UNIVERSITE SAINT AUGUSTIN DE KINSHASA
FACULTE DE PHILOSOPHIE
B.P.2143. KINSHASA I
République Démocratique du
Congo
REPENSER LA LIBERTÉ COMME
MYSTÈRE CHEZ GABRIEL MARCEL.
Une approche analytico-herméneutique de
« Les hommes contre l'humain »
Par :
KAKULE KANAMUNGOYA Freddy
Travail de fin de cycle en vue de l'obtention du
diplôme de graduat en philosophie.
Directeur :
Prof. Denis BOSOMI LIMBAYA
Année académique 2020 - 2021
EPIGRAPHES
« La Transcendance loin de nier ou de contrecarrer
la liberté, l'éveille et la suscite. »
« C'est à l'intérieur d'un minimum de
règles, de lois et de contraintes indispensables à la vie en
commun que nous pouvons agir et définir une légitime
liberté qui n'empiète pas sur celle des autres. »
Gabriel MARCEL, Les hommes contre
l'humain
REMERCIEMENTS
Nous saisissons cette opportunité pour exprimer nos
profondes gratitudes à l'Etre Tout-puissant, Créateur de
l'univers visible et invisible, qui dans son amour infini ne s'est pas
lassé de nous soutenir et revigorer durant cette formation
philosophique. Qu'il soit loué éternellement et à
jamais.
A vous notretrès chère mère
KABUGHO KASOGHO Thérèse et notreregretté père
KANAMUNGOYA SOMBOLA Célestin de qui nous tenonsla vie et
l'éducation. Aucun mot ne saurait exprimer notrereconnaissance et
notregratitude à votre égard. Vos bénédictions,
votre soutien moral, spirituel et matériel ont été pour
nous une preuve d'amour incommensurable. Veuillez trouver dans ce modeste
travail la récompense de vos sacrifices et l'expression de notre amour
et de notre attachement indéfectible. Puisse Dieu vous
bénir.
A vous chers frères et soeurs : Patient
KANAMUNGOYA, Gratien KANAMUNGOYA, Erick KANAMUNGOYA, Fortunée
KANAMUNGOYA, Christelle MWENGE, Guilaine VISIGHO et Consolé MWENGE.
Merci pour tout ce que vous êtes pour nous, pour votre soutient et vos
encouragements.
Nous remercions également les autorités
académiques de l'Université Saint Augustin de Kinshasa :
Faustin DIATEZULWA, recteur de l'Université, Noël MAYAMBA,
vice-recteur, ainsi qu'à tous les professeurs qui se sont rendus
disponibles, nous ont encadré et nous ont encouragé à
façonner notre esprit philosophique.
Nos sincères remerciements s'adressent
spécialement au professeur Denis BOSOMI LIMBAYA ofmcap qui, en
dépit de ses multiples occupations a accepté humblement d'assurer
la direction de ce travail qui représente pour nous les premiers fruits
de nos cogitations philosophiques.
Nos remercions aussi la Société des
Missionnaires d'Afrique (Pères Blanc), de manière spéciale
à la communauté Saint Joseph MUKASA les pères :
Jean-Pierre MAHESHE, Joseph KIENTGA, Raphaël LUBALA, Richard UJWIGOWA,
John-baptist AMONA et Alex MANDA ; puisse ce travail symboliser le fruit
de vos années de sacrifices consentis pour nos études et notre
formation.
A vous chers confrères amis de la promotion avec
qui nous avions commencé ensemble cette aventure vocationnelle depuis
la propédeutique jusqu'à ce stade. Nous pensons à Sabin
BIRENGE, Evariste NIYIBIZI, Rénovât HAKIZIMANA, Benoit KABAMBA,
Eraste AMULI, Emmanuel KATO, Reagan MASHAURI, Jean-Baptiste NSHIMIYIMANA,
Jean-Capistran NKINGIWENIMANA, Moise KAGAOTE, Celeus NIYIMPA ; vos
reproches fraternels, vos conseils amicaux et votre soutien tant
matériel qu'intellectuel nous ont été d'une importance
sans mesure.
Nos remerciements à tous les confrères
ainés et cadets avec qui nous avons vécu pendant trois
années de la formation au sein de la communauté Saint Joseph
MUKASA. Nous pensons à Jules SHOKASHOKA, Egide HATUNGIMANA, Eduard
IRAKOZE, Justin MAKASILA ; pour les expériences partagées,
l'affection fraternelle et les conseils, nous vous sommes
reconnaissants.
Et à tous ceux et celles dont le nom ne figure pas
ici et qui ont toujours porté une attention particulière à
notre égard, qu'ils trouvent ici notre profond sentiment de gratitude et
de considération.
FreddyKANAMUNGOYAKAKULE
INTRODUCTION GENERALE
1. PROBLEMATIQUE
L'ontologie de l'homme et la notion de la liberté sont
deux éléments indissociables puisque cette dernière
constitue l'essence de l'homme et exprime sa réalité
fondamentale. Ainsi, pouvons-nous dire que la liberté est
essentiellement liée à l'existence de l'homme. La vitalité
de la vie humaine s'étend dans l'affirmation et la pratique de la
liberté. Sans doute, une vie dite « vie
humaine » sans liberté serait comme une vie
programmée d'avance ou une vie mécanique dans laquelle les
aiguilles sont déjà orientées, fixées sur les
chiffres antérieurement choisis. Il est clair que la liberté est
une réalité applicable seulement à l'homme, il serait
absurde d'affirmer que les animaux sont aussi libres autant que les hommes.
Cette assertion est réfutée d'autant plus que la liberté
est une réalité qui doit être nécessairement
éclairée par la raison, aussi peut-on dire qu'une liberté
sans la raison est aveugle et une raison sans liberté est
enchainée1(*).
A la suite de Marcel, nous nous posons aussi la
question : qu'est-ce qu'un homme libre ?Est-ce l'homme qui agit selon
ses passions, ses sentiments, et ses désirs ? Est-ce celui qui fait
tout ce qui est à son pouvoir ou à son vouloir ? Un peu de
réflexion, dit Marcel, suffit pour découvrir la prétendue
liberté revendiquée s'identifie en fait à une
dépendance totale à l'égard de nos désirs et nos
humeurs changeantes. La liberté qui nous différencie de l'animal
est d'un autre ordre que le désir2(*). Certes, c'est à l'intérieure d'un
minimum de règles et des contraintes sociales indispensables à la
vie en commun que nous pouvons agir et définir une légitime
liberté qui n'empiète pas sur celle des autres3(*).
2. INTERET DU SUJET ET
HYPOTHESE
« Repenser la liberté comme
mystère chez Gabriel Marcel. Une approche analytico-herméneutique
de " Les hommes contre l'humain" ». Tel est le titre que
nous avons choisis pour notre travail. Parmi les questions les plus brulantes
de la société actuelle, celle de la liberté prend le
prima. Il est vrai que le débat sur la liberté fait couler
beaucoup d'encres dans la littérature existentialiste. Ainsi
animé par le souci de la recherche de la vraie liberté mieux
encore d'une liberté authentique, nous essayerons de déconstruire
les hypothèses banales que l'homme a sur la liberté que nous
appelons ici « une pseudo-liberté ».Car il
ne suffit pas de s'autoproclamer comme étant un être libre mais
plutôt il sied de comprendre que la liberté est une
réalité à conquérir, c'est-à-dire que je
suis libre et j'ai à être libre. La liberté est donc un
enfant éternel que nous avons à faire naître.
3. METHODE ET DIVISION DU
TRAVAIL
Pour bien conduire ce travail, nous optons pour la
méthode l'analytique-herméneutique. Nous analysons et
interprétons l'ouvrage Les hommes contre l'humain de G. Marcel.
Nous allons nous y appuyer en vue de dégager les enseignements
métaphysico-éthiques qui s'y renferment.
Outre l'introduction et la conclusion générale,
notre travail s'articulera sur trois axes. D'abord le premier traitera de
l'Etre et la liberté, en outre le
deuxième se voudra la recherche de la quiddité de notre
thématique en soulevant la question : Gabriel Marcel et le
mystère de la liberté. Enfin le troisième se
basera sur : lacrise de la liberté dans la
société moderne: une visée
praxéologique.
CHAPITRE PREMIER :
L'ETRE ET LA LIBERTE
INTRODUCTION
La plénitude de la liberté c'est notre
être, mais cette plénitude est une conquête toujours
précaire, toujours menacée4(*). C'est par ces paroles de G. Marcel que nous nous
sommes lancés aussi à la recherche de la liberté
authentique laquelle liberté ne peut être accessible que par la
seule voie de la réflexion du sujet sur lui-même. Bosomi l'avait
déjà bien dit dans Les thèmes majeurs de la
philosophie contemporaine que l'ontologie et la liberté sont deux
éléments inséparables d'autant plus que la liberté
exprime la réalité fondamentale de l'homme. L'homme est
substantiellement libre de par sa constitution ontologico-substantielle et
foncière.5(*)
En effet, les différentes questions que l'homme se pose
sur l'origine de sa vie, sur sa destinée, sur l'importance de sa
présence dans le monde relèvent du fait qu'il est libre. Il est
inadmissible de dire que les animaux se heurtent à ce genre de
questionnement car ils n'agissent que par instinct. Si au préalable
l'homme n'était pas libre, il n'agirait que par pur déterminisme.
Plus encore, il serait comme une horloge dont les aiguilles se meuvent suivant
une même et seule direction sans se dérober de cette
dernière.
La liberté authentique ne peut pas être de
l'ordre du désir, de quelque chose qui est donné, elle est
l'essence de l'homme. Ainsi Marcel souligne que : « ma
liberté n'est pas et ne peut pas être quelque chose que je
constate mais bien quelque chose que je décide et il n'est au pouvoir de
personne de récuser le décret par lequel j'affirme ma
liberté ; cette affirmation est liée en dernière
instance à la conscience que j'ai de moi-même, c'est-à-dire
à la conscience de mon être intelligent fait pour connaitre la
vérité »6(*).
L'intitulé de notre chapitre, permet de mettre au clair
ce lien intime et indéniable qui se tisse entre l'être et la
liberté. La liberté authentique et parfaite tire son fondement
dansl'être. C'est pourquoi De Finance reconnait qu'on ne peut ressaisir
le sens de la liberté qu'à partir du sens de l'être et on
ne peut ressaisir le sens de l'être qu'à partir de l'Etre
absolu.7(*)
En résumé, ce chapitre se propose d'aborder la
question de l'être telle que posée par le Stagérite, en
plus nous reviendrons sur la compréhension de l'être selon notre
auteur G. Marcel qui conçoit l'être comme mystère et
l'être incarné comme donnée centrale de la
métaphysique. Enfin, outre la conclusion, nous finirons par un
aperçu panoramique de la liberté.
I.1.
Qu'est-ce que l'être ? : Bref parcours historique
Il est difficile voire impossible de donner une réponse
exacte, comme cela se fait en mathématique, à la question
qu'est-ce que l'être. En outre, une réponse unanime et univoque
pouvant mettre les philosophes, plus particulièrement les
métaphysiciens d'accord sur ce qu'est l'être est risible.
Néanmoins, il nous semble que pour saisir la question de l'être,
il est nécessaire de passer par un bref parcours historique de la notion
de l'être.
C'est depuis Parménide que l'on parle de l'être
au sens métaphysique du terme c'est-à-dire de l'être
entendu dans sa dimension ontologique. Nous nous referons ici à la
fameuse formule : « l'être est le non-être n'est
pas ». En d'autres termes, il est impossible que l'être ne
soit pas de même, il est nécessaire que le non être ne soit
pas.
Dans la conception parménidienne de l'être, il
sied de souligner que dire « être » ne se limite
à des simples mots mais cela nécessite une grande activité
rationnelle et intellectuelle. Encore soutient-il que rien n'est plus grand que
l'être étant donné que le concept être embrasse tout
et dit tout8(*).
Eu égard à ce qui précède dire que
le concept être dit tout et embrasse tout c'est joindre la
définition de la métaphysique du Stagérite laquelle
définition disait que la métaphysique est la science de
l'être en tant qu'être. En effet, pour rendre clair cette
définition, Aristote stipule que : « il y a une
science qui étudie l'être en tant qu'être et les attributs
qui lui appartiennent essentiellement. Elle ne se confond pas avec d'autres
sciences dites particulières, car aucune des ces autres sciences ne
considère en général l'être en tant
qu'être »9(*). Ainsi, lorsque l'on parle de l'être en tant
qu'être, on fait allusion à l'être pris dans sa
totalité, dans sa complétude, dans sa globalité.
Autrement-dit, c'est prendre l'être sans pour autant l'altérer,
l'édulcorer, l'amenuiser, le réduire10(*).
Revenant à Parménide, on comprend que
l'être est le seul chemin de la vérité et de la
connaissance tandis que le non-être est celui du néant, de
l'opinion et de la doxa. Cela veut aussi dire que seul l'être est
connaissable étant donné qu'il est. Quant au non-être, vu
qu'il n'est pas il est corollairement inconnaissable. En outre, l'être ne
peut pas ne pas exister, puisqu'il est une nécessité qu'il soit.
L'être est toujours présent en lui-même, il a toujours
été là, il est là et il sera toujours car il est de
sa nature d'être éternel, par ailleurs le non-être ne peut
pas avoir une nature personnelle par la simple raison qu'il n'existe pas, ainsi
donc il n'est peut pas avoir une nature précise.
I.2.
L'être : substance et accident
La notion de l'être passe par deux
réalités : l'être substantiel et l'être
accidentel. Ces derniers sont fondamentalement différents mais marchent
ensemble.Autrement dit, on ne peut pas parler de l'être substantiel sans
faire appel à l'être accidentel. C'est pourquoi, De Finance
souligne qu'il ne faut pas toujours chercher à séparer
l'être en le mettant d'un coté comme substance et de l'autre
coté comme accident, il est un tout ; substance-accident. Quoique
différent, la substance et l'accident forment une unité et ne
peut être objet d'aucune séparation. De plus, aucun accident ne
peut s'actionner seul c'est-à-dire séparer de la substance ni une
substance sans accident.
Sur ce, les deux éléments représentent ce
que l'on appelle les diverses modalités des êtres qui occupent le
monde. En d'autres termes, la substance et l'accident sont des modalités
fondamentales de l'être auxquelles on peut ramener toute la
réalité créée.
I.2.1.
L'être substantiel
Comme nous l'avons dit précédemment, la
substance est en effet « cette réalité par
laquelle une nature ou une essence fait l'être. Ce qui fait à ce
qu'une chose soit telle et non telle autre11(*)». La substance est alors ce qui spécifie
l'être. En réalité, nous en faisons l'expérience
dans la vie concrète quant à la spécificité des
êtres. Quand on voit un chien on ne peut jamais le confondre à une
girafe ou à un arbre fruitier puisque de par leurs compositions
substantielles ils sont très différents.
Dans tout être, nous trouvons une chose qui demeure, qui
subsiste, qui est toujours permanente et immuable. Et c'est cette chose que
nous appelons substance. Ainsi, voyons-nous un chat qui naît, grandit et
vieillit, néanmoins dans toute ces transformations sa substance reste la
même : elle reste un chat. Sans doute peut-on affirmer que dans
chaque chose il ya un noyau substantiel qui est entouré d'une multitude
de changements accidentels.
I.2.2. L'être accidentel
Aristote est le premier philosophe à avoir
envisagé une réflexion sur les manières dont l'être
se dit. Cela étant, il reconnait que c'est l'être substantiel qui
existe en soi, qui est permanant, stable tandis que l'être accidentel
vient se greffer sur la substance.
