Pauline Raulet
ANNEE 2016-2017
4 MI
L'APPREHENSION DU SANS GLUTEN DANS LES CULTURES
FRANÇAISE ET BRITANNIQUE
MÉMOIRE DE TRADUCTION ET D'ANALYSE INTERCULTURELLE
PRÉFACE
Je tiens tout d'abord à remercier mes professeurs Mme
Gyapay et M. Clouet pour leurs conseils dans l'orientation de ma
problématique et donc pour l'élaboration de ce mémoire.
Un grand merci aux professionnels agronomes Alexandre
Castaldi, Lukas Gamard et Romuald Savatier pour avoir accepté de me
rencontrer et de se laisser interviewer. En me donnant la matière
suffisante pour comprendre et analyser la place du sans gluten dans la culture
française et en étayant par là même mes recherches
et expériences personnelles, ils ont participé activement
à l'élaboration de ce mémoire. M. Castaldi, boulanger
à la Tour d'Argent, apportera ainsi un regard neuf sur le schéma
de pensée dans le monde de la pâtisserie, quand M. Gamard, chef
chez Sitron sans gluten, nous proposera sa vision de ce régime innovant.
M. Savatier, chef chez L'Etoile 1903 abordera quant à lui sa vision
franche des régimes spéciaux.
Enfin, je souhaiterais remercier Aurélie Saminaden et
Paulette Raulet pour leur patience et leurs conseils avisés : elles
m'ont toutes deux soutenue depuis le début de mes études.
Par ailleurs, afin d'appuyer cette recherche et de l'inscrire
dans un propos réaliste et durable, j'ai choisi de réaliser
moi-même un sondage sur le terrain, auprès de 73 personnes, vivant
en France ou au Royaume-Uni.
INTRODUCTION
Reconnue et présente dans nombre de pays, la
« gastronomie française » a su prendre une dimension
internationale : tous s'accordent sur le fait qu'elle soit à
la fois gage de qualité et synonyme de raffinement. Comme j'ai pu
l'entrevoir au cours de mes différents voyages, les Français sont
perçus comme de fins gourmets et de fins cuisiniers. Ainsi,
malgré l'idée d'un effritement chronique de l'image de la
qualité française à l'international, il semblerait qu'il
n'en soit rien pour sa gastronomie qui est inscrite au patrimoine
immatériel de l'humanité par l'UNESCO depuis 2010. Cependant
d'autres images moins glorieuses sembleraient également nous coller
à la peau dans ce domaine : outre celle de la fameuse baguette,
l'image du Français reste celle du parisien trop pressé pour
être poli, avec un taux d'obésité faible, des femmes aux
tendances anorexiques, des repas normés et consommés à
heures fixes. Mais qu'en est-il vraiment ? L'écart entre ces
« images » et la réalité n'appartiendrait-il
pas plutôt au stéréotype ? Selon le dictionnaire Larousse,
est un stéréotype toute « caractérisation
symbolique et schématique d'un groupe qui s'appuie sur des attentes et
des jugements de routine ». Il paraît ainsi évident que
ces images réfèrent bien plus au stéréotype
qu'à une réalité admise et partagée. Pourtant, la
persistance de ces images à l'international nous questionne sur leurs
origines respectives et sur leur lien à la réalité. En
posant ainsi la question, nous supposons que ces images schématiques
dessinent en réalité la partie la plus visible de l'iceberg, ce
qui nous amènera à nous pencher sur la réalité
actuelle de la gastronomie française et de ses tenants, mais
également à nous interroger sur les différences
supposées avec d'autres cultures gastronomiques.
De même, il est étonnant de voir la persistance
de certaines habitudes alimentaires, par ailleurs très
différentes entre les pays, alors même que le processus de
mondialisation invite à un type de consommation unique et
partagé. Poser la question des origines de cette persistance est
essentiel pour comprendre une culture mais aussi pour préparer
l'arrivée d'un nouveau produit sur les marchés étrangers.
C'est lors de mon séjour de sept mois à Brighton, petite ville
portuaire au sud de l'Angleterre, que j'ai eu le plaisir de pouvoir vivre
aisément mon régime sans gluten. Une maladie contraignante ayant
été diagnostiquée quelques mois auparavant, je ne pouvais
me permettre de conserver mon régime habituel, le sans gluten
étant largement préconisé dans ma situation. Bien
sûr, arrivée à Brighton, je m'imaginais déjà
reprendre mon combat quotidien, parfaitement usuel en France : partir en
quête fastidieuse de toutes les étiquettes d'ingrédients en
supermarché, questionner mes hôtes sur le contenu de leurs potages
et bien sûr chercher les restaurants avec options « sans
gluten » et « sans lactose », voir à
défaut éplucher la carte à la recherche d'annotation
"sans" ou "peut contenir des traces de", ou pire, harceler le serveur de
questions fondamentalement ennuyantes pour lui. A ma grande surprise, j'ai vite
réalisé que la majorité des restaurants (tous restaurants
confondus), s'ils n'étaient pas entièrement « sans
gluten » et « sans lactose », présentaient
tous au moins un menu complet « sans » ou, dans une moindre
mesure, au moins des options « sans ».
Mais à quoi réfère le concept
« gluten free » ou « sans
gluten » ? Le « gluten free » est une
nouvelle manière de consommer qui a transformé le marché
alimentaire mondial et gagne petit à petit du terrain dans nos
supermarchés locaux. Pour autant, c'est avec étonnement que je
constate, parallèlement à ce développement, la
réticence des Français à ce type de consommation : peu de
produits, peu de choix, peu d'indication produit, pas de label qualité,
des prix exorbitants, etc. Mais aussi et surtout, une population
française peu sensible, si ce n'est pas moqueuse, de ce choix
alimentaire considéré comme une "mode" au mieux, un "caprice" au
pire. Il émerge ainsi de nos premières interrogations la notion
de tolérance. La France ne serait-elle pas moins tolérante que
l'Angleterre ? C'est bien le portrait qui se dessine à l'aube de ces
premières comparaisons. Et si tel est le cas, dans quelle mesure
certaines cultures sont-elles prédisposées à la
tolérance ? Point sensible et discutable de prime abord, c'est
grâce à cette notion et à ses traductions
différentes entre ces deux pays, que nous choisirons dans ce
mémoire de comparer leurs approches culturelles sur ce point. Parce que
l'évolution positive de la consommation "sans" ne pourra se faire qu'en
en comprenant les tenants et en en saisissant leurs articulations sur chaque
marché international, nous chercherons dans ce mémoire à
détailler ce nouveau mode de consommation ainsi que son application
différenciée en Angleterre et en France. Cette étude
permettra ainsi de comprendre pourquoi la France n'est pas si favorable
à l'émergence du sans gluten, mais aussi en quoi on peut
considérer que l'approche du sans gluten de la France et de l'Angleterre
découlent directement des propriétés historiques et
spécifiques de leur culture.
