantes. (27)
On note ici une révision des critères du
picaresque des origines pour l'inscrit au-delà du XVIe et XVIIe
siècle. Toutes les autres littératures européennes
s'inscrivent dans ce sillage. Ici le picaresque devient incontournable en ce
qui concerne son action, celle de faire une observation virulente des
problèmes de la société. Ainsi pour Bodo Cyprien, le
picaresque revêt une armure de révolte et donne pour rôle de
changer le monde. Agissant sur l'inconscient et l'imagination, le picaro incite
l'homme à faire ressortir l'animal, le mauvais et la perversité
qui sont logés dans son for intérieur. D'un point de vue
formelle, on assiste ainsi à une narration qui ne se limite plus
seulement à la première personne mais continue à s'ouvrir
au réalisme, à la satire sociale, à un personnage de basse
classe - mendiant, des délinquants, des orphelins, servants,
bâtards - et à une lutte pour la survie dans un environnement
hostile et chaotique. Toutefois, nous notons que l'analyse de Bodo Cyprien se
limite à l'emprunt du picaresque dans la littérature africaine
noire pour expliquer la misère qui mine le quotidien des héros
dans le roman du continent noir. Son analyse est aussi limitée car il ne
s'interroge sur les modalités esthétique qui rendent le
picaresque atemporel voire éternel.
En ce qui le concept de « satire », il convient de
s'interroger sur sa définition et sur son essence qui semble primordial
pour mettre en exergue le rôle qu'elle joue dans l'esthétique
picaresque. Avant d'attribuer une quelconque définition à ce mot,
il convient de noter que la satire prend son essor dans l'antiquité
gréco-latine. A cet effet, Doumet Christian (1999 : 944) affirme:
Dans l'antiquité latine, [la satire représente
un] poème de rythme narratif, mais de développement souvent
dramatique, qui réalise l'union de la raillerie mordante et de la
leçon de morale.
Page 20
En paraphrasant ces dires, Doumet pense que la satura
- salade, macédoine - a été longtemps un vocable
populaire pour désigner toutes sortes de jeux dramatiques,
hétéroclites sur des sujets et de mètres variés.
Toutefois, l'honneur revient à Lucilius (IIe siècle avant J.C) de
faire de ce « mélange », une forme stable. Ses Satires
(1978-1991), écrites en hexamètre dactylique,
prennent pour sujet des travers qu'on ne cessera après lui de fustiger :
le ridicule du luxe, des plaideurs, la goinfrerie, les erreurs de gouts ou
parler. Horace recueillant l'héritage de ce dernier va orienter la
satire vers la forme plus dramatique d'une causerie morale. Cependant, en ce
qui concerne Juvénal, il met dans ses Satires (1658) plus
d'indignation et plus d'amertume lorsqu'il s'en prend à la noblesse, aux
débauchés, au luxe ou au fanatisme.
Après avoir présenté l'historique de la
satire, on peut définir la satire comme un style d'écriture
littéraire dans lequel l'auteur pose un regard critique, moralisant sur
les phénomènes sociaux. La satire juge, apprécie, refuse
et tente d'améliorer les structures aliénantes de l'espace dans
lequel vit l'homme. Elle peut être considérée comme la voie
royale des esthétiques littéraires. La satire se propose de se
nourrir des humeurs de l'écrivain. En effet, quelle que soit l'action
que mène un écrivain, la satire se réclame une prise de
position, une forme d'engagement. La satire se présente, cependant,
comme un thème très prisé dans les littératures en
générale et en particulier dans la littérature
française.
Comme mentionnée plus haut, la satire est à
l'origine une écriture politique. Sa démarche en France va donner
à la littérature une orientation virulente. Elle s'affirme
à la Renaissance avec les auteurs tels que Marot, Rabelais, Montaigne,
Du Bellay. C'est au XVIIe siècle que le modèle de la satire
latine essaimera. Ici, elle prend un essor considérable et par là
devient une idéologie qui transparait dans toute oeuvre publiée
à cette époque. Cette satire place l'homme au centre de toute
attention et tente de peindre les structures aliénantes de l'homme. De
ce faire, la satire se veut rigueur, clarté, efficacité et
morale. A ces termes, on voit les clés de voûte de sa
théorisation. Ce sont tous les auteurs du classicisme qui s'abandonnent
à ce style d'écriture originaire des anciens (Dans la querelle
des anciens et des modernes notamment). On assiste à des textes
satiriques tels que La satire de Ménippée et Les 17
satires de Mathurin Régnier (1608 - 1613). Sa corrélation
à cette époque se veut venimeuse.
Pour Tournand (2005), la satire se réclame comme une
valeur messianique, celle de vouloir éradiquer le mal qui avilit
l'homme. On peut le remarquer à partir de l'extrait de Tournand (2005 :
87) :
Page 21
Il faut donc bien admettre que, malgré les silences
nécessaires, les hommes du 17e siècle n'ont pas
été par leurs siècles des juges complaisants. La sottise
des individus, l'injustice de la société, les horreurs du pouvoir
ont trouvé tout au long du siècle des censeurs pleins de
vigilance. Constatons, toutefois, que, fidèles à l'esprit de leur
temps, ces écrivains ont fait porter leur critique bien plus sur les
hommes que sur les institutions. Les critiques les plus audacieuses en
matière politique par exemple s'adressent aux âmes et aux
caractères.
De ce qui précède, on voit que cette satire
qu'on pourrait dans une certaine mesure qualifier de « classique »
est fort évidente chez les auteurs tels que La Rochefoucauld, La
Bruyère, Pascal et Boileau. Ce dernier publie le plus grand ouvrage sur
les Satires (1666) de son temps dans lequel il répertorie douze
satires résumant l'esprit de critique de la société
française au XVIIe siècle. On note de ce qui
précède que cet auteur se livre uniquement à
répertorier les différentes modalités qui font la satire
dans les oeuvres littéraires classiques. Il ne traite à aucun
moment la satire en rapport avec l'esthétique picaresque.
Dans son dictionnaire des oeuvres littéraires
françaises, Laurence Bourgault (2000), dit qu'avec les auteurs du
XVIIIe siècle, cette aventure devient aussi
représentative qu'au XVIIe bien que bercée de
philosophie. Les auteurs tels que Marivaux, Voltaire, Rousseau et surtout
Lesage perpétuent le satirique dans leurs ouvrages. Elle est mordante,
caricaturale, moralisante, et avilissante car elle se veut la voie par
excellence de l'accès à la perfection. Ici, l'utilité de
la satire s'est affirmée, elle qui, dénonçant les
méchants, corrigeant les abus, rendait à la société
policée les mêmes services moraux que toute haute
littérature. Laurence Bourgault (2000 : 195) dans son texte dit du
XVIIIe siècle qu'il résume toutes les autres satires.
A cet effet, elle déclare :
S'il s'agit d'instruire, il faut donc toucher. L'objectif se
double d'une méthode : on cherchera l'amusement, on fera rire. Tous les
procédés comiques sont déjà mis en oeuvre par
Horace, Perse. [...] c'est de la fantaisie rabelaisienne et du « coq
à l'âne marotique » que les hommes de la Pléiade
malgré leur innovation tiennent beaucoup de leur manière de faire
[...]. Mais le verbe s'est fait plus coulant, la langue pure et surtout la
matière s'est renouvelé : sous Boileau et après lui, la
satire, sans renoncer à l'actualité, aborde volontiers les
problèmes de théorie et les lieux communs de la morale.
On remarque qu'au XVIIIe siècle la satire est de plus
en plus violente. Il aime mordre et poindre. Il suffit de peu de chose pour que
les voies du comique deviennent celles du naturel. Le satirique se propose
d'imiter les actions humaines mais avec plus de simplicité pour les
tourner en dérision. Comme le remarque encore Bourgault « Chez
Aristote, chez Régnier, chez Furetière et chez Boileau, le vrai
semblable se trouve ainsi au niveau de la réalité quotidienne et
l'oeuvre prend un parfum d'authenticité vécue » (2000 :194).
Cette auteure se
Page 22
contente également d'établir une histoire de la
satire en France et ne touche en aucun moment le lien entre le picaresque et la
satire.
En somme, les ouvrages théoriques susmentionnés
produits sur la thématique de la satire ne confrontent en aucun moment
l'esthétique picaresque en rapport avec la satire sociale qui la
hiérarchise.
En ce qui concerne notre analyse du picaresque dans la
littérature française actuelle, notre choix s'est porté
comme déjà mentionné plus haut sur deux textes
littéraires, tous écrits par des auteurs français. Il
s'agit de l'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René
Lesage et Onitsha de Jean-Marie-Gustave Le Clézio.
Alain-Réné Lesage a marqué l'esprit de
son temps. Il se démarque au XVIIIe siècle par ses ouvrages
colorés d'un univers hispanique. Nous pensons ici à ces
principaux chefs d'oeuvres Le diable boiteux (1707) et L'histoire
de Gil Blas de Santillane (1715). La particularité de Lesage se
réside dans le fait qu'il met toujours ses personnages dans un espace
défini, celui de la société espagnole comme si ses
histoires trouvent plus de crédibilité dans un univers castillan.
Il s'inspire d'ailleurs des romans typiquement espagnols pour reproduire
d'oeuvre illustre à la française, preuve d'autant faite avec
Réné Garguilo (1991 : 222) qui trouve que :
Lesage rend hommage aux « façons de parler
figurées » aux « images bizarres » et aux «
pensées extraordinaires » de Vêlez de Guevara, mais cela ne
valait que pour l'Espagne. Les Français qui, dit-il, "ont la justesse et
le naturel en partage" ne sauraient accepter les excès d'imagination et
de plume des auteurs espagnols.
On note que Lesage définit ici sa méthode pour
la production de ses romans. Lesage copie en "accommodant". Ainsi, dans le pire
des cas, il n'y aura pas plagiat, mais adaptation et dans le meilleur des cas,
il y a tout simplement « naturalisation » de l'oeuvre espagnole et
création originale d'une écriture française. Une
manipulation culturelle caractérise l'écriture lesagienne. Dans
ses romans cadencés des traits castillans, il se permet de supprimer
toutes les allusions à la vie espagnole réelle au profit à
celles de la vie française mais en gardant quand même un
décor typique à l'Espagne et une couleur locale comme par exemple
des amants qui vont « chanter leurs peines ou leur plaisir » sous les
balcons de leurs maitresses. (Garguilo, 1991 :224). Par ailleurs, Lesage se
comporte, à travers des oeuvres, en moraliste qui observe, qui
collectionne les anecdotes et surtout dessine des caractères. C'est la
raison pour laquelle Réné Garguillo affirme que :
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Ses oeuvres les meilleures, son Diable, son Gil
Blas, représentent exactement ce qu'aurait donné une
collaboration littéraire entre La Bruyère et Scarron: des «
caractères » insérés dans un « roman comique
». Il y avait du La Bruyère en Lesage mais sans doute guère
de Scarron... C'est pour cela qu'il est allé chercher son Scarron en
Espagne. [...] Dans le Diable boiteux comme plus tard dans le Gil
Blas, Lesage ne perd jamais de vue que son but est de peindre la
société française de son époque et d'en faire la
satire. Il lui arrive aussi, comme à ses modèles espagnols de
hausser le ton et de méditer sur la condition humaine. (225)
De ce qui précède, on comprend que l'oeuvre de
Lesage s'implante dans son univers et prend effet à partir de son action
à perpétuer l'ordre établi par les moralistes
français du XVIIe siècle9 et de la littérature
espagnole10.
Avec l'histoire de Gil Blas de Santillane, le
moraliste et le censeur des moeurs de temps Alain-René Lesage portera le
costume de picaro mais dans une France de la Régence derrière le
décor particulièrement espagnol.
Le choix de ce texte du XVIIIe siècle pour notre
analyse repose essentiellement sur son statut de roman français
picaresque. Didier Souiller (1980 : 78) trouve d'ailleurs que « c'est le
seul roman français indiscutablement picaresque ». On assiste donc
à l'évolution d'un personnage, bourgeois et philosophique qui
rejoint un fantasme ou une réalité de son siècle, celui de
la Régence et des premières années du règne de
Louis XV. Ayant les modalités requises pour conférer à
l'esthétique picaresque toute sa valeur en France, L'histoire de Gil
Blas de Santillane met en scène certes, un réalisme pas
convaincant car il n'échappe pas aux clichés, mais semble
être un roman à la croisée des chemins, une oeuvre rococo
dans la mesure où elle interroge à sa façon le monde,
chercher à exprimer la variété de l'univers en se servant
de la légende d'un héros comme fil conducteur. Ainsi, avec
René Garguillo (1991) on comprend que dans son roman :
Lesage ne se contente pas de transférer le picaresque
de la culture espagnole à la culture française. Il se sert du
picaresque à d'autres fins. Alors que le picaresque espagnol se donnait
pour tâche de montrer les aléas de la fortune dans l'existence
pittoresque d'un picaro, avec parfois une réflexion sur la
destinée humaine; le picaresque de Lesage peint des caractères
et, pour l'essentiel, fait la satire de la société
française. (228, 229)
La matière et le langage du picaro guidant ce texte
montrent qu'il est en effet d'un picaresque qui s'est actualisé.
Onitsha comme susmentionné est écrit
par JMG Le Clézio en 1991, publié aux éditions
Gallimard
9 En référence ici à La
Rochefoucauld et La Bruyère.
10 En référence ici à
Vélez de Guevara ou encore Vicente Espinel
Page 24
Pour commencer, cet auteur est considéré dans
l'histoire de la littérature française contemporaine comme
l'auteur le plus en vue, ceci par le biais de l'immensité de ses
ouvrages. Du Procès-verbal (1963) à la ritournelle
de la faim (2008), Le Clézio s'inscrit dans le sillage d'un
écrivain en perpétuelle évolution. Son oeuvre
échappe d'ailleurs pour la plupart aux classifications
génériques et maintient son statut subversif et
indépendant. C'est la raison pour laquelle d'aucuns comme Nadine Thomas
(2001) ou encore Ouanghari Abdallah (2009) pensent que l'écriture le
clézienne traduit les diverses influences qui l'ont marqué, les
problèmes auxquels il fait face et la thématique majeure dans
laquelle il inscrit son oeuvre. Ainsi, ce qui sous-entend l'ensemble de
l'oeuvre de Le Clézio et en constitue la cohérence significative
profonde, c'est le dynamisme d'une quête philosophique qui met le lecteur
d'aujourd'hui au centre de diverses préoccupations quotidiennes. On
comprend donc avec Ouanghari Abdallah (2009 : 1) que :
L'oeuvre de JMG Le Clézio se veut un témoignage
de son époque, elle est représentative de la condition humaine et
sociale qui caractérisait la deuxième moitié du XXe
siècle. Son oeuvre, tout en interrogeant la société
moderne sur ses principes et valeurs déchus, dépeint le malaise
existentiel de l'individu moderne en quête d'un ailleurs où son
identité recouvrera sa quiétude. Parallèlement elle
s'interroge sur elle-même et remet en question paradigmes et structures
légués par la tradition romanesque. Cette attitude subversive et
innovatrice inscrit l'oeuvre de Le Clézio dans une perspective de
quête pour un renouveau littéraire, ce qui lui a valu le
qualificatif d'oeuvre inclassable.
On note ici que Le Clézio est un écrivain qui
s'inscrit effectivement dans le sillage des romanciers engagés puisqu'en
fin de compte son écriture est mise au service de l'humanité.
Toutefois, Le Clézio refuse toute tentative de systématisation de
son écriture et reste ouvert à toutes les influences. Il
débride son écriture et lui tolère tous les excès.
Jean Ominus (1994 :7) caractérise cette écriture d' «
étrange, audacieuse, un constat à la fois terrible, cruel et
drôle, un accent jamais entendu »
Le choix d'Onitsha comme second texte du corpus n'est
pas anodin car elle met en scène un jeune héros, Fintan,
dans une procédure d'apprentissage et de formation. Pour Madeleine
Borgomano (1993 : 243) :
Nouvelle recherche du temps perdu, onitsha s'inscrit
explicitement dans le sillage de modèles anciens, romans
d'apprentissage, roman d'initiation. La construction classique du texte est
soulignée par les titres des quatre parties : « un long voyage
» ; « Onitsha » [...], « Aro chuku » [...]. Le voyage
est bouclé par un retour, clôture géographique et
narrative, institué par le dernier titre, « Loin d'Onitsha »,
comme exil irrémédiable.
En effet, on comprend que ce roman se démarque des
autres textes le cléziens, parce qu'il obéit à certaines
règles d'écriture du picaresque. Ainsi, Onitsha utilise
des tournures
Page 25
linguistiques mordantes liées au picaresque pour
peindre une société coloniale aux moeurs décadentes, une
société où l'esclave ayant une origine infâme est
marginalisé par le despotisme de la haute classe et donc obligé
de se coller l'étiquette d'être vil, errant et vagabondant pour
survivre aux inégalités sociales.
On note que cette auteure traite Onitsha comme un
roman d'initiation, un roman d'apprentissage, ce qui peut laisser croire
qu'elle fait exprès d'ignorer le coté picaresque de ce roman.
C'est à cela que ce roman paraît primordial pour montrer le
picaresque qui transparaît à la lecture de ce roman
leclézien.
Nadine Thomas (2001 :506) dans son article consacré
à Onitsha affirme :
Le Clézio dénonce les codes d'une
société coloniale uniformisée, mais plus
généralement il s'en prend aux principaux vices de notre
société moderne occidentale : le matérialisme, la
frivolité, la vanité, l'arrogance, l'égocentrisme,
l'esprit de conquête, la soif de possession et d'exploitation sans
limite, le manque de respect vis-à-vis de tous ceux qui sont autres,
différents, l'ethnocentrisme aberrant. Dans cet esprit de domination,
tous les individus sont séparés les uns des autres, rivaux.
On voit donc que ce texte est en effet une véritable
prise de position, un cri de colère face à la souffrance d'une
société victime d'une bipolarisation exacerbée et
où les riches doivent automatiquement dominés ceux qui portent le
statut de déshérités, de déclassés. Cet
auteur toujours le coté satirique de ce roman de Le Clézio sans
toutefois relevé le coté picaresque qui y fait
l'unanimité. C'est face à ce manquement que notre étude
retrouve sa nécessité épistémologique.
Tout compte fait, la mise en commun de ces deux textes vient
du fait qu'ils développent des motifs liés au picaresque
érigé dans les oeuvres espagnoles. Et les études
susmentionnées ne confrontent en aucun moment les deux textes afin de
montrer le coté picaresque qui s'y observe d'un point de la forme que du
fond. C'est face à ces manquements que notre mémoire se veut le
porteur d'étendard pour réorienter les études
précédemment menées sur notre sujet et les oeuvres
constituants le corpus d'analyse. C'est pourquoi, nous avons trouvé
avisé de prendre une oeuvre traditionnelle11 et une oeuvre
contemporaine12 pour montrer comment se pérennise le
picaresque dans la littérature française.
11 Il s'agit de l'histoire de Gil Blas de
Santillane.
12 Il s'agit d'Onitsha.
Page 26
Plan
Notre travail s'organise en trois parties constituées
de deux chapitres chacune. Dans la première partie, nous montrons
comment le picaresque organise le texte littéraire à travers une
écriture du social. Dans cette partie, l'accent est mis sur les
schèmes lexicaux et sur les strates sémantiques qui construisent
le discours social. Ainsi dans le chapitre 1, nous insistons sur le
caractère marginal du personnage picaresque et arrivons à montrer
comment il devient antihéros à force de travailler les marges
d'une société injuste et discriminatoire. Le personnage
picaresque - anti-héros - arrive ainsi à ériger la satire
comme une des modalités essentielles du genre. Quant au chapitre 2, nous
revisitons la dimension marxiste du picaresque en analysant ses ressorts
satiriques. Ici, notre analyse met tour à tour un accent particulier sur
le dévoilement des instances sociales, sur le climat conflictuel qui
articule les rapports entre les différentes classes sociales et sur une
relecture du bas social. Et, ce sont justement ces modalités
que découvre la deuxième partie de ce travail.
En effet, ayant ainsi mis en lumière les
éléments constitutifs, fondamentaux du picaresque, notre
réflexion peut alors dévoiler les modes d'agir du picaresque.
Parti d'une approche structurale, nous nous intéressons à la
disposition des éléments qui mettent en scène de
manière particulière le discours picaresque. Ainsi au chapitre 1,
nous focalisons notre attention sur l'étude d'une structure
fonctionnelle de la pérennité du picaresque dans les deux textes.
À partir d'un parallélisme établi au regard des romans
picaresques canoniques, nous montrons que la structure interne de ces
récits obéit à l'esthétique picaresque. Ici, les
modalités structurelles du picaresque telles qu'un
héros-narrateur, des récits épisodiques, hybrides et
hétéroclites et une autobiographie fictive nous permettent de
montrer la picaricature13 de notre corpus. C'est dans ce contexte
qu'au chapitre 2, nous nous attelons à montrer qu'effectivement le
picaresque s'appuie sur un tropisme dont les outils essentiels sont la
caricature, l'ironie, l'humour et le sarcasme, eux-mêmes modes
particuliers d'une expression satirique conférant aux textes choisis
pour cette étude une verve subversive et polémique. Nous
aboutissons à un discours sur le réel qui se veut
pamphlétaire.
Après avoir ainsi montré le picaresque dans
toute sa complexité, la troisième partie de notre travail est
enfin en mesure d'affirmer qu'il est possible de réécrire
l'histoire des mentalités à travers ce genre. En effet, nous y
arguons que l'esthétique picaresque, en prenant appui sur les modes de
fonctionnement de la satire, nous révèle une autre histoire de la
résistance et
13 Mentalité picaresque
Page 27
constitue une forme particulière d'engagement qui
revendique liberté et justice. Le chapitre 1 de cette partie montre
comment le picaresque déconstruit l'idéologie dominante. Ici
l'accent est mis tour à tour sur la satire comme une érection de
la problématique de l'agence, la virulence des mots comme le symbole du
langage picaresque et le picaresque pris comme une identité commune aux
auteurs qui semblent ainsi réclamer l'ascension du bas social.
A ce titre, le picaresque a une dimension marxiste indéniable.
Comme le suggère le chapitre 2, le picaresque est l'expression d'une
vision du monde qui repose sur le principe même de l'abolition des
classes sociales et, partant, de la discrimination et de l'injustice. Le
picaresque est ainsi par-dessus tout, liberté et suggère que le
picarisme devient une philosophie qui transcende le temps et l'espace. En tant
que « genre de travers » le picarisme vient rétablir une
harmonia mundi détruite par la montée spectaculaire
d'une bourgeoisie fondée sur un individualisme outrancier.
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PREMIÈRE PARTIE : DE LA MISE EN
SCÈNE DE LA MARGINALITÉ A
L'ÉCRITURE DU SOCIAL
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Le picaresque est avant tout, une écriture de la
marginalité encrée dans un univers social. De ce fait, le
héros picaresque ou tout simplement le picaro est alors appelé
à se mouvoir et présenter le bas social toute sa
profondeur, ceci par le biais ses aventures et péripéties
pittoresques au coeur de la classe ouvrière. Ainsi dans cette partie,
nous nous permettons de mettre en relief l'univers picaresque qui se manifeste
dans les textes choisis pour notre présent travail. Ceci se manifeste
bien entendu dans la mise au point des différentes modalités qui
confèrent au picaresque tout son esthétique et sa vision du
monde. Ainsi nous ouvrons cette partie de notre travail en insistant sur les
personnages et leurs attributs marginaux. Ce qui nous permet par la suite d'en
déduire une écriture du social dont les auteurs s'y
attèlent de façon subversive tout en dévoilant les
misères causées par la séparation des classes ;
d'où une particularité marxiste que nous attribuons à la
satire sociale. Ceci dit, nous voulons ainsi montrer que le picaresque n'est en
réalité qu'une esthétique marxiste dans la mesure
où son rôle est de dévoiler les dégâts
orchestrés par la division des classes sociales.
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CHAPITRE 1 : PERSONNAGES ET MARGINALITÉ
1. Le personnage picaresque : un héros hors du
commun. Molho Maurice (1996) déclare qu' :
On qualifie ordinairement de picaresques un ensemble de romans
espagnols qui, sous forme autobiographique, racontent les aventures d'un
personnage de basse extraction (le picaro), sans métier, serviteur aux
nombreux maîtres, volontiers vagabond, voleur ou mendiant (243).
Ces différents qualificatifs traversent et font la
particularité du picaresque. Le picaresque serait dont
l'esthétisation de son personnage principal, du picaro. L'histoire
de Gil blas de Santillane d'Alain-René Lesage s'inscrit dans ce
sillage à travers son personnage Gil Blas. Ce dernier est un personnage
auquel on reconnaît toutes les caractéristiques du picaro.
Bourgeois de naissance et mendiant naïf, il devient dupe et vit de petits
métiers. Il multiplie des sales besognes afin d'atteindre les hautes
marches de la société. Mais il ne baisse pas les bras, continue
son périple pour enfin atteindre une ascension sociale fulgurante. Rien
de plus désireux que de rester riche tout le long de sa vie. C'est
à cette quête qu'aspire le personnage picaresque.
Par ailleurs, en parlant de la trame narrative du roman
picaresque, Sonia Fajkis (2009 : 38) trouve que :
La situation initiale des héros se ressemble : la
famille ou son substitut manque à son rôle principal : aucun d'eux
ne reçoit l'instruction nécessaire pour éviter les dangers
qui pourraient guetter dans le monde. Au moment où ils restent seuls
face à face avec la société qui leur est hostile, ils ne
sont pas encore capables de distinguer le mal du bien, le mensonge de la
vérité.
Le picaresque serait alors l'histoire d'un enfant qui devient
adulte, aussi l'histoire d'un enfant naïf et innocent qui devient un
fripon et qui, au bout d'un certain nombre d'aventures cesse de
l'être.
Pour revenir à L'histoire de Gil Blas de
Santillane, son héros souffre bien, se promène à
travers les différentes couches sociales à la recherche du
nécessaire pour survivre. Son voyage aussi bien initiatique que
filiatif, est un long chemin de représentation qui se réclame
être caricaturale. Caricature de la société et caricature
du quotidien noir de l'homme. Son aventure, pourtant une aventure au bout de
l'abjection n'est rien comparée à son ascension finale vers les
hautes marches de la société. Il deviendra tour à tour
valet, homme de chambre, fripon, voleur, dupeur, seigneur et noble.
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Tout comme Lesage, Le Clézio donne naissance à
Fintan, un personnage nous dirons, néo picaresque14. Pourquoi
ce terme ? Parce que dans Onitsha, l'écriture Le
clézienne à travers Fintan n'obéit pas forcément
à l'esthétique picaresque des origines mais on remarque une
certaine permanence, une sorte d'écho picaresque. Le personnage ou du
moins le héros n'est certes pas picaro dans le sens traditionnel du
terme, néanmoins, on remarque une certaine « reprise » ou du
moins une « renaissance du picaresque » dans ce récit pourtant
écrit à l'ère contemporaine. Ceci dit, Onitsha
par le biais de sa verve satirique et le goût poussé pour
l'aventure, s'inscrit dans le même sillage d'un roman picaresque car il
développe des thématiques liées au picaresque que l'on
considère comme écho. Car comme le dit Vaillancourt (1994 : 7)
dans son article « représentation » :
Le picaresque reste une forme ouverte, adaptable à de
nouvelles conditions sociohistoriques, qu'il ne fournit pas qu'un arsenal de
procédés, un éventail de recettes où puiser
à discrétion, mais qu'il reste une structure repérable,
souple et capable d'entretenir des échanges fructueux avec d'autres
systèmes narratifs.
C'est dans ce contexte mentionné par Vaillancourt
Pierre-louis que s'inscrit le roman de Le Clézio. Car, étant un
roman postmoderne et postcolonial, ayant subi l'influence du Nouveau
Roman15, il se démarque de ses contemporains et s'identifie
à ce qu'Albères (1968 : 46) disait dans sa renaissance
picaresque :
Dès que l'évocation romanesque touche aux
réalités matérielles, sociales ou politiques du monde des
années 60, elle se fait sarcastique, turbulente, pittoresque,
picaresque. Il semble que, depuis la seconde guerre mondiale jusqu'à nos
jours, la planète n'ait offert que des spectacles attristants.
L'exotisme a disparu, chassé par le tourisme. La peinture sociale a
cédé la place au désordre social ; l'observation des
moeurs s'est effacée devant l'incongruité des nouvelles formes de
vie. Le roman européen est devenu picaresque
14 En rapport avec la contemporanéité
(écriture contemporaine)
15 Le Nouveau roman est un mouvement de la
littérature romanesque du XXe siècle, regroupant quelques
écrivains appartenant principalement aux Éditions de Minuit. Le
terme fut employé la première fois par Bernard Dort en avril
1955, puis repris deux ans plus tard, avec un sens négatif, par
l'Académicien Émile Henriot dans un article du journal Le Monde
du 22 mai 1957, pour critiquer le roman la Jalousie d'Alain Robbe-Grillet. Dans
Pour un Nouveau Roman, édité en 1963, Alain
Robbe-Grillet réunit les essais sur la nature et le futur du roman. Il y
rejette l'idée, dépassée pour lui, d'intrigue, de portrait
psychologique et même de la nécessité des personnages.
Repoussant les conventions du roman traditionnel, tel qu'il s'était
imposé depuis le XIXe siècle et épanoui avec des auteurs
comme Honoré de Balzac ou Émile Zola, le nouveau roman se veut un
art conscient de lui-même. La position du narrateur y est notamment
interrogée : quelle est sa place dans l'intrigue, pourquoi raconte-t-il
ou écrit-il ? L'intrigue et le personnage, qui étaient vus
auparavant comme la base de toute fiction, s'estompent au second plan, avec des
orientations différentes pour chaque auteur, voire pour chaque livre. En
revanche, en 1956, Nathalie Sarraute avait déjà interrogé
le roman et récusé ses conventions dans son essai
l'Ère du soupçon. Son oeuvre romanesque est la mise en
pratique de sa réflexion théorique. Ainsi, le Nouveau Roman
veut renouveler le genre romanesque qui date de l'Antiquité. Le
sentiment premier qui guide les nouveaux romanciers est donc le renouveau. Pour
cela, l'intrigue passe au second plan, les personnages deviennent subsidiaires,
inutiles, s'ils sont présents ils sont nommés par des
initiales.
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Ainsi, se revendiquant être une filiation picareque,
Onitsha s'opère sur la fictionnalisation de la vie de l'auteur
et s'ouvre un tant soit peu sur cette esthétique que nous qualifions
bien entendu de picaresque.
En revanche, l'esthétique du roman a toujours
accordé une très grande valeur à la question du personnage
principal. Des romans courtois, chevaleresques, et pastoraux nés au
moyen âge, aux romans réalistes et nouveau roman apparus
successivement à l'époque contemporaine, le personnage principal
occupe une place non négligeable et se réclame être
l'élément primordial de toute poétique romanesque. Ainsi
avec Bakhtine (1978), un roman s'est révélé une
esthétique propre, un genre obéissant à un imaginaire
social assez précis et parfois l'identité de son auteur. C'est
pourquoi, il affirme à cet effet que : « le personnage principal se
présente presque toujours comme vecteur des points de vue de l'auteur
» (97). Cela signifie que le personnage romanesque peut être une
somme des observations et des virtualités de son auteur. Dans ce cas, il
nous aidera à déceler les rêves, les frustrations ou
à suivre l'évolution de la pensée de son créateur ;
le sens qu'il attribue à une réalité historique et sociale
aussi fictive qu'elle soit.
1.1. La naissance ignoble des héros
La condition de subsistance du héros, les relations que
ce héros entretient avec les autres personnages du récit imposent
toujours réflexion dans une esthétique romanesque. La vie du
jeune héros occupe néanmoins une place
prépondérante dans l'esthétique picaresque. Ainsi les
textes canoniques picaresques - la vie de Lazarillo de Tormes (1554),
La vie de Guzman d'Alfarache (1600) Le Buscon (1626) - ont
défini et mis un accent particulier sur la condition de la naissance du
héros. Rejeton d'une famille pauvre, il grandit sans père et dans
certains cas sans mère, le jeune picaro est appelé à
affronter le monde avec toutes ses misères. Sa naissance paraît
donc infâme. Ce type de naissance se réclame être ce qui
permettra au picaro de lui conférer une identité
antihéroïque. C'est pourquoi Cevasco (2013 :107) trouve qu' :
Il est évident que le récit de la naissance du
pícaro est un élément récurrent, et qui
s'avère fondamental pour positionner le héros dans la
société où il vit. Sa naissance se révèle,
de plus, une naissance ignoble : sa famille est toujours composée par
une mère prostituée ou concubine, et par un père plus ou
moins absent. En tous cas, le pícaro se retrouve seul face au monde
quand il est encore très jeune.
Ceci s'observe au regard de la naissance nos différents
protagonistes. Que ce soit Gil Blas ou Fintan, ils obéissent à
une naissance similaire. D'abord, le Gil Blas de Santillane voit le jour dans
des conditions très difficiles, son père écuyer et sa
mère femme de chambre n'ont pas assez de moyens pour s'occuper de
l'éducation de ce jeune prodige. Il est confié à son
oncle
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maternel Gil Perez, un ecclésiastique, pour qu'il fasse
de lui un jeune garçon de bonne éducation. C'est dans cette
situation que Gil grandit sans connaitre réellement ses parents. Leur
présence n'a pas été indispensable car Gil Blas s'adaptera
à la nouvelle vie que son oncle devra lui imposer. Sa naissance est
ignoble ici à cause l'absence de la chaleur parentale et surtout
maternelle. Ce manque est bien entendu la cause des différentes
tribulations que cet antihéros devra vivre tout au long du texte.
L'extrait suivant met en relief assez bien la naissance de Gil Blas :
Blas de Santillane, mon père, après avoir
longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se
retira dans la ville où il avait pris naissance. Il y épousa une
petite bourgeoise qui n'était plus de sa première jeunesse, et je
vins au monde dix mois après leur mariage. Ils allèrent ensuite
demeurer à Oviédo, où ma mère se mit femme de
chambre, et mon père écuyer. Comme ils n'avaient pour tout bien
que leurs gages, j'aurais couru risque d'être assez mal
élevé, si je n'eusse pas eu dans la ville un oncle chanoine. Il
se nommait Gil Perez. Il était frère aîné de ma
mère et mon parrain. [...] Il me prit chez lui dès mon enfance,
et se chargea de mon éducation. Je lui parus si éveillé,
qu'il résolut de cultiver mon esprit. Il m'acheta un alphabet, et
entreprit de m'apprendre lui-même à lire ; ce qui ne lui fut pas
moins utile qu'à moi ; car, en me faisant connaître mes lettres,
il se remit à la lecture, qu'il avait toujours fort
négligée, et, à force de s'y appliquer, il parvint
à lire couramment son bréviaire, ce qu'il n'avait jamais fait
auparavant. (LGBS, 5)
On note à partir de cet extrait que Gil Blas est
jeté dans un monde hostile très tôt. Ses parents ne peuvent
pas l'offrir une enfance digne vu leur statut de
déshérités de la société vaincu par la
misère. L'enfant Gil Blas subit très tôt la souffrance
d'être abandonné par ses propres parents. Pris de pitié
pour ce petit bout d'homme, son oncle prend l'entière
responsabilité de lui assurer une existence bourgeoise.
En ce qui concerne Onitsha, bien plus contemporain
que le Gil Blas, il laisse aussi entendre un écho picaresque qui nous
pousse à affirmer que Fintan a aussi connu une naissance ignoble ceci
à travers l'extrait ci-dessous :
Fintan était né en Mars 36 dans une clinique
vétuste du Vieux Nice. Alors Maou avait écrit à Geoffrey,
une longue lettre dans laquelle elle racontait tout, mais elle n'avait
reçu la réponse que trois mois plus tard à cause de la
grève. (Onitsha, 130)
Le jeune héros nait durant un moment de tribulation :
la grève. L'absence de son père, partir plutôt en Afrique,
à sa naissance et pendant son enfance, montre aussi bien comment Fintan
connaît une naissance ignoble. L'enfance de ce jeune héros est
aussi désolante que celle de Gil Blas. L'absence de son père lors
de sa naissance et de son enfance est considérée comme une
condition ignoble parce qu'un enfant doit être entouré de ses deux
parents biologiques. Il connaît donc une enfance monoparentale. La figure
maternelle ici représentée en la personne de Maou remplace pour
lui ce père qu'il n'a jamais eu. On notera bien entendu une
extrême
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complicité entre la mère et son fils. Sans
oublier la grand-mère Aurelia qui sera aussi une figure importante pour
le développement normal de Fintan. Fintan ne connaît pas son
père et la découverte de celui-ci dans le récit sera pour
lui un moment non rêvé : il n'aime pas ce père. En effet,
Le Clézio le montre à travers les souvenirs qu'a Fintan sur le
surabaya :
Fintan avait les yeux pleins de larmes, sans trop savoir
pourquoi. Il avait mal au centre de son corps, là où la
mémoire se défaisait, s'effaçait. « Je ne veux pas
aller
en Afrique. » [... ] L'homme qui attendait,
là-bas, au bout du voyage, ne serait jamais son père.
