5.3 XXÈME SIÈCLE : SUBURBANISATION ET
PÉRIURBANISATION
Avec le mouvement des cités-jardins lancé en
1898 par Howard à Londres, le XXème siècle, s'annonce
comme celui de la ville générique. Le projet de l'Anglais
relève alors de l'utopisme. D'après son schéma, la ville
est contenue, aux alentours de 30000 habitants et se présente comme une
alternative verte, alors que les centres et les banlieues industrielles
étaient très pollués en Europe de l'Ouest. Le concept de
base repose sur un poumon vert central et une ceinture verte agricole afin de
viser l'autosuffisance alimentaire, qui est par ailleurs appliquée
à l'industrie également, pour des raisons de loisirs des ouvriers
et d'aération. Ainsi, malgré les effets spatiaux des
différents régimes d'urbanisation, il devrait subsister des
parties de ces espaces verts urbains - alors périphériques -
répondant aujourd'hui aux besoins largement présentés
précédemment, et à des formes diverses. Toutefois il
s'agit d'un «urbanisme à coté de la ville ou hors de la
ville» (Corboz, 2001 : 201) qui ne vise pas à une refonte des
territoires urbains existants. D'après Merlin (2009 : 174), le
renouvellement sous diverses formes prend le cas des cités-jardins la
forme de New Towns anglaises réalisées dès 1946,
du plan Abercrombie du Grand Londres (1944) dont le but était de relier
des grands espaces verts urbains et de ceinture verte appliquée à
la capitale du Royaume (1938). A l'étranger, en France, on crée
des villes périphériques similaires mais qui s'écartent du
plan originel de Howard en matière d'autosuffisance et de
densité, le concept de ceintures vertes entourant les métropoles
est largement repris en Europe.
Durant l'entre deux guerre, W.Gropius applique le remplissage
de l'espace non-bâti par le végétal. Dit mouvement
moderne, en relation avec la période architecturale du XXème
siècle, il consiste à définir un ordre de priorité.
Les immeubles et la voirie sont une base et le reste de l'espace peut
être dévolu aux espaces verts. Merlin et Choay (2009 : 358) nous
décrivent un cas typique : «la cité ouvrière de
Siemenstadt à Berlin ne connaît, ainsi, hors du logement, que la
coursive de chaque étage
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et le parc au-dehors». En effet, ce sont
fréquemment des immeubles hauts, avec peu de balcons, rassemblés
autour d'un grand parc qui ont été érigés.
Parallèlement, des espaces militaires sont rendus à la nature un
peu partout en Europe.
Avec la libération de temps pour les loisirs, le
développement des systèmes de transports individuels, collectifs
et les technologies de l'information, la montée en puissance de la
motilité et de la mobilité individuelle a élargi le
territoire référent de la qualité de vie d'un habitat.
Nous entendons par là que la fréquentation de lieux toujours plus
éloignés est devenue possible, augmentant l'aire de chalandise
des espaces verts urbains. D'après Bochet (2005 : 56),
«dès la fin des années 1960, on passe d'un régime
suburbain extensif à un régime périurbain
extensif». En effet, «au niveau local, le nouveau
régime d'urbanisation se définit par des processus complexes et
souvent synchrones d'étalement du champ bâti, de desserrement
sélectif de la population ou de certains équipements et
activités» (Bochet, 2005 : 55). A la fin des trente
glorieuses, la notion d'écologie vient s'intégrer à la
planification urbaine «qui organise dans les esprits et dans la
culture ce passage de la nature comme paysage à celui de nature comme
environnement *...+ la position l'homme s'y redéfinit»
(Décosterd, 2009a : 2) et ce que François Ascher qualifie de
troisième phase du développement de l'urbain «nous
ramène du capitalisme industriel au capitalisme cognitif, de la
société de production de masse à la société
de consommation de masse, de la ville à l'urbanisation
généralisée de l'ère métropolitaine»
(Da Cunha, 2010 : 7).
Du point de vue des espaces verts, l'étalement urbain
engendre des problèmes plus globaux que la consommation de terres
viaires, en effet les régimes de mobilités évoluent et
confèrent de nouvelles fonctions à de nouveaux espaces. En effet,
la périphérie verte est régulièrement
accaparés par les habitants de la ville-centre pour satisfaire leurs
besoins récréatifs et sportifs, la limite ville-campagne devient
ainsi moins nette.
Trouvant ses origines dans le même
phénomène, la spécialisation des espaces
périphériques a partiellement relégué les espaces
verts intraurbains à un rang moins élevé, depuis plusieurs
décennies. En effet, effet principal du dernier rythme d'urbanisation,
«certains services se sont largement exurbanisés ou tout au
moins se sont (ré)installés dans les espaces
périphériques» (Merenne-Schoumaker, 1993 : 133). Ainsi,
se forment des espaces urbanisés de plus en plus étalés,
hétérogènes et fragmentés (Ascher, 1995), que
Bochet (2005 : 55) dénomine «nébuleuse de
centralités secondaires j...] sans véritable limite».
Entourant ces fragments, des espaces verts sont devenus adjacents à ces
nouvelles centralités émergentes. La dilution des fonctions
urbaines, dont celle d'habiter, à des distances toujours plus
élevée du centre, couplée à la faible
accessibilité en
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transports publics de ces lieux distants les uns des autres,
engendrent une saturation des infrastructures routières,
caractère fortement problématique éprouvé par
nombre de métropoles européennes.
Exprimant ce phénomène de manière encore
plus directe, les centres de loisirs, équipement sportifs et aires de
pique-nique se développent également de plus en plus aux portes
de l'urbanisation des métropoles, augmentation la fonctionnalité
des nouveaux espaces verts adjacents, jusqu'à alors faible, car non
équipés en infrastructure (cheminements, bancs, parkings,
couverts, entretien). Cette concurrence envers les parcs et squares, diminue
de facto l'attractivité de ces derniers, et participe
lui-même du processus de périurbanisation. Ce qui est valable pour
l'offre en espaces verts l'est tout autant pour le logement et les emplois. En
effet, leur «redéploiement en périphérie a
conduit à faire baisser l'attractivité du centre ville, ce qui
à son tour a favorisé le déplacement de la population vers
la périphérie» (Bochet 2005 : 58), ce constat
exprimé par Wiel11 en 1999 a des implications sociologiques
importantes. L'augmentation des déconnexions spatiales s'accompagne de
différences grandissantes des valeurs du terrain et des loyers
pratiqués, ainsi que du niveau d'accessibilité entre habitat,
services et loisirs, ce qui provoque une ségrégation spatiale
montante. Cette injustice environnementale tend à être moins
significative avec le fort renouvellement urbain que les centres de villes
connaissent depuis quelques années. En effet, un retour des habitants et
emplois est constaté dans les centres villes (Rérat, 2010,
chapitre 4.1). De facto, cela suppose que l'attrait des espaces verts
intraurbains augmente dans les années à venir.
Globalement, le nouveau régime d'urbanisation extensif
implique une «déprise démographique des centres urbains qui
se poursuit depuis trois décennies, alors que les couronnes suburbaines
et périurbaines enregistrent des taux de croissance positifs de leurs
couronnes» (Bochet, 2003 : 61). D'après l'évolution de leurs
populations, les métropoles européennes sont
particulièrement touchées par ce phénomène.
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