République Démocratique du
Congo
ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITAIRE ET RECHERCHE
SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE LIBRE D'UVIRA ET DES GRANDS LACS, ULUGL
ulugluvira@gmail.com
ULUGL
est régit par l'arrêté ministériel
N°133/MINESURS/CAB.MIN/BCL/CD/SNK 2013 du 23/10/2013
EN PARTENARIAT UNIVERSITAIRE AVEC
L'AIDE AU DEVELOPPEMENT PEUT-ELLE CONTRIBUER AU
DEVELOPPEMENT DURABLE D'UN PAYS ?
« CAS DE L'AFRIQUE NOIRE»
Par NABONA BISIMWA Jean-Paul
Mémoire du 3ème cycle
présentée en vue de l'obtention de titre de Master en
Science Sociale et Développement
Communautaire,
Spécialité : Gestion et Administration
des Projets
Directeur : RAMAZANI BISHWENDE Augustin
Professeur Docteur2 à l'Université d'Ottawa
(Canada)
Spécialités :
- Sciences sociales (S.P.A)
- Théologie et
développement
Encadreur : Blaise MUKAMBA NGANDU
Professeur Docteur à l'Université
Francophone des Grands Lacs
Spécialités :
- Philosophie politique et stratégies de
développement
- Marketing et management de développement
- théologie
(c) ANNEE UNIVERSITAIRE 2012
IN MEMORIAM
A la mémoire de mon défunt père,
Réverant Pasteur BISIMWA-WA-KANGERE Benson,
rappelé si vite auprès de l'Eternel Notre Dieu tout
puissant à l'age 57 ans; Pour son amour sans égal qu'il n'a
cessé de porter à sa progéniture jusqu'au jour de son
passage entre Ciel et terre des hommes. Son amour l'a bien orienté
à consentir d'énormes sacrifices pour la morale et
l'éducation de ses enfants.
NABONA BISIMWA Jean-Paul
DEDICACE
A ma mère, MAGDELENNE , par sa grande probité
morale et spirituelle son sens élevé de responsabilité
ayant fait de nous les hommes utiles à nous, à notre famelle et
à toute la nation congolaise;
A mes frères et soeurs; BIKA SELEMANI, CHANCE BISIMWA,
SAMMY BISIMWA, LINDA BISIMWI Beneditte, UZIA BISIMWA Rachel, la Joie ZAWADI
;
A ma chère épouse, TAMULIZA BERTHA
Bernadette,
A mes enfants; BISIMWA Prodige et NARCISSE NABONA
NABONA BISIMWA Jean--Paul
REMERCIEMENTS
Nos remerciements s'adressent d'abord à Dieu tout
puissant créateur des cieux et de la terre et père de notre
seigneur et sauveur Jésus christ, c'est par sa grâce que ce
travail est arrivé à terme.
Nos remerciement s'adressent en second lieu aux
autorités académiques du Partenariat interuniversitaire
(Université Francophone des Grands Lacs et Université Libre
d'Uvira et du Grands Lacs) qui, par leur sacrifice, l'institution a eu des
renommés nationales et internationales. Que Dieu vous comblent de ses
bénédictions.
Nous remercions ensuite le college des directeurs de ce
travail, Prof. MUKAMBA NGANDU Blaise et
Prof. RAMAZANI BISHWENDE Augustin, qui se sont
donné corps et âme pour nous orienter à bien faire cette
oeuvre scientifiques. Qu'ils reçoivent avec gratitude l'expression
cordiale, chaleureuse et sincère de notre reconnaissance.
A vous tous, personne de bonne olonté que nous
avons associées aussi et tous nos professeurs auprès de qui nous
avons demandés conseils et expertises pour ce travail.
Nous adressons enfin nos remerciement à :
Nos Collègues membres du conseil de gestion de
l'ULUGL : MATABISHI RASHIDI, MASUMBUKO KIBILO, RUNIA ERENI, BAFUNYEMBAKA
LWABOSHI Jacques...,
A vous tous que nous avons tacitement oubliés de citer
nommément dans ce travail,
Trouvez ici nos gratitudes les plus distingué
Merci.
NABONA BISIMWA Jean--Paul
RESUME DU MEMOIRE
L'aide vise à promouvoir la croissance
économique dans les pays en développement pour éradiquer
la pauvreté. L'Afrique sub-saharienne en est la principale région
bénéficiaire. Elle est également la région
où la pauvreté augmente le plus. Pour élucider ce
paradoxe, une étude empirique de l'efficacité de l'aide dans la
région a été menée dans cette thèse. Elle
conclut que l'aide est inefficace. Les raisons souvent évoquées
pour expliquer l'inefficacité de l'aide au développement reposent
sur les trappes à pauvreté et l'insuffisance de l'aide. Nous
montrons ici qu'il faut aller au-delà de ces explications
traditionnelles; en considérant notamment les effets incitatifs de
l'aide.
A travers un modèle analytique des effets d'incitation,
nous montrons que l'aide extérieure peut inciter le receveur à
augmenter sa consommation au détriment de l'investissement. Elle peut en
outre désinciter le receveur à améliorer la qualité
de sa gouvernance. Nos analyses empiriques des effets désincitatifs de
l'aide vis-à-vis de la consommation, l'investissement et de la
qualité de la gouvernance soutiennent l'existence en Afrique
sub-saharienne des effets pervers suggérés.
l'aide encouragerait les mauvais investissements, une
augmentation de la consommation qui se ferait au profit d'une classe de
privilégiés et plus généralement, une gouvernance
de mauvaise qualité. Cette situation est liée à la
politique des donateurs qui conduit à des problèmes
d'anti-sélection et d'aléa de moralité, constituant une
explication fondamentale de l'échec de l'aide en Afrique. Nos
conclusions plaident pour une aide multilatérale soumise à des
conditions, pour créer les «bonnes incitations» chez le
receveur
ABSTRACT
Development aid is aimed at promoting economic growth in
developing countries for poverty eradication. Sub-Saharan Africa is the main
aid recipient in the world. It is also the region where poverty increases the
fastest. To clarify this paradox, we undertook an empirical analysis of aid
effectiveness in the region. The results of this study suggest that aid is
ineffective in promoting economic growth in the region. How can aid failure in
Africa be explained? The common explanation of aid ineffectiveness lies in
poverty traps and insufficient aid.
We have demonstrated in this thesis that we must go beyond
this traditional explanation of aid failure, by considering especially the
incentive effects aid can generate. We have developed an analytical framework
to study aid incentive effects on the recipient's behavior. Through this
framework, we have demonstrated that aid can incite the recipient to increase
his consumption and to reduce the domestic investment. Moreover, foreign aid
incentive effects might worsen the governance quality in the recipient's
country. Our empirical analysis of aid adverse effects on consumption,
investment and governance in Sub-Saharan Africa support our theoretical
suggestions. Foreign aid encourages poor investments, an increase of
consumption in favor of small «ruling groups» and generally, poor
governance.
This situation is tied to the donors' aid policies, which lead
to adverse selection and moral hazard problems. These issues are fundamental in
the explanation of aid failure in Sub-Saharan Africa. The thesis' conclusion
calls for a more multilateral aid which should have conditions, to generate
«good incentives» in the recipient's country.
INTRODUCTION GENERALE
« A moins que les philosophes ne deviennent Rois dans
les Etats ou que ceux qu'on appelle à présent Rois et Rouverains
ne deviennent de vrais et sérieux Philosophes, et qu'on ne voit
réunies dans le même sujet la puissance publique et la
philosophie, à moins que d'autre part une loi rigoureuse n'écarte
des affaires la foule de ceux que leurs talents portent vers l'une ou l'autre
exclusivement, il n'y aura pas de relâche aux maux qui désolent
les Etats, ni Même je crois, le genre humain ».
Platon, La République
PROLEMATIQUE
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la situation
politico-économique mondiale a
connu de profondes mutations. On assistait alors à un
déclin progressif des empires coloniaux, en même temps que la
bipolarisation de l'atmosphère politique marquée par la puissance
hégémonique des Etats-Unis. Les pays industrialisés
entrèrent dans une phase de reconstruction d'après guerre avec
des taux de croissance économique record. Parallèlement à
cet essor, les nouveaux pays indépendants ont du mal à
s'insérer dans l'économie mondiale. La plupart de ces nouvelles
économies stagnaient. D'autres encore régressaient. Elles
enregistraient des taux de croissance négatifs. Plusieurs auteurs ont
alors essayé d'expliquer leurs difficultés de croissance. Evsey
Domar (1946), à partir de l'exemple des écarts de croissance
économique entre les différents Etats américains, fait
remarquer dans son article intitulé « Capital Expansion, Rate of
Growth, and Employment » que la capacité de production d'une
économie est proportionnelle a son stock de capital. De là, on
tire une conclusion importante : si certaines économies connaissent des
difficultés de croissance, c'est parce qu'elles sont pauvres et qu'elles
ont un stock de capital faible. En plus, les économies en
difficultés ont un niveau d'investissement faible. Dans ces conditions,
elles ne peuvent pas croître au même rythme que les autres. Lorsque
l'investissement réalisé est trop faible, l'économie va
régresser. L'article de Domar a connu un écho favorable dans les
milieux économiques et politiques. Il est aujourd'hui
considéré comme l'élément instigateur de la
politique d'aide internationale, en faveur des pays pauvres. En effet, trois
ans après cette publication, le 20 janvier 1949, Harry S.
Truman, alors président des Etats Unis, annonçait
au quatrième point de son discours-programme: "Nous devons embarquer
dans un ardent nouveau programme pour rendre les avantages de nos
avancées scientifiques et progrès industriels disponibles pour
l'amélioration et la croissance des régions
sous-développées. Plus de la moitié de la population du
monde vit dans des conditions proches de la misère. Leur alimentation
n'est pas bonne. Ils sont victimes de maladies. Leur vie économique est
primitive et stagnante. Leur pauvreté est un handicap et une menace
à la fois pour eux-mêmes et pour les régions
prospères. Pour la première fois dans l'histoire,
l'humanité possède le savoir et l'habileté de soulager la
souffrance de ce peuple"1
Ce fut là le premier appel dans l'histoire de
l'humanité à l'assistance internationale en temps de paix. Cet
appel historique, va donner naissance à une politique, jusque là
inconnue : l'aide internationale au développement. Les Etats Unis ont
alors pris le devant de la politique d'aide aux pays en difficultés.
Entre 1950 et 1955, environ 2 milliards de dollars US ont été
octroyés aux
1 Traduction de l'auteur du mémoire
pays pauvres sous la forme d'aide internationale au
développement. L'objectif de l'aide publique au développement est
donc clairement défini:
La lutte contre la pauvreté dans le monde. C'est du
moins ce qui est spécifié dans la déclaration du
président Truman. Et cela doit passer par la croissance
économique des régions sous développées (selon
cette même déclaration). Si l'aide finance l'investissement dans
les pays pauvres, elle accroît leur stock de capital. Puisque la
capacité de production est proportionnelle au stock de capital (Evsey
Domar, 1946), l'aide va promouvoir la croissance économique dans les
pays en difficultés; et par là, le développement
mondial2.
La capacité de l'aide à promouvoir le
développement ne semblant présenter aucun doute, une question
fondamentale s'est posée. Celle de savoir le montant d'aide
nécessaire pour induire une croissance régulière dans les
pays pauvres afin de lutter efficacement contre la pauvreté. C'est alors
qu'en 1951, le groupe des experts des Nations Unis s'est penché sur
l'évaluation des besoins d'aide à l'échelle mondiale. Il
montre qu'une augmentation du revenu national par tête de 2% en moyenne
ne peut être obtenue dans les pays pauvres sans un apport en aide
internationale de plus de trois milliards de dollars US par an. Walt Rostow
(1960) à son tour, utilisa le modèle de croissance Harrod Domar
pour évaluer le montant d'aide nécessaire pour le
décollage des économies en difficultés. Il montre qu'une
augmentation de 4 milliards de dollars US en aide extérieure serait
requise pour induire en Asie, Afrique et Amérique latine une croissance
régulière. Pour certains auteurs comme Rosenstein Rodan (1943,
1961) et Regnar Nurkse (1953), le problème des pays pauvres est beaucoup
plus profond. Ils seraient enfermés dans un cercle vicieux
caractéristique du sous développement. Une faible augmentation de
l'investissement ne saurait leur éviter les difficultés de
croissance économique. Il faut que l'aide soit suffisamment
élevée pour leur permettre de briser le cercle vicieux de la
pauvreté. C'est seulement à cette condition qu'on pourra
éliminer la pauvreté dans le monde. En effet, selon Rosenstein
Rodan (1943, 1961) il existe un seuil donné de capital par tête en
deçà duquel un pays est condamné à rester pauvre.
C'est le seuil du piège à sous développement. Pour qu'ils
puissent croître et se développer, l'aide international doit leur
permettre de booster leur stock de capital par tête au delà de ce
seuil (seuil de trappe à pauvreté). C'est ainsi que Rosenstein
Rodan (1961) propose qu'on procède à un « big
push»3 pour l'ensemble des pays pauvres. C'est à dire
qu'on leur apporte une aide rapide et massive qui selon l'auteur, est le seul
moyen pour éliminer la pauvreté dans le monde. Ces appels en
faveur de l'augmentation de l'aide ont eu un écho favorable dans le
monde entier. Le succès éclatant du plan Marshall en Europe et
l'essor des économies d'Europe occidentale qui a suivi ce plan ont
permis de libérer des ressources supplémentaires pour le
financement de la politique d'aide étrangère. Les gestes de
générosité en faveur des économies en
difficultés furent sans précédent. Tous les «
nouveaux riches » se sont vite engagés dans la politique d'aide au
développement en y consacrant une part de leur revenu. Les institutions
de Brettons Woods, au début constituées pour la reconstruction du
monde d'après la grande guerre de 1939-1945, vont vite se tourner elles
aussi vers la promotion du développement économique et la lutte
contre la pauvreté dans les pays du Tiers-monde. L'aide devient ainsi le
plus vaste programme de l'humanité. Que ce soit de la Banque Mondiale
(BIRD), du Fond Monétaire International (FMI), des pays
industrialisés d'Europe, d'Amérique du Nord, du Japon... les pays
sous développés bénéficient aujourd'hui d'apports
variés et énormes en aide étrangère. Même si
l'objectif noble de réduction de la pauvreté semble être la
principale motivation de l'aide4, la bipolarisation du monde qui a
suivi la deuxième guerre mondiale va vite lui conférer un
caractère politique. L'aide internationale devient vite un
élément indissociable de la politique étrangère.
2 Dudley Seers (1969) définit le
développement comme l'élimination de la pauvreté.
3 Le terme « big push » est anglais. Il
est utilisé pour illustrer un « grand saut » que fait
l'économie Grâce à l'aide internationale (qui la pousse
pour le saut), pour sortir de la trappe à pauvreté.
4 www.nations--
unies.org/objectifs du
millénaire pour le développement
- L'endiguement de l'expansion du communisme n'est-il
d'ailleurs pas une motivation de l'aide américaine dès le
départ? Même si depuis longtemps l'atmosphère politico
économique mondiale a connu de profondes mutations, l'aide en tant
qu'élément de politique étrangère a très peu
varié. Elle est aujourd'hui encore au carrefour de la manifestation de
l'égoïsme et de la générosité des plus nantis.
C'est ainsi que très tôt, des voix se sont levées contre la
politique d'aide étrangère. En effet, certains auteurs comme Ivan
Illich, François Partant, Serge Latouche, François-Xavier,
Vershave... et aujourd'hui des associations comme ATAC et les Tiers-mondistes
qualifient l'aide internationale de «désastre». Ils voient en
elle, un instrument au service des grandes puissances, une nouvelle forme
d'exploitation des pays les plus pauvres, au profit des pays les plus
développés. D'autres encore comme Peter Bauer, Milton Friedman,
Jacob Viner, Gottfried Haberler, Griffin, Berg,... la considèrent comme
une politique qui crée des «inefficiences» dans
l'économie mondiale. Ces opinions contradictoires amènent
à s'interroger sur les bienfaits de l'aide étrangère.
Depuis plus de 50 ans, l'aide internationale sous forme de
prêts et/ou de dons a financé beaucoup de projets et programmes
dans les pays du Tiers-monde. Que ce soit dans le domaine éducatif,
médico-social, économique, des infrastructures, de
l'équipement et même culturel, l'aide aux pays pauvres a
été énorme. Les pays d'Europe de l'Est, d'Asie,
d'Amérique latine, ceux issus de la dislocation de l'ex URSS, et
d'Afrique en ont tous bénéficié. L'aide au
développement devrait rendre dynamique l'activité
économique dans les pays récipiendaires, entraîner des
progrès sociaux, soulager la souffrance des populations pauvres,
soutenir le développement de façon durable. Certains pays, tels
Hong Kong, Corée du Sud, Taiwan, Singapour, ... souvent
désignés sous le nom de « dragons d'Asie » ont su faire
leur décollage économique, tant par leur industrialisation que
par l'amélioration de leur revenu par tête, passant de quelques
centaines de dollars dans les années 1950 à plus de vingt-mille
dollars de nos jours. D'autres comme le Brésil et les pays d'Europe de
l'Est amorcent de profonds changements sur plusieurs plans : économique,
social... D'autres encore comme la Chine et l'Inde enregistrent aujourd'hui des
taux de croissance économique record, entraînant une baisse
drastique du nombre de pauvres dans ces pays.
Même si le miracle asiatique de nos jours, notamment le
développement de la Chine, l'Inde et l'Indonésie ne peut
être assimilé exclusivement aux effets bénéfiques de
l'aide international, le développement du Singapour, de Taiwan et de la
Corée du Sud est souvent cité comme réussite de l'aide
internationale. Le décollage de ces dragons d'Asie est
considéré comme des cas écoles en matière de la
promotion du développement à partir de l'aide
étrangère.
Considérons l'exemple de la Corée du Sud. Le
pays s'est largement développé en l'espace de trente ans,
grâce à des financements internationaux. Entre 1945 et 1961, la
Corée du Sud n'a pas reçu d'investissements privés
étrangers. Elle a bénéficié de 3,1 milliards de
dollars US d'aide des Etats-Unis sous forme de dons5. Cette somme
représente tout l'apport extérieur reçu. Elle est tout
à fait considérable: c'est plus du double du montant d'aide que
le trio formé par la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas a
reçu pendant le plan Marshall; un tiers de plus que le montant
octroyé à la France, 10% de plus que la Grande Bretagne. La
Corée du Sud a développé avec l'aide américaine
reçue, son infrastructure routière, les équipements de
santé et d'éducation qui faisaient cruellement défaut. A
partir de 1962, la Corée a commencé par emprunter auprès
des institutions financières internationales et à recevoir
d'investissements étrangers. Le pays contracte son premier prêt
auprès de la Banque mondiale en 1962 et signe un premier accord avec le
FMI en 1965. Sur la période 1962-1966, les dons américains ne
représentent plus que 70% du total des capitaux entrés dans le
pays. Les emprunts représentent 28% sur la
5 Mahn-Je Kim, «The Republic of Korea's successful
Economic Development and the World Bank» in Kapur Devesh, Lewis John P.
and Webb Richard (1997), «The World Bank, Its First Half Century»,
Volume 2: Perspectives, Brookings Institution Press, Washington, D.C.,
p. 25. Voir Regalement US Overseas Loans and Grants
(Greenbook). On peut aussi consulter le site web suivant :
http://qesdb.cdie.org/gbk/index.htlm
même période et les investissements
étrangers 2%. Les Etats-Unis poussent la Corée à nouer des
relations économiques avec le Japon, avec qui l'Etat coréen passe
un accord de coopération sur dix ans (1965-1975). Le Japon lui octroie
par cet accord une aide économique de 500 millions de dollars dont 300
millions sous forme de dons.
Entre 1960 et 1990, l'aide a permis de développer
l'agriculture coréenne notamment par l'amélioration des
variétés végétales, la maîtrise de l'eau qui
a favorisé la pratique de l'irrigation, l'utilisation intensive de
l'engrais, l'organisation de formations et l'encadrement des agriculteurs. Ces
mutations se sont opérées dans le cadre de programmes publics
financés grâce à l'aide étrangère, et ont
permis à la production du secteur agricole de connaître une
progression annuelle de l'ordre de 4%. L'augmentation de la production agricole
a entraîné une augmentation des recettes de l'Etat grâce aux
impôts et taxes (principalement en provenance des paysans). Deux sources
principales vont alors alimenter les caisses de l'Etat coréen : les
recettes d'impôt et l'aide extérieure fournie principalement par
les Etats-Unis.
Dans les années soixante et jusqu'au milieu des
années soixante-dix, l'Etat coréen a encouragé les
industries lourdes comme la construction navale et la pétrochimie. Plus
récemment, il a stimulé l'industrie des machines-outils,
l'électronique et la biotechnologie. L'Etat a largement financé
les organismes de recherche. Il a aussi créé des
sociétés industrielles en s'associant avec des capitaux
privés locaux et des multinationaux. L'Etat coréen a
favorisé le développement des sociétés
d'ingénierie locales en demandant aux industriels dès 1969, de
renoncer aux importations de matériel dans le cadre de contrats «
clé en main », en créant une banque destinée à
financer la vente de services d'ingénierie coréens à
l'étranger. La Corée a ainsi développé ses
exportations. Mais il faut ajouter les commandes du corps
expéditionnaire états-uniens au Vietnam des débuts des
années soixante-dix. Celles-ci représentaient à elles
seules 20% des exportations sud-coréennes. Ce n'est qu'à partir
des années 1980 que les investissements étrangers sont devenus
importants en Corée, alors que le pays a déjà
réussi son industrialisation et son décollage
économique.
En somme, la réalisation du progrès
économique et des externalités positives sans lesquelles aucune
entreprise ne peut prospérer n'a été possible en
Corée du Sud que grâce à une aide extérieure massive
sous forme de don essentiellement et provenant principalement des Etats-Unis.
L'aide internationale a donc aidé le développement de la
Corée du Sud. L'exemple de la Corée du Sud illustre la situation
générale concernant la réussite de l'aide en Asie,
notamment pour les « dragons » et « bébés dragons
».
Paradoxalement, les pays d'Afrique sub-saharienne en
général, qui bénéficient aussi d'aide
internationale depuis leur indépendance, n'ont pratiquement pas
évolué de leur situation initiale après un
demi-siècle d'aide au développement. Beaucoup de pays ont
même régressé. A titre d'exemple, le Nigeria, grand pays
producteur de pétrole a aujourd'hui un revenu par habitant
inférieur à celui de 1960.
A l'opposé des succès éclatants de l'aide
internationale en Asie, il y a des échecs cuisants et
répétés dans plusieurs pays Africains en dessous du Sahara
comme la Zambie, l'ex Zaïre (actuel RDC), la République
Centrafricaine, le Congo, la Mauritanie, le Togo, la Guinée Bissau, ...
Dans presque tous les pays africains en dessous du Sahara, le décollage
économique espéré grâce au financement
extérieur ne s'est pas opéré et l'aide internationale au
développement n'a laissé derrière elle que des dettes
colossales. En effet, la plupart des pays africains ploient aujourd'hui sous
d'énormes dettes. A titre d'exemple, en 2000, la dette du
Sénégal représentait environ 80% de son PIB (source:
Banque Mondiale 2006).
Dans les années 1980, une grave crise d'endettement a
secoué presque tous les pays bénéficiaires d'aide au
développement. Elle a conduit à la mise en place sous
l'égide du FMI et de la Banque mondiale des programmes d'ajustement
structurels (PAS), financés une fois encore par l'aide internationale.
L'objectif visé par ses programmes est de rétablir pour tous les
pays en développement, l'équilibre budgétaire ;
considéré comme nécessaire pour le redressement
économique et pour la relance de la croissance.
Malheureusement, les années qui ont suivi la mise en place des PAS ont
été les plus sombres ; surtout pour les économies
africaines. Le décollage économique a une fois encore
manqué le rendez-vous et on observe parallèlement à la
mise en oeuvre des programmes d'ajustement structurels, une augmentation rapide
de la pauvreté. En l'espace de 20 ans, entre 1981 et 2001, le nombre des
personnes extrêmement pauvres (vivant avec moins de 1$ par jour) a
presque doublé en Afrique sub-saharienne, passant de 164 à 314
millions ndividus. Les initiatives PPTE (Pays Pauvres Très
Endettés) et PPTE-renforcée entreprises plus tard n'y ont rien
changé. L'augmentation inquiétante de la pauvreté va
entraîner à partir des années 1990, une
réorientation de l'aide au développement qui doit
désormais être centrée sur la fourniture de biens et
services publics favorables aux pauvres. L'Afrique sub-saharienne où le
problème de la pauvreté est plus épineux occupe une place
importante dans tous ces programmes de développement financés par
l'aide internationale. Et pourtant, les pays de la région font
aujourd'hui encore, figures des plus pauvres de la planète et le nombre
total de pauvres vivants en Afrique sub-saharienne ne cesse d'augmenter.
Ainsi, malgré les nombreux efforts de
développement en direction de l'Afrique sub-saharienne, la situation ne
s'est guère améliorée. Au contraire, on y note une
dégradation de la situation économique et sociale, amenant
à l'extrême pauvreté. Plus de la moitié de la
population totale de la région vit aujourd'hui sous le seuil de
pauvreté extrême. La famine, la malnutrition, les maladies des
mains salle... gagnent le terrain en Afrique sub-saharienne. Et pire encore, la
plupart des pays de la région connaissent toujours des taux de
croissance négatifs. Le taux de croissance moyen du revenu par
tête entre 1975 et 2005 est de : -0.59% pour le Togo, - 1.1% pour la
République Centrafricaine, -2.22% pour la Zambie; -1.7% pour l'Ethiopie
entre 1973 et 1998 ; et -2.85% pour la République du Congo entre 1985 et
2000 pour ne citer que ceux-là. Les estimations sur l'Afrique
révèlent que le nombre de pauvres augmente de plus de six
millions chaque année. L'augmentation de la pauvreté
parallèlement à la politique d'aide au développement ainsi
que les problèmes liés à l'endettement des pays
aidés vont dans les années 1990, conduire l'aide dans une crise
de légitimité sans précédent. Un lourd débat
sur l'aide, son efficacité, ses conditions et la dette s'est alors
développé depuis ce temps. L'Afrique sub-saharienne où les
estimations sont les plus pessimistes est placées au coeur de ce
débat. Plusieurs études ont essayé de traiter tel ou tel
aspect du problème. La question de la trappe à
sous-développement dans laquelle se trouverait l'Afrique sub-saharienne
est aujourd'hui bien documentée. Cependant, il y a un manque d'analyses
approfondies sur l'efficacité de l'aide et les raisons de la trajectoire
de développement actuelle de l'Afrique sub-saharienne malgré
l'aide. La nécessité de combler un tel vide justifie la
réalisation de cette Thèse de Master complémentaire.
Plusieurs questions se posent alors, en matière d'aide
au développement pour l'Afrique:
1. L'aide au développement promeut-elle le
développement en Afrique sub-saharienne?
2. Pourquoi malgré les énormes capitaux d'aide
internationale consacrés à l'Afrique sub-saharienne, la
pauvreté n'y recule-t-elle pas?
3. Le consensus d'après guerre, selon lequel les flux
d'aides internationales devraient accroître l'investissement dans les
pays pauvres où l'épargne est faible et favoriser la croissance
économique est-il à ce point erroné?
4. Pourquoi les pays Africains ont-ils échoué
là où d'autres (comme par exemple la Corée du Sud, Taiwan,
la Taillande, Indonésie, Brezile et autres...) ont réussi?
5. En quoi réside l'inefficacité de l'aide au
développement en Afrique sub-saharienne?
HYPOTHESES
-- L'aide au développement serait un atout pour le
développement d'un pays dont son économie ne pas encore à
la phase du décollage,
-- L'afflux des capitaux sous forme d'aide au
développement en Afrique sub-saharienne serait l'objet d'une certaine
malversation de toute forme de la part des gouvernements en place et certaines
personnalités au pouvoir,
-- L'Afrique sub-saharienne serait encore inapte à
concilier les différentes théories internationales de
l'économie à la pratique quotidienne pour la survie d'un Etat.
-- L'inefficacité résiderait dans la gestion et
l'affectation de cette aide une pour juguler les vraies problèmes de
développement
OBJECTIFS DU THESE
L'objectif poursuivi dans cette Mémoire du Master
complémentaire est double:
a. d'abord analyser les fondements de l'efficacité de
l'aide au développement en centrant l'étude sur l'Afrique
sub-saharienne où la situation est plus alarmiste;
b. Identifier ensuite les raisons pour lesquelles la situation
de l'Afrique se détériore malgré l'afflux de l'aide au
développement, afin de formuler des recommandations de politiques
économiques pour l'avenir.
DEMARCHE METHODIQUE
La méthodologie sera diversifié selon la partie
1 ou 2 de cette thèse, suivant le contexte des données que nous
allons traités à chacune de partie, généralement,
nous ferons recours à la méthodes
historico--empiriques, pour remonter non seulement dans le temps
et dégager les différentes théories émises par des
chercheurs; méthode statistique, pour nous
aidés à calculer des fréquences, et à les
représenter sous des histogrammes et/ou tableaux; plusieurs autres
techniques seront utilisés, comme le
documentaire, pour scruter les théories en
rapport avec notre sujet de la thèse, interview guider
seront organisés avec les experts des différents
domaines pour bien interpréter les données du terrain; le
questionnaire n'a pas été oublié
comme technique sur terrain.
SUBDIVISION DU THESE
Le travail est organisé en deux parties, comportant
chacune trois chapitres:
Dans la première partie, on présente les
mécanismes de l'aide internationale au développement et on montre
l'inefficacité de l'aide en Afrique sub-saharienne. Malgré le
fait que l'Afrique soit une destination privilégiée de l'aide
extérieure, les économies africaines ne semblent pas
connaître véritablement la croissance.
L'analyse empirique de l'effet de l'aide sur la croissance du
revenu par habitant révèle que l'aide est totalement inefficace
en Afrique Sub-saharienne. Comment peut-on alors expliquer cette
situation?, Comment se fait-il que l'effet de l'aide soit indécelable
vis-à-vis de l'objectif de croissance économique en Afrique?, En
quoi réside la faiblesse de l'aide à promouvoir le
développement en Afrique sub-saharienne.?
La deuxième partie s'attèle sur L'analyse des
raisons de l'inefficacité de l'aide.
Tout d'abord, il faut bien convenir de la
réalité des explications traditionnelles. L'existence de trappes
à pauvreté est l'explication première affirmée par
la littérature économique. Mais l'objectif de cette dissertation
est de montrer qu'il faut aller bien au-delà de cette explication
aujourd'hui
traditionnelle. En examinant l'affectation de l'aide en
Afrique sub-saharienne ainsi que les incitations qu'elle crée au niveau
des gouvernements receveurs, on montre comment l'aide peut condamner un pays
pauvre à le rester, tout en l'enfermant dans la dépendance
vis-à-vis de l'extérieur. Telle semble être la situation en
Afrique sub-saharienne. Il en est ainsi parce que la gouvernance dans les pays
de la région (Afrique sub-saharienne) n'est pas favorable aux pauvres.
Aussi les pratiques et politiques des principaux donateurs en matière
d'aide internationale créent-elles au niveau des pays receveurs, une
mauvaise incitation à l'effort et conduisent à des
inefficiences.
AIDE ET SON INEFFICASSITE EN AFRIQUE NOIRE
PREMIERE PARTIE
« Le gouvernement de l'Inde peut-il agir pour que
l'économie indienne puisse croître au même rythme que
l'Indonésie ou l'Egypte ? Si oui, que doit-il faire au juste ? Sinon,
que peut-il y avoir, dans la «nature de l'Inde» pour qu'il en soit
ainsi ? Les conséquences que ce genre de questions entraînent pour
le bien-être humain sont tout bonnement atterrantes: si l'on commence
à y réfléchir, il devient difficile de penser à
autre chose». Lucas (1988)
S'il existe des populations en développement pour
lesquelles on se doute que l'aide n'est pas efficace, c'est indubitablement
celles de l'Afrique sub-saharienne. Déclarée sinistrée
depuis la fin des années soixante-dix par les institutions
internationales qui appelaient alors à une aide massive pour la
région, l'Afrique sub-saharienne semble rester aujourd'hui encore, en
marge du progrès économique et social mondial. Elle
représente une part marginale dans les échanges commerciaux et
financiers mondiaux, reste à l'écart du redéploiement
industriel manufacturier mondial, des investissements dans la recherche et
l'innovation technique, engluée dans l'endettement, enregistre les plus
forts taux de mortalités, les plus faibles espérances de vie, les
plus faibles niveaux de connaissance, ... L'Afrique sub-saharienne fait figure
de région la plus pauvre de la planète à en croire les
statistiques. Selon PNUD (2005), 32 des 35 pays à faible
développement humain s'y trouvent; 34 PMA (Pays les Moins
Avancés) sur 50 (Nations Unies 2005, Banque mondiale et Nations Unies
2006). et pourtant, l'Afrique sub-saharienne est sous perfusion
(bénéficie d'aide internationale) depuis un demi-siècle.
Malgré les énormes aides dont elle a
bénéficié, la situation sur le plan économique et
social ne présente aucun signe de progrès. Elle semble même
se détériorer. On peut alors légitimement se demander si
l'aide au développement aide vraiment les populations africaines en
dessous du Sahara. L'objectif de cette première partie est de montrer
à travers l'analyse de l'impact de l'aide au développement sur le
bien-être des populations d'Afrique sub-saharienne, que l'aide
internationale dont bénéficie la région depuis environ
cinquante ans a été inefficace. Mais avant d'aborder l'analyse de
l'efficacité de l'aide proprement dite, il nous faut expliciter ce que
recouvre vraiment le concept de « aide au développement »,
comment elle se justifie et ce qu'elle est censée accomplir.
Dans le chapitre 1, on présente le cadre institutionnel
de l'aide au développement. On étudie les principales
caractéristiques de l'aide, ses origines institutionnelles, les
critères déterminants dans son attribution, ainsi que ses
principaux récipiendaires. On montre à l'issue de ce chapitre que
l'Afrique sub-saharienne est la principale région
bénéficiaire de l'aide internationale. Dans le chapitre 2, on
analyse les fondements théoriques et empiriques des bienfaits de l'aide
internationale. L'existence de biens publics mondiaux comme l'environnement, la
santé, la paix ... nécessite une action collective à
l'échelle planétaire pour protéger de tels biens. En
l'absence de « pouvoir public » pour protéger ces biens,
l'humanité peut faire face au problème traditionnel lié
aux biens publics : le problème du passager clandestin. L'aide
internationale qui transite parles Nations Unies, chargées de
protéger de tels biens est dans ce cas une politique souhaitée.
Elle améliore le bien-être de tous (amélioration au sens de
Pareto). Plusieurs auteurs considèrent en outre que, la protection des
biens publics mondiaux comme la santé et la paix mondiale, ainsi que
certains grands défis de nos jours comme la migration, le terrorisme,
... sont intrinsèquement liés aux inégalités et
à la pauvreté. Il est donc nécessaire de corriger les
inégalités dans les dotations en ressources entre les
différentes économies. Ce qui exige une politique de
redistribution. L'aide serait de ce point de vue, une politique de
réallocation des ressources à l'échelle planétaire.
Cependant les politiques rédistributives constituent une solution
éphémère à l'épineux problème de
pauvreté. Il est préférable d'aider les pauvres à
s'auto suffire.
Une solution durable à ce problème est de
promouvoir la croissance économique dans les pays
sous-développés. La théorie économique par la loi
de la productivité marginale décroissante pour le capital et
celle de la convergence entre les économies fait une prédiction
importante : si les pays pauvres connaissent durablement la croissance
économique, du fait qu'ils vont croître plus vite que les pays
riches, il y aura un effet de rattrapage. A long terme, il n'y aura plus de
disparité entre les économies. On montre alors qu'en
finançant l'investissement dans les pays pauvres, l'aide internationale
peut promouvoir la croissance économique et entraîner ainsi, la
disparition de la pauvreté dans le monde. Malheureusement, la
pauvreté ne semble pas reculer véritablement après plus
d'un demi*siècle de politique de développement axée sur
l'aide internationale. Elle aurait même augmenté en Afrique
sub-saharienne qui est pourtant la principale région
bénéficiaire de l'aide internationale. Ce qui nous amène
à examiner empiriquement dans le chapitre 3, l'efficacité de
l'aide internationale vis-à-vis de l'objectif de croissance
économique en Afrique sub-saharienne. L'analyse empirique aboutit
à un coefficient de l'aide non significatif. L'aide internationale au
développement serait ainsi inefficace en Afrique sub-saharienne.
Chapitre Premier
LES INSTITITIONS DE L'AIDE AU DEVELOPPEMENT
« Aider les autres n'est jamais aussi gratifiant que
lorsque tu le fais dans ton propre intérêt ».
David E. Kelley
Depuis les années 1950, les pays pauvres
bénéficient d'aides extérieures dont l'objectif principal
est de promouvoir le développement. Cette aide, bien que reconnue dans
l'ordre économique des accords de Bretton-Woods6,
répond à de multiples considérations
géostratégiques souvent dictées par l'atmosphère
politico-socio-économique. En effet, les motivations qui fondent les
programmes de l'aide internationale sont complexes, et vont de
l'égoïsme à la générosité. Selon la
période, le type de donateur et les idéologies, les aides aux
pays en développement ont servi différentes ambitions, et pris
des formes diverses. Il est donc nécessaire de préciser ce que
recouvre le concept de « aide au développement ».
Que qualifie-t-on réellement d'« aide au
développement » ? D'où provient-elle?
Que finance-t-elle ? Quel est son budget ? Quels sont les
principaux donateurs de l'aide, en volume?, En pourcentage du revenu?, Quels
sont les principaux facteurs permettant d'expliquer son attribution? Quels en
sont les principaux pays bénéficiaires?
Dans la section 1, on examine les principales
caractéristiques de l'aide au développement et on présente
ses principaux bénéficiaires. On montre dans cette section que
l'Afrique sub-saharienne est la principale région
bénéficiaire de l'aide, un financement à des conditions
avantageuses dont on étudie les origines institutionnelles dans la
section 2. Dans la section 3, on examine les principaux
critères institutionnellement affichés (ou
déterminants) dans l'attribution de l'aide internationale.
Section 1 : LES PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DE L'AIDE
AU DEVELOPPEMENT
Sous l'expression plus ou moins ambiguë « aide au
développement », se présentent des opérations et
mécanismes financiers, allant du don pur et simple au prêt;
accordé à un tarif préférentiel,
négocié entre pays donateurs « développés
» ou Riches et des Etats bénéficiaires «
sous-développés » ou « en voie de
développement». Le Comité d'Aide au Développement
(CAD-7) créé au sein de l'OCDE dans le but de
coordonner et de comptabiliser l'aide des pays développés au
Tiers-monde, distingue « l'aide publique » des autres apports. Il
réserve l'appellation « aide » à la seule « aide
publique » ou « aide publique au développement » (APD).
Celle*ci comprend les prêts et les dons (financements sans contrepartie)
du secteur public lorsque les prêts sont assortis de conditions
préférentielles par rapport au marché. Les conditions
avantageuses portent habituellement sur le taux d'intérêt, la
durée du remboursement et les conditions d'amortissement.
L'élément de libéralité et de don contenu dans de
tels prêts est ainsi déterminant. Ces transferts de capital
à des conditions privilégiées sont exclusivement
destinés aux pays en développement. Ils poursuivent l'objectif
premier d'améliorer les conditions de vie des pays receveurs
(pauvres).
6 La conférence de Bretton Woods s'est tenue du
1erau 22 juillet 1944 dans le New Hampshire (Etats--Unis), dans
le cadre de la résolution des différends de la
deuxième guerre mondiale. Ses accords ont jeté les bases de la
coopération pour le développement international.
7 Le Comité d'Aide au Développement
(CAD) regroupe depuis 1960, sur la base du volontariat, les principaux
donateurs occidentaux, tous membres de l'Organisation de Coopération et
de Développement Economique (OCDE). Leur nombre est passé en 2004
de 22 à 23 avec l'adhésion de l'Island.
En 1960, l'Association Internationale pour le
développement (AID) a été créée. Elle a pour
objectif, l'aide au développement économique des pays du
Tiers-monde. Elle prête à ces pays des ressources
financières, obtenues grâce à la contribution des pays
développés, à des conditions plus avantageuses que celle
du marché financier international : durée de prêt
très longue (50 ans), taux d'intérêt très bas
(jusqu'à 0,5%), commission faible. Les autres apports, souvent
qualifiés « d'aide privée », sont constitués des
dons des organisations non gouvernementales, mais principalement des
crédits à l'exportation, des investissements de portefeuille, des
souscriptions privées à des emprunts émis par les
organisations internationales. Ces apports ne sont néanmoins pas
comptabilisés dans l'aide publique au développement.
L'aide prend des formes diverses. On distingue:
> L'aide multilatérale:
qui transite par des organisations internationales
Spécialisées (BIRD, FMI, AID, ONU, PNUD, FAO, Unicef, etc.).
> L'aide bilatérale:
qui va directement d'un Etat a un autre. Elle est dite:
· Liée: lorsque le pays donateur
impose au pays bénéficiaire des conditions d'achat de biens ou de
fourniture de service en retour. Les motivations de l'aide liée sont
essentiellement de deux ordres : économique et politique. Du point de
vue économique, le donateur impose au receveur de consacrer tout ou
partie de l'aide reçue à l'achat de ses biens et services.
L'argent reçu est dans ce cas dépensé dans le pays
donateur et sert ainsi à promouvoir les exportations du donateur.
· Du point de vue politique, l'aide liée sert
à se créer ou à protéger des intérêts
géopolitiques, stratégiques, historiques ou
culturels8
· Non liée : lorsque le donateur
n'impose au bénéficiaire aucune condition d'achat ou de
services en retour9. , seulement 41,7% du total de
l'aide publique au développement est non lié. Au départ,
l'aide était envisagée sous forme de transferts de fonds. Mais
les premiers programmes d'aide ont vite reconnu que des catégories
données de compétences et de connaissances techniques faisaient
défaut dans les pays pauvres. Dans le souci d'augmenter les
compétences nationales, une autre forme d'aide:
« Les programmes d'assistance technique » ou «
coopérations techniques »,
détachant des experts étrangers dans des
domaines allant de la planification économique à
l'ingénierie et à la construction ont alors été
proposés et mis en oeuvre. Avec la crise d'endettement des années
1980, naît une nouvelle forme d'aide: les allègements ou
annulation pure et simple de dettes, comptabilisés dans l'aide publique
au développement. L'aide peut aussi être en nature : envoi de
céréales, de matériels médicaux, attribution de
bourses d'études ... L'aide est dite hors projet si elle n'est pas
affectée à un projet précis, mais sert à financer
le déficit budgétaire ou le déficit extérieur. A
l'inverse, l'aide-projet ou programme est celle affectée à une
fin précise: construction d'un barrage, de routes, promotion du secteur
cotonnier, etc. Enfin, l'aide est qualifié de « aide d'urgence
» lorsqu'elle est destinée à secourir des populations en
situation de cataclysmes (séisme, conflits armés,
sécheresse, inondation, raz-de-marée, ...). Sur la période
1950-1955, les apports totaux d'aide au développement valaient 1,953
milliards de dollars. Elle a peu à peu progressé dans les
années 1970 et surtout dans les années 1980. La très forte
croissance des pays de l'Occident durant les Trente Glorieuses a permis de
libérer des ressources supplémentaires pour l'aide. Mais il y a
aussi l'influence des enjeux politiques d'alors. Dans un contexte de guerre
froide, la compétition pour les amitiés
géostratégiques explique largement cet accroissement de l'aide
internationale. La fin de la guerre froide a
8 (Jepma Catrinus J. 1991 ; OCDE 2006b)
9 Normes Selon OCDE (2006b)
entraîné un recul sensible de l'aide mondiale
dans la première moitié des années 1990 (voir figure
ci-dessous).
