RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la
Recherche Scientifique
UFR SCIENCES JURIDIQUES
MÉMOIRE
Année Académique
2017-2018
Présenté pour l'obtention du diplôme de
MASTER
SCIENCES JURIDIQUES Spécialité : DROIT
PUBLIC
Par
GNAMBA Mariette Amandine Fleur
Numéro d'ordre:
THÈME :
LE RÉGIME DE L'IMMIGRATION
IRRÉGULIÈRE PAR VOIE MARITIME EN DROIT INTERNATIONAL
PUBLIC.
JURY :
Président : Professeur Paterne MAMBO, Directeur de
mémoire Suffragant : Docteur DIOMANDÉ Dro Hyacinthe, Encadreur
Assesseur : Docteur DIAHOU Martinien
DATE DE SOUTENANCE : 13 mars 2021
i
Mémoire
Présenté pour l'obtention du diplôme de
Master
Sciences juridiques
Spécialité : Droit Public
Par
GNAMBA Mariette Amandine Fleur
Le régime de l'immigration
irrégulière par voie maritime en droit international
public.
Date de soutenance : 13 mars 2021
ii
DÉDICACES
À mes parents adorés ; Mon papa GNAMBA Kouadio, Ma
maman AGNERO Enyei Victorine Jeanne épouse GNAMBA, Que je remercie pour
m'avoir donnée le souffle de vie et d'avoir été
présents pour moi. Mon grand frère GNAMBA Jean Armel Wilfried,
mon capitaine. Merci pour votre soutien. Je vous dédie ce travail.
Continuons sur ce chemin pour les travaux à venir !!!
iii
REMERCIEMENTS
Ce mémoire est l'aboutissement d'un long chemin
constitué de plusieurs mois de labeur, de difficultés et de joie
du travail bien fait, et parsemé de personnes et de rencontres
bénéfiques à la réflexion.
C'est pourquoi nous voudrions remercier plusieurs personnes.
Nos premiers remerciements vont à notre directeur de
mémoire, Professeur Paterne MAMBO, et à notre encadreur, Docteur
DIOMANDÉ Dro, pour leurs précieux conseils et leur
disponibilité. Nous voudrions également remercier Docteur DIAHOU
Martinien qui a accepté d'être assesseur dans notre jury de
soutenance.
Nous tenons également à remercier l'ensemble des
enseignants de la Faculté des Sciences juridiques, administratives et
politiques de l'université Jean Lorougnon Guédé qui nous
ont guidées sur le chemin long et passionnant de la connaissance en
sciences juridiques.
De même que le personnel de l'Université pour
avoir rendu possible notre apprentissage.
Nous finissons par remercier infiniment notre famille qui, par
sa passion pour notre travail et sa détermination à nous voir
réussir, nous a été d'un soutien inconditionnel dans notre
parcours juridique.
iv
PRINCIPAUX SIGLES ET ABRÉVIATIONS
AGNU Assemblée générale des Nations Unies
CEDH Cour Européenne des droits de l'Homme
CIJ Cour internationale de Justice
CJUE Cour de Justice de l'Union européenne
Convention EDH Convention européenne des droits de
l'Homme et des libertés fondamentales
Convention SAR Convention internationale sur la recherche et
le sauvetage maritimes
Convention SOLAS Convention internationale pour la sauvegarde
de la vie humaine en mer
CNUDM Convention des Nations Unies sur le droit de
la mer
DUDH Déclaration universelle des droits de
l'homme
HCR Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés
ibid. ibidem (Dans la même oeuvre citée)
infra ci-dessous
loc. cit. loco citato (au passage cité
précédemment)
N° Numéro
OIM Organisation internationale pour les
migrations
OIT Organisation internationale du travail
v
ONG Organisation non gouvernementale
ONU Organisation des Nations Unies
op. cit. opere citato (dans l'ouvrage cité)
p. page
PIDCP Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
PIDESC Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels
PMM Pacte mondial pour des migrations sûres,
ordonnées et régulières
supra ci-dessus
UA Union Africaine
UE Union Européenne
Vol. Volume (s)
vi
SOMMAIRE
DÉDICACES I
REMERCIEMENTS III
PRINCIPAUX SIGLES ET ABRÉVIATIONS IV
SOMMAIRE VI
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
PREMIÈRE PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE
HÉTÉROGÈNE 12
CHAPITRE 1. UNE MULTITUDE D'OBLIGATIONS ÉTATIQUES
CONCOMITANTES 13
CHAPITRE 2. UNE PROTECTION ÉTENDUE DES MIGRANTS
IRRÉGULIERS 34
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 51
DEUXIÈME PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE
INSUFFISANT 52
CHAPITRE 1. UNE MISE EN OEUVRE COMPROMISE EN PRATIQUE 53
CHAPITRE 2. UN RÉGIME JURIDIQUE PERFECTIBLE 75
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE 90
CONCLUSION GÉNÉRALE 91
ANNEXES 93
ANNEXE 1 : SCHÉMA DES ZONES MARITIMES
DÉFINIES PAR LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER DE
1982 :
COUPE VUE AÉRIENNE 94
ANNEXE 2 : SCHÉMA DES ZONES MARITIMES
DÉFINIES PAR LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER DE
1982 :
COUPE VUE LATÉRALE 95
BIBLIOGRAPHIE 96
TABLE DES MATIÈRES 115
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Notre monde est un monde de migrations. De tous temps, il
s'est produit des déplacements de personnes d'un endroit à un
autre pour de nombreuses raisons que ce soit pour accéder à une
vie meilleure ou tout simplement survivre. L'immigration a de nombreuses causes
sociales qui poussent les migrants à partir comme les conflits
armés ou la pauvreté. Ces facteurs de migrations internationales
sont catégorisés en effets push (vie meilleure), effets pull
(guerre et violations des droits de l'homme), et network (moyens de
communication modernes)1.
Dans son rapport international sur la migration de 2017,
l'Organisation des Nations Unies (ONU) estime à 258 millions le nombre
de personnes résidant dans un pays autre que leur pays de naissance, ce
qui représente une augmentation de 49% depuis 20002. En 2019,
ils étaient 272 millions3. Aussi, 3,4% des habitants de la
planète sont aujourd'hui des migrants internationaux4.
En 2018, l'Organisation internationale pour les migrations
(OIM) dans son rapport notait environ 244 millions de migrants internationaux
dans le monde pour 20155.
D'autres chiffres sont plus alarmants et concernent la
migration contrainte. Selon le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les
réfugiés, 60 millions de personnes dans le monde ont
été contraintes de fuir leurs pays, et 42.500 doivent fuir leur
domicile quotidiennement en 20166. Au moins 3. 119 personnes sont
décédées en tentant de traverser la
Méditerranée pour gagner l'Europe7. Malheureusement,
ces chiffres ne constituent qu'une infime partie des décès en mer
à travers le monde.
1 Maurice KAMTO, Migrations de Masse,
Institut du droit international, 2017, p. 119.
2 ORGANISATION DES NATIONS UNIES, International
Migration Report, 2017. [En ligne:
https://www.un.org/developpement/desa/publications/international-migration-report-2017.html]
3 ORGANISATION INTERNATIONALE POUR LES MIGRATIONS,
International Migration Report, 2019, p. 19.
4 Ibid.
5 ORGANISATION INTERNATIONALE POUR LES MIGRATIONS,
Etat de la migration dans le monde 2018, 2018.
6 UNHCR, « Statements by the High Commissioner
Filippo Grandi in the European Parliament », 8 mars 2016, http:/
www.unhcr.org/print/56dec2e99.html.
7 AMNESTY INTERNATIONAL, Rapport 2017/18. La
situation des droits humains dans le monde., 2018,
p. 55.
2
De plus, chaque année, plus de 5 millions de personnes
franchissent illégalement des frontières
internationales8.
L'immigration par voie maritime n'est pas un
phénomène récent. Les juifs qui fuyaient le
IIIème Reich pendant la deuxième guerre mondiale ont
pris la route maritime. Ils ont été interceptés par la
Grande Bretagne dans la fin des années 1930 et entre 1945 et
19489. Ce sera d'ailleurs l'une des raisons de l'adoption de la
Convention sur les réfugiés de 1951. La question a pris de
l'ampleur dans l'opinion publique internationale, surtout à la fin des
années 1970 avec les boat-people vietnamiens fuyant la répression
de 1975 à 199210.
Des boat-people vietnamiens aux traversées en
Méditerranée, l'immigration irrégulière ne cesse de
prendre de l'ampleur. L'expression boat-people désigne les
dizaines de milliers de personnes qui ont quitté l'Indochine en bateaux
de pêche après la guerre du Vietnam dans les années 1970.
Ces personnes se sont enfuies du Vietnam depuis 1975, date de la chute de
Saigon (Hochiminville) et de la réunification du Vietnam11.
Aujourd'hui, les migrants par cette voie ont traversé de grandes
distances. Cette situation va à l'encontre des frontières bien
définies et attire l'attention sur les mécanismes de la
globalisation12. La multiplication des zones de crise au Proche et
Moyen-Orient ainsi qu'en Afrique, en particulier depuis 2011, a
entraîné d'importants déplacements de populations fuyant
ces conflits et a encore aggravé le phénomène.
Malgré la liberté de circulation prévue
par les textes internationaux, dans la pratique, chaque État a ses
règles. De plus, avec le danger terroriste qui se fait grandissant, les
déplacements sont de plus en vus comme une menace. Le contrôle du
mouvement des personnes est alors perçu comme le moyen le plus efficace
de contrer la menace et entraîne une dichotomie entre
privilégiés de la mobilité et proscrits13.
Cette action de prévenir en amont les « indésirables »
rend plus difficile l'accès aux moyens légaux de circulation.
Ainsi, de
8 Kiara NERI, « Le droit international face
aux nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », Revue
Québécoise de droit international, volume 26-1, 2013,
(2013), p. 124.
9 Bernard RYAN, « Extraterritorial Immigration
Control: What Role for Legal Guarantees? » dans Bernard Ryan et
Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control. Legal
Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 23.
10 Ibid., p. 23.
11 Sompong SUCHARITKUL, « Quelques questions
juridiques à l'égard des «boat people» en tant que
réfugiés politiques », Annuaire français de droit
international, volume 35, 1989, (1989), p. 476.
12 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat
people and humanitarianism at sea », Journal of Refugee Studies,
vol. 17. no 1 (2004), p. 2.
13 Amandine SCHERRER, « Lutte antiterroriste
et surveillance du mouvement des personnes », Criminologie, vol.
46. no 1 (2013), p. 23. ; John TORPEY, « Aller et venir: le monopole
étatique des «moyens légitimes de circulation » »,
Cultures & Conflits [En ligne], n°31-32 (automne-hiver 1998),
p. 63?100.
3
nombreuses personnes qui ne remplissent pas les conditions se
tournent vers des moyens parallèles dont l'immigration
irrégulière par voie maritime. Vu cette réalité,
les migrants ont recours à des embarcations de fortune non
adaptées à la navigation maritime pour voyager.
Cet état de fait nous invite à étudier
dans notre travail le droit applicable à ces situations
récurrentes. Malgré le pouvoir souverain des États de
déterminer les personnes qu'ils autorisent à entrer sur leur
territoire, ces personnes qui prennent la route maritime ne peuvent pas
être raisonnablement dans une zone de non-droit.
Ce qui nous pousse à proposer notre sujet « Le
régime juridique de l'immigration irrégulière par voie
maritime en droit international public ». Nous cherchons par cette
étude à examiner le cadre juridique de ces personnes.
Pour comprendre les enjeux de l'immigration
irrégulière par voie maritime, il faut définir les
termes-clés du sujet (A), démontrer l'intérêt du
sujet (B), et enfin, préciser la problématique de l'étude
et annoncer le plan (C).
A. Définitions des termes
1. L'immigration : clandestine, irrégulière ou
illégale ?
L'organisation internationale pour les migrations (OIM), dans
son glossaire de la migration, définit celle-ci comme le «
déplacement d'une personne ou d'un groupe de personnes, soit entre pays,
soit dans un pays entre deux lieux situés sur son territoire
»14. L'immigration est l'action de se rendre dans un
État dont on ne possède pas la nationalité avec
l'intention de s'y installer15. Le migrant, en
général, est « toute personne qui, quittant son lieu de
résidence habituelle, franchit ou a franchi une frontière
internationale ou se déplace ou s'est déplacée à
l'intérieur d'un État, quels que soient : 1) le statut juridique
de la personne ; 2) le caractère, volontaire ou involontaire, du
déplacement ; 3) les causes du déplacement ; ou 4) la
durée du séjour »16. Le migrant en situation
irrégulière est un « migrant contrevenant au cadre
légal du pays d'origine, de transit ou de destination
»17.
La commission européenne dans son glossaire 2.0 sur
l'asile et les migrations donne d'autres définitions. La migration est
d'abord le « déplacement d'une personne ou d'un groupe
14 Richard PERRUCHOUD, Glossaire de la
migration, Organisation internationale pour les migrations (OIM)., 2007,
p. 49.
15 Ibid., p. 40.
16 ORGANISATION INTERNATIONALE POUR LES MIGRATIONS,
Qui est un migrant?, 2016, <
https://www.iom.int/fr/qui-est-un-migrant>.
17 Richard PERRUCHOUD, Glossaire de la
migration, op. cit., p. 48.
4
de personnes, soit en franchissant une frontière
internationale, soit au sein même d'un État »18.
La migration illégale est une « migration à l'aide de moyens
irréguliers ou illégaux, sans documents valables ou en possession
de faux documents »19. C'est un synonyme de migration
irrégulière donc c'est un « mouvement qui se produit en
marge des normes réglementaires des pays d'origine, de transit et
d'accueil »20. L'immigration illégale concerne une
« personne vers un nouveau lieu de résidence ou de transit par des
moyens irréguliers ou illégaux, sans documents valables ou munie
de faux papiers »21. Son synonyme est l'immigration
clandestine.
L'émigration est différente de l'immigration.
L'émigration est l'action de quitter son État de résidence
pour s'installer dans un État étranger. Pendant que l'immigration
est plutôt l'action de se rendre dans un État dont on n'a pas la
nationalité avec l'intention de s'y installer22. Tous les
réfugiés sont des migrants, mais tous les migrants ne sont pas
des réfugiés23. La migration transfrontière
naît d'une émigration et prend fin par une
immigration24.
Marcel N'Gouya propose dans son article de définir
l'immigration comme « l'installation dans un pays d'un individu ou d'un
groupe d'individus originaires d'un autre pays. Celle-ci devient clandestine
(et donc illégale) quand elle se pratique en désaccord avec la
législation du pays d'accueil »25. Les termes
d'immigration clandestine et illégale recouvrent donc la même
réalité selon lui.
En Haute-mer, il n'existe pas de migration
irrégulière. Pour que l'immigration irrégulière
soit constituée, il faut se trouver sur la partie terrestre du
territoire d'un État26. Ce pourquoi le terme d'immigration
irrégulière est rejeté par plusieurs auteurs et plusieurs
institutions internationales car il n'est pas illégal de quitter son
pays mais le séjour peut être illégal au plan
administratif.
18 COMMISSION EUROPÉENNE, Glossaire 2.0
sur l'asile et les migrations, Un outil pour une meilleure
comparabilité, Deuxième édition, 2012, p. 102.
19 Ibid., p. 107.
20 Ibid.
21 Ibid., p. 84.
22 Maurice KAMTO, Migrations de Masse,
op. cit., p. 125.
23 Ibid., p. 127.
24 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal
face à la migration transfrontière, Thèse pour
l'obtention du grade de docteur en Droit, Université Paris I
Panthéon-Sorbonne, 2018, p. 18.
25 Marcel N'GOUYA, « La criminalité en
mer », Revue Africaine des Affaires Maritimes et des Transports,
N°1 (Juillet 2009), p. 37?43.
26 Émilie DERENNE, Le trafic illicite de
migrants en mer méditerranée : une menace criminelle sous
contrôle?, Mémoire pour le Diplôme d'Université
« Analyse des menaces criminelles contemporaines» équivalent
Master II, Paris, Université Panthéon-Assas (Paris II), 2013, p.
9.
5
Selon Catherine Dauvergne, l'immigration est illégale
par référence à la loi migratoire de l'État
concerné. Elle inclut les personnes qui franchissent ses
frontières au mépris de la loi et ceux qui dépassent la
durée de leur séjour accordé27. Concernant les
demandeurs d'asile, pendant l'examen de leur demande, leur situation n'est pas
illégale mais si leur demande est rejetée elle le
redevient28.
Le terme « illégal » a plusieurs connotations
sur la perception de ces personnes concernées. Elles sont
identifiées en tant que délinquant d'abord, migrant ensuite, ce
qui donne une justification aux États pour adopter des lois qui leur
enlèvent leurs droits. Cela donne une grande importance aux
frontières nationales qui symbolisent une séparation entre la
nation et les autres. Cela est fait dans l'idée qu'il y a des raisons
valables et non valables d'immigrer29. Les migrants
économiques sont pointés du doigt comme indésirables et
sont les principales cibles des politiques. Il y a une différence qui
est faite entre les migrants économiques et les réfugiés
qui, eux, doivent être accueillis. Les migrants économiques ne
sont pas non plus protégés par le Protocole de 1967 à la
convention sur les réfugiés30.
La controverse sur la liberté de circulation existe
depuis les créateurs du droit international moderne. Vitoria et Grotius
arguaient que la liberté de communication prévaut sur les
prérogatives des États, tandis que Vattel soutient le droit des
États souverains de défendre l'entrée de leur territoire
aux étrangers. Dans le droit positif, la souveraineté des
États est première et la liberté des individus
seconde31. Les textes internationaux ne reconnaissent de droits
qu'aux nationaux de quitter leur pays mais pas un droit à
l'asile32. Le droit international s'abstient donc d'accorder un
droit à l'immigration. Le Comité des droits de l'homme, dans son
observation n° 27 sur la liberté de circulation, a rappelé
que : « La liberté de quitter le territoire d'un État ne
peut être subordonnée à un but particulier ni à la
durée que l'individu décide de passer en dehors du pays. Se
trouvent donc visés le voyage à l'étranger aussi bien que
le départ définitif de la personne qui souhaite émigrer.
De même, cette garantie légale s'étend au droit de choisir
l'État où l'individu souhaite se rendre. » Mais dans son
observation générale n° 15
27 Catherine DAUVERGNE, « Ch. 2, `On Being
Illegal' » dans Making People Illegal: What Globalization Means for
Migration and Law, Cambridge: Cambridge University Press, 2008, p. 11.
28 Ibid.
29 Ibid., p. 18.
30 Emily C. PEYSER, « «Pacific
Solution»? The Sinking Right to Seek Asylum in Australia »,
Pacific Rim Law & Policy Journal, vol. 11. Number 2 (2002), p.
23.
31 Danièle LOCHAK, « Des droits
fondamentaux sacrifiés » dans Emmanuel Blanchard (dir.), Le
coût des frontières. Liberté de circulation: un droit,
quelles politiques?, GISTI, 2011, p. 6.
32 Michelle FOSTER, « Protection Elsewhere:
The Legal Implications of Requiring Refugees to Seek Protection in Another
State », Michigan Journal of International Law, vol. 28. Issue 2
(2007), p. 224.
6
sur la situation des étrangers au regard du Pacte, le
Comité des droits de l'homme rappelle: « le Pacte ne
reconnaît pas aux étrangers le droit d'entrer sur le territoire
d'un État partie ou d'y séjourner ». Les États ont
donc une compétence exclusive sur les conditions d'entrée sur
leur territoire et peuvent imposer des conditions légales à cette
fin33. Il n'existe également pas de procédures
standardisées pour la détermination des réfugiés
qui relève de la compétence discrétionnaire des
États34.
Selon Georges Scelle, le droit à l'émigration
est un attribut essentiel de la liberté individuelle35.
La pratique internationale est divisée en
matière de terminologie à employer pour désigner ce
phénomène. La Recommandation Résolution 1509(2006) de
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe utilise le terme de
« migrants en situation irrégulière ».
Pour le Parlement européen, le document n°
RSP/2008/2562 parle d'immigration clandestine « Immigration clandestine.
Action extérieure de l'UE et Frontex ». La Commission
Européenne parle de l'immigration illégale dans son document
Commission européenne « Développement d'une politique
commune relative à l'immigration illégale, la contrebande et le
trafic d'êtres humains, les frontières extérieures et le
retour de résidents illégaux. Troisième rapport annuel
» SEC (2009) 320 final. Les institutions et les États font un lien
entre l'immigration et le droit pénal. Tandis que les Organisations
internationales parlent d'immigration irrégulière pour mettre
l'accent sur le fait que l'immigration ainsi considérée n'est
irrégulière que du fait des lois migratoires de l'État
d'entrée, et non l'immigration en elle-même.
C'est pourquoi nous choisirons d'employer pour ce
mémoire le terme d'immigration irrégulière
conformément à l'idée que l'immigration n'est pas une
infraction en soi car toute personne a le droit de quitter tout pays. Elle
n'est irrégulière qu'en lien avec le droit national.
2. La voie maritime : la mer
La mer est constituée de « l'ensemble des espaces
d'eau qui sont en communication libre et naturelle sur toute la surface du
globe »36. À la différence de la
définition des géographes qui
33 Alexander T. ALEINIKOFF, Le droit
international et la migration: tour d'horizon, Organisation internationale
pour les migrations Programme sur les politiques et la recherche en
matière migratoire, 2002, p. 15.
34 Ellen F. D'ANGELO, « Non-Refoulement: The
Search for a Consistent Interpretation of Article 33 », Vanderbilt
Journal of transnational Law, vol. Vol. 42. (2009), p. 285.
35 Georges SCELLE, Précis de Droit des
Gens, cité par Danièle LOCHAK, « Des droits
fondamentaux sacrifiés », loc. cit., p. 6.
36 Jean-Paul PANCRACIO, Droit de la mer,
Dalloz, 2010, p. 4.
7
présentent la mer comme un espace d'eau salée.
Il y a au sens juridique plutôt une unicité de l'espace maritime
en raison de la continuité des eaux37. Le droit ne
considère ces différents espaces d'eaux comme la mer «
qu'à la condition qu'ils soient en communication libre et naturelle sur
toute l'étendue du globe »38.
La mer a toujours été un carrefour
d'échanges important dans l'histoire des relations internationales. Elle
assure la quasi-totalité des échanges intercontinentaux de
marchandises. En comparaison, le trafic aérien de marchandises ne
représente que 1 à 2 % du volume transporté par voie
maritime39. Elle est la voie privilégiée de transports
de marchandises.
B. Intérêt du sujet
L'intérêt d'un tel sujet est triple. Il est en
effet intéressant à trois niveaux : humanitaire, politique et
académique.
De premier abord, l'intérêt humanitaire est le
plus évident. En effet, depuis plusieurs décennies, les
États s'attèlent à lutter contre ce
phénomène mais les drames liés à l'immigration
irrégulière se multiplient. Ces drames font la une de
l'actualité internationale et font entrer la question de l'immigration
irrégulière dans le débat public. Le drame de Lampedusa du
3 octobre 2013 qui s'est déroulé aux portes mêmes de
l'Europe illustre très bien cette réalité.
Il s'agissait d'un bateau venu de Lybie qui sombra près
de l'île de Lampedusa en raison d'une panique à bord causée
par un passager qui a mis le feu à une couverture. 368 personnes sont
décédées et 155 personnes ont survécu40.
Le 11 octobre 2013, toujours près de l'île de Lampedusa et de
Malte, environ 200 personnes ont péri après le naufrage d'un
bateau de pêche, malgré plusieurs appels au Centre de coordination
de sauvetage en mer de Rome dès 11 heures. Les services de recherche et
de sauvetage n'ont pas pu éviter le naufrage à temps. Le Pape
François s'était rendu à Lampedusa en juillet 2013 et a
dénoncé dans son discours une « mondialisation de
l'indifférence »41.
37 Ibid.
38 Patrick DAILLIER et al., Droit international
public, 8ème édition, L.G.D.J., 2009, p. 1276.
39 Jean-Paul PANCRACIO, Droit de la mer,
op. cit., p. 3.
40 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe:
un enjeu sécuritaire. Causes et conséquences des politiques
migratoires européennes sur les migrants, Mémoire
présenté pour l'obtention du Master en études
européennes, Global Studies Institute de l'Université de
Genève, 2015, p. 39.
41 Ibid., p. 40.
8
Ce genre de drame a fait se demander à Claire Saas si
la Méditerranée est « une zone de non-droit pour les
boat-people »42. Dans la conclusion de son article, elle fit ce
constat amer: « si de jure, la zone méditerranéenne
n'est pas une zone de non-droit, elle le devient de facto
»43. C'est toute la problématique auquel
les migrants sont confrontés : ils sont protégés de
jure mais l'application concrète fait douter du droit.
La situation à Lampedusa est toujours aussi
préoccupante en 2020. En effet, dans un article du Figaro du 10
juillet 2020, l'on apprend que plus de 500 migrants ont débarqué
sur l'île italienne en deux jours. Neuf bateaux contenant 116 passagers
en provenance de Tunisie ont accosté le premier jour suivis le lendemain
de sept bateaux venant de Tunisie et deux bateaux de Lybie transportant 434
migrants44.
Ce qui nous mène subséquemment à
l'intérêt politique du sujet de l'immigration
irrégulière qui est intimement lié à la notion
chère à l'État de souveraineté. Le traitement
juridique de la question de la migration irrégulière par voie
maritime fait l'objet d'un paradoxe. En effet, le cadre juridique est
tiraillé entre la protection des frontières des États et
le sauvetage des migrants. Les États ont le droit de protéger
leurs frontières. Ils ont le privilège de définir
eux-mêmes les conditions d'accès à leur territoire.
Cependant ceux-ci ont parallèlement le devoir, en raison des conventions
pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS)45 et sur la
recherche et le sauvetage (SAR)46, de recueillir dans un port
sûr les migrants quel que soit leur situation juridique.
C'est ce qu'exprime Guy S. Goodwin-Gill en ces termes :
«The refugee in international law occupies a legal
space characterized, on the one hand, by the principle of State sovereignty and
the related principles of territorial supremacy and self-preservation; and on
the other hand by competing humanitarian principles deriving from general
international law [...] and from treaty «47.
42 Claire SAAS, « La
Méditerranée, une zone de non-droit pour les boat-people? »
dans Patrick Chaumette, Espaces marins: surveillance et prévention
des trafics illicites en mer, 2016, p. 179.
43 Claire SAAS, « La Méditerranée,
une zone de non-droit pour les boat-people? », loc. cit.
44 LE FIGARO AVEC AFP. « Plus de 500 migrants
ont accosté à Lampedusa depuis jeudi, selon l'OIM, 10 juillet
2020 ».
45 Convention internationale pour la sauvegarde
de la vie humaine en mer (SOLAS) adoptée le 1er novembre 1974 ,
entrée en vigueur le 25 mai 1980, chapitre V, Règle
33(1).