Les accidents sont des diverses perfections secondaires qui
interviennent sur la substance et par conséquent, elles sont
dépendantes de la substance12(*). Malgré le fait que les accidents et la
substance soient unis et forment un tout, on ne peut pas négliger la
place prépondérante qu'occupe la substance par rapport aux
accidents. En plus, les accidents sont en perpétuel changement et
variation. Sur ce, le Stagérite distingue dix catégories dont une
substance et neuf accidents. Les catégories sont comprises comme
« les modes d'accusation ou d'affirmation de
l'être »13(*). C'est-à-dire les différentes
façons dont l'être peut se dire. Elles sont appelées ainsi
puisqu'elles correspondent aux différentes manières de signifier
quelque chose en employant le verbe être. Ainsi, les dix
catégories dont parle Aristote sont :
Ø La substance
Ø La qualité
Ø La quantité
Ø L'action
Ø La passion
Ø Le temps
Ø Le lieu
Ø La relation
Ø La position
Ø L'état (la possession)
Illustrons ceci par un exemple. Quand nous
disons : « Manitou est un chat », le verbe est
employé sous la catégorie de l'essence ; quand on
dit : « Patrick est un étudiant » on fait
ici allusion à la qualité ; quand on
dit : « Prisca travaille » nous l'employons sous
la catégorie de l'action ; et lorsqu'on
dit : « Julien est dans l'auditoire » nous
l'employons sous la catégorie du lieu. Tous ces éléments
nous montrent combien les accidents sont dans une perpétuelle variation
et que la substance reste immuable.
I.3.
L'être comme mystère
La question sur l'être n'a pas seulement
intéressé les philosophes antiques mais au long de l'histoire,
elle a fait objet de beaucoup de débats dans le monde philosophique.
Cela étant, nous ne pouvons pas passer sous silence l'apport de G.
Marcel sur la question de l'être. En effet, Marcel dans ses écrits
souligne que la question « qu'est-ce que
l'être ? » va toujours en paire avec celle du
« que suis-je ? » d'autant plus que
questionner sur l'être, c'est s'interroger sur la totalité de
l'être et sur soi-même comme totalité14(*). Il serait donc arbitraire de
séparer le que suis-je et le qu'est-ce que l'être, puisque les
deux ne peuvent qu'être abordé concomitamment.
De ce fait, Marcel reconnait véritablement la
difficulté à laquelle on se heurte lorsqu'on veut aborder la
question de l'être. A la question qu'est-ce l'être ?, dit-il,
je me demande du coup qui suis-je moi qui questionne sur l'être ?
Quelles qualités ai-je pour procéder à ces
investigations ? Si je ne suis pas, comment espérai-je les voir
aboutir ? En admettant même que je sois, comment puis-je être
assuré que je suis ?15(*)
Toute cette panoplie de questions sur l'être nous fait
comprendre que je ne puis m'interroger sur l'être que parce que je suis.
Sans doute, l'interrogation sur l'être fait-elle partie de moi, de mon
essence, elle n'est pas une réalité qui est au-devant de moi mais
par contre c'est une réalité dans laquelle je me trouve
engagé. Alors, une nécessité s'impose de distinguer
le problème du mystère.
I.3.1. Le problème
Le problème signifie dans la
conception marcellienne « quelque chose qu'on rencontre, qui
barre la route. Il est tout entier devant moi. C'est quelque chose contre quoi
l'esprit vient buter à un moment donné de la recherche, comme le
pied sur une pierre, et tente de le dépasser en lui donnant une
solution »16(*).
En d'autres termes, le problème se trouve « devant
moi », j'ai la possibilité de le cerner, le réduire,
absorber, ou même le transformer en matière pensable à
laquelle une solution est impérative. Il est une erreur de la part de
certains métaphysiciens de vouloir convertir l'ontologie en
problème suivie ou non d'une solution. Cela est une erreur puisqu'en
effet, le propre de tout problème est que je devrais pouvoir me
maintenir en dehors, en deçà ou au-delà
de ce problème que je formule. Ceci veut tout simplement dire que le
problème ne fait pas partie de moi (l'être).
Comme nous l'avons souligné supra, on ne peut
pas se questionner sur l'être si on n'est pas, si on n'existe pas, mieux
encore la question « qu'est-ce que l'être ?» d'une
part, et le « que suis-je ?» d'autre part ne peuvent
qu'être répondues simultanément. C'est parce que je suis
que je peux m'interroger sur l'être. De ce fait, la question sur
l'être fait partie de moi, de ma structure ontologique et non en dehors
ou au-devant de moi.
Marcel reconnait que plus nous traitons l'être comme un
problème, plus nous le mutilons et nous le rendons inintelligible en
l'amputant de mon être et de ma relation à l'être.17(*) La relation entre mon
être et l'Etre est vraiment essentielle. Sur ce, nous sommes
engagés dans l'être et il ne dépend pas de nous d'en
sortir. En résumé, nous comprenons que toute tentative de prendre
l'être comme problème est philosophiquement insoutenable. Alors,
que dire du mystère ?
I.3.2. Le mystère
Le mystère est un concept polysémique, elle est
à prêter confusion dans l'entendement de beaucoup de gens selon
l'approche qu'on se propose. En effet, le mystère est souvent confondu
à l'inconnaissable, ou à une lacune du connaitre, ou encore un
vide à combler. Par ailleurs, il sied de signaler que dans la conception
marcellienne le mystère n'a rien à avoir avec un
élément brut et opaque à la pensée ou une
connaissance inaccessible mais au contraire la pensée reconnait en lui
sa source et son foyer. En plus, c'est parce qu'il est lumière qu'il est
authentiquement mystère.
Ce serait absurde de réduire le mystère à
une chose dont j'ai entendu parler, étant donné que le
mystère est une participation qui fonde ma réalité du
sujet, alors le prendre comme une connaissance (réalité) par
ouï-dire, par témoignage serait l'avilir, le méconnaitre,
voire le nier.
Après toutes les explications données ci-haut,
la question de savoir qu'est-ce qu'un mystère persiste toujours. En
effet, le mystère est, selon Marcel, « quelque chose où
je me trouve engagé, dont l'essence est par conséquent de
n'être pas tout entier devant moi. C'est comme si dans cette zone la
distinction de l'en-moi et du devant-moi perdait sa
signification »18(*). D'où, il n'y a pas et il ne peut y avoir le
problème de l'être sauf par abus du langage et par subterfuge de
la pensée.
Certes, il y a mystère quand celui qui s'interroge
appartient à ce sur quoi il s'interroge. C'est pour cela que
l'être est un mystère puisque comme nous l'avons
déjà dit je ne puis me poser des questions sur
l'être que parce que je suis. C'est dans cette perspective que
Marcel reconnait que le mystère est une réalité dans
laquelle je me trouve engagé non pas partiellement par quelques aspects
déterminés et spécialisés de moi-même, mais
au contraire engagé tout entier. Autrement dit, je suis engagé
dans l'être comme mystère et par conséquent le
mystère abolit donc la barrière entre
« l'en-moi » et « le devant-moi » qui
caractérisait naguère le domaine du problème.
Pour clore, il est important de souligner que c'est par peur
que la distinction « mystère-problème »
cesse d'être instrument de pensée et tombe dans le verbiage que
Marcel a pu substituer le concept
« métaproblématique » à celui
du « mystère ». Ainsi, les deux termes se
valent, on peut employer l'un à la place de l'autre et vice-versa.
I.3.3. L'être-en-situation
G. Marcel voulait, dans toutes ses réflexions, se
délier d'une philosophie abstraite, idéelle et creuse. C'est
pourquoi dans ses entreprises métaphysico-philosophiques son intuition
majeure a été toujours d'aboutir à une philosophie
concrète et incarnée.
De ce fait, quand on parle de l'être avec les
acceptions qui lui sont relatives, on ne peut pas ne pas parler de la notion de
l'être-en-situation. De prime abord, il faut préciser que
cette notion a été abordée par plusieurs philosophes
contemporains dont Karl Jaspers cité en titre d'exemple. En effet, la
condition de l'homme c'est d'être en situation. Cette expression ne
signifie pas, comme le dit TROISFONTAINE, que l'homme n'est que sa situation.
Elle rappelle plutôt qu'être homme c'est être
inséré d'une certaine manière dans un espace
spatio-temporel et dans un univers très vaste dont le monde de l'espace
et du temps n'est qu'une expression imparfaite et approximative19(*).
L'être-en-situation est bien plus un acte qu'un
état, en d'autres termes l'homme se trouve déjà
jeté dans le monde où il est sensé donner un sens
(direction) à sa vie. Rappelons aussi que quand on dit :
« le propre de l'homme est d'être-en-situation », on
vise ni exclusivement, ni principalement qu'il occupe une place donnée
dans l'espace - étant donné que l'espace et le temps ne sont que
des expressions imparfaites et approximatives - mais qu'être-en-situation
est en effet une façon de constater comment le monde nous est
présent par le sentir.20(*) C'est autant dire que l'être-en-situation ne
peut s'affirmer comme l'être-au-monde que par le sentir. Je ne suis ou du
moins je ne puis me saisir en tant qu'être qu'à condition de
sentir, et cette dernière est une donnée propre au corps lequel
est pris comme produit de l'incarnation.
Pour éviter toute prolixité, nous sommes en
droit de dire qu'être-en-situation ne consiste pas à un bloc
compact et autonome, « self containe » mais au
contraire c'est être exposé à..., ouvert
à..., sans doute semble-t-il que sentir est donc bien un acte, qui
me révèle mon existence. Cet acte se manifeste à partir
d'un ancrage, d'un enracinement, mieux encore d'un point particulier de
l'espace et du temps qui est matérialisé par « mon
corps ».
I.4.
L'être incarné
De prime abord, il nous faut souligner que l'incarnation telle
qu'abordée par G. Marcel n'est pas du point de vue
théologico-biblique où il y aurait un Dieu qui s'est fait homme
en unissant la nature divine à la nature humaine, mais pour lui
l'incarnation est la donnée centrale de la réflexion
métaphysique21(*).
L'incarnation n'est pas un fait mais une donnée qui est
là, une situation fondamentale de l'homme. L'existant humain se
découvre comme un être incarné. Il sied de préciser
aussi que l'incarnation n'est pas une situation accidentelle, fortuite, fatale
voire épiphénoménologique, elle est par contre une
situation existentielle dont l'homme fait déjà
l'expérience dès l'origine.
Nous remarquons ici que l'affirmation de l'être devient
indubitable dans le sens où je suis en tant qu'être
incarné possédant un corps avant même de vouloir
m'interroger sur l'être. Par conséquent, l'être
incarné ne peut être ni objectivable ni problématisable
étant donné qu'il n'est pas une réalité qui se
trouve devant moi ou en dehors de moi, mais c'est une réalité
qui, par contre, fait partie intégrante de moi. Nous ne pouvons mener
toutes sortes d'investigation métaphysique, philosophique et morale que
parce que nous existons en tant qu'être-en-situation ayant un corps.
Ainsi, l'être incarné signifie s'apparaitre comme un corps sans
pouvoir s'identifier à lui, sans pouvoir non plus s'en distinguer,
puisque l'indentification et la distinction ne s'exercent que dans la
sphère des objets.
I.4.1. La corporéité
A.
Corps-instrument (corps-objet)
La notion du corps est bien présente dans les
écrits des philosophes existentialistes contemporains. C'est ainsi que
chez M. Merleau-Ponty on trouve l'expression telle que
« le corps propre ou le corps vécu » et
« le corps-pour-soi et le corps-pour-autrui » chez
J.-P. Sartre. Au fait, l'auteur du Journal métaphysique, dans
le souci de restaurer une compréhension authentique du corps, s'insurge
contre toute conception instrumentaliste du corps.
Avant de se poser la question pourquoi Marcel réfute
toute idée d'instrumentalisation du corps, il semble nécessaire
de savoir ce que l'on comprend par « instrument ». Un
instrument est, en effet, « un moyen d'étendre ou de renforcer
un pouvoir que nous possédons, ceci est vrai pour une bêche que
pour un microphone »22(*).
De ce qui précède, qu'en est-il du corps
humain ? Peut-on dire que le corps humain est une possession au même
titre qu'un objet que nous disposons ? Comme nous l'avons
déjà dit tantôt, Marcel s'insurge contre toute
objectivation et/ou instrumentalisation du corps humain. Certes, en
considérant mon corps comme un objet, je le prends comme une chose
extérieure à moi qui doit servir à... d'ailleurs, mon
corps n'est pas une entité qui est extérieure à moi, il
fait plutôt partie de moi. Force est de constater qu'il existe deux
tendances divergentes en ce qui concerne le corps. La première est celle
qui voit une similitude ou une identité entre le corps et les choses.
Mon corps, disent-ils, est une chose parmi tant d'autres et est condamné
à suivre le destin des choses, spécifiquement les instruments,
comme eux il sert à, il a besoin d'être entretenu, parfois
même être réparé. Il est aussi soumis à des
vicissitudes tout à fait comparables à celles que subissent
d'autres instruments. La deuxième tendance se veut une riposte contre
cette instrumentalisation du corps qui s'est fait montre dans la
première tendance. Ainsi, le développerons-nous dans le point qui
suit.
B. Le corps-sujet
Après s'être levé contre toute idée
d'instrumentalisation du corps, Marcel opte pour le concept
« corps-sujet » qu'il appelle aussi
« je suis mon corps ». Il utilise l'expression je
suis mon corps pour décrire la réalité ou la notion du
corps-sujet. C'est ainsi qu'il dira : « je suis
mon corps est en réalité une affirmation-centre, une
affirmation-pivot qui ne peut être que partiellement
éclairée selon des perspectives que je puis avoir à
adopter tour à tour mais sans qu'aucune d'elles ne puisse être
admise exclusivement ou définitivement »23(*). Ici Marcel reconnait qu'il
est difficile de saisir la relation entre mon corps et moi étant
donné que le « je suis mon corps »peut
être imbriqué dans le langage courant à
l'expression « j'ai un corps ». Cela
étant, il souligne que quand je dis je suis mon corps cela signifie
qu'aucune relation de chose à chose n'est applicable, où on
penserait qu'on est le maitre ou le propriétaire, ou même le
contenu de mon corps.
Aussitôt que je traite mon corps comme un objet je
m'exile moi-même à l'infini où je me prends comme un sujet
extérieur à mon corps et par là mon corps devient un objet
dont je me sers, un instrument, un outil comme le considère certaines
disciplines expérimentales à l'instar de la médecine et la
biologie.
De ce fait, peut-on reconnaitre que la relation entre moi et
mon corps présente un caractère mystérieux pas dans le
sens de l'inconnaissable mais dans le sens où je suis impliqué,
inséré dans cette relation à telle enseigne qu'il est
difficile de m'en séparer pour regarder la relation du dehors ou de
l'extérieur.
C. La
corporéité chez G. Marcel, M. Merleau-Ponty et J-P. Sartre
La notion de la corporéité n'a pas seulement
intéressé Marcel, mais il s'est fait montre aussi, nous le
verrons, dans les écrits de ses contemporains. De notre part, nous nous
intéresserons à titre d'exemple aux trois auteurs cités
dans l'intitulé de ce point. En effet, ce qui est intéressant est
que tous trois sont contre la conception objectiviste du corps. C'est ainsi que
pour Merleau-Ponty le corps n'est pas seulement une réalité
physiologique, ni un assemblage de particules dont chacune demeure en soi, mais
il est aussi un ``ensemble de significations vécues24(*)''. Autrement dit, mon
corps est investi de sens.
Le corps propre n'est pas cette réalité
matérielle dont la physiologie et la biologie nous font découvrir
les différentes composantes, il n'est pas un objet d'étude ou
même une chose. L'auteur de La phénoménologie de la
perception reconnait que mon corps est la manière de me projeter et
d'exister. Ainsi dit-il : « je ne puis comprendre la
fonction du corps-vivant qu'en l'accomplissant moi-même et dans la
mesure où je suis un être qui se
lève-vers-le-monde »25(*).Le corps propre est le véhicule de
l'être-au-monde et, avoir un corps c'est pour un vivant se joindre
à un milieu défini, se confondre avec certains projets et
même s'y engager continuellement.
