INTRODUCTION
Les Trypanosomoses Africaines sont des maladies parasitaires
causées par des protozoaires flagellés appelés
trypanosomes. Ces parasites entrainent chez l'homme la trypanosomiase humaine
africaine (THA) encore appelée maladie du sommeil, et chez l'animal la
trypanosomose animale africaine (TAA) encore connue sous le nom de "nagana".
Ces maladies constituent une entrave pour le développement de plusieurs
pays africains. Les trypanosomes sont transmis aux mammifères par des
piqûres d'insectes hématophages appelés mouches
tsétsé ou glossines. Ces glossines responsables de la
transmission des trypanosomoses africaines appartiennent au genre
Glossina. Il existe plusieurs espèces de glossines et leur
distribution est fonction des facteurs éco climatiques. Chaque
espèce de glossine ne transmet qu'un nombre limité
d'espèces de trypanosomes et la distribution des espèces de
trypanosomes peut être liée à celle des glossines. De
manière générale, la distribution des trypanosomoses
africaines suit celle de leur vecteur et couvre environ 10 millions de
Km2, soit un tiers du continent africain (Brunhes et al.,
1994).
La Nagana demeure un obstacle pour le développement de
l'élevage et de l'agriculture en milieu rurale. On estime que 50
millions de bovins et 70 millions de petits ruminants sont exposés aux
risques de la TAA (Trail et al., 1985). La productivité du
bétail et l'utilisation des animaux pour l'agriculture (engrais,
traction) sont également affectées. Alors que la population
humaine augmente à raison de 3,2% par an, les productions de viande et
de lait n'augmentent respectivement que de 1,4 et 2,3%. Ainsi, on estime
qu'à partir du 21ème siècle, une importation de
2 à 5 millions de tonnes de viande et de 10 à 15 millions de
tonnes de lait pour un coût annuel de 15 milliards de dollars US serait
nécessaire pour couvrir les besoins des populations vivant dans les pays
où sévit la TAA (Pangui, 2001). Pour lutter contre les
trypanosomoses africaines, deux principales stratégies sont
déployées notamment l'utilisation des médicaments et la
lutte contre le vecteur. Jusqu'à nos jours, seulement trois trypanocides
sont disponibles et des résistances ont été
signalées contre ces médicaments dans plusieurs pays africains.
Quant à la lutte anti-vectorielle, plusieurs méthodes de lutte
ont été développées: l'utilisation des insectes
stériles (TIS) et des écrans, le piégeage (Cuisance,
1989), l'utilisation des insecticides s'est souvent heurtée aux
écologistes à cause de la rémanence des produits
utilisés et leur action négative sur la biodiversité
(Koeman et Pennings, 1970). L'utilisation de certaines de ces techniques de
lutte n'a donné des résultats positifs que dans des îles
(Salano et al., 2010). Cependant, des tentatives visant
l'éradication des populations de glossines continentales se sont
soldées par des échecs, à cause de la grande
capacité de dispersion des glossines qui ré-envahissent
rapidement les zones traitées (Cuisance, 1985). Pour faire face à
ce problème, des études sur la structure génétique
des populations de vecteurs ont été envisagées. Au cours
des dernières décennies, des outils
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Caractérisation génétique de Glossina
pallicera pallicera circulant dans le foyer de la maladie du sommeil de
Campo du Sud forestier Camerounais rédigé par
GOMSEU DJOUMSIE Emmanuel Boris
moléculaires ont été
développés pour caractériser les populations de glossines
afin de mieux comprendre leur écologie et leur structure
génétique. C'est dans ce contexte que des marqueurs
microsatellites ont été identifiés pour affiner la
caractérisation génétique des vecteurs. Les
microsatellites sont des séquences d'ADN répétées
en tandem se caractérisant par une hyper-variabilité et une
abondance dans le génome (Schwenkebecker et al., 2004). Ils
sont largement utilisés dans les études génétiques
et phylogénétiques et ont déjà montré leur
intérêt dans la caractérisation de plusieurs espèces
de glossine (Schwenkebecker et al., 2004). Ces marqueurs ont notamment
permis de confirmer l'isolement génétique des populations
insulaires de glossines (Camara et al., 2006). Les méthodes de
lutte déployées à partir des études sur la
structure génétique des populations de glossines ont
présenté un grand succès dans la région du Niayes
au Sénégal (Solano et al., 2010).
