LA MÉMOIRE
DE L'ESCLAVAGE
EN FRANCE,
UN PROCESSUS DOULOUREUX
DE MISE EN FORME
Saint-Malo, la mémoire
enchaînée
SKIPWITH Louis
BASTOEN Julien
Mémoire d'initiation à la recherche
2021
La mémoire de l'esclavage en France, un processus
douloureux de mise en forme
Saint-Malo, la mémoire
enchaînée
« chaque mémoire libérée
est le premier moment
de toutes les mémoires
rassemblées1 »
1. GLISSANT Édouard, Tous les jours de mai...
Manifeste pour l'abolition de tous les esclavages, Institut du Tout-monde,
2008
LA MÉMOIRE
DE L'ESCLAVAGE
EN FRANCE,
UN PROCESSUS DOULOUREUX
DE MISE EN FORME
Saint-Malo, la mémoire
enchaînée
Mémoire d'initiation à la recherche
présenté par SKIPWITH Louis
sous la direction de BASTOEN Julien année scolaire
2020 - 2021
École Nationale Supérieure d'Architecture de
Bretagne 44, Boulevard de Chézy, 35064, Rennes
Fig. 1. Entrave de cheville, fer d'esclave -
Musée national de la Marine, Paris
Sommaire
Remerciements Avant-propos Introduction
9
11
13
Chapitre I - L'apparition de la mémoire de
l'esclavage et les revendications qui s'ensuivirent
Qu'est-ce que la mémoire ?
Mémoire et Histoire
L'apparition des revendications mémorielles
La mémoire de l'esclavage en France et dans le monde
Une période de réévaluation de l'histoire
18
19
23
25
29
Chapitre II - Saint-Malo, un cas particulier ?
38
41
Saint-Malo : port d'abord, négrier ensuite ? Un manque de
patrimoine pas si évident Saint-Malo et ses héros Saint-Malo en
marge des récents mouvements de contestation
32
51
Chapitre III - Une difficulté de
commémorer malgré les efforts de certains
Le travail d'histoire et ses limites
La « cité corsaire », création d'un mythe
Le tourisme et la propagation du mythe Le musée comme vecteur de
transmission
56
59
66
69
Conclusion Annexes
Table des illustrations
Bibliographie
6
7
76
79
114
115
8
9
Remerciements
Je tiens en premier lieu à remercier les enseignants
qui m'ont accompagné dans la réalisation de ce travail. Tout
d'abord Julien Bastoen, mon directeur de mémoire, à qui je dois
de précieux conseils quant aux choix réalisés pendant ce
semestre, mais également un suivi rigoureux et une volonté de
m'emmener à chaque fois un peu plus loin dans mes recherches.
Également Anne Bondon qui, bien qu'elle ne m'ait pas suivi ce semestre
pour la rédaction de mon mémoire, fut celle qui, la
première, m'a initié à cet exercice.
J'aimerais ensuite remercier toutes les personnes qui m'ont
aidé, à un moment ou un autre, dans mes recherches sur
Saint-Malo, et m'ont permis de comprendre ce qui faisait de cette ville un cas
d'étude particulier. D'abord Liliane Roman, qui m'a
généreusement offert l'accès au travail minutieux de son
défunt mari, dont la portée et l'ampleur m'ont été
d'une grande aide. Plus généralement, les membres de la
Société d'Histoire et d'Archéologie de l'Arrondissement de
Saint-Malo (SHAASM), notamment son président Jean-Luc Blaise et son
bibliothécaire Jean-Louis Colliot qui m'ont toujours accueilli avec
gentillesse pour répondre à mes questions et avancer avec moi sur
le sujet. Enfin, j'aimerais exprimer ma gratitude au conservateur du
musée de Saint Malo, Philippe Petout, et surtout à l'adjoint du
conservateur, Jean-Philippe Roze, qui m'a très
généreusement aidé à saisir toute la portée
et l'ambition du futur musée d'histoire maritime de la ville.
Finalement, je remercie mes amis et ma famille pour leur
soutien inconditionnel dans ce travail, et notamment ma mère qui a eu la
patience et la détermination de me relire, de m'orienter et de m'aider
à chaque fois que j'en ai éprouvé le besoin.
Avant-Propos
10
11
J'envisage ce travail comme étant la continuité
de mon projet de fin d'études présenté en Juin 2020,
réalisé en collaboration avec Jean-Dominique Launay sous la
direction de Hervé Perrin, Vincent Gassin et Marie-Pascale Corcuff, et
dont le sujet portait sur la réalisation d'un Mémorial de
l'Abolition de l'esclavage à Saint-Malo.
Cette étude a donc pour objectif de définir un
cadre, mais également d'apporter si ce n'est une
légitimité, au moins une justification à ce projet que
nous avons réalisé préalablement. J'espère
contribuer, par ce travail, à répondre aux questionnements qui
subsistent et à combler les vides qui demeurent...
Introduction
13
12
Alors que la mémoire de l'esclavage se déliait
progressivement, grâce notamment à l'impulsion donnée par
la mémoire de la Shoah, à la détermination
prononcée de certains chercheurs, historiens et hommes politiques, et
aux actions répétées de certains acteurs, publics comme
privés, celle-ci semble néanmoins être arrivée
à un point de stagnation. Depuis quelques mois maintenant, les
revendications mémorielles liées aux discriminations raciales
ainsi que les contestations autour des symboles républicains rappelant
l'histoire coloniale se sont exacerbées. Ces contestations sont un
phénomène international et s'inscrivent dans la continuité
des grands mouvements de revendications nés dans les années
1970-1980. Alors que la question coloniale et son héritage sont de
nouveau au centre des débats, certaines villes semblent cependant rester
en marge de ces mouvements. Entre méconnaissance de l'histoire, tabous,
enjeux politiques et sociaux, et divergences sur le sujet, la mémoire de
l'esclavage et de la traite négrière peine toujours à
s'émanciper pleinement, et les réponses qui lui sont
adressées sont multiples et sources de désaccords.
De nombreux ouvrages, travaux d'études, documentaires
et articles de presse ont évoqué la thématique de
l'apparition de la mémoire de l'esclavage dans le débat public,
de sa genèse ainsi que de son évolution. Dès le
début du XXe siècle, certains historiens comme LéonVignols
et Gaston Martin1 se sont lancés dans l'analyse de la traite
négrière en France et le référencement des
expéditions. Ces premières études ont par la suite permis
à d'autres chercheurs de compléter le sujet afin d'avoir une
connaissance précise de son ampleur et de son importance. On doit
notamment à Jean Mettas le référencement complet des
expéditions négrières françaises, quand il publia
son Répertoire des expéditions
négrières2 françaises dans les
années 1970, ce qui ouvrit la porte à d'autres historiens qui ont
approfondi le sujet de la traite négrière de manière plus
locale, comme ce fut le cas avec Olivier Pétré-Grenouilleau pour
Nantes3 ou Éric Saugera pour Bordeaux4.
Ces études, qui ont donc permis la compréhension
de ce que représentait la traite négrière en France, ont
ouvert la porte aux premières revendications mémorielles de la
part des minorités françaises noires. Ces revendications ont par
la suite été appuyées, reprises, et encouragées par
de nombreux auteurs, historiens, et politologues engagés. On retrouve
dès les années 1960 Édouard Glissant, aux
côtés d'autres auteurs et poètes tels que Aimé
Césaire ou Frantz Fanon, qui par leur combat pour la
décolonisation, ont permis de définir un courant de
pensée, de donner une identité aux personnes issues de l'histoire
coloniale. Puis plus récemment, des historiens comme Pap Ndiaye et des
politologues tels que Françoise Vergès ont étudié
ces grands mouvements de revendication, permettant d'en comprendre les
fondements, leurs développements et les multiples formes qu'ils peuvent
prendre, ainsi que leur aspirations.
Enfin, de manière plus générale, certains
historiens et intellectuels ont théorisé ce qu'est la
mémoire et la manière dont elle se met en oeuvre, les formes
qu'elle peut adopter ainsi que le lien qu'elle entretient avec l'histoire. Le
philosophe français Paul Ricoeur5 a écrit un ouvrage,
Mémoire, histoire et oubli, qui fait référence en
la matière et qui aborde la mémoire sous tous ses aspects.
L'historien
1. MARTIN Gaston, Nantes au XVIIIe siècle :
l'ère des négriers, 1931, réédition Karthala,
1993
2. METTAS Jean, Répertoire des expéditions
négrières françaises au XVIIIe siècle, Paris,
Société Française d'Histoire d'Outre-Mer, tome I, 1978, et
tome II, 1984
3. PÉTRÉ-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au temps
des négriers, Paris, Hachette, 1998
4. SAUGERA Éric, Bordeaux, port négrier,
Karthala, 1995
5. RICOEUR Paul, La mémoire, l'histoire, l'oubli,
Paris, Points, Essais, 2000
Pierre Nora6 a lui théorisé le
concept de « lieu de mémoire » à travers trois ouvrages
rédigés sous sa direction, et qui permet de mieux comprendre
comment la mémoire s'incarne dans l'espace public.
La mémoire de l'esclavage et de la traite
négrière en France se libère donc depuis les années
19701980, et est devenue par la suite un sujet politique au tournant des
années 1990-2000. Si plus personne n'ignore l'implication de
l'état dans le commerce négrier, il revient néanmoins aux
municipalités d'en commémorer le souvenir. Prenant
progressivement forme dans l'espace public, la mémoire de l'esclavage
s'est d'abord incarnée à Nantes, première ville
négrière française au XVIIIe siècle, avant
d'atteindre d'autres villes françaises dans la foulée. La
majorité des villes ayant joué un rôle dans la traite
négrière ont aujourd'hui réalisé leur «
travail de mémoire », mais le tabou qui entoure la question ne
permet pas toujours une pleine émancipation de cette mémoire, en
témoigne par exemple le cas de la ville de Saint-Malo. Ainsi, nous
pouvons à juste titre nous demander quelles sont les conditions propices
à l'émergence d'une mémoire, et quels sont les
mécanismes sociaux, politiques et architecturaux nécessaires
à sa mise en place dans la ville ?
Il est intéressant de relever le fait que malgré
sa place parmi les grandes villes négrières françaises, la
participation de Saint-Malo à la traite ne soit pas du tout connue du
grand public, à la différence de villes comme Nantes, Bordeaux ou
La Rochelle. Cité portuaire ayant marqué de son sceau l'histoire
maritime française, la ville attire aujourd'hui des milliers de
visiteurs chaque année, les ouvrages qui lui sont dédiés
ne manquent pas, et son histoire est relativement bien connue et
documentée. Il est donc d'autant plus surprenant que malgré cette
grande renommée, et dans un contexte national et international de
revendications des mémoires de l'esclavage, la ville semble
perpétuer une « loi du silence » et continue de passer
inaperçue dans le paysage négrier français.
Bien qu'aucun ouvrage ni aucune étude ne soit
consacré à la place de la mémoire dans la ville, plusieurs
travaux peuvent nous permettre de comprendre cette absence apparente, ainsi que
sa lente reconnaissance et les difficultés de sa mise en oeuvre. Depuis
vingt ans maintenant, les historiens malouins se sont attelés à
disséquer les archives de la ville afin d'en faire ressortir ce
qu'était la réalité de la traite négrière
à Saint-Malo. On doit notamment à Alain Roman7 une
étude approfondie sur le sujet qui explique en détail tout ce qui
se rapporte à la traite négrière à Saint-Malo,
depuis le contexte historique et politique général de
l'époque jusqu'aux détails des expéditions malouines.
D'autres historiens malouins ont eux analysé l'histoire
de Saint-Malo à travers un prisme différent de celui de la traite
négrière. L'ami et collègue d'Alain Roman, le professeur
André Lespagnol, a par exemple écrit divers ouvrages sur la
ville, nous offrant une analyse poussée sur le milieu négociant
malouin8, ou encore sur la place que la ville occupait dans les
grands courants commerciaux mondiaux. De manière plus
générale, la Société d'Histoire et
d'Archéologie de l'Arrondissement de Saint-Malo ( SHAASM ), au travers
des écrits et conférences de ses adhérents, nous offre la
possibilité de mieux comprendre certains aspects de cette histoire
négrière malouine.
Enfin, la presse nationale et mondiale a largement couvert les
récents mouvements de contestation qui se sont déroulés
l'année passée, et bien que Saint-Malo ne soit pratiquement
jamais mentionné, ces articles nous permettent de mettre en perspective
la réalité malouine avec celles d'autres villes
négrières et d'en tirer les conclusions qui s'imposent.
6. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire,
Paris, Gallimard, I, La République, 1984 ; II, La Nation, 3 vol.,
1986
7. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, Paris, Karthala, 2001
8. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une
élite négociante au temps de Louis XIV, thèse, Saint-Malo,
Ancre de Marine, 1990
14
Cette étude a donc pour objectif d'identifier la place
de la mémoire de l'esclavage et de la traite
négrière à Saint-Malo, et de comprendre
les raisons qui font que sa manifestation apparaît difficile. Pour
réaliser ce travail, nous avons d'abord cherché à
comprendre de quelle manière sont nées les revendications
mémorielles liées à l'esclavage et l'époque
coloniale. Pour cela, nous nous sommes grandement inspiré du
développement effectué par Emmanuelle Chérel dans son
étude du Mémorial de l'Abolition de l'Esclavage de
Nantes9, qui pour analyser le contexte dans lequel le
mémorial fut construit, est revenue sur les conditions d'apparition de
cette mémoire, avant d'en suivre le fil jusqu'au début des
années 2010.
Nous avons ensuite lu les ouvrages en lien avec l'histoire
malouine dans son ensemble, puis les écrits décrivant plus
précisément l'épisode de la traite négrière
dans la ville, afin d'en comprendre les tenants et les aboutissants et
d'être en capacité de mettre Saint-Malo en perspective avec
d'autres villes négrières. L'épilogue de l'ouvrage
d'André Lespagnol10 nous a également permis de
comprendre de quelle manière Saint-Malo était passé d'une
cité portuaire à une cité touristique. Enfin, nous nous
sommes intéressé à ce qui a été écrit
dans la presse française et internationale sur le sujet de l'esclavage
et des revendications qui lui sont liées, de manière à
observer et comparer les différentes réponses des
autorités face à ces mouvements et d'en tirer des conclusions
pour notre cas d'étude.
Finalement, au vu du manque de documents sur la place de la
mémoire à Saint-Malo, nous avons du construire notre raisonnement
à partir d'entretiens que nous avons réalisés avec
plusieurs personnalités de la ville, afin de saisir l'évolution
de cette mémoire si difficile. Nous nous sommes ainsi entretenu avec
Philippe Petout et Jean-Philippe Roze11, respectivement conservateur
et adjoint du conservateur du musée d'histoire de la ville et du
patrimoine malouin, afin de comprendre le rôle du musée dans la
diffusion de l'histoire négrière à Saint-Malo. Nous avons
ensuite eu l'occasion de nous entretenir avec Liliane Roman, veuve de
l'historien Alain Roman que nous avons cité plus haut, et qui nous a
offert l'accès à une partie de ses archives personnelles et
permis de comprendre la portée de son travail et les conditions dans
lesquelles il a été réalisé. Dans la
continuité, nous avons échangé avec le président de
la SHAASM, Jean-Luc Blaise, ainsi que son bibliothécaire, Jean-Louis
Colliot, qui nous ont éclairé sur certains détails que
nous ne comprenions pas. Enfin, nous nous sommes entretenu avec M. Chaperon,
l'ancien président de l'Association Mémoire et Patrimoine
Terre-Neuvas qui nous a éclairé sur les difficultés de
l'émergence d'une mémoire à Saint-Malo, puis avec Maureen
Brugaro 12de l'office du tourisme de la ville qui nous a
expliqué la place qu'occupe la traite négrière dans le
discours touristique de la ville, et finalement avec Jean Bories, ancien
adjoint aux affaires culturelles de la ville, qui nous a donné des clefs
de compréhension sur l'aspect politique du sujet.
Afin de structurer notre raisonnement, nous avons
décidé d'aborder la question selon trois axes qui doivent nous
éclairer sur les raisons qui font que la ville reste, du moins en
apparence, en marge des mouvements politiques, sociaux et architecturaux qui
semblent aujourd'hui dominants en France et dans le monde. Pour comprendre ce
qui fait la complexité de la situation, il faut en premier lieu
s'intéresser aux conditions qui ont permis l'émergence d'une
mémoire de l'esclavage et de la traite négrière en France.
Cela constituera la première partie de cette recherche. Il s'agit alors
d'abord de comprendre ce qu'est la mémoire et pourquoi elle est si
importante, de mettre en avant ses différences avec l'histoire, et d'en
saisir les usages. Puis, nous nous pencherons plus précisément
sur la mémoire de l'esclavage et de la traite négrière,
nous essaierons de comprendre ses origines et ses inspirations, et nous
analyserons les revendications qui en sont issues. Enfin,
9. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, Enjeux et controverses (1998-2012),
Rennes, Presse Universitaire de Rennes, 2012
10. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans
la première mondialisation, Brest, Centre de Recherche Bretonne et
Celtique, 2019, p. 470
11. Annexe 1 - Entretien avec Jean-Philippe ROZE, adjoint du
conservateur du Musée d'Histoire de Saint-Malo
12. Annexe 2 - Échange avec Maureen BRUGARO, pôle
patrimoine de l'Office du Tourisme de Saint-Malo
15
nous nous intéresserons aux cinquante dernières
années qui ont été marquées par une
réévaluation puis une réécriture de l'histoire, ou
plutôt des histoires, à la fois locales et nationales.
La deuxième partie de ce travail sera plus axée
sur notre cas d'étude, Saint-Malo. Il s'agira essentiellement de
contextualiser le propos de cette étude, et de mettre en lumière
les caractéristiques, à la fois historiques et actuelles, de la
ville. Nous ferons d'abord le point sur l'histoire maritime de la ville puis
mettrons cette histoire en perspective avec celles des autres grandes villes
négrières françaises. Puis nous regarderons de plus
près certains des grands hommes malouins qui ont marqué le «
siècle négrier » et nous tenterons de comprendre
l'héritage qu'ils ont laissé. Enfin, nous analyserons les traces
issues de cette époque, ou plutôt leur absence, avant de replacer
Saint-Malo dans le contexte récent des revendications
mémorielles.
Chapitre I
L'apparition de la mémoire de
l'esclavage
et les revendications qui s'ensuivirent
16
17
Finalement, la troisième et dernière partie de
ce travail de recherche portera sur l'analyse des raisons qui sont à
l'origine de la difficile reconnaissance de l'héritage négrier
à Saint-Malo. Nous commencerons par l'analyse du travail d'histoire qui
est réalisé depuis deux décennies dans la ville et qui est
une condition sine qua non du travail du mémoire. Puis nous nous
intéresserons à l'émergence du mythe de « la
cité corsaire », les raisons et conditions de sa création
ainsi que les conséquences qui découlent d'un tel titre. Nous
regarderons ensuite la place de ce mythe dans le discours touristique de la
ville et, de manière plus générale, la façon dont
un discours touristique s'accorde avec la mémoire d'un épisode
tragique. Enfin, nous analyserons la réponse muséographique de la
ville, sa responsabilité mais également son évolution,
mise en perspective avec celle des grands mouvements mémoriels.
Ce premier chapitre a pour objectif d'établir les
notions qui sont à la base de mon raisonnement, et qui sont
nécessaires à l'appréhension globale de ce travail. Elle
est par nature plus théorique que les parties lui succédant car
il faut, pour traiter correctement ce sujet, une compréhension solide
des conditions de mise en oeuvre de la mémoire. Nous chercherons d'abord
à analyser ce qu'est la mémoire et à identifier les
différences entre histoire et mémoire, car si ces deux notions
peuvent nous sembler proches, la nuance qui existe entre les deux est
déterminante pour comprendre un tabou qui existe depuis près de
deux siècles. Nous verrons ensuite dans quel contexte s'est
développée la, ou plutôt les mémoires de l'esclavage
et de la traite négrière, en France et dans le monde. Nous
essaierons de discerner les différentes formes que celles-ci peuvent
prendre, mais également les objectifs qu'elles souhaitent atteindre et
les conséquences qui en découlent. Enfin, cette première
partie reviendra sur la période charnière des premiers
bouleversements liés à la mémoire et à ses
revendications, pour tenter d'en saisir la complexité et replacer notre
cas d'étude, jusque là absent des débats, au centre de
celle-ci. Mais avant toute chose, il est impératif que le lecteur
comprenne bien le sujet de cette étude. Pour cela, il doit être en
mesure de répondre à une question qui peut sembler simple, en
apparence anodine, mais dont la portée va définir l'ensemble du
travail à venir. Qu'est-ce que la mémoire ?
Qu'est-ce que la mémoire ?
La mémoire est d'abord un concept avec lequel chacun de
nous est familier depuis toujours, cela avant même d'en avoir conscience
ou de pouvoir s'interroger à son sujet. L'Homme mémorise, il se
souvient. C'est une caractéristique inhérente à tous ou
presque, et aucun être ne semble en être dépourvu. Tout le
monde donc est en théorie capable d'expliquer ce qu'est la
mémoire, tout du moins dans sa forme la plus communément admise.
Le dictionnaire Le Robert en donne la définition suivante «
Faculté de conserver et de rappeler des choses passées et ce qui
s'y trouve associé ; l'esprit, en tant qu'il garde le souvenir du
passé. »1 (s. d.). Cette définition a le
mérite de synthétiser ce qu'est la mémoire pour faciliter
la compréhension du concept, mais ne permet pas d'en saisir toutes les
nuances.
Le dictionnaire Larousse à l'inverse n'essaye pas de
résumer la mémoire en une seule définition courte mais va
la définir de différentes manières, selon les multiples
applications que celle-ci peut avoir. Ainsi, au sens communément
accepté, la mémoire est définie telle que «
l'activité biologique et psychique qui permet d'emmagasiner, de
conserver et de restituer des informations2 » (s. d.).
Cependant, le dictionnaire Larousse donne également une
définition de la mémoire au sens d'une compétence («
Aptitude à se souvenir en particulier de certaines choses dans un
domaine donné3 ») (s. d.), d'un tout («
Ensemble des faits passés qui reste dans le souvenir des hommes,
d'un groupe4 ») (s. d.), ou encore d'une abstraction
(« Souvenir qu'on a d'une personne disparue, d'un
événement passé ; ce qui, de cette personne, de cet
événement restera dans l'esprit des hommes5
») (s. d.).
On observe donc qu'il est très difficile de cantonner
le processus mémoriel à une définition succincte de la
mémoire. La mémoire est un phénomène complexe, qui
englobe de nombreuses définitions mais aussi de nombreux enjeux. Elle
n'est pas qu'un phénomène psychique ou psychologique, la
mémoire au sens d'une capacité cognitive n'est d'ailleurs pas
d'un grand intérêt pour nous. Mais si nous l'entendons au sens
d'un lien
1. Le Robert. (s. d.), Mémoire, dans Dictionnaire en
ligne, consulté le 18 Novembre 2020 sur
https://dictionnaire.lerobert.com/definition/memoire
2. Larousse. (s. d.), Mémoire, dans Dictionnaire en
ligne, consulté le 18 Novembre 2020 sur
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mé
moire/50401
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Ibid.
18
avec notre passé, d'un témoin qui se transmet,
de quelque chose de présent, c'est là qu'elle devient
véritablement passionnante. L'historien Pierre Nora en donne d'ailleurs
la définition suivante : « La mémoire est la vie,
toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle est
en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et
de l'amnésie, inconsciente de ses déformations successives,
susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations6.
»
Ainsi, la mémoire est le fondement de toute
société, c'est elle qui permet à un groupe social
d'adhérer à des rites, de fonctionner selon des coutumes, de
transmettre des valeurs et de s'identifier à ses traditions. Mais pour
ne pas mourir, la mémoire doit se transmettre car si elle n'était
présente que dans l'esprit des hommes, alors elle disparaitrait en
même temps que ceux-ci.
Je parle ici de la mémoire au singulier, comme d'un
élément unique, un tout, mais il est important de préciser
que ce n'est pas le cas. La mémoire n'est pas l'histoire, même si
ces deux notions sont relativement proches et se nourrissent l'une et l'autre.
L'histoire se veut être une présentation objective des faits, elle
se rêve universelle, et appartient à tous mais surtout à
personne. La mémoire, elle, est l'interprétation d'un souvenir
par des individus. Elle est ce qui les rassemble, et on peut donc écrire
qu'il y a autant de mémoires que de groupes d'individus. La
mémoire est par nature à la fois plurielle, collective, multiple
et surtout individualisée7. Il n'existe donc pas une
mémoire mais des mémoires.
Mémoire et Histoire
Il est nécessaire de revenir sur la relation entre
histoire et mémoire, tant l'une et l'autre se nourrissent pour avancer.
L'histoire constitue, en tant que discipline, l'analyse et l'écriture
objective du passé et, en tant que matière, l'ensemble des faits
passés. Dans son travail, l'historien utilise tous les moyens qu'il a
à sa disposition pour rédiger un récit du passé, en
émettant des hypothèses qu'il vérifie en croisant
nécessairement ses sources, qui vont de l'archive à la preuve en
passant par le témoignage. La mémoire est elle un
phénomène physiologique et psychologique complexe8.
Elle est individuelle et permet d'ériger des cadres sociaux à
l'intérieur desquels les sociétés placent leurs souvenirs.
La mémoire permet la relation avec l'autre, le souvenir d'une personne
étant le récit qu'elle raconte, et renforce ainsi le sentiment de
communauté avec les individus ayant une mémoire
similaire9.
Dans son ouvrage La mémoire, l'histoire,
l'oubli10, le philosophe Paul Ricoeur explique que le
récit mnémonique a d'abord pour objectif la vérité
de l'information, mais précise qu'il est construit selon ce que le
narrateur pense qu'il est arrivé, de ce que ses auditeurs s'attendent
à entendre et de l'idée que le narrateur se fait de
lui-même et veut véhiculer. Il insiste sur le fait que les
descriptions du souvenir sont souvent trop simples, faisant d'une pensée
une image réduite et simplifiée de ce qui avait été
perçu avant, et que Jean-Paul Sartre dénonce sous le nom «
d'illusion d'immanence11 ». C'est de cette manière que
naissent les rumeurs et les légendes.
Toujours selon Paul Ricoeur, le passé et l'avenir
n'ont d'existence que dans l'esprit, qui est le seul
6. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire,
Paris, Gallimard, I, La République, 1984, pp. 24,25
7. Ibid.
8. WEIL-BARAIS Annick (éd.), L'homme cognitif,
Paris, Presse Universitaire de France, 2001
9. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.17
10. RICOEUR Paul, La mémoire, l'histoire,
l'oubli, op. cit.
11. SARTRE Jean-Paul, L'imaginaire, Paris, Folio, 1986
(1940
19
à pouvoir associer différentes phases du temps.
Tout comme la fantaisie, le souvenir est une variante de l'imaginaire, mais
comme nous venons de l'écrire, à la différence de celle-ci
il vise la vérité. Contrairement à l'historien, le
narrateur de ce récit n'use pas de méthodes scientifiques et
objectives pour expliquer son propos, il croit en ce qu'il dit et construit son
récit autour de l'idée qu'il se fait de ce qu'il s'est
passé. On a prouvé depuis longtemps maintenant la faiblesse de
certains témoignages pourtant sincères, où le
témoin arrangeait son récit selon ses préjugés et
ses croyances. Le désir de vérité est toujours
altéré par l'intention d'agir sur son interlocuteur, en voulant
par exemple lui plaire ou bien lui cacher nos intentions ou nos sentiments. Le
« fait brut » appartenant au passé n'existe donc pas
dans le réel, chacun l'interprète et lui donne un sens, ce qui
fait que la mémoire est12.
« Nous dirions volontiers que chaque mémoire
individuelle est un point de vue sur la mémoire collective, que ce point
de vue change selon la place que j'y occupe, et que cette place elle-même
change suivant les relations que j'entretiens avec d'autres milieux. Il n'est
donc pas étonnant que de l'instrument commun, tous ne tire pas le
même parti. Cependant lorsqu'on essaie d'expliquer cette
diversité, on en revient toujours à une combinaison d'influences
qui, toutes, sont de nature sociale13. »
M. Halbwachs, La mémoire collective
L'utilisation de cette mémoire poursuit aujourd'hui
trois objectifs. Le premier est d'empêcher la répétition
d'un drame par le recours à la mémoire. Ensuite, on estime que
les victimes ont un droit moral à demander des réparations
symboliques et que l'oubli peut nuire à ce droit. Enfin, la
mémoire d'un événement peut être
considérée comme faisant partie de l'identité des victimes
d'un drame, au risque de les enfermer dans un statut de
victime14.
La mémoire, depuis trente ans, est par ailleurs devenue
un nouvel objet d'étude des historiens. L'histoire se nourrit de cette
mémoire, mais entretient également des rapports complexes avec
elle. « La mémoire installe le souvenir dans le sacré,
l'histoire l'en débusque. [...] La mémoire s'enracine dans le
concret, dans l'espace, le geste, l'image et l'objet. [...] Au coeur de
l'histoire, travaille un criticisme destructeur de mémoire
spontanée. La mémoire est toujours suspecte à l'histoire
dont la mission vraie est de la détruire et de la refouler. Une
société qui se vivrait intégralement sous le signe de
l'histoire ne connaitrait, en fin de compte, pas plus qu'une
société traditionnelle, de lieux où ancrer sa
mémoire15. »
À l'inverse, certains historiens et philosophes
avertissent contre les dangers de la mémoire et de ses revendications.
Si l'histoire peut parfois donner un cadre à la mémoire, il
arrive que ce soit la mémoire qui empêche l'histoire16.
Dès les années 1990, Tzvetan Todorov pointait du doigt dans
Les abus de la mémoire17 les excès des
commémorations des drames du XXe siècle qui encourageaient le
fait que « avoir été victime vous donne le droit de vous
plaindre, de protester et de réclamer. ». Jean-Pierre Rioux
montra, lui, que l'histoire est une pensée du passé mais pas une
remémoration18, qu'elle conduit à détruire
l'idée d'un mythe, et que sa « connaissance permet de
dépasser la douleur et les avatars de la
mémoire19 ».
12. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p. 17
13. HALBAWCHS Maurice, La mémoire collective,
Paris, Presse Universitaire de France, 1968
14. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., pp.14-15
15. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, I,
La République, op. cit., pp. 19-20
16. RIOUX Jean-Pierre, La France perd sa mémoire.
Comment un pays démissionne de son histoire, Paris, Perrin, 2006
17. TODOROV Tzvetan, Les abus de la mémoire,
Paris, Arléa, 1995
18. RIOUX Jean-Pierre, La France perd sa mémoire.
Comment un pays démissionne de son histoire, op. cit.
19. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p. 20
20
Cette multiplication des commémorations depuis trente
ans a eu pour effet de placer les historiens en porte-à-faux.
D'après Didier Guyvar'ch20, elle a poussé les
historiens à prendre position par rapport à la demande
institutionnelle. Certains ont adopté des positions d'experts, d'autres
ont été les initiateurs de commémoration, et certains ont
favorisé la mobilisation citoyenne en produisant un récit pour un
très large public. Dans leur livre Les usages politiques du
passé21, François Hartog et Jacques Revel
soulignaient le fait que l'histoire doit de plus en plus négocier avec
différentes formes de débat public et l'histoire, souvent, se
retrouve prise dans des discussions publiques et des débats dont elle ne
peut contrôler la forme. Parmi tous les usages publics que peut avoir
l'histoire, ces auteurs en soulignent trois qui sont « l'histoire
expertise », « l'histoire témoignage » et
la « vague mémorielle », et mettent en avant un
aspect commémoratif de la part de minorités sur des sujets
d'histoire qui les concernent plus ou moins directement.
Dans son livre consacré à la
mémoire22, Paul Ricoeur désigne des situations dans
lesquelles la mémoire n'est plus qu'un élément
physiologique et psychologique, mais devient un élément
pathologique, idéologique et normatif, affirmant par ailleurs que
l'excès de mémoire conduit à l'oubli : « Je reste
troublé par l'inquiétant spectacle que donne le trop de
mémoire ici, le trop d'oubli ailleurs, pour ne rien dire de l'influence
des commémorations et des abus de mémoires et d'oublis.
» Selon lui, il faut veiller à ce que la distance de la
mémoire vis-à-vis des faits historiques ne contribue pas à
ce que l'histoire devienne légende, car c'est cette même distance
qui participe à l'instrumentalisation politique.
Comme nous le précisions plus haut, la mémoire
est individuelle et il arrive donc parfois que la mémoire des uns
s'oppose à celle des autres, voire la dénie. En France, la
défiance envers une histoire nationale qui intégrerait des
mémoires différentes, et parfois opposées, reste grande
car l'expression de la mémoire d'une minorité menacerait
l'identité collective qui lie les français entre
eux23. Paul Ricoeur a construit un système de
catégories censé permettre à une société de
faire mémoire « de manière apaisée ».
Si l'on considère que pour exister, la mémoire nécessite
la culpabilité d'autrui, alors son dépassement sollicite le
pardon, qui est lui indubitablement lié à la notion de l'oubli.
Afin de lui ôter sa dimension culpabilisatrice, le philosophe, qui
souhaite éviter la notion d'un « devoir d'oubli », va
ainsi opposer au « devoir de mémoire » un «
travail de mémoire », construit sur le modèle du
« travail de deuil » et qui implique la notion du pardon.
C'est ce pardon qui permettrait de réunir le « devoir de
mémoire » et l'impossibilité pour la
société de « rester en colère contre
elle-même ». Selon Paul Ricoeur la « juste
mémoire » naît ainsi d'une articulation entre histoire
et mémoire afin éviter de demeurer prisonnier du passé.
Ce lien entre mémoire et histoire n'a donc pas
toujours été une évidence, et les historiens ont, comme
nous l'avons déjà dit, commencé à
s'intéresser à la question des mémoires dans les
années 1970. Durant cette période apparaît en France un
intérêt pour les « lieux de
mémoire24 » qui a conduit à s'interroger sur
les termes de mémoire et d'histoire. Considérée comme un
patrimoine mental individuel et collectif, la mémoire « se
caractérise comme l'ensemble des souvenirs qui nourrit les
représentations, inspire les actions et assure la cohésion des
individus dans une société25 ». Elle a pour
objectif d'établir un accord sur les origines et de constituer un lien
social. En France, depuis la Révolution, la mémoire est
utilisée pour créer une pédagogie républicaine qui
va dans le sens des valeurs véhiculées par l'État, et qui
entretient l'idée d'un mythe originel.