C'était un homme inconnu. (Onitsha, 18-19)
A travers ce flash-back, on note une enfance triste chez
Fintan. Il ne sait rien à propos de son père et de traverser les
misères de l'Afrique pour aller à la rencontre de celui-ci qui
pour lui est quelque chose d'inconcevable. Il ne veut pas connaître
Geoffrey. La rencontre de celui-ci dans le récit sera pour lui un moment
de tourments et de désobéissance. La naissance d'une relation
conflictuelle entre un père et son fils causée par une naissance
déshonorée.
1.2. Des protagonistes marginaux.
Si l'on part du principe selon lequel le fait d'être
marginal correspondrait en effet à vivre en marge de la
société et à désobéir promptement aux
règles établies, alors ce statut de marginal est applicable aussi
bien à Fintan qu'à Gil Blas. Les deux antihéros vivent en
contradiction totale aux règles régies par les
sociétés dans lesquelles ils prennent corps. Gil blas revêt
son costume de pauvre gueux et s'opposer à toutes les lois
établies dans la société. Fintan pour sa part, refuse le
colonialisme, l'impérialisme oppressant et se range du côté
des marginaux Noirs tout comme sa mère pour défendre la cause des
Noirs.
Le Gil Blas de Santillane fait une représentation
exhaustive de ce qu'on appelle la vie de la marginalité. Durant tout son
parcours, ses périples et ses aventures, Gil Blas emploie la ruse, le
vol et même la tricherie pour s'en sortir dans des situations
oppressantes. Ayant toujours fait de sales travaux, la vie marginale est pour
lui une sorte d'identité à laquelle il ne peut échapper.
On pense ici bien entendu à son prétendu talent pour la
médecine chez le docteur Sangrado. Nous pensons également
à toutes relations que Gil Blas entretient avec les gens de mauvaises
conditions sans foi ni lois, qui utilisent tous les moyens s'offrant à
eux pour avoir accès aux vivres. Gil Blas adopte leurs méthodes
et se convertit en être rusé et dupant pour échapper
à certaines circonstances qui lui paraissent plutôt oppressantes.
C'est le cas lors de son séjour avec les voleurs d'Oviedo et la
première expérience qu'il acquit :
Après que le capitaine des voleurs eut fait ainsi
l'apologie de sa profession, il se mit au lit ; et moi je retournai dans le
salon, où je desservis et remis tout en ordre [...] Ils me parurent si
contents de moi, que, profitant d'une si bonne disposition : messieurs,
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leur dis-je, permettez que je vous découvre mes
sentiments. Depuis que je demeure ici, je me sens tout autre que je
n'étais auparavant. Vous m'avez défait des préjugés
de mon éducation. J'ai pris insensiblement votre esprit. J'ai du
goût pour votre profession. Je meurs d'envie d'avoir l'honneur
d'être un de vos confrères et de partager avec vous les
périls de vos expéditions. Toute la compagnie applaudit à
ce discours. On loua ma bonne volonté. (LGBS, 26, 29)
A partir de cet extrait on voit le processus de la
marginalité qui commence peu à peu à prendre effet chez
Gil Blas. De là, il apprendra à voler, à tromper et
à défier les règles régies par la
société pour s'en sortir. Il fait la prison :
Il fallut m'armer d'une nouvelle patience, me résoudre
à jeûner encore au pain et à l'eau, et à voir le
silencieux concierge. Quand je songeais que je ne pouvais me tirer des griffes
de la justice, bien que je n'eusse pas commis le moindre crime, cette
pensée me mettait au désespoir. Je regrettais le souterrain. Dans
le fond, disais-je, j'y avais moins de désagrément que dans ce
cachot. Je faisais bonne chère avec les voleurs. Je m'entretenais avec
eux, et je vivais dans la douce espérance de m'échapper ; au lieu
que, malgré mon innocence, je serai peut-être trop heureux de
sortir d'ici pour aller aux galères. (LGBS, 49)
Plus loin, Gil Blas exerce une fausse médecine pour
gagner sa vie. Au lieu de sauver des vies, ce dernier par le biais de son
maître le Docteur Sangrado s'amuse à traiter les patients avec des
potions non afférées dans le seul but de gagner de l'argent.
Ce-dernier lui permettra d'avoir de quoi se mettre sur les dents. Ses patients
et ceux du Docteur Sangrado succombent sur l'effet de leur machination
médicale et ceci les importe peu du moment que personne ne
soupçonne quelque chose :
Là-dessus le petit médecin se mit à
observer le malade ; et, après m'avoir fait remarquer tous les
symptômes qui découvraient la nature de la maladie, il me demanda
de quelle manière je pensais qu'on dût le traiter. Je suis d'avis,
répondis-je, qu'on le saigne tous les jours, et qu'on lui fasse boire de
l'eau chaude abondamment. A ces paroles, le petit médecin me dit en
souriant d'un air plein de malice : et vous croyez que ces remèdes lui
sauveront la vie ? N'en doutez pas, m'écriai-je d'un ton ferme. Ils
doivent produire cet effet, puisque ce sont des spécifiques contre
toutes sortes de maladies. Demandez au seigneur Sangrado ! Sur ce
pied-là, reprit-il, Celse a grand tort d'assurer que, pour guérir
plus facilement un hydropique, il est à propos de lui faire souffrir la
soif et la faim. Oh ! Celse, lui repartis-je, n'est pas mon oracle. Il se
trompait comme un autre, et quelquefois je me sais bon gré d'aller
contre ses opinions. Je reconnais à vos discours, me dit Cuchillo, la
pratique sûre et satisfaisante dont le docteur Sangrado veut insinuer la
méthode aux jeunes praticiens. La saignée et la boisson sont sa
médecine universelle. Je ne suis pas surpris si tant d'honnêtes
gens périssent entre ses mains. (LGBS, 90)
Aussi mauvais que soient les actions et actes posés par
Gil Blas, il n'a pas eu pour autant de choix. Il a fallu les poser pour
survivre dans un monde hostile. Ce croquis de la représentation de la
misère quotidienne traduit ici l'identité picaresque à
laquelle se revendique le texte de Lesage.
Pour ce qui est du texte de Le Clézio, son personnage
principal, Fintan, refuse de se conformer aux lois établies par les
colons, celles qui refusent de chercher toute amitié avec les
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Noirs. Fintan et sa mère Maou s'opposent d'une
façon extrême à ses lois discriminatoires, revendiquent
l'humanité des Noirs. Fintan préfère vivre en marge des
lois coloniales afin de s'opposer promptement aux exigences
préconçues par le Divisional Officer. Fintan traine avec Bony, un
jeune Noir plus âgé que lui. Il cause des multiples
problèmes administratifs à Geoffrey, son père qu'il
déteste. Ce dernier finit par être licencié car ses
confrères occidentaux trouvent d'un mauvais oeil que sa famille vienne
bouleverser le rythme qu'ils ont établi.
L'amitié de Fintan pour Bony est si vraie et candide
que les deux personnages sont presque inséparables dans le récit.
Les deux garçons passaient toutes leurs journées en marge de la
société, à accumuler des aventures à travers la
végétation luxuriante et à se promener tout au long des
plages d'Onitsha :
Fintan aimait cette descente vers la rivière. Le ciel
paraissait immense. Bony courait en avant dans les hautes herbes plus hautes
que lui. De temps en temps, Fintan apercevait sa silhouette noire qui glissait.
[...] Quand Fintan perdait de vue Bony, il cherchait la piste, les herbes
écrasées, il sentait l'odeur de son ami. Maintenant, il savait
faire cela, marcher pieds nus sans craindre les fourmis ou les épines et
suivre une trace à l'odeur, chasser la nuit. Il devinait la
présence des animaux cachés dans les herbes, les pintades
blotties contre un arbre, le mouvement rapides des serpents, parfois l'odeur
âcre d'un chat sauvage. (Onitsha, 180-181)
A partir de ce morceau choisi, on voit comment Fintan s'est
lié d'amitié avec un Nègre. Il s'ajourne avec les gens que
l'on considère de mauvaises conditions car ceux-ci n'appartiennent pas
à la même classe sociale que lui. Le fait de trainer avec les
vagabonds et s'identifier lui-même comme un vagabond prouve que Fintan
détient ici la figure de picaro.
Comme toute esthétique picaresque, le héros a un
vrai problème avec les règles. Il veut vivre de façon
autonome et sans censure. La liberté est pour lui quelque chose de
très importante et personne ne doit y porter atteinte. Il obéit
rarement à Maou ou à Geoffrey et à force de vagabonder
avec Bony, Fintan devient un vrai marginal, un être oisif. Ainsi
l'indique le passage suivant :
Fintan suivait Bony, sans ressentir la fatigue. Les ronces
avaient déchiré ses vêtements. Ses jambes saignaient. Vers
midi, ils arrivèrent aux collines. [...] Fintan regardait chaque
détail du paysage. Il y avait ici un très grand silence, avec
seulement le froissement léger du vent sur les schistes. Fintan n'osait
pas parler. Il vit que Bony contemplait lui aussi l'étendue du plateau
et la faille rouge. C'était un endroit mystérieux, loin du monde,
un endroit où on pouvait tout oublier. [...] Ils descendirent la pente
des collines vers le Nord. [...] [Bony] marchait lentement avec des gestes
étranges, comme s'il y avait un danger. Il conduisit Fintan un peu plus
haut le long de la rivière. [...] les arbres étaient immenses et
silencieux. L'eau était lisse et sombre. Le ciel devint très
clair, comme toujours avant la nuit. Bony choisit un endroit, sur une petite
grève, devant le bassin. Avec des branches et des feuilles,
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il fabriqua un abri pour la nuit, pour s'abriter du serein.
C'est là qu'ils dormirent, dans le calme de l'eau. Au petit matin, ils
retournèrent à Onitsha. (Onitsha, 182-184)
Le fait que Fintan dorme hors de la maison montre ici le
côté antisocial de ce héros. Malgré la douceur et la
naïveté de ce personnage, son essence de picaro commence à
se remarquer de façon flagrante. Il refuse la soumission et veut
découvrir les méandres du monde. Cet extrait nous montre une fois
de plus que ce texte de Le Clézio obéit aux exigences d'un roman
picaresque.
Lesage et Le Clézio mettent un accent particulier sur
la marginalité, à ce côté vagabond et aventurier de
leur personnage. De par le biais de leurs actions quotidiennes, on remarque
qu'ils sont atteints d'une sorte de névrose en ce qui concerne le
respect des lois et surtout lorsque celles-ci s'opposent à leur
désir d'assouvir leur penchant libertin.
2. Le dynamisme des héros
Le dynamisme ici théorisé découle de ce
pan marginal des héros du corpus. Ceci étant, le héros du
récit picaresque est considéré comme une force vitale dans
la mesure où il se caractérise par une instabilité
exacerbée. Il est perpétuellement en déplacement, ses
aventures le pousse à la marginalité. Ainsi, on comprendra avec
Cevasco (2013) que :
Le pícaro est par définition une figure
marginale : il ne peut qu'être exclu par le milieu dans lequel il agit,
à partir de sa propre famille. De cette manière, il ne se situe
ni du côté du bien ni du côté du mal : il est hors de
tout jugement. Le héros n'accepte jamais sa situation d'exclusion ou de
pauvreté. Et, en conséquence, il finit par entrer en conflit avec
la société. L'une des caractéristiques du personnage
picaresque est de ne jamais rester stable, ainsi que de refuser toute position
statique et toute résignation. (230)
C'est ce que l'on constate avec nos héros du corpus.
Gil Blas est en quête d'une existence meilleure. Dès lors, il va
d'un lieu à un autre, d'une maison à une autre. La
pauvreté et la quête de l'argent sont ses réelles
motivations. Il refuse de se soumettre aux lois ségrégationnistes
que lui impose la société. Pour lui il ne devra pas exister une
classe plus opulente et une classe plus misérable.
Avec Fintan, ses multiples voyages à travers l'Afrique
signalent une obsession pour l'instabilité. Les sentiments de
révolte qui l'animent tout au long du récit pour montrer les
misères coloniales traduisent ici son côté dynamique. Lui,
tout comme sa mère, refusent de participer aux mascarades coloniales
engendrées par l'administration blanche.
Ce caractère dynamique de nos héros du corpus
s'observe à travers le destin incongru auquel ils sont victimes, la
responsabilité de l'existence qu'ils prennent sur eux pour survivre
face
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aux situations de vie très défavorables. La
question de l'errance et la quête de filiation sont également les
éléments sur lesquels nous pouvons aussi insister pour montrer
que nos protagonistes sont bel et bien dynamiques.
2.1. Du destin incongru à la question de
responsabilité
La notion de destin est un élément qui
caractérise l'esthétique picaresque. Les personnages et surtout
le héros sont le plus souvent habitués à une vie de
tribulations. Ces tribulations proviennent nécessairement de leur vie
d'aventure et de gueux dans une certaine mesure. Très souvent
liée à la fatalité, le destin d'un picaro s'identifie dans
l'acceptation de sa condition d'être vil et d'aventurier. Une condition
qui d'après eux est voulu par le divin et donc ils font tout pour le
défier à voir de par leurs différentes quêtes vers
un bien-être existentiel. Un bien-être qui devra être
forcément acquis à travers des péripéties
rocambolesques. C'est le cas avec les textes qui constituent notre corpus. Que
ce soit Gil Blas ou Fintan, ces deux picaros ont un destin bien établi
et auquel ils ne pourront échapper. Ils luttent pour une existence
modèle et prennent sur eux la responsabilité de montrer aux yeux
du monde le malaise d'une vie de vagabond. Ils sont victimes du destin. C'est
pourquoi Molho Maurice (1968) a eu raison d'affirmer dans son introduction aux
romans picaresques espagnols que : « le destin sans faille constitue
l'hypothèse de toute pensée picaresque. » (xix)
Si on prend le cas du héros lesagien, ce dernier
connait une naissance et une enfance teintées du manque de d'affection.
Abandonné par ses parents, il est élevé par son oncle. A
la recherche d'un monde meilleur, il découvre ce monde dans toute sa
noirceur. Nous parlons ici en fondant notre analyse sur ses multiples
découvertes et séjours parmi les gens de mauvaises conditions
:
Le capitaine, en peu de mots, leur conta mon histoire, qui les
divertit fort. Ensuite, il leur dit que j'avais du mérite ; mais
j'étais alors revenu des louanges, et j'en pouvais entendre sans
péril. Là-dessus, ils me louèrent tous. Ils dirent que je
paraissais né pour être leur échanson, que je valais cent
fois mieux que mon prédécesseur. Et comme depuis sa mort,
c'était la señora Léonarde a qui avait l'honneur de
présenter le nectar à ces dieux infernaux, ils la
privèrent de ce glorieux emploi pour m'en revêtir. Ainsi, nouveau
Ganymède, je succédai à cette vieille Hébé.
(LGBS, 26)
Dans cet extrait, le destin de Gil Blas est scellé, il
est appelé à souffrir et à s'adapter aux nouvelles
conditions défavorables qu'il va devoir rencontrer et affronter pour
survivre. Son statut de gueux lui permet uniquement à avoir accès
aux métiers les plus avilissants du monde de la débrouillardise :
valets, hommes de chambre, jardinier, servant, et surtout échanson.
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Fintan pour sa part se lie à la cause noire. Fervent
opposant de l'impérialisme et du colonialisme du blanc, ce jeune blanc
est issu de la basse classe française. Il s'allie à sa
mère pour dénoncer l'horreur orchestré par ses
frères blancs sur Onitsha. Aventurier et anticonformiste, ce jeune
prodige nous fait la description de son « LONG VOYAGE » sur les
côtes africaines et surtout d'Onitsha. Une triste réalité
les anime, sa mère et lui :
C'était donc cela, l'Afrique, cette ville chaude et
violente, le ciel jaune où la lumière battait comme un pouls
secret. [...] sur la rade, le canot glissait vers la ligne sombre de
l'île. La forteresse maudite où les esclaves attendaient leur
voyage vers l'enfer. Au centre des cellules, il y avait une rigole pour laisser
s'écrouler l'urine. Aux murs, les anneaux où on s'accrochait les
chaînes. C'était donc cela l'Afrique, cette ombre chargée
de douleur, cette odeur de sueur au fond des geôles, cette odeur de mort.
Maou ressentait le dégoût, la honte. (Onitsha, 39)
A partir de ce passage, Fintan et Maou sont devant un
spectacle impressionnant. La véritable Afrique, pas l'Afrique des
rêves fleuris d'exotisme. Le destin a voulu que Fintan découvre
ainsi cette Afrique-là. Une Afrique aux couleurs de misère,
dévastée par la colonisation et à genou à cause de
l'impérialisme européen. De ce constat, l'empathie de Fintan et
de Maou se proroge. La mère et le fils se voit comme ceux-là qui
devront désormais porter le flambeau de la démystification des
actions mauvaises des colons. Ce passage nous le montre d'ailleurs :
Fintan ressentit une telle colère et une telle honte
qu'un instant il voulut retourner dans le salons des premières.
C'était comme si, dans la nuit, chaque noir le regardait, d'un regard
brillant, plein de reproches. [...] Alors Fintan descendit de la cabine, il
alluma la veilleuse, et il ouvrit le petit cahier d'écolier sur lequel
était écrit, en grande lettre noires, UN LONG VOYAGE. Et il se
mit à écrire en pensant à la nuit. (Onitsha,
64)
La responsabilité du héros Le clézien est
repérable. En fait, étant le rejeton d'une famille blanche, les
Noirs sur le Surabaya le tenaient à un moment donné pour
responsable de toute leur souffrance. N'ayant pas succombé au
découragement, Fintan accepte son destin de vivre la
réalité nègre et pour ce fait, il prend l'unique
responsabilité d'écrire pour la situation oppressante des
matelots noirs du navire. Il décrit avec honneur la cruauté de sa
propre race sur la race noire.
Gil Blas et Fintan peuvent être dans certaines
circonstances considérées comme les archétypes pour la
défense d'une cause noble. Malgré leur statut de pauvre picaro,
vivant en marge de la société, ces deux personnages observent
ladite société de près. Non seulement ils assument leur
destin de vagabond notoire, d'aventurier sans vergogne mais ils prennent leur
courage pour atteindre le but fixé. Ils savent que leur vie en
dépend. C'est pourquoi, ils vont devoir s'armer pour assumer les
responsabilités découlant d'un libertinage poussé.
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2.2. De l'errance géographique à la
quête de filiation
Pour saisir un peu mieux ce motif de l'errance
géographique dans les textes du corpus, nous allons parcourir l'origine
et l'évolution du terme. Dans son mémoire de Master I le
paradoxe de l'errance dans l'étoile errante de JMG Le
Clézio, Muelas HURTABO s'interroge sur l'étymologie
d'errer. Errer possède une double étymologie,
dans une première définition le mot vient du latin errare
qui signifie aller de côté et d'autre, au hasard, à
l'aventure ; c'est le verbe qui, au figuré, signifie s'égarer
; en référence à la pensée qui ne fixe pas,
qui vagabonde. On peut dire qu'errer signifie alors laisser en toute
liberté. Ainsi dans le passé, l'errant était celui qui
errait contre la foi, c'était le mendiant, l'infidèle, le
pêcheur, le vagabond. Toutefois ce verbe errer possède
aussi une seconde définition qui se trouve dans l'ancien français
iterare et qui signifie aller, voyager, cheminer.
Ainsi, le thème de l'errance est au centre des
préoccupations du corpus. Errance renvoie donc à l'idée de
la marche, du déplacement. Cette thématique joue un rôle
indéniable au niveau de la psychologie des personnages principaux. Car
elle les pousse à s'aventurer dans divers endroits anodins à la
quête de soi, à la quête du bonheur, du bien-être
matériel. L'errance est représentée chez les héros
comme la motivation d'aller à la recherche d'un objet de survie.
Selon Berthet (2007 :10) dans ses Figures de l'errance
:
L'errance [...] est associée au mouvement, souvent
à la marche, à l'idée d'égarement, à
l'absence de but. On la décrit comme une obligation à laquelle on
succombe sans trop savoir pourquoi, qui nous jette hors de nous-mêmes et
qui ne mène nulle part. Elle est échec pour ne pas dire danger.
L'errance, toujours vue sous cet angle, s'accompagne d'incertitude [...]
l'errance est la quête incessante d'un ailleurs
Du fait de cette quête, généralement, il
n'est pas envisagé de retour en arrière, c'est-à-dire de
retour à l'endroit d'où on a senti le besoin de partir. Car
l'errance relève de la nécessité intérieure,
nécessité de partir, de porter ses pas plus loin et son existence
ailleurs. C'est ainsi, que l'on parviendra à trouver le meilleur de soi
dans l'éloge de l'imprévu.
Ainsi la thématique de l'errance géographique
fait appel sans aucun doute à la symbolique du voyage qu'incarnent tous
les récits romanesques ayant une résonance picaresque. C'est l'un
des fondements de l'esthétisation du picaro. Car ce-dernier,
étant un être gueux, vil et vagabond va devra mener une aventure
au bout de l'abjection avant d'atteindre une ascension sociale fulgurante.
Par ailleurs, Daniel Marcheix (1972 : 97) déclare :
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La première chose qui frappe lorsqu'on lit un roman
picaresque, c'est la mobilité du héros. Cette errance est d'abord
géographique d'où la multiplicité des espaces.
C'est le cas lorsqu'on lit les ouvrages qui constituent notre
corpus. Aventuriers, les deux picaros de notre corpus vont devoir mener une
existence de déplacement constant. Allant d'une ville à une
autre, d'un pays à un autre, d'un lieu à un autre, ils vont
devoir affronter toutes les difficultés d'une vie oisive avant
d'atteindre leur objet de quête. Ceci dit, avec Gil blas, on voit comment
il passe par tous les lieux de l'Espagne à la quête d'une bonne
condition, de la fortune. Les différents extraits qui suivent nous le
montre aussi bien.
Me voilà donc hors d'Oviédo, sur le chemin de
Peñaflor, au milieu de la campagne, maître de mes actions, d'une
mauvaise mule et de quarante bons ducats, sans compter quelques réaux
que j'avais volés à mon très honoré oncle. La
première chose que je fis fut de laisser ma mule aller à
discrétion, c'est-à-dire au petit pas. Je lui mis la bride sur le
cou, et, tirant de ma poche mes ducats, je commençai à les
compter et recompter dans mon chapeau. Je n'étais pas maître de ma
joie. Je n'avais jamais vu autant d'argent. (LGBS, 7).
J'achetai aussi des bottines, avec une valise pour serrer mon
linge et mes ducats. Ensuite, je satisfis mon hôte, et, le jour suivant,
je partis de Burgos avant l'aurore pour aller à Madrid. (LGBS,
59).
Nous couchâmes à Dueñas la première
journée, et nous arrivâmes la seconde à Valladolid, sur les
quatre heures après midi. Nous descendîmes à une
hôtellerie qui me parut devoir être une des meilleures de la ville.
Je laissai le soin des mules à mon valet, et montai dans une chambre ou
je fis porter ma valise par un garçon du logis. (LGBS, 60).
Je marchais fort vite et regardais de temps en temps
derrière moi, pour voir si ce redoutable Biscayen ne suivait point mes
pas. J'avais l'imagination si remplie de cet homme-là, que je prenais
pour lui tous les arbres et les buissons. Je sentais à tout moment mon
coeur tressaillir d'effroi. Je me rassurai pourtant après avoir fait une
bonne lieue, et je continuai plus doucement mon chemin vers Madrid, où
je me proposais d'aller. Je quittais sans peine le séjour de Valladolid
; tout mon regret était de me séparer de Fabrice, mon cher
Pylade, à qui je n'avais pu même faire mes adieux. (LGBS,
103)
Ces différents extraits sont en fait une série
d'aventure que vit Gil Blas. Sa vie est faite de voyage et déplacements
divers. Il va à la découverte du monde, à la recherche
d'une nouvelle condition. Il quitte Oviedo, pour aller à Salamanque,
voulant s'inscrire à l'université mais le destin en décide
autrement. Il est dérouté par des rencontres inattendues qui lui
feront changer de condition. Il mène une vie oisive. On note dans une
certaine mesure la recherche de soi, hors mis la recherche du bien-être.
Il est en quête d'une identité propre. Il traverse tour à
tour Salamanque, Oviedo, Burgos, Valladolid et Madrid.
Le même scénario s'observe aussi chez Le
Clézio avec le personnage de Fintan. Le héros Le clézien
quitte la France au bord du navire Surabaya en compagnie de Maou, sa
mère, pour
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aller découvrir l'autre bout du monde, l'Afrique. C'est
le début d'une nouvelle aventure pour Fintan :
Le Surabaya, un navire de cinq mille trois cents tonneaux,
déjà vieux, de la Holland Africa Line, venait de quitter les eaux
sales de l'estuaire de la Gironde et faisait route vers la côte Ouest de
l'Afrique, et Fintan regardait sa mère comme si c'était la
première fois. [...] c'était la fin d'un après-midi, la
lumière du soleil éclairait les cheveux foncés aux reflets
dorés, la ligne du profil, le front haut bombé formant un angle
abrupt avec le nez, le contour des lèvres, le menton. (Onitsha,
13)
La découverte des côtes africaines et la
rencontre avec les misères de l'Afrique se revendique être pour
lui un moment de tourment et de désarroi. Il va à la
découverte d'un monde jusque-là perçu comme le symbole des
fantasmes de romans d'aventure que lui contait Maou, sa mère.
A l'aube, quand personne n'était encore levé,
Fintan était déjà sur le pont pour voir l'Afrique. Il y
avait des vols d'oiseaux très petits, brillants comme du fer blanc, qui
bousculaient dans le ciel en lançant des cris perçants, et ces
cris de la terre faisaient battre le coeur de Fintan, comme une impatience,
comme si la journée qui commençait allait être pleines de
merveilles, dans le genre d'un conte qui se prépare. [...] M. Botrou
racontait que c'était là, qu'autrefois étaient
enfermés les esclaves, avant de partir pour l'Amérique, pour la
mer des Indes. L'Afrique que résonnait de ces noms que Fintan
répétait à voix basse, une litanie, comme si en les disant
il pouvait saisir leurs secrets, la raison même du mouvement du navire
avançant sur la mer en écartant son sillage. (Onitsha,
34-35)
Son voyage en Afrique est une aventure faite de
découvertes, d'émotions et de rencontres. Il découvre une
Afrique plus déplorable que jamais. Il traverse Dakar et les autres
villes du golfe de Guinée avant d'arriver à Onitsha. L'Afrique
est pour lui une terre de découverte. La ville d'Onitsha et son
administration coloniale tatoueront à jamais la vie de Fintan.
A travers ces deux textes, nous constatons que le voyage est
l'un des thématiques guidant un roman fleuri d'écho picaresque.
Puisqu'en réalité comme le mentionne Cécile
Bertin-Elisabeth (2011 : 38) :
L'errance géographique transcrit l'errance
intérieure et, en fin de compte, le picaro n'échappe pas à
un entre-deux, entre marges et frontières. S'impose une pensée du
milieu, allant du non-lieu atopique au non-lieu utopique, acceptable. Les
déformations sociales s'y notent avec force pour un picaro dont les
aspirations utopiques créent un monstre social.
En effet pour cet auteur, l'errance conduit vers l'ailleurs,
lequel est doté d'une dimension de rêve en une aspiration à
un autre lieu. Soit un jeu de va-et-vient propre à un imaginaire de
l'ailleurs qui joue de la réversibilité entre deux pôles et
vise à l'ébranlement. Ce désir d'ailleurs se fonde contre
l'Autre tout en y faisant exister sa propre altérité. Ceci dit,
l'errance
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géographique s'ouvre vers une quête de
filiation16. Les deux personnages sont à la recherche de leur
identité. Ils veulent recouvrir une identité nouvelle ou celle
perdue à la naissance.
Gil Blas erre d'un lieu à un autre et multiplie des
petits métiers, toujours à la recherche d'une nouvelle condition.
Il ne souhaite qu'une chose, faire fortune par tous les moyens afin de
retrouver son statut de bourgeois perdu dès son départ
d'Oviedo.
C'est aussi le cas chez Le Clézio, Fintan se cherche
dans un monde perdu, il veut retrouver son identité perdue à la
naissance. Il veut trouver l'amour d'un père, d'une mère ou du
moins une famille normale. Geoffrey n'est pas ce père-là, il le
veut autrement, plus compréhensif, plus doux. Il veut un monde de
bonheur. C'est pourquoi, confronté aux inconvénients de
l'impérialisme, au pouvoir exacerbé que le Blanc exerce sur le
Noir, il devient très vulnérable. Sa quête est non
seulement de trouver une famille réelle mais également si
possible, de remédier à la condition des colonisés.
En définitive, nous constatons à travers ces
différents éléments liées à la
matière picaresque à travers un discours révélateur
des personnages marginaux et décadents, que notre corpus est bel et bien
traversé par l'esthétique picaresque. On a affaire à des
héros qui, de par leur propre expérience quotidienne
tachetée d'aventures marginales, se déplacent
perpétuellement pour montrer la misère que vit le bas
social.
16 C'est un lien qui rattache juridiquement un enfant
à chacun de ses parents
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CHAPITRE 2 : LA SATIRE SOCIALE : UNE FORME MARXISTE
DU PICARESQUE
1. Le bas social et sa
représentation
Dans notre corpus, le bas social renvoie à la
couche ou classe sociale vulnérable, à celle qui subit les
actions et réactions de la haute classe. Le bas social dans nos
ouvrages est celui qui est le plus frappé par la misère urbaine
et rurale et qui, pour vivre, est cependant obligé d'user de la ruse
pour avoir de quoi subsister.
1.1 Le bas social dans l'histoire de Gil Blas de
Santillane et Onitsha
Chez Lesage, cette classe est représentée par le
Tiers-Etats. Ces derniers sont des illettrés et n'ont rien en commun
avec la noblesse encore moins avec la bourgeoisie. La plupart des enfants issus
de cette classe occupe généralement les postes de valet de
chambre ou d'autres sous métiers dans une maison bourgeoise pour faire
face à la misère qui se réclame être leur quotidien.
Gil Blas représente ici cette classe. A travers des
péripéties et des aventures à la fois pittoresques et
rocambolesques Gil Blas va à la poursuite du bonheur. Il utilise tous
les moyens circonstanciels que lui offre son quotidien pour accéder
à la satisfaction.
Par contre, Le clézio quant à lui
présente une société coloniale africaine dans laquelle on
dénombre des maux sociaux qui font obstacle à
l'épanouissement du Noir. Les Noirs se représentent comme le
bas social, une race inférieure à la race des colons blancs.
Le Noir est le symbole de la barbarie et par conséquent est apte
à exercer les métiers dévalorisants dans son propre
territoire gouvernée par le Blanc. Tout comme les paysans de Lesage, les
Noirs constituent la masse ouvrière chez Le Clézio. Le bas social
travaille hardiment pour satisfaire la haute hiérarchie qui exerce un
pouvoir incontestable et incorruptible sur lui. Ce sont les marginaux de la
société, les pauvres. Ils sont tous
dépossédés de leurs biens.
Lesage et Le Clézio composent un décor original
du bas social pour les aventures de leurs personnages en empruntant à
des mémoires ou à des récits de voyageurs des
éléments de couleurs locales. Ces auteurs peignent avec soin les
détails du mobilier, de l'habillement et décrivent avec
précision le milieu social. Ainsi les aventures des héros servent
de prétexte à ces auteurs pour introduire le lecteur dans des
milieux qu'il connaît plus ou moins directement : grande et petite
noblesse, haut et bas du clergé, bourgeois, valets, aventuriers. Chez
Lesage toute la société française se trouve ainsi
censurée avec légèreté par un observateur au
regard
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impitoyable. L'écriture leclézienne rejoint
celle de Lesage lorsqu'avec un style dépouillé, alerte,
imagé, il contribue à créer une atmosphère de vie.
Puisqu'en fin de compte :
L'avènement d'une esthétique nouvelle, dont
l'idéal est, non plus la vérité générale et
permanente des caractères, mais la vérité individuelle et
singulière des moeurs et des conditions (Catex et al., 1974 : 386).
Le bas social manque de moyens de subsistance. La
représentation de cette classe - par Gil Blas chez Lesage, Maou chez Le
Clézio - montre les mauvaises conditions et l'état de
misère physique et psychologique dont sont victimes les noirs. La
déchéance de la basse classe est illustrée par le pouvoir
que la haute classe exerce sur eux. De ce faire, c'est ici que les héros
interviennent car ils sont comme le dit Souiller (1980) : « le personnage
révélateur d'un pays en décadence » (14). Par le
biais de leurs aventures, ils se promènent tout au long de la
société comme un miroir pour étaler au grand jour les
vices que le Bas social est obligé de faire face pour survivre.
Néanmoins, la noblesse ou haute hiérarchie sociale est la cause
de la déchéance du bas social dans l'une comme dans l'autre de
ces deux textes.
Le héros lesagien étale au grand jour, au fil de
ces aventures, la position du bas social face à la richesse
amassée par les hommes de la cour et par le roi lui-même :
toujours être le second en tout domaine, être occupé
à faire des tâches les plus difficiles qu'ils soient, être
valet ou assistant auprès de tel courtisan ou tel bourgeois. Le picaro
s'abandonne aux miettes et surtout à des sous métiers. Dans
Onitsha, les différentes escales faites dans les villes
africaines - Dakar, Goré, Lomé, Cotonou, Accra, Lagos ou encore
Lomé (Onitsha, 37-45) - sur le Surabaya17
ont permis à Maou et à Fintan de découvrir le bas social
de ces villes et leur déchéance sous le joug colonial. Des villes
sombrées dans un état d'insalubrité et de misères
urbaines où des « fonctionnaires » noirs portant des costumes
ou des redingotes ridicules, font découvrir leur physique
sous-alimenté (Onitsha, 37). Par contre l'administrateur
colonial est à l'apogée du bien-être, dans des conditions
décentes tout en amassant le plus grand bien réservé aux
africains.
1.2 Les moeurs du bas social
La peinture du bas social reste immanente dans les ouvrages
constituant notre présent corpus. Cette peinture s'observe à
travers le thème de la raillerie bien récurrent dans les textes.
Les auteurs partagent une même idéologie celle d'étaler au
grand jour les misères des hommes de
17 Surabaya est le nom du navire sur lequel Maou et
Fintan ont embarqué de la France pour les côtes africaines.
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basses extractions. Néanmoins les auteurs usent d'une
stratégie commune pour manifester ce désir. Alors la raillerie se
réclame à travers le corpus, l'esthétique de la peinture
sociale.
Cependant il faut noter que « railler », c'est
tourner en dérision ou se moquer de quelqu'un ou de quelque chose. C'est
l'action de tourner en ridicule avec quelque acerbité. C'est une forme
d'ironie qui permet à celui qui l'emploie de rester trivial lors de la
représentation acerbe d'une vérité. La raillerie est donc
l'essentiel du ton satirique. C'est pourquoi La Rochefoucauld (1868 : 328)
trouve que :
La raillerie est un air de gaieté qui remplit
l'imagination, et qui lui fait voir en ridicule les objets qui se
présentent ; l'humeur y mêle plus ou moins de douceur ou
d'âpreté.
Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane tout comme
dans Onitsha, Lesage et Le Clézio utilisent cette figure de
style pour mettre en exergue l'absurdité de l'existence des héros
picaros. Certes le but principal de cette écriture est d'ironiser et de
se moquer des caractères de la haute hiérarchie sociale, mais il
faut noter que la raillerie ici marque la prise de position des auteurs
à l'action des instances sociales déstabilisant la vie du bas
social. Ainsi c'est une critique virulente qu'usent respectivement Lesage et Le
Clézio pour peindre les malheurs du bas social.