Dans la même ligne d'idée, J-P Sartre dans
L'être et le néant stipule que le corps-objet c'est le
corps en tant que objet de science. Celui dont on connait le fonctionnement
à travers les différentes sciences (biologie, médecine,
physiologie). Pour l'auteur de la Nausée, il est
préférable de distinguer ces deux expressions : le
corps-pour-soi et le corps-pour-autrui. Le corps-pour-soi
échappe à toute objectivation, étant donné qu'il se
confond à mon existence en tant que ouverture au monde. Le
corps-pour-soi: facticité c'est mon existence au monde. En outre, je
n'ai pas besoin de démontrer rationnellement le fait que j'existe
corporellement puisque l'existence est un fait qui est là. C'est pour
cela que la corporéité est ma situation fondamentale, ma
manière d'être au monde. En ce qui concerne le corps-pour-autrui
c'est le corps tel que je le vois sur les autres et qui s'offre au regard des
autres.
Si le corps-pour-soi se dérobe de toute étude
que la science veut lui imposer, le corps-pour-autrui fait plutôt objet
de la science. En résumé, le corps-pour-autrui c'est le corps tel
que détaillé par les sciences en particulier la physiologie qui
nous donné la composition et le fonctionnement du corps ou de
l'organisme26(*).
Essayant de rapprocher les conceptions de ce trois auteurs sur
le corps, nous pouvons dire que le corps-sujet de Marcel, le
corps-propre ou le corps-vécu de M. Merleau-Ponty et le
corps-pour-soi de Sartre échappe à toute
l'objectivation, toute manipulation, soit réelles soit même
idéales que la techno-science en fait usage. Il se confond à mon
existence et, il est pour moi ma situation fondamentale : c'est ma
manière d'être au monde. Chez Marcel, chez Merleau-Ponty comme
chez J.-P. Sartre, on trouve cette unanimité que c'est le
corps-objet qui peut faire objet d'une étude scientifique ou
même des essais biologiques. De ce fait, la technique de greffes et de
prothèses ne s'opère que sur le corps-objet, le corps-pour-autrui
et non sur le corps-sujet, le corps-pour-soi et le corps-propre car il s'agit
là de mon existence au monde.
I.4.
La liberté : Aperçu panoramique
I.4.1. Approche sémantique
Quand il s'agit de parler de la liberté, reconnaissons
qu'il est très difficile de trouver un élément qui mettra
toute la communauté philosophique d'accord puisque le concept même
de la liberté est polysémique et son champ d'action est tellement
vaste que ne l'on ne saurait l'épuiser dans ce petit travail. Par
ailleurs, il semble nécessaire, pour la compréhension de cette
problématique, de rappeler que la liberté est une
réalité qui ne s'applique qu'aux êtres humains. Sans doute
on ne peut pas dire que les animaux ont aussi cette capacité de la
liberté.
De ce fait, évitons toute confusion dans laquelle se
trouve beaucoup de gens quand il s'agit de parler de la liberté. Pour
cela, il nous faut éclaircir ces deux notions : la
liberté politique et la liberté métaphysique. Un
homme est politiquement libre lorsque la législation de la
société à laquelle il appartient lui confère un
certain nombre de droits dont elle lui garantit l'usage. A titre d'exemple nous
citons ici le droit d'instaurer des nouvelles institutions, droit de voter les
gouvernants, le droit d'expression etc. Le régime de liberté
politique s'oppose au régime tyrannique et dictatorial. Laissons au
juriste, au moraliste et au sociologue le soin d'en faire l'étude.
Un homme est métaphysiquement libre si
« certains de ces actes, pour le moins, et par conséquent
certains effets produits sur le monde extérieur n'ont pas d'autre cause
que lui-même»27(*). Autrement dit, un homme est métaphysiquement
libre quand ses pensées et ses actions ne sont influencées par
aucun agent extérieur ou intérieur. Ceci rejoint la
définition de Lalande disant que la liberté au sens primitif est
l'état de celui qui fait ce qu'il veut et non ce que veut un autre, elle
est en ce sens l'absence des contraintes étrangères28(*). Cette définition nous
parait insuffisante par le fait qu'en l'intérieur de l'homme, il y a des
forces et principes d'actions qui lui sont étrangers, qui le
contraignent à la façon d'un maitre tyrannique, ou le
séduisent à la façon d'un flatteur égoïste.
La conception de la liberté comme simple absence des
contraintes extérieures n'est pas effective, car même à
l'intérieur de l'homme, il se trouve confronté aux faiblesses,
aux penchants sensibles qui peuvent le détourner du bon sens, de ce qui
est nécessaire, du bien-être et même de la
vérité. C'est pour cela que Bosomi souligne que la vraie
liberté doit être éclairée par la raison car,
dit-il, la liberté sans raison est aveugle et la raison sans
liberté est enchainée. En plus de la raison, il faut la
volonté sans laquelle la liberté reste vide et tourne à
rond puisque la volonté c'est l'âme de la liberté, le
pouvoir qui permet à la liberté de se réaliser29(*).
Ce faisant, la liberté qui fait objet de toute notre
investigation c'est la liberté dans sa conception métaphysique
où l'homme est, comme nous l'avons déjà dit, la cause
intrinsèque et intégrale de toutes ses actions. De plus, la
liberté métaphysique s'oppose au déterminisme, parce que
l'homme n'est que liberté, ses actions, son vouloir, ses
réflexions ne tirent leur origine que dans sa nature en tant
qu'existant-libre.
Le déterminisme est une doctrine selon laquelle l'homme
serait déterminé d'avance. D'où sa vie, son agir, ses
facultés, sa destinée sont programmés anticipativement.
Dans ce sens, le déterminisme est une négation radicale de la
liberté de l'homme. Il est philosophiquement insoutenable car il
s'attaque à la nature de l'homme, à son essence même car
l'homme ne se définit que par la liberté. Ceci sera bien
développé dans le chapitre qui suivra.
I.4.2. La difficulté dans la classification de la
liberté
La difficulté dans la classification de la
liberté provient du fait que le concept liberté est
polysémique c'est-à-dire qu'il a plusieurs significations et
définitions selon les domaines d'application et le degré
d'importance. C'est ainsi que nous avions fait précédemment
allusion à la liberté politique qui se dit lorsque les
lois de la société à laquelle appartient un tiers individu
lui confèrent un certain nombre de droits dont elle lui garantit
l'usage. La liberté psychologique quant à elle, est
opposée à l'inconscience, à l'impulsion, à la folie
etc. Elle est un état de l'être qui, soit qu'il fasse le bien,
soit qu'il fasse le mal, se décide après la réflexion, en
connaissance des causes : elle est un état de la personne qui sait
ce qu'il veut, pourquoi il le veut et qui n'agit que conformément aux
raisons qu'il approuve. Signalons que cette liberté se rapproche de
la liberté rationnelle.
A part ces différents types de libertés, il y a
d'autres types de libertés qui sont suivies d'une préposition qui
lui confère une autre connotation, lesdites prépositions
sont : à, de, pour, contre etc. Ainsi nous avons la
liberté à, la liberté de, la liberté pour, la
liberté contre. Pour des raisons de systématisation nous
commencerons par le couple liberté à et
liberté de. Le premier est le fait d'agir conformément
au bon principe de la moralité, ce type de liberté est celui qui
donne à la personne de se déterminer sans contrainte aucune
devant les choses d'ordre matériel, physique et humain. La
liberté se manifeste dans les décisions d'ordre moral auxquelles
la personne est confrontée. Elle est liberté d'agir dans le sens
du bien, liberté d'aider une personne en nécessité,
liberté de prendre telle fille en mariage plutôt que telle autre
etc.
Ce qui s'applique à la liberté à,
s'applique aussi à la liberté de étant donné que
toutes deux s'exercent dans un domaine purement humain où la personne
est libre d'agir. Cette liberté entre dans le cadre de droits
fondamentaux de la personne que lui confèrent les lois. Nous citons ici
en titre d'exemple la liberté de circuler d'une province à une
autre, d'un Etat à un autre, liberté de voter, d'adhérer
à un parti politique suivant les convictions personnelles,
liberté d'appartenir à une confession religieuse.
En ce qui concerne le couple liberté pour et
la liberté contre, il est important de signaler que ces deux
types ont presque les mêmes fonctionnalités. La présence
des prépositions pour et contre laisse entrevoir que ce sont les
libertés qui consistent à agir selon un motif, un objectif bien
défini. Alors la liberté contre est celle que l'homme
utilise pour lutter contre toute pratique deshumanisante, avilissante et
déshonorante. Par exemple : liberté contre toute pratique
d'avortement volontaire, contre toute atteinte à la vie, liberté
contre l'exploitation de la femme et des mineurs, la liberté contre le
mariage pour tous etc.
Par ailleurs, la liberté pour consiste
à user de son pouvoir de se déterminer en vue d'un but bien
précis, en vue d'un idéal, d'un bien à atteindre. C'est la
forme la plus accomplie de la liberté. La présence de la
préposition « pour » vient montrer que c'est une
liberté ayant une finalité, un objectif, un motif bien
déterminé. Elle n'est pas une liberté pour n'importe quoi
(libertinage) mais par contre elle est une liberté pour la vie, pour le
vote, pour le mariage, pour un travail digne, pour vivre avec les autres dans
la société, pour adhérer à une religion etc.
I.4.3. Les niveaux où se vit la liberté
En faisant appel aux niveaux, il s'agit des différents
rapports qu'a l'homme en tant que liberté. C'est ainsi que nous avons
trois niveaux :
v Le niveau physique de la liberté : il est
question de la relation de l'homme avec l'environnement physique. Etre libre
veut dire connaitre les lois qui régissent son milieu de vie,
développer la dimension technique, scientifique et technologique. Et
donc on n'est pas du tout libre tant qu'on ne maitrise pas les lois du milieu
où l'on vit.
v Le niveau éthique de la liberté : il ne
s'agit pas du rapport de l'extériorité des choses ou des objets
mais plutôt de l'homme en face d'un autre homme, d'une conscience en face
d'une autre conscience, une liberté en face d'une autre liberté.
Nous ne sommes libres que si et seulement si les autres le sont. Alors
être libre ici implique le travail d'ensemble, le dialogue avec
l'autre.
v Le niveau métaphysique de la liberté :
c'est le rapport qu'a l'homme vis-à-vis du transcendant. Il s'agit de
considérer l'homme dans sa totalité, dans sa globalité,
cela veut dire que malgré que l'homme maitrise toutes les lois de
l'environnement et qu'il soit en bon terme avec les autres, il ne sera pas
libre s'il ne se confronte pas avec le créateur, d'autant plus que
l'homme n'est pas son propre créateur, n'a pas en lui-même
l'origine de sa vie. Cette confrontation exprime une relation, authentique,
vraie en comprenant que l'homme devient libre après la
compréhension, la connaissance, la maitrise de son milieu et du rapport
avec les autres. Et par là, l'homme peut s'acheminer vers une vraie
liberté dans le transcendant car il a fini avec la nature et son
prochain30(*).
CONCLUSION
En guise de conclusion, nous venons de voir d'une
manière systématique ce lien indéniable qui se tisse entre
l'être et la liberté. Tout d'abord, il faut reconnaitre la
difficulté de vouloir dichotomiser ces deux éléments car
ils sont intimement liés. Parlant de l'être, nous avons repris la
conception des anciens partant de Parménide comme étant celui qui
a donné une connotation métaphysique au concept
« être » avec sa fameuse découverte
« l'être est le non-être n'est pas ». Puis nous
nous sommes associés à Aristote qui définit la
métaphysique comme la science de l'être en tant qu'être.
Certes, dans la conception des philosophes antiques dire l'être ne
devrait pas se limiter à des simples paroles mais il faillait une grande
activité rationnelle et intellectuelle pour le faire, par le fait que le
concept être est le plus englobant, il embrasse tout et dit tout. Ainsi
prendre l'être en tant qu'être c'est le prendre dans sa
complétude, sa globalité, sa totalité, sans pour autant le
rétrécir, l'avilir, l'altérer voire l'assujettir.
En outre, notre quête nous a conduit jusqu'à la
conception marcellienne de l'être laquelle consiste à prendre
l'être comme mystère. Le mystère n'est pas, bien entendu,
l'inconnaissable ou une lacune de la connaissance mais il est plutôt une
réalité dans laquelle je me trouve engagé, impliqué
entièrement et je ne saurais pas m'en détacher pour l'observer du
dehors ou de l'extérieur. Pour Marcel, s'interroger sur l'être
s'est s'interroger sur sa totalité et sur soi-même comme
totalité, alors je ne puis m'interroger sur l'être que parce que
je suis, j'existe en tant qu'être-incarné, c'est-à-dire un
être possédant un corps. C'est par ce point que Marcel montre sa
position inéluctable à la métaphysique existentialiste
laquelle métaphysique ne cherche plus à saisir l'être en
tant qu'être dans l'abstrait mais elle part de l'être
incarné comme donnée centrale de toute réflexion
métaphysique. Cet être incarné est bien évidemment
l'homme possédant un corps qui peut sentir par les organes de sens. Le
corps étant aussi un concept large et polysémique, nous avons
confronté quelques conceptions de ce dernier selon différents
auteurs à l'instar de J.-P Sartre (le corps-pour-soi et le
corps-pour-autrui) ; M. Merleau-Ponty (le corps-vécu ou
corps-propre) et G. Marcel (le corps-instrument ou corps-objet et le
corps-sujet).
Enfin, le chapitre a débouché sur une conception
panoramique de la liberté nonobstant l'impasse de faire une
classification systématique et unanime des libertés. Qu'à
cela ne tienne, nous avons essayé de classifier les libertés
selon les différents domaines d'application. Cela étant, nous
pouvons citer en titre d'exemple : liberté politique,
liberté métaphysique, liberté de, liberté à,
liberté pour, liberté contre etc. En dépit de toutes ces
conceptions, comme nous l'avons déjà dit
précédemment, la liberté authentique tire son fondement
dans la substance de l'homme en tant qu'être-incarné, rationnel et
ayant la volonté. Cette conception métaphysique de la
liberté est relativement proche de celle de notre auteur que nous aurons
à préciser davantage sa position et son apport dans le chapitre
qui suit.
CHAPITRE DEUXIEME :
GABRIEL MARCEL ET LE MYSTERE DE LA LIBERTE
INTRODUCTION
La littérature existentialiste nous a
légué une innombrable richesse sur différentes
thématiques et a donné à la philosophie un nouvel
élan en se questionnant dorénavant sur les questions ayant trait
aux données existentielles. Notamment le questionnement sur la
liberté, la mort, la destinée, l'autre, la raison d'être
dans le monde, etc. Attentif aux différentes questions de son temps, G.
Marcel n'a pas laissé inaperçu ces différentes questions
existentielles ; il y a apporté sa contribution à travers
ses réflexions métaphysico-philosophiques.
Comme nous le savons bien, Marcel fait partie du courant des
existentialistes bien que lui-même ne s'est jamais autoproclamé
existentialiste. Il ne voulait pas en effet enfermé sa philosophie dans
un « isme » doctrinaire. Toutefois s'il paraissait
nécessaire que l'on puisse qualifier sa pensée, il
suggérait que son mode de penser soit apparenté à un
« néo-socratisme » ou à un
« socratisme chrétien ». En tant qu'existentialiste
converti au christianisme, spécifiquement au catholicisme, il est
convaincu que la transcendance loin de nier ou de contrecarrer la
liberté de l'homme, l'éveille et la suscite31(*). En d'autres termes, le
rapport de l'homme avec l'Absolu ne diminue pas sa liberté mais
plutôt l'accroit étant donné que l'homme ne peut
prétendre s'égaler à la causa sui
c'est-à-dire Dieu.
Ce chapitre de notre travail, va tenter de mettre au clair la
réflexion qu'a menée le philosophe de l'espérance sur la
liberté, tout en étant conscient que cette dernière n'est
pas un attribut que l'on posséderait une fois pour toutes mais elle est
plutôt une réalité à devenir et à
conquérir continuellement. Ainsi, sommes-nous toujours invités,
comme le dit Marcel, à faire librement de nous-mêmes des hommes
libres32(*).