46 Convention sur la recherche et le sauvetage
maritimes (SAR) adoptée le 27 avril 1979; entrée en vigueur le 22
juin1985, chapitre V, Règle 7.
47 Guy S. GOODWIN-GILL et Jane MCADAM, The
Refugee in International Law, 3rd edition., Oxford: Oxford University
Press, 2007. ; Anja KLUG et Tim HOWE, « The Concept of State Jurisdiction
and the Applicability of the Non-refoulement Principle to Extraterritorial
Interception Measures » dans Bernard Ryan et
9
Le terme « migrant » est souvent opposé
négativement dans le discours politique au terme de «
réfugié »48. Ainsi cette distinction fait une
différence entre les réfugiés, que l'on doit accueillir,
et les migrants « économiques », qui ne font que chercher une
vie meilleure et qui ne doivent pas s'installer. Ce que le discours public
omet, c'est que tout migrant qu'il soit ou non protégé par la
Convention sur les réfugiés bénéficie de droits
communs à tous les êtres humains, les droits de l'Homme. Certes il
n'y a pas de loi ou de régime spécial qui s'applique aux migrants
irréguliers et aucun migrant n'a le droit intrinsèque de
résider dans un pays autre que celui dont il a la
nationalité49. Cependant la mer n'est pas une zone de
non-droit, ce que ce mémoire veut expliciter.
L'apport académique, enfin, de notre sujet est
d'étudier les causes et les conséquences d'un tel paradoxe sur le
phénomène de l'immigration irrégulière par voie
maritime.
La globalisation ou mondialisation est un
phénomène qui se traduit par une augmentation des transactions
transfrontalières et des échanges50. Cette situation
de globalisation a un impact considérable sur la mobilité des
personnes, et accroît le flux de déplacements de celles-ci d'un
pays à un autre. Par conséquent, la question de l'immigration
irrégulière se fera de plus en plus urgente et il faudra, pour la
communauté internationale, trouver de nouvelles solutions juridiques
plus efficaces par rapport à la problématique.
De plus, plusieurs situations de crises risquent d'augmenter
encore le flux de migrants par cette voie comme le réchauffement
climatique. En effet, la montée de la température de la Terre et
partant du volume des océans menace l'habitat de milliers de personnes
à travers le monde. Au point où la doctrine internationale
s'interroge sur une nouvelle catégorie de réfugiés : les
réfugiés climatiques51.
Certains auteurs, comme François Crépeau,
militent même pour une accélération de la mobilité
régulière et légale. En effet, selon François
Crépeau, en permettant à plus d'étrangers de se
déplacer librement avec des documents de voyage, l'on peut mieux
contrôler leur identité
Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control.
Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010,
p. 69.
48 Julian M. LEHMANN, « Rights at the
Frontier: Border Control and Human Rights Protection of Irregular International
Migrants », Goettingen Journal of International Law, vol. Vol. 3.
No. 2 (2011), p. 737.
49 Ibid., p. 768.
50 Henk OVERBEEK, « Globalization,
Sovereignty, and Transnational Regulation: Reshaping the Governance of
International Migration » dans Ghosh, B., Managing Migration: Time for
a New International Regime?, Oxford: Oxford University Press, 2000, p.
49.
51 À ce propos voir : Roméo
Koïbé Madjilem, « La protection juridique des
réfugiés et déplacés climatiques à assurer
par les organisations régionales Rôle de l'Union Africaine »
(Thèse en vue de l'obtention du doctorat de Droit public de
l'Université Paris Nanterre, Université Paris Nanterre, 2017).
10
et empêcher des voyages irréguliers, dangereux et
mortels52. Mais cette idée n'est pas à l'ordre du jour
des discussions diplomatiques qui se basent plutôt sur la surveillance
accrue des frontières.
C. Délimitation du champ de l'étude
Ce mémoire concerne la migration par voie maritime,
c'est-à-dire le moment où les migrants quittent leur territoire
de départ, se trouvent dans l'espace maritime, puis mettent pied
à terre. Il ne concerne pas le séjour sur le territoire
d'arrivée.
Ce choix est justifié par le fait que l'immigration par
voie maritime est le type d'immigration le plus difficile à contenir
compte tenu du régime juridique de la mer basé sur la
liberté de navigation. En effet, ce principe fondamental contenu dans
les articles 57 et 58 de la Convention de Montego Bay53 fait de la
haute-mer une zone libre de toute souveraineté. Ainsi, les droits
nationaux ne s'y appliquent pas.
L'immigration n'est pas une infraction en soi. Elle n'est
seulement irrégulière qu'en opposition avec les lois de
l'État d'accueil. La particularité de l'immigration par voie
maritime réside en ce que la mer, malgré la liberté de
navigation qui la caractérise, n'est en aucun cas une zone de non-droit.
En effet, de nombreuses conventions obligent les États à porter
secours aux personnes en détresse en mer. Ce qui concerne les immigrants
irréguliers qui empruntent cette voie. Il s'agit de la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) adoptée le 10
décembre 1982, de la Convention sur la recherche et le sauvetage
maritime (SAR) adoptée le 27 avril 1979 et de la Convention
internationale pour la Sauvegarde de la Vie Humaine en Mer (SOLAS) qui est
adoptée le 1er novembre 1974. Ces différents textes consacrent
une obligation de secourir toute personne en danger en mer.
Cependant, malgré ces différentes conventions
qui consacrent l'obligation de porter secours, de nombreuses victimes meurent
chaque jour en mer sans qu'aucune aide ne leur ait été
apportée. Au vu des chiffres, l'on peut conclure qu'un nombre
considérable de vies sont perdues lors des traversées maritimes
clandestines. Cela contraste avec les obligations des États
découlant des conventions internationales qui sont
implémentées pour éviter que cela se produise grâce
à l'obligation de porter secours.
52 François CRÉPEAU, « Europe
Can Stop Human Deaths and Suffering, and Regain Control of Its Borders
», Review of International Law & Politýcs, vol. Vol.
12. No. 1 (2016), p. 38.
53 Convention des Nations unies sur le droit de
la mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le
10 décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994,
articles 57, 58 (1).
11
Cette étude s'inscrira dans le cadre du droit
international public, ensemble des règles juridiques régissant
les relations entre les États et les autres sujets de la
société internationale54. Nous avons adopté
cette délimitation en raison du but de notre étude qui est
d'examiner les règles qui s'appliquent aux sujets du droit international
en matière d'immigration irrégulière. Elle ne
s'intéresse pas au droit international privé.
D. Problématique et annonce du plan
L'enjeu de cette recherche est d'étudier
l'effectivité du droit international sur la situation des immigrants
irréguliers par voie maritime. Il est donc important de formuler une
problématique pour apporter des réponses appropriées.
Les règles du droit international public sont-elles
pertinentes pour régir l'immigration irrégulière par voie
maritime ?
Le droit qui s'applique à la migration
irrégulière par voie maritime est composé de plusieurs
corps juridiques, du droit de la mer au droit pénal international en
passant par le droit international des droits de l'homme. Ce qui en fait un
régime juridique hétérogène (Première
partie) composé de plusieurs éléments distincts. Mais il
souffre de plusieurs insuffisances (Deuxième partie) qui mettent
à mal son application.
54 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Lexique
des termes juridiques, 23ème édition, Dalloz, 2015.
12
PREMIÈRE PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE
HÉTÉROGÈNE
Les règles applicables au phénomène de
l'immigration irrégulière sont multiples. Toutes ces
règles coexistent et sont applicables de manière
simultanée. Au total, quatre grandes branches du droit s'appliquent aux
migrants clandestins en mer. D'une part, le droit de la mer et le droit
international des réfugiés donnent des obligations directes aux
États dans le traitement sur leur parcours maritimes. Ces obligations
sont concomitantes (Chapitre 1). D'autre part, le droit international des
droits de l'Homme et le droit pénal international remplissent une
fonction de protection de la personne même des migrants que tout
État doit garantir (Chapitre 2).
13
CHAPITRE 1. UNE MULTITUDE D'OBLIGATIONS
ÉTATIQUES CONCOMITANTES
Les deux branches du droit sont applicables
simultanément à la migration par voie maritime. Le devoir de
porter secours aux personnes en danger en mer est la première
règle du droit international qui s'applique dans ces situations (Section
1). De plus, le principe de non refoulement interdit aux migrants d'être
ramenés dans les pays de persécution (Section 2).
14
SECTION 1. L'OBLIGATION DE PORTER SECOURS EN MER, UN PRINCIPE
FONDAMENTAL DU DROIT DE LA MER
L'obligation de porter secours est une tradition maritime
coutumière consacrée par les traités internationaux. Elle
est la première règle juridique qui s'applique aux migrants par
voie maritime. Il importe de voir son contenu (Paragraphe 1) et les obligations
qui y sont liées (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Le contenu de l'obligation de porter
secours
Ces différents textes consacrent une obligation de
secourir toute personne en danger en mer (A) pesant sur tout État
(B).
A. Porter secours à toute personne en danger en
mer
L'obligation de porter secours est un principe coutumier du
droit international55. L'obligation d'assistance en mer est
fermement établie en droit de la mer. Cette règle
coutumière a été codifiée par plusieurs textes
juridiques et conventions internationales. Elle a d'abord été
consacrée à l'article 12 de la Convention de Genève de
1958 sur la haute mer, puis reprise par l'article 98 de la Convention de
Montego Bay sur le droit de la mer de 1982 et enfin consolidée par la
Convention Internationale pour la Sauvegarde de la vie humaine en mer
(Convention SOLAS pour Safety of life at sea, 1974) en son article 33.1 et la
Convention Internationale sur la Recherche et le Sauvetage maritimes,
(dénommée « SAR » pour Search And Rescue
1979).
C'est une obligation aussi vieille que le droit de la mer
lui-même. En effet, dans un environnement aussi hostile que l'espace
maritime, les navigateurs doivent très souvent compter sur la
solidarité entre gens de mer pour éviter le naufrage. Avant
d'être consacrée dans des textes juridiques et confirmée
par la jurisprudence, elle a été appliquée comme
étant le droit pendant plusieurs siècles. Cette obligation de
porter secours consiste à porter assistance à des
55 Violeta MORENO-LAX, « Seeking Asylum in the
Mediterranean: Against a Fragmentary Reading of EU Member States' Obligations
Accruing at Sea », International Journal of Refugee Law, vol.
Vol. 0. No. 0 (2011), p.21. ; Martin RATCOVICH, International Law and the
Rescue of Refugees at Sea, Academic dissertation for the Degree of Doctor
of Law in Public International Law, Stockholm, Stockholm University, 2019, p.
75.
15
navires en difficulté, en détresse. Le
caractère coutumier de cette obligation a été
rappelé dans le « Commentaire du projet de l'article 12 de la
Convention des Nations Unies sur la haute mer » émis par la
Commission du droit international en 195656. Les parties des
conventions qui ont repris ce principe qui font partie du droit coutumier lient
même les États non parties57. En effet, le droit
coutumier international fait partie des sources du droit international
utilisées par la Cour Internationale de Justice. La coutume
internationale est donc applicable dans tous les affaires jugées par la
dite Cour.
La première jurisprudence qui consacre cette obligation
est l'arrêt Scaramanga vs Stamp de 188058. Ensuite,
est adoptée la convention de Bruxelles sur le sauvetage de 1910
remplacée ensuite par la Convention internationale pour l'unification de
certaines règles relatives à l'Assistance et au sauvetage en mer
de 198959 dont les dispositions ont été reprises par
les trois conventions de base régissant le secours en mer. Il s'agit de
la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) adoptée
le 10 décembre 1982, de la Convention sur la recherche et le sauvetage
maritime (SAR) adoptée le 27 avril 1979 et de la Convention
internationale pour la Sauvegarde de la Vie Humaine en Mer (SOLAS) qui est
adoptée le 1er novembre 1974.
La Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer de 1982
dispose en son article Art. 98 (1) que « Tout État exige du
capitaine d`un navire battant son pavillon que, pour autant que cela lui est
possible sans faire courir de risques graves au navire, à
l`équipage ou aux passagers :
a) il prête assistance à quiconque est trouvé
en péril en mer ;
(b) il se porte aussi vite que possible au secours des
personnes en détresse s'il est informé qu'elles ont besoin
d'assistance, dans la mesure où l'on peut raisonnablement s'attendre
qu'il agisse de la sorte ».
La Convention Internationale pour la Sauvegarde de la Vie en
mer de 1974 (Convention SOLAS) prévoit que le « capitaine d'un
navire en mer qui est en mesure de prêter assistance et qui
reçoit, de quelque source que ce soit, une information indiquant que des
personnes se
56 Jasmine COPPENS et Eduard SOMERS, « Towards
New Rules on Disembarkation of Persons Rescued at Sea? », The
International Journal of Marine and Coastal Law, no 25 (2010),
p. 377.
57 Jessica E. TAUMAN, « Rescued at Sea, but
Nowhere to Go: The Cloudy Legal Waters of the Tampa Crisis », Pac. Rim
L & Pol'y J., vol. 11. no 2 (2002), p. 467.
58 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue »
dans Efthymios D. PAPASTAVRIDIS and Kimberley N. TRAPP (dir.), La
criminalité en mer, Martinus Nijhoff / Académie de Droit
International de la Haye, 2014, p. 382.
59 Ibid.
16
trouvent en détresse en mer, est tenu de se porter
à toute vitesse à leur secours, si possible en les en informant
ou en informant le service de recherche et de sauvetage » en son Chapitre
V, Règle 33(1).
La Convention Internationale sur la Recherche et le Sauvetage
Maritime (SAR) définit le sauvetage comme une « opération
destinée à repêcher des personnes en détresse,
à leur prodiguer les premiers soins médicaux ou autres dont elles
pourraient avoir besoin et à les remettre en lieu sûr
»60. En effet, les États Parties doivent «s'assurer
que l'assistance puisse être octroyée à toute personne en
détresse en mer et ce indépendamment de la nationalité ou
du statut de cette personne ou des circonstances dans lesquelles cette personne
a été trouvée» (Chap. 2.1.10) et à «
pourvoir à leurs premiers besoins et soins médicaux et à
les conduire dans un lieu sûr.» (Chap. 1.3.2.). L'Annexe Chapitre
2.1.1 exige que « les Parties veillent à ce que les dispositions
nécessaires soient prises pour que les services requis de recherche et
de sauvetage soient fournis aux personnes en détresse en mer au large de
leurs côtes. »
L'opération de secours comporte, en pratique, six
phases : le ralliement sur zone, la reconnaissance de la situation de
détresse, son évaluation, l'embarquement des migrants et leur
débarquement61. Plus simplement, la procédure de
sauvetage se déroule comme suit : le navire repère une
embarcation en détresse, il prévient l'État responsable de
la zone SAR, il conduit les naufragés vers un lieu
sûr62.
Les amendements aux conventions SOLAS et SAR ont
été adoptés en mai 2004 et sont entrés en vigueur
au 1er juillet 200663.
Porter secours est obligatoire pour tout État en mer.
60 Benoît GRÉMARE, L'agence
Frontex et la marine nationale, Mémoire de Master 2 Droit Public
« Sécurité et Défense
Transméditerranéenne », Toulon, Université
Toulon-Var, 2012, p. 48.
61 Ibid., p. 50.
62 Estelle GELLET, « La lutte contre
l'immigration clandestine par voie maritime: une nécessaire
coopération entre terre et mer. », Cargo Marine,
no 08 (Mai 2013), p. 11.
63 HCR & OMI, Sauvetage en mer: Guide des
principes et mesures qui s'appliquent aux migrants et aux
réfugiés, Haut-Commissariat aux réfugiés et
Organisation maritime internationale, 2006, p. 2.
17
B. Une obligation pesant sur tout État
Tout État est concerné par l'obligation de
sauvetage qu'il soit côtier, de pavillon ou responsable de zone
SAR64.
Pour l'État de pavillon, l'article 98 de la CNUDM,
dispose qu'« il incombe au capitaine d'un navire le devoir de secourir
« quiconque est trouvé en péril en mer » sauf dans le
cas où le fait de porter assistance entraîne un risque grave pour
son équipage, ses passagers et le navire. L'État du pavillon doit
s'assurer que cette obligation est respectée.
L'article 98 impose que les États facilitent « la
création et le fonctionnement d'un service permanent de recherche et de
sauvetage adéquat et efficace pour assurer la sécurité
maritime et aérienne et, s'il y'a lieu, collaborent à cette fin
avec leurs voisins dans le cadre d'arrangements régionaux ». Cette
obligation sera abordée plus amplement infra.
Une grande responsabilité pèse sur l'État
côtier dans sa zone de sauvetage de coordonner les secours65.
Les opérations de sauvetage sont menées par le pays dont
dépendent les eaux territoriales où est repérée
l'embarcation en détresse66. L'État côtier doit
requérir de ses navires battant son pavillon de porter secours à
tout navire en détresse en mer67. De plus il doit accepter la
coopération avec d'autres États si
nécessaire68. Il doit conduire les rescapés vers un
lieu sûr sans discrimination69.
La coordination entre les États est un pan essentiel du
sauvetage en mer sur ce point.
Paragraphe 2. L'obligation supplémentaire de
coordination du sauvetage
Il ne suffit pas aux États de secourir en cas de
détresse des personnes en mer. Les conventions pertinentes imposent
également la création de zones de recherche et de sauvetage (A)
dont les États côtiers sont responsables (B).
64 Éloise PETIT-PREVOST, Alpha DIALLO et
Anais AUGER, Les obligations des Etats en matière de secours en mer.
Livret à destination de la société civile.,
2018p.6.
65 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat
people and humanitarianism at sea », loc. cit., p. 59.
66 Marie-Laure BASILIEN-GAINCHE, « Les boat
people de l'Europe. Que fait le droit? Que peut le droit? », La Revue
des droits de l'homme [En ligne], no 9 (2016), p. 17.
67 Jasmine COPPENS et Eduard SOMERS, « Towards
New Rules on Disembarkation of Persons Rescued at Sea? », loc.
cit., p. 378.
68 Ibid.
69 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat
people and humanitarianism at sea », loc. cit., p. 51.
18
A. La création de zones de recherche et de sauvetage
(SRR)
La Convention SOLAS stipule, en son chapitre 5, règle
7, que les États parties doivent « prendre les dispositions
nécessaires pour la communication et la coordination en cas de
détresse dans la zone relevant de sa responsabilité et pour le
sauvetage des personnes en détresse en mer à proximité de
ses côtes. Ces dispositions doivent comprendre la mise en place,
l'utilisation et l'entretien des installations de recherche et de sauvetage
jugées réalisables et nécessaires». Il existe donc
une obligation pour les États côtiers de mettre en place des
installations permettant la recherche et le sauvetage en mer.
Toutes ces opérations de sauvetage doivent faire
l'objet d'une coordination autour des Centres de Coordination et de Sauvetage
dits RCC70.
Mais le régime juridique n'est pas forcément
clair sur les exigences géographiques qui déterminent
l'État responsable de la zone SAR71. Les dispositions des
conventions applicables en effet sont de la soft law et comptent
surtout sur la coopération des États pour être mises en
application. En effet, l'article 98 (2) de la convention de Montego Bay dispose
que « Tous les États côtiers facilitent la création et
le fonctionnement d'un service permanent de recherche et de sauvetage
adéquat et efficace pour assurer la sécurité maritime et
aérienne et, s'il y a lieu, collaborent à cette fin avec leurs
voisins dans le cadre d'arrangements régionaux »72.
Cette coopération doit aboutir à
débarquer les rescapés vers un lieu sûr. Il existe une
obligation pour l'État qui porte secours de trouver un lieu sûr de
débarquement au chapitre 3 § 3.1.9 de la convention SAR: « La
Partie responsable de la région de recherche et de sauvetage dans
laquelle une assistance est prêtée assume au premier chef la
responsabilité de veiller à ce que cette coordination et cette
coopération soient assurées, afin que les survivants secourus
soient débarqués du navire qui les a recueillis et conduits en
lieu sûr, compte tenu de la situation particulière et des
directives élaborées par l'Organisation. Dans ces cas, les
Parties intéressées
70 Éloise PETIT-PREVOST, Alpha DIALLO et
Anais AUGER, « Les obligations des Etats en matière de secours en
mer. Livret à destination de la société civile. »,
loc. cit., p. 5.
71 Olivier BARSALOU, « L'interception des
réfugiés en mer: un régime juridique aux confins de la
normativité », Lex Electronica, vol. 12. n°3 (Hiver /
Winter 2008), p. 13.
72 Convention des Nations unies sur le droit de
la mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le
10 décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994,
article 98 (2).
19
doivent prendre les dispositions nécessaires pour que
ce débarquement ait lieu dans les meilleurs délais
raisonnablement possibles »73.
Mais un problème fondamental découle de
l'obligation de conduire vers un port sûr : il n'existe pas d'obligation
de débarquement74. Les États hostiles au
débarquement n'ont donc aucune obligation d'accueillir les
rescapés. Ce qui empêche de combattre la pratique des États
hostiles au débarquement.
Il convient d'étudier les responsabilités
exactes des États dans leurs zones de recherche et de sauvetage.
B. La responsabilité des États dans leurs
zones de recherche et de sauvetage
La Convention sur la recherche et le sauvetage maritime (SAR)
permet la coopération et une coordination de l'action des États
en matière de secours en mer.
Il est obligatoire pour l'État côtier de
s'assurer qu'une assistance soit fournie aux personnes en détresse en
mer. Le chapitre 2 § 2.1.1 prévoit que « Les Parties veillent
à ce que les dispositions nécessaires soient prises pour que les
services requis de recherche et de sauvetage soient fournis aux personnes en
détresse en mer au large de leurs côtes »75.
Aussi, le chapitre 2 § 2.1.9 : « Lorsqu'elles sont
informées qu'une personne est en détresse en mer, dans une
région où une Partie assure la coordination
générale des opérations de recherche et de sauvetage, les
autorités responsables de cette Partie prennent de toute urgence les
mesures nécessaires pour fournir toute l'assistance possible
»76.
Les États ne doivent pas opérer de
discriminations à cette fin selon le chapitre 2 § 2.1.10 « Les
États Parties doivent s'assurer que l'assistance puisse être
octroyée à toute personne en
73 « Convention sur la recherche et le sauvetage
maritimes (SAR) adoptée le 27 avril 1979; entrée en vigueur le 22
juin1985 », loc. cit., chapitre 3 § 3.1.9.
74 Marcello DI FILIPPO, « Irregular migration
accross the mediterranean sea: problematic issues concerning rules of safeguard
at sea », Paix et Sécurité Internationales, Num. 1
(janvier 2013), p. 65.
75 « Convention sur la recherche et le sauvetage
maritimes (SAR) adoptée le 27 avril 1979; entrée en vigueur le 22
juin1985 », loc. cit., chapitre 2 § 2.1.1.
76 Ibid., chapitre 2 § 2.1.9.
20
détresse en mer et ce indépendamment de la
nationalité ou du statut de cette personne ou des circonstances dans
lesquelles cette personne a été trouvée
»77.
Le chapitre 3 § 3.1.1 oblige les parties à se
coordonner pour assurer le sauvetage. En effet, « Les Parties coordonnent
leurs services de recherche et de sauvetage et devraient, chaque fois que cela
est nécessaire, coordonner leurs opérations de recherche et de
sauvetage avec celles des États voisins »78.
L'obligation d'assistance signifie que les survivants doivent
être débarqués des navires qui les ont assistés et
être placés en lieu sûr. Quand un navire repère une
embarcation dans une situation de détresse, il est tenu de
prévenir l'État responsable de la zone SAR dans laquelle il se
trouve, puis de venir en aide à l'embarcation en attente d'une escorte
vers un port jugé sûr et préalablement
défini79. Cette obligation est contenue dans le chapitre 3
§ 3.1.6, alinéa 4 : « Toute Partie devrait autoriser ses
centres de coordination de sauvetage [...] à prendre les dispositions
nécessaires, en coopération avec d'autres RCC, pour identifier le
ou les lieux les plus appropriés pour débarquer des personnes
trouvées en détresse en mer »80.
Les États doivent accueillir les rescapés de
leurs zones de responsabilité SAR. Les États côtiers
doivent établir un système de sauvetage effectif et
coopérer avec leurs voisins. La coopération implique l'action, se
réunir pour produire un résultat comme les négociations ou
la création d'institutions. Le refus de négocier équivaut
à un non-respect de cette obligation. C'est une obligation de moyens et
non de résultats81.
L'identification du lieu de débarquement a
été précisée par les amendements de 2006 des
conventions SAR (art 3.1.9) et SOLAS (art 4.1-1). Mais les problèmes ne
sont pas résolus ; l'État responsable de la zone SAR n'est pas
dans l'obligation totale de recevoir les personnes secourues82. Il
est un devoir pour les États de porter secours aux personnes en
détresse en mer, mais il n'y a pas d'obligation d'accepter le
débarquement de ces personnes. Ainsi, il est très courant que ces
personnes soient bloquées pendant deux semaines sur un navire avant de
poser
77 Ibid., chapitre 2 § 2.1.10.
78 Ibid., chapitre 3 § 3.1.1.
79 Mohammed AL SAADI, L'immigration
illégale et la sécurité intérieure en France et au
Qatar, Thèse de doctorat Présentée en vue de
l'obtention du grade de docteur en Droit international de l' Université
Paris-1 Panthéon-Sorbonne, Paris, 2018, p. 254.
80 « Convention sur la recherche et le sauvetage
maritimes (SAR) adoptée le 27 avril 1979; entrée en vigueur le 22
juin1985 », loc. cit., chapitre 3 § 3.1.6, alinéa
4.
81 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue »,
loc. cit., p. 2.
82 Marcello DI FILIPPO, « Irregular migration
accross the mediterranean sea: problematic issues concerning rules of safeguard
at sea », loc. cit.
21
pied à terre83. Les États refusent
très souvent encore l'accès à leurs eaux territoriales
sous prétexte qu'il n'y a pas de preuves de la présence de
réfugiés à bord qui justifie l'entrée du navire.
C'est un exemple de la tendance à transférer la frontière
maritime aux frontières terrestres84. Mais il est très
difficile de créer un devoir de permettre le débarquement car
cela se confronte à la souveraineté de l'État en cause. Ce
pourquoi il n'existe pas de conventions actuelles qui contiennent une telle
obligation juridique85.
Dans l'histoire il y a eu malheureusement des incidents qui
ont défrayé la chronique et qui sont la preuve d'un mouvement
hostile à l'accueil des migrants particulièrement dans les pays
occidentaux qui sont la principale destination que ceux-ci cherchent à
rejoindre.