Dans l'histoire de Gil blas de santillane, Lesage
relève plusieurs éléments caricaturaux exprimés par
le biais de la raillerie et l'humour noir. Le chapitre consacré à
l'engagement de Gil Blas au service du Docteur Sangrado à Vallodid
montre comment même dans les plus délicats des métiers, il
y a de la tromperie et de la ruse pour ruiner le bas social. Le mal est
partout. Ce fameux docteur tuant ses patients à force de les faire
saigner confère à Gil Blas le pouvoir d'être le «
médécin » du bas social, sachant bel et bien que Gil Blas
n'a aucune expérience dans ce domaine. Il n'a jamais exercé ce
métier :
Tandis que j'aurai soin de la noblesse et du clergé, tu
iras pour moi dans les maisons du tiers-état où l'on m'appellera
; et, lorsque tu auras travaillé quelque temps, je te ferai
agréger à notre corps. [...] Je remerciai le docteur de m'avoir
si promptement rendu capable de lui servir de substitut ; et pour
reconnaître les bontés qu'il avait pour moi, je l'assurai que je
suivrais toute ma vie ses opinions, quand même elles seraient contraires
à celles d'Hippocrate. (LGBS, 87)
Lesage met en exergue ici un imaginaire social commun ; celui
de la recherche du profit et du gain même dans des conditions les plus
défavorables. Le docteur Sangrado donne soin à Gil Blas de
soigner le bas social et pourtant il n'a pas les compétences
professionnelles pour exercer la médecine. Le ton satirique qu'emploie
Lesage permet de dévoiler au grand jour
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comment le bas social est à la merci de la noblesse. Il
est négligé, par contre la noblesse et le clergé
s'octroient des privilèges.
Dans Onitsha, la raillerie s'exprime à travers
les descriptions et les crises de révolte de Maou face à la
maltraitance du Noir par Gérard Simpson. On découvre la
souffrance du Noir :
Les travailleurs noirs étaient des prisonniers que
Simpson avait obtenus du résident de Rally, parce qu'il n'avait pu
trouver personne d'autre, ou parce que qu'il ne voulait pas les payer. Ils
arrivaient en même temps que les invités, attachés à
une longue chaîne reliée par des anneaux à leur
chéville gauche et pour ne pas tomber, ils devaient marcher du
même pas, comme à la parade. Maou [...] regardait avec
étonnement ces hommes enchaînés qui traversaient le jardin
[...] les anneaux de leurs chevilles tiraient la chaîne, à gauche,
à gauche. [...] leurs visages étaient lissés par la
fatigue et la souffrance. (Onitsha, 83-84)
Le Clézio nous fait découvrir, par le biais de
cette description satirique, les paradoxes de la colonisation. Ainsi
l'esclavage est décrié et l'attitude du colon est tournée
en dérision dans la mesure où celui-ci ne peut imaginer la
souffrance du Noir. Le manque de bon sens et la bêtise de la grandeur
devient le pôle de la critique le clézienne.
2. Le dévoilement des structures sociales
aliénantes
Par extension, si dévoiler c'est rendre public ce qui
est mystère, ce qui est caché, ce qui ne doit pas être
découvert parce que cette découverte montrera la noirceur de
l'esprit humain, du monde dans lequel l'individu réside, on peut
comprendre que le dévoilement renvoie sans aucun doute à la
notion de satire. Dévoiler est l'expression physique de la satire. Pour
ce fait, le dévoilement se veut subversion et dénonciation des
vices de la société. Cette idée du dévoilement,
découlant de l'esprit polémique fonctionne sur le ridicule. Elle
se moque de ce qu'elle blâme sans opposition. En employant les
procédés à l'instar de l'humour ou encore l'ironie, le
dévoilement fonctionne comme jugement et critique de par son
côté très grinçant. A la fois didactique et
pédagogique selon Kokou, le devoilement se sert de l'ironie pour montrer
du doigt les comportements humains surtout dans ce qu'ils ont de travers et de
raideur.
Dès lors, on comprend pourquoi Alain-Réné
Lesage déclare au début de son texte : « J'en fais un aveu
public : je ne me suis proposé que de représenter la vie des
hommes telle qu'elle est »18 (4). Ce qui découle d'une telle
affirmation nous donne une idée concrète de l'écriture de
Lesage, celle de dévoiler de façon complète les
profondeurs des structures sociales. On note un engagement pour une cause
humanitaire se voulant bénéfique pour établir un climat
de
18 Ceci est cité à
la préface de l'histoire de Gil Blas de Santillane, Rubrique
«déclaration de l'auteur » que Lesage l'affirme.
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justice entre les hommes. Lesage tout comme Le Clézio
ne veulent plus se taire devant le mal causé par la division
inégale de la société. Cette inégalité se
réclame être le quotidien des personnes de basse classe et de
mauvaises conditions dans la mesure où ces dernières se
retrouvent réduites à néant face à l'opulence de la
bourgeoisie.
L'histoire de Gil Blas de Santillane et Onitsha
obéissent à un même degré d'intensité de
dénonciation de la misère et de revendication de la place que
doit occuper le picaro19 dans la société.
2.1.La critique des moeurs
Dans son roman, Lesage nous présente une
société dans laquelle la vie se réglemente par la
recherche exclusive de l'ascension sociale, celle d'atteindre le somment quel
que soit le chemin emprunté. On a affaire à un quotidien qui
obéit à ces illustres mots de Jean Paul Sartre (1954) « tous
les moyens sont bons quand ils sont efficaces » (202) pour atteindre le
sommet. Ainsi, l'aventure vécue par de Gil Blas avec le barbier
Diégo montre autant de péripéties de souffrances dont le
pauvre est obligé de vivre pour avoir accès à la fortune
si bien entendu le destin lui permet de l'obtenir :
Pas fait deux cents pas, que je m'arrêtai pour visiter
mon sac. J'eus envie de voir ce qu'il y avait dedans, et de connaître
précisément ce que je possédais. Mon père m'apprit
de très bonne heure à raser ; et, lorsqu'il me vit parvenu
à l'âge de quinze ans, il me chargea les épaules de ce sac
que vous voyez, me ceignit d'une longue épée et me dit : Va,
Diego, tu es en état présentement de gagner ta vie ; va courir le
pays. Tu as besoin de voyager pour te dégourdir et te perfectionner dans
ton art. Pars, et ne reviens à Olmedo qu'après avoir fait le tour
de l'Espagne. Que je n'entende point parler de toi avant ce temps-là !
En achevant ces paroles, il m'embrassa de bonne amitié, et me poussa
hors du logis. [...] Je sortis donc ainsi d'Olmedo, et pris le chemin de
Ségovie. Je n'eus trouvai une trousse où étaient deux
rasoirs qui semblaient avoir rasé dix générations, tant
ils étaient usés, avec une bandelette de cuir pour les repasser,
et un morceau de savon (LGBS, 106)
Lesage utilise donc toutes ces figures empruntées chez
La Bruyère ou encore chez ses contemporains tels que Marivaux, Diderot
et Voltaire pour tourner en dérision l'image d'une société
où le paraître et le costume sont privilégiés. Il
procède au dévoilement des structures sociales en montrant le
vrai visage d'une société fondée sur l'absurdité
accordée à la classe sociale. La noblesse reste noble car elle
use des moyens moins catholiques pour faire fortune. D'où la
marginalisation du « bas social », la classe des paysans, de valets
et serviteurs de grands maîtres imbus de leur statut social.
19 C'est-à-dire le pauvre, celui qui vient de
la basse classe (tiers-état)
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Ce croquis de la représentation s'observe aussi
également dans Onitsha. La question du dévoilement des instances
sociales, le symbole de la dénonciation est sans doute
l'élément principal auquel s'attache l'ouvrage de Le
Clézio. Il s'agit ici d'un dévoilement direct car celui-ci
s'observe à travers les différentes critiques virulentes dont
Maou jette à l'endroit de ses confrères : les colons. La
scène où les Noirs creusent la piscine de Gerald Simpson tout en
étant enchaînés, la met dans un état
colérique et ne pouvant retenir son empathie pour la cause humaine, elle
déclare tout haut et à qui veut l'entendre l'injustice que l'on
fait subir aux colonisés. Elle reste pourtant sûre d'elle que
l'acte de la dénonciation, du refus de se taire devant un tel mal, un
tel opprobre, apportera à coup sûr une nécessaire
amélioration à la cause du colonisé car comme le dit Le
Clézio :
C'était donc l'Afrique chargée de Douleur, cette
odeur de sueur au fond des geôles, cette odeur de mort [...] Maou
ressentait du dégoût, la honte. (Onitsha, 390)
Du jour au lendemain, l'arrivée de Maou s'est
transformée en moment de désillusion, elle ne peut non plus
supporter le culte du pouvoir et de la race bienfaitrice qu'on exerce sur le
noir. JMG Le Clézio le mentionne d'ailleurs :
A Onitsha, elle avait trouvé cette
société de fonctionnaires sentencieux et ennuyeux [...] à
boire et à s'espionner, et leurs épouses, engoncées dans
leurs principes respectables, comptant leurs sous et parlant durement à
leurs boys, en attendant le billet de retour vers l'Angleterre. Elle avait
pensé haïr à jamais ces rues poussiéreuses, ces
quartiers pauvres avec leurs cabanes débordants d'enfants, ce peuple au
regard impénétrable, et cette langue caricaturale, ce pidgin qui
faisait tellement rire Gerald Simpson et les messieurs du club, pendant que les
forçats creusaient le trou dans la colline, comme une tombe collective.
[...] Personne ne trouvait grâce à ses yeux, pas même le
docteur Charon, ou le résident Rally et sa femme, si gentils et si
pâles, avec leurs roquets gâtés comme des enfants.
(Onitsha, 168)
On remarque que cette tendance à dévoiler,
à montrer la vraie couleur des choses dans une société
corrompue où les valeurs humaines, les plus primaires, sont
bafouées fait la particularité de cet extrait du roman de Lesage.
De ce fait, Le Clézio et lui nous rendent compte effectivement des
institutions sociales, de l'administration des sociétés ou encore
les gouvernements piétinant la masse au profit de leur minorité
aristocratique. La noblesse et la classe du colon sont ainsi la figure
emblématique de la douleur du bas social dans nos romans.
L'antihéroïsme est ici observable au premier plan dans la mesure
où ces personnages principaux restent ultimement les victimes de cette
démarche vers l'établissement d'une justice sociale qu'incarnent
nos auteurs. Aucuns d'eux ne restent pourtant sourds aux plaintes, au
désarroi et à la souffrance du bas social.
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La vie du bas social est aussi
l'élément de dévoilement chez les auteurs. Chez Lesage,
les pauvres ou encore les déshérités de la
société sont des voleurs, arnaqueurs, des dupes ou encore bandits
de grands chemins qui n'ont ni coeur ni loi. Ils agressent quiconque quel que
soit son statut social. Ils le font généralement pour survivre
car la société à laquelle ils appartiennent est vicieuse.
Néanmoins on assiste à une sorte de dépravation du bas
social, ces êtres sont facétieux, vils et très malins. La
preuve est que Gil Blas a passé sa plus grande période de
jeunesse, après son départ de son village et les circonstances
rocambolesques de sa survie, à s'identifier à ce type de
personnage qui est prêt à tout pour faire fortune. Il a
été victime de l'oppression de l'homme et en retour il refait la
même chose à d'autres personnes pour améliorer sa condition
de vie. Le chapitre consacré à l'exercice de la médecine
à Valladolid chez le docteur Sangrado en est une preuve siné qua
non. Ainsi Gil Blas se retrouve dans le corps d'Hippocrate20,
trompant et participant à la mort de certaines personnes
:
Tandis que j'aurai soin de la noblesse et du clergé, tu
iras pour moi dans les maisons du tiers-état où l'on m'appellera
; et, lorsque tu auras travaillé quelque temps, je te ferai
agréger à notre corps. Tu es savant, Gil Blas, avant que
d'être médecin ; au lieu que les autres sont longtemps
médecins, et la plupart toute leur vie, avant que d'être savants.
Je remerciai le docteur de m'avoir si promptement rendu capable de lui servir
de substitut ; et pour reconnaître les bontés qu'il avait pour
moi, je l'assurai que je suivrais toute ma vie ses opinions, quand même
elles seraient contraires à celles d'Hippocrate. Cette assurance
pourtant n'était pas tout à fait sincère, Je
désapprouvais son sentiment sur l'eau, et je me proposais de boire du
vin tous les jours en allant voir mes malades. [...] J'entrai ensuite chez un
pâtissier à qui la goutte faisait pousser de grands cris. Je ne
ménageai pas plus son sang que celui de l'alguazil, et je ne lui
défendis point la boisson. Je reçus douze réaux pour mes
ordonnances ; ce qui me fit prendre tant de goût à la profession.
[...] Je visitai plusieurs malades que j'avais inscrits, et je les traitai tous
de la même manière, bien qu'ils eussent des maux différents
(LGBS, 86-87, 89)
A partir de cet extrait, on note une société qui
n'a aucune valeur morale où le légal est ravalé au second
plan et où pour avoir accès au pain quotidien, on doit se
réclamer ingénieux et avoir du tact pour ne pas faillir à
la misère. Dans ce contexte, la question de dignité ne donne pas
à manger ni de quoi se vêtir.
Dans Onitsha, Le Clézio nous présente
le bas social qui participe indirectement à son
aliénation à cause de leur passivité. Etant une population
soumise au contexte de la colonisation - parce que l'homme blanc apporte la
lumière - face à la technicité et au progrès que
les Occidentaux exercent physiquement et spirituellement sur eux, ces derniers
ne pouvant également protester contre une telle autorité, se
plient délibérément à la torture que
20 En référence ici au serment
d'Hippocrate du corps médical. Les médecins prêtent serment
d'Hippocrate pour exercer la médecine.
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leur infligent leurs maîtres. A coup de fouets et de
bâtons, l'homme colonisé d'Onitsha reste docile aux
doléances occidentales car :
Les travailleurs noirs étaient des prisonniers que
Simpson avait obtenus du résident Rally, [...] parce qu'il ne voulait
pas les payer. Ils [étaient] attachés à une longue
chaîne reliée par des anneaux à leur cheville gauche.
(Onitsha, 83)
A partir de cet extrait on note que Le Clézio
étale au grand jour la souffrance et la maltraitance que subissent les
prisonniers noirs. Ils sont transformés en esclaves. Ils sont
humiliés, leurs droits sont bafoués. Ceci traduit l'expression
concrète du dévoilement qu'anime Le clézio, le
désir de mettre en lumière les insanités causées
par la division des classes et de l'exploitation de l'homme par l'homme.
Ceci dit, nous constatons tout compte fait que les ouvrages de
notre corpus s'identifient d'une manière concrète à un
dévoilement cru, à la découverte des structures sociales
à laquelle nos différents héros y prennent part de
façon directe ou indirecte. La misère de la basse classe,
l'opulence de la haute hiérarchie se sont constituées en
éléments primordiaux d'un tel dévoilement. Et nos auteurs,
à travers leurs différents protagonistes, ne cessent de laisser
découvrir ce sentiment de révolte qui les anime.
2.2. Le masque comme identité
Commencer à s'interroger sur la notion de masque,
à travers son historicité, se voit indispensable pour saisir
l'orientation que nous voulons attribuer au masque comme une identité au
regard des textes de notre corpus. Ceci dit, on note avec Marie-Claire
Zimmermann (2013 : 7) que :
« Masque » surgit au XVIe siècle (1511),
à partir de l'italien « maschera », issu du bas-latin «
masca », lui-même originaire du radical prélatin « mask
» [...] l'italien « maschera » dérive de l'arabe «
màshara » qui signifie « bouffon » ou bouffonnerie, ce
qui suppose un lien entre le masque et la dérision. On ne va pas manquer
de retrouver ultérieurement des connotations péjoratives dans les
mots ou expressions qui se prévaudront de l'existence du masque.
Qu'est-ce donc qu'un masque ? [...] Il s'agit d'un objet rigide ou non, qui
couvre le visage humain et qui représente lui-même une face
humaine, animale ou imaginaire. [...] Puisque le masque recouvre le visage,
c'est qu'il doit le cacher, le dérober à la vue et il est alors
synonyme [...] de dehors trompeur, apparence, « pretexto », «
disfraz ». Masquer implique la duperie, le camouflage, le mensonge.
On voit que le masque n'est en réalité qu'un
objet de déguisement qui donne à son porteur une fausse apparence
en recouvrant son visage ou son corps. Il sert, selon les lieux et les
époques, à cacher, à frayer, à transformer,
à faire apparaître, à communiquer avec l'au-delà.
Il
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favorise aussi l'expression du corps. Ainsi, que ce soit le
protagoniste ou les personnages secondaires dans les textes du corpus, tous
portent un masque. Non pas un masque au sens dénotatif du terme, mais un
masque découlant de l'image à laquelle tous ces personnages
veulent renvoyer à la société. On comprend que les
héros n'ont pas pour autant besoin de se parer de quelques
vêtements que ce soit pour se dissimuler. Si on interpelle ces
expressions essentielles à partir de l'extrait ci-dessus : «
camouflage » « mensonge » « dehors trompeur » «
cacher », on note une perpétuelle aventure de nos héros
à user de leur attrait physique pour séduire les autres. Les
protagonistes et antagonistes dans nos deux oeuvres montrent tous une image
fausse d'eux et cela pour de multiples raisons.
Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane, cette
aventure du masque va crescendo. Gil blas se cache sous de multiples costumes
tout au long de ses périples pour dissimuler son identité. Il
devient tour à tour voleur de grand chemin, faux médecin et
mauvais acteur dans le but de plaire, de quitter une bonne fois pour toute sa
condition de sous homme que la société policée lui impose.
Pour lui, le statut de bas social est pesant, et il doit user de tout son
charme pour accéder à la haute classe. Le désir d'une
ascension sociale fulgurante s'impose. Les actes et actions posés par
Gil Blas peuvent dans une certaine mesure se justifier car ici on est dans une
société en proie à de multiples discriminations. Une
dichotomie qui marginalise le bas social, plus connu sous le nom du
Tiers-état. La preuve est qu'il souhaite devenir une autre personne et
supporte mal sa vie actuelle. Lors de ses retrouvailles avec son ancien
compagnon Fabrice, Gil affirme :
Je vais convertir mon habit brodé en soutanelle, me
rendre à Salamanque, et là, me rangeant sous les drapeaux de
l'Université, remplir l'emploi de précepteur. Beau projet !
s'écria Fabrice ; l'agréable imagination ! Quelle folie de
vouloir, à ton âge, te faire pédant ! Sais-tu bien,
malheureux, à quoi tu t'engages en prenant ce parti ? Sitôt que tu
seras placé, toute la maison t'observera. Tes moindres actions seront
scrupuleusement examinées. Il faudra que tu te contraignes sans cesse.
Que tu te pares d'un extérieur hypocrite, et paraisses posséder
toutes les vertus. (LGBS, 68)
Dans ce fragment, nous notons que Fabrice déconseille
à Gil Blas, de se déguiser pour séduire le haut social. Il
faut comprendre que cette hypocrisie du masque, lui retombera en retour
au-dessus car la noble classe, quand elle se rendra compte des fausses vertus
de Gil Blas, elle le passera à coup sûr au crible d'un
châtiment bien mérité. Compte tenu que la
société est plutôt rude et intransigeante en ce qui
concerne le vol de statut social.
Cette figure de masque ici représentée met en
exergue un imaginaire social très prisé par les hommes. On se
fait passer pour ce que l'on n'est pas afin de pouvoir accès aux
privilèges
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d'une société fondée sur des lois
discriminatoires, sur des lois établies par la haute classe
défavorisant le bas social.
Les actions de Gil Blas peuvent donc être
moralisées bien qu'elles soient préjudiciables. Mais par contre,
Lesage lance un cri de moralisateur et décrie ici cette
société où le paraitre joue un rôle important dans
cette société du XVIIIe siècle dont il décrit avec
véhémence et vivacité. Les costumes sont en
réalité des masques et se revendiquent être le quotidien
des chefs, des grands prêtes et les hauts courtisans nobles. Les titres
de noblesse, duc-duchesse, comte-comtesse, marquis-marquise pour ne citer que
ceux-ci sont autant de costumes qui poussent les protagonistes à
être quelque chose d'autre que ce qu'ils sont en réalité et
à se surestimer vis-à-vis des autres hommes. Ils se
déguisent en seigneurs, en rois, en gestionnaires de biens publics.
Le masque et le paraître occupent donc une place
prépondérante dans le roman de Lesage. On assiste au
dévoilement. Ce dévoilement devient sujet à l'autonomie,
à la liberté mais une liberté sous-entendue. L'idée
de la liberté, de se faire respecter, de devenir quelqu'un d'important
dans une société en proie aux multiples aléas de la vie
reste ce qui dirige le quotidien dans cette société
française. Alors Lesage s'approprie cette façon de voir les
choses et la maintient comme l'un des éléments poussés
d'une esthétique littéraire. Cette usage du masque montre de
manière virulente l'esprit d'une société où le
paraitre s'est installé de manière inconditionnelle, et continue
de se faire honneur. Elle devient un fait social et s'appréhende dans
une certaine mesure comme une identité chez les personnages de Lesage.
Le masque est devenu le symbole de tricheries et de duperies des personnages.
Les femmes tout comme les hommes en usent davantage sous leurs costumes
où personne ne peut rien soupçonner. On observe cette
dénonciation du masque comme dans les chapitres : « Quel parti prit
Gil Blas après l'aventure de l'hôtel garni » et « Gil
Blas continue à exercer la médecine avec autant de succès
que de capacité, Aventure de la bague retrouvée » :
Pour éclaircir mes soupçons, j'ouvris la porte
de ma chambre, et j'appelai l'hypocrite à plusieurs reprises. Il vint
à ma voix un vieillard qui me dit : Que souhaitez-vous, seigneur ! Tous
vos gens sont sortis de ma maison avant le jour. Comment, de votre maison ?
M'écriai-je : est-ce que je ne suis pas ici chez don Raphaël ? Je
ne sais ce que c'est que ce cavalier, dit-il. Vous êtes dans un
hôtel garni, et j'en suis l'hôte. Hier au soir, une heure avant
votre arrivée, la dame qui a soupé avec vous vint ici et
arrêta cet appartement pour un grand seigneur, disait-elle, qui voyage
incognito. Elle m'a même payé d'avance. Je fus alors au fait. Je
sus ce que je devais penser de Camille et de don Raphaël ; et je compris
que mon valet, ayant une entière connaissance de mes affaires, m'avait
vendu à ces fourbes. (LGBS, 64).
Camille, toute malade qu'elle était, s'apercevant que
deux archers à grandes moustaches se préparaient à la
tirer de son lit par force, se mit d'elle-même sur son
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séant, joignit les mains d'une manière
suppliante, et me regardant avec des yeux où la frayeur était
peinte : seigneur Gil Blas, me dit-elle, ayez pitié de moi. Je vous en
conjure par chaste mère à qui vous devez le jour. Quoique je sois
très coupable, je suis encore plus malheureuse. Je vais vous rendre
votre diamant, et ne me perdez point. En parlant de cette sorte, elle tira de
son doigt ma bague, et me la donna. (LGBS, 95)
Dupé par Camille et Don Raphaël à
Valladolid, ces derniers se prenant pour des riches propriétaires d'un
château, Gil Blas décide de se venger de Camille lors de leur
rencontre à Madrid. Dans ces deux fragments, on constate
également que le masque occupe une place indéniable dans le roman
de Lesage. Le bas social survit grâce aux techniques de masque.
Cette technique n'est autre que l'usurpation de l'identité ; les
différents protagonistes se font passer pour ce qu'ils ne sont pas. Ils
s'octroient de fausses identités dans le but de duper des gens, de les
extorquer de l'argent à partir des moyens qui se présentent
à eux. Ces peuples de basse extraction ne sont entre autre que le
tiers-état. Marginalisés, abandonnés à
eux-mêmes, n'ayant aucunement été suivis par des
précepteurs intellectuels, ils restent ingénieux et
déterminés à quitter la condition miséreuse de vie
que leur impose la haute classe.
Dans Onitsha, cette veine satirique pour la
dénonciation du masque que portent les personnages le cléziens
est remarquable comme chez Lesage. Même si ici ce sont les antagonistes
qui se parent régulièrement des masques dans le but de tromper le
bas social, c'est-à-dire les noirs. La preuve reste flagrante
quand il s'agit d'analyser les actions des hommes d'United Africa ou ceux du
Divisional Office auxquels Geoffrey, en fait partie. De ce fait, la question du
masque fait l'apanage du roman de Le Clézio à travers ses
personnages à l'instar :
On assiste à des personnages :
Fintan
C'est le personnage-narrateur du récit. Le masque
porté par Fintan est beaucoup plus représenté dans le
récit. Enfant lors de son voyage en Afrique, il partage les convictions
que Maou, sa mère, revendique une société de justice. Ami
de Bony, le jeune Noir, il est fatigué d'être
considéré comme le bouc émissaire des malheurs des Noirs.
Il est parfois dénigré par certains parents Noirs et
rejeté par les garçons de son âge. Alors Fintan en veut
à son père colon, il déteste Geoffrey et il le
considère parfois comme le responsable de toutes les tribulations qui
sont survenues dans leur vie depuis leur arrivée à Onitsha. On
voit ici qu'il y a entre Fintan et Geoffrey un conflit permanent. D'où
la reconnaissance du mythe oedipien. A la fin du récit, il raconte sa
peine africaine. Ce regard qu'il a eu de l'Afrique. Mais, il ne pouvait
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rien faire pour remédier à cette situation car
qu'il le veuille ou pas, il était colon dans tous les sens du terme du
simple fait de sa couleur de peau. Ce masque, il le portera toujours et s'en
voudra d'avoir toujours participé à une mascarade
organisée par sa propre race.
Maou
Elle est considérée comme l'un des personnages
le plus important du texte de Le Clézio. Elle est marquée par le
masque qu'elle porte. Elle devrait normalement dans certains contextes
supporter la stricte puissance du Blanc sur le Noir. Mais elle refuse
catégoriquement de prendre part à l'injustice qu'exercent ses
compatriotes à Onitsha. Sa moralité ne lui permet pas de
procéder de cette façon. Ici sa peau blanche devient une sorte de
masque dont elle se sert pour se rapprocher de la race blanche, essayant tant
bien qu'elle peut de les caricaturer, de les moraliser. Sa peau est
également symbole de masque en ce sens qu'elle revendique la cause des
noirs. La chose curieuse que l'on note ici est de voir finalement une femme de
race blanche ayant aussi une humanité. Elle se révolte contre le
traitement qu'on inflige aux Noirs et revendique leur condition. Sa peau
devient un symbole d'affirmation et de moralisation car elle démontre
que certains Blancs ne sont pas d'accord avec les pratiques de la barbarie
coloniale.
Geoffrey
Qu'il le veuille ou non, Geoffrey a contribué à
anéantir la vie des habitants d'Onitsha. Envoyé en Afrique pour
perpétuer l'administration coloniale, il accepte de jouer le rôle
par souci de patriotisme pour son pays, l'Angleterre. Le masque que porte
Geoffrey est plutôt très lourd à assumer, mais il ne peut
pas reculer. Puisqu'il a choisi ce rôle, il devra l'assumer jusqu'au
bout. Son impartialité, sa désinvolture prouvent qu'il n'a pas
toujours été d'accord avec les décisions prises par
l'UNITED AFRICA. Mais, il ne peut rien, il rêve toujours de cette belle
« Oro » avec lui dans les rives du Nil. Il doit porter ce masque
d'hypocrisie, et choisit de dissimuler ses ressentis pour ne pas être
considérés comme le traitre.
Gerald Simpson
Ce personnage mythique et « odieux »
(Onitsha, 54) dans les écrits de Le Clézio est le
symbole de l'identification de la race blanche, paré de mauvaises
intentions en vertu de l'Afrique. Exigeant, capitaliste et colon dans toute la
splendeur du terme, Gerald Simpson est la figure emblématique du
colonialisme. Sa seule motivation réside dans le fait de piller
l'Afrique de toutes ses ressources naturelles, de ses valeureux hommes. Par
ailleurs, il
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constitue un frein à l'épanouissement de Maou,
de Fintan et des africains placés sous son joug. Ici, Le Clézio
fait la caricature de ce personnage et de tous ceux de près ou de loin
qui s'y rapportent. Il dénonce l'hypocrisie coloniale faisant croire
à l'Afrique, à une vie plus occidentale que jamais. Simpson, le
D.O de l'United AFRICA, utilise toute sa suprématie désobligeante
pour marginaliser le bas social, et bien entendu tous ceux qui sont sous ses
ordres. Avec son esprit machiavélique, il mène la vie difficile
aux colonisés et à tous ceux qui s'opposent à ses
idées farouches et inhumaines. Sa capuche d'homme moralisateur et
constructeur n'est rien qu'un tissu de mensonge et Maou sera la première
à s'y opposer de façon brutale. Le Clézio fait tomber le
masque de Simpson et par extension de tous les colons ayant pillé
l'Afrique jusqu'à ses extrémités. A travers ce personnage,
Onitsha démasque l'idée préconçue par les
occidentaux de la colonisation, comme selon laquelle, ils seraient venus en
Afrique dans l'espoir d'apporter un peu de civilisation aux hommes du continent
Noir. Le Clézio dénonce la triste réalité des
hommes d'une Afrique martyrisée par les travaux les plus avilissants :
Dockers, Creuseurs de Puits, boys à tous faire, jardiniers, etc.
Hayling, Sabine Rhodes, le Colonel Metcalfe et sa
femme Rosalind et les autres officiers anglais de L'UNITED
AFRICA
Ces personnages portent le masque du colon. Ce sont les
officiers de l'administration Anglaise envoyés à Onitsha pour
superviser la colonie. Ce sont les collaborateurs du D.O. ils sont bien
organisé ; chacun à une tâche spécifique dans la
colonie. Dès lors, ils mettent en exergue tous les moyens
nécessaires pour empêcher les Noirs de constituer un obstacle
à leur séjour de pacha en Afrique. Ils maintiennent
d'une part l'idée de la suprématie de la race du colon sur le
Noir. Néanmoins, ils vivent dans des quartiers huppés et
continuent à perpétrer l'idée de la séparation des
classes.
3. La division sociale : le conflit des
classes
Le conflit est un élément rapprochant les deux
textes du corpus. Il se réclame être l'élément qui
centralise l'univers de Lesage et celui de Le Clézio. Dans ces romans,
on dénote une cruelle opposition entre la haute classe noble et riche et
le bas peuple, pauvre et misérable. Chez Lesage, la figure de picaro
qu'incarne Gil Blas, être vil de basse extraction, souhaite d'ordinaire
accéder à la haute classe. L'idée de l'ascension sociale
laisse découvrir le conflit existant entre le tiers-état et la
noblesse. Cette dichotomie sociale s'initie également chez Le
Clézio avec le climat conflictuel qu'on observe entre les colons blancs
et les noirs réduits à l'esclavage et aux travaux
forcés.
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3.1. La Cour contre le Tiers-état dans
l'histoire de Gil Blas de Santillane
Dans l'Histoire de Gil Blas de Santillane, la cour
est représentée par les hommes nobles, les fortunés. Ce
sont des ministres de l'église, de l'état et tous les hommes
d'une manière ou d'une autre gagnant leur vie en exécutant les
multiples tâches de l'administration. Appelés les courtisans, ses
comptes et ses comtesses, ses barons et ses baronnes, ses ducs et ses duchesses
vivent de fortunes colossales généralement obtenues grâce
aux efforts physiques des hommes dits de « mauvaises conditions ».
Ces hommes de « mauvaises conditions » ne sont entre autre que
l'ensemble de personnes - soldats, paysans, valets et précepteurs - que
compose le Tiers-Etat. Ce dernier travaille de manière rude pour
satisfaire les honneurs de la haute classe noble. Gil Blas, Fabrice,
Diégo pour ne citer que ceux-ci représentent ce
Tiers-état. Ils occupent des fonctions les unes aux autres en gardant le
même statut : usurier, valet, assistant. Le Tiers-état occupe les
postes de secondes catégories. Ils travaillent pour leurs maîtres
et font tout pour leur plaire malgré les conditions de travail
fréquemment rudes.
La cour s'identifie à la société des
maitres, de ceux qui commandent, des opulents. C'est la noblesse, c'est le
clergé, ils ne travaillent pas mais emploient des serviteurs. Les lois
érigées sont en leur faveur. Ainsi ils se représentent
comme la classe marginalisant. Le Tiers-Etat est la classe marginalisée
car ils sont sous les ordres du maitre. Ils doivent en général
faire des besognes les plus immorales et se tapissent comme les marchepieds des
opulents. Tandis que ces hommes nobles s'enrichissent de jour en jour, les
pauvres se défigurent et s'appauvrissent quotidiennement.
En revanche, le conflit installé entre les hommes de la
cour et le Tiers-Etat réside chez Lesage sur le fait que les deux
classes désirent une seule chose. Le maître veut rester
maître toute sa vie, rester riche pour toujours car la noblesse est
héréditaire. Le pauvre pour sa part, souhaite devenir riche,
souhaite changer sa condition voire même de statut social. Pour cela, ce
pauvre use de tous les moyens pour y parvenir. Il va devoir être vil,
malicieux et surtout ingénieux pour accéder à la haute
classe. Le héros lesagien se réclame être ce type de
personnage. La preuve, Gil Blas veut tout faire, occupe même les postes
esclavagistes pour parvenir à un idéal précis, celui de
devenir un courtisan. Lesage nous fait bien ce contraste entre le tiers-Etat et
les hommes de la cour, à travers ce fragment de texte, décrivant
la première ascension de Gil Blas vers les hautes marches de la
société :
Il [le seigneur] me reçut d'un air gracieux, et me
demanda si je m'accommodais du genre de vie des jeunes seigneurs. Je
répondis qu'il était nouveau pour moi, mais que je ne
désespérais pas de m'y accoutumer dans la suite. Je m'y
accoutumai effectivement, et bientôt même. Je changeai d'humeur et
d'esprit. De sage et posé
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que j'étais auparavant, je devins vif, étourdi,
turlupin. Le valet de don Antonio me fit compliment sur ma métamorphose,
et me dit que, pour être un illustre, il ne me manquait plus que d'avoir
de bonnes fortunes. Il me représenta que c'était une chose
absolument nécessaire pour achever un joli homme. [...] J'avais trop
envie d'être un illustre, pour n'écouter pas ce conseil ; outre
cela, je ne me sentais point de répugnance pour une intrigue amoureuse.
Je formai donc le dessein de me travestir en jeune seigneur, pour aller
chercher des aventures galantes. Je n'osai me déguiser dans notre
hôtel, de peur que cela ne fût remarqué. Je pris un bel
habillement complet dans la garde-robe de mon maître, et j'en fis un
paquet que j'emportai chez un petit barbier de mes amis, où je jugeai
que je pourrais m'habiller et me déshabiller commodément.
(LGBS, 161-162)
Ce passage illustre bien le climat conflictuel qui existe
entre les classes. Gil blas, homme de mauvaise condition, né et ayant
acquis la maturité dans le bas social souhaite un instant soit peu
porter le costume de la noblesse, endosser des traits de caractères du
courtisan dont il n'est pas. Voilà ce qu'il fait. En se faisant
considérer comme un jeune seigneur, il souhaite avoir accès
à tous les avantages que vaut ce titre. On voit également
à travers ce passage le caractère dupe de Gil Blas. Il
représente ici le produit pur du tiers-état à travers ses
habitudes et son comportement.
3.2. Colons Blancs face aux colonisés Noirs dans
Onitsha
Les héros lécleziens rendent compte des
inégalités causées par la colonisation anglaise et
française en Afrique21 et au Nigéria,
précisément à Onitsha. Le regard de l'Afrique par Maou et
Fintan, semble devenu plus amère. L'Afrique au regard de la ville
d'Onitsha n'est en réalité qu'un territoire de marginal. Les
impressions admises auparavant avant sa découverte constituent un moment
de chute libre pour nos protagonistes. Ce n'est plus ce lieu exotique et de
beauté naturelle où l'air est conditionné dans son
état le plus primitif. Mais cette rencontre concrète avec
l'Afrique, plus décevante que jamais est un coup de poignard. Chez
Fintan effectivement, « la conscience raciale, et la conscience de la
séparation des espèces apparaissent dès son premier
contact avec le monde colonial, sur le Surabaya. En même temps,
c'est aussi pour lui le lieu des premières transgressions, et la
naissance d'un trouble ressenti spontanément devant le sort des «
noirs » (Moudileno, 2012 :66):
Il [Fintan] ne pouvait plus détacher son regard des
noirs qui vivaient sur le pont de charge, à l'avant du navire.