II.1.
LIBERTE, MYSTERE OU PROBLEME ?
II.1.1. liberté et problème
Le couple liberté et problème est
d'emblée facile à utiliser dans le langage courant mais à
y voir de près, ces deux éléments sont inconciliables par
le fait même qu'ils présentent une incompatibilité
ontologique, selon l'approche métaphysique de G. Marcel. Partant de la
définition étymologique du terme
« problème », « problema » vient
de « pro-ballô » qui veut dire « jeter
devant », « objectiver ». Le problème est
pour ainsi dire « quelque chose qui barre la route et contre quoi
l'esprit vient buter à un moment donné de la recherche comme le
pied sur une pierre »33(*).
Eu égard à ce qui précède, la
liberté ne peut pas être de l'ordre du problème puisqu'elle
n'est pas une chose « jetée devant » moi et que je
peux objectiver. En m'interrogeant sur la liberté je ne peux pas
séparer le « moi » ; sujet qui s'interroge et
la liberté considérée comme objet d'interrogation, parce
que la liberté est une réalité dans laquelle je me trouve
entièrement engagé.
Quand un problème se pose devant moi, j'ai la
possibilité de le cerner, le réduire, le manipuler, l'objectiver
car ses données sont extérieures à moi. Cela étant,
la caractéristique du problème est de se placer « en
dehors » de moi et j'ai la possibilité d'y apporter une
solution. Par exemple la faim est pour l'homme un problème parce que
pour y remédier il faut avoir de la nourriture et manger. D'autres
problèmes sont d'ordre scientifique et technique où il suffit
seulement de faire des recherches pour arriver à les solutionner. Par
ailleurs, la liberté est liée à notre nature d'homme en
tant qu'être-incarné, c'est la raison pour laquelle je ne peux pas
imaginer une liberté abstraite et désincarnée qui se
trouverait quelque part dans un monde hypothétique. Marcel l'avait
déjà bien compris quand il disait que la plénitude de la
liberté c'est notre être.34(*) Il ne s'agit pas ici d'un être abstrait ou
conceptuel mais il s'agit bel et bien de l'homme en tant
qu'être-incarné considéré, selon Marcel, comme
repère central de la réflexion métaphysique.
Pour ce faire, l'homme étant le seul existant-libre ne
peut pas penser la liberté comme une réalité se trouvant
à l'extérieur de lui-même. Marcel à travers ses
réflexions philosophiques n'a jamais cessé de rappeler que la
liberté est certainement une réalité dans laquelle je suis
engagé non pas par quelques aspects particuliers de mon être mais
plutôt engagé pleinement.
En résumé, nous constatons que la
caractéristique spécifique du problème est d'être
« devant moi », « à l'extérieure de
moi », « au-delà de moi ». Sur ce, la
liberté n'est pas compatible avec la notion du problème du fait
que l'interrogation que je fais sur ma liberté ne peut trouver une suite
favorable que si je prends conscience que la liberté est de l'ordre de
« l'en-moi » autrement dit, mettant ensemble le sujet (moi)
et l'objet d'investigation (la liberté). Si la liberté n'est pas
un problème, alors qu'est-ce qu'elle est?
II.2.
liberté et mystère
Nous avions déjà abordé dans le chapitre
précédent la distinction entre mystère et problème,
néanmoins le retour sur cette distinction est loin d'être une
vaine répétition, mais il est davantage un approfondissement de
ces éléments qui ont été au coeur de la philosophie
de G. Marcel. En effet, le concept mystère est utilisé aussi bien
dans le domaine religieux que dans le domaine philosophique. Même chez
les communs de mortels, le mystère est utilisé pour
désigner ce qui les dépasse. En théologie le
mystère ne signifie pas ce que l'on ne comprend pas mais par contre, il
désigne ce que l'on comprend mais l'on ne parvient pas à
épuiser ou à saisir la sémanticité totale.
De ce qui précède, nous sommes en plein droit de
nous poser la question sur ce que signifierait alors le mystère selon
Marcel. Pour lui, par opposition au problème, le mystère est
« quelque chose où je me trouve engagé non pas
partiellement par quelques aspects déterminés et
spécialisés de moi-même mais au contraire engagé
tout entier en tant qu'unité »35(*). C'est ainsi que s'éclaircit du coup cette
unité ontologique entre la liberté et le mystère. En
effet, comme le mystère, la liberté n'est pas une
réalité que je peux chercher « devant moi »
ou en « dehors de moi ». Elle est plutôt au-dedans
de moi, elle est l'élément essentiel qui me fonde en tant
qu'homme, elle est, comme le dit Bosomi, la toute première
propriété de l'existence humaine36(*).
Si l'homme peut se distinguer de tous les autres êtres
vivants, c'est parce qu'il est fondamentalement libre. En outre, cette
liberté n'est pas une réalité
« objectivable » c'est-à-dire, une
réalité considérée comme un problème auquel
une solution est possible, parce que l'homme qui se questionne sur la
liberté fait partie intégrale de l'objet de son questionnement.
De ce fait, considérer la liberté comme un problème c'est
le méconnaitre, le réduire, l'avilir, voire le nier.
Ainsi, l'acte par lequel je pense la liberté, est
l'acte même par lequel la liberté se constitue. La liberté
n'est pas et ne peut être quelque chose que je constate ou quelque chose
que peux retrouver quelque part, elle est par contre quelque chose que je
décide et m'y investis totalement.37(*) Pour clore, retenons simplement que pour Marcel la
liberté ne peut être pensée que par la liberté, elle
se crée ou se constitue elle-même en se pensant. Nous nous
trouvons ici devant un cercle mais qui n'a rien de vicieux.
II.3.
Liberté et Avoir.
La notion de « être et avoir » est
parmi les notions clés qui ont valu à G. Marcel la
notoriété et la popularité dans le monde philosophique. En
effet, le terme avoir renvoie à beaucoup de choses qu'il est difficile
de saisir son vrai sens. Il faut aussi reconnaitre que le rapport entre
l'être et l'avoir présente une complexité énorme
à telle enseigne qu'on est tenté d'identifier ou d'assimiler
l'être en avoir et de transmuer l'avoir en être.
N'avons-nous pas tendance à dire facilement quand nous
voyons les pauvres quémandant au bord de la route qu'ils ne sont
rien ? Ne sommes-nous pas aussi tentés de nous identifier et
surtout d'identifier les autres à l'avoir ? Combien de congolais
cherchent à confirmer leur être en fonction de ce qu'ils
possèdent comme biens ?C'est pourquoi la complexité et
l'ambivalence du concept avoir nous amène à écarter les
différents contextes dégradés et presque
évanouissants dans lesquels ce concept est souvent utilisé. Nous
ne toucherons pas ici les expressions telles que : avoir faim, avoir mal
à la tête, avoir besoin de... Nous ne nous attacherons qu'aux
exemples où l'avoir est manifestement pris avec l'accent fort et
précis, là où il désigne une possession,
et du lien qu'il entretient avec la liberté.
Marcel signale au départ que dans tout
avoir-possession (chose, objet ou tout ce qui peut être
assimilé à une chose) se trouve un
« quid » revendiqué par un
« qui »traité comme centre
d'inhérence ou d'appréhension38(*). En d'autres termes, on remarque une tension entre un
« qui » possesseur et un « quid »
possédé, cette tension se révèle d'abord par la
possibilité d'utilisation. Bien que cette dernière ne
caractérise pas totalement l'avoir, elle est très importante par
le fait qu'elle nous permet de bien comprendre et saisir jusqu'à quel
niveau peut aller la déclaration sur l'avoir. On peut facilement dire
que l'on a une maison, une voiture, un ordinateur, un téléphone
etc. Mais quelqu'un ne peut jamais déclarer qu'il a la lune ou le soleil
qu'il garde comme possession chez lui à la maison, parce que les
possibilités d'utilisation ou de manipulation sont quasi impossibles.
De ce qui précède, nous comprenons que
l'avoir-possession implique donc trois aspects39(*).
· Une revendication exclusive du moi ;
· Un souci d'entretient ;
· Et une puissance qui me permet soit de me faire
obéir soit de disposer des choses que j'ai.
a) Une revendication
exclusive du moi
Si quelqu'un, en faisant l'inventaire de ses biens
déclare : « j'ai un chat », cette
déclaration montre que ce chat n'appartient exclusivement qu'à
lui seul comme sujet et par conséquent, les autres sujets ne peuvent pas
revendiquer le chat qui est sien. De ce fait, Marcel souligne que toute
affirmation portant sur un avoir semble bien être bâtie en quelque
sorte sur un modèle de prototype où le «qui »
n'est autre que moi-même40(*). Autrement dit, l'avoir ne tire sa force et sa valeur
qu'à l'intérieur du « j'ai ». Le moi qui dit
« j'ai » s'apparait à la fois comme point central
par rapport à son avoir, en plus il nait une tension avec les autres
sujets qui cherchent à revendiquer ce qu'il a.
La chose qui m'appartient existe indépendamment de moi,
je peux la prendre, la manipuler à mon gré, la transmettre et
même la communiquer étant donné qu'elle est
extérieure à moi. Néanmoins, si on change de registre et
qu'on déclare : « Ma tête
m'appartient » cette déclaration parait risible d'autant plus
qu'on ne peut pas imaginer que quelqu'un d'autres puisse émettre des
prétentions de posséder ma tête.
Il est clair que quand il s'agit des parties du corps la
question sur l'avoir se pose autrement car on ne peut pas voir quelqu'un qui
peut donner à l'autre le pouvoir d'utiliser son corps comme un
instrument, un outil. En effet, ce que j'ai, ne me reste pas absolument
extérieur, j'essaie au contraire, de l'ajouter au moi central, de le
faire entrer en moi jusqu'à être tenté de m'identifier
à ce que j'ai. Aussi, plus l'accent mis sur l'avoir, sur la possession
sera fort, moins il sera légitime d'insister sur cette
extériorité qui caractérise l'avoir41(*). Par conséquent, notre
être qui est notre liberté se trouve menacé,
dégradé, bousculé et même nié par ce fait que
nos possessions nous affectent et finissent par nous dévorer et nous
réifier. Ceci est un grand danger pour l'épanouissement de notre
liberté.
b) Le souci
d'entretien
La notion de l'avoir ne s'écarte pas de celle du souci
d'entretien de l'avoir. En effet, mon chat n'est à moi que si je prends
soin de lui. En d'autres termes, dès que j'ai quelque chose, je m'oppose
aux autres qui n'en ont pas et pourraient peut-être me le prendre. Il y a
tendance à développer une intersubjectivité
négative, quand l'avoir prend le primat et cherche à se transmuer
en être. Marcel constate aussi que la possession implique dans la plupart
de cas une relation de tension entre « moi » et les
« autres »42(*). Ceci est possible dans ce sens qu'en face des
autres ou du monde en général je me sens davantage
« moi », alors je serre contre moi cette chose qui risque
de m'être arrachée et je tente désespérément
de l'incorporer, de former avec elle une unité indécomposable.
Bref, chercher à valoriser l'avoir au détriment de l'être
est un danger énorme pour la liberté.
De ce fait, à part l'intersubjectivité
négative que peut engendre la primauté mise sur l'avoir, il faut
aussi souligner que l'avoir a toujours le risque de créer pour son
propriétaire une foule de craintes, d'anxiété et un
état permanant de « souci ». Pour comprendre, il
suffit d'observer la réaction de gens qui sont autours de nous quand il
y a coupure du courant électrique ou bien quand il n'y a pas de
connexion wi-fi, même quand il n'y plus l'abonnement canal+. Le constat
est quasiment désolent et nous donne matière à
réfléchir sur la place que nous donnons aux objets et la
dépendance qui nous lie à l'avoir. Le constat est une
désolation d'autant plus que la liberté authentique se distingue
de l'addiction.
c) Maître ou
esclave de l'avoir ?
Il est vrai que dans la plupart de cas l'avoir et le pouvoir
s'impliquent. En effet, « je peux » signifie souvent
« j'ai le pouvoir de... », « Je suis maître
de... ». Ainsi, le « j'ai » ou sujet-possesseur
est considéré dans ce sens comme un être doué de
pouvoirs. Je n'ai donc que ce dont je peux en quelques sortes disposer
et contenir. Nous sommes alors les maîtres de l'avoir aussi
longtemps que nous gardons une certaine indépendance par rapport
à l'avoir et nous évitons dans la mesure du possible de
réifier notre être. C'est en cela que consiste le soubassement de
la liberté.
L'illustration que Marcel utilise est très
significative. Certes, il part d'une conception abstraite de l'avoir en tant
que « idée », « opinion »,
« conviction ». Plus je traiterai, déclare-t-il, mes
idées ou mes conviction comme quelque chose qui m'appartient et par
là même je m'enorgueillis inconsciemment peut-être, plus ces
idées et ces opinions tendront à exercer sur moi une sorte de
tyrannie jusqu'à me rendre fanatique de ces dernières.43(*) Il est question dans l'exemple
précédent d'une injustifiable aliénation de la personne
par rapport à ses propres convictions et idéologies. Sans doute,
nous trouvons-nous ici devant une dégradation et une négation
indubitable de la liberté, puisqu'elle est comprise aussi comme une
absence des contraintes non seulement extérieures mais surtout
intérieures.
Si l'idéologue est l'un des types humains le plus
redoutable qui puisse exister c'est parce qu'il se rend lui-même
inconsciemment esclave de sa propre idéologie et cet esclavage tend
à se convertir au dehors en tyrannie (ex : le nazisme d'Adolphe
Hitler). Cependant, le penseur véritable quant à lui, est
perpétuellement en garde contre toute aliénation et
toutepétrification possible de sa pensée.
III.
La liberté comme dépassement d'une phénoménologie
du vouloir
Si nous questionnons l'homme de la rue sur ce qu'il entend par
liberté, il est à croire que sa réponse sera
approximativement : « Pour moi la liberté, c'est de
faire tout ce que je veux ». Il pourra sans doute donner comme
argument la multiplication des techniques de plus en plus perfectionnées
et articulées qui lui accroissent cette faculté de faire ce qu'il
veut. 44(*)
Il est clair que l'évolution de la technique et des
sciences humaines permet à ce que l'homme se sente épanouit
davantage par rapport à la précarité à laquelle il
était asservi jadis. Il ne faut pas toutefois oublier que cet
asservissement qui se vivait dans le passé n'excluait nullement la
possibilité de l'homme à accéder à une
liberté intérieure. En d'autres termes, on peut être
placé dans les conditions qui impliquent une réduction au minimum
du confort technique et de tous de qu'on est habitué à
considérer comme indépendance, et faire cependant
l'expérience d'une liberté plus profonde que celle qu'on pourrait
faire dans une vie normale. Prenons l'exemple des moines contemplatifs qui,
pour un motif supérieur de la religion et de charité, renoncent
aux avantages qu'offrent la technique, néanmoins ils vivent infiniment
libre plus que ceux qui s'encombrent des biens. Retenons que la technique
facilite le « faire » mais engendre encore plus des besoins
artificiels et non nécessaires tandis que la liberté authentique
ne porte pas sur le faire.