Pour comprendre ce que l'on peut appeler la
« particularité française », il est
nécessaire de se saisir du passé culturel du pays en termes
d'alimentation, afin de mieux appréhender les comportements actuels.
Dans la même logique de saisie de ces particularités, j'ai choisi
d'opposer les habitudes alimentaires ainsi que le passé culinaire de la
France et du Royaume-Uni. Cette comparaison a pour unique objectif de mettre en
exergue les différences et donc les particularités propres de
chaque pays. Pour celà, j'exposerai dans un premier temps les raisons
pour lesquelles les adeptes du régime gluten free sont de plus en plus
nombreux, avant de présenter le Royaume-Uni comme un modèle de
tolérance face aux régimes particuliers et, plus
spécifiquement, le régime sans gluten. Enfin, je terminerai ce
mémoire sur la réticence française face à
l'émergence de cette nouvelle manière de consommer.
Il est important de mentionner que l'objectif de ce
mémoire n'est pas d'inciter à la consommation du sans gluten mais
bel et bien d'amener à l'acceptation et à la compréhension
de ce type de consommation, afin que les choix alimentaires de chacun ne soient
pas l'objet de vifs débats mais la manifestation d'un respect de l'autre
dans son intégrité, c'est-à-dire dans ses obligations et
ses choix. De la même façon, l'objectif ne sera pas de
blâmer un pays ou un autre pour son mauvais comportement mais de
comprendre et connaître les tenants spécifiques qui peuvent amener
à de tels comportements. Ce mémoire intervient donc dans la
recherche d'une compréhension mutuelle, au coeur d'un conflit qui en
révèle en réalité beaucoup d'autres que nous
n'aurons pas la prétention de pouvoir traiter ici.
SOMMAIRE
PRÉFACE
2
INTRODUCTION
3
I. EMERGENCE DU SANS GLUTEN :
ENTRE INTOLERANCE ET VOLONTÉ DE MIEUX CONSOMMER
7
1. LE SANS GLUTEN COMME NOUVEAU
MOYEN DE CONSOMMER
7
A. DÉFINITION & ORIGINES
7
B. INTERET SANITAIRE
9
2. LE ROYAUME UNI : UN PAYS
MODELE
11
A. CONTEXTE HISTORIQUE FAVORABLE
11
B. LIBERTÉ INDIVIDUELLE &
TOLERANCE : VERS LE MARCHÉ DU SANS GLUTEN
12
II. LE SANS GLUTEN EN FRANCE :
DE L'INTEGRATION A L'ASSIMILATION, LES FRANÇAIS TROP CHAUVINS ?
15
1. LA FRANCE MAUVAISE
ÉLÈVE ?
15
A. SITUATION ET CONSIDÉRATION
ACTUELLES DU SANS GLUTEN EN FRANCE
15
B. L'HISTOIRE DE LA CULTURE GASTRONOMIQUE
FRANÇAISE ET SES REPERCUSSIONS SUR LE SANS GLUTEN
19
2. SPECIFICITES CULTURELLES
FRANÇAISES
21
A. LA CONVIVIALITE AU COEUR DES HABITUDES
ALIMENTAIRES
21
B. QUELLE PLACE POUR L'ORGUEIL A LA
FRANÇAISE DANS UN GROUPE ?
23
CONCLUSION
25
BIBLIOGRAHIE
28
I. EMERGENCE DU SANS GLUTEN : ENTRE
INTOLERANCE ET VOLONTÉ DE MIEUX CONSOMMER
1. LE SANS GLUTEN COMME NOUVEAU MOYEN DE
CONSOMMER
A. DÉFINITION & ORIGINES
Les allergies, tout comme que les intolérances
alimentaires, se sont multipliées ces dernières années
à tel point que le pain, « aliment de base de notre
alimentation », se voit parfois retiré des repas familiaux. Le
Professeur Henri JOYEUX soutient que le gluten est à l'origine de la
maladie coeliaque et du syndrome de l'intestin irritable, mais aussi d'autres
maladies telles que les maladies auto-immunes, les maladies chroniques dont
fait partie la rectocolite hémorragique, et serait même mis en
cause dans le cadre de rhumatismes ou encore de la maladie d'Alzheimer
« selon les susceptibilités de chacun »1(*).
Mais qu'est-ce que le gluten et pourquoi sommes-nous de
plus en plus nombreux à en subir ses effets néfastes ?
Le gluten est composé de « protéines,
d'acides gras et de
sucre
», il est naturellement dégagé par les
céréales comme moyen de défense au moment de leur
récolte. A l'origine, ce moyen de défense naturelle permet aux
céréales de se défendre des prédateurs en se
rendant « mauvais à consommer ». Le
développement de l'industrie agro-alimentaire par la violence de sa
production, entraîne naturellement les céréales à
produire beaucoup plus de gluten que naturellement. Ainsi, le gluten compose
aujourd'hui la majeure partie des protéines de certaines
céréales dont la seigle, l'avoine, le blé,
l'épeautre et l'orge. On en retrouve donc dans le pain, la farine (de
blé notamment), les biscuits, gâteaux et pâtisseries
traditionnels, les pâtes, les hamburgers, les pizzas, la sauce soja et
même parfois dans certains assaisonnements ou autres préparations
industrielles.
Lorsqu'un individu développe une sensibilité au
gluten, les symptômes, divers et variés, peuvent se manifester par
des douleurs abdominales, des ballonnements, des épisodes de
diarrhées fréquentes et malodorantes, des nausées, des
vomissements, de la fatigue et un amaigrissement anormal, cela à l'image
d'une intoxication alimentaire discrète et chronique.
On a longtemps cru que l'allergie au gluten était
purement génétique, or, des années de recherches ont
prouvé que la réalité était tout autre : il
s'agit plus d'intolérance que d'allergie au gluten, très souvent
d'origine épigénétique2(*). Ces intolérances seraient
générées par les « modifications des
variétés de froment3(*) » et surtout par
« l'uniformisation qui a réduit au maximum la
biodiversité ». Donc, si l'uniformisation industrielle et
l'exploitation intensive amènent ces céréales à
produire davantage de gluten, il faut ajouter à cela une propagation
grossière du gluten dans les produits industriels. Cela concerne donc
également des produits tels que le jambon, les épices, les
bonbons ou encore certains alcools telles certaines vodkas. La surconsommation
de gluten peut accélérer le processus de sensibilisation au
gluten et rendre l'intestin poreux plus rapidement4(*). Notre organisme se retrouve
donc saturé de gluten, ce qui amène un nombre de plus en plus
important d'individus à y être intolérant. Consommé
à forte dose, le gluten, comme l'évoque son nom, se colle aux
intestins et engendre un état inflammatoire. Il est intéressant
de préciser que moins d'un quart de la population serait consciente d'y
être intolérant : en Angleterre par exemple, seulement 24% de
la population ayant une intolérance au gluten a été
diagnostiquée.
