Repenser la liberté comme mystère chez G. Marcel. une approche analytico-herméneutique de : "les hommes contre l'humain".par Freddy KAKULE KANAMUNGOYA Université Saint Augustin de Kinshasa (USAKIN) - Graduat 2020 |
III.1.4. Les techniques d'avilissementNous avons dit précédemment que la technique n'est pas mauvaise en soi mais c'est l'usage dont en fait l'homme qui est mauvais. Pour bien comprendre ce point de notre travail, il nous semble nécessaire de définir le contexte dans lequel G. Marcel parle des techniques d'avilissement. Il les définit comme « l'ensemble des procédés délibérément mis en oeuvre pour attaquer et détruire les individus appartenant à une catégorie déterminée, le respect qu'ils peuvent avoir d'eux mêmes, et pour les transformer peu à peu en un déchet qui s'appréhende à lui-même comme tel, et ne peut enfin de compte que désespérer non pas simplement intellectuellement mais vitalement de lui-même»67(*). En d'autres mots, les techniques d'avilissement sont des moyens intelligemment élaborés dans le but de dépouiller l'homme de sa dignité, c'est-à-dire de cette souveraineté qui est considérée comme infrangible et inviolable. Les techniques d'avilissement utilisées par les nazis dans les camps de concentration, pendant la deuxième guerre mondiale faisaient perdre aux captifs le contrôle d'eux-mêmes jusqu'à les amener à porter la responsabilité des actes qu'ils n'ont pas posés. Bien plus, Marcel constate qu'à travers ces techniques, « il ne s'agissait pas seulement pour les bourreaux d'immerger leurs victimes dans les conditions matérielles si abjectes qu'elles étaient vouées, dans bien des cas, à y acquérir les habitus bestiaux, mais il s'agissait plus subtilement de les dégrader en encourageant l'espionnage réciproque, en fomentant parmi les déportés non seulement le ressentiment, mais la suspicion réciproque. Bref, il était question d'empoisonner les relations humaines à leur source pour que celui qui aurait pu être pour l'autre un camarade, un frère, devienne un ennemi, un démon, un incube »68(*). Par analogie nous voyons aussi que la même réalité d'assujettissement qui se vivait dans les camps de concentrations tenus par les troupes nazis se vit encore aujourd'hui en Afrique centrale. En effet, dans bien des pays de l'Afrique centrale, on a fait des massacres, de l'insécurité une monnaie courante. Par conséquent, dans la partie Est de la R.D Congo lorsqu'on tue une personne, on constate et puis chacun continue à vaquer à ses occupations quotidiennes comme si de rien n'était. La population est tellement habituée à la souffrance et aux tueries que la vie humaine n'a plus de sens ni de valeur. De ce fait, G. Marcel part du témoignage écrit par Mme Jacqueline Richet qui était jadis prisonnière dans le camp de concentration. Elle dit en effet : « Les allemands cherchaient partous les moyens à nous avilir. Ils exploitaient toute lâcheté, excitaient toutes les jalousies et suscitaient toutes les haines (...) on nous avait condamné à périr dans notre propres saleté, à nous noyer dans la boue, dans les excréments, on avait voulu abaisser, humilier en nous la dignité, effacer en nous toute trace d'humanité, nous ramener au niveau de la bête fauve(...)»69(*). Ne soyons pas tenter de penser que ces événements horribles ne se vivaient que dans le passé. Aujourd'hui encore, dans différents endroits où se passe la guerre, la dignité humaine est bafouée au point de nier à l'homme sa valeur et son estime de soi dans le but de l'amener à se regarder avec dédain et dégout. Les rebelles qui sont à l'Est de la RD Congo utilisent les mêmes techniques d'avilissement pour détruire l'être humain non seulement intellectuellement mais surtout moralement. En massacrant la population, ils cherchent à l'humilier, l'abaisser, la dégrader, à lui ôter sa valeur et sa dignité, pourqu'en fin de compte l'être humilié sente son propre néant, et ne se considère plus comme un être humain mais plutôt comme un rebut de l'espèce humaine70(*). * 67Ibid., p.36 * 68 G. MARCEL, Les hommes contre l'humain, op. cit., p. 38 * 69 Ibid., p. 37. * 70 Cf. D. BANONA NSEKA, Technique et dignité humaine. Perspective contemporaine à partir de Gabriel Marcel, Bruxelles, Bruylant-Academia, p. 59. |
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