En effet, les enjeux politiques étant l'une des
principales motivations de l'aide internationale (comme on le verra plus loin),
l'effondrement du bloc soviétique en 1991 a atténué la
motivation politique des principaux donateurs. Depuis 2001, on assiste à
une nouvelle phase d'ascension de l'aide en volume. D'environ 55 milliards de
dollars en moyenne jusqu'en 2000, l'aide a atteint les 80 milliards en 2004. Ce
regain d'importance est attribuable aux graves crises financières et
d'endettement des pays les plus pauvres qui ont conduit à des
annulations successives de dettes, consenties en 2003 et 2004 ; et surtout
à la lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre
2001. Cette nouvelle motivation de l'aide internationale explique largement cet
accroissement. L'année 2005 a été une année
spéciale pour l'aide internationale. On a assisté à une
forte augmentation de l'aide extérieure, qui a dépassé les
cents milliards de dollars US. Cette augmentation spectaculaire est surtout
imputable au raz-de-marée(le tsunami) survenu le 26 décembre
2004; qui a entraîné un geste de générosité
sans précédent dans le monde entier.
Figure I-1 : Aide au
développement nette (prix constant, milliards de $ US 2003)
Près des trois quarts de l'aide publique au
développement accordée entre 1970 et 2005 a été
fourni dans le cadre de programmes bilatéraux. L'aide a
été essentiellement bilatérale dans les années
1970. La bipolarisation du monde et la course aux alliances ont
révélé au cours de cette décennie,
l'égoïsme des plus nantis. Dans le climat politique
passionné d'alors, les intérêts individuels des principaux
donateurs ont été manifestes dans la coopération
internationale. Depuis les années 1980, on note cependant un
accroissement de la proportion d'aide acheminée par les organisations
multilatérales, bien que faiblement. L'aide privée a elle aussi
une tendance à la hausse depuis les années 1990, comme l'illustre
la figure I-2 ci-dessous. La proportion de l'aide privée dans
l'enveloppe totale de l'aide internationale au développement se chiffre
à près de 11% ces dernières années.
Figure I-2 : Aide mondiale
par catégorie (en milliards de dollars US)
L'analyse des données ventilées par
région, en volume ou en pourcentage du PIB révèle que
l'Afrique sub-saharienne occupe depuis 20 ans la place de premier
bénéficiaire d'aide sur le plan mondial (voir les deux figures
ci-dessous). L'aide reçue par l'Afrique sub-saharienne sur la
période 2000-2004 valait plus du double de celle octroyée
à l'Amérique Latine; même chose avec l'Asie du Sud et
Centrale. Plus du tiers de l'APD (en volume) est allé à cette
région entre 2000 et 2004. Nous expliquerons plus loin ses
disparités régionales de l'aide au développement.
Lorsqu'on fait l'analyse en termes de valeur par habitant
(aide par habitant), l'Afrique sub-saharienne se classe également parmi
les grands bénéficiaires d'aide dans le monde. L'Africain moyen a
bénéficié annuellement de 26,3$ US entre 2000 et 2004.
L'aide par tête en Afrique était ainsi
supérieure à la moyenne pour l'ensemble des pays les moins
avancés (24,7$); et valait plus du triple de la moyenne pour l'ensemble
des pays en développement (8,8$) comme le montre la figure
ci-dessous.
Figure I-5 : Aide nette par habitant
par région (en $ US)10
Il faut signaler que l'aide au pays de l'Europe Centrale et
Orientale a considérablement augmenté ces dernières
années. Cette augmentation provient surtout de l'Union Européenne
(UE), et s'inscrit dans la politique d'intégration de ces pays dans
l'Union.
L'analyse de la tendance en pourcentage de l'enveloppe totale
d'aide dans le monde classe également l'Afrique en première place
des bénéficiaires d'aide internationale. L'Afrique a
généralement bénéficié de plus du tiers du
budget total de l'aide. Cependant, la fin de la décennie 1990 a vu
l'aide au développement se détourner progressivement du continent
africain, au profit de l'Europe centrale et orientale. De nos jours, on note un
retour progressif de l'aide en Afrique (voir figure ci-dessus). Ce regain
d'importance de l'aide à l'Afrique est sans doute imputable aux nombreux
rapports alarmistes, concernant l'augmentation de la pauvreté en Afrique
sub-saharienne, et la nécessité d'un effort plus accru en faveur
du continent africain.
Figure I-6 : Evolution de l'APD par
région, en pourcentage de l'aide totale
10 Il faut signaler que l'aide au pays de l'Europe
Centrale et Orientale a considérablement augmenté ces
dernières années. Cette augmentation provient surtout de l'Union
Européenne (UE), et s'inscrit dans la politique d'intégration de
ces pays dans l'Union.
Une analyse par pays révèle cependant que, ce
sont les pays asiatiques en développement, à forte croissance
comme la Chine, le Vietnam, le Pakistan, l'Indonésie, l'Inde qui
reçoivent davantage d'aide. Viennent ensuite les pays qui comptent un
grand nombre de pauvres comme la Tanzanie, le Mozambique, l'Ethiopie, le
Bangladesh (voir la figure ci-dessous). On expliquera plus loin ces
disparités internationales.
Figure I-7 : Les dix premiers pays
bénéficiaires d'aide (moyenne sur 2000-2004, en milliards de $,
au prix de 2003)
Mais lorsqu'on fait l'analyse en valeur par tête, ce sont
les petites économies insulaires, qui passent en tête, avec plus
de 285 $ par habitant pour le Timor-Leste contre moins de 2$ par tête
pour la Chine, l'Inde et le Nigeria. Le tableau ci-dessous présente
quelques exemples dans ce domaine. Tableau I-1 : Aide
par habitant (moyenne sur 2000-2004)
Cette tendance n'est toutefois pas sans exception : le
Mozambique reçoit de gros apports d'aide (en moyenne 1,2 milliards de
dollars par an sur la période 2000-2004), ainsi qu'une aide par habitant
relativement élevée (67$); alors que le Turkménistan
obtient peu d'aide sur la même période, en volume (43 millions de
dollars par an en moyenne) et par habitant (9$). L'aide a financé pour
la plus grande partie, les secteurs productifs. Jusqu'aux années 1990,
environ 40% du total de l'aide ont été affectés au
développement de l'infrastructure économique et des secteurs
productifs (agriculture, industrie, énergie et commerce), comme le
montre la figure ci-dessous.
Figure I-8 : Aide par secteur dans le
monde (en milliards de $, prix de 2003)
Cependant une plus grande importance est accordée ces
dernières années aux secteurs sociaux: population et
santé, approvisionnement en eau, éducation, ... comme le montre
la figure ci-dessus. La dominance de l'infrastructure économique et des
services sociaux dans le budget total de l'aide est plus remarquable en Afrique
(voir figure ci-dessous). La création des conditions favorables au
décollage économique et la réduction de la pauvreté
sont de nos jours, les objectifs principaux de l'aide au développement
en Afrique.
Figure I-9 : Aide par secteur en 2004
en Afrique (en % du total d'aide à l'Afrique)
SECTION 2: LES ORIGINES INSTITUTIONNELLES DE L'AIDE AU
DEVELOPPEMENT
D'où provient l'aide publique au développement?
Jusqu'à quelle hauteur contribue chaque type de donateurs ? En volume et
en pourcentage du revenu, quels sont les principaux donateurs ? Comment le
classement des principaux donateurs varie-t-il dans le temps? Selon le type de
donateur considéré, quelles formes ou caractéristiques
l'aide au développement prend-elle ? Quels en sont les principaux
bénéficiaires?
1.1. Les institutions du système des Nations
Unies
Le système des Nations Unies est composé de
l'ONU, et de 15 organisations indépendantes11 appelées
« institutions spécialisées », (dont le FMI et le
Groupe de la Banque mondiale). Elles sont créées par des accords
intergouvernementaux, et reliées à l'ONU dans le cadre d'accords
de coopération12. Ensemble, elles fournissent une assistance
technique et d'autres formes concrètes d'aide dans pratiquement tous les
domaines économiques et sociaux. On distinguera principalement:
1.1.1. Les Nations Unies (ONU)
Outre sa fonction essentielle de maintien de la paix,
l'Organisation des
Nations Unies (ONU) joue un rôle crucial dans
l'élaboration d'un consensus international sur l'action en faveur du
développement, et oeuvre de diverses façons à la promotion
d'objectifs économiques, environnementaux et sociaux. Des principaux
objectifs de l'ONU, on peut citer la paix, la lutte contre la pauvreté,
les maladies, le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi, et la
promotion des conditions économiques et sociales du
développement. Pour atteindre ces objectifs, l'ONU octroie des aides aux
pays pauvres à travers des fonds et programmes
spécialisés13.
11 Outre le FMI et la Banque mondiale, les 13
autres institutions sont : OIT (Organisation Internationale de Travail), FAO
(Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture), UNESCO
(Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture),
OMS (Organisation Mondiale de la Santé), OAIC (Organisation de
l'Aviation Civile Internationale), UPU (Union Postale Universelle), UIT (Union
Internationale des Télécommunications), OMM (Organisation
Météorologique Mondiale), OMI (Organisation Maritime
Internationale), OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété
intellectuelle), FIDA (Fonds International de Développement Agricole),
ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel),
AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique).
12 Certaines de ces institutions comme le FMI, la
Banque mondiale, l'UPU, l'OIT ... existaient avant l'ONU.
13 On peut notamment citer : le PNUD (Programme des
Nations Unies pour le Développement), qui est le principal fournisseur
multilatéral de fonds pour le développement humain durable. Il
prend une part active à la réalisation des objectifs de
développement énoncés dans la Déclaration du
Millénaire. L'UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l'Enfance), qui est
le principal organisme des Nations Unies qui s'occupe de la survie à
long terme, de la protection et du développement des enfants. Ses
interventions sont axées sur la vaccination, les soins de santé
primaire, la nutrition et l'éducation de base. Le PAM (Programme
Alimentaire Mondial) fournit une aide alimentaire, à la fois au titre de
secours d'urgence et des programmes de développement. Le FNUAP (Fonds
des Nations Unies pour la Population), est le plus important fournisseur
international d'aide en matière de population. La CNUCED
(Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le
Développement) s'efforce de promouvoir le commerce international. Elle
travaille en collaboration
Les apports extérieurs d'aide, qualifiés de
« aide publique au développement » régulièrement
octroyés aux pays pauvres proviennent de différentes sources
qu'on peut classer en deux grands sous-ensembles : les bailleurs de fonds
multilatéraux, constitués d'institutions internationales et les
bailleurs de fonds bilatéraux, constitués d'institutions
étatiques et spécifiques à chaque pays donateur.
1. Les bailleurs de fonds
multilatéraux
Ils regroupent plusieurs pays. L'aide des bailleurs de fonds
multilatéraux est déliée de conditions d'achat et comporte
souvent des concessions importantes.
Leurs institutions sont les grands défenseurs et
promoteurs du développement axé Sur la politique d'aide
internationale. Les principaux sont: les institutions internationales
onusiennes, la Commission Européenne (CE) et les banques
régionales de développement. Les apports d'aide de l'ONU prennent
beaucoup plus la forme de dons, et représente environ 20% du total des
aides multilatérales. Une autre part importante des fonds
multilatéraux provient des institutions de Bretton-Woods.
1.1.2. Les institutions de Bretton--Woods
Il s'agit des institutions jumelles issues du sommet de
Bretton Woods: le FMI et la Banque mondiale. Ces institutions réunissent
la même communauté de pays et partagent un même but: relever
les niveaux de vie dans leurs pays membres. Leurs approches à cet
égard sont complémentaires : Le FMI cherche à assurer la
stabilité du système financier international; la Banque mondiale
se consacre au développement économique à long terme et
à la lutte contre la pauvreté.
i. La Banque mondiale
Créée en juillet 1944 lors de la
conférence monétaire et financière de Bretton Woods, la
Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD)
communément appelée Banque mondiale, est un pilier des
institutions financières internationales. Elle a été
complétée depuis sa création par la Société
Financière Internationale (SFI) en 1956, l'Association Internationale de
Développement (AID ou IDA en anglais) en 1960, le Centre International
de Règlement des Différends (CIRD) en 1960 et l'Agence
Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI) en 1988. Ces cinq
institutions forment désormais ce qu'on appelle le groupe de la Banque
mondiale. La BIRD a deux instruments d'interventions : les prêts (d'une
part pour financer des projets d'investissement, et d'autre part des
prêts d'ajustement qui visent à soutenir les Etats dans la mise en
oeuvre de réformes économiques, financières,
structurelles). Ensuite les garanties (destinées à couvrir le
risque de défaut de paiement du service de la dette de l'Etat, et
à couvrir le risque de crédit du secteur privé). Les
ressources de la BIRD sont réservées aux pays
considérés comme ayant de fortes capacités de
remboursement.
avec l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) qui est une
entité distincte, pour favoriser les exportations des pays en
développement, avec l'aide du Centre du Commerce International. Le HCR
(Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) s'occupe
de l'aide d'urgence aux réfugiés en cas de conflits.
Les principaux emprunteurs de la BIRD sont de ce fait, les
pays émergents ou en transition. Ses concours sont soumis à des
décaissements plus rapides, mais moins avantageux (en terme de taux
d'intérêt et de délai de paiement) par rapport à
ceux de l'AID. L'AID est la principale source de financement des services
sociaux de base des pays pauvres. Elle a pour objectif de permettre aux pays
les plus pauvres, qui n'ont accès à aucun marché de
capitaux, de bénéficier d'un financement sous conditions
privilégiées114.
Seuls les pays dont le revenu par habitant n'excède pas
un seuil donné (965$ par habitant en 2005) sont éligibles
à ces ressources. Environ 40% des ressources de l'AID
bénéficient aujourd'hui à l'Afrique sub-saharienne. Il
s'agit de prêts à taux quasi-nul (environ 0,5%) sur une
durée de 35 à 40 ans, ce qui représente un don
équivalent à environ 85% du montant prêté. La SFI
est chargée de favoriser le développement de l'investissement
privé dans les pays en développement et de promouvoir dans ces
pays un environnement favorable à la croissance économique. Les
concours de la SFI bénéficient en premier lieu au secteur
financier et aux projets d'infrastructure.
L'AMGI a pour objectifs de faciliter des investissements
privés productifs en assurant la couverture des risques non commerciaux,
et de fournir à ses membres, comme le font la BIRD ou la SFI, des
conseils et de l'assistance technique pour améliorer l'environnement
économique et financier des projets d'investissement. Le CIRD est une
instance d'arbitrage indépendante dans les litiges entre gouvernements
et investisseurs privés. Depuis les années 1990, la lutte contre
la pauvreté est devenue le principal objectif de la Banque. Elle s'est
engagée dans des missions nouvelles : projets de développement
rural, d'éducation, d'eau, de santé (santé maternelle,
infantile...), le commerce, le développement urbain, l'énergie,
les nouvelles technologies, la lutte contre le SIDA et la pauvreté, la
viabilité écologique qui sont venus compléter une palette
d'interventions limitées auparavant au soutien économique aux
Etats et à la mise en place d'infrastructures de base (routes, ports,
aéroports, barrages, etc.).
Même si ses interventions s'étendent à
l'ensemble des pays en développement, la Banque mondiale réserve
plus de la moitié de ses prêts aux pays dits émergents ;
privilégiant l'Asie et l'Amérique latine sur l'Afrique comme le
montrent les tableaux ci-dessous. Aucun pays africain ne figure parmi les
principaux (dix premiers) pays bénéficiaires de l'aide de la
Banque mondiale. Ces dix pays pour la plupart asiatiques totalisent à
eux seuls plus de la moitié des fonds de la Banque (55,57%
précisément). Aussi tous les pays ne représentent-ils que
7% du budget total de la banque.
Tableau J--2 : Engagements de prêts de
la Banque Mondiale (projets approuvés) par région, année
fiscale 1999 (1er juillet 1999 - 30 juin 2000)
14 Il s'agit de prêts à taux quasi--nul
(environ 0,5%) sur une durée de 35 à 40 ans, ce qui
représente un don équivalent à environ 85% du montant
prêté.
Tableau I--3 : Principaux pays
bénéficiaires de l'aide cumulée de la Banque mondiale (de
la création de la Banque à 2000)
Ce classement s'explique en partie par le fait que, certains
pays notamment ceux d'Asie (Inde, Pakistan, Chine, Indonésie,
Corée, ...) respectent les conditions pour bénéficier
à la fois de l'aide de la BIRD (à cause de leur forte croissance
économique) et de celle de l'AID (à cause de la faiblesse de leur
revenu par habitant). On les appelle les « prêteurs mixtes »
(blend countries ou encore blend borrowers en anglais). La plupart des pays
africains ne sont quand à eux, éligibles qu'à l'aide de
l'AID.
ii Le Fonds Monétaire International
(FMI)
Le FMI, comme la banque mondiale, est né de la
conférence monétaire et financière de Bretton Woods. Son
rôle15 a largement évolué au cours des trente
dernières années. A partir de 1973, avec la flexibilité
officielle des taux de change, il redéfinit ses missions et devient un
instrument de régulation financière. Il prête de l'argent
aux pays qui connaissent des difficultés temporaires de financement de
leur déficit de balance des paiements; ceux--ci devant en contrepartie
mettre en oeuvre des politiques rigoureuses pour parvenir à
l'équilibre. Aujourd'hui, il aide aussi les pays en développement
à promouvoir la croissance et alléger la pauvreté.
Depuis la fin des années 1980, le FMI se consacre
activement à la réduction de la pauvreté dans le monde
entier en accordant une assistance financière par le biais de son
mécanisme de prêts concessionnels FRPC (Facilité pour la
Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance), ainsi qu'au
moyen d'allégements de dette dans le cadre de l'initiative PPTE
(initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés). Le FMI
accorde également depuis 1962, des aides financières d'urgence,
assorties de décaissements rapides aux pays victimes de catastrophes
naturelles ou sortant d'un conflit. Presque toutes les aides de la Banque
mondiale et du FMI se font par prêts, donc remboursables16.
15 Il a été initialement créé en
vue de réguler le système monétaire international de
changes fixes, et de mettre fin aux fréquentes dévaluations, en
mettant temporairement, moyennant des garanties adéquates, ses
ressources à la disposition des Etats membres qui ont des
difficultés de balance des paiements. La fin de la fixité des
taux de change en 1971, a entraîné la disparition du premier
rôle du Fonds.
16 A tort ou à raison, ces deux institutions (le FMI et
la Banque mondiale) essuient des critiques de la part des pays
récipiendaires pour la rigueur des conditions de remboursement et la
discipline fiscale imposée.
1.2. La Commission Européenne (CE)
L'aide de la Commission Européenne17(CE),
aujourd'hui Union Européenne
(UE) a principalement bénéficié aux pays
africains (ex-colonies) depuis leur indépendance. Les financements de la
commission sont surtout destinés à la promotion de
l'infrastructure économique, l'énergie, les services sociaux de
bases,
la production agricole, la coopération technique, ...
La Commission Européenne participe également à
l'initiative PPTE, à la promotion de la démocratie et de l'Etat
de droit, et fournit des aides alimentaires d'urgence. Les fonds de la
Commission proviennent des Etats membres de l'Union. Essentiellement
destinés aux pays ACP (Afrique Caraïbe et Pacifique) au
départ, l'aide européenne s'est progressivement étendue
aux autres pays en développement. Ainsi, la zone ACP ne
bénéficiera plus que de 29% de l'aide européenne en
1996-1998. A plus ou moins juste titre, l'aide de la Commission a pendant
longtemps essuyé des critiques parce que très sensible à
l'atmosphère politique. Nous y reviendrons plus loin.
1.3. Les Banques régionales de
développement
Les Banques régionales de développement sont des
institutions régionales, construites à l'image de celles de
Bretton Woods, dans le but de mieux coordonner, de superviser et de financer
les activités de développement au niveau régional. On
distingue principalement: la Banque Africaine de Développement,
basée à Abidjan (Côte d'Ivoire)18 qui
prête à toute l'Afrique (Afrique du Nord comprise); la Banque
Asiatique de Développement, basée à Manille (Philippines)
qui sert les pays d'Asie du Sud, Asie de l'Est et du Pacifique; la Banque
Européenne pour la Reconstruction et le Développement,
basée à Londres (Angleterre) qui sert les pays d'Europe et d'Asie
Centrale; le Fond Européen de Développement (FED), basé
à Bruxelles (Belgique) qui sert les pays d'Afrique, du Caraïbe et
du pacifique; et la Banque Interaméricaine de Développement,
basée à Washington (USA) qui est la principale banque de
développement du continent américain. Leurs rôles sont
semblables à celles de la Banque mondiale, mais cette fois-ci à
une moindre échelle (régionale). En Afrique, outre la BAD (Banque
Africaine de Développement), qui est une institution régionale,
il existe également des institutions sous-régionales comme la
BOAD (Banque Ouest Africaine de Développement) et la BDEAC (Banque de
Développement des Etats de l'Afrique Centrale). Contrairement aux
institutions de Bretton Woods et aux banques régionales de
développement, la Commission Européenne accorde ses aides
beaucoup plus sous la forme de dons. La CE est en outre, le principal donateur
multilatéral dans le monde, comme le montre le figure ci-dessous. Ses
apports représentent environ 34% des aides multilatérales
acheminées entre 2000 et 2004 (environ 9% du total de l'aide publique au
développement).
17La politique européenne de
coopération au développement est née avec la
Communauté européenne en 1957. Lors de la négociation du
traité de Rome, la France et la Belgique ont obtenu que la
communauté économique établisse un régime
d'association avec les colonies d'alors, dites « Pays et Territoires
d'Outre-mer » (PTOM) visant à promouvoir leur développement
économique et social au moyen d'un Fonds Européen de
Développement (FED) mis en place le 1er janvier 1958. Avec
l'indépendance des colonies, la politique d'association a laissé
la place à la coopération pour le développement avec des
accords signés à Yaoundé (Cameroun). L'adhésion
britannique à la Communauté européenne en 1973
entraîna l'élargissement au Commonwealth, à l'exception de
l'Inde, pour former un ensemble de pays d'Afrique, des Caraïbes et du
Pacifique (ACP), dont le partenariat « ACP-CEE », (aujourd'hui «
ACP-UE ») fut établi à travers des conventions successives
(Lomé I en 1975, Lomé II en 1979, Lomé III en 1984,
Lomé IV en 1990) signées à Lomé (Togo). En 2000,
les conventions de Lomé ont été remplacées par
l'accord de Cotonou. La fin de la guerre froide a provoqué des
réajustements géographiques de la coopération
européenne vers les pays d'Europe centrale et orientale ainsi que vers
les nouveaux Etats indépendants issus de l'ex URSS. L'Amérique
Latine et l'Asie sont aussi devenues des axes de la politique
européenne de coopération au développement à partir
de 1990.
18 A cause de la crise que traverse la Côte
d'Ivoire depuis 1999, le siège de la BAD a été
provisoirement transféré à Tunis (Tunisie).
Figure I--10 : Aide des institutions
multilatérales (en milliards de $, prix de 2003)
La figure montre que la Commission Européenne occupe
ces dernières années, la première place des donateurs
multilatéraux, lorsqu'on considère l'aide octroyée en
volume. Le FMI, pourtant grand défenseur de la politique d'aide du
système des Nations Unies n'apporte qu'une part congrue de l'aide aux
pays pauvres; il se classe dernier des bailleurs de fonds multilatéraux.
Comme nous l'avons vu plus haut, les institutions multilatérales bien
qu'elles prennent le devant des politiques de développement ne
fournissent en apport net, qu'environ le quart du total de l'aide publique au
développement. L'essentiel de l'aide, soit environ 75% provient des
bailleurs de fonds bilatéraux que nous abordons.
2. Les bailleurs de fonds bilatéraux
Il s'agit principalement des pays industrialisés. Ils
accordent les deux types d'aides internationales : les prêts
bonifiés et les dons. L'aide bilatérale prend aussi la forme
d'annulation de dettes, et d'aide humanitaire d'urgence. Ces aides sont souvent
hors projet, et liées. Les principaux pays donateurs sont: Allemagne,
Australie, Belgique, Canada, Corée, Danemark, Espagne, Etats*Unis,
Finlande, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg,
Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni,
Suède, Suisse. En fait, presque tous les pays développés
participent aujourd'hui au financement des objectifs fixés par les
Nations Unies en matière d'assistance internationale. Ils participent
à la reconstitution des fonds des institutions internationales (Banque
mondiale, FMI, ONU, Banques régionales de développement, le FED,
...) et accordent aussi des prêts et dons dans le cadre d'accords
bilatéraux. Habituellement, les pays donateurs dans le cadre de l'aide
bilatérale planifient et accordent leurs prêts et dons par
l'intermédiaire d'un organisme d'aide
spécialisé19. Outre les pays industrialisés,
certains pays en développement, notamment les grands pays exportateurs
de pétrole participent de nos jours au financement des objectifs de
développement. Ils accordent leurs aides principalement dans le cadre
d'accords bilatéraux avec d'autres pays en développement. On
parle dans ce cas de coopération Sud-Sud. Les pays arabes du golf
persique sont dans ce domaine très généreux. Le
Koweït par exemple a accordé jusqu'à 8,2% de son PNB en aide
étrangère en 2002 ; 4% pour l'Arabie saoudite la même
année. En volume, en combinant les aides octroyées sous forme
bilatérale et les participations à la reconstitution du capital
des organismes multilatéraux d'aide (FMI, Banque mondiale, Banques
régionales de développement, Commission Européenne, ...),
les Etats-Unis occupent la position de premier
19 On peut citer par exemples l'USAID (United
States Agency for International Development) qui est l'organisme
spécialisé de l'aide bilatérale pour les Etats--Unis,
l'ACDI (Agence Canadienne pour le Développement International) pour le
Canada, l'AFD (Agence Française de Développement) pour la France,
DANIDA (Aide au Développement Internationale Danoise) pour le Danemark,
AusAID (Australian Agency for International Development) pour l'Australie, AECI
(Agencia Española de Cooperaciõn International) pour l'Espagne,
SIDA (Swedish International Development Agency) pour la Suède, ...
donneur d'aide au monde, lorsqu'on considère les
valeurs cumulées depuis l'avènement de l'APD. Ils se
démarquent largement par ses apports. Viennent ensuite le Japon, la
France, l'Allemagne et le Royaume Uni comme le montre la figure ci*dessous.
Elle présente pour chaque pays donateur, les aides cumulées
depuis les années 1950.
Figure I-11 : APD cumulée, de
1950 à 2005 (en milliards de $ US)
La tendance et le rang restent pratiquement les mêmes,
notamment pour les grands donateurs, lorsqu'on considère les volumes
d'aide accordée ces dernières années (voir figure
ci-dessous).
Figure I-12 : APD nette par donateur
en volume (moyenne annuelle 2000-2004, en milliards de $
US)
En moyenne sur la période 2000-2004, 24% de l'APD
totale octroyée provenait en effet des Etats-Unis; suivis du Japon
(13%), de la France (11%), de l'Allemagne (10%), et du Royaume-Uni (9%). Les
pays membres de l'UE fournissent collectivement 54% de l'APD totale
distribuée par les membres du CAD. Les apports d'aide des pays
développés ne cessent de faire débat. En 1960, la
résolution n° 1522 (XV) de l'Assemblée
Générale de l'ONU exprimait l'espoir que «le flux de
l'assistance internationale augmente substantiellement de manière
à atteindre aussitôt que possible à peu près 1% des
revenus nationaux cumulés des pays économiquement avancés
».
En 1967 dans le cadre de la CNUCED, la charte d'Alger du
groupe des 77proposait que l'aide publique au développement (APD) puisse
se situer à 0.75% du PNB de chaque pays développé. En
1970, l'ONU mettait en place une stratégie pour financer la seconde
décennie du développement, fondée sur l'idée que
« chaque pays économiquement avancé augmentera
progressivement son aide publique au développement, et fera tous ses
efforts pour atteindre un montant net minimal de 0.7% du PNB au prix du
marché vers le milieu de la décennie». En 1980,
l'Assemblée de l'ONU vota la résolution fixant à 0.7% du
PNB le niveau international agréé de l'aide des pays
développés aux pays en développement. A la
conférence internationale sur le
financement du développement des pays pauvres, tenue
à Monterrey au Mexique en 2002, la plupart des pays riches se sont
engagés à consacrer 0.7% de leur revenu national brut à
l'aide des pays pauvres. Cependant, comme on peut le remarquer sur la figure
ci*dessous, l'objectif des 0.7% du PNB est loin d'être atteint; le niveau
général se situait à 0.22% ces dernières
années. Seulement cinq pays (Danemark, Norvège, Suède,
Luxembourg et Pays-Bas) ont atteint l'objectif des 0.7% fixé par les
Nations unies pour l'APD. Les Etats-Unis occupent maintenant la dernière
place lorsqu'on considère les apports nets en pourcentage du RNB (revenu
national brut).
Figure I--13 : APD nette en pourcentage du RNB
(moyenne annuelle 2001-2005)
Le tableau ci-dessous présente pour les grands pays
donateur, le volume d'aide accordé ainsi que la part (en pourcentage)
des aides bilatérales et multilatérales dans l'aide totale
octroyée. Une analyse de la forme d'aide (bilatérale et
multilatérale) par pays classe les Etats-Unis en tête des
pourvoyeurs d'aide bilatérale. 90% de l'aide américaine en 2003
était en effet, octroyé en aide bilatérale ; seulement 10%
transitait donc par les organisations internationales. D'autres pays comme
l'Australie (80%), la Belgique (79%) accordent aussi l'essentiel de leur aide
sous forme bilatérale. Certains pays comme l'Italie et l'Autriche
privilégient par contre la piste multilatérale dans leurs apports
d'aide. Plus de la moitié de l'aide italienne en 2003 (56%
précisément) a transité par les agences
multilatérales comme le montre le tableau ci-dessous. Objectif
fixé par l'ONU (0,7% du RNB)
Tableau I--4 : Apports nets d'aide au
développement des pays développés en 2003 (Les montants
sont en millions de $ US)
On remarque à travers ce tableau que, l'aide des
grandes puissances politiques comme les Etats-Unis, la France, le Japon est
plus bilatérale que celle des pays moins présents sur la
scène politique internationale (Finlande, Autriche, Italie). De
même les pays qui n'ont pas d'anciennes colonies comme le Danemark, la
Grèce, l'Allemagne accordent (par rapport aux autres) une part moins
importante de leur aide sous forme bilatérale. L'octroi de l'aide
internationale est semble-t-il motivé par d'autres raisons que
l'objectif de croissance économique et la réduction de la
pauvreté. C'est ce que nous abordons dans la section suivante.
SECTION 3 : LES DETERMINANTS INSTITUTIONNELS DE
L'ALLOCATION INTERNATIONALE DE L'AIDE
Quelles sont les différentes « raisons »
institutionnellement et officiellement affichées concernant l'octroi de
l'aide publique au développement ? Comment ont-elles
évolué avec le temps ? Comment diffèrent-elles selon le
type de donateurs ? Des études empiriques menées
régulièrement depuis les années 1970 permettent de
proposer quelques réponses à ces questions.
1. Les différentes logiques d'attribution de
l'aide
L'analyse des critères d'octroi de l'aide
internationale amène à distinguer essentiellement trois grandes
logiques, effectives ou intentionnelles, d'allocation internationale de
l'aide:
-- Une logique de besoin : selon l'objectif même de
l'aide au développement, l'étendu des
besoins des pays ou des
populations récipiendaires est un déterminant du niveau d'aide
à
accorder. La notion de besoin se réfère souvent
au revenu par habitant, le niveau de pauvreté (part de la population
vivant en deçà du seuil de
pauvreté fixé à 2$ par jour, et
l'extrême pauvreté à 1$ par jour), la faiblesse du
capital humain souvent évaluée à l'aune
du taux de scolarisation, les inégalités, l'accès aux
services de base (eau, électricité, ...), le niveau
d'endettement, le déficit du budget ou du compte courant ...
-- Une logique d'intérêt et/ou de
proximité: contrairement à la logique de besoin, on a ici
une
logique d'offre déterminée par les caractéristiques
du donneur et non plus du receveur. La logique de proximité se
réfère souvent à l'histoire, la colonisation, la
communauté linguistique, les préférences politiques, les
ambitions et intérêts économiques ... Le donneur offre
l'aide au pays considéré, dans le souci de préserver son
propre intérêt ou pour soutenir un allié. Il s'agit des
survivances néocoloniales qui mixent des objectifs stratégiques,
historiques, culturels, linguistiques, commerciaux, politiques et altruistes
à travers l'aide internationale.
-- Une logique d'efficacité ou de mérite : ici,
l'aide va vers les pays où elle peut être mieux
gérée et plus efficace en terme de
résultat. La notion d'efficacité se réfère à
l'environnement politico-économique et/ou institutionnel du pays
considéré. En particulier l'aide va vers les meilleurs projets et
vers les pays présentant le meilleur profil : stabilité politique
et économique, bonne gouvernance, bonne coopération
internationale. Cette logique est également une logique d'offre, mais la
finalité est cette fois-ci tournée vers les effets dans le pays
receveur. La logique d'efficacité s'apparente souvent, à plus ou
moins juste titre, à une logique de mérite ou de vertu. L'aide va
vers les pays répondant à un certain nombre de conditions
nécessaires à son efficacité. Le donneur définit
alors les conditions sans lesquelles l'aide ne peut être octroyée.
Ou encore, l'aide va vers les pays qui ont déjà engagé un
certain nombre de réformes, qu'elle est alors censée appuyer.
Nous montrerons plus loin que depuis les années 1990 (fin de la guerre
froide), c'est la logique d'efficacité qui semble s'affirmer dans
l'affectation de l'aide (notamment l'aide multilatérale).
Dans une certaine mesure, on pourrait associer à
chacune de ces logiques un type de bailleur et une fonction de l'aide publique.
A la logique des besoins correspondent les institutions multilatérales
onusiennes (AID, PAM, PNUD, ...). Sont éligibles à l'aide de
l'AID par exemple, les pays dont le revenu par habitant n'excède pas un
seuil donné (965$ par habitant en 2005). L'aide est alors
considérée comme un instrument de répartition et de
justice internationale. A la logique d'intérêt pourrait être
associé le bailleur bilatéral; et l'aide est utilisée
comme un instrument de politique étrangère. En effet, les
intérêts idéologico-politiques et stratégiques
jouent un rôle prépondérant dans l'octroi de l'aide
bilatérale. C'est ainsi que dans les années 1970, l'URSS
soutenait les Républiques populaires, et les Etats*Unis les pays
capitalistes proches du bloc occidental. De nos jours, l'aide bilatérale
est souvent utilisée pour des enjeux commerciaux,
énergétiques (pétrole et gaz naturel) ou des alliances
politiques (vote à l'ONU). Enfin, la logique d'efficacité semble
correspondre à la Banque Mondiale, et au FMI. C'est le cas par exemple
des prêts d'ajustement qui visent à accompagner les Etats qui ont
déjà engagé des réformes économiques,
financières et structurelles mais qui enregistrent de graves
déficits. L'aide est ainsi destinée à prendre en charge
les opportunités que le secteur privé ne peut saisir. Le tableau
I-3 (section précédente) montre que les dix premiers
bénéficiaires de l'aide de la Banque Mondiale sont des pays
économiquement stables, avec des taux de croissance économique
relativement élevés. En effet, l'allocation annuelle moyenne de
la zone éligible à l'AID est de 6,9$ par tête sur la
période 2002-2005. Mais elle atteint 12,3$ pour les pays du quintile le
plus élevé (pays à forte croissance), contre seulement
2,3$ par tête pour les pays du quintile le plus faible. Selon les
périodes, ces trois logiques (intérêt, besoin,
efficacité) ont coexisté dans les faits ou dans les intentions.
Mais elles ont également évolué avec les transformations
de la situation internationale (sur le plan politique et économique) et
des enjeux des relations Nord-Sud. La logique du besoin a évolué
face à la difficulté de définir de façon «
rationnelle et objective »
20 On peut citer : Mc Kinlay et Little (1978a),
Hook S. et al. (1998), CERDI (2001) qui ont étudié l'allocation
de l'aide française; Mc Kinlay et Little (1979), Gang et Lehman (1990),
Meernick et al.
les besoins de financement extérieur d'un pays
donné. Les modèles de déficits (selon lesquels l'aide
vient combler les déficits du compte courant ou soutenir la balance des
payements), ont donné lieu à peu de résultats
convaincants. Aussi l'évaluation des besoins à l'aune des
indicateurs de développement ou de pauvreté essuie-t-elle de
nombreuses critiques. Il a été difficile en pratique de
dépasser l'analyse simpliste liant le besoin d'aide au niveau du revenu
par habitant. La logique de besoin s'est affaiblie par cette difficulté
à établir sans équivoque, une norme pour l'allocation
internationale de l'aide. La logique d'intérêt a
évolué parce que les intérêts stratégiques
internationaux se sont modifiés depuis 40 ans. D'abord inspirés
par les restes de la colonisation, les intérêts sont devenus
essentiellement politiques et idéologiques durant la guerre froide. Avec
l'effondrement du bloc socialiste en 1990, et le courant de la mondialisation
de la fin du vingtième siècle, ils ont évolué vers
des enjeux commerciaux, et énergétiques (pétrole) ; mais
aussi vers une prise en charge au niveau international de certains grands
enjeux planétaires : environnement, conséquences de la
pauvreté, migrations, terrorisme, etc. La logique d'efficacité, a
connu elle aussi, des modifications. On est largement passé de l'optique
du risque projet à l'optique du risque pays; de l'optique de l'aide
projet à l'optique de l'aide programme, fortement conditionnée
aux approches sectorielles, aux annulations de dette (initiative PPTE) et aux
stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP). La
conditionnalité et l'ajustement structurel ont mis l'efficacité
et le mérite au premier plan des déterminants de l'allocation de
l'aide. Dans cette logique d'efficacité, le sens de la causalité
entre le "mérite" d'un pays receveur et l'attribution de l'aide tend
à s'inverser. Dans les années 1980, l'allocation d'aide
était conditionnée à l'adhésion à un certain
nombre de principes et de réformes, dont justement l'aide doit appuyer
la mise en oeuvre. De nos jours, est préconisée une allocation de
l'aide tenant compte non pas de l'adhésion à des programmes
futurs, mais de l'engagement réellement manifesté au
préalable vers certaines politiques, et surtout des résultats
obtenus dans les domaines institutionnels, économiques et sociaux.
L'aide viendrait donc récompenser un témoignage de vertu,
plutôt qu'inciter à une promesse d'adhésion. Ces raisons
évoquées a priori ou officiellement avancées ne
correspondent pas nécessairement aux explications que permet
d'inférer l'évidence empirique.
2. L'inférence empirique des raisons de l'aide
La question de l'allocation de l'aide internationale entre les
pays bénéficiaires fait l'objet d'une littérature
abondante. Depuis les années 1970, de nombreuses études pour la
plupart empiriques ont cherché à inférer les raisons
d'allocation de l'aide internationale. Selon que l'étude porte sur
l'aide bilatérale, l'aide multilatérale ou l'ensemble de l'aide,
les résultats sont naturellement très différents.
2.1. L'aide bilatérale s'expliquerait surtout
par l'intérêt du donateur
Les « raisons » d'allocation internationale de
l'aide bilatérale ne cessent de faire débat depuis les travaux
pionniers de Mac Kinlay et Little à la fin des années 1970.
Plusieurs auteurs20ont analysé les principaux critères
d'allocation des différents pays donateurs: Etats-Unis, Japon, France,
Royaume-Uni, Danemark, Suède, Australie.
Mac Kinlay et Little (1977, 1978 et 1979) ont essayé
d'expliquer la répartition internationale de l'aide des principaux
donateurs bilatéraux (France, Etats-Unis, Royaume Uni) à partir
de deux modèles. Un modèle « receveur » (altruiste)
faisant dépendre l'aide reçue du niveau des besoins du
bénéficiaire, et un modèle « donateur »
(égoïste) axé sur les objectifs de politique
étrangère du pays donateur. Leurs résultats plaident
nettement en faveur d'une allocation de
l'aide basée sur l'intérêt du donateur.
Cette conclusion a été confortée par l'analyse
économétrique de Maizels et Nissanke (1984). Dans le climat
passionné des années 1970-80, ce résultat semblait
illustrer le cynisme des relations internationales, jusque dans ses
manifestations les plus altruistes. Les importantes aides des Etats-Unis
à l'ex Zaïre (actuelle RDC) en pleine guerre froide malgré
des conditions de gestion calamiteuses sous le régime Mobutu en sont une
illustration. Il a été dit que ces aides poursuivaient l'objectif
non déclaré de créer un pouvoir de monopsone artificiel
sur les exportations d'uranium de la RDC, l'ex Zaïre, une matière
première nécessaire pour la fabrication des missiles ; en
empêchant en même temps, l'adversaire (l'URSS) de s'en procurer.
Mais il y a aussi des enjeux idéologiques.
