Paragraphe 3. LE MANDAT DU HCR EN MATIERE DE
RAPATRIEMENT
VOLONTAIRE
La recherche de solutions durables occupe désormais une
place fondamentale dans les fonctions du HCR33. Le rapatriement
volontaire est l'une des trois solutions durables proposées par le HCR,
au côté de la réinstallation et de l'intégration
locale. La promotion et la coordination du rapatriement volontaire sont
d'ailleurs expressément mentionnées dans le Statut du HCR. Ainsi,
en vertu de l'article premier de son Statut, le HCR s'engage à
«assumer les fonctions de protection internationale en aidant les
gouvernements à faciliter le rapatriement librement consenti de ces
réfugiés»34. Il est en outre stipulé que
le HCR secondera « les initiatives des pouvoirs publics et les initiatives
privées en ce qui concerne le rapatriement librement consenti des
réfugiés. À la lumière de ces dispositions, on
constate que le HCR n'avait initialement pas le mandat d'organiser les
rapatriements, mais qu'il devait simplement assister financièrement et
techniquement les gouvernements dans cette tâche35 Puisqu'elle
consistait tout au plus à faciliter le rapatriement, l'implication du
HCR allait demeurer timide et indirecte jusqu'au début des années
80. Le rapatriement volontaire avait été inclus dans le Statut du
HCR sans véritable conviction qu'il puisse être utilisé sur
une grande échelle. Tel que mentionné plus tôt, le
régime de l'asile visait plutôt à protéger les
réfugiés déplacés pendant la guerre, ainsi que ceux
qui fuyaient les pays d'Europe de l'Est. Le rapatriement des
réfugiés issus des pays d'Europe de l'Est n'était pas une
option envisageable
pour les gouvernements occidentaux. En ce sens, le premier
Haut-Commissaire était lui- même d'avis que la nature du
problème des réfugiés était telle que le
rapatriement volontaire ne constituait pas une solution pertinente. L'inclusion
de dispositions portant spécifiquement sur le rapatriement librement
consenti au sein même du Statut du HCR visait avant tout à
32 FINNEMORE et BARNETT, ibidem. P.91
33 Comité exécutif : « La
nécessité de continuer à répondre aux besoins des
refugiés » ; supra note 8
34 Statut, ibidem, paragraphe7
35HCR ; Note 10 sur la protection des
réfugiés, Doc, NU. P82
éviter que ne se répète la pratique des
rapatriements forcés qui avaient eu cours à la fin de la
Deuxième Guerre. L'intégration locale et, dans une moindre
mesure, la réinstallation dans le pays tiers étaient
perçues comme les réponses les plus appropriées pour
résoudre le problème des réfugiés. Les
considérations économiques, culturelles et stratégiques,
marquées par le climat politique de la guerre froide,
encouragèrent les gouvernements des pays développés
à offrir des statuts d'immigration permanents aux réfugiés
sur leurs territoires36 Alors que la capacité d'absorption
des pays européens était limitée en raison des importants
dégâts provoqués par la guerre, le Canada, les
États-Unis et l'Australie acceptèrent de partager le «
fardeau» de l'asile en réinstallant chez eux des
réfugiés venus d'Europe de l'Est et, plus tard, d'Asie du sud-est
. Tout au long de la guerre froide, les réfugiés étaient
considérés comme des symboles importants de la rivalité
idéologique entre les deux pôles. Le bloc occidental craignait que
l'instabilité générée par les
réfugiés dans les pays en voie de développement ne soit
exploitée par les Soviétiques pour y étendre leur
influence. Les gouvernements des pays occidentaux avaient donc adopté
une attitude accueillante et libérale à l'égard des
demandeurs d'asile sur leurs territoires. Dans ce contexte particulier, le HCR
n'envisageait pas le problème des réfugiés sous l'angle du
retour, mais plutôt en termes d'exil37. La seule solution
envisageable pour les réfugiés était de demeurer en
permanence à l'extérieur de leur pays d'origine. Jusqu'à
la fin des années 70, le rôle de l'organisation consistait
essentiellement à faciliter l'entrée et l'intégration des
réfugiés dans leur pays d'accueil38. Hormis quelques
exceptions, le rapatriement des réfugiés n'était
considéré ni par les gouvernements nationaux ni par le HCR. En
Afrique, la grande majorité des populations réfugiées
s'intégrèrent donc spontanément, mais non forcément
facilement, dans les pays hôtes voisins. Il faut dire qu'à
l'époque, le nombre de réfugiés était nettement
moindre qu'aujourd'hui et que situation politique et économique des pays
d'accueil était alors relativement stable. La présence des
réfugiés sur le territoire des États hôtes
était d'ailleurs perçue comme un phénomène
temporaire. Plus encore, l'accueil des réfugiés issus des luttes
pour l'indépendance était interprété comme un gage
de solidarité entre États africains. Au cours des années
80, le climat d'humanisme qui prévalait auparavant fit progressivement
place à un régime humanitaire beaucoup plus complexe39
Le profil type du réfugié changea de façon draconienne.