Ainsi le 20 juin 2004, le cap Anamour un navire qui a secouru
37 migrants en Méditerranée, s'est opposé au refus de
débarquement de la part de l'Italie. Il les a secourus en haute mer dans
le canal de Sicile. Le navire s'est par la suite arrêté à
Malte pour des réparations, sans toutefois signaler la présence
à bord des migrants. Puis, il a repris sa route jusqu'en Italie
où les migrants souhaitaient demander l'asile. L'Italie a
empêché le navire d'entrer dans sa mer territoriale, arguant de ce
que, conformément à l'article 10 du Règlement 343/2003 du
18 février 2003 de l'Union européenne, c'est Malte, en tant
qu'État de première arrivée, qui devait examiner les
demandes d'asile des migrants. Le 12 juillet 2004, l'Italie autorisa finalement
le débarquement des migrants, examina leurs demandes d'asile et les
rejeta toutes. Le capitaine et l'équipage du Cap Anamour furent
arrêtés pour violation de la législation italienne en
matière d'immigration, avant d'être libérés par la
suite86.
L'absence d'obligation d'accepter le débarquement sur
son territoire pose un véritable problème pratique, juridique et
politique. Dans la pratique, cela signifie que les migrants peuvent rester des
jours, des semaines dans des conditions inhumaines sans soins, sans nourriture
adéquate tout ceci en pleine mer. Au plan juridique, le
débarquement vers un lieu sûr est nécessaire pour
déclarer la fin des opérations de sauvetage. Au niveau politique,
s'ensuivent
83 Jasmine COPPENS et Eduard SOMERS, « Towards
New Rules on Disembarkation of Persons Rescued at Sea? », loc.
cit., p. 1.
84 Seline TREVISANUT, « The Principle of
Non-refoulement at Sea and the Effectiveness of Asylum Protection »,
Max Planck Yearbook of United Nations Law (Max Planck Institute for
Comparative Public Law and International Law), vol. Vol 12. (2008), p.
18.
85 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High
Seas: International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
Goettingen Journal of International Law, vol. 3. no 2
(2011), p. 9.
86 Maurice KAMTO, Migrations de Masse,
op. cit., p. 182.
des négociations houleuses entre les États sur
leurs responsabilités et des incidents diplomatiques.
De plus, de nombreux mécanismes juridiques sont
établis par les États pour se soustraire à leurs
obligations. C'est l'exemple de l'Espagne qui paye pour éviter l'afflux
de migrants. Il s'agit du cas du navire Marine I qui a recueilli à son
bord environ 300 migrants venant de Guinée le 30 janvier 2007. Il se
trouvait dans la zone de recherche et de sauvetage du Sénégal
mais celui-ci a demandé à l'Espagne d'effectuer le sauvetage par
manque de moyens. Le 4 février, l'Espagne a fourni des vivres au navire
et a entamé des discussions avec le Sénégal et la
Mauritanie. Le 12 février, un accord est trouvé entre les trois
pays. L'Espagne a payé 650.000 euros pour que la Mauritanie accepte le
débarquement des migrants. La Guinée a accepté de
recueillir 35 passagers87.
Le droit de la mer n'est pas la seule branche du droit
international public qui lie les États. Le principe de non-refoulement
est un autre principe consacré en droit international des
réfugiés auquel les États doivent se plier.
22
87 Ibid., p. 190.
23
SECTION 2. LE DROIT INTERNATIONAL DES RÉFUGIÉS
ET LE PRINCIPE DE NON REFOULEMENT
Le principe de non refoulement est un principe comportant une
obligation pour tous les États contractants de ne pas renvoyer les
migrants dans des lieux dangereux pour leurs droits élémentaires.
Il importe de l'étudier pour en examiner les contours (Paragraphe 1).
Ensuite sera abordée la question de son application rationae loci
qui détermine les responsabilités de l'État fautif
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Le contenu du principe de non
refoulement
Pour étudier le principe de non refoulement, il
convient de rappeler sa base juridique et sa signification (A). Son
caractère coutumier sera également étudié (B).
A. De la base juridique et de la signification du principe de
non refoulement
La principale base juridique du principe de non-refoulement
est l'article 33 de la convention sur les réfugiés de 1951 qui
stipule qu'« aucun des États Contractants n'expulsera ou ne
refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur
les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté
serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques »88. Une autre base du principe est
l'article 3.1 de la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants89 qui dispose qu'
« aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une
personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux
de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture ». Le
principe est également reconnu par l'article 7 du pacte international
des droits civils et politiques90. La convention européenne
des droits de l'Homme91 en son article 3 et l'article 2 (3) de la
Convention de l'Organisation de l'Unité
88 Convention de Genève sur les
réfugiés, 1951.
89 Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, entrée en
vigueur le 26 juin 1987, 1984.
90 Seline TREVISANUT, « The Principle of
Non-refoulement at Sea and the Effectiveness of Asylum Protection »,
loc. cit., p. 213.
91 Convention européenne des droits de
l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
24
Africaine régissant les aspects propres aux
problèmes des refugiés en Afrique92 contiennent des
dispositions à la formulation similaire.
Le refoulement est selon le glossaire de la commission
européenne en 2012 le « renvoi d'un individu de quelque
manière que ce soit par un État vers le territoire d'un autre
État où il pourrait être persécuté en raison
de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance
à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ; ou bien
où il pourrait être victime de torture »93. A
contrario, le non-refoulement est, selon le même glossaire, le «
principe fondamental du droit des réfugiés interdisant aux
États d'éloigner ou de refouler, de quelque manière que ce
soit, un réfugié vers des pays ou territoires où sa vie ou
sa liberté serait menacée »94.
Le réfugié doit répondre à
plusieurs critères pour obtenir ce statut. Selon la Convention de
Genève du 28 juillet 1951, le refugié est « toute personne
craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race,
de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays
dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte,
ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Il doit
avoir une crainte justifiée d'une persécution liée
à la race, la religion, la nationalité, l'opinion politique ou
l'appartenance à un groupe social. La personne concernée doit
également se trouver hors du pays dont elle a la
nationalité95. Le champ d'application du principe de
non-refoulement est donc intrinsèquement lié à la
définition du réfugié. Ainsi, le principe ne s'applique
pas aux personnes qui restent dans leur pays de résidence. Les
obligations tirées du principe de non-refoulement sont principalement
négatives. La condition la plus importante est l'effet du refoulement,
c'est-à-dire mettre en danger les personnes concernées et les
exposer à des risques de mort ou de torture.
92 Convention de l'Organisation de
l'Unité Africaine régissant les aspects propres aux
problèmes des refugiés en Afrique du 26 juin 1981.
93 COMMISSION EUROPÉENNE, Glossaire 2.0
sur l'asile et les migrations, Un outil pour une meilleure
comparabilité, op. cit., p. 165.
94 Ibid.
95 Roméo Koïbé MADJILEM, La
protection juridique des réfugiés et déplacés
climatiques à assurer par les organisations régionales.
Rôle de l'Union Africaine, Thèse en vue de l'obtention du
doctorat de Droit public de l'Université Paris Nanterre,
Université Paris Nanterre, 2017, p. 31.
25
Le principe a deux aspects essentiels : l'application à
tous les réfugiés96 et l'obligation
d'évaluation de la situation individuelle des
réfugiés97. Cette obligation d'examen est
exigée par la Convention de Genève de 1951. Ces dispositions
s'appliquent à tous les réfugiés. Par ailleurs le statut
de réfugié est déclaratoire : ce statut n'a pas besoin
d'une reconnaissance quelconque. Il faut protéger les
réfugiés sans discrimination et respecter le principe de non
refoulement98. Ce principe impose pour obligations aux États
de ne pas expulser de leur territoire certains individus ou groupes de
personnes présents sur leur territoire vers les pays de
persécution99.
Le principe de non refoulement n'accorde pas automatiquement
l'asile100. Il est également différent du rejet
à la frontière. Il impose une identification et une
procédure individuelle pour voir si la personne concernée a droit
au statut et aux droits accordés aux réfugiés. La
reconnaissance de ce statut est déclaratoire et non
constitutive101.
La Cour européenne des droits de l'homme en fait une
application jurisprudentielle avec l'arrêt Hirsi Jamaa du 2
février 2012102. Les faits de l'affaire sont les suivants :
un groupe de 200 personnes quittent la Lybie à bord de 3 embarcations
dans le but de rejoindre les côtes italiennes. Le 6 mai 2009, les
embarcations furent approchées par 3 navires italiens à 35 milles
marins au sud de Lampedusa. Les occupants furent transférés sur
les navires italiens et reconduits à Tripoli contre leur gré.
Parmi les 200 migrants, 11 ressortissants somaliens et 13 ressortissants
érythréens ont saisi la CEDH d'une requête le 26 mai 2009
en vertu de l'article 34 de la convention EDH. Ils allèguent que leur
transfert vers la Lybie par les autorités italiennes avait violé
les articles 3 de la CEDH et 4 du Protocole n°4 et ils
dénonçaient l'absence d'un recours conforme à l'article 13
de la convention.
96 Sophie RODEN, « Turning their Back on the
Law? The Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy
», paper in fulfillment of requirements for honours in law, the
Australian National University Paper, (2013), p. 6.
97 Ibid., p. 8. ; Kiara NERI, « Le
droit international face aux nouveaux défis de l'immigration clandestine
en mer », loc. cit., p. 151.
98 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face
à la migration transfrontière, op. cit., p. 176.
99 Seline TREVISANUT, « The Principle of
Non-refoulement at Sea and the Effectiveness of Asylum Protection »,
loc. cit., p. 4.
100 Maarten DEN HEIJER, « Europe beyond its Borders:
Refugee and Human Rights Protection in Extraterritorial Immigration Control
» dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial
Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010,
p. 188.
101 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 16.
102 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Hirsi Jamaa
et autres c. Italie, 2012.
26
La Cour a estimé que l'Italie avait sous son
contrôle continu en droit et en fait les requérants. Ensuite, en
se référant à la situation en Lybie depuis 2010, les juges
ont estimé que le risque de torture et de mauvais traitements
systématiques engageait la responsabilité des autorités
italiennes. D'ailleurs en 1989, l'article 3 de la convention EDH avait
déjà trouvé une application jurisprudentielle dans
l'affaire Soering103. Monsieur Soering, ressortissant allemand,
était détenu en Angleterre en attendant son extradition vers
l'État de Virginie aux États-Unis d'Amérique où il
y était accusé de meurtre. Il risquait d'être
condamné à la peine capitale et donc de subir le « syndrome
du couloir de la mort ». Selon la Cour, ce syndrome représente un
traitement dégradant. Cet arrêt instaure le principe selon lequel
en présence de motifs sérieux et avérés de croire
que l'intéressé, si on le livre à un État, y courra
un risque réel d'être soumis à la torture ou à des
peines ou traitements inhumains ou dégradants, la responsabilité
de l'État qui l'expulse sera engagée à raison d'un acte
exposant autrui à des traitements prohibés par l'article
3104.
La Cour a donné raison aux requérants parce
qu'il y a effectivement violation de l'article 3 de la convention EDH du fait
de leur expulsion et du risque de subir de mauvais traitements et d'être
rapatriés. Elle a ainsi condamné l'Italie pour avoir reconduit en
Libye des migrants somaliens et érythréens interceptés en
mer105.
L'affaire Khlaifia contre Italie a des faits similaires et a
vu la condamnation de l'Italie sur les mêmes bases juridiques de
l'interdiction des expulsions collectives106.
Les exceptions au principe de non-refoulement sont rares et
très réglementées. L'État n'a aucun devoir, aucune
obligation de concéder l'asile à personne. En
réalité, il s'agit d'un droit de l'État à accorder
l'asile à l'individu et non pas d'un droit de l'individu à
l'asile107. Cependant, l'individu ne peut être renvoyé
et refoulé que selon des conditions bien précises dans la
convention de Genève sur les réfugiés. Le principe de
non-refoulement n'est pas une obligation
103 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Soering c.
Royaume-Uni, 1989.
104 Arnaud MONTAS, « Les migrants maritimes devant la
Cour européenne des droits de l'Homme » dans Patrick Chaumette,
Espaces marins :surveillance et prévention des trafics illicites en
mer, 2016, p. 157.
105 Émilie DERENNE, Le trafic illicite de migrants
en mer méditerranée : une menace criminelle sous contrôle
?, op. cit., p. 58.
106 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Khlaifia et
a. c. Italie, 2015.
107 Sompong SUCHARITKUL, « Quelques questions juridiques
à l'égard des «boat people» en tant que
réfugiés politiques », loc. cit., p. 4.
27
d'accepter le débarquement. Mais en pratique il force
les États à accorder un accès, même temporaire,
à leurs territoires pour les procédures
d'identification108.
Mais à quels États toutes ces règles
concernant le principe de non-refoulement s'appliquent-elles ? Autrement dit le
principe de non-refoulement est-il de nature coutumière et donc
d'application universelle ?
B. La question du caractère coutumier du principe de
non refoulement
La question du caractère ou non coutumier du principe
de non refoulement est importante car elle permet de savoir si les États
non parties à la Convention sont astreints à son respect. Sur ce
point, deux thèses s'affrontent : la thèse du caractère
non coutumier et la thèse dominante selon laquelle le principe fait
partie du droit coutumier international.
Le premier camp est celui de James Hathaway selon lequel, le
principe n'a pas rang de principe coutumier en droit international mais la
pratique internationale, le camp adverse, indique le contraire. Il n'y a pas de
consensus général sur la nature coutumière du principe de
non refoulement. Il existe un véritable débat doctrinal à
ce sujet. Le premier camp accorde un tel caractère au principe tandis
que l'autre le lui dénie109.
James Hathaway est la principale figure du déni de ce
caractère coutumier. James Hathaway est une référence en
droit international humanitaire110. Pour qu'il y ait coutume en
droit international, il faut deux éléments : l'existence d'une
pratique ayant une certaine récurrence et l'opinio juris
c'est-à-dire la conviction d'appliquer le droit. Selon James
Hathaway, ces deux éléments manquent pour que le principe de non
refoulement soit considéré comme un principe coutumier.
En effet, dans son ouvrage intitulé « The
Rights of Refugees under International Law » paru en 2005, il estime
que l'opinio juris n'a pas été constituée. De nombreux
États ont en effet retourné des réfugiés dans des
pays dangereux pour leur vie et leur liberté. Il n'y a donc pas
108 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 731.
109 Barbara MILTNER, « Irregular Maritime Migration:
Refugee Protection Issues in Rescue and Interception », Fordham
International Law Journal, vol. 30. Issue 1,Article 3 (2006), p. 27.
110 Sophie RODEN, « Turning their Back on the Law? The
Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy »,
loc. cit., p. 4.
28
assez d'éléments de pratique et d'opinio
juris, éléments essentiels pour constituer une coutume, pour
affirmer que le principe est une règle coutumière du droit
international111.
Le camp du caractère coutumier prend pour appui la
jurisprudence de la Cour Internationale de Justice dans son arrêt
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci112. Dans cet arrêt, la Cour affirme que lorsqu'un
État ne respecte pas une règle reconnue et se défend en
invoquant des exceptions à cette règle, cela confirme la force de
la norme elle-même. Ainsi, la pratique des États peut être
vue comme renforçant la force légale de la norme. Aussi, la CIJ
précise que la pratique des États signifie qu'elle doit
être généralisée et non strictement
universelle113.
Le camp du caractère coutumier se base également
sur le Protocole de 1967 à la convention sur les réfugiés
spécifiquement sur son article 1 (1) qui dispose que « Les
États parties au présent Protocole s'engagent à appliquer
aux réfugiés, tels qu'ils sont définis ci-après,
les articles 2 à 34 inclus de la Convention » donc l'article 33 de
la convention sur les réfugiés qui est la base juridique du
principe de non-refoulement.
Il est admis dans la pratique internationale que le principe
de non refoulement est coutumier. Selon le glossaire de l'UE sur la migration,
« le principe de non-refoulement fait partie du droit international
coutumier et est, de ce fait, obligatoire pour tous les États, qu'ils
soient ou non signataires de la Convention de Genève de 1951 ».
Aussi, le comité exécutif du HCR dans sa conclusion n°25 de
1982 l'a confirmé également.
Une autre polémique existe dans la pratique
internationale sur l'étendue territoriale du principe de
non-refoulement. Si le caractère coutumier répond à la
question des États concernés par l'application du principe de
non-refoulement, ici il faudra répondre à l'interrogation
suivante : où s'applique le principe ?
111 James MANSFIELD, « Extraterritorial Application and
Customary Norm Assessment of Non-Refoulement: The Legality of Australia's
«Turn-Back» Policy », The University of Notre Dame Australia
Law Review, vol. 17. (2015).
112 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua contre
États-Unis), 1986.
113 Francesco MESSINEO, « Non-refoulement Obligations in
Public International Law: Towards a New Protection Status » dans
Satvinder Juss (ed), Research Companion to Migration Theory and Policy, ,
Ashgate, 2013, p. 17.
29
Paragraphe 2. L'étendue territoriale du principe
de non refoulement
La question de l'étendue territoriale du principe est
importante en ce qu'elle détermine sur quel territoire soumis à
l'État il va s'appliquer et ainsi déterminer l'État fautif
en cas de refoulement avéré. Ainsi, deux courants s'affrontent,
ceux qui pensent que le principe ne peut s'appliquer que sur le territoire
national, et ceux qui, au contraire, pensent que les États ne peuvent
pas se dédouaner juste sur une question territoriale. En effet, selon
que le champ est large ou restreint, il sera plus facile de retenir la
responsabilité de l'État en cause pour non-respect du principe de
non refoulement. Il y a donc deux camps opposés, l'application stricte
(A) et l'application large (B).
A. Les arguments en faveur de l'application strictement
territoriale
Ce courant se base sur l'idée selon laquelle les
situations hors du territoire national sont dans un vide
juridique114. Il avance donc que le principe ne doit s'appliquer
qu'aux réfugiés qui ont déjà atteint le
territoire115. Cette position est défendue officiellement par
deux juridictions influentes, la Cour Suprême des États-Unis avec
l'arrêt Sale vs Haitian Centers Council116 et la Cour
fédérale australienne avec son arrêt Ruddock c.
Vadarlis117.
Les évènements ayant conduit à
l'arrêt Sale sont les suivants : le 23 septembre 1981, les
États-Unis ont signé un accord avec Duvalier, président
d'Haïti. Le président Ronald Reagan signe l'Executive Order No
12324 du 29 Septembre 1981. Jusqu'à 1992, les
réfugiés Haïtiens interceptés en haute-mer
étaient amenés aux États-Unis pour des démarches de
régularisation118. Cependant, après le coup
d'État de 1991, le nombre de réfugiés augmentent et les
États-Unis changent de politique : tous les Haïtiens
interceptés sont retournés à Haïti sans
114 Dimitrios BATSALAS, « Maritime Interdiction and Human
Rights » dans Efthymios D. PAPASTAVRIDIS and Kimberley N. TRAPP
(dir.), La criminalité en mer, Martinus Nijhoff / Académie
de Droit International de la Haye., , 2014, p. 432.
115 Carola SALAU, The extraterritorial application of the
principle of non-refoulement in the context of sea borders, Bachelor
thesis, University of Twente European Studies School of Management and
Governance, 2014, p. 1.
116 COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS
D'AMÉRIQUE, Sale, Acting Commissioner, Immigration and
Naturalization Service, Et. Al. v. Haitian Centers Council, INC., Et. Al.,
1993.
117 COUR FÉDÉRALE AUSTRALIENNE, Minister for
Immigration and Multicultural Affairs & Others v. Vadarlis (« Tampa
Appeal »), 2001. ; Carola SALAU, The extraterritorial application
of the principle of non-refoulement in the context of sea borders, op.
cit., p. 7.
118 David A. MARTIN, « The Authority and Responsibility
of States » dans T.A. Aleinikoff and V. Chetail, Migration and
International Legal Norms, The Hague, The Netherlands, T.M.C. ASSER PRES,
2003, p. 38.
30
possibilité de demander la protection
internationale119. L'Executive Order No 12807 du 29 mai
1992 signé par le Président George H.W. Bush met fin au
décret de 1981 et à l'évaluation des migrants
interceptés pour les demandes d'asile. La position du gouvernement des
États-Unis est que l'article 33 ne s'applique pas à
l'extérieur du territoire des États-Unis120. Le
président des États-Unis Bill Clinton prend donc un
arrêté Presidential Decision Directive No 9 du 18 juin
1993. C'est ce décret et cette position en général qui
sont attaqués devant la Cour.
L'arrêt Sale vs Haitian Centres Council de la
Cour Suprême des États-Unis121 soutient cette
interprétation du gouvernement. Cette jurisprudence a estimé que
l'ordre de renvoyer les embarcations des demandeurs d'asiles haïtiens hors
du territoire américain était légal par rapport au droit
américain et international. Le terme « renvoi » doit
être interprété selon les juges strictement. L'article
33(2) implique une limitation territoriale à l'article 33(1). Les juges
se sont basés sur ce point sur les déclarations des
délégations suisse et danoise dans les travaux
préparatoires122. Selon les juges, le terme « refouler
» signifie repulse, repel, refuse entry, drive back. Le terme
« return » quant à lui est un « defensive
act of resistance or exclusion at a border ». Selon la
majorité, « refouler » c'est le rejet à la
frontière mais « return » ne s'applique pas aux
réfugiés hors du territoire123.
Cette décision a été très vivement
discutée en doctrine124.
D'autres juridictions ont rendu des décisions
similaires. La House of Lords en Grande-Bretagne a adopté le
même raisonnement dans l'arrêt R v. Immigration
Officer Prague Airport, ex parte European Roma Rights Centre en
2004125. Dans cette affaire, des agents de l'immigration
britanniques installés temporairement à l'aéroport de
Prague ont empêché 6 ressortissants tchèques de quitter
l'aéroport pour entrer au Royaume Uni. La Cour a estimé que
119 James MANSFIELD, « Extraterritorial Application and
Customary Norm Assessment of Non-Refoulement: The Legality of Australia's
«Turn-Back» Policy », loc. cit., p. 20.
120 Niels FRENZEN, « US Migrant Interdiction Practices in
International and Territorial Waters » dans Bernard Ryan et Valsamis
Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control. Legal Challenges,
Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 387.
121 COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS
D'AMÉRIQUE, Sale, Acting Commissioner, Immigration and
Naturalization Service, Et. Al. v. Haitian Centers Council, INC., Et. Al.,
op. cit.
122 Sophie RODEN, « Turning their Back on the Law? The
Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy »,
loc. cit., p. 4.
123 James MANSFIELD, « Extraterritorial Application and
Customary Norm Assessment of Non-Refoulement: The Legality of Australia's
«Turn-Back» Policy », loc. cit., p. 3.
124 Maarten DEN HEIJER, « Europe beyond its Borders:
Refugee and Human Rights Protection in Extraterritorial Immigration Control
», loc. cit. ; Harold KOH, « Reflections on Refoulement and
Haitian Centers Council », Harvard International Law Journal,
no 35 (1994), p. 20.
125 HOUSE OF LORDS, Regina v. Immigration Officer at
Prague Airport and another ex parte European Roma Rights Centre and
others, 2004.
31
la Convention sur les réfugiés n'empêche
aucunement à un État de s'abstenir d'exercer un contrôle
sur le déplacement de personnes en dehors de ses
frontières126.
La Cour fédérale australienne a estimé
dans l'arrêt Ruddock c. Vadarlis que l'action du gouvernement
australien d'empêcher l'entrée du Tampa en Australie
était compatible avec l'étendue de ses
compétences127. Elle estime que les rescapés n'ont pas
été détenus arbitrairement. Selon le Chief Justice
Blackmun dans son opinion dissidente, le pouvoir d'expulser des personnes
entrées irrégulièrement est du ressort des lois du
Parlement et non du pouvoir exercé par le pouvoir exécutif.
Ces positions juridictionnelles et politiques sont ardemment
critiquées par la doctrine dominante.
B. La doctrine communément admise de l'application
extraterritoriale du principe
Les défenseurs de la thèse dominante ont
lancé une critique vive de l'arrêt de la Cour Suprême
américaine dans l'affaire Sale. Selon eux en suivant les dispositions de
la convention de Vienne sur le droit des traités en son article 31 (1),
les traités doivent être interprétés selon la
signification littérale du texte et du but du traité. Or
l'arrêt a appliqué une interprétation spéciale au
terme « return ». Elle n'a pas analysé le terme
« de quelque manière que ce soit » et a immédiatement
analysé les travaux préparatoires alors qu'ils ne doivent
être analysés que si le texte original est obscur. Les
défenseurs se basent également sur l'avis consultatif de la CIJ
sur la légalité de la construction du Mur sur le territoire
palestinien occupé128. En effet, le Pacte des droits civils
et politiques, selon cet avis, s'applique de manière
extraterritoriale.
Cette position internationale a été
confirmée par le juge international au travers de la jurisprudence de la
Cour interaméricaine des droits de l'homme dans l'arrêt The
Haitian Centers Council for Human Rights et al. c/ États-Unis du 13
mars 1997129. Cette décision prend
126 Maarten DEN HEIJER, « Europe beyond its Borders:
Refugee and Human Rights Protection in Extraterritorial Immigration Control
», loc. cit., p. 182.
127 Natalie KLEIN, « Assessing Australia's push back the
boats policy under international law: legality and accountability for maritime
interceptions of irregular migrants », Melbourne Journal of
International Law, vol. Vol 15. (2014), p. 26.
128 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Conséquences
juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien
occupé, avis consultatif, 2004.
129 COMMISSION INTERAMÉRICAINE DES DROITS DE L'HOMME,
The Haitian Centers Council for Human Rights et al. c/
États-Unis, 1997.
32
le contrepied de l'arrêt de la Cour Suprême
américaine130. Elle condamne les États-Unis pour avoir
violé le principe de non refoulement.
Cette thèse est la plus acceptée en droit
positif. En effet, la communauté scientifique des juristes se rallie
à cette position dont les institutions internationales et les cours de
justice internationales. En effet, le HCR confirme l'application
extraterritoriale du principe dans son Avis consultatif sur l'application
extraterritoriale des obligations de non-refoulement en vertu de la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de
1967131. La convention sur les réfugiés ne mentionne
nulle part une application extraterritoriale du principe. Le camp de
l'application extraterritoriale se base donc juridiquement sur le protocole
à la convention sur les réfugiés de 1967132.
Leur raisonnement juridique se base sur une disposition qui précise que
le protocole doit être appliqué par les États parties sans
aucune limite géographique133. Il s'agit de l'article 1 (3)
qui dispose que « Le présent Protocole sera appliqué par les
États qui y sont parties sans aucune limitation géographique
». Ils se basent également sur l'objectif visé par la
convention sur les réfugiés dans son préambule qui est de
protéger tous les réfugiés où qu'ils se trouvent.
Par conséquent, ils estiment qu'une limitation territoriale ne
respecterait pas cet objectif134.