En Afrique, les régimes autoproclamés marxistes
dans les années 1970-1980 (Ethiopie, Mozambique, Angola, Bénin,
Burkina Faso, ...) étaient sanctionnés par le gouvernement
américain dans l'octroi de son aide. Ils n'ont
bénéficié que de seulement 6% de l'aide américaine
durant la décennie 1980, contre 88% pour les régimes capitalistes
proches du bloc occidental comme le Sénégal, l'ex Zaïre,
l'Egypte, ... Des études plus récentes avec des
méthodologies différentes (Hook S. et al. 1998, Gounder 1999,
Burnside et Dollar 1997, 2000 ; CERDI 2001, Morrissey 2004) sont venues
confirmer le modèle « égoïste » notamment pour les
grands donateurs (Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Japon, Australie,
Suède, Canada). Alesina et Dollar (2000) ont trouvé que les liens
coloniaux étaient beaucoup plus importants : « une ancienne colonie
non démocratique reçoit environ deux fois plus d'aide qu'un pays
sans liens coloniaux mais démocratique ». Avec la fin de
l'antagonisme Est-Ouest en 1990, les intérêts stratégiques
se sont modifiés vers d'autres grands enjeux comme par exemple le
commerce. A titre d'exemples, selon l'ACDI, « Le Canada
bénéficie d'environ 70 centimes de chaque dollar
dépensé au titre de l'aide au développement, grâce
notamment à l'achat de produits et services canadiens ». Entre 2001
et 2003, les apports nets d'aide reçus par l'Afghanistan ont plus que
triplé et l'aide à l'Irak a été multipliée
par 23 (de 0,1 à 2,3 milliards USD). Ces augmentations provenaient
surtout des Etats-Unis, dans sa politique de lutte contre le terrorisme (OCDE,
2004). D'autres pays comme la France, le Royaume Uni et le Portugal assistent
plus leurs Ex-colonies, reflétant des préférences
linguistiques et des alliances politiques. L'aide du Japon va beaucoup plus
à ses partenaires commerciaux, et aux pays qui votent avec lui à
l'ONU. Il apparaît presque banal de remarquer que l'intérêt
du pays donateur concerné est au premier plan des objectifs de l'aide au
développement.
2.2. L'aide multilatérale s'expliquerait en
partie par l'intérêt des donateurs
Dans une étude sur l'allocation internationale de
l'aide de la CE (Communauté Européenne), Bowles (1989) conclut
à la simultanéité des logiques de besoins et
d'intérêt/proximité. Le revenu par habitant et le fait
d'être une ancienne colonie d'un pays de la communauté paraissent
les facteurs déterminants dans l'allocation de l'aide de la CE. Les deux
tableaux ci-dessous semblent confirmer ce résultat. Ceci n'est
guère étonnant, dans la mesure où la CE présente
des caractéristiques intermédiaires entre les institutions
multilatérales et bilatérales.
Tableau J--5 : Répartition de l'aide de
la Communauté Européenne par groupe de revenu (en 2003)
Etudiant l'allocation internationale de l'aide de la Banque
Mondiale, Frey et Schneider (1986) ont testé quatre modèles : un
modèle de besoin, un modèle d'efficacité ou de vertu
(stabilité macro-économique et politique), un modèle
«salutaire » caractérisant les pays engagés dans le
processus d'insertion internationale mais possédant de grands
déficits (dette, commerce extérieur, ...) et enfin un
modèle politico-économique qui identifie les pays pauvres proches
du camp occidental. C'est ce dernier modèle (politico-économique)
qui apparaît dans leurs conclusions comme le plus vraisemblable.
L'utilisation de l'aide comme instrument de politique étrangère
serait alors manifeste jusque dans les organisations internationales.
Cependant, des études plus récentes concernant l'aide de la
Banque mondiale (Burnside et Dollar 1997, 2000) concluent à la prise en
compte de facteurs d'efficacité. Sans doute, la fin de la guerre froide
mais aussi de nombreuses critiques formulées à l'encontre des
institutions de Bretton Woods, comme on le verra plus loin, ont
entraîné une disparition progressive du caractère politique
de l'aide multilatérale, la redirigeant ainsi vers plus
d'efficacité.
2.3. L'ensemble de l'aide s'expliquerait par le
besoin
Les études portant sur l'allocation de l'ensemble de
l'aide (Boone 1996, Naudet 1994, Burnside et Dollar 1997, 2000, Llavador et
Roemer 2001) s'accordent sur une répartition qui répond largement
à des caractéristiques propres aux pays receveurs. Le niveau des
besoins des pays récipiendaires souvent évalué à
l'aune du PIB par habitant, et la population (dans le sens où une
population élevée entraîne une aide par tête faible)
ressortent comme les deux variables prépondérantes pour expliquer
l'allocation internationale de l'ensemble de l'aide. Aussi
remarque-t-on une inflexion progressive de l'aide
multilatérale vers le renforcement de la logique de besoin (Naudet,
1994). En effet, l'aide s'oriente davantage vers les pays à fort taux de
pauvreté au détriment des pays à revenu
intermédiaire.
Vers la fin des années 1990, l'importance
conférée à la problématique de l'efficacité
de l'aide a conduit les économistes à explorer beaucoup plus,
l'idée d'une allocation basée sur l'efficacité. Des
études ont indirectement testé la logique d'efficacité en
recherchant la corrélation entre le niveau d'aide reçu et
l'environnement institutionnel et politique dans lequel l'aide est
délivrée. Mais les conclusions renforcent comme nous allons le
voir, la logique du besoin. L'idée d'une efficacité
différenciée de l'aide en fonction de la qualité des
politiques économiques poursuivies par les pays receveurs
(développée par Burnside et Dollar à partir de 1997 puis
repris par d'autres études : Banque mondiale, 1998 ; Burnside et Dollar,
2000) a fortement influencé la littérature sur l'allocation de
l'aide ces dernières années. A cet effet, Collier et Dollar
(1999) ont envisagé un modèle théorique d'allocation de
l'aide internationale qui privilégie les pays très pauvres ayant
des politiques économiques et des institutions de qualité.
Llavador et Roemer (2001) utilisent alors ce modèle pour tester une
allocation de l'aide basée sur l'efficacité. Ils estiment une
équation de croissance où l'efficacité marginale de l'aide
sur la croissance économique d'un pays donné dépend d'une
variable de « qualité des résultats macroéconomiques
» qu'ils assimilent à un effort. Pour une enveloppe d'aide
donnée, ils simulent une allocation internationale basée sur le
niveau d'effort. Par rapport à l'aide actuellement versée,
Llavador et Roemer obtiennent une allocation optimale très surprenante.
Pour leur échantillon de 55 pays, et selon ce modèle, l'Asie de
l'Est et du Sud*est se tailleraient la part du lion ; puisqu'elles recevraient
63% de l'aide totale disponible, contre 11% pour ce qui se fait dans la
réalité (aide effectivement versée). L'Afrique
sub-saharienne recevrait d'après l'estimation, seulement 3% contre 41%
dans la réalité. Certains pays pourtant grands
bénéficiaires d'aide comme la Zambie et les Philippines n'en
recevraient aucune.
La conclusion est donc que le critère
d'efficacité ne serait pas déterminant dans l'allocation
internationale de l'ensemble de l'aide au développement. Le niveau des
besoins serait au premier plan. Cette conclusion a été
appuyée par l'analyse d'Alesina et Weder (2002). Ils montrent que la
variable « corruption » apparaît sans effet pour la
majorité des donateurs, insinuant ainsi la non prise en compte du
facteur "efficacité". De même, pour Burnside et Dollar (2000), la
variable de qualité de la politique économique menée dans
le pays récipiendaire (reflétant la logique d'efficacité)
est sans effet sur le niveau d'aide reçu, alors que le niveau des
besoins ainsi que l'intérêt des donateurs paraissent
déterminants. En définitive, la logique du besoin serait au
premier plan de l'allocation internationale de l'ensemble de l'aide.
En définitive, on note à partir des
études empiriques sur les logiques d'octroi de l'aide internationale,
une domination du critère du besoin du bénéficiaire et de
celui de l'intérêt ou de la proximité avec le donateur.
C'est ainsi que la politique d'aide au développement fait objet
de critiques21. La faiblesse de l'importance
conférée à « l'efficacité de l'aide » a
souvent
entraîné une déresponsabilisation des
gouvernements aidés et une mauvaise gestion de l'aide reçue. Pour
pallier à cette défaillance de la politique d'aide au
développement, la pratique de la conditionnalité ou encore la
sélectivité dans l'octroi de l'aide internationale a souvent
été proposée. Cependant, les pratiques de la
conditionnalité essuient certaines critiques qui affaiblissent la mise
en oeuvre de telles politiques.
SECTION 4 : CONDITIONNALITE OU SELECTIVITE DE L'AIDE
INTERNATIONALE
Souvent considérée comme fondamentale pour une
meilleure efficacité de l'aide internationale au développement,
la conditionnalité ou encore la sélectivité fait objet
d'une littérature abondante. Le débat sur sa
nécessité pour rendre l'aide efficace est controversé.
Même s'il semble évident que
21 On reviendra plus loin sur les critiques de la
politique d'aide au développement.
l'aide sera moins efficace dans un pays fortement corrompu,
rien ne garantit qu'en privant les pays «mal gouvernés» de
l'aide internationale, on parviendra à de meilleurs résultats
globaux en terme de réduction de la pauvreté mondiale. Aussi les
pratiques de la conditionnalité essuient--elles de vives critiques. En
vertu de quoi doit--on priver certaines populations pourtant pauvres de l'aide
au développement? En effet, l'instauration d'un certain nombre de
conditions liées à l'octroi de l'aide s'oppose à l'un des
principaux fondements de la politique d'aide internationale : l'aide comme
instrument de justice entre les Nations.
1. Les fondements ou justifications de la
conditionnalité de l'aide
La notion de conditionnalité de l'aide renvoie
traditionnellement au fait qu'un financement extérieur (l'aide
principalement) octroyé à un pays donné soit soumis
à un engagement de la part de ce dernier (receveur) à mener des
« politiques » qui ont reçu l'approbation du donateur.
Généralement, les « politiques »
considérées dans l'engagement (les conditions) sont celles
considérées comme nécessaires pour corriger ou
réduire les déficiences structurelles, les
déséquilibres macroéconomiques et l'amélioration de
la gouvernance en général dans le pays receveur: bonnes
politiques
macroéconomiques, lutte contre la corruption, Etat de
droit, liberté d'expression et de la presse, ... La
conditionnalité accompagne le plus souvent des financements hors
projets, l'aide budgétaire globale ou sectorielle, l'aide à la
balance des paiements, annulations de dettes, ... L'octroi de telles aides est
alors soumis à des mesures précises de politique
économique. Pratique propre aux institutions de Bretton Woods au
départ, la conditionnalité s'est peu à peu étendue
à la plupart des institutions multilatérales de l'aide publique
au développement. De nos jours, certaines institutions
bilatérales tentent également de l'appliquer bien qu'à des
degrés divers. L'idée de base de la conditionnalité de
l'aide internationale est que les efforts de gouvernance améliorent
significativement la productivité de l'aide au développement ;
cette même productivité étant insignifiante ou même
négative lorsque l'aide est accompagnée de politiques
inappropriées, comme c'est souvent le cas dans les pays mal
gouvernés.
Cette conception sur l'efficacité de l'aide
internationale s'est d'abord manifestée intuitivement dans les
politiques d'ajustement structurelles (PAS) de la fin la décennie 1970 -
début des années 1980. Elle a connu un regain d'importance pour
ensuite s'imposer presque dans les pratiques vers la fin des années
1990. Ce regain d'importance est lié à l'évolution de la
recherche empirique sur l'efficacité de l'aide au développement
et principalement aux analyses de Burnside et Dollar (1997) ainsi que celles de
Banque mondiale (1998).
Burnside et Dollar (1997) et Banque mondiale (1998)
soutiennent que l'aide internationale ne promeut le développement que
lorsqu'elle s'inscrit dans un environnement sain, caractérisé par
de « bonnes politiques économiques22». Plus
tard, Kaufmann, Kraay et Zoido*Lobaton (1999) ont
étendu la définition d'un environnement « sain »
à la qualité des institutions (Etat de droit, niveau de
corruption, liberté politique et de la presse, indépendance du
système judiciaire, élections libres, ...). Les résultats
de ces analyses sont à la base des pratiques ouvertement
affirmées de la conditionnalité de l'aide internationale.
Ainsi, à travers la conditionnalité, une forme
de contrat se met en place entre donateurs et receveurs, dans la logique d'une
conditionnalité ex--ante fondée sur la qualité de la
gouvernance. L'acceptation d'une telle aide (l'aide conditionnelle) par un pays
donné est alors synonyme d'un engagement de la part de ce dernier
(receveur) à mettre en place les politiques nécessaires pour
améliorer la qualité de sa gouvernance. Au cas où le pays
aidé n'honorait pas ses engagements
22 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
politiques en matière de réformes, le
financement devrait être arrêté et le pays
considéré devrait être privé des aides futures
jusqu'à ce que de nouvelles conditions de coopération ne soient
établies. Il s'agit alors de centrer l'octroi de l'aide sur le
critère d'efficacité.
Mohsin Khan et Sunil Sharma (2002) permettent
d'appréhender la conditionnalité de l'aide sous un
autre angle. De manière générale, une
certaine forme de « conditionnalité» existe
toujours dans
les relations entre emprunteurs et prêteurs, destinée à
garantir le remboursement des prêts. Contrairement aux contrats
privés, les pays pauvres ne disposent généralement pas de
garantie valable au niveau international. Sinon ils pourraient s'en servir pour
emprunter à des créanciers privés et n'auraient pas besoin
d'aide. Faute de garantie suffisante, les institutions d'aide internationale
doivent prendre des dispositions destinées à protéger le
prêteur et à empêcher l'emprunteur de s'engager dans les
politiques qui pourraient réduire la probabilité de
remboursement. La conditionnalité de l'aide internationale peut ainsi
être considérée comme un ensemble de dispositions incluses
dans l'accord de prêts et qui fait office de garantie pour le
remboursement des prêts consentis.
Certains auteurs (Lerrick Adam et Allan Meltzer, 2002)
préconisent la « sélectivité » plutôt que
la « conditionnalité ». Comme l'indique le terme en
lui-même, la «sélectivité» consiste à
faire une certaine sélection des pays bénéficiaires. La
stratégie de présélection a été
proposée pour faire face à la réalité selon
laquelle les pays aidés n'honorent pas souvent les engagements consentis
lors Certains auteurs (Lerrick Adam et Allan Meltzer, 2002) préconisent
la « sélectivité » plutôt que la «
conditionnalité ». Comme l'indique le terme en lui-même, la
« sélectivité » consiste à faire une certaine
sélection des pays bénéficiaires. La stratégie de
présélection a été proposée pour faire face
à la réalité selon laquelle les pays aidés
n'honorent pas souvent les engagements consentis lors On reviendra plus loin
sur ces analyses. de l'acceptation de l'aide. Le principe de
sélectivité consiste principalement à accorder plus d'aide
aux pays réellement engagés dans des réformes politiques
pour améliorer leur « gouvernance ». Selon cette formule qui
était la principale recommandation du rapport de la Commission Meltzer
sur les institutions financières internationales en 2000, l'aide devrait
être centrée sur les pays pauvres vulnérables, qui
mènent de bonnes politiques.
Il s'agit alors d'une conditionnalité ex-post;
c'est-à-dire que l'aide vient soutenir les pays pauvres qui appliquent
déjà les conditions considérées comme favorables
à l'essor économique et donc, à la productivité de
l'aide internationale.
Parmi les donateurs, la Banque mondiale et le FMI appliquent
déjà la sélectivité dans une certaine mesure. L'AID
(Banque mondiale) par exemple détermine l'aide par tête à
octroyer à un pays donné à partir d'une formule combinant
un indicateur de la qualité de la gouvernance qui est le CPIA (Country
Policy and Institutional Assessment) et le PIB par habitant23.
Plusieurs autres institutions réfléchissent à la
manière de donner plus de poids à la « bonne gouvernance
» dans l'allocation internationale de l'aide.
En somme, le principe de sélectivité
établit une sorte d'éligibilité à l'aide,
fondée non seulement sur le critère du besoin,
mais aussi et surtout sur le critère d'efficacité,
évalué à partir de la qualité de la gouvernance
dans le pays considéré. Il pose pourtant un problème
fondamental. En partant des principes de la conditionnalité ou de la
sélectivité, certains pays pourtant pauvres ne doivent pas
bénéficier de l'aide internationale. Ce qui va à
l'encontre du principe même de l'aide internationale,
considérée comme un élément de justice
internationale. C'est ainsi que les points de vue divergents sur l'application
de la conditionnalité ou de la sélectivité.
23 Cette règle n'est cependant pas strictement
respectée.
2. Le débat controversé sur la pratique de la
conditionnalité
La conditionnalité/sélectivité de l'aide
internationale fait objet de critiques de diverses natures qui affaiblissent sa
mise en oeuvre stricte. D'abord parce qu'il est loin d'être certain que
la sélectivité va entraîner une meilleure efficacité
de l'aide internationale vis-à-vis de son objectif principal qui est la
réduction de la pauvreté dans le monde. Ensuite parce qu'elle est
contraire à un fondement essentiel de la politique d'aide; celui selon
lequel l'aide est un instrument de justice entre les Nations.
L'une des critiques fondamentales et carence principale de la
conditionnalité est qu'elle n'a aucun fondement théorique. Comme
nous l'avons vu plus haut, la principale justification de la
conditionnalité ou de la sélectivité est l'analyse
empirique de Burnside et Dollar (1997) qui établit que l'aide
internationale n'est productive que lorsqu'elle est accompagnée de
bonnes politiques économiques. Des analyses empiriques plus
récentes (Easterly et al. 2003, Clemens et al. 2004) réfutent
cette thèse. Selon les résultats de Easterly et al. (2003),
l'aide est stérile même si elle est accompagnée de bonnes
politiques. On ne peut donc pas être certain qu'en
pratiquant la sélectivité dans l'octroi de
l'aide au développement, on aboutira à de
meilleurs
résultats en terme de réduction de la
pauvreté. La pratique de la sélectivité se trouve ainsi
mise en mal par le fait qu'elle repose sur une base empirique qui n'est pas
suffisamment robuste. Une seconde critique à l'encontre de la pratique
de la sélectivité trouve sa source dans le fait que cette
pratique semble injuste du point de vue de la redistribution24,
lorsqu'on considère en particulier, l'égalité des chances.
Doit-on refuser l'aide à un pays qui est très pauvre avec des
handicaps énormes et qui est mal gouverné ? A l'inverse, doit-on
consacrer l'essentiel de l'aide aux pays qui ont déjà
amorcé leur décollage ? Les détracteurs d'une politique
d'aide sélective ne soutiennent que la pratique de la
sélectivité va priver un grand nombre de pays pauvres de l'aide
étrangère alors que ces derniers n'ont pas accès aux
marchés de capitaux internationaux. Cette pratique augmenterait alors
les risques de pauvreté et créerait de fortes
inégalités entre les Nations. Elle peut même renforcer les
inégalités entre les habitants des pays en développement,
en pénalisant les pays qui ont de grands handicaps structurels tout en
fournissant dans le même temps, plus de moyens à des pays
où les perspectives de réduction de la pauvreté sont plus
élevées. Pourquoi faut-il refuser l'aide à un pauvre
paysan malien impuissant devant les conditions désertiques de son pays
pour l'octroyer à un Indonésien ou à un Indien par exemple
? En adoptant de telles pratiques (conditionnalité ou
sélectivité), l'aide perd une de ses fonctions principales: celle
d'être un instrument de justice entre les Nations.
Néanmoins, une allocation internationale de l'aide qui
ne tient pas compte de la qualité de la gouvernance dans les pays
receveurs peut être « perverse » pour les pays pauvres qui ont
à leur tête des régimes « prédateurs » ou
« inefficient ». Lorsque l'octroi de l'aide ne tient pas compte du
critère d'efficacité, l'aide internationale peut notamment
créer une désincitation à assainir le climat des affaires
dans la mesure où les gouvernements aidés savent que, si leurs
résultats sont médiocres et que leur économie est en
mauvais état, on ne leur imposera pas des conditions strictes de
remboursement des prêts consentis. Au contraire, ils pourront
bénéficier d'une aide accrue. On se trouve là, en face du
dilemme du bon Samaritain (on y reviendra plus loin).
D'autre part, lorsque l'allocation de l'aide internationale ne
tient pas compte de la qualité de la gouvernance, l'aide qui est
normalement destinée à l'amélioration des conditions de
vie des populations pauvres peut être détournée, pour
servir finalement des ambitions personnelles de quelques rares de «
privilégiés ». A quoi bon aider un pays hautement corrompu
si on sait d'avance que l'aide octroyée ne parviendra pas aux
populations démunies ? Le détournement de l'aide par la classe
dirigeante accroît les inégalités au sein d'une même
Nation, accentuant ainsi les tensions de révolte qui peuvent
déboucher sur une guerre civile. L'exemple du Zaïre de
24 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
Mobutu Sésé Séko est très parlant
dans ce domaine. Le régime hautement corrompu du président Mobutu
a contre toute attente, bénéficié pendant plusieurs
décennies de soutiens financiers énormes des grandes puissances.
Ces fonds d'aides n'ont servi qu'à la construction de palais
présidentiels et à l'achat de limousines lorsqu'elles ne se
retrouvent pas sur des comptes privés en Europe et en Amérique.
Le creusement des inégalités et la frustration qui s'en sont
suivis sont à la base de la rébellion qui a plongé le pays
dans plusieurs années de guerre civile. De ce point de vue, la pratique
de la conditionnalité peut se révéler être un moyen
efficace pour baisser les tensions de révolte et prévenir un
conflit armé à l'intérieur d'un pays où la
gouvernance est de piètre qualité. Il arrive même que la
population civile autochtone se soulève pour demander à la
communauté internationale de suspendre son aide au pays (cas du Togo
d'Eyadema dans les années 1990, le Zimbabwe de Robert Mugabe
aujourd'hui).
En somme, même si la pratique de la
conditionnalité ou de la sélectivité dans l'octroi de
l'aide internationale est considérée comme nécessaire pour
une meilleure efficacité de l'aide au développement, elle est
très peu appliquée. Ceci est lié à deux principales
causes:
i) le fait que la conditionnalité repose sur une base peu
solide;
ii) le rôle d'instrument de justice internationale
conféré à l'aide étrangère.
Même si l'on admet que « la bonne gouvernance
» accroît la productivité de l'aide internationale, les
répercussions que peut avoir la pratique de la sélectivité
(ou de la conditionnalité) sur l'objectif primordial de réduction
de la pauvreté sur le plan mondial restent à élucider. De
même, les incitations procurées par un système d'aide
sélectif ou non nécessitent une analyse approfondie. En
particulier, il n'y a pas de base théorique immédiate qui prouve
que la pratique de la conditionnalité va améliorer l'effort en
faveur des réformes dans les pays receveurs. Les résultats
empiriques de Burnside et Dollar qui sous-tendent la nécessité de
telles pratiques sont récemment mis en mal par de nouvelles analyses
empiriques. Des études supplémentaires sur le sujet sont donc
nécessaires.
Conclusion partielle
L'aide au développement est un moyen de financement
dont les conditions tarifaires sont très avantageuses par rapport au
marché. Elle est destinée et même réservée
aux pays pauvres. L'aide provient des pays développés, qui
l'octroient à travers des institutions spécialisées,
multilatérales et bilatérales. L'Afrique sub-saharienne en est la
principale région bénéficiaire. L'aide bilatérale,
transitant par des agences étatiques propres à chacun des
donateurs en est la forme dominante ; ce qui la rend très sensible
à l'atmosphère politique. Que l'aide soit bilatérale ou
multilatérale, trois grandes logiques ou considérations
gouvernent son attribution: les besoins du receveur, les conditions
d'efficacité de l'aide reçue et l'intérêt du
donateur (ou encore la proximité entre le receveur et le donateur). On
note cependant une domination de deux logiques distributives : le niveau des
besoins du pays récipiendaire, et l'intérêt du pays
donateur. Bien que la pratique de la conditionnalité ou la
sélectivité dans l'octroi de l'aide au développement est
considérée comme nécessaire pour une meilleure
productivité de l'aide internationale au développement, elle ne
fait pas unanimité. Ceci parce que de telles pratiques reposent sur une
base peu solide et surtout à cause du rôle de redistribution
à l'échelle planétaire25que l'aide est
censée jouer. On remarque que la logique de besoin devient de plus en
plus pertinente pour expliquer l'allocation de l'aide. Ceci témoigne du
rapprochement de l'intérêt des pays donateurs des grands enjeux
dans les pays les plus pauvres : environnement,
pauvreté, migration, conflits armés, terrorisme,
... Nous remarquerons évidemment au sujet des études sur les
raisons qui expliquent l'allocation internationale de l'aide au
développement
25 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
qu'elles souffrent d'un biais de sélection manifeste.
Un échantillon de pays africains montrera des liens avec les anciens
colonisateurs. Un échantillon mondial montrera que l'aide va vers les
pays les plus pauvres. Dans le premier cas, on conclura à la
thèse de l'intérêt, dans le second à la thèse
du besoin. La logique d'efficacité semble la moins pertinente. Ce qui
est tout à fait étonnant compte tenu de l'objectif de croissance
économique initialement mis en avant pour justifier l'aide
internationale. Comment comprendre ce paradoxe? Pour répondre à
cette question, nous examinons dans le chapitre suivant les principaux
fondements ou justifications de l'aide internationale.
Chapitre deuxième
LES FONDEMENTS DE L'EFFICACITE DE L'AIDE
EXTERIEURE
« L'aide étrangère est la composante
centrale du développement mondial »
Hollis B.
Chenery, New York Times (1er mars 1981).
« Nous, les experts, n'avons que faire de la hausse
du produit intérieur brut en tant que telle. Elle nous tient à
coeur parce qu'elle contribue à améliorer le sort des pauvres et
à en diminuer la proportion dans la population. Elle nous tient à
coeur parce que les personnes moins pauvres peuvent manger davantage et acheter
plus de médicaments pour leurs enfants... Le bien--être des
prochaines générations des pays pauvres dépend du
succès de notre quête de la croissance »
William Easterly, The Elusive Quest
For Growth (2001).
Pourquoi aider les pays pauvres ? Comment l'aide
internationale se justifie-t-elle?
Quels sont les principaux fondements de l'efficacité de
la politique d'aide au développement ? Comment l'aide internationale
peut-elle favoriser le développement des pays pauvres ? Comment
évolue la pauvreté dans le monde après plus d'un
demi-siècle de politique de développement axée sur l'aide
internationale ? La politique d'aide internationale est-elle toujours bien
accueillie?
Deux paradigmes se sont toujours opposés à
propos de l'aide internationale : l'un lui assigne le rôle de financer
les « investissements efficients » pour promouvoir le
développement dans les pays pauvres; tandis que l'autre lui
confère le rôle de « transferts redistributifs » pour
corriger les injustices et inégalités entre les Nations. Il
existe bien évidemment une remarquable disparité dans les
dotations en richesse des Nations. De ce point de vue l'aide se justifierait
par une réallocation des ressources destinée à corriger
l'injustice dans les dotations initiales entre les économies, et
à permettre aux pauvres de vivre mieux. A cette vue statique, s'oppose
l'approche dynamique de l'aide au développement. Selon cette
dernière approche, l'aide doit viser l'augmentation du revenu dans les
pays pauvres et les amener à s'auto suffire.
En effet, «Il vaut mieux apprendre à un homme
à pêcher que de lui donner du poisson » (Confucius). La
Banque Mondiale soutient la thèse angélique selon laquelle l'aide
internationale est la politique à mener au niveau mondial pour favoriser
la croissance économique dans les pays pauvres et éliminer la
pauvreté. Cette vision de l'aide, aussi noble qu'elle puisse
paraître, ne fait pourtant pas consensus. D'abord parce que les faits
semblent réfuter cette thèse. Plus d'un demi-siècle d'aide
internationale n'a pas réussi à éliminer la
pauvreté dans le monde. Ensuite, certains auteurs, d'inspiration
marxiste, dénoncent l'aide, en laquelle ils voient une nouvelle source
d'exploitation du Tiers-monde, par l'ex colonisateur. Depuis le tournant du
nouveau siècle, cette vision manichéenne de l'aide a
laissé la place à l'analyse empirique de l'efficacité de
l'aide extérieure. Dans la section 1, on examine les fondements
théoriques statiques de la justice et de l'efficience de l'aide
internationale. On montre que l'aide est une politique visant à corriger
l'injustice dans les dotations en ressources entre les économies. Elle
peut en outre générer des améliorations au sens de Pareto
du fait notamment de l'existence de biens publics mondiaux. Dans la section 2,
on analyse théoriquement l'efficacité dynamique de l'aide. On
montre qu'en finançant les investissements dans les pays pauvres, l'aide
peut y promouvoir la croissance économique et ainsi conduire à
éliminer la pauvreté dans le monde. Après plus de
cinquante ans d'aide, la pauvreté a-t-elle baissé? C'est ce qu'on
étudie dans lasection 3. Les analyses sur l'évolution de la
pauvreté mondiale, très controversées, ne permettent pas
de dégager une réponse claire à cette question. Le
résultat de cinquante ans
d'aide au développement vis-à-vis de l'objectif
de réduction de la pauvreté est ambigu. Ceci nous amène
à considérer dans la section 4 les critiques à l'encontre
de la politique d'aide au développement.
Section1 : Aide internationale, justice et
efficacité
L'inégalité dans les dotations entre pays est
tout à fait manifeste. Certains pays sont dotés de terres
arables, de ressources naturelles, ... alors que d'autres doivent consacrer de
gros efforts à leurs sols pour les rendre cultivables. Les pays pauvres,
vulnérables, sont le plus souvent touchés par des catastrophes
naturelles (raz de marée, sécheresse, ...). De ce fait, si l'on
cherche dans la théorie économique ce qui peut justifier l'aide
internationale, on est amené à considérer les
théories économiques de la justice: Rawls (1971, 1996), Sen A.
(1980, 1999), Fleurbaey (1996), Roemer (1996, 2000), ... Malheureusement les
critères de justice sont tous problématiques et débouchent
sur des politiques de redistribution contestables. Les économistes
préfèrent détourner le problème en invoquant
l'altruisme des plus nantis et l'amélioration du bien-être de tous
: l'aide serait alors une politique pour générer des
améliorations au sens de Pareto.
1. L'altruisme, le besoin de justice et l'aide
internationale
Des principales caractéristiques des institutions de
l'aide internationale, on peut citer, quoique à des degrés
différents, l'altruisme et le besoin de justice. Comment l'aide se
justifie-t-elle à partir de ces deux principes?
1.1. Altruisme et aide internationale
On peut admettre que si une préoccupation d'aider les
pays pauvres existe, c'est que les pays « riches » sont altruistes.
Il existe plusieurs façons de formaliser l'altruisme. Pour simplifier,
nous considérons qu'à partir d'un certain niveau de
bien-être, la consommation supplémentaire devient une nuisance
lorsqu'elle se fait au détriment des autres. Supposons qu'il existe deux
pays A et B (représentant par exemple le Sud et le Nord), et que leurs
courbes d'indifférence dans la boîte d'Edgeworth ont l'allure
suivante:
Figure I--14 : Altruisme, redistribution et
amélioration au sens de Pareto
L'utilité du pays A augmente classiquement jusqu'au
point C où elle atteint un maximum. Passé ce point, toute
consommation supplémentaire le fait passer sur un niveau
d'utilité inférieur. Il en est de même pour le pays B qui
atteint un niveau de saturation lié à son altruisme au point A.
Les points de tangence des courbes d'indifférence au nord*est de C et au
sud-Ouest de A, respectent
l'égalité des TMS sur la courbe des contrats,
mais ne sont pas des optimums au sens de Pareto. Seuls les points entre A et C
sont des optimums de Pareto. Cette situation est représentée
à droite sur la courbe des possibilités d'utilité. Le pays
B a un maximum d'utilité en A, il a en E le même niveau
d'utilité qu'en F. En E il consomme plus de biens qu'en F mais compte
tenu de son altruisme, son utilité reste inchangée. Elle est
identique à celle en F.
Ce simple cadre de réflexion nous permet de montrer que
l'aide au développement peut se trouver justifiée par le principe
de l'efficience parétienne. Si l'allocation internationale des
ressources est en E, une réallocation qui fait passer de E à F
(transfert de ressources du pays B vers A) est une amélioration au sens
de Pareto. L'utilité du pays A augmente et laisse celle du pays B
inchangée. Dans ces conditions, seule la partie AC de la courbe des
contrats et/ou de la CPU est optimale. L'aide internationale peut viser
à atteindre ces points. On a là une justification de l'aide
internationale fondée sur l'altruisme et le critère de Pareto.
Les situations de pauvreté extrême (nord-est de C et sud-ouest de
A) peuvent sans doute expliquer un altruisme interétatique. Les
engagements des pays riches à consacrer une partie de leur revenu (0,7%
du PIB) à l'aide aux pays pauvres peuvent s'expliquer ainsi, par
l'altruisme. Une autre justification de l'aide internationale peut se trouver
dans le besoin de justice.
1.2. Allocations injustes, aide internationale,
justice
Si l'on reconsidère la figure ci-dessous, des
améliorations au sens de Pareto sont possibles au point E. Une politique
d'aide internationale peut alors se justifier. Mais il se peut fort bien que
l'état initial soit au point A, c'est-à-dire un optimum de
Pareto. Comme le dit Sen (1970), « une économie peut être
à l'optimum de Pareto et être parfaitement dégueulasse
». Dans ce cas il faut prendre en compte des critères autres que
celui de Pareto, pour justifier la politique d'aide internationale. Un
graphique célèbre des manuels de
microéconomie26 résume les choix de répartition
auxquels conduisent différents critères de justice. Si on
considère la figure suivante:
Le critère de Pareto nous conduirait à un
état entre A et C. Le critère Utilitariste à l'état
B27. Le critère Egalitariste en D sur la droite à
45°. Le critère de Bergson-Samuelson à un état entre
A et
C. Enfin le critère de Rawls nous conduirait en C.
Les principales critiques de ces solutions sont bien connues.
L'égalitarisme n'est pas efficient (le point D n'est pas un optimum de
Pareto). Le critère de Bergson-Samuelson ne nous apporte rien par
rapport au critère de Pareto. Le critère de Pareto ne nous permet
pas de choisir entre les points efficients, c'est un critère
d'efficience et pas de justice. Seul le critère de Rawls paraît
à l'abri de critiques fortes, mais l'on sait qu'il pose le
problème dit des choix dispendieux. De quel
26 Voir par exemple Wolfelsperger (1995).
27 En supposant une pondération donnée
pour le Nord et le Sud.
droit diminuer le bien-être du Nord (peut être de
beaucoup), pour augmenter (peut-être de très peu) le
bien-être du Sud? Dans le cas envisagé, si l'état initial
est en E, il se peut qu'il existe un consensus politique pour passer au point F
puisque c'est une amélioration au sens de Pareto. Tous les points entre
A et F sont à partir de E des améliorations au sens de Pareto.
Mais un état initial en E présuppose qu'il existe une
inefficience dans la répartition initiale (due par exemple à
l'altruisme). En fait, il se peut fort bien que l'état initial soit au
point A. C'est-à-dire parfaitement injuste comme le point E, et Pareto
optimal. Alors on voit mal comment dégager un consensus pour mener une
politique de redistribution, c'est-à-dire une politique de transfert de
richesse ou d'aide internationale. Il en est ainsi parce qu'il est très
difficile de choisir un critère; chacun présentant des avantages
et des inconvénients. Vaut-il mieux être en A, B ou C ? Il n'y a
pas de solution ; un tel débat semble éternel. Face à
cette difficulté, les économistes détournent le
problème. Puisque la répartition de la richesse existante est une
question insoluble, ils reviennent au critère primordial de
l'efficience. L'aide internationale peut conduire à une
amélioration du bien-être de tous (Pareto optimale). Elle est
alors une politique efficiente et en ce sens, justifiée.
2. L'efficience et l'aide internationale
Du point de vue de l'efficience, si l'on cherche dans la
théorie économique ce qui peut justifier l'aide internationale,
on est amené à considérer l'existence de biens publics
mondiaux (paix, environnement, santé),de certains défis
planétaires (pauvreté, migration) et des externalités
interétatiques. L'aide internationale est dans ce cas la politique
à mener pour améliorer le bien-être de tous : il s'agit
donc d'une politique Pareto optimale, et donc efficiente.
2.1. Les biens publics mondiaux, l'aide internationale
et l'efficience
Un ensemble de justifications de l'aide internationale se
fonde sur la nécessité de préserver les biens publics
mondiaux. Le bien public le plus important est peut-être la paix. Il est
évident que, les pays voisins des Etats en guerre civile supportent une
partie des coûts de ces conflits. Cela justifie une action publique
internationale pour les prévenir. En effet, les conflits armés
sont souvent considérés comme une recherche de rente. Le
gouvernement contrôle les rentes engendrées par l'Etat et un
mouvement rebelle tente de s'emparer de cette capacité de
contrôle. Dans cette approche, l'aide augmente les ressources de l'Etat.
Le gouvernement ayant plus de moyens, peut investir dans sa capacité de
défense. Il augmente les dépenses militaires : si vis pacem para
bellum. Ce qui augmente le coût pour les rebelles de s'approprier l'Etat.
L'aide peut ainsi prévenir une rébellion par dissuasion. En
outre, avec les ressources d'aide, le gouvernement peut augmenter les
dépenses sociales ; il en résulte une baisse de la tension de
révolte, et donc une baisse de l'incitation à se rebeller.
Collier (2004) estime que les bénéfices tirés d'une
situation de sécurité représentent à eux seuls 40%
du coût de l'aide.
Le second bien public international important est
l'environnement. Le défi environnemental est un grand enjeu de notre
époque. L'émission de gaz à effets de serre détruit
progressivement la couche d'ozone pourtant indispensable à la vie sur la
terre. Le réchauffement planétaire et la fonte des glaciers
polaires qui s'en suit augmentent les risques de catastrophes naturelles
(inondations, sécheresse, raz de marée, ...). Les
sécheresses se prolongent rendant difficiles les activités
agricoles. Les problèmes environnementaux génèrent des
coûts énormes auxquels aucun pays ne peut à lui seul faire
face. Seule une action internationale commune peut permettre d'endiguer ses
maux. Dans ce cadre, le financement des projets écologiques ou
l'assainissement de l'environnement à partir de l'aide internationale
est une politique efficiente.
Un autre domaine concerné par la question des biens
publics internationaux est la santé. Certaines maladies comme le
VIH/SIDA, la tuberculose, la poliomyélite, le paludisme, ... bien que
plus préoccupantes dans les pays du Sud, entraînent des
externalités internationales dont les coûts sont très
élevés. Les traitements et préventions encore loin de la
portée des pays du Sud, nécessitent une action collective
(recherche par exemple) et une prise en charge sur le plan mondial. Lorsque par
exemple la grippe aviaire (le virus H5N1) frappe la Turquie, il est de
l'intérêt des pays riches d'Europe d'aider la Turquie à
combattre cette maladie, au risque d'être aussi contaminés. L'aide
internationale améliore ainsi le bien-être de tous. Dans ces
conditions, l'aide est une politique générant des
améliorations au sens de Pareto. Une autre justification de l'aide est
l'existence d'externalités interétatiques qu'il faut
internaliser.
2.2. Les externalités interétatiques,
l'aide et l'efficience
Il y a eu ces dernières années de nombreuses
discussions sur les externalités interétatiques. Les pays
industrialisés utilisent de manière abusive, certains biens
publics mondiaux épuisables, et dégagent trop de déchets
nuisibles à l'humanité (gaz à effets de serre, pollution
des eaux, bruit, ...). Certains auteurs considèrent que les
externalités interétatiques s'avèrent des explications
importantes de la stagnation des pays en développement28
(Gunning, 2004). De ce fait, il est optimal de mettre en
place une taxation pour compenser ces externalités
négatives. Ainsi, l'aide internationale peut-elle être
considérée comme un système de taxes, où les pays
pauvres paient un impôt négatif (puisqu'ils ne polluent pas) ; et
les pays industrialisés, auteurs des nuisances paient des taxes sur
leurs revenus. De ce point de vue, l'objectif des 0,7% du PNB en aide
internationale fixé par l'ONU peut être appréhendé
comme une taxe proportionnelle au revenu. En somme, l'aide internationale n'est
pas seulement un geste de générosité. Au-delà de
l'altruisme des plus nantis, le besoin de justice, les biens publics mondiaux,
et les externalités interétatiques nécessitent
l'intervention d'une force publique internationale. On peut donc
considérer le monde actuel comme une entité dans laquelle l'ONU
joue le rôle de puissance publique, et où les Nations sont
considérées comme les individus. Telle une politique de
redistribution à l'intérieur d'une même Nation, la
puissance publique (l'ONU) taxe le revenu des plus riches (d'où
l'objectif des 0,7% du PNB des pays développés) pour
subventionner la consommation des plus pauvres (médicaments contre le
paludisme et le Sida, aide alimentaire, fourniture d'eau, ...) et pour financer
la production de biens publics (recherche, environnement, paix). Ceci
confère à l'aide internationale un fondement suffisamment solide.
La politique d'aide au développement est donc une politique efficiente.
Il s'agit alors d'améliorer le bien-être de tous
(amélioration au sens de Pareto). Une autre façon d'atteindre cet
objectif (amélioration du bien-être de tous) est de repousser la
frontière des possibilités de production sur le plan mondial par
la promotion de la croissance économique dans les pays pauvres. La
théorie économique nous enseigne que le capital a une
productivité marginale décroissante. Plus on est riche, moins le
capital est productif. Sur cette base, le capital sera plus productif dans les
pays en développement (on peut citer l'exemple de la Chine et de l'Inde
aujourd'hui). Rediriger une partie des ressources des pays du Nord vers le sud
crée donc des améliorations au sens de Pareto. L'aide
internationale investie en capital dans les pays pauvres est donc une politique
efficiente. Elle augmente la production globale. La frontière mondiale
des possibilités de production est donc repoussée vers le haut.
On élimine ainsi le problème statique de la répartition.
La figure ci-dessous montre que tout le monde y gagne
28 On peut citer à titre d'exemples, les pluies
acides et les longues sécheresses répétées alors
que les pays en développement vivent essentiellement de l'agriculture.
D'autre part, selon l'OMS, une récente épidémie de
méningite en Afrique sub--saharienne serait imputable aux changements
climatiques. Des hausses de température dues au réchauffement
planétaire accélèrent les cycles de
Figure I--16 : Aide, croissance économique et
amélioration au sens de Pareto
La croissance économique dans les pays pauvres peut
permettre à l'humanité de faire face à certains
défis majeurs comme la pauvreté, la migration,
l'insécurité et le terrorisme. L'exil économique et la
criminalité sur le plan mondial sont intrinsèquement liés
à la pauvreté dans les pays en développement. La lutte
contre la pauvreté peut être envisagée comme un « bien
public » que la communauté internationale doit financer. Cette
lutte ne peut passer que par l'augmentation du revenu dans les pays pauvres.
Promouvoir la croissance économique dans les pays du Tiers-monde devient
alors une nécessité ; et le moyen proposé pour y arriver
est le financement de l'investissement dans les pays pauvres à partir de
l'aide au développement. Se pose la question de savoir comment l'aide
favorise-t-elle la croissance économique et si la croissance
économique réduit réellement la pauvreté?