En Afrique centrale et occidentale, des marqueurs
microsatellites ont été utilisés pour analyser la
structure génétique des populations de Glossina palpalis
palpalis et Glossina palpalis gambiensis du Cameroun et du
Burkina Faso respectivement. Ces travaux ont révélé une
diversité génétique importante au sein des populations de
ces glossines, et surtout un niveau de structuration lié à la
distance géographique entre les populations étudiées
(Melachio et al., 2011 ; Solano et al., 2000). La plupart
d'études réalisées sur la structure
génétique des populations de glossines se sont concentrées
sur des glossines péri-domestiques responsables de la transmission des
trypanosomes chez l'homme. Quant aux glossines trouvées essentiellement
en zone forestière comme G. p. pallicera, très peu
d'études génétiques ont été menées
sur ces insectes malgré le fait que ces glossines soient responsables de
la TAA. Il est évident qu'une étude sur la
génétique des populations de G. p. pallicera
améliorerait nos connaissances sur l'épidémiologie et
la lutte contre des trypanosomoses animales.
L'objectif principal de ce travail est de faire une
caractérisation génétique de G. p. pallicera afin
de fournir des données sur la structure génétique des
populations de ces vecteurs avec pour finalité d'obtenir des
informations qui pourraient contribuer à la planification d'une lutte
anti-vectorielle. De manière spécifique, nous avons:
? analysé le polymorphisme génétiquement
au sein des populations de G. p. pallicera en utilisant des marqueurs
microsatellites ;
? évalué le polymorphisme
génétique de G. p. pallicera en comparaison à
d'autres espèces de glossines.
? évalué la structuration
génétique entre les populations de G. p. pallicera.
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Caractérisation génétique de Glossina
pallicera pallicera circulant dans le foyer de la maladie du sommeil de
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I. REVUE DE LA
LITTERATURE
I.1. Les trypanosomoses animales africaines
La trypanosomose animale africaine, encore appelé
«nagana» lorsqu'elle se développe chez les bovins ou des
chevaux, ou "surra" lorsqu'elle se développe chez les porcs domestiques,
est causée par plusieurs espèces de trypanosomes. Cette maladie
réduit le taux de croissance, la productivité de lait et la force
des animaux, conduisant généralement à la mort de ces
derniers. La maladie débute par une phase d'hyperthermie qui correspond
au premier pic de parasitémie. Deux à trois semaines après
la piqûre infectante, le taux d'hémoglobine et
1'hématocrite chutent, reflétant l'anémie qui est le
symptôme majeur des trypanosomoses bovines. Certaines espèces de
bétail sont trypanotolérantes à cause de leurs
capacités à survivre et se développer, même
lorsqu'ils sont infectés par des trypanosomes (Murray et al.,
1979). Ces espèces animales ont cependant des taux de
productivité plus faibles lorsqu'ils sont infectés (Murray et
al., 1979). Trypanosoma congolense et Trypanosoma vivax
sont les deux espèces les plus importantes qui infectent les bovins
en Afrique sub-saharienne. Trypanosoma simiae provoque une maladie
virulente chez les porcs.
I.2. Historique de la trypanosomose animale africaine
(nagana)
Au milieu du XVème siècle, les explorateurs
portugais rapportèrent que les caravanes assurant le commerce de sel et
d'or entre le désert du Sahara et l'Afrique occidentale devaient, au
niveau du Mali, se débarrasser de leurs dromadaires qui étaient
décimés lors de la traversée des zones à glossines
(Cattand, 2001). Les conquêtes des Maures au XVIIème siècle
furent bloquées au-delà du sud du Sahara à cause des
chevaux qui périssaient suite aux attaques des glossines. Dès
lors, toutes les expéditions s'effectuant à chevaux
étaient freinées dès qu'elles devaient traverser les zones
humides.
Les premières espèces de glossines ont
été décrites en 1830 par Wiedemann (G.
longipalpis) et Robineau-Desvoidy (G. p. palpalis) (Rageau et
al., 1953 ). En 1850, le nom «tsétsé» fut
introduit par Gordon Cumming dans son livre «Five years of a Hunter's Life
in the Far Interior of Africa» ; cette onomatopée était
utilisée par les indigènes au Botswana pour désigner les
mouches, Glossina morsitans, qui décimaient les troupeaux de
boeufs. C'est en 1857 que David Livingstone a évoqué le
rôle des glossines dans la transmission de la maladie ;
soupçonnant qu'elles injectaient un venin à leur hôte. En
1875, Louis Figuier écrivait «cette suceuse de sang
sécrète, par une glande située à la base de sa
trompe, un venin si actif que trois ou quatre mouches suffisent pour tuer un
boeuf».