La Cour Permanente de Justice Internationale dans son
arrêt de 1927 du Lotus a affirmé le principe de droit selon lequel
un État peut exercer sa juridiction au-delà de son territoire
national si cet exercice n'est pas contraire au droit
international135. Aussi, l'arrêt Affaire Medvedyev et autres
c. France136 a conclu qu'une application extraterritoriale de la
Convention était possible sous certaines circonstances.
La doctrine de l'application extraterritoriale se base pour
résumer sur plusieurs arguments. En premier lieu, il n'y a pas de
limites territoriales dans la convention de 1951.
130 COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS
D'AMÉRIQUE, Sale, Acting Commissioner, Immigration and
Naturalization Service, Et. Al. v. Haitian Centers Council, INC., Et. Al.,
op. cit.
131 HAUT-COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES POUR LES
RÉFUGIÉS (UNHCR), Avis consultatif sur l'application
extra-territoriale des obligations de non-refoulement en vertu de la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de
1967, 2007. ; Carola SALAU, The extraterritorial application of the
principle of non-refoulement in the context of sea borders, op.
cit., p. 8.
132 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 727.
133 Carola SALAU, The extraterritorial application of the
principle of non-refoulement in the context of sea borders, op.
cit., p. 10.
134 Ibid., p. 25.
135 COUR PERMANENTE DE JUSTICE INTERNATIONALE, Affaire du
« Lotus » (France c. Turquie),
1927.
136 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Medvedyev
et autres c. France, 2010.
33
Deuxièmement, l'article 33(1) interdit d'expulser ou de
refouler de quelque manière que ce soit et « retourner » veut
dire emmener vers le point de départ. Enfin, ce courant doctrinal adopte
une interprétation téléologique de la convention qui est
d'assurer la plus grande protection possible des réfugiés en se
basant sur le préambule137.
L'obligation de non refoulement n'est donc pas sujette
à des restrictions territoriales selon la doctrine internationale
dominante.
Ce chapitre a montré et explicité les
premières branches qui régissent les obligations des États
en mer face aux migrants irréguliers. À savoir, le droit de la
mer et le droit international des réfugiés. Le devoir de porter
secours impose aux États de secourir les migrants irréguliers en
mer. Le principe de non-refoulement prohibe le fait de les renvoyer vers leur
point de départ.
Le chapitre suivant se focalisera sur les droits dont
bénéficient les migrants et qui doivent être
respectés en toute circonstance.
137 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 11.
34
CHAPITRE 2. UNE PROTECTION ÉTENDUE DES
MIGRANTS IRRÉGULIERS
Le droit international des droits de l'Homme constitue un
régime commun universel pour toute personne quel que soit son statut
juridique.
Les droits de l'Homme sont des droits universels,
inaliénables et imprescriptibles. Ils s'appliquent à tout
être humain et par conséquence aux migrants (Section 1). Ceux-ci
bénéficient aussi d'un régime protecteur spécifique
contre leur trafic illicite (Section 2).
35
SECTION 1. LA PROTECTION À TRAVERS LE DROIT
INTERNATIONAL DES
DROITS DE L'HOMME
Les boat people ne disposent pas d'instruments de
protection spécifiques. Ils sont protégés par les
instruments généraux en matière de protection des droits
de l'homme qui doivent être appliqués sans discrimination
(Paragraphe 1). Mais cette universalité théorique est
contrariée par leur exclusion de certaines catégories de droits
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Une application sans discrimination des
droits de l'Homme
La non-discrimination est le principe en matière
d'application des droits de l'Homme basé sur leur caractère
universel (A). Ils sont également extrêmement variés
(B).
A. Des droits universels
Le préambule de la Déclaration Universelle des
droits de l'Homme (DUDH) dans son premier considérant affirme « que
la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les
membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et
inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice
et de la paix dans le monde »138. Ainsi, la reconnaissance des
droits de la déclaration n'est soumise qu'à une seule condition,
être humain, faire partie de la « famille humaine ». Le
Comité des droits de l'Homme confirme ce principe dans son observation
n°15 : « les droits énoncés dans le Pacte s'appliquent
à toute personne, sans considération de
réciprocité, quelle que soit sa nationalité ou même
si elle est apatride »139.
L'article 2 de la DUDH dispose en outre que «
Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les
libertés proclamés dans la présente Déclaration,
sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou
sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur
le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont
une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit
indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une
limitation quelconque de souveraineté ».
138 Déclaration universelle des droits de
l'homme, 1948.
139 COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME, Observation
générale n° 15 sur la situation des étrangers au
regard du Pacte, 1986.
36
La Cour interaméricaine des droits de l'Homme dans un
avis daté du 17 septembre 2003 a affirmé que le droit à la
non-discrimination et le droit à légalité sont des
principes de jus cogens applicables à tous les résidents
quelle que soit leur nationalité140. Le traitement des
réfugiés et des demandeurs d'asile doit suivre les standards
internationaux et doit être accordé sans considération pour
la nationalité141.
Les États ont l'obligation de respecter leurs
engagements internationaux en matière de droits de l'Homme selon la
jurisprudence Barcelona Traction142.
Il convient d'examiner ces droits en profondeur.
B. Des droits variés
Les droits de l'Homme ne sont pas contenus dans un seul
document.
La protection juridique des migrants au niveau des droits de
l'homme est très étoffée. En effet, ce corpus se compose
de la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet
1951143 ; de la Convention internationale sur la protection des
droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18
décembre 1990144; de la Convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7
janvier 1966145; de la Convention internationale pour la protection
de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 20
décembre 2006146 ; de la Convention relative aux droits de
l'enfant du 20 novembre 1989147; de la Convention sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination à
l'égard des femmes du 18 décembre 1979148.
140 COUR INTERAMÉRICAINE DES DROITS DE L'HOMME,
Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants, Advisory Opinion,
2003.
141 David WEISSBRODT, « The Protection of Non-Citizens in
International Human Rights Law » dans R. Cholewinski, R. Perruchoud
and E. MacDonald, International Migration Law: Developing Paradigms and Key
Challenges, The Hague, T.M.C. ASSER PRESS, 2007, p. 228.
142 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Affaire de la
Barcelona Traction Light and Power Company Limited (Belgique c Espagne),
1970.
143 Convention relative au statut des
réfugiés, 28 juillet 1951; entrée en vigueur le 22 avril
1954, Tome 189 RTNU 137.
144 Convention internationale sur la protection des droits
de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille,
adoptée le 18 décembre 1990, 2003.
145 Convention internationale sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale, 7 janvier 1966, entrée en
vigueur: 4 janvier 1969.
146 Convention internationale pour la protection de toutes
les personnes contre les disparitions forcées, 20 décembre
2006, 2010.
147 Convention relative aux droits de l'enfant, 20 novembre
1989, entrée en vigueur: 2 septembre 1990.
148 Convention sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination à l'égard des femmes, 18 décembre
1979, entrée en vigueur: 3 septembre 1981.
37
Toutes ces conventions internationales sont
complétées par des conventions régionales. Il s'agit de la
Convention européenne des droits de l'Homme149, de la Charte
africaine des droits de l'Homme et des peuples150, de la Convention
américaine des droits de l'Homme151, de la Charte arabe des
droits de l'Homme152, et la déclaration des droits de l'ASEAN
(Association des nations d'Asie du sud-est)153.
Le droit à la vie est le premier droit fondamental
auquel les migrants ont accès. Il astreint les États à
s'abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et
irrégulière, et à prendre les mesures nécessaires
à la protection de la vie des personnes relevant de leur
juridiction154. L'article 6 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 dispose en
effet que « Le droit à la vie est inhérent à la
personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi.
Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ». De
nombreuses conventions internationales ont repris cette disposition dont la
CEDH en son article 2, la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples
en son article 4 et la Convention américaine des droits de l'Homme en
son article 4. Cette obligation a été confirmée en
jurisprudence par l'arrêt de la CEDH Osman c. Royaume Uni155
du 28 octobre 1998. Les États ont donc l'obligation de préserver
la vie humaine en mer ce qui justifie l'obligation d'assistance156.
L'arrêt de la CEDH L.C.B contre Royaume Uni a précisé que
« la première phrase de l'article 2, § 1, astreint
l'État non seulement à s'abstenir de provoquer la mort de
manière volontaire et irrégulière mais aussi à
prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des
personnes relevant de sa juridiction »157.
Mais la compétence juridictionnelle pour faire
reconnaître par des particuliers une violation du droit à la vie
est pratiquement impossible à mettre en oeuvre au niveau international,
l'individu n'étant pas considéré comme un sujet de droit
international.
149 « Convention européenne des droits de l'Homme et
des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 »,
loc. cit.
150 Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples du
27 juin 1981.
151 Convention américaine des droits de l'Homme du 22
novembre 1969, Tome 1144 U.N.T.S. 123.
152 Charte arabe des droits de l'Homme, 2004.
153 Déclaration des droits de l'ASEAN, 2012.
154 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 132.
155 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Osman c.
Royaume Uni, 1998.
156 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 132.
157 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, L.C.B.
c. Royaume-Uni, 1998. ; François CANTIER et Béatrice
FLEURIS, « Aquarius: au-delà de l'urgence migratoire, les
règles juridiques applicables », Dalloz actualité,
(Juin 2018), p. 3.
38
L'article 14 de la DUDH énonce le droit de demander
l'asile. Les États doivent donner des garanties procédurales aux
migrants et procéder à une détermination adéquate
de leur statut. L'article 16 de la Convention sur les réfugiés
dispose que :
« 1. Tout réfugié aura, sur le territoire
des États Contractants, libre et facile accès devant les
tribunaux.
2. Dans l'État Contractant où il a sa
résidence habituelle, tout réfugié jouira du même
traitement qu'un ressortissant en ce qui concerne l'accès aux tribunaux,
y compris l'assistance judiciaire et l'exemption de la caution judicatum
solvi.
3. Dans les États Contractants autres que celui
où il a sa résidence habituelle, et en ce qui concerne les
questions visées au paragraphe 2, tout réfugié jouira du
même traitement qu'un national du pays dans lequel il a sa
résidence habituelle. ».
Cette non-discrimination n'est qu'un principe. Ces droits
peuvent ne pas être accordés selon les exceptions existantes.
Paragraphe 2. Une universalité contrariée par
l'exclusion des migrants de certaines catégories de droits
Les distinctions contre les migrants sont possibles et
prévues par les textes dans certains cas mais elles doivent être
justifiées de manière objective158 et le but
recherché doit être légitime159. Ainsi, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) réserve
certains droits aux nationaux (A) et le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (PIDESC) rend relative la jouissance
des droits économiques (B).
A. Des droits civils et politiques réservés
en priorité aux nationaux
Le PIDCP comporte plusieurs restrictions vis-à-vis des
non nationaux. Il s'agit des droits politiques, des droits à la
liberté de mouvement, et des garanties relatives à
l'expulsion.
158 Joan FITZPATRICK, « The Human Rights of Migrants
» dans Aleinikoff, T. A. & Chetail, V., eds., Migration and
International Legal Norms, The Hague: T.M.C. Asser Press, 2003, p. 172.
159 COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME, Observation
générale No 18, non-discrimination, 1989.
39
L'article 25 réserve les droits politiques aux citoyens
uniquement. En effet, « Tout citoyen a le droit et la possibilité,
sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans
restrictions déraisonnables:
a) De prendre part à la direction des affaires
publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de
représentants librement choisis;
b) De voter et d'être élu, au cours
d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et
égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la
volonté des électeurs;
c) D'accéder, dans des conditions
générales d'égalité, aux fonctions publiques de
son
pays ».
Sont donc exclus les migrants non-citoyens de l'État en
question.
Aussi, les migrants irréguliers observent des
limitations à leurs déplacements. L'article 12 (1) dispose que
« Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un État
a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence
». Les migrants irréguliers ne peuvent pas en principe selon cette
disposition se déplacer librement.
En outre concernant l'expulsion, l'article 13 dispose
qu'« Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire
d'un État partie au présent Pacte ne peut en être
expulsé qu'en exécution d'une décision prise
conformément à la loi ». La garantie du droit à une
décision préalable n'est accordée formellement qu'au
migrant légal. L'article 16 de la convention sur les
réfugiés précitée n'accorde le droit d'accès
aux tribunaux qu'aux réfugiés. Mais le statut de
réfugié est déclaratoire. On peut donc y voir une certaine
protection sur cette base même si elle est assez précaire pour les
migrants irréguliers.
Le bénéfice des droits économiques est
beaucoup plus relatif encore.
B. Un bénéfice des droits économiques
relatif
L'article 2 (3) du PIDESC, lui, octroie une marge de manoeuvre
importante aux pays en voie de développement pour réaliser ces
droits. Il dispose en effet, que « Les pays en voie de
développement, compte dûment tenu des droits de l'homme et de leur
économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils
garantiront les droits économiques reconnus dans le présent Pacte
à des non-ressortissants ». La jouissance des droits
économiques est donc relative dans les pays en voie en
développement. Cette disposition permet à ces pays de se
protéger
40
derrière leur faible situation économique pour
écarter les migrants du bénéfice de ces droits. Cependant,
les autres droits doivent leur être obligatoirement garantis.
Le droit pénal international, lui, impose des
obligations sans exceptions possibles.
41
SECTION 2. LA PROTECTION À TRAVERS LE DROIT
PÉNAL INTERNATIONAL
Le droit pénal international est défini comme
l'ensemble des règles du droit pénal relatives aux infractions
présentant un élément d'extranéité ainsi
qu'aux crimes internationaux160. Nous choisissons cette expression
en opposition au droit international pénal qui, lui, a trait ensemble
des règles du droit international public, pour l'essentiel
conventionnel, portant sur l'incrimination et la répression des crimes
internationaux161 qui sont commis par des individus et qui sont
poursuivis par des juridictions internationales répressives. Les
infractions de cette section sont punies par des juridictions nationales.
Le trafic de migrants est une infraction universelle
(Paragraphe 1) complétée par la criminalisation d'autres types de
criminalité transnationale (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. La criminalisation universelle du trafic
de migrants
Par manque de voies légales pour se déplacer,
les migrants font l'objet de trafic. Il est fait obligation aux États de
criminaliser le trafic de migrants (B) sur la base du régime juridique
international en vigueur (A).
A. Les bases juridiques de la lutte contre le trafic de
migrants
Le trafic de migrants est défini à l'article 3
(a) du Protocole de Palerme sur le trafic illicite de migrants par terre, air
et mer162. Il s'agit du « fait d'assurer, afin d'en tirer,
directement ou indirectement, un avantage financier ou un avantage
matériel, l'entrée illégale dans un État partie
d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent de
cet État »163. Selon le même article,
l'entrée illégale est définie comme le «
franchissement de frontières alors que les conditions nécessaires
à l'entrée légale dans l'État d'accueil ne sont pas
satisfaisantes »164.
Les termes utilisés en anglais pour qualifier le trafic
de migrants sont très différents. Il convient donc de les
distinguer avant d'aller plus loin. Il y a une différence de
terminologie
160 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Lexique des termes
juridiques, op. cit., p. 823.
161 Ibid., p. 820.
162 Protocole contre le trafic illicite de migrants par
terre, air et mer, additionnel à la convention contre la
criminalité transnationale organisée, ouvert à signature
à Palerme le 12 décembre 2000.
163 Ibid.
164 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 126. ; « Protocole contre le trafic illicite de migrants par
terre, air et mer, additionnel à la convention contre la
criminalité transnationale organisée, ouvert à signature
à Palerme le 12 décembre 2000 », loc. cit.
42
entre l'anglais et le français sur cette question. En
effet, le « trafic de migrants » se dit `smuggling' en
anglais, tandis que le « trafic d'êtres humains » correspond au
`traficking' anglais165. Le terme smuggling
correspond à trafic et trafficking correspond à la
traite166. Le trafic de migrants concerne les personnes migrantes
qui payent le passage à des réseaux de criminels qui agissent en
vue d'un bénéfice financier167. Le trafic implique
donc des personnes consentantes. Certaines personnes n'ont de contrôle ni
sur leur voyage ni sur leur futur dans le pays de destination168, il
s'agit de la traite. Celle-ci est définie à l'article 3 (a) du
protocole sur la traite des personnes comme « le transport par la menace
de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de
contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou
d'une situation de vulnérabilité ou par l'offre ou l'acceptation
de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant
autorité sur une autre aux fins d'exploitation »169.
Elle sera abordée infra.
Il n'y a toutefois pas d'immunité totale pour les
victimes du trafic. Il existe bel et bien une obligation pour les États
de ne pas entamer de poursuites judiciaires à l'encontre des migrants
victimes du trafic170, mais une autre disposition, l'article 6 (4)
vient en porte-à-faux. Il dispose qu' « aucune disposition du
présent Protocole n'empêche un État Partie de prendre des
mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne,
une infraction ». Les migrants peuvent être alors poursuivis pour
avoir enfreint les règles migratoires de l'État
concerné171.
165 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer » dans Efthymios D. PAPASTAVRIDIS and Kimberley N.
TRAPP (dir.), La criminalité en mer, Martinus Nijhoff /
Académie de Droit International de la Haye., 2014, p. 243.
166 Barbara MILTNER, « Irregular Maritime Migration:
Refugee Protection Issues in Rescue and Interception », loc.
cit., p. 75. ; Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 243.
167 Protocole additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel
à la convention des Nations unies contre la criminalité
transnationale organisée adopté le 15 novembre 2000,
2004.
168 Protocole additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes, en particulier des femmes et des enfants adopté le 15
novembre 2000, Tome 2237 RTNU 319, 2003. ; Solène GUGGISBERG,
« Le trafic illicite de migrants en mer », loc. cit., p.
242.
169 « Protocole additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes, en particulier des femmes et des enfants adopté le 15
novembre 2000 », loc. cit., article 3 (a). ; Solène
GUGGISBERG, « Le trafic illicite de migrants en mer », loc.
cit.,
p. 249.
170 « Protocole contre le trafic illicite de migrants par
terre, air et mer, additionnel à la convention contre la
criminalité transnationale organisée, ouvert à signature
à Palerme le 12 décembre 2000 », loc. cit., article
5.
171 Tom OBOKATA, « The Legal Framework Concerning the
Smuggling of Migrants at Sea under the UN Protocol on the Smuggling of Migrants
by Land, Sea and Air » dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas,
Extraterritorial Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff
Publishers, 2010, p. 156.
43
Les textes obligent les États à criminaliser le
trafic de migrants et les modalités de leurs compétences en la
matière.
B. Les modalités concrètes de la lutte contre
le trafic de migrants
Le protocole de Palerme oblige les États parties
à incriminer et punir le trafic de migrants172. Pour les
États parties au protocole et à la convention donc, une
obligation de criminaliser le trafic sur leur territoire s'impose. Selon
l'article 6 :
« 1. Chaque État Partie adopte les mesures
législatives et autres nécessaires pour conférer le
caractère d'infraction pénale, lorsque les actes ont
été commis intentionnellement et pour en tirer, directement ou
indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel: a) Au
trafic illicite de migrants; b) Lorsque les actes ont été commis
afin de permettre le trafic illicite de migrants ». Les États
doivent également punir les actes aidant à la commission de
l'infraction c'est-à-dire la « fabrication d'un document de voyage
ou d'identité frauduleux »; le « fait de procurer, de fournir
ou de posséder un tel document »;le « fait de permettre
à une personne, qui n'est ni un ressortissant ni un résident
permanent, de demeurer dans l'État concerné, sans satisfaire aux
conditions nécessaires au séjour légal dans ledit
État, par les moyens mentionnés ».
La tentative est également punie c'est-à-dire le
« fait de tenter de commettre une infraction établie
conformément au paragraphe 1 du présent article » de
même que la complicité, le « fait de se rendre complice
» d'une infraction établie par les dispositions
précédentes.
Les traitements humains et dégradants sont
mentionnés par le fait de mettre en danger ou de risquer de mettre en
danger la vie ou la sécurité des migrants concernés ou au
traitement inhumain ou dégradant de ces migrants, y compris pour
l'exploitation.
La mise en application de la répression exige
l'entrée illégale dans un État-partie. La tentative
d'entrée illégale peut servir en haute mer. La criminalisation ne
s'applique qu'aux infractions transnationales selon l'article 4 du Protocole.
Elle vise les trafiquants seulement
172 « Protocole additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel
à la convention des Nations unies contre la criminalité
transnationale organisée adopté le 15 novembre 2000 »,
loc. cit., article 3.
44
mais il n'existe pas d'immunité pour les migrants en
cas de violation des règles d'immigration173. En effet selon
l'article 6 alinéa 4 du protocole, « Aucune disposition du
présent Protocole n'empêche un État Partie de prendre des
mesures contre une personne dont les actes constituent, dans son droit interne,
une infraction.
Les éléments du crime sont le mens rea
et l'actus reus. Le mens rea signifie que le trafic doit
avoir été commis pour obtenir un bénéfice financier
ou matériel. L'actus reus consiste à participer
activement dans le trafic en fournissant les documents frauduleux ou avoir
physiquement fait traverser les frontières aux migrants174.
L'ONUDC a schématisé cette définition comme suit. Il
s'agit du fait d'assurer l'entrée illégale d'une personne dans un
État dont elle n'est pas ressortissante pour en tirer
profit175.
De manière préventive également,
l'article 10 du Protocole encourage l'échange d'informations entre
États qui se trouvent dans une zone couramment utilisée pour le
trafic de migrants.
Après avoir décrit les obligations des
États ci-dessus, il faut maintenant se pencher sur les titres de
compétences que détiennent les États en fonction des
différentes zones maritimes.
Il faut distinguer les zones sous souveraineté (eaux
intérieures et mer territoriale) et les zones maritimes sous juridiction
(zone contiguë et zone économique exclusive). Dans les zones sous
souveraineté, celle-ci est absolue tandis que dans les zones sous
juridiction, cette souveraineté est relative et n'est exercée que
dans une optique précise176. Au-delà des zones
présentées se trouve la haute mer.
En premier lieu, la haute mer est un espace situé
au-delà de la mer territoriale et de la zone contigüe
au-delà donc de 24 mille marins. Sa définition par l'article 86
de la Convention de Montego Bay est négative : la haute mer comporte
toutes les parties de la mer qui ne sont pas inclues dans la zone
économique exclusive, dans la mer territoriale ou les eaux
intérieures
173 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 248.
174 Claire BROLAN, « An Analysis of the Human Smuggling
Trade and the Protocol Against the Smuggling of Migrants by Land, Air and Sea
(2000) from a Refugee Protection Perspective », International Journal
of Refugee Law, (2002), p. 584.
175 OFFICE DES NATIONS UNIES CONTRE LA DROGUE ET LE CRIME,
Cadre d'action international pour l'application du Protocole relatif au
trafic illicite de migrants, 2013, p. 4.
176 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La police
en mer ».
45
ou les eaux archipélagiques177. Dans la zone
économique exclusive, la liberté de navigation
s'applique178.
En principe, en matière de trafic de migrants, seul
l'État de pavillon est compétent. L'État qui souhaite
intervenir doit demander l'autorisation à l'État de
pavillon179. Seuls les navires de guerre de l'État de
pavillon peuvent interférer avec le mouvement d'un navire. Le fondement
est la règle de la territorialité qui donne à
l'État de pavillon une compétence plénière et
exclusive sur les navires qui battent son pavillon. L'arrêt de la Cour
permanente de Justice internationale dans l'affaire du Lotus en 1927 a
affirmé qu'« aucun État ne peut exercer des actes de
juridiction quelconque sur des navires étrangers »180.
Les bases juridiques de la loi de pavillon sont multiples et nombreuses. Il y a
en effet la Convention de Genève de 1958 sur la haute mer en son article
6 reprise par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10
décembre 1982 en ses articles 87, 92, et 92.1. L'État de pavillon
exerce une souveraineté entière et exclusive sur les navires
battant son pavillon et régit les domaines de la navigation, de la
pêche et en matière de protection du milieu marin. Cette
compétence exclusive de l'État de pavillon est consacrée
par la CIJ dans l'arrêt Détroit de Corfou du 9 avril
1949181.
En matière d'interdiction et de répression de la
traite des esclaves, seul l'État de pavillon est compétent pour
juger les coupables182. Le trafic de migrants n'est pas
envisagé par la convention de Montego Bay ; elle ne permet donc pas de
droits de visite spécifiques183. Il faut l'autorisation de
l'État de pavillon.
Cependant, un titre de compétence peut être
exercé par l'État côtier dans une circonstance
particulière : la poursuite chaude. En effet, seul l'État
côtier face à un navire intercepté suite à une
poursuite chaude dispose d'une base juridique pour poursuivre le trafic. Le
droit de
177 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 86. ; Carola SALAU, The extraterritorial
application of the principle of non-refoulement in the context of sea
borders, op. cit., p. 21.
178 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 57; 58 (1). ; Solène GUGGISBERG, « Le
trafic illicite de migrants en mer », loc. cit., p. 265.
179 « Protocole contre le trafic illicite de migrants par
terre, air et mer, additionnel à la convention contre la
criminalité transnationale organisée, ouvert à signature
à Palerme le 12 décembre 2000 », loc. cit., art. 8
(2).
180 COUR PERMANENTE DE JUSTICE INTERNATIONALE, Affaire du
Lotus, 1927. ; Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à
la migration transfrontière, op. cit., p. 164.
181 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Détroit de
Corfou, 1949.
182 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La police
en mer », loc. cit., p. 7.
183 Anne-Claire DUMOUCHEL, Les atteintes à la
sûreté en Haute-mer, Mémoire pour le Master recherche
Relations internationales Option Sécurité et Défense,
Paris, Université Panthéon-Assas-Paris II, 2008, p. 75.
46
poursuite chaude est un transfert en haute mer des
compétences de police184. L'État peut poursuivre le
navire fautif par ses navires de guerres ou aéronefs militaires
jusqu'à la haute mer pour arrestation185. Cette
opération consiste à arraisonner, dérouter vers son port
et sanctionner186. Le droit de poursuite chaude peut être
exercé en haute-mer par un État côtier à l'encontre
d'un navire civil battant pavillon d'un État tiers qui a commis une
infraction à ses lois et règlements dans ses
eaux187.
Au surplus, les pouvoirs que détient l'État
côtier sont limités en haute mer. Le droit de visite188
en haute mer permet aux navires militaires de contrôler la
nationalité d'un navire, de l'inspecter et de faire des saisies. Mais ce
droit est extrêmement limité à ces situations et conditions
suivantes : doutes raisonnables d'esclavage189,
piraterie190, émissions radio non
autorisées191, navires sans nationalité, le cas d'un
navire étranger qui est en réalité de la même
nationalité que le navire qui l'inspecte192. Les navires sans
nationalité n'ont pas de protection puisqu'ils ne sont pas titulaires de
droits et n'ont pas d'État de rattachement pour faire valoir leur
souveraineté. Le droit de visite permet aux navires d'un gouvernement
qui y ont été dûment autorisés à
vérifier la nationalité du navire étranger s'il y a des
raisons sérieuses de croire qu'il pratique la piraterie, des
émissions radios non autorisées et du trafic
d'esclaves193.