Revenons et analysons la phrase du
départ : « Faire tout ce que je veux »
cette affirmation souffre en quelque sorte d'une ambigüité d'autant
plus que celui qui la profère semble confondre la
volonté et le désir. Or les philosophes sont
unanimement d'accord que l'homme soumis au désir n'est
intérieurement libre. En outre, nous avons dit au début de notre
travail que la liberté véritable n'est pas de l'ordre du
désir. Sur ce sujet Marcel déclare en effet que je ne
m'appartiens principalement comme un homme libre que quand je suis amené
à vouloir contre mon propre désir, à condition, bien
entendue, qu'il ne s'agisse pas d'une simple veillété.45(*)
Ce faisant, la liberté doit aller au-delà d'un
simple vouloir qui, en y voyant de près, a tendance à se
réduire à une simple obéissance à nos
désirs. Car si j'accorde à mes désirs le pouvoir de me
réduire en servitude, je me mets par là même de plus en
plus à leur merci. Ainsi, D. Bosomi avait constaté aussi cette
collaboration et complicité entre la liberté et la
volonté en soutenant que c'est la volonté qui pousse la
liberté à ne pas se croire dans un état statique, à
réaliser pleinement sa nature de conquête qui se fait jour
après jour. Aussi, la volonté pousse l'homme à
dépasser tous les conditionnements qui le maintiennent dans un cercle
restreint pour aller plus haut46(*). En résumé, la volonté est
l'âme même de la liberté dans le sens où elle lui
fournit l'énergie nécessaire pour se dépasser, d'aller
au-delà d'un simple vouloir qui tend à s'assujettir dans certains
cas au désir.
IV.
Don et liberté
Les réflexions de G. Marcel sur la liberté ne se
sont pas limitées seulement à la conception de la liberté
comme « pouvoir de choisir » mais elles sont allées
au-delà pour saisir la liberté comme « un appel
libérateur qui fait passer l'homme du clos à
l'ouvert »47(*). Autrement dit, la liberté que
prône l'auteur du Refus à l'invocation n'est pas une
liberté qui nous enferme sur nous-mêmes mais elle est une
ouverture vers autrui.
Par ailleurs, bien que ce ne soit pas le cas, le don
ou la grâce parait de l'ordre du problème par le fait
qu'il est considéré comme venant du dehors de moi mais
nécessitant une disponibilité pour l'accueillir.
De ce fait, G. Marcel déclare dans une interview
inédite accordée à G. d'Aubarède que la
différence fondamentale entre J.-P Sartre et lui c'est qu'il n'a jamais
pu considérer la liberté comme absolu. Aux yeux de Marcel, la
liberté ne peut exister à condition de s'articuler sur une
grâce reconnue comme telle48(*). C'est à travers cette déclaration que
s'éclaircit sa position en ce qui concerne la liberté et
Transcendance. Sur ce, il s'avère important de retenir que pour lui la
Transcendance ne nie ni ne contrecarre la liberté de l'homme mais par
contre, il l'éclaire, l'éveille et la suscite. Par
conséquent, « la liberté n'est plus le pouvoir
d'être par soi, ni même pour soi, elle devient
plutôt l'actif laissez-passer accordé à l'appel
libérateur49(*) ». Dans la perspective marcellienne, un
acte est libre quand il n'est plus un pouvoir angoissant de l'alternative mais
devient une réponse joyeuse à l'appel qui se veut
libérateur. C'est-à-dire qui allège pour nous ce fardeau
qui s'appesantit sur nos épaules et semble devoir nous jeter un jour
face contre terre.
Eu égard à ce qui précède, nous
pouvons dire que Marcel marque ainsi la différence entre lui et d'autres
philosophes non-chrétiens quand il soutient que la liberté est
comme un don ou une volonté qui doit se maintenir dans la grâce.
D'ailleurs, dira-t-il plus tard, la vérité de la liberté
est sans doute de résorber son pouvoir, sa subvention et sa puissance de
contraire. D'après lui, de même que la philosophie par du refus
à l'invocation, la liberté va du dilemme au consentement50(*). En plus, dans une
conférence inédite qui avait comme intitulé «
la liberté et le don », P. Ricoeur souligne qu'il était
question de démontrer la manière dont « la grâce
et le don » s'articulent l'un sur l'autre parce que la liberté
pensée sans référence à la grâce risque de
perdre toute valeur et toute signification51(*).
Grosso modo, nous avons constaté tout au long
de ce point la place prépondérante que Marcel accorde à la
grâce quand il parle de la liberté. D'ailleurs, il va
jusqu'à dire que la liberté est au service de la
grâce. En parlant, du don mieux encore de la grâce, les autres
philosophes surtout les non-chrétiens, utilisent le
terme « valeur » pour signifier la même chose
que G. Marcel. De ce fait, la valeur se présente comme un
thermomètre pour faire la distinction entre la liberté
authentique et celle que nous appelons prétendue.
V.
liberté et déterminisme
Le couple « liberté et
déterminisme » présente un caractère
polémique et tonitruant. Cette « polemos » provient
évidement de leur fondement substantiel. En effet, l'existence de l'un
est une négation absolue de l'autre, en d'autres termes accepter que
l'homme est un être déterminé c'est nier sa nature
même d'homme parce que la liberté humaine se définit comme
absence des contraintes intrinsèques et extrinsèques52(*). De ce fait, le
déterminisme est une négation radicale de la liberté parce
qu'il efface tout ce que nous avions soutenu jusqu'ici que la liberté
fait l'homme, elle est l'essence de l'homme et que l'homme ne se définit
que par la liberté.
Le déterminisme est une doctrine qui soutient que
l'homme serait un être déterminé par avance d'où son
agir, ses facultés, son avenir, sa destinée sont
programmés au préalable par une cause autre que lui, qui peut
être soit la nature soit Dieu.53(*) Il s'avère important d'établir un
distinguo entre ces deux expressions : « être
déterminé » et « se
déterminer ». La première veut dire qu'un individu
subit une détermination, qu'il la reçoit d'un être qui est
extérieur. La seconde signifie qu'il se la donne lui-même tout en
se servant de sa raison. Cela étant, Bosomi voit dans le
déterminisme une doctrine dangereuse, car en niant la liberté, il
évacue l'homme de ses responsabilités dans l'agir. Ceci est un
grand danger pour la philosophie morale d'autant plus que l'homme ne peut pas
se défaire de ses responsabilités et continuer à s'appeler
homme. Il aurait perdu par là même le sens de son
être.54(*)
L'imputabilité des faits est possible seulement dans
l'affirmation de la liberté. L'homme n'est pas libre de se
désengager de sa responsabilité. S'il le faisait c'est serait
nier le pouvoir de répondre à ses actes qui fait partie
intégrale de sa nature55(*). Ainsi, la liberté dont il question pour
l'homme est d'assumer l'entière responsabilité de ses actes.
Autrement dit, si l'homme se disculpe de la responsabilité de ses actes,
il cherchera un bouc émissaire sur qui inculper sa
responsabilité. Ceci nie véritablement la compréhension
métaphysique de la liberté car nous avions dit naguère que
l'homme est métaphysiquement libre si certaines de ses pensées,
certains effets de ses actes et certains effets produits sur le monde
extérieur n'ont pas d'autre cause que lui-même56(*).
En dépit de tout ce que nous venons de dire, la
question de savoir si l'homme est libre ou déterminé persiste
toujours. Cependant, la réponse à cette question ne viendra pas
des ouvrages de philosophie ou de métaphysique. La réponse devra
provenir, comme le souligne Bosomi, de l'expérience de chaque personne
de se demander si tout ce qu'il accomplit tient de la liberté ou du
déterminisme57(*).
D'ailleurs si tout ce qu'il fait était déterminé, il ne se
poserait même pas une telle question, car il manquerait justement la
liberté de se la poser.
VI.
Liberté rationnelle et Liberté axiologique.
A travers ce point de notre travail, nous allons essayer de
saisir d'un côté la relation entre la liberté et la raison
et de l'autre côté la relation entre liberté et la valeur.
En effet, ces deux couples sont en intime collaboration, nous pouvons
même dire qu'ils sont inséparables. D'où d'une part, il n'y
a pas de valeur sans liberté, pas de liberté sans valeur et
d'autre part il n'y a pas de liberté sans raison de même pas de
raison sans liberté.
Pour comprendre ce que nous avons ci-haut, il nous semble
nécessaire d'analyser d'abord le couple
« liberté-raison ». En effet, la liberté en
tant que pouvoir d'agir sans contrainte intrinsèque et
extrinsèque doit être nécessairement éclairée
par la raison. La liberté dépourvue de la raison est aveugle de
même la raison sans liberté est enchaînée. Les
sciences modernes et expérimentales notamment la psychologie sont
parvenues à affirmer qu'il y a certains agirs humains qui sont purement
de l'ordre de la pulsion et si on s'y attache trop on tombe dans l'état
d'animalité absolue. Autrement dit, il n'y aurait aucune
différence entre l'animal et l'homme si ce dernier ne suivait pas la
voie de la raison.
En outre, la raison éclaire et purifie la
liberté pour qu'elle ne tombe pas dans « le
libertinage » qui est une dégradation totale de la
liberté. L'exemple éloquent c'est de prendre le cas d'un homme
qui a faim mais il n'a rien dans sa poche pour se procurer de quoi manger. Ses
pulsions le poussent vers un étalage de fruit pour
récupérer illicitement ce qui s'y trouve. Mais la raison lui
permet de se poser des questions sur la moralité de l'acte qu'il veut
poser. D'où nous sommes même tentés de dire qu'un homme
n'est libre que quand il agit rationnellement, il ne l'est pas lorsqu'il se
laisse déterminer par ses passions, ses sentiments, ses émotions,
c'est-à-dire tout simplement quand il se laisse diriger par son corps
La compréhension commune de la liberté veut
malheureusement que la liberté soit un pouvoir absolu de faire tout ce
que l'on veut. Cependant, il s'avère nécessaire de signaler que
la raison n'amenuise pas la liberté mais plutôt elle
l'éclaire et la garde de toute dégradation possible. A cela,
Bosomi souligne qu'on ne peut pas parler de la liberté sans parler de la
raison, sinon cela n'aura pas de sens de même qu'on ne peut pas parler de
la raison sans parler de la liberté58(*).Ces deux éléments marchent ensemble et
sont inséparables. Ainsi, la liberté humaine est rationnelle
comme la raison est libre. En éclairant la liberté, la raison
guide l'acte libre vers les valeurs, ainsi il nous faut aborder aussi le couple
« liberté-valeur »
Le deuxième aspect à ne pas ignorer quand il
s'agit de la liberté c'est la « valeur ». L'acte
libre est un acte tourné vers une valeur, sans la valeur l'acte libre
perd sa finalité. C'est pourquoi, le philosophe de l'espérance
disait toujours que c'est une grande illusion de penser que le mot
liberté peut conserver une signification quelconque là où
le sens des valeurs a lui-même disparu59(*).En d'autres termes, une liberté sans valeur
perd tout son sens. A part qu'un acte libre soit rationnel, il doit surtout
nous mener vers un « Bien ». Ainsi voyons-nous que la
raison et la valeur donnent à la liberté un équilibre
ontologique dont elle en a besoin en permanence.
Une liberté qui nous mène à un vice n'en
est pas une, elle devient un libertinage qui, à son tour est, comme nous
le savons déjà, la forme la plus dégradée de
la liberté humaine. La conception de Marcel est très
exceptionnelle en ce qui concerne la notion de la valeur. En effet,
d'après lui « grâce et valeurs »
s'équivalent, l'un peut signifier l'autre et vice-versa. Par ailleurs,
il remarque deux graves problèmes auxquels se heurte l'époque
contemporaine quant à l'approche de la liberté. La
première conception est celle du matérialisme et du fatalisme qui
malheureusement dénient à l'homme toute liberté pour ne
voir en lui que la résultante des séries causales infiniment
complexes. La seconde est celle qui érige la liberté en absolu,
qui nie à son tour toute Transcendance véritable.
Aussi, les valeurs sont transcendantes étant
donné qu'elles équivalent à la grâce qui, aussi ne
nous vient que de la Transcendance. Cela étant, la grave erreur
qu'aurait commise J.-P Sartre, déclare Marcel, c'est d'avoir
dégradé les valeurs en les subordonnant entièrement
à l'homme qui, ne sera libre que s'il est capable de tout choisir, y
compris même ses valeurs60(*). A la différence de Sartre, la valeur est
essentiellement, pour Marcel, quelque « chose qui ne se laisse pas
choisir. »61(*)
Cependant, comme nous l'avons dit précédemment,
Marcel déclare avec fermeté qu'une liberté pensée
sans la référence à la grâce risque de perdre toute
valeur et toute signification, parce que c'est la grâce qui rend possible
la liberté qui, pour lui est essentiellement réponse.
C'est pourquoi, il déclara encore lors d'une interview que la
différence fondamentale entre J.-P Sartre et lui, c'est que lui n'a
jamais pu considérer la liberté comme absolu. Elle ne peut donc
exister qu'à condition de s'articuler sur une grâce reconnue
comme telle. « Et quand il s'agit de la grâce,
précise-t-il dans ses écrits, je ne prends pas ce mot dans je ne
sais quelle acception abstraite ou laïcisée. Il s'agit bien de la
grâce du Dieu vivant, de ce Dieu hélas ! Que chaque jour nous
apporte tant d'occasion de le renier... »62(*)
Pour clore, nous constatons que pour Marcel comme pour tout
chrétien, c'est de Dieu, mieux encore du Transcendant que vienne la
grâce, cependant, il n'est pas toujours opportun de faire appel à
la théologie pour prendre une conscience explicite de l'origine divine
de la grâce pour reconnaitre en soi l'action de l'inspiration, de l'appel
à être et à créer. Marcel précise que la
grâce signifie aussi don. De ce fait, ceux qui ne se
réfèrent pas à Dieu parlent des
« valeurs » qui signifie grâce chez Marcel,
et qui sont notamment : vérité, beauté, justice, amour,
fraternité sociale, soulagement de la souffrance, découverte
scientifique, maitrise de la nature etc.63(*)
CONCLUSION
Arrivé au terme de notre chapitre, il à
été question de présenter d'une manière explicite,
à travers tous les points abordés, la compréhension de la
liberté d'après G. Marcel. Certes, l'auteur du Journal
métaphysique reste convaincu que la liberté ne doit pas
s'ériger en absolu, par contre elle doit se laisser éclairer,
éveiller et susciter par la Transcendance. En faisant panoramiquement
un petit retro-voyage dans notre chapitre, nous pouvons dire que nous sommes
partis en premier lieu de la question cherchant à savoir si la
liberté est un mystère ou un problème. A cela, la position
de Marcel est bien claire. Pour lui, la liberté ne peut jamais
être de l'ordre de la problématique car elle n'est pas une chose
« jetée devant » moi que je peux chercher en dehors
de moi. La liberté est, d'âpres Marcel, un mystère
d'autant plus que c'est une réalité dans laquelle je suis
entièrement engagé
Nous avons aussi abordé la question de l'avoir et
la liberté pour évaluer le danger que présente
l'avoir vis-à-vis de notre liberté et celle des autres. D'une
part, quand on exploite l'autre sans tenir compte de sa dignité, on le
réifie, on l'asservit, on l'avilit et on nie son être et
même sa liberté. Et d'autre part, lorsqu'on use mal l'avoir
(possession) ce dernier finit par nous affecter et par dévorer notre
être. En plus, nous avons analysé le
couple « liberté-volonté » qui est un
couple en perpétuel dynamisme. La volonté pousse la
liberté à ne pas se croire statique, mais à
réaliser pleinement sa nature de conquête qui se fait du jour au
jour. Par conséquence, la liberté que soutient Marcel n'est pas
un simple fait de faire tout ce que l'on veut, mais elle est un
dépassement d'un simple vouloir.
Pour ce faire, la question du déterminisme et de la
liberté nous a permis de comprendre cette guerre qui existe depuis
toujours entre ces deux éléments. Le déterminisme est une
négation radicale de la liberté et vice-versa. Certes, il est
difficile d'affirmer si l'homme est déterminé ou pas, la seule
chose que l'on sait, dit Bosomi, c'est que s'il était
déterminé, il n'aurait même pas cette possibilité de
se poser une telle question car il manquerait justement la liberté de se
la poser.