Section 2 : Aide, croissance économique et lutte
contre la pauvreté
Dans la section précédente, on a vu que la
croissance économique dans les pays pauvres qui augmente la richesse
globale, génère des améliorations au sens de Pareto. S'il
y a donc une politique à mener dans ce sens, elle pourrait faire objet
de consensus. Dans un premier temps, on présente l'importance pour le
revenu des pauvres d'une croissance économique soutenue à long
terme. On montre ensuite que l'aide peut permettre d'atteindre un tel objectif,
et conduire à l'élimination de la pauvreté dans le
monde.
Figure I--17 : Aide, croissance
économique et amélioration au sens de Pareto
La croissance économique dans les pays pauvres peut
permettre à l'humanité de faire face à certains
défis majeurs comme la pauvreté, la migration,
l'insécurité et le terrorisme. L'exil économique et la
criminalité sur le plan mondial sont intrinsèquement liés
à la pauvreté dans les pays en développement. La lutte
contre la pauvreté peut être envisagée comme un « bien
public » que la communauté internationale doit financer. Cette
lutte ne peut passer que par l'augmentation du revenu dans les pays pauvres.
Promouvoir la croissance économique dans les pays du Tiers-monde devient
alors une nécessité ; et le moyen proposé pour y arriver
est le financement de l'investissement dans les pays pauvres à partir de
l'aide au développement. Se pose la question de savoir comment l'aide
favorise-t-elle la croissance économique et si la croissance
économique réduit réellement la pauvreté?
1. Effets bénéfiques de la croissance
économique pour le revenu par tête moyen à long terme
Barro et Sala-i-Martin (1996) soulignent dans la
célèbre introduction de leur livre, les conséquences
à long terme d'une petite différence de taux de croissance
économique. Pour évaluer la répercussion sur de longues
périodes des différences des taux de croissance, on peut se
référer à l'exemple suivant relatif à trois pays
africains. En 1960, le Botswana, la Zambie et le Zimbabwe avaient des niveaux
de revenu par tête similaires : 650$ pour la Zambie, 467$ pour le
Zimbabwe, 313$ pour le Botswana. Remarquons toutefois que le revenu par
tête zambien représentait plus du double de celui botswanais. Ces
trois pays se situent dans une même zone géographique. Entre 1960
et 2005, le Botswana a connu un taux de croissance moyen de 6,44% ; celui du
Zimbabwe est 0,42% et la Zambie -0,91%. La figure ci-dessous présente
l'évolution de leur indice de PIB par habitant de 1965 à 2005.
Figure I-18 : Le Botswana: début d'un miracle en
Afrique?
La croissance économique a permis au Botswana de
multiplier son PIB par habitant moyen par 16,58 sur la période
1960-2005. Celui du Zimbabwe avec un taux de croissance de 0,42% n'a
été multiplié que par 1,2 et celui de la Zambie a
régressé. Il a été multiplié par 0,66. Le
revenu par tête au Botswana vaut en 2005 plus de 12 fois celui zambien
dont il valait moins de la moitié il y a moins de 50 ans. Et ceci
à cause de leur différence de croissance. Supposons que les trois
pays maintiennent ces taux de croissance économique pendant cent ans;
c'est-à-dire jusqu'en 2060. Le tableau ci-dessous présente les
estimations du revenu par tête pour les trois pays.
Tableau I-7 : Effets de différents taux de
croissance économique
Dans 50 ans environ, le revenu par tête au Botswana sera
voisin de 160000$. Il vaudra alors plus de 4 fois le revenu moyen par
tête des Etats-Unis aujourd'hui (37000$). Le Botswanais moyen sera alors
4 fois plus riche que l'Américain moyen l'est aujourd'hui. Alors que le
revenu par tête zimbabwéen qui croît au taux de 0,42% ne
sera que 710. Mais, si au lieu de ce taux (6,44%), le revenu par tête au
Botswana croissait de 5,44% ; c'est-à-dire 1% de moins que le taux de
croissance actuel, en 2060 le PIB par tête au Botswana vaudrait environ
62500$ ; c'est-à-dire pratiquement le tiers du montant de la
prévision précédente. Ainsi, même une petite
différence de taux de croissance, lorsqu'elle est cumulée sur une
période relativement longue, peut créer des écarts
considérables de bien-être. C'est pourquoi la croissance
économique est l'élément clé dans les pays pauvres
pour leur développement.
Malheureusement, plusieurs pays connaissent des taux de
croissance économique semblables à ceux du Zimbabwe et de la
Zambie. Sur la même période (1960-2005), le Timor-Leste a connu un
taux de croissance moyen de 0,57% ; l'Uruguay 0,8% ; le Burundi 0,45% ;
l'Argentine 0,72% ; l'Ethiopie (0,64%), ... Et il y a des situations pire :
République Centrafricaine -0,69% ; République Démocratique
du Congo -2,98% ; Haïti -1,14% ; Djibouti -4,34% ... Notre exemple
ci-dessus montre que si rien n'est fait pour aider la Zambie ou le Zimbabwe, 50
ans plus tard, ils
resteront toujours pauvres et l'écart de niveau de vie
entre le Botswanais moyen et le Zimbabwéen moyen sera
considérable. Pour citer Barro et Sala-i-Martin (1996) : « si nous
voulons comprendre pourquoi les niveaux de vie diffèrent tant entre
pays, nous devons déterminer les raisons d'écarts aussi
prononcés entre leurs taux de croissance économique à long
terme. Car même de petites différences entre ces taux de
croissance, lorsqu'elles sont cumulées sur une génération
ou plus, engendrent de remarquables écarts entre les niveaux de vie
». Une question fondamentale se pose alors. Pour paraphraser Lucas, «
la communauté humaine peut-elle agir pour que l'économie
zambienne puisse croître au même rythme que le Botswana ? Si oui,
que faut-il faire au juste ? Sinon, que peut-il y avoir dans la nature de la
Zambie pour qu'il en soit ainsi ? » Pour initier le processus de
croissance dans les pays pauvres, la solution avancée par la Banque
mondiale est que la communauté internationale finance leur
investissement grâce à l'aide internationale. En augmentant leur
stock de capital grâce à l'aide, les pays pauvres pourront
durablement connaître la croissance économique et ainsi vaincre la
pauvreté.
2. La philosophie de la Banque mondiale: promouvoir la
croissance dans les pays pauvres à partir de l'aide pour éliminer
la pauvreté
Depuis les années 1950, les institutions de Bretton
Woods soutiennent la thèse selon laquelle l'aide internationale est la
politique à mener pour promouvoir la croissance économique dans
les pays pauvres et vaincre la pauvreté. Ces organismes tels le Fond
Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale ont choisi leurs
politiques sur la base d'un consensus : les pays pauvres manquent
d'investissement, car ils manquent d'épargne. En augmentant leurs
investissements grâce à l'aide internationale, on augmente leurs
taux de croissance économique. La croissance du revenu produit à
son tour, des effets bénéfiques pour la réduction de la
pauvreté. L'aide au développement permettra ainsi
d'éliminer la pauvreté dans le monde.
2.1. Aide internationale et croissance
économique
Les analyses et prévisions de croissance
économique que fait la Banque mondiale concernant l'efficacité de
l'aide au développement sont essentiellement basées sur le cadre
théorique du modèle Harrod-Domar (Easterly 1999,
2001)29que nous présentons en bref ci-dessous. La production
totale d'une économie Y est liée aux stocks de capital ( K ) et
de travail ( L) de l'économie considérée par la relation
suivante:
Dans les pays pauvres, il y a une pléthore de main
d'oeuvre; et donc le facteur limitant est le facteur capital. De là,
l'output total peut s'écrire simplement:
Les productivités moyenne ( PMK ) et marginale ( PmK ) du
capital sont donc données par:
(2)
Les productivités moyenne et marginale du capital sont
donc égales et constantes. Il y a de ce fait, une hypothèse
implicite dans ce modèle; celle selon laquelle la productivité du
capital
29 Easterly (1999 ; 2001 ; 2005) fait une vive
critique à ce modèle qu'il juge inadapté à
l'analyse du développement. On y reviendra plus loin.
n'est pas décroissante. L'équation (1.b) indique
que la production totale est proportionnelle au stock de capital dans
l'économie.
Le stock de capital augmente grâce à
l'investissement. Si on ignore la dépréciation du capital, la
variation ou l'augmentation du stock de capital est égale à
l'investissement.
Soit K0 le stock de capital initial et I1 l'investissement
réalisé au cours de la période t , qui peut être
d'une ou plusieurs années. La production totale de la période t
est donnée par:
(3)
L'augmentation de la production totale que génère
l'investissement réalisé (ou encore l'augmentation du stock de
capital) est donnée par:
(4)
En divisant le montant de l'investissement réalisé
au cours de la période t par l'augmentation de la production
qu'il génère au cours de la même période, on obtient
un coefficient indicateur de la qualité ou encore de l'efficacité
de l'investissement réalisé.
(5a)
Le terme est appelé ratio incrémental
capital-output (en anglais incremental capital-
output ratio; en abrégé ICOR). C'est l'inverse
de la productivité moyenne et marginale du capital. Il est
supposé dépendre des caractéristiques de chaque
économie, constant et compris entre 2 et 5 dans les analyses de la
Banque mondiale (Easterly, 1999).
L'équation (5.a) implique que:
Ainsi, plus l'ICOR est élevé, moins
l'investissement est rentable. Une valeur d'ICOR élevée signifie
que l'investissement réalisé n'est pas d'une bonne qualité
ou que la productivité du capital dans l'économie
considérée est faible30. A partir de la valeur de
l'ICOR, on peut prévoir l'augmentation du PIB si on connaît le
montant de l'investissement réalisé. Supposons par exemple qu'une
économie A donnée à un ICOR égal à 3. Selon
ce modèle, il faut un investissement de 3$ pour augmenter le PIB de 1$.
Reconsidérons l'équation (1b). En différenciant la
production totale et en divisant chaque membre par Y, et en tenant compte du
fait que le stock de capital de l'économie augmente grâce à
l'investissement (la dépréciation du capital est ignorée),
on obtient l'expression de ã le taux de croissance de la production
totale (PIB) :
(6)
Où i représente le taux
d'investissement de l'économie.
Cette présentation stylisée de la croissance du
produit total signifie un fait remarquable : le capital (créé par
les investissements en usines, en équipements, ...) est le
déterminant de la croissance du PIB et il dépend de
l'épargne. Le taux de croissance de la production totale est d'autant
plus élevé que l'investissement réalisé ( i
) est élevé, ou que la qualité de l'investissement
est bonne (ICOR faible). Lorsqu'on multiplie le taux d'investissement d'une
économie de á %, on multiplie son taux de c par 1
á õ · ?? pour cent.
30 Ceci peut être lié à des
handicaps structurels de l'économie. On y reviendra plus loin.
Soit une économie B donnée. Si au cours d'une
période t, elle enregistre un taux d'investissement de 25% et
que le taux de croissance de son revenu total (PIB) est de 6%, alors son ICOR
est de :
Par hypothèse, l'investissem niquement par
l'épargne lorsque le pays vit en
autarcie (pas de transfert avec
l'extérieur). En supposant que toute l'épargne est investie, on a
l'égalité suivant: j = s . Avec s
désignant le taux d'épargne de l'économie. Le taux de
croissance de la production totale peut encore s'écrire alors:
(7)
Pour une économie dont l'épargne est faible, la
croissance sera aussi faible.
Pour augmenter le taux de croissance du revenu, il faut et il
suffit d'augmenter le taux d'investissement ( j ) et donc le taux
d'épargne ( s ).
De là, le modèle semble fournir une explication
claire des différences de croissance entre les économies. Les
pays pauvres caractérisés par un stock de capital faible, ont un
revenu faible; et donc un taux d'épargne faible. En effet, du fait que
la consommation a un niveau incompressible, lorsque le revenu est faible, sa
proportion consommée est élevée; le taux d'épargne
est dans ce cas faible. La faiblesse de l'épargne dans les pays pauvres
contraint l'investissement. Leur taux de croissance économique est donc
condamné à rester faible. Ils sont ainsi fermés dans le
cercle vicieux de la pauvreté : c'est la trappe31 à
sous-développement.
Figure I--19 : Trappe à pauvreté dans
le modèle Harrod--Domar
Connaissant l'expression du taux de croissance du revenu total
(équation 7), on peut déterminer l'expression du taux de
croissance économique (taux de croissance du revenu par habitant) si on
connaît le taux de croissance démographique.
Soit y le revenu moyen par habitant, Y le produit total et L
la population totale. Il vient: y =Y/ L . On a alors
: In y = InY- InL . De là, on détermine
l'expression dey ã le taux de croissance du revenu par habitant
en fonction de ã le taux de croissance du produit total et de n le taux
de croissance démographique.
On a :
(8.1)
On déduit de l'équation (8) que, le taux de
croissance démographique étant fixé (supposé
connu),
31 On reviendra plus loin sur ce concept de trappe.
il existe une valeur minimale pour le taux d'épargne pour
que l'économie croisse à taux nul.
Le niveau minimal de taux d'épargne pour que la croissance
économique ne soit pas négative est donc donné par:
(9.1)
Ainsi, pour une économie dont l'ICOR est égal
à 4 et le taux de croissance démographique 2,5%, il faut que
l'épargne soit égale a 10% pour assurer un maintient du niveau de
revenu par habitant.
La représentation graphique suivante montre le rôle
de l'épargne:
Figure I--20 : Le rôle de
l'épargne
Lorsque le taux d'épargne est inférieur au seuil
économie croît à taux négatif, puisque
le niveau de l'épargne domestique ne permet pas au taux
de croissance garanti ( s/õ ) de s'ajuster
au taux de croissance naturel ( n ). Au-delà de ce
seuil le taux , de croissance devient positif.
Lorsqu'une éie est à gauche de , si elle veut
sortir de la trappe, elle
d gmenter son épargne pour franchir ce seuil. Dans le
cas des pays pauvres, cette
augmentation est impossible du fait de la
faiblesse de leurs revenus. D'où la nécessité d'une aide
extérieure (apport extérieur d'épargne) pour combler le
déficit d'épargne dans ces économies. En finançant
massivement l'investissement dans les pays pauvres grâce à l'aide
internationale au développement, les pays tombés dans la trappe
à pauvreté peuvent amorcer leur processus de croissance
économique et s'échapper de la trappe. La croissance
économique pourra ensuite s'auto entretenir. D'où le « big
push » envisagé dans les années 1960.
Le modèle permet de déterminer l'investissement
manquant à une économie pour atteindre un taux de croissance
initialement fixé comme cible. On détermine ainsi le besoin
d'aide extérieur de l'économie en fixant un taux de croissance
objectif correspondant à la croissance naturelle de l'offre de
main-d'oeuvre (taux de croissance démographique).
On a :
(10)
Où désigne le taux de croissance économique
souhaité (considéré comme cible);
= l'investissement en volume nécessaire pour atteindre ce
taux, S l'épargne
domestique en volume et = l'investissement manquant pour
atteindre le taux de croissance
souhaité. Pour permettre à l'économie
d'atteindre le taux de croissance ,
il faut et il suffit de lui apporter le volume
d'investissement manquant grâce à l'aide extérieure. On a
alors:
Z=Im (où Z désigne le montant à
transférer en aide internationale). C'est le « financing gap »
; c'est-à-dire le manque de financement de l'économie. En lui
apportant une aide de ce montant, on obtient un taux de croissance
économique égal au taux souhaité:
(11)
Le volume d'aide nécessaire pour atteindre la
croissance cible est alors donné par l'expression :
(12)
Par exemple pour la Zambie, le PIB en $ US était
estimé en 2004 à 5,4 milliards ; et l'épargne totale
à 1,01 milliards (Banque mondiale, 2006). Si on suppose que l'ICOR vaut
4.5 en Zambie, et si compte tenu de la croissance démographique du pays,
on se fixe un objectif de croissance de 9% pour le PIB de ce pays pour
l'année 2005, le volume d'aide au développement à lui
accorder pour atteindre la croissance cible serait:
Il faudra alors un apport de 1,177 milliards de $ à la
Zambie en aide extérieure pour qu'elle puisse atteindre le taux de
croissance économique souhaité.
Une variante du modèle du « financing-gap »,
mais qui lui est très voisine est le modèle à «
double déficits » (ou encore « two-gap model » en
anglais) de Hollis Chenery et Alan Strout
1966). Cette variante du modèle détermine le manque
de financement de l'économie à partir de deux déficit: le
déficit d'épargne (ou déficit intérieur) et le
déficit au niveau des échanges en capital avec l'extérieur
(ou déficit extérieur encore appelée «contrainte des
devises»). Le modèle part de l'équilibre global
emplois-ressources, qui s'écrit en comptabilité nationale lorsque
l'économie est ouverte avec l'égalité:
(13)
Où M désigne les importations et X
les exportations. L'équation (13) signifie que le déficit
intérieur d'épargne (investissement - épargne) est
égal au déficit extérieur (importations - exportations).
Mais cet équilibre est ex-post. Les deux déficits peuvent
être inégaux ex-ante. Ce qui affecte le taux de croissance
économique. Le modèle à double déficit peut se
résumer ainsi:
-- En économie fermée
(14)
Et le taux de croissance économique est:
Le taux de croissance cible étant fixé, le
besoin de financement se détermine comme précédemment dans
le cadre du modèle Harrod--Domar.
-- En économie ouverte:
Les importations pour les pays en développement sont
scindées en deux catégories: les importations de biens et
services échangeables, et les importations en capital. Si chaque
unité de capital importé était échangeable avec la
production intérieure, le taux de croissance serait:
En réalité, dans les pays en développement,
l'augmentation de la capacité de production de ÄY
nécessite 13 unité de capital importé (les biens
d'équipements notamment). Soit F l'investissement en capital
importé. On a :
(16)
Pour financer cet investissement en capital importé, le
pays recourt aux devises gagnées à l'exportation. Soit å la
part de la production intérieure exportée.
L'équilibre est assuré si :
(17)
Ce qui suppose que le pays doit suffisamment produire des
biens d'exportations pour couvrir les importations en capital. Or les prix des
matières premières et des produits exportés (café,
cacao, ...) sont faibles par rapport aux biens d'équipement
importés (ordinateurs, tracteurs, ...). On note en outre pour les pays
pauvres, une détérioration des termes de l'échange. Les
prix des biens exportés sont en baisse constante32 alors que
le prix des biens d'équipement déjà élevés,
sont en augmentation.
On a donc:
(18)
Dans ce cas, la capacité d'importer qui dépend
des devises gagnées de l'exportation contraint la croissance
économique. Entre le taux de croissance garanti par les exportations ( )
å 13 et le taux de croissance garanti par l'épargne ( ) ( ) 1 s
õ · , le taux de croissance effectif sera le plus
petit des deux (Chenery et Strout, 1966). Une solution au problème est
donc que l'aide internationale finance également le déficit
extérieur pour assurer les importations en capital nécessaires
à la croissance souhaitée.
Néanmoins, depuis 1980, la Banque mondiale utilise une
version remaniée du modèle à double déficit. Elle
introduit la substitution entre les biens importés et les biens
produits. La propension à importer n'est plus fixe, elle varie en
fonction du différentiel de prix entre les deux catégories de
biens. Le maniement du taux de change devient alors le moyen de lever la
contrainte en devises. L'évaluation du besoin de financement des pays
pauvres (et donc de l'aide à leur octroyer) se réalise alors
selon le seul cadre du modèle Harrod--Domar,
comme étudié précédemment.
C'est sur cette base que se fait le calcul des aides à
la Banque mondiale (Easterly 1998, 1999b, 2005). A partir d'une
estimation par pays, on peut déterminer le volume total d'aide
nécessaire sur le plan mondial. Le programme actuel des OMD (Objectifs
du Millénaire pour le développement) est aussi entièrement
fondé sur cette philosophie. La citation ci-dessous montre que c'est
bien sur la base de ce modèle qu'on a estimé le volume d'aide
nécessaire pour qu'à l'horizon 2015, on puisse réduire de
moitié par rapport à son niveau de 1990, la pauvreté dans
le monde33.
Pour estimer l'aide additionnelle nécessaire pour
réduire la pauvreté de moitié par rapport à son
niveau de 1990, nous commençons par un modèle simple, le
modèle de croissance à «double-déficits» selon
lequel, le taux de croissance dépend du niveau d'investissement et d'un
paramètre d'efficacité (ICOR)34 qui permet de
déterminer la croissance économique à partir de
l'investissement », (Devarajan, Miller et Swanson in World Bank Policy
Research Working Paper 2819, Avril 2002).
32 Selon les estimations de l'Organisation des Nations Unies
(ONU), de 1986 à 1990 (en 5 ans), la chute des cours des produits de
base a coûté 50 milliards de dollars à l'Afrique.
33
www.un.org/objectif du
millénaire pour le développement
34 Le terme entre parenthèse a été
ajouté juste pour précision.
En conclusion, l'aide au développement peut être
une solution aux problèmes de croissance économique dans les pays
pauvres. Parce qu'ils ont un niveau de revenu faible, les pays du Tiers*monde
n'investissent pas assez. Leur stock de capital est par conséquent
faible; ce qui contraint le revenu aussi à rester faible. Ils sont ainsi
enfermés dans le cercle vicieux de la pauvreté. En
finançant massivement l'investissement dans ces pays grâce
à l'aide internationale, on augmente significativement leur stock de
capital. Par là, on peut les amener à briser le cercle vicieux du
sous-développement (ou à sortir de la trappe), amorcer le
processus de croissance économique qui pourra ensuite s'auto entretenir.
Le second pilier (ou fondement) de la philosophie de la Banque mondiale est la
thèse selon laquelle, grâce aux effets bénéfiques de
la croissance économique (ou du revenu moyen), l'aide pourra
éliminer la pauvreté dans le monde. C'est ce second fondement que
nous examinons par la suite.
2.2. Croissance économique et réduction
de la pauvreté
Une vaste littérature s'est développée
ces dernières années sur le lien entre la croissance
économique et la réduction de la pauvreté. Même si
aucune étude n'a
montré que la croissance économique s'accompagne
de l'augmentation de la pauvreté absolue, certains auteurs soutiennent
que le fruit de la croissance économique peut être capté
par une minorité et que finalement, elle s'accompagne
d'inégalités plus marquées. Dans ce cas, la croissance du
revenu moyen va entraîner l'augmentation de la pauvreté relative
(écart entre riches et pauvres) au sein d'un même pays.
Néanmoins, les analyses de Chen et Ravallion (1997) sur
un échantillon de 42 pays et celles de Janvry et Sadoulet (1999)
ne permettent pas de mettre en évidence une influence de la
croissance économique sur le niveau des inégalités, et
donc la pauvreté relative. La célèbre étude de
Dollar et Kraay (2000) montre par contre que la croissance économique
est bénéfique pour les pauvres. Même si le lien entre la
croissance économique et les inégalités dans les pays
pauvres reste à élucider, plusieurs auteurs (Timmer 1997, Chen et
Ravallion 1997, Ravallion Bruno et Squire 1998, Foster et Szekely 2002)
soutiennent que l'augmentation du revenu par tête moyen d'un pays
grâce à la croissance économique entraîne
l'augmentation du revenu des plus démunis du pays. La croissance
économique réduit donc la pauvreté.
Dollar et Kraay (2000) définissent les plus
démunis d'une économie comme la part de la population qui occupe
le premier quintile du revenu ; c'est-à-dire 20%les plus pauvres. En
estimant la corrélation entre le revenu par tête moyen au niveau
80 national et le revenu par tête des plus pauvres du pays, ils montrent
que la croissance économique s'accompagne de l'augmentation du revenu
des plus pauvres. La croissance est donc bénéfique pour les plus
démunis. C'est ce que la figure suivante illustre.
Figure I--21 : Corrélation entre le PIB par
tête et le revenu des pauvres
L'étude couvre quarante ans, et porte sur 125 pays. La
figure fait dépendre le revenu par habitant des plus démunis (en
ordonnées) du revenu par habitant moyen au niveau national (en
abscisses). Chaque point correspond à un pays. L'Ethiopie par exemple
avec un revenu global annuel moyen par tête de 316$ et un revenu moyen de
100$ pour les pauvres est représentée sur la figure par le point
le plus à gauche. Le revenu moyen35par habitant pour
l'ensemble des pays incorporés dans l'étude varie de 316$
à 18673$. Le revenu des pauvres varie lui de 42$ à 8769$. On
remarque une corrélation très étroite entre les deux
variables (R2 élevé). La pente de la droite de
régression est statistiquement égale à 1. Cela signifie
qu'une augmentation du revenu moyen par habitant se traduit par une
augmentation du revenu des pauvres dans la même proportion.
Néanmoins, cette forte corrélation est à prendre avec
réserve dans la mesure où la manière dont le lien est
présenté ci-dessus ne permet pas d'éviter le risque de
surestimation du coefficient de corrélation entre les deux variables
lorsqu'elles ne sont pas stationnaires. La figure ci-dessous illustre cette
fois-ci, la relation entre les taux de croissance des deux variables;
c'est-à-dire le taux de croissance du revenu moyen par habitant et celui
du revenu par habitant des pauvres.
35 Les revenus utilisés ici sont en termes
réels; c'est-à-dire corrigés en fonction du pouvoir
d'achat des devises locales.
Figure I--22 : Corrélation entre les taux de
croissance
Chaque point de cette figure associe pour un pays
donné, le taux de croissance du PIB par tête (en abscisse) au taux
de croissance du revenu des plus pauvres (en ordonnée). L'idée
principale est de savoir si la croissance économique est pro--pauvre. On
remarque que la relation est moins étroite que celle de la figure
précédente. Ce résultat est tout à fait
prévisible dans la mesure où la variabilité de la variable
endogène n'est pas la même dans le premier cas (niveau
logarithmique) et dans le second cas (taux de croissance économique). La
corrélation reste cependant élevée. La croissance du
revenu des pauvres est expliquée à plus de 50% par la croissance
du revenu moyen. D'autres facteurs (dont surtout la distribution du revenu)
expliquent le reste. Une fois encore, la pente de la droite de
régression est statistiquement égale à 1. Ce qui signifie
que quand le revenu moyen croit, le revenu des pauvres croit dans la même
proportion. C'est la loi du « one to one » de Dollar et Kraay (2000).
D'autres études (Ravallion et Chen 1997, Ravallion et Squire 1998)
aboutissent à une élasticité supérieure à 1
entre ces deux variables ; suggérant ainsi qu'une augmentation de 1% du
revenu moyen par habitant entraîne une augmentation supérieure
à 1% du revenu des pauvres.
En somme, la croissance économique en augmentant le
revenu moyen par habitant au niveau national, augmente aussi le revenu des plus
pauvres. L'augmentation du revenu entraîne à son tour le
progrès sur le plan social. C'est ce qu'illustrent les figures
suivantes:
Figure I--23 : Corrélation entre le PIB par
tête et les indicateurs « objectifs » de
pauvreté
Ces figures présentent la corrélation entre le
niveau du revenu par habitant et le niveau de bien-- être sur le plan
social, repéré ici par un ensemble de quatre indicateurs sociaux.
Il s'agit notamment de : la malnutrition au sein de la population
repérée par la disponibilité énergétique
alimentaire (en calories par habitant), l'espérance de vie à la
naissance (en années), le taux de mortalité des moins de 5 ans
(pour mille) et l'accès aux connaissances repéré par le
nombre moyen d'années d'étude de la population.
L'espérance de vie à la naissance, le niveau
d'éducation et le niveau de revenu sont les trois indicateurs principaux
souvent considérés comme reflétant le niveau de
développement d'une population. Le PNUD par exemple agrège ces
trois variables en un indice synthétique appelé Indicateur de
Développement Humain (IDH). C'est de ce dernier qu'il se sert pour
jauger le niveau de développement atteint à travers le temps et
l'espace. La disponibilité calorifique alimentaire et le taux de
mortalité infantile sont souvent considérés comme
indicateurs reflétant le niveau de bien*être des plus
vulnérables au sein de la population. C'est pourquoi nous retenons ces
quatre indicateurs (espérance de vie, niveau d'instruction,
disponibilité alimentaire et mortalité des enfants) pour
apprécier le niveau de développement sur le plan social.
On remarque que le revenu par habitant présente en
général une bonne corrélation avec tous ces indicateurs.
Les coefficients sur ces figures indiquent que, lorsque le revenu par habitant
augmente de 1%, la disponibilité énergétique alimentaire
augmente de 17%. Dans le même temps, l'espérance de vie à
la naissance augmente de 0,14% ; le taux de mortalité des moins de 5 ans
baisse de 0,87% et le nombre moyen d'années d'étude augmente de
0,44%. La croissance économique entraînerait bien le
progrès social. C'est la raison pour laquelle certaines institutions
comme la Banque mondiale et le FMI utilisent principalement le revenu par
habitant comme indicateur du niveau de développement. Il en sera de
même pour le reste de notre analyse.
En conclusion la philosophie de la Banque mondiale peut se
résumer ainsi : l'aide aux pays pauvres est la politique à mener
pour combattre la pauvreté dans le monde. En finançant les
investissements dans les pays pauvres grâce à l'aide
internationale, on promeut leur croissance économique. On augmente ainsi
le revenu par tête moyen au niveau national, et
par-là, celui des pauvres. Quand le revenu augmente,
à cause des effets bénéfiques de l'augmentation du revenu
sur les indicateurs sociaux, on améliore le bien-être global des
pays en développement. C'est ainsi qu'on pourra aider les pays du
Tiers-monde à se développer. A terme, la pauvreté absolue
qui est la principale caractéristique du sous-développement
pourra disparaître. C'est l'objectif que poursuit la Banque mondiale dans
les ODM.
Se pose alors une question : après plus d'un
demi-siècle de politique d'aide au développement, la
pauvreté a-t-elle baissé dans le monde?
Section 3 : Après 50 ans d'aide, comment
évolue la pauvreté?
On a vu dans les sections précédentes que
l'inégalité dans les dotations en richesses des économies
est une motivation de la politique d'aide aux pays pauvres. L'objectif de
l'aide au développement est de réduire les
inégalités entre pays riches et pays pauvres et de lutter contre
la pauvreté grâce à la croissance économique qu'elle
est censée promouvoir dans les pays du Tiers-Monde. Après plus
d'un demi-siècle de politique d'aide au développement, la
pauvreté a-t-elle baissé dans le monde ? Les
inégalités ont-elles diminué?
La question sur l'évolution de la pauvreté et
les inégalités dans le monde, aussi simple qu'elle puisse
paraître, se révèle plus difficile que l'on aurait pu le
penser. Quelle unité étudier: l'individu, le ménage, la
famille, le pays ? Quel concept de revenu privilégier : revenu courant,
dépenses courantes ? Les résultats sont bien évidemment
très différents selon l'unité ou le concept de revenu
utilisé pour les estimations. Les résultats font pour cela objet
de controverse entre certains chercheurs (Sala-i-Martin, Fisher, ...) et les
institutions internationales (la Banque mondiale, ONU, ...).
La tendance qui semble se dégager à partir des
rapports des instances du système des Nations Unies fait état
d'une augmentation de la pauvreté. La plupart des chiffres sur «
l'état du monde », émanant des rapports du PNUD, de la
Banque mondiale, de l'OCDE ... indique que la situation est bien plus
catastrophique aujourd'hui qu'hier. Des rapports de ces institutions, on peut
citer:
-- Le nombre de personnes vivant avec moins de 1$ par jour a
augmenté de 1,18 milliard en
1987 à 1,20 en 1998 ; une augmentation de 20
millions36
-- Sur 73 pays regroupant 80% de la population
planétaire, 48 pays auraient vu les inégalités
sociales
augmenter depuis les années 1950. L'écart entre les pays en terme
de développement humain est marqué par des
inégalités profondes et croissantes en terme de revenu et de
niveau de vie. Le fossé entre les pays riches et les pays pauvres
s'aggrave37
-- Pour 46 pays, les gens sont plus pauvres aujourd'hui que dans
les années 90.
Pour 25 pays, les gens ont plus faim aujourd'hui qu'il y a dix
ans.38
En Afrique subsaharienne, depuis 1981, le nombre de personnes
vivant avec moins de 1$ par jour ne cesse d'augmenter. Il a pratiquement
doublé, passant de 164 millions en 1981 à 314 millions en 2001.
la moitié des habitants sont plus pauvres qu'en 1990. De même, en
Europe orientale et en Asie centrale, le nombre de pauvres vivant avec moins de
2 $ par jour est passé de huit millions (2% de la population) en 1981
à plus de 90 millions (20%) en 2001. En Amérique latine, la
proportion de personnes vivant avec moins de 2$ par jour est passée de
25% en 1981 à 27% en 200139.
36 Rapport sur le développement mondial
(2000*2001).
37 PNUD, Rapport sur le Développement humain
2005.
38 PNUD, Rapport sur le Développement humain,
2004.
39 Banque mondiale, communiqué de presse
n°2004/309/S, avril 2004.
-- La dette des PED est passée de moins de 10 milliards
de dollars en 1960 à près de 2450 milliards de dollars en 2001.
La situation économique des pays en développement est globalement
catastrophique.40
La liste est longue. A partir de ces quelques citations des
déclarations des institutions internationales, on ne peut douter d'une
chose : la pauvreté est énorme, et elle s'accentue. La
convergence prédite par la théorie économique ne se
réalise point ; et pire encore, les inégalités se
creusent. La dette est gigantesque. Dans l'ensemble, les perspectives d'avenir
pour les pays en développement sont sombres. A l'opposé, les
théoriciens néoclassiques semblent plus optimistes. Pour saisir
leurs positions, il faut se placer dans le contexte marqué par
l'évolution de la recherche empirique sur la convergence. Le point de
départ de cette littérature économétrique est le
célèbre article de Mankiw, Romer et Weil (1992). Ces trois
auteurs ont montré que la convergence prédite par le
modèle de Solow ne s'effectuerait que de façon conditionnelle aux
paramètres qui déterminent l'état régulier (
k*)41. Une ample littérature économétrique
s'est développée à ce sujet dans les années
1990.
Sala-i-Martin (1996) résume cette vaste
littérature et montre que si convergence il y a, celle-ci s'effectue
lentement. Aujourd'hui, l'émergence de certains pays comme l'Inde et la
Chine laisse penser que l'âge d'or de la convergence est enfin
arrivé.
En effet, Ficher (2003) en pondérant les performances
nationales par la population totale conclut qu'il y a bel et bien convergence
entre les revenus, indiquant ainsi une diminution de la pauvreté
relative. Considérons les graphiques 1 et 2 ci-dessous, de Fischer
(2003) et qui ont été repris par Dollar (2004). L'axe des
abscisses représente le niveau moyen de PIB par habitant en 1980 et
l'axe des ordonnées représente le taux de croissance du PIB par
tête ajusté pour l'inflation entre 1980 et 2000.
Sur la première figure, chaque pays est
représenté par un seul point. Les cercles un peu plus clairs
représentent les pays d'Afrique sub-saharienne. Ils enregistrent les
plus faibles taux de croissance économique (souvent négatifs) ;
fait remarquable sur les deux figures. D'après la théorie sur la
convergence entre les économies, plus on est pauvre, plus fort est le
taux de croissance économique. Si tel était le cas, la droite de
tendance générale sur la figure ci-dessous devrait être
décroissante. On conclurait alors que les inégalités
mondiales, mesurées par les inégalités entre les pays,
suivent une tendance à la baisse. Malheureusement, on s'aperçoit
que la courbe de tendance tend plutôt à croître, impliquant
ainsi une augmentation des inégalités entre les pays, et donc la
pauvreté relative
40 OCDE, 2003
41 K* est le capital par tête à
l'état régulier. On y reviendra plus loin.
Si l'on considère cependant la deuxième figure
ci-dessous, le résultat est tout autre. Elle montre les mêmes pays
représentés cette fois-ci par des cercles proportionnels à
la taille de leur population. La Chine et l'Inde se démarquent tant par
leur population que par leur record de croissance dans les années
récentes.
Une droite de régression pondérée par la
population devient alors décroissante sur le deuxième graphique,
indiquant un rattrapage des pays riches, et donc une baisse des
inégalités. On peut alors conclure que, même s'il y a
augmentation des inégalités entre les pays, les populations
pauvres du monde tendent à rattraper les populations riches. En ce sens,
on peut conclure à une baisse de la pauvreté.
Si la pauvreté a baissé, de quelle proportion
alors ? De combien? Si l'on veut répondre à ces questions, on se
heurte à un problème de choix entre diverses techniques
statistiques et économétriques. Vaut*il mieux mesurer la
consommation (ou les niveaux de vie) en utilisant les données issues de
la comptabilité nationale ou des données issues des
enquêtes auprès des ménages ? Les résultats
diffèrent de façon substantielle selon la source de
données choisies.
Sala-i-Martin (2002) par exemple, utilise les dépenses
de consommation des ménages à partir des comptes nationaux,
contrairement à la Banque mondiale qui utilise les données des
enquêtes. Les estimations de Sala-i-Martin montrent que la proportion de
la population mondiale extrêmement pauvre (vivant avec moins de 1$ par
jour) est tombée de 17% en 1970 à 7% en 1998 (figure de gauche
ci-dessous).
La proportion vivant avec moins de 2$ par jour est
passée de 41% à 19% sur la même période. Le nombre
absolu de pauvres à moins de 1$ par jour a baissé, d'après
les mêmes estimations de 200 millions (figure de droite) ; et le nombre
des pauvres à moins de 2$ par jour a baissé de 350 millions. Les
estimations de Shaohua Chen et Martin Ravallion (2001, 2002) dans le cadre de
rapports de la Banque mondiale paraissent cependant moins optimistes que celles
de Sala-i-Martin (voir figures ci-dessus). Ces auteurs estiment à 28% le
pourcentage de la population extrêmement pauvre en 1987, plus du triple
de celui cité par Sala-i-Martin. Ce taux aurait baissé pour
atteindre 24% en 1998, contre 7% pour Sala-i-Martin. Concernant le nombre
d'individus extrêmement pauvres, il n'aurait pas varié entre 1987
et 1998. L'écart entre ces résultats soulève une
polémique. Certains auteurs (par exemple Lut Tins, 2004) évoquent
des visées politiques. Peut-être parce que financées par la
Banque mondiale, les études de Shaohua Chen et Martin Ravallion doivent
défendre le point de vue de l'institution selon laquelle la situation en
matière de pauvreté mondiale est peu glorieuse pour attirer plus
de ressources de la part des donateurs.
Les résultats les plus optimistes sont ceux de Surjit
Bhalla (2003), qui utilise aussi les dépenses de consommations des
ménages issues des comptes nationaux. Bhalla conclut à une
diminution du ratio du revenu des pays riches au revenu des pays pauvres de 23
à 9,5 entre 1960 et 2000 ; reflétant une augmentation du revenu
des pauvres. Sur la pauvreté, les travaux de Bhalla font état
d'un net recul de la pauvreté absolue de 30% à 13,1% entre 1987
et 2000. L'objectif des
42 Jusqu'il y a peu, William Easterly était
économiste principal (senior economist) de la Banque mondiale.
Nations Unies de réduire le nombre de pauvres vivant
avec moins de 1$ par jour en 2015 à la moitié du niveau de 1990
aurait donc été atteint en 2000, au moment même où
il était fixé.
Les résultats de Sala-i-Martin et Bhalla sont quand
même sujets à des critiques, et donc à prendre avec
réserves. En effet, ils ne tiennent pas compte du fait que certaines
dépenses, comme par exemple celles du gouvernement, n'améliorent
pas forcement le bien-être des pauvres. Il y aurait donc une
surestimation de la consommation des pauvres, et donc une sous-estimation de la
pauvreté. Ceci est un peu gênant dans la mesure où, pour
certains pays comme par exemple le Nigeria, les dépenses de
consommations du gouvernement avoisinent 40% du total des dépenses de
consommation42. Doit-on alors considérer plutôt les
statistiques de la Banque mondiale, et par conséquent leur point de vue
selon laquelle la pauvreté augmente ? En somme, la question sur
l'évolution de la pauvreté dans le monde reste un sujet à
controverse. Le débat est confus sur des différences statistiques
et méthodologiques qui au lieu de se compléter, se contredisent.
Une tendance se dégage néanmoins de ce manichéisme : il y
a une divergence dans l'évolution de la pauvreté selon les
régions. Il est tout à fait remarquable à travers ces
études que certaines régions comme par exemple l'Afrique
sub-saharienne et l'Europe de l'Est régressent; alors que d'autres comme
l'Asie de l'Est et le Pacifique progressent. Ceci est d'autant plus manifeste
dans les déclarations des instances onusiennes que sur les deux figures
de Fischer (2003) présentées ci-dessus.
Banque mondiale (2004), établit une distinction entre
les pays en développement concernant l'évolution de la
pauvreté. « Si la rapidité de la croissance
économique en Asie du Sud et de l'Est a permis de tirer de la
pauvreté plus de 500 millions de personnes dans ces deux régions,
la proportion de pauvres a augmenté, ou du moins n'a
décliné que légèrement, dans de nombreux pays
d'Afrique, d'Amérique latine, d'Europe orientale et d'Asie centrale
». Banque mondiale (2006) parait plus stressant sur le cas de l'Afrique
sub-saharienne : « En Afrique sub-saharienne, le nombre de personnes
vivant avec moins d'un dollar par jour a pratiquement doublé depuis
1981. Chaque jour, des milliers de personnes, pour la plupart des enfants,
meurent de maladies qu'on peut prévenir (SIDA, paludisme, simple
déshydratation, ...) ».
En conclusion, certains pays comme la Chine, l'Inde,
l'Indonésie semblent converger réellement, avec de forts taux de
croissance. Les pays de l'Amérique latine et de l'Afrique du Nord
stagnent. Ceux de l'Europe de l'Est et d'Afrique sub saharienne divergent. La
pauvreté y progresse. La tendance générale malgré
les différences méthodologiques et statistiques est peu
rassurante. Le recul constaté concernant la proportion mondiale
d'individus extrêmement pauvres est surtout imputable à la forte
croissance des pays d'Asie de l'Est; surtout la Chine, et l'Inde, qui
rassemblent environ 38% de la population mondiale, 60% des pauvres dans le
monde, et dont les taux annuels de croissance économique avoisine 6%
(Banque mondiale, 2004b).
Les perspectives sont plutôt sombres dans les autres
régions en développement. Elles deviennent même
inquiétantes en Afrique sub-saharienne où on assiste à une
effective paupérisation absolue, et non pas seulement une aggravation de
l'écart avec les pays riches. Le paradoxe est encore plus criant
lorsqu'on se rappelle que l'Afrique a reçu une part plus importante
d'aide que les autres régions en développement depuis 1960, comme
nous l'avons vu dans le premier chapitre de ce travail. Ce paradoxe jette des
doutes sur la capacité de l'aide extérieure à promouvoir
la croissance économique, surtout en Afrique sub-saharienne. Comment
peut-on comprendre que malgré l'importance de l'aide dont
bénéficie l'Afrique, la pauvreté n'y recule pas? On peut
notamment penser à l'existence de tares dans la politique d'aide
jusqu'ici menée, dans la mesure où l'aide internationale essuie
depuis longtemps, de nombreuses critiques que nous examinons dans la section
suivante.