Dans la mer territoriale, espace de 12 milles
marins194, l'État dont les migrants tentent de partir peut
les intercepter devant le droit de la mer. Mais il y a le droit de chacun de
quitter un
184 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La police
en mer », loc. cit., p. 4.
185 Andrea CALIGIURI, « La lutte contre l'immigration
clandestine par mer: problèmes liés à l'exercice de la
juridiction par les États côtiers » dans CASADO RAIGON R.
(Dir.), L'Europe et la mer : pêche, navigation et environnement
marin, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 423.
186 Convention de Genève relative à la
haute-mer, article 23; Convention des Nations unies sur le droit de la mer,
ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982, article 111.
187 Isabelle PERRUCHON et Caroline DE MARTINI, « La
police en mer », loc. cit., p. 3. ; « Convention de
Genève relative à la haute-mer », loc. cit.,
article 23. ; « Convention des Nations unies sur le droit de la mer,
ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 111.
188 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 110.
189 « Convention de Genève relative à la
haute-mer », loc. cit., article 13. ; « Convention des
Nations unies sur le droit de la mer, ouverte à la signature à
Montego Bay (Jamaïque) le 10 décembre 1982 entrée en vigueur
le 16 novembre 1994 », loc. cit., article 99.
190 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article s 100 à 107.
191 Ibid., article 109.
192 Ibid., article 110. ; Barbara MILTNER, «
Irregular Maritime Migration: Refugee Protection Issues in Rescue and
Interception », loc. cit., p. 104.
193 Sophie RODEN, « Turning their Back on the Law? The
Legality of the Coalition's Maritime Interdiction and Return Policy »,
loc. cit., p. 16.
194 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit.
47
pays y compris le sien. Il ne peut que criminaliser certains
actes accessoires car la tentative de trafic ne peut être prouvée.
Il y a un manque de droit d'appréhender alors que l'obligation de
criminaliser existe195. L'État côtier peut-il
empêcher le passage dans sa mer territoriale d'un navire transportant des
passagers clandestins ? L'article 19 de la convention de Montego Bay dispose
que le passage n'est plus inoffensif si le navire se livre à une
activité en violation des règles d'immigration. Mais traverser
uniquement ne porte pas atteinte au bon ordre de l'État
côtier196. Un État dont la mer territoriale sert de
destination peut agir car le passage n'est plus inoffensif. La criminalisation
des trafiquants est, dans ce cas, obligatoire197.
Dans la zone contiguë, espace maritime de 24 mille
marins198, l'État côtier peut exercer un droit de
visite. Ainsi, il est compétent pour intercepter les navires qui se
livrent à une activité d'embarquement ou de débarquement
d'une personne en contravention aux règles d'immigration de
l'État côtier199. Cette zone sert uniquement pour
prévenir et réprimer les infractions à ses lois sur
l'immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale200.
L'État côtier a un droit d'interception dans une optique anti
trafic201. L'État côtier peut intercepter un navire qui
se dirige vers la mer territoriale ou qui en provient202. Dans la
zone contigüe, le protocole prévoit que la tentative de trafic est
criminalisée. Le crime peut déjà commencer hors des
frontières. Dans sa zone contiguë donc, l'État côtier
peut criminaliser la tentative de violation ou la violation des lois
d'immigration et la tentative de trafic203.
Dans la mer territoriale d'un autre État, il faut
l'autorisation de l'État côtier204.
D'autres types de criminalité transnationale sont
réprimés par le droit pénal international.
195 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 281.
196 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 128.
197 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 281.
198 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 33 (2).
199 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 127.
200 « Convention des Nations unies sur le droit de la
mer, ouverte à la signature à Montego Bay (Jamaïque) le 10
décembre 1982 entrée en vigueur le 16 novembre 1994 »,
loc. cit., article 33 (1).
201 « Protocole additionnel à la Convention des
Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée
contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel
à la convention des Nations unies contre la criminalité
transnationale organisée adopté le 15 novembre 2000 »,
loc. cit., article 8.
202 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 281.
203 Ibid., p. 264.
204 Ibid., p. 281.
48
Paragraphe 2. La protection contre les autres types de
criminalité transnationale
Le trafic de migrants n'est pas le seul type de
criminalité transnationale dont peuvent être victimes les migrants
irréguliers. Leur situation précaire les expose à la
traite de personnes (A) et à l'esclavage (B) qui sont interdits par les
instruments internationaux.
A. La protection contre la traite des personnes
La convention criminalisant la traite des personnes est le
Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la
criminalité transnationale organisée visant à
prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en
particulier celle des femmes et des enfants, adopté le 15 novembre 2000.
Son article 3(a) définit la traite comme « le recrutement, le
transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la
menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes
de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité
ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou
l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une
personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation.
L'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui
ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services
forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la
servitude ou le prélèvement d'organes ».
La traite a un objet donc plus général par
rapport au trafic de migrants. La traite a pour principal but l'exploitation de
la personne concernée.
Des inquiétudes sont tout de même à
signaler sur le traitement par les États des personnes qui sont dans une
situation de trafic de migrants et celles qui sont dans une situation de traite
de personnes. Dans le protocole sur le trafic de migrants, le terme victime
n'apparait qu'une seule fois à l'article 15 (2) «
Conformément à l'article 31 de la Convention, les États
Parties coopèrent dans le domaine de l'information afin d'empêcher
que les migrants potentiels ne deviennent victimes de groupes criminels
organisés »205. Tandis, que le protocole sur la
traite des personnes accorde tout un titre II à la « Protection des
victimes de la traite des personnes ». Cette différence de
traitement entre les deux catégories de personnes montre que la
priorité des
205 C'est nous qui soulignons. « Protocole additionnel
à la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée contre le trafic illicite de migrants par
terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre
la criminalité transnationale organisée adopté le 15
novembre 2000 », loc. cit., article 15 (2).
49
États se concentre sur la violation de leurs lois
migratoires et non sur la protection des migrants cibles de
trafic206.
L'esclavage est une autre infraction réprimée par
les textes internationaux.
B. La protection contre l'esclavage
De nombreux textes internationaux prohibent l'esclavage. Il
s'agit en priorité de la Convention de 1926 relative à
l'esclavage207 et la Convention de 1956 relative à
l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et
pratiques analogues à l'esclavage208.
L'article 8 du PIDCP prohibe également l'esclavage en
ces termes « 1. Nul ne sera tenu en esclavage;
l'esclavage et la traite des esclaves, sous toutes leurs formes, sont
interdits.
2. Nul ne sera tenu en servitude. »
La convention de 1926 définit l'esclavage comme «
l'état ou la condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs
du droit de propriété ou certains d'entre eux ». Le Statut
de la Cour pénale internationale dans son article 7-2c le définit
comme « le fait d'exercer sur une personne l'un quelconque ou l'ensemble
des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le
cadre de la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des
enfants ». Il s'agit donc d'exercer sur une personne tous les attributs de
la propriété que sont l'usus (droit de détenir et
d'utiliser une chose sans en percevoir les fruits209), le
fructus (le droit d'en percevoir les fruits210) et
l'abusus (disposition juridique par l'aliénation ou disposition
matérielle par la destruction211).
Une autre pratique est regardée comme analogue à
l'esclavage par la jurisprudence. Il s'agit de la servitude qui n'est pas
définie en droit international. La servitude pour dette est la seule
variante définie. Il s'agit selon l'article 1a de la Convention de 1956,
de « l'état ou la condition résultant du fait qu'un
débiteur s'est engagé à fournir en garantie d'une dette
ses services personnels ou ceux de quelqu'un sur lequel il a autorité,
si la valeur équitable de ces
206 Tom OBOKATA, « The Legal Framework Concerning the
Smuggling of Migrants at Sea under the UN Protocol on the Smuggling of Migrants
by Land, Sea and Air », loc. cit., p. 164.
207 Convention relative à l'esclavage du 25 septembre
1926.
208 Convention supplémentaire relative à
l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et
pratiques analogues à l'esclavage du 7 septembre 1956.
209 Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, Lexique des termes
juridiques, op. cit.
210 Ibid.
211 Ibid.
50
services n'est pas affectée à la liquidation de
la dette ou si la durée de ces services n'est pas limitée ni leur
caractère défini ». L'arrêt de la CEDH Seguin c.
France212 analyse la servitude comme une obligation de
prêter ses services sous l'empire de la contrainte et la met en lien avec
la notion d'esclavage.
L'arrêt Siliadin contre France213 a
confirmé cette analyse. Il s'agit d'une affaire concernant une jeune
Togolaise amenée en France à l'âge de 15 ans par une
relation de son père à qui l'on a fait miroiter l'espoir d'une
scolarisation. En lieu et place d'une éducation, elle a
été utilisée comme domestique et bonne à tout faire
par les époux B. sans salaire et sans régularisation. La CEDH a
considéré que la requérante a été tenue en
état de servitude au sens de l'art. 4 de la Convention EDH. En
première instance, les époux B. ont été
condamnés à une peine de prison de 12 mois dont sept avec sursis,
assortie d'une chacun, ainsi qu'au versement d'une somme identique à
titre de dommages et intérêts envers la requérante. La Cour
d'appel a cependant prononcé l'acquittement des époux B en
l'absence selon elle de lien de dépendance. La CEDH a
réfuté ce raisonnement et a rappelé qu'il est fait
obligation aux États d'adopter des dispositions en matière
pénale sanctionnant les pratiques visées par l'art. 4 de la
Convention EDH et de les appliquer concrètement. La Cour a
condamné la France car elle a estimé que les dispositions
pénales du droit français n'ont pas assuré une protection
concrète et effective à la requérante.
L'on retient de ce chapitre sur le droit international des
droits de l'homme et le droit pénal international protègent plus
précisément les droits des migrants clandestins en mer contre les
violations des droits de l'Homme et les infractions internationales
spécifiques à leur encontre.
Les droits de l'Homme ne sont pas cependant applicables sans
discrimination aucune. Des exceptions sont prévues mais selon des
critères stricts.
La criminalité transnationale organisée dans
toutes ses formes est punie au niveau international. Mais il n'existe pas
d'immunité totale pour les migrants dans le cadre du trafic illicite de
migrants.
212 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Seguin c.
France, 2000.
213 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Siliadin
contre France, 2005.
51
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
Cette première partie a exploré les
différentes règles de droit international s'appliquant aux
États sur leurs obligations envers les migrants clandestins en
matière de sauvetage et de droits de l'Homme. Elles sont nombreuses mais
chacune d'elle doit être respectée, à défaut
l'État engage sa responsabilité internationale.
Cependant, devant ces règles bien établies,
force est de constater que leur application est très difficile dans les
faits en raison notamment des pratiques étatiques qui ne respectent pas
les instruments précédemment développés auxquels
pourtant ils sont parties.
Ces insuffisances mettent à mal l'efficacité du
droit international public en la matière.
52
DEUXIÈME PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE
INSUFFISANT
Le droit international en vigueur précédemment
évoqué supra fait face malheureusement à
plusieurs insuffisances externes et même internes. Les États
sensés remplir les obligations par eux-mêmes souscrites essaient
par tous les moyens de s'en libérer à travers des politiques
sécuritaires qui mettent les droits de l'Homme au second plan. La mise
en oeuvre du droit en est donc compromise (Chapitre 1). Mais le droit
lui-même n'est pas exempt de plusieurs tares qui rendent difficile son
application concrète. Mais ce droit est perfectible (Chapitre 2).
53
CHAPITRE 1. UNE MISE EN OEUVRE COMPROMISE EN
PRATIQUE
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le monde est
ébranlé par la menace terroriste. Cette menace invisible a servi,
pour rassurer les populations, à ériger l'étranger en
menace et servi à justifier un régime juridique répressif
à l'égard de l'immigration. Ces manipulations politiques ont des
conséquences directes sur les droits des migrants y compris le droit
universel garanti de quitter tout pays y compris le sien. À cet
égard, les pratiques étatiques sont variées et multiples
mais tendent au même but : celui de combattre l'immigration
irrégulière (Section 1). Mais le phénomène
récent le plus inquiétant pour les libertés est
l'externalisation des politiques migratoires en particulier, pour notre
étude, au Maghreb (Section 2).
54
SECTION 1. DES PRATIQUES ÉTATIQUES CRIMINALISANT
LA MIGRATION
L'immigration irrégulière est devenue dans le
discours politique une menace à l'ordre public214. Cette
vision a entraîné l'adoption de mesures de sécurisation.
Les exemples étudiés dans cette partie sont l'Union
Européenne, un exemple flagrant de coopération
multilatérale (Paragraphe 1) et l'Australie qui a adopté une
politique unique de refoulement systématique : la « solution du
Pacifique » (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Une coopération multilatérale pour
la régulation de l'immigration : l'exemple de l'Union Européenne
L'Union européenne est un organe continental a mis sur
pied tout une organisation juridique normative et institutionnelle pour lutter
contre l'immigration irrégulière. La gestion
intégrée des frontières est un pilier de la construction
européenne (A). Frontex est l'un des visages institutionnels marquants
de cette politique (B).
A. La politique communautaire sur l'immigration
irrégulière : de la libre circulation à la gestion
intégrée des frontières extérieures215
L'histoire de la gestion intégrée des
frontières extérieures fait suite aux institutions de Schengen et
de leur principale nouveauté, c'est-à-dire, la suppression des
frontières entre les États de la zone Schengen, créant
ainsi un espace de circulation unique au monde sans frontières. La
frontière s'est alors déplacée de l'État vers
l'extérieur de l'Union pour créer une frontière
européenne commune216.
Cette idée s'est développée à
partir du Conseil européen de Tampere de 1999. Mais le concept est
véritablement introduit avec le Conseil de Laeken de 2001. Le Conseil de
Séville de 2002 adopte un plan d'action pour des objectifs
législatifs et opérationnels. Il contient plusieurs thèmes
relatifs à l'immigration irrégulière.
214 Catherine WIHTOL DE WENDEN, « Les flux migratoires
légaux et illégaux », Ceriscope Frontières,
Sciences Po - CERI, (2011), p. 4.
215 Denis DUEZ, « La sécurisation des
frontières extérieures de l'Union européenne : enjeux et
dispositifs », Sécurité globale, (Printemps 2012),
p. 65.
216 Idil ATAK, « La coopération policière
pour la lutte contre la migration irrégulière au sein de l'Union
européenne », Revue générale de droit, vol.
36. Number 3 (2006), p. 462.
55
Le Sommet de la Haye de 2004 met l'accent sur la
coopération policière217. Cette vision
sécuritaire de la migration fait suite aux évènements du
11 septembre 2001 et tendent au « renforcement de la coopération
contre l'immigration clandestine »218.
Les accords de réadmission constituent l'un des plus
anciens instruments de la politique migratoire de l'UE. Ils peuvent se
définir comme « des actes par lesquels les États signataires
s'engagent à réadmettre sur leur territoire leurs ressortissants
qui sont interpellés alors qu'ils se trouvent en situation
irrégulière sur le territoire d'un autre État, mais aussi
d'autres étrangers qui ne sont pas leurs ressortissants mais qui ont
transité par leur sol avant d'être interpellés dans l'autre
État »219.
Les accords de réadmission ont évolués
d'accords bilatéraux à des accords communautaires qui sont donc
intégrés à l'UE. Ces accords étaient initialement
signés dans les années 1960 entre deux États de
manière bilatérale. Le traité de Maastricht instituant
l'Union européenne, signé le 7 février 1992 et
entré en vigueur le 1er novembre 1993, a introduit les « trois
piliers » de l'UE : les Communautés européennes, la
politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
et la coopération dans les domaines de la justice et des affaires
intérieures (JAI). Les questions d'immigration sont alors au centre de
la politique européenne. L'article 63.3 (b) du Traité instituant
la Communauté européenne (TCE) donne compétence au Conseil
Européen pour prendre des décisions concernant l'«
immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le
rapatriement des personnes en séjour irrégulier ».
Ces accords n'offrent cependant aucune garantie aux personnes
concernées de voir leurs droits respectés. Les accords de
réadmission signés avec les pays-tiers posent le problème
de la protection des droits de l'Homme220. Les partenariats avec les
pays africains en particulier sont basés sur une «
conditionnalité à sens unique »221 qui consiste
à réadmettre les migrants dans
217 Catherine WIHTOL DE WENDEN, « L'Europe, un continent
d'immigration malgré lui », Strates [En ligne], vol. 15.
(2008), p. 7.
218 P. BERTHELET, « L'impact des événements
du 11 septembre sur la création de l'espace de liberté, de
sécurité, et de justice », Culture et Conflits,
no 46 (2002). ; cité par Idil ATAK, « La
coopération policière pour la lutte contre la migration
irrégulière au sein de l'Union européenne », loc.
cit., p. 463.
219 Claudia CHARLES, Accords de réadmission et
respect des droits de l'Homme dans les pays tiers, Bilan et perspectives pour
le Parlement européen, Sous-commission des Droits de l'Homme du
Parlement européen, 2007, p. 7.
220 Zoé LEJEUNE, Sécurisation,
externalisation et virtualisation dans l'espace européen: Mutations des
frontières et de la sécurité. Le programme Eurosur,
Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de Master
en Etudes européennes, Université de Liège-Faculté
de Droit Département de Sciences Politiques, 2008, p. 48.
221 Matthieu TARDIS, « L'UE est-elle prête pour les
prochains défis migratoires? », politique
étrangère, no 3 (2019), p. 7.
56
les États contractants. Il a ainsi été
mis en place un Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique en échange de
cette coopération au Sommet de La Valette en 2015.
Cette politique d'accords de réadmission a
évolué ensuite vers une « politique d'externalisation »
ce qui signifie que l'UE sous-traite le contrôle de ses frontières
à des pays tiers et leur impose une responsabilité dans la
gestion de la migration en contrepartie d'aides222.
L'externalisation est un terme emprunté aux économistes qui la
définissent comme « le recours à un prestataire ou à
un fournisseur externe, pour une activité qui était jusqu'alors
réalisée au sein de l'entreprise », celle-ci étant
généralement assortie d'un « transfert de ressources
matérielles ou humaines vers le prestataire choisi »223.
Ce terme économique créé dans les années 1990
désigne une organisation du travail où chaque prestataire se
concentre sur ses compétences propres et qui se base sur la
sous-traitance224. Elle a pour but latent de neutraliser les
salariés organisés, brouiller la chaîne hiérarchique
et les responsabilités qui en découlent.
La logique de l'externalisation dans les politiques d'asile
consiste en 4 points selon Emmanuel Blanchard. En premier lieu, la
délocalisation qui consiste à contrôler les
frontières dans les pays de départ. Ensuite sous-traiter aux
États la responsabilité de la surveillance des frontières.
En troisième lieu, privatiser la surveillance des frontières en
imposant des sanctions aux transporteurs par qui les migrants
irréguliers atteignent les États européens. Enfin, toutes
ces étapes mènent à une déresponsabilisation qui
rend impossible la détermination des normes applicables et des instances
responsables225. Les normes les plus élémentaires en
matière de droits fondamentaux sont remises en cause par ces
politiques.
La politique d'externalisation de la politique migratoire
européenne a atteint le summum de sa consécration avec
l'accord de 2016 avec la Turquie. Cet accord consiste à
déléguer le contrôle des frontières
européennes à la Turquie. Il peut être résumé
ainsi : toutes les personnes qui traversent illégalement la Turquie vers
la Grèce après mars 2016 et qui n'ont pas besoin de protection
internationale seront refoulées vers la Turquie qui est un pays
sûr. En échange, l'UE
222 Pauline DELESTINNE, « Quel impact de
l'externalisation de la politique migratoire européenne sur le respect
des droits de l'Homme dans les pays-tiers? L'exemple de la Turquie, de la Lybie
et du Maroc. », EULogos Athena (en ligne), (février
2020).
223 Cédric AUDEBERT et Nelly ROBIN, «
L'externalisation des frontières des « Nords » dans les eaux
des « Suds ». L'exemple des dispositifs frontaliers américains
et européens visant au contrôle de l'émigration
caribéenne et subsaharienne », Cultures & Conflits,
n°73 (printemps 2009), p. 36.
224 Emmanuel BLANCHARD, « Externaliser pour contourner le
droit », Revue Projet, n° 308 (2009), p. 63.
225 Ibid., p. 64.
57
fournit 6 milliards d'euros à la Turquie226.
C'est le mécanisme du « un contre un » : pour un migrant
renvoyé en Turquie, un migrant de Turquie est réinstallé
en Europe227. Cet accord vient de la volonté d'éviter
que les migrants et réfugiés venant de Syrie et des pays voisins
qui se sont installés en Turquie aspirent à franchir les
frontières de l'UE.
Un pays est dit sûr s'il remplit les conditions suivantes
:
· La vie et la liberté du concerné n'est pas
en danger ;
· Le pays en question respecte le principe de non
refoulement ;
· Le concerné n'a pas de risques d'être en
danger ;
· Les droits de l'Homme sont respectés par le pays
;
· Il y a possibilité d'obtenir le statut de
réfugiés ;
· Le concerné a un lien avec le pays en
question228.
Or la Turquie n'est pas un pays sûr selon les ONG qui
dénoncent régulièrement des refoulements
systématiques229. Catherine Teule dénonce un «
troc indigne »230. Cet accord a été reconduit en
février 2020 pour une durée de trois ans supplémentaires
sans aucun amendement231.
Le mécanisme du pays tiers sûr est un autre
mécanisme juridique européen qui consiste à choisir un
pays tiers considéré comme sûr par les standards de ce
mécanisme juridique. Il est régi par la Directive 2005/85/CE du
Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales
concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de
réfugié dans les États membres232. Cette
directive identifie trois types de pays sûrs que sont le « pays
d'origine sûr », le « pays tiers sûr » et le «
premier pays d'asile ».
226 Pauline DELESTINNE, « Quel impact de
l'externalisation de la politique migratoire européenne sur le respect
des droits de l'Homme dans les pays-tiers? L'exemple de la Turquie, de la Lybie
et du Maroc. », loc. cit.
227 Georges DALLEMAGNE, Antoine DE BORMAN et Eugenia BARDARO,
Pour une refondation des politiques d'asile et de migration. Une
réponse globale, une approche différenciée, Cepess,
2018, p. 53.
228 Mariana GKLIATI, « The EU-Turkey Deal and the Safe
Third Country Concept before the Greek Asylum Appeals Committees »,
Journal for Critical Migration and Border Regime Studies, vol. Vol. 3.
Issue 2 (2017), p. 215.
229 Catherine TEULE, « «Accord» UE-Turquie : le
troc indigne », Plein droit, n° 114 (octobre 2017), p.
25.
230 Ibid., p. 24.
231 Théo BURATTI, Externalisation des
frontières de l'union européenne. Enjeux et perspectives,
POUR LA SOLIDARITÉ-PLS, 2020, p. 11.
232 Directive 2005/85/CE du Conseil Européen
relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi
et de retrait du statut de réfugié dans les États
membres, 2005.
58
D'abord, le « pays d'origine sûr ». L'annexe
II de la directive définit la méthode pour qualifier un pays de
« pays d'origine sûr ». Il convient notamment de tenir compte
des lois nationales de protection contre la persécution et les mauvais
traitements et de leur mise en oeuvre, de la manière dont sont
respectées les normes fondamentales relatives aux droits de l'homme
telles que contenues par les principales conventions internationales, ou encore
de l'existence d'un système de sanctions efficaces contre les violations
de ces droits.
Ensuite, le « pays tiers sûr». Au sens de
l'article 27, il s'agit d'un pays tiers dans lequel les autorités
compétentes ont acquis la certitude que le demandeur sera traité
conformément à un certain nombre de principes définis
à l'alinéa 1. L'alinéa 2 précise que l'application
de la notion de pays tiers sur est subordonnée aux règles
fixées dans le droit national.
Enfin, le terme « premier pays d'asile »
désigne, au sens de l'art.26, un pays dans lequel le demandeur d'asile
s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié et peut encore
se prévaloir de cette protection, ou dans lequel il jouit à un
autre titre d'une protection suffisante, y compris du bénéfice du
principe de non -refoulement. Le demandeur doit en outre pouvoir être
réadmis dans ce pays.
Ces pratiques instaurent, selon Samir Ben Hadid, « un
traitement différencié de la demande d'asile suivant la
provenance géographique des demandeurs »233.
Les systèmes d'informations personnelles sur les
migrants en Europe sont le dernier instrument moderne de la stratégie
européenne. Il s'agit du SIS (Système d'information Schengen),
d'Eurodac (Système d'enregistrement dactylographique des demandeurs
d'asile), du VIS (Système d'information sur les visas), du CIS (Customs
Information System). Le SIS a été créé en 1990 et
est l'une des plus grandes bases de données pour le contrôle de
l'immigration en Europe. Le VIS contient toutes les informations sur tous les
visas émis. Quant à l'Eurodac, il contient les empreintes
digitales de tous les demandeurs d'asile pour faciliter l'application de la
Convention de Dublin sur les demandes d'asile dans l'Union
Européenne234. Cette convention a pour objet de
déterminer l'État-membre responsable de l'examen d'une demande
d'asile. Elle est basée sur la présomption que chaque État
de l'Union possède les mêmes
233 Samir BEN HADID, Le statut des étrangers dans
le droit de l'Union européenne, Thèse en droit,
Université Nice Sophia Antipolis, 2014, p. 175.
234 Convention de Dublin sur la détermination de
l'État responsable de l'examen d'une demande d'asile
du 15 juin 1990, ,
http://www.cvce.eu/obj/convention_de_dublin_sur_la_determination_de_l_etat_responsable_de_l_examen_d_un
e_dema
nde_d_asile_15_juin_1990-fr-8299847c-3aff-426c-a990-675774627e5a.html.
59
instruments et les mêmes garanties pour que les
demandeurs d'asile voient leur demande examinée dans les mêmes
conditions235. Cependant, cette responsabilité pèse
surtout sur les États du Sud de l'Europe, qui sont la principale porte
d'entrée maritime pour les migrants236. Il s'agit de la
politique dite du « one stop, one shop»237.
Le plus grand instrument concret de cette politique est
toutefois Frontex, organe ambigu qui concentre le plus de critiques.