Le dernier point de notre chapitre était celui de
comprendre, le lien intrinsèque entre la liberté et la raison
d'une part et la liberté et valeur d'autre part. Pour ce faire, retenons
que la liberté dépourvue de la raison est aveugle de même
une raison sans liberté est enchainée. En fin, le couple
« valeur-liberté » nous a permis de voir la place
prépondérante qu'occupe la valeur quand il s'agit de parler de la
liberté. Pour Marcel, les valeurs sont transcendantes, elles nous
parviennent sous forme de la grâce qui, elle aussi ne provient que de
Dieu. Par ces mots, il se démarque des autres philosophes
non-chrétiens.
CHAPITRE
TROISIÈME : CRISE DE LA LIBERTÉ DANS LA SOCIETE MODERNE
INTRODUCTION
De toutes les créatures qui existent, c'est à
l'homme qu'il revient de se dire un être libre. Etant donné qu'il
est le seul être qui peut s'interroger sur lui-même, sur le sens
de sa vie, sur sa destinée, etc. Toutes ces interrogations
relèvent du fait qu'il est libre. La liberté permet à
l'homme de prendre des décisions sans aucune contrainte qui viendrait du
monde extérieur comme intérieur. A partir du XIXe
Siècle, notre planète a connu une avancée remarquable dans
beaucoup des dimensions de la vie de l'homme. Nous avons :
l'émergence de la littérature, l'industrialisation de plusieurs
secteurs primaires à cause de la technique, l'avancée de la
médecine et des techniques biomédicales etc. Ceci est un fruit
du génie de l'homme qui ne cesse du jour au jour d'exploiter les
potentialités qu'il possède pour mettre le monde et l'autre sous
sa domination.
Marcel interpelle ses contemporains sur les dangers qui
guettent l'homme à cause de la mauvaise utilisation de la technique.
L'homme vivant dans un monde dominé par la technique a tendance à
dépendre totalement de cette dernière et de l'utiliser pour des
fins propres sans tenir compte de la dignité de l'autre. C'est ainsi
qu'à cause de la technique et au nom de la liberté, certaines
idéologies erronées font rage dans notre société
contemporaine. Il nous faut alors être vigilant et faire preuve d'esprit
critique pour ne pas adhérer ni proférer une liberté qui
avilit l'homme.
A travers ce chapitre, nous mettrons au clair, les
différentes réflexions de G. Marcel sur les techniques
d'avilissement utilisées par les nazis dans les camps de concentration
pendant la deuxième guerre mondiale. Ensuite, nous mènerons une
critique contre la société contemporaine qui est une
société en crise de valeurs. En fin de compte, nous analyserons
certaines théories erronées sur la liberté qui se
véhiculent à travers des idéologies qui restent
malheureusement avilissantes.
III.1. LIBERTE ET TECHNIQUES
D'AVILISSEMENT
II.1.1. Que dire de la technique ?
De prime abord, il importe de mettre au clair la position de
G. Marcel sur la technique. En effet, ses contemporains l'accusent d'avoir le
mépris de toute technique, et une attitude philosophique et politique
rétrogradée. Ils lui reprochent qu'il voit dans la technique
l'origine du mal et qu'il nie la possibilité d'en faire un usage
légitime. De ce point de vue, Marcel lui-même proteste ces
accusations qu'il qualifie d'ailleurs d'absurde. Comment la technique
pourrait-elle être mauvaise ? Est-ce la technique qui est mauvaise ou
c'est l'usage dont nous en faisons qui est mauvais ? Ces questions nous
montrent clairement l'estime qu'a G. Marcel en ce qui concerne l'apport de la
technique pour l'homme dans le but de la maîtrise de la nature.
De ce fait, déclare-t-il : « il serait plus
exact de dire qu'à la rigueur une technique prise en elle-même est
bonne, en tant qu'elle incarne une certaine puissance authentique de la raison,
ou encore en tant qu'elle introduit dans le désordre apparent des choses
un principe d'intelligibilité »64(*).Autrement dit, il refuse de
condamner la technique étant donné qu'il y voit une manifestation
royale du génie de l'homme, capable de se libérer, dans certaines
mesures, des servitudes de l'espace et du temps et d'ordonner rationnellement
des forces de la nature. C'est pourquoi, si latechnique aide à commettre
des crimes ce n'est à elle qu'il faut s'apprendre mais c'est l'homme
lecoupable.
En concluant le débat du 30 novembre 1949 au grand
amphithéâtre de la Sorbonne, G. Marceldéclara :«
Parler d'une culpabilité de la technique n'a pas de sens. Je suis
absolument convaincuque la technique est un fardeau que l'homme a
assumé, il faut qu'il continue à le porter, qu'il s'entire ou
qu'il périsse, mais de toute manière il ne peut plus s'en
délivrer»65(*). En d'autres termes, il est puéril de vouloir
résoudre la crise actuelle en fermant définitivement les usines
et leslaboratoires, une pareille mesure entrainerait une régression
inimaginable de notre espèce.
Les précédentes déclarations montrent
clairement la position de G.Marcel sur la technique.Comme éveilleur de
conscience, il reconnaît les exploits de la technique pour l'homme mais
ildénonce par contre les abus que le monde contemporain tend à en
faire usage. Pour ce faire, legrand danger de la technique réside dans
la confusion entre ces deux éléments « le moyen et la
fin ». C'est-à-dire, la technique devient dangereuse quand
elle est prise comme fin en soi à la placed'être prise comme
moyen. A ce sujet Marcel ajoutequ'aujourd'huiunhomme perd plus la conscience de
sa réalité intimeet profonde quand il est plus dépendant
de toutes les mécaniques dont le fonctionnement lui assure une vie
matérielle tolérable et qu'il se situe de plus en plus dans les
choses, dans les appareils dont il dépend pour exister.66(*)Cette dépendance de
l'homme à la technique est un danger pour l'épanouissement de sa
liberté. A part le danger de la technique auquel nous avons fait
allusion, l'autre réside dans son utilisation pour avilir l'homme.
III.1.4. Les techniques d'avilissement
Nous avons dit précédemment que la technique
n'est pas mauvaise en soi mais c'est l'usage dont en fait l'homme qui est
mauvais. Pour bien comprendre ce point de notre travail, il nous semble
nécessaire de définir le contexte dans lequel G. Marcel parle des
techniques d'avilissement. Il les définit comme « l'ensemble
des procédés délibérément mis en oeuvre pour
attaquer et détruire les individus appartenant à une
catégorie déterminée, le respect qu'ils peuvent avoir
d'eux mêmes, et pour les transformer peu à peu en un déchet
qui s'appréhende à lui-même comme tel, et ne peut enfin de
compte que désespérer non pas simplement intellectuellement mais
vitalement de lui-même»67(*). En d'autres mots, les techniques d'avilissement sont
des moyens intelligemment élaborés dans le but de
dépouiller l'homme de sa dignité, c'est-à-dire de cette
souveraineté qui est considérée comme infrangible et
inviolable.
Les techniques d'avilissement utilisées par les nazis
dans les camps de concentration, pendant la deuxième guerre mondiale
faisaient perdre aux captifs le contrôle d'eux-mêmes jusqu'à
les amener à porter la responsabilité des actes qu'ils n'ont pas
posés. Bien plus, Marcel constate qu'à travers ces techniques,
« il ne s'agissait pas seulement pour les bourreaux d'immerger leurs
victimes dans les conditions matérielles si abjectes qu'elles
étaient vouées, dans bien des cas, à y acquérir
les habitus bestiaux, mais il s'agissait plus subtilement de les
dégrader en encourageant l'espionnage réciproque, en fomentant
parmi les déportés non seulement le ressentiment, mais la
suspicion réciproque. Bref, il était question d'empoisonner les
relations humaines à leur source pour que celui qui aurait pu être
pour l'autre un camarade, un frère, devienne un ennemi, un démon,
un incube »68(*).
Par analogie nous voyons aussi que la même
réalité d'assujettissement qui se vivait dans les camps de
concentrations tenus par les troupes nazis se vit encore aujourd'hui en Afrique
centrale. En effet, dans bien des pays de l'Afrique centrale, on a fait des
massacres, de l'insécurité une monnaie courante. Par
conséquent, dans la partie Est de la R.D Congo lorsqu'on tue une
personne, on constate et puis chacun continue à vaquer à ses
occupations quotidiennes comme si de rien n'était. La population est
tellement habituée à la souffrance et aux tueries que la vie
humaine n'a plus de sens ni de valeur.
De ce fait, G. Marcel part du
témoignage écrit par Mme Jacqueline Richet qui était
jadis prisonnière dans le camp de concentration. Elle dit en
effet : « Les allemands cherchaient partous les moyens
à nous avilir. Ils exploitaient toute lâcheté, excitaient
toutes les jalousies et suscitaient toutes les haines (...) on nous avait
condamné à périr dans notre propres saleté,
à nous noyer dans la boue, dans les excréments, on avait voulu
abaisser, humilier en nous la dignité, effacer en nous toute trace
d'humanité, nous ramener au niveau de la bête
fauve(...)»69(*). Ne
soyons pas tenter de penser que ces événements horribles ne se
vivaient que dans le passé. Aujourd'hui encore, dans différents
endroits où se passe la guerre, la dignité humaine est
bafouée au point de nier à l'homme sa valeur et son estime de soi
dans le but de l'amener à se regarder avec dédain et
dégout. Les rebelles qui sont à l'Est de la RD Congo utilisent
les mêmes techniques d'avilissement pour détruire l'être
humain non seulement intellectuellement mais surtout moralement. En massacrant
la population, ils cherchent à l'humilier, l'abaisser, la
dégrader, à lui ôter sa valeur et sa dignité,
pourqu'en fin de compte l'être humilié sente son propre
néant, et ne se considère plus comme un être humain mais
plutôt comme un rebut de l'espèce humaine70(*).
III.2. CRISE DES VALEURS DANS LE MONDE MODERNE
III.2.1. Dépression des valeurs
Dans le chapitre précédent, nous avons
dégagé le rapport de nécessité qui se tisse entre
la valeur et la liberté. En effet, sans pour autant se ressasser, nous
savons déjà qu'un acte libre doit se tourner
nécessairement vers une valeur parce que sans la valeur l'acte libre
perd son sens et sa finalité. Marcel a prévenu ses contemporains,
il nous prévient aussi aujourd'hui, contre toute dégradation des
valeurs au nom d'une prétendue liberté. Une liberté qui
nous mène vers un vice n'en est pas une, puisqu'il est de son essence de
nous mener vers un « bien ». Cependant, l'époque
contemporaine est confrontée à plusieurs idéologies
avilissantes qui découlent de la mécompréhension et du
mauvais usage du concept « liberté ».
De nos jours, nous assistons à une dégradation
des valeurs. L'homme contemporain ne veut plus s'appuyer sur tout ce qui est
valeur morale, culturelle et religieuse. D'ailleurs celui qui ose parler des
valeurs est pris pour un aliéné voire taxé d'être
rétrogradé. Nous voyons qu'aujourd'hui au nom de la
liberté les sociétés occidentales sont en pleine
dégringolade à cause de la théorie du
« genre » appelée autrement « the
gender ». De ce fait, on ne parle plus du sexe masculin ou
féminin comme c'était à l'époque, car chaque
personne est libre de choisir son orientation sexuelle selon son vouloir.
Hélas ! Une liberté conçue de cette manière
devient un vice puisqu'elle est un facteur de la
dégénérescence des relations interpersonnelles. C'est
contre la nature qu'une personne née biologiquement homme se
décide de changer de sexe et vouloir devenir une femme.
Il est inacceptable que l'homosexualité, le
lesbianisme, le transgender, la bisexualité soient pris comme des
valeurs découlant d'une liberté authentique. A notre sens, ces
pratiques sont une déviation des personnes ayant perdu le contrôle
de leurs corps et étant soumis aux pulsions intérieures. Sans
doute, loin de tomber dans une quelconque homophobie, nous savons pertinemment
qu'une personne dirigée par ses pulsions, ses émotions et ses
sentiments n'est aucunement libre. On est libre, d'après Marcel, quand
on parvient à vouloir contre ses propres désirs71(*). Ainsi, la liberté
qu'il préconise n'est pas de l'ordre du désir.
Les découvertes et les expérimentations dans le
domaine biomédical sont devenues alarmantes. Certes, de nos jours il
s'avère important de se poser de question sur la portée
éthique de différentes expériences faites dans les
laboratoires biomédicaux. Il y a plusieurs techniques qui sont en train
de voir le jour et qui permettent en effet de répondre à certains
problèmes d'ordre biologique et médical. Cependant, la plupart de
ces découvertes ne se posent pas la question sur la place de l'homme et
sa dignité. Est-ce que les différentes découvertes et
expérimentations biomédicales accroissent la dignité de
l'homme ou elles l'avilissent davantage ? Il est un impératif pour
nous de nous interroger sur la valeur de l'homme dans un univers en course vers
la techno-science.
Pour ce faire, de nos jours la technologie biomédicale
peut aller jusqu'à modifier même la composition
génétique de la personne humaine. Nous savons déjà
que les expériences ayant trait à la manipulation
génétique abondent dans notre société
contemporaine, nous avons à titre d'exemple : les banques des
spermes, la fécondation in vitro et les bébés
éprouvettes, parthénogenèse expérimentale, gel des
embryons et réimplantation, la conception par parents multiples et
mères porteuses, clones etc.72(*)
Nous constatons amèrement que dans toutes ces pratiques
ci-haut citées, la vie humaine subit une dégradation ineffable.
Dans beaucoup d'Etats occidentaux l'avortement et l'euthanasie sont
déjà légalisés. Par conséquent, la
sacralité de la vie humaine n'est plus le principe de base de toute
juridiction, faute d'une prétendue liberté qui accorde à
toutes les personnes le pouvoir absolu de décider si elles veulent
garder la grossesse ou pas, et dans certains cas si elles veulent vivre ou
mourir. Ceci est une interpellation pour le continent africain
caractérisé par un mimétisme en outrance.
III.2.3. Dégradation de l'idée de service
Dans ce monde caractérisé par l'émergence
des techniques et des industries, il est important de s'arrêter un bon
bout de temps pour s'interroger sur la place et la valeur de l'homme dans tous
ces changements qui se déroulent à une vitesse supersonique. La
triste réalité c'est que le monde contemporain est tenté
davantage à réduire l'homme aux fonctions qu'il rend dans la
société. De ce fait, Marcel constate que l'époque
contemporaine se caractérise par ce qu'on pourrait sans doute appeler
« la désorbitation de l'idée de
fonction ». C'est-à-dire, l'individu tend à
s'apparaitre à lui-même et à apparaitre aux autres comme un
simple faisceau de fonction73(*).
Réfléchissant sur la civilisation industrielle
et technicienne de 1933, Marcel se rend compte que dans cette civilisation
l'accent est beaucoup mis sur la notion de fonction. Pour ne pas limiter
d'application et aller dans la profondeur des choses, il préfère
considérer cette notion dans son acception générale.
Ainsi, définit-il la fonction comme « quelque chose que l'on
a »74(*). Sur
ce, la fonction est une réalité faisant partie de l'ordre de
l'avoir. Cette définition générale englobe à la
fois les fonctions vitales, psychologiques et sociales. Les fonctions
nutritives et sexuelles font partie de la fonction vitale, aussi les fonctions
sociales correspondent-elles aux différentes tâches et service que
l'on peut bien rendre dans la société telle que médecin,
infirmier, agriculteur, artiste etc. Les fonctions psychologiques quant
à elles, se situent au milieu de deux autres.75(*)
En effet, Marcel ne voit pas du mal en ce que l'homme soit
invité à accomplir différentes fonctions dans la
société. Il n'est donc pas mauvais qu'un menuisier vaque
librement à son travail ou qu'un chauffeur de transport en commun fasse
son travail pour faciliter le déplacement intra-urbain. A ce sujet
Marcel, s'interroge : « la noblesse de l'homme ne
consiste-t-elle pas après tout à s'acquitter le mieux possible
des fonctions qui sont les siennes ?»76(*)
La notion de service prend donc des allures dégradantes
et dépréciatrices quand on en fait un usage abusif et quand la
société technocratique en fait une généralisation
pathologique. Par conséquent, la dignité humaine est
reléguée au second plan et c'est maintenant le travail et le
rendement qui définissent l'homme. Le service devrait être fait en
principe dans le respect de la dignité du serviteur.