20. GUYVAR'CH Didier, « La mémoire collective de la
recherche à l'enseignement », Cahiers d'histoire
immédiate, GRHI, Université de Toulouse, Le Mirail,
n°22, automne 2002
21. HARTOG François, REVEL Jacques (dir), Les usages
politiques du passé, Paris, Éditions EHESS, 2001
22. RICOEUR Paul, La mémoire, l'histoire,
l'oubli, op. cit.
23. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.20
24. Notion développée par Pierre NORA, Les
lieux de mémoire, op. cit.
25. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.14
21
Un des aspects de la mémoire publique se trouve dans le
patrimoine ainsi que dans la commémoration, qui est largement
exploitée par les autorités publiques. Cette mémoire est
donc commandée et instrumentalisée dans l'objectif de sacraliser
un mythe national, ou local, qui serait commun à tous. Un tournant
s'opère à ce sujet à la suite de la chute du mur de
Berlin, qui marque le passage en France d'une société qui
commémorait les « morts pour la France » à une
société qui considère également les «
morts à cause de la France26 ». Cette
période marque aussi le temps où la mémoire de la Shoah et
des déportations a commencé à s'émanciper, voyant
les commémorations et monuments se multiplier en hommage aux victimes.
En parallèle, la société s'est mise à
appréhender son histoire non plus à travers ses grands hommes,
mais également à travers son peuple et ses
victimes27.
Ce n'est qu'en 2005 que la France, à la suite d'une
déclaration de Jacques Chirac, alors Président de la
République, a reconnu officiellement sa participation et sa
responsabilité dans la déportation des juifs pendant la guerre.
Cette reconnaissance tardive, 60 ans après la fin du conflit, a
été permise grâce à la mémoire de ces
évènements ainsi qu'à un travail d'histoire aboutissant
à une bien plus large compréhension de la société
de l'époque, permettant d'en saisir les nuances. Cette mémoire de
la Shoah a permis d'installer le doute dans le mythe républicain
dominant28, obligeant ainsi la France à le re-questionner.
C'est dans ce contexte que le pays a aussi remis en question son passé
colonial, sa participation à la Guerre d'Algérie et l'utilisation
de la torture, et finalement sa mémoire de l'esclavage29.
Quoi qu'il en soit, il est impératif de comprendre le
fonctionnement de la mémoire, sa construction et ses acteurs, les
fonctions qu'elle occupe et son rôle en tant que vecteur de valeurs, et
finalement les formes qu'elle peut prendre telles que le devoir, l'occultation
ou encore le tabou, si l'on veut être en mesure de comprendre ses
manifestations contemporaines. L'exercice du pouvoir politique en
démocratie a pour rôle de permettre la vie en communauté,
faisant fi des différences de chacun et en prenant en compte la
pluralité des identités et des histoires qui la composent afin de
maintenir une unité. L'unité recherchée en
démocratie nécessite donc la production de représentations
collectives et de symboles auxquels chacun peut se rattacher, de lieux qui
permettent le partage de connaissance et qui offrent la possibilité de
véhiculer histoire et mémoire (écoles, musées), et
d'un espace public où chacun serait libre de s'exprimer30.
Cet exercice du pouvoir nécessite donc la mémoire, comme le
montre Pierre Nora dans son ouvrage Les lieux de mémoire :
« Politique aussi, et, peut-être, surtout, si l'on entend par
politique un jeu de forces qui transforment la réalité : la
mémoire en effet est un cadre plus qu'un contenu, un enjeu toujours
disponible, un ensemble de stratégies, un être-là qui vaut
moins par ce qu'il est que par ce qu'on en fait. C'est dire ici qu'on touche
à la dimension littéraire des lieux de mémoire, dont
l'intérêt repose en définitive sur l'art de la mise en
scène et l'engagement personnel de l'historien31.
»
26. BARCELLINI Serge, « L'État républicain,
acteur de la mémoire : des morts pour la France aux morts à cause
de la France », in BLANCHARD Pascal, VEYRAT-MASSON Isabelle (dir.) Les
Guerres de Mémoires - La France et son histoire, Paris, La
Découverte, 2010
27. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.15
28. Concept héritier des Lumières, voir NOIRIEL
Gérard, Le creuset français de l'immigration XIXe et XXe
siècle, Paris, Seuil, 1998
29. STORA Benjamin, « Entre la France et l'Algérie,
le traumatisme (post) colonial des années 2000 » in BLANCHARD
Pascal, BERNAULT Florence, BANCEL Nicolas, BOUBEKER Ahmed, MBEMBA Achille,
VERGÈS Françoise (dir.), Ruptures postcoloniales, Les
nouveaux visages de la société française, Paris, La
Découverte, 2010, pp. 328-342
30. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.23
31. NORA Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, I,
La République, op. cit., p. 26
22
L'apparition des revendications
mémorielles
Les revendications mémorielles ne sont pas le propre
de la France mais sont évidemment un phénomène
mondialisé, et la réponse apportée varie
énormément selon les pays. Aux États-Unis par exemple, on
constate que les minorités, à travers leurs revendications, ont
tendance à se victimiser, alors qu'en Italie, des réparations ont
été votées à l'égard du peuple Libyen en
2008.
Pour Benjamin Stora, les revendications mémorielles
sont liées à « une crise mondiale des idéologies
collectives32 » et donc à une crise politique qui a
« plongé progressivement les individus dans les refuges de la
sphère privée, dans le vécu, et donc dans la
mémoire33 ». L'accroissement
généralisé des revendications mémorielles a donc
pour origine le même problème, i.e. une crise identitaire
liée à la mondialisation ainsi qu'une crise idéologique et
politique sur la question. Selon Pap Ndiaye, les revendications liées
à la mémoire de l'esclavage seraient dues à un
écart entre une société qui devient multiculturelle et une
capacité limitée à mener une action politique difficile en
ce qui concerne la reconnaissance des identités et la lutte contre les
discriminations : « Il est outrageusement simpliste de
prétendre que les discriminations raciales contemporaines sont dues
à l'ancien ordre colonial esclavagiste, toutefois il serait peu
honnête de prétendre qu'elles n'ont rien à voir avec
lui34 ».
Depuis les premières vagues de migration de
l'époque contemporaine, l'identité a changé de statut et
n'est plus enracinée dans un lieu35. L'identité des
personnes aujourd'hui se mélange et se construit en relation avec
d'autres, non plus par rapport à un espace qu'elles auraient
partagé mais en rapport à une culture, une histoire et des
références qu'elles ont en commun. La mondialisation et un
changement dans les relations de pouvoir ont eu pour effet de produire des
identités interconnectées36.
Désormais, il s'agit d'identifier la continuité
des rapports de domination, même si la comparaison entre la situation
coloniale et les situations actuelles est risquée et
problématique. C'est l'un des enjeux majeurs des sciences sociales
contemporaines, qu'elles prennent en compte les représentations sociales
et leurs évolutions / transformations au fil du temps37.
La question mémorielle est devenue un des combats
importants de la minorité française noire38. Selon Pap
Ndiaye, après avoir rejeté la « mémoire
officielle39 », ces minorités auraient
utilisé la mémoire et ses enjeux pour affirmer leurs
identités et exiger une reconnaissance, mettant au jour les
difficultés d'une société en pleine mutation.
Les territoires d'Outre-mer et leurs histoires sont
inévitablement liés à l'histoire plus
générale de la France. Selon Françoise Vergès,
spécialiste en sciences politiques, ces territoires « partagent
tous un passé colonial et un présent qui en garde les
traces40 » mais qui sont absents de l'histoire nationale
et de la problématique post coloniale. Elle écrit que «
penser la présence/absence des Outre-mer, c'est penser deux espaces
à la fois : le territoire Outre-mer
32. « Benjamin STORA, entretiens avec Thierry
LECLÈRE », in La guerre des mémoires - La France face
à son passé colonial, Paris, éditions de l'Aube,
2007, p. 40
33. Ibid.
34. NDIAYE Pap, La condition noire - essai sur une
minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008
35. GUPTA Akhil, FERGUSON James, Culture, Power, Places ;
Explorations in Critical Anthropology, Durham, Duke University Press,
1977, pp. 33-51
36. APPADURAÏ Arjun, Après le colonialisme. Les
conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot et
Rivages, 2005
37. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.39
38. NDIAYE Pap, La condition noire - essai sur une
minorité française, op. cit., p. 338
39. LOW Setha, LAWRENCE-ZUNIGAS Denise, The Anthropology of
Space and Place : Locating Culture, Malden, Massachussets, Blackwell
Publishing Company, 2003
40. VERGÈS Françoise, « L'Outre-mer, une
survivance de l'utopie coloniale républicaine ? », in BLANCHARD
Pascal, BANCEL Nicolas, LEMAIRE Sandrine (dir.), La fracture coloniale - La
société française au prisme de l'héritage
colonial, Paris, La Découverte, 2005
23
et le territoire métropolitain...41
». Les Outre-mer sont donc un territoire appartenant à l'espace
républicain mais qui demeure absent de son histoire.
Dans un entretien accordé au journal M, Le
Monde, l'historienne au CNRS et présidente du Comité
National pour la Mémoire et l'Histoire de l'Esclavage Myriam Cottias
explique que « l'oubli a été posé comme un
élément fondateur de la société issue de la
servilité, dans l'outre-mer, mais aussi en
métropole42 ». Encouragé par les
autorités dès 1848 - le gouverneur de la Martinique, Claude
Rostoland, recommandait « à chacun l'oubli du
passé43 » - le silence qui entoure la question de
l'esclavage et de la traite a perduré jusqu'à nos jours.
Initialement rejetés par les élites noires, qui
y voyaient un rappel d'un passé douloureux, l'esclavage et son histoire
se sont progressivement imposés dans les territoires d'Outre-mer dans
les années 1960 et 1970 comme une ressource politique44. Le
déplacement de cette histoire et de cette mémoire de l'esclavage
vers le territoire métropolitain s'est ensuite opéré dans
les années 1990, en même temps que les migrations de populations.
Elle y rencontra un autre courant idéologique, celui de la lutte contre
les discriminations raciales. Selon Pap Ndiaye, les Antillais chercheraient
par-là à transférer sur le terrain de la mémoire
des souffrances qui jusque-là n'étaient pas exprimées sur
le terrain politique : « cet investissement mémoriel, qui peut
s'exprimer n'importe comment et s'appuyer sur des lectures para historiques
farfelues est la conséquence d'une situation de domination45.
»
Leurs revendications post coloniales, qui consistent en une
réinterprétation de l'histoire, sont notamment dues au fait que
l'histoire coloniale est toujours extrêmement présente dans notre
société et notre réalité. La colonisation, qui a
bien évidemment bouleversé les territoires d'Outre-mer par un
système de domination, a également marqué le territoire
métropolitain tant elle a changé sa conception du monde.
Françoise Vergès écrit à ce propos : « La
postcolonie ne qualifie pas strictement un régime d'indépendance
nationale, mais une situation où perdurent des effets du régime
colonial tout en connaissant de nouvelles expériences engendrées
par le déclin des productions nationales, l'entrée dans l'espace
européen, la mondialisation, l'augmentation du nombre de
diplômés, l'émergence de revendications de
réparation historique et d'affirmation culturelle46
». Elle affirme ensuite que l'opposition entre différence
culturelle et démocratie est une opposition « opportuniste et
idéologique47 », et que toutes les revendications
sont empêchées car perçues comme des demandes
communautaristes : « Le débat opposant «
républicains » rigides aux « communautaristes »
essentialistes fait en effet abstraction de l'histoire, les uns soulignant la
nécessité d'une abstraction universaliste, les autres celle d'une
identité atemporelle mais chaque logique masque des politiques
d'exclusion48. » L'historien Benjamin Stora
considère, lui, que les français ne sont pas encore passés
au-delà de la chute de leur empire et du déclin de leur
puissance, et qu'il est trop tôt pour que ces questions soient
débattues dans la sérénité : « Le
soupçon de « relativisme culturel » est lancé comme une
accusation visant à délégitimer toute approche critique.
Il ne faut pas porter atteinte aux mythologies nationales. La perte de l'empire
a été une grande blessure narcissique du nationalisme
français49. »
41. Ibid.
42. CHEMIN Anne, « La traite en héritage »,
Le Monde, le 23 Avril 2014,
https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/05/02/la-traite-en-heri
tage_4410558_3224.html
43. Ibid.
44. NDIAYE Pap, La condition noire - essai sur une
minorité française, op. cit., p. 337-348
45. Ibid., p. 347
46. VERGÈS Françoise, « L'Outre-mer, une
survivance de l'utopie coloniale républicaine ? », op.
cit., p. 68
47. Ibid., p. 69
48. Ibid.
49. « Benjamin STORA, entretiens avec Thierry
LECLÈRE », op. cit., p. 24
24
La mémoire de l'esclavage en France et dans le
monde
La mémoire de l'esclavage n'est pas liée
à un fait récent, les abolitions de la traite et du
système esclavagiste ayant eu lieu au XIXe siècle. Pourquoi alors
le sujet revient-il si longtemps après ? D'abord, bien que le
système esclavagiste ait été aboli il y a longtemps, le
système de domination raciale dont il est à l'origine a lui
perduré jusqu'au milieu du XXe siècle, et ses conséquences
sont toujours visibles aujourd'hui. Ensuite, le chercheur Henry Rousseau a
proposé un modèle dans « Le Syndrome de
Vichy50 », expliquant qu'avant de s'émanciper, la
mémoire traverse différentes phases : d'abord un traumatisme,
suivi en général par une phase de refoulement, avant d'arriver
à une phase d'anamnèse (le retour de ce qui a été
refoulé) caractérisée parfois par l'obsession
mémorielle. Bien qu'ils n'aient pas été
vérifiés, de nombreux exemples peuvent attester de la pertinence
de ce modèle, l'un des plus évidents étant la
mémoire de la Shoah.
L'arrivée de ce passé colonial sur le
territoire métropolitain est provoquée en grande partie par les
politiques migratoires des années 1960-1970. L'immigration s'impose
alors dans le débat public lorsque la place des immigrés (venant
majoritairement de l'ex empire colonial) est remise en question et que les
autorités publiques envisagent de la freiner. Les minorités
commencent à s'organiser en associations à partir des
années 1980 afin d'appuyer leurs revendications. Ces associations
constituent alors une plateforme où les idées peuvent
s'échanger et la démocratie s'opérer51. Elles
jouent également un rôle de représentation et servent
d'intermédiaire entre les citoyens et le pouvoir public.
C'est ensuite au commencement du XXIe siècle que ces
questions postcoloniales et raciales ressurgissent, par exemple dans les
débats de l'élection présidentielle de 2002 ou avant cela,
lorsque la loi sur la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que
crime contre l'humanité, dite Loi Taubira, fut votée le 21 Mai
2001. Certains sujets, allant de la mémoire de l'esclavage à la
laïcité, mais tous renvoyant à l'histoire coloniale
française et au mythe républicain, héritier des
Lumières, sont ensuite revenus de manière récurrente dans
le débat public, s'entremêlant parfois entre eux52.
Des chercheurs et des historiens ont souligné dans le
livre La fracture coloniale - La société française au
prisme de l'héritage colonial53, un écart
flagrant entre le discours républicain et ce qui est fait dans les
anciennes colonies. L'ouvrage a la particularité de s'intéresser
à ces questions en considérant la persistance d'un regard
colonial porté sur les populations immigrées, et dénonce
notamment une réécriture « trop timide » de
l'histoire de la colonisation de la part de la France. Remarqué, ce
livre a également fait l'objet de nombreuses critiques54,
dénonçant le fait qu'en mettant le doigt sur les divisions, les
auteurs auraient alimenté les conflits communautaires, et
simplifié une question en réalité beaucoup plus
complexe.
Depuis les années 1970, mais surtout après le
150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en 1998, le nombre
d'études concernant la participation à l'esclavage et la question
postcoloniale n'a cessé de croître55. Ces analyses
postcoloniales ont permis de considérer les formes d'auto-organisation
des minorités comme un passage nécessaire. La mandature de
Jacques Chirac a également permis de relancer le débat et
d'affirmer une volonté d'ouverture vers des cultures marquées par
la colonisation, notamment grâce à l'émergence de
50. ROUSSEAU Henry, Le syndrome de Vichy, Paris, Seuil,
1987
51. CUSSET Pierre-Yves, Le lien social, Paris, Armand
Collin, 2007
52. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.28
53. BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, LEMAIRE Sandrine (dir.),
La fracture coloniale - La société française au prisme
de l'héritage colonial, op. cit.
54. BLANCHARD Pascal, BANCEL Nicolas, « La fracture
coloniale : retour sur une réaction », in Qui a peur du
postcolonial ?, Revue Mouvements, n°51, 2007, pp. 40-51
55. BANCEL Nicolas, « L'histoire difficile : esquisse d'une
historiographie du fait colonial et postcolonial » in La fracture
colonial - La société française au prisme de
l'héritage colonial, op. cit.
25
26
27
Fig. 2. Protestation Black Lives Matters - AFP / Drew
Angerer
Fig. 3. Musée du Quai Branly -
up-magazine.info
deux projets, le Musée du Quai Branly et la Cité
Nationale de l'Histoire de l'Immigration56. Mais un autre
évènement marquant du quinquennat, les émeutes dans les
banlieues de 2005, va faire se multiplier les études sur l'histoire de
l'immigration et faire évoluer la question postcoloniale dans la
sphère politique.
En 2007, le gouvernement nouvellement élu décide
de la création d'un Ministère de l'Immigration, de
l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement
solidaire. Geste maladroit ou affirmation politique, quoiqu'il en soit cette
décision fut vivement critiquée. De nombreuses associations
s'opposèrent à sa création, huit universitaires ayant
travaillé sur le projet de la Cité Nationale de l'Histoire de
l'Immigration en démissionnent en signe de protestation57, et
Doudou Diène, rapporteur spécial de l'ONU contre le racisme, a
dénoncé une « banalisation du racisme » et une
« lecture ethnique et raciale des questions politiques,
économiques et sociales et le traitement idéologique et politique
de l'immigration comme enjeu sécuritaire et comme une menace à
l'identité nationale58. »
La même année, Marie-Claude Smouts exprime dans
un autre ouvrage collectif, La situation postcoloniale - Les postcolonials
studies dans le débat français59, la
nécessité d'un débat collectif sur le postcolonialisme :
« La situation postcoloniale est une réalité historique,
politique, culturelle et sociale, il convient de l'analyser, comme il convient
de revenir sur la complexité du fait colonial et de redonner à
chacun sa place dans l'histoire60. » Dans la
préface de ce même ouvrage, un anthropologue, Georges Balandier,
invitait à se libérer de ses préjugés afin de
pouvoir retracer une histoire du postcolonial et d'être capable de mener
un débat constructif sur le sujet : « Pour débattre des
études postcoloniales, il faut d'abord se libérer des effets de
conjecture dominante, retrouver son autonomie de penser...61
» avant de rappeler que le postcolonialisme n'est pas le fait d'une frange
de la population mais que tous, sous différents aspects, nous en sommes
issus : « Le postcolonial désigne une situation qui est celle,
de fait, de tous les contemporains. Nous sommes tous, en des formes
différentes, en situation postcoloniale. Parce que la mondialisation
nous porte au doute quant à notre identité...62
».
Les études postcoloniales constituent donc un sujet de
recherche qui ne peut plus être éludé, tant il est
aujourd'hui présent dans le débat public et que de nombreux
groupes se le sont approprié. Ces études doivent servir à
penser la question du pluralisme identitaire et social de la France
contemporaine. Toujours dans ce même ouvrage, l'historien Benjamin Stora
souhaite avancer plus vite sur la question et adjure de déconstruire
l'image de domination raciale qui perdure, mettant en avant les dangers d'une
telle construction sociale : « c'est dans l'absence de savoir sur ces
problèmes que naissent les fantasmes sur ce qu'a été la
colonisation, sur le rapport avec le génocide, tous ces termes qui sont
utilisés et instrumentalisés63. » et appelle
à répondre au « besoin d'histoire » urgent
auquel la France fait face afin que certaines personnes ne dévient le
débat en pensant que « la politique, c'est la mise en
accusation permanente et perpétuelle de l'homme blanc ».
56. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.30
57. « Ministère de l'immigration : première
crise, premières démissions », Libération,
le 18 Mai 2007
58. Cité par Emmanuelle CHÉREL, Le
Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.31
59. SMOUTS Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale -
Les postcolonials studies dans le débat français, Science
Po, Paris, Les presses, 2007
60. Ibid., pp. 27-28
61. BALLANDIER Georges, in SMOUTS Marie-Claude (dir.), La
situation postcoloniale, op. cit., préface
62. Ibid., p. 24
63. STORA Benjamin, « Un besoin d'histoire », in
SMOUTS Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale, op. cit., p.
297
28
Une période de réévaluation de
l'histoire
En 2001, l'historien Didier Guyvar'ch a fait le récit
de la réécriture de l'histoire nantaise64 et
soulignait que tout au long du XXe siècle, les recherches sur
l'esclavage et la traite ont été épisodiques et
éparses. L'un des premiers historiens à s'intéresser
l'histoire de la traite négrière fut Léon Vignols, qui au
début du siècle dressa un inventaire des expéditions
maritimes malouines. Gaston Martin, son contemporain et historien nantais qui
participa à faire connaitre cette histoire de la traite, dit d'ailleurs
de lui : « L'inventaire qu'il a fait des archives malouines peut
être considéré comme le point de départ de la
rénovation des études négrières65
».
En 1931, Gaston Martin publiait son propre ouvrage sur la
traite à Nantes, L'ère des négriers66,
l'un des premiers du genre. Mais si ce livre permit de faire connaitre le
passé négrier de la ville de Nantes, il eut également pour
conséquence d'occulter la participation des autres ports à ce
commerce en laissant croire au public, involontairement, que ce port fut le
seul à pratiquer le trafic négrier67. Quoi qu'il en
soit, le travail de Gaston Martin traça la voie pour que d'autres
historiens prennent la suite. En revanche, les recherches de Léon
Vignols tombèrent dans l'oubli pendant de nombreuses années et ne
furent pas le point de départ espéré par Gaston Martin. Le
silence, que Didier Guyvar'ch qualifie de « refoulement collectif
», et qui entoure la question de l'esclavage jusqu'au dernier quart
du XXe siècle, a selon lui « contribué à
maintenir la charge morale attribuée à ce passé et
à susciter soupçons, méfiances et polémiques dans
ses usages68 ».
Les recherches menées par Jean Meyer69
à la fin dans années 1960, et surtout celles de Jean Mettas dans
les années 1970, qui a recensé l'ensemble des expéditions
négrières du pays dans son ouvrage Répertoire des
expéditions négrières françaises70,
ont marqué un tournant dans la recherche historique sur l'esclavage et
la traite. Après cela, dans les années 1980, de nombreux
historiens se sont intéressés à l'histoire maritime et
négrière de leur ville, citons Olivier
Pétré-Grenouilleau pour Nantes71, Éric Saugera
pour Bordeaux72, Jean-Michel Deveau pour La Rochelle73,
et un peu plus tard, à partir des années 2000, Alain Roman pour
Saint-Malo74. Serge Daget, universitaire et historien nantais,
travailla quant à lui sur la traite illégale75, et ses
recherches firent avancer la compréhension de la traite
négrière de manière fulgurante.
En 1985, à l'occasion du tricentenaire du Code Noir,
et un peu plus tard à l'occasion du bicentenaire de la première
abolition française de l'esclavage en 1794, est lancé à
Nantes un important programme de recherche et de manifestations culturelles
appelé Nantes 85 et initié par l'association du même nom.
Les expositions sont finalement annulées par la municipalité de
droite nouvellement élue, mais réapparurent sous une nouvelle
forme au début des années 1990, suite à la victoire
socialiste aux élections de 1989, avec la création en 1991 de
l'association Les Anneaux de la Mémoire.
64. GUYVAR'CH Didier, « La traite des noirs », in
GUYVAR'CH Didier (dir.), La mémoire vive d'une ville - 20 images de
Nantes, Nantes-Histoire, Skol Vreizh, 2001, pp. 99-104
65. MARTIN Gaston, Nantes au XVIIIe siècle :
l'ère des négriers, op. cit., p. 169
66. Ibid.
67. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 15
68. UYVAR'CH Didier, « La traite des noirs », op.
cit., p. 103
69. MEYER Jean, L'armement nantais dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle, Paris, Sevpen, 1969
70. METTAS Jean, Répertoire des expéditions
négrières françaises au XVIIIe siècle, op.
cit.
71. PÉTRÉ-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au
temps des négriers, op. cit.
72. SAUGERA Éric, Bordeaux, port négrier,
op. cit.
73. DEVEAU Jean-Michel, La traite rochelaise, Paris,
Karthala, 1990, réédition Karthala, 2009
74. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit.
75. DAGET Serge, Répertoire des expéditions
négrières françaises à la traite illégale
(1814-1850), Centre de recherche sur l'histoire du monde atlantique,
1983
29
Chapitre II
Saint-Malo, un cas particulier ?
31
Cette association, et l'exposition du même nom qu'elle
organisa à partir de 1992 au Château des Ducs des Bretagne,
marquèrent la première présentation de cette histoire en
France métropolitaine, de manière publique et explicite.
L'exposition présentait des archives, des documents, des analyses et
même des reconstitutions de lieux symboliques tels qu'un bureau
d'armateur ou une cabine de capitaine. La muséologie fut
travaillée afin d'intéresser un maximum de personnes, et la forte
fréquentation de l'évènement traduisit un véritable
intérêt de la part d'un cercle de la population qui
s'étendait bien au-delà de celui des historiens et des
universitaires. Objet politique certes, l'Association des Anneaux de la
Mémoire a, à la suite de l'exposition, poursuivit ses
recherches et son engagement dans la réécriture de l'histoire
nantaise. Cette exposition, parfois considérée comme un point de
départ dans l'émergence de l'histoire de la traite dans le
débat public, tant elle fut novatrice, médiatisée, et
politiquement soutenue, a également eu pour conséquence de
révéler à la population nantaise la
nécessité d'un lieu consacré de manière
pérenne à la mémoire de cette histoire76.
Mais si cet évènement provoqua une
avancée rapide de la question mémorielle à Nantes, qui
entraina par la suite d'autres villes négrières dans son
élan, il eut pour effet de mettre Nantes au centre de l'histoire
négrière française. Bien qu'il ait déjà
été su depuis longtemps que Nantes occupait la première
place des ports négriers français, cela permit à d'autres
villes ayant également pris part à la traite de passer
inaperçues.
30
Les recherches sur la participation de Saint-Malo au commerce
négrier n'étaient pas encore abouties à cette
époque. Les choses sont différentes aujourd'hui, l'histoire
maritime de Saint-Malo est bien connue et sa participation au trafic
d'êtres humains n'est plus un secret. Mais est-ce vraiment le cas ?
Il semblerait que la population malouine ne soit, dans la
grande majorité, pas du tout au fait du passé négrier de
sa ville, et lorsqu'il nous arrive de converser avec des personnes qui en sont
informées, la tendance est à minimiser les chiffres et leur
importance au regard des villes ayant pris une part plus importante dans ce
trafic, avec toujours la même rengaine récurrente : «
oui, mais ce n'est pas comme à Nantes77 ! » Les
causes de cette méconnaissance, voire parfois de ce déni, bien
que l'histoire malouine soit désormais connue et documentée, sont
le fruit de nombreuses raisons qui seront le sujet des parties qui vont
suivre.
La mémoire de l'esclavage et de la traite
négrière est donc un sujet relativement récent, né
dans un environnement particulier qui se caractérise à la fois
par un contexte colonial touchant à sa fin, des vagues d'immigration,
une libération de la parole et un re-questionnement profond de notre
histoire et de notre (nos) identité(s).
Apparue dans les anciennes colonies avant d'atteindre la
métropole, et notamment la ville de Nantes, cette mémoire de
l'esclavage se propage progressivement dans le pays, déchaînant
les passions et révélant des craintes. Certains territoires
semblent cependant préserver une distance avec le sujet, comme c'est le
cas pour Saint-Malo, que les débats et questionnements des
dernières décennies ne semble pas avoir affecté outre
mesures.
La question coloniale et raciale divise, tant sur le sujet que
sur la réponse qu'il faut y apporter. D'abord débattue dans les
cercles universitaires et intellectuels, la question s'est progressivement
étendue jusqu'à atteindre toutes les couches de la population. Et
bien que de nombreuses avancées aient été achevées
depuis son apparition il reste encore un long chemin à parcourir avant
que celle-ci ne soit pleinement décomplexée, et puisse aboutir
à une forme de consensus qui sera à même d'apaiser les
passions de tout un chacun.
76. CHÉREL Emmanuelle, Le Mémorial de
l'abolition de l'esclavage de Nantes, op. cit., p.45
77. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 289
Chaque ville possède une histoire qui lui est propre,
et qui définit par essence la portée de la mémoire que
celle-ci souhaite, ou doit, mettre en oeuvre. Comme nous allons le voir,
Saint-Malo possède une très riche et vaste histoire maritime,
ponctuée d'évènements marquants et parsemée des
grands hommes qui l'ont faite. Mais cette histoire malouine, largement
revendiquée par la ville et ses admirateurs, ne prend elle justement pas
trop de place par rapport à l'histoire globale de l'esclavage
aujourd'hui inscrite dans le récit encore plus large de l'histoire de
France ? Il sera ici question de comprendre la place qu'a occupée la
ville de Saint-Malo dans le paysage négrier français, mais
également l'héritage que celui-ci a laissé à la
cité malouine. Nous verrons ensuite certains des hommes qui ont
façonné cette histoire négrière malouine et dans
quelle mesure, ainsi que pourquoi, ils sont aujourd'hui
célébrés pour certains et oubliés pour d'autres.
Enfin, il sera question de replacer Saint-Malo dans le spectre des mouvements
de contestation liés à la mémoire de l'esclavage, ou plus
précisément de comprendre pourquoi la ville en est absente.
Saint-Malo : port d'abord, négrier ensuite ?
Saint-Malo, cité maritime :
Saint-Malo est une cité bretonne à l'histoire
maritime riche et bien connue. Dans les suites de la découverte du
Nouveau-Monde, sa renommée commence au siècle XVIe, époque
à partir de laquelle la cité va prospérer, notamment dans
le commerce maritime. Saint-Malo fut pendant près de trois
siècles un « port mondial », et bien que pour la grande
majorité des gens la gloire malouine se résume à quelques
épisodes largement relayés par la suite, tels que la
découverte du Canada par Jacques Cartier ou la prise du Kent par Robert
Surcouf, la réalité est celle d'un peuple de marins et de
commerçants ayant sillonné les mers du globe.
Située à l'entrée de la Baie du
Mont-Saint-Michel, à la frontière entre la Bretagne et la
Normandie, la cité malouine occupe une position géographique
privilégiée, au carrefour de grandes routes maritimes, ce qui va
lui permettre de tirer son épingle du jeu. C'est en effet un point de
passage obligé pour les produits de la mer du Nord et de la Baltique, un
port intéressant pour les marchandises venant de l'Atlantique et de la
Méditerranée ainsi qu'une position stratégique d'un point
de vue militaire, car située face à l'Angleterre et aux Iles
Anglo-Normandes.
Dès le début du XVIe siècle, les marins
de Saint-Malo vont se spécialiser dans deux activités qui vont
faire leur richesse : la pêche à la morue, que les marins
vendaient en Méditerranée pour en ramener du vin, des huiles et
autres produits, et l'exportation de biens manufacturés vers l'Espagne
en échange de produits provenant d'Amérique, notamment de
l'argent. À la veille du XVIIIe siècle, Saint-Malo s'était
hissé en tête du classement des plus gros ports français,
l'activité morutière représentant à elle seule 60%
des armements de plus de 50 tonneaux et 80% des effectifs de
marins1.
Saint-Malo a connu son apogée entre 1690 et 1720. Une
« élite négociante2 », selon
l'expression d'André Lespagnol, de quelques dizaines de familles
s'était constituée et dominait alors le commerce malouin. Pendant
cette courte période un peu supérieure à un quart de
siècle, ces armateurs fortunés ont su profiter des quelques
opportunités qui leur ont été offertes pour asseoir leur
domination sur le commerce maritime français.
1. Pour tous les chiffres cités dans cette partie, se
référer à ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit.
2. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une
élite négociante au temps de Louis XIV, op. cit.
32
Les guerres interrompent le commerce maritime et sont
synonymes de chômage et de pertes pour la majorité des ports.
Saint-Malo, pendant cette période de 30 ans, a armé plus de 900
navires corsaires en temps de conflit, ce qui lui a non seulement permis de
faire travailler sa main d'oeuvre abondante, mais également
d'acquérir des richesses, des marchandises qui lui faisaient
défaut et une renommée internationale inspirant la crainte chez
ses ennemis - l'Angleterre tenta à plusieurs reprises de détruire
la cité - et offrant un récit héroïque qui perdurera
jusqu'à aujourd'hui. Il est néanmoins important de
préciser que la course (forme de guerre navale exercée par les
corsaires) ne fut exercée que pendant les périodes de guerre et
ne représenta qu'une petite partie de l'activité
économique malouine.
Les deux autres opportunités dont la ville a su
profiter pendant cette période furent le commerce en « Mer du Sud
» (correspondant à la côte pacifique de l'Empire Espagnol),
qui bien qu'illégal à l'époque n'empêcha pas les
armateurs français, et surtout les malouins, de faire fortune en
rapportant en métropole des minéraux précieux (notamment
de l'argent), et l'ouverture de routes commerciales vers l'océan indien,
en particulier vers Moka (Arabie saoudite), la Chine et l'Inde. Ces deux
dernières activités ont chacune permis aux malouins de doubler,
parfois tripler leur investissement d'origine.