B. INTERET SANITAIRE
C'est en lisant Changez d'alimentation du professeur
Henri Joyeux que j'ai compris la nécessité de l'absence de gluten
dans mon régime alimentaire déjà prescrit. Le professeur y
pointe du doigt les farines modernes de froment et signe leur implication,
notamment en ce qui concerne les troubles digestifs, quels qu'ils soient.
Aujourd'hui, nombreuses sont les
célébrités qui ont adopté le régime sans
gluten de Jo-Wilfried Tsonga à Lady Gaga en passant par Jennifer
Anniston, le gluten est entièrement exclu de leurs habitudes
alimentaires. Le plus célèbre d'entre eux reste sans conteste
Novak Djokovic, la star serbe du tennis, qui confie se sentir plus performant
après avoir adopté ce régime alimentaire. Convaincu par
son efficacité, le joueur de tennis en a même sorti un livre
Les secrets du vainqueur : une alimentation sans gluten pour une
parfaite forme physique et mentale5(*). Dans ce livre, il confie avoir été
victime de fatigue, d'essoufflement rapide, ballonnement et mêmede
difficultés à se réveiller le matin. Après avoir
adopté un régime strictement sans gluten sur les conseils de son
médecin pendant une durée de deux semaines, il affirme avoir
obtenu des résultats fructueux : gain de dynamisme et de souplesse,
diminution de la fatigue et de l'essoufflement, etc.
Les bénéfices attribués au sans gluten
sont donc nombreux et variés, allant d'une meilleure digestion à
la perte de poids, en passant par l'évincement de migraines et de
maladies de peau telles l'acné, le psoriasis, ou l'eczéma6(*).
Enquête basée sur 247 utilisateurs internet
âgés de plus de 18 ans et consommant, ou qui avaient l'habitude de
consommer par le passé, des produits sans gluten pour des raisons autres
que l'intolérance ou la sensibilité au gluten. Source :
Mintel
Conformément aux résultats du diagramme
ci-dessus, un des sondés renchérit«[le régime sans
glutennldr] est essentiel pour les personnes y étant allergiques, pour
les autres, c'est une alternative chère mais meilleure pour la
santé »7(*)
[Notre traduction] *. Certains, curieux, s'y essayent pour une période
donnée, comme Lukas Gamard, chef chez Sitron sans gluten8(*) : « Moi, je ne
suis pas intolérant. Mais pendant un an j'ai arrêté le
gluten, et ça m'a fait beaucoup de bien ». De même, un
des sondés d'origine anglaise renchérit : «avoir
répondu à ce questionnaire me rappelle que je veux essayer le
sans gluten, voir si je me sens mieux après
çà»9(*) [Notre traduction].Au vu du nombre croissant de
personnes touchées par des intolérances ou par des
incommodités liées au gluten et au-delà des contraintes
qu'il impose, le régime sans gluten a donc bien des avantages tant
physiques que psychologiques pour ceux qui souhaitent l'expérimenter,
comme pour ceux qui le pratiquent déjà.
2. LE ROYAUME-UNI : UN PAYS
MODELE
A. CONTEXTE HISTORIQUE FAVORABLE
L'histoire du Royaume-Uni a largement influencé son
histoire et sa culture, c'est pourquoi les traditions alimentaires y sont
nombreuses et variées : qui n'a pas entendu parler de ses repas
nationaux, du fameux « English Breakfast » ou encore de son
appétence pour le thé ? En réalité, les
Vikings, les Romains et les Français ont tour à tour
influencé la culture alimentaire britannique en y apportant à
chaque reprise de nouveaux ingrédients sur la table et parfois de
nouvelles habitudes alimentaires.
Au cours de l'ère Tudor (fin XVe- début XIIe),
les repas, bien souvent collectifs, étaient très
sophistiqués pour ceux qui en avaient les moyens. Ces repas entre gens
aisés pouvaient durer des heures. Quant aux plats, leur nombre variait
selon le statut : un cardinal pouvait servir jusqu'à 9 plats alors
que la classe bourgeoise ne pouvait en servir que 3. Cette période
marque aussi l'apogée des banquets et des festins extravagants.10(*)
Puis, sous le règne d'Edouard VI, les riches
aristocrates avaient pour habitude de manger de façon continue. La
cuisine française y était d'ailleurs très à la mode
et on la servait « à la russe »11(*).
La période victorienne est, quant à elle,
marquée par l'association d'aliments bourratifs et l'émergence
d'épices « exotiques ». La Grande Bretagne a su
s'inspirer des traditions culinaires des différents pays composants le
Commonwealth en important massivement le curry et le thé, tous deux
venus d'Inde. C'est en cette même période que l'Angleterre en
particulier développe une appétence pour les plats en
sauce.12(*)
Au XXe siècle, la politique de rationalisation de la
nourriture est à l'origine d'une pénurie de vivres mais aussi de
mélanges culinaires peu invitants. C'est d'ailleurs de cette politique
et de son usage que naîtra la mauvaise réputation culinaire des
Britanniques. C'est une période durant laquelle les flux migratoires
issus des anciennes colonies britanniques étaient
particulièrement conséquents. L'immigration a eu des apports
culturels très importants pour le Royaume-Uni, et elle a
été synonyme de goût avec l'utilisation plus
fréquente des épices en cuisine. C'est à cette même
période que le premier restaurant indien fut ouvert sur le sol anglais.
Le rationnement prend fin en 1954.Ainsi, et contrairement aux idées
reçues, la cuisine anglaise est raffinée, simple, copieuse,
hétéroclite et donc chaleureuse13(*) et multiple.
B. LIBERTÉ INDIVIDUELLE &
TOLERANCE : VERS LE MARCHÉ DU SANS GLUTEN
La société britannique est « une
société [...] qui se considère de plus en plus
multiculturelle »14(*). Le Royaume-Uni, marqué par son histoire et
ses relations étroites avec les pays membres du Commonwealth, a su faire
de son empreinte multiculturelle un atout indéniable. C'est pourquoi les
valeurs de respect, de justice et de tolérance forment aujourd'hui le
socle de l'enseignement britannique ; l'objectif étant la
création d'un climat cordial. Le respect est particulièrement
important puisque « les Britanniques se décrivent comme polis,
courtois et soucieux de ne pas blesser ni offenser l'autre » ce qui
marque un refus clair d'accorder de l'importance « à sa propre
personne » et de tout mettre en oeuvre pour ne pas faire perdre la
face à autrui,cela en commençant bien sûr par l'accepter
dans sa différence.