C'est-à-dire, l'employé doit à tout prix jouir de ses
droits fondamentaux et être payé en fonction du contrat
signé.
Par ailleurs, dans les sociétés technocratiques,
l'homme est pris comme une machine de production et cela en dépit de sa
liberté et sa dignité. Le grand défi des
sociétés industrialisées est, d'après Marcel, le
fait que « l'individu est amené à se traiter
lui-même de plus en plus comme un agrégat de
fonction »77(*).
En d'autres termes, l'homme est dégradé lorsqu'il se
réduit à un simple faisceau des fonctions vitales et sociales.
Une société ainsi fondée réduit l'individu à
une seule de ses dimensions, elle le rend semblable à une machine et
traite l'homme comme un matériel.
De ce qui précède, il s'avère
nécessaire de s'interroger sur les conséquences de la
dégradation de l'idée de service. Marcel souligne en premier lieu
la tristesse et l'intolérable malaise de celui qui se voit réduit
à vivre comme s'il se confondait effectivement avec ses fonctions. En
second lieu, il déclare que la vie dans un monde axé sur
l'idée de fonction est exposée au désespoir, à
l'altération et à la dépersonnalisation des rapports
humains.78(*)
III.3. LIBERTÉ ET FLÉAUX IDÉOLOGIQUES
III.
3. 1 Critique de certaines théories sur la liberté
Cette partie de notre chapitre se veut une continuité
de notre quête qui, à la suite de Marcel, veut distinguer la
liberté authentique de ce qui ne l'est pas. Nous montrerons comment le
terme «liberté» est utilisé à tort et à
travers, pour justifier certaines déviations et dégradations des
valeurs humaines. En effet, nous avons souligné plusieurs fois, que nous
devons nous garder de la mécompréhensions et de l'usage abusif du
terme «liberté». De nos jours, plusieurs théories sur
la liberté sont répandues de par le monde entier et deviennent de
plus en plus virales. Il nous faut alors utiliser la raison et l'esprit de
discernement pour ne pas tomber dans le fanatisme d'une quelconque
liberté qui n'est d'ailleurs qu'un libertinage.
Les opinions sur la liberté qui circulent dans le monde
contemporain l'assimilent soit à une possibilité de «
réalisation de tout ce que l'on veut », soit à un attribut
«une cause» dont nous disposerions dès notre naissance, soit
à une puissance arbitraire de choix. Il est vraiment absurde que
persiste encore aujourd'hui cette représentation naïve de la
liberté identifiant être libre et le pouvoir de faire tout ce qui
nous plaît, tout ce que nous désirons. Vouloir faire tout ce que
l'on veut n'est-ce pas la forme la plus dégradée de la
liberté ? N'est-ce pas aussi une confusion totale entre «
volonté et désir ?
Rappelons que vouloir faire tout ce l'on désire c'est
se rendre esclave des pulsions, des émotions et des sentiments. Or
l'homme qui se laisse diriger par ses pulsions intérieures n'est pas
intérieurement libre. La volonté joue un grand rôle dans la
détermination d'un acte libre, néanmoins elle seule ne suffit pas
pour le rendre efficace. Il faut nécessairement la présence de la
raison pour l'éclairer et le purifier afin qu'il ne tombe pas dans le
libertinage. Ainsi la raison et la volonté assurent à la
liberté l'équilibre dont elle a perpétuellement besoin.
La tentation la plus courante c'est qu'aujourd'hui on tend
à refuser pour soi non seulement toute contrainte mais aussi toute
règle établissant un ordre minimal et prévisible.
Autrement dit, penser vivre dans une société anomique, sans
règles, sans lois, sans principes régulant la vie de la
société est une utopie. Par ailleurs, « c'est à
l'intérieur d'un minimum des règles et des contraintes sociales
indispensables à la vie en commun que nous pouvons agir et
définir une légitime liberté qui n'empiète pas sur
celle des autres »79(*). Un peu de réflexion suffit d'ailleurs pour
découvrir que la prétendue indépendance revendiquée
s'identifie en fait à une dépendance totale à
l'égard de nos désirs et de nos humeurs changeantes. En plus, il
est important de savoir que ma liberté ne doit jamais nuire à
celle de l'autre, c'est-à-dire je suis véritablement libre quand
je tiens compte de la liberté des autres. Bref, la liberté ne
doit jamais être cause d'une intersubjectivité négative.
Gabriel Marcel s'est opposé énergiquement
à la conception sartrienne qui voit dans la liberté une pure
puissance de choix qui n'assure son autonomie à l'égard des
normes et des valeurs qu'en les créant. Rappelons que la valeur est
essentiellement, pour Marcel, «quelque chose qui ne se laisse pas choisir
»80(*), car elle est
transcendantale. En plus, Marcel se démarque de J.-P Sartre dans ce sens
qu'il n'a jamais considéré la liberté comme un absolu.
Pour lui, la liberté ne peut exister qu'à condition de
s'articuler sur une grâce. À la différence de Marcel,
J-PSartre nie toute intervention de la transcendance dans la liberté de
l'homme.
III.3.3. La situation du philosophe dans le monde
d'aujourd'hui
Marcel n'a pas passé sous silence les défis
à relever du philosophe contemporain vivant dans un siècle
dominé par le progrès des sciences expérimentales et de la
technique. Il part de prime abord de l'idée et l'image que le monde se
fait du philosophe. Il constate en effet que l'idée du philosophe, si
nous nous référons à l'antiquité, a subit au cours
de l'histoire une véritable dégradation et cela dans la mesure
où la notion même de la sagesse « Sophia » a perdu sa
quintessence, du moins sa vénérabilité originelle.
Ce faisant, il déclare : « le
philosophe au XIXe Siècle s'est réduit dans la
très grande majorité des cas au professeur de philosophie qui,
trop souvent est un spécialiste, à quelque degré
intoxiqué par sa propre spécialité, qui débite
devant ses étudiants ou parfois devant un public bien plus
étendu soit son système, si par hasard il en a un, soit plus
fréquemment une décoction des systèmes, soit enfin une
histoire des systèmes qui ont précédé le
sien»81(*). Il
remarque que dans certains pays et plus particulièrement en France, les
professeurs de philosophie succombent littéralement sous des taches
professionnelles qui n'ont rien, dans la plupart de cas, de
spécifiquement philosophique. Et c'est en raison du nombre énorme
d'étudiant, qui tous préparent et passent des examens.
Il est alors difficile mais pas impossible, de nos jours, de
trouver un professeur de faculté qui reste véritablement
philosophe, c'est-à-dire qui garde sa puissance de méditation ou
plus profondément encore qui conserve une certaine virginité de
l'esprit. S'il y parvient, c'est évidement au prix d'un effort
héroïque, et à condition, bien entendu, de mener une vie
presque ascétique. Mais cet ascétisme, admirable en soi, comporte
inévitablement une rançon. Le grand risque est de se retrancher
de la vie commune des hommes et vivre à la façon du pur
contemplatif perdu dans une solitude érémitique82(*). Il est clair que là
où la philosophie est conçue et faite de cette façon, ses
possibilités de rayonnement sont très réduites.
Eu égard à ce qui précède, nous
remarquons que Marcel était habité par la nostalgie de
l'antiquité philosophique grecque, et invite les philosophes
contemporains à faire un recul dans le passé afin de se
ressourcer pour mener à bon terme leur rôle dans la
société. Un autre danger souligné par Marcel est que
lorsqu'un philosophe recherche des vastes audiences à la presse ou
à la radio et fait figure de touche-à-tout, risque de trahir de
la façon la plus grave sa vocation fondamentale du
philosophe83(*). Il
lance de ce fait une interpellation au philosophe de ne pas être sujet de
ce qu'il qualifie de « flatterie-provocatrice ».
Il illustre cela par un exemple d'un philosophe bien connu et
de grande renommée qui avait déclaré aux journalistes
Suisses qui l'accueillaient sur le champ d'aviation où il venait
d'atterrir : « Messieurs, Dieu est mort ! ». Ce
qui est désolant, d'après Marcel, c'est que dès le moment
où cette affirmation est claironnée devant des journalistes,
où elle se propose dans certaine manière comme phrase
publicitaire du journal, elle se dégrade non seulement au point de se
vider de toute sa signification, mais aussi de se convertir en une risible
parodie. De plus, Marcel souligne qu'il existe une différence
existentielle entre le soupir nietzschéen et cette espèce de
déclaration qu'on est tenté de qualifier «
publicitaire » car elle est de toute évidence destinée
à faire sensation.
Aussi interpelle-t-il les philosophes qui s'engagent dans
l'action politique qu'au lieu d'éclairer l'opinion publique, se laissent
emporter par la foule. Le danger qui les guette consiste en fait à
prendre position, beaucoup plus tôt sur les papiers comme dans la
réalité, et plus souvent par des signatures des manifestes ou des
motions de destitution, sur des questions dont ils ont la connaissance la plus
superficielle, une connaissance par oui dire qui est en vrai dire une
ignorance pure84(*). Cette
même situation se vit en RD Congo où actuellement nous assistons
à une vague de destitution des gouverneurs dans différentes
provinces. Nous constatons ça et là que l'élite congolaise
s'embourbe dans le fanatisme politique. Et c'est pour cette raison que Marcel
martèle sans ambages que « le premier devoir d'un philosophe
dans le monde d'aujourd'hui est de combattre le fanatisme sous quelque forme
qu'il se présente85(*) ».
En résumé, nous venons de parcourir les
différentes tentations du monde contemporain auxquelles les philosophes
sont perpétuellement soumis. Marcel les invite à un engagement
pour l'avènement d'un monde meilleur dans l'humilité. Car, pour
lui, « la grandeur du philosophe est d'être au clair sur les
limites de son savoir et de reconnaitre qu'il y a des domaines où son
incompétence est absolue »86(*). En un autre langage disons que le philosophe doit
êtreperpétuellement en garde contre la prétention de tout
connaitre.
CONCLUSION
Dans cette dernière partie de notre travail, il a
été question de relever les défis du monde contemporain
caractérisé par l'émergence des sciences
expérimentales et des techniques. Nous avons constaté
malheureusement que l'homme est en agonie à cause de la
mécompréhension, de l'usage abusif du terme
« liberté », et la mégestion de la
technique. En effet, tout au long de notre travail, nous avons
démontré que Marcel n'est pas contre la technique, comme le
pensait un bon nombre de ses contemporains. Il s'insurge plutôt contre
tout mauvais usage de la technique qui peut aller jusqu'à avilir
l'homme.
Marcel constate que dans un monde en pleine civilisation comme
le nôtre, il est possible de perdre les repères axiologiques qui
sont les fondements des toutes les sociétés humaines. Au nom
d'une prétendue liberté plusieurs sociétés
occidentales sont en pleine dégringolade, car elles veulent vivre une
liberté sans toutefois se référer aux valeurs. Or nous
avons dit, nous le redisons encore ici, qu'un acte libre doit
nécessairement nous mener vers un bien. Il est facile de repérer
dans notre société quelques pratiques dues à la mauvaise
compréhension de la liberté telles que l'homosexualité,
transsexualité, le lesbianisme, l'avortement provoqué etc. Tout
cela fait partie des formes dégradantes et avilissantes de la vie
humaine.
Enfin, nous avons analysé les différentes
théories à travers lesquelles se véhicule la conception
erronée de la liberté. L'opinion veut à ce que la
liberté soit « un pouvoir de faire tout ce que l'on
veut ». Mais nous constatons que cette dernière est une
manière de réduire la liberté à un désir et
aux humeurs changeantes. Au fait, vouloir faire tout ce que l'on désire,
c'est se rendre soi-même esclave de ses pulsions, de ses émotions,
de ses sentiments etc., En dernier lieu, nous nous sommes interrogés sur
la situation actuelle du philosophe en ce temps de la civilisation. Le constat
est que les philosophes succombent sous plusieurs tentations qui les
dévient de leur vocation première. A ce sujet G. Marcel
dénonce notamment le fanatisme, l'encombrement des tâches
professionnelles qui n'ont parfois rien de spécifiquement philosophique,
des tapages à la presse et à la radio etc. Ainsi, pour
répondre à sa véritable vocation, le philosophe doit,
faire recours à la source, c'est-à-dire reprendre l'esprit de
méditation, conserver une virginité d'esprit, et essayer de
vivre, dans la mesure du possible, une vie ascétique.
CONCLUSION GENERALE
Parvenu au terme de notre travail, nous nous voyons être
dans le devoir de conclure sans toutefois prétendre mettre un point
final ou dire le dernier mot concernant le débat sur la liberté.
Cela étant, notre travail s'est voulu être une approche
analytico-herméneutique de la liberté qui, pour Marcel, est de
l'ordre du mystère. Ainsi, pour mener cette réflexion à
bon port, nous nous sommes basés particulièrement sur son ouvrage
« Les hommes contre l'humain » et notre
thématique s'est intitulée: « Repenser la
liberté comme mystère chez Gabriel Marcel. Une approche
analytico-herméneutique de "Les hommes contre
l'humain" ». Pour mieux appréhender la pensée de
notre auteur, nous avons divisé notre quête en 3 chapitres:
L'être et la liberté, G. Marcel et le mystère de la
liberté, et crise de la liberté dans la société
moderne.
Dans le premier chapitre, il a été question de
présenter d'une façon panoramique le lien indéniable se
tissant entre l'être et la liberté. Parlant de l'être, nous
sommes partis d'abord de la conception des anciens à l'instar de
Parménide comme étant celui qui a donné une connotation
métaphysique au concept « être » avec
sa remarquable découverte : « l'être est, le
non-être n'est pas ». Ensuite, nous nous sommes associés
à Aristote qui, à son tour définit la métaphysique
comme étant la science de l'être en tant qu'être. Partant de
ce deux conceptions, nous avons constaté que chez les antiques dire
l'être ne devrait pas seulement se limiter à une simple parodie,
mais il fallait une grande activité rationnelle pour le faire, parce que
le concept être est le plus englobant, le plus
généralisant, qui embrasse tout et dit tout.
De ce fait, nous n'allions pas finir notre parenthèse
sans pourtant parler de la conception marcellienne de l'être qui consiste
à prendre l'être comme mystère. Pour Marcel, le
mystère n'est pas l'inconnaissable ou une lacune de la connaissance mais
il est plutôt une réalité dans laquelle je me trouve
impliqué, engagé entièrement et je ne saurais pas m'en
détacher pour l'observer du dehors ou de l'extérieur. Aussi
souligne-t-il, s'interroger sur l'être, c'est s'interroger sur sa
totalité et sur soi-même comme totalité. C'est pourquoi, je
ne puis m'interroger sur l'être que parce que je suis, j'existe en tant
qu'être-incarné c'est-à-dire, un être
possédant un corps. Cet être-incarné c'est
évidemment l'homme.
A travers la notion du corps, Marcel montre son appartenance
au courant de la métaphysique des existences laquelle ne cherche pas
à saisir l'être en tant qu'être dans l'abstrait mais elle
partdes données existentielles et s'intéresse davantage à
l'être-incarné considéré, d'après Marcel,
comme donnée centrale de toute réflexion métaphysique.
Ainsi, la notion de liberté ne revient qu'à l'homme étant
donné qu'il est l'unique être capable de s'interroger sur sa vie,
sa destinée, son choix etc.
Ensuite, dans le deuxième chapitre, nous avons
présenté de façon claire la conception de la
liberté d'après G. Marcel. Il est convaincu que la liberté
ne doit jamais s'ériger en absolu, mais elle doit se laisser
éclairer, éveiller et susciter par la Transcendance. A travers
cette position, il montre clairement sa distance par rapport à d'autres
philosophes non-chrétiens, particulièrement les athées qui
pensent que la Transcendance restreint la liberté de l'homme. Pour ce
faire, la liberté ne peut jamais être de l'ordre du
problème, car elle n'est pas une chose « jetée devant
moi » ou une chose que je peux chercher en dehors de moi. C'est ainsi
que la liberté est un mystère d'autant plus que c'est une
réalité dans laquelle je suis entièrement
engagé.