Section 4 : Les critiques de la politique d'aide au
développement
Les critiques de l'aide au développement sont nombreuses.
On distingue principalement les critiques historiques auxquelles s'ajoutent ces
dernières années les critiques conduites par William
Easterly43, sur le cadre théorique de base, cadre dans lequel
l'aide au développement est accordée. 1. Les critiques de
Easterly sur le cadre théorique de l'aide
William Easterly à travers plusieurs études
(1997, 1999, 2001, 2005a) dénonce le paradigme Harrod-Domar et le
modèle du « financing gap » qu'il juge dépassés
et inadaptés à l'analyse du processus de développement.
Pour cet auteur, il est inadmissible qu'on utilise un tel modèle, et
qu'on continue toujours par l'appliquer jusqu'aujourd'hui à l'analyse du
processus de croissance économique dans les pays pauvres, comme cela se
fait à la Banque Mondiale.
En effet, l'économie du développement a pris son
essor à une époque marquée par deux
événements : la crise économique des années 1930,
et l'émergence des économies planifiées de l'Est. Dans ces
conditions, le modèle économique de base était le
modèle de croissance Harrod-Domar qui considère qu'il y a une
proportionnalité entre investissement et croissance économique.
Ainsi, pour croître rapidement, une seule solution : investir
massivement. Et si l'épargne nationale ne suffit pas pour atteindre
l'investissement nécessaire à la croissance souhaitée,
elle doit être compensée par l'endettement ou l'aide
internationale. C'est schématiquement l'analyse du processus de
développement que fournit le modèle.
Easterly critique vivement ce modèle qu'il juge non
conforme à la réalité. Le modèle du financing-gap
ne prend pas en compte les incitations dans les pays récipiendaires
ainsi que d'autres facteurs comme l'atmosphère politique de l'aide; et
suppose que l'aide reçue est totalement consacrée au financement
de l'investissement. Selon Easterly (2005a), le modèle est simpliste,
inapproprié à l'étude du développement, qui est un
processus complexe, de long-terme, et qui ne se limite pas seulement à
l'investissement comme le suppose le cadre théorique Harrod-Domar.
Easterly (1999) se propose de soumettre le modèle
à un test empirique. Pour cela, il régresse pour un certain
nombre de pays bénéficiaires d'aide au développement,
l'investissement effectivement réalisé sur l'aide internationale
reçue. Si comme le suppose le modèle, l'aide obtenue était
intégralement investie, pour chaque pays, le coefficient indiquant
l'impact de l'aide sur l'investissement devrait être supérieur ou
égal à un. L'analyse a porté sur 88 pays, qui ont tous
effectivement bénéficié d'aide internationale sur la
période de l'étude, qui va de 1965 à 1995. De l'ensemble
des 88 pays étudiés, seulement 6 ont un lien positif et
significatif entre aide et investissement avec un coefficient supérieur
ou égal à 1. L'aide ne serait alors pas intégralement
investie comme le suppose le modèle.
Un autre test sur le lien entre la croissance
économique et l'investissement avec un ICOR supposé compris entre
2 et 5, préalablement déterminé pour chaque pays (comme le
suggère le modèle du « financing gap ») remet en cause
le lien direct entre l'investissement effectivement réalisé et le
taux de croissance économique dans les pays récipiendaires.
Seulement 4 pays (Israël, Liberia, Réunion et Tunisie) ont un lien
positif significatif entre l'investissement et la croissance économique
avec un ICOR compris entre 2 et 5 comme le suppose le modèle
Harrod-Domar (Easterly, 1999). Tout ceci remet en cause le cadre
théorique Harrod-Domar jugé simpliste par Easterly; et donc le
principe même de l'aide au développement. Ce serait la principale
raison pour laquelle l'aide internationale a échoué dans sa
fonction essentielle: celle de promouvoir la croissance économique.
43 Jusqu'il y a peu, William Easterly était
économiste principal (senior economist) de la Banque mondiale.
Peter Bauer est le pionnier, et souvent
considéré comme le leader des critiques d'inspiration
libérale de la politique d'aide au développement. On peut en
outre citer dans ce courant de
Pour se rendre compte de cet échec, Easterly et Dollar
(1999) présentent la célèbre figure relative au cas de la
Zambie. La figure compare les résultats espérés-de l'aide
à la situation réelle de l'économie zambienne sur la
période 1960-1995. Se basant sur l'hypothèse forte selon laquelle
la totalité de l'épargne et de l'aide est investie, et que
l'investissement induit la croissance économique, le modèle de
l'ICOR appliqué au cas de la Zambie, prévoyait une croissance
spectaculaire, représentée en traits pleins sur la figure
ci-dessous.
Selon les prévisions de ce modèle, grâce
à l'aide internationale au développement accordée à
la Zambie, le niveau de vie des habitants de ce pays devrait être
semblable aujourd'hui à celui des pays européens. Le revenu par
tête zambien devrait dépasser 20000 en 1995 (valeur en dollars US
de 1985). Qu'en est-il réellement? Pour répondre à cette
question, référons*nous à la figure suivante, qui
présente le fossé entre les prévisions de revenu a partir
du modèle du financing-gap (ICOR) et la réalité (le revenu
effectif).
Figure I-24 : Réalité
contre prévision du « financing-gap
» : le cas de la Zambie
Comme le montre la figure ci-dessus, le revenu zambien par
tête en 1995 se chiffrait malheureusement à moins de 500 dollars.
Il n'a donc pas augmenté. Au contraire, il est en baisse
régulière depuis 1976 comme le montre la courbe de sa
représentation en pointillés. Le cas de la Zambie illustre la
situation de nombreux pays en développement.
Ainsi pour Easterly, l'aide a échoué dans sa
principale fonction, celle de promouvoir la croissance économique dans
les pays pauvres. Et cet échec est en partie imputable à
l'utilisation de cadres théoriques inappropriés. Cela ne va pas
sans questionner les économistes et la science économique.
D'autant plus que depuis l'avènement de l'aide, existent divers courants
contestataires qu'il est indispensable de reconsidérer aujourd'hui.
2. Les critiques historiques de l'aide
Il existe certaines critiques de l'aide internationale, aussi
anciennes que l'aide elle-même. De manière générale,
on peut les classer en deux grandes catégories : les critiques de droite
ou d'inspiration libérale, et les critiques de gauche ou d'inspiration
marxiste.
2.1. Les critiques d'inspiration libérale :
l'aide source d'inefficacité
pensée, les auteurs comme Friedman, Jacob Viner,
Gottfried Haberler, Hla Myint, John Majewski, Griffin, Berg, Mosley. Pour ces
auteurs, l'aide au développement ne peut promouvoir la croissance
économique dans les pays du Sud. Au contraire, elle la sabote en
faussant les règles du marché et du libéralisme
économique. Comment l'aide internationale fausse-t-elle les
règles du marché?
Considérons par exemple l'aide alimentaire. Les auteurs
d'inspiration libérale estiment que loin de résoudre une crise
humanitaire, elle ne peut qu'aggraver l'insécurité alimentaire.
En effet, les apports en grande quantité de ressources alimentaires en
cas de crise humanitaire augmentent spontanément l'offre de ces
produits. Il en résulte une baisse des prix au niveau local ceteris
paribus. Ceci décourage l'investissement et la production locale de
vivres, et donc une baisse de l'activité de production dans le secteur
agricole qui se traduit à terme par une baisse de la croissance
économique. Majewski (1987) cite le cas du Guatemala en 1976. A la suite
d'un tremblement de terre, les habitants ont reçu une aide d'urgence
importante, en vivres. Ce qui a entraîné la chute du prix des
produits alimentaires au moment même où les agriculteurs avaient
besoin d'argent pour reconstruire leurs maisons et relancer leurs
activités.
Un autre problème de l'aide alimentaire est que
l'abondance alimentaire qu'elle crée encourage les pays qui en
bénéficient à adopter des politiques peu favorables
à la production locale. On a à titre d'exemples le contrôle
des prix des produits vivriers, volontairement maintenu à un niveau bas;
la collectivisation et le contrôle des fermes de production comme ce fut
le cas en Tanzanie et au Zimbabwe. Ceci réduit l'activité
économique dans le pays et augmente la dépendance
vis-à-vis de l'extérieur des territoires aidés (Bauer,
1984).
Les effets des autres formes d'aide sont semblables à
ceux de l'aide humanitaire selon Bauer et ses pairs. L'assistance
financière internationale permet aux dirigeants des pays en
développement de maintenir certains secteurs d'activités non
rentables et nuisibles au développement du secteur privé dans le
portefeuille de l'Etat (Friedman, 1958). Contrairement aux entreprises
privées, les entreprises publiques ne sont pas soumises à la
règle du profit. Parce qu'elles opèrent en dehors du
marché, les entreprises étatiques souvent financées
grâce à l'aide internationale connaissent des rendements faibles
ou même négatifs. Très souvent, l'aide est utilisée
pour créer des activités que le secteur privé a
délibérément refusées de financer à cause du
rendement faible.
L'aide canalise ainsi les ressources du pays receveur vers les
secteurs et investissements improductifs ou inefficients. Il en résulte
des distorsions aux niveaux des signaux et des incitations du marché.
Les producteurs et les consommateurs reçoivent de faux signaux issus
d'un marché déséquilibré et dopé par l'aide
étrangère. Ils adoptent ainsi des comportements
inappropriés. Les investisseurs réajustent leurs portefeuilles
d'actifs selon le « faux signal » reçu du marché, et
allouent ainsi à leur tour une part plus importante de leurs ressources
aux secteurs inefficients. Les répercussions sur l'activité
économique sur le plan national peuvent ainsi être très
dommageables. Majewski (1987) donne l'exemple des usines de fabrications de
produits en aluminium et les raffineries de pétrole installées
dans les pays en développement et financées grâce à
l'aide internationale alors que le marché de ces produits sur le plan
mondial était déjà saturé.
Dans les pays du Nord, l'effet de l'aide est semblable. Les
pays donateurs utilisent l'aide internationale pour promouvoir la production et
l'exportation de leurs entreprises, surtout celles qui opèrent avec le
Tiers*Monde. Alors que ces entreprises sont condamnées à fermer
leurs portes parce qu'inefficientes, on utilise l'aide pour les soutenir. Il en
résulte une allocation non optimale des ressources dans les pays
donateurs étant donné qu'on draine ainsi les ressources des
secteurs efficients vers les secteurs inefficients. La croissance globale sera
donc plus faible.
Sur le plan financier et monétaire, l'aide crée
des effets de distorsion des taux d'intérêts (Friedman, 1958). Les
pays en développement utilisent souvent l'aide étrangère
pour garder le contrôle des établissements financiers et du
crédit. Dans la plupart de ces pays, les taux d'intérêt
sont délibérément maintenus à un niveau bas, sous
prétexte d'encourager les
emprunts et l'investissement. Or le niveau bas des taux
d'intérêts créditeurs crée une désincitation
à épargner. Ceci entraîne des effets négatifs sur la
croissance économique en réduisant le niveau des investissements
comme le montre le graphique ci-dessous:
Figure I--25 : La répression
financière
Sans intervention de l'Etat sur le marché financier,
l'équilibre se réalise entre l'investissement et l'épargne
au point A avec un taux d'intérêt r* et le niveau des
investissements I*. L'Etat intervient ensuite en imposant un taux
d'intérêt faible
R faible. Ceci réduit le niveau de
l'épargne à faible S faible puisque, à cause de
la faiblesse du taux d'intérêt, les agents épargnent peu.
Le niveau global des investissements se trouve donc contraint à rester
faible ( faible I faible); du fait de la faiblesse de l'épargne
domestique.
De plus, dans ces pays, en contrôlant les
établissements financiers grâce à l'aide, l'Etat alloue le
crédit de manière sélective; et souvent orientée
vers les alliés politiques plutôt que les secteurs productifs. Il
en résulte de manière générale une atrophie du
secteur financier et une croissance réelle faible. L'aide fournit en
outre aux autorités des réserves monétaires, qui leur
permettent de soutenir leur monnaie créant ainsi une
surévaluation des taux de change, qui détériore la
compétitivité-prix sur le plan international du pays aidé
(Griffin, 1970).
Un autre méfait de l'aide internationale est
l'alourdissement de la corruption, et de la bureaucratie. La main d'oeuvre
intérieure se dirige plus vers le secteur public qui se
développe, et évince le secteur privé (Bauer, 1972). Les
dépenses publiques s'alourdissent grâce l'aide, et
génèrent un effet d'éviction sur l'épargne
domestique (Mosley, 1996). L'aide internationale est dans les meilleurs des cas
d'une efficacité nulle ou quasi*nulle pour soulager la misère du
Tiers Monde, ou pour faciliter le développement dans les pays pauvres
(Bauer, 1984 ; Berg, 1996).
Tel est le point de vue des libéraux, vision
partagée par les marxistes avec néanmoins des fondements
différents.
2.2. Les critiques d'inspiration marxiste : l'aide, une
nouvelle source d'exploitation
(néocolonialisme)
Les critiques d'inspiration marxiste de l'aide internationale
ont connu un regain d'importance ces dernières années avec le
développement d'un courant de pensée essentiellement francophone,
qui est souvent désigné sous l'intitulé de courant du
« refus du développement », ou de «
l'anti-développement », au nom de leurs considérations,
opposées à celles du FMI et de la Banque mondiale. Citons les
travaux de René Dumont, Ivan Illich, François Partant, Serge
Latouche, Gilbert Rist, Eric Toussaint, Alain Caillé, Guerrien, Insel,
B. S. Yamey, Sapir, Cornélius
Castoriadis, Vandana Shiva, François-Xavier Vershave,
Nicholas-Georgescu Roegen, René Passet, Vincent Cheynet ou encore
François De Ravignan (pour ne citer qu'eux).
Les auteurs d'inspiration marxiste considèrent l'aide
internationale ainsi que l'ensemble des politiques de développement
comme servant avant tout, la cause des pays riches. Ils considèrent
l'aide comme un puissant canal par lequel les pays industrialisés
continuent par exercer leur domination sur les pays en développement,
malgré leur indépendance politique. Stéphanie Treillet
(2003), résume leur proposition commune comme suit: "le
développement, à la fois sur la plan théorique
(système de pensée, objectifs) et sur le plan des
stratégies mises en application (aide, mondialisation, ...) n'a
constitué pour les sociétés d'Afrique, d'Asie et
d'Amérique Latine, depuis leur indépendance, qu'un nouvel avatar
de la domination des pays industrialisés et de l'occidentalisation du
monde, sur tous les plans (économique, social, culturel...)".
De nombreux historiens pensent que le concept de «
développement » avec surtout la mise en place de l'aide
internationale, en augmentant les interventions des pays occidentaux dans les
pays du Sud, avait pour but initial de stopper l'avancée des communistes
et de garder le contrôle des anciennes colonies. Le discours instigateur
de l'aide internationale n'est*il pas le même que celui qui appelait
à la création de l'OTAN (Organisation du Traite de l'Atlantique
Nord) ? La création de l'OTAN, est considérée au
départ comme une coalition pour contrer le bloc communiste. Le
troisième point du discours du 20 janvier 1949 du président H. S.
Truman appelait à la création de l'OTAN, à une fourniture
d'équipement et à une assistance militaire aux pays qui
acceptaient de coopérer avec eux. Et au quatrième point, il
appelait à l'aide internationale au développement. Dès le
départ, la politique d'aide internationale, n'est pas purement
philanthropique. L'aide, surtout bilatérale était principalement
utilisée pour supporter les alliés politiques au cours de la
guerre froide. L'exemple de l'ex Zaïre, actuel République
Démocratique du Congo est très parlant dans ce domaine. Le
régime de Mobutu Sese Seko a contre toute
attente, bénéficié de soutiens politico-militaire et
d'appuis financiers énormes pendant plusieurs décennies,
provenant essentiellement des Etats-Unis. Juste après l'effondrement du
bloc soviétique qui a entraîné la fin de la guerre froide,
le président Mobutu a perdu tous ses soutiens occidentaux.
« Desarollo »
(développementiste) en Amérique Latine était une insulte
dans les années 1950, et désignait l'impérialisme
américain (Lut Tins, 2004). Pour se légitimer, la colonisation
s'est appuyée sur les valeurs de civilisation et d'éducation.
Désormais les valeurs compensatoires sont celles de construction,
développement, intégration, mondialisation ...
Les « anti-développementistes »
dénoncent le « développement » et ses pratiques qu'ils
qualifient de « désastres ». Les Occidentaux, nostalgiques de
la période coloniale et soucieux de toujours contrôler les autres
parties du monde ont mis en place l'aide publique au développement. Elle
est aujourd'hui la manifestation déguisée de
l'égoïsme des plus nantis, et un nouveau moyen de leur
ingérence dans les affaires et la vie des pays du Tiers*Monde. Selon les
auteurs anti-développementistes, l'aide au développement
n'existerait que dans le souci de pérenniser la domination occidentale.
Elle sert d'outils de justification d'intervention dans les pays en
développement, visant avant tout l'intérêt du donateur.
« Le principal objectif des donateurs est bel et bien le renforcement de
leur zone d'influence à travers le soutien politique aux dirigeants
alliés du Sud, afin d'être en mesure de leur imposer des
décisions économiques et de contrôler les positions qu'ils
adoptent lors des sommets internationaux ». D. Millet et E. Toussaint
(2005).
Un mobile important de l'aide internationale est la promotion
du commerce inégal, qui enrichit les pays industrialisés au
détriment du Sud. Alors que les exportations des produits manufacturiers
des pays riches (qui occupent 70% du commerce mondial) augmentent, les
exportations mondiales de matières premières et leurs prix ont
fortement diminué depuis les années 1980 ; en grande partie sous
l'effet des politiques des institutions internationales (Banque mondiale, FMI,
OMC, etc.). Les ventes de matières premières des pays pauvres ne
compensent
généralement pas leurs importations de
marchandises. Il en résulte pour les pays du Sud un déficit de
leurs balances commerciales. En conséquence, le commerce, inégal,
ne profite qu'aux pays industrialisés qui s'enrichissent par
l'appauvrissement des pays du Sud. Pour protéger leurs
intérêts, les pays riches ont alors mis sur pied des politiques
dites de « développement », qui en fait accroissent leurs
interventions et garantissent leurs intérêts commerciaux. En
passant par l'aide internationale et la mondialisation, les pays
industrialisés « pompent » les richesses du Sud, puisqu'ils en
tirent énormément de profits, comme le montre la figure
ci-dessous.
Figure I--26 : Transferts financiers 2001 pour
l'ensemble des pays en développement (en
milliards de
dollars)
NB : Le service de la dette représente
les remboursements annuels augmentés des intérêts.
Ainsi, à travers les rapports commerciaux et l'aide
internationale qui est génératrice de dette, les pays occidentaux
soutirent aux pays en développement plus de ressources
financières qu'ils ne leur en procurent. La dette gigantesque, est un
moyen sûr pour les pays riches de garder les pays pauvres dans leur
sphère d'influence, et d'aliénation. L'aide
étrangère ne peut contribuer de façon substantielle au
développement du Tiers Monde ; au contraire, elle est à
même de le retarder.
En somme, ces deux thèses (libérale et marxiste)
se rejoignent quant à l'incapacité de l'aide internationale
à promouvoir le développement ou à soulager la souffrance
des pays pauvres. Alors que la Banque mondiale considère l'aide comme
nécessaire pour la croissance des pays en développement et
l'éradication de la pauvreté dans le monde, le courant
contestataire libéral et les « anti-développementistes
» la considèrent comme défavorable au développement.
Face à ce manichéisme, il nous faut considérer les
analyses empiriques de l'efficacité de l'aide internationale pour voir
ce que nous disent les faits. C'est ce qu'on abordera dans le chapitre
suivant.
Conclusion partielle
L'aide internationale présente une double
légitimité: la nécessité d'une politique
redistributive à l'échelle planétaire, et la promotion de
la croissance économique dans les pays pauvres. De là, on
comprend mieux certains débats qui traversent la communauté
internationale : attribution de l'aide selon les besoins versus selon les
facteurs d'efficacité; aide projet versus aide budgétaire. Ces
deux fondements se rejoignent néanmoins sur un point:
l'amélioration de la situation des plus pauvres, voir
l'élimination à terme de la pauvreté dans le monde. Le
moyen efficace et dynamique pour atteindre un tel objectif est la promotion de
la croissance économique dans les pays du Tiers-
Monde. L'élévation du revenu par habitant dans
les pays pauvres est pour cela l'objectif primordial de l'aide internationale.
En augmentant le revenu des pauvres, on améliore leur bien-être
global (consommation, accès au savoir et aux soins, espérance de
vie, qualité de la vie, ...). La pauvreté disparaîtra donc
à terme.
Malheureusement, après plus d'un demi-siècle
d'aide au développement, la pauvreté ne semble pas reculer
véritablement. Malgré les divergences dans les approches
statistiques, on note que la pauvreté, même si elle baisse, la
diminution du nombre de pauvres est bien en deçà des attentes. La
pauvreté aurait même augmenté dans certaines
régions. Ce qui entraîne de vives critiques à l'encontre de
la politique d'aide menée depuis plus de cinquante ans. Presque toutes
les analyses s'accordent aujourd'hui sur le fait que la pauvreté
progresse en Afrique sub-saharienne, qui est pourtant la principale
région bénéficiaire de l'aide internationale. L'aide au
développement aide-t-elle les populations de cette région ? C'est
ce que nous examinons dans le chapitre suivant à travers une
étude empirique.
CHAPITRE TROIS
ANALYSE EMPIRIQUE DE L'EFFICACITE DE L'AIDE AU
DEVELOPPEMENT EN
AFRIQUE SUB--SAHARIENNE
« Au cours des cinquante dernières
années, nous, les économistes, avons souvent pensé avoir
trouvé la bonne réponse pour générer la croissance
économique. La première « solution » fut la croyance en
l'aide étrangère ... Aucun de ces élixirs n'a tenu ses
promesses ... ».
Citation de William Easterly, The Elusive
Quest For Growth 2001).
Depuis les années 1960, le monde vit un accroissement
spectaculaire des niveaux de vie, qui est sans précédent dans
l'histoire de l'humanité. Le commerce international et le
développement économique ont connu des hausses exponentielles.
L'espérance de vie globale s'est améliorée grâce aux
progrès de la médecine. Le progrès technologique a connu
des avancées spectaculaires. Cependant, selon toutes les mesures
statistiques, l'Afrique sub-saharienne n'a pas profité de ce
développement global. En fait, dans la plupart des pays de la
région, le niveau de vie a même baissé (PNUD, 2004). Et
pourtant, la communauté internationale a consacré plus de 568
milliards de dollars américains d'aide étrangère au
développement de l'Afrique depuis 196044.
De sérieuses questions se posent alors sur la
capacité de l'aide internationale à promouvoir le
développement en Afrique sub-saharienne.
Quel effet l'aide internationale a-t-elle sur le
développement en Afrique sub-saharienne ? L'aide qui est censée
promouvoir la croissance économique dans les pays pauvres en
finançant leurs investissements a-t-elle favorisé
l'amélioration du bien-être ou encore le revenu par habitant en
Afrique sub-saharienne? Pour répondre à ces questions, l'analyse
empirique de l'efficacité de l'aide au développement
vis-à-vis de la croissance économique dans la région
(Afrique sub-saharienne) s'avère fondamentale.
Dans un premier temps (section 1), on va présenter une
revue de la littérature empirique sur l'efficacité de l'aide
internationale au développement. Dans la section
2, on abordera une description statistique du panel de pays
étudiés. On présentera ensuite la méthode
économétrique (section 3). Les résultats de nos analyses
empiriques sont enfin présentés puis commentés dans la
section 4.
Section 1 : Revue de la littérature empirique
sur l'efficacité de l'aide au développement
Le champ de l'analyse empirique de l'efficacité de
l'aide au développement, déjà exploré dans les
années 1970, a connu un regain d'importance au début des
années 1990. Sans doute à cause de la fin de la guerre froide qui
était une sérieuse motivation de l'aide internationale, mais
aussi des rapports faisant état de l'augmentation de la pauvreté
dans le monde malgré la politique d'aide. Presque toutes les
études sur l'aide ont cherché à identifier son impact sur
la croissance économique, sous-entendu que cette dernière
s'accompagnera de progrès sociaux. Les résultats dans l'ensemble
prêtent à controverse. Ainsi, la grande partie des études
menées depuis les années 1980 et 1990 (Mosley 1980, Dowling et
Hiemenz 1982 ; Mosley 1987, Mosley et al. 1987, 1992 ; Boone 1994, 1996)
concluent-elles à une absence d'effet positif de l'aide sur la
croissance économique. Le résultat de Griffen (1970) a même
évoqué une corrélation négative entre ces deux
variables (aide et croissance économique). Ces conclusions pessimistes
sur l'efficacité de l'aide en parallèle aux graves crises
d'endettement de plusieurs pays, mais aussi la fin de la guerre froide en 1990
vont,
vers la fin de la décennie 1990, induire l'aide
internationale dans une crise de légitimité sans
précédent. Se posait alors le paradoxe micro-macro
évoqué par Paul Mosley (1987) selon lequel la plupart des
missions d'évaluation des projets financés par l'aide
internationale concluaient à une
44 Easterly William (2005c).
réussite alors que les analyses au niveau
macroéconomique concluaient à un échec. Dans ce contexte
pessimiste à propos de l'aide internationale, Burnside et Dollar ont
développé l'idée d'une efficacité de l'aide
différenciée selon la politique économique menée
dans le pays receveur. Dans un célèbre article publié en
1997 puis repris en 2000, Burnside et Dollar ont construit un indicateur de la
qualité de la politique économique dans le
pays récipiendaire qu'ils ont croisé avec l'aide
internationale reçue45. Ils ont expliqué le taux e croissance du
PIB par tête par un certain nombre de variables considérées
comme xogènes. Il s'agit de : l'aide au développement en
pourcentage du PIB (Aide), un indicateur de l'environnement de politique
économique (Pol éco), un indicateur de l'interaction entre l'aide
et l'environnement de politique économique (Aide*Pol éco), le
logarithme du PIB par tête initial (Log PIB/tête initial), un
indicateur de degré de fragmentation ethnolinguistique (frag.
ethnoling), le nombre d'assassinats politiques par millions d'habitants
(Assassinats pol.), des variables régionales dummy pour l'Afrique
sub-saharienne (dummy Afrique sub-saharienne), et pour les dragons d'Asie de
l'est (dummy Asie de l'Est), un indicateur de la qualité des
institutions (institutions), et un indicateur du mode de financement du
gouvernement (M2/PIB) retardé d'une période.
Les données portent sur un échantillon de 56
pays46, et courent sur la période 1970-1993. Le
résultat de leur analyse, qui est au coeur du débat sur
l'efficacité de l'aide est résumé dans le tableau
suivant.
Tableau N°I-8 : Explication du
taux de croissance du PIB par tête par l'aide :
les
Résultats économétriques de Burnside et
Dollar (2000)
Méthode d'estimation
|
MCO
|
MDC
|
Aide
|
-0,02
(0,13)
|
-0,24
(-0,89)
|
Aide-Pol. éco.
|
0,19***
|
0,25**
|
|
(2,61)
|
(1,99)
|
Log PIB/tête initial
|
-0,6
|
-0,83
|
|
(-1,02)
|
(-1,02)
|
Frag. ethnoling.
|
-0,42
|
-0,67
|
|
(-0,57)
|
(-0,76)
|
Assassinats
|
-0,45
|
-0,76
|
|
(-1,68)
|
(-1,63
|
Frag. ethnoling*Assassinats
|
0,79
|
0,63
|
|
(1,74)
|
(0,67)
|
Dummy Afrique subsaharienne
|
-1,87**
|
-2,11***
|
|
(-2,41)
|
(-2,77)
|
Dummy Asie de l'Est
|
1,31**
|
1,46*
|
|
(2,19)
|
(1,95)
|
Institutions
|
0,69***
|
0,85***
|
|
(3,90)
|
(4,17)
|
M2/PIB
|
0,01
|
0,03
|
|
(0,84)
|
(1,39)
|
Pol éco.
|
0,71***
|
0,59
|
|
(3,63)
|
(1,49)
|
45 L'indicateur de politique économique est un indice
synthétique composé de trois variables : inflation, surplus
budgétaire, ouverture au commerce. Ces trois variables sont
réunies dans un indicateur composite en les pondérant par leurs
coefficients respectifs, préalablement estimés à travers
une équation de croissance. La formule de calcul de cet indicateur est
la suivante : Ind pol éco = 1,28 + 6,85*surplus budgétaire -
1,4*inflation + 2,16*ouverture au commerce (Burnside et Dollar, 2000).
46 Echantillon de pays : Afrique sub-saharienne : Botswana,
Cameroun, Côte d'Ivoire, Ethiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Kenya,
Madagascar, Malawi, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone,
Somalie, Tanzanie, Togo, Zaïre (RDC), Zambie, Zimbabwe. Amérique
latine : Bolivie, Rép. Dominicaine, Equateur, El Salvador, Guyane,
Haïti, Honduras, Nicaragua, Paraguay, Argentine, Brésil, Chili,
Colombie, Costa Rica, Guatemala, Jamaïque, Mexico, Pérou,
Trinité & Tobago, Uruguay, Venezuela. Moyen orient et Afrique du
Nord: Algérie, Egypte, Maroc, Tunisie, Syrie, Turquie. Asie de l'Est:
Indonésie, Corée, Philippines, Thaïlande, Malaisie. Asie du
Sud : Inde, Pakistan, Sri Lanka.
Nombre d'observ. R--carré
|
270
0.39
|
184
0.47
|
Légende:
*** indique que le coefficient est
significatif avec un seuil de 1% ; ** indique que le
coefficient est significatif avec un seuil de 5% ; * indique
que le coefficient est significatif à 10%.
NB : MCO désigne « moindres
carrés ordinaires » ; DMC désigne « double moindres
carrés ». Les t-statistics calculés sont entre
parenthèses.
L'idée derrière le croisement de la proportion
d'aide reçue (Aide) avec l'indicateur de politique économique
(Pol éco) est d'étudier l'impact des politiques
économiques dans les pays récipiendaires sur l'efficacité
de l'aide au développement.
Alors que l'effet de l'aide sur la croissance
économique est non significatif (mais négatif), il devient
positif et significatif lorsqu'on la croise avec l'indicateur de politique
économique dans le pays récipiendaire. L'aide serait ainsi
conditionnellement productive. Elle soutient la croissance économique
dans les pays qui mènent de bonnes politiques économiques. Mais
dans les pays où l'environnement de politiques macroéconomiques
est « faible » ou « malsain », l'aide est sans effet sur la
performance économique.
Alors que l'aide traversait une crise de
légitimité, l'étude de Burnside et Dollar a
constitué une réponse aux détracteurs de l'aide au
développement. Leur conclusion a été retentissante dans
les institutions d'aide, et consolide le point de vue de Jonathan
Isham, Daniel Kaufmann et Lant Pritchett (1995)47 selon lequel
les projets de la Banque Mondiale connaissent un meilleur rendement dans les
pays où les libertés civiles sont mieux respectées. Les
conclusions de Burnside et Dollar (1997) seront reprises et
défendues par Banque mondiale (1998), Dalgaard et Hansen (2001), Lensink
et White (2001) avec des implications politiques. En effet, si l'aide est plus
efficace dans un bon environnement macro-économique, elle devrait cibler
les pays pauvres ayant adopté de « bonnes politiques
économiques ».
A l'inverse, dans les pays où les politiques
économiques sont mauvaises, l'aide financière devrait être
remplacée par un dialogue sur le choix de politique et une assistance
technique. Ce que la Banque Mondiale résume dans son rapport Assessing
Aid comme suit: « If commitment, money - If not, ideas » (Banque
mondiale, 1998). Ces conclusions et implications politiques sont mises en
oeuvres alors que de nouvelles données devenues disponibles permettent
à travers une étude similaire (Easterly et al. 2003) d'infirmer
l'efficacité de l'aide au développement même en
présence de « bonnes politiques macro-économiques ». En
effet, s'inspirant des résultats de Burnside et Dollar (1997, 2000),
Easterly, Levine et Roodman (2003) à leur tour se sont
intéressés à l'impact de l'aide au développement
sur la croissance du revenu par habitant dans le monde en prenant en compte la
qualité de la politique économique menée. Ces auteurs ont
utilisé l'échantillon utilisé par Dollar, en
l'élargissant à d'autres pays, et en élargissant la
période; d'autres données courant sur la période 1994-1997
étant devenues disponibles. Ils ont utilisé les mêmes
méthodes de spécification que celles utilisées par
Burnside et Dollar; la même régression les mêmes variables
explicatives.
Ce résultat a remis en cause l'idée admise de
Dollar et Burnside selon laquelle l'aide est efficace si elle est
accompagnée de bonnes politiques macroéconomiques. Le
débat sur l'efficacité de l'aide au développement est donc
relancé. Plusieurs autres études comme Levine (2003), Hansen et
Tarp (2000, 2001), Guillaumont et Chauvet (2001) ont également abouti
à un coefficient proche de zéro et pas significatif surtout quand
on introduit d'autres variables explicatives (comme par exemple la
population).
47 Ils sont tous chercheurs à la Banque mondiale.
Hansen et Tarp (2000) ont obtenu un coefficient non
significatif en introduisant dans l'équation à estimer, un terme
quadratique48 de l'aide. L'aide internationale serait donc sans
effet sur la
croissance économique des pays récipiendaires.
Une étude plus récente (Clemens et al, 2004)
évoque non
pas la qualité des politiques économiques menées comme
facteur d'efficacité de l'aide, mais ce qu'elle finance. L'aide
alimentaire par exemple est contre-productive alors que le financement des
infrastructures économiques a un impact positif sur la croissance
économique à moyen terme selon les analyses de Clemens et al,
(2004).
D'autres analyses sur les déterminants de la croissance
économique, et donc pouvant influencer l'efficacité de l'aide
dans les pays en développement ont évoqué l'importance
d'autres variables telles que : les facteurs historiques notamment la
colonisation (Acemoglu, Johnson et Robinson, 2003) ; les facteurs
géographiques49 et les maladies (Gallup, Sachs et Mellinger,
1998), la situation par rapport aux tropiques (Clemens et al. 2004 ; Daalgard
2004), les chocs climatiques et ceux liés aux prix à
l'exportation et aux termes de l'échange (Collier et Dehn 2001,
Guillaumont et Chauvet 2001). La productivité de l'aide au
développement serait aussi liée à ses nombreux
facteurs.
L'effet de l'aide sur les indicateurs sociaux a
été moins étudié dans la littérature
empirique sur l'efficacité de l'aide. Sans doute à cause du lien
positif sous-entendu entre développement économique et
développement social (comme nous l'avons présenté plus
haut). Si l'aide favorise la croissance économique, puisque la
croissance du revenu engendre le progrès sur le plan social, alors
l'aide favorise le progrès social.
Les rares études qui ont évalué
directement l'impact de l'aide sur les indicateurs sociaux de bien-être
aboutissent aussi à des résultats controversés. Elles se
contredisent comme précédemment (au niveau de l'impact sur la
croissance économique). Ainsi, Burnside et Dollar (1998) fidèles
à leurs idées, soutiennent que l'aide ne favorise la baisse de la
mortalité infantile que dans les pays qui mènent de « bonnes
politiques économiques ». De même, pour Kosack (2003), l'aide
n'a d'effet positif sur l'indicateur de développement humain que dans
les régimes démocratiques. Alors que Gomanee et al. (2003)
aboutissent à un résultat selon lequel l'aide influence
positivement l'indicateur de développement humain (IDH) seulement
lorsqu'elle finance les dépenses publiques favorables aux pauvres. La
qualité de l'environnement de politique économique ne serait pas
déterminante. Mosley et al (1987) tout comme Boone (1996) concluent
à l'issue de leurs analyses économétriques que l'aide
internationale est stérile. D'après les résultats de leurs
études, l'aide internationale n'a aucun effet sur la mortalité
infantile.
La conclusion que l'on peut tirer de la lecture de la
littérature empirique sur l'efficacité de l'aide est donc un
manque de robustesse des résultats empiriques. Face à ce constat,
il est nécessaire d'approfondir les analyses en variant les composantes
des études ; par exemple en intégrant différents facteurs
pouvant influencer l'efficacité de l'aide (facteurs
géographiques, termes de l'échange, ...), et en modifiant
l'échantillon de pays. En outre, dans les analyses de Burnside et Dollar
(1997, 2000) tout comme celles de Easterly et al. (2003), la variable muette
« Afrique sub-saharienne » est négative et significative. La
région aurait certaines particularités propres, et mérite
donc une étude plus approfondie.
En outre, les pays de cette région présentent de
fortes similitudes sur plusieurs plans (historique, géographique,
économique, culturelle, politique, ...). Ceci permettrait de minimiser
l'effet du non
48 Le terme quadratique « aide^2 »
est destinée à prendre en compte la non linéarité
du lien entre aide et croissance économique, théoriquement
fondée par la loi de la productivité marginale du capital
décroissante.
49 Dans la mesure où la situation géographique
détermine les conditions climatiques et surtout le développement
facile des moustiques dans la zone intertropicale, et par conséquent le
paludisme, une maladie redoutable dont les répercussions sur
l'activité économique sont immenses.
prise en compte de certaines variables comme celles
énumérées ci-dessus (facteurs historiques,
géographiques, chocs liés aux termes de l'échange, ...)
lorsque l'analyse porte exclusivement sur les pays de cette région.
C'est ce que nous entreprendrons par la suite.
Section 2 : Analyse descriptive du panel de pays
étudiés
L'Afrique sub-saharienne, communément appelée
« Afrique Noire » s'étend sur une superficie de 24,3 millions
de kilomètres carrés. Sa population était
évaluée à environ 700 millions en 2004, avec un taux de
croissance moyen d'environ 2,39%. Son PIB total est évalué en
2004 à environ 236,2 milliards50 de dollars US, Afrique51 Prix de 2000
108 du Sud non comprise1. Il était ainsi à peine supérieur
au tiers de celui du Brésil (655,4 milliards de $ US la même
année), moins que celui de la Suisse (253,8 milliards de $), et moins du
septième de celui de la Chine (1715 milliards de $). Son taux de
croissance (PIB total) est d'environ 3,23%. Le revenu par habitant moyen (ou
PIB par habitant) de la région, l'un des plus faibles de la
planète, était d'environ 350$ US en 2004 ; et son taux de
croissance moyen, faible, est d'environ 0,8%. La région compte 47 pays :
Afrique du Sud, Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi,
Cameroun, Cap Vert, République Centrafricaine, Iles Comores,
République Démocratique du Congo (RDC ou ex Zaïre),
République du Congo, Côte d'Ivoire, Erythrée, Ethiopie,
Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Gabon, Gambie,
Ghana, Kenya, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Ile
Maurice, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Sao Tome et
Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan,
Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Zambie, Zimbabwe.
Fugure : n° J--27 : Carte d'Afrique
subsaharienne
Tous les pays de la région bénéficient de
l'aide internationale au développement. Cependant, la situation
économique de l'Afrique sub-saharienne ne cesse de se
détériorer depuis la fin des années soixante-dix. La
figure suivante permet de faire une petite comparaison entre l'Asie du Sud-est
et l'Afrique subsaharienne.
Dans les années 60 et 70, l'Asie du Sud-est et
l'Afrique sub-saharienne avaient des niveaux de revenu similaires. En
témoigne la figure ci-dessous qui fait ressortir les variations du PIB
par habitant entre 1970 et 1995 dans ces deux régions du monde. Les pays
de l'Asie du Sud-est comme
50 Prix de 2000
51 L'Afrique du Sud dont la situation est un peu
particulière, présente de fortes dissemblances avec les autres
pays de la région. Elle ne sera pas intégrée dans notre
étude.
l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande sont
caractérisés par une croissance économique soutenue. Si
l'Afrique sub-saharienne a elle aussi présenté une
première phase de croissance allant jusqu'à la fin des
années 1970, les deux grands chocs pétroliers de la
décennie soixante-dix vont révéler la
vulnérabilité des économies africaines. Depuis le
début des années 1980, un profond déclin économique
s'est installé en Afrique sub-saharienne comme on peut le remarquer sur
la figure suivante.
Figure : n°I-28 : Evolution du PIB
par habitant en Afrique et en Asie du Sud-est
Dans les années 1960-1970, les deux régions
avaient des conditions économiques et sociales plus ou moins similaires.
Le niveau de vie en Afrique était même légèrement
supérieur à celui de l'Asie du Sud-Est. Les pays des deux
régions sont des bénéficiaires de l'aide internationale,
destinée à promouvoir la croissance pour le développement.
L'Afrique sub-saharienne en a même reçu plus que l'Asie du
Sud-Est. Mais aujourd'hui (après environ 25 ans), le niveau de vie de
l'Asie du Sud-est a largement dépassé celui de l'Afrique
sub-saharienne.
Depuis le début des années 1980, les
économies africaines sont tombées dans une phase de
décadence qui semble se prolonger. La baisse des cours des
matières premières et des produits de base vers la fin des
années 1970 a aggravé la situation économique des pays de
la région. Les niveaux de vie ont subi une baisse considérable
qui s'est traduite par une augmentation de la pauvreté.
Si les économies de l'Asie du Sud-est ont elles aussi
ressenti les effets de la crise au début de la décennie 1980,
elles ont pu dissiper rapidement les effets de la récession
économique et réamorcer leur processus de croissance depuis le
milieu des années 1980 comme on peut le remarquer sur la figure
présentée ci-dessus. De leur côté par contre, les
pays de l'Afrique sub-saharienne ont été plongés dans une
phase de décadence économique, de laquelle ils ne semblent pas se
remettre jusqu'à nos jours. Et ceci malgré l'afflux continuel de
capitaux étrangers en aide internationale. Ceci nous amène
à nous interroger sur le rôle que l'aide internationale au
développement a pu jouer en Afrique sub-saharienne.
Pour avoir une idée sur cette question, on peut se
référer à la figure ci-dessous. Elle présente
l'évolution de l'aide accordée à l'Afrique sub-saharienne
en pourcentage du revenu (axe de gauche) et celle du taux de croissance
économique (axe de droite) sur environ 40 ans (1965-2004).
Figure n° : J-29 :
Aide et croissance économique en Afrique
sub-saharienne
Sur la période allant de 1965 jusqu'au début de
la décennie 1990, l'Afrique sub-saharienne a
bénéficié d'une aide extérieure croissante. Elle
est passée d'environ 7% du revenu en 1965 à environ 24% en 1994.
Et pourtant, le taux de croissance économique a présenté
une tendance à la baisse sur la même période. D'environ
4,5% en 1970, ce taux a progressivement baissé. Il était
même devenu négatif au début des années 1990. C'est
paradoxalement au moment où l'aide à l'Afrique sub-saharienne a
présenté une tendance à la baisse que le taux de
croissance économique semble redécoller.