Il ne s'agit pas là, d'un puzzle multi-culturel
dessinant les traits d'un melting-pot raté, au contraire, les
Britanniques cherchent à mettre à l'honneur la liberté et
la responsabilité individuelle. Ils axent ainsi leur stratégie
d'intégration vers l'avenir et le résultat. Les
différentes communautés sont donc intriquées, profitant
chacune des apports des autres. Si l'intégration des "minorités"
ne peut être un succès total par définition, les
Britanniques ne cherchent pas à les assimiler mais plutôt à
développer une véritable capacité d'adaptation avec
l'idée que chacun y trouve son compte.
Au vu de l'augmentation du nombre croissant d'allergies et
d'intolérances, avec en 2016, 5% des Britanniques qui déclaraient
consommer des produits sans gluten puisqu'au moins une personne dans le foyer y
était allergique ou intolérante15(*), les Britanniques ont su embrasser
l'opportunité de s'approprier ce nouveau marché. S'il s'agit
à l'évidence d'un investissement financier prometteur, le
développement du sans gluten participe également à cette
politique d'intégration.Plus qu'une question d'intolérance ou
d'allergie, le gluten est aujourd'hui perçu comme excessif dans nos
habitudes alimentaires c'est pourquoi cette même année, 8% des
Britanniques affirmaient déjà qu'au moins une personne au sein de
leur foyer évitait le gluten dans le cadre d'une alimentation saine et
équilibrée.
Au Royaume-Uni, ces nouvelles habitudes alimentaires
séduisent beaucoup les parents, soucieux de la santé de leur
progéniture. Ils sont déjà39% en 2016 à confier
acheter des produits « sans », produits laitiers et/ou sans
gluten16(*).Ces
résultats expliquenten partie pourquoi la majorité des
restaurants britanniques, soucieux de plaire à l'ensemble de leurs
clients, proposent des menus entiers destinés aux personnes
intolérantes,allergiques ou ayant choisi une autre manière de
s'alimenter, comme pour les personnes végétariennes ou vegan.
Ceci inclut bien évidemment les pizzerias à l'instar de la
chaîne de restaurantsitaliens Zizzi17(*) ou encore Coggins & Co et Burger Brothers,
restaurants implantés à Brighton, offrant à leurs clients
des hamburgers sans gluten de qualité.Les restaurants britanniques sont
donc bien plus alertes et tolérants au sujet des régimes
spéciaux, une information confirmée par les personnes
sondées : « Il est plus naturel, plus simple et plus
récurrent de manger sans gluten en Angleterre. Les boutiques et
restaurants qui proposent des produits sans gluten le signalent sur leur
devanture ce qui est particulièrement pratique et montre l'engagement
envers ce type de consommation »18(*)
Enfin, selon Kantar, au Royaume-Uni, alors que le
marché « sans » représentait près de
545 millions de livres sterling en 2015, il atteignait les 740 millions en
2016, soit plus de 36% d'augmentation en une année.
Parallèlement, d'aprèsMintel, uniquementle marché du sans
gluten devrait atteindre 673 millions de livres en 2020 et ce en
Grande-Bretagne, c'est donc sans compter sur l'Irlande, contrairement aux
résultats précédents.
Lancement de barres snack sans gluten en % sur
l'ensemble des nouvelles barres lancées sur le marché19(*)
|
Année
|
2012-2013
|
2013-2014
|
2014-2015
|
Royaume-Uni
|
17
|
25
|
40
|
France
|
7
|
14
|
29
|
On observe, à l'aide du tableau ci-dessus, que
les industriels britanniques investissent toujours plus que les
industriels français dans le marché du sans gluten. La
différence est particulièrement significative mais tend à
se réduire d'après ces résultats. Si entre 2012 et 2013 le
Royaume-Uni lance 2,4 fois plus de barres snack sans gluten que la France, ce
chiffre tombe à 1,3 en 2015 et cela pour une bonne raison :
contrairement à nos idées reçues, la France multiplie par
deux son offre en pourcentage de barres snacks chaque année
(respectivement x2,00 en 2014 et x2,07 en 2015). L'évolution de
l'Angleterre est moindre en comparaison mais significativement croissante :
respectivement x1,47 en 2014 et x1,60 en 2015. L'exemple de l'évolution
de ce type de produit sans gluten sur les marchés français et
britannique est intéressant, il signe la différence significative
entre la proportion d'offres de ces deux pays, en faveur de l'Angleterre, mais
montre également un engouement fort et durable de l'investissement des
industriels français dans ce secteur. Pourtant, c'est avec
étonnement que l'on remarque que malgré ce fort investissement,
ce dernier n'est pas enclin à augmenter. Un choix économique
particulier qu'il nous faut maintenant comprendre un peu plus.
II. LE SANS GLUTEN EN
FRANCE : DE L'INTEGRATION A L'ASSIMILATION, LES FRANÇAIS TROP
CHAUVINS ?
1. LA FRANCE MAUVAISE
ÉLÈVE ?
A. SITUATION ET CONSIDÉRATION
ACTUELLES DU SANS GLUTEN EN FRANCE
En France, le marché du sans gluten a presque
doublé en 2014, passant ainsi de 35 à 78 millions
d'euros20(*).Cette
affirmation va dans le sens de l'étude de notre précédent
tableau. Pourtant, malgré ces chiffres en nette augmentation, les
critiques fusent toujours de la part des consommateurs : « La France
est à la traîne quant à sa distribution de produits sans
gluten et sans lactose, cela est considéré comme un handicap
alors que c'est parfois une nécessité pour la
santé » comme l'explique l'une des personnes ayant
participé à mon enquête.En quelques années, le
visage des supermarchés c'est bien souvent transformé. Les rayons
traditionnels ont petit-à-petit laissé la place à un puis
deux, parfois trois rayons biologiques. Dans ces derniers, on retrouve parfois
un étalage sans gluten aux produits de bonne qualité souvent
particulièrement onéreux. Mais à l'évidence, un
étalage "parfois", est encore peu suffisant. Bien que l'offre se soit
étendue et spécialisée, le choix reste très
restreint.
Le supermarché n'est pas le seul endroit où les
personnes ayant adopté un régime sans gluten rencontrent des
problèmes : l'accès aux restaurants est lui aussi
très limité car ils sont trop peu à proposer des menus
sans gluten. Seulement 40 restaurants parisiens sur plus de 13 80021(*) proposent des options sans
gluten, et seulement 23 d'entre-eux le sont à 100%. Si l'argument d'une
nouvelle part de marché émergente, autant que les
intérêts sanitaires, ne paraissent pas séduire les
restaurateurs, le phénomène « touche désormais
[...] restaurants gastronomiques et palaces ». Le chef Jean-Yves
Leuranguer propose ainsi des plats sans gluten au Fouquet's, et Thierry Marx
s'attache quant à lui à proposer des alternatives
« gluten free » au petit-déjeuner au Mandarin
Oriental. Malgré cette évolution favorable, l'offre reste
très faible par rapport à la demande, et souvent peu accessible
que ce soit pour la localisation ou le prix : quel sens donner à ce
trou béant que dessine l'offre du sans gluten, comprise bien souvent par
les consommateurs comme de la méprise ou un manque
d'intérêt ? Une jeune Irlandaise habitant en Angleterre se
confie : « Comparé à l'Angleterre, la France ne
propose pas grand-chose [...]. Mais on y arrive progressivement »
avant d'ajouter « Je pense aussi qu'aller au restaurant en ayant un
régime particulier est difficile en France car ils font moins d'effort
selon moi »22(*)[Notre traduction].