Les
36 F. GORMAN et G. KIBREAB ; Repatriation aid and
development Assistance ; Reconceiving international refugee Law, La Haye,
Martinus1997, page 35-39
37ZIECK, « Paradigm of refugees »
note 82, P.34
38 FINNEMORE et BARNETT, op.cit. ; page89
39 René VAN ROOYEN ; Rapatriement :
Solution visible pour les années 90, symposium international tenu du
27-29mars1994 à New York, P.11
20
réfugiés qui cherchaient à gagner les
pays occidentaux n'étaient non plus issus du bloc communiste, mais ils
venaient désormais des pays en voie de développement. La plupart
fuyaient les conflits ethniques, la répression politique ou l'oppression
économique. Par opposition aux réfugiés issus des pays
communistes, on espérait que l'exil de cette nouvelle
génération de réfugiés serait cette fois
temporaire. Le milieu des années 80 connut une véritable
explosion du nombre de réfugiés issus pour la plupart de conflits
alimentés par la rivalité entre les deux superpuissances. Les
pays occidentaux ne furent pas épargnés et ils reçurent
eux aussi un nombre croissant de demandes d'asile en provenance des pays en
voie de développement.
Les pays développés adoptèrent alors une
politique particulièrement restrictive à l'égard des
demandeurs d'asile sur leur territoire, tout en réduisant
considérablement leurs programmes de réinstallation. Plusieurs
gouvernements estimaient que le système d'asile était
utilisé frauduleusement par des individus qui cherchaient tout
simplement à améliorer leurs conditions économiques et
sociales40.Les gouvernements des pays en voie de
développement étaient eux aussi de plus en plus réticents
à intégrer les réfugiés au sein de leur population
locale. En Afrique, certains nouveaux gouvernements commencèrent
à percevoir les réfugiés comme une menace à leur
sécurité nationale et une source potentielle de tensions
.
interétatiquesDu coup, plusieurs refusèrent
d'accorder l'asile aux ressortissants des pays amis
par crainte que cela ne compromette leurs relations
diplomatiques. L'accueil des réfugiés par les États
voisins devint alors un geste controversé et hautement politique. Le
contexte idéologique et géopolitique de l'époque rendait
difficile la réalisation de solutions durables. La capacité
d'intervention du HCR et des Nations Unies en général
était, par la force des choses, fort limitée. Des millions de
réfugiés étaient donc confinés dans des camps
surpeuplés où ils recevaient une assistance minimale. Le
financement continu des camps de réfugiés n'était pas non
plus une option qui plaisait aux pays donateurs. Les programmes de soins et
d'entretien entraînèrent l'explosion des dépenses annuelles
du HCR. À la fin des années 80, les besoins financiers du HCR
pour répondre au nombre croissant de réfugiés
dépassaient largement les montants provenant des contributions
volontaires des pays donateurs41. L'approche traditionnelle du HCR
ne convenait plus aux nouvelles réalités internationales. La
réponse ne résidait désormais plus dans l'asile. Il
fallait trouver des solutions alternatives au
40 Gary TROELLER, « Refugees and Human
Displacement in contemporary international Relations», Tokyo, United
Nation University Press, 2003; P.54
41 LOESCHER, UNHCR, note 15, P110
21
problème contemporain des réfugiés afin
de réduire les coûts générés par l'assistance
prolongée dans les camps. Les États étaient partisans
d'une réponse plus pragmatique et opérationnelle. Avec la fin de
la guerre froide, le rapatriement apparaissait comme la réponse tout
indiquée aux crises des réfugiés. L'accès à
l'indépendance pour la plupart des pays africains depuis les
années 60 rendait en outre possible le retour des
réfugiés. L'Afrique fut alors le théâtre des plus
importantes opérations de rapatriement jamais
effectuées42 . Le rapatriement volontaire devint ainsi
progressivement un aspect clé des programmes de protection du HCR dans
les pays moins développés. Les pays occidentaux sont d'avis que
le rapatriement est la réponse la plus appropriée à un
problème africain qui doit être résolu en Afrique par les
gouvernements africains. Les activités de rapatriement occupent
aujourd'hui une part importante du budget du HCR. Le Comité
exécutif y consacre d'ailleurs une attention accrue depuis 20 ans. Force
est d'admettre qu'un pourcentage de plus en plus important de crises
génératrices de réfugiés se solde par des
rapatriements. Le HCR assume aujourd'hui un rôle de pivot politique et
économique dans le retour et la réintégration des
réfugiés dans leur pays d'origine. Le HCR a donc cessé de
jouer le rôle passif et limité que lui conférait
initialement son Statut. L'Assemblée générale a par
ailleurs élargi les fonctions du HCR en matière de rapatriement
volontaire en lui reconnaissant notamment un rôle actif dans le pays
d'origine. Conformément à son mandat, le HCR est d'abord
chargé d'évaluer la situation dans le pays d'origine afin de
déterminer si les conditions sont propices au retour. De nos jours, le
rôle du HCR en matière de rapatriement peut prendre plusieurs
formes distinctes, allant de la simple facilitation à la promotion
active du retour43.L'approche adoptée par le HCR
dépend de la situation dans le pays d'origine
|