L'analyse de la tendance de l'aide internationale par rapport
à la performance économique pour chaque pays de la région
débouche sur une conclusion très semblable. L'augmentation de
l'aide au développement semble être associée à une
tendance à la baisse de la performance économique. Elles
présentent pour chaque pays de la région, l'évolution du
PIB par habitant et de l'aide en pourcentage du revenu.
L'analyse du graphique débouche sur un véritable
paradoxe. On constate généralement que les pays qui ont
réussi à augmenter significativement leur niveau de revenu par
habitant sont ceux pour qui l'aide reçue a progressivement
baissé. C'est le cas de l'Angola, du Botswana, du Cap Vert, de la
Guinée, de la Guinée Equatoriale, du Lesotho, de l'Ile Maurice,
du Sao Tome et Principe, des Seychelles, du Soudan, du Swaziland, et de la
Tanzanie. L'Angola par exemple a bénéficié d'une aide
croissante jusqu'en 1994. Son revenu par habitant a pourtant
régulièrement baissé sur la même période. A
partir de cette date, le pays a vu son aide baisser. Paradoxalement, le revenu
par tête angolais est en augmentation régulière depuis ce
moment. Il en est de même pour la Guinée Equatoriale et le
Mozambique. L'aide qui leur est accordée est en baisse depuis 1992,
alors que leur revenu par habitant est en augmentation. Certains pays comme la
RDC, la Guinée Bissau, Madagascar, le Niger, la Sierra Leone et la
Zambie bénéficient d'une aide
croissante depuis les années 1970 ; alors que leur
revenu par habitant est en baisse régulière.
Il y a pourtant des exceptions. Quelques rares pays notamment
le Burkina Faso, le Ghana (depuis 1982), l'Ethiopie (depuis 1992) et l'Ouganda
ont réussi à associer un niveau de revenu par habitant croissant
à une aide croissante.
A partir de cette analyse, il y a de quoi douter de
l'efficacité de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne.
Néanmoins, il est difficile de conjecturer le lien entre l'aide
internationale et la croissance du revenu à partir de la simple
observation de ces graphiques. Des tests économétriques
s'avèrent donc nécessaires.
Pour mener cette étude, on a considéré
les 46 pays de la région. La période d'étude va de 1970
à 2005 ; soit 36 années d'observations au total, par pays. Les
données ont été collectées à partir du
Center for Global Development (Roodman, 2005) et Banque mondiale (2006,
2007).
Concernant l'estimation de l'impact de l'aide sur la
croissance économique, le choix de l'intervalle de temps fait
débat. Lorsque l'aide finance par exemple les intrants pour la
production agricole (café, cacao, coton, etc.) ou encore des
médicaments (antipaludéens, les antirétroviraux, ...), son
impact sur le revenu peut être espéré dans une
période allant de quelques mois à quatre ou cinq ans. Il en est
de même lorsqu'elle finance la construction d'un barrage ou d'une route.
Lorsqu'elle finance des réformes de l'appareil judiciaire par exemple,
son impact sur la croissance économique peut traîner un peu ...
jusqu'à cinq et même dix ans. Et l'impact sur le revenu du
financement de la scolarisation de la population (construction d'une
école, formations des enseignants, etc.) peut traîner
jusqu'à une génération ou plus. Compte tenu de tout cela,
quelle période retenir pour l'estimation de l'efficacité de
l'aide au développement?
Pour notre part, nous estimons comme Burnside et Dollar (1997,
2000) ; Easterly et al. (2003) ; Clemens et al. (2004) qu'une période
moyenne de quatre ans paraît raisonnable pour espérer les effets
de l'aide sur le revenu. Les données ont donc été
agrégées en des valeurs moyennes couvrant des périodes de
quatre ans chacune, allant de 1970 à 200552. Ce qui fait
finalement neuf observations par pays. Certains pays comme par exemple
l'Angola, la Somalie, le Liberia (pour des raisons de guerre) ont quelques
observations manquantes. Dans le souci de couvrir le plus grand nombre de pays,
nous les conservons néanmoins dans la mesure où en les
intégrant, les résultats finaux ne changent pas
significativement. A cause de ces données manquantes, on s'est
retrouvé avec 368 observations au lieu de 9*46=414.
Ceci représente néanmoins un nombre
d'observations suffisamment élevé pour mener l'étude
empirique.
Nous estimons en panel, une équation de croissance qui
fait dépendre le taux de croissance du revenu par habitant d'un ensemble
de variables explicatives dont l'aide internationale. Les variables retenues
pour la régression sont:
?it : c'est le taux de croissance
moyen du revenu par tête (PIB/habitant) du pays la
i au cours de
période al.
t qui est ici de 4 ans (Burnside
et Dollar 1997, 2000 ; Easterly et al. 2003 ; Clemens et 2004). Il
représente la variable expliquée. Les variables explicatives
retenues sont:
Ait : l'aide au développement
dont a bénéficié le pays période
i au cours de la t.
C'est un ratio exprimé en pourcentage du PIB du pays
récipiendaire.
[A
possibilité
it A 2] : l'aide
élevée au carré. On a introduit cette variable pour
prendre en compte la
de non-linéarité du lien entre aide et
croissance économique, fondée théoriquement par la loi de
la productivité décroissante du capital (Hansen et Tarp 2000;
Clemens et al. 2004).
PIBtit : c'est le revenu par
tête initial (en logarithme). Cette variable permet de prendre en compte
les dotations initiales, dans le but de capter l'effet de convergence entre les
économies. On prend son logarithme pour minimiser l'effet de grands
écarts entre les revenus sur le taux de croissance (Burnside et Dollar
2000, Easterly 2003).
[ M 2 / PIB ]it :
c'est la masse monétaire M2 en pourcentage du PIB. Une variable
institutionnelle permettant de prendre en compte les distorsions dans le
système financier, ainsi que le mode de
52 Les périodes sont: 1970-1973, 1974-1977, 1978-1981,
1982-1985, 1986-1989, 1990-1993, 1994-1997, 1998-2001, 2002-2005.
financement de l'économie (notamment le financement par
seigneuriage) dans l'explication du taux de croissance de l'économie
(King et Levine, 1993) ; son effet est analysé avec un retard d'une
période (Burnside et Dollar, 2000).
Popit : désigne le
pourcentage des moins de 15 ans dans la population totale du pays
considéré; une variable qui permet de prendre en compte la
pression démographique sur l'investissement requis dans l'explication du
taux de croissance de l'économie.
Scolit: c'est le taux de
scolarisation de la population; une variable d'éducation couramment
utilisée dans la littérature (Barro et Lee, 1993).
Invit : le taux d'investissement de
l'économie i à la date t ; exprimé en pourcentage du PIB.
Son effet est analysé avec un retard d'une période.
Ethit : c'est le degré de
fragmentation ethnolinguistique, repéré par la probabilité
que deux individus pris au hasard, appartiennent à des groupes ethniques
différents. Cette variable est suggérée par Easterly et
Levine (1996) pour capter les caractéristiques de long terme d'un pays
qui peuvent affecter son économie.
En plus de ces variables, nous incluons des variables
reflétant l'environnement économique du pays récipiendaire
dans l'équation à estimer; à savoir:
Ouv Une
it : variable muette pour l'ouverture
au commerce, développée par Sachs et Warner (1995).
économie est considérée comme fermée au commerce
lorsque ses tarifs douaniers sur les équipements et matériaux
dépassent 40%, ou que les primes sur le marché noir
dépassent 20%, ou encore lorsque le gouvernement exerce un
contrôle intense sur le secteur commercial du pays (Burnside et Dollar,
2000).
Ifl 1993).
it
: le taux d'inflation, un indicateur de la politique
monétaire du pays considéré (Fischer,
[ S. budgt ] PIB.
it : c'est le solde budgétaire,
en pourcentage du
[ G.cons ] it : désigne
les dépenses de consommation du gouvernement, exprimées en
pourcentage
du PIB.
[ S budgt ] it et [ G.cons ]
it : sont des indicateurs suggérés par Easterly
et Rebelo (1993), pour
prendre en compte la politique budgétaire de
l'économie considérée. Les tableaux
ci-dessous
présentent quelques éléments de statistique
descriptive pour l'ensemble des pays retenus, sur la période
d'étude (1970-2005).
Tableau n°I--9: Aide et taux de croissance moyen
du PIB par tête par pays Valeurs Moyennes (1970 -
2011
Pays
|
Aide (%PIB)
|
Taux de
Croissance
|
pays
|
Aide (%PIB)
|
Taux de
Croissance
|
Angola
|
6,06
|
0,01
|
Liberia
|
12,98
|
-2,93
|
Bénin
|
9,66
|
0,35
|
Madagascar
|
9,16
|
-1,45
|
Botswana
|
7,03
|
7,28
|
Malawi
|
19,05
|
0,74
|
Burkina Faso
|
12,47
|
1,06
|
Mali
|
16,18
|
0,85
|
Burundi
|
17,36
|
0,32
|
Mauritanie
|
22,90
|
0,65
|
Cameroun
|
1,32
|
1,32
|
Ile Maurice
|
2,04
|
4,31
|
Cape Vert
|
26,30
|
3,24
|
Mozambique
|
30,69
|
2,08
|
RD. Congo
|
7,81
|
-3,66
|
Rwanda
|
18,33
|
1,08
|
Rép. Du
Congo
|
7,30
|
1,12
|
Sao Tome & P.
|
71,99
|
0,34
|
Source: calcul de l'auteur a partir de DWI,
2011
NB : La liste de pays Africain ne pas exhaustive
Sur notre période d'étude, l'Afrique
sub-saharienne a bénéficié en moyenne d'environ 15% de son
PIB (14,6% précisément) en aide internationale. Son taux de
croissance économique est pourtant faible; 0,82% en moyenne.
Les premiers pays bénéficiaires d'aide ne sont
pas ceux dont les taux de croissance économiques sont les plus
élevés.
CONCLUSION PARTIELLE DE LA PREMIERE PARTIE
L'aide internationale au développement est un moyen de
financement à des conditions privilégiées par rapport au
marché. Elle est exclusivement réservée aux pays pauvres
qui n'ont pas accès aux marchés internationaux privés de
capitaux, faute de garanties suffisantes. Elle provient des pays
développés qui l'octroient dans le cadre d'accords de
coopération bilatéraux, ou à travers des institutions
internationales spécialisées. L'aide au développement
bénéficie principalement aux pays africains.
Les principaux fondements de la politique d'aide au
développement, sont : l'altruisme des plus nantis, le besoin de justice,
la nécessité d'une politique de redistribution à
l'échelle planétaire, l'existence de biens publics internationaux
(santé, paix, environnement, ...) et la nécessité de
protéger de tels biens, la lutte contre la pauvreté. Les pays
pauvres étant à court de moyens, l'aide internationale constitue
une politique pouvant générer l'amélioration du
bien-être de tous (Pareto optimale).
La principale caractéristique de l'aide au
développement est le fait qu'elle est intrinsèquement liée
aux objectifs de politiques étrangères du donateur, notamment
pour les grandes puissances politiques. Cette caractéristique qui est en
quelque sorte l'une de ses principaux défauts ne permet pas souvent de
concilier les objectifs d'efficacité avec ceux directement ou
indirectement visés par le donateur. C'est ainsi que l'aide
internationale fait l'objet de vives critiques, de gauche comme de droite. Les
auteurs des critiques de droite considèrent que l'aide fausse les
règles du marché et crée des inefficiences ; tandis que
les auteurs des critiques de gauche considèrent l'aide comme une
nouvelle source d'exploitation des pays pauvres.
Néanmoins, la lutte contre la pauvreté est, et
demeure son objectif principal du moins à en croire les
déclarations officielles. L'aide internationale au développement
doit viser l'amélioration du bien-être des populations pauvres
dans les pays du Tiers-Monde. La réduction de la pauvreté dans le
monde permettra également de faire face à d'autres grands
défis mondiaux comme la migration, le terrorisme, ... Pour atteindre un
tel objectif (la réduction de la pauvreté), l'aide au
développement doit servir à promouvoir la croissance
économique dans les pays du Tiers-monde, notamment en finançant
l'investissement dans ces pays.
En promouvant la croissance du revenu dans les pays du Sud,
l'aide internationale va permettre aux populations pauvres d'avoir plus
facilement, l'accès à l'alimentation, aux soins de santé,
à l'éducation, ... En bref, l'aide extérieure permettra
l'amélioration des conditions de vie dans les pays pauvres. Elle devrait
conduire à terme, à l'élimination de la pauvreté
dans le monde. Malheureusement, après plus de cinquante ans d'aide au
développement, la pauvreté mondiale ne semble pas baisser
véritablement. Elle a même progressé dans plusieurs
régions du monde en développement.
L'Afrique sub-saharienne qui est la principale région
bénéficiaire de l'aide internationale, est aussi la région
où la pauvreté a le plus progressé ces dernières
années. La pauvreté en Afrique a surtout augmenté sur la
période 1980-1995, au moment même où l'aide à
l'Afrique augmentait. Après plus d'un demi-siècle de financement
extérieur, l'Afrique sub-saharienne ne présente aucun signe de
progrès. Au contraire, la situation se
détériore. Si les conditions de vie des populations en Europe
centrale et orientale se sont améliorées ces dernières
années, c'est surtout à cause de leur entrée dans l'Union
Européenne. En marge du miracle des « dragons » et «
bébé-dragons » d'Asie, la situation dans plusieurs pays
asiatiques semble aussi se détériorer (Cambodge, Myanmar,
Bangladesh, ...). L'Amérique Latine ne présente non plus
d'améliorations significatives. Ce qui introduit des interrogations sur
la capacité de l'aide internationale à promouvoir le
développement.
En Afrique sub-saharienne où la situation est plus
préoccupante, on a étudié dans cette première
partie, l'efficacité de l'aide au développement. Pour
apprécier l'effet de l'aide internationale sur le bien-être des
populations de la région, nous avons analysé de façon
empirique son effet vis-à-vis de l'objectif de croissance du revenu.
Dans notre estimation de l'effet que l'aide a produit sur la croissance
économique, on a abouti à un coefficient (impact de l'aide) non
significatif. La conclusion est donc que l'aide est inefficace en Afrique
sub-saharienne. L'aide au développement n'a pas aidé le
développement des pays de la région contrairement à ce
qu'on a initialement pensé.
Une question fondamentale se pose alors. Comment comprendre la
stérilité de l'aide extérieure en Afrique sub-saharienne ?
Comment comprendre que l'effet de l'aide internationale, qui est censée
combler le déficit en investissement des économies de la
région pour promouvoir leur décollage économique soit
indécelable, après plus de cinquante ans de politiques de
développement axées sur cette aide ? C'est ces interrogations que
nous examinons dans la deuxième partie.
DEUXIEME PARTIE
LES RAISONS DE L»INEFFICACITE DE L'AIDE EN AFRIQUE NOIRE
« Grande est notre faute, si la misère de nos
pauvres découle non
pas de lois naturelles mais de nos institutions
».
Charles Darwin, Le voyage du
Beagle.
Nous venons de voir dans la première partie de ce
travail que l'aide est inefficace en Afrique sub-saharienne. Le
décollage économique tant attendu, que devait amener l'aide
internationale ne s'est pas produit après plus d'un demi-siècle
d'aide aux économies africaines. Et pourtant, l'histoire nous enseigne
que, l'aide a connu des succès éclatants ailleurs dans le monde.
En effet, de par le passé, l'aide extérieure a aidé
l'Europe (plan Marshall). Nous avons vu dans l'introduction de ce travail,
l'exemple de la Corée du Sud. Tout comme la Corée, les autres
dragons d'Asie comme Singapour, Taiwan, ... doivent aussi une grande partie de
leur réussite économique à l'aide internationale. Et on
cite aujourd'hui l'exemple des bébé-dragons d'Asie
(Indonésie, Malaisie, ...)53 comme réussite de l'aide
internationale.
Comment peut-on comprendre qu'en Afrique sub-saharienne,
l'aide soit stérile, inefficace ? Comment peut-on comprendre que
malgré la place qu'occupe la région dans l'enveloppe totale
d'aide, la pauvreté y progresse ? En quoi réside
la faiblesse de l'aide internationale à
promouvoir le développement Afrique sub-saharienne ?
Pourquoi les pays d'Afrique sub-
saharienne échouent-ils là où les pays
asiatiques comme la Corée du Sud, le Taiwan et l'Indonésie ont
réussi?
En partant de la littérature économique, les
raisons qu'on peut évoquer pour expliquer les difficultés de
croissance et l'échec de l'aide en Afrique sont les suivantes : i) les
facteurs géographiques comme les conditions climatiques ; ii) les
dotations en ressources naturelles (comme par exemple l'eau, les terres
arables, ...) et l'enclavement; iii) les dotations en capital physique et
humain; iv) la faiblesse du revenu qui entraîne une demande globale
faible ; v) les facteurs démographiques ; vi) un système
financier sous-développé qui ne favorise pas le
développement du secteur réel ; vii) les variables de politique
économique notamment la politique budgétaire et monétaire;
viii) le niveau de l'épargne et l'investissement; ix) la faiblesse du
système technologique ; x) la compétitivité des taux de
change et les régimes commerciaux; xi) les facteurs institutionnels
comme par exemple l'engagement et la crédibilité politiques, la
qualité de la fonction et des services publiques, le respect de la loi,
la corruption et le maintien de l'ordre publique; xii) l'insuffisance du budget
de l'aide au développement; xiii) l'affectation ou encore l'utilisation
qui est faite de l'aide internationale au développement reçue;
xiv) les conflits d'intérêts et la politique des donateurs en
matière d'aide extérieure ; xv) l'impact de l'aide sur les
comportements dans les pays receveurs.
En toute logique, les facteurs ci-dessus
énumérés peuvent se résumer en trois grands
points:
-- Les handicaps structurels qui emprisonnent les
économies africaines dans un équilibre de trappe à
pauvreté qui est un équilibre de bas niveau, dont l'aide
internationale, parce que faible ne leur a pas permis de s'extirper.
-- Les effets d'incitation que crée l'aide
internationale notamment vis-àvis de la gouvernance dans les pays
aidés.
-- Les pratiques des donateurs qui conduisent souvent à
des inefficiences en matière de politique de développement.
53 Voir par exemple Cohen Daniel et al. (2006), page 109.
54 Les deux termes (trappe à
pauvreté (ou à sous-développement) et piège
à pauvreté) désignent un même
phénomène. On les utilisera indifféremment dans ce
travail.
CHAPITRE QUATRIEME
TRAPPES A PAUVRETE ET INSUFFISANCE DE L'AIDE
L'une des principales thèses avancées pour
expliquer l'échec de l'aide au développement est l'insuffisance
du budget global de l'aide. Cette explication s'appuie théoriquement sur
les modèles de trappe à sous-développement. En effet, une
façon d'aborder la question de l'inefficacité de l'aide au
développement est de s'interroger sur l'existence d'un seuil en
deçà duquel elle serait inefficace. Nous avons vu dans le
chapitre II de la première partie que l'une des principales motivations
à la base de l'aide internationale est l'idée selon laquelle les
pays pauvres connaissent des difficultés de croissance
économiques parce qu'ils ont un déficit d'investissement,
dû à une épargne faible. L'objectif de l'aide est donc de
combler le déficit entre l'épargne intérieure et
l'investissement requis dans ces pays pour promouvoir leur développement
économique, et par là résorber la pauvreté.
La théorie économique permet de montrer que,
lorsqu'une société dispose d'un stock de capital par tête
initial trop faible, elle peut se faire piéger dans une trappe à
pauvreté, la condamnant à un revenu de bas niveau. Elle ne peut
donc connaître de croissance économique de manière durable.
Sortir de cette trappe nécessite des investissements énormes et
simultanés dans tous les secteurs (infrastructures, capital humain,
améliorer le système financier, ...). Telle est la thèse
du « big push » défendue par Rosenstein-Rodan (1943 et
1961).
On pourrait donc imaginer que si les pays d'Afrique
sub-saharienne connaissent toujours des difficultés de croissance, c'est
que l'aide qui leur est jusqu'ici accordée n'est pas suffisamment forte
pour leur permettre de réaliser ces investissements simultanés,
et donc de combler durablement le déficit entre les investissements
requis et l'épargne. L'insuffisance de l'aide serait alors la source de
son inefficacité.
C'est ce qu'on se propose d'examiner dans ce chapitre. Pour
bien comprendre les faits, on étudie dans la section 1, les handicaps
structurels qui peuvent retenir une économie initialement pauvre dans
une trappe à sous-développement. L'aide internationale est donc
nécessaire à une telle économie. Mais pour lui permettre
de briser les cercles vicieux de la pauvreté, il faut que l'aide
à lui octroyer soit suffisamment forte. On montre dans la section 2
qu'une aide faible (insuffisante) est sans effet sur une économie prise
au piège de la pauvreté; elle sera donc inefficace. Dans la
section 3 enfin, on teste l'idée selon laquelle l'inefficacité de
l'aide au développement en Afrique sub-saharienne est liée
à son insuffisance.
Section 1 : Les trappes à pauvreté
L'un des thèmes les plus usuels de la
littérature économique sur le développement concerne les
trappes à pauvreté (poverty trap en anglais). Une trappe (ou
piège54) à pauvreté (ou à
sous-développement) est définie selon Berthelemy (2005) comme
l'existence de mécanismes de cercles vicieux conduisant à un
déclin économique quand l'économie est initialement sous
un certain seuil de développement, alors que le progrès
économique est possible quand ce seuil est franchi. Une trappe à
pauvreté se réfère notamment à l'existence d'un
état régulier stable avec de faibles niveaux de production et de
capital par tête. Il s'agit d'une trappe car si les agents essaient d'en
sortir, l'économie tend alors à revenir à l'état
régulier de faible niveau.
L'origine de cette idée est lointaine. On peut citer
l'ouvrage de Myrdal « théorie économique et pays
sous-développés » (1959), qui développe l'idée
de ce qu'il nommait « le processus des
causalités circulaires et cumulatives ». Plus
récemment, on peut citer les travaux de Jeffrey Sachs (2004, 2005).
Selon ce dernier auteur, le piège à pauvreté dans lequel
sont enfermés un certain nombre de pays en développement tient
à trois caractéristiques principales qualifiées de
handicaps structurels:
-- La faiblesse de leur capital physique et humain qui
entraîne une faible productivité. Ce qui attire peu
d'investissements directs étrangers.
-- Le faible niveau de revenu par tête qui induit une
demande faible et un faible taux d'épargne. -- La croissance très
rapide de la population qui exacerbe le manque d'investissement.
Ces éléments constituent de véritables
handicaps au développement économique des pays pauvres, et
maintiennent ces économies dans le cercle vicieux de la pauvreté,
avec un équilibre stable de bas revenu. Il est impossible pour une telle
économie de décoller sans un choc exogène important, qui
ne peut provenir que de l'extérieur.
L'objectif de cette première section est d'examiner les
principales origines des trappes à sous-développement. On
analysera dans un premier temps, les handicaps structurels liés à
une dotation initiale faible en capital physique, en retenant le cadre
théorique du modèle néoclassique de Solow. On
étudiera ensuite tour à tour, les trappes à
pauvreté liées à un faible développement humain, un
système financier sous-développé et un secteur agricole
dominant. Ces handicaps structurels à l'origine des trappes peuvent
rendre difficile voir impossible toute tentative d'industrialisation.
L'économie ne peut alors décoller sans aide extérieure
très importante.
1. Dotation en capital physique et trappes à
pauvreté
Il est question d'étudier ici comment une
économie peut se faire piéger dans une trappe à
sous-développement du fait de sa pauvreté dans la dotation
initiale en capital physique. En effet, à la question de savoir pourquoi
certains pays sont-ils si pauvres, Ragnar Nurkse (1953) répondait «
c'est parce qu'ils sont pauvres ». Cette simple citation illustre le
problème. Du fait qu'ils soient initialement pauvres, certains pays
peuvent être condamnés à le rester si aucun apport
conséquent ne leur vient de l'extérieur. Le modèle
néoclassique de Solow offre un cadre idéal pour étudier un
tel phénomène.
1.1. Le modèle de Solow : convergence et
possibilité d'équilibres
Multiples Lorsque la dotation initiale d'une économie
est trop faible, elle peut entraîner un certain nombre d'obstacles
structurels qui vont engluer l'économie dans une trappe à
sous-développement, la condamnant à la pauvreté. Le
modèle de Solow, à partir de la thèse de la convergence
conditionnelle, fait apparaître trois principales sources de trappe
à pauvreté : une insuffisance d'épargne, une forte
croissance démographique et un progrès technique lent (faible).
Avec la prise en compte du progrès technologique et la
dépréciation du capital, le cadre théorique du
modèle de Solow convient parfaitement pour étudier les
trajectoires de croissance économique et analyser les trappes à
pauvreté. Dans le modèle, le niveau de richesse de
l'économie étudiée est basé sur la production et
l'accumulation du capita.
1.2. Les trappes à pauvreté dans le
modèle néoclassique de Solow
On analyse ici dans le cadre du modèle
présenté ci-dessus, trois sources possibles de trappe à
sous-développement liées à la pauvreté de la
dotation initiale. Il s'agit de : un taux d'épargne faible, un
progrès technologique lent (ou faible) et une forte croissance
démographique. On montre comment ces facteurs peuvent condamner une
économie à rester pauvre en endogénéisant les
paramètres s, n, et A. Ils deviennent maintenant expliqués par
les dotations initiales de l'économie, résumées par le
capital par tête initial.
2. Développement humain et trappe à
pauvreté
Dans le modèle de croissance de Solow, le
progrès technique est le facteur clé qui permet à la
croissance économique de ne pas s'essouffler notamment lorsqu'on
s'approche de l'état régulier. La technologie s'avère donc
une explication forte des différences de taux de croissance entre les
économies. Même si le progrès technique peut être
considéré comme un bien non rival, l'adoption de technologie et
de solutions innovantes peut être problématique au sein d'une
population lorsque le niveau d'instruction y est faible. Plus les habitants
d'un pays ont un niveau d'éducation élevé, plus ils seront
à même d'innover ou de s'adapter à de nouvelles techniques
de production. Du niveau de développement humain, dépend donc le
gain de productivité en matière d'innovation. Le capital humain
qui s'accumule par l'éducation (Lucas, 1988) devient donc un
élément clé du développement. Le cadre
théorique de Romer permet de montrer ce lien (capital humain -
développement économique).
2.1. Le modèle de Romer
Pour montrer comment le capital humain influence la croissance
économique, on peut se référer au modèle de Romer
(1990), qui offre un cadre théorique idéal pour étudier
l'importance du capital humain. Dans ce modèle, le progrès
technique est endogène. Il est le résultat d'investissements en
recherche et développement (R&D). Il est fonction du niveau de
capital humain affecté à la recherche et développement. De
là, on met en évidence une trappe à pauvreté
liée à un stock en capital humain faible.
2.2. Développement financier et
développement économique
Depuis le début des années 1970, la relation
entre « développement financier » et «
développement économique » devient de plus en plus
importante et fait objet d'une littérature abondante. La revue de cette
vaste littérature permet d'admettre qu'il existe un lien positif entre
la finance et le développement. En effet, depuis les travaux de Mc
Kinnon (1973) et Shaw (1973), qui sont les précurseurs de ce champ
d'analyse, il a été montré que le développement
financier soutient le développement économique. Des études
plus récentes (Greenwood et Jovanovic 1990, Saint-Paul 1992, Pagano
1993, Arestis et Demetriades 1997, Benhabib et Spiegel 2000) sont venues
confirmer l'impact positif qu'exerce le développement financier sur la
croissance économique. Cet impact découlerait surtout du fait que
l'intermédiation financière assure une meilleure collecte et une
meilleure allocation des ressources d'épargne ; ce qui améliore
l'accumulation du capital en favorisant des investissements plus productifs.
A l'inverse, la croissance économique, qui fait
augmenter les ressources prêtables est nécessaire elle aussi pour
le développement du système financier. La relation entre
développement économique et développement financier peut
donc s'avérer plus complexe qu'on aurait pu le penser et le sens de la
causalité reste à déterminer (voir Trew 2006 pour un
survey de la littérature économique sur le lien entre la finance
et la croissance économique). Du point de vue théorique, une
causalité positive à double sens entre développement
financier et croissance économique peut conduire à des
équilibres multiples d'état stationnaire (Saint-Paul 1992,
Berthelemy et Varoudakis 1994). Ainsi peut-on assister à des clubs de
convergence et trappes à sous-développement liés à
un système financier peu développé. Le
sous-développement financier en Afrique sub-saharienne peut donc
être une cause de l'inefficacité de l'aide au développement
(Mwanza Nkusu et Selin Sayek, 2004).
Pour étudier comment un système financier peu
développé peut affecter le décollage économique, on
peut se référer au cadre théorique de Berthelemy et
Varoudakis (1994). Le modèle analyse l'interaction entre le secteur
financier et le secteur réel. Le modèle permet d'expliquer
comment l'état initial du système financier peut entraîner
une économie, soit vers un équilibre de haut niveau,
caractérisé par le renforcement mutuel entre finance et
croissance économique, soit vers un équilibre de bas niveau
caractérisé par des insuffisances du secteur réel et du
système financier.
3.1. Le modèle de Berthelemy et Varoudakis
(1994)
Le modèle considère une économie à
deux secteurs : le secteur réel qui rassemble les consommateurs et les
entreprises, et le secteur financier qui joue le rôle
d'intermédiaire entre les agents à capacité de financement
et ceux à besoin de financement. Dans le modèle, il y a des
externalités réciproques entre le secteur financier et le secteur
réel. Il y a trois catégories d'agents dans le modèle :
les consommateurs, les firmes de production et les banques.
3.2. Equilibres multiples et trappe à
pauvreté
A partir de l'économie décrite ci-dessus, on
montre la possibilité d'équilibres multiples d'état
stationnaire. A l'origine de cette multiplicité d'équilibres se
trouvent l'interaction entre l'effet externe positif de l'épargne du
secteur réel sur la productivité des banques et le
mécanisme de concurrence imparfaite dans le secteur réel sur la
productivité des banques.
Pour illustrer cette possibilité, on considère
premièrement une situation dans Laquelle le secteur financier est sous
développé. Ceci implique une faible concurrence entre les banques
et des marges d'intermédiation élevées. Ce qui à
son tour entraîne une baisse du taux d'intérêt net
payé aux ménages et donc, selon la règle de Ramsey-Keynes,
un équilibre d'état stationnaire de bas niveau. La faible
rémunération de l'épargne va réduire l'offre
d'épargne aux banques.
En conséquence, la taille du secteur financier va
entraîner une faible productivité marginale du travail dans le
secteur bancaire. Puisque le taux de salaire réel doit être le
même dans les 2 secteurs, la faible productivité du travail dans
ce secteur justifie le faible niveau de l'emploi et donc le
sous-développement du secteur bancaire.
En conséquence, l'économie peut être prise
au piège de la pauvreté dans un équilibr bas, avec un
secteur financier sous-développé et une croissance faible.
Néanmoins, un équilibre de haut niveau est aussi
possible. Dans ce cas, le haut niveau de développement financier
renforce la concurrence entre les banques. Ceci entraîne une marge
d'intermédiation relativement faible et un haut niveau du taux
d'intérêt net payé aux ménages, une croissance
économique forte, une forte incitation à épargner et un
marché financier large. Ceci a un effet positif sur la
productivité marginal du travail dans le secteur financier et justifie
un haut niveau d'emploi.
Section 2 : L'inefficacité de l'aide en Afrique
sub-saharienne est-elle due à son insuffisance?
L'explication la plus populaire, de l'échec de l'aide
porte sur son volume. Le faible niveau du budget global de l'aide au
développement est largement discuté ces dernières
années. Environ 55 milliards de dollars par an pour tous les pays en
développement du monde, alors que les seuls agriculteurs dans les pays
développés reçoivent une subvention annuelle de 325
milliards de dollars, soit 5 à 6 fois l'ensemble du budget alloué
à l'aide au développement de l'ensemble des pays pauvres. Il se
peut que les pays africains soient effectivement dans une trappe à
sous-développement. Dans ce cas, comme nous l'avons vu ci-dessus, si
l'aide qui leur est accordée ne leur permet pas de briser le cercle
vicieux de la pauvreté, elle sera stérile. Ceci peut expliquer la
malédiction de l'Afrique.
Dans cette section, on entreprend différents tests
empiriques sur cette question. Dans un premier temps, on s'interroge sur le
niveau à partir duquel l'aide internationale octroyée à un
pays pauvre peut être considérée comme forte ou suffisante.
On identifie ensuite la période où l'aide à l'Afrique
sub-saharienne peut être considérée comme forte. Pour
savoir si l'aide, aide le développement lorsqu'elle est forte, on
évalue sur cette période l'impact de l'aide reçue sur la
croissance économique. On terminera cette section par des tests
empiriques sur l'idée selon laquelle les économies africaines
sont prises au piège de la pauvreté.
1. Aide forte -- aide optimale pour un pays pauvre
Avant d'aborder les tests empiriques sur l'insuffisance de
l'aide internationale accordée aux pays africains en dessous du Sahara,
il est nécessaire de préciser ce qu'est une aide forte, ou mieux
le montant d'aide optimale pour un pays pauvre donné. Quand peut-on
considérer une aide comme forte ou suffisante? Quel est le niveau
optimal d'aide pour un pays receveur?
Le débat sur le « montant optimal » de l'aide
internationale à accorder à un pays pauvre donné occupe
une place de plus en plus importante dans la littérature
théorique et empirique sur l'efficacité de l'aide au
développement. L'aide internationale représente avant tout un
« coût » ou encore une « perte » pour les
contribuables dans les pays riches. Nous avons néanmoins vu dans le
deuxième chapitre de la première partie de ce travail que la
réduction de la pauvreté dans les pays du Sud est une politique
optimale au sens de Pareto. Ainsi, l'aide qui favorise la croissance
économique dans les pays pauvres est une « politique optimale
». Delà, lorsqu'un montant donné d'aide permet de favoriser
la croissance économique dans le pays receveur, on peut le
considérer comme convenable au Sud et au Nord, donc optimale. Une aide
qui est inefficace à cause de son montant est donc non optimale, une
perte pour le Nord et le Sud.
Plusieurs auteurs (Sachs 2004, Boone 1996) soutiennent
l'existence d'un seuil minimal en deçà duquel l'aide
accordée à un pays pauvre ne peut être efficace.
Ce qui suppose que l'aide doit être suffisamment forte
pour être optimale (promouvoir la croissance économique).
Néanmoins, cette thèse aussi noble qu'elle puisse paraître
ne fait pas unanimité. Elle a un courant contestataire. En effet, la
thèse du « big push » qui évoque la
nécessité d'accroître massivement et rapidement l'aide aux
pays sous-développés se confronte à celle de « la
capacité d'absorption » des pays pauvres. La thèse de «
la capacité d'absorption » évoque deux raisons principales
pour lesquelles une aide trop forte n'est pas souhaitable : la loi des
rendements marginaux décroissants et le « Dutch Disease
» (syndrome hollandais).
Rajan et Subramanian (2005) Soutiennent
qu'une aide trop forte pourrait freiner la croissance du secteur des biens
échangeables, notamment les biens manufacturiers. En effet, l'aide est
susceptible d'augmenter l'offre de devises sans qu'il y ait une augmentation
correspondante de la demande (par exemple si elle est utilisée pour
financer des biens et services non-échangeables). Cela va
entraîner une appréciation du taux de change et une perte de
compétitivité des producteurs de biens échangeables.
L'économie va ainsi déboucher sur le syndrome hollandais.
Néanmoins, des analyses empiriques de l'impact de
l'aide reçue sur le taux de change réel de plusieurs pays
notamment africains (FMI, 2005) ne révèlent pas de lien
significatif entre ces deux variables (aide et taux de change réel). La
thèse selon laquelle l'aide entraînerait une surévaluation
du taux de change réel et donc la perte de la
compétitivité de l'économie ne semble donc pas se
confirmer dans les faits. Cohen et al. (2006) fournissent une explication au
phénomène. Ils soutiennent que l'appréciation
réelle de la monnaie ne pose pas de problème de
compétitivité lorsqu'elle s'accompagne d'un accroissement de
productivité.
Pour certains auteurs (Svensson 2005, Lensink et White 2001,
FMI 2005), l'origine du syndrome hollandais que pourrait entraîné
une aide forte ne tient pas à une perte de compétitivité,
mais aux caractéristiques propres de types structurels (institutions
budgétaires, qualité des services publics, capacités
humaines et d'administration, ...) de la plupart des pays en
développement. Ces caractéristiques limitent leurs
capacités à gérer et à utiliser efficacement des
ressources énormes. Ce qui fait qu'une augmentation massive et rapide de
l'aide internationale peut facilement engendrer des problèmes semblables
au « Dutch Disease»
2. Test empirique sur la question de l'insuffisance de
l'aide reçue
Avant d'aborder l'étude empirique proprement dite, il
est nécessaire d'analyser la tendance de l'aide en Afrique
sub-saharienne pour identifier les grandes étapes ou épisodes de
l'aide dans la région.
2.1. Analyse des grandes étapes de l'aide en
Afrique sub-saharienne
A partir des critères définis plus haut,
l'analyse de l'évolution de l'aide en pourcentage du PIB (voir figure
ci-dessous) permet de distinguer quatre épisodes de l'aide, qu'on peut
regrouper en trois grandes catégories. Une période où
l'aide à l'Afrique a été suffisamment forte, et qui va de
1986 à 1996. Deux périodes au cours desquelles l'aide est
moyenne: de 1978 à 1986 et de 1996 à 2004 ; et enfin une
période où l'aide à l'Afrique est faible : de 1970
à 1978. Ces grands épisodes peuvent être distingués
sur la figure suivante.
Figure n° II-1: Aide en pourcentage du revenu en
Afrique sub-saharienne
L'aide à l'Afrique sub-saharienne qui valait environ 6$
par tête en 1970 a considérablement augmenté avec le temps,
pour avoisiner 90$ US en 1991. La période 1986-1996 a été
pour l'aide au développement en Afrique sub-saharienne une
période remarquable. Les pays de la région ont annuellement
bénéficié d'une aide supérieure à 60$ par
tête. Ce fut une période sans précédent (voir figure
cidessous).
Figure II-2 : Aide par tête en Afrique
sub-saharienne
On peut alors légitimement se demander si l'aide
internationale au développement a favorisé la croissance
économique sur la période qui va de 1986 à 1996 où
elle a été forte. C'est ce qu'on aborde maintenant. On analysera
de façon empirique l'impact que l'aide internationale a eu sur la
croissance économique dans les pays récipiendaires suivant les
grands épisodes de l'aide internationale.
3. Capacité d'absorption et efficace de l'aide
Nous avons vu dans les sections précédentes que,
selon la loi de la productivité marginale décroissante pour le
capital et la thèse de la « capacité d'absorption »
pour un pays donné, l'aide pourrait devenir néfaste lorsqu'elle
est trop forte. Une telle hypothèse (existence d'un seuil maximal)
suppose une relation non linéaire entre le niveau d'aide reçu et
la croissance économique. Il y aurait une relation parabolique, en
cloche (ou en U inversé) entre aide et croissance économique.
CHAPITRE CINQUIEME
AIDE EXTERIEURE ET EFFETS D'INCITATION
La croissance économique, moteur du
développement, est le coeur de toute politique de développement.
Asseoir la croissance économique dans les pays démunis comme ceux
de l'Afrique sub-saharienne nécessite des moyens; mais aussi une
incitation favorable au niveau des principaux acteurs du développement.
Malheureusement, les stratégies de développement mises en oeuvre
depuis longtemps ne considèrent que les moyens, léguant au second
plan le rôle des incitations dans le processus de
développement.
Nous venons de voir pourtant, dans le chapitre
précédent, que le problème de l'Afrique sub-saharienne ne
se résume pas uniquement à une question d'investissement ou de
moyens. Le fait que l'aide soit inefficace, même lorsqu'elle est forte et
ceci, même pour les pays qui, vraisemblablement, ne sont pas dans une
trappe à sous-développement, nous amène à envisager
l'existence d'effets pervers de l'aide internationale sur les économies
assistées.
Plusieurs auteurs ont investi ce champ d'analyse à
propos de l'aide internationale. Les considérations marxistes et les
effets pervers de l'aide du point de vue libéral (selon lequel l'aide
extérieure exerce des effets négatifs sur la production locale en
créant une surévaluation des taux de changes ou encore en
faussant les règles du marché) ont été
présentés plus haut. Cremers et Sen (2007) présentent une
autre facette du problème en analysant dans un modèle à
générations imbriquées, les effets de l'aide
internationale sur l'accumulation du capital et les niveaux de bien-être;
à la fois dans le pays donateur et chez le récipiendaire. Ils
aboutissent au paradoxe de l'aide extérieure, déjà
évoqué par Galor et Polemarchakis (1987), Tan (1998) et
Yanagihara (2006). Selon ce paradoxe, l'aide internationale enrichit le
donateur et appauvrit le bénéficiaire. Selon Cremers et Sen
(2007), en parfaite mobilité du capital, lorsque la propension à
épargner est plus élevée chez le pays donateur (comme
c'est souvent le cas), l'aide internationale fait augmenter le taux
d'intérêt d'état stationnaire. Ce phénomène
est lié au fait que, l'aide fait baisser l'offre mondiale
d'épargne et donc, le niveau de capital d'état régulier.
L'augmentation du taux d'intérêt mondial influence positivement le
bienêtre du prêteur (donateur) et négativement celui de
l'emprunteur (bénéficiaire de l'aide). L'augmentation du taux
d'intérêt mondial fait que in fine, le donateur
réalise un gain de bien-être et le récipiendaire, une
perte. Notre analyse dans le cadre de ce mémoire du
3e cycle permet d'aborder le problème sous un autre
angle, en considérant les effets d'incitation.
Nous verrons dans ce chapitre que des politiques
néfastes en Afrique subsaharienne, conséquences de mauvaises
incitations, peuvent expliquer l'inefficacité de l'aide à
promouvoir le développement dans les pays bénéficiaires.
En effet, les gouvernements avec des politiques inappropriées peuvent
mettre en échec l'économie de marché et se trouver
à l'origine d'incitations qui annihilent tout effort de
développement. Le problème devient plus compliqué quand
l'aide internationale, qui doit répondre au problème de moyen,
est elle-même à l'origine des mauvaises incitations qui
altèrent l'activité économique dans le pays aidé.
Quand la corruption et les politiques gouvernementales sont au coeur du
problème, des réformes institutionnelles fondamentales sont
nécessaires et doivent responsabiliser les gouvernements devant leurs
citoyens.