En 1720, Saint-Malo est arrivé à
l'apogée de sa réussite à tel point que le port, le
premier français rappelons-le, est devenu incontournable. Sa population
a doublé en un peu plus d'un siècle et plus de la moitié
de ses habitants vivent désormais en lien avec les activités
maritimes. Son élite négociante, « les Messieurs de
Saint-Malo », agrandissent la taille de la ville de plus de 20%,
construisent leurs malouinières, que l'on peut comprendre par maison de
campagne, un peu plus loin dans les terres et traitent désormais
à égalité avec les hommes d'état et les familles
les plus importantes du pays3.
À l'aube du XVIIIe siècle, Saint-Malo a tout
pour continuer sur sa lancée, tirer profit du trafic colonial montant et
conserver sa domination. Ce n'est pourtant pas elle que l'Histoire retiendra
comme la ville ayant marqué de son sceau le commerce avec les colonies.
En 1717, le coup d'Arica, durant lequel l'Empire Espagnol mit la main sur cinq
navires malouins au large de l'actuel Pérou, mit fin au commerce avec la
Mer du Sud. Le commerce avec les Indes Orientales est désormais le
monopole de la Compagnie de Law, et le Traité d'Utrecht signé en
1713 limita grandement les zones de pêche des marins malouins.
Au même moment commence à se développer
sérieusement en Europe le commerce avec les colonies, que l'on
connaît aujourd'hui sous le nom de Traite Transatlantique ou encore
Traite Négrière. L'esclavage n'est alors pas quelque chose de
nouveau, il est en effet déjà présent ( ou l'a
été ) sur la quasi-totalité du globe et ce probablement
depuis que l'Homme s'est constitué en civilisation. Ce qui est nouveau
en revanche, c'est son ampleur et la manière dont il est mis en place,
sous la forme d'un système international et racial, et sous couvert
d'une morale.
Saint-Malo et la traite négrière :
La première trace que l'on retrouve de ce
système remonte à 1441, soit un demi-siècle avant la
découverte du Nouveau-Monde. Ce sont les portugais qui à
l'époque, cherchant de nouvelles routes commerciales avec les Indes,
longèrent les côtes africaines et comprirent alors rapidement
l'intérêt de déplacer des populations humaines afin
d'assurer l'exploitation de leurs nouveaux comptoirs sur la côte ( El
Mina ) et des îles Atlantiques dont ils ont pris possession ( Cap-Vert,
Madère... ). Mais les prémices de ce système, qui ont
duré pendant plus
3. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 19
33
34
35
Fig. 4. Plan et profil de Saint-Malo -
Bibliothèque Nationale de France, GED-5430
de 50 ans, sont encore bien loin de l'ampleur, à la
fois statistique et géographique, que va atteindre plus tard la Traite
des Noirs.
encore mal connue5, d'autant que les marins
malouins pouvaient alors compter sur d'autres sources de revenus beaucoup plus
fiables et rentables, telles que la course qui était alors à son
apogée ou le commerce en Mer du Sud qui assurait un retour sur
investissement quasi certain.
L'accélérateur fut évidemment la
découverte de l'Amérique. Des espaces infinis s'offraient
désormais à l'exploitation, encore fallait-il avoir la main
d'oeuvre nécessaire pour le faire. Bien sûr, les conquistadors ne
suffisaient pas, ils ont alors dans un premier temps obtenu des
autorités royales et papales le droit de faire travailler gratuitement
les indigènes « locaux » en échange d'une
évangélisation obligatoire. Cela fonctionna un temps, mais
rapidement le travail forcé et la propagation des maladies
entraînèrent une très forte hausse de la mortalité
chez les indigènes. Il fallut donc chercher une autre source de main
d'oeuvre abondante, qui fut trouvée sur le continent africain, les Noirs
étant alors considérés comme plus résistants.
La forte consommation du sucre en Europe à partir du
XVIIe siècle entraina une demande toujours plus grande en main d'oeuvre
et vint offrir une « légitimité » à
l'utilisation d'êtres humains. La religion et les forces politiques
étaient désormais convaincues du bien-fondé de leur
entreprise, la logistique nécessaire était facilement accessible
et les consommateurs toujours plus nombreux et en demande. Tout était en
place pour installer le plus grand réseau commercial de l'époque,
d'ailleurs considéré aujourd'hui comme les débuts de la
mondialisation. Les proportions de ce trafic devinrent tellement énormes
que même les voix dissidentes à la traite humaine plièrent
bien souvent face aux arguments commerciaux, car ce n'était bien que
cela, du commerce...
Revenons maintenant à nos malouins. Dans un premier
temps tournés vers l'Amérique du Nord et la pêche à
la morue - cette pratique sera le socle de l'activité malouine pendant
trois siècles - à cause du Traité de Tordesillas qui
partageait les terres nouvellement découvertes au sud entre les
espagnols et les portugais, les malouins « font leurs débuts »
dans le commerce négrier dans la première moitié du XVIIe
siècle, en même temps que d'autres ports français.
Installés durablement en Martinique et en Guadeloupe à partir de
1635, les Français, sous l'impulsion du Cardinal de Richelieu
désireux de concurrencer les Hollandais, créèrent des
compagnies dans le but d'envoyer des esclaves et d'exploiter les ressources
agricoles de ces îles. Louis XIII, d'abord réticent, finit par
céder devant les pressions commerciales et surtout religieuses.
Différentes compagnies furent donc créées successivement
mais connurent un succès pour le moins limité. Colbert
décida donc en 1664 de créer la Compagnie des Indes Orientales
à qui il concéda l'exclusivité du commerce africain en
échange de la promesse d'exporter 2000 Noirs pendant les huit
premières années.
C'est à partir de ce moment que nous avons les
premières traces fiables de l'activité négrière
malouine, mais il est impossible de dresser un portrait d'ensemble car de
nombreuses guerres troublèrent le fonctionnement du commerce. La
deuxième moitié du XVIIe siècle est relativement calme en
comparaison de ce qui suivra au XVIIIe siècle. La Compagnie des Indes
Orientales est dissoute en 1672, au profit de la Compagnie du
Sénégal, puis de la Compagnie de Guinée, la Compagnie de
Saint-Domingue... Bien que ces compagnies aient eu le monopole du commerce
africain, l'ampleur de la tâche nécessitait l'emploi d'armateurs
privés et de navires particuliers. On retrouve donc la trace
d'expéditions malouines pendant cette période, une quinzaine
environ, mais cela reste ponctuel et dispersé.
Jusqu'à la paix d'Utrecht, signée en 1713, les
malouins apparaissent frileux quant à la participation à ce
nouveau commerce qu'est la traite négrière, contrairement aux
nantais qui saisissent cette nouvelle opportunité à pleine main.
Entre 1707 et 1712, les nantais armèrent plus de 30 navires en partance
pour les Antilles contre seulement 4 pour les malouins4. Cela peut
s'expliquer par une certaine prudence vis à vis d'une activité
4. DAGET Serge, Répertoire des expéditions
négrières françaises à la traite illégale,
op. cit., p. 77
36
À partir de 1713 donc, les circonstances changent
nettement. La paix est signée entre les puissances d'Europe mettant
ainsi fin à la course, le commerce en Mer du Sud se stoppera brutalement
quatre ans plus tard et la Compagnie Malouine des Indes mettra fin à ses
activités peu après. Cette même année, le roi, peu
satisfait du monopole des compagnies, décide d'accorder la
liberté de commerce aux nantais qui doublèrent, voire
triplèrent, le nombre annuel de leurs expéditions (une vingtaine
entre 1709 et 1712, 64 entre 1713 et 1716). D'autres ports tentèrent
également de se lancer dans ce commerce, une dizaine
d'expéditions chacun pour La Rochelle et Le Havre pendant ces trois ans,
seulement une pour Saint-Malo. Les malouins sont toujours frileux, mais cela
s'explique par leur tentative de remettre sur pied la pêche à la
morue, frappée par la perte de Terre-Neuve, et l'exploitation de leur
monopole dans l'Océan Indien.
En 1716, le roi accorde par lettre patente le régime de
liberté, autrefois réservé à Nantes, aux ports de
Rouen, La Rochelle, Bordeaux et Saint-Malo, d'autres ports l'obtiendront par la
suite. Cette liberté nouvelle, ainsi que la perte de leurs autres
activités, vont encourager les malouins à se lancer pleinement
dans le trafic négrier, atteignant le deuxième rang
français entre 1717 et 1723 avec 21 expéditions en traite, mais
toujours loin derrière Nantes qui expédia 92 navires sur la
même période. Après une brève interruption due
à la volonté de la Compagnie de Lorient d'exercer son monopole,
Saint-Malo envoya 20 autres navires entre 1726 et 1731, puis plus aucun
jusqu'en 1738. Cela s'explique par la crise de l'activité portuaire que
traversait la ville à cette période. Premier port du royaume en
1680, la ville venait alors d'atteindre son bilan le plus bas depuis plus de 50
ans.
L'activité repartit progressivement par la suite, mais
toujours de manière timide, avec seulement 14 navires envoyés
entre 1738 et 1744 contre 33 à Bordeaux, 89 à La Rochelle et 180
à Nantes. L'apogée de l'activité malouine survint de 1747
à 1792. Alors que Lorient abandonna pratiquement tout trafic
négrier, Saint-Malo envoya 40 navires de 1747 à 1755 contre 46
à Bordeaux, 56 à la Rochelle et plus de 220 à Nantes.
À la fin de la Guerre de Sept Ans et le Traité de Paris de 1763,
la France connut un véritable « boom » négrier
grâce à la prospérité de l'île de
Saint-Domingue. Pendant les quinze années qui suivirent, Saint-Malo
atteignit le niveau de la Rochelle avec 86 expéditions, Bordeaux (111),
Le Havre (131) et Nantes (350) restant en tête du classement. La crise
économique de 1770 provoqua un fléchissement de l'activité
malouine dans ce domaine, qui peut aussi s'expliquer par la forte concurrence
dans ce secteur mais également une réorientation des capitaux
malouins vers des expéditions en Inde et en Chine, qui
nécessitaient alors de lourds investissements.
La dernière partie du siècle négrier ne
sera pas favorable à Saint-Malo qui n'expédia que 32 navires,
contre plus de 100 pour Bordeaux, Le Havre et la Rochelle et plus de 300 pour
Nantes. À partir de la Révolution française, Saint-Malo
n'arma quasiment plus de navires négriers et lorsque que l'interdiction
de la traite négrière fut actée en 1815, la ville ne prit
quasiment pas part à la traite illégale à la
différence de ses concurrents.
Saint-Malo a beaucoup perdu de sa superbe et n'est plus le
port incontournable qu'elle était autrefois, sans pour autant être
négligeable dans le paysage maritime français. Au bout du compte,
avec environ 250 expéditions négrières pour plus de 80.000
captifs déplacés, Saint-Malo se hisse en cinquième
position des ports négriers français, derrière Le Havre,
La Rochelle, Bordeaux et bien sûr Nantes. À la différence
de ces autres
5. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des négriers,
op. cit., p. 29
37
villes, Saint-Malo ne sut jamais pleinement profiter des
opportunités qui lui étaient offertes, probablement à
cause de complications locales et de leurs intérêts commerciaux
qui se situaient autre part. Le commerce colonial ne fut jamais le socle de
l'activité malouine, à la différence de Nantes, le port
cherchant à s'imposer dans d'autres domaines tels que la pêche
morutière qui rappelons-le, représentait 60% des armements
malouins et 80% des emplois maritimes.
Un manque de patrimoine pas si évident
L'une des explications pour l'absence de mémoire de la
traite à Saint-Malo viendrait du manque de patrimoine bâti. En
1710, période où le commerce négrier était encore
anecdotique à Saint-Malo, les « accroissements » de la ville
avaient déjà été réalisés, et il est
donc quasiment impossible, à l'intérieur de Saint-Malo
Intramuros, d'attribuer la construction de quelque bâtiment que ce soit
à l'argent issu de la traite négrière. La seule trace qui
nous est parvenue, et encore là certains doutent de sa provenance, est
un mascaron (une tête de Noir) présent sur la façade de
l'Hôtel Vincent des Bassablons, aujourd'hui le 2, place Guy La
Chambre6.
Par la suite, les principaux armateurs négriers, tels
Pierre-Jacques Meslé de Grandclos ou René Auguste de
Chateaubriand, furent locataires dans Intramuros, ou alors achetèrent
des propriétés (châteaux, malouinières...)
déjà construites. Peu d'entre eux firent construire à
Saint-Malo, et lorsque ce fut le cas, aucune preuve ne permet d'établir
un lien avec l'argent de la traite. On peut donc statuer que la traite
négrière n'est à l'origine d'aucune construction connue
à Saint-Malo, même s'il est plus que probable que l'argent qui en
provient ait donné lieu à des aménagements ou d'autres
investissements ayant permis par la suite de bâtir.
Nous connaissons en revanche les adresses de certains
négriers7 qui, bien qu'ils fussent pour certains en location,
avaient leurs bureaux, leurs dépôts, et parfois leurs logements
dans Saint-Malo Intramuros. On sait donc par exemple que Pierre Jacques
Meslé de Grandclos était locataire de l'immeuble Nouail de la
Villegille8, actuellement le 11 Rue de Toulouse et avait des
casernes (des emplacements) dans les remparts, le long de l'actuelle rue
Jacques Cartier, que René Auguste de Chateaubriand habitait
l'Hôtel White (2, Place Chateaubriand) ou encore que François
Auguste Magon de la Balue était installé à l'Hôtel
d'Asfeld qu'il fit construire.
Sans que l'argent utilisé ne puisse être
directement relié à la traite négrière, nous savons
également que l'armateur Beauvais Le Fer, qui envoya à perte
quatre navires en traite, fit construire entre 1725 et 1737 des maisons de
rapport encore visibles au 3, 4 et 5 rue Saint-Philippe. Quelques années
après, aux alentours de 1770, Pierre Beaugeard, armateur (
négrier ) richissime qui deviendra plus tard trésorier
général des États de Bretagne, acheta dans la même
rue le dernier emplacement disponible dans les accroissements et y fit
construire son hôtel particulier, aujourd'hui au 2 rue Saint-Philippe.
Enfin, pour terminer notre liste (non exhaustive) de bâtiments
liés de près ou de loin à la traite négrière
à l'intérieur de Saint-Malo Intramuros, nous dirons que Luc Magon
de la Balue, qui se lança personnellement dans la traite en 1738, avait
ses bureaux dans l'hôtel particulier hérité de son
père, Jean Magon de la Lande, au 4 rue de Chateaubriand.
6. ROMAN Alain, « Les représentations de la traite
à Saint-Malo ( XVIIIe - XXe siècles ) », Cahier de la
Compagnie des Indes, n°9, 2006
7. Les adresses connues d'armateurs nérgiers Saint-Malo
sont représentés en Annexe 3
8. voir Annexe 4 - Plans du logement de Meslé de
Grandclos, actuellement le 11 rue de Toulouse
38
En dehors de Saint-Malo Intramuros, les armateurs
négriers possédaient également des
propriétés, les célèbres malouinières, mais
qui encore une fois furent construites pour la majorité d'entre elles
avant l'apogée de la traite. On est en revanche convaincu que certaines
de ces propriétés furent achetées grâce à
l'argent de la traite, comme la malouinière de la Baronnie, à
Saint-Servant, ou le château de Villers Bocage en Normandie, toutes deux
possessions de Meslé de Grandclos. Pour d'autres armateurs, le lien
n'est pas si évident. Luc Magon de la Balue fini d'achever sa
malouinière (la Blinais, plus tard rebaptisé la Balue) en 1719
grâce à l'argent hérité de son père, soit
près de vingt ans avant qu'il ne se lance en dans le commerce
négrier.
Nous parlerons aussi, bien entendu, du château de
Combourg, propriété de René Auguste de Chateaubriand, et
que certains associent trop facilement à l'argent de la traite. N'ayant
armé aucun navire négrier avant 1761, date de l'achat du domaine,
et n'ayant commandé qu'une seule fois un navire négrier dans sa
carrière de capitaine, il est clair que l'argent qui lui a
été nécessaire pour acheter sa propriété
provient uniquement de ses bénéfices en course. Mais il est
cependant important de souligner que l'argent qu'il possédait à
la base pour armer ses navires en course provenait lui, en partie, de l'argent
de la traite. Ce n'était certes qu'une petite partie de l'investissement
de départ, et la somme dont on parle ici est bien loin des 370.000
livres nécessaires à l'achat du domaine de Combourg9,
mais c'est néanmoins un exemple de plus du fait qu'à cette
époque, il était difficile de dissocier les activités et
leurs revenus tant celles-ci étaient profondément liées
entre elles.
L'historien malouin Alain Roman, qui a également
travaillé sur le cas de Chateaubriand, conclura d'ailleurs le sujet de
cette manière : « Certes la traite négrière a
joué un rôle dans l'apport de M. de Chateaubriand à sa
première participation dans l'armement. Mais ce ne fut qu'une petite
partie de son investissement. Très vite l'effet cumulatif des
bénéfices de la course a effacé l'apport négrier.
Décupler sa fortune : seule la course permet d'expliquer ce
résultat en trois ans10 ».
La liste des propriétés qui ont appartenu
à des armateurs ayant pratiqué la traite négrière
n'est évidemment pas complète et mériterait une
étude en soi. On pourrait par exemple parler de Robert Surcouf, grand
propriétaire terrien mais dont les revenus liés à la
traite sont extrêmement flous du fait qu'il l'a pratiquée
après son interdiction, donc de manière illégale. De plus,
comme nous l'avons déjà dit, les revenus d'un armateur ne sont
jamais directement liés à une seule activité, et il est
donc extrêmement difficile d'attribuer la construction de tel ou tel
édifice aux bénéfices de cette seule activité.
Une autre difficulté que connaît Saint-Malo,
à la différence de Nantes ou Bordeaux, vient du fait que la ville
fut quasiment détruite à la suite des bombardements de juin 1944.
Bien que la ville ait été reconstruite « à
l'identique » par l'architecte Louis Arretche, seules les façades
des hôtels particuliers correspondent à ce qui existait avant la
Seconde Guerre Mondiale. De l'Hôtel White par exemple, où habitait
la famille Chateaubriand, il ne reste que les deux colonnes de l'entrée
et la façade latérale sur la rue Garengeau11. Il est
donc apparemment très difficile pour les malouins d'attribuer une valeur
mémorielle aux bâtiments construits ou occupés par des
négriers, dans la mesure où se ne sont pas les « originaux
».
Pour Nantes, Olivier Pétré-Grenouilleau
écrivait : « Du passé négrier nantais, restent
les façades des maisons bourgeoises de l'Île Feydeau. (...) Que ce
paysage urbain nous serve de leçon12. » Dans un
article intitulé « Nantes, Bordeaux
9. BERGER Guy, « René-Auguste de Chateaubriand, le
père de l'auteur des Mémoires d'outre-tombe, a-t-il acquis le
Château de Combourg avec l'argent de la traite négrière ?
», in L'écho de la SHAASM, n°03, 29 juilet 2020
10. Cité par Guy BERGER, in L'écho de la
SHAASM, op. cit., Colloque organisé à Saint-Malo les 13 et
14 septembre 2018 par la Société Chateaubriand, le Souvenir de
Chateaubriand (SCAC) et les Amis de la Maison de Chateaubriand (AAMC)
11. ROZE Sylvain, « Hôtel White - Médaillon
Chateaubriand - Saint-Malo », e-Monumen, 2011, consulté le
08 Février 2021, https://e-monumen.net/
patrimoine-monumental/hotel-white-medaillon-chateaubriand-saint-malo/
12. PÉTRÉ-GRENOUILLEAU Olivier, Nantes au
temps des négriers, op. cit., p.254
39
Saint-Malo et ses héros
et la mémoire de l'esclavage13
» paru en 2002, le chercheur en sociologie Stéphane Valognes
s'interroge sur les éléments du paysage urbain liés
à la traite, à sa mémoire et à leurs usages
contemporains : « Ce paysage n'est-il qu'un « résidu
», muet et passif ? Ou, a contrario, les usages dont il est l'objet ne le
placent-ils pas au centre d'enjeux de mémoire(s), comme
révélateur d'aspirations et de temporalités sociales et
politiques contradictoires, de la part de groupes sociaux ayant en partie subie
la traite transatlantiques sur la longue durée ? ».
Face à ce patrimoine, Nantes et Bordeaux adoptent deux
postures différentes. La première assume pleinement aujourd'hui
pleinement son héritage, à tel point que les publications
à caractère touristique renvoient à ces
éléments du paysage urbain nantais : « Il est amusant de
détailler ces immeubles d'opulents négociants pour
découvrir ici des mascarons, là des balcons galbés
élégamment formés14. ». Toujours
selon Stéphane Valognes, ces éléments sont donc «
systématiquement convoqués pour dire et permettre
l'interprétation d'un processus historique aux multiples dimensions. Ces
immeubles et ces façades sont quelque part assignés à dire
le passé négrier nantais et par extension le passé
négrier français ».
À Bordeaux, le rapport à ce patrimoine est plus
complexe, et oscille entre le silence et l'allusion. Éric Saugera
écrira d'ailleurs à ce sujet : « les façades du
XVIIIe siècle ne laissent rien transparaître de l'activité
de leurs occupants d'alors : allée de Tourny, elle reflète la
prospérité d'une cité qui n'a pas de conflit avec
l'histoire15. » Néanmoins, depuis quelques
années maintenant, la municipalité de Bordeaux a
décidé d'apposer des plaques explicatives sur les rues portant le
nom d'armateurs négriers et sur les façades de bâtiments en
lien avec la traite, preuve selon Stéphane Valognes que la ville
reconnait désormais son patrimoine et utilise, comme à Nantes,
son paysage et ses formes urbaines comme support critique de mémoires ou
de revendications.
Saint-Malo n'a pas encore ce rapport à son patrimoine,
du moins en ce qui concerne la traite négrière. Il est en
revanche possible de visiter dans la ville une « demeure corsaire »,
l'Hôtel d'Asfeld, mais également la maison de Robert Surcouf ou
encore celle où est né François René de
Chateaubriand. Nous y reviendrons ultérieurement, mais ceci prouve donc
que malgré la reconstruction de la ville, les autorités sont
capables d'attribuer une valeur mémorielle au patrimoine de la ville,
tant que cela sert les intérêts touristiques de celle-ci.
Selon Christine Chivallon, pour que la mémoire
s'opère, il faut « l'intervention de la forme urbaine, non pas
seulement parce que celle-ci est dotée de l'efficacité de «
l'effet de visibilité », mais parce qu'elle permet aussi que
s'opère la distanciation temporelle nécessaire entre une
actualité voulue harmonieuse et un passé
révélé excessivement tourmenté16.
». Sans que cela ne soit flagrant comme c'est le cas à Nantes,
et dans une moindre mesure à Bordeaux, la ville de Saint-Malo a donc
quelques éléments patrimoniaux à exploiter pour assumer
pleinement son passé négrier, encore faut-il qu'elle en ait
l'envie...
13. VALOGNES Stéphane, « Nantes, Bordeaux et la
mémoire de l'esclavage », Homme & Migration, 2002, pp.
119-123
14. Le Guide Vert - Bretagne, Michelin édition du voyage,
2000, p.285
15. SAUGERA Éric, Bordeaux, port négrier,
chronologie, économie, idéologie, XVIIe - XIXe,
coédition J&D (Biarritz) / Karthala (Paris), 1995, p. 15
16. CHIVALLON Christine, « Bristol et la mémoire de
l'esclavage, changer et confirmer le regard sur la ville », Annales de
la recherche urbaine, n°85, Paris, 1999, pp. 100-110
40
Pendant le « siècle de la traite »,
Saint-Malo a compté de nombreux armateurs ayant pris part, entre autres,
au trafic d'êtres humains. Sur les quelques 1100 négriers
français dénombrés par J-M Deveau17, Saint-Malo
en compta au moins 61 (environ 5%). En revanche, tous ne prirent pas part
à ce trafic de manière égale, entre autres 24 armateurs
n'effectuèrent qu'un seul voyage négrier et seulement 11 en
firent plus de cinq18.
Ces armateurs ont parfois au fil des années
amassé des fortunes colossales, parfois grâce à l'argent de
la traite, et parfois grâce à d'autres armements. De part les
associations entre les armateurs malouins, qu'elles soient de nature
matrimoniale, financière ou professionnelle, on se rend compte que la
traite, au même titre d'ailleurs que la course ou la pêche à
la morue, a touché de près ou de loin l'ensemble des grandes
familles malouines. Et si cette activité n'a pas nécessairement
assuré leur fortune, il y a contribué, comme le prouve le tableau
des malouins les plus riches à la veille de la
Révolution19.
Il est important de préciser que l'armateur est avant
tout un commerçant, avec un capital qu'il doit faire fructifier. Ainsi,
la majorité d'entre eux ne se sont pas limités à une seule
activité mais ont au contraire cherché à diversifier leurs
sources de revenu. Tous les armateurs corsaires n'ont pas nécessairement
pratiqué la traite et ceux qui armaient des navires négriers
n'ont pas non plus nécessairement pris part à la course. Mais
cela restait tout de même une chose fréquente que d'investir son
argent là où il serait le plus susceptible d'être vite
rentabilisé. À certaines périodes donc, la majorité
des armements partaient pour Terre-Neuve et la pêche à la morue,
à d'autres, les fonds étaient investis dans des
expéditions négrières, et en période de guerre, les
armateurs armaient généralement leurs navires pour la course.
Cette polyvalence était d'ailleurs gage de
qualité et d'expérience de la part des marins, et toutes ces
activités ont un point commun essentiel : la mer20. Au final,
peu importe la cargaison du navire ou la destination, ces marins devaient
être capable de faire face aux mêmes difficultés, les
tempêtes, les longs voyages, la vie à bord, le négoce...
En présentant les mémoires de son
ancêtre, le corsaire français Angenard, Didier Delaunay nous dit
à son propos : « Si le titre de corsaire est loin de nous
déplaire dans nos annales de famille, ce n'est pas sans regret que nous
y trouvons celui de négrier. Angenard, de même que la plupart de
ses confrères, s'est livré à cet horrible trafic. Il en
parle, comme d'une opération commerciale quelconque, avec une
indifférence qui dénote la plus parfaite sécurité
de conscience. Les nègres, considérés comme une simple
marchandise, ne lui inspirent ni horreur, ni compassion21.
»
Certains de ces armateurs bénéficient
aujourd'hui d'une grande renommée grâce à leurs
accomplissements maritimes, militaires ou politiques, c'est le cas par exemple
de Robert Surcouf (1773-1827), célébré pour ses faits
d'arme, ou Mahé de la Bourdonnais (1699-1753), reconnu pour son
accomplissement politique. D'autres sont aujourd'hui dans l'anonymat le plus
total malgré leur succès de l'époque, comme Pierre-Jacques
Meslé de GrandClos (1728-1806) qui fut l'armateur malouin le plus riche
de son temps, le 6e armateur français d'ailleurs, et qui envoya aux
Antilles plus d'esclaves que n'importe qui dans la cité.
17. DEVEAU Jean-Michel, La France au temps des
négriers, Paris, France-Empire, 1994
18. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 56
19. voir Annexe 5 - Liste des citoyens les plus riches de
Saint-Malo en 1790
20. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 274
21. DELAUNAY Didier, Angenard, capitaine de corsaire,
Paris, La découvrance, 2007
41
Nous allons désormais nous intéresser plus
précisément à cinq cas de figure, tous ayant pour point
commun d'avoir pris part au commerce négrier, et présentant des
profils mais surtout un héritage relativement différents les uns
des autres. Outre les trois que nous venons de citer, nous présenterons
également la famille Magon, exemple parfait des « Messieurs de
Saint-Malo », caractéristique de la réussite de la
ville, ainsi que René-Auguste de Chateaubriand, père du
célèbre écrivain, et dont la renommée du fils a
effacé les griefs contre le père.
en France, mais par la recherche continuelle d'information, la
rotation constante du capital, la polyvalence de l'outil de travail (les
navires), l'internationalisation du marché et la concentration verticale
et horizontale,
préfigure ce que seront les grandes entreprises qui
seront à l'origine de la révolution industrielle du XIXe
siècle23.
Meslé de Grandclos :
Il est important, je pense, de commencer par le plus grand de
tous, Pierre-Jacques Meslé de Grandclos, qui vécut à
Saint-Malo au XVIIIe siècle, lorsque la traite négrière
était à son apogée. Son ascension fut rapide, d'abord
enseigne* à 13 ans sous les ordres de René Auguste de
Chateaubriand, père de l'écrivain (nous y reviendrons plus tard),
il devient rapidement capitaine à l'âge de 24 ans et après
seulement 14 campagnes. Cette ascension à la fonction de capitaine
permet un développement financier conséquent grâce à
l'intéressement au capital des navires que l'on commande.
Il a 28 ans lorsqu'il devient armateur. La même
année éclate la Guerre de Sept ans (1756-1763) qui va lui offrir
une chance extraordinaire : il est l'un des deux seuls armateurs corsaires de
la ville (avec Chateaubriand) à faire fortune à l'issu du conflit
et, grâce à l'argent amassé, monte sa propre maison de
commerce qui devient alors rapidement la première de Saint-Malo.
Comme Chateaubriand, il se lance dans la traite à la
fin de la guerre en 1763 et constitue rapidement une large flotte ce qui lui
permet dès 1765 d'avoir au moins quatre navires négriers
opérant plus ou moins simultanément, et d'avoir chaque
année deux bateaux filant en droiture* à Saint-Domingue pour
chercher les remises. Mais contrairement au père de l'écrivain
qui utilisa ses gains pour acheter le domaine de Combourg, l'armateur eut
l'intelligence de réinvestir et diversifier ses rentrées
d'argent.
Au moment de la liquidation de la société de
Chateaubriand en 1779, Meslé de Grandclos a plus de 80 armements
derrière lui, dont 25 en Afrique et plus de 15 aux Antilles. Bien que
les chiffres dont on dispose pour lui soient moins documentés que pour
ceux de Chateaubriand, on estime ses rentrées d'argent dans ce secteur
à plus de 10 millions de livres, ce qui lui aurait permis après
déduction de l'investissement et des frais, de tirer un
bénéfice, au bas mot, de 1,5 millions de livres22.
La seconde partie de la carrière de Meslé de
Grandclos va dans le sens de la première. Bien qu'il ait fait fortune
grâce à ses armements corsaires pendant la Guerre de Sept ans, il
devint plus prudent et ne prit pas part à la Guerre
d'Indépendance Américaine* (1775-1783). Pendant la
dernière décennie de sa carrière d'armateur, qui prit fin
au moment de la Révolution française, il s'attelle à
consolider sa fortune et privilégie les rentrées d'argent plus
sûres. Il effectue un virage vers le cabotage et les expéditions
morutières, et se désintéresse progressivement de la
traite, bien que la Guinée et les Antilles comptent chacune une dizaine
d'expéditions pendant cette période.
En 30 ans, il arma plus de 160 navires parmi lesquels 35
partirent en traite et 30 firent un voyage aux Antilles et en Guyane, ce qui
fait ainsi de lui le plus gros des armateurs négriers malouins et l'un
des tout premiers français. L'historien Alain Roman estime que la
société de Meslé de Grandclos, sans être la seule
22. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 202
42
À la veille de la Révolution, Meslé de
Grandclos est plus riche que n'importe qui dans la cité. En 1785, il est
le deuxième malouin en termes de capitation derrière La Vieuville
et le premier en termes d'industrie devant Magon de la Lande. En 1790,
l'addition des différents impôts le place en première
position des citoyens actifs24. Opportuniste, il profite de la
révolution pour se faire élire en février de la même
année avec 24 notables pour seconder la municipalité, mais refusa
plus tard de devenir membre du conseil municipal. Il est également
désigné par le Conseil permanent avec cinq autres commissaires
pour présenter un rapport sur l'abolition de l'esclavage, à
laquelle il est fortement opposé.
Même s'il est difficile d'attribuer l'ensemble de sa
fortune aux armements négriers, il est essentiel de rappeler que sur
l'ensemble de ses 166 armements, plus de la moitié fut consacrée
aux « armements exotiques et coloniaux ». On doit cependant nuancer
et dire qu'il fit d'abord fortune dans la course et qu'il est évident
que la traite ne peut être seule à l'origine d'une telle fortune,
bien qu'elle fut un moteur et eut de nombreuses répercussions sur
l'industrie textile et métallurgique, sur les chantiers navals et
l'emploi.
Au final, Pierre-Jacques Meslé de Grandclos ne
construisit jamais rien et ne laissa pratiquement aucune trace dans la
mémoire de la ville. Commerçant de génie, il ne
s'intéressa que très peu à la vie politique et civile mais
fut néanmoins incontournable du fait de l'importance de son entreprise.
Il fut donc un acteur majeur de son temps et participa au développement,
à la fois du port de Saint-Malo et de l'activité
négrière en France.
René Auguste de Chateaubriand :
René Auguste de Chateaubriand est aujourd'hui connu
pour être le père du célèbre écrivain,
François René de Chateaubriand, considéré comme le
père du romantisme. Avant cela, il était surtout un armateur, un
négociant et un noble de Saint-Malo. De 10 ans l'ainé de
Meslé de Grandclos, René Auguste de Chateaubriand vient d'une
famille noble, nombreuse mais désargentée. Il décide
à 15 ans de se rendre à Saint-Malo pour tenter sa chance sur les
mers, où il deviendra enseigne jusqu'à ses 23 ans.
Il acquiert rapidement une grande expérience de la mer,
travaillant sur des navires aussi bien morutiers que négriers, sans
oublier les expéditions corsaires. Lors des campagnes de courses
1745-1746, il commande en second avant d'être capturé par les
anglais. À son retour de prison à l'âge de 29 ans, il
devient enfin capitaine de navire et a sous ses ordres lors de son premier
voyage en 1747, son futur ami et négrier Pierre-Jacques Meslé de
Grandclos.
Faute de relations à Saint-Malo, il se rend à
Nantes où il mène en huit ans trois expéditions à
Saint-Domingue et une expédition négrière à bord de
l'Apollon de 1754 à 1757. Chateaubriand a désormais une
expérience diversifiée et solide, des relations avantageuses et
un petit début de fortune estimé à 30.000 livres qui va
lui permettre de se lancer en tant qu'armateur.