Aller manger chez des proches se révèle aussi
problématique : «?On soupçonne un peu tous les
plats », confie Sandrine Droumaguet au journal Les
Echos. En réalité, le régime sans gluten peut
être compliqué... surtout pour les autres. C'est ainsi qu'une des
personnes ayant répondu à mon questionnaire en ligne et qui ne
connaît pas de personne ayant adopté ce régime, nous confie
son scepticisme face au régime sans gluten, et elle est bien loin
d'être un cas isolé en France, Romuald Savatier nous confie
ainsi : « Je pense qu'il y a des gens qui sont vraiment
allergiques et d'autres qui font beaucoup de cinéma ». Un
autre enquêté nous confie : « J'ai du mal avec les
personnes qui ne saisissent pas tout ce que la vie peut offrir. Je n'approuve
donc pas qu'on se limite à un certain régime ». C'est
avec étonnement que l'on découvre comment le sans gluten, outre
considérations médicales, est compris par bon nombre de
Français comme un régime restrictif, littéralement comme
un régime "sans", c'est-à-dire un régime "moins".
Pourtant, comme nous l'avons vu, le sans gluten n'est pas réellement un
produit sans, mais bien un ensemble d'aliments produits différemment, de
sorte à contenir moins de substance moins digestes. C'est une
alternative qui finalement ne supprime absolument aucun produit de consommation
classique, puisque chacun y trouve son équivalent, même pour le
lait et le fromage. Mais alors d'où vient cette idée du
restrictif ? Du manque d'offre ? Serait-on face à une sorte de cercle
infernal contre-productif de l'émergence du sans gluten? Cela est
difficile à dire, pour autant, il est intéressant de remarquer le
traitement perceptif de ce nouveau mode de consommation: il est automatiquement
considéré comme restrictif et donc exclu, lui et ses
consommateurs. Nous sommes ainsi face à une image bien pessimiste de la
perception de la nouveauté en France. On se rend compte que si nos
habitudes, ici alimentaires - mais cela pose la question pour d'autres domaines
- diffèrent de la « norme », celles-ci sont presque
automatiquement réprimées lorsque que le changement qu'elles
induisent comprennent une restriction qu'importe qu'elle soit compensée
ou non. Par exemple, dans le cas du sans gluten, cela demanderait aux
consommateurs de changer leurs produits usuels (pâtes, pain, lait,
fromage...), souvent piliers de leur alimentation, contre ces mêmes
produits issus de l'agriculture biologique et sans gluten. Le simple fait de
quitter ces produits semblent insupportable au Français et source d'un
désir de répression envers la nouveauté, malgré le
fait qu'il y retrouverait les mêmes produits et de même
qualité. Cet argument semble d'ailleurs bien plus prégnant que
celui du coût des produits sans gluten, étrangement rarement
avancés dans nos sondages. Lukas Gamard soutient quant à luique
« ça devrait être plus reconnu et plus normal, que les
gens devraient avoir le droit de manger ce qu'ils veulent sans que d'autres
disent « oh sans gluten, il va faire chier
encore » ». Aussi, on comprend qu'un individu avec un
régime alimentaire particulier n'est pas simplement ignoré, il
dérange foncièrement. Le désir de réprimer la
nouveauté et les différences considérées comme
restrictives semble amener les Français à pousser dehors les
nouvelles habitudes alimentaires telles que le sans gluten. Une peur de la
restriction tellement importante qu'elle finit par exclure ceux qui sont ou
choisissent cette différence : le témoignage d'une des personnes
sondées est particulièrement éloquent ;à la
question « vous êtes-vous déjà senti ( ?)
exclu de par votre régime alimentaire ? » Une jeune femme nous
raconte : « Oui... Surtout en famille, on ne peut pas tout
manger... Et on se fait passer pour des difficiles », une
confrontation quotidienne pour les personnes
« gluten-free ». Dans la continuité de ce
témoignage, uneAméricaine d'une trentaine d'années vivant
en France nous fait part de son expérience : « Beaucoup
de personnes pensent que c'est juste une tendance, mais manger sans gluten a
résolu pratiquement tous mes troubles digestifs »23(*) [Notre traduction].
A travers de l'enquête menée, on peut observer
que, parmi les individus interrogés vivant en France, 21 % de ceux qui
connaissent une personne ayant adopté ce mode alimentaire le
perçoivent comme un caprice ou un effet de mode contre 33% pour les
individus ne connaissant personne ayant adopté ce mode de consommation,
soit au total près de 26,5% des sondés, tous individus confondus.
On remarque que le pourcentage de personnes considérant la consommation
sans gluten comme un caprice, tout du moins les personnes ayant le courage et
la confiance d'assumer ce point de vue lors d'un sondage assuré par une
consommatrice sans gluten, est particulièrement significatif.
L'écart entre le pourcentage de ceux connaissant quelqu'un ayant
adopté ce mode de consommation et le pourcentage de ceux qui n'en
connaissent pas questionne également. On peut largement proposer que
l'ignorance de ce mode de consommation et de ses tenants est impliquée
dans le jugement négatif que peuvent avoir les Français quant au
sans gluten et à ses consommateurs.
Un des sondés remarque que « les
Français sont globalement hostiles à tout ce qu'ils
perçoivent comme une menace à leur sacro-sainte culture
gastronomique. » alors qu'un autre propose « Je ne pense
pas que le problème vienne du fait que des personnes suivent le
régime par mode, mais de celles qui se permettent de juger, comme si on
attaquait leur identité ». Pour chacun d'entre-eux, l'origine
de cette hostilité, voire de l'exclusion dans certains cas, de
l'ignorance au mieux, trouve son origine dansla menace identitaire, la
gastronomie française étant, on le sait, un des piliers de
l'identité nationale. Une hostilité qui conduit indubitablement
à un sentiment d'exclusion d'autrui, parfois plus grave qu'en apparence
: à la question « vous êtes-vous déjà
exclu de par votre régime alimentaire ? », un sondé
reconnaît « Oui, complètement : en soirée, il
faut apporter ma propre nourriture, sinon je sais que je ne mangerai rien. Je
suis parfois un peu vue comme "une chieuse" ». Les
thématiques soulevées par notre recherche se confondent et
interrogent, dépassant la tentative d'intégration des
régimes "sans". Peur de la restriction, menace identitaire,
réaction agressive et hostile, est-ce vraiment du sans gluten que l'on
parle ? Il semble que l'origine de ce traitement spécifique, de la
particularité française, se trouve bien plus loin dans sa propre
histoire qu'il nous faut maintenant étudier, ici sous l'angle du
culinaire.