Dès l'aube, il courait pieds nus jusqu'au garde-corps, il calait ses
pieds contre la paroi pour mieux voir par-dessus la lisse. Aux premiers coups
sur la coque, il sentait son coeur battre plus vite comme si c'était une
musique. (Onitsha, 43)
21 En référence ici aux
différentes capitales des pays l'Afrique subsaharienne occidentale
traversés par nos protagonistes (Maou et Fintan) : Gorée, Dakar,
Abidjan, Accra, Cotonou, Lomé, etc.
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La découverte des colons, la souffrance des Noirs, la
discrimination sociale, la misère des villes africaines au profit de
l'enrichissement des pays occidentaux permettent à Maou tout comme
à Fintan de prendre position par rapport à tous ces sacrifices.
C'est l'horreur lorsque Maou et Fintan aperçoivent les côtes
africaines sur le surabaya, la masse populeuse entassée sur un
même lieu comme une termitière à la quête du
bien-être. C'est un moment de désolation pour nos protagonistes.
Ils se rendent compte que cette Afrique-là n'est pas celle qu'ils se
sont imaginé. Ici tout est partagé ; les colons Blancs d'un
côté et les Noirs d'un autre.
Dans Les Cahiers Le Clézio, Lydie Moudileno
(2012 : 66) rend aussi bien compte de cette situation de la bipolarisation de
la société dans son article et trouve effectivement que :
L'appareillage du Surabaya rend irrémédiable
l'écartèlement entre deux côtés du monde et fait
éclater les contradictions du désir entre Afrique et Occident, il
dessine également les contours d'un espace singulier : la colonie. Sur
le bateau en effet, la séparation entre les passagers européens
et les Noirs est nette : les colons circulent dans les cabines et sur le
pont-promenade, les Noirs sont cantonnés à l'avant du bateau, sur
le «pont de charge». Métonymie de la colonie, le bateau
confirme, comme Franz Fanon l'écrivait dans Les Damnés de la
terre, que « le monde colonisé est un monde coupé en
deux » régi par la différence raciale. « Ce monde
compartimenté », expliquait Fanon, « ce monde coupé en
deux est habité par des espèces différentes... Quand on
aperçoit dans son immédiateté le contexte colonial, il est
patent que ce qui morcelle le monde c'est d'abord le fait d'appartenir ou non
à telle espèce, à telle race.
Ce qui est inquiétant est que toutes les villes
accostées, avant le débarquement sur Onitsha, ont le même
aspect tant physique que psychologique. Les mêmes souffrances se
répètent d'une ville à une autre. Les habitants sont
marginalisés sous le faix du statut d'homme colonisé dit homme
non civilisé voire barbare.
Cependant, on remarque donc qu'Onitsha se réclame
être une diatribe contre le colonialisme. Car comme l'affirme Catherine
Kern (2004 : 93):
L'Occident est définitivement présenté
sous un jour négatif. Fintan est réveillé la nuit par un
chant lancinant qui sera sa première découverte de l'esclavage.
Le discours social intervient à travers l'itinéraire du
personnage-enfant, qui découvre ce monde en même temps que le
lecteur. Le constat vient d'un occidental qui s'est désolidarisé
des colons [...] L'écrivain se veut, à travers des récits
qui retracent des parcours individuels ou plus rarement collectifs, un
porte-parole de ces civilisations étouffées, envahies par
l'Occident. L'écriture est alors chargée d'une double fonction,
à la fois mémorielle (assurer une conservation de ces cultures
éphémères) et revendicative.
De ce qui précède, on voit que l'écriture
le clézienne ainsi revêt une forte dimension sociale et
idéologique. Toutefois en revendiquant son identité culturelle
liée à l'Afrique, cet auteur est sensible à la souffrance
de l'Afrique face au despotisme du colonialisme blanc. Il s'engage, à
travers ses différents personnages, à dénoncer les
inégalités quotidiennes que subissent les
Page 60
noirs. On voit donc qu'il y a de réels conflits entre
les colons blancs et les indigènes noirs dans Onitsha.
On constate à la suite de ce deuxième chapitre
que l'écriture du social organise le picaresque et lui confère
une unité réelle avec la société. Ces textes sont
donc le reflet d'une société dans la mesure où
ils représentent en effet l'expression d'une vision du monde
c'est-à-dire des tranches de réalités imaginaires ou
conceptuelles, structurées de telle manière que, sans qu'il ait
besoin de compléter essentiellement leur structure, qu'on puisse les
développer en univers globaux (Goldmann, 1964 :348). Ceci dit, la satire
sociale s'avère être une forme marxiste du picaresque en vue, dans
la mesure où elle permet par la suite de mettre en relief la
matière picaresque.
Page 61
DEUXIÈME PARTIE : LES
MODALITÉS ESTHÉTIQUES DU
PICARESQUE
Page 62
Avant d'être un genre, le picaresque est d'abord une
esthétique régissant une forme particulière
d'écriture. Cette forme obéit sans aucun doute à des
modalités que l'on peut considérer d'essentielles pour la
définition du genre. Ceci étant dit, partant d'une
écriture du social comme fondement du picaresque, nous nous attelons
dans cette seconde partie à faire ressortir les différentes
modalités esthétiques qui guident ce genre. Puisqu'il se
revendique être une esthétique marxiste dans la mesure où
il met en scène les problèmes causés par la
séparation des classes, cette partie de notre travail se permet
d'établir, d'une part, la structuration du récit d'un picaro et
d'autre part, le langage satirique à travers ses différentes
formes. C'est la manifestation du discours de ce genre. Ainsi, le chapitre
premier, intitulé la structure fonctionnelle du récit picaresque,
met en scène la particularité de ce récit basé sur
un marxisme identitaire. Le personnage principal se trouve au centre de toutes
les préoccupations d'écriture. Il est tour à tour le
narrateur du récit homo et/ou hétéro
diégétique, anti-héros. Il y a une
prépondérance des petits récits hétéroclites
et intercalaires. Quant au chapitre 2, titré la mise en scène du
langage picaresque, il insiste sur la manifestation des formes satiriques qui
guident son discours. A ce niveau, on note un discours pamphlétaire qui
se centralise en particulier sur un tropisme indéniable. Il s'agit de
l'ironie, de la caricature, de l'humour et du sarcasme. Ceci dit, cette partie
veut montrer que, bien que le picaresque soit toujours en perpétuelle
innovation, il impose tout compte fait une certaine modalité
revendiquant sa pérennité.
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CHAPITRE 1 : DE LA STRUCTURE FONCTIONNELLE DU RECIT
PICARESQUE
Comme toute esthétique du roman, le picaresque
obéit à une série de caractéristiques qui
régisse sa survivance. Il est né dans des conditions
particulières c'est-à-dire en réaction contre le roman de
chevalerie et ainsi il maintient une structure du récit
différente de tout autre récit romanesque. Placé entre le
roman de formation ou d'apprentissage, le roman de moeurs et le roman
d'aventure, le texte picaresque se veut être une esthétique
hybride obéissant à ses propres principes formels auxquels il est
impossible de remédier. Néanmoins, la picarisation d'un
roman se remarque inconditionnellement à travers sa forme
épisodique, nuancée d'une série de récits
intercalés qui pour la plupart du temps n'ont aucun rapport à
voir avec la trame de l'histoire. C'est pour cette raison qu'Assaf Francis
(1983 : 8) trouve que :
D'un point de vue structural, le roman picaresque se
présente comme le récit d'un individu issu du peuple, voire du
très bas peuple, raconté d'une manière épisodique,
avec des textes insérés, n'ayant souvent qu'un rapport lointain
avec le récit principal, appelés nouvelles.
On note bien entendu un mélange de genres et en guise
de conclusion, le récit se trouve être une autobiographie fictive
que l'on nommerait d'autofiction. Ce sont tous ses éléments qui
réglementent le récit picaresque et lui confèrent une
esthétique unique.
1. Du héros narrateur à
l'anti-héros
Dans l'esthétique picaresque, on assiste le plus
souvent à une poétique liée à une autobiographie
fictive. L'auteur principal de l'oeuvre s'étant transmue en narrateur
souffreteux fictionnalise à un moment donné le récit de sa
vie. C'est d'ailleurs pour cette raison que Cevasco Clizia (2013 : 196) trouve
qu':
Il existe bien une tendance à l'usage de la voix
à la première personne du singulier, ainsi que dans la fiction
autobiographique. Il s'agit d'une réactivation, qui toutefois n'est pas
constante : cet aspect peut en fait s'activer lorsqu'il y a une constellation
d'autres éléments de permanence, même s'il n'apparait pas
en tant que condition indispensable. On peut donc affirmer que les romans
picaresques contemporains montrent une prédominance du narrateur
homodiégétique, ainsi que du récit de la vie du
héros. Toutefois, on remarque aussi des dérogations et des
exceptions : la majorité des romans picaresques ici analysés
conservent la première personne du singulier, même si certains
dérogent à la règle.
On constate que le personnage principal du roman picaresque
conserve une affection propre à son auteur. Nous parle dès lors
du héros-narrateur. Car il y a une absence réelle des
récits hétérodiégétiques au profit du culte
de l'homodiégétique. Le narrateur étant le personnage
principal, a une double identité. Il arrive que le narrateur s'identifie
tout compte fait à l'auteur
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puisqu'en général le récit est le plus
souvent écrit à la première personne. Ceci s'observe avec
L'histoire de Gil Blas de Santillane. Ainsi chez Lesage, l'incipit de
cette oeuvre débute par :
Blas de Santillane, mon père, après avoir
longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se
retira dans la ville où il avait pris naissance. Il y épousa une
petite bourgeoise qui n'était plus de sa première jeunesse, et je
vins au monde dix mois après leur mariage. Ils allèrent ensuite
demeurer à Oviédo, où ma mère se mit femme de
chambre, et mon père écuyer. Comme ils n'avaient pour tout bien
que leurs gages, j'aurais couru risque d'être assez mal
élevé, si je n'eusse pas eu dans la ville un oncle chanoine.
(LGBS, 5)
On remarque donc une réelle disposition du narrateur
s'identifiant comme personnage qui veut rendre son récit fictif
forcément pour une raison de vision du monde. Une autofiction est
observable ici. Dès lors ceci obéit au principe organisateur de
la poétique picaresque, où l'esthétisation du picaro et sa
mise sous forme romanesque donnent lieu à sa fictionnalisation.
Ceci dit, on comprend avec le Trésor de la langue française,
dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (1789-1960)
cité par Cyprien Bodo (2005) que le picaresque se réclame
être « un genre littéraire né en Espagne au XVIe
siècle qui, sous forme autobiographique, raconte la vie d'un
héros populaire, le picaro, aux prises avec toutes sortes de
péripéties.» (9)
En revanche, il faut noter que le picaresque obéit
aujourd'hui à un imaginaire contemporain. On retrouve des héros
du texte picaresque pourtant considéré comme auteur,
préfèrent donner le récit à la troisième
personne. Ceci dépend généralement de la vision du monde
de son auteur. Malgré l'utilisation de la troisième personne, le
récit bien qu'étant devenu
hétérodiégétique structurellement parlant,
obéit fondamentalement toujours à une esthétique
homodiégétique. Nous parlons ici en connaissance de cause avec
l'un de nos ouvrages du corpus : Onitsha. Ainsi commence le
récit :
Quand il avait eu dix ans, Fintan avait décidé
qu'il n'appellerait plus sa mère autrement que par son petit nom. Elle
s'appelait Maria Luisa, mais on disait : Maou. C'était Fintan, quand il
était bébé, il ne savait pas prononcer son nom, et
ça lui était resté. Il avait pris sa mère par la
main, il l'avait regardée bien droit, il avait décidé :
« A partir d'aujourd'hui, je t'appellerai Maou. ». Il avait l'air
sérieux qu'elle était restée un moment sans
répondre, puis elle avait éclaté de rire, un de ces fous
rires qui la prenaient quelques fois, auxquels elle ne pouvait pas
résister. Fintan avait ri lui aussi, et c'est comme cela que l'accord
avait été scellé. (Onitsha, 14-15)
Ici, on assiste à la fictionnalisation de la vie de
l'auteur. Car ce dernier raconte son aventure sur les côtes africaines et
en particulier son séjour à Onitsha. À partir de ceci, on
comprend donc avec Cevasco qu'il y a alors réactivation du narrateur
homodiégétique, au sein d'une constellation
d'éléments de permanence du picaresque. La raison de cette
mutation, ou de cette complexité, réside en fait dans les
conditions littéraires d'une nouvelle époque : on n'a plus besoin
de justifier avec la première personne du singulier le récit d'un
antihéros, d'un
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pauvre ou d'un gueux, puisque le marginal est entré de
droit en littérature. Ainsi pour Cevasco (2013 : 59) :
Des oeuvres écrites à la troisième
personne du singulier montrent de toute façon d'autres
éléments de permanence du picaresque. Lorsqu'il n'y a pas
d'adhérence au modèle homodiégétique du narrateur,
le rôle central de la vie et des aventures du héros subsiste
toujours. Et, évidemment, ce héros présente des
caractéristiques déterminées [...] Le modèle du
narrateur peut être homodiégétique et donner lieu à
une fiction autobiographique, ou peut être
hétérodiégétique même en conservant le
récit de la vie du héros : dans les deux cas, le modèle du
narrateur ne remet pas en question la forme narrative du genre.
Le personnage principal dans une autobiographie fictive fait
appel à la notion de l'anti-héroïsme considéré
comme le principe révélateur d'un personnage en décadence
ici incarné par lui-même comme le picaro. Vivant des abus,
dénonçant les marginaux de la société, la vie
miséreuse du bas peuple contre l'opulence cannibale de la
minorité ecclésiastique, royale et noble, le picaro
s'élève et porte les statuts les plus avilissants de la
société : celui de gueux, de transgresseurs. Les figures
d'héros des romans courtois et pastoraux disparaissent et donnent place
à la dénomination d'anti-héros ici emblème du
picaro. Ainsi, selon Wicks Ulrich (1974:245)
The protagonist as a picaro, that is, a pragmatic,
unprincipled, resilient, solitary figure who just manages to survive in his
chaotic landscape, but who, in the ups and downs, can also put that world very
much on the defensive. The picaro is a protean figure who can not only serve
many masters but play different roles, and his essential characteristic is his
inconstancy - of life roles, of self-identity - his own personality flux in the
face of an inconstant world.
C'est pourquoi la thématique picaresque s'inscrit en
droite ligne avec la figure de son personnage principal. Il porte le costume
d'anti-héros. L'anti-héros peut de tous les points de vue
être considéré comme l'antitype du héros. De ce
fait, le monde romanesque étant dominé par le thème
héroïque, où le héros vit dans un monde merveilleux,
supérieur au nôtre, dans lequel il poursuit une quête qui,
le confrontant à des épreuves, se termine par une victoire
morale. Celle-ci le mène vers un univers harmonieux, ordonné. Le
texte picaresque est, quant à lui, dominé par la
thématique de l'anti-héroïsme. C'est le monde d'un
héros non-héroïque, inférieur à nous, qui vit
dans un monde chaotique, inférieur au nôtre, et dans lequel il
erre éternellement. Ainsi, l'héroïque satisfait le besoin
humain d'harmonie divine, d'intégration, de beauté, d'ordre et de
bonté. L'anti-héroïque satisfait la recherche de disharmonie
démoniaque, de désintégration, de laideur, de
désordre et de méchanceté. L'anti-héroïque
semble se coller à la peau du personnage picaro, car en
réalité comme l'affirme Kathrine Sørensen Ravn
Jørgensen (1986 : 84-85) :
Page 66
Ce sont des marginaux, et, revêtant divers masques et
jouant différents rôles, ces anti-héros ont pour fonction
première d'observer, de surprendre et d'épier "le monde
privé" des différents personnages "publics" appartenant aux
différentes couches sociales. La situation de serviteur/valet est
très favorable à la pénétration de toutes ces
couches, au dévoilement de tous les mystères et de tous les
ressorts cachés de la vie privée. La vie privée des grands
est présentée comme l'envers de leur vie sociale (hautement
louée par le thème héroïque): y règnent
brutalité, violence, tromperies de toute espèce, hypocrisie et
mensonge. Une des tâches des anti-héros, c'est donc de
dénoncer les fausses conventions qui imprègnent les relations
humaines [...], de lutter contre ces conventions ou simplement de
démasquer toutes les formes institutionnelles hypocrites et
mensongères [...] qui imprègnent les moeurs, la morale, la
politique et l'art de toute une société.
Cela s'explique par le contexte socio-historique de la
génèse du roman picaresque. Le contexte d'une
société d'ordres affectée de graves tensions politiques,
économiques et idéologiques: fins de règne, gestion
financière critique d'un empire immense, crispation de la vieille
noblesse chrétienne sur son honneur héréditaire lié
à l'oisiveté, déclin de l'industrie nationale et extension
corrélative du vagabondage aggravé par les disettes et les
pestes. Les débats sur la mendicité se multiplient à
partir des années 1540, et favorisent l'émergence d'un courant
réformateur d'esprit bourgeois préconisant la résorption
du paupérisme par le développement des activités
manufacturières et commerciales. C'est dans cela que s'inscrit le
picaresque. La figure d' « antihéros » montre les tas de
dénonciation qu'opère cette esthétique. Voilà
pourquoi le souvenir de la naissance du Lazarillo, puis du Guzmán,
respectivement prototype et archétype du genre, est indissociable de ce
climat conflictuel.
En revanche, le picaro se mue en anti-héros hautement
problématique dont la volonté transgressive de s'intégrer
aux «gens de biens» et d'accéder à l'honneur
malgré les barrières institutionnelles ne trouve d'autres voies
que celle de la fraude et du vol débouchant sur l'infamie. C'est
pourquoi Kathrine Sørensen Ravn Jørgensen (1986 : 85) continue
plus loin en affirmant que :
Ce anti-héros constitue ainsi un contretype de la
figure décadente du héros chevaleresque. Les aventures du
héros picaresque se présentent comme des
pérégrinations hasardeuses qui mènent le gueux à
travers les pays et les classes sociales les plus divers lesquels
échappent rarement à la satire. Jouer des tours à tout ce
qui est "digne de respect", aux institutions, aux traditions et aux valeurs
nobles, semble, en effet, être une des missions du picaro.
Néanmoins considérant le fait que ce statut
d'anti-héros soit en général problématique dans la
perception du roman qu'on pourrait qualifier d' « écho picaresque
» ; il faut noter que le statut d'héros ici s'applique uniquement
au personnage principal d'un récit. On ne saurait l'appliquer à
un personnage antagoniste dans la mesure où le récit n'est pas
centralisé sur lui. Par conséquent on ne peut dire qu'un
personnage antagoniste - l'adversaire du héros - soit anti-héros
vu qu'il se reconnait ainsi sans aucun doute. Ce n'est que le personnage
principal -
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le protagoniste - qui peut aussi porter le costume
d'anti-héros à partir de certaines péripéties
imposées par son auteur. Ainsi Cavillac (2004 : 563) trouve que :
La dénomination anti-héros [...] comporte en
elle-même une incertitude fondamentale [dans la mesure où] elle
peut caractériser soit un personnage « neutre » simplement
privé des qualités héroïques, soit un héros
à rebours incarnant les valeurs correspondantes.
Dans l'esthétique picaresque cette
caractéristique est fondamentale. Puisque c'est en usant ce statut
anti-héroïque que le picaro atteint sa quête. Notre corpus
s'identifie bien entendu à ce caractère d'anti-héros que
l'on peut reconnaître aux principaux protagonistes de nos textes. Dans
l'histoire de Gil blas de Santillane, on observe en général ces
mensonges dans des situations particulières pour échapper ou du
moins pour dissimuler ses actions passées :
Le lendemain matin, lorsque je lui eus rendu mes services
ordinaires, il me compta six ducats au lieu de six réaux, et me dit :
tiens, mon ami, voilà ce que je te donne pour m'avoir servi
jusqu'à ce jour. Va chercher une autre maison. Je ne puis m'accommoder
d'un valet qui a de si belles connaissances. Je m'avisai de lui
représenter, pour ma justification, que je connaissais cet alguazil pour
lui avoir fourni certains remèdes à Valladolid, dans le temps que
j'y exerçais la médecine. Fort bien, reprit mon maître, la
défaite est ingénieuse. Tu devais me répondre cela hier au
soir, et non pas te troubler. Monsieur, lui repartis-je, en
vérité, je n'osais vous le dire par discrétion. C'est ce
qui a causé mon embarras. Certes, répliqua-t-il en me frappant
doucement sur l'épaule, c'est être bien discret. Je ne te croyais
pas si rusé. Va, mon enfant, je te donne ton congé.
(LGBS, 147)
On note donc à partir de cet extrait que
l'anti-héroïsme se situe dans l'attitude que le personnage adopte
lorsqu'un problème se pose à lui. La manière dont il le
gère. Il peut choisir de poser des actions immorales ou morales pour
sortir d'une situation qui lui est plutôt oppressante. Mais si le choix
est centré sur les principes d'immoralité, on parle donc
d'anti-héroïsme du personnage principal. C'est cette
caractéristique qui fait la particularité du picaresque.
2. Récit épisodique
L'épisode dans un texte littéraire renvoie en
général à une partie d'une oeuvre narrative ou dramatique
s'intégrant à un ensemble mais disposant d'une certaine
autonomie. Alors la particularité du texte picaresque est qu'il accorde
une réelle importance aux récits épisodiques qui
régissent et organisent son ensemble. Lesage et Le Clézio
privilégient cette caractéristique structurale dans leur
récit. Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane, on assiste à
plusieurs récits qui, sans aucune nécessité, prolongent le
roman. En général, c'est l'histoire de tel ou tel compagnon de
Gil Blas, qui ayant survécu à une situation semblable à
celle du narrateur, ce
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dernier se trouve dans l'obligation de nous la raconter. C'est
le cas ici au chapitre XI du livre premier avec « L'histoire de dona
Mencia de Mosquera » :
Je suis née à Valladolid, et je m'appelle
doña Mencia de Mosquera. Don Martin, mon père, après avoir
consommé presque tout son patrimoine dans le service, fut tué en
Portugal, à la tête d'un régiment qu'il commandait. Il me
laissa si peu de bien, que j'étais un assez mauvais parti, quoique je
fusse fille unique. Je ne manquai pas toutefois d'amants, malgré la
médiocrité de ma fortune. Plusieurs cavaliers des plus
considérables d'Espagne me recherchèrent en mariage. Celui qui
attira mon attention fut don Alvar de Mello. [...] Don Alvar me contait la
triste aventure qui avait donné lieu au bruit de sa mort, et comment,
après cinq années d'esclavage, il avait recouvré la
liberté, quand nous rencontrâmes hier sur le chemin de Léon
les voleurs avec qui vous étiez. C'est lui qu'ils ont tué avec
tous ses gens, et c'est lui qui fait couler les pleurs que vous me voyez
répandre en ce moment. (LGBS, 41, 46)
Ou au chapitre VII du livre deuxième avec «
L'histoire du garçon barbier » :
Ma mère, femme du barbier, en mit au monde six pour sa
part dans les cinq premières années de son mariage. Je fus du
nombre de ceux-là. Mon père m'apprit de très bonne heure
à raser ; et, lorsqu'il me vit parvenu à l'âge de quinze
ans, il me chargea les épaules de ce sac que vous voyez, me ceignit
d'une longue épée et me dit : Va, Diego, tu es en état
présentement de gagner ta vie ; va courir le pays. Tu as besoin de
voyager pour te dégourdir et te perfectionner dans ton art. Pars, et ne
reviens à Olmedo qu'après avoir fait le tour de l'Espagne. [...]
Pour moi, moins affligé d'avoir manqué les plus précieuses
faveurs de l'amour, que bien aise d'être hors de péril, je
retournai chez mon maître, où je passai le reste de 1a nuit
à faire des réflexions sur mon aventure. Je doutai quelque temps
si j'irais au rendez-vous la nuit suivante. Je n'avais pas meilleure opinion de
cette seconde équipée que de l'autre ; mais le diable, qui nous
obsède toujours, ou plutôt nous possède dans de pareilles
conjonctures, me représenta que je serais un grand sot d'en demeurer en
si beau chemin. (LGBS, 106, 124)
Ces récits épisodiques et indépendants
sont présents de part et d'autre dans L'histoire de Gil Blas de
Santillane.
Ils s'observent également chez Le Clézio
à travers les rêveries de Geoffrey où l'auteur nous fait
part du mythe égyptien et d'Oru Chuku qui fascine quotidiennement
Geoffrey. Ces courts récits dans le texte se distinguent à
travers leur forme unique décalée de deux centimètres de
la marge des pages. Ainsi, l'oeuvre de Le Clézio laisse entrevoir de la
page :
- 99 à 103 où la prise de conscience des
traditions africaines par Geoffrey devient une confession sur une Afrique qui
brûle face à l'horreur de l'impérialisme et la raison qui
le pousse à ne pas quitter l'Afrique :
L'Afrique brûle comme un secret, comme une
fièvre. Geoffrey Allen ne peut pas détacher son regard, un seul
instant, il ne peut pas rêver d'autre rêve. C'est le visage
sculpté des marques isis, le visage masqué des Umundri. Sur les
quai d'Onitsha, le matin, ils attendent, immobiles, en équilibre sur une
jambe, pareils à des statues brûlées, les envoyés de
Chuku sur la terre. C'est pour eux que Geoffrey est resté dans cette
ville, malgré l'horreur qui lui inspire les bureaux de l'United Africa,
malgré le Club. (Onitsha, 99)
Page 69
- 137 à 141 : Moïse, Geoffrey et le livre des morts
égyptiens.
- 142 à 149 : Les rêveries de Geoffrey
- 156 à 160 : La fascination de Geoffrey pour le peuple de
Meroë
- 185 à 193 : Geoffrey rêve du peuple de
Meroë
- De 201 à 205 : Le départ de Geoffrey pour Aro
Chuku.
- De 243 à 248 : l'histoire d'Aru Chuku tombé aux
mains des anglais le 28 novembre 1902.
- De 275 à 280 : Lettre de Fintan à Marina en Hiver
1968
A travers ces différents récits aux structures
épisodiques et intercalées, les auteurs de notre corpus veulent
nous faire part de leur vision de la vie. Cette structuration
particulière des récits nous fait également part de
l'esthétique picaresque qui guide l'imaginaire de ces romans. Le souci
de tout décrire minutieusement la vie des personnages-héros et
personnages-adjuvants met en exergue le désir de nos auteurs de
représenter la vie quotidienne. Ces récits sont pourtant moins
indispensables dans la trame narrative du récit. Mais ils continuent
à perpétuer l'écho picaresque qui fait l'unanimité
dans ces ouvrages.
3. De la fiction autobiographique au récit
hétéroclite et hybride
Une observation des textes de notre corpus nous permet de
relever une certaine hybridité dans l'expérimentation du
récit auquel est voué le texte. Ceci dit, le roman picaresque
serait au carrefour de rencontre de différentes esthétiques du
roman. Généralement qualifié de « berceau du roman
européen des temps modernes » (Vaillancourt, 1994 :59), on constate
que ces romans picaresques soumis à notre analyse se trouvent à
mi-chemin entre plusieurs types de roman. Ainsi, l'autobiographie est le
premier principe structurant du récit. Certes, l'autobiographie y est
identifiable dans toute sa splendeur, mais nous observons aussi les traits de
la satire, du comique, de l'aventure ainsi que de l'initiatique dans ces
romans.
Commençons par l'autobiographie. Jørgensen Kathrine
(1986 :85) trouve que :
Le roman picaresque adopte délibérément
la forme de l'autobiographie fictive, la narration porte la marque d'un style
personnel et particulier, celle d'une perspective subjective et limitée
et gagne ainsi en cohérence
Comme nous pouvons le constater l'autobiographique serait le
principe structurant du récit picaresque. Bien que le « Je »
soit ici intrinsèque dans l'un de nos ouvrages - à l'instar
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d'Onitsha - identifions des procédés
littéraires et stylistiques liés à l'autobiographie
auxquels ces ouvrages s'attachent profondément.
Dans le Gil Blas de Santillane, nous assistons au
récit centralisé sur le « je » narrateur. L'auteur
narre à travers Gil Blas, une série d'aventures à laquelle
il est passé. Ce « je » narratif, rends l'auteur de ce texte
omniscient et omniprésent dans toutes les scènes du récit.
On peut noter que le narrateur nous étale ici l'histoire de sa propre
vie, ses aventures mondaines qui ont contribuées à son ascension
fulgurante vers les hautes marches de la société. Cette
autobiographie s'observe ici bien entendu à travers la
déclaration de Gil Blas au lecteur qui peut être dans une certaine
mesure considérée comme le prologue de ce récit :
Avant que d'entendre l'histoire de ma vie, écoute, ami
lecteur, un conte que je vais te faire. [...] Qui que tu sois, ami lecteur,
[...] Si tu lis mes aventures sans prendre garde aux instructions morales
qu'elles renferment, tu ne tireras aucun fruit de cet ouvrage ; mais si tu le
lis avec attention, tu y trouveras, suivant le précepte d'Horace,
l'utile mêlé avec l'agréable. (LGBS, 3)
On note ici que Gil blas, narrateur omniscient nous conte sa
propre histoire, l'histoire de sa vie. Voyant qu'ici Lesage se substitue en Gil
Blas, héros de son roman, nous pouvons affirmer ici qu'on assiste
à une sorte d'autobiographie fictive.
L'autobiographie fictive est aussi observable dans Onitsha
dans la mesure où c'est Le Clézio qui, à travers
Fintan, raconte ses aventures africaines. Mais par mesure de prudence, vu le
contexte social de production et de publication de l'ouvrage, utilise mieux le
personnage de Fintan pour étaler ses exploits coloniaux. A travers ce
« je » légitime sous forme épistolaire qu'utilise
Fintan dans le récit ; Le Clézio nous fait part de cette
autobiographie qui traverse ce roman :
Marina, que puis-je te dire de plus, pour te dire comment
c'était là-bas, à Onitsha ? Maintenant, il ne reste plus
rien de ce que j'ai connu. A la fin de l'été, les troupes
fédérales sont entrées dans Onitsha, après un bref
bombardement au mortier qui a fait s'écrouler les dernières
maisons encore debout au bord du fleuve. [...] Marina, je voudrai tant que tu
ressentes ce que je ressens. Est-ce que pour toi, l'Afrique c'est seulement un
nom, une terre comme une autre, un continent dont on parle dans les journaux et
dans les livres, un endroit dont on dit le nom parce qu'il y a la guerre ?
(Onitsha, p.275-277)
Fintan fait le récit des derniers
événements qui se sont produits à Onitsha, l'occupation et
la guerre sur la baie du Biafra. Le « Je » ici présent
s'identifie à lui. On note l'expression de ses sentiments. Cet
épisode épistolaire du récit met en relief la fiction
autobiographique présente dans ce récit.
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Cette fiction autobiographique qui fleurit dans ces
récits picaresques, laisse également place à d'autres
types d'esthétique que l'on ne peut ignorer. Ainsi, on identifie dans
ces récits une esthétique d'initiation, de formation et
d'aventure.
Le roman initiatique ou roman de formation est une
esthétique romanesque dans laquelle on identifie un enfant comme
héros et qui, à travers diverses péripéties, est
confronté à plusieurs situations de la vie qui lui permettront en
retour d'apprendre assez sur les mystères de la vie. Cette
esthétique de formation est exclusivement centrée à cet
effet sur l'éducation. C'est dans ce champ que s'inscrit bien entendu
tout récit picaresque. Ici, on présente un héros naïf
et innocent qui devra affronter plusieurs obstacles de la vie afin de s'en
sortir. C'est l'initiation aux rythmes de la vie, aux règles de
l'existence et aux pièges à éviter pour s'en sortir dans
un monde rempli de vices.
Prenons pour exemple deux extraits des textes de notre corpus
et confrontons-les. Le premier est tiré de L'histoire de Gil de
Santillane qu'on nomme « texte A » et le second tiré
d'Onitsha nommé « texte B » :
TEXTE A : « De quelle manière Gil Blas fit
connaissance avec les valets des petits-maîtres ; du secret admirable
qu'ils lui enseignèrent pour avoir peu de frais la réputation
d'homme d'esprit, et du serment singulier qu'ils lui firent faire. »
Ces seigneurs continuèrent à s'entretenir de
cette sorte, jusqu'à ce que don Mathias, que j'aidais à
s'habiller pendant ce temps-là, fût en état de sortir.
Alors il me dit de le suivre, et tous ces petits-maîtres purent ensemble
le chemin du cabaret où don Fernand de Gamboa se proposait de les
conduire. Je commençai donc à marcher derrière eux avec
trois autres valets ; car chacun de ces cavaliers avait le sien. Je remarquai
avec étonnement que ces trois domestiques copiaient leurs maîtres,
et se donnaient les mêmes airs. Je les saluai comme leur nouveau
camarade. Ils me saluèrent aussi, et l'un d'entre eux, après
m'avoir regardé quelques moments, me dit : frère, je vois
à votre allure que vous n'avez jamais encore servi de jeune seigneur.
Hélas ! Non, lui répondis-je, il n'y a pas longtemps que je suis
à Madrid. C'est ce qu'il nie soluble, répliqua-t-il. Vous sentez
la province. Vous paraissez timide et embarrassé. Il y a de la bourre
dans votre action. [...] J'avais un extrême plaisir à les
entendre. Leur caractère, leurs pensées, leurs expressions me
divertissaient. Que de feu ! Que de saillies d'imagination ! Ces gens-là
me parurent une espèce nouvelle. Lorsqu'on en fut au fruit, nous leur
apportâmes une copieuse quantité de bouteilles des meilleurs vins
d'Espagne, et nous les quittâmes pour aller dîner dans une petite
salle où l'on nous avait dressé une table. Je ne tardai
guère à m'apercevoir que les chevaliers de ma quadrille avaient
encore plus de mérite que je ne me l'étais imaginé
d'abord. Ils ne se contentaient pas de prendre les manières de leurs
maîtres ; ils en affectaient même le langage ; et ces marauds les
rendaient si bien, qu'à un air de qualité près,
c'était la même chose. J'admirais leur air libre et aisé.
J'étais encore plus charmé de leur esprit, et je
désespérais d'être jamais aussi agréable qu'eux.
(LGBS, 155-156)
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TEXTE B : Onitsha.
C'était la saison rouge, la saison d'un vent qui
gerçait les rives du fleuve. Fintan allait de plus en plus loin,
à l'aventure. Quand il avait fini de travailler l'anglais et le calcul
avec Maou, il s'élançait à travers le champ d'herbes, il
descendait jusqu'à la rivière Omerun. Sous ses pieds nus la terre
était brûlée et craquante, les arbustes étaient
noircies par le soleil. Il écoutait le bruit de ses pas résonner
au-devant de lui, dans le silence de la savane. [...] Quand il courait, les
longues herbes durcies frappaient sur son visage et ses mains comme des
lanières. Il n'y avait pas d'autre bruit que les coups de ses talons sur
le sol, le coup de son coeur dans sa poitrine, le raclement de son souffle.
Maintenant, Fintan avait appris à courir sans la fatigue. La plante de
ses pieds n'était plus cette peau pâle et fragile qu'il avait
libérée de ses souliers. C'était une corne dure, couleur
de la terre. Ses orteils aux ongles cassés s'étaient
écartés pour mieux s'agripper au sol, aux pierres, aux troncs
d'arbres. (Onitsha, 104-105)
A partir de ces deux extraits tirés des ouvrages du
corpus. Nous pouvons identifier plusieurs types d'esthétiques
romanesques. A travers des procédés de styles et de formes nous
pouvons tour à tour identifier, un récit d'aventure, un
récit de formation ou initiation et un récit satirique. La
formation et l'aventure ont presque le même procédé de
repère. Ainsi à travers la découverte des nouveaux
horizons, d'une nouvelle terre, d'une nouvelle condition, Gil Blas et Fintan se
sentent différents. Ils doivent forcément apprendre pour
s'adapter, pour suivre. Ils passent d'une manière ou d'une autre
à un processus d'acquisition des règles de survie qu'impose la
société dans laquelle ils devront désormais
évoluer.