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Caractérisation génétique de Glossina
pallicera pallicera circulant dans le foyer de la maladie du sommeil de
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Les premiers trypanosomes ont été
découverts dans l'intestin de taons en 1680, dans le sang de truite en
1841, puis chez la grenouille, la taupe et le rat (Morlais, 1998). Leur
intérêt médical ou vétérinaire n'a
été démontré que plus tard. En 1880, Griffith Evans
qui était un vétérinaire de l'armée Indienne, mit
en évidence, chez des chevaux et chameaux malades, le parasite qui sera
nommé plus tard Trypanosoma evansi ; montrant ainsi la
pathogénicité de ce parasite. En 1894, Bruce trouva des
trypanosomes dans le sang de bovins souffrant de nagana. Il réussit
ensuite à infecter des chevaux avec des mouches tsétsé,
démontrant alors le rôle vecteur des glossines (Cattand, 2001).
T. b. brucei fut décrit en 1899 par Plimmer et Bradford.
I.3. La Trypanosomiase humaine africaine
La trypanosomiase humaine africaine (THA) commence
après l'inoculation du trypanosome chez le mammifère par la
glossine. Les trypanosomes se multiplient sur le site de l'infection menant
à une réponse immunitaire: un gonflement ou chancre
détectable sur la peau. Le développement de la maladie peut
être séparé en deux étapes sur la base des
symptômes cliniques observés : la phase hémolymphatique qui
est caractérisée par la fièvre, des maux de tête,
des problèmes articulaires et des démangeaisons ; la phase
neurologique commence lorsque le parasite envahit le système nerveux
central en passant à travers la barrière
hémato-encéphalique. La période d'incubation de la THA
varie de quelques jours à plusieurs semaines ou mois pour T. b.
gambienses (forme aiguë), tandis que chez T. b. rhodienses,
la maladie se révèle souvent fatale dans les 9 à 12 mois,
si le malade n'est pas traité.
I.4. Historique de la THA
Le premier cas de la THA a été enregistré
au 14ème siècle en Afrique et a été
décrit par l'historien Ibn Khaldoun. Cet historien a parlé de la
mort de l'empereur malien, sultan Mari Jata après une maladie
caractérisée par une somnolence diurne prolongé (Williams,
1996). En 1734, l'anglais Akins publie le premier rapport médical sur la
maladie du sommeil où il décrit plus précisément
les stades avancés de la maladie, dénommée «sleeping
distemper» (Cox, 2004). Livingstone (1852), missionnaire écossais
soupçonne la relation entre une mouche et la maladie et rapporte
l'existence de la maladie sur les rives du lac Tanganyika où il perdit
tout le bétail après que celui-ci fût piqué par la
mouche tueuse. En 1901, Forde découvre des trypanosomes (nommés
Trypanosoma gambiense par Dutton en 1902) dans le sang d'un
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malade. Puis, Castellani en 1903 rapporte la présence
du protozoaire dans le liquide céphalorachidien (LCR) de la
majorité des malades. La même année, Bruce fournit la
preuve que la maladie du sommeil est transmise par la mouche
tsétsé. En 1910, Stephens et Fantham décrivent chez un
patient de Rhodésie un nouveau trypanosome Trypanosoma rhodesiense.
De morphologie différente, ce dernier s'avère plus virulent
pour l'homme que T. gambiense et est transmis par la glossine
(Mulligan, 1970). C'est en 1917 que la première équipe mobile de
dépistage de la maladie du sommeil mis sur pied par le Docteur Eugene
Jamot a vu le jour au Cameroun.
L'Afrique a connu trois grandes flambées de la maladie
du sommeil (Laveissière et Penchenier, 2000). La première
commence en 1885 au confluent des fleuves Oubangui et Zaïre et
s'étend jusqu'au lac Victoria. Elle fait près de trois cent mille
et cinq cent mille morts respectivement dans le bassin du Congo et les foyers
Busoka. La deuxième commence en Afrique centrale et s'étend
dès 1920 en Afrique de l'ouest. Devant l'ampleur de la situation, les
autorités coloniales de l'époque prirent des mesures permettant
la création d'équipes mobiles de dépistage et de
traitement, l'instigateur fut le célèbre docteur Eugène
Jamot. La pandémie fut alors maîtrisée. La
réémergence des foyers historiques et l'émergence de
nouveaux foyers marquent la troisième épidémie.
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