23. Ibid., p. 200
24. voir Annexe 5 - Liste des citoyens les plus riches de
Saint-Malo en 1790
43
44
45
Fig. 5. Portrait de Pierre-Jacques Meslé de Grandclos
- auteur inconnu, 1790
Fig. 6. Lithographie de Robert Surcouf - Lemercier,
1835
Comme Meslé de Grandclos donc, Chateaubriand se lance
en course pendant la Guerre de Sept ans où il obtient un succès
équivalent à celui de son ami, avec des gains estimés
entre 300.000 et 500.000 livres.
un dernier voyage négrier avant de rentrer en
métropole, où il débarque à Lorient en 1792.
L'année suivante, il devient capitaine corsaire à l'âge de
20 ans. C'est à partir de là que s'écrira la
légende de Robert Surcouf.
Mais à la différence de celui-ci qui va
réinvestir sa fortune dans ses activités, Chateaubriand va
choisir de l'immobiliser en achetant en 1761 le comté de Combourg pour
370.000 livres. À partir de là, il mènera une double
carrière de maître quasi féodal d'un vaste domaine terrien
et de négociant malouin25.
À son apogée, de 1764 à 1768, il arme
cinq ou six navires par an et emploie jusqu'à 294 officiers et marins.
À partir de 1770, il se détourne progressivement du négoce
pour se concentrer sur la gestion de son domaine et sa participation aux
États de Bretagne. Il continue cependant d'envoyer des navires en traite
et dans l'océan indien jusqu'en 1776, alors qu'il a
définitivement abandonné le cabotage et la grande pêche.
Après cela, il se retire définitivement dans son domaine de
Combourg, où il mourut dix ans plus tard.
En un quinzaine d'années, il expédia 40 navires
commerciaux et fit construire huit bateaux à Saint-Malo. Chateaubriand
fut d'avantage un armateur morutier qu'un négrier, alors qu'il envoya 27
bateaux à Terre-Neuve, il n'en expédia que 6 en traite, 6 aux
Antilles et un seul en Guyane. La vérité est que Chateaubriand
eut une carrière d'armateur plutôt médiocre comme peut
l'attester le bilan de ses armements. En 40 voyages, il se trouve en
quinzième position des armateurs de son époque, et n'aura
dégagé de la totalité de ses voyages qu'un
bénéfice d'une centaine de milliers de livres, très loin
du succès de Meslé de Grandclos.
La raison en est certainement qu'il passa le plus clair de son
temps à s'occuper de son domaine de Combourg et à faire des
procès dans l'espoir de maintenir son rang dans la noblesse. Ses
méthodes était conservatrices, voire frileuses, et ne lui
permettaient donc pas de dégager des bénéfices
extravagants comme ceux d'armateurs plus entreprenants26.
Ajouté à cela un certain manque de chance, Chateaubriand n'eut
certainement pas la carrière dont il avait rêvé et doit la
postérité de son nom davantage à l'oeuvre de son fils
qu'à la sienne.
Robert Surcouf :
Robert Surcouf est certainement le corsaire français le
plus connu d'entre tous. Célébré pour ses exploits
militaires en course, tel la prise du Kent en 1800, celui que l'on surnomme le
« tigre des 7 mers » n'en était pas moins un armateur comme
les autres, qui pratiqua le commerce négrier entre 1815 et 1827,
période où celui-ci avait pourtant été suspendu par
Louis XVIII, puis interdit par Napoléon.
Né à Saint-Malo en 1773, dans une famille dont
le père et l'oncle pratiquent déjà la traite (12
expéditions entre 1747 et 177727), Robert Surcouf s'embarque
sur les mers dès l'âge de treize ans. Trois ans plus tard, il
embarque sur l'Aurore, un navire marchand en partance pour les Indes pour y
faire du commerce d'esclaves. Sur le retour, le navire part chercher des
esclaves sur la Corne de l'Afrique, mais fait naufrage dans le Canal de
Mozambique, quatre-cents esclaves meurent alors noyés,
enchaînés à fond de cale.
Arrivé à Port-Louis, il est promu officier de la
marine marchande, et embarque sur un autre navire négrier à
destination du Mozambique, le Courrier d'Afrique. Après cela, il est
promu de nouveau et effectue
25. SAINT-MLEUX Georges, « Les armements de M. de
Chateaubriand », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest,
1919
26. VIGNOLS Léon, Saint-Malo et les Amériques
au XVIIIe siècle, dossier n°8 publié en 1999 par le
service éducatif des Archives Municipales de Saint-Malo
27. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 58
46
Les exploits corsaires ne sont pas notre sujet, mais il nous
semble important d'expliquer ce qui a fait par la suite la renommée de
ce personnage. En tant que capitaine, il commande successivement cinq navires
et totalise, entre 1795 et 1801, puis entre 1807 et 1808, pas moins de 44
prises de guerre. Certaines de ses batailles, où il était seul
contre deux, ainsi que certaines de ses prises, telles celles du Triton et du
Kent, entreront par la suite dans l'histoire et seront
célébrées dans la culture populaire, comme le montre le
célèbre tableau de Ambroise-Louis Garneray28.
Après sa première période de course,
Surcouf rentre à Saint-Malo où il se marie et devient
lui-même armateur. À la reprise des hostilités avec les
anglais en 1803, il retourne à ses activités
belligérantes, à la fois en tant qu'armateur et capitaine
corsaire. Son bilan en tant qu'armateur corsaire est plus mitigé que
celui de capitaine. La période 1803-1809 est un franc succès pour
le malouin, mais celle qui suivit, 1809-1814, est plus difficile et on estime
ses pertes à environ 400.000 francs. Dans l'ensemble, le bilan corsaire
de Surcouf reste nettement positif et ses déconvenues n'entacheront que
peu son image et sa fortune.
Après l'année 1814, qui marque l'arrêt
définitif de plus de deux siècles de course, Surcouf oriente ses
activités d'armateur vers les expéditions commerciales. Entre
cette date et l'année de sa mort en 1827, Surcouf arma 116
expéditions, dont les deux tiers destinées au cabotage et
à la pêche morutière, le reste étant principalement
destiné à l'Océan Indien. Parmi ces expéditions, on
en compte au moins six de nature négrière, comme l'atteste sa
signature sur plusieurs documents explicites. Ayant pratiqué la traite
lorsque celle-ci était interdite, Surcouf ne fut néanmoins jamais
inquiété par les autorités, probablement parce qu'il
menait ses activités de manière très
discrète29.
Robert Surcouf est aujourd'hui considéré comme
l'un des tout meilleurs marins français et son palmarès militaire
n'a jamais été égalé. La traite
négrière n'a représenté qu'une infime partie de ses
activités d'armateur, même si c'est par cette voie qu'il a
été formé au monde de la marine. Au final, il est tout
à fait normal que Robert Surcouf soit célébré pour
ses exploits corsaires. Il est en revanche plus surprenant que le reste de ses
activités ne soit mentionné qu'à demi-mots, voire pas du
tout, par ses biographes et ses admirateurs. Si ce n'est pour le travail de
quelques-uns, il est très difficile de trouver des informations solides
sur les activités en traite de Robert Surcouf. L'historien Alain Roman
s'interroge d'ailleurs à ce sujet : « Pensent-ils qu'un
corsaire déchoit en pratiquant le commerce ? Ou bien estiment-ils que la
participation de Surcouf à la traite illégale nuirait à sa
gloire si elle était connue ?30 ». Finalement, bien
que nous connaissions le contexte de l'époque ainsi que les exigences de
l'activité d'un armateur, on observe que la traite
négrière apparait comme un tabou qu'il est
préférable de ne pas évoquer, et que toute la gloire d'un
héros ne saurait effacer.
Mahé de la Bourdonnais :
Bertrand-François Mahé, sieur de la
Bourdonnais, est né à Saint-Malo en 1699 et fut le premier
Gouverneur Général des Mascareignes. Il est aujourd'hui
considéré comme le celui à l'origine du
développement de l'archipel, qui comprend notamment l'Ile de France et
l'Ile Bourbon, aujourd'hui l'Ile Maurice et l'Ile de la
28. GARNERAY Ambroise-Louis, Prise du Kent par Survouf,
1850, huile sur toile
29. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 266
30. Ibid., p. 264
47
Réunion. Ce développement s'est fait sous
l'impulsion de nombreux malouins, qui participèrent activement au
peuplement des iles, Mahé de la Bourdonnais ayant notamment
organisé le transport et de la vente de captifs
L'histoire se souviendra de Mahé de la Bourdonnais
comme un créateur, ainsi qu'un administrateur de génie. Sans
attendre la postérité, cet armateur et homme politique jouissait
déjà d'une grande renommée
malgaches et africains comme esclaves à l'Ile-de-France
et à l'Ile Bourbon, comme l'a très bien montré Jean-Marie
Filliot31.
Sur les mers depuis l'âge de 10 ans, Mahé de la
Bourdonnais entre au service de la Compagniecfrançaise des Indes
Orientales à l'âge de 19 ans. Il devient rapidement capitaine et
brille notamment dans la prise de Mahé, sur la côte indienne. Par
la suite, il quitte la Compagnie des Indes pour armer ses propres navires dans
l'océan Indien, activité qui lui assurera la fortune. À 33
ans, il est nommé Gouverneur général des Mascareignes,
alors encore comprises dans le privilège de la Compagnie des Indes de
Lorient qui eut le monopole du commerce avec l'Océan Indien jusqu'en
1767.
Désireux de développer les infrastructures et la
culture de la canne à sucre sur l'Ile de France, Mahé de la
Bourdonnais effectue des aménagements portuaires, développe un
système d'adduction d'eau, construit un hôpital, des
églises, des routes, il valorise l'agriculture et l'industrie, et
crée la première sucrerie de l'ile. Pour ces travaux d'une
ampleur considérable, il fallait une main d'oeuvre tout aussi
importante, et évidemment les Blancs n'y suffisaient pas.
C'est principalement à l'aide d'une main d'oeuvre
servile que Mahé de la Bourdonnais aménage les Mascareignes.
Selon ses dires, l'habitant, comprendre ici le colon, est « trop
fainéant » et l'utilisation d'esclaves est donc
nécessaire. J-M Filliot rapporte également ce propos de la part
du malouin : « C'est encore un travail de quinze années
à 200 noirs pour avoir dans les iles tous les chemins qui sont
nécessaires à la commodité publique32
».
Lorsque Mahé de la Bourdonnais arrive en 1735, l'Ile de
France n'était peuplée que 838 habitants, parmi lesquels 648
étaient des esclaves. Cinq ans après, le nombre d'esclaves
était passé à 2612, soit quatre fois plus, tandis que
celui des colons (blancs) avait à peine doublé, atteignant 369
personnes. Mais le peuplement des Mascareignes ne peut s'expliquer que par les
acheminements officiels de la Compagnie des Indes qui, sous la gouvernance de
Mahé de la Bourdonnais, livra un peu moins de 2000 Noirs. J.-M. Filliot
estime lui les entrées réelles de Noirs sur l'archipel entre
10000 et 12000 âmes33.
Entre 1727 et 1751, plus de 25.000 esclaves furent
importés dans l'ensemble des Mascareignes. On estime que Mahé de
la Bourdonnais en fit venir entre 1000 et 1200 par an pendant 10 ans. La fraude
et la contrebande ont donc dû être très actives pendant
cette période et il est probable que Mahé de la Bourdonnais, qui
plaidait pour une « liberté de commerce d' Inde en
Inde34 » obtenue en 1741, fut l'un des premiers à
en profiter à travers une société qu'il
créée et qui arma au moins quatre voyages négriers entre
1742 et 1744.
Après son départ du poste de Gouverneur
général des Mascareignes, deux autres malouins, Bouvet de Lozier
et René Magon, contribuèrent à l'acquisition d'une bonne
partie des 14000 esclaves qui arrivèrent aux Mascareignes entre 1752 et
1766. Lorsque le monopole de la Compagnie des Indes prit fin, c'est près
de 50.000 captifs qui avaient été amenés à l'Ile
Bourbon et l'Ile de France, principalement sous l'action de gouverneurs
provenant de Saint-Malo35.
31. FILLIOT Jean-Marie, La traite des esclaves vers les
Mascareignes au XVIIIe siècle, Paris, ORSTOM, 1974
32. Ibid.
33. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 223
34. Ibid., p. 254
35. Ibid. p. 223
48
de son vivant, comme le prouve les écrits de Voltaire,
son contemporain, à son sujet : « [Il] était, comme les
Duquesne, les Bart, les Duguay-Trouin, capable de faire beaucoup avec peu, et
aussi intelligent dans le commerce que dans la marine... Cet homme, à la
fois négociant et guerrier, vengea l'honneur du pavillon français
en Asie36. » Le premier gouverneur des Mascareignes a su
se faire une place aux côtés de Surcouf et Jacques Cartier dans le
panthéon des héros malouins unanimement
célébrés dans la ville.
Famille Magon :
La famille Magon est certainement un des plus beaux exemples
de la réussite malouine, et est devenue un véritable symbole de
l'apogée de la ville, entre 1680 et 1720. Dans son ouvrage Les
Messieurs de Saint-Malo37, André Lespagnol a largement
démontré la puissance de cette famille, qui par ses alliances
familiales, politiques, financières et internationales, s'est
constitué un large réseau assurant sa fortune et sa
réussite.
À la mort du patriarche de la famille, Jean Magon de
La Lande, qui est considéré comme le premier des
négociants malouins au XVIIe siècle, ses fils Francois-Auguste
Magon de La Lande et Luc Magon de La Balue, tous deux formés à
Cadix comme le voulait l'usage dans les grandes familles négociantes,
prirent le contrôle de la maison de commerce familiale. À partir
de 1715, ils sont membres du directoire de la Compagnie des Indes de Saint-Malo
jusqu'à la disparition de celle-ci en 172038.
Du fait du succès de la famille, les deux
frères règnent sur le négoce malouin et il n'est donc pas
étonnant de les voir prendre part au commerce négrier, comme ce
fut le cas pour la plupart des grands armateurs de l'époque. Luc Magon
de La Balue fut le plus prolifique des deux, mais sans détailler les
armements de chacun des membres de la famille, on considère que mis
ensemble les Magon sont les deuxièmes plus grands armateurs
négriers de la ville, avec 22 expéditions entre 1738 et 1777,
seulement devancés par Meslé de Grandclos et ses 35
expéditions39.
Il est également intéressant de se pencher sur
la part de ce trafic en proportion de l'ensemble des armements
effectués. Pour Nicolas Magon de La Lande, neveu de Luc Magon et
associé à Nouail de la Villegille, cette part
s'élève à 69,5%40 de ses armements, bien plus
que pour n'importe quel autre grand armateur de la ville. Cette statistique ne
concerne qu'un seul des membres de la famille et ne veut donc pas dire que le
commerce négrier était le socle de l'activité familiale
(la fortune des Magon était constituée avant l'entrée en
traite des malouins), mais elle indique néanmoins que ce trafic
représentait bien plus qu'une activité secondaire comme certains
peuvent laisser entendre, et pouvait parfois prendre une grande ampleur.
Au final, la famille s'est durablement implantée dans
la noblesse locale, puis nationale, certains de ses membres ayant occupé
des places de choix dans les hautes sphères du royaume, comme pour le
fils de Luc Magon de La Balue, Jean-Baptiste, qui fut l'un des plus grands
financiers français de la seconde moitié du XVIIIe siècle
et le banquier du compte d'Artois et de nombreux autres
aristocrates41.
36. VOLTAIRE, Précis du siècle de Louis
XV, Paris, Delangle frères, 1826
37. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une
élite négociante au temps de Louis XIV, op. cit.
38. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 61
39. voir Annexe 6 - Plus grands armateurs négriers
malouins du XVIIIe siècle
40. voir Annexe 7 - Plus grands armateurs malouins sur la
période 1756-1792
41. LE BARZIC Ernest, À Saint-Malo les Magons,
Édition réimprimée La découvrance, 1974
49
La famille a laissé derrière elle un
impressionnant patrimoine bâti, certaines des malouinières qu'ils
ont construites étant considérées parmi les plus belles
d'entre elles. L'hôtel particulier construit par le fils de Nicolas
Magon, et indiqué comme « demeure corsaire », est aujourd'hui
l'un des plus visités de la ville. L'héritage et l'image qu'ils
ont laissés sont donc celui d'un exemple parfait de réussite, une
vitrine de ce que pouvait incarner un parfait négociant malouin pendant
l'âge d'or de la ville, diversifiant ses investissements et ses relations
de manière à faire durablement prospérer son nom et
fructifier son capital.
À travers ces cinq cas de figure, ayant pour point
commun d'avoir pris part au commerce d'esclaves, mais qui présentent
tous des profils et un héritage relativement différents les uns
des autres, nous souhaitions mettre en avant le fait que l'histoire peut
facilement effacer de ses registres les noms dont elle n'est pas fière.
Sur les cinq noms que nous avons présentés, seuls trois sont
célébrés dans la ville : Surcouf pour ses exploits
militaires, Mahé de la Bourdonnais pour ses accomplissements politiques,
et Chateaubriand grâce au succès littéraire de son fils.
Les Magon sont également reconnus dans la ville, mais
dans une moindre mesure, et il ne serait pas surprenant si vous n'êtes
pas malouin que leur nom vous soit totalement inconnu. Leurs seules
activités commerciales n'étant probablement pas suffisantes pour
les hisser au rang de héros de la ville, leur postérité
vient du fait que la famille fut couronnée de succès pendant
plusieurs générations et laissa derrière elle un
patrimoine conséquent.
Vient enfin Meslé de Grandclos, qui sans le travail
historique et biographique de Alain Roman42, serait encore
probablement dans les oubliettes de l'histoire. Plus riche armateur de son
temps, citoyen éminent de la ville, il fut un pur commerçant qui
ne chercha que le profit tout au long de sa vie. N'ayant jamais rien construit,
et ayant en partie bâti sa fortune sur le commerce d'êtres humains,
l'histoire a donc décidé qu'il n'était pas bon de se
souvenir de lui. On peut supposer sans peine que ce même sort se serait
appliqué à René-Auguste de Chateaubriand, armateur au
parcours similaire, si son fils n'avait pas fait resplendir le nom de sa
famille dans toute la France.
Nous le verrons dans la troisième partie de cette
étude, mais le fait que certains grands noms nous soient parvenus alors
que d'autres se sont progressivement effacés ne doit absolument rien au
hasard. Finalement, les succès que ces hommes ont pu connaitre de leur
vivant importent peu dans l'héritage qu'ils laissent derrière
eux, car c'est la postérité qui se charge de les juger à
travers des prismes qui n'était certainement pas les leurs.
42. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit.,
50
Saint-Malo en marge des récents mouvements de
contestation
Depuis la mort de George Floyd aux États-Unis le 25 Mai
dernier, une vague de contestation et de revendication frappe le monde
occidental. La colère était évidemment déjà
présente, mais la tragédie, qui vit un homme noir sans
défense étouffer à cause d'un policier blanc, fut la
goutte d'eau qui fit déborder le vase. En plus des émeutes contre
les débordements policiers qui prirent place partout dans le monde,
c'est naturellement que cette colère se mut par la suite en un
élan iconoclaste visant les symboles d'un système esclavagiste
révolu.
Pour certains, cela n'est que la conséquence d'une
idéologie héritée de la traite négrière et
qui structure les sociétés occidentales depuis lors. Les victimes
de cette idéologie seraient la cible d'un racisme systémique, qui
s'illustre par exemple par les violences policières, beaucoup plus
marquées envers les communautés noires et les minorités.
Mais comme le rappelle le dramaturge rwandais Dorcy Rugamba dans un entretien
accordé au journal M, Le Monde43, cette
idéologie, parfois nommée « White Supremacy »,
n'est pas faite uniquement de pratiques, c'est également un récit
et une série de représentations dont les statues font partie.
Ces représentations d'une époque révolue
sont donc devenues le nouveau fer de lance des manifestants antiracistes qui
cherchent à faire tomber ces symboles d'une société
inégalitaire et d'une histoire dans laquelle ils ne se retrouvent pas.
Ce mouvement de contestation touche de nombreuses villes esclavagistes, aux
États-Unis comme en Europe, y compris dans une moindre mesure celle qui
nous intéresse, Saint-Malo.
Le point de départ fut Bristol, une ville portuaire du
sud de l'Angleterre, où la statue d'Edward Colston, marchand d'esclaves
ayant vécu au XVIIe siècle et considéré comme
bienfaiteur de la ville, fut arrachée et jetée à la mer
par des manifestants du mouvement « Black Lives Matter ». Cet acte,
considéré comme l'élément déclencheur de la
vague de « déboulonnage », et plus largement de contestation
des symboles d'une histoire coloniale, qui s'ensuivit dans de nombreux pays,
fut appelé un « épisode cathartique44 » par
le journal M, Le Monde dans son article du 24 Juillet 2020.
S'ensuivirent des déboulonnages de statues partout dans
le monde, parfois sous l'ordre des autorités comme à Richmond (
Virginie ), où le maire noir et démocrate, Levar Stoney, ordonna
de retirer la statue du général Lee, héros sudiste et
esclavagiste de la Guerre de Sécession, mais souvent de manière
illégale comme ce fut le cas à Bristol, et plus tard en France
où deux statues de Victor Schoelcher, personnalité politique
considérée comme ayant aboli l'esclavage en France le 27 Avril
1848, ont été déboulonnées de manière
illégale à Fort-de-France et à Schoelcher, en
Martinique45.
Mais ces actions d'une frange de la population ne plaisent
évidemment pas à tous et ont tendance à fracturer
davantage une société qui l'est déjà. Politiques et
personnalités publiques s'élèvent contre ces
méthodes, souvent qualifiées de vandalisme. Au lendemain de la
chute des statues en Martinique, le président de la République
Emmanuel Macron a condamné ces actes avec fermeté dans une
allocution télévisée au cours de laquelle il a
déclaré : « La République n'effacera aucun nom ou
aucune trace de son histoire. Elle n'oubliera aucune de ses
43. RUGAMBA Dorcy, « Déboulonnage de statues,
manifestations antiracistes : Ce qui est en train de se jouer est un acte
libérateur », propos recueillis par KODJO-GRANDVAUX
Séverine, Le Monde, 29 Juin 2020,
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/28/deboulonnage-de-statues-manifestations-antiracistes-ce-qui-est-en-train-de-se-jouer-est-un-acte-liberateur_6044463_3212.html
, consulté le 12 Novembre 2020
44. DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une
statue tombe, le passé négrier refait surface », Le
Monde, 24 Juillet 2020,
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/07/24/a-bristol-une-statue-tombe-le-passe-negrier-refait-surface_6047193_4500055.html,
consulté le 12 Novembre 2020
45. Le Monde avec AFP, « Deux statues de Victor Schoelcher
brisées par des manifestants en Martinique », Le Monde, 23
Mai 2020,
https://www.
lemonde.fr/societe/article/2020/05/23/deux-statues-de-victor-sch-lcher-brisees-par-des-manifestants-en-martinique_6040559_3224.html,
consulté le 12 Novembre 2020
51
oeuvres. Elle ne déboulonnera pas de
statue46. ». La ministre des Outres-mer, Annick Girardin
avait, elle, déclaré sur twitter : « s'il est permis
à tous de questionner l'histoire, cela nécessite un travail
méthodique et rigoureux. En aucun cas cela ne doit se faire à
travers la destruction de monuments qui incarnent notre mémoire
collective47 ».
Bien qu'il ne soit pas du ressort du président de la
république, ni d'aucun ministre d'ailleurs, de décider ou non du
sort d'une statue, - cela relève de l'autorité des maires -
l'approche d'Annick Girardin semble davantage privilégiée par les
municipalités concernées. Le maire travailliste (parti de gauche)
de Bristol, Marvin Rees, qui est d'origine Jamaïquaine, avait alors
déclaré : « Je ne peux pas cautionner les dommages
criminels, et la chute de la statue de Colston en est un. Mais je suis aussi le
descendant d'Africains kidnappés puis réduits en esclavage
à la Jamaïque, et je reconnais la poésie du moment : la
statue d'un esclavagiste lancée dans le port où ses bateaux
étaient amarrés, cela rappelle tous ces Africains qui ont
été jetés par-dessus bord quand ils étaient en
route de l'ouest de l'Afrique vers les Caraïbes48.
»
Il est intéressant de noter qu'alors que l'ensemble des
maires semble dénoncer ces actions, certains, pour la plupart de gauche
et parfois noirs ou métis (donc davantage concernés par les
questions raciales), relèvent néanmoins le fait qu'il y a
là un problème, qui dans la société d'aujourd'hui
est devenu trop lourd pour une partie de la population, et qu'il est
nécessaire de le résoudre. Certains accusent les militants de
vouloir faire disparaitre ces traces de l'histoire, mais il faut souligner le
fait que les polémiques qu'ils suscitent ont permis de faire connaitre
cette histoire à ceux qui l'ignoraient, ou voulaient l'ignorer.
Le débat qui entoure la question ayant désormais
largement dépassé les sphères intellectuelles, c'est donc
la réponse apportée à ce problème qui divise.
Certains, comme le président Macron, estiment qu'il ne faut effacer
aucune trace de l'histoire, mais ce serait oublier que l'histoire n'est pas
immuable et que chaque société a fait tomber des symboles pour en
ériger de nouveaux. D'autres s'insurgent, comme l'ancien premier
ministre Jean-Marc Ayrault, qu'une statue de Colbert, ministre de Louis XIV
considéré comme étant à l'origine du Code Noir,
siège toujours devant l'Assemblée Nationale, symbole de notre
république49. Mais là encore l'on pourrait
rétorquer que de réduire les figures du XVIIe et XVIIIe
siècle à leur participation au système esclavagiste
reviendrait à effacer les grands noms de l'histoire, de George
Washington à Voltaire.
La réponse qui semble aujourd'hui être
privilégiée, ou du moins la plus à même de contenter
un maximum de personnes, serait la solution pédagogique. Selon
Louis-Georges Tin, essayiste et ancien président du CRAN (Conseil
Représentatif des Associations Noires), les esclavagistes et auteurs de
massacres coloniaux doivent être enseignés mais non pas
glorifiés, et il déplore que la situation actuelle soit à
l'opposé, que cette histoire soit généralement peu
enseignée mais énormément glorifiée, par des
statues et autres représentations présentes un peu partout dans
l'espace public. Il se questionne : « comment faire lorsque les
héros des uns sont les bourreaux des autres50 ? »
et apporte une réponse qui selon lui se trouve dans le dialogue et la
concertation. Il plaide pour que des groupes constitués d'acteurs
locaux, d'élus, d'historiens, d'associations et de riverains puissent
débattre de ces questions, et pense que les décisions prises au
plus près du terrain auront plus de chance de produire un
résultat harmonieux qu'une décision assénée depuis
l'Elysée.
46. Allocution télévisée du Prédient
de la République française Emmanuel Macron, le 14 Juin 2020
47. Twitt de la Ministre des Outres-mer Annick Girardin
daté du 23 Mai 2020
48. DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une
statue tombe, le passé négrier refait surface », op.
cit.
49. MARTIN Jean-Clément, « Débaptiser les
lieux portant le nom de Colbert : le racisme ne trouvera pas de solution avec
des gadgets bricolés », entretien accordé au journal Le
Monde, 16 Juin 2020,
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/16/debaptiser-les-lieux-portant-le-nom-de-colbert-le-racisme-ne-trouvera-pas-de-solution-avec-des-gadgets-bricoles_6042982_3232.html,
consulté le 12 Novembre 2020
50. TIN Louis-Georges, « Comment faire France lorsque
les héros des uns sont les bourreaux des autres ? », tribune dans
le journal Le Monde, 22 Juin 2020,
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/22/louis-georges-tin-comment-faire-france-lorsque-les-heros-des-uns-sont-les-bourreaux-des-autres_6043769_3232.html,
consulté le 12 Novembre 2020
52
Le maire de Bristol, Marvin Rees, adopte un point de vue
similaire et a conscience que la figure d'Edward Colston n'est pas
entièrement bonne ou mauvaise, mais est beaucoup plus complexe que cela.
D'une part enrichi par le commerce d'esclaves, Colston a aussi fait don
à la ville d'une énorme partie de sa fortune à sa mort et
a contribué à la faire prospérer. Le maire comprend donc
la volonté de la population d'exécuter ces actes symboliques mais
ne veut pas « occulter les racines économiques et politiques du
racisme51 », et bien qu'il considère la statue
comme « un affront pour lui et les gens comme lui52
», il a pris la décision de repêcher la statue pour la placer
dans un musée, en attendant qu'un groupe d'experts décide de son
sort.
Enfin, le dramaturge rwandais Dorcy Rugamba s'oppose au
déboulonnage des statues tant que l'histoire esclavagiste et coloniale
ne sera pas correctement et largement enseignée en Europe comme en
Afrique. Il admet que le fait de comprendre l'Europe coloniale est
nécessaire pour comprendre l'Europe d'aujourd'hui. Selon lui, ces
événements sont une appropriation de l'histoire par des personnes
qui ne s'y reconnaissent pas, et sont par conséquent des actes
psychologiquement libérateurs qui sont le fondement de toutes les luttes
d'émancipation53.
Saint-Malo ne manque pas de symboles de cette période
esclavagiste, depuis les statues de Surcouf et Mahé de la Bourdonnais,
jusqu'aux aux noms de rues en passant par certains hôtels particuliers
ayant appartenus à ces armateurs. Mais il n'est nulle part, si ce n'est
au musée et dans la littérature, fait mention de cette
réalité que certains souhaiteraient pourtant voir
rétablie.
Pendant cette période de troubles, Saint-Malo a
été épargné par la vague de déboulonnage, ce
qui ne veut pas dire que la ville est hors d'atteinte de toute contestation.
L'année précédente, le 10 mai 2019, journée de
commémoration de l'abolition de l'esclavage, la statue de Robert
Surcouf, corsaire et armateur malouin ayant pratiqué la traite, a
été vandalisée en étant recouverte de peinture
rouge54. Si la statue est toujours présente dans la ville,
c'est néanmoins la preuve que sa présence déplait à
certains, ne serait-ce qu'une minorité, et que sa symbolique peut
être questionnée. Aucun débat public n'a en revanche eu
lieu à la suite de cet évènement, comme nous l'a
confirmé Jean Bories, délégué à la culture
du précédent conseil municipal55.
Sans vouloir, ni même pouvoir, comparer Saint-Malo aux
autres villes ayant pratiqué ou subi la traite négrière,
il est toutefois intéressant de relever le fait que la ville et ses
autorités ne se sont pas penchées sur les causes profondes qui
ont poussé des personnes à commettre cet acte de vandalisme, qui
s'inscrivait alors vraisemblablement dans un élan national et
international de contestation largement diffusé par la presse mondiale.
Bien qu'il s'agisse là d'un acte isolé, et apparemment unique
dans l'histoire de la ville, celui-ci semble néanmoins symptomatique
d'un ressentiment qu'une part de la population a besoin d'exprimer.
La cité bretonne, qui n'a pas un passé
principalement basé sur le commerce négrier, ni une
démographie comparable à des villes comme Fort-de-France ou
même Bristol, apparaît donc en marge des récents mouvements
de contestation. Cet acte de vandalisme, qui n'a été
relayé que par une poignée de journaux locaux, fait donc l'effet
d'un coup d'épée dans l'eau, et il semble aujourd'hui peu
probable que la ville questionne les symboles qui lui sont chers, donnant ainsi
tout son sens à la phrase de Louis-Georges Tin que nous avons
citée plus haut56.
51. DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une
statue tombe, le passé négrier refait surface », op.
cit.
52. Ibid.
53. RUGAMBA Dorcy, « Déboulonnage de statues,
manifestations antiracistes : Ce qui est en train de se jouer est un acte
libérateur », op. cit.
54. ROBELET Guillaume, « Saint-Malo. La statue du corsaire
Surcouf vandalisée », Ouest-France, 10 Mai 2019,
https://www.ouest-france.fr/bre
tagne/saint-malo-35400/saint-malo-la-statue-du-corsaire-surcouf-vandalisee-6344354,
consulté le 26 Janvier 2021
55. Échange téléphonique non
enregistré datant du 20 Janvier 2021
56. voir supra. p52. : « Comment faire lorsque les
héros des uns sont les bourreaux des autres ? »
53
Fig. 7. Statue de Robert Surcouf vandalisée -
Philippe Delacotte, 10 Mai 2019
54
55
Chapitre III
Une difficulté de commémorer
malgré les efforts de certains
Ce troisième et ultime chapitre a pour objectif
principal de revenir sur le travail qui a été effectué
à Saint-Malo depuis plusieurs années et de comprendre les
obstacles qu'il reste à franchir pour aboutir à une
mémoire de l'esclavage et de la traite négrière pleinement
décomplexée. Alors que, comme nous l'avons déjà vu
a de multiples reprise, l'histoire malouine de la traite est désormais
connue et facilement accessible, comment se fait-il que celle-ci n'ouvre pas la
porte aux revendications mémorielles comme cela a pu être le cas
dans d'autres villes ? Nous regarderons en premier le travail d'histoire
déjà effectué ainsi que sa lente et difficile mise en
place. Nous reviendrons ensuite sur ce qui semble être le principal frein
à la propagation de cette histoire, empêchant par là
même la naissance de la mémoire de cet évènement.
Enfin, nous verrons les efforts qui sont toutefois déployés dans
la ville pour lever le tabou entourant la question de la traite à
Saint-Malo. Nous essaierons d'en comprendre la portée et l'ambition afin
d'estimer le travail qu'il reste à accomplir pour que l'histoire
négrière soit connue, et reconnue, dans cette ville qui
entretient un rapport complexe avec son passé.
Le travail d'histoire et ses limites
Depuis maintenant deux décennies, l'histoire de
l'esclavage et de la traite négrière à Saint-Malo est
connue et bien documentée, grâce notamment au travail rigoureux de
l'historien malouin Alain Roman qui a synthétisé plus de dix
années de recherches dans son Saint-Malo au temps des
négriers1, ouvrage référence en la
matière. Mais cela ne s'est pas fait sans mal tant le sujet a pu
être évité, et l'est toujours par moment, dans la
littérature malouine.