Malheureusement, les gouvernements se trouvent parfois
enfermés dans un faisceau d'incitations au centre duquel se trouve la
politique d'aide au développement. Ils peuvent notamment être
incités à mener de mauvaises politiques, à cause de l'aide
internationale (Pedersen, 2001). Sous
55 L'incidence de la pauvreté pour une population
donnée désigne l'écart entre le niveau de vie de la
population et le seuil de pauvreté, évalué à 2$ par
personne par jour ou 1$ par tête par jour pour la pauvreté
extrême.
l'hypothèse que le volume d'aide reçue par un
pays pauvre donné dépend de l'incidence55 de la
pauvreté dans la population totale, on montre que le comportement
d'optimisation peut inciter le pays receveur à adopter une politique
appauvrissante, dans le but de recevoir davantage d'aide, ou encore pour se
qualifier à certaines formes avantageuses de l'assistance
internationale. On se trouve ainsi en face du « dilemme du bon Samaritain
» évoqué par Buchanan (1975), qui établit que l'aide
charitable conduit à diminuer l'incitation au travail du
bénéficiaire (Lindbeck et Weibull 1988, Stephen Coate 1995,
Koulibaly 1998, Svensson 2000, Pedersen 2001).
Dans la section 1, nous construisons un modèle
théorique qui sera utilisé comme cadre d'analyse des effets
d'incitation que l'aide peut créer au niveau du récipiendaire. On
montre ensuite (section 2) que l'aide internationale peut induire chez le
récipiendaire, une désincitation au travail. Elle peut notamment
entraîner une baisse de l'investissement domestique au profit de la
consommation présente, encourager des investissements inefficients,
l'absence ou la diminution de l'effort en faveur de la réduction de la
pauvreté et une détérioration de la qualité de la
gouvernance. Dans la section 3 enfin, on appliquera à travers des
analyses empiriques, les résultats de cette étude au cas de
l'Afrique sub-saharienne.
Section 1 : Les effets désincitatifs de
l'aide
Dans cette section, on étudie à partir du
modèle théorique ci-dessus, comment l'aide internationale affecte
l'attitude optimale de l'agent représentatif visà-vis de la
consommation/l'investissement et l'effort. Dans la mesure où l'aide
dépend de l'étendu des besoins du pays receveur, l'agent
représentatif peut influencer par son action, l'aide qui lui sera
octroyée. Dans le but de maximiser son utilité, il va adopter un
comportement qui lui permettra de bénéficier d'une aide forte. On
se trouve ainsi en face du dilemme du bon Samaritain. Dans un premier temps, on
intègre l'aide extérieure au problème ci-dessus
étudié. La détermination des nouvelles variables
d'équilibre et de l'expression du gain net associé à
l'effort en présence de l'aide extérieure permettra d'analyser
les effets désincitatifs de l'aide internationale sur l'investissement
domestique et le niveau d'effort du récipiendaire.
1. Aide extérieure, épargne domestique et
investissement
L'impact de l'aide extérieure sur l'épargne
domestique est un phénomène étudié dans la
littérature économique sur l'aide internationale. Plusieurs
analyses empiriques (Griffin 1970, Easterly et Dollar 1999) ont montré
que l'aide internationale encourage la consommation plus que l'investissement.
La raison le plus souvent évoquée pour expliquer un tel
phénomène est le détournement de l'aide de son objectif
initial. Les fonds d'aide n'iraient pas seulement à l'investissement;
une partie serait détournée pour d'autres fins comme le
financement des biens de consommation final, la corruption. Mais il y a une
autre raison, qui n'est pas des moindres, et qui explique valablement
l'augmentation de la consommation à la suite de l'octroi de l'aide
extérieure: c'est le caractère « fongible » (ou encore
la « fongibilité ») de l'aide internationale.
1. La prise en compte de l'aide
internationale
On suppose que le pays A s'ouvre sur l'extérieur, en
entretenant des relations économiques avec un pays B
développé. Le pays B, « philanthrope », se propose
d'aider le pays pauvre A. Les autres formes de relations économiques
entre A et B à part l'aide internationale (relation commerciale,
investissements directs étrangers, transferts des migrants, profits
rapatriés, ...) sont ignorées ; leurs
flux sont supposés nuls. Le pays riche B annonce
à la période 1T qu'il va accorder dans le futur, de l'aide aux
pays pauvres dont le revenu par habitant ( y ) est en deçà d'un
seuil donné ( y ). L'aide ainsi annoncée n'interviendra
qu'à la période 2 T. En effet, une caractéristique
principale de l'aide internationale est que les donateurs (pays 207 riches et
institutions internationales) prennent des engagements d'avance ; et les fonds
ne sont effectivement décaissés qu'une ou plusieurs années
plus tard.
Par hypothèse, le volume d'aide que B octroie à
A est endogène. Plus A est pauvre, plus il reçoit d'aide. Nous
avons montré dans la première partie de ce travail que le niveau
des besoins des pays récipiendaires est un facteur déterminant
dans l'allocation internationale de l'aide. Cette thèse est soutenue par
plusieurs études empiriques (Burnside et Dollar 2000, Alesina et Dollar
2000, Llavador et Roemer 2001, Alesina et Weder 2002). Nous montrerons plus
loin que le revenu par habitant est un facteur déterminant dans
l'attribution de l'aide en Afrique subsaharienne.
Ainsi, l'aide par tête sous forme de transfert (z)
à octroyer au pays A est une fonction décroissante de son revenu
par habitant (y). On considère pour cela une « fonction de
distribution de l'aide » de la forme:
,
On supposera en outre que , Lorsque le revenu par tête
du pays baisse
(respectivement augmente) d'un montant donné, l'aide
par tête augmente (respectivement baisse) d'une valeur inférieure
à ce montant.
Notons que : Y = L.y et Z = L.z : où Z
désigne l'aide Total reçue.
Et donc:
La prise en compte de l'aide internationale future va changer
l'attitude de l'agent représentatif du pays A. En reprenant le
problème ci-dessus, l'agent représentatif va choisir les niveaux
de consommation Ct (t = 1 ; 2) et d'effort e qui lui permettent de maximiser
son utilité totale inter temporelle, en tenant compte cette fois-ci de
l'aide internationale qui interviendra à la période suivante
(T2). Une première conséquence de l'aide internationale est donc
une modification du TMSS de l'agent représentatif et donc,
l'épargne et le niveau de l'investissement du pays.
2. Aide extérieure, épargne domestique et
investissement
L'impact de l'aide extérieure sur l'épargne
domestique est un phénomène étudié dans la
littérature économique sur l'aide internationale. Plusieurs
analyses empiriques (Griffin 1970, Easterly et Dollar 1999) ont
montré que l'aide internationale encourage la consommation plus que
l'investissement. La raison le plus souvent évoquée pour
expliquer un tel phénomène est le détournement de l'aide
de son objectif initial. Les fonds d'aide n'iraient pas seulement à
l'investissement; une partie serait détournée pour d'autres fins
comme le financement des biens de consommation final, la corruption. Mais il y
a une autre raison, qui n'est pas des moindres, et qui explique valablement
l'augmentation de la consommation à la suite de l'octroi de l'aide
extérieure: c'est le caractère « fongible » (ou encore
la « fongibilité ») de l'aide internationale.
2.1. La fongibilité de l'aide
Selon Collier et Dollar (2002) tout comme
Sandefur (2006), l'aide destinée au financement de projets
(santé ou éducation par exemple) libère des ressources
locales que le gouvernement peut utiliser à sa guise. Il peut notamment
consacrer les ressources libérées à la consommation. Cette
situation est communément désignée sous le nom de «
fongibilité » de l'aide internationale. Pour comprendre un tel
phénomène, on peut se référer à la figure
ci-dessous.
Notons que le degré de fongibilité de l'aide
dépend du pays considéré. Pack et Pack (1990, 1993)
soulignent l'importance des caractéristiques des systèmes
budgétaires de chaque pays en montrant
Fulgure II.3 : Fongibilité de l'aide
On suppose que le gouvernement du pays receveur alloue son
budget à deux types de biens : un bien de consommation final
(dépenses de fonctionnement ou palais gouvernemental par exemple) et un
bien d'investissement (manuels scolaires par exemple). On suppose en outre que
le gouvernement a une préférence pour le bien de consommation.
Cependant, il doit satisfaire un niveau minimal du bien d'investissement dans
le pays pour éviter le mécontentement de la population. Dans ses
conditions, à l'équilibre, le gouvernement alloue au bien
d'investissement, exactement le montant nécessaire pour prévenir
le mécontentement de la population; et le reste du budget sera
consacré au bien de consommation final. Nous représentons cette
situation sur la figure ci-dessus par le point E1. Le gouvernement alloue [OA]
au bien d'investissement et [OG] au bien de consommation. Il se trouve ainsi
sur la courbe d'indifférence U1.
Une institution « bienfaitrice » se propose ensuite
d'aider le pays pauvre. Elle lui accorde pour cela, une aide de montant [CD],
destinée au financement du bien d'investissement (manuels scolaires). La
contrainte budgétaire du gouvernement passe alors de CB1 à CB2.
De combien augmentera alors le volume du bien d'investissement?
Comme le montre la figure, le volume du bien d'investissement
augmentera d'un montant inférieur à l'aide reçue. Cette
situation intervient même si le donateur s'assure que toute l'aide est
consacrée au bien d'investissement. On peut en effet imaginer le cas
où l'aide accordée n'est pas en argent, mais en nature (envoi de
manuels scolaires). Dans ce cas, le gouvernement du pays receveur ayant une
préférence pour le bien de consommation final, va simplement
réajuster l'allocation de ses ressources domestiques dans le but de
maximiser son utilité. Un certain montant de son budget (ici [GH]) qui
était initialement consacré au bien d'investissement va
maintenant être alloué au bien de consommation final. Il va ainsi
se retrouver au point d'équilibre E2. Bien que toute l'aide reçue
soit investie, l'augmentation du volume du bien d'investissement (ici ?I =
[AB]) sera inférieure à l'aide reçue (ici [CD]). L'aide
n'est pas dans notre exemple ci-dessus détournée de son objectif
initial (investissement), mais elle a évincé l'investissement
domestique. C'est la « fongibilité » de l'aide.
Bien évidemment, on peut envisager que l'attribution de
l'aide internationale n'influence pas seulement la contrainte budgétaire
du pays récipiendaire, mais aussi les prix relatifs entre biens. Dans ce
cas, la contrainte budgétaire va pivoter, au lieu de se déplacer
parallèlement vers la droite. L'effet final de l'aide extérieure
sur l'allocation des ressources du pays bénéficiaire sera
néanmoins semblable à celui montré ci-dessus.
que l'aide est fongible dans le cas de la République
dominicaine, alors qu'elle ne l'est pas dans celui de l'Indonésie.
Dans notre exemple ci--dessus, l'augmentation de la
consommation est liée à la préférence pour le
gouvernement du bien de consommation final. Notre modèle
présenté plus haut permet de porter un regard neuf sur le sujet,
en considérant les conséquences inter temporelles de la
fongibilité. L'idée défendue ici est que, compte tenu de
l'aide future, le gouvernement du pays receveur va réajuster son
comportement. Il va adopter une attitude qui lui permettra de
bénéficier d'un montant conséquent de l'aide
internationale. L'agent représentatif va pour atteindre un tel objectif,
adopter une attitude appauvrissante. Il va notamment baisser son niveau
d'investissement.
3. Aide extérieure et incitation à
l'effort
Le facteur clé qui détermine le comportement de
l'agent économique est le profit (ou gain net) qu'il espère tirer
de son action. La détermination de l'expression de ce profit passe par
la détermination des nouvelles valeurs d'équilibre. A partir de
là, on déterminera comment l'aide influence le comportement de
l'agent.
3.1. Les valeurs d'équilibre avec l'aide
Pour déterminer les valeurs d'équilibre, il nous
faut spécifier une fonction pour l'allocation de l'aide. Soit la
fonction de distribution internationale de l'aide par tête définie
par:
(1.a)
Avec:
On a :
Est donc l'expression de l'aide en volume est donnée
par:
Avec: On suppose que est suffisamment élevée pour
que soit toujour positif pour
que .
La représentation graphique ainsi définie est la
suivante:
Fulgure II.4: Fonction de distribution de
l'aide
L'idée que l'aide reçue soit nulle à
partir d'un certain seuil de revenu (ici y ) est fondée empiriquement.
Les fonds de l'AID (Banque mondiale) par exemple sont réservés
aux pays dont le revenu par habitant est en deçà de 965$ US en
2005. La valeur du paramètre ? (sensibilité du volume de l'aide
par rapport au revenu) dépend de l'importance que le pays donateur B
accorde au niveau des besoins du pays A. En dehors de l'étendue des
besoins, plusieurs autres facteurs comme la proximité politique ou
linguistique avec le donateur, les enjeux commerciaux et stratégiques,
l'enveloppe totale de l'aide ... influencent le volume de l'aide internationale
reçue comme nous l'avons vu dans le chapitre 1. Ces facteurs
supposés ici exogènes, sont captés par la constante
é .
Section 2 : Analyse empirique des effets
désincitatifs de l'aide en Afrique sub-saharienne
Une hypothèse fondamentale de travail des institutions
financières internationales, pour les prévisions de croissance et
le calcul du volume d'aide à octroyer à chaque pays est que la
totalité de l'aide reçue s'ajoute à l'épargne
domestique pour financer l'investissement (voir chapitre 2). Or, comme nous
venons de le montrer, les incitations perverses de l'aide internationale vont
induire chez le pays receveur une augmentation de la consommation. Le niveau de
l'investissement effectif sera alors en deçà de celui
prévu. Pire encore, l'aide charitable peut supprimer l'effort au niveau
du receveur. Il en résultera une dégradation de la qualité
de la gouvernance comme le faisait déjà remarquer Bauer
(1972, 1984). Ceci est une plausible explication des difficultés de
croissance des économies africaines malgré le fait qu'elles
bénéficient d'aide. C'est ce que nous allons tester
empiriquement.
Cette section est scindée en deux : i) l'analyse
empirique des effets désincitatifs de l'aide sur la
consommation/l'investissement ; ii) l'analyse empirique de l'efficacité
de l'aide extérieure, en intégrant cette fois--ci, la
qualité de la gouvernance dans le pays aidé.
1. Aide - consommation/investissement en Afrique
sub-saharienne
Pour analyser les effets désincitatifs de l'aide
internationale, nous analysons empiriquement dans ce paragraphe, son impact sur
l'investissement et la consommation dans le pays récipiendaire. On
montre alors que l'aide finance plus la consommation présente que
l'investissement.
1.1. Analyse empirique de l'impact de l'aide sur
l'investissement
Pour tester le lien entre « aide » et «
investissement » en Afrique subsaharienne, on a régressé
pour le même panel de pays que précédemment,
l'investissement effectivement réalisé sur l'aide reçue et
l'épargne réalisée. L'investissement56
réalisé dépend ainsi de l'épargne domestique
et de l'aide extérieure reçue. L'équation à estimer
s'écrit donc:
Iit =ái+ 1Eit + 2Ait + åit (1)
Où i désigne la constante individuelle pour le
pays i considéré (qui capte lesautres facteurs pouvant influencer
son investissement), â1 et â2 les coefficients de
l'épargne intérieure ( Eit ) et de l'aide
extérieure ( Ait ). åit le résidu. Les
résultats de l'estimation sont résumés dans le tableau
suivant:
Tableau II.4 : Aide et investissement en Afrique
sub--saharienne
Nbre : d'observation: 327
R-Carré: 0,59
R-Carré Ajusté : 0,57
F-Statistic: 21,06***
NB : *** signifie que le coefficient est significatif à
1%
** signifie que le coefficient est significatif à 5%
* signifie que le coefficient est significatif à 10%
Les coefficients sont dans l'ensemble significatifs. L'impact de
l'aide extérieure tout comme celui de
l'épargne sur le taux d'investissement est bien positif et
significatif. Mais les coefficients obtenus
semblent loin de ceux postulés. L'hypothèse forte
selon laquelle l'aide est totalement investie
implique un coefficient de l'aide ( â2 )
égal à 1.
Pour vérifier cette idée, on a
réalisé le test économétrique suivant:
56 L'investissement ici (I) prend en compte les machines et
équipements, constructions de routes, et de rails, constructions
d'industries et d'équipements commerciaux, écoles, hôpitaux
...
Le résultat obtenu par le test de Wald est le
suivant:
Les probabilités associées au Chi-carré
et au F-caculé sont inférieures à 1%.
Le test de Wald permet alors de rejeter l'hypothèse
nulle ( f32 =1) au seuil 1%. L'aide au développement ne serait
donc pas intégralement investie comme on le suppose. Le même test
permet de rejeter l'hypothèse selon laquelle toute l'épargne est
investie.
Le fait que toute l'épargne ne soit pas investie peut
s'expliquer par le faible développement financier dans la région
qui fait qu'une bonne partie de la petite épargne est simplement
thésaurisée57.
Ce qui est plus préoccupant, c'est la proportion de
l'aide qui est investie. Pour avoir une idée sur la
proportion dans laquelle l'aide est investie, on a
calibré le coefficient f32 toujours à l'aide du
test
sur les coefficients de Wald. Au seuil 5%,
f32 = 0.20 qui n'est pas rejeté. La proportion
d'aide investie serait alors très faible.
Ce résultat semble concorder avec de nombreuses
illustrations. A titre d'exemple, la Gambie en 1986 avait reçu une aide
valant 55.40% de son PIB, alors que son investissement effectivement
réalisé ne valait que 16.59%. Mais on peut imaginer que cet
exemple soit un cas isolé. A cet effet, on a réalisé une
étude par pays, en séries chronologiques, sur les valeurs
annuelles. On a estimé pour chaque pays, l'équation suivante:
It =á +â1 Et+â2At+å (2)
Certains pays (pour trop d'observations manquantes) n'ont pas
été inclus dans cette étude. L'étude a quand
même couvert plusieur pays de l'Afrique sub-saharienne (35)58.
Après avoir évacué le problème de
stationnarité59 des séries, on a évalué
l'impact de l'aide internationale sur l'investissement pour chaque pays de
l'échantillon. Les résultats obtenus sont résumés
en fonction de la valeur et du signe de f32 dans le tableau
suivant:
57 En effet, selon une étude récente de la
BCEAO, seulement 20% environ de la population totale des pays membres ont un
compte en banque. Le reste thésauriserait donc simplement son
épargne.
58
www.banquemondiale.org
59 Le test de racine unitaire de DFA (Dickey Fuller
augmenté) permet de tester la stationnarité de ces séries.
A l'issue du test, l'estimation a été faite en différence
première dans la mesure où les séries sont
intégrées d'ordre 1.
Tableau II-10 : Résultat de l'estimation par pays
du lien aide-investissement
L'ajustement pays par pays parait plus spectaculaire. Aucun
pays n'investit la totalité de l'aide qui lui est accordée.
L'aide n'exerce d'effet positif significatif sur l'investissement que dans
seulement 34% environ des cas. Dans presque la moitié des cas, l'aide
n'influence pas significativement l'investissement. En effet, pour 48,57% des
pays étudiés, l'impact de l'aide sur l'investissement est non
significatif.
Le fait qu'il existe une relation macroéconomique
comptable qui relie l'investissement, l'épargne et le solde
extérieur courant qui ne fait pourtant pas parti de l'équation
estimée60 peut soulever certaines critiques sur ces résultats.
Cependant, la significativité des coefficients amène à
admettre qu'une bonne partie de l'aide internationale est
détournée de l'objectif principal : le financement de
l'investissement.
Ces résultats corroborent ceux de Dollar et Easterly
(1999) qui tiraient la sonnette d'alarme sur le fait que l'aide semble se
détourner de son objectif principal, l'investissement. Feyzioglu et al.
(1998) dans une estimation couvrant 38 pays bénéficiaires d'aide
entre 1971 et 1990, aboutissent au résultat selon lequel 1$ d'aide ne
fait augmenter l'investissement que de 0.32$. Enfin, un résultat
contraire à toute attente (dans la philosophie de la Banque mondiale)
est que, pour 6 pays (dans environ 17% des cas étudiés), l'impact
de l'aide extérieure sur l'investissement est négatif et
significatif.
Cette négativité de l'aide internationale sur
l'investissement est une véritable interpellation des politiques de la
Banque mondiale. On peut comprendre que l'aide qui est censée
accroître l'investissement des pays pauvres, le réduise si on se
réfère aux effets d'incitation étudiés plus haut.
Ces effets de l'aide extérieure conduiraient à un accroissement
de la consommation présente. L'aide produirait ainsi un effet
d'éviction sur l'épargne domestique, effet évoqué
par Griffin (1970) et qui a
60 Le fait qu'on ne peut pas régressé
une identité comptable ne permet pas d'intégrer cette variable
dans l'équation à estimer. De plus, nous disposons de peu de
données sur cette variable (solde extérieur courant) si bien que
sa prise en compte dans nos estimations réduirait
considérablement notre période d'étude et le nombre
d'individus. La constante á est alors supposée capter le
poids de cette variable, tout comme celui de n'importe quelle autre variable
pouvant influencer l'investissement.
été retrouvé plus récemment par
Boone (1996). En effet, si l'aide n'est pas investie, l'utilisation de cette
aide est la consommation. C'est ce que nous allons montrer empiriquement.
1.2. Analyse empirique de l'impact de l'aide sur la
consommation
En réalité, il est difficile de concevoir l'aide
extérieure comme un surplus d'investissement uniquement. Dans la mesure
où l'aide n'est pas toujours assortie d'une obligation d'affectation et
dans la mesure où se pose le problème de la fongibilité,
présentée plus haut, une aide extérieure reçue peut
être analysée comme un surplus de revenu. Si on suppose que la
consommation dépend du revenu total disponible, une aide
extérieure reçue entraîne une augmentation du revenu total;
par conséquent la consommation aussi augmente. Même si l'aide a
dès le départ une affectation précise, son
caractère fongible et l'incitation qu'elle crée chez le
bénéficiaire entraîneraient une augmentation de la
consommation présente. Pour tester cette idée, on a
régressé avec notre échantillon, les dépenses de
consommation finale des ménages sur l'aide internationale reçue.
L'équation estimée s'écrit:
Cit = ái + â1Yit +
â2Ait +åit (3)
Où Cit représente les dépenses
de consommation finale du pays considéré, Yit son
revenu, Ait l'aide extérieure.
Les résultats obtenus sont résumés dans le
tableau suivant:
Tableau II-5 : Estimation du lien « Aide --
Consommation »
Nbre : d'observation: 319 R-Carré: 0,586
R-Carré ajusté: 0,471 F-statistic :27,417***
Le coefficient de l'aide est positif et significatif au seuil
1%. On remarque bien ici que les dépenses de consommation sont
liées positivement à l'aide internationale. La thèse selon
laquelle l'aide entraîne une augmentation de la consommation est donc
corroborée.
En essayant comme précédemment de calibrer le
coefficient de l'aide ( â2 ), on trouve un coefficient proche de
0.50 ( â2 = 0.5 n'est pas rejeté au seuil 5%). L'aide
serait donc à moitié consommée. En réalité,
le fait que l'aide entraîne une augmentation de la consommation n'est pas
tellement gênant, dans la mesure où l'aide vise avant tout le
bien-être des pauvres. Or la consommation améliore le
bien-être. Cependant, deux problèmes se posent:
En réalité, le fait que l'aide entraîne
une augmentation de la consommation n'est pas tellement gênant, dans la
mesure où l'aide vise avant tout le bien-être des pauvres. Or la
consommation améliore le bien-être. Cependant, deux
problèmes se posent:
> Si l'aide fait augmenter la consommation au
détriment de l'épargne et l'investissement, elle accroît le
bien-être présent mais pas futur. Or, « il vaut mieux
apprendre à un homme à pêcher que de lui donner du poisson
».
> L'augmentation de la consommation n'améliore le
bien-être général ou mieux ne réduit la
pauvreté que si elle ne se fait pas au profit des ambitions de
quelques-uns.
Or, dans la mesure où l'aide passe par les dirigeants
qui sont encore les décideurs, et qui en général ne sont
pas pauvres, il est probable qu'elle ne profite pas aux populations pauvres.
Dans ce cas, elle ne pourra réduire la pauvreté. Il nous faut
alors vérifier que l'aide est bien consommée par la population
pauvre, et non par les « privilégiés ». Nous posons
l'hypothèse que les « privilégiés » des pays
d'Afrique sub-saharienne peuvent être approximés par le
gouvernement et « les fonctionnaires ». Pour tester notre
idée, nous avons régressé les dépenses de
consommation finale
du « gouvernement » (G. Cons.) sur l'aide
reçue. Une grande partie de ces dépenses de
consommation
finance les salaires des fonctionnaires.
L'équation estimée s'écrit:
(G Cons)it = ái + f31Yit +
f32Ait +åit (4)
Le résultat conduit au tableau suivant:
Tableau II--5 : Aide et dépenses de consommation
du gouvernement
Nbre : d'observation: 321
R-Carré: 0,498
R-Carré ajusté: 0,461
F-statistic: 18,012***
NB : *** signifie que le coefficient est
significatif à 1%
** signifie que le coefficient est significatif à 5%
* signifie que le coefficient est significatif à 10%
L'aide exerce bien un effet positif robuste sur la
consommation du gouvernement. En essayant de nouveau de calibrer le coefficient
de l'aide ( f32 ), on trouve un coefficient proche de 0,30. Environ
30% de l'aide reçue irait donc dans les dépenses de consommation
du gouvernement. Ces résultats concordent bien avec ceux de Bonne
(1996). A travers une étude similaire portant sur le lien
aide-consommation-investissement, il mettait en évidence une
élasticité de la consommation à l'aide très
significative et proche de 1; et une élasticité de
l'investissement très proche de 0. Tout se passe comme si le montant de
l'aide était converti pour trois quarts en consommation publique, et un
quart en consommation privée et rien en investissement). Les formes de
consommation dans nombreux pays sont bien connues : les projets de
mosquées dans le désert comme celui de Hassan II, les palais
présidentiels somptueux, la basilique de Yamoussoukro alors que les
salles de classes
étaient débordées et les hôpitaux
délabrés, les capitales bâties ex nihilo, alors que le pays
ploie sous des dettes pharaoniques comme Yamoussoukro en Côte d'Ivoire,
Dodoma en Tanzanie, Abuja au Nigeria; les milliards investis pour
l'installation de base de lancement de missiles dans l'ex Zaïre dans les
années 1985 alors que la population pauvre mourait de famine, les
fortunes colossales des dirigeants, les centaines de millions
distribuées chaque jour, en liquide et durant des années par le
président Eyadema (au Togo) pour des marches de soutien à son
régime alors que les routes et autres infrastructures économiques
sont dans un état
défectueux, ...
Ces quelques citations de Sennen Andriamirado (1987), sur le
cas du Burkina Faso, appuient bien nos résultats concernant
l'utilisation qui est faite de l'aide internationale en Afrique61
« En ces années (1980-1982), un groupe
financier allemand et la Banque mondiale devaient financer à concurrence
de 15 milliards de F CFA un projet d'adduction d'eau depuis la Volta Noire
jusqu'à Koudougou et Ouagadougou. Les dirigeants avaient confié
la réalisation des travaux à une multinationale à capitaux
belges, l'Euro-Building, pour 16 milliards de F CFA. Puis subitement,
l'évaluation du projet grimpe jusqu'à 70 milliards. On parle de
pots-de-vin. En revanche, on ne parlera plus d'adduction d'eaupuisque
l'opération sera abandonnée ...
Un autre projet connaîtra le même sort: le
barrage de Korsimoro, dans la province de Sanematenga, qui devait être
construit au cours de cette même période grâce à des
financements néerlandais. L'argent a été versé,
dépensé... et le barrage n'a jamais existé. Il y a eu
aussi, toujours à l'époque, les détournements de dons
internationaux: des aides alimentaires (farine et huile de soja) provenant du
Canada ou de l'Arabie Saoudite avaient disparu entre le port de Lomé, au
Togo, et leurs destinations prévues, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. On
les a retrouvées au marché noir».
« ... Afin de séduire les fonctionnaires, Saye
Zerbo (le président) détourne les aides extérieures,
destinées en principe à des projets de développement, et
les utilise pour relever leurs salaires ... Un crédit de la banque
à capitaux arabes Dar el Mal Islami, d'un montant de 5 milliards de
francs a été détourné de sa destination initiale,
un projet d'investissements, pour être affecté à une
augmentation des salaires des fonctionnaires ».
«Des études sur la Guinée, le Cameroun,
l'Uganda et la Tanzanie ont révélé que de 30 à 70%
des médicaments du gouvernement disparaissent dans leur acheminement aux
malades ... Dans un pays à bas revenu, un journaliste a accusé le
Ministère de la santé de détourner 50 millions de dollars
sur les fonds d'aide octroyés. Le Ministère fait une
réfutation en ces termes: le journaliste accuse de façon
irresponsable d'avoir détourner 50 millions de dollars en une seule
année, alors que les 50 millions détournés l'ont
été sur une période de plus de trois ans».
Earterly, (2005).
Ces exemples évoquent un autre mal récurent
à l'aide internationale : c'est la corruption. Les dirigeants par qui
transite l'aide sont pour la plupart des temps corrompus ; si bien que l'argent
alloué au pays en qualité d'aide se retrouve sur des comptes
privés. Dans un pays hautement corrompu comme l'ex Zaïre, actuel
RDC où le président Mobutu Sésé Séko aurait
amassé de son vivant l'une des fortunes personnelles les plus
colossales62 au monde, investie à l'étranger,
les apports massifs d'aide étrangère injectés dans le pays
pendant plusieurs décennies n'ont laissé aucune trace de
progrès. Selon Basildon Peta (2002), les leaders politiques en Afrique
se seraient appropriés illégalement plus de 140 milliards de
dollars US.
A la mi--octobre 2003, le Cameroun a
bénéficié d'une aide de 200 milliards de francs CFA
(304,90 millions d'euros) dans le cadre de l'initiative PPTE (Pays Pauvres
Très endettés). L'objectif principal de cette aide est d'investir
dans les dépenses publiques favorables aux pauvres et les
61 Tirées de « Sankara
le rebelle», SENNEN ANDRIAMIRADO, Jeune Afrique Livres, 1987
pages 39, 44 et 174.
62 On raconte qu'à sa mort, les comptes
personnels du président Mobutu en Suisse et dans d'autres pays
développés suffisaient pour éponger la totalité de
la dette de la RDC).
infrastructures économiques. Pendant sa mission
d'évaluation de 2004, le FMI a trouvé un «trou» de 66
milliards de francs CFA (environ 100,6 millions d'euros) auprès du
Ministère des Finances. Pire encore, contrairement aux engagements pris,
les dépenses du gouvernement ne reflètent pas
nécessairement la priorité aux secteurs sociaux identifiés
dans le CSPL63 (voir tableaux ci-dessous) Postes
budgétaires en augmentation ... et en diminution nette
NB : L'administration territoriale gère
les projets PPTE (pays pauvres très endettés)
Ces quelques exemples illustrent bien le problème.
L'aide entraîne une augmentation de la consommation, et surtout la
consommation d'une classe de « privilégiés » ;
c'est-à-dire les dirigeants par qui transite l'aide, au détriment
de la population. L'appauvrissement de la population est donc la variable clef
de la « mauvaise politique » qui vise à faire augmenter l'aide
internationale. A son tour, l'aide est l'impulsion à l'origine de
l'appauvrissement.
Si l'efficacité de l'aide au développement est
liée à son utilisation par les dirigeants, on peut alors supposer
que pour les pays où le gouvernement est beaucoup plus réformiste
ou dans les pays relativement bien gouvernés, l'effet de l'aide
extérieure sera différent de celui d'un gouvernement «
prédateur ». De la qualité de la « gouvernance »
ou encore du niveau de « l'effort » dans le pays récipiendaire
dépendrait alors l'efficacité de l'aide extérieure.
2. Gouvernance et efficacité de l'aide en Afrique
sub--saharienne
Un facteur déterminant dans l'explication de
l'inefficacité de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne est
son effet pervers sur la qualité de la gouvernance dans les pays
aidés, comme nous l'avons étudié plus haut. C'est ce que
nous montrons ici empiriquement, en étudiant l'efficacité de
l'aide internationale vis-à-vis de l'objectif de croissance
économique en tenant compte de la qualité de la «
gouvernance » dans les pays récipiendaires. La bonne gouvernance va
être abordée en deux temps:
-- Traditionnellement comme Burnside et Dollar (1997,
2000) et Easterly et all. (2003), on considère un
indicateur de l'environnement de « politique économique ».
-- A notre manière, en construisant un « indicateur
synthétique de gouvernance ».
2.1. Politiques économiques et efficacité
de l'aide
Depuis les travaux pionniers de Burnside et Dollar (1997)
repris par Banque mondiale (1998), l'effet des politiques économiques
dans les pays récipiendaires sur l'efficacité de l'aide ne cesse
de faire débat. Si l'aide est productive lorsqu'elle est
accompagnée de « bonnes politiques économiques »,
l'effet croisé de l'aide et d'un indicateur de politique
économique sera positif et significatif sur la croissance
économique. Nous construisons pour cela, un indicateur de politique
économique que nous croisons avec l'aide pour chaque pays.
La variable de qualité de la politique
économique est un indicateur qui prend en compte trois autres
variables64 : l'ouverture de l'économie au commerce, la
politique budgétaire évaluée à l'aune du surplus
budgétaire en pourcentage du PIB, et l'inflation. Cet indicateur,
à l'instar de Burnside et
63 Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté
(CSLP en français).
64 Burnside et Dollar (1997, 2000) ; Easterly (2003).
Dollar (1997, 2000) et Easterly (2003) est obtenu à
partir des coefficients de l'estimation de l'équation de
croissance65. La formule de calcul est la suivante:
Pol.écon = 0,48+ 1,3 x Ouverture - 0,085 x Inflation +
0,12 x Solde budgétaire.
La constante 0,48 est l'impact de toutes les autres variables
(hormis l'inflation, le degré d'ouverture et le solde budgétaire)
évaluées à leur valeur moyenne pour la région, sur
la croissance économique. Notons qu'un taux d'inflation
élevé et/ou un déficit budgétaire
élevé peuvent entraîner la négativité de cet
indicateur; alors l'ouverture au commerce l'influence positivement.
A partir donc de cet indicateur de politique
économique, on peut évaluer sur notre échantillon
décrit plus haut, l'impact de l'effet croisé de l'aide
internationale et de l'environnement de politique économique sur la
croissance.
L'équation à estimer est alors:
Le résultat de cette régression est
résumé dans le tableau suivant Tableau II-6 : Aide --
Politique économique -- Croissance
Nbre : d'observation: 328 R--Carré: 0,39
F--statistic : 4,2863***
NB : idem à d'autre tabeaux
Le coefficient de l'aide au développement sur la
croissance du revenu par tête n'est pas significatif. Celui de
l'indicateur de politique économique est positif et significatif
à 1% (0,0351***). Curieusement, le coefficient de la variable combinant
aide et politique économique est négatif et
65 Il s'agit de la première estimation de
l'équation de croissance, dans le chapitre 3 de la première
partie. Dans cette estimation, 1,3 est le coefficient de l'ouverture au
commerce, --0,085 celui de l'inflation et 0,12 celui du solde
budgétaire.
66 C'est la raison pour laquelle nous n'avons
pas introduit l'indicateur institutionnel dans nospremières estimations.
Cela réduirait alors notre champs d'étude.
significatif (-0.07***), contrairement aux résultats de
Burnside et Dollar. Alors que Easterly concluait à une parfaite
stérilité de l'aide internationale même en présence
de « bonnes politiques économiques », on obtient ici que
l'aide est perverse même en présence de bonnes politiques.
Ce résultat est un réel paradoxe. Comment
peut-on comprendre, que l'aide extérieure qu'on croyait promouvoir la
croissance économique, exerce un impact négatif sur cette
dernière lorsqu'on la croise avec l'indicateur de politique
économique ? Une explication à ce problème est que la
défaillance majeure du système dictatorial n'est pas liée
aux politiques macroéconomiques, mais à la qualité des
institutions (Olson, 1994). L'objectif du gouvernement « prédateur
» étant d'appauvrir la population au profit des «
privilégiés », il va « confisquer les profits » et
donc, pas d'Etat de droit. La qualité du service publique sera faible et
le niveau de corruption élevé. Il n'y aura donc pas d'incitation
à investir. L'environnement institutionnel est dans ce cas,
l'élément déterminant dans l'explication de la performance
économique.
2.2. Qualité des institutions et
efficacité de l'aide
Comme précédemment dans le cadre de l'indicateur
de politique économique, on va évaluer l'impact de l'effet
croisé d'un indicateur de « l'environnement institutionnel »
et de l'aide sur la croissance économique. Nous supposons que les
règles de l'état de droit sont les règles qui autorisent
les agents privés à anticiper l'appropriation future des
bénéfices de leur investissement. Ces règles qui
garantissent la confiance dans l'avenir sont alors les déterminants
ultimes de la croissance économique (North 1990, 1991).
A l'instar de Hall et Jones (1999) et Rodrik et al. (2002),
nous supposons qu'il existe un lien de causalité significatif entre le
niveau institutionnel et la performance économique en Afrique
sub-saharienne ; et par-là, l'efficacité de l'aide
internationale. Cette étude se heurte cependant à un
problème de données, qui réduit considérablement
notre période d'étude66. En effet, très peu de
données sur les institutions sont publiées avant les
années 1990. La plupart des études supposent pour cela une valeur
constante pour l'environnement institutionnel sur toute leur période
d'étude; en partant de l'hypothèse selon laquelle la
qualité institutionnelle change très peu à travers le
temps (Burnside et Dollar, 1997, 2000 ; Easterly, 2003).
Cependant, depuis les années 1990, la Banque mondiale
publie régulièrement un ensemble d'indicateurs reflétant
l'environnement institutionnel de ses pays membres. Nous utilisons ces
données dans la suite de notre travail.
Kaufmann, Kraay et Zoido-Lobaton (Banque mondiale et
Université de Stanford, 1999) définissent six indicateurs, comme
reflétant l'environnement institutionnel d'un pays donné:
1. Participation des citoyens et
responsabilisation : possibilité pour les
citoyens de choisir leurs dirigeants, de jouir de droits politiques et civils
et d'avoir une presse indépendante.
2. Stabilité politique et absence de
violence: probabilité qu'un Etat ne soit pas
renversé par des moyens inconstitutionnels ou violents,
3. Efficacité des pouvoirs publics:
qualité de la prestation des services publics,
compétence et indépendance politique de la fonction publique,
4.
Poids de la réglementation :
absence relative de réglementation parl'Etat des marchés de
produits, du système bancaire et du commerce extérieur,
5. Etat de droit : protection des
personnes et des biens contre la violence et le vol, indépendance et
efficacité de la magistrature et respect des contrats,
6. Absence de corruption : pas
d'abus de pouvoir au profit d'intérêts privés.
A titre d'illustration, nous présentons de façon
graphique les liens entre ces différents indicateurs et la performance
économique. A cet effet, on a récupéré les
résidus après estimation (sans la constante) de l'équation
de croissance, afin de purger le taux de croissance économique de
l'impact des autres variables exogènes. Ces résidus sont ensuite
croisés avec les six indicateurs de l'environnement institutionnel. Les
résultats sont les suivants:
Figure II--7 : Indicateurs institutionnels et croissance
économique
Source : calculs comparative de Freeman
et Lindauer, 1999
L'indicateur démocratique « participation des
citoyens et responsabilisation » est le moins bien corrélé
avec la croissance. L'histoire économique permet d'expliquer du moins
partiellement ce lien. A titre d'exemple, le décollage économique
de la Corée du Sud s'est effectué sous dictature militaire, de
même en Turquie. Ainsi, un régime autoritaire peut
présenter une sécurité élevée pour les
personnes et les biens encourageant ainsi les initiatives privées, comme
c'est le cas au Maroc et en Tunisie. Lorsque par contre le régime ne
garantit pas l'appropriation des gains de l'initiative privée (la RDC
à l'epoque du Zaïre de Mobutu par exemple), les résultats
sur la croissance sont catastrophiques (Freeman et
Lindauer, 1999).
CONCLUSION PARTIELLE
L'aide au développement ne favorise pas le
développement en Afrique subsaharienne.
Elle devient même perverse dès lors qu'on prend
en compte la gouvernance dans les pays récipiendaires. Ce qui est tout
à fait paradoxal dans la mesure où l'aide est
considérée comme nécessaire pour le décollage
économique des pays pauvres. Une explication à ce paradoxe est le
régime d'incitation. L'activité économique dans la
région serait entravée par l'action des gouvernements
aidés, qui adoptent des politiques néfastes à la
croissance économique et la réduction de la pauvreté.
Malheureusement, l'aide internationale encouragerait de telles politiques. En
effet, comme nous venons de le voir, sous l'hypothèse qu'il existe un
seuil minimal de rentabilité du capital en deçà duquel les
agents n'accepteront pas d'investir, l'aide internationale peut créer
une incitation à consommer davantage au détriment de
l'investissement.
Un fait préoccupant est qu'en Afrique sub-saharienne,
l'augmentation de la consommation liée à l'aide ne se ferait pas
au profit des couches défavorisées de la population, mais celui
d'une classe de « privilégiés ». Pire encore, nous
venons devoir que l'aide peut créer une incitation au niveau des
gouvernements aidés à ne pas faire d'effort. L'effort
étant assimilable dans notre analyse à la bonne gouvernance
(bonnes politiques économiques, corruption moindre, environnement
institutionnel sain, ...), l'aide encouragerait l'adoption de politiques
inappropriées, une gouvernance de mauvaise qualité. Ceci
expliquerait pourquoi l'aide a un impact négatif sur l'activité
économique lorsqu'on prend en compte la gouvernance dans le pays
aidé.
Doit-on alors cesser d'aider les pays en développement?
Dans la mesure où le développement est une question de moyens,
supprimer l'aide au développement ne va pas résoudre le
problème; il n'est pas souhaitable. Une alternative est alors de
conditionner l'aide internationale aux pays pauvres à l'adoption de
« politiques appropriées » : l'aide conditionnelle.
Revenons à notre analyse sur les effets d'incitation de
l'aide extérieure abordés dans ce chapitre. Une hypothèse
principale est que le donateur octroie l'aide selon le niveau des besoins du
pays receveur. Le comportement du receveur serait tout autre si nous
relâchons cette hypothèse. La politique d'aide du donateur
pourrait ainsi influencer l'incitation et donc l'attitude optimale du
gouvernement récipiendaire. Dès lors, la politique d'aide du
donateur devient un élément clef dans l'explication de
l'inefficacité de l'aide au développement. La question qu'on doit
bien évidemment se poser est donc de savoir en quoi les pratiques des
donateurs favorisent-t-elles ou annihilent-elles l'efficacité de l'aide
au développement en Afrique sub-saharienne ? C'est ce que nous examinons
dans le chapitre suivant.