B. L'HISTOIRE DE LA CULTURE GASTRONOMIQUE
FRANÇAISE ET SES REPERCUSSIONS SUR LE SANS GLUTEN
La gastronomie française est le fruit d'un
héritage séculaire hérité de nos ancêtres les
Gaulois ayant su créer et développer ce qu'on appelle
communément le « bien manger » et le « bien
boire », aujourd'hui ancrés dans notre culture. D'après
Jean-RobetPitte, professeur et géographe, dans son
ouvrageGastronomie française : histoire et géographie d'une
passion : « En Gaule, la bonne chère est
inséparable de la vie politique et sociale ». La
période du Moyen Age aussi très représentative de la
gastronomie française, puisque s'organisaient déjà festins
et banquets, permettant ainsi aux nobles d'asseoir leur rang & prestige en
exposant nombre de mets.
C'est en pleine Renaissance que la France s'enrichit de
nouvelles saveurs, techniques et autres recettes inspirées de l'Asie
à l'Orient, rapportées par les voyageurs italiens. Les produits
du nouveau monde commencent à être introduits et de nouveaux
rituels de table se mettent en place. Cette période marque
indéniablement l'émergence de talentueux pâtissiers avec
l'apparition de la tarte, la pâte à choux ou encore les
célèbres biscuits à la cuillère.
La gastronomie française arrive à son
apogée sous le règne du Roi Soleil avec des aliments
à l'image de la hiérarchie sociale de l'époque et un
service de table presque théâtral. Nous en héritons
notamment notre traditionnel « entrée, plat, fromage,
dessert ». François Vatel, jugé par la suite
comme l'un des précurseurs de la gastronomie française,
instaurera à cette époque la traditionnelle « nouvelle
cuisine française » soit les prémices de
la « grande cuisine ». « La gastronomie est
à l'image de la monarchie, somptueuse et raffinée ». Le
raffinement, mais les excès aussi : l'embonpoint était alors gage
de richesse et de bonne vie, la nourriture synonyme de fortune, et par
là même symboliquement et physiquement essentielle à
l'identité des nobles.
Le XVIIe siècle marquera l'arrivée des
restaurants avec le Procope (ouvert en 1674), lieu de rencontre des
intellectuelles que l'on pourrait assimiler aux salons de thé actuels
avec boissons et pâtisseries.La Révolution française,
motivée par les philosophes, les intellectuels et l'inflation du prix du
pain devenu inaccessible pour les classes pauvres et populaires a
été un intense bouleversement. C'est en 1789 qu'une partie des
grands chefs, qui cuisinaient pour la famille royale et pour l'aristocratie,
choisissent d'ouvrir leur propre restaurant qui se verront fréquenter
par les nouveaux riches. Cette époque marque la fin des grands chefs
cuisinant pour les « grandes maisons » puisque la haute
cuisine est descendue dans la rue : les grands chefs ont des restaurants,
et n'importe quel citoyen fortuné peut manger comme le faisaient les
grands aristocrates disparus. C'est à la suite de cette
révolution que la cuisine et les arts de la table deviennent
progressivement des éléments d'appartenance sociale.24(*)
Très empreints par cette nouvelle vision de la
consommation gastronomique, les arts de la table ne subissent que peu
d'évolution jusqu'aux grandes guerre du XXe siècle. Cette
époque de grande restriction est tellement violente qu'elle ne permet
pas à tous les Français de se nourrir convenablement. Si la
solidarité permet à chacun de tenir, beaucoup de familles
françaises se voient obligées de partir en exil dans d'autres
pays, pour éviter la guerre mais surtout pour nourrir les enfants. S'en
suivent directement avec la fin de la guerre, les 30 glorieuses, la
reconstruction du pays et les joies de retrouver une vie stable et durable qui
relance l'économie au travers de la consommation. La consommation
excessive, tellement manquante en période de guerre, arrive comme un
pansement pour suturer la plaie béante des nombreuses pertes et horreurs
de la guerre. C'était la grande époque de la standardisation et
chaque ménage a ainsi pu s'équiper de tout le nécessaire
de cuisine. Four, mixeur, grille-pain, tous marqués Moulinex sont les
prémices de nos actuelles habitudes alimentaires.
On remarque avec effroi, l'ensemble des épreuves qu'a
pu vivre le peuple français sur son territoire, alors même que
l'on aurait tendance à les oublier. Bien avant encore, on se souvient de
cette histoire que l'on ne trouve que dans les livres et qui chantent le
passage d'envahisseurs aussi vieux que l'écriture elle-même.
Difficile d'analyser une histoire aussi longue et aussi complexe, mais il est
intéressant de remarquer la place de choix de la nourriture dans cette
dernière. A l'origine même de la révolte de 1789, symbole
de richesse tant espéré, manquante à en mourir à la
guerre, la nourriture est toujours apparue comme un point de structuration de
l'histoire française, et le repas partagé, son inséparable
acolyte.
2. SPECIFICITES CULTURELLES
FRANÇAISES
A. LA CONVIVIALITE AU COEUR DES HABITUDES
ALIMENTAIRES
Les habitudes françaises autour des repas sont
considérées à juste titre comme
« rigides » : les Français mangent à
heure fixe et les repas sont normés et rythmés. Mais plus que les
normes intégrées en grandissant, c'est bel et bien la
convivialité qui régit nos repas « à la
française ». Pour les Français, « la
convivialité n'est pas seulement un « plus »
souhaitable mais est présente comme un caractère de
nécessité, aussi impératif que celui de l'équilibre
nutritionnel »25(*). Le repas est en effet, pour la plupart des
ménages français, l'occasion de se retrouver après une
journée de travail, ou encore un moyen de passer un bon moment ensemble
le weekend. Le repas est un moment de partage et acte « le plaisir
d'être ensemble ».De fait, selon l'étude mené par
Claude Fischler et Estelle Massion, 67 % des ménages estiment même
que se retrouver autour d'un repas est l'élément le plus
important dans le modèle alimentaire français : la
nourriture, bien que souvent de qualité, passe donc au second plan,et
c'est bien son aspect relationnel qui prime. De même, contrairement aux
pratiques qui se développent en Angleterre ou aux Etats-Unis, rares sont
les personnes s'isolant devant leur télé pour le repas en
France.
On observe que le temps passé à table,
supérieur à la moyenne internationale et particulièrement
ancré dans la culture française, est indispensable à la
culture groupale : le repas devient donc un véritable acte de
socialisation. C'est donc sans surprise que, parmi les différents pays
de l'OCDE, les Français sont ceux qui s'accordent le plus de temps
à table avec environ deux heures par jour, contre 1h35 par jour pour le
Royaume-Uni26(*).