B. Étude d'un organe régional
intégré : l'agence de garde-côtes et de
garde-frontières Frontex
L'agence européenne pour la gestion de la
coopération opérationnelle aux frontières
extérieures ou « Frontex »238, a été
formalisée en 2002, proposée en 2003, créée par
règlement de l'Union européenne en 2004 CE n° 2007/2004 du
Conseil européen du 26 octobre 2004239 et est entrée
en fonction le 3 octobre 2005240. Il s'agit d'une agence comprise
dans un « système européen de gestion des frontières
». C'est un organisme doté de la personnalité juridique
distincte de celle de l'Union européenne241. Son rôle
principal est d'assurer la coordination des activités menées par
les États membres, d'assurer une répartition plus
équitable des charges entre les États en matière de
contrôle frontalier et de formation des garde-frontières. Elle est
également chargée de l'analyse des risques, c'est-à-dire
de surveiller les mouvements de migrants. Frontex est passée à sa
création en 2004 d'un simple rôle de coordination à une
Agence européenne des gardes-frontières et des gardes côtes
en 2016, soit un acteur à part entière dans la gestion des
frontières de l'Union européenne242.
235 Maria-Teresa GIL-BAZO, « The Safe Third Country
Concept in International Agreements on Refugee Protection: Assessing State
Practice », Netherlands Quarterly of Human Rights, vol. Vol.
33/1. (2015), p. 66.
236 Michelle FOSTER, « Responsibility Sharing or
Shifting? «Safe» Third Countries and International Law »,
Refuge: Canada's Periodical on Refugees, vol. 25. Number 2 (2008), p.
65.
237 Catherine WIHTOL DE WENDEN, « L'Europe, un continent
d'immigration malgré lui », loc. cit., p. 7.
238 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la
migration transfrontière, op. cit.
239 Benoît GRÉMARE, L'agence Frontex et la
marine nationale, op. cit., p. 10.
240 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe: un enjeu
sécuritaire. Causes et conséquences des politiques migratoires
européennes sur les migrants, op. cit., p. 30.
241 Benoît GRÉMARE, L'agence Frontex et la
marine nationale, op. cit., p. 15, 59.
242 Annabelle KARGL, FRONTEX, symbole d'une gestion des
frontières européennes en évolution, Comité
Europe - ANAJ-IHEDN, 2018, p.1.
60
Comparée à une armée243,
institution dont le silence est la caractéristique centrale, l'Agence
concentre toutes les critiques des défenseurs des droits de l'Homme qui
s'interrogent sur sa nature réelle et son degré de
responsabilité pour les violations des droits des migrants lors de ses
opérations.
Son règlement créateur de 2004 a
été modifié en, 2007244, en 2011245,
en 2016246 et enfin en 2019247.
L'agence a une personnalité indépendante pour les
fonctions techniques248.
La détection d'une embarcation impose aux États
l'obligation de porter secours au navire en détresse. Les zones de
recherche et de sauvetage sont de la responsabilité unique des
États249. L'activité de l'Agence ne remet pas en cause
la compétence des États de l'UE dans la surveillance et le
contrôle des frontières extérieures250. En
clair, la responsabilité du contrôle et de la surveillance des
frontières extérieures est du ressort exclusif des
États-membres. Frontex ne fait que coordonner ces différentes
opérations251. La surveillance des frontières reste
donc une mission souveraine252. Avec son nouveau mandat de 2016,
Frontex a désormais le pouvoir d'organiser des opérations de
retour conjointes de sa propre initiative.
Dès lors, quel est le rôle exact de Frontex ?
Les opérations de Frontex se sont multipliées au
cours des années suivant sa création.
Les opérations Héra se sont
déroulées en 2006, sous le commandement de l'Espagne aux
îles Canaries pour la première du nom. Ensuite, Héra II en
2006 s'est tenue au Sénégal et en
243 Claire RODIER, « Frontex, la petite muette »,
Vacarme, N° 55 (2011), p. 38.
244 Règlement Parlement européen et Conseil de
l'Union européenne, Règlement (CE) n° 863/2007,
2007.
245 RÈGLEMENT (UE) N o 1168/2011 DU PARLEMENT
EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 octobre 2011 modifiant le règlement
(CE) n o 2007/2004 du Conseil portant création d'une Agence
européenne pour la gestion de la coopération
opérationnelle aux frontières extérieures des États
membres de l'Union européenne, Tome L 304, 2011.
246 Règlement (UE) 2016/1624 relatif au corps
européen de garde-frontières et de garde-côtes, 14
septembre 2016, 2016.
247 Parlement européen et Conseil de l'Union
européenne, Règlement (UE) n° 2019/1896. Novembre
2019.
248 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe: un enjeu
sécuritaire. Causes et conséquences des politiques migratoires
européennes sur les migrants, op. cit., p. 30.
249 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la
migration transfrontière, op. cit., p. 180.
250 Melissa CUOZZO, La migration vers l'Europe: un enjeu
sécuritaire. Causes et conséquences des politiques migratoires
européennes sur les migrants, op. cit., p. 30.
251 Jasmine COPPENS, Migrants at Sea A Legal Analysis of a
Maritime Safety and Security Problem, Dissertation presented to the
Faculty of Law of Ghent University in order to obtain the degree Doctor of Law,
Ghent, Ghent University, 2012, p. 211.
252 Claire GATINOIS. « Frontex, cache-misère de la
faiblesse de la politique migratoire européenne », Le Monde
(27 octobre 2013).
61
Mauritanie. Les deux dernières sont respectivement
Héra III en 2007 et Héra 2008 en 2008. Les opérations
Nautilus en 2006, 2007 et 2008 concernent une opération conjointe entre
Malte et l'Italie. Poséidon quant à lui s'est
déroulé entre 2006 et 2007. Il s'agit d'une coopération
entre la Grèce, la Turquie, l'Albanie et la Bulgarie253.
Les opérations Héra de 2006 avaient pour but
d'empêcher les embarcations venant des côtes mauritaniennes et
sénégalaises254. Ces opérations sont une
entrave grave au droit de quitter tout pays y compris le sien255 qui
est garanti par l'article 13.2 de la Déclaration universelle des droits
de l'Homme du 10 décembre 1948 et l'article 12.2 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques. L'article de la DUDH dispose que
« Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de
revenir dans son pays ». Le PIDCP reprend presque dans les mêmes
termes, « Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y
compris le sien ».
Ces opérations s'apparentent plutôt au premier
abord à l'interception. Or elle est contraire au droit de la mer et au
principe de non refoulement256.
L'interception peut se définir comme toute mesure prise
par un État en dehors de son territoire national, dans le but de
prévenir, interrompre et arrêter un convoi de personnes sans les
documents requis pour traverser les frontières terrestres,
aériennes et maritimes, et d'atteindre leur destination
prévue257. Cette définition renforce le
caractère extraterritorial de l'interception. C'est une
définition proposée par le Haut-commissariat aux
réfugiés en 2000.
En 2003, le même organisme propose une autre
définition. « L'une des mesures prises par les États pour
:
i. Prévenir l'embarquement de personnes pour un voyage
international ;
ii. Empêcher que le voyage qui a débuté
continue ;
253 Anneliese BALDACCINI, « Extraterritorial Border
Controls in the EU: The Role of Frontex in Operations at Sea » dans
Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas, Extraterritorial Immigration Control.
Legal Challenges, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 238.
254 LES VERTS /ALE (PARLEMENT EUROPÉEN), Agence
Frontex : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? Étude sur
l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de
la refonte de son mandat, 2010,
p. 10.
255 Ibid., p. 10.
256 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p.12.
257 Efthymios PAPASTAVRIDIS, « Interception of Human
Beings on the High Seas: A Contemporary Analysis under International Law
», Syracuse Journal of International Law and Commerce,
no 36 (2009 2008), p. 2. ; Barbara MILTNER, « Irregular
Maritime Migration: Refugee Protection Issues in Rescue and Interception
», loc. cit., p. 7.
62
iii. Contrôler les navires dont on a des raisons
sérieuses de croire qu'ils transportent
des personnes en violation du droit international et national
».
Cette définition efface toute mention
d'extraterritorialité et augmente ainsi la portée de
l'interception, fait une différence claire entre l'interception et le
sauvetage, mais en même temps brouille la distinction entre ces deux
termes en suggérant que l'interception protège aussi la vie des
migrants258. En clair, l'interception est constituée de
mesures physiques prises de manière extraterritoriale pour éviter
l'entrée de migrants non désirés sur le territoire
national.
Es-ce que l'article 110 de la convention de Montego Bay peut
fournir une base légale à l'interception d'êtres humains ?
Le fait de transporter des migrants clandestins en haute-mer n'est pas un crime
international en soi. Ces personnes ne peuvent être arrêtées
que si elles sont entrées dans la zone territoriale ou la zone
contiguë de l'État côtier en violant ses lois sur
l'immigration. Si les personnes ont une nationalité, elles ont droit
à la protection de leur État de nationalité
indépendamment du fait qu'elles se trouvaient sur un navire sans
nationalité. L'article 11 (1) (b) de la convention de Montego Bay peut
être une base légale valable pour le droit de visite auprès
de navires en haute-mer qui sont susceptibles de transporter des esclaves. Il
peut donc, sous certains aspects, être un fondement légal pour
l'interception d'êtres humains en haute-mer259.
L'interception de migrants ne viole pas en soi le principe de
non refoulement. Ce principe, en effet, n'inclut pas l'obligation d'admettre
les migrants dans un pays. Le droit international humanitaire fait une
distinction entre le devoir de ne pas exposer les migrants à des risques
sécuritaires et leur droit de demander l'asile. Le premier devoir est
une obligation et le second relève des prérogatives souveraines
des États. Ce n'est pas aux personnes secourues de choisir le port de
destination260.
La migration est, cependant entravée dans la pratique
par Frontex. Ses interceptions sont en principe limitées à la
répression du trafic de migrants, mais elles ont été
étendues à la prévention de la migration
irrégulière261. L'interception pour sauver des vies a
laissé place à
258 Barbara MILTNER, « Irregular Maritime Migration:
Refugee Protection Issues in Rescue and Interception », loc.
cit.
259 Efthymios PAPASTAVRIDIS, « Interception of Human
Beings on the High Seas: A Contemporary Analysis under International Law
», loc. cit., p. 20.
260 Matteo TONDINI, « The legality of intercepting boat
people under search and rescue and border control operations with reference to
recent Italian interventions in the Mediterranean Sea and the ECtHR decision in
the Hirsi case », The Journal of International maritime law,
no 18 (2012), p. 6.
261 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la
migration transfrontière, op. cit., p. 157.
63
l'interception utilisée pour empêcher des
personnes d'entrer dans les pays développés. Nombreuse de ses
opérations ne se font pas dans le respect du droit international. Elles
ne sont pas transparentes. Ainsi, le principe de non-refoulement n'est pas
respecté parce que les personnes interceptées sont
obligées de retourner vers le pays d'embarquement262.
La mission confiée à Frontex est ambiguë
car il y a une conciliation difficile et compliquée entre le rôle
de police aux frontières avec celui de secouriste263.
L'une des préoccupations importantes au plan juridique
est la nature des accords que conclut Frontex avec les pays tiers. En effet,
les règlements donnent une compétence juridique à Frontex
pour signer des accords qui ne sont pas des traités
internationaux264.
La médiatrice européenne a demandé le 14
novembre 2013 dans un communiqué de presse265, à
Frontex « de mettre en place un mécanisme de traitement des
plaintes relatives à des violations des droits fondamentaux
découlant de son activité ». En effet selon Frontex, les
violations des droits de l'Homme relèvent exclusivement de la
responsabilité de l'État-membre concerné. Ce qui pose un
véritable problème juridique car l'Agence se trouve donc dans un
vide juridique inquiétant. Vers qui les requérants devront donc
se tourner pour obtenir réparation ? Frontex possède la
personnalité juridique et est en même temps reliée et sous
le contrôle des institutions de l'Union et des
États-membres266. Elle peut signer des accords avec des
États tiers et les dit accords ne tombent pas sous le régime des
traités internationaux, ce sont des accords dits « techniques
».
En 2016, un nouveau règlement européen du 14
septembre 2016267 modifiant le règlement de 2004
créant Frontex a institué une « responsabilité
partagée ». Avant ce règlement,
262 Efthymios PAPASTAVRIDIS, « `Fortress Europe' and
FRONTEX: Within or Without International Law? », Nordic Journal of
International Law, no 79 (2010), p. 75-111.
263 Claire GATINOIS, « Frontex, cache-misère de la
faiblesse de la politique migratoire européenne », loc.
cit.
264 Claire RODIER, « Frontex, la petite muette »,
loc. cit., p. P. 39.
265 MÉDIATEUR EUROPÉEN. « La
Médiatrice demande à Frontex de traiter les plaintes relatives
aux violations des droits fondamentaux », Communiqué de presse
n°17/2013 (14 novembre 2013).
266 LES VERTS /ALE (PARLEMENT EUROPÉEN), Agence
Frontex : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? Étude sur
l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de
la refonte de son mandat, op. cit., p. 22.
267 « Règlement (UE) 2016/1624 relatif au corps
européen de garde-frontières et de garde-côtes, 14
septembre 2016 », loc. cit.
64
chaque État était responsable de
l'opération qu'il requiert268. Il s'agissait d'une
responsabilité purement étatique. Désormais, Frontex doit
aussi répondre des dommages causés par ses opérations.
Cependant que recouvre cette notion ambiguë de responsabilité
partagée ? L'article 5 du règlement est celui qui l'institut,
mais la ligne de responsabilité n'est pas aussi aisée à
départager.
L'article 5 du règlement comporte un mécanisme
de dépôt de plainte auprès d'un Officier aux droits
fondamentaux, une réforme attendue par les détracteurs de
Frontex. Néanmoins, cette procédure est qualifiée de
« coquille vide »269 car cette responsabilité n'est
encore qu'administrative. En effet, elle ne permet encore que de mener des
enquêtes administratives qui conduisent éventuellement à
une sanction administrative des agents concernés sans possibilité
de réparation. Une autre auteure propose plutôt l'expression de
« guichet »270 pour qualifier cette procédure qui
donne un rôle de réception de plainte à l'officier des
droits fondamentaux. Toujours est-il que ce mécanisme n'est pas
l'évolution attendue pour faire respecter les droits de l'Homme des
requérants en raison de la limite temporelle de 1 an maximum
après les faits allégués.
L'Australie fait preuve d'une politique plus affirmée
encore contre la migration irrégulière.
Paragraphe 2. La pratique australienne de la «
solution du pacifique »
La « solution du Pacifique »271 est une
pratique d'interception et de refoulement des migrants (A) qui ne respecte pas
le principe de non-refoulement (B) mise sur place dès 2001 par le
gouvernement australien.
268 LES VERTS /ALE (PARLEMENT EUROPÉEN), Agence
Frontex : quelles garanties pour les droits de l'Homme ? Étude sur
l'Agence européenne aux frontières extérieures en vue de
la refonte de son mandat, op. cit., p. 31.
269 Nina FABRIZI-RACINE, « Frontex, nouvelle Agence
européenne de garde-frontières et de garde-côtes: Des
données et des hommes », La Revue des droits de l'homme [En
ligne], Actualités Droits-Libertés, (21 mars 2017), p. 5.
270 Carole BILLET, « Quelle(s) responsabilité(s)
pour l'agence Frontex ? » dans Patrick Chaumette. Wealth and miseries
of the oceans: Conservation, Resources and Borders Richesses et misères
des océans: Conservation, Ressources et Frontières, GOMILEX,
2018, p. 423.
271 Fiona MCKAY, « Retour à la «solution du
Pacifique» », Revue des migrations forcées,
no 44 (octobre 2013), p. 24?26.
65
A. Une pratique d'interception et de refoulement des
migrants vers les États voisins de l'Australie
La pratique de la « solution du Pacifique » a
été mise en place à partir de l'affaire
emblématique du Tampa. En effet, ce cargo norvégien
s'est retrouvé au coeur d'un imbroglio politique international. Le 26
août 2001, le cargo norvégien le MV Tampa porte secours
à une embarcation transportant quelque 400 migrants, en grande partie
des Afghans, venant d'Indonésie et se dirigeant vers l'Australie pour
fuir les violences des Talibans. L'embarcation menace de faire naufrage et les
gardes côtes australiens lui demandent de la secourir. Mais ils ne
donnent aucune indication sur le lieu de débarquement. Le capitaine
prévoit de les débarquer alors sur l'île Christmas, port le
plus proche de sa position, mais les autorités australiennes lui
refusent l'accès. Alors que dans le cargo, la situation est critique :
en effet, il y a de nombreux malades et très peu de vivres pour un
navire prévu pour 50 personnes. L'Indonésie refuse
également le débarquement. Le 29 août, l'armée
australienne prit le contrôle du Tampa afin d'empêcher
l'entrée des migrants sur l'île. Il y a des discussions politiques
intenses entre l'Australie et le HCR : l'Australie ne veut pas du
débarquement et le HCR rappelle les obligations de sauvetage contenues
dans les dispositions pertinentes du droit international. Finalement, un accord
est trouvé entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, Nauru et la
Papouasie Nouvelle-Guinée. La Nouvelle-Zélande et Nauru
acceptèrent de se charger d'évaluer elles-mêmes le
bien-fondé des demandes d'asile. La Nouvelle-Zélande accepte
d'accueillir près de 150 de ces réfugiés, surtout les
familles, les femmes et les enfants. De son côté, Nauru accepte
d'« accueillir » les quelque 280 autres réfugiés dans
son centre de détention. L'Australie accepte, en échange,
d'assurer l'ensemble des coûts liés à cette
opération à Nauru.
Cet évènement a fait l'objet de
récupération politique de la part des politiciens australiens qui
ont fait une corrélation avec les évènements du 11
septembre 2001 qui ont montré au monde occidental qu'il est
vulnérable272. Ils ont avancé que les migrants
étaient des terroristes pour justifier le fait qu'ils leur ont
refusé l'asile et ont mis en place la « solution du Pacifique
» qui consiste à emmener les migrants vers les pays voisins comme
la Nouvelle-Zélande273. Cette
272 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 55.
273 Jean-Claude ICART, L'Odyssée du Tampa. Analyse
d'un cas emblématique dans la conjoncture du 11 septembre, 2002
(consultée le 19 décembre 2019) p.4.
66
manipulation a été permise par le manque
d'accès des journalistes aux réfugiés274. Le
gouvernement du premier ministre Howard a voulu montrer à la population
australienne que seules des mesures fortes peuvent protéger le pays d'
« éventuels terroristes »275.
La solution du Pacifique est avant tout un ensemble de trois
lois votées en 2001 qui constituent un arsenal juridique. Il s'agit
d'abord du Border Protection (Validation and Enforcement Powers) Act qui valide
l'interception des migrants aux frontières. Ensuite, le Migration
Amendment (Excision from Migration Zone) Act qui retire les îles et
territoires de Christmas, de Cocos, d'Ashmore et les îles Cartier des
zones où l'on peut demander un visa. Enfin, le Migration Amendment
(Excision from Migration Zone) (Consequential Provisions) Act permet à
n'importe quelle autorité australienne de détenir une personne
qui entre en Australie en dehors du territoire australien ou de les amener vers
un pays désigné « declared country »276.
Un autre évènement révélateur de
la politique australienne est celui du Minasa Bone en 2003.
D'ailleurs, il est à noter qu'en raison de la politique très
restrictive de l'Australie, il ne s'agit que du deuxième bateau de ce
type à pénétrer dans les eaux australiennes après
le Tampa277. Le Minasa Bone est un bateau de
pêche indonésien qui transportait en novembre 2003 14 demandeurs
d'asile kurdes de Turquie. Le bateau a été retourné vers
l'Indonésie après que les demandeurs d'asile ont atteint Melville
Island, située à 80 kilomètres de la terre
australienne278.
Brouwer et Kumin montrent dans leur article que le principal
problème des États est la protection de leur frontière
avec l'interception279. Cette méthode ne respecte pas
toujours le principe de non refoulement.
274 Julian BURNSIDE, « Refugees: The Tampa Case »,
Postcolonial Stud, vol. 5:1. (2002), p. 3.
275 Bette Diane WRIGHT, Asylum seekers and australian
politics, 1996-2007, A thesis presented to the School of History and
Politics In the Faculty of Humanities and Social Sciences for the Degree of
Doctor of Philosophy, Adelaide, The University of Adelaide, South Autralia,
2007, p. 105.
276 Penelope MATHEW, « Australian Refugee Protection in
the Wake of the Tampa », The American Journal of International
Law, vol. Vol. 96. No. 3 (juillet 2002), p. 663.
277 Susan KNEEBONE, « The Pacific Plan: The Provision of
«Effective Protection»? », International Journal of Refugee
Law, (septembre 2006), p. 707.
278 Susan KNEEBONE, « Controlling Migration by Sea: The
Australian Case » dans Bernard Ryan et Valsamis Mitsilegas,
Extraterritorial Immigration Control. Legal Challenges, Martinus Nijhoff
Publishers, 2010, p. 360.
279 Andrew BROUWER et Judith KUMIN, « Interception and
Asylum: When Migration Control and Human Rights Collide »,
Refuge, vol. 21. Number 4.
67
B. Le non-respect du principe de non-refoulement
Le gouvernement australien a mis en place une «
politiques de sécurisation ». C'est le processus par lequel des
sujets sont identifiés, libellés et considérés
comme des menaces sécuritaires pour la communauté. Cela passe par
plusieurs méthodes.
Présenter les migrants comme des vagabonds sans terre,
sans pays, sans État ; la déshumanisation en parlant
d'arrivées en masse en supprimant leur individualité ; la
métaphore de la catastrophe naturelle avec les termes de « vague
migratoire », d' « envahissement », de « submersion »
; une manipulation de la distinction entre réfugiés et migrants
économiques ; l'inversion des risques : le problème est
présenté comme une menace à la sécurité
plutôt que des personnes dont la sécurité est
menacée280.
L'interception et le renvoi des migrants du Minasa
Bone contreviennent profondément au principe de non-refoulement. Ce
refoulement systématique est en totale désaccord avec les
dispositions pertinentes présentées en première partie.
Il n'y a pas de directives claires concernant le respect des
droits humains et les opérations. Il s'agit d'une grande faille.
L'interception avant d'arriver dans les eaux territoriales des pays privent les
migrants du droit de quitter son pays y compris le sien.
L'interception est le synonyme de l'interdiction en mer. Il
s'agit de mesures physiques prises de manière extraterritoriale pour
éviter l'entrée de migrants non désirés sur le
territoire national281. Elle peut être entendue comme incluant
à la fois l'arraisonnement et la visite des navires
soupçonnés de se livrer à une activité interdite,
et quand les soupçons sont fondés, l'arrestation de
l'équipage et la saisie du navire et/ou de la
cargaison282.
La pratique australienne ne respecte donc pas les engagements
internationaux de l'Australie. Et cet état de fait est
entériné par les juridictions australiennes et surtout sa Cour
suprême dans l'affaire Vadarlis283. En 2001,
après le vote du Border Protection Bill, une loi destinée
à chasser le Tampa des eaux territoriales australiennes, deux
procédures ont été
280 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 3.
281 Solène GUGGISBERG, « Le trafic illicite de
migrants en mer », loc. cit., p. 244.
282 Kiara NERI, « La responsabilité de
l'État dans le cadre des opérations d'interdiction maritime
» dans Efthymios D. PAPASTAVRIDIS and Kimberley N. TRAPP (dir.), La
criminalité en mer, Martinus Nijhoff / Académie de Droit
International de la Haye., 2014, p. 559.
283 COUR FÉDÉRALE AUSTRALIENNE, Minister for
Immigration and Multicultural Affairs & Others v. Vadarlis (« Tampa
Appeal »), op. cit.
68
entamées le 31 août devant le juge Anthony North
de la Cour fédérale. Le recours déposé par le
Victorian Council for Civil Liberties aboutit à une ordonnance
d'arrêt de la procédure. Le juge North décide que les
demandeurs d'asile ont été détenus arbitrairement et
qu'ils doivent être retournés en Australie. Le gouvernement a fait
appel. La Cour a décidé que le gouvernement a exercé son
pouvoir d'empêcher des étrangers irréguliers d'entrer en
Australie. Les rescapés n'ont pas le droit d'entrer en Australie, ils ne
sont donc pas en détention. La Cour entérine donc la solution de
Pacifique284.
Le Maghreb est l'une des autres régions du monde qui a
également adopté des mesures de criminalisation de l'immigration
irrégulière.
SECTION 2. LA CRIMINALISATION DE L'IMMIGRATION
IRRÉGULIÈRE AU MAGHREB
L'Union européenne a mis en place une politique
d'externalisation de sa politique aux pays du Maghreb que sont le Maroc, la
Tunisie et l'Algérie et la Lybie (Paragraphe 1) en totale contravention
avec le respect élémentaire des droits de l'Homme (Paragraphe
2).
Paragraphe 1. Une externalisation de la politique migratoire
européenne au Maghreb
Le Maghreb a été relégué à
la place de gardien en amont des frontières européennes (B) ce
qui consacre le plan communautaire de l'UE (A).
A. La consécration du plan communautaire
européen
Les États maghrébins établissent une
répression de l'immigration irrégulière présente
sur leur territoire uniquement pour empêcher l'émigration des
étrangers à destination de l'UE285. Cette pratique
s'est accélérée avec le Conseil européen de
Séville qui s'est tenu du 21 au 22 juin 2002. Les pays du Maghreb ont
alors par la suite promulgué plusieurs lois sur l'immigration.
284 Penelope MATHEW, « Australian Refugee Protection in the
Wake of the Tampa », loc. cit., p. 661.
285 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la
migration transfrontière, op. cit., p. 33.
69
En Tunisie, la loi du 20 mai 1975 étend aux nationaux
les délits d'entrée et de sortie irrégulière. La
loi n°2004-06 du 3 février 2004 incrimine l'aide à
l'entrée ou à la sortie irrégulière.
Au Maroc, le dahir du 8 novembre 1949 régit
l'émigration irrégulière du travailleur marocain. La loi
n°02-03 du 11 novembre 2003 punit toute personne qui quitte ou entre sur
le territoire marocain d'une façon clandestine.
En Algérie, la loi du 25 février 2009 instaure le
délit d'immigration irrégulière286.
Concernant, la Lybie, la loi n°6 de 1987 modifiée
en 2005 régit l'entrée comme la sortie des
étrangers287.
Cette pénalisation est encouragée par l'UE qui a
cherché comment les populations potentielles de migrants peuvent
être maintenues dans leur zone d'origine288. Il y a eu donc
plusieurs accords de réadmission. Par ces accords, les États
liés s'engagent à réadmettre les nationaux et les
étrangers ayant transité sur son territoire. Le Maroc a ainsi
signé plusieurs accords de réadmission avec l'Allemagne et
l'Italie en 1998, avec la France en 2001. L'Algérie a conclu des accords
avec l'Espagne, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et la France. La Tunisie
avec la communauté européenne en 1995289.