Pour bien saisir la question de la liberté chez notre
auteur, nous l'avons confrontée avec d'autres notions qui fondent le
socle de sa philosophie. Nous avons à titre d'exemple : l'avoir, la
volonté, la raison, la valeur, le don (grâce), la
liberté-choix, la liberté-réponse etc. C'est à
travers l'interaction de toutes ces notions avec la liberté que
s'éclaircit davantage la compréhension marcellienne de la
liberté. En effet, nous avons constaté que si on exploite l'autre
sans tenir compte de sa dignité, on le réifie, on l'asservit, on
l'avilit et on nie ipso facto sa liberté. Aussi, si on use mal
l'avoir (possession) ce dernier finit par nous affecter et par dévorer
notre être. Sur ce, il est une invitation pour nous d'utiliser les biens
qui sont à notre disposition avec parcimonie et rationalité.
Il existe aussi une guerre permanente entre le
déterminisme et la liberté. En effet, l'existence du
déterminisme est une négation radicale de la liberté, de
même la liberté nie la présence de tout
déterminisme. A la question de savoir si l'homme est
déterminé ou pas, la réponse ne viendra pas des livres.
Mais c'est à chaque homme de voir si ses actions, ses pensées et
ses paroles tiennent de l'exercice de la liberté ou non. Par ailleurs,
nous sommes convaincus que si l'homme était déterminé, il
n'aurait même pas cette possibilité de se poser une telle question
car il manquerait justement la liberté de se la poser.
Enfin, le dernier chapitre de notre travail nous a conduits
à relever les défis du monde contemporain
caractérisé par l'émergence des sciences
expérimentales et des techniques. La société contemporaine
est en crise à cause de la mécompréhension, l'usage abusif
du terme « liberté », et de la mégestion de
la technique. En effet, Marcel n'est pas contre la technique comme le pensait
ses contemporains. Il s'insurge plutôt contre toute mauvaise gestion de
la technique qui peut aller jusqu'à avilir l'homme. Aussi constate-t-il,
dans un monde en pleine civilisation et industrialisation, il est possible de
perdre les repères axiologiques qui sont les soubassements des toutes
les sociétés humaines.
La société occidentale est en pleine
dégringolade, car elle veut vivre une liberté absolue sans pour
autant se référer aux valeurs. Or, nous avons souligné
tout au long de notre travail qu'un acte libre doit nécessairement nous
mener vers un bien. De nos jours, à cause de la mauvaise conception de
la liberté, la société contemporaine vit dans une
dégradation des valeurs. Certaines pratiques qui étaient jadis
des antivaleurs sont maintenant considérées comme des valeurs et
même légalisées. Il y a notamment, l'homosexualité,
la transsexualité, le lesbianisme, l'avortement provoqué, la
zoophilie, la bissexualité etc. Toutes ces pratiques sont loin
d'être l'expression d'une liberté authentique.
BIBLIOGRAPHIE
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1. Du même auteur
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1927.
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Réalité, Paris, Aubier, 1951.
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Flammarion, 1959.
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augmentée de deux textes inédits], Paris, Présence de
Gabriel Marcel, 1998.
2. Autres ouvrages
ARISTOTE, Physique et métaphysique. Textes
choisis par SONIA et M. DAYAN, Paris, PUF, 1972.
BANONA NSEKA, Donatien, Technique et
dignité humaine. Perspective contemporaine à partir de Gabriel
Marcel, Bruxelles, Bruylant-Academia, 1998.
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d'enseignement classique, Kinshasa, USAKIN, 2015.
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contemporaine. Itinéraire systématico-spéculatif,
Kinshasa, Usakin, 2016.
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1960.
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morale et la philosophie générale, publié sous la
direction de R. DAVAL, Paris, PUF, 1951.
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Lyon, Emmanuevitte, 1955.
HOTTOIS, Gilbert, Le signe et la technique. La
philosophie à l'épreuve de la technique, Paris, Aubier,
1984.
LALANDE, André, Vocabulaire technique et critique
de la philosophie, 3ème éd., Paris, PUF, 2010.
MERLEAU-PONTY, Maurice, Phénoménologie de la
perception, Paris, Gallimard, 1945.
PARAIN-VIAL, Jeanne, Gabriel Marcel. Un vielleur et un
éveilleur, Paris, Age d'Homme, 1989.
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du mystère et philosophie du paradoxe, Paris, Edition du temps
présent, 1947.
SARTRE, Jean-Paul, L'être et le néant. Essaie
d'une ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943.
TROISFONTAINE, Roger, De l'existence à
l'être. La philosophie de Gabriel Marcel, préface de G.
Marcel, Tome I, 2ème éd., Paris, Beatrice-Nauwelaerts,
1968.
TABLE DES MATIERES
EPIGRAPHES
0
REMERCIEMENTS
2
INTRODUCTION GENERALE
4
1. PROBLEMATIQUE
4
2. INTERET DU SUJET ET HYPOTHESE
4
3. METHODE ET DIVISION DU TRAVAIL
5
CHAPITRE PREMIER : L'ETRE ET LA LIBERTE
6
INTRODUCTION
6
I.1. Qu'est-ce que l'être ? : Bref
parcours historique
7
I.2. L'être : substance et accident
8
I.2.1. L'être substantiel
8
I.2.2. L'être accidentel
9
I.3. L'être comme mystère
10
I.3.1. Le problème
10
I.3.2. Le mystère
11
I.3.3. L'être-en-situation
12
I.4. L'être incarné
13
I.4.1. La corporéité
14
A. Corps-instrument (corps-objet)
14
B. Le corps-sujet
15
C. La corporéité chez G. Marcel, M.
Merleau-Ponty et J-P. Sartre
15
I.4. La liberté : Aperçu
panoramique
17
I.4.1. Approche sémantique
17
I.4.2. La difficulté dans la classification
de la liberté
18
I.4.3. Les niveaux où se vit la
liberté
20
CONCLUSION
21
CHAPITRE DEUXIEME : GABRIEL MARCEL ET LE
MYSTERE DE LA LIBERTE
23
INTRODUCTION
23
II.1. LIBERTE, MYSTERE OU PROBLEME ?
24
II.1.1. liberté et problème
24
II.2. liberté et mystère
25
II.3. Liberté et Avoir.
26
a) Une revendication exclusive du moi
27
b) Le souci d'entretien
28
c) Maître ou esclave de
l'avoir ?
28
III. La liberté comme dépassement
d'une phénoménologie du vouloir
29
IV. Don et liberté
30
V. liberté et déterminisme
32
VI. Liberté rationnelle et Liberté
axiologique.
33
CONCLUSION
36
CHAPITRE TROISIÈME : CRISE DE LA
LIBERTÉ DANS LA SOCIETE MODERNE
38
INTRODUCTION
38
III.1. LIBERTE ET TECHNIQUES D'AVILISSEMENT
39
II.1.1. Que dire de la technique ?
39
III.1.4. Les techniques d'avilissement
40
III.2. CRISE DES VALEURS DANS LE
MONDE MODERNE
42
III.2.1. Dépression des valeurs
42
III.2.3. Dégradation de l'idée de
service
43
III.3. LIBERTÉ ET FLÉAUX
IDÉOLOGIQUES
45
III. 3. 1 Critique de certaines théories sur
la liberté
45
III.3.3. La situation du philosophe dans le monde
d'aujourd'hui
46
CONCLUSION
49
CONCLUSION GENERALE
50
BIBLIOGRAPHIE
53
TABLE DES MATIERES
55
* 1 Cf. D. BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine. Itinéraire
systématico-spéculatif, Kinshasa, USAKIN, 2016, p. 83.
* 2 Cf. G. MARCEL, Le
mystère de l'Etre II, Paris, Aubier, 1967, p. 111.
* 3 Cf. J. PARAIN-VIAL,
Gabriel Marcel. Un vielleur et un éveilleur, Paris, Age
d'Homme, 1989, p. 163.
* 4 Cf. G. MARCEL, cité
par J. PARAIN-VIAL, Gabriel Marcel. Un vielleur et un éveilleur, op.
cit., p.167.
* 5 Cf. D. BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 81.
* 6 G. MARCEL, cité par
J. PARAIN-VIAL, op. cit., p.166.
* 7 Cf. J. DE FINANCE,
Existence et liberté, Lyon, Emmanuevitte, 1955, p. 31.
* 8 Cf. D. BOSOMI, L'ardeur
métaphysique. Manuel d'enseignement classique, Kinshasa, USAKIN,
2015, p. 39.
* 9 ARISTOTE, Physique et
métaphysique. Textes choisis par SONIA et M. DAYAN, Paris, PUF,
1972, p. 14.
* 10 Cf. D. BOSOMI,
L'ardeur métaphysique, op. cit.,p. 39.
* 11 Cf. D. BOSOMI,
L'ardeur métaphysique, op. cit., p.48.
* 12 Cf. D. BOSOMI,
L'ardeur métaphysique, op. cit.,p. 52.
* 13Ibid., p. 49.
* 14 Cf. G. MARCEL,
Position et Approche Concrète du Mystère Ontologique.
Introduit par M. DECORTE, 2ème éd., Paris,
Béatrice-Nauwelaerts, 1967, p. 55.
* 15 Cf. Ibid.
* 16 IDEM, Etre et
Avoir, Paris, Aubier, 1935, p. 146.
* 17 Cf. G. MARCEL,
Position et Approche Concrète du Mystère Ontologique, op.
cit., p.13.
* 18 G. MARCEL, Etre et
Avoir, op. cit., p. 145.
* 19 Cf. R. TROISFONTAINE,
De l'existence à l'être. La philosophie de Gabriel
Marcel, Tome I, 2ème éd., Paris,
Beatrice-Nauwelaerts, 1968, p. 142.
* 20 Cf. Ibid., p.
142.
* 21 Cf. G. MARCEL, Du
refus à l'invocation, Paris, Gallimard, 1964, p. 32.
* 22 G. MARCEL, Journal
métaphysique, Paris, Gallimard, 1935, p. 238.
* 23 G. MARCEL,
Présence et Immortalité, Paris, Flammarion, 1959, p.
185.
* 24 Cf. M. MERLEAU-PONTY,
Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945,
p. 179.
* 25 Ibid., p. 97.
* 26 Cf. J.-P. SARTRE,
L'être et le néant. Essaie d'une ontologie
phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943, p. 345.
* 27 S. DAVAL et B. GUILLEMAIN,
La philosophie morale et la philosophie générale, Paris,
PUF, 1951, p. 524.
* 28 Cf. A. LALANDE,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie,
3ème éd., Paris, PUF, 2010, p. 558.
* 29 D. BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 83.
* 30 Cf. P. MVUMBI, Cours
de la philosophie chrétienne, Kinshasa, USAKIN, 2019-2020.
Inédit.
* 31 Cf. R. TROISFONTAINE,
De l'existence à l'être. La philosophie de Gabriel
Marcel, op. cit., p. 316.
* 32 Cf. G. MARCEL, La
dignité humaine et ses assises existentielles, Paris, Aubier, 1964,
p.190.
* 33 G. MARCEL, Etre et
Avoir, op. cit., p.147.
* 34 Cf. IDEM, cité par
J. PARAIN-VIAL, Gabriel Marcel. Un vielleur et un éveilleur,
Paris, Age d'Homme, 1989. p.167.
* 35 G. MARCEL, Les hommes
contre l'humain, Paris, La colombe, 1951, p. 69.
* 36 Cf. D.BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 80.
* 37 Cf.G. MARCEL, Journal
métaphysique, Paris, Gallimard, 1935, p. 32.
* 38 IDEM, Etre et
Avoir, op. cit.,p. 219.
* 39 Cf. R. TROISFONTAINE,
De l'existence à l'être, op. cit., p. 225.
* 40 Cf. Ibid.
* 41 Cf. Ibid.
* 42 Cf. R. TROISFONTAINE,
De l'existence à l'être, op. cit., p. 226.
* 43 Cf.R. TROISFONTAINE,
De l'existence à l'être, op. cit.,p. 229.
* 44 Cf. Ibid., p.
322
* 45 Cf. G. MARCEL, Le
mystère de l'être II, Paris, Aubier, 1951, p.111.
* 46 Cf. D. BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine, op. cit.,p. 84.
* 47 P. RICOEUR, Gabriel
Marcel et Karl Jaspers. Philosophie du mystère et philosophie du
paradoxe, Paris, Edition du temps présent, 1947,p. 224
* 48 Cf. G. MARCEL cité
par R. TROISFONTAINE, De l'existence à l'être, op. cit.,
p. 305.
* 49 IDEM, Refus à
l'invocation, Paris, Gallimard, 1964, p. 74.
* 50 Cf. G. MARCEL cité
par P. RICOEUR, Gabriel Marcel et Karl Jaspers, op. cit., p. 229.
* 51 Cf. Ibid.
* 52Cf. A. LALANDE,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op.
cit., p. 558.
* 53 Cf. D. BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 88.
* 54 Cf. Ibid., p.
89.
* 55 Cf. Ibid.
* 56Cf. S. DAVAL et B.
GUILLEMAIN, La philosophie morale et la philosophie
générale, op. cit.,
p. 524.
* 57Cf. D. BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine, op.cit., p. 88.
* 58 Cf. D. BOSOMI, Les
thèmes majeurs de la philosophie contemporaine, op.cit., p. 83.
* 59 Cf. G. MARCEL, Les
hommes contre l'humain, op.cit., p. 32.
* 60 Cf. R. TROISFONTAINE,
De l'existence à l'être, op. cit., p. 307
* 61 G. MARCEL, Les hommes
contre l'humain, op. cit., p.128.
* 62 Ibid., p.187.
* 63 Cf. R. TROISFONTAINE,
De l'existence à l'être, op. cit.,p. 308.
* 64 G. MARCEL, Les hommes
contre l'humain, op. cit., p. 47.
* 65 IDEM, cité par R.
TROISFONTAINE, De l'existence à l'être, op. cit., p.
316.
* 66 Cf. G. MARCEL, Les
hommes contre l'humain, op. cit., p. 46.
* 67Ibid., p.36
* 68 G. MARCEL, Les hommes
contre l'humain, op. cit., p. 38
* 69 Ibid., p. 37.
* 70 Cf. D. BANONA NSEKA,
Technique et dignité humaine. Perspective contemporaine à partir
de Gabriel Marcel, Bruxelles, Bruylant-Academia, p. 59.
* 71 Cf. G. MARCEL, Le
mystère de l'être II, Paris, Aubier, 1951, p.111.
* 72 G. HOTTOIS, Le signe
et la technique. La philosophie à l'épreuve de la
technique, Paris, Aubier,1984, p. 212
* 73 Cf. G. MARCEL,
Position et Approche Concrète du Mystère Ontologique, op.
cit., p. 46.
* 74 IDEM, Etre et
Avoir, op. cit., p. 106.
* 75 Cf. D. BANONA NSEKA,
Technique et dignité humaine, op. cit., p. 50.
* 76 G. MARCEL, Le
mystère de l'être II, op. cit., p.50.
* 77 IDEM, Position et
Approche Concrète du Mystère Ontologique, op. cit., p.
46.
* 78 Cf. Ibid., p.
49.
* 79 J. PARAIN-VIAL,
Gabriel Marcel. Un vielleur et un éveilleur, op. cit., p.
163.
* 80 G. MARCEL, Les hommes
contre l'humain, op. cit., p. 128.
* 81 G. MARCEL, Les hommes
contre l'humain, op. cit., p. 80.
* 82 Ibid.
* 83 Ibid., p. 81.
* 84 Cf. G. MARCEL, Les
hommes contre l'humain, op. cit.,p. 83.
* 85Ibid., p. 86.
* 86Ibid., p. 84.
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