En 2010, l'ancien Président français, Nicolas
Sarkozy obtient l'inscription de la gastronomie française au patrimoine
mondial immatériel de l'humanité par l'UNESCO. « La
souveraineté du modèle alimentaire français se traduit par
cette synchronisation et le maintien de la convivialité aux repas
»27(*). Mais
qu'est-ce que le repas gastronomique français ?Le repas
gastronomique français, pratique sociale ritualisant « le
plaisir d'être ensemble »,reflète fidèlement
l'art du « bien-être » et du « bien
manger » à la française. Le succès de cette
pratique atteint son apogée à l'occasion de repas de famille ou
entre amis. Il n'est pas rare que les Français consacrent toute une
après-midi au déjeuner collectif : barbecue, brunch,
rencontres en grandes tablées, apéritifs dinatoires, etc.
B. QUELLE PLACE POUR L'ORGUEIL A LA
FRANÇAISE DANS UN GROUPE ?
En 1955, M. Deutsch et M. H.B. Gérard font la
découverte du processus de "Dépendance
Normative », processus qui se traduit par un besoin relationnel
ressenti par chacun, de se sentir aimé, approuvé et
accepté au sein d'un groupe.Cette importance accordée à la
relation est entièrement ancrée dans la culture française
où, même dans le cadre d'une clôture de contrat, les deux
parties ont pour habitude de se retrouver autour d'une table au restaurant
(d'Iribarne 2009). En effet, « l'alimentation, de par ses multiples
aspects, est un des truchements par lequel se forme et s'exprime le
sentiment d'appartenir à un groupe »28(*).Ainsi, l'alimentation est un
outil relationnel permettant de rassembler mais aussi d'exclure le cas
échéant, lorsque les individus ne se sentent pas appartenir au
groupe ou lorsque le groupe ne reconnaît pas les individus comme lui
appartenant. L'alimentation a donc le pouvoir de rassembler et d'exclure
significativement par l'acte symbolique que peut être le partage d'un
repas. Sortie brusque de table, absence d'invitation au repas, privation de
dessert sont autant d'actes physiques hautement symboliques source de
colère et de rejet. Comment comprendre les réactions au sans
gluten dans ce contexte ? Plusieurs réponses se dessinent : les
Français considèrent peut-être les adeptes des
régimes "sans" comme des individus refusant de partager leur repas, en
réaction ils excluent ces membres comme ils se sentent eux-mêmes
exclus, c'est l'effet "il est sorti brusquement de table", voir "je n'ai pas
été invité". Autre possibilité qui se dessine : le
régime « sans » est vécu comme une
restriction, c'est l'effet "pas de dessert". Ainsi, on découvre que
l'impossibilité de partager des repas différents est plus
compréhensible au regard de l'aspect relationnel établi
séculairement dans la culture culinaire française.
Par ailleurs, en France, ce sont bel et bien les notions du
devoir et de l'honneur qui priment, même devant la notion marchande
(d'Iribarne, 2009). C'est pourquoi, il arrive qu'une demande de clients puisse
rester sans réponse, ou presque, comme en témoigne Alexandre
Castaldi : « Faut être tolérant et indulgent mais
ce n'est pas la mentalité française. Pour demander un truc, c'est
limite des négociations pour qu'il [le patron ndlr] accepte. C'est de la
mauvaise volonté. Ils n'ont pas envie de se faire chier, c'est du
travail en plus » avant d'ajouter : « On ne veut pas
faire l'effort de faire l'effort. En France, quand on demande quelque chose,
les gens ont du mal, faut que ça
râle »,« c'est le besoin de toujours dire
« oh non c'est de la merde ça partira
pas » mais au final ça part. C'est de la
fainéantise française ». Ce qui s'apparente pour de la
« fainéantise française » relève en
réalité de la notion d'honneur précédemment
abordée. Le restaurateur, le pâtissier ou le boulanger
français a du mal à concevoir que les produits qu'il proposent ne
conviennent pas à tous, une requête de changement est alors
vécue comme la remise en cause de la qualité du produit, de son
savoir-faire, et donc également comme la remise en cause de
l'intégrité de celui qui se cache derrière ce produit.
« En fait, les Français, il n'y a pas à dire, on a
vraiment des caractères... assez spéciauxje vais vous le dire, on
est difficile » insiste M. Castaldi. Un égocentrisme
supposé qui entraverait les capacités du Français à
comprendre que les besoins de chaque individu diffèrent, cela en dehors
de toute raison qui lui soit attribuable. Si chacun essaye de faire au mieux
avec ses limites et ses choix, il n'est pas rare qu'un client sorte du
restaurant français bredouille, confus et parfois franchement
désappointé. Avec l'exemple de l'Angleterre, où le
bien-être d'autrui est primordial à tout aspect interrelationnel
et où l'évitement de situation embarrassante est une
priorité, on comprend les différences drastiques du traitement de
la clientèle et notamment de ses minorités "sans" entre les deux
pays.
CONCLUSION
Notre question de départ interrogeait les origines
historiques et culturelles propres à chaque pays, expliquant les
différences du traitement sur le marché mais aussi dans la
société des régimes « sans ». Dans ses
origines, nous cherchions l'explication au scepticisme et à
l'intolérance française. Les regards croisés entre les
apports socio-historiques, culturels, statistiques mais aussi psychologiques
nous ont offert un large champ de réponses. Au regard de cette
recherche, il paraît envisageable de supposer que l'inscription durable
et qualitative d'une nouvelle habitude, ici alimentaire, dépend
étroitement des dispositions historiques et culturelles du pays
où elle cherche à s'implanter et se développer. Ces
contextes et leurs tenants déterminent la faisabilité du
développement économique et culturel du sans gluten, comme des
produits qui lui sont affiliés. On remarque ainsi, à l'instar de
la France, que certains contextes historiques et culturels sont
particulièrement défavorables à l'émergence de
certains produits dont le sans gluten fait partie, alors même que le sans
gluten comme beaucoup d'autres alternatives, est partie prenante de
l'évolution de la santé publique et du développement
économique.
Nous avons pu donner à notre étude quatre grands
champs de réponses expliquant le scepticisme et l'intolérance
française au regard de son histoire et de sa culture, points qui sont
donc déterminants dans la faisabilité du développement du
sans gluten mais aussi d'autres régimes alimentaires : la politique
d'intégration française, la peur de la restriction toutes deux
étant considérées comme des menaces identitaires,
l'ignorance et les tenants relationnels du repas. Concernant la politique
d'intégration et la peur de la restriction, la longue et difficile
histoire de l'Europe à laquelle appartient la France rend
extrêmement étroit le rapport entre l'identité et le droit
du sol. Les malheureuses expériences territoriales qui ont jonché
la France ont toujours été vécues sous l'angle de
l'étranger tortionnaire et restrictif. De tous temps, les classes
moyennes françaises ont eu ce sentiment de se battre bec et ongle pour
obtenir ce que seuls les nobles et les saints pouvaient avoir à leur
place : la satiété. Impossible dans ce contexte de penser une
restriction d'aucun ordre, compensable ou non, la France a déjà
suffisamment donné. Cet impossible deuil de l'exploitation des classes
moyennes, de la guerre et du manque matériel et financier, entrave toute
capacité au changement, dans un besoin de sécurité massif
où l'on se retrouve autour des valeurs et des produits que l'on
connaît. Sans doute est-ce la raison pour laquelle « le
bio » et le « local » au contraire du sans gluten
ou du vegan, semblent faire leur place aussi aisément dans l'offre
alimentaire française.