Mais l'UE va changer de politique et s'atteler à
interrompre le voyage des migrants avant qu'ils ne parviennent à quitter
le pays de transit290. La contribution du Maghreb à la lutte
contre les circulations migratoires irrégulières est devenue une
condition de la coopération291. Elle a pour but de fixer la
population par une assistance économique. Elle va donc conditionner ses
aides à une meilleure coopération contre les réseaux
criminels de passeurs292. Le Conseil de Séville de 2002
recommande alors l'insertion de la problématique migratoire dans les
relations extérieures de l'UE. Le règlement européen
n°491/2004 instaure alors le programme AENEAS
286 Ibid., p. 203.
287 Delphine PERRIN, « Sémantique et
faux-semblants juridiques de la problématique migratoire au Maghreb
», Migrations Société, vol. 123?124. no
3 (2009), p. 27.
288 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la
migration transfrontière, op. cit., p. 205.
289 Ibid., p. 206.
290 Ibid., p. 207.
291 Delphine PERRIN, « Sémantique et
faux-semblants juridiques de la problématique migratoire au Maghreb
», loc. cit., p. 23.
292 Jean-Dominique GIULIANI, « Le défi de
l'immigration clandestine en Méditerranée », Fondation
Robert Schuman Question d'Europe n°352, (avril 2015), p. 5.
70
(assistance technique et financière en faveur des pays
tiers dans le domaine de l'immigration)293.
Les États du Maghreb adoptent une législation
dont la bénéficiaire directe est l'UE dont les
intérêts sont au coeur de leur adoption294. Leurs
législations traitent en amont l'immigration de l'Europe.
B. Une obstruction à la migration
irrégulière en amont des frontières européennes
La loi marocaine du 11 novembre 2003 réglemente
l'immigration (l'entrée et le séjour dans le pays),
l'émigration (la sortie du pays), et sanctionne toute immigration ou
émigration illégale. L'article 42 de la loi punit de 2.000
à 20.000 dirhams d'amende et de 1 à 6 mois d'emprisonnement ou
l'une de ces deux peines seulement toute personne qui a
pénétré ou tenté de pénétrer sur le
territoire marocain sans documents de voyage valides ou qui a
excédé la durée de son visa. L'article 52 alinéa 1
punit de 6 mois à 3 ans d'emprisonnement et d'une amende de 50.000
à 500.000 dirhams toute personne qui prête son concours ou son
assistance à une personne qui pénètre de façon
illégale dans le pays. Lorsque les faits sont habituels, l'alinéa
2 prévoit 10 à 15 ans d'emprisonnement et une amende de 50.000
à 100.000 dirhams295.
L'article 35 de la loi tunisienne du 20 mai 1975
précise quant à lui que « tout Tunisien qui quittera
sciemment le territoire tunisien ou y entrera sans être muni d'un
document de voyage officiel sera puni d'un emprisonnement de 15 jours à
6 mois et d'une amende de 30 à 120 dinars ou de l'une de ces deux peines
seulement ».
La loi algérienne du 25 février 2009 a
créé l'article 175 bis 1 du Code pénal qui dispose
qu'« est puni d'un emprisonnement de deux mois à six mois et d'une
amende de 20 000 dinars algériens à 60 000 dinars
algériens ou de l'une de ces deux peines seulement, tout algérien
ou étranger résident qui quitte le territoire algérien
d'une façon illicite, en utilisant lors de son
293 Delphine PERRIN, « Sémantique et
faux-semblants juridiques de la problématique migratoire au Maghreb
», loc. cit., p. 24.
294 Salim CHENA, « L'évolution des enjeux
géopolitiques favorise-t-elle une hégémonie
algérienne au Maghreb? », p. 5.
295 Khadija ELMADMAD, « La nouvelle loi marocaine du 11
novembre 2003 relative à l'entrée et au séjour des
étrangers au Maroc, et à l'émigration et l'immigration
irrégulières. », CARIM-Notes d'analyse et de
synthèse, (2004), p. 4.
71
passage à un poste frontalier terrestre, maritime ou
aérien, des documents falsifiés ou en usurpant l'identité
d'autrui, ou tout autre moyen frauduleux à l'effet de se soustraire
à la présentation de documents officiels requis ou à
l'accomplissement de la procédure exigée par les lois et
règlements en vigueur ». L'alinéa 2 dispose que « la
même peine est applicable à toute personne qui quitte le
territoire national en empruntant des lieux de passage autres que les postes
frontaliers ».
Ces législations envoient comme message une «
répression et une pénalisation accrues des infractions
»296. Il s'agit d'une infraction obstacle qui a pour but de
faire obstacle, d'empêcher la survenue d'une seconde
infraction297.
Dans la pratique également, hors du droit, sont
pratiqués régulièrement des « expulsions à
chaud » ou des «refoulements immédiats » dans les
enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla298. Ces pratiques ont
été condamnées par la CEDH dans son arrêt du 3
octobre 2017, N.D. et N.T.
c. Espagne299. La Cour a condamné l'Espagne
pour ces pratiques qu'elle qualifie d'expulsions collectives
d'étrangers, interdites par l'article 4 du protocole n° 4 à
la Convention européenne des droits de l'homme, et pour violation de
l'article 13 de la Convention combiné à l'article 4 du protocole
n° 4 qui prohibe l'absence de recours effectif contre l'expulsion
collective300. Les migrants sont empêchés d'arriver en
territoire espagnol.
Toutes ces législations ne respectent pas forcément
les droits de l'Homme.
Paragraphe 2. Des droits de l'homme non
respectés par cette législation
Cette pratique de la criminalisation de la migration porte
atteinte à plusieurs droits consacrés dans les traités
internationaux largement adoptés comme le droit de quitter tout pays y
compris le sien (A). De plus, les textes visés sont silencieux sur les
garanties accordés aux contrevenants (B).
296 Delphine PERRIN, « L'étranger rendu visible au
Maghreb - La voie ouverte à la transposition des politiques juridiques
migratoires européennes », Revue Asylon(s), n° 4 (mai
2008).
297 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la
migration transfrontière, op. cit., p. 226.
298 Larabi JAÏDI, « Les enjeux africains de la
nouvelle politique migratoire du Maroc » dans Jaïdi Larabi et
Iván Martín, Le partenariat Afrique-Europe en quête de
sens., OCP Policy Center, 2018, p. 244.
299 COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, N.D. et
N.T. c. Espagne, 2017.
300 Louis IMBERT, « Refoulements sommaires: la CEDH trace
la « frontière des droits» à Melilla », La
Revue des droits de l'homme [En ligne], vol. Actualités
Droits-Libertés. (2018), p. 4.
72
A. Une législation contraire au droit de quitter son
pays y compris le sien
Toutes ces limitations comportent une entorse au droit de
quitter un pays y compris le sien. Il existe un étrange paradoxe de
rappeler la liberté des étrangers de quitter le
territoire301 et de prévoir des sanctions pénales pour
« sortie clandestine »302.
Qu'est-ce qu'une sortie clandestine ? Même si elle
implique le secret, une personne peut quitter tout pays y compris le sien en
application de l'article 13 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme303 qui accorde le droit à tout individu de quitter
tout pays, y compris le sien et de revenir dans son pays. Il y a
également d'autres bases juridiques à ce droit comme l'article 12
(2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques selon lequel
nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son
propre pays, l'article 2(2) du protocole 4 de la Convention Européenne
des droits de l'homme, la convention africaine des droits de l'homme dans son
article 12 (2) et dans la convention américaine des droits de l'homme en
son article 22 (7).
Ce droit est reconnu par la Cour Européenne des droits
de l'homme dans l'arrêt Stamose
c. Bulgarie du 27 novembre 2002304. Dans une autre
décision Sissanis c. Roumanie du 25 janvier 2007, la même
juridiction a affirmé que le refus de délivrer un passeport
à un citoyen constituait une violation de l'article 2 du Protocole
n° 4,
En réalité l'émigration devient
délictueuse lorsqu'elle se dirige vers l'Europe. Les pays
maghrébins ont été amenés à sanctionner au
nom de l'Europe sous peine de réadmettre les migrants
irréguliers305.
301 Loi marocaine n° 02-03 du 11 novembre 2003
relative à l'entrée et au séjour des étrangers au
Maroc, mais aussi à l'émigration et à l'immigration
irrégulières, article 38.
302 Delphine PERRIN, « L'étranger rendu visible au
Maghreb - La voie ouverte à la transposition des politiques juridiques
migratoires européennes », loc. cit.
303 Delphine PERRIN, « Sémantique et
faux-semblants juridiques de la problématique migratoire au Maghreb
», loc. cit., p. 24. ; « Déclaration universelle des
droits de l'homme », loc. cit.
304 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à
la migration transfrontière, op. cit., p. 221. ; COUR
EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME, Stamose c. Bulgarie, 2002.
305 Delphine PERRIN, « Sémantique et
faux-semblants juridiques de la problématique migratoire au Maghreb
», loc. cit., p. 30.
73
Ces lois sont très répressives et ne
prévoient pas de garantie pour les étrangers ayant commis ces
infractions. Il y a un silence sur le droit au regroupement
familial306.
Les migrants ont le droit de quitter leur pays. Ils peuvent
demander l'asile sous condition d'atteindre le territoire où l'on
souhaite faire la demande. Par conséquent, les législations
citées mettent à mal le principe de non
refoulement307. Elles sont contraires au droit de quitter son pays
et d'y revenir308.
Les législations instaurées par les pays
maghrébins ne respectent pas leurs obligations conventionnelles. En
effet, le Maroc, la Tunisie et l'Algérie ont signé et
ratifié le pacte international des droits civils et politiques. Or les
délits d'entrée et de sortie irrégulière portent
atteinte au droit de quitter n'importe quel pays y compris le
sien309.
De plus, elles ne fournissent pas de garanties suffisantes par
rapport aux droits de contrevenants.
B. L'absence de garanties suffisantes concernant les droits
des contrevenants
Les lois précitées ne donnent pas de garanties
précises pour le respect des droits des contrevenants,
c'est-à-dire les protéger contre l'arbitraire de
l'Administration. Il s'agira ici d'étudier le dispositif de la «
zone d'attente ». L'article 38 de la loi marocaine de 2003 prévoit
que « l'étranger qui arrive au territoire marocain, par voie
maritime ou aérienne, et qui n'est pas autorisé à y
entrer, ou demande son admission au titre de l'asile, peut être maintenu
dans la zone d'attente du port ou de l'aéroport pendant le temps
strictement nécessaire à son départ ou à l'examen
tendant à déterminer si sa demande n'est pas manifestement
infondée ». Ce type de zone « peut inclure, sur l'empire du
port ou de l'aéroport, un ou plusieurs lieux d'hébergement
assurant aux étrangers concernés des prestations convenables
».
306 Khadija ELMADMAD, « La nouvelle loi marocaine du 11
novembre 2003 relative à l'entrée et au séjour des
étrangers au Maroc, et à l'émigration et l'immigration
irrégulières. », loc. cit., p. 6.
307 Delphine D'ALLIVY KELLY, « Disparus en mer: le
naufrage des droits », Plein droit, no 100 (mars
2014), p. 37.
308 Ludivine RICHEFEU, Le droit pénal face à la
migration transfrontière, op. cit., p. 212.
309 Ibid., p. 217.
L'administration peut décider d'un maintien en zone
d'attente durant quarante-huit heures, renouvelable une fois. Au-delà de
4 jours, un magistrat du siège peut prolonger le maintien de huit jours
supplémentaires. Après douze jours de maintien, la retenue en
zone d'attente peut une nouvelle fois être prolongée de huit jours
sur autorisation du président du tribunal de première
instance310.
L'article 38 de la loi marocaine prévoit des «
zones d'attentes » dans les aéroports sans qu'aucunement elle
prévoie des accès à un avocat ou à la
défense dans le processus d'expulsion. Ces « zones d'attente »
donc sont une « fiction territoriale »311 destinées
à dénier la présence sur le territoire des
concernés. Cette extraterritorialité est dommageable car elle nie
donc les droits élémentaires dont doivent
bénéficier les contrevenants.
En dépit d`une large adoption internationale des droits
de l'Homme et du principe de non-refoulement, ce chapitre a montré que
les plus grands obstacles à leur application concrète et
effective sont les politiques des États qui sont censés respecter
leurs engagements qu'ils ont eux-mêmes volontairement ratifiés.
Les pratiques de l'Union européenne et de l'Australie
ressemblent fortement à des politiques de refoulement indirect, pour la
première, et de refoulement systématique, pour la seconde. Le
Maghreb, par ses législations qui prêtent le flanc à la
politique d'externalisation de la politique migratoire de l'UE, met gravement
en danger le droit de quitter un pays.
Mais des solutions sont possibles et peuvent être
à trouver dans l'architecture du droit lui-même.
74
310 Ibid., p. 229.
311 Ibid., p. 46.
75
CHAPITRE 2. UN RÉGIME JURIDIQUE PERFECTIBLE
Il est difficile d'avoir un régime juridique uniforme
et cohérent sur l'océan. Le droit de la mer n'a de cesse de
morceler l'espace maritime planétaire. Ainsi, il y a aujourd'hui une
dispersion du corps normatif312. Cependant, les carences du droit en
vigueur peuvent être surmontées par la clarification de termes-
clés dans son application (Section 1). Mais au-delà de cette
solution, l'on peut s'interroger sur l'idée d'un changement de paradigme
complet sur le rôle de l'État dans ces questions à travers
le Pacte de Marrakech (Section 2).
312 Jean-Paul PANCRACIO, « Enjeux et
problématiques d'une gouvernance de la Haute mer », ANNUAIRE
FRANÇAIS DE RELATIONS INTERNATIONALES, vol. XIX. (2018).
76
SECTION 1. LA CLARIFICATION DU DROIT EN VIGUEUR
Il est essentiel de définir des termes clés pour
l'application du droit (Paragraphe 1). Une autre solution est à trouver
dans le pacte de Marrakech qui propose de dépasser une gestion purement
étatique de la migration (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. La clarification des règles
normatives
Comme montré supra, le droit international
impose de porter secours aux personnes en détresse en mer mais sans la
définir concrètement (A). Le lieu sûr invoqué et
désigné pour mettre fin au sauvetage fait face à la
même difficulté de détermination (B).
A. La notion de détresse en mer, condition pour le
sauvetage
La détresse est un terme capital dans le droit
international humanitaire et dans l'application du devoir de porter secours. En
effet, c'est la condition sine qua non pour pouvoir être secouru en mer.
Les navires pour être secourus doivent être dans une situation de
détresse, un statut qui n'est pas clairement défini en droit
international313. Les capitaines ont une compétence
discrétionnaire pour qualifier l'appel de détresse ou
non314.
La notion de détresse est apparue pour la
première fois dans la convention de Bruxelles sur le sauvetage du 23
septembre 1910315. Dans le droit positif, la notion de
détresse est contenue dans les articles 58 (2) et 98 (1) de la
convention sur le droit de la mer de Montego Bay316, dans l'article
10 de la convention internationale sur le sauvetage du 28 avril
1989317 ainsi que dans la convention sur la sauvegarde de la vie en
mer (SOLAS) au chapitre V règle 33 (1)318.
313 Matteo TONDINI, « The legality of intercepting boat
people under search and rescue and border control operations with reference to
recent Italian interventions in the Mediterranean Sea and the ECtHR decision in
the Hirsi case », loc. cit., p. 62.
314 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 59.
315 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 383.
316 Ibid. ; « Convention des Nations unies sur
le droit de la mer, ouverte à la signature à Montego Bay
(Jamaïque) le 10 décembre 1982 entrée en vigueur le 16
novembre 1994 », loc. cit.
317 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 383.
318 HCR & OMI, Sauvetage en mer: Guide des principes
et mesures qui s'appliquent aux migrants et aux
réfugiés, op. cit., p. 4.
77
La notion de détresse a subi des évolutions
concernant son sens dans le temps. En 1809 dans l'affaire Eleanor, la
détresse est entendue comme l'urgence qui a besoin d'une aide
rapide319. Avec l'affaire du Rainbow Warrior en 1986, une
urgence sanitaire peut suffire320.
La convention sur la recherche et le sauvetage de 1979 a
défini la notion de détresse en mer. Il s'agit d'une situation
dans laquelle il y a des doutes sérieux qu'une personne, un navire soit
menacé par un danger grave et imminent et demande une assistance
immédiate321. Vu cette définition, on peut dire que le
concept de détresse renvoie à une situation dans laquelle il y a
des raisons de croire que, sans assistance, le navire et ses passagers seront
incapables d'être en sécurité et seront perdus en
mer322.
Les navires ont l'obligation de répondre aux appels de
détresse. Mais le concept de détresse n'est pas clairement
défini en droit international. Or l'intervention dépend de
l'appel de détresse du bateau en cause323. Il signifie en
général qu'il y a des raisons sérieuses que,
laissés sans assistance, le navire et ses passagers seront incapables
d'être en sécurité et seront perdus en mer. L'on ne doit
pas tenir compte de leur statut de demandeur d'asile ou non324.
L'interprétation de ces dispositions est
appréciée différemment par les États : pour
certains, le navire doit être sur le point de couler tandis que pour
d'autres il suffit qu'il soit impropre à la navigation325.
L'évaluation de la notion de détresse dépend donc de
l'État qui détermine quand s'achève et se termine cette
situation326. Ce qui est attentatoire aux droits des migrants
concernés. Selon l'État donc, la détresse peut être
perçue de manière différente et non uniforme. Finalement,
la détermination de la détresse se fait au cas par
cas327. La notion de détresse a pour principale
conséquence juridique d'enclencher l'obligation de porter secours. C'est
le critère par lequel l'on détermine qu'il est obligatoire de
porter assistance. L'imprécision dont fait l'objet cette notion est
dommageable en ce que l'appréciation des États est biaisée
par
319 England High Court of Admiralty, The Eleanor
(1809) 165 ER 1058 cité par Martin RATCOVICH, International Law
and the Rescue of Refugees at Sea, op. cit., p. 82.
320 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 384.
321 Ibid., p. 385.
322 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 59.
323 Matteo TONDINI, « The legality of intercepting boat
people under search and rescue and border control operations with reference to
recent Italian interventions in the Mediterranean Sea and the ECtHR decision in
the Hirsi case », loc. cit., p. 4.
324 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 9.
325 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 385.
326 Éloise PETIT-PREVOST, Alpha DIALLO et Anais AUGER,
« Les obligations des États en matière de secours en mer.
Livret à destination de la société civile. »,
loc. cit., p. 13.
327 Jasmine COPPENS, « The essential role of Malta in
drafting the new regional agreement on migrants at sea in the mediterranean
bassin », Journal of Maritime Law and Commerce, no 89
(janvier 2013), p. 2.
78
leurs intérêts sécuritaires et
économiques au lieu d'être guidée par des
considérations humanitaires.
Le lieu sûr est une autre notion clé qui
mérite d'être explicitée.
B. La détermination du lieu sûr pour le
débarquement des personnes secourues
Le sauvetage n'est effectif que si les personnes secourues
sont amenées dans un endroit sûr328. Il s'agit de leur
fin logique329. C'est une exigence de la convention SAR annexe
Chapitre 1 paragraphe 1.3.2330. Mais quels en sont les
critères ?
La notion de lieu sûr a été définie
par les amendements de 2004 aux conventions SAR et SOLAS. Il s'agit d'un lieu
où les opérations de secours sont considérées comme
terminées. La Directive sur le traitement des personnes secourues en mer
de 2004 précise dans son paragraphe 6.12 « Un lieu sûr est un
emplacement où les opérations de sauvetage sont censées
prendre fin et où :
? la vie ou la sécurité des
survivants n'est plus menacée ;
? l'on peut subvenir à leurs besoins
fondamentaux (vivres, abris et soins médicaux)
;
? le transport des survivants vers leur
destination suivante ou finale peut s'organiser331 ».
328 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 61.
329 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 722.
330 « Convention sur la recherche et le sauvetage
maritimes (SAR) adoptée le 27 avril 1979; entrée en vigueur le 22
juin 1985 », loc. cit., chapitre 1 paragraphe 1.3.2. ; Jasmine
COPPENS, « Search and Rescue », loc. cit., p. 387.
331 HCR & OMI, Sauvetage en mer: Guide des principes
et mesures qui s'appliquent aux migrants et aux
réfugiés, op. cit., p. 6.
79
C'est aussi un lieu où les rescapés sont en
sécurité et leurs besoins de première
nécessité sont pourvus332. En clair, le lieu sûr
est un lieu où il n'y a pas de risques de refoulement et où les
droits humains des rescapés sont respectés333.
Le lieu sûr est de la responsabilité de
l'État responsable de la zone SAR dans laquelle les rescapés ont
été secourus. La base de cette obligation est contenue dans la
Directive sur le traitement des personnes secourues en mer de 2004 167 (78)
paragraphe 2.5334.
Mais il ne suffit pas de trouver un lieu sûr, il faut
l'autorisation de l'État en question. Or il n'existe pas d'obligation
juridique pour un État d'autoriser le débarquement335
ce qui crée un problème politique majeur336.
Le droit est également ambigu au sujet du lieu de
débarquement. Le sauvetage signifie que les personnes en détresse
doivent être acheminées vers un « lieu sûr
»337. La clarification de ce concept sera une étape dans
la solidification du droit humanitaire en mer338. Mais elle se
heurte à la souveraineté de l'État en cause339,
ce pourquoi il n'y a pas d'obligation juridique de permettre le
débarquement.
Une réforme institutionnelle est également
essentielle.
Paragraphe 2. Une réforme du cadre
institutionnel
La vacuité institutionnelle crée une dispersion
des organes de gouvernance340. Pour une meilleure efficacité
du cadre juridique, il faut une réforme profonde du cadre institutionnel
car celui-ci est morcelé (A) et composé d'organisations aux
missions catégorielles (B).
332 Matteo TONDINI, « The legality of intercepting boat
people under search and rescue and border control operations with reference to
recent Italian interventions in the Mediterranean Sea and the ECtHR decision in
the Hirsi case », loc. cit., p. 12.
333 Marcello DI FILIPPO, « Irregular migration accross
the mediterranean sea: problematic issues concerning rules of safeguard at sea
», loc. cit., p. 63.
334 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 393. ; HCR & OMI, Sauvetage en mer: Guide des principes
et mesures qui s'appliquent aux migrants et aux
réfugiés, op. cit., p. 6.
335 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p. 393.
336 Marcello DI FILIPPO, « Irregular migration accross
the mediterranean sea: problematic issues concerning rules of safeguard at sea
», loc. cit., p. 69.
337 Jasmine COPPENS, « Search and Rescue », loc.
cit., p.387.
338 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », loc. cit., p. 61.
339 Killian S. O'BRIEN, « Refugees on the High Seas:
International Refugee Law Solutions to a Law of the Sea Problem »,
loc. cit., p. 723.
340 Jean-Paul PANCRACIO, « Enjeux et
problématiques d'une gouvernance de la Haute mer », loc.
cit., p.
775.
80
A. Un cadre institutionnel morcelé
Les organes liés de près ou de loin à
l'immigration irrégulière par voie maritime sont nombreux. Il
s'agit de l'office des nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), de
l'Organisation maritime internationale (OMI), du Haut-commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (UNHCR), et de l'Organisation
internationale des migrations (OIM)341.
Tout d'abord, l'UNODC lutte contre le crime, les trafics de
drogues et le terrorisme et assiste les États-membres dans la mise en
oeuvre de la convention des Nations-Unies contre la criminalité
transnationale organisée et ses protocoles additionnels.
Ensuite, l'OMI propose des recommandations sur l'immigration
irrégulière. L'OMI fournit des services aux États pas de
protection des migrants en particulier. Elle organise des transferts
organisés de réfugiés à la demande des
États.
L'OIM se charge quant à elle de contrôler le
transfert organisé des réfugiés, des personnes
déplacées et d'autres personnes ayant besoin de services
internationaux de migration.
Enfin, le HCR a pour rôle d'assurer la protection des
personnes en quête d'asile et des
réfugiés342.
Plusieurs autres organisations internationales
développent également certaines politiques en matière
d'immigration irrégulière comme INTERPOL, l'OIT et
l'UNESCO343.
Nous le voyons donc, il y a une évidente dispersion des
organes de gouvernance et une absence d'organisation gouvernementale à
caractère universel dédiée à l'immigration
irrégulière344. Le droit de la mer se base
plutôt sur une incitation à coopérer345.
Des auteurs comme Patricia Mallia en évoquant
déjà les problèmes inhérents au régime
juridique en vigueur proposaient la coopération comme solution pour une
bonne application du
341 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 136.
342 Ibid., p. 136.
343 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 141.
344 Jean-Paul PANCRACIO, « Enjeux et
problématiques d'une gouvernance de la Haute mer », loc.
cit.,
p. 775.
345 Ibid., p. 776.
81
droit346. De nombreux auteurs sont allés
plus loin en réfléchissant à un régime juridique
spécifique à la migration347. Arthur Helton
préconisait une sorte de World Migration
Organisation348, une organisation
spécialisée sur la question tandis que Bimal Ghosh, lui, propose
un nouveau régime international pour faciliter les
déplacements349.
Ces nombreux organes n'ont pas une vision commune concernant
l'immigration irrégulière.
B. Une lutte sectorielle par les différents
organes
Il n'y a pas de système international réactif,
efficace et adapté aux particularités de l'immigration
irrégulière350. Ce phénomène est
abordé de manière accessoire et jamais de manière
principale. Il y a une multiplication des acteurs impliqués et la lutte
est sectorielle351.
Il y a une absence d'organisation universelle. L'OMI s'occupe
du transport maritime. L'autorité des fonds marin de la Zone, la
Commission des limites du plateau continental du plateau continental des
États.
L'UNODC, l'OMI, le HCR ou l'OIM sont tous concernés par
la lutte contre l'immigration irrégulière. L'Office des Nations
Unies contre la Drogue et le Crime (UNODC) est chargé de lutter contre
le crime, les trafics de drogues et le terrorisme dans la mise en oeuvre de la
convention des nations unies contre la criminalité transnationales
organisée et ses protocoles.
L'Organisation Maritime Internationale (OMI) se penche sur
cette question sous l'angle de la lutte contre le trafic, des passagers
clandestins et de l'assistance et du sauvetage en mer.
346 Patricia MALLIA, « The Challenges of Irregular
Maritime Migration », Jean Monnet Occasional Papers, Institute for
European Studies (Malta), No. 4 (2013), p. 13.
347 Alexander T. ALEINIKOFF, « International Legal Norms
on Migration: Substance without Architecture » dans Cholewinski, R.,
Perruchoud, R. & MacDonald, E., International Migration Law: Developing
Paradigms and Key Challenges, The Hague, The Hague: T.M.C. Asser Press,
2007, p. 474.
348 A. Helton, 'People movement: the need for a World Migration
Organisation' (1 May 2003) p. 4 <
http://www.opendemocracy.net/conrentiarticlesIPDF/1192.pdf>.
cité par Ibid., p. 475.
349 B. Ghosh, 'New International Regime for Orderly Movements of
People: What will it Look Like?', in B. Ghosh (eel.), Managing Migration:
Time for a New International Regime? (Oxford, Oxford University Press 2000
cité par Ibid.