Dans son Marins de Saint-Malo, publié en 1999,
l'écrivain Gilles Avril reprend un article d'Esnoult Le
Sénéchal paru en 1932 et écrit à son propos :
« S'il faut en croire l'érudit M. Esnoult Le
Sénéchal, qui s'est longuement penché sur le trafic du
« bois d'ébène » et Saint-Malo, il n'y aurait
en tout et pour tout, qu'une douzaine de navires malouins à exporter des
esclaves de la côte de Guinée... dix au XVIIe siècle, deux
au XVIIIe siècle2. » Nous sommes en effet bien loin
du total d'environ 250 expéditions négrières que nous
avons évoquées précédemment.
Depuis le début du XXe siècle, plusieurs
historiens se sont succédé pour établir un constat des
activités négrières de la ville. Léon Vignols est
donc le premier d'entre eux qui dressa un inventaire des archives malouines,
que Gaston Martin considère, comme nous l'avons expliqué au
début de cette étude, comme étant le point de
départ du renouveau des études négrières en
France3. En 1930, il écrit un article sur La
Perle4 dans lequel il compare les conditions de voyage de ce
navire avec les quelques 150 autres qu'il avait étudiés
précédemment.
Pour réaliser ce travail, Léon Vignols s'est
appuyé sur les Archives de l'Amirauté de Saint-Malo,
déposées à Brest et à Rennes. Selon Alain Roman,
ces documents sont très complets, et mis à part quelques lacunes,
les congés de navires et les rapports de capitaines forment une suite
presque continue. Il explique aussi que la recherche documentaire est d'une
simplicité déconcertante pour celui qui manque de
persévérance5. Il existe en effet trois registres pour
la période 1706-1739 et pour celle postérieure à 1756 qui
donnent une liste chronologique de tous les navires armés à
Saint-Malo, avec leurs noms, ceux de leurs capitaines et des armateurs, leurs
tonnages, leurs effectifs et même leurs destinations et conditions de
retour. Leur consultation
1. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit.,
2. AVRIL Gilles, Marins de Saint-Malo, Édition
du Rocher, 1999, p. 63. Cet auteur a puisé cette affirmation
dans un article d'Esnoult LE SÉNÉCHAL, paru en 1932 dans les
Mémoires de la Société d'Histoire et
d'Archéologie de Bretagne, pp. 197-209
3. voir supra. p29.
4. VIGNOLS Léon, « La campagne
négrière de la Perle (1755-1757) et sa réussite
extraordinaire », Revue Historique, 1930, pp. 51-78
5. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 35
56
était simple, Léon Vignols les obtenait par
courrier recommandé, et il est donc surprenant que certains auteurs se
soient obstinés à ignorer ces documents pourtant essentiels dans
l'étude du commerce maritime malouin.
En 1928, Étienne Dupont se sert du travail de
Léon Vignols, qu'il cite à plusieurs reprises, pour dresser un
portrait d'une quarantaine de pages sur la traite négrière
à Saint-Malo6. Ses sources sont précises et son
travail bien mené, mais l'auteur évite soigneusement toute
statistique et protège l'anonymat des négociants et capitaines
malouins ayant pris part au trafic, de peur de froisser7.
L'historien Georges Saint-Mleux s'est lui concentré
sur la carrière de René Auguste de Chateaubriand, d'abord en 1913
dans son « M. de Chateaubriand, armateur8 », puis
en 1919 avec « Les armements de M. de Chateaubriand9
». Il se base pour ces études sur des documents incontestables, les
comptes de M. Du Rouvre ainsi que les registres de l'Amirauté et de
l'Inscription Maritime, et dresse un inventaire des expéditions que le
père de l'écrivain a organisées. Bien que ces travaux
soient sérieux, il semble que Georges Saint-Mleux ait néanmoins
limité son propos concernant la traite négrière et se soit
contenté de constater en quelques lignes, avec regret, que les armements
de M. de Chateaubriand à destination des côtes de Guinée
aient été consacrés au commerce négrier.
En 1949, le doyen Georges Collas complète le travail
de son prédécesseur grâce à l'étude des
archives de Combourg10. Dans son ouvrage, il détaille tous
les aspects commerciaux, nobiliaires, fonciers et personnels de
l'activité de M. de Chateaubriand. Son travail est complet, mais il
s'agit là d'une monographie qui ne concerne donc qu'un seul personnage.
À cause de cela, l'auteur ne parvient pas à replacer ses
conclusions dans le paysage négrier malouin et le sujet n'est donc pas
éclairé davantage11.
Enfin, Jean Delumeau a dirigé pendant près de
quinze ans, de 1957 à 1970, une grande enquête sur le commerce
malouin, dans laquelle 53 de ses étudiants ont dépouillé
et analysé les documents de l'Amirauté conservés à
Rennes, et qui ont permis d'établir un tableau complet de
l'activité portuaire malouine entre 1681 et 1770. Les résultats
de cette étude ont été publiés pour la
période 1681-172012, mais les trois synthèses
réalisées couvrant la période 1681-1770 n'ont
malheureusement jamais fait l'objet d'une publication13. Par la
suite, le professeur André Lespagnol s'est largement appuyé sur
ce travail collectif pour rédiger son Messieurs de
Saint-Malo14 dans lequel il fait une analyse complète de
l'élite négociante malouine sur la période 1680-1720, mais
dans laquelle il n'aborde pas le sujet de la traite négrière, qui
était encore quasiment anecdotique en ce temps.
Dans l'ensemble, les ouvrages que nous venons
d'évoquer constituent ce qui a été écrit sur la
traite négrière à Saint-Malo. Sauf exception, comme celui
d'André Lespagnol qui ne consacre que quelques lignes à la traite
dans ses ouvrages dont le propos est ailleurs, les malouins et auteurs
d'écrits historiques sur la ville ont choisi soit de taire
complètement le sujet, soit de l'évoquer rapidement sans avoir
recours aux archives
6. DUPONT Étienne, Le vieux Saint-Malo, au pays de la
course et de la traite, 1928, pp. 13-19, réédition La
découvrance, 1996, 210 p.
7. Ibid. p. 185
8. SAINT-MLEUX Georges, « M. de Chateaubriand, armateur
», Annales de la Société d'Hitoire et d'Archéologie
de l'arrondissement de Saint-Malo, 1913, pp. 129-165
9. SAINT-MLEUX Georges, « les armements de M. de
Chateaubriand », op. cit., pp. 1-14
10. COLLAS Georges, Un cadet de Bretagne au XVIIIe
siècle : René Auguste de Chateaubriand, Paris, Nizet,
1949
11. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 12
12. DELUMEAU Jean, Le mouvement du port de Saint-Malo,
1681-1720, Paris, Klincksieck, 1966
13. Il s'agit de trois mémoire de DES, soutenus à
l'université de Rennes en 1970 :
- DELAVALLE, FORTIS et LARZUL : Le grand commerce malouin
- DUBOCQ et SÉVENO : Saint-Malo et le moyen commerce
français - FRESNEL et NÉDELEC : Saint-Malo et le petit
cabotage
14. LESPAGNOL André, Messieurs de Saint-Malo, une
élite négociante au temps de Louis XIV, op. cit.
57
pourtant faciles d'accès, ni aux travaux de leurs
contemporains et prédécesseurs15. Les guides et autres
ouvrages touristiques de la ville font également l'impasse sur le sujet.
Il est en effet beaucoup plus simple pour les auteurs de célébrer
les grands exploits malouins, tels la découverte du Canada par Jacques
Cartier ou les prises de guerre de Robert Surcouf, que de reconnaitre que la
richesse de la ville s'est en partie construite sur le trafic
négrier.
Aujourd'hui, le travail d'histoire sur l'esclavage et la
traite négrière est en très grande partie
réalisée, grâce notamment aux recherches d'Alain Roman
comme nous l'avons déjà dit, mais celui-ci ne connaît
qu'une notoriété limitée et ce travail ne s'est
propagé qu'à l'intérieur d'un cercle restreint
d'initiés. Cela est du au fait qu'il n'y a que très peu de
personnes qui revendiquent cette histoire dans la ville, et que sans porteurs
de mémoire, celle-ci rencontre de nombreuses difficultés à
se diffuser. On peut ainsi s'intéresser au cas de la pêche
morutière à Saint-Malo, qui jusqu'il y à une quinzaine
d'années était quasiment inexistante dans l'imaginaire
malouin.
L'Association Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas,
après l'arrêt de la grande pêche en 1992, a tenté de
revendiquer cette histoire qui leur était propre. L'association s'est
constituée en 2004 et se compose uniquement d'anciens terre-neuviers
désireux de conserver et partager le souvenir de leur activité.
Après un entretien téléphonique avec l'ancien
président de l'association, M. Chaperon16, celui-ci nous a
confirmé que le travail de recherche, qui par la suite a abouti à
l'ouverture d'un musée et à la réalisation de plusieurs
oeuvres cinématographiques, n'était imputable qu'à la
détermination des membres de l'association, sans qui ce passé
terre-neuvas, encore une fois le socle de l'activité malouine pendant
plus de trois siècles, ne serait pas connu ni reconnu dans la «
cité corsaire ».
Le travail d'histoire, qui constitue une des conditions
préalable au travail de mémoire, peine donc également
à exister sans celui-ci. Depuis plus d'un siècle maintenant,
quelques historiens et auteurs se sont succédé pour
établir un portrait complet des activités de traite à
Saint-Malo. Ce travail, qui arrive avec un peu de retard en comparaison des
autres grandes villes négrières françaises, doit
désormais ouvrir la porte à d'éventuelles revendications
et permettre à la mémoire de cet épisode tragique de
pleinement s'émanciper dans la ville.
15. ROMAN Alain, Saint-Malo au temps des
négriers, op. cit., p. 12
16. Entretien téléphonique non-enregistré
avec M. Chaperon, ancien président de l'Association Mémoire et
Patrimoine des Terre-Neuvas, daté du 28 Janvier 2021
58
La « cité corsaire », construction d'un
mythe
Au début de son livre publié en 1931 et
consacré aux négriers nantais, Gaston Martin écrivait
« Michelet, opposant Saint-Malo à Nantes, affronte dans une
belle antithèse « la ville des corsaires et celle des
négriers ». L'Histoire a des raisons de se défier de ces
constructions trop symétriques : Nantes a eu ses corsaires, comme
Saint-Malo ses négriers17 ». Martin a
évidemment raison dans son propos, et la nuance qu'il apporte est tout
à fait bienvenue. Saint-Malo est aujourd'hui connue du grand public sous
son titre de « cité corsaire », et même s'il est vrai
que la ville s'est particulièrement illustrée dans ce domaine au
cours de son histoire, il ne couvre qu'une toute petite partie de celle-ci ; le
titre qui lui est associé est donc, si ce n'est faux, du moins
incomplet. Alors, si ce titre n'est pas représentatif de l'histoire
maritime de Saint-Malo, comment se fait-il qu'elle soit aujourd'hui connue de
tous seulement par cette appellation ?
Saint-Malo fait très certainement partie du
panthéon des cités portuaires mythiques, mais la réussite
médiatique dont elle bénéficie obscurcit évidemment
bien des pans de son histoire, peut-être involontairement, mais de
manière à mettre sous le feu des projecteurs ceux lui procurant
un engouement touristique et économique. Cette mythologie urbaine, pour
reprendre l'expression d'André Lespagnol18, est le
résultat d'un long processus que l'on peut retracer jusqu'à la
première moitié du XIXe siècle.
La création de ce mythe remonte donc au lendemain de
la Révolution française et des guerres de l'Empire, dans un
contexte où le pouvoir politique, sous la Monarchie de Juillet, presse
activement pour la construction d'une mémoire collective nationale
à l'intérieur de laquelle les micro-histoires locales
s'emboîtent. Au sein d'une idéologie générale de
romantisme historisant, les villes françaises, grandes ou petites, vont
construire ou reconstruire leur mémoire collective en mettant en avant
héros locaux et heures de gloire. Mais il semblerait que Saint-Malo
n'ait pas attendu cette impulsion nationale pour faire elle-même ce
travail de mémoire.
Dès les années 1820, au travers d'initiatives
individuelles et sous la pression des autorités municipales qui semblent
répondre à une demande de la société urbaine,
composée des élites et de la population dans son ensemble, un
portrait de la ville basé sur ses épisodes illustres (comme la
prise de Rio de Janeiro par Duguay-Trouin ou la découverte du Canada par
Jacques Cartier), et plus encore sur les grands hommes qui en sont issus, est
dressé.
D'abord, des érudits locaux aux profils variés
produisent des annales historiographiques qui retracent les hauts faits de
l'histoire de Saint-Malo ainsi que des biographies collectives des ses
héros19. S'ajoutent à cela d'autres formes de
représentation qui viennent accentuer la création de la
légende de la ville. En premier lieu vient la sculpture qui, comme dans
d'autres grandes villes à cette époque, fait son apparition sur
les places publiques pour symboliser les grandes figures de cette histoire
nouvellement constituée. Le premier exemple malouin est la statue de
Duguay-Trouin, capitaine corsaire sous Louis XIV, érigée
dès 1829. S'ensuivit la statue de Chateaubriand en 1875, puis celles de
Jacques Cartier et Robert Surcouf qui prirent place sur les remparts au
début du XXe siècle20.
17. MARTIN Gaston, Nantes au XVIIIe siècle :
l'ère des négriers, op. cit.,
18. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans
la première mondialisation, op. cit., p. 470
19. Abbé MANET, Biographie des Malouins
célèbres, Rennes, 1824 ; CUNAT Charles, Saint-Malo
illustré par ses marins, Paris, 1857 ; ROBIDOU Bertrand,
Histoire et panorama d'un beau pays, Dinan, Imprimerie Bazouge,
1853
20. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans
la première mondialisation, op. cit.
59
Après la sculpture vint la peinture, grâce aux
commandes que la municipalité de Saint-Malo a passées entre 1835
et 1840, sous la Monarchie de Juillet, pour décorer les salons de
l'Hôtel de Ville. Vinrent d'abord quatre tableaux représentant des
évènements marquants de l'histoire de la ville, tels la
découverte du Canada ou l'attaque de la ville par la « machine
infernale » des anglais. S'ensuivit une dizaine de portraits d'hommes
illustres, composés aussi bien de marins que d'écrivains et
d'intellectuels, de corsaires ou d'explorateurs, ayant tous marqué
l'histoire malouine, à l'exception de Chateaubriand qui, encore vivant,
avait préféré léguer un portrait à sa mort.
Ces portraits sont réunis dans une salle de l'Hôtel de Ville, qui
fut baptisée directement la « Salle des Grands Hommes », et
qui représente parfaitement cette dynamique d'élaboration d'une
représentation héroïque du passé malouin.
Ces représentations artistiques du passé de la
ville mettent dans un grand et même panier de nombreuses figures qui
n'ont pas nécessairement à voir les unes avec les autres, au
point de, selon André Lespagnol, de faire apparaitre Saint-Malo comme la
« Cité des Grands Hommes » dans l'imaginaire collectif,
à la fois local et national. C'est la première
représentation mythique de la ville, et cette représentation a pu
s'ancrer facilement et durablement dans le réel grâce à
deux évènements marquants pour le peuple malouin qui ont
encadré cette période et qui ont apporté une profondeur
sociale à cette construction. Il s'agit de la mort de Robert Surcouf en
1827 et celle de François-René de Chateaubriand en 1848.
Chacun des ces évènements a mobilisé des
foules gigantesques, mues dans une émotion sincère et
liées par un sentiment d'appartenance à la cité. Il va de
soi que de telles funérailles furent évidemment
scénarisées pour servir cette nouvelle image de berceau des
grands hommes que la ville était en train de se construire. Charles
Cunat, témoin oculaire de la scène et biographe de Robert Surcouf
nous les décrit de cette manière : « Il fallut faire
traverser au cercueil le bras de mer qui sépare les deux villes
{Saint-Servan et Saint-Malo}, où les vaisseaux qui y avaient
ancré avaient mis en signe de deuil leur pavillon à mi-mât.
Quatre bateaux occupés par le Clergé précédaient
l'embarcation tendue de noir portant les dépouilles mortelles du
défunt, qui était remorquée et suivie par plus de 50
canots. Les quais étaient couverts par une quantité
considérable de spectateurs, accourus de tous les points de
l'arrondissement à l'annonce du trépas, qui contemplaient ce
triste et imposant cortège. Ce fut au milieu de ce concours immense que
la bière parcourut les lieux mêmes qui furent témoins des
essais de sa jeunesse. Il était réservé à ce marin
fameux de recevoir les honneurs funèbres sur l'élément
même qui fut le théâtre de ses nombreux
exploits21. »
Les funérailles de Chateaubriand, mort deux
décennies plus tard, n'en furent pas moins grandioses. Mort dans la plus
grande indifférence à Paris, son cercueil fut ramené
à Saint-Malo et transporté en procession au milieu d'une foule
immense, à travers la grève, depuis la cathédrale
jusqu'à l'îlot du Grand-Bé, où il avait lui
même choisi d'être enterré, face à la mer.
Ces grandes manifestations capables de rassembler un peuple
autour d'un souvenir commun seront par la suite prolongées dans les
décennies qui suivirent, avec les inaugurations officielles des statues
de « Grands Hommes », puis les commémorations anniversaires de
leur mort, dont celle de Chateaubriand, cinquante ans après sa mort
(1898), fut la première. C'est au travers de ces
évènements que se construira, puis se maintiendra, une
mémoire collective de la cité, partagée et relayée
par une grande part de la population se sentant fière d'hériter
de ce passé, qui fut bien entendu sélectionné et
héroïsé, mais qui tranche par contraste avec la
réalité apparemment médiocre de
l'époque22.
Le problème d'une telle représentation du
passé, qui met l'accent sur quelques épisodes marquants, quelques
grands hommes et quelques grands faits, bref qui se concentre sur une vision de
« l'essentiel », chose
21. CUNAT Charles, Histoire de Robert Surcouf, capitaine de
corsaire, Paris, 1842, p. 269
22. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans
la première mondialisation, op. cit., p. 473
60
qui n'est pas surprenante pour l'époque d'ailleurs,
est d'occulter par là même ce qui avait fait l'importance
historique de cette ville, sa richesse et sa prospérité, voire
à certain égard le socle de son identité. Nous parlons
là bien sûr de la pêche terre-neuvienne, que nous avons
déjà évoquée de nombreuses fois, et qui fut le
fondement de l'activité du port pendant près de quatre
siècles, mais nous entendons par là également le
rôle de premier plan qu'a joué la ville dans différents
trafics maritimes honorables, comme celui de l'Océan Indien par exemple,
ou celui de la Mer du Sud peut-être plus discutable, mais
également le rôle qu'elle a joué dans des trafics beaucoup
moins glorieux telle la Traite Négrière, qui a cette
époque était déjà vivement critiquée et
fortement remise en question (rappelons que la première abolition de
l'esclavage date de 1794 et la seconde de 1848).
Cette occultation des pans principaux de l'histoire de
Saint-Malo a également eu pour conséquence de faire disparaitre
certains noms, parmi lesquels une majorité des élites
négociantes qui pendant plusieurs siècles a fait prospérer
la ville et propagé l'identité malouine à travers les mers
du globe, les « Messieurs de Saint-Malo » pour reprendre
l'expression de Colbert. Ainsi, on ne retrouve les Magon, Le Fer, Danycan...
qu'entre les lignes des pages d'histoire bien que ces familles aient
participé pendant plusieurs générations à faire
« rayonner » la ville en dehors de ses frontières. Dans son
livre, Saint-Malo et la Bretagne dans la première mondialisation,
l'historien André Lespagnol fait ainsi une comparaison tout à
fait pertinente et révélatrice : « Imaginons l'histoire
d'Augsbourg sans les Fugger ou celle de Détroit sans Henry
Ford23 ! »
Il est évident que cette reconstruction d'un
passé glorieux est emprunt de nostalgie pour une époque
bientôt révolue. Charles Cunat écrivait ainsi dans son
avant-propos : « Le temps fuit... bientôt on oubliera la
physionomie belliqueuse de l'antique cité d'Aaron... Mais qui conservera
le souvenir de ces vieux malouins enfants de leur rocher, si redoutés
à la guerre24. ». Les choix qui ont
été faits lors de cette construction historique, qu'ils aient
été faits consciemment ou non, sont symptomatiques du contexte
idéologique de l'époque. Mais s'ils ont été tant
appuyés et si soigneusement sélectionnés, au risque de
réduire la grandeur de la ville à quelques épisodes
glorieux, c'est bien que cette construction historique devait compenser un
présent beaucoup moins exaltant, au moment d'une conjoncture difficile
pour la ville entre les années 1820 et 1860, qui voyait progressivement
disparaitre ces activités qui avaient jadis fait sa renommée
(course, Indes et Amérique espagnole), et qui révélait
l'incapacité du port à s'adapter à la modernité de
l'époque et l'apparition de nouvelles technologies comme la machine
à vapeur, le reléguant de fait au rang de port de pêche et
port régional25.
À l'aube du XXe siècle, cette nostalgie n'avait
toujours pas disparu dans la cité malouine. Dans son Saint-Malo
historique de 1902, Édouard Prampain écrivait : « De la
ville militaire, de la forteresse redoutable la paix a fait une place
insignifiante..., du port de corsaires un port d'armements pour la grande
pêche... Restent les souvenirs. Si les choses ont leurs larmes, elles ont
aussi leur fierté26. » On observe donc que cet
imaginaire de la cité belligérante avait déjà fait
son chemin dans l'esprit des malouins, la grande pêche ayant toujours
été le socle de l'activité portuaire avait
été reléguée au second plan, et la course, des
apartés dans l'histoire répondant aux besoins de la guerre, fut
placée sur le devant de la scène.
Cette histoire mythique, bien que solidement implantée
et largement partagée, va cependant évoluer
légèrement pendant le cours du siècle suivant, passant
d'une simplification de l'histoire en une succession d'épisodes
grandioses, à une image unique et porteuse de la « cité
corsaire ». On peut se demander ce qui
23. Ibid., p. 474
24. CUNAT Charles, Histoire de Robert Surcouf, capitaine de
corsaire, op. cit., p. 2
25. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans
la première mondialisation, op. cit., p. 475
26. PRAMPAIN Édouard, Saint-Malo Historique,
Amiens, Piteux, 1902
61
a poussé cette histoire à évoluer ainsi,
quel en était l'intérêt, quel rôle va jouer cette
nouvelle image de « cité corsaire » dans l'environnement
économique, social et culturel de la ville ?
Il faut d'abord dire qu'il y a une continuité avec la
première mythologie urbaine constituée au début du XIXe
siècle, et que l'on retrouvera tout au long du XXe siècle au
travers d'un processus de préservation de la mémoire collective
prenant la forme de commémorations qui vont ponctuer la vie sociale des
malouins, comme ce fut le cas pour chaque centenaire ou cinquantenaire de la
naissance, ou de la mort, d'un de ces héros malouins, entraînant
à chaque fois un cycle de célébrations dans la
ville27.
Le premier exemple fut celui du cinquantenaire de la mort de
Chateaubriand, en 1898, qui entraina une série de discours devant sa
statue érigé en 1875, un défilé en ville, puis un
banquet suivi d'un bal à l'Hôtel de Ville. Toujours dans cette
idée de perpétuation de la mémoire, la tradition
d'inauguration de statues, accompagnée bien sûr par une
série de manifestations publiques, a elle aussi continué tout au
long du XXe siècle, commençant par une statue monumentale de
Jacques Cartier, installée en 1905 face à l'océan, sur le
bastion de la Hollande. S'ensuivit celle de Robert Surcouf face à
l'Angleterre (la statue fut d'ailleurs tournée ultérieurement
afin que le sabre du corsaire pointe dans la direction de l'ennemi de
toujours), une seconde de Duguay-Trouin (la première ayant
été détruite en 1944) et pour finir une statue de
Mahé de la Bourdonnais installée dans les années 1980.
Cette continuité avec le passé s'est aussi
farouchement exprimée lors de la reconstruction de la ville après
les bombardements de 1944, lorsque les malouins, emmenés par leur maire
Guy La Chambre, ont réussi à obtenir de l'État la
reconstruction « à l'identique » du Saint-Malo Intramuros. La
ville fut en réalité reconstruite par Louis Arretche pour donner
une impression d'authenticité, le mot de « pastiche »
étant souvent revenu lors de nos recherches, et pour reconstituer le
tissu urbain du Saint-Malo du XVIIIe siècle. Le béton a cependant
bien souvent remplacé la pierre de taille, les rues ont
été élargies pour répondre aux normes de
sécurité et d'hygiène, et les intérieurs des
hôtels particuliers n'ont bien souvent plus rien à voir avec ce
qu'ils étaient. Mais la ceinture de remparts, le château, la
cathédrale furent conservés, les façades reproduites
à l'identique et finalement l'image et le décor de la ville
ancienne furent ressuscités, offrant aux malouins, et plus encore aux
visiteurs, l'idée d'une continuité physique avec le passé.
Chose intéressante s'il en est, Saint-Malo fut la seule ville de la
façade atlantique détruite pendant la guerre à avoir
été reconstruite selon son image d'origine, preuve de
l'attachement de la population à son passé et sa
représentation28.
Malgré cette continuité apparente avec la
mythologie du XIXe siècle, cette image de la ville des « Grands
Hommes » a commencé à basculer vers celle de la «
Cité Corsaire » dès l'année 1894, lorsqu'un
publiciste malouin, Eugène Herpin, produisit une brochure
destinée au grand public, mettant en avant les charmes du pays malouin
et la richesse de son histoire, et utilisant pour la première fois la
formule-choc : « Saint-Malo, la cité corsaire29
». Cette formule allait rapidement s'imposer par la suite,
caractérisant désormais la cité malouine. Elle fut reprise
en 1902 par Édouard Prampain dans l'avant-propos de son Saint-Malo
historique30, puis bien sûr par son inventeur qui
l'utilisera en sous titre de son livre Histoire de la ville de
Saint-Malo31, qu'il publiera en 1927, avant d'être
utilisée dans la quasi-totalité des ouvrages, guides
touristiques, journaux et brochures évoquant la ville. Cette formule
s'imposa également à la télévision, comme ce fut le
cas par exemple lors des épisodes de l'émission
27. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans
la première mondialisation, op. cit., p. 476
28. Ibid., p. 477
29. HERPIN Eugène, La côte
d'Émeraude, Rennes, 1894, p. 75
30. PRAMPAIN Édouard, Saint-Malo Historique,
op. cit., p. 3
31. HERPIN Eugène, Histoire de la ville de
Saint-Malo, La découvrance, 1927
62
« Thalassa » qui vint de nombreuses fois à
Saint-Malo32.
Cette image de la « cité corsaire » s'appuie
bien évidemment sur une réalité historique largement
répandue au sein de la population, comme on a pu le voir avec la «
sélection » des héros de la ville au siècle
précédant, dans laquelle les corsaires avaient une part
non-négligeable, ou bien même dans le palmarès des marins
malouins réalisé par Charles Cunat33 dans lequel les
corsaires sont omniprésents. Cette image est encore aujourd'hui
largement propagée par des acteurs locaux comme en témoigne par
exemple l'Association des Descendants de Capitaines Corsaires qui s'attelle
à effectuer des travaux généalogiques, des
conférences ou autres événements à la gloire de
leurs ancêtres.
Le succès de ce mythe ne s'explique pas seulement par
l'adhésion de la population malouine à l'idée romanesque
d'un glorieux passé belligérant. D'abord destinée aux
habitants de Saint-Malo, cette mythologie urbaine s'est par la suite
tournée vers l'extérieur en devenant un argument
économique, accompagnant l'essor touristique de la ville et de la
région en leur permettant de se démarquer dans un secteur, le
tourisme balnéaire de masse, où la concurrence est rude et
l'image primordiale. Une chance pour Saint-Malo fut également que ce
mythe de la « cité corsaire », par sa simplicité,
répond à l'imaginaire d'un public nourri depuis longtemps aux
références du cinéma hollywoodien et de la bande
dessinée, valorisant cet univers fantasmé de corsaires,
flibustiers et pirates34.
Grâce à la création de ce mythe, qui
s'est constitué il y a près de deux siècles et a
évolué depuis, Saint-Malo a réussi à s'offrir un
label extrêmement efficace sur la marché touristique, d'autant
plus que celui-ci peut s'appuyer sur des éléments historiques
solides, ainsi qu'un décor architectural « d'époque »
et des mises en scène et reconstitutions d'évènements ou
de navires qui ajoutent au folklore de la ville. Alors que vient de fermer le
dernier chantier naval de la ville il y a un peu plus d'un an, cette mythologie
urbaine qui caractérise désormais Saint-Malo est devenue une, si
ce n'est la composante fondamentale de l'activité commerciale de la
ville.
32. LESPAGNOL André, Saint-Malo et la Bretagne dans
la première mondialisation, op. cit., p. 478
33. Ibid., Palmarès évoqué par
André LESPAGNOL, nous n'avons cependant pas réussi à le
retrouver
34. Ibid., p. 479
63
64
65
Fig. 8. Funérailles de M. Chateaubriand -
estampe - Benoist Félix, Milieu du XIXe siècle, 40.6cm x
53.1cm
Le tourisme et la propagation du mythe
Au cours de cette étude, nous nous sommes
intéressé au discours touristique de la ville de Saint-Malo et au
poids que celui-ci représente dans les conditions de propagation de la
mémoire. Nous ne nous attarderons pas ici sur le rôle du
musée, qui fera l'objet d'une autre partie, mais nous analyserons
plutôt un échange avec Maureen Brugaro35, du pôle
patrimoine et visites guidées de l'Office du Tourisme de Saint-Malo.
Durant de notre entretien, nous nous sommes donc
interrogé sur la place de l'esclavage et de la traite
négrière dans le discours proposé aux touristes, afin de
savoir si cette histoire négrière malouine est
véhiculée de manière objective et
décomplexée, ou au contraire si elle est occultée et
minimisée, que ce soit de manière volontaire ou non. Nos
questions portaient sur différents aspects de la dimension touristique
de la ville, allant de la connaissance des guides aux potentielles futures
activités proposées, et sur les raisons qui poussent, ou non,
à aborder un tel sujet.
Notre première interrogation a été de
savoir si oui, et à quel point, les employés de l'Office du
Tourisme connaissaient ce pan de l'histoire malouine. Sans réelle
surprise, au vu du travail d'histoire déjà réalisé
dans la ville, madame Brugaro nous a indiqué que l'histoire
négrière de la ville était globalement connue des guides
touristiques, elle-même étant historienne et ayant
travaillé sur une famille de marins, armateurs et négriers, au
cours de ses études. Sans pouvoir rentrer dans les
spécificités du sujet, les guides touristiques de Saint-Malo
semblent donc néanmoins au fait de l'histoire de leur ville dans sa
globalité, et semblent tout à fait apte, a priori, à en
parler.
Sachant cela, nous nous sommes ensuite demandé si les
guides touristiques, étant donc parfaitement capables d'évoquer
et de développer le sujet, le faisaient au cours de leurs visites. Sans
réelle surprise là nonplus, il nous a été
confirmé que le sujet était vraiment peu abordé lors des
tours de la ville. Il semblerait que dans l'ensemble, les guides
n'évoquent pas le sujet de la traite négrière et que,
lorsqu'ils le font, cela se fait en cinq minutes sur des visites qui durent
généralement une heure et quarante-cinq minutes, trop peu pour
aborder le sujet en profondeur donc. La raison à cela, avancée
par l'Office du Tourisme, est que Saint-Malo n'est « que » le
cinquième port négrier français, loin derrière des
villes comme Nantes ou Bordeaux. Rappelons toutefois que si Nantes est loin en
tête de ce triste classement avec plus de 1700 expéditions
négrières, Bordeaux et ses quelques 500 expéditions se
trouve donc de fait plus proche en termes de statistiques de Saint-Malo et ses
250 expéditions.
Si l'on questionne ensuite les raisons apparentes de cette
absence dans le discours touristique, on nous répond d'abord que c'est
un sujet qui n'est pas simple à aborder, ce qui s'entend
évidemment, mais ne justifie rien. L'autre argument, récurrent,
réside dans les chiffres. Saint-Malo n'a jamais fait de la traite
négrière son activité principale, et les guides
privilégieraient donc d'autres aspects du commerce maritime malouin
ayant occupé une place plus importante dans l'activité de la
ville pour leurs visites. Mais là encore nous pouvons rappeler que la
mémoire des Terres-neuvas, qui fut le socle de l'activité
malouine pendant plus de trois siècles36, n'existe à
proprement parler que depuis 2004 et qu'elle était vraisemblablement tue
avant cela37. Les chiffres ne semblent donc pas être la seule
raison qui justifie l'absence de la traite négrière dans le
programme touristique de la ville.
35. voir Annexe 2 - Échange avec Maureen Brugaro
36. voir supra. p. 32
37. voir supra. p. 58
66
Puis, lorsque l'on demande si cet épisode est
présenté de manière objective ou bien si son importance
est minimisée, la réponse que nous recevons est la suivante :
« Saint-Malo est une cité corsaire et même si les
armateurs malouins ont pratiqué la Traite, leur gloire vient
plutôt de leur exploits corsaires et des fortunes amassées
grâce à la Compagnie des Indes et les voyages vers les Indes et la
Chine, voire l'Amérique du Sud. » Il est bien sûr
évident que la « gloire » du peuple malouin ne provient pas du
trafic d'êtres humains. Il va également de soi que ces
récits d'exploits militaires glorieux et de voyages lointains, qui sont
libres de tous tabou, sont bien plus vendeurs que celui de la traite
négrière, mais est-ce vraiment là l'objectif de
présenter un tel discours ?
La question de la rentabilité a évidemment son
importance dans une économie touristique. Selon Jean-Louis Colliot,
bibliothécaire de la SHAASM, Saint-Malo ne possède plus qu'un
seul bateau armé pour la grande pêche. Son économie est
donc aujourd'hui majoritairement basée sur le tourisme, et le discours
proposé se doit donc de respecter les attentes des personnes venant
visiter la « cité corsaire ». Preuve en est, l'Office du
Tourisme de la ville avait tenté de proposer des visites guidées
autour des villas balnéaires de la Plage du Sillon, et cela n'avait pas
pris auprès des visiteurs.
Il serait cependant naïf de croire que l'apparente
légèreté d'un sujet tel que les villas balnéaires
exerce un poids similaire à celui de la traite négrière.