S'il n'apparaît pas dans nos capacités directes
d'influer sur ce deuil impossible afin de d'améliorer la
faisabilité du développement du sans gluten en France, nous
pouvons tout du moins proposer des solutions quant aux deux autres
paramètres la déterminant. L'ignorance du sans gluten et de ses
tenants est le premier point d'action et le plus facile à mettre en
place. Il ne serait pas difficile de vanter les mérites de produits
ayant déjà fait leurs preuves sur un plan sanitaire, physique et
morale. Appuyé par des célébrités aussi influentes
que Novak Djokovic, nous supposons que le développement du sans gluten
peut être largement facilité. D'ailleurs, il le serait, ne
serait-ce qu'en expliquant que le gluten est une sorte de poison naturel pour
éviter d'être mangé.
Enfin, nous avons établi que la France, au contraire
d'autres pays, utilisait le repas non seulement comme outil de
nécessité physiologique mais également comme outil
relationnel symbolisant. Par là-même, le repas permet de
rassembler et d'exclure. Aussi, il serait intéressant de penser à
un dispositif commercial permettant au sans gluten de s'intégrer
pleinement au "repas" français et de s'inscrire durablement dans ses
habitudes alimentaires sans remettre en cause ses valeurs et
spécificités. Rappelons par ailleurs que, comme l'affirme Lukas
Gamard « quand on a des restrictions, c'est beaucoup plus facile
d'être créatif [en cuisine ndlr] ». Ainsi, sans
gluten et cuisine gourmande ne sont pas du tout opposés, bien au
contraire. Des produits sans gluten conçus dans l'optique du partage
d'un repas gourmand à plusieurs seraient, par exemple, bien plus
concordants avec l'usage et les tenants du repas français. Pastabox
"sans" à partager, envoie à domicile de coffrets gourmands
familiaux, journée bien-être tous au « sans »,
les idées seront nombreuses s'il on se garde de rendre les
régimes "sans" restrictif et exclusif à un type de population.
On comprend grâce à cette étude que les
Français ont la tête bien dure, et qu'ils ne seront pas les
premiers à faire le pas vers un nouveau mode de consommation, même
si ce dernier est bien meilleur pour la santé. Mais si on fait l'effort
de connaître et comprendre ce beau pays parfois si frileux à
l'étrangeté, on se rendra compte aussi de sa
sincérité fragile. La France a peur, elle a mal mais surtout,
elle ne sait pas. Aussi, nous proposons de repenser la stratégie de
développement des produits sans gluten autour d'une intégration
aux valeurs françaises pour pouvoir supposer un essor culturel en faveur
d'une meilleure alimentation, d'un développement économique
durable, mais aussi de l'instauration d'une relation gagnant-gagnant avec le
consommateur. Peut-être qu'une fois ce grand pas fait, les
Français sauront se montrer plus tolérant envers la
nouveauté et notamment envers les autres régimes
(végétarien, sans lactose ou vegan) qui attendent encore et pour
d'autres raisons, l'aval de leurs compatriotes à l'instar du
Royaume-Uni.
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gluten » : effet de mode ou recherche de performance ?[en
ligne]. Disponible sur : <
https://www.lanutrition.fr/bien-dans-son-assiette/les-regimes-sante/le-regime-sans-gluten-et-sans-caseine/de-plus-en-plus-de-sportifs-au-l-sans-gluten-r-effet-de-mode-ou-recherche-de-performance->
(Consulté le 30 juillet 2017).
* 1 Professeur Henri Joyeux,
Changez d'alimentation.
* 2Epigénétique :
partie des phénomènes du développement embryonnaire qui
n'est pas due au programme génétique mais à d'autres
facteurs, telle l'action de contact d'un tissu sur un autre.
* 3 Le froment est un blé
tendre.
* 4 JOYEUX Henri, Changez
d'alimentation.
* 5DJOKOVIC Novak, Les
secrets du vainqueur : une alimentation sans gluten pour une parfaite
forme physique.
* 6Plus d'informations
sur :
https://www.passiondesaliments.com/12-raisons-dadopter-une-alimentation-sans-gluten/
* 7 Texte original d'une des
personnes sondées : « It'snecessary for people who
has allergy on gluten, for other a quite expansive but healthier
alternative ».
* 8Sitron :
pâtisserie sans gluten située au 15 rue Marie Stuart, Paris
75002.
* 9Texte original d'une des
personnes sondées : « Takingthisquestionaire has
reminded me I want to trygoing gluten free, see if I
feelhealthier ».
* 10 Plus d'informations sur le
site historyextra.com.
* 11Le service
« à la russe » désigne le service à
table avec les convives assis.
* 12 Plus d'information sur le
site bbc.co.uk.
* 13 Plus d'informations
sur : www.thespruce.com.
* 14Browne-Tixier, Dykstra,
Communiquer, négocier et travailler efficacement avec des partenaires du
Royaume-Uni et de l'Irlande.
* 15 Enquête MINTEL,
2016.
* 16 Enquête KANTAR,
2016
* 17Zizzi : au
Royaume-Uni, chaîne de restaurants italienne proposant pizzas et
pâtes sans gluten et sans produits laitiers.
* 18 Témoignage d'une
des personnes sondées.
* 19 Tableau disponible sur le
site : http://www.bbc.com
* 20 Informations disponibles
sur
https://www.lesechos.fr
* 21 Etude Statista, 2014
* 22 Texte original d'une des
personnes sondées : « Compared to England, France
doesn't have much to offer [...]. It'sgettingtherethough. I thinkalsogoing to
the restaurant isdifficult in France withanyspecialdiet as I findtheymakeless
effort. ».
* 23Traduit de
l'américain« Many people thinkit's a fad but eating
gluten-free has solvedmost all of my digestive problems ».
* 24Plus d'information
sur :
http://www.cuisinealafrancaise.com/fr/articles/17-histoire-de-la-cuisine
* 25FISCHLER Claude, MASSON
Estelle, Manger : Français, Européens et Américains
face à l'alimentation.
* 26 OCDE, 2009.
* 27Plus d'information sur
Cahier de recherche du CREDOC.
* 28BRUEGEL Martin &
LAURIOUX Bruno, Histoire et identités alimentaires en Europe.
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