Gil Blas connaît une nouvelle condition chez les petits
maîtres et il doit se former de façon inconditionnelle pour
être à la hauteur de la classe sociale de son nouveau
maître. Il admire les manies de son maître, ses
fréquentations. C'est aussi le cas chez Fintan. Son arrivée
à Onitsha s'est faite de façon très brusque et rapide.
L'environnement lui étant hostile et il devra s'adapter d'une
manière ou d'une autre. C'est pourquoi l'aide de Maou et de Bony
deviennent nécessaires pour que Fintan s'africanise.
Le satirique est une autre esthétique que nous pouvons
identifier dans ce corpus. Le texte A, tout comme le texte B, mettent un accent
particulier sur le satirique. A travers la description caricaturale
fondée sur l'exagération des traits que nous observons dans ces
extraits, nous pouvons affirmer qu'il s'agit de la satire.
Ainsi, en prenant appuis sur les fragments suivants
tirés respectivement des extraits ci-dessus :
« Ils ne se contentaient pas de prendre les
manières de leurs maîtres , · ils en affectaient
même le langage , · et ces marauds les rendaient si bien,
qu'à un air de qualité près, c'était la même
chose »
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« Maintenant, Fintan avait appris à courir
sans la fatigue. La plante de ses pieds n'était plus cette peau
pâle et fragile qu'il avait libérée de ses souliers.
C'était une corne dure, couleur de la terre. Ses orteils aux ongles
cassés s'étaient écartés pour mieux s'agripper au
sol, aux pierres, aux troncs d'arbres».
Nous constatons que ces fragments ironisent bien la formation
de ces deux jeunes héros. Ils mettent en exergue le ridicule de la
situation face à l'initiation de ces héros aux caprices de
l'environnement. Ces deux passages présentent un côté
railleur et sarcastique ouvert sous un comique déguisé. De ce
fait, on a à faire à une esthétique satirique car les
auteurs essayent de montrer la rudesse de s'adapter à de nouvelles
moeurs.
Tout compte fait, on trouve que l'autobiographique fictive,
les esthétiques d'initiation, de formation, d'aventure et satirique sont
précisément des esthétiques de second plan présent
dans un roman picaresque. Toutes ces caractéristiques montrent bien que
notre corpus est traversé de l'esthétique picaresque. Une
esthétique qui est au centre de plusieurs autres. C'est pourquoi nous
voyons en l'esthétique picaresque, une forme d'hybridité. Nous
qualifions ici le récit picaresque de récit hybride à
cause de sa forme disparate. L'hybridité se produit lorsque deux ou
plusieurs discours se disputent l'autorité de l'énonciation.
Ainsi, dans notre cas, le récit picaresque renferme à lui seul
plusieurs autres esthétiques que l'on peut identifier succinctement, et
à travers divers procédés de forme et de fond. Dans le
récit picaresque on retrouve en général un récit
centré sur la satire, l'aventure et la formation pour ne citer que
ceux-ci. On parlera en général de roman de mémoire. Ceci
dit, le récit picaresque utilise différents
procédés qui font appel à un effort de mémoire de
la part du narrateur. C'est le récit des aventures qu'il a vécues
pendant une période de son existence (qui s'étend de la naissance
à la vieillesse en général).
Le récit picaresque se retrouve donc au carrefour de
plusieurs sous-genres romanesques par le biais de son esthétique
particulière. Il médite de par son récit sur les actions
du héros et des hommes. Il est représentatif des moeurs de la
société où le héros picaresque naïf, innocent
et d'une candeur non négligeable poursuit une vie de misère,
devenant tour à tour gueux et vagabond, cesse de l'être à
un moment donné de son existence. Et de ce fait, on retrouve une
multitude d'esthétiques formant à elles seules
l'esthétique picaresque. Il s'agit bien entendu de celles que nous avons
pu identifier dans notre corpus à l'instar des récits de
formation, d'initiation, satirique, d'aventure et du voyage.
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En définitive, il était question dans ce
chapitre d'insister sur la structure fonctionnelle de la survivance picaresque
dans notre corpus. Nous avons démontré comment
l'esthétique picaresque s'identifie dans nos textes à travers une
structuration particulière du récit. Nos textes du corpus
obéissent aux règles générales observées
dans le picaresque. Pour ce, nous avons insisté sur la narration
autobiographique, la question d'anti-héroïsme des principaux
protagonistes, les récits épisodiques, hétéroclites
et hybrides identifiables dans les textes. Ceci pour montrer qu'un écho
picaresque fait l'unanimité de notre corpus. Ainsi, on assiste à
un narrateur homodiégétique, racontant lui-même sa propre
histoire, ses aventures au crible des jugements. Bref, on peut affirmer qu'il y
a une survivance picaresque dans ces récits dans la mesure où ils
mettent en exergue les éléments primordiaux qui permettent de
caractériser le picaresque.
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CHAPITRE 2 : LA MISE EN SCÈNE DU LANGAGE
PICARESQUE : LES FORMES
SATIRIQUES.
1. De la caricature
La caricature se conçoit en général comme
la représentation exagérant les traits, les
caractéristiques physiques, l'habillement ou les manières propres
à un individu dans le dessein de produire un portrait-charge. Nous
verrons ici qu'elle peut aussi s'appliquer aux actions de l'homme. Car d'un
point de vue philologique ce mot caricature viendrait de l'italien et se
traduit littéralement par « charger ». Ceci dit, en France
tout comme dans les autres pays du monde où la liberté
d'expression occupe une place prépondérante, caricature et charge
reçoivent le même sens. Dans ce cas, ayant la même
étymologie italienne, ils s'appliquent non seulement au dessin ou
à la peinture mais également aux oeuvres littéraires.
Néanmoins, désignant la représentation grotesque soit
d'une personne, soit d'un fait qu'on veut ridiculiser, la caricature se dit
être tout trait s'ajoutant à la nature de quelque chose de
forcé, d'exagéré, de bouffon. Jean Pascal Daloz (1996 :
74) a d'ailleurs apporté une nette appréhension à ce
concept lorsqu'il affirme :
De prime abord, en forçant sciemment le trait, en
provoquant une distorsion dommageable de la figure des dirigeants dans le but
de s'en gausser, la caricature [...] [rompt] le « charme » et [vient]
pervertir la relation unissant gouvernants et gouvernés. Son action
délégitimante, corrosive, serait des plus redoutables : c'est
que, ridiculisant la tête, on [ébranle] la croyance,
l'adhésion, l'identification même au système.
De ce fait, la caricature constitue donc un moyen de
ridiculiser et de tourner en dérision les hommes et les moeurs. En
général, on parle de « caricature de situation » en
référence à son humour. Puisque derrière son
caractère humoristique, la caricature se veut le plus souvent une arme
bien élaborée pour faire une satire acerbe. En revanche, la
caricature, comme on a l'habitude de l'appréhender, ne se confine pas
seulement dans ces courtes légendes d'un comique forcé,
accompagnant les caricatures proprement dites et ajoutant le mordant de la
parole et surtout au théâtre, où elle consiste le plus
souvent dans la manière dont l'acteur joue son rôle et
exagère son personnage. Elle peut être dans l'oeuvre
elle-même, aussi bien que dans l'interprétation, et elle se
justifie par le dessein de l'auteur et de l'effet produit.
Lesage et Le Clézio, deux romanciers français
à travers notre corpus se réclament les maitres dans l'art de
continuer à perpétuer l'idée de la caricature en
littérature comme expression de la
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satire. Ainsi en ressuscitant les travaux de
Lucilius22, Juvénal23, Horace24,
Régnier25 et Boileau26 sur la satire, ces auteurs
emploient le style caricatural où le fait de tourner en dérision
les hommes et les instances sociales paraît l'arme indiquée pour
mieux dénoncer les travers de la société. Ceci peut
s'observer à travers ce passage de l'histoire de Gil Blas de
santillane où Lesage met en relief de quelle façon s'habilla
Gil Blas pour quitter Burgos :
On me montra des habits de toute sorte de couleurs. On m'en
fit voir plusieurs de drap tout uni. Je les rejetai avec mépris, parce
que je les trouvai trop modestes ; mais ils m'en firent essayer un qui semblait
avoir été fait exprès pour ma taille, et qui
m'éblouit, quoiqu'il fût un peu passé. [...] J'avais donc
un manteau, un pourpoint et un haut-de-chausses fort propres. Il fallut songer
au reste de l'habillement. Ce qui m'occupa toute la matinée. J'achetai
du linge, un chapeau, des bas de soie, des souliers et une épée.
Après quoi je m'habillai. Quel plaisir j'avais de me voir si bien
équipé ! Mes yeux ne pouvaient, pour ainsi dire, se rassasier de
mon ajustement. Jamais paon n'a regardé son plumage avec plus de
complaisance. (LGBS, 57)
A partir de cet extrait, on voit une caricature hyperbolique
du genre de vie que mène Gil Blas à travers son habillement.
Ainsi, on note la situation de ridicule que Gil blas quitte burgos pour
continuer son périple d'aventurier notoire dans d'autres villes. Ceci
nous permet d'arriver à la conclusion selon laquelle dans ces textes qui
constituent notre corpus, la verve caricaturale a atteint son apogée.
Car elle obéit aux grandes règles de l'art de la
démystification sous des jours ridicules poignants.
22 Caius Lucilius dit Lucilius (né en 180 ou
148 av. J.-C.1 à Suessa Aurunca - mort en 102 ou 101 av. J.-C.) est un
poète latin fondateur de la satire. Après sa mort, une
édition en 30 livres s'imposa, dont il ne subsiste plus aujourd'hui que
1 378 vers.
23 Juvénal (en latin Decimus Iunius
Iuvenalis) est un poète satirique latin de la fin du I er siècle
et du début du IIe siècle après Jésus-Christ. Il
est l'auteur de seize oeuvres poétiques rassemblées dans un livre
unique et composées entre 90 et 127, les Satires.
24 Horace (en latin Quintus Horatius Flaccus) est
un poète latin né à Vénose dans le sud de l'Italie,
le 8 décembre 65 av. J.-C. et mort à Rome le 27 novembre 8 av.
J.-C.. S'inspirant de son prédécesseur Lucilius, Horace
renouvelle le genre Satirique en limitant l'extension, en s'interdisant la
satire politique, et en évitant de tomber dans la crudité et la
vulgarité. Par ses nombreux portraits de personnages pleins de vices
(avarice, gloutonnerie, raffinement extrême et ridicule dans la
gastronomie, libido incontrôlée), Horace construit une morale de
la modération et développe déjà le thème du
juste milieu qu'il célèbre ultérieurement dans les Odes et
les Épîtres
25 Mathurin Régnier, né le 21
décembre 1573 à Chartres et mort le 22 octobre 1613 à
Rouen, est un poète satirique français. Nourri des auteurs
anciens, et en particulier d'Horace, Régnier, doué d'un rare bon
sens et d'une riche imagination, « donne au langage français une
précision, une énergie et une richesse nouvelle pour
l'époque». Il sera le premier qui fera des satires en
François. Il peindra les vices avec naïveté et les vicieux
fort plaisamment.
26 Nicolas Boileau, dit aussi
Boileau-Despréaux, né le 1er novembre 1636 à Paris et mort
le 13 mars 1711, est un poète, écrivain et critique
français. Les premiers écrits importants de Boileau sont les
Satires (composées à partir de 1657 et publiées à
partir de 1666), inspirées des Satires d'Horace et de Juvénal. Il
y attaque ceux de ses contemporains qu'il estime de mauvais goût. Par
ailleurs, il est au XVIIe siècle l'un des principaux théoriciens
de l'esthétique classique en littérature, ce qui lui vaudra plus
tard le surnom de « législateur du Parnasse ». Il est l'un des
chefs de file du clan des Anciens dans la querelle des Anciens et des Modernes,
une polémique littéraire et artistique qui agite
l'Académie française à la fin du XVIIe siècle, et
qui oppose deux courants antagonistes sur leurs conceptions culturelles.
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De ce fait, on note que si une chose peut réunir les
deux auteurs, c'est la représentation caricaturale qu'ils font de leurs
différents protagonistes. Ainsi, cette représentation se
perçoit, sans aucun doute, comme l'une des modalités du
picaresque. Le regard qu'ont les narrateurs des différents personnages
qu'ils rencontrent tout au long du récit et les descriptions qu'ils en
font traduisent une vision du monde liée à une esthétique
romanesque qui se montre novatrice et révoltante. Ceci s'observe bien
entendu avec la déclaration de Lesage:
Comme il y a des personnes qui ne sauraient lire sans faire
des applications des caractères vicieux ou ridicules qu'elles trouvent
dans les ouvrages, je déclare à ces lecteurs malins qu'ils
auraient tort d'appliquer les portraits qui sont dans le présent livre.
J'en fais un aveu public : je ne me suis proposé que de
représenter la vie des hommes telle qu'elle est ; à Dieu ne
plaise que j'aie eu dessein de désigner quelqu'un en particulier !
Qu'aucun lecteur ne prenne donc pour lui ce qui peut convenir à d'autres
aussi bien qu'à lui ; autrement, comme dit Phèdre, il se fera
connaître mal à propos : stulte nudabit animi conscientiam. On
voit en Castille, comme en France, des médecins dont la méthode
est de faire un peu trop saigner leurs malades. On voit partout les mêmes
vices et les mêmes originaux. J'avoue que je n'ai pas toujours exactement
suivi les moeurs espagnoles et ceux qui savent dans quel désordre vivent
les comédiennes de Madrid pourraient me reprocher de n'avoir pas fait
une peinture assez forte de leurs dérèglements ; mais j'ai cru
devoir les adoucir, pour les conformer à nos manières. (LGBS,
2)
Bien que ce soit une forme de mise en garde, une façon
préventive pour cet auteur de n'indexer personne dans ses écrits,
nous notons là qu'il essaye de marquer une insistance majeure sur les
caractères de ses personnages. Ils sont pour la plupart des strictes
représentations des hommes en société. Alors pour que
cette description soit effective, lui, et tout comme Le Clézio utilisent
plusieurs tournures stylistiques qui permettent à un moment donné
de déconstruire le langage des différents personnages du
récit. L'ironie est l'une des armes qu'emploient ces auteurs pour
décrire satiriquement certains personnages du récit. C'est le cas
ici avec cet extrait de L'histoire de Gil Blas de Santillane où
ce dernier « fit connaissance avec les valets des petits-maîtres ;
du secret admirable qu'il lui enseignèrent pour avoir à peu de
frais la réputation d'homme d'esprit, et du serment singulier qu'ils lui
firent faire » :
Mon maître s'étant levé à son
ordinaire sur le midi, s'habilla. Il sortit. Je le suivis, et nous
entrâmes chez don Antonio Centellés, où nous
trouvâmes un certain don Alvaro de Acuila. C'était un vieux
gentilhomme, un professeur de débauche. Tous les jeunes gens qui
voulaient devenir des hommes agréables se mettaient entre ses mains. Il
les formait au plaisir, leur enseignait à briller dans le monde et
à dissiper leur patrimoine. Il n'appréhendait plus de manger le
sien, l'affaire en était faite. (LGBS, 158)
La découverte de ces personnages fascinait de plus en
plus Gil Blas. Chaque aventure pour lui, toutes les maisons dans lesquelles il
a exercé lui ont apporté toujours de nouveaux regards sur la
façon dont vivent les nobles. Ces êtres toujours abandonnés
à leur plaisir et
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éternellement fort enjoués rendaient triste ce
picaro à un moment donné. C'est le cas lorsque Gil Blas, ne
pouvant s'accoutumer aux moeurs des comédiennes, quitte le service
d'Arsénie, et trouve une plus honnête maison. Ici il trouvera du
plaisir à faire un tableau caricatural de son nouveau maître et de
la vie que mène ce dernier :
Je ne pouvais entrer dans une meilleure maison. Aussi ne me
suis-je point repenti dans la suite d'y avoir demeuré, Don Vincent
était un vieux seigneur fort riche, qui vivait depuis plusieurs
années sans procès et sans femme, les médecins lui ayant
ôté la sienne, en voulant la défaire d'une toux qu'elle
aurait encore pu conserver longtemps, si elle n'eût pas pris leurs
remèdes. Au lieu de songer à se marier, il s'était
donné tout entier à l'éducation d'Aurore, sa fille unique,
qui entrait alors dans sa vingt-sixième année, et pouvait passer
pour une personne accomplie. Avec une beauté peu commune, elle avait un
esprit excellent et très cultivé. Son père était un
petit génie ; mais il possédait l'heureux talent de bien
gouverner ses affaires. Il avait un défaut qu'on doit pardonner aux
vieillards : il aimait à parler, et, sur toutes choses, de guerre et de
combats. Si par malheur on venait à toucher cette corde en sa
présence, il embouchait dans le moment la trompette
héroïque, et ses auditeurs se trouvaient trop heureux quand ils en
étaient quittes pour la relation de deux sièges et de trois
batailles. Comme il avait consumé les deux tiers de sa vie dans le
service, sa mémoire était une source inépuisable de faits
divers, qu'on n'entendait pas toujours avec autant de plaisir qu'il les
racontait. Ajoutez à cela qu'il était bègue et diffus ; ce
qui rendait sa manière de conter fort agréable. Au reste, je n'ai
point vu de seigneur d'un si bon caractère. Il avait l'humeur
égale. Il n'était ni entêté, ni capricieux ;
j'admirais cela dans un homme de qualité. Quoiqu'il fût bon
ménager de son bien, il vivait honorablement. (LGBS,
199-200)
Dans cet extrait, Gil Blas nous fait part de la caricature de
Don Vincent qu'il rencontre dans sa nouvelle demeure où il occupera une
fois de plus le fameux poste d'homme de chambre. Sachant mêler le comique
à la critique virulente, ce narrateur a atteint l'apogée de la
satire sociale par le biais de son récit et à partir de cette
représentation picturale qu'il fait de ces maîtres tout au long de
son aventure espagnole. Don Vincent et Arsénie sont certainement deux
personnages contradictoires malgré qu'ils vivent dans le même
milieu. L'un comme l'autre ont une attitude centralisée sur la vie
mondaine. Mais Don Vincent, contrairement à Arsenie, vit de sa fortune
sans toutefois tromper la vigilance des autres tandis qu'Arsénie est
obligée d'user de tous ses charmes pour séduire et plaire le
public noble. Ces caractères, parfois très osés, pousse
Gil Blas à réfléchir aux types de maîtres auxquels
il sera confronté.
Cette idée de la satire des personnes de la
société est aussi flagrante dans le texte de Le Clézio.
Ainsi la description qu'il fait de certains personnages nous pousse à
affirmer que Le Clézio fait aussi bien de la satire. Ceci à
travers les descriptions caricaturales qu'il fait de ses protagonistes et de
leurs situations de vie. Ainsi Fintan découvre une Afrique, le regard
caricatural que les Noirs lui offrent à Cotonou est pour lui un profond
bouleversement. La découverte de ce nouveau monde où tout est
différent de la France métropolitaine l'exaspère :
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Fintan aperçut les lumières de Cotonou,
déjà irréelles, noyés dans l'horizon. [ ...] Alors,
sur le pont de charge obscurci pas l'éclat des lampions, Fintan
découvrit les noirs installés pour le voyage. Pendant que les
blancs étaient à la fête dans le salons des
premières, ils étaient montés à bord, silencieux,
hommes, femmes et enfants, portant leurs ballots sur leur tête, un par un
sur les planche qui servait de coupée. Sous la surveillance du
quartier-maître, ils avaient repris leur place sur le pont, entre les
conteneurs rouillés, contre les membrures du bastingage, et ils avaient
attendu l'heure du départ sans faire de bruit. Peut-être qu'un
enfant avait pleuré, ou bien peut-être que le vieil homme au
visage maigre, au corps recouvert de haillons avait chanté la
mélopée, sa prière. (Onitsha, 63)
A travers ce passage, on note l'absurde dichotomie entre deux
mondes diamétralement opposés et les sentiments de Fintan face
à cette triste réalité. Aussi caricatural que soit cet
extrait, l'impérialisme y est dans toute sa splendeur. Le regard des
Noirs met en évidence ici leur souffrance. Cette description nous fait
également part du monde impérialiste auquel est confronté
Fintan. Maou, aussi, est confronté à cet univers colonial. Alors
le regard qu'elle a des individus qu'elle rencontre autour de Geoffrey, son
mari ne la laissera pas indifférent. D'abord la découverte des
moeurs des colons est pour elle un moment de ridicule qui puisse être
:
Chaque semaine, les hommes en tenue kaki avec leurs souliers
noirs et leurs bas de laine montant jusqu'au genou, debout sur la terrasse un
vers de whisky à la main, leurs histoires de bureau, et leur femme en
robes claires et escarpins parlant de leurs problèmes de boy. [...]Maou
avait accompagné Geoffrey chez Gerald Simpson. Il habitait une grande
maison en bois non loin des docks, une maison assez vétuste qu'il avait
entrepris de remettre en état. Il s'était mis dans la tête
de faire creuser une piscine dans son jardin, pour les membres du club.
(Onitsha, 83)
Ici, Le Clézio raille les moeurs des membres du
Divisonnal Office. Il montre la bêtise de ces individus coloniaux
profitant de leur statut de chef pour faire voir leur côté
mégalomane. On voit ici Gerald Simpson, un colon véreux, se
prenant pour l'empereur d'Onitsha et se permettant d'user de son
autorité pour imposer sa suprématie et celle de sa race.
Le Clézio et Lesage à travers ces
différents passages soulèvent les problèmes auxquels font
face leurs différents protagonistes dans le récit. Pour eux, le
caractère des personnages joue un rôle fondamental dans
l'esthétique de la caricature comme l'expression du satirique dans leur
ouvrage. Ceci dit, on remarque l'identité même des deux
sociétés en proie aux malheurs causés par les actions des
hommes. La caricature présente ici marque la forme absolue du
picaresque. Car le picaro doit, au bout de son aventure, apporter un regard
satirique sur les actions des hommes. Puisqu'en effet, comme le dit Sophie
Duval et Saïdah JP. (2008) :
Contrairement aux cibles, les valeurs précises qui sont
supposées légitimer, chaque projet satirique restent souvent
implicites et il faut alors les induire des objets visés : la satire
recourt massivement à l'implication ironique,
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modalité énonciative centrale et trope
clé de ce dispositif à double face, et peut verser dans
l'instabilité sémantique et axiologique. (6)
De ceci, il ressort que ce soit Lesage ou Le Clézio,
les deux veulent toucher les problèmes de leurs siècles et pour
cela, des représentations parfois très grotesques de certains
personnages sont conviées pour montrer l'ampleur des situations dans
lesquelles vivent les différents protagonistes du corpus. Ces auteurs
utilisent des techniques de déformation physique comme métaphore
d'une idée en s'appuyant sur la relation caractère. Ainsi, les
personnages caricaturés peuvent parfois s'apparentés à des
monstres, à des gens sans scrupules ou encore à des personnages
d'une naïveté accrue qui, à leur risque et péril,
deviennent les marqueurs de la satire sociale d'où l'emploi
récurrent de l'ironie.
2. De l'ironie : une arme satirique.
Allusions sarcastiques ou sarcasmes, parodie ou caricature,
toutes ces formes d'expression se réclament être d'une
sensibilité propre à nos auteurs. En utilisant une technique
particulière d'écriture connue comme trope, l'ironie, ces auteurs
le privilégient et l'emploient comme le principe organisateur de leurs
romans. Cette ironie présente dans ces ouvrages se conçoit, par
ailleurs, avec Simedoh Kokou (2008) comme :
Une forme esthétique, une manière de voir, de
concevoir la réalité et surtout de la représenter, et ceci
de façon critique. C'est cet aspect critique qu'emploie le plus souvent
la littérature. Trope, l'ironie n'est pas qu'une simple substitution, un
transfert de sens, elle met en présence deux sens contradictoires dans
une aire de tension. L'écart qui s'observe est forcément le
résultat du fait que l'ironie exprime à la fois le oui et le non
dans un mouvement de va-et-vient paradoxal. Au niveau littéraire,
l'ironie est une forme rhétorique très employée. Elle est
une technique de mise à distance critique, le plus souvent entre
l'auteur et sa création, tout comme entre la réalité et sa
représentation. (35)
C'est dans cette perspective que l'ironie participe à
l'ambition de la fiction de dépasser la simple représentation du
réel. Il se crée ainsi une dynamique par laquelle l'art
s'auto-représente, se montre, afin de donner une vision
renouvelée de la réalité car, à travers l'ironie,
l'artiste se libère et peut représenter une chose et son
contraire. Schontjes le mentionne d'ailleurs dans sa Poétique de
l'ironie (2001 : 109) lorsqu'il affirme :
L'art se montre afin de rendre possible une vision
renouvelée de la réalité ; l'artiste s'efforce
d'établir une vérité originale des choses en minant leur
aspect conventionnel, qui passe par leur représentation traditionnelle.
Pour renouveler la vision du monde, il aura donc simultanément pour
tâche de nier son objet - dans ce qu'il a de conventionnel - et de le
recréer. Le recours à l'ironie permet de réaliser le
premier moment, nécessaire pour accéder au second : la
création originale, libérée des contraintes.
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De ce qui précède, on comprend que l'ironie
traduit sans doute une vision de la vie propre à nos auteurs et nous
renvoie cette image de la société corrompue où
l'injustice, l'inégalité entre le bas social et la haute
hiérarchie sont devenues quelques choses de légitimes. Alors
cette technique d'expression est un moyen pour Lesage aussi bien pour Le
Clézio d'exprimer les misères du monde.
En revanche, l'ironie désigne un décalage entre
le discours et la réalité, entre deux réalités ou
plus généralement entre deux perspectives, qui produit de
l'incongruité. L'ironie recouvre un ensemble de phénomènes
distincts dont les principaux sont l'ironie verbale et l'ironie situationnelle.
Quand elle est intentionnelle, l'ironie peut servir diverses fonctions sociales
et littéraires. Nous le savons tous que l'ironie la plus exprimée
dans nos textes est d'abord verbale. Alors cette ironie verbale prend en
général une forme de langage non-littéral,
c'est-à-dire un énoncé dans lequel ce qui est dit
diffère de ce qui est signifié. Il y a une sorte
d'éloignement concrètement observable entre le signifiant et son
signifié. Ainsi dans certains énoncés l'ironie peut se
produire de différentes manières, et ces manières sont
pour la plupart liées à d'autres figures du discours.
Dans notre corpus, on assiste à certaines figures du
discours qui laissent entrevoir une connotation ironique. L'antiphrase se
réclame l'une des fréquentes utilisations formelles d'ironie dans
la mesure où elle consiste clairement à dire l'inverse de ce que
l'on souhaite signifier tout en laissant entendre ce que l'on pense vraiment.
Mais plus loin, on assiste dans L'histoire de Gil Blas de Santillane
à une ironie hyperbolique - ou hyperbole ironique - qui se
manifeste plus principalement dans l'exagération des propos où la
verve d'une réelle diatribe est observable au premier plan :
J'acceptai donc la proposition du docteur, dans
l'espérance que je pourrais, sous un si savant maître, me rendre
illustre dans la médecine. Il me mena chez lui sur-le-champ, pour
m'installer dans l'emploi qu'il me destinait ; et cet emploi consistait
à écrire le nom et la demeure des malades qui l'envoyaient
chercher pendant qu'il était en ville. Il y avait pour cet effet au
logis un registre, dans lequel une vieille servante, qu'il avait pour tout
domestique, marquait les adresses ; mais, outre qu'elle ne savait point
l'orthographe, elle écrivait si mal qu'on ne pouvait le plus souvent
déchiffrer son écriture. Il me chargea du soin de tenir ce livre,
qu'on pouvait justement appeler un registre mortuaire, puisque les gens dont je
prenais les noms mouraient presque tous. (LGBS, 85)
On remarque dans cet énoncé une réelle
hyperbole ironique à travers les expressions comme « un si savant
maître » « il me chargea du soin de tenir ce livre, qu'on
pouvait justement appeler un registre mortuaire, puisque les gens dont je
prenais les noms mouraient presque tous ». On assiste à une sorte
de plaisanterie à la fois douteuse et sarcastique. L'auteur
exagère ses
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propos tout en les ironisant dans le but de montrer ce regard
« culturel » sur la société de cette époque
où comme nous l'avons mentionné plus haut, même ce qui est
mauvais se revendique légitime.
De plus, dans nos romans, aussi bien dans l'histoire de
Gil Blas de Santillane que dans Onitsha, la raillerie mordante
qu'est l'ironie s'observe également à travers plusieurs autres
types de figures de style. Ainsi en ayant à faire à la litote qui
consiste à minimiser les paroles, les figures telles la juxtaposition,
la digression et la circonlocution font aussi partie de cet univers sarcastique
dont les écrits de nos auteurs se réclament. Dans ces ouvrages,
notre étude de l'ironie nous permet de rendre cette analyse plus
élargie dans la mesure où restreindre l'ironie à une
simple antiphrase ironique - se limiter à dire l'inverse de ce que l'on
pense - ne permet pas de rendre compte de toutes les formes d'ironie
existantes. Cependant, vu que l'ironie n'est pas le seul discours dans lequel
on fait entendre autre chose que ce que disent les mots car les
métaphores ont aussi le même pouvoir, trouver une
définition circonscrive n'est pas chose aisée. Néanmoins
en poussant la réflexion plus loin, les travaux de Paul
Grice27 (1975) pourront nous ouvrir certains champs de vision pour
mieux explorer l'univers sarcastique auquel ces ouvrages du corpus accordent
une importance particulière.
En outre, si pour Henri Morier (1961 : 555) :
L'ironie est l'expression d'une âme qui, éprise
d'ordre et de justice, s'irrite de l'inversion d'un rapport qu'elle estime
naturel, normal, intelligent, moral, et qui, éprouvant une envie de rire
dédaigneusement à cette manifestation d'erreur ou d'impuissance,
stigmatise d'une manière vengeresse en renversant à son tour le
sens des mots (antiphrase) ou en décrivant une situation
diamétralement opposée à la situation réelle
(anticatastase). Ce qui est une manière de remettre les choses à
l'endroit.
En d'autres termes, face à une situation d'ordre
renversé ou d'injustice, l'ironie, attitude mentale, se propose de
remettre les choses telles qu'elle le voudrait et le fait non sans renverser
elle-même le processus. C'est en cela que l'ironie constitue en soi un
paradoxe parce qu'elle s'oppose d'une part à l'opinion courante ou
à une situation jugée inacceptable et pour ce faire adopte un
raisonnement qui dissimule et contredit dans son énonciation, l'objet de
la critique.
27 C'est un philosophe du langage qui s'est fait
connaître pour ses travaux dans le domaine de la pragmatique et en
linguistique. Paul Grice a élaboré une théorie selon
laquelle la signification réside dans la communication d'un locuteur
avec autrui. Il part du principe que la compréhension se fonde sur la
conversation entre plusieurs personnes, qui doivent accepter les mêmes
règles.
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Selon Morier, ce qui dérange l'ironiste est
l'incongruité entre ce qui est dit et le contexte où se produit
le discours, entre le signe et son objet. En ce sens l'ironiste est un
idéaliste qui souffre de l'erreur et voudrait corriger ce qui
déforme la vérité ou ce qui ne devrait pas être.
Pour résoudre ou remettre les choses à leur place, l'ironiste use
du dédain et surtout du rire, un rire fermé, peu ouvert. On est
ici dans la définition traditionnelle de l'ironie qu'est l'antiphrase :
dire le contraire de ce que l'on pense. C'est une première étape
dans la définition, celle qui est souvent privilégiée,
mais il ne faut pas oublier que, dès les origines, l'ironie est un
système à panorama très varié selon le but
visé, le sens voulu ou espéré, et les figures qui y
président. Il faut aussi ajouter que l'ironie appartient à
plusieurs catégories et que, par conséquent, on dénombre
plusieurs genres d'ironie. Et cette esthétique ironique est plus
présente dans nos ouvrages. L'histoire de Gil Blas de Santillane
et Onitsha, l'un comme l'autre oppose un type d'ironie
particulier. On peut ainsi distinguer :
L'ironie socratique, née de la philosophie grecque, qui
se caractérise par une ignorance ou une complaisance simulée afin
de faire ressortir l'ignorance réelle de la victime ou cible. C'est une
attitude ou état d'esprit qui apparaît aussi dans
l'auto-dénigrement raffiné, humaine, mais souvent pleine
d'humour. Kokou Simedoh (2008) trouve que :
Cette ironie fonctionne sur la dissociation entre les
identités, entre l'être et le paraître, qui est finalement
sa source. Elle feint la naïveté et la plaisanterie. Le rire
provoqué est équivoque et porteur d'un jugement ambigu. Ici
l'ironie est plutôt une attitude qu'autre chose, car l'ironiste, par le
rire, cherche son propre plaisir mais le fait aux dépens d'autrui ou de
lui-même. (48)
Ainsi, ce type d'ironie joue sur la dissimulation qui est la
première caractéristique de l'ironie selon Schaerer. Selon lui,
l'ironie constitue un masque qui demande à être arraché.
L'eirôn, en grec, se présente comme inférieur à ce
qu'il est réellement. Il minimise les titres de gloire qu'il
possède. C'est un mystificateur, un flatteur qui joue sur la tromperie.
C'est la figure de Socrate qui se fait passer pour un ignorant pour mieux
confondre ses adversaires (48). Attitude interrogatrice, l'ironie se trouve au
coeur de la maïeutique et cherche à faire coïncider la
conscience intellectuelle et morale. Dans l'histoire de Gil Blas de
Santillane, cette figure d'ironie plus palpable lors « De ce que fit
Gil Blas, ne pouvant faire mieux » :
Je prenais un air gai en leur versant à boire, et je me
mêlais à leur entretien, quand je trouvais occasion d'y placer
quelque plaisanterie. Ma liberté, loin de leur déplaire, les
divertissait. Gil Blas, me dit le capitaine, un soir que je faisais le
plaisant, tu as bien fait, mon ami, de bannir la mélancolie. Je suis
charmé de ton humeur et de ton esprit. On ne connaît pas d'abord
les gens. Je ne te croyais pas si spirituel ni si enjoué. Les autres me
donnèrent aussi mille louanges. Ils me parurent si contents de moi, que,
profitant d'une si bonne disposition : messieurs, leur dis-je, permettez que je
vous découvre mes sentiments. Depuis que je demeure ici, je me sens tout
autre que je n'étais auparavant. Vous m'avez défait des
préjugés de mon éducation. J'ai
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pris insensiblement votre esprit. J'ai du goût pour
votre profession. Je meurs d'envie d'avoir l'honneur d'être un de vos
confrères et de partager avec vous les périls de vos
expéditions. Toute la compagnie applaudit à ce discours. On loua
ma bonne volonté. Puis il fut résolu tout d'une voix qu'on me
laisserait servir encore quelque temps pour éprouver ma vocation ;
qu'ensuite on me ferait faire mes caravanes. Après quoi on m'accorderait
la place honorable que je demandais. (LGBS : 29)
On note ici une ironie utilisée par Gil Blas pour
flatter et tromper la vigilance de ses compagnons voleurs et forçats
afin d'échapper à leur fratrie. Ici, on remarque comment Gil Blas
use de tous les moyens nécessaires pour ne plus faire partie du monde de
brigands de grand chemin. Il multiplie les airs d'honnête homme, d'homme
apprivoisé ou satisfait de sa condition pour se libérer de cette
contrainte immorale pesant sur sa conscience. « Je meurs d'envie d'avoir
l'honneur d'être un de vos confrères et de partager avec vous les
périls de vos expéditions », signifie tout court qu'il
souhaite s'échapper de cette prison souterraine où il est
contraint de passer nuit et jour sous les ordres des brigands, de Domingo et de
la cuisinière. Il fait croire à ces hébergeurs qu'il est
d'accord avec leurs actions quelles que soient leurs natures et pourtant c'est
faux.