Si le sujet peut faire peur, il est cependant connu que le tourisme
mémoriel possède un potentiel économique non
négligeable. Il est néanmoins compréhensible que le fait
d'aborder un sujet aussi lourd puisse effrayer, non pas le potentiel touriste
qui, s'il choisit cette visite, est désireux d'en connaître les
dessous, mais surtout les autorités et instances de la ville qui
prendraient alors le risque de s'exposer à des critiques de la part de
certains, et qui souhaiteraient dans l'idéal pouvoir les
éviter.
Au cours de notre échange, l'Office du Tourisme nous a
confirmé qu'elle n'avait jamais reçu de demande pour
réaliser un circuit mémoriel, comme cela a pu être le cas
à Paris avec le « colonial tour » proposé par le
CRAN38, mais également aucune pression de la part de qui que
ce soit pour éviter le sujet. L'Office du Tourisme n'a toutefois pas
prévu de réaliser un tel projet par elle-même malgré
l'impulsion donnée par d'autres villes ( Bordeaux, La Rochelle... ), et
aucune connexion n'est non plus prévue avec le futur musée
d'histoire maritime de la ville. Les guides sont toutefois entièrement
libres d'aborder le sujet, mais cela se fait généralement
à la demande du groupe.
Il existe toutefois un début d'offre touristique
allant dans ce sens. Si aucune reconstitution complète de bureau
d'armateur n'a été réalisée, comme cela a pu
être le cas à Nantes pendant l'exposition des Anneaux de la
Mémoire par exemple, le navire Étoile du Roy a
aménagé la cabine du capitaine, la malouinière de La
Chipaudière propose de consulter un registre d'armateur, et d'autres
encore proposent de « toucher » des objets tels que des armes ou des
coffres équipés de cachettes.
En revanche, en ce qui concerne les visites du patrimoine en
lien avec la traite, et malgré le manque évident de celui-ci dans
la ville, l'Office du Tourisme ne propose aucune explication pour des lieux qui
sont aujourd'hui connus pour avoir été occupés ou
habités par des armateurs négriers. L'exemple le plus parlant est
certainement celui de l'Hôtel d'Asfeld, construit par la famille Magon
qui fut l'une des principales familles négociantes de la ville, mais
également l'une des plus prolifiques dans le commerce négrier.
Lors des visites de cet hôtel particulier, il est proposé d'entrer
dans une « demeure corsaire », et l'explication quant à la
participation de la famille au trafic transatlantique n'est fournie que pour
des groupes constitués qui en font la demande, et que très
rarement pour des particuliers. Les propriétaires actuels ont
néanmoins fait installer six statues dans
38. BÉGUIN François, « Un « colonial
tour » dans les rues de la capitale », Le Monde, 14
Février 2013,
https://www.lemonde.fr/societe/ar
ticle/2013/02/14/un-colonial-tour-dans-les-rues-de-paris_1833026_3224.html,
consulté le 12 Novembre 2020
67
la cour d'honneur pour symboliser les grandes routes maritimes
du XVIIIe siècle, et l'une d'elle représente une africaine
enchainée, preuve que les propriétaires ont conscience de ce
passé négrier et ne désirent pas s'en cacher.
Enfin, lorsque que l'on questionne l'Office du Tourisme sur la
nécessité d'enseigner l'histoire négrière dans la
ville, celle-ci admet volontiers que la traite est encore trop peu
évoquée et qu'il reste encore beaucoup de travail. Elle reconnait
que cette histoire doit être enseignée, mais sans en faire un
point noir, ni un point principal de l'histoire de la ville d'ailleurs, car
« ce n'est pas ce que l'on retient en premier »,
avançant par ailleurs que Saint-Malo est avant tout une cité
corsaire et que la traite négrière ne fait pas partie des
priorités de visites. Lorsqu'interrogée sur la place que prend le
titre de « cité corsaire », l'Office du Tourisme le trouve
donc parfaitement justifié, admettant à demi-mots que celui-ci
prend peut-être un peu trop de place par rapport à l'histoire de
la ville, mais que cela est entièrement compréhensible au vu de
la gloire qu'il rapporte et donc du potentiel touristique qu'il
génère.
Nous pouvons donc conclure de cet entretien que le discours
touristique de la ville n'aide que très peu à la propagation de
la mémoire de l'esclavage, mais que cela s'explique davantage par une
nécessité économique et un besoin de répondre aux
attentes des touristes que par une véritable honte de ce passé.
Nous pouvons toutefois observer le poids du mythe de la « cité
corsaire » qui occupe une place prépondérante dans l'offre
touristique proposée aux visiteurs, et qui a pour conséquence,
involontaire sûrement mais sans que cela ne semble déranger
quiconque, d'empêcher la mémoire de l'esclavage et de la traite
négrière à Saint-Malo. Il reste donc encore du chemin
avant que cette mémoire ne soit pleinement décomplexée et
puisse être abordée sans que cela ne nuise au fort potentiel
touriste de la ville.
Le musée comme vecteur de transmission
Le comité « Pour la mémoire de l'esclavage
» a remis en 2005 un rapport au Premier ministre soulignant le manque de
visibilité des collections nationales concernant l'esclavage et la
traite négrière, ainsi que l'absence d'un inventaire sur le
sujet39. Avec le soutien du ministre, le comité put se
rapprocher de la direction des musées de France afin de lancer une
enquête nationale. Celle-ci révéla plusieurs points
intéressants, le premier d'entre eux étant que les musées
bretons semblaient particulièrement dépourvus de collections sur
le sujet de l'esclavage et de la traite. L'étude questionnait
également la manière dont était exposée cette
histoire, encore une fois les musées bretons étaient
pointés du doigt, une majorité de leurs collections demeurant en
réserve et le thème de l'esclavage n'étant jamais
abordé pour lui-même.
Sur l'ensemble des ports bretons ayant participé
à la traite, seuls trois présentent des objets en lien avec cette
histoire dans leurs collections, il s'agit de Nantes, Lorient et Saint-Malo. Il
est facilement compréhensible que des ports comme Vannes, Brest ou
Morlaix, n'ayant joué qu'un faible rôle dans le trafic
négrier, n'aient pas de collection en lien avec cette histoire. En ce
qui concerne Lorient et Saint-Malo, cette absence manifeste de l'histoire de
l'esclavage au sein de leurs musées d'histoire est plus difficilement
explicable40. Dans son étude, le comité fait un autre
constat, concernant cette fois les expositions temporaires sur le thème
de la traite : sur l'ensemble des expositions réalisées entre
1985 et 2005, soit 90 au total, seulement six prirent place en Bretagne. Fait
plus évocateur encore, sur ces six expositions temporaires, quatre
furent organisées à Nantes, une à Lorient de trois jours
seulement, et une à l'Abbaye de Daoulas, qui concernait d'ailleurs
davantage le culte vaudou que l'esclavage.
Alors comment expliquer cette faible représentation
dans les établissements bretons, compte tenu de la forte participation
de la région à ce trafic ?
69
68
Nantes, un premier pas dans l'exposition de la traite :
Nous allons d'abord étudier le cas nantais, qui occupe
bien sûr une place particulière. Avec plus de 500 oeuvres, objets
et documents en lien direct avec l'esclavage et la traite, le Château des
Ducs de Bretagne est le musée français qui compte la collection
la plus complète sur le sujet. On doit bien souvent cela aux personnes
en charge des collections, dont le travail a défini le propos du
musée. Cette accumulation d'objets a également des visées
politiques et mémorielles évidentes, mais nous y reviendrons.
À partir de 1928, à l'ouverture du musée
de Salorges à Nantes, et jusqu'en 1945, 269 objets et documents en lien
avec l'histoire de la traite sont acquis. Il s'agit alors essentiellement
d'archives mentionnant des expéditions nantaises, des
propriétés aux Antilles et des correspondances entre armateurs.
Ce fond d'archive constitue encore aujourd'hui un des points forts de la
muséographie nantaise. Dans le même temps des cartes et ouvrages
anciens sont rassemblés, comme une édition du Code noir ou des
cartes des côtes d'Afrique par exemple, ainsi que des documents
concernant les idées abolitionnistes du XIXe siècle.
Jusqu'en 1943, date du bombardement du musée de
Salorges, l'accent était mis sur la prospérité
économique de la ville. Ainsi, la traite était
présentée comme un système économique
antérieur à la colonisation,
39. COMITÉ POUR LA MÉMOIRE DE L'ESCLAVAGE, «
Mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs
abolitions. Rapport à Monsieur le Premier Ministre », 2005
40. GUALDÉ Krystel, « La traite et l'esclavage dans
les collections publiques en Bretagne et à Nantes », Cahier de
la Compagnie des Indes, n° 9, 2006
qui participa à l'enrichissement et au
développement de la ville. Aucun jugement ni enjeu, moral ou
éthique, n'entrait alors en considération.
Les objets ont tous pu être sauvés de la
destruction, mais jusqu'à la moitié des années 1970, ils
disparaissent des salles d'exposition et ne sont plus évoqués.
Dans un contexte de remise en question coloniale, il n'était plus si
évident de conserver le même propos que jadis, d'autant plus que
la ville devant se reconstruire à la fin de la guerre, la question de se
forger une nouvelle image faisait débat. Grâce aux études
menées à cette époque, une prise de conscience
s'opère finalement dans la ville et en 1976, sous l'impulsion de
l'Association des Amis du Musée de Salorges, la collection refait
surface dans le nouveau Musée du Château des Ducs de Bretagne et
demeurera inchangée jusqu'au début des années 1990 et
l'apparition des Anneaux de la mémoire, que nous avons
déjà évoquée.
L'exposition du même nom qui eut lieu au Château
des Ducs de Bretagne marqua un tournant car ce fut la première sur le
territoire nationale à être entièrement consacrée
à l'esclavage et la traite. Elle rencontra un énorme
succès populaire, puisque appuyée et soutenue par la
municipalité qui en fait un enjeu politique fortement symbolique au
moment des élections41. Ce succès est également
dû à une manière innovante de présenter, qui fait
appel au pathos des spectateurs grâce aux procédés
scénographiques utilisés, tel un entrepont de navire
négrier reconstitué pour l'occasion.
Il est néanmoins nécessaire de préciser
que bien que l'exposition ait rencontré un franc succès, aucun
objet ou document ne fut acquis pour l'occasion. L'exposition n'aborde pas non
plus le sujet dans son ensemble, laissant par exemple de côté la
traite illégale, et a eu pour conséquence d'isoler la traite dans
l'histoire nantaise du XVIIIe et XIXe siècle. La collection, acquise
à l'origine pour illustrer le commerce de la ville et son
développement, a perdu de son contexte. À la suite de
l'exposition, le musée de Nantes est identifié pendant quelques
années comme un grand réservoir d'objets liés à la
traite, ceux-ci représentant plus de 40% des demandes de prêts
pendant cette période42.
Ce regain d'intérêt de la part des
français et de leur hommes politiques n'est que momentané, il est
de nouveau très vite oublié lorsque l'exposition ne fait plus la
une de l'actualité et que le cent-cinquantenaire de l'abolition est
passé. Au-delà de ce qui a été évoqué
plus haut, l'exposition des Anneaux de la mémoire a également eu
pour conséquence d'attirer l'attention sur Nantes, offrant ainsi la
possibilité à d'autres ports ayant pratiqué la traite de
passer relativement inaperçus aux yeux des
français43.
Le cas malouin :
L'histoire de la traite négrière et de
l'esclavage n'a pas toujours été un tabou à Saint-Malo et
était parfaitement illustrée au lendemain de la guerre. En 1950
s'ouvrent les portes du Musée d'Histoire de Saint-Malo, et seulement
deux ans plus tard le conservateur de l'époque fait des démarches
pour acquérir des entraves, un fusil de traite, un portrait
d'armateur... Au total, une dizaine d'objets sont acquis pour tracer le
portrait du Saint-Malo négrier, mais l'effort s'essouffle rapidement et
les acquisitions cessent avant le début des années 1960.
Les objets sont toujours exposés au musée, dans
une petite salle au troisième étage du donjon,
consacrée
41. GUALDÉ Krystel, « La traite et l'esclavage dans
les collections publiques en Bretagne et à Nantes », op.
cit.
42. Ibid.
43. Ibid.
70
au XVIIe et XVIIIe siècle, mais aucun propos
didactique n'accompagne la présentation ce qui laisse le visiteur seul
interprète. Dans la deuxième moitié du XXe siècle,
un changement s'opère et Saint-Malo se revendique presque exclusivement
comme « la cité corsaire », ce changement ne laissant
quasiment aucune place à la traite et son histoire, et ces objets ayant
l'air d'être détachés du propos général du
musée, et n'être plus que des curiosités parmi les
expositions44.
Aujourd'hui, un nouveau Musée d'Histoire Maritime va
voir le jour à Saint-Malo. Le musée est contesté en tant
que tel mais je ne m'attarderai ici que sur le contenu et l'ambition de son
projet socioculturel, que j'ai eu l'occasion d'évoquer avec
Jean-Philippe Roze, adjoint du conservateur du musée45. Au
cours de notre entretien, M. Roze m'a affirmé que d'un point de vue
muséographique, la traite et son histoire n'ont jamais été
un sujet tabou, en atteste la permanence de la présence des objets en
lien avec le sujet, même si cela est contestable comme nous venons de le
voir, et que lui-même la juge limitée.
En poste au musée depuis une quinzaine d'année,
M. Roze participa à l'élaboration de la programmation et de son
nouveau projet scientifique46. Selon lui, l'ancien concept du
musée a pu être inspiré par le mythe du héros
malouin, qu'il soit dans la course, la science ou la littérature, ce qui
semble en cohérence avec l'image que la ville donne, et souhaite donner,
d'elle même. Trouvant que cette stratégie ne correspondait plus
aux recherches historiques et n'était plus dans l'ère du temps,
Philipe Petout, le conservateur, et J-P Roze étaient désireux
d'en changer pour basculer vers une stratégie de valorisation et de
diffusion culturelle. Cette volonté de changement n'est en revanche pas
due à quelconque volonté politique, au contraire de Nantes qui
avait fait de l'exposition de la traite un cheval de bataille, même si le
programme scientifique du futur musée a été
questionné, puis validé par la municipalité. Alors que la
mémoire de l'esclavage de ne se matérialise pas dans la ville,
faire figurer ce thème au moins dans l'exposition permanente du futur
Musée d'Histoire Maritime apparait donc comme une « position
équilibrée ».
L'esclavage et la traite négrière seront donc
un sujet présent au sein de la collection permanente du musée,
qui sera organisée autour de quatre séquences, selon une vision
périodique de l'histoire. Estimant que dans la période actuelle,
aborder le sujet de la traite était une nécessité, au
même titre que n'importe quel autre armement malouin de la même
époque, le cabinet scientifique a décidé de doter le
musée d'un «cabinet-monde«, c'est-à-dire un îlot
au coeur de l'exposition permanente, consacré uniquement au sujet de la
traite. Cette refonte du musée est en grande partie due à des
fouilles d'archéologie sous-marine menées pendant dix ans, et qui
ont permis de faire surgir un patrimoine scientifique encore inédit pour
Saint-Malo, composé de vêtements, de chaussures, et d'autres
objets du quotidien des marins. Parmi les différentes acquisitions que
le musée cherche à faire se trouvent également des perles,
des défenses d'éléphants et d'autres objets en lien avec
les marchandises de traite, également issus de l'archéologie
sous-marine, et que le musée souhaiterait obtenir auprès du
musée de Saint-Brieuc. Enfin, des cartes, de nouvelles entraves
provenant des anciennes colonies, et d'autres objets provenant du musée
du Quai Branly devraient venir compléter la collection autour de la
traite.
Le programme scientifique du musée de Saint-Malo a
été réalisé en étroite collaboration avec
des historiens locaux, tels André Lespagnol, représentant en
quelques sortes la caution de la recherche historique la plus
actualisée, et Alain Roman, de manière plus informelle mais
obligatoire étant donné son expertise sur le sujet. D'autres
personnes présentes dans le milieu depuis plusieurs années, comme
la conservatrice du Musée des Indes Orientales de Lorient, Brigitte
Nicolas, ont également participé de manière à
offrir un discours
44. Ibid.
45. voir Annexe 1 - Entretien avec J.-P. ROZE
46. voir Annexe 8 - Extrait du Programme Muséographique
du Musée d'histoire de Saint-Malo
71
sourcé et étayé sur le sujet. En 2011
s'est tenu un colloque « Exposer l'esclavage : méthodologie et
pratique » qui présente notamment trois stratégies. Parmi
elles, il y a deux stratégies mémorielles, l'une basée sur
la représentation physique sur site, l'autre sur les témoignages.
La troisième stratégie est celle de la périodisation,
c'est cette stratégie qui a été utilisée dans les
musées de Nantes et de Bordeaux, et qui le sera également dans le
nouveau musée d'histoire maritime de Saint-Malo. L'adjoint du
conservateur justifie ce choix, que certains peuvent trouver froid car en
apparence dénué d'un caractère humanisé, par le
fait que cette stratégie de périodisation s'appliquera aux autres
«cabinets-monde«, et fera donc écho au discours
général du futur musée.
Enfin, nous pourrions souligner le fait qu'alors qu'une
séquence est consacrée à l'ensemble des armements
malouins, la traite y compris, les corsaires ont eux le droit à un
espace à part, la dernière séquence du musée qui
leur est entièrement dédiée47, et qui
participera donc logiquement à la propagation de l'image de la «
cité corsaire ». Il est toutefois nécessaire de nuancer le
propos, car bien qu'un espace soit spécifiquement destiné aux
corsaires, la présentation de personnages tels que Robert Surcouf ou
Chateaubriand père ne fera pas l'impasse sur leurs activités
négrières.
La ville de Saint-Malo abordera donc explicitement le sujet de
l'esclavage et de la traite dans son nouveau musée d'histoire maritime.
Bien que la présentation historiée de faits ne constitue pas une
mémoire à proprement parler, elle représente un premier
pas en ce sens. Saint-Malo n'a ni la même histoire négrière
que Nantes, ni les caractéristiques qui ont permis à la ville de
décomplexer son lourd passé ( associations, pôles
universitaires, municipalité ouverte à la question... ). Sans
prendre trop de distance par rapport à l'image mythifiée et
idéalisée de la « cité corsaire », ce qui peut
se comprendre par la nécessité de répondre à une
demande touristique, Saint-Malo affiche désormais l'ambition de
présenter son riche passé maritime dans toute sa
complexité, et de s'assumer davantage comme un port aux multiples
facettes.
Et en Bretagne ? :
À Lorient, le Musée de la Compagnie des Indes a
pendant longtemps présenté le sujet de la traite de
manière très brève. Jusqu'en 1992, une seule vitrine se
chargeait d'exposer le sujet, plus de manière à l'évoquer
qu'à l'approfondir. À la suite de l'exposition des Anneaux de la
Mémoire, un projet d'exposition temporaire est alors à
l'étude grâce au conservateur de l'époque, Louis Mezin, qui
souhaite changer la manière de présenter le sujet et entame un
travail avec des historiens africains. L'arrivée d'un nouveau
conservateur, Brigitte Nicolas, et une exposition en 2006 sur le thème
des comptoirs africains changent cependant les choses pour le musée qui
décide alors de nouvelles acquisitions (essentiellement des gravures)
pour illustrer la thématique.
À l'instar de Saint-Malo, les habitants de Lorient
connaissent très peu la participation de leur ville, au travers de la
Compagnie des Indes Orientales, à la traite négrière.
Cette méconnaissance du sujet, ainsi que le peu d'engagement politique
local, jusqu'à l'organisation du colloque « Lorient, la
Bretagne et la Traite » en 2006 par Brigitte Nicolas, n'a pas
encouragé l'émergence d'une mémoire dans la ville, ni une
demande de la part de la population pour une histoire plus documentée
à l'intérieur du musée.
Comme pour Saint-Malo, cette demande est venue de la part des
conservateurs qui souhaitaient faire de la traite négrière, non
plus quelque chose de brièvement évoqué mais un sujet
à part entière, évoqué de manière objective
et sourcé, de manière à présenter dans sa
globalité l'histoire de la Compagnie des Indes Orientales. Après
le colloque, le musée a donc commencé une politique d'acquisition
d'objets et a dédié un espace complet au sujet. Désormais,
le musée s'associe à la Fondation pour la Mémoire de
l'Esclavage pour
47. voir Annexe 8 - Extrait du Programme Muséographique du
Musée d'histoire de Saint-Malo
72
diverses expositions, comme celles organisées à
la suite de la journée de commémoration de l'abolition de
l'esclavage, le 10 Mai 2020, où pendant une semaine, chaque
journée a été dédiée à un aspect
différent de la traite. Le tabou a donc laissé la place à
l'histoire et le musée assume aujourd'hui pleinement son rôle de
« gardien de toutes les histoires48. »
Enfin, concernant Rennes et le musée de Bretagne,
l'institution ne dispose que de très peu d'éléments pour
illustrer la traite négrière. En salle, une seule maquette du
navire l'Aurore permet d'évoquer le sujet, et d'autres objets
présents au musée évoquent le lien entre la Bretagne et
les anciennes colonies, tels un meuble de port en bois d'acajou, quelques
gravures et des documents d'archives. Globalement, le sujet est donc
très peu représenté au vu de la place qu'a occupé
la traite négrière dans l'histoire bretonne
À l'exception de Nantes, on observe que les
thèmes de l'esclavage et de la traite sont globalement
sous-représentés dans les collections bretonnes en proportion de
l'implication de la région dans ce trafic. En comparaison, la Normandie
possède plus de pièces dans ce domaine, alors que sa
participation à la traite fut moindre.
Depuis 1992 et les Anneaux de la Mémoire, la ville de
Nantes a néanmoins réussi à générer un
élan qui a permis à d'autres musées d'exposer l'esclavage
sans que cela ne soit un tabou insurmontable, comme le montre le cas de
Lorient, et plus récemment celui de Saint-Malo. Mais cet élan a
inspiré davantage des conservateurs de musée concernés que
des municipalités, et le rôle dominant qu'a joué la ville
de Nantes a pu avoir tendance à exempter, pendant un temps, les autres
musées de faire le même effort.
48. GUALDÉ Krystel, « La traite et l'esclavage dans
les collections publiques en Bretagne et à Nantes », op.
cit.
73
74
75
Fig. 9. Maquette numérique du future Musée
d'Histoire Maritime de Saint-Malo - Atelier Kengo Kuma
Conclusion
À une époque marquée par des
revendications mémorielles exacerbées et toujours plus
polémiques, la mémoire de l'esclavage et de la traite
négrière en France peine toutefois à se défaire
entièrement de ses tabous, comme l'illustre parfaitement le cas de
Saint-Malo.
Née dans un contexte de profonde remise en question,
sous la pression d'associations ne se retrouvant pas dans le mythe
républicain dominant et revendiquant une histoire différente de
celle qui leur était jusque là imposée, cette
mémoire de l'esclavage est parfois en proie à de vives critiques,
certains ne jugeant pas utile, voir même malsain, de ramener au premier
plan ce sujet si douloureux pour tous.
Depuis vingt ans maintenant, Saint-Malo effectue le même
travail d'histoire que Nantes a commencé dans les années 1980,
grâce notamment aux travaux rigoureux de quelques passionnés et
à la détermination de certains de ne pas occulter cette histoire.
Mais à la différence de grandes métropoles comme Nantes et
Bordeaux, ce travail d'histoire n'aboutit pour l'instant pas sur un travail de
mémoire.
En rappelant que le travail de mémoire, qui se fait
selon le même principe que celui de deuil, suit un cheminement bien
précis, on pourrait émettre l'hypothèse que la
mémoire à Saint-Malo et le travail qui y est associé ne
sont pas encore arrivés à leurs termes. Mais, si c'est là
une explication plausible au manque de mémoire dans la ville, ce n'est
pas non plus la seule raison qui empêche cette mémoire de se
libérer complètement.
Un des arguments les plus importants pour expliquer ce manque
provient du poids de l'image et du mythe de la « cité corsaire
», que seul Saint-Malo a connu parmi les grandes villes
négrières françaises. Devenu l'argument de vente principal
de la ville, ce mythe, et la place qu'il occupe dans l'imaginaire collectif de
la population, a permis involontairement et indirectement à l'histoire
de l'esclavage et de la traite de passer inaperçue. n'est pas «
idéale » pour faire avancer les choses dans ce sens. Cela se
constate d'ailleurs par le fait que, à la différence de toutes
les autres villes concernées par la question, jamais une association ne
s'est constituée à Saint-Malo pour exprimer des revendications ou
une volonté de changement à ce sujet.
Quoi qu'il en soit, certaines personnes tentent de
rétablir cette histoire depuis de nombreuses années
déjà, et il est tout naturel de souligner et saluer ces efforts.
De nombreux historiens et passionnés d'histoire s'efforcent, à
travers des écrits et des prises de parole, de propager et faire
connaître cette histoire de la traite malouine. La ville va
également se doter prochainement d'un nouveau musée d'histoire
maritime, et les personnes en charge de celui-ci affichent une volonté
certaine de partager ce récit. On peut donc en conclure que même
si la route est encore longue pour Saint-Malo, le processus est aujourd'hui
bien enclenché et doit désormais prendre le temps d'aboutir.
Il reste de nombreux sujets à explorer et aborder pour
compléter ce travail, comme par exemple une enquête d'opinion au
sein de la population qui nous permettrait de connaître l'avis des
habitants de la ville sur le sujet, ou encore une étude de
l'enseignement de l'histoire dans la ville pour comprendre les ambitions et les
limites de celui-ci. Si la situation sanitaire nous l'avait permis, nous
aurions pu également approfondir l'analyse du patrimoine de la ville,
véritable sujet en soi.
Ce mémoire de recherche constitue donc davantage une
sorte d'état des lieux de la situation mémorielle à
Saint-Malo qu'une analyse aboutie et définitive de l'état de
cette mémoire dans la ville. Comme nous venons de le dire, le processus
est désormais en route et de nombreuses conditions sont réunies,
sans pour autant qu'elles le soient toutes, pour permettre à la
mémoire de l'esclavage et de la traite de se libérer de ses
tabous à Saint-Malo.
Il serait intéressant de poursuivre cette étude
dans le futur, une fois la situation sanitaire revenue à la normale et
la construction du nouveau musée terminée, pour étudier
l'impact de celui-ci sur le sujet. Ce travail mériterait
également d'être complété à
différentes temporalités, et nous serions notamment curieux de
voir où en sera la mémoire de l'esclavage dans la ville une fois
les vagues de revendications suffisamment loin pour être
étudiée avec recul. Ce mémoire ouvre donc la porte
à quiconque voudrait prolonger le sujet...
77
76
L'absence de patrimoine provenant directement de
l'époque de la traite n'aide pas non plus à éveiller la
conscience des malouins par rapport à ce problème. Comme le
précise Christine Chivallon, il faut « l'intervention de la
forme urbaine1 » pour que la mémoire
s'opère, c'est ce qui a notamment permis à d'autres villes
négrières de prendre le recul nécessaire et surmonter les
tabous entourant la question. Nous pourrions également évoquer le
manque de structures universitaires dans la ville, contrairement aux grandes
métropoles précédemment citées,
élément pourtant essentiel pour qui veut faire avancer les
débats et pousser la réflexion sur ces sujets.
Mais toutes les raisons que nous venons de citer n'auraient
certainement pas suffi à empêcher la mémoire de l'esclavage
de s'émanciper à Saint-Malo, si celle-ci avait été
activement portée par une frange de la population désireuse de
changer les choses ou par un projet politique soucieux de rétablir cette
histoire trop longtemps tue, comme ce fut le cas à Nantes par
exemple.
Ville à tendance conservatrice depuis de nombreuses
années, alors que ce combat est traditionnellement celui des
socialistes, l'agenda politique de la ville n'a, du moins en apparence, pas
pour priorité de faire de ce passé un élément de
mémoire. De plus, la population de la ville, se reconnaissant dans ce
mythe républicain,
1. CHIVALLON Christine, « Bristol et la mémoire de
l'esclavage, changer et confirmer le regard sur la ville », op.
cit.
78
79
ANNEXES
Sommaire des annexes
Annexe 1. - Entretien avec J.-P. Roze, adjoint du
conservateur du Musée d'histoire de Saint-Malo
Annexe 2. - Échange avec Maureen Brugaro du
pôle patrimoine de l'Office du Tourisme de Saint-Malo
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p. 82
p. 88
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Annexe 3. - Adresses connues d'armateurs nérgiers
dans Saint-Malo Intramuros
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p. 92
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Annexe 4. - Plans et coupe du logement de Meslé de
Grandclos, actuellement le 11 rue de Toulouse
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p. 94
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Annexe 6. - Les 11 plus grands armateurs négriers
malouins du XVIIIe siècle
Annexe 5. - Les 13 Malouins les plus riches en 1790
p. 99
p. 100
80
81
Annexe 7. - Les plus grands armateurs malouins
1756-1792
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p. 101
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Annexe 8. - Extrait du Programme
Muséographique
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p. 102
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Annexes 1. - Entretien avec J.-P. Roze, adjoint du
conservateur du Musée d'histoire de
Saint-Malo
Comment était présentée la traite
dans le musée d'histoire de St-Malo avant la conception du nouveau
musée ?
Le musée se partageait entre le donjon du château
et la tour Solidor, qui appartenait à la même institution
labellisée «Musée de France». La tour Solidor
présentait l'histoire des voyages long-courriers et de la
découverte du passage du Cap Horn, en revanche le donjon
présentait l'histoire des corsaires, l'histoire de la ville et il y
avait une vitrine depuis 1952 sur la traite des Africains qui a
été nourrie précocement par des achats ou des dons,
même un dépôt de l'ancien Musée national des arts et
traditions populaires (actuel MuCEM). Il s'agissait d'entraves ou de fers dits
«négriers», de fusils ou bracelets dits «de traite»,
au total une dizaine de numéros, qui étaient symboliques
puisqu'elles ne provenaient pas de St-Malo et étaient donc
exposées à titre d'évocation. Je (J-P Roze) suis
arrivé il y a 15 ans et cela n'avait pas trop bougé, il n'y avait
pas vraiment eu d'acquisitions supplémentaires, ni de recherches plus
approfondies de la part du musée sur cette thématique. Une
gravure représentant le transport des captifs a été
largement publiée, ce qui a permis de laisser le musée dans ce
réseau là, mais il s'agissait tout de même d'une
parenthèse, existante, mais très limitée.
Au moment de la refonte du musée, nous avons de
manière objective, sans vision mémorielle mais plus dans une
«stratégie de périodisation» (comme le déclare
Christine Chivallon, directrice de recherche au CNRS), pour nous il n'y avait
même pas de questions.
Dans le nouveau discours muséographique, qui
prendra place dans le nouveau MHM, y a-t-il eu une évolution dans le
discours tenu, dans la présentation des faits, dans les acquisitions
d'objets... ?
Oui, comme nous considérions que cette
thématique devait être abordée, il a été
programmé un « cabinet-monde », c'est-à-dire un
îlot dans l'exposition permanente qui va être dédié
à cette thématique de la traite. A ce moment là l'examen
du fonds était presque sans appel : les entraves de par leur facture,
leur matérialité et leur provenance semblaient plus symboliser la
mise aux fers que la captivité des esclaves à bord ; aucune
documentation n'était suffisamment probante, donc nous avons
cherché comment nourrir cette thématique en requérant des
dépôts, auprès du Musée du Quai Branly par exemple
où il y a des entraves qui proviendraient des anciennes colonies
(recherche en cours). Une acquisition d'une carte des côtes d'Angole, que
j'ai pu mener, s'est aussi produite en 2020 grâce à la veille d'un
site d'un spécialiste américain. Le musée avait
déjà une carte des côtes de Guinée et d'autres
pistes nous amènent à nous tourner vers le Musée de
Saint-Brieuc qui conservent des éléments archéologiques
liés à cette thématique. Il y a une épave,
l'épave des Poulains, qui a été fouillée dans les
années 80 et où ont été retrouvées des
défenses d'éléphants, des perles de verres... donc des
éléments qui ont tendance à trahir le sujet, bien
qu'à ce jour ne soit encore identifiée l'origine du navire.
82
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Ce discours présente donc des faits historiques
de manière objective, y a-t-il une part de mémoire de la traite
ou bien ce n'est pas le rôle du musée ?
C'est une question intéressante, j'ai sur mon bureau
les actes du colloque international organisé en 2011 et qui s'intitulait
«Exposer l'esclavage : méthodologies et pratiques».
Dans ce colloque, il y a 3 stratégies de
présentées : la stratégie de périodisation, comme
je le disais précédemment, et c'est la conception
muséographique qui a été validée, c'est une vision
historique sur la base des archives, de statistiques. C'est une vision un peu
froide certes, qui peut-être critiquée, notamment parce qu'elle ne
semble pas revêtir un caractère humanisé et se constituer
sur des témoignages, mais c'est un parti assumé aussi par le
Conseil scientifique. C'est le cas du Musée d'histoire du château
des ducs de Bretagne de Nantes, le cas de musée de Bordeaux aussi. Il y
a aussi la stratégie mémorielle qui est plus liée à
une représentation physique sur le site, une autre stratégie
mémorielle qui est liée aux témoignages, pour laquelle la
parole est donnée aux descendants, aux acteurs de la recherche
scientifique ou culturelle d'origine africaine ou antillaise.
La stratégie de périodisation, cette vision
statistique et historique, fait écho au discours général
dans le futur musée et elle s'appliquera aussi pour les autres
«cabinets-monde» (la pêche à Terre-Neuve, le
marché espagnol, les Indes orientales). En revanche, j'utilise plus
prudemment aujourd'hui l'expression «traite des Africains», car les
lectures faites et la compréhension du sujet offrent une vigilance qu'il
faut savoir appliquer dans la formulation comme dans la rédaction des
textes. Depuis 10 ans, nous parlions de «traite
négrière» ou de «traite des noirs», avec la
conscience objective, je le crois, du sujet, mais les mots sont apparus d'un
coup très déshumanisés. Ces expressions doivent être
révoquer, il me semble, puisque nous savons quelles étaient ces
communautés d'esclaves, quels étaient les comptoirs de vente.
