PREMIERE PARTIE
LA MANIFESTATION DU SYNDROME HOLLANDAIS DANS L'ECONOMIE
GABONAISE
L'expression « syndrome hollandais » ou « Dutch
Disease » a été utilisée pour la première fois
dans un article publié en 1977 par la revue anglaise « The
Economist ». Dans cet article, la revue anglaise décrit le
contraste que présente l'économie hollandaise après le
premier choc pétrolier : des comptes extérieurs largement
excédentaires et une conjoncture économique interne plutôt
morose, caractérisée par la stagnation de la production
industrielle, la chute de l'investissement brut privé et la baisse de
l'emploi, particulièrement dans le secteur manufacturier. Dans une
certaine mesure, le phénomène qualifié de « syndrome
hollandais » a également été identifié en
Australie, suite au développement du secteur minier, et dans les pays de
l'Asie du Sud-Est, confrontés à des afflux de capitaux avant
1997. Dès le début des années 80, plusieurs modèles
de « syndrome hollandais » ont été
élaborés pour expliquer les transformations économiques
survenues dans les pays en développement exportateurs de pétrole
après les hausses importantes des cours du brut de 1973 et de 1979.
L'explication des changements structurels opérés dans
l'économie gabonaise se rapproche à une différence
près du modèle de « Dutch Disease » proposé par
W. M. Corden et J. P. Neary dans une étude publiée en 1982 et
cité par J.-P. Koutassila (1998)1. Dans ce modèle, les
auteurs expliquent les changements structurels provoqués par le secteur
en boum par deux effets : un effet de dépense (spending effect) et un
effet de ré-allocation de ressources (resource movment effect).
Après avoir présenté dans un premier chapitre les
déséquilibres structurels provoqués par les revenus
pétroliers dans l'économie gabonaise, nous tenterons dans un
deuxième chapitre d'expliquer, suivant le modèle de Corden et
Neary, les mécanismes macroéconomiques qui sont à
l'origine de ces distorsions sectorielles.
13
1 J.-P. Koutassila (1998), « Le syndrome
Hollandais : théorie et vérification empirique au Congo et au
Cameroun », Centre d'économie du développement
(CED), Document de travail, n° 24, pp.7-8.
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CHAPITRE I
LES DESEQUILIBRES STRUCTURELS DE L'ECONOMIE
GABONAISE
La manifestation du syndrome hollandais dans l'économie
du Gabon est mise en évidence par la présence de graves
déséquilibres structurels qui sont plutôt le
résultat dans ce pays de l'abondance de revenus pétroliers depuis
près de quatre décennies. Le présent chapitre analysera
successivement les caractéristiques de la structure de production et les
distorsions des échanges du pays avec l'extérieur.
Section 1 : Les caractéristiques de la structure
de production
L'économie gabonaise présente deux
caractéristiques essentielles qui rendent compte des transformations
structurelles engendrées par l'activité pétrolière
: la faible diversification de la structure de production et le
caractère peu intégré du pétrole au reste de
l'économie.
Paragraphe 1 : Une structure de production faiblement
diversifiée
L'analyse de l'évolution de la structure du produit
intérieur brut (PIB) du Gabon, telle que présentée dans le
tableau 1 ci-après, souligne la prédominance dans
l'activité économique du pays des industries extractives, et
principalement des hydrocarbures. En effet, le secteur des industries
extractives a toujours occupé plus de 46 % du produit intérieur
brut (P113) du Gabon, mais ce secteur est dominé par les industries
pétrolières dont la part dans le produit intérieur brut
(P113) représente 49,6 % en 1980 et 47,1 % en 1996.
En revanche, malgré leur caractère vital,
l'agriculture, l'élevage et la pêche demeurent des
activités marginales au Gabon au regard de leur très faible part
dans le produit intérieur brut (P113) de ce pays, soit 4 % en 1974 et
4,8 % en 2001. En effet, l'agriculture, qui soufre d'une carence cruelle de
moyens modernes de production conjuguée au vieillissement de la
population rurale et à l'exode des jeunes vers les villes, a toujours
été reléguée à la lisière de
15
l'autosubsistance, malgré l'importance souvent
accordée à ce secteur à travers les discours
politiques.
Tableau 1 : Evolution de la structure du PIB par
secteur (en %)
|
1974
|
1980
|
1989
|
1996
|
2001
|
Secteur primaire
- Agriculture, élevage et pêche
|
4
|
3,8
|
8,1
|
4,7
|
4,8
|
- Forêt et industries du bois
|
4
|
1,2
|
1,7
|
3,2
|
3
|
Secteur secondaire
- Industries extractives
|
50
|
54,4
|
46,1
|
49,1
|
47,4
|
dont pétrolières
|
(46)
|
(49,6)
|
(39,4)
|
(47,1)
|
(45,1)
|
- Industries manufacturières et énergies
|
6
|
6,7
|
7,1
|
5,8
|
5,9
|
- Bâtiments et travaux publics
|
8
|
6
|
4
|
3,6
|
2,3
|
Secteur tertiaire
- Commerce
|
7
|
8
|
7,8
|
8,1
|
8,4
|
- Transport et télécommunications
|
3
|
3,5
|
4,9
|
5,6
|
5,8
|
- Administration publique
|
5
|
7,2
|
11,6
|
8,9
|
9,4
|
- Autres services
|
13
|
9,2
|
8,7
|
11
|
13
|
Source : Estimations de l'auteur sur la base des
données de la BEAC : « Etudes et statistiques », n° 265,
Juillet-Septembre 2002 ; ainsi que celles de la DGE présentées
par H. A. B. Chambrier (1990) : L'économie du Gabon. Analyse,
politiques d'ajustement et d'adaptation, Economica, pp. 32-35.
On relève également un faible
développement des industries manufacturières et de
l'énergie dont la part dans le produit intérieur brut (PIB) a
légèrement baissé, passant de 6 % en 1974 à 5,9 %
en 2001. En faisant l'examen de la structure par branche du secteur
manufacturier du Gabon, S. Ahmed (1989)1 souligne le poids important
du raffinage pétrolier, des industries alimentaires et des boissons dans
la valeur ajoutée et la quasi inexistence des industries complexes. Par
contre, on relève une tertiairisation de l'économie avec la part
de plus en plus importante dans le produit intérieur brut (PIB) du
commerce (7 % en 1974 et 8,4 % en 2001), du transport et des
télécommunications (3 % en 1974 et 5,8 % en 2001) et de
l'administration publique (5 % en 1974 et 9,4 % en 2001).
1 A. Sid Ahmed (1989) : Economie de
l'industrialisation à partir des ressources naturelles (I.B.R.), Tome II
: le cas des hydrocarbures, Publisud, Paris, p. 182.
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