Hors mis l'ironie socratique, on peut relever un autre type
d'ironie guidant l'ensemble des ouvrages que constitue notre corpus : l'ironie
de situation. Encore appelée l'ironie du sort, elle matérialise
par le renversement, la contradiction observée par l'homme surpris que
la situation ne soit pas celle qu'il avait prévue ou qu'il
considère comme devant être l'ordre des choses. Ce sentiment de
surprise et de rebondissements est la manifestation de rapprochements
inattendus de réalités. C'est en général une
situation renversée contre toute attente. Le renversement est souvent le
fruit du hasard. Le renversement ironique s'opère avec des
éléments précis comme l'aveugle qui recouvre tout à
coup la vue, le naïf qui induit par dissimulation son interlocuteur en
erreur. Il peut jouer dans n'importe quel sens : ce qui est laid peut devenir
beau, une récompense peut survenir au lieu d'une condamnation. C'est ici
qu'apparaît l'inadéquation des comportements :
Il fallut donc continuer de me contraindre et d'exercer mon
emploi d'échanson. J'en fus très mortifié, car je
n'aspirais à devenir voleur que pour avoir la liberté de sortir
comme les autres ; et j'espérais qu'en faisant des courses avec eux, je
leur échapperais quelque jour. Cette seule espérance soutenait ma
vie. L'attente néanmoins me paraissait longue, et je ne laissai pas
d'essayer plus d'une fois de surprendre la vigilance de Domingo ; mais il n'y
eut pas moyen. (LGBS, 30)
On note ici que ce type d'ironie peut être perçu
comme de la soumission du hasard, de l'aléatoire, à la logique
mais une logique inattendue. L'ironie de situation joue donc sur des
identités cachées et sur l'écart entre l'être et le
paraître, sur l'apparence et la réalité. Le prototype est
l'arroseur arrosé, comme on le voit dans plusieurs comédies -
principalement
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les auteurs de la comédie classique -. Cette ironie
fonctionne surtout par des péripéties, ayant un caractère
dramatique, et se propose en général de montrer un fait par le
renversement, ce dernier accompagnant une situation de symétrie
où tout semble à première vue en ordre. Sa finalité
le plus souvent est de présenter la vie à travers les
péripéties inattendues qui la jalonnent. La vision du monde
habituel demande l'identité de l'apparence et de la
réalité ; elle suppose que ce qui se ressemble s'assemble.
L'ironie verbale fait aussi l'apanage de notre corpus dans la
mesure où elle est non seulement une attitude mentale de dissimulation,
mais aussi une forme d'expression. Ainsi, fondée sur la fausse modestie,
sur une certaine naïveté, l'ironie verbale repose surtout sur des
pratiques langagières spécifiques. Autant l'ironie du sort repose
sur des situations, autant l'ironie verbale se situe entièrement au
niveau du langage. Elle consiste à dire quelque chose tout en
prétendant ne pas le dire ou encore à appeler les choses par
leurs contraires. L'idée de contraire est fondamentale car selon
Cicéron cité par Kakou (2008 :53), l'ironie est un jeu de mots
obtenu par inversion verbale. C'est une manière de déguiser sa
pensée par une raillerie continue, une manière de dissimuler sa
pensée sous un ton sérieux. A cet effet, Kokou trouve qu' :
Une ironie verbale a lieu dès lors qu'il y a
désaccord entre les mots et ton de l'énonciation,
l'énonciateur ou la cible ou victime, ou encore la nature du sujet. On
dépasse de loin ici le simple fait du contraire ou de l'antiphrase. La
contradiction et le contraste suscités entre les mots et une nouvelle
attitude et le sentiment qui s'y rattache forment le socle de l'ironie verbale.
(53-54)
On constate ici que le lecteur ou l'interlocuteur doit faire
intervenir son jugement parce que l'ironie dite verbale devient un outil qui
mine à la base la réalité, qui remet en question le
discours dominant. Car elle critique, raille et se moque en représentant
un monde idéal. Dans Onitsha ou encore dans l'histoire de
Gil Blas de Santillane cette réalité cruelle des choses est
plus palpable et réellement définie à travers les
différentes actions de nos héros. On assiste à des
héros, qui généralement devant une situation de la vie
quotidienne insupportable, change de ton du discours pour marquer ainsi une
différenciation entre l'émotion suscitée devant une
situation de désillusion et les conséquences morales, physiques
qui y découlent. Ceci s'observe dans Onitsha où Maou
fait part d'un contraste virulent entre ses rêveries et la cruelle
réalité de sa condition de vie à Onitsha :
Tout à coup, [Maou] comprenait ce qu'elle avait appris
en venant ici, à Onitsha, et qu'elle n'aurait jamais pu apprendre
ailleurs. La lenteur, c'était cela, un mouvement très long et
régulier, pareil à l'eau du fleuve qui coulait vers la mer,
pareil aux nuages, à la touffeur des après-midi, quand la
lumière emplissait la maison et que les
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toits de tôle étaient comme la paroi d'un four.
La vie s'arrêtait, le temps s'alourdissait. (Onitsha, 167)
Maou se retrouve confrontée ici à
l'absurdité de la vie en Afrique. Elle est prise au piège entre
ses rêveries d'auparavant sur l'Afrique et la dure réalité
à laquelle elle se trouve confrontée. De ce fait, elle ne peut
qu'ironise - «Elle avait appris en venant ici, à Onitsha, et
qu'elle n'aurait jamais pu apprendre ailleurs. La lenteur, c'était cela
» - pour rendre supportable la situation dans la laquelle elle prend une
part grande.
3. Humour et sarcasme des personnages
Vu le caractère des héros picaros du corpus, les
différents protagonistes aventuriers ont sûrement connu beaucoup
de découvertes tout en déportant d'une société
à une autre, d'une culture à une autre, ils ont bien entendu
développés des attitudes humoristiques leur permettant de
digérer les moeurs osées auxquelles ils sont confrontées.
C'est là l'un des principes fondateurs de l'esthétique
picaresque. Ainsi, la verve humoristique étant la conséquence
d'une rupture de l'équilibre entre les humeurs, elle privilégie
le grotesque, le pittoresque et surtout l'inattendu auxquels s'attache le
picaresque. Les auteurs de notre corpus nous le font remarquer à travers
leurs héros. Parlant de la verve humoristique, l'encyclopédie
Universalis (1996 : 1754) note qu':
Il soulève ainsi la question de l'absurdité de
l'entendement humain, par lequel il n'est pas possible d'entrevoir une
adéquation véritable entre les pensées et les actes,
celle-ci se heurtant à une dérision infinie. [il] s'allie
à un mépris de l'univers qui cache l'idée
anéantissante d'une intelligence limitée et
démasquée assimiler ainsi à une sorte de démence
qui transformerait la mélancolie en plaisanterie par l'effet
supérieur d'un moi parodique.
Ce rôle que joue l'humour montre dans une mesure
certaine à quoi se limite le roman picaresque en quelle que sorte. La
découverte de diverses couches sociales est un moment de
mélancolie pour nos héros mais qui le plus souvent la montre
à travers un rire sarcastique. Nos protagonistes à un moment
donné font un discours humoristique juste pour se consoler de leur
existence hostile. On assiste surtout à une sorte de repli sur soi pour
supporter le mal-être auquel ils sont confrontés. Ce lot de
consolation s'observe bien entendu chez Fintan. Après la révolte
des forçats à Isubun et l'abandon de sa maison par le D.O. Gerald
Simpson, Fintan observe avec humour le désenchantement de ce colon
despotique :
Alors [Fintan] était allé jusqu'à la
maison blanche près du fleuve. Il avait vu la grille
déformée, là où le sang avait coulé et
imprégné la boue. Le grand trou de la piscine paraissait une
tombe inondée. L'eau était boueuse, couleur de sang. Il y avait
deux soldats armés de fusils en faction devant le portail. Mais la
maison semblait étrangement vide, abandonnée. Tout d'un coup,
Fintan avait compris que Gerald
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Simpson n'aurait jamais sa piscine. Après ce qui
s'était passé, plus personne ne viendrait creuser la terre. Le
grand trou se remplirait d'eau boueuse à chaque saison, les crapauds
viendraient y chanter la nuit. Cela l'avait fait rire, d'un rire qui
était comme une vengeance. Simpson avait perdu. (Onitsha,
253)
Cette description un peu triste donne à Fintan un
certain goût de satisfaction pour ce qui est arrivé au D.O. Ce
passage bercé d'humour laisse également entrevoir du sarcasme
dans ce récit. Le ridicule dans le renversement des rôles est ce
qui rend la tonalité de cet extrait intéressant.
Chez Lesage, cette verve humoristique est encore plus
flagrante, dans la mesure où il s'agit pour Gil Blas de mener une vie de
tromperie afin de se faire une place au soleil. Les techniques du discours de
ce narrateur s'observent d'ailleurs sur l'essentiel que constituent l'humour
noir et le sarcasme. Ainsi, dans le livre Premier au Chapitre VII « De ce
que fit Gil Blas, ne pouvant faire mieux », le héros se retrouve
coincé entre les voleurs et il devra être ingénieux pour se
sauver. Alors il emploie des formules d'humour aboutissant au sarcasme pour
plaire à son auditoire hostile et aussi malin :
Je prenais un air gai en leur versant à boire, et je me
mêlais à leur entretien, quand je trouvais occasion d'y placer
quelque plaisanterie. Ma liberté, loin de leur déplaire, les
divertissait. Gil Blas, me dit le capitaine, un soir que je faisais le
plaisant, tu as bien fait, mon ami, de bannir la mélancolie. Je suis
charmé de ton humeur et de ton esprit. On ne connaît pas d'abord
les gens. Je ne te croyais pas si spirituel ni si enjoué.
(LGBS, 29)
Gil Blas est confronté ici à une situation
particulière. Il est tombé par destin aux mains des brigands.
Après une tentative d'évasion non concluante où il se fait
attraper, il se trouve dans l'impossibilité actuelle de
s'échapper. Il doit se faire à l'idée de rester parmi ces
voleurs et pour ce faire, il est obligé de se substituer aussi en bandit
dans le seul but de tromper la vigilance de ses bourreaux. Cette action
décisive est mise au point par des discours apologétique qu'il
fait à l'endroit des voleurs. L'extrait ci-dessus dénote un
discours sarcastique que Gil Blas met en exergue pour tromper ses bourreaux. Le
sarcasme que l'on note ici n'est qu'une sorte de stratagème discursif
dans le simple but d'arriver à assouvir son désir de
s'évader du monde des voleurs.
Par ailleurs, l'humour tout comme l'ironie est une notion qui
présente de nombreuses analogies en son sein car il se réclame
aussi être un fait de langage. Tout comme sa meilleure amie l'ironie,
l'humour présente un écart par rapport à une
énonciation mais à la différence de l'ironie elle ne
présente pas le même développement. Il est pris dans une
certaine mesure comme une antiphrase qui consiste à faire entendre autre
chose que ce que l'on dit. Il est aussi défini par Du Marsais et
Fontanier (2008 :19) comme un procédé plus général
qui consiste à
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dire par manière de raillerie tout le contraire de ce
qu'on pense ou de ce que l'on veut faire penser aux autres. Seulement à
la différence de l'ironie, très facile à repérer
par le biais de ses traits particuliers, l'humour ne se caractérise pas
par un trope spécifique. Il se manifeste par toute une
variété de degrés, de procédés, de
thèmes et son aspect subtil et diffus en fait généralement
un phénomène complexe à cerner. Néanmoins Cazamian
et Robert Escarpit (1963) l'abordent en s'appuyant son aspect psychologique et
trouvent que l'humour est une forme d'excentricité naturelle ou
affectée, ou du moins une anomalie qui se détache sur fond de
normalité. Dans son ouvrage intitulé l'humour, Robert
Escarpit le conçoit comme un remède lorsqu'il affirme que :
L'humour est l'unique remède qui dénoue les
nerfs du monde sans l'endormir, lui donne sa liberté d'esprit sans le
rendre fou et mette dans les mains des hommes, sans les écraser, le
poids de leur propre destin. (26)
Ceci s'observe aussi chez Jankélévitch. Ainsi
pour sa part, il trouve qu'entre l'humour et l'ironie il existerait
plutôt une question de gradation. Sans toutefois s'opposer
systématiquement comme on le croit souvent, l'humour est pour lui la
forme supérieure de l'ironie. Car comme nous pouvons le noter, l'ironie
est cinglante, malveillante, fielleuse, méprisante et surtout agressive
contrairement à l'humour qui se réclame être une nuance de
gentillesse et d'affectueuse bonhomie que l'on ne retrouve pas dans l'ironie.
L'humour est la sympathie, il est le sourire de la raison et non le reproche du
sarcasme. Il compatit avec la cible, il est complice du ridicule et se sent le
plus souvent de connivence avec lui.
Toutefois, Morier (1961) donne ci-dessous, une
définition qui résume assez bien la notion d'humour tout en
s'appuyant sur des éléments différents :
L'humour est l'expression d'un état d'esprit calme,
posé, qui, tout en voyant les insuffisances d'un caractère, d'une
situation, d'un monde où règnent l'anomalie, le non-sens,
l'irrationnel et l'injustice, s'en accommode avec une bonhomie
résignée et souriante, persuadé qu'un grain de folie est
dans l'ordre des choses ; il garde une sympathie sous-jacente pour la
variété, l'inattendu et le piquant que l'absurde mêle
à l'événement. Il feint donc de trouver normal l'anormal.
Il soutient paradoxalement, avec un sérieux apparent et tranquille
(flegme) que les situations aberrantes qu'il décrit n'ont rien que de
très naturel. Il fait semblant d'approuver les écarts, de les
justifier à l'occasion. Sa peinture, discrètement
exagérée ou légèrement en retrait sur les points
les plus irrationnels, fait entrevoir un anti-monde utopique, qui serait le
monde de l'ordre de l'intelligence. (582)
Cette définition bien étayée semble
s'adapter à l'imaginaire des romans du corpus. Que ce soit
l'histoire de Gil Blas de Santillane ou encore Onitsha,
l'humour est l'un des éléments qui guident l'écriture
satirique dont se réclament être ces deux ouvrages. Ce
caractère grotesque
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de l'humour, ce discours au rire sarcastique, s'exprime avec
Le Clézio, lorsque Sabine Rhodes fait ce reproche à Maou :
Chère signorina, vous savez, nous en voyons passer tous
les jours des gens comme votre mari, qui croient qu'ils vont tout
réformer. Je ne dis pas qu'il a tort, ni vous non plus, mais il faut
être réaliste, il faut voir les choses comme elles sont et non
comme on voudrait qu'elles soient. Nous sommes des colonisateurs, pas de
bienfaiteurs de l'humanité. Avez-vous pensé à ce qui se
passerait si les Anglais que vous méprisez si ouvertement retiraient
leurs canons et leurs fusils ? Avez-vous pensé que ce pays serait
à feu et à sang, et que c'est par vous, chère Signorina,
par vous et votre fils qu'ils commenceraient, malgré toutes vos
idées généreuses, tous vos principes et vos conversations
amicales avec les femmes du marché ? (Onitsha, 196-197)
Il faut noter ici que « les femmes du marché
» ici représentées sont des femmes noires, celles qui sont
à la merci des colons anglais. Sabine Rhodes, ce membre de
l'autorité coloniale anglaise en charge de la ville d'Onitsha, semble
trouver l'idée de la colonisation comme un bienfait pour les Noirs. Son
discours semble aussi normal, car il ne faut pas le cacher, sans eux - les
colons - l'Afrique croupirait dans une guerre sans fin. On a donc affaire
à ce type de l'humour que définit Schopenhauer (1966 :776) comme
étant le fait de plaisanter sur ce qui parait sérieux ou grave.
On peut aussi remarquer dans ce discours de l'humour telle que définit
Bergson (1981 :96), celle de décrire minutieusement ce qui est en
affectant de croire que c'est bien là ce que les choses devraient
être. Cet humour est matérialisé chez Lesage à
travers cet extrait de Gil Blas :
Messieurs, leur dis-je, permettez que je vous découvre
mes sentiments. Depuis que je demeure ici, je me sens tout autre que je
n'étais auparavant. Vous m'avez défait des préjugés
de mon éducation. J'ai pris insensiblement votre esprit. J'ai du
goût pour votre profession. Je meurs d'envie d'avoir l'honneur
d'être un de vos confrères et de partager avec vous les
périls de vos expéditions. Toute la compagnie applaudit à
ce discours. On loua ma bonne volonté. (LGBS, 29)
Ou encore dans celui-ci où exercer la médecine
pour Gil Blas semblant être un métier tout comme un autre pour Gil
Blas et son maître :
Tandis que j'aurai soin de la noblesse et du clergé, tu
iras pour moi dans les maisons du tiers-état où l'on m'appellera
; et, lorsque tu auras travaillé quelque temps, je te ferai
agréger à notre corps. [...] Je remerciai le docteur de m'avoir
si promptement rendu capable de lui servir de substitut ; et pour
reconnaître les bontés qu'il avait pour moi, je l'assurai que je
suivrais toute ma vie ses opinions, quand même elles seraient contraires
à celles d'Hippocrate. (LGBS, 87)
Ces extraits du roman de Lesage présentant à la
fois un ton comique et sarcastique rendent bien compte de l'humour qui est
présent dans ce texte. Lesage met en scène ici le
côté pervers de la société. Il néglige ou du
moins se moque des choses pourtant considérées comme graves. Dans
le premier extrait, le héros veut échapper à ses
agresseurs et trouve que le moyen pour que ce rêve devienne
réalité, c'est de se donner en spectacle dans le but de
contraindre ses
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bourreaux à le laisser s'échapper. L'humour se
réclame ici être une technique de ruse. Il utilise le rire pour
cacher sa peur et ainsi éloigner tout soupçon pouvant le freiner
dans sa quête vers la liberté. Dans le second extrait, Gil Blas
plaisante une fois de plus avec les choses graves. N'ayant aucune formation
nécessaire pour exercer la médecine, se dit devoir si possible
obéir au Docteur Sangredo, même s'il sait bien que cette
obéissance est contraire au serment d'Hippocrate. Derrière cette
plaisanterie ici bien manifestée, se cache la gravité la plus
profonde qui perce à travers le rire. La raillerie est donc ainsi
présente dans l'humour.
En outre, Dominique Noguez (2000) trouve qu'il existe
plusieurs types d'humour en général identifiable à partir
de l'intentionnalité de son énonciateur. Ainsi l'humour prend une
couleur différente en fonction des thèmes d'où Noguez tire
sa liste de paradoxe et de contraste. Il dénombre les types d'humour
tels l'humour noir, jaune, rouge, gris, vert et voire même rose (48).
Plus loin il parle aussi de l'humour caméléon et de l'humour
blanc. Mais ici, avec le contexte de production dans lequel s'inscrivent les
deux romans du corpus, il parait judicieux d'insister sur les formes de
l'humour qui donnent une verve satirique à l'écriture
incarnée par ces auteurs. De ce fait, parlant de l'humour noir, Noguez
trouve que c'est une plaisanterie féroce. Il est du côté du
macabre et privilégie le scandale. Les formes, comme l'adjectif "noir"
l'indique, sont sombres. Aussi, André Breton (1950 : 29) trouve en
l'humour noir une révolte métaphysique. Ainsi on comprend avec
Moran et Gendrel (2007 : 3) lorsqu'ils affirment que :
L'humour noir navigue donc dans des eaux proches de celles du
mauvais goût, du scandale et de l'indécence ; il est en tout cas
remarquable qu'il s'agisse d'une forme de rire qui non seulement provoque
parfois une réception malveillante, mais semble même s'y
complaire.
Cette définition rend compte bien des
caractéristiques propres à l'humour noir. Il consiste notamment
à évoquer avec détachement, voire avec amusement, les
choses les plus horribles ou les plus contraires à la morale en usage.
L'humour noir établit également un contraste entre le
caractère bouleversant ou tragique de ce dont on parle et la
façon dont on en parle. Ce contraste interpelle en général
le lecteur ou l'auditeur et à la vocation de susciter une interrogation.
C'est en quoi l'humour noir, qui fait rire ou sourire des choses les plus
sérieuses, devient exclusivement une arme de subversion. Dans
l'histoire de Gil Blas de Santillane, le narrateur ne manque pas
d'employer cette technique pour tourner en dérision la pratique de la
médecine à Valladolid. Ainsi, Gil Blas raconte :
Bien loin de manquer d'occupation, il arriva, comme mon
maître l'avait si heureusement prédit, qu'il y eut bien des
maladies. La petite vérole et des fièvres malignes
commencèrent à régner dans la ville et dans les faubourgs.
Tous les médecins de Valladolid eurent de la pratique, et nous
particulièrement. Il ne se
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passait point de jour que nous ne visitions chacun huit ou dix
malades. Ce qui suppose bien de l'eau bue et du sang répandu. Mais je ne
sais comment cela se faisait, ils mouraient tous, soit que nous les
traitassions fort mal, soit que leurs maladies fussent incurables. Nous
faisions rarement trois visites à un même malade. Dès la
seconde, nous apprenions qu'il venait d'être enterré, ou nous le
trouvions à l'agonie. [...] Nous y continuâmes à travailler
sur nouveaux frais, et nous y procédâmes de manière qu'en
moins de six semaines nous fîmes autant de veuves et d'orphelins que le
siège de Troie. Il semblait que la peste fût dans Valladolid, tant
on y faisait de funérailles. (LGBS, 99-100)
Gil Blas présente ici l'épisode de la pratique
de la médecine à Valladolid et son implication à la
poussée des patients vers la mort. Il n'avait pas la pratique
approuvée pour exercer son nouveau métier. Son maitre est
conscient du fait de son incapacité à traiter la population
atteinte de la variole, mais ce-dernier imbu de lui-même et motivé
par l'argent à gagner durant cette souffrance totale se refuse de ne pas
en profiter. Gil Blas fait cette description avec un timbre de d'humour noir
dans la mesure où on n'a pas le sentiment qu'il est touché par
les malheurs de ses patients.
Jean pierre Bertrand (1992 : 9, 10) affirme qu'il y a dans
l'humour jaune lorsque :
La vision du réel se dissout progressivement dans une
projection paranoïaque de la souillure, de la suppuration ; de
l'extériorité décrite est miroir de
l'intériorité ; le regard torve défigure le réel ;
le morbide fait place au macabre, et le macabre au sordide. L'humour jaune
procède donc d'une tension entre un désir d'absolu et le
désenchantement y découlant.
Ainsi, l'humour jaune s'appréhende ici comme une sorte
de comédie de l'ignorance et de la maladresse. Empruntant beaucoup de
ruse et d'orgueil, il s'emploie surtout à l'auto-dénigrement. On
assiste ici à une sorte de mélancolie humoristique. Cette
mélancolie résulte en général par un effet
d'hypertrophie du sujet, replié sur lui-même, objectivé en
une instance-miroir dont peut se moquer une parole résolument
solipsiste. Il en découle surtout un effet d'ironie décapante
à l'égard de tout discours. Le brassage culturel imposant une
médiation déceptrice du sujet au monde. Ce cas de figure
s'observe bien dans Onitsha où Maou, ayant rêvé
d'une Afrique imaginée exotique, tombe sur une autre Afrique en proie
aux maux de la colonisation. Ainsi le narrateur raconte :
Maou avait rêvé de l'Afrique, les
randonnées à cheval dans la brousse, les cris rauques des fauves
le soir, les forêts profondes pleines de fleurs chatoyantes et
vénéneuses, les chantiers qui conditionnent au mystère.
Elle n'avait pas pensé que ce serait comme ceci, les journées
longues et monotones, l'attente sous la varangue, et cette ville aux toits de
tôle bouillants de chaleur. Elle n'avait pas imaginé que Geoffrey
Allen était cet employé des compagnies commerciales de l'Afrique
de l'Ouest, passant l'essentiel de son temps à faire l'inventaire des
caisses arrivées d'Angleterre avec du savon, du papier
hygiénique, des boîtes de corned-beef et de la farine de force.
Les fauves n'existaient pas, sauf dans les rodomontades des officiers, et la
forêt avait disparu depuis longtemps, pour laisser la place aux champs
d'ignames et aux plantations de palmiers à huile. Maou n'avait pas
imaginé
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davantage les réunions chez le D.O., chaque semaine,
les hommes en tenue kaki avec leurs souliers noirs et leurs bas de laine
montant jusqu'au genou, debout sur la terrasse un verre de whysky à la
main, leurs histoires de bureau, et leurs femmes en robes claires et escarpins
parlant de leurs problèmes de boys. (Onitsha, 82, 83)
Ce passage d'Onitsha laisse découvrir la
grande déception de Maou vis-à-vis de son rêve sur
l'Afrique. Cette description laisse aussi entrevoir une teinte d'humour jaune
dans la mesure où Maou a voulu supporter l'Afrique à travers son
climat tropical et son environnement exotique mais en paradoxe, elle tombe sur
une Afrique plus macabre que morbide et plus sordide à l'idée de
prendre part à cette triste réalité.
La caricature, l'ironie et l'humour ici
théorisés dans ce chapitre traduisent l'excellence de la vision
satirique qu'incarnent les deux textes du corpus. De ce fait, on aboutit
à un discours pamphlétaire comme faisant partie intégrante
du picaresque. Puisque le pamphlet en lui-même est une opposition
à un fait social désobligeant et deshumanisant, il vient ici
combler l'état polémique que soulève le récit
picaresque au regard des maux de l'existence qu'affronte le héros. Le
pamphlet se veut être une écriture polémique, le plus
souvent inspiré par l'actualité. Dirigé contre un
personnage, un parti politique ou une institution, le discours
pamphlétaire est généralement bref et incisif. Parfois le
pamphlet peut se substituer en un long récit. Dans ce cas, il peut
être une oeuvre littéraire satirique ou polémique. Marc
Angenot (1982) écrit d'ailleurs à cet effet que :
Le pamphlet est un spectacle; le pamphlétaire y
«fait une scène», au sens hystérique de ce mot. Tout le
pamphlet tient alors à une dénégation: il dénonce
un pouvoir abusif en se posant comme hors des pouvoirs et même
réduit à l'impuissance. [...] Le pamphlétaire ne critique
pas l'erreur, il la transmue en usurpation, c'est dire qu'il est affamé
de légitimité. Sa vérité, on l'a vu, s'authentifie
en virilité. Face à la violence des appareils, le
pamphlétaire joue une violence verbale qui doit le dédouaner.
(342)
Le récit picaresque emploie dès lors le ton
pamphlétaire pour mettre au point son côté satirique :
description de l'univers du picaro à travers diverses
péripéties et aventures, raillerie des moeurs de la haute classe
marginalisant le bas social. Voilà ce qui attribue au discours
picaresque, un ton pamphlétaire. Puisqu'il réagit par la
dénonciation, et non l'analyse ; moralement légitimé par
son intimité avec la vérité, il peut, à la violence
de l'imposture, répondre par un terrorisme verbal. On peut bien entendu
le remarquer à travers cet extrait de Gil Blas de Santillane où
Gil Blas, ne pouvant s'accoutumer aux moeurs des comédiennes, quitte le
service d'Arsénie, et trouve une plus honnête maison :
Un reste d'honneur et de religion, que je ne laissais pas de
conserver parmi des moeurs si corrompues, me fit résoudre non seulement
à quitter Arsénie, mais à rompre même tout commerce
avec Laure, que je ne pouvais pourtant cesser d'aimer, quoique je susse bien
qu'elle me faisait mille infidélités. Heureux qui peut ainsi
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profiter des moments de raison qui viennent troubler les
plaisirs dont il est trop occupé ! Un beau matin, je fis mon paquet ;
et, sans compter avec Arsénie, qui ne me devait à la
vérité presque tien, sans prendre congé de ma chère
Laure, je sortis de cette maison où l'on ne respirait qu'un air de
débauche. (LGBS, 200)
Ici Gil Blas vient d'abandonner son service auprès
d'Arsénie. Car la maison d'Arsénie est empestée de
comédiennes débauchées et immorales. Ceci dit, le
séjour de Gil Blas parmi ces femmes a été un
véritable moment de tourment auquel ce dernier n'a pu s'accoutumer.
Alors sur un ton pamphlétaire, il nous fait une brève
représentation de ce lieu à l'immoralité exacerbée
et infeste. Ce passage se réclame être pamphlétaire dans la
mesure où l'auteur dénonce les virtuosités immorales que
renferme le monde des comédiennes ou du moins des femmes publiques.
Ce discours pamphlétaire est également mis en
exergue dans Onitsha où Maou se retrouve confronter à
l'absurdité de la vie en Afrique. Elle est prise au piège entre
ses rêveries d'auparavant sur l'Afrique et la réalité
à laquelle elle se trouve confrontée :
Tout à coup, elle comprenait ce qu'elle avait appris en
venant ici, à Onitsha, et qu'elle n'aurait jamais pu apprendre ailleurs.
La lenteur, c'était cela, un mouvement très long et
régulier, pareil à l'eau du fleuve qui coulait vers la mer,
pareil aux nuages, à la touffeur des après-midi, quand la
lumière emplissait la maison et que les toits de tôle
étaient comme la paroi d'un four. La vie s'arrêtait, le temps
s'alourdissait. Tout devenait imprécis, il n'y avait plus que l'eau qui
descendait, ce tronc liquide avec ses multitudes ramifications, ses sources,
ses ruisseaux enfouis dans la forêt. Elle se souvenait, au début
elle était si impatiente. Elle croyait bien n'avoir jamais rien haï
plus que cette petite ville coloniale écrasée de soleil, dormant
devant le fleuve boueux. Sur le Surabaya, elle avait imaginait les savanes, les
peuples de gazelles bondissant dans l'herbe fauve, les forêts
résonnant du cri des singes [...] A Onitsha, elle avait trouvé
cette société de fonctionnaires sentencieux et ennuyeux,
habillés de costumes ridicules et coiffés de casques, qui
passaient leur temps à bridger, à boire et à s'espionner.
(Onitsha, 167, 168)
Ce contraste virulent que Maou nous fait part ici, entre ses
rêveries et la cruelle réalité de sa condition de vie
à Onitsha, démontre le côté pamphlétaire de
l'écriture le clézienne. Ce discours pamphlétaire
employé ici vient confirmer et mettre en exergue le picaresque
identifié dans notre corpus.
Au terme de ce chapitre, on découvre ainsi une
esthétique satirique, symbole de la stricte représentation de la
vie des hommes en société. A partir de là se pose le
problème de la valeur du picaresque. Une esthétique de la
caricature, une écriture du social qui se veut être
représentation, peinture des moeurs et traduisant une vision du monde
propre aussi bien à Lesage qu'à Le Clézio. Ceci dit, ne
peut-on pas aussi percevoir le picaresque comme une expression d'une autre
histoire de mentalité ? La partie suivante s'attèlera à y
répondre.
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TROISIÈME PARTIE : LE
PICARESQUE : UNE AUTRE
HISTOIRE DES MENTALITÉS
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Si nous comprenons avec Didier Souiller (1980) que le genre
« picaresque [est] au service du combat d'idées» (92), nous
nous inscrivons dans la perspective selon laquelle le picaresque serait la
réécriture d'une autre histoire de mentalité. Dans ce cas,
elle se propose à créer un nouveau monde possible, une
humanité intelligible dans laquelle les clichés et l'injustice
sont méconnus. Et ceci ne peut se faire que par la peinture
dégoutant des litiges sociaux. C'est pourquoi cette dernière
partie de notre travail se propose dans un premier chapitre d'insister sur les
modes de résistance que le bas social adopte pour se
libérer des chaînes oppressantes de la haute classe. Ceci dit,
à travers le verbe picaresque comme déconstruction des
idéologies, l'esprit de satire animant les auteurs, le picaresque comme
expression d'une certaine identité commune, nous arrivons à
démontrer qu'effectivement l'esthétisation du picaro vient
remettre en question le système oppressif qui sévit dans le
monde. Le chapitre deuxième confère au picaresque l'expression
d'une vision du monde, la manifestation d'un imaginaire social, ceci par le
biais de son fervent engagement pour une cause noble ; celle de mettre un terme
aux injustices sociales.
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Chapitre 1 : MODES DE RÉSISTANCE DU BAS
SOCIAL
Comme nous le savons déjà le picaresque est une
esthétique marxiste. Et ce marxisme qui fait partie intégrante de
sa vision du monde lui confère un rôle révolutionnaire.
Ceci dit, le picaresque est par essence un genre voulant refaire l'histoire de
l'humanité à travers bien entendu sa vision du monde. Si l'on
s'en tient à cette modalité de révolution, le picaresque
devient donc un mode de Résistance ; résistance dans le temps,
résistance dans l'espace. Cette résistance s'exprime d'ailleurs
à travers son caractère subversif lié à la satire
des moeurs sociales.
Toutefois, il incombe de cerner la notion de Résistance
dans le picaresque. Ainsi, on comprend avec François Marcot (1997 : 21)
que la Résistance peut se percevoir comme :
Un combat volontaire et clandestin contre l'occupant ou ses
collaborateurs afin de libérer le pays. Résister, c'est agir.
[...1 la Résistance est une action. Comme mouvement social, la
résistance [...1 revêt toute son ampleur quand elle se structure
et quand elle se donne une visibilité identitaire sous forme
d'organisations porteuses de valeur.
De ce qui précède, on constate que la
Résistance est synonyme de la volonté de changer le monde, de le
voir autrement car les institutions sont suffisamment mal structurées
pour créer un climat de justice social. La Résistance est
à la fois révolution et changement. Ici on note aux
critères du picaresque dans la mesure où ce dernier divinise les
mêmes actions, celui de se soulever, de révolutionner la vision du
monde centralisée sur la dichotomie entre les classes sociales
créant un climat d'injustice sociale totale. Vu que le picaresque est
une réaction contre la bipolarisation de la société ayant
engendré que de misères et de peines de la couche
vulnérable, on comprend dès lors qu'il obéit à un
imaginaire de Résistance. Aussi bien en France que dans le reste du
monde, il devient toute une autre histoire de mentalité.
1. Virulence et subversion comme déconstruction
de l'idéologie dominante
Si une chose caractérise le genre et l'esprit
picaresque, c'est bien entendu le verbe de son discours. Il se dit satirique
à travers la virulence de ces mots. « Virulence » de
l'adjectif « virulent » et qui vient du bas latin « Virulentus
» signifie littéralement tour à tour « virus » et
« poison ». De cette étymologie, nous voyons dans «
virulence » ce qui est nocif, violent et surtout essentiellement agressif
voire mordante. Ainsi, les mots qui dénotent la satire dans le
picaresque doivent être suffisamment mordants pour lui attribuer une
valeur considérable. C'est la raison pour laquelle dans son ouvrage
intitulé Mauvais genre : la satire littéraire
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moderne, Duval Sophie (2008 : 5) oriente
l'écriture de la satire dans le registre des mauvais genres et
déclare :
Mauvais genre que celui de la satire, qui se délecte de
travers, de vices et de folies, qui dénigre, dégrade et
démolit, qui s'adonne aux attaques féroces, aux
dénonciations sarcastiques et aux flétrissures railleuses, qui se
complait à outrepasser les tabous, à recourir aux coups les plus
bas et à se rire du bon goût.
On voit ici la valeur discursive de la satire dans le
picaresque. Elle s'engage uniquement dans la sélection des mots les plus
redoutablement triviaux. Le langage de la satire est centré sur la
stricte représentation des moeurs de la société qui se
matérialise par une violence verbale. De ce fait, par le biais du
comique, il engendre de la polémique lorsqu'il fait la peinture acerbe
des personnages et de leurs actions. Ceci s'observe dans le Gil Blas de
Santillane lorsque le narrateur fait la description des personnages
rencontrés durant ses aventures comme dans ce cas précis avec le
personnage Annibal :
D'abord que je fus à Madrid, j'établis mon
domicile dans un hôtel garni où demeurait, entre autres personnes,
un vieux capitaine qui, des extrémités de la Castille Nouvelle,
était venu solliciter à la cour une pension qu'il croyait n'avoir
que trop méritée. Il s'appelait don Annibal de Chinchilla. Ce ne
fut pas sans étonnement que je le vis pour la première fois.
C'était un homme de soixante ans, d'une taille gigantesque et d'une
maigreur extraordinaire. Il portait une épaisse moustache qui
s'élevait en serpentant des deux côtés jusqu'aux tempes.
Outre qu'il lui manquait un bras et une jambe, il avait la place d'un oeil
couverte d'un large emplâtre à de taffetas vert, et son visage en
plusieurs endroits paraissait balafré. A cela près, il
était fait comme un autre. De plus, il ne manquait pas d'esprit, et
moins encore de gravité. Il poussait la morale jusqu'au scrupule et se
piquait surtout d'être délicat sur le point d'honneur.