L'aspect chronologique ou l'aspect statistique ne peuvent suffire lorsqu'il
s'agit de déportations et de phénomènes de ce type.
En lien avec la politique nationale de reconnaissance
de la traite, est-ce qu'il y a des directives nationales qui ont
été mises en place ?
Il n'y a pas eu de directives, suite à 2011, à
ce colloque et aux autres événements programmés, des
circulaires ont été transmises notamment pour permettre
d'identifier des sections muséographiques consacrées à
cette thématique ou de comptabiliser les biens s'y rattachant. Il y a
une Fondation pour la mémoire de l'esclavage créée en
2017, qui est une sorte d'entité intellectuelle et
référente. En tant que musée dépositaire de cette
histoire, et comme il a été convenu avec le Conseil scientifique,
nous pensons qu'une fois le discours muséographique stabilisé
(cartels, textes, scénographie), il sera légitime de le soumettre
aux membres de cette Fondation. Il existe toutefois une dimension fortement
politique dans ce sujet qui transparaît aussi au niveau des
collectivités territoriales et des villes - l'ancien premier ministre et
maire de Nantes, J.-M. Ayrault, est actuellement le président de la
Fondation. Le programme du futur musée a été souvent
questionné, nous directement ou par voie de presse, parfois en conseil
municipal. Cela n'a jamais été sujet à polémique,
puisque nous savions que l'exposition permanente traiterait de la traite des
Africains et que des collections existaient. Il faudrait être naïf
toutefois pour ne pas sentir certaines tentatives d'instrumentalisation
politique, mais cela ne nous concerne pas.
Lorsque j'ai réalisé mon projet
l'année dernière, j'avais l'impression qu'il y avait des
réticences à nous donner des informations, du moins
c'était extrêmement prudent dans la manière de nous
répondre. On avait l'impression que les autorités municipales ou
portuaires n'avaient pas envie que ce passé négrier se sache ou
se découvre. Donc là, à l'inverse vous me dites qu'il y
avait des pressions municipales pour que ce soit exposé dans le
musée ?
Et concernant les personnalités politiques telles
que Mahé de la Bourdonnais ?
Cela renvoie à une autre question propre aux
musées : nous sommes contraints dans nos espaces et il faut savoir
parfois réserver un thème ou un sujet pour des expositions
temporaires. C'est a priori le cas de Mahé de La Bourdonnais, car c'est
un beau sujet et un sujet complexe qui permet d'aborder le commerce maritime,
sa structuration et la colonisation, ainsi que les relations avec les Indes, la
côte du Mozambique et l'Arabie.
La question renvoie à des réalités
culturelles et politiques plutôt classiques : l'effort de mémoire
sur le sujet a été a priori plutôt conduit par des adeptes
à la doctrine socialiste ou de gauche. La problématique qui
pourrait davantage nous surprendre et nous questionner, c'est la
matérialisation de cette histoire dans la ville en effet. La perspective
de faire figurer ce thème au moins dans l'exposition permanente du futur
Musée d'Histoire Maritime est apparue déjà comme une
position équilibrée.
Est-ce qu'il y a des comptes-rendus de conseils
municipaux, des procès verbaux, des écrits de vos réunions
entre la municipalité et le musée qui serait accessibles
?
Les délibérations des conseils municipaux sont
des documents accessibles, mais il serait surprenant qu'on y rentre dans le
détail. J'imagine que l'intitulé de la section
muséographique pourrait figurer quand même dans quelques documents
officiels.
Le programme scientifique détaillé reste par
contre la base et comme il a été annexé lors des
différentes phases du projet aux documents émis par la Ville de
Saint-Malo, c'est en quelque sorte le «juge de paix».
J'ai une dernière question concernant le
musée, au sujet des héros locaux controversés tels que
Surcouf ou Chateaubriand père, comment se fait la présentation de
ces personnages ?
En résumé, le programme est né de
l'archéologie sous-marine et des découvertes en baie de
Saint-Malo des années 2000. Elles ont révélé la vie
des hommes embarqués. Nous n'étions pas dans le mythe du
héros avec cet énorme fonds patrimonial mis au jour. L'ancien
concept du musée pourrait avoir été en partie
inspiré par cette mythologie dans les domaines de la course, de
l'exploration, de la littérature, etc. Sauf que le programme
scientifique validé par le ministère et la Ville a clairement
défini une autre stratégie de valorisation et diffusion
culturelle que nous trouvions plus dans l'ère du temps, convergente avec
les recherches universitaires ou scientifiques et avec la vision de l'histoire
du moment. L'objectif est simplement de s'appuyer sur les collections comme
tout musée. Le portrait de Robert Surcouf en armateur figurera aux
côtés d'un portrait d'un des plus grands armateurs négriers
malouins, Meslé de Grand-Clos, actuellement conservé au
Musée d'Avranches. Les cartels traduiront simplement la
réalité historique à cet endroit de l'exposition. On sera
limité par une seule chose, c'est le principe du musée, on sera
limité par le nombre de signes, le nombre de phrases que l'on pourra
mettre pour que ce soit lisible. Il me semble qu'il n'existe aucun frein ou
aucun obstacle à l'objectivité. En 1974 il y a eu une exposition
ici sur Surcouf, il n'y avait que deux lignes sur ses activités
négrières. Les ouvrages par leur silence en disent long et il est
plutôt rare de lire plusieurs lignes sur la traite des Africains dans les
parutions de la première moitié du 20e siècle ayant pour
sujet Saint-Malo. C'est le travail expert d'Alain Roman qui a
définitivement réveillé les consciences (un ouvrage de
synthèse est paru en 2003).
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Vous avez parlé de travail d'historien, je
voulais savoir si dans la conception du projet scientifique et culturel, vous
aviez travaillé en collaboration avec les historiens locaux tels
qu'Alain Roman et André Lespagnol ?
Pas dans le projet à la base parce que c'est plus un
travail interne mais dans la programmation, lorsqu'elle a été
lancée, il a fallu selon les coutumes des musées réunir un
Conseil scientifique et André Lespagnol a été
évidemment contacté très vite. On l'avait contacté
depuis longtemps, on a travaillé de façon très
régulière avec lui, il était en quelque sorte le
représentant universitaire indiscutable et la . Nous avons aussi
échangé avec Alain Romain étant donné son
expertise. C'est donc naturellement que le sujet des la traite a
été abordé en séances du Conseil scientifique, il y
a eu de vrais discussions sur la vision muséographique et le discours
scientifique à tenir et de vrais compromissions à envisager parce
qu'un musée ne pourrait être un ouvrage universitaire.
Nous avons parlé d'histoire mais est-ce qu'il y
a des porteurs de mémoire qui se revendiquent à St-Malo, qui
prennent les devants pour faire changer les choses ?
Sur l'aspect mémoriel et sur l'effort que la ville
devrait faire, il n'a que les éléments qui se trouvent dans la
presse, à ma connaissance. Il existe un «geste
mémoriel» intéressant qui ne se rapproche pas du sujet, mais
qui pourrait donner à réflexion : un cairn a été
inauguré à Saint-Malo en 2013 (suite à l'inauguration
à Saint-Pierre-et-Miquelon d'un autre monument) à la
mémoire des cinq siècles de pêche morutière. La
question est de savoir s'il s'agissait d'une bonne matérialisation, d'un
témoignage suffisant et approprié ; mais je dirais que ce n'est
pas de l'ordre des musées et que nous ne sommes pas spécialistes
de la stratégie mémorielle.
Concernant le patrimoine de la traite maintenant,
quelle forme prend-il ? Est-ce qu'il se manifeste par des statues, des noms de
rues, les malouinières... ? Comment la reconstruction de la ville
après 1944 s'est faite et selon quelle volonté ?
Je vous transmettrai cet article qui figure dans un Cahier de
la Compagnie des Indes intitulé «Lorient, la Bretagne et la
traite» (2006). Je ne suis pas un grand spécialiste de l'urbanisme
mais il semblerait que lorsque St-Malo se lance dans la traite
négrière, après les années 1710 ( et il va y avoir
plutôt des grands armements dans la deuxième moitié du
XVIIIe ), les hôtels particuliers de Intra-Muros sont déjà
construits. Donc ça veut dire que l'argent pour permettre les
accroissements, comme cela est appelé, provient surtout du commerce avec
l'Espagne et des voyages à la mer du Sud (Chili, Pérou). C'est
une réalité historique, les grandes fortunes qui se sont
bâti leurs hôtels particuliers et leurs malouinières sont
des fortunes qui ne sont pas réellement nées de la traite, qui
sont antérieures. Après les bombardements et la destruction de la
ville historique à 80%, le concept architectural se concentre sur la
silhouette. Les architectes de la reconstruction, dont Louis Arretche, visent
sans doute une impression générale dans leurs travaux - on
reconstruit des îlots, on évoque par des façades et des
élévations un caractère ancien. Il ne semble pas
aujourd'hui que la vision restitutive et archéologique
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a été possible et privilégiée. A
Saint-Malo, nous sommes loin des hôtels particuliers de Nantes et de
toute façon, à cette époque, la question est de reloger
les habitants et de tourner la page sinistre de la guerre. Une chose semble
témoigner quand même de l'histoire de la traite dans l'urbanisme,
c'est un mascaron (identifié comme une tête africaine) qui figure
au-dessus d'une grande-porte en bois de l'un des hôtels qui fait face
à la porte principale (Saint-Vincent). Hormis cela, la reconstruction
n'a rien provoqué, ni d'ailleurs extra-muros, et aucune trace
matérielle et patrimoniale ne semble pouvoir être associé
à notre sujet. Les consciences au lendemain de la guerre ne sont
évidemment pas portés sur cette question.
Concernant les traces secondaires ? St-Malo n'ayant
pas le même arrière pays que Nantes, ils devaient bien entreposer
les marchandises quelque part ?
Eh bien non, c'est ça justement la complexité du
cas malouin, il n'y a pas ce phénomène d'arrière pays ou
d'entrepôts et de stockage qui a été
développé à St-Malo. St-Malo n'a jamais eu
d'entrepôts, je parle là de constructions durables et
pérennes, ils ont eu dans leurs caves, dans les malouinières, des
éléments de stockage, mais pour résumer les marchandises
n'étaient pas écoulées à St-Malo. Quand les
malouins vont faire le commerce des toiles bretonnes, le commerce de l'argent,
le commerce des esclaves africains, ils vont souvent revenir et s'arrêter
soit sur Nantes, soit sur Lorient, soit sur le Havre ou sur Bordeaux et voire
même aux Pays-Bas. Par exemple, le sucre et l'indigo rentreront dans le
marché français sans forcément passer par le port de
Saint-Malo. C'est toute l'histoire d'un régime de droits et
d'exonérations de la monarchie et d'un savoir-faire
d'armateurs-négociants dont il s'agit ici. Matériellement, les
retombées de la traite des Africains ne se voient pas comme les autres
ou encore moins que les autres. Certes, il doit y avoir des indices dans les
achats fonciers de tel ou tel armateur, Meslé de Grand-Clos par exemple,
mais c'est assez opaque quand on ne s'y intéresse pas.
Il n'y a donc pas eu de politique de cacher les
traces, c'est simplement qu'il n'y en a quasiment jamais eu ?
C'est en quelque sorte cela. Vous évoquiez les statues
précédemment et c'est un sujet d'actualités justement qui
pourrait être mis en perspective par rapport à notre sujet. Quelle
statue incarne ce passé ? Quel texte est inséré au
piédestal ? Vous connaissez sans doute la réponse : à
l'heure du réflexe commémoratif, l'objectivité est
rarement invoquée.
Si on évoque «l'occultation« des
traces, est-ce propre à St-Malo ou est-ce que cela participe de la
politique de l'oubli qui a été mise en place à l'abolition
de la traite dans toute la France ?
Des documentaires sont récemment parus sur ARTE et en
quatre épisodes, à charge pour certains critiques, le sujet de
l'occultation a été abordé. Ce problème
dépasse largement la France, on le voit en Angleterre comme on voit de
grands efforts aussi produits (à Liverpool ou Birmingham). Ces
documentaires ont mis la lumière sur plusieurs choses, et une qui me
semble essentielle, les conséquences économiques favorables de la
traite pour les monarchies européennes. Et la relation existante entre
une tasse en porcelaine chinoise arrosée d'un café ou d'un
ingrédient sucré avec la surproduction des colonies et
l'esclavage. Forcément, l'occultation a existé car il
n'était pas si facile de comprendre la liaison entre les choses.
Nantes a fait le choix de dissocier son musée de son
mémorial, Bordeaux a décidé de mettre des plaques
explicatives sur les noms de rues et les statues, il est intéressant de
voir les différentes approches des villes sur
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cette thématique.
C'est vrai, il y a deux façons d'habiter la ville avec
ce sujet, c'est soit par le mémorial, la position de Nantes je la
trouvais très réussie, mais celle de Bordeaux pourrait être
aussi très intéressante pour St-Malo.
Est-ce qu'on peut trouver des preuves de cette
«occultation« ?
L'article d'Alain Roman (2006) renvoie à cette
préoccupation d'occultation. La preuve de la dissimulation elle est
induite, elle n'est pas explicite. C'est en filigrane, en observant un cartel
de statue, vous comprenez sur quelles parties de la biographie du personnage
représenté a été posé le projecteur. Il
pourrait être intéressant d'initier des échanges avec les
descendants et se demander s'ils conservent des traces jusqu'alors
intentionnellement dissimulées, ou interroger les acteurs culturels des
Malouinières pour savoir s'ils font référence à la
question. Alain Roman avait un regard très critique du point de vue
sociologique et objectif. Il avait des éléments pour en tout
cas.
Pensez-vous que la création du mémorial
de Nantes, et les colloques qui avaient eu lieu ont changé quelque chose
dans la politique de St-Malo ?
Non pas du tout, je pense que les gens
intéressés par le sujet se sont satisfaits de l'intention et du
geste, mais Nantes est une métropole et une ville universitaire, le
contexte est forcément différent. Il ne me semble pas qu'au
moment de l'ouverture du mémorial de Nantes, il y a eu des échos
du côté de Saint-Malo à l'époque. Récemment,
les choses auraient tendance à prendre une nouvelle tournure comme nous
en parlions précédemment.
On va donc avoir un nouveau Musée d'Histoire
Maritime à St-Malo, qu'est-ce qui a motivé la construction de ce
nouveau musée ?
A la base, c'est une refondation du programme
muséographique. Ensuite il y a eu des fouilles archéologiques
pendant 10 ans qui ont fait surgir un nouveau patrimoine scientifique
inédit pour St-Malo. Ce projet n'est pas né d'une volonté
hors-sol, c'est un constat de professionnels qui a conclu que le musée
devait changer de peau pour l'avenir de ses collections et la valorisation de
ses missions.
Pourquoi avoir choisi ce musée plutôt
qu'une autre proposition étant donné qu'il est aujourd'hui
controversé ?
Faisant parti de la commission d'analyse, l'équipe du
musée, le conservateur et moi-même, nous avons consulté
plus de 130 candidatures avec des grosses pointures... Il a fallu arriver
à une shortlist de 4. Donc l'analyse s'est faite d'un point de vue
fonctionnel. Evidemment que j'avais un avis esthétique mais
celui-là je le gardais pour moi. Cette analyse a permis de pointer des
dépassements probables de coûts, des impossibilités ou des
incohérences formelles, des dysfonctionnements ou des
complexités, des gestions problématiques en termes de flux de
visiteur, de croisements ou de mouvements de collections, etc.
Il y a eu une vraie réalité chez Kuma, c'est
qu'il a proposé des volumes avec des latitudes d'organisation
intérieure qui sont très intéressantes pour un
musée, ce qui n'était pas le cas chez Aires Mateus par
exemple.
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Annexes 2. - Échange avec Maureen Brugaro du
pôle
patrimoine de l'Office du Tourisme de
Saint-Malo
Que savez vous à titre personnel de l'histoire
négrière de la ville ? ( ampleur, impact économique, nom
célèbre ayant pris part au trafic... )
Étant historienne, je maîtrise correctement le
sujet, ainsi que mes collègues guides. j'ai pris une famille de marins,
armateurs et négriers comme sujet de mémoire en M2 Histoire
Ce pan de l'histoire est-il enseigné par vos
guides lors des visites guidées de la ville que vous proposez ? - Si tel
est le cas, de quelle manière abordez-vous le sujet ?
Le sujet est très peu abordé. Certains guides ne
consacrent pas de temps dans leurs visites à la traite, car le timing
est trop juste pour parler de la Traite. D'autres guides, évoquent
rapidement la traite (environ 5 mn sur une visite de 1h45). Sachant que
Saint-Malo n'était que le 5ème Port négrier, au
18ème siècle, très loin derrière Nantes et Bordeaux
avec un commerce lié à l'esclavage représentant seulement
environ 5% de l'ensemble de la Traite Française.
Si ce n'est pas le cas, seriez-vous susceptible, par
la suite, de l'évoquer pendant vos visites guidées ? Et si non,
quelles seraient les raisons pour lesquelles vous ne voudriez pas de le faire
?
Ce n'est pas un sujet facile à aborder. Les chiffres de
la Traite ne sont pas aussi importants que ceux des autres marchandises telles
que les étoffes, le café...
Avez-vous déjà reçu des
propositions/demandes, de la part d'autorités ou de particuliers, afin
de proposer une offre de ce genre ?
Nous n'avons jamais été sollicités pour
effectuer ce type de commentaires lors des visites guidées. Cependant
certains historiens locaux et quelques politiques souhaiteraient qu'un espace
soit consacré à la traite au coeur du futur musée maritime
(actuellement en construction).
À l'inverse, avez-vous déjà
reçu des demandes / pressions pour ne pas évoquer cette histoire
?
Non, pas de pressions, ni de demandes expresses de ne pas en
parler. Le sujet est noyé dans la Grande Histoire et Saint-Malo ne peut
pas être considéré comme un port négrier.
À votre connaissance, cette partie de
l'histoire de Saint-Malo a-t-elle déjà été
évoquée dans des guides touristiques consacrés à la
ville ? ( livres / brochures / sites internet )
Le sujet est abordé et bien documenté sur le
site internet
Infobretagne.fr. Certains ouvrages
récents évoquent le sujet, mais pas les guides touristiques. Le
livre de référence est «Saint-Malo, au temps des
négriers» de A.Roman. mais il reste le seul ouvrage consacré
à la Traite à Saint-Malo
Si c'est le cas, trouvez-vous qu'elle soit
présentée de manière objective ou qu'elle soit
minimisée ? Si ce n'est pas le cas, comment pourrait-on expliquer cette
absence ?
Saint-Malo est une cité corsaire et même si les
armateurs malouins ont pratiqué la Traite, leur gloire vient
plutôt de leur exploits corsaires et des fortunes amassées
grâce à la Compagnie des Indes et les voyages vers les Indes et la
Chine, voire l'Amérique du Sud. D'autre part, les corsaires sont en
quelque sorte la vitrine de Saint-Malo. Nous avons essayé de proposer
des visites guidées autour des villas balnéaire de la Plage du
Sillon, et le produit n'a pas pris auprès de nos visiteurs.
Lors des visites guidées, pensez-vous
présenter une image « vendeuse » de la ville ? Si c'est le
cas, cela se fait-il au détriment de ses « parts d'ombre »
?
Nos visites guidées proposent une image vendeuse de
Saint-Malo. La traite ne fait pas partie des
sujets abordés, ou alors durant 5 minutes environ sur
une visite de 1h45. C'est plus par manque de temps lors des visites
organisées que par ignorance. Les Corsaires et le passé glorieux
de Saint-Malo et du siècle d'or attire les foules et le sujet est
suffisamment illustré pour ne pas évoquer la traite. Mais
d'autres sujets ne sont pas abordés ou insuffisamment, tels que
l'histoire des bains de mer...
À titre personnel, pensez-vous que
l'enseignement de l'histoire de l'esclavage à Saint-Malo serait une
bonne chose pour la ville, ou qu'au contraire cela nuirait à son image
?
Personnellement, je pense que ce sujet devrait être
abordé dans l'enseignements de la ville, mais sans en faire un point
noir de Saint-Malo. En parler, faire connaitre, savoir que Saint-Malo
était le 5ème Port Négrier de France au 18ème
siècle est important, mais il ne s'agit pas d'en faire le point
principal de l'histoire de Saint-Malo. Et surtout, il faut toujours remettre
les faits dans leur contexte historique. Les négriers ne sont pas
perçus de la même façon au 18ème siècle et au
21ème siècle.
Le nouveau Musée d'Histoire Maritime de la
ville est actuellement en projet et va exposer cette partie de l'histoire de la
ville de manière objective, au même titre que les autres armements
de l'époque. Cela va forcément augmenter la connaissance des
malouins sur le sujet, et peut-être attiser leur curiosité. Je me
demande donc si vous avez, pour le futur, prévu quoi que ce soit en lien
avec le musée et l'histoire qui y est présentée
?
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A ce jour, aucun lien n'est prévu entre les services de
l'Office de Tourisme et la ville. Cependant, un service patrimoine est en cours
de mise en place à l'Office et la Ville travaille à l'obtention
du label VPAH actuellement.
J'ai conscience que le patrimoine bâti en lien
avec la traite est manque à Saint-Malo, toutefois nous connaissons
aujourd'hui certaines malouinières et hôtels particuliers d'Intra
muros où des armateurs négriers avaient leurs bureaux ou leurs
logements. Pensez-vous qu'il serait possible, à terme, de proposer des
circuits mémoriels comme le font déjà certaines villes ? (
Bordeaux, Le Havre, Bristol...)
plan nature, Saint-Malo est le Spot où il faut
être durant les grandes
marées. la Traite ne fait pas
partie des priorités de visite.
Pour le moment, il est encore trop tôt pour prévoir
ce genre de circuits mémoriels.
Serait-il selon vous possible, à terme encore
une fois, de proposer comme l'a fait Nantes la reconstitution d'un bureau
d'armateur dans l'un de ces hôtels particuliers ?
Ce genre de choses existe déjà, mais pas des
bureaux complets. La Chipaudière propose de «consulter» un
registre de commerce. une autre propose de «toucher» des objets tels
que des armes, des coffres équipés de cachette, le navire
étoile du Roy a aménagé la cabine du capitaine... mais il
reste encore beaucoup de travail... La Traite est encore trop peu
évoquée pour le moment.
Lors des visites de l'Hôtel d'Asfeld, il est
indiqué demeure de corsaire. La famille Magon fut également une
des principales familles négrières de la ville. Cette partie de
leur histoire est-elle évoquée lors des visites de
l'établissement ? Si ce n'est pas le cas, pourquoi ne pas
l'évoquer ?
À votre connaissance, y a-t-il
déjà eu des discussions ou des débats au sein de la
direction touristique de la ville pour savoir s'il était bon ou non de
proposer une offre touristique en lien avec la mémoire de l'esclavage ?
Si c'est le cas, quelle a été l'issue de ces discussions
?
D'après certains articles de journaux, quelques
politiques de Saint-Malo souhaitent faire installer une plaque
commémorative rappelant le rôle joué par une vingtaine
d'armateurs malouins dans la traite, et aussi faire en sorte que le futur
musée maritime possède un espace dédié à ce
passé.
Pour finir, pensez-vous que le titre de «
cité corsaire » soit justifié pour la ville, où
prend-il trop de place par rapport à l'histoire maritime de la ville
dans son ensemble ?
Je pense que le titre de Cité corsaire est tout
à fait justifié. peut-être prend t-il un peu de place par
rapport à l'histoire maritime globale de la ville, mais il en est de
même pour d'autres villes comme Cancale, qui ne parle que des
huîtres et des terre-neuvas, alors que son histoire est beaucoup plus
riche. Après, il est difficile de parler de tous les sujets dans une
ville au passé très riche comme Saint-Malo.
91
90
Les propriétaires évoquent le sujet pour des
groupes constitués qui en font la demande. Pour des particuliers, il est
plus compliqué de se focaliser sur ce sujet, sachant encore une fois que
la Traite ne représente que 5% des échanges commerciaux.
Cependant, les propriétaires actuels ont fait installer 6 statues dans
la cour d'honneur afin de représenter les grands routes maritimes du
18è siècle et les marchandises transportées : on y
retrouve la statue d'une Africaine enchaînée, mais aussi un
Asiatique pour les porcelaines de Chine, un mineur Péruvien pour
l'argent, un Indien de Pondichéry pour les épices et les
étoffes, un Arabe Yéménite pour le café et une
Espagnole pour Cadix. Donc Saint-Malo, port négrier est bien
entré dans les mémoires, mais «un tout petit port
négrier«.
Plus généralement, certains héros
malouins ont joué un rôle dans le trafic négrier (Surcouf,
Chateaubriand père, Mahé de la Bourdonnais). Lorsque vous
évoquez ces grands personnages, leur participation à la traite
est-elle précisée et contextualisée ?
Chateaubriand est un écrivain célèbre et
dont le père était propriétaire du château de
Combourg. Surcouf est un célèbre corsaire et Mahé de la
Bourdonnais un homme politique. Le côté «négrier»
est évoqué, mais c'est un sujet sur lequel on ne s'attarde pas,
toujours pour les raisons évoquées plus haut. Certains guides
évoquent le côté négrier de Surcouf, et de
Chateaubriand père, car cela fait partie de l'histoire malouine. Mais
Saint-Malo n'est pas au même rang que Nantes.
De manière générale, pensez-vous
que cette histoire soit bien connue des malouins et des touristes ? Si ce n'est
pas le cas, pourquoi en est-il ainsi ?
La traite fait partie de l'histoire malouine, mais ce n'est
pas ce que l'on retient en premier. Saint-Malo est avant tout une cité
corsaire, marquée par de grands noms de la Course, et également
par la Grande Pêche. Sur le
Annexes 3. - Adresses connues d'armateurs
nérgiers
dans Saint-Malo Intramuros
Luc Magon de la Balue 4 rue Chateaubriand
Chateaubriand Hôtel White
2 rue Chateaubriand
Meslé de Grandclos Casernes
rue Jacques Cartier
François Auguste Magon de la Balue Hotel Asfeld
Meslé de Grandclos
immeuble Nouail de la Villegille 11 rue de Toulouse
Pierre Beaugeard 2 rue St Philipe
5
4
3
2
11
4
2
Mairie de Saint-Malo
Office du tourisme
Beauvais le Fer 3,4,5 rue St Philipe
92
Fig. 10. Médaillon sur la porte de l'Hôtel
White, où vécut M. de Chateaubriand
Fig. 11. Façade de l'Hôtel d'Asfeld -
Office du Tourisme de Saint-Malo
93
Annexes 4. - Plans et coupe du logement de Meslé
de
Grandclos, actuellement le 11 rue de
Toulouse
94
95
Coupe transversal du 11 rue de Toulouse - archives personnelles
d'Alain Roman
Plan de rez-de-chaussée du 11 rue de Toulouse - archives
personnelles d'Alain Roman
96
97
Plan de troisième étage du 11 rue de Toulouse -
archives personnelles d'Alain Roman
98
Annexes 5. - Les 13 Malouins les plus riches en
1790
(chiffres donnés en livres)
99
|
|
Capitation
|
Industrie
|
1/20
|
Total
|
*
|
Meslé de Grandclos
|
1000
|
156
|
37,10
|
1 193,10
|
*
|
Le Breton de Blessin
|
373
|
43,10
|
388,05
|
804,15
|
|
Dupuy Fromy père
|
444
|
108
|
166,10
|
718,10
|
*
|
La Lande Magon fils
|
450
|
120
|
125
|
695
|
*
|
Quentin
|
532
|
126
|
-
|
658
|
*
|
Mennais Robert fils
|
320
|
81
|
170
|
571
|
|
Eon père
|
267
|
-
|
283
|
550
|
*
|
Magon de La Blinais
|
444
|
84
|
-
|
528
|
*
|
Magon de La Villehuchet père
|
266
|
18
|
239
|
523
|
|
Fournier Dumanoir
|
106,10
|
12
|
368,15
|
487,05
|
|
Grassinais père
|
232
|
-
|
250
|
482
|
*
|
Blaise de Maisonneuve
|
222
|
90
|
166
|
478
|
*
|
Grande Rivière
|
25
|
-
|
444,03
|
496,03
|
Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au
temps des négriers, op. cit., p. 205,
réalisé d'après les Archives Municpales de Saint-Malo,
liste des citoyens actifs
|
|
Contribution
|
Revenu estimé
|
|
Henriette Moreau de La Primerais
|
18 892
|
75 568
|
*
|
Meslé de Grandclos
|
12 150
|
48 600
|
|
Cortois de Pressigny (l'évêque)
|
8 406,12
|
33 626,08
|
*
|
Charles Quentin
|
7 200
|
28 800
|
*
|
Enfants Nouail de La Villegille
|
6 317,13
|
25 270,12
|
|
Filles Ribretière
|
6 060
|
24 240
|
*
|
Madelaine Banchereau Vve
Quentin
|
6 000
|
24 000
|
*
|
La Lande Magon fils
|
5 500
|
22 000
|
|
Dame Vincent Vve Magon
|
5 100
|
20 440
|
*
|
Le Breton de Blessin
|
4 656
|
18 624
|
|
Dame Roubaud Vve Le Fer de La Saudre
|
4620
|
18 480
|
*
|
Robert des Saudrais
|
4 008
|
16 032
|
*
|
Magon de La Blinais
|
3 900
|
15 600
|
Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au
temps des négriers, op. cit., p. 205,
réalisé d'après les Archives Municpales de Saint-Malo,
contribution patriotique fixée au quart du revenu annuel
Note : Les astérisques désignent les contribuables
ayant plus ou moins participé à la traité
négrière
Annexes 6. - Les 11 plus grands armateurs
négriers
malouins du XVIIIe siècle
Noms
|
Nombre d'expéditions
|
Périodes d'armement
|
|
Meslé de Grandclos
|
35
|
1763-1792
|
|
Famille Magon
|
22
|
1738-1777
|
dont 16 voyages après
1763 en association avec Nouail de La Villegille
|
Beaugeard
|
12
|
1763-1777
|
|
Surcouf
|
12
|
1747-1777
|
1 seul voyage après 1763
|
Le Breton de Blessin et Dessaudrais Sébire
|
8
|
1763-1777
|
|
Pottier de La Houssaye
|
8
|
1763-1792
|
|
La Fontaine Le Bonhomme
|
6
|
1747-1777
|
en deux générations
|
Chateaubriand
|
6
|
1763-1777
|
|
Leyritz
|
5
|
1747-1777
|
|
Marion
|
5
|
1781-1792
|
plus 6 hors de Saint-Malo
|
Briand des Huperies
|
5
|
1738-1744
|
|
Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au
temps des négriers, op. cit., p. 58
100
Annexes 7. - Les plus grands armateurs
malouins
1756-1792
Noms (les négriers sont soulignés)
|
Période d'activité
|
Nombre d'armements
|
Moyenne annuelle
|
% Pêche
|
% Cabotage
|
% c. exotique et colonial
|
Dupuy Fromy
|
1763-1792
|
353
|
11,7
|
75,6
|
22,1
|
0,3
|
Meslé de Grandclos
|
1757-1792
|
166
|
4,6
|
22,2
|
20,9
|
51,2
|
|
Pottier
|
1757-1792
|
163
|
4,5
|
38,7
|
23,9
|
32,5
|
|
Dubois
|
1775-1792
|
122
|
6,7
|
35,2
|
32
|
13,9
|
|
Despechers Guillemaut
|
1756-1792
|
117
|
3,1
|
85,5
|
10,2
|
3,4
|
Deshaies Coquelin
|
1760-1792
|
109
|
3,3
|
71,6
|
20,2
|
2,7
|
Blaise de Maisonneuve
|
1767-1792
|
86
|
3,3
|
53,5
|
40,7
|
5,8
|
|
Fichet Desjardins
|
1765-1792
|
82
|
2,89
|
75,3
|
14,8
|
6,2
|
|
Caneva
|
1771-1792
|
76
|
3,45
|
76,3
|
13,1
|
2,6
|
Robert de La Mennais
|
1756-1792
|
69
|
1,86
|
63,8
|
17,4
|
1,5
|
Beaugeard et Desegray
|
1756-1789
|
65
|
1,9
|
21,5
|
32,3
|
37
|
|
Saint Marc
|
1756-1784
|
59
|
2
|
54,2
|
20,3
|
15,2
|
|
Surcouf
|
1756-1782
|
56
|
2,07
|
60,7
|
10,7
|
19,6
|
|
Le Breton de Blessin et
|
1756-1774
|
50
|
2,63
|
34
|
12
|
48
|
Dessaudrais Sébire
|
Chateaubriand
|
1759-1775
|
49
|
2,8
|
57,4
|
2,12
|
29,78
|
|
La Lande Magon et
|
1761-1783
|
36
|
1,56
|
8,3
|
16,7
|
69,5
|
Nouail de La Villegille
|
Harrington
|
1780-1792
|
34
|
2,61
|
73,5
|
2,9
|
17,6
|
|
Tableau tiré du livre de ROMAN Alain, Saint-Malo au
temps des négriers, op. cit., p. 59
101
Annexes 8. - Extrait du Programme
Muséographique
VILLE DE SAINT-MALO
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME-- Programme muséographique
détaillé
FG/FSIYM --18.000
16.03.2018
IL2 1 ARBORESCENCE GÉNÉRALE DU PARCOURS DE
VISITE
PROGRAMMATION
VILLE DE SAINT MALO
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME
PROGRAMME MUSÉOGRAPHICUE DETAILLÉ
FG/FSIYM/ 18-000
18.03.2018
103
Le parcours de visite sera décomposé en 4
séquences principales, elles-mêmes décomposées en
sections et îlots. Cette trame de parcours n'est pas a entendre comme des
espaces clos mais comme des ensembles muséographiques cohérents
et faisant sens, porteurs d'une thématique et/ou d'un contenu
scientifique précis.