350 Kiara NERI, « Le droit international face aux
nouveaux défis de l'immigration clandestine en mer », loc.
cit., p. 141.
351 Ibid., p. 142.
82
L'existence d'organes dispersés autant au plan
organique qu'au plan idéologique est une véritable tare pour une
gouvernance efficace des migrations. En effet une vision efficace doit pouvoir
être précise concernant les moyens d'atteindre les objectifs
fixés. Cette lutte sectorielle résultant en une dispersion des
organes chargés de l'immigration irrégulière empêche
un cadre mondial commun sur la question.
Au-delà de réformer ce cadre juridique existant,
le pacte de Marrakech propose une nouvelle approche basée sur la
soft law.
83
SECTION 2. LA PISTE DES ACCORDS NON CONTRAIGNANTS : LE
CAS DU PACTE
DE MARRAKECH
Le Pacte de Marrakech, de son nom complet « Pacte mondial
pour des migrations sûres, ordonnées et régulières
» (PMM), a été adopté lors d'une conférence
intergouvernementale les 10 et 11 décembre 2018 par 152 États
à Marrakech au Maroc. Ce texte est un instrument non contraignant
mettant au premier plan les droits de l'Homme, une approche inédite dans
le traitement des migrations irrégulières (Paragraphe 1). Mais il
comporte encore de nombreuses limites qui jettent des doutes sur son impact
réel sur le droit actuel (Paragraphe 2).
Paragraphe 1. Un instrument non contraignant mettant au
premier plan les Droits de l'Homme
La raison principale ayant présidé à
l'adoption du pacte est la volonté de créer un cadre mondial pour
les migrations à travers la soft law (A). Les migrations sont
traditionnellement considérées comme un problème relevant
de la souveraineté des États352. Le PMM veut ainsi
changer de paradigme et mettre plutôt en avant les droits de l'Homme
(B).
A. Un instrument de soft law comme réponse
à l'insuffisance du droit positif concernant la protection des
migrants
Le pacte de Marrakech est juridiquement non contraignant. Il y
a une préférence des États pour les instruments de
soft law, capables de répondre à des problématiques
de manière plus ciblée et flexible353. La soft
law ou fuzzy law354 est le droit mou et la hard
law est le droit dur qui contraint juridiquement les parties. Les accords
de soft law permettent de contourner les processus de
ratification355.
352 Ibid., p. 6.
353 Ibid., p. 3.
354 Céline LAPERRIÈRE, La gestion des
migrations de transit: quelles réponses apportées au Maroc?,
Mémoire pour le Master Coopération Internationale, Action
humanitaire et Politique de développement, Université Paris I
Panthéon-Sorbonne, 2006, p. 49.
355 Matthieu TARDIS, « Le pacte de Marrakech. Vers une
gouvernance mondiale des migrations? », loc. cit., p. 19.
84
Les avantages de la soft law sont nombreux : elle
permet des accords plus faciles à négocier et qui peuvent se
modifier plus facilement. Ces accords peuvent être établis par des
acteurs non étatiques et peuvent constituer un tremplin pour
l'établissement d'un cadre de gouvernance356. Les accords
de soft law sont perçus comme moins attentatoires à la
souveraineté nationale.
Les différentes fonctions du pacte sont de
compléter et remplir les manques en instruments internationaux
contraignants, interpréter une convention et servir de précurseur
vers le développement d'un nouveau traité357.
Comme nous l'avons remarqué dans notre étude,
les seules catégories retenues et protégées sont les
réfugiés et les migrants travailleurs internationaux. Ce type de
protection s'avère totalement insuffisant pour prendre en compte les
problèmes de protection de ces personnes exclues du système.
L'objectif principal du pacte est de renforcer les fondations
de la gouvernance mondiale des questions migratoires358. Le pacte
propose un cadre global pour répondre à trois questions : les
objectifs de la gouvernance mondiale des migrations, les outils de cette
gouvernance et la répartition des rôles entre les agences des
Nations-Unies, les États et les acteurs non-étatiques.
Mais alors quelle est sa force juridique ? Il compte sur
l'engagement moral des États359. L'impact réside plus
dans sa mise en oeuvre que dans son statut juridique360. Le pacte
propose uniquement des orientations politiques de base, souligne les
règles déjà existantes, fournit une information
indépendante sur les effets positifs de la migration et encourage une
coopération accrue entre les États. Il promeut enfin une
amélioration de l'accessibilité à la migration
régulière361.
L'objectif du pacte est de renforcer les fondations de la
gouvernance mondiale des questions migratoires. Le pacte n'est pas un
traité international. De ce fait, il a un périmètre plus
large. Son objectif est d'appuyer une gestion efficace et humaine des flux
migratoires.
356 Ibid.
357 Ibid.
358 Ibid., p. 7.
359 Ibid., p. 18.
360 Ibid., p. 21.
361 ORGANISATION SUISSE D'AIDE AUX RÉFUGIÉS,
« Cinq mythes sur le «pacte sur les migrations» », Des
faits plutôt que des mythes, no 139 (22 novembre 2018),
p. 1.
85
Le pacte se compose de 23 objectifs qui proposent des mesures
spécifiques dans lesquels les États pourront piocher pour
atteindre les dits objectifs. Sa force résulte de la solennité de
sa rédaction et de son adoption. Il compte sur l'engagement moral des
États. Le pacte constitue une étape importante : il
précise les objectifs, pose le cadre et les mécanismes de suivi.
Mais il se confronte à un grand défi : celui de la
coopération des États362.
Le pacte de Marrakech est souvent dépeint comme un
instrument mettant directement à mal la souveraineté des
États. Il est également décrit comme un traité
international. Or ce n'est pas le cas. Le pacte ne propose uniquement que des
orientations politiques de base, un cadre de coopération. Il est
juridiquement non contraignant. Ce n'est pas une nouvelle règle
coutumière du droit international car il souligne des règles
déjà existantes.
Le Pacte veut en effet se présenter comme un «
cadre de travail inclusif »363 qui concentre la majorité
des acteurs du domaine à la fois dans le processus et dans la lettre. Il
propose un cadre de travail et une feuille de route pour harmoniser les
politiques migratoires.
Le principal problème de la soft law est un manque de
technicité qui entraîne une plus grande facilité à
la contourner mais peut être un plus grand atout pour une gouvernance des
migrations efficace. Il s'agit du pari du Pacte de Marrakech. La gouvernance
peut se définir comme un ensemble de mécanismes de gestion d'un
système social national ou international en vue d'assurer des objectifs
communs. Il s'agit en quelque sorte d'une ingénierie
sociale364.
Son deuxième apport de taille est de mettre en avant les
droits de l'Homme.
362 Matthieu TARDIS, « Le pacte de Marrakech. Vers une
gouvernance mondiale des migrations? », loc.
cit.
363 Baptiste JOUZIER, Une analyse critique du Pacte
mondial pour des migrations sûres, ordonnées et
régulières, Mémoire de recherche
présenté pour l'obtention du master 2 Carrières juridiques
internationales de l'Université Grenoble Alpes, Université
Grenoble-Alpes, Faculté de droit, 2018, p. 107.
364 Céline LAPERRIÈRE, La gestion des
migrations de transit: quelles réponses apportées au Maroc?,
op. cit., p. 49.
86
B. Un instrument affirmant la prévalence des droits de
l'Homme dans le traitement des migrations
Le Pacte mondial pour les migrations de Marrakech (PMM) a pour
enjeu une meilleure administration collective et respectueuse des droits de
l'Homme. Les droits fondamentaux des personnes migrantes se retrouvent au coeur
de l'accord365 .
Dans son préambule au point 4, le PMM affirme que
« Les réfugiés et les migrants jouissent des mêmes
libertés fondamentales et droits de l'homme universels, qui doivent
être respectés, protégés et exercés en toutes
circonstances ».
Le point f du paragraphe 15 intitulé Droits de l'homme
dispose que « Le Pacte mondial est fondé sur le droit international
des droits de l'homme et respecte les principes de non-régression et de
non-discrimination. En appliquant le Pacte mondial, nous veillons au respect,
à la protection et à la réalisation des droits de l'homme
de tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, à tous les
stades de la migration ».
En s'engageant à mettre en évidence l'importance
des droits de l'Homme dans le débat sur les migrations, les États
veulent tourner le dos à une politique avant tout sécuritaire et
à considérer les migrants comme des personnes ayant besoin
d'aide.
Le PMM n'est cependant pas dépourvu de limites qui
l'éloignent de son objectif ambitieux.
Paragraphe 2. Les limites actuelles du Pacte de
Marrakech
Le Pacte de Marrakech a encore de nombreuses imperfections
qu'il faut prendre en compte. Le pacte accorde encore une place de choix aux
États pour sa mise en oeuvre (A) et son caractère non
contraignant qui est son plus grand argument, est aussi une faiblesse (B).
365 COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME
(CNCDH), Le Pacte mondial de Marrakech pour des migrations sûres,
ordonnées et régulières Pour une approche respectueuse des
droits des migrants (Communiqué de presse), 2018.
A. 87
Une place encore prégnante des acteurs étatiques
dans la mise en oeuvre du Pacte
Le pacte réaffirme toujours le droit souverain des
États à définir leurs politiques migratoires dans le
paragraphe 15 (c) : « Le Pacte mondial réaffirme le droit souverain
des États de définir leurs politiques migratoires nationales et
leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence,
dans le respect du droit international. Compte tenu de la diversité des
situations, des politiques, des priorités et des conditions
d'entrée, de séjour et de travail des pays, les États
peuvent, dans les limites de leur juridiction souveraine, opérer la
distinction entre migrations régulières et
irrégulières, notamment lorsqu'ils élaborent des mesures
législatives et des politiques aux fins de l'application du Pacte
mondial, conformément au droit international ».
Le pacte ne cherche pas à réduire
considérablement la place étatique dans la gouvernance des
migrations. En fin de compte, l'État est toujours le premier sujet de
droit international et le seul qui dispose de l'attribut de la
souveraineté. Le pacte réaffirme donc que l'État a encore
une place de choix dans le nouveau système qui se base sur l'ancien. Le
PMM ne révolutionne pas le système même s'il tente
d'inclure le maximum d'acteurs.
Son caractère non contraignant fait craindre pour sa
mise en oeuvre dans un système encore largement étatique.
B. Un caractère non contraignant
Le Pacte n'est pas la première idée d'instrument
cherchant et ayant pour ambition ultime de mettre en valeur les droits de
l'Homme.
Dans un régime juridique actuel qui n'est pas
cohérent, Alexander Aleinikoff préconise un bill of
rights pour garantir dans un seul document les droits de tous les
migrants366. Cette idée a été et
concrétisée en 2010 par Aleinikoff au sein du Georgetown
University Law Center
366 Alexander T. ALEINIKOFF, « International Legal Norms
on Migration: Substance without Architecture », loc. cit., p.
477.
88
qui a conçu the International Migrants Bill of Rights
(IMBR)367. Cette initiative a pour but de protéger tous les
migrants indépendamment de la cause de leur franchissement d'une
frontière internationale. Il s'agit d'un instrument de soft law qui a
été conçu par un ensemble de chercheurs et
d'étudiants qui codifie les règles existantes en 23 principes et
propose une définition du migrant international.
« The term «migrant» in this Bill refers to a
person who is outside of a State of which the migrant is a citizen or national,
or, in the case of a stateless migrant, the migrant's State of birth or
habitual residence «368.
D'autres auteurs comme Alexander Betts ont poursuivi avec
cette même idée de faire appel à un régime de soft
law pour protéger les migrants369.
Le Pacte de Marrakech ne fait en fin de compte que rappeler
des obligations déjà souscrites par les États. Cependant,
son grand mérite est d'être une solution « pragmatique
»370. Il n'est qu'une simple étape vers un régime
complet et contraignant. C'est un texte avant tout de compromis371.
La soft law a pour avantage d'être flexible mais c'est aussi son plus
grand inconvénient. Son manque de technicité en fait un
mécanisme quelque peu facile à contourner pour des États
ayant déjà mis en place des politiques se basant sur une
interprétation biaisée du droit.
La cause du non-respect du régime juridique en vigueur
se trouve dans l'opacité du droit lui-même concernant la
définition de ces termes-clés. Ce pourquoi une clarification est
nécessaire. Mettre fin au débat sur la détresse en mer et
sur les critères de détermination du lieu sûr et leur
donner des caractéristiques objectives permettra d'éviter que les
États aient recours à leur interprétation personnelle et
biaisée au détriment des droits des migrants. Au niveau
367 Ian M. KYSEL, « Promoting the Recognition and
Protection of the Rights of All Migrants Using a Soft-Law International
Migrants Bill of Rights », Journal on Migration and Human
Security, vol. 4. Number 2 (2016), p. 29?44.
368 Ibid., p. 36.
369 Alexander BETTS, « Towards a `Soft Law' Framework for
the Protection of Vulnerable Irregular Migrants », International
Journal of Refugee Law, vol. Vol. 22. No. 2 (2010), p. 209-236. ;
Alexander BETTS, « Soft Law and the Protection of Vulnerable Migrants
», Georgetown Immigration Law Journal, vol. Vol. 24. (2010), p.
533.
370 Baptiste JOUZIER, Une analyse critique du Pacte
mondial pour des migrations sûres, ordonnées et
régulières, op. cit., p. 43.
371 Ibid., p. 156.
89
institutionnel, la création d'une organisation mondiale
permettrait de créer un cadre de discussion concret sur ce sujet.
Ce qui nous a conduits à analyser la proposition du
Pacte pour des migrations, sûres, ordonnées et
régulières, accord non contraignant qui propose un cadre d'action
sans créer un organe spécifique et qui repose toujours sur les
États pour sa mise en oeuvre. Cependant, cette proposition amorce un
changement de paradigme en donnant plus de place dans le débat à
d'autres acteurs de la question des migrations. La contribution du Pacte n'est
qu'une étape mais une étape significative vers un traitement
dépolitisé des migrations.
90
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE
Cette partie a mis en exergue le comportement
sécuritaire des États face à la migration
irrégulière et les solutions éventuelles pour une
application efficace du droit en vigueur.
Les États doivent d'abord changer leur vision politique
construite autour de la sécurisation et cesser de transformer la mer en
une zone de non droit ou une zone hors du droit. En raison des nouvelles
menaces comme le réchauffement climatique qui causera de grands
mouvements de populations dans un futur proche - 150 millions de personnes
d'ici 2050-372, il est plus qu'essentiel que le droit opère
une réforme profonde en définissant clairement les concepts
existants.
372 COURNIL (CH.), « Les réfugiés
écologiques : quelle (s) protection(s), quel(s) statut(s) ? »,
RDP 2006, p.1035 cité par Samir BEN HADID, Le statut des
étrangers dans le droit de l'Union européenne, op.
cit., p. 4.
91
CONCLUSION GÉNÉRALE
Notre étude nous a permis de faire le tour d'horizon
des différentes règles en droit international public
régissant l'immigration irrégulière par voie maritime.
Nous avons ainsi prouvé que le régime de l'immigration
irrégulière par voie maritime est au carrefour de diverses
branches du droit international public : droit de la mer, lutte contre la
criminalité transnationale organisée, droit des
réfugiés et droit international des droits de l'homme. Celles-ci
constituent un régime juridique hétérogène
fragilisé par une pratique sécuritaire des États au
détriment des droits de l'homme.
Nous pouvons retenir que le régime juridique de
l'immigration irrégulière est tourné vers la protection
des migrants irréguliers. Pourtant, plusieurs mécanismes de
déshumanisation sont appliqués avec pour objectifs de
présenter les migrants comme des vagabonds sans terre, sans pays, sans
État. Les termes d'arrivées en masse, de « vague migratoire
», d' « envahissement », de « submersion » en supprime
leur individualité. Une manipulation de la distinction entre
réfugiés et migrants économiques entraîne une
inversion des risques : le problème est présenté comme une
menace à la sécurité des États, plutôt que
des personnes dont la sécurité est
menacée373.
S'ensuit l'adoption de politiques qui ne suivent pas les
engagements internationaux de protection des migrants irréguliers.
Ainsi, ce mémoire s'est intéressé aux pratiques des
États devant ce phénomène, plus particulièrement
l'Australie et Union Européenne, qui se sont dotés de
véritables appareils juridiques répressifs pour combattre et
ériger la migration en infraction. Dans un monde de plus en plus
globalisé, les frontières se ferment de plus en plus au
mépris des instruments internationaux largement adoptés
mondialement sur les droits de l'homme.
Néanmoins, l'on constate que de nouvelles approches du
phénomène voient le jour pour qu'une meilleure prise en compte
des droits des migrants soit la priorité de la gestion et de la
gouvernance mondiale des migrations. Des auteurs comme Mélodie Beaujeu
pensent de ce fait
373 Michael PUGH, « Drowning not waving: boat people and
humanitarianism at sea », Journal of Refugee Studies, vol. 17.
no 1 (2004), p. page 3.
92
qu'une action véritablement efficace va se concentrer
sur l'amélioration des conditions de mobilité374.
Mais dans un monde qui sera de plus en plus bouleversé
par de nouveaux évènements comme le réchauffement
climatique et les conflits armés non internationaux -résultant en
plus de déplacés internes-, il est plus qu'urgent d'inscrire
à l'agenda mondial l'adoption d'un régime juridique
universellement applicable à toutes les catégories de migrants.
Mais ce projet ambitieux se heurte au principe sacro-saint de
souveraineté des États sur les questions d'entrée sur leur
territoire.
Il faut tout de même cependant comprendre que la
migration est devenue un problème universel qui doit être
traité comme tel avec la coopération interétatique pour
enfin donner sa place de choix au respect des droits de l'Homme. L'avenir des
personnes qui chercheront l'asile dans un futur proche en dépend.
374 Mélodie BEAUJEU, « Vers une gouvernance
mondiale des migrations? » dans Emmanuel Blanchard (dir.), Le coût
des frontières. Liberté de circulation: un droit, quelles
politiques?, GISTI, 2011, p. 36.
94
Annexe 1 : Schéma des zones maritimes définies
par la convention des nations unies sur le droit de la mer de 1982 :
Coupe vue aérienne
Source :
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/0/08/Zonmar.svg/300px-
Zonmar.svg.png
95
Annexe 2 : Schéma des zones maritimes définies
par la convention des nations unies sur le droit de la mer de 1982 :
Coupe vue latérale
Source :
https://langloishg.fr/2017/03/04/le-zonage-de-lespace-maritime-definitions-et-figuration/
96
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111
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en mer (SOLAS) adoptée le 1er novembre 1974, entrée en vigueur le
25 mai 1980.
112
Convention internationale sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination raciale, 7 janvier 1966, entrée en vigueur:
4 janvier 1969.
Convention internationale sur les passagers clandestins
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Pacte international relatif aux droits civils et politiques
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113
Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels adopté le 16 décembre 1966; entrée en
vigueur le 3 janvier 1976, vol.993 RTNU 3.
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115
TABLE DES MATIÈRES
DÉDICACES I
REMERCIEMENTS III
PRINCIPAUX SIGLES ET ABRÉVIATIONS IV
SOMMAIRE VI
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
A. Définitions des termes 3
I. L'immigration : clandestine, irrégulière ou
illégale ? 3
II. La voie maritime : la mer 6
B. Intérêt du sujet 7
C. Délimitation du champ de l'étude 10
D. Problématique et annonce du plan 11
PREMIÈRE PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE
HÉTÉROGÈNE 12
CHAPITRE 1. UNE MULTITUDE D'OBLIGATIONS ÉTATIQUES
CONCOMITANTES 13
SECTION 1. L'obligation de porter secours en mer, un
principe fondamental du
droit de la mer 14
Paragraphe 1. Le contenu de l'obligation de porter secours 14
A. Porter secours à toute personne en danger en mer 14
B. Une obligation pesant sur tout État 17
Paragraphe 2. L'obligation supplémentaire de coordination
du sauvetage 17
A. La création de zones de recherche et de sauvetage
(SRR) 18
B. La responsabilité des États dans leurs zones de
recherche et de sauvetage 19 SECTION 2. Le droit international des
réfugiés et le principe de non refoulement ..
23
Paragraphe 1. Le contenu du principe de non refoulement 23
A. De la base juridique et de la signification du principe de
non refoulement23
B. La question du caractère coutumier du principe de non
refoulement 27
Paragraphe 2. L'étendue territoriale du principe de non
refoulement 29
A.
116
Les arguments en faveur de l'application strictement territoriale
29
B. La doctrine communément admise de l'application
extraterritoriale du
principe 31
CHAPITRE 2. UNE PROTECTION ÉTENDUE DES MIGRANTS
IRRÉGULIERS 34
SECTION 1. La protection à travers le droit
international des droits de l'homme 35
Paragraphe 1. Une application sans discrimination des droits de
l'Homme 35
A. Des droits universels 35
B. Des droits variés 36 Paragraphe 2. Une
universalité contrariée par l'exclusion des migrants de
certaines catégories de droits 38
A. Des droits civils et politiques réservés en
priorité aux nationaux 38
B. Un bénéfice des droits économiques
relatif 39
SECTION 2. La protection à travers le droit
pénal international 41
Paragraphe 1. La criminalisation universelle du trafic de
migrants 41
A. Les bases juridiques de la lutte contre le trafic de migrants
41
B. Les modalités concrètes de la lutte contre
le trafic de migrants 43 Paragraphe 2. La protection contre les autres types
de criminalité transnationale .
48
A. La protection contre la traite des personnes 48
B. La protection contre l'esclavage 49
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 51
DEUXIÈME PARTIE : UN RÉGIME JURIDIQUE
INSUFFISANT 52
CHAPITRE 1. UNE MISE EN OEUVRE COMPROMISE EN PRATIQUE 53
SECTION 1. Des pratiques étatiques criminalisant la
migration 54
Paragraphe 1. Une coopération multilatérale pour la
régulation de
l'immigration : l'exemple de l'Union Européenne 54
A. La politique communautaire sur l'immigration
irrégulière : de la libre
circulation à la gestion intégrée des
frontières extérieures 54
B. Étude d'un organe régional
intégré : l'agence de garde-côtes et de garde-
frontières Frontex 59
Paragraphe 2. La pratique australienne de la « solution du
pacifique » 64
A. 117
Une pratique d'interception et de refoulement des migrants vers
les États
voisins de l'Australie 65
B. Le non-respect du principe de non-refoulement 67
SECTION 2. La criminalisation de l'immigration
irrégulière au Maghreb 68
Paragraphe 1. Une externalisation de la politique
migratoire européenne au
Maghreb 68
A. La consécration du plan communautaire européen
68
B. Une obstruction à la migration
irrégulière en amont des frontières
européennes 70
Paragraphe 2. Des droits de l'homme non respectés par
cette législation 71
A. Une législation contraire au droit de quitter son pays
y compris le sien 72
B. L'absence de garanties suffisantes concernant les droits des
contrevenants .
73
CHAPITRE 2. UN RÉGIME JURIDIQUE PERFECTIBLE 75
SECTION 1. La clarification du droit en vigueur 76
Paragraphe 1. La clarification des règles normatives 76
A. La notion de détresse en mer, condition pour le
sauvetage 76
B. La détermination du lieu sûr pour le
débarquement des personnes
secourues 78
Paragraphe 2. Une réforme du cadre institutionnel 79
A. Un cadre institutionnel morcelé 80
B. Une lutte sectorielle par les différents organes
81 SECTION 2. La piste des accords non contraignants : le cas du pacte
de
Marrakech 83 Paragraphe 1. Un instrument non
contraignant mettant au premier plan les Droits
de l'Homme 83
A. Un instrument de soft law comme réponse
à l'insuffisance du droit positif
concernant la protection des migrants 83
B. Un instrument affirmant la prévalence des droits de
l'Homme dans le
traitement des migrations 86
Paragraphe 2. Les limites actuelles du Pacte de Marrakech 86
A. Une place encore prégnante des acteurs étatiques
dans la mise en oeuvre du
Pacte 87
118
B. Un caractère non contraignant 87
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE 90
CONCLUSION GÉNÉRALE 91
ANNEXES 93
ANNEXE 1 : SCHÉMA DES ZONES MARITIMES
DÉFINIES PAR LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER DE
1982 :
COUPE VUE AÉRIENNE 94
ANNEXE 2 : SCHÉMA DES ZONES MARITIMES
DÉFINIES PAR LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER DE
1982 :
COUPE VUE LATÉRALE 95
BIBLIOGRAPHIE 96
I. Dictionnaires et lexiques 96
II. Ouvrages 96
A. Ouvrages généraux 96
B. Ouvrages spécialisés 97
III. Thèses et Mémoires 100
A. Thèses 100
B. Mémoires 101
IV. Articles et contributions 102
V. Rapports et études 108
VI. Références juridiques 110
A. Références textuelles 110
B. Références jurisprudentielles 113
VII. Webographie 114
TABLE DES MATIÈRES 115
119
Résumé. Le régime de l'immigration
irrégulière par voie maritime en droit international public
Le présent mémoire entreprend de faire un tour
d'horizon du droit international public régissant le
phénomène de l'immigration irrégulière par voie
maritime. Il est bien établi en droit international une obligation de
secourir toute personne qui se trouve en péril en mer. Mais chaque jour,
des centaines de personnes meurent en mer ou sont renvoyées vers leur
lieu d'embarcation au mépris de leur droit à quitter tout pays et
de leur droit à demander l'asile, et en total porte-à-faux avec
le principe de non refoulement. De plus en plus de législations dans le
monde ont pour but de combattre et ériger la migration en infraction,
même en Europe, continent où les droits de l'Homme sont les mieux
respectés en général. Dans un monde de plus en plus
globalisé, les frontières se ferment progressivement au
mépris des instruments internationaux largement adoptés
mondialement sur les droits de l'Homme.
La réflexion menée se concentrera donc sur ce
paradoxe et envisagera des pistes de solutions possibles dont celle de la
soft law.
Mots-clés.
Migration - Droit international - Droit de la mer -
Boat-people - Droit international des réfugiés -
Principe de non-refoulement - Droits de l'Homme.
Abstract. The regime of irregular migration in
international public law
The purpose of this study is to give an overview on the
international framework concerning the irregular migration at sea. It discusses
the paradox between the globalization of the world and the close of borders and
the state practice regarding this phenomenon.
The duty of assistance is a well-established law of the sea
rule that command every ship in the ocean to assist persons at risk at sea.
Nevertheless, hundreds of persons die each day at sea without assistance
despite this international duty. State practice is focused on the ways to stop
such phenomenon instead of complete their international obligations. This state
of the international law of the sea is really harmful for the irregular
migrants at sea whose rights are not respected, especially, the right to leave
a country, the right to seek asylum and the principle of non-refoulement.
In regard of this reality, proposals are made in this paper
such as the clarification of the legal framework and the soft law solution.
Key words.
Migration - International Law - Law of the sea - Boat-people -
International Refugee Law - Non-refoulement principle - Human rights.
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