(LGBS, 409)
On remarque dans cet extrait la manière dont Lesage
organise ses mots. Ces mots qui font l'unanimité de ce récit sont
bien entendu très virulents. Mêlant gradation et
périphrases hyperboliques - homme de soixante de dix ans, d'une taille
gigantesque et d'une maigreur extraordinaire - Les observations faites par
Lesage, à travers ses multiples descriptions sur l'ensemble de ses
personnages confirment la verve caricaturale qui anime cette plume satirique.
Le choix des mots est important et la manière de les agencer pour en
former un discours trivial et amer est ce qui confère au picaresque une
esthétique particulière. Cette esthétique est avant tout
une praxis. Une praxis qui a longtemps animé l'écriture des
libellistes. Puisqu'en effet, les libelles sont la forme virulente de la
satire. Très prisée entre XVIe-XVIIIe siècle, la
littérature libelliste s'est constituée autour des grands
classiques comme Mathurin Régnier, Agrippa d'Aubigné, Boileau ou
encore Montesquieu. Avec leur côté injurieux vu la rudesse des
mots employés, dénonciateur des écarts en politique, les
libelles peuvent être considérés comme la forme exclusive
d'une vraie satire. Par extension dans le domaine de la littérature,
beaucoup d'oeuvres littéraires se sont constituées en de
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véritables libelles jusqu'à nos jours. Ainsi
tout comme le libelle, l'oeuvre littéraire satirique prend parti, avant
toute chose. La raison de l'oeuvre, son but, est d'exprimer l'indignation ou la
raillerie, de réformer le monde, de corriger les hommes. Ainsi le
satiriste n'est pas toujours un artiste ; il est aussi un partisan, un
militant, un moraliste. Il se jette dans la bataille que l'auteur comique se
borne à observer et à dépeindre. Il arrive cependant que
sans avoir d'intention sociale ou morale l'artiste fait une oeuvre satirique
par la simple peinture d'une réalité haïssable, honteuse,
blâmable par elle-même. Et les textes de notre corpus peuvent
être considérés comme tels car ils sont l'exemple
adéquat d'une critique amère des problèmes et moeurs de
leur temps.
Dans Onitsha, les mots qu'emploie Le Clézio
pour décrire les méfaits de la guerre connue par la ville
d'Onitsha et presque tout le secteur de la baie de Biafra ne laissent personne
indifférente. Les souvenirs de Fintan sont exprimés d'une
façon douloureuse et les mots employés à cet effet rendent
encore la situation plus satirique :
Fintan ne peut pas oublier le regard des enfants
affamés, ni les jeunes garçons couchés dans les herbes, du
côté d'Owerri, du côté d'Omerun, là où
il courait autrefois, pieds nus sur la terre durcie. Il ne peut pas oublier
l'explosion qui a détruit en un instant la colonne des camions qui
apportait des armes vers Onitsha, le 25 Mars 1968. Il ne peut pas oublier cette
femme calcinée dans une jeep, sa main crispée vers le ciel blanc.
Il ne peut pas oublier les noms des pipelines, Ugheli Field, Nun river, Ignita,
Apara, Afam, Korokovo. Il ne peut pas oublier ce nom terrible : Kwashiorkor.
(Onitsha, 272)
On présente dans cet extrait des souvenirs d'une
Onitsha en proie à la guerre qui a fait des milliers de morts et de
déplacés. Cette guerre qui a visé le processus de la
décolonisation de cette ville du Nigéria a été
sanglante. Ce fut une grande révolution et ayant vécu cette
horreur, Fintan ne peut cesser de penser à ses milliers de Noirs qui ont
subis l'atrocité de ces émeutes, conséquence de leurs
revendications. La reprise « il ne peut pas oublier » met en exergue
ici la mémoire, une mémoire qui continue à dénoncer
les méfaits du colonialisme et le deuil que ce dernier a
orchestré à Onitsha. Fintan ne supporte pas l'esprit colonialiste
et refuse de partager la marginalité dont les colons ont couvert les
Noirs. Puisqu'en fin de compte cela ne cause que souffrance et guerre comme
Fintan affirme lui-même :
La guerre efface les souvenirs, elle dévore les plaines
d'herbes, les ravins, les maisons des villages, et même les noms qu'il a
connus. (Onitsha, 274)
Plus loin, on remarque que cette verve virulente, cette
subversion du langage s'inscrit dans tous les genres satiriques. Que ce soit
dans le pamphlet, la parodie ou encore le burlesque auxquels notre corpus
s'identifie d'une manière ou d'une autre, la symbolique du langage est
bien entendu liée à son esthétique, à la
manière dont les mots sont agencés. C'est pourquoi le
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langage qui fait la substance même du genre satirique
s'observe dans une certaine mesure à travers ses invariants
thématiques : marques boursoufflées du sujet de
l'énonciation, pathos de l'outragé sans spécialité,
sans autre légitimité que son rapport à une
vérité paradoxale enfouie et évidente, que l'adversaire a
travestie. Ainsi, d'après Bleton (1985 : 444) le langage satirique du
picaresque aussi prophétique que soit-il :
Doit redonner aux mots leur vrai sens, aux imposteurs leur
véritable identité, le tout sur fond de pessimisme
intégral, puisqu'il est toujours déjà trop tard, que le
complot pernicieux a suffisamment perverti les valeurs pour que son rapport
privilégié à la vérité signe l'isolement
définitif du pamphlétaire. Le manichéisme
sémantique tend à donner la plus grande extension à
l'écart entre notion formant paradigme, blanc et noir doivent être
irréconciliables, bien et mal parfaitement identifiés, le
poudroiement des phénomènes ramené par l'amalgame à
une cause cryptique et diabolique.
Ainsi, la virulence des mots est considérée
comme un mode de résistance et se réclame par essence le symbole
de toute écriture satirique. Elle fait la particularité aussi
bien du pamphlet, de la parodie, du libelle, du burlesque que du picaresque. Se
réclamant comme symbole, ces mots satiristes font l'unanimité et
relèvent généralement de la symbolique des imaginaires
très répandus chez les auteurs français à travers
des siècles. C'est pourquoi depuis la Renaissance, les
littératures se sont penchées sur cette esthétique pour
prendre en compte les problèmes de l'existence. L'esprit picaresque
qu'incarne la satire à travers la virulence de ses mots est ce qui a
poussé nos auteurs à s'opposer à un moment donné
aux idéologies cannibales qui ne profitent qu'à une caste de
personne. Lesage oriente ses écrits dans la caricature des moeurs du
XVIIIe siècle engendrées par l'instauration des classes et du
pouvoir exclusivement monarchique. Le Clézio pour sa part vise
l'idéologie du colonialisme tout en exposant les horreurs de
l'exploitation abusive de l'homme noir par l'homme blanc. Ces mots
étalent au grand jour la mesquinerie du climat colonial, la
discrimination raciale et sociale.
2. L'esprit de satire et l'érection de
l'agentivité (agency)
La satire est une modalité primordiale qui
confère au picaresque toutes ses lettres de noblesse. La satire à
travers les auteurs est fondée d'abord sur la notion
d'intentionnalité puisqu'ici ceux-ci ont une obligation morale et
sociétale de participer à la vie sociale des individus.
Dès lors que ces derniers sont freinés par les multiples
discriminations, les auteurs doivent se mouvoir pour trouver des solutions
idoines à l'établissement d'une justice sociale. C'est donc dans
ce sens que la satire se réclame l'imaginaire de nos différents
auteurs du corpus. Ils trouvent que le monde dans lequel ils évoluent
est suffisamment lugubre pour que leur action satirique soit
considérée comme pleinement légitime pour venir à
bout des souffrances que vit
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le bas social. La pauvreté que vit cette
couche vulnérable la transforme et la rend encore plus amère face
à la vie. Dans le passage qui suit, le lieutenant des brigands se
retrouve face à la souffrance d'une enfance qu'il aurait voulu vivre
autrement. La condition miséreuse de sa famille a rendu ses parents
détestables :
Mon père était un boucher de Tolède. Il
passait, avec justice, pour le plus grand brutal de la ville, et ma mère
n'avait pas un naturel plus doux. Ils me fouettaient dans mon enfance comme
à l'envi l'un de l'autre. J'en recevais tous les jours mille coups. La
moindre faute que je commettais était suivie des plus rudes
châtiments. J'avais beau demander grâce les larmes aux yeux et
protester que je me repentais de ce que j'avais fait, on ne me pardonnait rien,
et le plus souvent on me frappait sans raison. Quand mon père me
battait, ma mère, comme s'il ne s'en fût pas bien acquitté,
se mettait de la partie, au lieu d'intercéder pour moi. Ces traitements
m'inspirèrent tant d'aversion pour la maison paternelle, que je la
quittai avant que j'eusse atteint ma quatorzième année.
(LGBS, 20)
On voit à travers cet extrait comment le gout de la
satire du mode de vie du bas social semble prend à coeur
l'écriture de Lesage. Ce dernier nous présente à travers
la décadence de la vie de son personnage, les multiples problèmes
auxquels sont confrontés les individus du bas social et
à quoi leurs enfants doivent passer et vivre. L'inexistence de la classe
sociale aurait permis à ces derniers de vivre autrement, dans de
condition plus acceptable. La satire de Lesage vient donc ici nous montrer
comment elle parait importante pour exprimer une classe en proie à moult
malheurs existentiels. L'esprit de satire est donc ici un symbole
d'imaginaire.
Chez Le Clézio, cet esprit de satire s'exprime aussi
à travers sa volonté de vouloir changer le monde, à son
intention de s'opposer au colonialisme sur le continent africain.
L'environnement dans lequel les Noirs évoluent est fait de
promiscuité et de discrimination. Les Noirs ne sont pas
considérés comme des hommes à part entière. Ainsi
à travers l'extrait ci-dessous :
A Cotonou, Maou et Fintan avaient marché sur la longue
digue qui coupait les vagues. Dans le port, il y avait beaucoup de cargos
entrain de décharger. Plus loin, les barques des pécheurs,
entourées de pélicans. [...] Fintan refusait de porter un
chapeau. Ses cheveux châtains, raides et coupés droit sur le
front, lui faisaient comme un casque. [...] Il faisait une chaleur torride
dès les premières heures du jour. Sur les quais, les dockers
entassaient les caisses de marchandises et préparaient celles qu'on
allait embarquer, les cotons, les secs d'arachide. (Onitsha, 54)
Les Noirs dans cet extrait sont des esclaves, ils sont
appelés bien entendu à des métiers plus avilissants
à l'instar d'être « docker » comme mentionné dans
le passage. La vie en Afrique n'est pas aisée, rien qu'un océan
de mal-être causé par un vécu quotidien miséreux.
Chez Le Clézio, la satire n'est pas anodine, elle va au-delà d'un
simple fait formel, de l'écriture. Cette satire transcende l'imagination
et se réclame être en réalité une position brutale
sur le réel dans la mesure où les auteurs veulent agir et
s'affirmer.
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Ces deux auteurs exigent à travers le corpus une vision
du monde, celle de ne jamais se taire devant une horreur qui met en jeu la vie
des individus. Ceci dit, les images et schèmes textuels satiriques que
Lesage et Le Clézio mettent en exergue dans notre corpus, nous font part
de leur désir volontaire de changer la réalité des choses,
de le rendre d'une manière ou d'une autre plus supportable. Ils veulent
guérir la société du mal-être auquel elle
s'identifie et souhaitent sortir une bonne fois pour toute du voûte de
l'enfermement qu'est le quotidien du bas social. A ce titre, nous
aboutissons à la dimension active de la satire qui nous permet d'ouvrir
le champ d'analyse de l'agentivité28.
Du terme anglais agency, théorie
appliquée en sciences humaines et sociales et aujourd'hui dans le
domaine des études littéraires, la notion d'agentivité est
définie par Véronique Lord (2012 : 19) comme :
La capacité d'agir en fonction de ses propres
intérêts [...], ce qui implique de s'autodéterminer, de
prendre des décisions et d'agir de manière autonome [...]. Elle
suppose la possibilité d'effectuer des changements dans trois registres:
la conscience individuelle, la vie personnelle et la société
[...], et éventuellement de faire un lien entre expérience
personnelle et réalité collective, entre malaise ou souffrance
vécus sur le plan individuel et oppression par les institutions sociales
et politiques [...].
A partir de cet essai de définition, on note que
l'agentivité ou encore agency renvoie alors à une
puissance d'agir qui n'est pas une détermination
inhérente au sujet, plus ou moins certifiée, mais le fait d'un
individu ou plusieurs qui se désignent comme des sujets sur une
scène d'interpellation marquant la forte présence d'un pouvoir
dominant. Ainsi, on comprendra également avec Albert Bandura (2004) que
l'agentivité se conçoit également comme « cette
capacité humaine à influer intentionnellement sur le cours de sa
vie et de des actions » (9). En ce sens, les différents auteurs
à travers leur esprit de satire se représentent comme des «
agents actifs » dans la mesure où leur intention est de mettre en
place des plans d'actions afin de remédier aux problèmes du
bas social. C'est pourquoi Durandi (2004: 453) trouve que:
Agency is here understood as the property of those entities
(i) that have some degree of control over their own behavior, (ii) whose
actions in the world affect other entities'(and sometimes their own), and (iii)
whose actions are the object of evaluation (e.g. interms of their
responsibility for a given outcome).
Cet auteur étend l'idée selon laquelle nos
auteurs du corpus sont ici considérés comme des sujets sociaux.
Ils doivent cependant opérer des choix29 et prévoir
des projets d'actions30.
28 De l'anglais Agency.
29 Ici on fait
référence à l'intention
De ce qui précède, on note en priorité la
question de la volonté et de l'intention chez nos auteurs. Pour eux si
le bas social est en proie aux multiples problèmes de
l'existence et bien c'est à cause du fait qu'il soit
considéré comme une classe inférieure. Cette
dernière est marginalisé et laissé au dépourvu en
ce sens qu'elle est obligée d'utiliser les moyens immoraux pour se faire
une place respectable dans la société. Il se retrouve donc dans
l'obligation morale de riposter face à ces différentes
scènes. On remarque que cette volonté et cette intention de
changer les choses à tout prix se réclament l'essentiel de
l'écriture de Lesage comme vous pouvez le remarquer à travers
l'extrait suivant où « Gil Blas se met dans le goût du
théâtre et s'abandonne aux délices de la vie comique »
:
Je voyais des actrices et des acteurs que les applaudissements
avaient gâtés, et qui, se considérant comme des objets
d'admiration, s'imaginaient faire grâce au public lorsqu'ils jouaient.
J'étais choqué de leurs défauts j mais par malheur je
trouvai un peu trop à mon gré leur façon de vivre, et je
me plongeai dans la débauche. Comment aurais-je pu m'en défendre
? Tous les discours que j'entendais parmi eux étaient pernicieux pour la
jeunesse, et je ne voyais rien qui ne contribuât à me corrompre.
Quand je n'aurais pas su ce qui se passait chez Casilda, chez Constance et chez
les autres comédiennes, la maison d'Arsénie toute seule
n'était que trop capable de me perdre. Outre les vieux seigneurs dont
j'ai parlé, il y venait des petits-maîtres, des enfants de
famille, que les usuriers mettaient en état de faire de la
dépense ; et quelquefois on y recevait aussi des traitants, qui, bien
loin d'être payés comme dans leurs assemblées pour leur
droit de présence, payaient là pour avoir droit d'être
présents. (LGBS, 196)
Le milieu des comédiens est mis à nu par Lesage
dans le passage ci-dessus. Leurs déboires et leurs différentes
mascarades pour tromper la Noblesse s'avèrent avantageuses. La vie de
débauche est ce qui caractérise ce groupe d'individu. Et ils
utilisent leurs atouts de séducteurs véreux pour accéder
à la fortune. Ainsi, on remarque une présence satirique. Cette
satire relève de la volonté intentionnelle de dire les choses
telles qu'elles sont même si la censure reste réelle en ce qui
concerne l'Histoire de la période. Lesage montre enfin la couleur des
choses, ce que vit la basse classe31, de quoi elle se nourrit et par
quels moyens. Cet auteur se révèle alors un agent actif pour
mettre un terme définitif à aux discriminations sociétales
par le biais de son esprit satirique.
L'écriture Le clézienne à travers
Onitsha ne reste pas muette dans cette aventure satirique. Cet auteur
révèle également son intentionnalité de mettre fin
à l'injustice sociale causé par la montée d'un capitalisme
triomphant. Il s'insurge contre le colonialisme et revendique l'humanité
du Noir. L'extrait suivant l'explicite indéniablement :
30 Il s'agit ici de la pensée anticipatrice
(anticipation) qui permet de supposer les résultats de nos actes et
d'anticiper les évènements.
31 Plus particulièrement le bas
social, confère le chapitre 2 de la première partie du
présent mémoire.
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Page 103
Sur les quais de Dakar, il n'y avait que les barils d'huile,
et l'odeur jusqu'au centre du ciel. [...] il y avait le grincement du
mât, les cris des dockers. Dakar résonnait du bruit des camions,
des voix d'enfants, des postes de radio. Le ciel était rempli de cris.
Et l'odeur ne cessait jamais [...] ; c'était donc cela, l'Afrique, cette
ville chaude et violente, le ciel jaune où la lumière battait
comme un pouls secret. [...] la forteresse maudite où les esclaves
attendaient leur voyage vers l'enfer. Au centre des cellules, il y avait une
rigole pour laisser couler l'urine. Aux murs, les anneaux où on
accrochait les chaînes. C'était donc cela l'Afrique, cette ombre
chargée de douleur, cette odeur de sueur au fond des geôles, cette
odeur de mort. (Onitsha, 39)
Ce fragment met en scène le regard de Le Clézio
sur le continent africain. Les Noirs, personnes du bas social, sont
victimes de l'oppression exercée sur eux par la colonisation
occidentale. Ce sont des esclaves, des sous-hommes abandonnés à
leur triste sort. On note une ville comme Dakar32 en plein
croissance économique sous le joug du colonialisme. On note
également la misère opulente du Noir à travers cette
description péjorative. Ceci dit, Le Clézio présente ici
son intentionnalité d'aider l'humanité, surtout le Noir à
se mouvoir, à prendre position face aux situations de
déséquilibre social. Pour ce fait, l'auteur prend cette action
sur lui et revendique une société de justice et
d'égalité. Cependant, on note une idée anticipatrice
découlant d'une pareille prise de position, ce sont les
répercussions positives et révolutionnaires qui pourront changer
la vie du Noir. Ici le Noir doit faire face à ses oppressions afin de se
projeter dans le futur.
De ce qui précède, on note, à travers ces
deux auteurs du corpus, une agentivité collective33 dans la
mesure où il tente d'atteindre des buts communs. Celui de faire la
satire de la société afin d'espérer délivrer le
bas social du joug d'enfermement dans lequel la division sociale l'a
enfermé. Le bas social compte bien entendu sur l'intervention
des auteurs pour contribuer à la réalisation des buts auxquels il
aspire intimement. Dans ce cas, on conclut que les auteurs ont des intentions
communes et chacun contribue à la concrétisation de ses
dernières.
3. Le picaresque comme expression d'une identité
commune
La pratique d'une esthétique littéraire est
probablement liée à une vision de la vie commune à un
groupe d'individus particulier comme à une société et
généralement à partir de l'histoire, de l'évolution
et de la construction de celle-ci à travers les âges. Pour ce
fait, nous remarquons dans nos textes, une prédominance des motifs
liés à l'esthétique picaresque et nous pensons que l'une
des raisons qui pousse nos auteurs à écrire sous un joug
satirique est forcément et consciemment liée à la notion
d'identité. Et qui parle d'identité ici, fait appel
32 La capitale du Sénégal, pays de
l'Afrique de l'ouest.
33 Elle met en évidence la coordination de
l'effort des auteurs.
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sans aucun doute à sa forme collective. Le picaresque
est donc une forme d'identité collective dans la mesure où il
anime le corpus.
De prime abord, les sociologues et les psychosociologues ont
tenté d'apporter des définitions se résumant en quelques
mots à la notion d'identité. Ainsi pour M. Castra (2012 : 72)
l'identité peut être perçue comme « l'ensemble des
caractéristiques et des attributs qui font qu'un individu ou un groupe
se perçoit comme une entité spécifique et qu'il soit
perçu comme tel par les autres ». Il faut noter que ce concept doit
être appréhendé à l'articulation de plusieurs
instances sociales, qu'elles soient individuelles ou collectives. Cependant, en
nous concentrant sur l'identité collective comme l'une des formes de
l'identité, on convient qu'elle trouve son origine dans les formes
identitaires communautaires où les sentiments d'appartenance sont
particulièrement forts (culture, nation, ethnie...) et les formes
identitaires sociétaires qui renvoient à des collectifs, à
des liens sociaux provisoires (famille, travail, religion, etc.). Puisqu'en
effet et comme le dit Freund (1979 : 78):
Il n'y a d'identité collective que sur la base de la
conscience de particularismes. [...] Il y a identité collective parce
que les membres s'identifient à quelque chose de commun, c'est à
dire le même qui constitue ce quelque chose de commun n'est pas une
similitude totale, mais partielle. Ce qui cimente une identité
collective c'est à la fois la représentation commune que les
membres se font des objectifs ou des raisons constitutives d'un groupement et
la reconnaissance mutuelle de tous dans cette représentation, sinon
l'identité ne peut se former ou, si elle existait déjà, il
se produit une crise de l'identité.
De cet extrait, on peut en déduire l'esthétique
picaresque qui anime les textes du corpus. Ils s'opposent sans aucun doute
à la misère sociétale qui touche une classe sociale
particulière et revendique, à travers des caricatures
exacerbées, une société plus morale. Cette revendication
commune est en effet l'expression d'une identité collective dont
partagent ces auteurs. Puisqu'avant tout comme l'affirme Wittorski (2008 : 196)
« la notion d'identité collective est une intention sociale, venant
des groupes de personnes qui cherchent à revendiquer une place et
à se reconnaitre dans l'espace social ».
L'histoire Gil Blas de Santillane et Onitsha
sont deux textes exclusivement très éloignés,
situés tous les deux à l'extrémité des temps
moderne et contemporain. Mais malgré cela, ils laissent entendre une
même voix. Les voix, les paroles de leur auteur se font ressentir d'une
façon unique comme s'il s'agissait d'un même discours. À
partir de ce discours se laisse entendre une identité collective qui
anime les textes du corpus. Ainsi on observe chez ces auteurs une vision de la
vie, ils partagent sans aucun doute une même idéologie. Puisqu'ils
prennent sur eux le devoir de perpétuer le picaresque en
littérature. Ainsi le devoir de
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censurer, tourner en ridicule, les vices, les passions
déréglées, les sottises des hommes se retrouve donc
l'identité même de tout récit picaresque.
Par ailleurs, si l'on part du principe selon lequel « la
constitution d'une identité collective pour un groupe semble
répondre d'abord au besoin de se défendre vis-à-vis des
contraintes qui lui sont imposées, mais aussi de revendiquer une
définition autonome de son propre projet d'existence et enfin
d'être reconnu dans l'espace social » (Wittorski, 2008 :196),
l'esthétique picaresque se constitue donc véritablement en une
identité collective dans la mesure où elle intervient dans tous
les événements et prend la défense de la liberté
d'esprit contre l'autorité, de la libre humanité contre
l'asservissement social. Le picaresque à travers ses diverses formes
satiriques exprimées par la raillerie, la moquerie, l'ironie cinglante,
le rire vengeur, a dû, à travers des siècles
d'écriture littéraire, se revendiquer comme l'arme du faible
contre le puissant.
En addition, Bryndis Gunnarsdottir (2009 : 4) pour sa part
ajoute que la satire, ici en référence au picaresque, se situe
également aux confins des problèmes de la société
qu'elle tente de résoudre par le biais de sa verve dénonciatrice.
Pour ce faire, il déclare :
In order to discuss sensitive contempory social issues many
authors use the form of satire. It gives them the freedom to raise questions
about serious matters that people may find difficult to discuss because of
their serious nature. Discussing issues with humour and irony can take the
sharpest sting out of the issue and make it easier to figure out and find a
solution to. Satire can also be effective in catching people's attention since
it often shocks and stirs things up. Therefore i believe that the use of satire
can be helpful when serious social matters and tabus are being discussed.
On comprend que l'identité collective s'exprime dans
l'esthétique picaresque à travers la satire lorsque cette
dernière devient l'aiguille qui pique et fait se dégonfler les
outres énormes de la sottise. Et comme le mentionne Cohen Edouard, elle
est le « chétif insecte » qui déclare la guerre au
lion. Elle cloue au pilori les faux grands hommes, les pitres malfaisants qui
empoisonnent le monde de leur imposture, l'accablent de leurs dogmes et
tiennent sous leur puissance les foules fanatiques et abruties. Elle montre le
gâtisme maître du monde, la débauche législatrice de
la vertu, la friponnerie dirigeant les affaires, la forfaiture distribuant la
justice, le proxénétisme patronnant les bonnes moeurs. Elle
sème le rire, vengeur de la solennelle imbécillité
pontifiante. C'est elle qui souffle dans les roseaux que Midas a des oreilles
d'âne. Elle est nécessaire à l'humanité contre les
fausses « élites » qui ne doivent leur
prééminence qu'à leur insanité. Elle est la justice
immanente qui remet en place le monde à l'envers où le coquin
triomphe. Cette idée se voit majestueusement dans notre corpus. Ainsi
dans Onitsha Le Clézio met en relief le personnage de Maou
portant le flambeau de la
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révolte. Elle s'investit avec ardeur pour faire le
portrait de l'environnement oppressant de la colonie anglaise, la ville
d'Onitsha :
Elle se souvenait, elle avait tellement espéré
cette nouvelle vie, Onitsha, ce monde inconnu, où rien ne ressemblerait
à ce qu'elle avait vécu, ni les choses, ni les gens, ni les
odeurs, ni même la couleur du ciel et le goût de l'eau.
C'était à cause du filtre peut-être, le grand cylindre de
porcelaine blanche qu'Elijah emplissait chaque matin avec l'eau du puits, et
qui sortait si fine et blanche par le robinet de laiton. Puis elle était
tombée malade, elle avait cru qu'elle allait mourir de fièvre et
de diarrhées, et de maintenant le filtre lui faisait horreur, l'eau
était si fade, elle rêvait de fontaines, de ruisseaux
glacés, comme à Saint-Martin. (Onitsha, 74)
Maou a cru découvrir une belle terre, elle a
rêvé d'une vie plus spéciale près de son Geoffrey ;
mais hélas, la vérité est qu'elle ne rencontre que
d'amères désillusions. Son regard des uses et coutumes du
terroir, surtout le comportement des gestionnaires de l'administration
coloniale c'est-à-dire Gérard Simpson et son clan
d'administrateurs véreux et sans scrupules, la rend triste. A cause de
son amour pour Geoffrey, elle veut rester et souhaite en même temps
étaler au grand jour les insanités que sont les moeurs
coloniales. Malgré les méthodes peu persuasives de Geoffrey pour
qu'elle ferme une bonne fois sa bouche et qu'elle cesse de causer des
problèmes, Maou va en guerre contre le D.O Gérald Simpson, contre
Sabines Rhodes, contre le Resident Rally. Elle prend son courage et leur jette
en plein visage leurs comportements malsains et deshumanisants dans leurs
rapports avec les colonisés noirs.
Dans l'histoire de Gil Blas de santillane, cette
satire s'identifie, bien entendu, à travers son côté
comique outré. Une note d'indignation réelle est présente
dans la mesure où l'auteur se borne à faire une
représentation impersonnelle de son sujet en y mêlant une attaque,
une critique, une raillerie mais aussi une intention morale et surtout
réformatrice. Lesage, par le biais de son talent de satiriste, exprime
son indignation par un rire moqueur, la raillerie y est dans toute sa splendeur
et il cherche avant tout à réformer le monde, à corriger
les moeurs des hommes. C'est pourquoi, le Gil Blas de Santillane se borne
à faire des observations et à dépeindre simplement une
réalité haïssable, honteuse, blâmable par
elle-même. Ce cas s'observe bien évidemment dans le chapitre de
« Gil Blas continue d'exercer la médecine avec autant de
succès que de capacité. Aventure de la bague retrouvée
». Camille et sa mère avaient abusé de la gentillesse de Gil
Blas et s'étaient emparées par ruse « la bague de ce
dernier. Il retrouva la bague et choisit de jouer à son tour des deux
voleuses. Mais le plus important dans ce passage est la manière dont Gil
Blas joue le rôle du substitut du Docteur Sangrado :
Au sortir d'une maison où je venais de voir un
poète qui avait la frénésie, je rencontrai dans la rue une
vieille femme qui m'aborda pour me demander si j'étais
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médecin. Je lui répondis que oui. Cela
étant, reprit-elle, je vous supplie très humblement de venir avec
moi. Ma nièce est malade depuis hier, et j'ignore quelle est sa maladie.
Je suivis la vieille, qui me conduisit à sa maison, et me fit entrer
dans une chambre assez propre, où je vis une personne alitée. Je
m'approchai d'elle pour l'observer. D'abord ses traits me frappèrent ;
et, après l'avoir envisagée quelques moments, je reconnus,
à n'en pouvoir douter, que c'était l'aventurière qui avait
si bien fait le rôle de Camille. Pour elle, il ne me parut point qu'elle
me remît, soit qu'elle fût accablée de son mal, soit que mon
habit de médecin me rendît méconnaissable à ses
yeux. Je lui pris le bras pour lui tâter le pouls ; et j'aperçus
ma bague à son doigt. Je fus terriblement ému à la vue
d'un bien dont j'étais en droit de me saisir ; et j'eus grande envie de
faire un effort pour le reprendre ; mais considérant que ces femmes se
mettraient à crier, et que don Raphaël ou quelque autre
défenseur du beau sexe pourrait accourir à leurs cris, je me
gardai de céder à la tentation. Je songeai qu'il valait mieux
dissimuler, et consulter là-dessus Fabrice. Je m'arrêtai à
ce dernier parti. Cependant, la vieille me pressait de lui apprendre de quel
mal sa nièce était atteinte. Je ne fus pas assez sot pour avouer
que je n'en savais rien. Au contraire, je fis le capable, et, copiant mon
maître, je dis gravement que le mal provenait de ce que la malade ne
transpirait point ; qu'il fallait par conséquent se hâter de la
saigner, parce que la saignée était le substitut naturel de la
transpiration ; et j'ordonnai aussi de l'eau chaude, pour faite les choses
suivant nos règles. (LGBS, 93)
Ce récit comique, teinté de sarcasmes, met en
exergue une société où tout le monde est fripon. On
assiste à une anarchie totale, personne ne respecte rien. Le
médecin, incarné ici par Gil Blas, ne maitrise rien du domaine de
la médecine. Il n'a jamais fait une école de médecine, ni
reçu une formation essentielle pour faire « saigner » les
malades. Il invente des méthodes pour soigner ses patients. Ses patients
sont des ignorants, mais aussi des voleurs qui veulent qu'on leur porte
assistance. Ce passage est en vérité un cri de colère pour
Lesage qui dénonce les us et moeurs d'une société
corrompue jusqu'à l'âme. On dénote à travers ce
récit humoristique, une satire violente des comportements des hommes.
Au vu des extraits précédents tirés des
deux textes du corpus, on note que le picaresque par le biais d'une satire
spécialisée anime les deux textes. Ces ouvrages se veulent
caricaturaux, dans la mesure où ils nous font le portrait des
environnements sociaux des héros, ce qu'ils ont à affronter comme
moeurs corrompues des hommes. Tout compte fait, force est de constater qu'une
identité commune prend corps dans les deux ouvrages du corpus. Cette
identité commune liée à l'esthétisation du picaro
nait du constat que les deux textes se mettent à faire de la satire,
à dénoncer les travers sociaux des hommes avec indignation et
visant un seul objectif : celui de la correction de l'esprit. En gardant sa
tradition gréco-romaine avec Juvénal, Perse ou Horace, et sa
tradition classique avec Marot, Boileau ou encore Aubigné, l'esprit
satirique présent dans le corpus cherche à instruire et à
toucher. C'est pourquoi l'objectif se double d'une méthode : les auteurs
cherchent l'amusement, ils font rire de leur verbe. Ici tous les
procédés du comique : mouvement dialogué, monologue
grotesque, portrait
Page 108
caricatural, anecdotes intercalées, jeux de mots et
quiproquos sont mis en exergue pour exprimer une identité collective.
En définitive, ce chapitre nous a instruits sur les
différents modes de Résistance qu'emploie le bas social
pour faire face aux multiples problèmes dont il est au centre. A
travers la virulence des mots, l'érection de l'agence et le picaresque
pris comme une identité commune par des auteurs, on constate que le
bas social s'arme effectivement pour résister aux diverses
oppressions qu'il subit quotidiennement. Le picaresque devient donc le canal
d'expression du bas social dans la mesure où il met en
scène les difficultés auxquelles font face les
déshérités, la couche vulnérable de la
société. De ce fait, le picaresque se revendique être
définitivement une vision du monde.
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CHAPITRE 2 : PICARESQUE ET LITT RATURE: UNE VISION DU
MONDE
1. Le picaresque : un genre engagé
Si l'on comprend avec Molho Maurice qu'étant lié
à des conditions sociales et historiques bien définies, le
picaresque serait un genre engagé. On doit, néanmoins,
reconnaitre que la trace de cette esthétique est aujourd'hui une
réalité qu'on ne peut renier dans la littérature
française. Fort de ce constat, on parle d'« écho » ou
encore de « permanence » picaresque pour désigner les romans
qui tendent à pérenniser ce genre. Puisqu'en
réalité et partant du postulat des études anhistoriques,
« le roman picaresque est considéré comme une forme
romanesque ouverte qui continue à se développer et à
exercer une influence dans littérature européenne » et
mondiale. (Jorgensen, 1981 :2).
Ceci dit, il a fallu au moins deux siècles après
l'apparition du Lazarillo de Tormes que l'on tente d'identifier le
picaresque en France. Le modèle hispanique à cet effet n'est rien
d'autre que l'un des textes de notre corpus. L'histoire de Gil Blas de
Santillane est le texte le plus prisé en France qui reprend
l'esthétique picaresque à travers son esprit d'engagement. Connu
comme le modèle dans la littérature française en ce qui
concerne son esthétique particulièrement engagée,
L'histoire de Gil Blas de Santillane pose les jalons du picaresque
empruntés des récits espagnols. Ainsi, en prenant appui sur les
caractéristiques essentielles des romans de moeurs hispaniques, on note
que ce texte du corpus obéit à l'esprit de satire des classes
sociales érigé par le Lazarillo (1554) et repris par
Matéo Aleman dans son Guzman d'Alfarache (1601). Dans la
littérature française, il se pose la question de la
pérennité du picaresque. C'est la raison pour laquelle l'approche
modale mise sur pied par Scholes sur l'esthétique du genre romanesque
vient enlever le doute qui règne quand il s'agit de montrer la
permanence d'un genre comme le picaresque, comment il s'exprime dans la
littérature d'aujourd'hui et ceci à travers quels
procédés.
Scholes dans ses Modes de la fiction (1977) distingue
le mode34 du genre, utilisant le terme «
genre » pour l'étude d'oeuvres individuelles
considérées sous l'angle de leur rapport avec des traditions
spécifiques, historiquement identifiables. Les études
génériques ont plus précisément pour objectif de
grouper les oeuvres de telle manière qu'elles soient reliées
aussi bien aux modes qu'aux traditions littéraires - sans que la
spécification de l'oeuvre particulière soit sacrifiée -.
Le roman picaresque, dans cette perspective, est un genre spécifique,
lié à la
34 Scholes distingue le mode du genre, utilisant le
terme « genre » pour l'étude d'oeuvres individuelles
considérées sous l'angle de leur rapport avec des traditions
spécifiques, historiquement identifiables.
Page 110
tradition espagnole des XVIe et XVIIe siècles et dont
la thématique est dominée exclusivement ou presque par le mode de
satire, qui lui confère en retour une posture d'engagement. De ce fait,
nous notons avec les critiques que le picaresque est une esthétique qui
traverse des oeuvres qui n'ont d'ailleurs aucun lien spécifique avec la
tradition espagnole, ceci à cause de son écriture sociale
engagée. Les oeuvres incarnent ce thème soit de manière
prédominante comme dans les oeuvres contemporaines comme nous l'affirme
Albérès (1968) soit à un degré plus faible et avec
d'autres modes comme dans le roman naturaliste ou dans tout autre
esthétique romanesque.