SEQUENCE O. « LES GENS DE MER »
SEQUENCE 1. SAINT-MALO D'HIER A AUJOURD'HUI
1.1. Environnement naturel, anthropologie maritime
1.1.1. Environnement naturel
1.1.2. Constructions et activités humaines
1.2. Activités littorales et nautiques (19e-20e
siècles)
1.2.1. Tourisme : des bains de mer aux bains de foule
1.2.2. Nautisme, une nouvelle maîtrise des mers
1.3. Saint-Malo, « fameux port de mer N
1.3.1. Une vocation maritime ancienne (-1er-4e siècles)
1.3.2. L'aménagement portuaire au fil du temps (16e-20e
siècles)
1.3.3. La société maritime : travailler à
terre pour la mer
1.4. Trafics du 19e â aujourd'hui
1.4.1. La grande pêche (19e-20e siècles)
1.4.1.1 Contexte et réglementations
1.4.1.2. Des terre-neuviers à chaloupes aux terre-neuviers
à doris
1.4.1.3. Les chalutiers de 1920 à nos
jours
1.4.2. Le cabotage et les circuits de proximité
1.4.3. Les trafics contemporains
SEQUENCE 2. LE PATRIMOINE SOUS-MARIN ET
MARITIME
2.1. Des trésors engloutis - perspective
scientifique et richesse patrimoniale
2.2. Panorama d'un patrimoine immergé et
métamorphosé
SEQUENCE 3. GRAND COMMERCE ET ROUTES MARITIMES (16E-20E
SIECLES)
3.1. Le négociant-armateur
3.1.1. L'espace du négociant-armateur du 18e
siècle
3.1.2. Galerie des armateurs
3.2. L'économie morutière (16e-18e
siècles)
3.2.1. Terre-Neuve, Saint-Pierre et les bancs
3.2.1.1. Approche géographique
3.2.1.2. Les armements morutiers
3.2.2. Le temps de la morue sèche
3.2.2.1 La pêche â la côte
3.2.2.2 La préparation du poisson
3.2.3. La commercialisation de la morue sèche
3.2.3.1 Les routes de livraison
3.2.3.2 Les parts et les marchandises de retour
3.2.4. La morue verte
3.3. L'économie toilière et le marché
espagnol (16e-18e siècles)
3.3.1. La route des toiles
3.3.1.1. [les toiles bretonnes aux marchandises du Levant
3.3.1.2. La place marchande de Cadix
3.3.2. La mer du Sud, eldorado des Malouins
3.3.2.1. L'argent du Pérou et les marchandises
américaines
3.3.2.2. Contrebande et compagnies de commerce
p.12
3.4. Les nouveaux débouchés (17e-18e
siècles)
#311 AUBRY & GUIGUET Programmation
171 13, rue de Mont-Louls - 75011 Paris - tel : 01 43 67 37 50
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AUBRY & GUIGUET Programmation
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VILLE DE SAINT-MALO FG/FS/YM --18.000
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME-- Programme muséographique
détaillé 16.03.2018
VILLE DE SAINT-MALO
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique
détalllé
FG/FS/YM -- 18.000
16.03.2018
p.13
3.4.1. La traite des noirs
3.4.1.1. L'armement négrier
3.4.1.2. La troque des nègres
3.4.2. Le commerce des Indes orientales
3.4.2.1. La Compagnie des Indes Orientales de Saint-Malo
3.4.2.2. La traite du café
3.4.2.3. Les Indes et la Chine
3.5. Les routes maritimes, cartographie de
synthèse
SEQUENCE 4. GUERRE SUR MER, LE TEMPS DES CORSAIRES (16E-19E
SIECLES)
L'armement corsaire
4.1.1. Pirates ou corsaires, cadre historique
4.1.2. Navires et équipages corsaires...
4.2. Le combat en mer
4.2.1. Les moyens d'attaque
4.2.1.1. Les armes de bord et la petite artillerie
4.2.1.2. Le puits à boulets
4.2.1.3. La batterie de canon
4.2.2. L'abordage
4.2.2.1. La prise du Kent
4.2.3. Après le combat
4.2.3.1. Les prises
4.2.3.2. Les prisonniers et les pontons
4.3. Les héros corsaires, de la
réalité au mythe
4.3.1. René Duguay-Trouin, corsaire sous Louis XIV
4.3.2. Robert Surcouf, corsaire sous l'Empire
SEQUENCE
TRANSVERSALE. LA VIE À
BORD
T1. Habillement et effets personnels T1.1 Les matelots du 18e
siècle T1.2. Les terre-neuvas
T2. La santé des équipages
T2.1. Hygiène et médecine à bord
T2.2. Dévotion religieuse et pratiques cultuelles
T3. Entretenir le navire : métiers et travaux de bord
T3.1. La charpenterie
T3.2. Le calfatage
T3.3. La voilerie
T3.4. L'entretien courant
T4. Occuper le navire
T4.1. Soutes et cale...
T4.2. Architecture navale et aménagements de bord...
T4.3. Gréement, du haubanage au collier de mât...
T5. Nourrir l'équipage
T5.1. Les vivres embarqués
T5.2. La cambuse
T5.3. Le repas des équipages, la table de
l'état-major
T6. Temps libre et loisirs
TE.1. Le tabac
TE.2. L'art du couteau
TE.3. Les distractions (coutumes, musique, jeux)
|
/PA AUBRY & GUIGUET Programmation
1:1 13, rue de Mont-Louls - 75011 Paris - tel : 01 43
67 37 50 -fax : 01 43 67 36 50 - mall :
contact@autry-guiguet-pragrammation.cem
ZOOM D'APPROFONDISSEMENT 1.
105
104
Exploration & découvertes : Le rôle des malouins
dans l'exploration du Monde
ZOOM D'APPROFONDISSEMENT 2.
L'art de la navigation : Connaissance et pratique des instruments
nautiques
11.3 / PRINCIPES GÉNÉRAUX
11.3.1 1 Un parcours séquencé
L'aventure mythique
:*
i L aven tura con teniporaiht. a venture
scienNrique!
· · · · ·
yi
3.5 les routes maritimes cartographie de synthèse
ntramuros
9assin Augoy trauin
v Û: _ .AraC i! ·f,:- _ .~_vtirn=nn=n
%ti ·wti~.f., ·v~,,
,r,_..~-vY-`r~rn-ti-.~.r~~-ti
- - - - - - - - - - - - fvti~-c.~:-v,. ·.. - - - - - - - - - - - - - -
- -
MALO D'HIER A
AUJOURD'HUI
1.4 Trafics du 19e A aujourd'hui
SEQUENCE 2. PATFI MOI NE SOUS-MARIN ET MARITIME
3.7 L'économie morutière
3.3 L'économie toilière et
le marché espagnol
3.4 Les nouveaux débauchés
us
s1r fa pan et Fra
1.3 St Maly, "fameux port de mer"
2.1. Des trésu, , engloutis
. es activltés littorales et naut. ues
2.2 Panorama d'un patrimoine Immergé
et métamorphosé
4.1
'armement corsaire
4.3 Le héros corsaire de la réalité
au mythe
4.2 Le combat en mer
Vur sur fnfra ras
irri~fiffir/7
ri/r~rrr/~r~~i~rr!/f~r~~i~rrjlrri~ii~ili~{~~~f //f~
t#alertes "panoramiquas"
d'approfondissement
41,
L.'a ventu re huma one
Le parcours de visite est composé de 4 séquences
principales qui, bien qu'ayant des identités propres participent de la
même aventure historique :
- Séquence 1 : Saint-Malo d'hier à aujourd'hui
- Séquence 2 : Patrimoine sous-marin et maritime
- Séquence 3 : Grand commerce et routes maritimes
Séquence 4 : La guerre de course
Si un parcours linéaire est possible, le visiteur
pourra cibler l'une ou l'autre des séquences en fonction de ses envies.
Ce parcours devra permettre aux visiteurs familiers du musée de revenir
plus facilement et de ne visiter qu'une partie.
p.14
Le musée sera pensé autant comme un espace de
transmission que de contemplation ou de rêverie avec un rythme de
parcours qui accompagnera les visiteurs tout au long de leur découverte
avec :
AUBRY & GUIGUET Programmation
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VILLE DE SAINT-MALO FOEIFS/YM --18.000
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséographique
détaillé 16.03.2018
VILLE DE SAINT-MALO
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique
aetal.le
F6/FSNM --16.000
16.03.2018
11.3.2 / Un langage muséographique assumé
L'aventure c ,nfemporalla.
aventure scientifique;
L'aventure mythique
304, GD COMMERCE ET ROUTES MARmMESl
GUERRE DE COURSE
· MERIOUE DO NORO
Nigarbol A mafe,
·
EUROPE
Boum,
DISPOS/TU CARTOGRAPHIQUE INTERACTIF
Vue sur intra
r~,
Gaierles "pancramlques"
d'approforrdlssernent
M1
i i f
Vle
ACCIIEiL
Bass ta Dugay Trauiri Manche
A,32 L ·Alf
I- SAI NRdGLO D9-1 ER A
AUfOURD'HIA
·
·
SOUS-MARIN ET MARITIME
L ~ ventwe huitaine
Des regroupements d'objets et de témoignages maritimes
autour de la vie à bord
Des développements de récits (une aventure humaine
avant tout)
Des focus (des éléments d'architecture navale au
gré du parcours, une exploration des
itinéraires fréquentés).
Le parcours sera également l'occasion de mener un dialogue
constant avec le site :
Galeries panoramiques
Belvédère
Points de vue dans le parcours mettant en relation plusieurs
éléments du discours scientifique
Lien avec l'environnement urbain et naturel (une
continuité du musée à ciel ouvert) : bassin, ville
intra-muros, activité portuaire, ..-
Le rythme du parcours reposera également sur la mise en
oeuvre d'espaces d'approfondissement et/ou de détente permettant de
s'extraire du flux :
Salons d'approfondissement conçu également pour
être des lieux d'attente, de pause ou de concentration (la contemplation
étant possible dans les autres espaces)
Aller plus loin
Se retrouver (espace de temporisation)
La médiation sera pensée sous toutes ses formes
(muséographique, graphique, architecturale, technique,
organisationnelle, etc.) pour répondre à des contraintes
spécifiques :
Touristes (français et étrangers) : traduction
Familles : hiérarchisation des informations pour une
médiation auprès des plus jeunes Groupes (scolaires ou non) : des
circulations adaptées et des supports de médiation pour les
groupes
Spécialistes : des espaces d'approfondissement dans le
parcours et la possibilité d'aller plus loin, notamment avec le centre
de documentation et de recherche
Néophytes
Malouins : une lecture de la ville et de son histoire
-> Collections antiques
-> Pistolets é silex
concrétionnés
MEDIATION EXPLORATOIRE
-> Portrait de Robert-Charles Surcouf ->
Modèle-réduit du Sans-Peur
-> Articles du chirurgien de marine
Fils conducteurs <Anthropologie de fa
mer
-> Fusil de traite français -> Barre de
justice anglaise -> Squelette d'un singe magot -. Statue de Duguay-Trouin
-> Globe terrestre de Desnos
Cabinet d'armateur
-> L'administration marchande et corsaire - L'art
de naviguer
-> Les explorateurs
DISPOSITIF DE SYNTHESE
-> St Malo, fameux port de mer
Fouilles et exploration <-
-> Grand commerce, routes maritimes et
course
L'abordage du Kent
DISPOSITIF IMMERSIF
p.15
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IH 3 i SFQUFNCF 3. GRAND COMMFRCF FT ROUTFS MARITIMFS (16F-70T
SIEC. LES)
|
VILLE DE SAINT-MALO
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséographique
détaillé
FG/FSIYM -- 16.000
16.03.2018
VILLE DE SAINT-MALO FGIFSIYM -- 18.000
Mt1SEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséographique
détaillé 16.03.2018
Séquence 3 : Le grand commerce et les routes
maritimes A la découverte du monde
Trésor monétaire de piastres Globe Desnos
Combat en traie (atlas maritime)
ARGUMENT GÉNÉRAL
A travers les récits héroïques ou les
commémorations historiques, le pan le plus important et le plus
incroyable de l'histoire maritime malouine a fini par être oublié.
Si le port de Saint-Malo a été promu au rang de port du Monde, si
l'expérience nautique d'ici est attestée depuis longtemps, si la
popularité malouine a traversé les mers, c'est bien le fait d'une
activité commerciale maritime multiséculaire, plus ou moins
réussie au cours des temps et dont les succès ont marqué
le marine française, à la fois humainement et
géographiquement...
Les qualificatifs de cité corsaire, de cité des
grands hommes, s'ils reflètent des réalités
concrètes, ne suffiront jamais à eux seuls à
caractériser l'histoire malouine dans son développement le plus
large possible et à en donner par conséquent une approche
globale. Le premier participe d'une vision romantique et trop restrictive qui
fait oublier l'économie qui le sous-tend : l'activité corsaire
n'étant ni plus ni moins que le prolongement en temps de guerre de
l'armement marchand dont il reprend toutes les méthodes (constitution de
sociétés d'actionnaires, intéressement aux
bénéfices, etc...). Le second a la sécheresse d'un
catalogue d'individualités fortes qui ne prend sens que le si le milieu
ambiant qu'elles ont illustré est lui-même restitué.
C'est donc bien dans sa dimension d'économie marchande
que l'histoire maritime malouine trouve sa place légitime et son rang :
celui d'avoir été l'un des trois premiers ports français
à la fin du règne de Louis XIV, l'un des plus dynamiques et des
plus audacieux dans la conquête de routes commerciales, toujours plus
lointaines et sources d'enrichissements. On ne saurait oublier que ses
écrivains les plus célèbres avaient été des
fils de négociants-armateurs, ceux qu'on appelait les u Messieurs de
Saint-Malo « sans lesquels rien n'aurait été possible.
Mais ce sont aussi des équipages
expérimentés, des techniciens de la marine à la voile et
des longs voyages dont le vie quotidienne peut aujourd'hui se décrire
plus concrètement grâce eu mobilier archéologique
retrouvé confronte aux ressources de l'iconographie et des récits
maritimes.
Cette vie quotidienne s'inscrit clans l'espace des longs
voyages sur toutes les mers. La première de ces destinations, celle qui
eut aussi la plus longue permanence dans l'histoire maritime malouine (cinq
siècles) fut Terre-Neuve. La période faste du commerce maritime
malouin est marquée tout d'abord par les réalités moins
connues de la pêche sédentaire. La morue devient avant tout pour
les armateurs
p.54
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108
malouins un produit commercial d'échanges à
succès qui leur permet de fréquenter durablement des côtes
méditerranéennes et d'en rapporter d'autres denrées
destinées à le revente.
L'activité marchande malouine ne s'est pas
réduite pour autant à l'armement terre-neuvier : le rôle de
Saint-Malo comme principal port exportateur des toiles bretonnes aux 1 7e-18e
siècles vers le sud de l'Europe (Cadix), l'Amérique espagnole,
les opportunités de la « Mer du Sud « avec les fabuleuses
cargaisons de retour de l'argent du Pérou, la traite
négrière, la traite du café, le rôle des Malouins
dans les compagnies de commerce, les Indes, la Chine sont autant de
destinations, de routes commerciales qui se complètent, se superposent
et permettent aux Malouins de tisser un vaste réseau de relations
à travers le monde qui seront synthétisées sur un
planisphère interactif renvoyant aux différentes
sous-séquences explicatives et permettant au public de bien visualiser
la dimension mondiale du port malouin à son apogée et les raisons
qui portent encore sa renommée.
DESCRIPTION ET PRESCRIPTION D'AMÉNAGEMENT OU
D'AMBIANCE
Cette troisième séquence permet de passer du
monde confiné, riche, mais mystérieux du sous-marin, pour
naviguer sur toutes les mers à la recherche destinations qui - au cours
des temps modernes essentiellement - ont fait la renommée maritime de
Saint-Malo et de son pays. Il s'agira .' d'embarquer « les visiteurs
à travers les mers et les océans.
Un dispositif cartographique dynamique permettra de suivre les
routes maritimes en direction de tous les continents, d'accompagner les
équipages dans leur périple autour du monde. Le public pourra
suivre l'itinéraire depuis le dispositif central en direction des
différentes thématiques et destinations : Terre-Neuve, les ports
de la Méditerranée, l'Afrique, l'Amérique des Antilles au
Pérou, l'Arabie et les Indes orientales...
Pour chacune d'entre-elles, un espace s'appuyant sur des
présentations de marchandises type, une iconographie riche
représentant les ports et comptoirs, leur environnement, les autochtones
et habitants, la provenance des marchandises et quelques objets
emblématiques, sera conçu permettant d'approfondir les principes
du commerce : la nature des échanges, le descriptif du voyage, les
caractéristiques des armements.
L'espace de travail du négociant-armateur fera l'objet
d'une évocation. Elle permettra de saisir son rôle
irremplaçable et fondateur dans l'armement des bateaux et dans la vente
des cargaisons. On retrouvera ici tout son espace de travail bureaucratique. Ce
cabinet sera à l'interface entre la séquence sur le commerce et
celle sur la course : les mêmes négociants pouvant, selon les
opportunités, armer des navires marchands ou des navires corsaires.
L'existence d'une galerie de portraits, finalement très
sélective, pourra être compléter par un
référencement aléatoire de noms de
négociants-armateurs toute chronologie confondue.
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VILLE DE SAINT-MALO F6/FSIYM -- 18,000
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique
détaillé 16.03.2018
111.3.4 / Les nouveaux débouchés (17e-18e
siècles) (#3.4) .4 la Côte de la Traite et aux
Indes
VILLE DE SAINT-MALO
MUSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséographique
détaillé
111.3.1.b / Galerie des armateurs(#3.1.2)
Messieurs de Saint-Malo
|
FGIFSIYM -- 18.000
16.03.2018
|
· 1601 : première expédition
du Corbin et du Croissant vers les Indes Orientales (Sumatra)
;
· 1 61 6 : expédition du
Saint-Louis et du Saint-Michel, premier contact en Inde
(Pondichéry) ;
· 1665 : première association avec
la Compagnie des Indes Orientales ;
· 16 70 : premier armement pour l'Afrique
;
· 1675 : armement du
Saint-François-d'Assise pour Pondichéry ;
· 1679-1683 : armements pour la Compagnie
des Indes ;
· 1687 : 1 ère mention d'un navire
malouin livrant des noirs aux Antilles ;
· 1698-1701 : première
expédition commerciale française â la Mer du Sud par fe cap
Horn ;
· 1706 : ler traité avec la
Compagnie des Indes Orientales pour le commerce du café de Moka
· 1712 : interdiction par le roi des voyages â la Mer
du Sud ;
· 1 713 : traité d'Utrecht ;
· 1 71 5 : constitution d'une Compagnie des Indes
orientales de Saint-Malo ;
· 1 716 : obtention du privilège
pour l'armement négrier ;
· 1708-1719: 26 expéditions pour
l'océan indien ;
· 1719 fin du monopole malouin dans le
commerce asiatique, création d'une nouvelle Compagnie des Indes ;
· 1735 : création de Port-Louis
par Mahé de La Bourdonnais ;
· 1737 : bombardement de Moka et
reprise en main du comptoir à l'aide d'un convoi malouin parti de
Pondichéry ;
· 1746 : La Bourdonnais prend Madras
aux Anglais ;
· 175111753: 2e port négrier
Les représentations de négociants-armateurs
malouins sont devenues assez rares alors que les inventaires du 18e
siècle le signaient. Il existe pourtant dans les collections
muséales et privées des portraits précieux de
différents acteurs du dynamisme commercial et portuaire de Saint-Malo :
une peinture de Robert Levrac-Tournières représentant la famille
Moreau de Maupertuis sur lequel sont figurés René Moreau de
Maupertuis qui fut capitaine corsaire et député de Saint-Malo au
Conseil du Commerce de Paris, un portrait de l'armateur Pierre Jacques
Meslé de Grand-Clos qui fut l'un des plus importants de Saint-Malo dans
la seconde moitié du 18e siècle, un portrait anonyme mais
très véridique de Robert Surcouf vers l'âge de 50 ans,
assis devant une table de travail tenant un compas è cartes, un portrait
également anonyme d'Augustin Thomas des Essarts, président de la
Chambre de Commerce et maire de Saint-Malo de 1808 è 1815.
|
Désignation des e objets
|
Matériaux
|
Dimensions
|
Recommandation de présentation
|
Appuis
documentaires
|
3.2.2
|
Portrait de Robert- Charles Surcouf
|
Toile, bois, plâtre
|
H. 105 cm, L. 89 cm
|
Normes climatiques
|
|
3.2.2
|
Portrait de Françoise Pitot
|
Toile, bois, plâtre
|
H. 106 cm, L. 89 cm
|
Normes climatiques
|
|
3.2.2
|
Portrait de Robert Surcouf en armateur
|
Toile, bois, plâtre
|
H. 70 cm, L. 52 cm
|
Normes climatiques
|
|
3.2.2
|
Portrait de Pierre Jacques Mesle de Grand-plos (A
ACQUÉRIR)
|
Toile, bois, plâtre
|
|
Normes climatiques
|
Musée d'Avranches
|
3.2.2
|
Peinture de Robert Levrac-Tourières représentant la
famille Moreau de Maupertuis (A ACQUÉRIR)
|
Toile. bois, plâtre
|
|
Narines climatiques
|
Musée des Beaux-arts de Nantes
|
3.2.2
|
Portefeuille en maroquin de Magon de.la Lande (A
ACQUÉRIR]
|
Cuir, tissu
|
|
Narines climatiques
|
Musée des Tissus de Lyon
|
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VILLE DE SAINT-MALO FGJFSNM -- 18.000
MIJSEE D'HISTOIRE MARITIME -- Programme muséograprtique
détaillé 16.03.2018
VILLE DE SAINT-MALO FGJFS/YM -- 18.000
MLISEE D'HISTOIRE MARITIME --Programme muséograpliique
détaillé 16.03.2018
111.3.4. a / La traite des noirs (#3.4.1.)
3.4.1 .1 . L'armement négrier
3.4.1.2. La « troque des nègres N
Au cours du 180 siècle, le sucre devenu
un produit moteur de l'économie atlantique est au coeur d'un
commerce triangulaire entre l'Europe, les côtes africaines et les
comptoirs des Antilles que se sont partagées les principales puissances
européennes. La traite des noirs sert à alimenter les plantations
antillaises qui nécessitent une main d'oeuvre de plus en plus
nombreuses. La Sénégambie est le portail du commerce du bois
d'ébène, mais les capitaines négriers vont glisser
progressivement des zones littorales atlantiques vers les deltas du sud et le
Mozambique. Les Malouins ne sont pas des habitués des côtes
africaines et manquent d'expériences et de contacts sur place (s'ils
pratiquent la traite des noirs, ils s'engagent aussi alternativement pour
Terre-Neuve ou la course) ; preuve en est avec 14 voyages sur 42
échoués entre 1719 et 1738. Les navires malouins font
majoritairement escale dans les comptoirs de la Côte d'Angole
(Gabon, Congo, Angola), de la Côte sous le vent (golfe de
Guinée) et de la Côte du vent (Côte d'ivoire,
Sierra Leone) sans trop fréquenter les positions plus septentrionales ou
plus orientales.
Le troc est codifié selon les sites d'approvisionnement
et le marché, Un noir s'échange contre un assortiment de
marchandises : à la Côte d'Angola par exemple, un captif
se traite pour un paquet d'une quinzaine de marchandises, Une
cargaison de base dont le port de Saint-Male ne peut disposer sans participer
â d'autres circuits commerciaux comprend des armes (de gros fusils et
mousquets de traite), des pièces textiles (indiennes, bretonnes,
françaises), des produits métallurgiques (des couteaux
flamands, des bassins et chaudrons de cuivre grands et petits, des plats et
pots d'étain, des barres de fer), de l'alcool (vin, eau-de-vie) et
de la pacotille. Les négriers sont des navires de moyens
tonnages qu'il faut aménager en construisant et équipant le parc
des captifs, lesquels ne seront pas mis aux fers
nécessairement. L'entassement est une nécessité
financière : un 250 tonneaux offre une capacité de 600 noirs. La
moyenne est de quatre individus au mètre carré. Cette
promiscuité qui aggrave les conditions de captivité
déjà très pénibles s'ajoute aux problèmes
traditionnels de la vie à bord (alimentation, maladie, révolte)
et quelques distractions (tabac, danse, chant) sont censées y
remédier. Le taux de mortalité sur les navires malouins atteint
8% contre 14% en moyenne française. La durée de traversée
pour atteindre les Antilles dépend du port de départ : 46
à 60 leurs de la Côte d'Angole. Les deux sites de vente
les plus recensés pour les Malouins sont Saint-Domingue et la
Martinique. Une fois amarré, la vente des noirs annoncée et
effectuée à bord ou à terre, le navire reprend sa forme
d'origine et charge Sucre, Café, Indigo, Coton.
Parmi les 14 autres ports ayant participé à ce
commerce, Saint-Malo se situe au 5e rang français des armements
négriers : environ 250 expéditions sur un siècle et demi,
80 000 captifs transportés, soit 6,5 % de la traite
négrière française. Deux grandes périodes
d'armements sont identifiées, l'une au début du 180
siècle et l'autre dans la seconde moitié du même
siècle. La première génération (Le Fer de Beauvais,
Magon de La Balue, René-Auguste de Chateaubriand, Mesié de
Granclos) est encouragée par la monarchie et subit aussi le contrecoup
du traité d'Utrecht, elle arme en moyenne 2 expéditions par
année (18 armements entre 1669 et 1713, 55 armements entre 1717 et
1744). La deuxième génération (Surcouf, Robert de La
Mennais, Meslé de Grandolos, Beaugeard) arme parfois
p.67
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|
Désignation des objets
|
3.4.1.1
|
Modèle réduit d'un négrier IA
|
|
ACQUERIR --
|
|
OPTION NEL)
|
3.4.1.1
|
Gravure de Ourse!
|
|
Pretextat, Transport des nègres dans les colonies
|
3.4.1.1
|
Carte générale des castes de Guinée
|
|
|
3.4.1.2
|
Entrave double a chaîne
|
3.4.1.2
|
Barre de justice
|
|
''WI'
|
3.4.1.2
|
Collier de force
|
3.4.1.2
|
Bracelet de force
|
3.4.1.2
|
2 entraves à cadenas
|
3.4.1.2
|
Fusil de traite nTowern
|
3.4.1.2
|
Fusil de traite n Charleville
|
3.4.1.2
|
Bracelets de traite,
3
|
3.4.1.2
|
Dinanderie. pichets, lot (OPTIONNEL)
|
3.4.1.2
|
Verroterie (A
|
|
ACQUÉRIR)
|
3.4.1.2
|
Défenses d'éléphant ({A
|
|
ACQUÉRIR)
|
3.4.1.112
|
Gravures des comptojrs [A
|
|
ACQUERIR)
|
3.4.1,2
|
Echantiilon de produits antillais
|
|
(indigo, sucre, coton)
|
|
ACQUÉRIR)
|
plus de 4 expéditions par an et atteint aussi des
records (10 expéditions en 1751) rapprochant alors Saint-Malo de
Bordeaux et de La Rochelle ; c'est une période de « boom colonial
«. L'activité se ralentit nettement à l'orée du
198 siècle et peu avant l'abolition de l'esclavage par
Napoléon. Les Malouins ne persistent pas dans cette activité,
parce qu'ils privilégient les armements traditionnels (pêche
à Terre-Neuve et commerce des toiles) qu'ils maîtrisent
parfaitement, parce que l'ouverture du commerce indien détourne beaucoup
de capitaux, mais aussi parce qu'il semble que Saint-Malo ne dispose pas des
mêmes atouts que les autres ports en termes d'entreposage et de
débouchés pour les denrées coloniales.
L. 93 cm, D. 9,5cm
Fer forgé
L. 50 cm, I, 33 cm
Fer forgé
L. 30,5 cm, 1. 27 cm
Fer forgé
L. 46 cru, I. 20 cm
Fer forgé
H. 12 cm, L. 13 cm, P. 10 cm
Fer forgé
L. 170 cm, I. 20cm, Ep. 7cm
Bois, fer
L. 152 cm, I. 18cm, Ep. 8 cm
Bois, fer
L. 8,5 cm, I. 7,5 cm (max.)
Bronze
H. 30 cm, D. 20 cm (max.)
[tain
Verre
DRASSM
Papier
Reproduction
Recommandation dePpi~rs
présentation documentaires
H. 25 cm, L. 33 cm
Original, rotation des oeuvres, normes d'éclairage ou
reproduction
Papier
H. 60 cm, L. 93 Cm
Original, rotation des oeuvres, normes d'éclairage ou
reproduction
Papier
DRASSM
Matériaux
Dimensions
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113
Tables des illustrations
114
115
Figure 1. Entrave de cheville, fer d'esclave -
Musée national de la Marine, Paris disponible sur :
http://mnm.webmuseo.com/ws/musee-national-marine/app/
collection/record/9892
Figure 2. Protestation Black Lives Matters - AFP / Drew
Angerer
disponible sur :
https://www.leparisien.fr/international/mort-de-georges-floyd-la-planete-entiere-se-mobilise-contre-le-racisme-06-06-2020-8331138.php
Figure 3. Musée du Quai Branly -
up-magazine.info
disponible sur :
https://up-magazine.info/actus-bref/34507-prix-de-these-2020-musee-du-quai-branly-jacques-chirac/
BIBLIOGRAPHIE
Figure 4. Plan et profil de Saint-Malo -
Bibliothèque nationale de France, GED-5430 disponible sur :
http://bcd.bzh/becedia/fr/la-republique-de-saint-malo-1590-1594
Figure 5. Portrait de Pierre-Jacques Meslé de
Grandclos - auteur inconnu, 1790
disponible sur :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre-Jacques_Meslé_de_Grandclos
Figure 6. Lythographie de Robert Surcouf - Lemercier,
1835
disponible sur :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Surcouf
Figure 7. Statue de Robert Surcouf vandalisée -
Philippe Delacotte, 10 Mai 2019
disponible sur :
https://www.letelegramme.fr/ille-et-vilaine/saint-malo/robert-surcouf-sa-statue-aspergee-de-peinture-rouge-10-05-2019-12280224.php
Figure 8. Funérailles de M. Chateaubriand -
estampe - Benoist Félix, Milieu du XIXe siècle, 40.6cm x 53.1cm
disponible sur :
http://www.collections.musee-bretagne.fr/ark:/83011/FLMjo114292
Figure 9. Maquette numérique du future Musée
d'Histoire Maritime de Saint-Malo - Atelier Kengo Kuma disponible sur :
https://www.amc-archi.com/photos/kengo-kuma-projectiles-et-l-atelier-herve-audibert-reunis-pour-le-musee-d-histoire-maritime-de-saint-malo,9055/musee-d-histoire-maritime-d.4
Figure 10. Médaillon sur la porte de l'Hôtel
White, où vécut M. de Chateaubriand, archive personnelle
Figure 11. Façade de l'Hôtel d'Asfeld -
Office du Tourisme de Saint-Malo
disponible sur :
https://www.saint-malo-tourisme.com/a-voir-a-faire/culture-et-patrimoine/
musees/demeure-de-corsaire-hotel-magon-de-la-lande-1567523
· · Archives personnelles de Alain Roman, fond
Meslé de Grandclos
Sources primaires
· Dictionnaire :
- Larousse. (s. d.), Mémoire, dans Dictionnaire
en ligne, consulté le 18 Novembre 2020 sur
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mémoire/50401
- Le Robert. (s. d.), Mémoire, dans Dictionnaire
en ligne, consulté le 18 Novembre 2020 sur
https://dictionnaire.lerobert.com/definition/memoire
Articles de presse :
- BÉGUIN François, « Un « colonial tour
» dans les rues de la capitale », Le Monde, 14
Février
2013,
https://www.lemonde.fr/societe/article/2013/02/14/un-colonial-tour-dans-les-rues-de-paris_1833026_3224.html,
consulté le 12 Novembre 2020
- CHEMIN Anne, « La traite en héritage », Le
Monde, le 23 Avril 2014, https://www.lemonde.fr/
societe/article/2014/05/02/la-traite-en-heritage_4410558_3224.html,
consulté le 12 Novembre 2020
- DUCOURTIEUX Cécile, « À Bristol, une statue
tombe, le passé négrier refait surface », Le Monde,
24 Juillet 2020,
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/07/24/a-bristol-une-statue-tombe-le-passe-negrier-refait-surface_6047193_4500055.html,
consulté le 12 Novembre 2020
- Le Monde avec AFP, « Deux statues de Victor Schoelcher
brisées par des manifestants en Martinique», Le Monde, 23
Mai 2020,
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/23/deux-statues-de-victor-sch-lcher-brisees-par-des-manifestants-en-martinique_6040559_3224.html,
consulté le 12 Novembre 2020
- MARTIN Jean-Clément, « Débaptiser les lieux
portant le nom de Colbert : le racisme ne trouvera pas de solution avec des
gadgets bricolés », entretien accordé au journal Le
Monde, 16 Juin 2020,
https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/16/debaptiser-les-lieux-portant-le-nom-de-colbert-le-racisme-ne-trouvera-pas-de-solution-avec-des-gadgets-bricoles_6042982_3232.html,
consulté le 12 Novembre 2020
- ROBELET Guillaume, « Saint-Malo. La statue du corsaire
Surcouf vandalisée », Ouest-France, 10 Mai 2019,
https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-malo-35400/saint-malo-la-statue-du-corsaire-surcouf-vandalisee-6344354,
consulté le 26 Janvier 2021
- RUGAMBA Dorcy, « Déboulonnage de statues,
manifestations antiracistes : Ce qui est en train de se jouer est un acte
libérateur », propos recueillis par KODJO-GRANDVAUX
Séverine, Le Monde, 29 Juin 2020,
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/28/deboulonnage-de-statues-manifestations-antiracistes-ce-qui-est-en-train-de-se-jouer-est-un-acte-liberateur_6044463_3212.
html, consulté le 12 Novembre 2020
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le 18 Mai 2007
· Entretiens :
116
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- Entretien avec Jean-Philippe Roze, adjoint du conservateur au
Musée d'histoire de Saint-Malo
- Échange avec Maureen Brugaro, pôle patrimoine,
visites guidées, Office du Tourisme de Saint-Malo
- Entretien avec Jean-Louis Colliot, bibliothécaire de la
SHAASM
- Entretien avec Liliane Roman, non transcrit
- Entretien téléphonique avec Jean Bories, ancien
délégué à la culture de la municipalité de
Saint-
Malo, non transcrit
- Entretien téléphonique avec M. Chaperon, ancien
président de l'Association Mémoire et
Patrimoine des Terre-Neuvas, non transcrit
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