De ce qui précède, on comprend qu'au regard du
fait que l'engagement picaresques est présent à la fois dans les
textes espagnols et dans les textes français, la polygenèse se
pose comme une piste fondamentale dans la quête de la source du
picaresque en France. Elle inclut, comme nous le précisions à la
suite de Michel Foucault, l'idée d'une ressemblance sans contact qui
n'exclut pas les renouvellements, c'est-à-dire des
spécificités. C'est le cas avec le roman de JMG Le Clézio
: Onitsha.
En outre, en suivant aussi une approche à la fois
historique et anhistorique, on note une dissociation du thème picaresque
lié à l'engagement, du roman picaresque, en postulant qu'il peut
y avoir du picaresque hors du roman picaresque, comme il peut y avoir des
romans picaresques qui sont plus picaresques que d'autres. Ainsi en nous
inspirant de la théorie des « modes » de Scholes (1974), on
peut noter après une étude systématique que le
thème picaresque présent dans notre corpus par le biais de son
côté subversif qui lui donne les attributions de genre
engagé. Ceci dit, à travers bien entendu sa nature, sa permanence
et surtout de son rapport avec d'autres thèmes comme la satire sociale,
la pérennité du picaresque dans le texte littéraire
français est aujourd'hui observable au premier plan. Puisqu'en effet les
modes tels que définit Scholes Robert reposent sur le contenu et sur
leur définition comportant exclusivement un élément
thématique traduit par une attitude existentielle (romantique,
satirique, tragique, picaresque, comique, etc.). C'est bien sûr dans
cette ordre d'idée que Ravn Jorgensen Kathrine (1986 : 80) trouve que
:
Les modes tels que les définit Scholes sont, en
d'autres termes, de grandes catégories thématiques qui
précèdent la naissance des genres: Scholes parle de
catégories "préromanesques" (prenovelistic). Les modes sont
supposés comporter des constantes thématiques qui ont une
certaine valeur transhistorique, c'est-à-dire que ces catégories
thématiques peuvent traverser les oeuvres dans n'importe quelle
période littéraire et dans toute littérature nationale.
Les modes peuvent en outre, dans l'optique de Scholes, être
présents à des degrés variés et à
côté d'autres modes dans un grand nombre d'oeuvres.
Page 111
Si l'on se penche vers cette optique, la littérature
française renferme bel et bien la thématique picaresque
lié à l'engagement. Elle ne se limite pas seulement à une
période donnée, mais elle se téléporte de
façon diachronique et colle à la peau de toutes les autres
littératures hors des frontières espagnoles. D'un point de vue
diachronique, la question de « picarisation » des textes romanesques
français se fait cependant non-lieu puisque beaucoup de textes
romanesques ont d'une manière ou d'une autre des connotations propres
à l'esthétique picaresque. Car comme le mentionne Vaillancout
Pierre Louis (1994 :5) :
D'autres théoriciens (Rico, Guillén,
Lâzaro Carreter), stimulés par le formalisme récent, vont
plus loin et, tout en raffinant d'un côté l'analyse des traits
pertinents caractéristiques de la picaresque traditionnelle, les
retrouvent actifs dans des oeuvres modernes, alors certes manipulés,
transformés, mais suffisamment fidèles à un champ de
gravité, une force génératrice ou un centre d'attraction
(termes de Lâzaro Carreter) pour mériter la désignation de
picaresque.
C'est de ce constat que l'on retient de L'histoire de Gil
Blas de Santillane et d'Onitsha. Le premier est pourtant
considéré comme l'un des premiers romans modernes car il prend
appui sur les particularités liées au picaresque
traditionnellement parlant. En France, ces textes font l'apanage de la
prolifération des romans satiriques où les auteurs créent
des personnages qui errent dans la société à la recherche
de quoi se mettre sous la dent tout en pointant du doigt les vices de
la condition humaine.
En insistant plus précisément sur
Onitsha, l'intrigue place le héros narrateur dans un contexte
de la colonisation exacerbée des populations d'Afrique. Les
caractéristiques liées à l'aventure, au voyage, à
la recherche du bonheur et à la présentation d'un héros
qui s'identifie dans une certaine mesure au picaro font aussi l'apanage de ce
texte. Ces différents éléments permettent de le classer
parmi les textes dans lesquels on identifie une survivance du picaresque telle
que définie dans les modèles canoniques espagnoles. Ceci d'autant
plus que ce texte présente une forme narrative très subversive
déroulant une série d'épisodes indépendants et
discontinus à la fois caricaturale et mordante. Et il partage avec le
récit picaresque traditionnel et autres esthétiques cette
structure fondamentale, apocopée ou parataxique, où « le
sélectif se module de la même façon en successif, comme
l'épopée ou les romans chevaleresque ou pastoral » (5) pour
reprendre Vaillancourt. En revanche, il s'en distingue par l'absence de
quête, ce qui fait que la fin, même si elle présente un
état terminal en apparence, reste ouverte, prête à une
rallonge, comme marquée d'un « à suivre » en raison de
son instabilité et de son contexte ironique (7).
Page 112
2. La permanence picaresque : une question d'imaginaire
social
Comme déjà mentionné plusieurs fois plus
haut, le siècle d'Or est la période où naissent les
premiers récits picaresques. Ici on fait l'expérience avec les
publications successives des romans anti-pastoraux et anti-chevaleresques tels
que le lazarillo de Tormes, le Buscon ou encore le
Guzmann d'Alfarache. A travers des âges, ces romans apportent tour
à tour un plus indéniable à la construction du roman
postclassique. Perçus comme des modèles, ces romans picaresques
sont d'origine diligente pour la plupart. On a toujours à faire à
ce héros-là qui nait, grandit dans des conditions difficiles, et
qui survit grâce son désir d'aller à la conquête du
monde. Il va apprendre tour à tour les notions de la survie dans une
société, l'attitude et le comportement à adopter pour se
hisser aux sommets de la classe sociale puisque c'est le désir de tous
les hommes. La recherche de l'ascension sociale, la quête de filiation et
de soi, du bonheur en fustigeant les travers de la société sont
autant de legs du récit picaresque espagnol et que l'on retrouve
après une mise au point minutieux encore dans la littérature
française actuelle.
Ceci dit, on comprend pourquoi le picaresque même
peaufiné d'une touche contemporaine garde toujours un contact, que nous
dirons « inconscient » avec la tradition espagnole. Nous parlerons
que cette pérennité relève d'une question d'imaginaire
social. Certes, le picaresque évolue au fil du temps et se
réinvente à travers les nouveaux problèmes que rencontre
la société contemporaine. Mais il réussit à
s'acclimater dans un contexte sociopolitique totalement différent de la
société espagnole du siècle d'Or. De ce fait, le
picaresque pose de nouvelles modalités génériques en
conformité avec la société contemporaine à laquelle
elle s'identifie. La particularité de ce picaresque dit «
postclassique » ou « contemporaine » en référence
à sa conformité avec les réalités sociales
actuelles, c'est qu'il entretient toujours un contact inconscient, un
imaginaire qu'il partage socialement avec la tradition espagnole. Ceci à
travers les différentes modalités observées à la
deuxième partie de ce présent mémoire. Nos
différents protagonistes, portant le costume de picaro, gardent bien
entendu leur statut d'aventuriers notoires qui font une critique virulente des
travers de la société contemporaine et actuelle. Ainsi, suivant
un chronotope traditionnel à son identité espagnole, Vaillancourt
(1994 : 67) trouve que le picaresque postclassique obéit à un
imaginaire social et :
Propose [toujours], grâce à la stylisation,
à l'hybridisation, voire à la variation, une « image du
langage » et non plus simplement « un échantillon du langage
d'autrui ». Il remplit pleinement son rôle de faire voir une
représentation littéraire équitable des langages. Cette
équité suppose la capacité pour l'auteur de se placer dans
l'indétermination même de la conscience et du langage de son
personnage et d'en abolir tout effet de jugement. Le roman picaresque
s'écarte de cet accomplissement,
Page 113
même s'il le prépare par sa volonté de
dévoiler la conscience mensongère d'autrui et par sa
rhétorique polémique.
On voit dès lors que le picaresque français
contemporain, bien qu'étant victime d'une extrapolation temporelle et
transgénérique, a gardé sans aucun doute une image de
l'esthétique littéraire né en Espagne au siècle
d'Or. Que ce soient le Gil Blas de Santillane ou encore
Onitsha, les deux ouvrages poussent sciemment vers l'identification
d'une société picaresque ayant été
développée dans les romans canoniques du siècle d'Or
espagnol. C'est pour cette raison que Bodo Bidy C. (2005 : 322) trouve qu' :
Il est entendu que quand on parle du picaresque, la
pensée, inévitablement, renvoie à la littérature
espagnole. De là à lier les autres textes à l'architecture
picaresque à l'Espagne, cela paraît légitime, plus
exactement évident.
Ainsi, le roman de Lesage nous place dans un climat de la
société espagnole. Les aventures de Gil Blas se passent dans les
villes espagnoles où le narrateur nous présente les moeurs d'une
société corrompue à cause de la question des classes. La
recherche de l'ascension fulgurante s'observe chez tous les hommes :
Je fis quelque séjour chez le jeune barbier. Je me
joignis ensuite à un marchand de Ségovie qui passa par Olmedo. Il
revenait, avec quatre mules, de transporter des marchandises à
Valladolid, et s'en retournait à vide. Nous fîmes connaissance sur
la route, et il prit tant d'amitié pour moi qu'il voulut absolument me
loger lorsque nous fûmes arrivés à Ségovie. Il me
retint deux jours dans sa maison ; et, quand il me vit prêt à
partir pour Madrid par la voie du muletier, il me chargea d'une lettre, en me
priant de la rendre à main propre à son adresse, sans me dire que
ce fût une lettre de recommandation. (LGBS, 136)
Ces villes mentionnées ici par Lesage mettent en
exergue les villes européennes sous le climat de la monarchie. Le
héros prend corps avec ces villes car il devra bien entendu les
affronter à travers les vices et difficultés sociales qu'elles
renferment afin de se hisser au sommet, au crépuscule d'une vie faite de
sous métiers. Lesage nous fait part d'une écriture picaresque de
connivence exceptionnelle avec une société qui l'a vue naitre et
qui s'exprime mieux à travers l'exportation de ses personnages
français à la recherche de la survie dans les contrées
espagnoles. Ceci nous montre que le picaresque bien qu'étant
emprunté à l'Espagne et dont les conditions sociales sont moins
différentes, Lesage a voulu garder ce contact avec la
société espagnole en faisant une réécriture
presqu'identique des textes canoniques picaresques à l'instar du
Lazarillo de Tormes ou encore du Guzmann d'Alfarache.
Cet imaginaire social fait aussi l'apanage d'Onitsha.
Bien que l'intrigue de ce texte se situe à des milliers de
kilomètre de la société espagnole et à quatre
siècles des romans canoniques picaresques, ce texte fait voir dira-t-on
une écriture picaresque espagnole contextualisée sous
Page 114
le joug de la colonisation des territoires d'outres mers. Ici
cet imaginaire espagnol s'exprime dans les différents voyages que
Fintan, accompagné de Maou sa mère, font sur le surabaya :
Fintan n'avait pas compris tout de suite que c'était le
surabaya qui s'en allait. Il glissait le long des quais, il allait vers la
passe, vers Cape Coast, Accra, Keta, Lomé, Petit Popo, on allait vers
l'estuaire du grand fleuve Volta, vers Cotonou, Lagos, vers l'eau boueuse du
fleuve Ogun, vers les bouches qui laissaient couler un océan de boue,
à l'estuaire du fleuve Niger. (Onitsha, 51)
Onitsha nous présente à cet extrait
ci-dessus les différents éléments lexicaux liés au
voyage : une illustration des contrées coloniales. Néanmoins,
elle garde une touche espagnole au regard des textes canoniques picaresques
avec l'idée de l'instabilité du personnage principal allant d'une
ville à une autre, d'un lieu à un autre.
De ce qui précède, nous notons qu'un imaginaire
social anime ces récits picaresques et les rattache à la
tradition espagnole dans la mesure où on remarque que les deux textes
mettent en exergue la thématique du voyage. Cette dernière est
une caractéristique majeure du picaresque. Le voyage au bout de
l'abjection, sans savoir ce qui arrivera une fois au lieu souhaité. On
note que le picaro n'est jamais satisfait des aventures et continue au fur et
à mesure, quelles que soient les conditions de ses voyages. Preuves
d'autant plus remarquable que notre corpus obéit à cette
idéologie des aventures ambigües qui d'ailleurs le permettent de
garder un contact inconscient avec les textes picaresques traditionnels ayant
vu le jour en Espagne.
3. Du picaresque au picarisme : une expression de
liberté
L'esthétique picaresque, nous l'avons
déjà mentionné, est née en Espagne au siècle
d'Or et en réaction contre les autres esthétiques romanesques qui
ne prenaient pas en considération les problèmes essentiels
liés à l'existence de l'homme du bas social. Le
picaresque devient à cet effet une réaction contre les romans
pastoraux et de chevalerie puisque ces derniers mettent exclusivement en
scène les valeurs apologétiques de la tradition chevaleresque et
l'amour de la patrie. Manuel Montoya (2004 : 112) signale d'ailleurs cette
rupture que prétend amorcer le roman picaresque avec les autres
récits médiévaux. En les traitant de dépasser, elle
affirme que :
Le roman dit picaresque réagit à sa façon
contre d'autres genres romanesques qui ont connu un succès immense,
même après la parution du Lazarillo. Il s'agit du roman
pastoral et du roman de chevalerie dont les thèmes et les structures
sont d'après Mateo Alemán obsolètes et dignes d'une autre
époque (112)
Page 115
La nouvelle esthétique picaresque devient dès
lors le rejet de l'attachement au prestige généalogique puisque
la situation de misère ayant pris chair durant ces périodes fut
trop grand pour ne pas en parler dans un récit. C'est pourquoi Del
Vecchio (2011 : 12) :
En prenant directement la parole et en retraçant ses
origines modestes, voire infamantes, le héros picaresque réclame
le droit d'exister et d'aspirer à mieux dans une société
où, en définitive, les plus démunis sont suffisamment
nombreux pour qu'une telle requête soit considérée comme
pleinement légitime ».
La rupture du lignage avec les autres esthétiques a
permis au récit picaresque de se définir comme un «
microgenre35 » à part entière qui bien entendu,
milite pour une cause noble, celui de montrer au monde, les misères
quotidiennes d'une société particulière. Elle s'est
implantée comme esthétique incontournable dans l'écriture
romanesque et s'est vue finalement adopter au-delà des frontières
hispaniques vers d'autres littératures nationales auxquelles la France
ne passe pas inaperçue. Cependant, en s'extrapolant des
frontières espagnoles, le picaresque, se transmue en idéologie en
devenant une esthétique internationale. L'esthétique picaresque
quitte le statut du simple « microgenre » mais elle devient «
mesogenre » puisqu'elle prend en compte toutes les littératures
mondiales. C'est la raison pour laquelle Blanca Acinas (1997 : 97) souligne
d'ailleurs que:
Le picaresque se conçoit comme un microgenre - reconnu,
utilisé par des écrivains espagnols du temps de Cervantes et on
pourrait établir une liste plus ou moins précise, selon les
analystes, de ses traits caractéristiques - mais aussi comme un
mésogenre d'une portée géographique plus vaste.
L'esthétique picaresque s'identifie dans d'autres
littératures qui n'ont rien à avoir avec l'Espagne du
Siècle d'Or. En devenant « mésogenre », le picaresque
est dit « picarisme ». Dans ce cas, le picaresque ne se
conçoit plus comme un genre qui est lié à une
période historique donnée. C'est pourquoi en partant d'une
approche « anhistorique », l'on peut soutenir que le picaresque, ni
par sa forme, ni par son thème ne répond à des conditions
sociales spécifiques et propres à l'Espagne. Le roman picaresque
est considéré comme une forme romanesque ouverte qui continue
à se développer et à exercer une influence dans la
littérature « internationale » puisque comme l'affirme Bodo
Bidy (2005) dans sa thèse :
Si le mot, le concept est indéniablement espagnol, la
pratique, le contenu, en somme la « chose » pour sa part est
universelle au regard de l'universalité du genre - le conte - qui en est
l'origine ou le porteur. En tant que tel, les procédés
picaresques s'inscrivent dans la transculturalité. (323)
35 C'est-à-dire reconnu, utilisé par des
écrivains espagnols du temps de Cervantes exclusivement.
Page 116
Ce qui était auparavant une simple esthétique
romanesque propre à l'Espagne du Siècle d'Or se revendique
être une idéologie, une vision du monde propre à tous les
écrivains des sociétés et d'époques diverses vivant
les mêmes réalités sociales.
Aujourd'hui l'esthétique picaresque traverse beaucoup
d'oeuvres en France et se réclame être la réussite d'un
emprunt érigé à partir du XVIIIe siècle par les
auteurs français à l'instar de Lesage, de Voltaire ou encore de
Marivaux. Mêlant satirisme et réalisme, Lesage a permis à
son Histoire de Gil Blas de Santillane de s'appréhender non
seulement comme le modèle du picaresque français, mais il lui a
également attribué la force d'une idéologie fondée
sur l'écriture que l'on peut identifier dans les romans picaresques des
sociétés hors de l'Espagne.
En revanche, il est à mentionner que le vocable «
picarisme » ne se limite pas seulement aux considérations
esthétiques propres à la question de culture, à la
question de nation, mais elle se voit aussi à travers son action aux
services du bas social. De ce fait, le « picarisme »
s'exprime à travers l'aventure du personnage antihéros qui se
promène dans toutes les couches sociales pour étaler au grand
jour l'humaine condition. On peut le noter d'ailleurs chez Lesage :
Lorsque nous eûmes fait environ deux lieues, nous nous
sentîmes de l'appétit, et, comme nous aperçûmes
à deux cents pas du grand chemin plusieurs gros arbres qui formaient
dans la campagne un ombrage dés agréable, nous allâmes
faire halte en cet endroit. Nous y rencontrâmes un homme de vingt-sept
à vingt-huit ans, qui trempait des croûtes de pain dam une
fontaine. Il avait auprès de lui une longue rapière
étendue sur l'herbe, avec un havre-sac dont il s'était
déchargé les épaules. Il nous parut mal vêtu, mais
bien fait et de bonne mine. Nous l'abordâmes civilement. Il nous salua de
même. Ensuite il nous présenta de ses croûtes, et nous
demanda d'un air riant si nous voulions être de la partie. Nous lui
répondîmes que oui, pourvu qu'il trouvât bon que, pour
rendre le repas plus solide, nous joignissions notre déjeuner au sien.
Il y consentit fort volontiers, et nous exhibâmes aussitôt nos
denrées. (LGBS, 125)
Les voyages « initiatiques » auxquels sont
confrontés les picaros sont en effet l'expression de la
sensibilité qu'ont les auteurs vis-à-vis de la souffrance des
déshérités de la société. On note une sorte
de perception particulière de l'existence chez nos auteurs. Le
picaresque en tant que « mésogenre » dans les deux textes
montre comment les problèmes de misère, de la faim, de la
discrimination sociale et raciale ne font pas seulement l'unanimité
d'une période statique et propre à une société
particulière, mais il montre comment ces problèmes peuvent
perdurer à travers le temps et avoir les mêmes effets sur la vie
de l'Homme d'une époque à une autre. Puisque « dès
l'instant [...] que le malheur [...] n'est pas la condition de l'homme, la
pensée picaresque jette bas les armes et expire » (96) comme le
soulignait déjà Molho Maurice (1968). C'est en cela même
que le picaresque vu dans l'angle du « picarisme » se réclame
être
Page 117
une idéologie. Le picaresque devient une
idéologie, car elle défend une vision du monde que l'on note dans
sa manière de concevoir l'existence et de se poser en tant que genre
littéraire bien défini. En prenant appui sur la satire sociale
qui conditionne sa survivance, le picarisme est lié bien entendu
à la question de transculturalité et se positionne,
paradoxalement à d'autres genres littéraires, comme
dénonciatrice des maux sociaux. C'est la raison pour laquelle Marcheix
Daniel (1972) souligne que :
L'inégalité des chances de la vie en
société, la hiérarchie sociale rigide fondée sur la
violence et le mépris des plus petits, le conservatisme politique,
social et moral de la classe dominante sont autant d'aspects d'une
société dans laquelle la littérature picaresque peut
s'épanouir. Le simple bon sens suffit à prouver que ces notions
existent dans n'importe quelle société contemporaine ou non.
[...] La pensée picaresque est donc sans doute étroitement
liée à une constance des relations humaines (5)
A partir de cette preuve que le picaresque tente bien que mal
de prouver à travers son engagement révélateur des
problèmes de la société contemporaine, on voit que le
picaresque en tant qu'idéologie s'oppose du conservatisme social et
prône une ouverture de l'esprit des politiques dans la gestion des
phénomènes sociaux. Le picaresque prend en compte une classe
particulière, celle du bas social, puisque comme nous l'avons dit dans
les chapitres précédents, cette esthétique est née
en réaction contre des écritures romanesques - chevaleresque et
pastoral - très prisées au moyen âge et destinées
à la classe des nobles. Or, l'esthétique picaresque est une
idéologie, dont son action concrète est celle de s'insurger
contre le mal dont le bas social est victime. De ce fait, Bodo Bidy
(2005 : 314) parle bien entendu au regard de cette action du picaresque au sein
de la société et parle de la question de « logique sociale
» dans la mesure où :
L'écriture picaresque [...] est directement
associée à des conditions sociales douloureuses :
inégalité, pauvreté, injustice, etc. [...] Plus ou moins
intenses d'un espace à un autre, ces conditions dramatiques ont
favorisé l'émergence d'une écriture picaresque, celle dont
la fonction première est de se dresser contre les
inégalités sociales.
Ici cette esthétique se fait imaginaire et se
revendique être la condition de rédaction des écrivains qui
viennent de ce milieu ou qui veulent, par empathie à la condition
humaine, s'identifier aux problèmes qui minent le bas social.
Nous pouvons le noter dans Onitsha lorsque Le Clézio nous
présente l'épisode de la rencontre de Fintan sur le fleuve avec
les prisonniers noirs maltraités et accompagnés des policiers
blancs :
Au milieu de la troupe, il y avait un homme grand et maigre,
au visage marqué par la fatigue. Quand il est passé, son regard
s'est arrêté sur Bony, puis sur Fintan. C'était un regard
étrange, vide et en même temps chargé de sens. Bony a dit,
seulement, « ogbo », car c'était son oncle. La troupe a
défilé devant eux au pas
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cadencé, descendant la route poussiéreuse vers
la ville. La lumière du soleil couchant éclairait le faîte
des arbres, faisait briller la sueur sur la peau des forçats. Le
raclement de la longue chaine semblait arracher quelque chose à terre.
Puis la troupe est entrée dans la ville, suivie par la cohorte des
femmes qui continuaient à appeler les noms des prisonniers. Bony [...]
voulait partir, embarquer dans la pirogue, et glisser n'importe où,
comme si la terre n'existait plus. (Onitsha, 121122)
Le Clézio positionne son écriture dans la
défense de l'humanité des Noirs considéré ici comme
le bas social à travers, cette situation de maltraitance
à laquelle son héros assiste. On note une révolte de la
part de Fintan qui a du mal à supporter l'horreur et
l'inégalité que la colonie à travers son administration
inflige aux Noirs. Ceci vient confirmer une fois de plus l'idéologie
à laquelle s'identifie le picaresque. On note tout compte fait qu'avant
d'être une esthétique à part entière, le picaresque
est avant tout lié au roman satirique, une satire qui se veut sociale
car c'est dans la société que l'inégalité prend
corps. Cette satire sociale fait donc l'apanage du roman picaresque et se pose
comme idéologie.
Tout compte fait, il s'agissait dans ce chapitre de montrer
comment l'esthétique picaresque en tant qu'idéologie s'apparente
et se réclame être une vision du monde. Pour que cette idée
soit bien entendu vérifiable, nous avons pensé tout d'abord
montrer comment le picaresque est une esthétique qui survit et se
pérennise en France. Nous avons montré au regard de notre corpus
que le picaresque n'est pas mort au XVIIe siècle comme l'atteste
Bataillon Marcel, mais qu'elle est présente dans le roman moderne et
fait aussi l'apanage des romans postclassiques dans lequel on peut identifier
ses traces et de là, une certaine survivance voir un « écho
» pour ainsi reprendre Cevasco. Dans le deuxième volet, nous
insistons sur la question d'imaginaire social en nous focalisant sur la
permanence espagnole dans les récits picaresques. On note un apport
transculturel. Ainsi, à partir du lazarillo ou encore du
Guzmann, considéré comme les canons du picaresque, nous
avons tenté également de démontrer comment
l'esthétique picaresque, quel que soit l'endroit, le lieu où elle
prend corps, elle dénote toujours au niveau de sa trame narrative le
même contexte social connu par l'Espagne au siècle d'Or :
d'où le lieu de rencontre d'un imaginaire social. Pour finir nous
prenons appui sur le « picarisme » comme la naissance d'une
idéologie relevant de l'esthétique picaresque. En partant d'une
approche anhistorique et transhistorique, nous avons montré que
l'esthétique picaresque est transculturelle dans la mesure où les
caractéristiques du picaresque canonique espagnol peuvent être
identifiées dans les romans des autres littératures nationales.
Dans ce cas, on comprend en définitive que le picaresque n'est pas
seulement une affaire de la littérature espagnole. En se positionnant
comme une idéologie, les écrivains vivant du même contexte
social dans lequel est née cette esthétique, empruntent
Page 119
d'une façon imminente la modalité picaresque
dans leurs écrits. Par conséquent, le picaresque devient donc un
imaginaire social, une autre histoire de mentalité dans la mesure
où les écrivains d'origines diverses l'emploient de la même
manière sous leur plume dans le but de faire une critique virulente des
injustices dont est victime le bas social.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
En définitive, la satire sociale accorde un sursis
indéniable au picaresque. L'expression de la pérennité de
ce genre dans les oeuvres actuelles contribue à poser un regard
subversif sur la société. Notre mémoire s'est
disposé, tout compte fait, à repenser le picaresque à
travers un corpus composé de deux textes romanesques à l'instar
de L'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et
Onitsha de Jean-Marie Gustave Le Clézio. De ce fait, notre
analyse s'est avéré être centralisée sur le
problème du picaresque dans notre corpus. Sur quels ressorts ce genre se
fonde-t-il pour représenter la marginalité ? Dans quelles mesures
peut-on parler de modalités picaresques ? A partir de quelles
données, peut-on affirmer que ce genre réécrire les
mentalités d'une civilisation ? Toutefois, quelques hypothèses
nous ont permis d'asseoir notre travail en littérature en lui donnant
une orientation concrète et définitive. Le picaresque est en
effet un genre de nature marxiste représentant la marginalité. Le
caractère satirique de son écriture permet au picaresque de
s'inscrit dans l'atemporalité et par conséquent, il devient une
esthétique permettant de réécrire une civilisation
donnée.
Ceci dit, pour marquer la faisabilité des
différentes hypothèses citées ci-dessus, nous avons
centré prioritairement notre travail sur une double approche
théorique. Nous avons d'abord insisté sur la
transgénéricité, mis en lumière par Dominique
Moncond'huy et Henri Scepi, pour montrer comment le picaresque se
pérennise dans l'oeuvre littéraire à travers le
phénomène de changement, d'évolution et d'adaptation d'un
genre. Ensuite, nous nous sommes également focalisés sur la
critique sociologique, plus précisément le structuralisme
génétique de Lucien Goldman, pour mettre en relief le fait que
nos textes du corpus sont en effet le produit imaginé correspondant
à une structure mentale d'un groupe social donné.
C'est-à-dire qu'effectivement, ces textes sont en réalité
le reflet d'une conscience collective.
Cependant, nous nous sommes permis d'asseoir notre travail sur
trois principaux axes au regard des approches théoriques et
méthodologiques retenues. Le premier axe s'est attelé à
démontrer comment l'écriture du social organise le discours
picaresque. À cet effet, l'accent est mis sur l'univers social qui se
manifeste dans notre corpus. À travers les différents strates
lexicaux et sémantiques exprimant, bien entendu, une coloration
affective, voire un reflet de la conscience collective et mettant en relief un
ensemble de schèmes transgénériques, les fondamentaux
stylistiques et de sémantiques qui agencent nos récits sont
à découvert.
Ceci dit, le deuxième axe a insisté sur les
différentes modalités du picaresque, tous les
éléments qui modèlent sa structure, sa forme. En insistant
sur la structuration du récit -
Page 121
insistance portée sur son personnage principal - et les
formes de satire considérées respectivement comme étant la
matière et le langage picaresque, nous avons pu démontrer
qu'effectivement les textes de notre corpus s'avèrent mettre en relief
un motif picaresque indéniable. Ceci explique sa pérennité
dans la littérature française.
De ce qui précède, le troisième axe s'est
penché sur le picaresque comme étant l'expression d'une autre
histoire des mentalités. Ainsi nous avons voulu insister sur la valeur
du picaresque pris comme marqueur d'une civilisation, plus
précisément la civilisation française. Par le biais de la
satire, nous nous sommes permis de montrer comment le picaresque sert à
déconstruire les croyances des peuples. De ce fait, le picaresque se
transmue en idéologie et se revendique être l'expression de la
liberté du bas peuple. Dans les textes, le bas social est dans
une position marginale, subit de ce fait, toutes les décisions de ceux
considérés comme la haute classe ou la classe du pouvoir de
décision. Ainsi à partir d'un langage commun, celui de faire une
critique virulente, les deux textes deviennent le symbole d'une revendication
collective puisqu'en fin de compte comme l'affirme Jacques Guilhaumou (2012)
les individus sont appelés à se mouvoir et « tiennent en
commun des notions propres à mettre en place les pièces d'une
infrastructure mentale nécessaire à leur adhésion à
l'ordre social » (34). Cette revendication collective se substitue en
identité collective puisqu'elle essaye de mettre en exergue l'essence
même de l'écriture des deux auteurs. Ici les textes du corpus ont
pour dessein premier de dévoiler, à partir d'une structure
intertextuelle, la misère sociétale engendrée par la
création des classes sociales et les conflits y découlant.
Ceci étant, nous arrivons au résultat de notre
travail. Le caractère atemporel du picaresque dans la littérature
actuelle s'érige à travers l'expression de la marginalité
de son héros. Cette marginalité prend effet à partir d'une
modalité majeure qui organise exclusivement son récit ; il s'agit
bien entendu de la satire sociale. Celle-ci semble l'arme légitime pour
faire une critique acerbe des moeurs dans le picaresque. Cela se confirme, tout
compte fait, avec les dires de Maurice Molho (1968) lorsqu'il affirme que :
Si l'on impose au lecteur le personnage d'un picaro, si on
l'oblige à voir le monde à travers un regard aussi vil, si, en un
mot, on le contraint de partager l'expérience et la pensée d'un
être quasiment infrahumain, c'est à seule fin de lui
présenter l'humanité - son humanité - sous un
éclairage dépréciatif. [...] Le picaro met l'homme en
présence de tout ce que sa condition comporte de négatif, afin de
dessiller ses yeux et de démasquer les contrevérités
faussement rassurantes qui sont l'habitude de la pensée. (XI, XII)
Page 122
Au regard de cet extrait, le picaresque s'implante
effectivement dans une société de drames, « mal en partie
». cette-dernière représente sa portée
idéologique dans la mesure où le picaresque apparaît ainsi
comme « une arme de lutte sociale et politique, un débat
fondamental sur les phénomènes du racisme, de la dictature et de
la guerre » (Bodo, 2005 :22) Par conséquent, le picaresque se
revendique une esthétique atemporelle, transgénérique.
Dans ce cas, elle est reflet d'une conscience collective traduisant une fois de
plus un univers imaginaire. On note donc une sorte une renaissance du
picaresque aussi présente chez Lesage et chez Le Clézio ; mais
qui tout de même, garde un contact inconscient avec l'archétype
espagnol. Ceci dit, Onitsha s'identifie sans prétention
à L'histoire de Gil Blas de Santillane. Ayant des
similarités génériques visibles, ces ouvrages s'organisent
autour d'une même vision du monde. Ces écrivains éprouvent
sans doute une sensibilité indéniable face aux injustices
orchestrées par la division des classes. Cette sensation couplée
et vouée au goût de la critique morale et de la revendication des
humanités se transmue sous la plume des écrivains français
de génération en génération. Ainsi, Lesage et Le
Clézio : deux univers, deux mondes, deux siècles
différents, une même soif, se lisent, d'un point de vue
générique, l'un dans l'autre. On remarque certainement qu'ici, le
picaresque se pérennise dans la littérature française et
organise les récits des auteurs de différentes époques.
Au regard de ce qui est dit, on parlera d'abord de «
picaricature » pour exprimer une mentalité lié au genre et
enfin de « picarisme » car, partant d'une approche à la fois
anhistorique et transhistorique, l'esthétique picaresque devient
universelle et se revendique être une façon littéraire de
concevoir le monde. Son action est mise au service de la société,
en ce sens qu'elle doit non seulement arborer le malheur comme étant le
lot de l'humanité mais également démontrer comment le
picaro survit aux souffrances, aux vives misères, aux injustices
orchestrées par les idéologies dominantes. Ceci dit, à
partir de ce procès marxiste sur la société, le picaresque
se pose doublement, comme une attitude et une écriture de
réaction contre toute souffrance, toute injustice : d'où
l'expression de sa permanence et de son universalité.
Cependant, à partir des résultats
découlant de notre démonstration, nous arrivons à soulever
une nouvelle question, celle de savoir si l'esthétique picaresque peut,
du fait de sa littérarité, être considérée
comme un symbole de liberté et d'espoir pour le bas social.
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Page 134
TABLES DE MATIÈRES
DÉDICACE III
REMERCIEMENTS IV
RÉSUMÉ V
ABSTRACT VI
LISTE DES ABRÉVIATIONS VII
INTRODUCTION GÉNÉRALE 9
PREMIÈRE PARTIE : DE LA MISE EN SCÈNE DE
LA MARGINALITÉ A
L'ÉCRITURE DU SOCIAL 28
CHAPITRE 1 : PERSONNAGES ET MARGINALITÉ
30
1. Le personnage picaresque : un héros hors du commun.
30
1.1. La naissance ignoble des héros 32
1.2. Des protagonistes marginaux. 34
2. Le dynamisme des héros 37
2.1. Du destin incongru à la question de
responsabilité 38
2.2. De l'errance géographique à la quête
de filiation 40
CHAPITRE 2 : LA SATIRE SOCIALE : UNE FORME MARXISTE
DU
PICARESQUE 44
1. Le bas social et sa représentation 44
1.1 Le bas social dans l'histoire de Gil Blas de Santillane
et Onitsha 44
1.2 Les moeurs du bas social 45
2. Le dévoilement des structures sociales
aliénantes 47
2.1. La critique des moeurs 48
2.2. Le masque comme identité 51
3. La division sociale : le conflit des classes 56
3.1. La Cour contre le Tiers-état dans l'histoire
de Gil Blas de Santillane 57
3.2. Colons Blancs face aux colonisés Noirs dans
Onitsha 58
DEUXIÈME PARTIE : LES MODALITÉS
ESTHÉTIQUES DU PICARESQUE 61
CHAPITRE . 1 : DE LA STRUCTURE FONCTIONNELLE DU RECIT
PICARESQUE
..63
1.
Page 135
Du héros narrateur à l'anti-héros 63
2. Récit épisodique 67
3. De la fiction autobiographique au récit
hétéroclite et hybride 69 CHAPITRE 2 : LA MISE EN
SCÈNE DU LANGAGE PICARESQUE : LES FORMES
SATIRIQUES. 75
1. De la caricature 75
2. De l'ironie : une arme satirique 80
3. Humour et sarcasme des personnages 86
TROISIÈME PARTIE : LE PICARESQUE : UNE AUTRE
HISTOIRE DES
MENTALITÉS 94
Chapitre 1 : MODES DE RÉSISTANCE DU BAS SOCIAL
96
1. Virulence et subversion comme déconstruction de
l'idéologie dominante 96
2. L'esprit de satire et l'érection de
l'agentivité (agency) 99
3. Le picaresque comme expression d'une identité commune
103
CHAPITRE 2 : PICARESQUE ET LITTÉRATURE: UNE VISION
DU MONDE 109
1. Le picaresque : un genre engagé 109
2. La permanence picaresque : une question d'imaginaire social
112
3. Du picaresque au picarisme : une expression de liberté
114
CONCLUSION GÉNÉRALE 120
BIBLIOGRAPHIE 123
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