La dette des économies africaines a
été surtout accumulée dans les années 1970. La
bonne tenue des cours des produits de base à cette époque faisait
valoir que l'Afrique regorgeait de possibilités
CHAPITRE SIXIEME
PRATIQUES DES DONATEURS ET EFFICACITE DE L'AIDE
« Au cours des 40 dernières années,
nous avons laissé les programmes d'aide se dérouler, souvent
malgré les preuves claires de leur inefficacité. Malheureusement,
la transparence, l'évaluation des progrès et les résultats
tangibles ont souvent été considérés comme des
préoccupations accessoires».
Comité sénatorial permanent des affaires
étrangères et du commerce international du Canada (2007).
L'aide internationale représente pour les pays
africains en dessous du Sahara, une source importante de ressources. Elle se
monte en effet à environ 15% du PIB en moyenne pour la région.
Certains pays en ont reçu plus. Par exemple le Mozambique a reçu
jusqu'à 30% de son PIB en moyenne sur la période 1975-2004 ; 46%
du PIB en moyenne pour la Guinée Bissau sur la même
période. A cause du poids de l'aide extérieure dans les
économies africaines, les pratiques et/ou les politiques de transferts
internationaux des principaux donateurs ont des effets considérables sur
ces économies assistées.
En particulier, nous allons examiner en quoi les pratiques
actuelles des principaux donateurs favorisent ou réduisent
l'efficacité de l'aide internationale pour les petites économies
africaines en dessous du Sahara. Un facteur important à l'origine des
effets désincitatifs de l'aide internationale que nous avons
étudiés dans le chapitre précédent est le fait que
l'aide charitable soit sans coût, contrairement à l'effort. Ceci
pose le problème fondamental de l'impact que le mode de financement
(prêts ou dons) peut avoir sur l'efficacité de l'aide au
développement. Vaut-il mieux de financer les pays pauvres par des
prêts plutôt que des dons ? Si les pratiques existantes sont
inefficientes, comment peut-on corriger les politiques d'aide des donateurs
pour améliorer l'efficacité de l'aide au développement?
C'est ce que nous étudions dans ce chapitre.
Dans la section 1, on s'interroge sur les répercussions
du mode de financement (prêts ou dons) sur l'activité
économique dans le pays receveur et donc l'efficacité de l'aide
au développement. A l'issue de cette section, il apparaît qu'il y
a à terme, une équivalence entre les deux modes de financement
(les prêts et les dons). L'inefficacité de l'aide ne
dépendrait alors pas du mode de financement. Dans la section 2, on
analyse les différents critères d'attribution de l'aide
internationale en Afrique sub-saharienne. On montre alors que seuls deux
facteurs sont déterminants dans l'octroi de l'aide internationale en
Afrique sub-saharienne : le niveau des besoins du récipiendaire et la
proximité avec le donateur. A travers l'analyse des conséquences
d'une telle attribution de l'aide vis-à-vis du critère de
l'efficience, on montre que les pratiques des donateurs en Afrique constituent
une explication importante de l'inefficacité de l'aide dans la
région. Dans la section 3 enfin, on examine comment les donateurs,
à travers une meilleure coordination de l'aide, peuvent influencer
l'efficacité de l'aide internationale au développement.
Section 1 : L'équivalence prêts --
dons
Le débat sur l'utilisation de prêts ou de dons,
ou encore la combinaison des deux pour le financement des pays pauvres prend
une place de plus en plus importante dans la littérature
économique sur l'aide et le développement. Il pose le paradoxe du
fardeau de l'endettement des pays pauvres alors même qu'ils ont besoin
d'aide pour financer leur décollage. Le débat a été
lancé à la suite de la grave crise d'endettement qui a
secoué presque tous les pays en développement dans les
années 1980.
d'investissements très rentables, de sorte que les
prêts pourraient être remboursés grâce à la
croissance induite par les investissements. La relative aisance
financière des banques des pays développés (c'était
la période des trente glorieuses) a alors favorisé la mise en
oeuvre de politiques sociales et de développement volontaristes, mais
mal avisées. Les fonds ont été pour la plupart mal
investis : ce fut la période des « éléphants
blancs67 » en Afrique.
Ces politiques ont généré des niveaux de
consommations publiques sans commune mesure avec les capacités des Etats
africains à soutenir leurs politiques sociales et de
développement. En même temps, ils devaient faire face à des
niveaux d'investissement élevés. C'est ainsi que les pays de la
région recouraient et souvent de manière incontrôlée
à l'endettement extérieur. Quand vers la fin des années
1970, la situation favorable à une croissance rapide s'est
détériorée, ces pays déjà enfermés
dans le cercle vicieux de la dette ont continué à s'endetter.
C'est ainsi qu'ils se sont retrouvés face à des dettes
énormes, conduisant à la grave crise financière des
années 1980, qui n'était autre qu'une crise d'endettement.
Au lendemain de cette crise, un lourd débat s'est
ouvert sur la controverse « prêts-versus-dons ». Le
débat a été relancé par le fameux rapport Meltzer
apparu en mars 2000. Ce rapport élaboré à la demande du
Congrès américain, soutient que les prêts concessionnels ne
présentent aucun avantage par rapport aux dons. L'annulation de la dette
des pays pauvres est considérée comme une nécessité
pour leur développement, et les banques multilatérales de
développement devraient abandonner les prêts au profit des seuls
dons assortis d'un contrôle des performances.
Lerrick et Meltzer (2002) tout comme Radelet (2005) notent que
le financement des pays pauvres par des prêts leur fait encourir un
risque de surendettement. Il arrive un moment où ils contractent de
nouveaux prêts juste pour faire face aux anciennes dettes, et souvent
sous la pression des banques multilatérales de développement. Les
bailleurs de fonds peuvent ainsi être tentés de continuer à
prêter « à titre défensif » ; c'est-à-dire
octroyer de nouveaux prêts juste pour se faire rembourser (Bulow et
Rogoff, 2005). Cette pratique a été courante surtout pour les
pays africains dans les années 1990. Elle créerait une
désincitation des pays pauvres à lutter efficacement contre la
pauvreté.
En outre, la dette extérieure est souvent
évaluée en monnaie étrangère. Ceci affecte la
capacité des pays aidés à honorer leurs engagements. Le
secteur privé qui est le principal acteur du développement
économique est très sensible à la situation
économique du pays hôte. L'accumulation de dettes par un pays
donné peut refléter l'imminence d'une crise financière et
donc faire fuir les investisseurs privés. Le but de l'aide étant
de favoriser le développement économique, le financement par des
prêts serait donc néfaste pour l'efficacité de l'aide
surtout dans les pays très pauvres. Le financement par des dons est dans
ce cas, le meilleur mode de financement.
Cette thèse (financer les pays pauvres exclusivement
par des dons) se heurte cependant à la réalité selon
laquelle la part des dons dans l'aide totale a progressivement augmenté
depuis les années 1970 ; alors que la pauvreté ne cesse de
progresser. En effet, la part des dons dans l'aide multilatérale est
presque constante à travers le temps ; environ 35 à 40%. Mais
elle a augmenté dans l'aide bilatérale, et donc dans l'ensemble
de l'aide. D'environ 50% dans l'aide bilatérale dans les années
1970, la part des dons a progressivement augmenté pour avoisiner de nos
jours, 80%. Le principal bénéficiaire de ces dons est l'Afrique
où la pauvreté a pourtant augmenté. A l'inverse, les
67 Le terme « éléphants blancs
» est utilisé pour désigner les programmes
d'industrialisation mal conçus qui ont dominé la décennie
1970 en Afrique. Plusieurs industries, principalement des industries lourdes
(comme les raffineries de pétrole, construction des barrages
hydroelectique à l'exemple la ligne de haute tension du monde
entre Inga - Lubumbashi - Afrque du sud) pourtant bien installées
n'auront jamais tourné (ou n'ont tourné que quelques mois) avant
leur fermeture définitive.
pays qui ont vu leur pauvreté baisser sont ceux de
l'Asie de l'Est où l'aide s'est faite sur cette période
essentiellement sous forme de prêts. Même s'il y a d'autres
explications à cet état de fait, l'efficacité des
prêts semble meilleure à celle des dons. Odedokun (2003) montre
à travers une analyse empirique couvrant la période 1970-1999 et
portant sur 72 pays aidés que, les prêts concessionnels sont mieux
investis, moins alloués à la consommation publique et souvent
associés à de fortes recettes d'impôts. Alors que dans les
pays pauvres, le bénéfice d'un don est souvent associé
à de faibles recettes fiscales. Ce résultat selon lequel les dons
évincent les recettes fiscales a été retrouvé par
Gupta et al. (2004).
Cependant, les effets sur la croissance économique (et
donc l'efficacité de l'aide) du rétrécissement des
recettes fiscales dû au financement par purs dons sont
controversés. On considère généralement que la
réduction des recettes d'impôts entraîne une baisse des
ressources de l'Etat et donc une diminution de l'investissement global.
Cependant, l'analyse de Adam et O'Connell (1997, 1999) montre que l'aide
internationale devrait justement servir à relâcher la pression
fiscale sur le secteur privé pour attirer et encourager l'investissement
privé, moteur de la croissance économique. En effet, les paradis
fiscaux attirent plus les investisseurs. De ce point de vue, le financement par
des dons présente un sérieux avantage par rapport au financement
par des prêts.
Les défenseurs du financement par des prêts
soutiennent néanmoins que l'abandon des prêts au profit des dons
peut entraîner un rétrécissement de l'enveloppe totale
d'aide en ce sens que les remboursements en provenance des pays qui se
développent avec succès vont cesser d'alimenter de nouveaux
financements. En effet, par le mécanisme de prêt, la valeur d'un
dollar en aide est multipliée par une valeur k>1 dans la mesure
où les remboursements des anciens prêts fournissent de ressources
additionnelles d'aide. L'effet multiplicateur des premières aides va
donc disparaître si on passe des prêts aux dons uniquement et le
développement des plus pauvres peut être retardé par un
tarissement des sources de financement.
Il est par ailleurs anormal que l'aide à certains
secteurs rentables (télécommunication, énergie, ...)
détenus par le privé se fasse sous forme de dons. La croissance
des activités dans ces secteurs nécessite des financements
additionnels immédiats que la croissance économique permettra
précisément de rembourser. Seul le prêt semble
indiqué dans un tel cas.
Un autre facteur important est l'efficacité relative
des prêts vis-à-vis de l'affectation de l'aide et de la discipline
budgétaire. Le fait que les dons soient non remboursables est un facteur
moins incitatif. Cela peut avoir des effets néfastes sur le
développement, créer une déresponsabilisation des
gouvernements aidés et entraîner une plus grande dépendance
vis-à-vis de l'aide (Odedokun, 2003). En outre, lorsqu'un pays pauvre
est financé exclusivement par des dons, cela peut constituer un mauvais
signal pour le secteur privé. En effet, un pays qui reçoit
systématiquement des dons peut être considéré comme
un pays où la rentabilité du capital est faible, rendant le pays
incapable de faire face à des prêts. Les investisseurs
privés auront donc du mal à y investir.
Ce raisonnement soulève également de
réserve. Lorsqu'on finance un pays par des prêts, l'accumulation
de dettes peut représenter un mauvais signal pour les investisseurs en
ce sens que le gouvernement devra dans le futur, augmenter le taux d'imposition
pour faire face à la dette générée par les
prêts reçus. Il en résultera une « fuite » de
l'investissement privé.
De manière générale et comme on peut le
constater, les spéculations sur la controverse «
prêts-versus-dons » se nourrissent pour la plupart de simples
analyses théoriques, déductions intuitives et convictions
idéologiques. Ce qui fait qu'aucune ligne claire de conduite concernant
le mode de financement ne peut être établie. L'analyse empirique
de Nunnenkamp et al. (2005) qui explore l'impact des différents modes de
financement (prêts, dons, ou une combinaison des deux) sur la croissance
économique ne permet non plus de départager ces différents
points de vue. En analysant
la corrélation entre les différents modes de
financements et la croissance économique, Nunnenkamp et al. (2005) ne
trouvent pas de différence substantielle en terme d'efficacité.
De même, Clemens et al. (2004) ne trouvent aucune différence entre
les prêts et les dons en terme de productivité, même si
selon leurs analyses, l'aide humanitaire devrait être financée par
des dons tout comme les projets dont l'impact sur l'activité
économique ne peut se faire sentir qu'à long terme
(éducation par exemple). Que doit-on retenir en définitive ? Quel
est le meilleur mode de financement pour les pays pauvres?
Pour trancher ce débat, nous partons du « paradoxe
de Lucas », qui permet d'apporter un autre regard sur la controverse
« prêts-versus-dons » ou mieux, de concilier les points de vue
existants. Lucas (1990) se demandait pourquoi le capital ne quitte pas les pays
riches pour aller s'investir dans les pays pauvres ? Selon le modèle
néoclassique, les productivités moyenne et marginale du capital
sont décroissantes. Le capital serait alors plus productif dans les pays
pauvres où le stock de capital est faible. Et donc les pays pauvres
devraient faire face à un investissement massif, venant des pays riches.
Malheureusement, tel n'est pas le cas. L'explication que fournit Lucas à
ce paradoxe est basée sur les « externalités »
liées au stock de capital (humain et physique) dans
l'économie.
La productivité du capital (et donc l'investissement
public et privé) est liée à la présence dans
l'économie d'actifs complémentaires (routes, haut niveau
d'éducation de la population, télécommunications, ports,
...). La défaillance de ces actifs dans les pays pauvres rend le capital
moins productif. La rentabilité de l'investissement est donc faible dans
ces pays. C'est pourquoi le capital ne va pas s'investir dans les pays pauvres.
Cet échec des règles du marché justifie la
nécessité d'une aide extérieure pour financer
l'accumulation du « capital primitif » qui devra atteindre un certain
niveau au-delà duquel l'investissement devient profitable dans ces pays.
L'accumulation du « capital primitif » devrait donc être
financée exclusivement par des dons. Mais lorsque ce dernier atteint un
certain seuil (seuil de profitabilité), le financement par des
prêts est aussi possible, puisque le pays pourra dans ce cas faire face
au service de la dette. L'exemple de la Corée présenté
dans l'introduction de ce travail semble correspondre à ce
schéma.
En somme, l'analyse « prêts-versus-dons » est
très controversée et ne permet pas d'opérer un choix
clair, sans équivoque entre les deux modes de financement (les
prêts et les dons). Même si les dons paraissent avoir un effet
désincitatif dans le pays receveur, le financement par des prêts
peut entraîner les pays les plus pauvres dans une situation de
surendettement qui va nécessiter à terme, des remises de dettes.
Les annulations fréquentes de dettes et l'octroi
répété de prêts à titre défensif
peuvent par ailleurs avoir les mêmes répercussions, si bien qu'en
définitive, les pays emprunteurs en viennent à assimiler les
prêts assortis de conditions favorables à des dons. Il en
résulte qu'à long terme, il y a équivalence entre les deux
modes de financement (prêts et dons) ; dans la mesure où le
surendettement va entraîner l'annulation de la dette du pays. La
conclusion serait alors simple. Les prêts, auss bien que les dons ont
leur place dans le financement (ou encore l'aide) aux pays pauvres. Il
appartient aux donateurs d'établir un partenariat avec le
bénéficiaire dans le but de trouver la meilleure combinaison
« prêts-dons » qui puisse satisfaire aux besoins de financement
de l'économie. Ce qu'on peut retenir de ce débat est en
référence aux études empiriques de Nunnenkamp et al.
(2005). Le caractère (prêt ou don) du financement ne serait pas
très décisif pour l'efficacité de l'aide au
développement.
S'il semble admis que le mode de financement (prêts ou
dons) n'est pas très déterminant dans l'explication de
l'efficacité de l'aide, il n'en est pas de même pour les
critères d'octroi de l'aide (Svensson 1999, Azam et Laffont 2003,
Dalgaards 2005). Dès lors, on peut se demander si les paradoxes «
aide-politiques économiques » et « aide-gouvernance » que
l'on vient de mettre en évidence pour l'Afrique sub-saharienne dans le
chapitre précédant ne sont pas liés à la politique
d'octroi de l'aide dans la région?
Section 2 : Critères d'allocation et
efficacité de l'aide
Une façon d'aborder le problème de
l'inefficacité de l'aide au développement en Afrique
sub-saharienne est de chercher à comprendre les principaux facteurs qui
expliquent son attribution. Quels sont les principaux critères
permettant d'expliquer l'octroi de l'aide internationale en Afrique
sub-saharienne?
Comment les différentes logiques d'attribution de
l'aide affectent-elles l'efficacité de l'aide au développement?
En quoi les critères d'octroi de l'aide en Afrique favorisent-ils ou
annihilent-ils la performance de la région en terme de réduction
de la pauvreté?
Dans un premier temps, on entreprend une analyse empirique sur
l'allocation internationale de l'aide en Afrique sub-saharienne. On montre
alors que seuls les critères de « besoin » et de «
proximité » avec le donateur expliquent l'octroi de l'aide dans la
région. Malheureusement, ces deux critères sont inefficients. Ils
débouchent sur les problèmes d'anti-sélection et
d'aléa de moralité. Le meilleur critère est le
critère d'efficacité qui consiste à conditionner l'aide
à l'adoption de bonnes politiques. C'est ce qu'on montre ensuite.
1. Sur quels critères l'aide est--elle
octroyée en Afrique subsaharienne ?
Nos spécifications économétriques
entreprises jusqu'ici nous amènent à admettre contre toute
attente que, l'aide ne favorise pas la croissance économique en Afrique
sub-saharienne. Elle serait même perverse. Ceci nous conduit à une
interrogation sur les raisons de son attribution. En effet, si l'aide n'aide
pas le développement, nous devons en définitive nous demander sur
quels autre fondements elle est accordée aux pays pauvres? Pour
répondre à cette question, un test économétrique
s'avère nécessaire.
Pour cela, on retient des variables explicatives susceptibles
de mesurer les différentes logiques d'attribution de l'aide
internationale. On distinguera principalement (en s'inspirant de la
littérature empirique) trois raisons d'attribution de l'aide,
exposées dans le chapitre 1 :
-- La logique de besoin : le revenu
par tête (PIB par habitant) est souvent utilisé pour
appréhender le niveau de besoin des pays bénéficiaires de
l'aide internationale. C'est ce que nous retenons ici.
-- La logique
d'intérêt--proximité: Une variable dummy, qui
prend la valeur 1 lorsque le pays considéré a des liens
privilégiés avec l'un des principaux pays donateurs, zéro
dans le cas contraire.
· En l'occurrence, les pays membres de la « zone
Franc » bénéficient d'un traitement particulier de la part
de la France, garanti par des accords internationaux (CERDI, 2001).
· De même plusieurs pays comme Kenya, Somalie,
Soudan, la RDC, le Sénégal, ... autoproclamés
alliés des Etats-Unis et qui ont signé avec ce dernier des
accords de défense ont pendant longtemps reçu un traitement
particulier des Etats-Unis, garantis par des accords ( Schraeder, Taylor et
al. 1998).
- La logique d'efficacité:
Nous retenons ici, à l'instar de Burnside et Dollar (2000),
l'indicateur
de politique économique comme un facteur
d'efficacité de l'aide.
«... Au début des années 1980,
l'administration de Mitterrand a entrepris une politique consciente et plus
efficace de l'intégration des anciennes colonies belges (Burundi,
Rwanda, RDC) dans la sphère française d'influence. En
conséquence, tout au long des années 1980, des montants
croissants de l'aide française ont été octroyés
à la RDC (461 millions de $), le Burundi (243 millions de $) et le
Rwanda (199 millions de $). Le Zaïre est particulièrement devenu un
champ de bataille diplomatique où les Etats-Unis et la France
concurrençaient pour leur influence.
Comme expliqué dans les mémoires de Jacques
Foccart (l'architecte de la diplomatie française en Afrique sous Charles
de Gaulle et Georges Pompidou), la France a perçu l'arrivée au
pouvoir de Mobutu Sésé Seko en tant que chef
inégalé du Zaïre pendant les années 1960 comme
facilitant la pénétration de l'influence anglosaxonne dans le
plus grand pays francophone d'Afrique; et donc comme une victoire claire des
intérêts américains sur ceux de la France. Des politiques
françaises d'aide ont été conçues dans les
années 1980 pour renverser cet échec perçu», (Hook S.
W., Schraeder P. J and Taylor B., 1998).
«L'aide japonaise a du mal à
«pénétrer» les pays francophones parce que le
gouvernement français a toujours protégé sa zone
d'influence», (Hook S. W., Schraeder P. J and Taylor B., 1998).
« Durant la décennie 1980, les régimes
autoproclamés marxistes d'Ethiopie, de Mozambique et d'Angola
étaient privés de l'aide américaine; alors que les
régimes capitalistes comme le Kenya, le Sénégal, la RDC
étaient traités comme des alliés idéologiques et
donc privilégiés ... Alors que les régimes capitalistes
recevaient 88% de l'aide américaine, les régimes marxistes et
socialistes n'en ont reçu que 6% ...
Les Etats-Unis ont soutenu avec force leurs alliés
africains, même ceux qui avaient les taux de croissance les plus mauvais.
Par exemple, l'un des plus grands bénéficiaires de l'aide
américaine en 1989 était le régime zaïrois de Mobutu
Sésé Séko, un leader autoritaire qui en 1965 a pris le
pouvoir par un coup d'état militaire, et qui utilisait l'aide
extérieure pour s'armer et se maintenir au pouvoir alors que sa
popularité baissait ... Des relations et politiques extérieures
similaires liaient les Etats- Unis à d'autres alliés autoritaires
en Afrique comme l'Egypte, le Liberia, la Somalie et le Soudan qui
étaient parmi les dix premiers bénéficiaires de l'aide
américaine dans les années 1980 », (Hook S. W., Schraeder P.
J and Taylor B., 1998).
En fin, on retiendra que dans l'attribution de l'aide aux pays
d'Afrique subsaharienne,
le niveau des besoins et l'intérêt du pays
donateurs sont les seuls critères déterminants. En fait, la
politique d'aide ne se préoccupe que très peu de
l'efficacité ou de l'utilisation qui en sera faite. L'aide va ainsi
beaucoup plus vers les pays dotés de mauvaises institutions mais qui ont
des liens privilégiés avec les pays donateurs ou qui ont un
niveau de pauvreté important. Il en a été ainsi par
exemple dans l'ex Zaïre de Mobutu Sésé Séko,
où bien que le pays vivait une situation
économico-institutionnelle calamiteuse, l'aide n'a pas cessé
d'affluer.
Dans ces conditions, l'attribution de l'aide pose un certain
nombre de problèmes dont les problèmes d'incitation dans les pays
aidés à assainir le climat des affaires, comme nous l'avons
étudié précédemment (chapitre 5). Plus un
régime maintient sa population pauvre, plus il reçoit d'aide. Un
régime qui se sent solidement lié aux principaux donateurs n'aura
aucune incitation à faire de réforme; puisque dans tous les cas,
il est sûr de l'afflux de l'aide. On montre par la suite que de telles
allocations de l'aide conduisent à l'anti-sélection et sont donc
inefficientes.
2. Allocation de l'aide, l'anti--sélection et
l'efficience
Nous venons de voir dans la section précédente
à travers une analyse empirique des raisons de l'octroi de l'aide en
Afrique sub-saharienne que seules deux logiques sont déterminantes : le
niveau des besoins du receveur et l'intérêt ou encore la
proximité avec le donateur. L'aide pose dans ces conditions un certain
nombre de problèmes bien connus dont : la désincitation au
travail (déjà étudié), l'anti-sélection et
l'aléa de moralité.
La littérature qui utilise ces trois critères
d'octroi de l'aide (besoin, efficacité,
intérêt/proximité) ne s'est jamais demandée lequel
est le plus pertinent. Il semble a priori que le critère
d'efficacité soit le meilleur. Il est indispensable de comprendre
pourquoi. C'est ce que nous montrons ici. Pour analyser la pertinence des
principaux critères d'octroi, on fait l'hypothèse que l'aide vise
avant tout,
la réduction de la pauvreté. On suppose comme
dans notre analyse du chapitre précédent que le nombre de
personnes effectivement tirées de la pauvreté dépend de la
qualité de la gouvernance dans le pays aidé (corruption moindre,
Etat de droit, institutions saines, bonnes politiques économiques,
dépenses publiques pro-pauvres, ...), qui détermine la
productivité de l'investissement. Le nombre de personnes sauvées
dépend également du nombre total initial de pauvres dans le pays
considéré, ainsi que du niveau de l'investissement dans le pays.
On montre alors que seule une allocation de l'aide basée sur
l'efficacité est optimale.
2.1. Présentation du modèle
On suppose que pour un pays sous-développé
bénéficiaire d'aide donné, le nombre d'individus
tirés de la pauvreté grâce à l'aide, au cours d'une
période T donnée est
déterminée par:
?N = N.F(Z) (1)
Où ?N représente le
nombre de personnes sauvées de la pauvreté. N
supposé suffisamment grand, désigne le nombre total
de pauvres dans le pays considéré en début de
période. Z est le montant de l'aide
reçue au cours de la période T et
F(Z) une fonction de réduction de
pauvreté qui dépend du volume d'aide reçue au cours de la
période considérée (T), qui peut
être de 1, 2, 3, 5 ou 10 ans (ou même plus).
On supposera ensuite que:
(2)
Où désigne un indicateur de la qualité de la
gouvernance dans le pays considéré. Il
prend par hypothèse (comme précédemment),
deux valeurs possibles:
orsque le pays considéré a une qualité de
gouvernance faible et orsque
la qualité de la gouvernance dans le
pays considéré est bonne; avec
On supposera en outre que:
et que: La productivité marginale de l'aide en terme de
réduction de la pauvreté est positive et décroissante.
Pour Z = 0 (sans aide), le nombre de
personnes tirées de la pauvreté grâce à l'aide est
nul (?N = 0 ). On aura donc Q(0) = 0
.
La figure ci-dessus représente le nombre de personnes
tirées de la pauvreté (?N ) en fonction
de l'aide reçue en supposant i (e) et
N donnés.
Fugure II-8 : Aide et reduction de la
pauvreté
A partir de ce modèle simple, on se propose
d'étudier comment les critères d'attribution de l'aide affectent
le résultat final, qui est la réduction de la pauvreté. On
montre que seule une allocation qui tient compte de la qualité de la
gouvernance dans le pays considéré est optimal.
2.2. Allocation de l'aide selon le besoin et
l'anti-sélection
On considère deux pays pauvres A1 et A2 donnés,
bénéficiaires d'aide internationale. Le temps est discret, et
supposé infini : T =1, 2, 3, .... En début de la première
période (T =1), les deux pays ont un même nombre de pauvres N1 =
N2 = N supposé connu. Une institution « bienfaitrice » B
(qui peut être un pays développé ou une institution
internationale du type ONU, Banque mondiale, PNUD, ...) se propose d'aider les
deux pays pauvres. B leur octroie de l'aide au développement. L'objectif
poursuivi à travers cette aide est la réduction de la
pauvreté. A l'instar de Svensson (2000) et Azam et Laffont
(2003), nous supposons qu'à chaque période, B met à
la disposition des deux pays pauvres ( A1 et A2 ) une enveloppe totale d'aide
égal à Z , supposée fixée (exogène). Par
hypothèse, le montant total d'aide Z est distribué entre
les deux pays selon leur niveau de besoin, évalué à l'aune
du nombre de pauvres dans le pays considéré. Ainsi Z est
distribué proportionnellement à N1 et N2 .
Pour N1 et N2 supposés connus, on a :
Où Zi désigne le montant d'aide
reçu par le pays Ai et NT = N1+N2 (le nombre total de pauvres
dans les deux pays).
Le souhait du donateur B est de tirer de la
pauvreté au cours de chaque période, le maximum de personnes avec
le montant d'aide Z . La qualité de la gouvernance est
supposée connue dans les deux pays.
Elle est de faible qualité dans le pays A1 (niveau de
corruption élevé, mauvaises politiques économiques,
absence d'Etat de droit, ...) si bien que ì1= 1(e)=
ìL. A l'inverse, la qualité de la gouvernance dans le
pays A2 est supposée bonne si bien que ì2= (e ) ìH
.
Sous ces hypothèses, la réduction de la
pauvreté dans chaque pays au cours de la première période
est donnée par:
Pour le pays A1 :
Pour le pays B2 :
Puisqu'en début de la première période le
nombre de pauvres est le même dans les deux pays, le montant d'aide que
recevra chacun des deux est:
On a alors:
Pour le pays A1 :
Pour le pays A2 :
La représentation graphic donne
FugureII--9 : Gouvernance et réduction de la
pauvreté
La qualité de la gouvernance étant faible dans le
pays A1 , l'aide est moins productive dans ce pays. Avec le même montant
d'aide, on tire plus de personnes de la pauvreté dans le pays A2 que
dans le pays A1 .
En début de la deuxième période, le nombre
de pauvres dans chacun des deux pays est donné par: Pour le pays
A1 : N'1 = N- ?N1 = N-?LNQ(z)
Pour le pays A2 : N2 = N-?N'' =
N-?NQ(z)
Puisque par hypothèse et donc
Pour tout
le nombre de pauvres dans le pays 1 A est supérieur au
nombre de pauvres dans le pays 2 A . L'aide étant distribuée
proportionnellement au nombre de pauvres (selon la logique du besoin), elle ira
plus vers le pays A1 ; c'est-à-dire vers l'opportunité où
elle sera moins efficace.
En d'autres termes, l'aide que B octroie va plus vers le
mauvais partenaire de développement. On peut de manière abusive,
qualifier cette situation de sélection adverse, étant
donné que par hypothèse, le souci du donateur est de tirer de la
pauvreté, le maximum de personnes.
Outre la situation ci-dessus étudiée, le
modèle suggère un autre problème. Comme l'aide
internationale représente une part importante des ressources de la
plupart des pays pauvres, une telle allocation peut inciter le pays A2 aussi
à mener des politiques volontaires d'appauvrissement,
Dans une certaine mesure, la réduction de la
pauvreté dans le monde peut être considérée comme un
bien public mondial (Azam et Laffont 2003 ; Bigsten 2005). De ce fait,
lorsqu'il y a une multitude
pour bénéficier de plus d'aide. On a là
un problème d'aléa de moralité. Il peut notamment
atténuer ses efforts en matière de réduction de la
pauvreté pour éviter le tarissement de ses ressources d'aide les
périodes suivantes. Et donc, la qualité de la gouvernance
ì (e) va baisser dans ce pays.
Section 3 : Coordination des donateurs et
efficacité de l'aide
Le problème fondamental ici est d'identifier l'impact
que le manque de coordination peut avoir sur l'efficacité de l'aide.
Ceci peut se faire à travers l'étude de l'impact de la
coordination sur la conditionnalité et les politiques économiques
des pays récipiendaires. En effet, nous avons montré plus haut
que la qualité des institutions et des politiques inappropriées
expliquent le sentier de croissance en Afrique. On peut alors se demander
comment le manque de coordination influencet-il les institutions et les
politiques économiques dans les pays receveurs. Comment la politique
d'aide peut-elle être plus efficiente à travers la coordination
des donateurs?
1. Coordination et gouvernance dans le pays receveur
Le terme « coordination » en matière de
l'aide au développement fait référence à «
l'harmonisation » des politiques d'aide, au niveau des donateurs. Selon
Balogun (2005), la coordination est caractérisée par trois
facteurs principaux:
> L'uniformisation des politiques en matière de
planification, de management et de déboursement de l'aide
> La simplification progressive des procédures en
vue de réduire leur fardeau excessif pour les gouvernements partenaires
(receveurs)
> Le partage des informations dans le souci de promouvoir
la transparence et d'améliorer l'organisation des projets et programmes
de développement.
Le problème de coordination de l'aide internationale
occupe une place de plus en plus importante dans le débat sur
l'efficacité de l'aide. Ceci à la suite du constat selon lequel,
la non harmonisation des pratiques au niveau des donateurs constitue une
explication importante de l'échec de la conditionnalité de l'aide
internationale. Nous avons montré plus haut qu'en allouant l'aide selon
la logique d'efficacité, l'aide peut inciter le receveur à
l'effort (améliorer la qualité de la gouvernance). Le manque de
coordination est donc une source d'inefficacité de l'aide
internationale.
En effet, selon Torsvik (2005), sans la coordination au niveau
des donateurs, l'aide n'exerce aucun effet sur la qualité des politiques
et institutions dans le pays receveur. Dans son modèle, la fonction
d'utilité du gouvernement receveur a deux composantes : la consommation
des riches, et celle des pauvres. Se pose alors la question de savoir si l'aide
permet dans cette situation d'augmenter l'incitation du gouvernement receveur
à utiliser les ressources domestiques pour aider ses pauvres. Il montre
que si le receveur n'a pas les mêmes priorités que les donateurs,
et si aucun contrat effectif ne permet d'aligner leurs intérêts,
on débouche sur un conflit. Il montre ensuite que si les donateurs
peuvent s'unir, un contrat d'aide conditionnelle qui influence les «
politiques économiques » du gouvernement receveur est toujours
souhaité avec la coordination. Quand un gouvernement receveur traite
à la fois avec plusieurs donateurs, avec des accords différents,
il peut se trouver en face de conditionnalités conflictuelles. Aucun
engagement ne sera dans ce cas honoré, et cela se solde par
l'échec de la conditionnalité et une bureaucratie excessive
(Knack et Rahman, 2004). L'aide extérieure sera alors utilisée
pour financer la consommation des riches; son efficacité sera dans ce
cas faible.
2. Problème du passager clandestin en l'absence de
coordination
d'institutions qui opèrent à la fois dans ce
domaine notamment à travers l'aide, les responsabilités en
matière de succès ou d'échec sont diffuses, et aucun
donateur isolé ne se sent en situation d'obligation de résultat
dans le pays receveur. Aucun donateur ne se sent responsable des
réussites ou de l'échec de l'aide. Se pose alors le
problème du « passager clandestin ». Les donateurs s'attachent
plutôt dans ce cas à leurs propres intérêts
(politiques, stratégiques, commerciaux, énergétiques,
sécurité, ...). Chaque donateur cherche à marquer sa
présence sur le terrain, et les actions en matière de
développement sont plutôt diffuses, avec des objectifs de
développement différents selon les donateurs. Il en
résulte un résultat moindre en matière de
développement global (Knack et Rahman, 2004).
3. Multiplicité des coûts et alourdissement de
la bureaucratie
Lorsque plusieurs donateurs financent à la fois un
même projet ou programme dans un pays donné (financement
conjoint), le manque ou une insuffisance de coordination engendre une
augmentation des coûts de transactions ; définis selon Brown et
al. (2000) comme les coûts de préparation, de négociation,
du monitoring et d'applications des accords. La multiplicité des
donateurs qui opèrent dans un même pays receveur est un facteur
qui influence négativement la bureaucratie de l'aide (Knack et Rahman,
2004). Le receveur doit faire face à une répétition de
procédures avec différents donateurs. Il en résulte une
multiplicité des Plusieurs autres auteurs (comme Easterly 2003 ; Alkali
1989)68 considèrent le fonctionnement de la bureaucratie de
l'aide comme trop lourd, excessif. Ce qui expliquerait une bonne partie de
l'échec de plusieurs projets de développement. En effet, la
complexité et la lourdeur de la bureaucratie de l'aide fait que les
décideurs sont parfois coupés, ou mieux n'ont pas de contact
direct, avec les populations pauvres qu'ils prétendent aider. Ce qui
fait que les réalisations ne répondent pas toujours aux attentes
des populations bénéficiaires. Les contradictions
enregistrées au Mali en 1995, où les meneurs des projets ont
estimé les résultats satisfaisants, alors qu'une enquête
menée auprès des populations pauvres quelques années plus
tard a révélé carrément le contraire illustre bien
cette situation.
En cas de financement conjoint, chaque donateur envoie des
représentants sur place, qui sont souvent des expatriés. Leur
prise en charge, incluse dans le budget représente de véritables
manques à gagner. Alkali (1989) décrit comment la bureaucratie de
l'aide a fonctionné au Nigeria entre 1981 et 1984. L'Etat de
`'Baiuchi»a bénéficié du financement d'un projet de
développement agricole, d'un montant de 132 millions de dollars US. Les
principaux experts étaient tous des expatriés; et en tout, 64
personnes ont été expatriées et installées dans
l'Etat de `'Baiuchi»durant quatre ans (1981-1984). Leurs traitements ont
coûté 27 millions de dollars sur les 132 du budget d'aide
(Easterly, 2003). Un autre cas très frappant est celui du Mozambique,
où sur 405 projets de développement du Ministère de la
Santé, les coûts administratifs avaient absorbé 30 à
40 pour cent des fonds alloués à ces projets (Wuyts 1996).
4. Allocation inefficiente des ressources en l'absence de
coordination
Un problème évident qu'un manque de coordination
au niveau des donateurs peut créer est le partage de l'information. Un
partage non optimal des informations entre différents donateurs,
résultat d'une mauvaise coordination peut conduire à une
allocation inefficiente des ressources d'aide entre les receveurs, et/ou
à travers les différents projets. Certains secteurs peuvent faire
face à un sur-financement alors que d'autres manquent de ressources
comme ce fut le cas après le Tsunami de 2004. Si on considère que
les projets sont complémentaires, le manque de coordination au niveau
des donateurs qui entraîne une mauvaise allocation des ressources
représente un facteur d'inefficacité de l'aide.
68 Voir par exemple `'the cartel of good
intention: the problem of Bureaucracy in foreign aid», William Easterly
(2003).
En somme, le manque de (ou une faible) coordination au niveau
des donateurs génère plusieurs problèmes : celui du «
passager clandestin », l'alourdissement de la bureaucratie de l'aide, la
multiplicité des coûts. Ces facteurs constituent une source
d'inefficacité de l'aide. Se pose alors la question de savoir pourquoi y
a-t-il un manque ou une insuffisance de coordination au niveau de l'aide
internationale ? Une raison évidente est le fait que les
différents donateurs aient souvent des intérêts dans les
pays pauvres qu'ils veulent sauvegarder. Il arrive même que plusieurs
donateurs soient en concurrence dans un pays donné (Bigsten, 2005). Le
fait que la logique d'intérêt ou de proximité soit
très pertinente dans l'explication de l'allocation internationale de
l'aide au développement milite en faveur de cette thèse. L'aide
internationale devient alors un élément de compétition
entre les différents donateurs comme nous l'avons montré dans le
chapitre précédent. Frey et Schneider (1986) aboutissent à
la même conclusion.
En conséquence, la plupart des grands donateurs (pays
développés) préfèrent procéder
par des accords bilatéraux qui constituent un moyen de
protection de leurs intérêts. Si les donateurs veulent vraiment
aider les pays pauvres, ils doivent revoir leurs pratiques actuelles. Il est
notamment nécessaire que le système d'aide au
développement soit bien coordonné. Une solution au
problème de coordination est d'accorder une place plus importante aux
bailleurs de fonds multilatéraux dans le système d'aide
internationale. Quand le Président des Etats-Unis Harry Truman (1949) a
proposé l'aide extérieure, il a exhorté les donateurs
à « mettre en commun leurs ... ressources » pour une «
entreprise coopérative dans laquelle toutes les Nations travaillent
ensemble à travers les Nations Unies ... quand cela est
réalisable ». Le rapport retentissant de la Commission Pearson
(1969, 228-9) a insisté sur la nécessité de standardiser
la planification, les programmes et l'évaluation des donneurs pour
chaque bénéficiaire, mais aussi afin d'accroître fortement
la part de l'aide passant par les multilatéraux. Plus récemment,
le rapport de la Commission Blair (2005) parle du besoin d'outils de
coordination tels que « des évaluations conjointes des besoins
», pour améliorer l'impact de l'aide en Afrique. Il est alors
temps, que des actions concrètes se réalisent pour une meilleure
coordination de l'aide. L'ONU pourrait par exemple être le principal
centre de décision. Cela affectera la gouvernance dans les pays
receveurs et par là, l'efficacité de l'aide au
développement.
Une des caractéristiques principales de l'aide Marshall
(souvent citée comme un succès) est que les pays receveurs
traitaient avec un seul donateur. Un autre exemple est le cas de la Chine, qui
a opéré des réformes substantielles pour entrer dans l'OMC
(Organisation Mondiale du Commerce). Plus récemment, les pays d'Europe
de l'Est qui traitent avec un donateur principal, l'Union Européenne
(UE), ont opéré des changements institutionnels importants dans
le souci d'entrer dans l'Union. Ces pays ont significativement et rapidement
amélioré la qualité de leurs institutions et la
gouvernance en général; ce qu'ils n'ont pas pu réaliser
avec la communauté internationale tout entière depuis
l'après-guerre. Le Succès de l'aide en Corée du Sud,
à Taiwan et au Botswana aussi est en parti dû au fait que ces
économies faisaient face à un seul donateur ou un donateur
dominant (Knack et Rahman, 2004). Au contraire, la plupart des pays
récipiendaires aujourd'hui qui traitent avec plusieurs donateurs
à la fois avec des projets et programmes disparates comme c'est le cas
en Afrique sub-saharienne ont du mal à adapter leur environnement
politico-institutionnel aux exigences de l'heure. L'aide se solde dans la
plupart de ces cas par un échec.
CONCLUSION PARTIELLE
Les pratiques des principaux donateurs en matière
d'aide au développement peuvent constituer un facteur déterminant
de l'inefficacité de l'aide en Afrique subsaharienne. Mode de
financement, planification et politique d'octroi de l'aide, ... Tous ces
facteurs devraient être conçus de manière à
créer des incitations favorables à l'efficacité de l'aide
internationale. Ce qui n'est malheureusement pas le cas en Afrique.
Si à long terme l'équivalence entre les
prêts et les dons semble être admise, les différentes
logiques d'attribution de l'aide peuvent quant à elles conduire à
des résultats différents. Dans l'évaluation empirique des
raisons de l'allocation internationale de l'aide en Afrique sub-saharienne,
nous aboutissons à la conclusion selon laquelle le critère
d'efficacité n'est pas pris en compte. Seuls les liens de
proximité avec les donateurs et le niveau des besoins des pays
récipiendaires paraissent déterminants dans l'explication de
l'allocation internationale de l'aide. Sans tenir compte de la qualité
de la gouvernance dans les pays receveurs, l'aide va plus vers les pays mal
gouvernés, et qui ont des liens privilégiés avec les
principaux donateurs. Une telle allocation de l'aide internationale conduit au
problème de sélection adverse et d'aléa de moralité
chez le récipiendaire en matière de réduction de la
pauvreté. L'aide extérieure désincite notamment le
receveur à faire l'effort.
Pour une meilleure efficacité de l'aide, il serait
mieux qu'on conditionne l'aide à l'adoption de politiques
appropriées, comme celles favorables à la réduction de la
pauvreté. Une telle pratique nécessite une harmonisation des
politiques d'aide au niveau des donateurs. Malheureusement, elle bute sur une
mauvaise coordination au niveau des donateurs, qui accordent bien trop souvent,
plus d'importance à leurs propres intérêts. Cette mauvaise
coordination crée des coûts supplémentaires liés
à la gestion de l'aide, l'alourdissement de la bureaucratie et pose le
problème de responsabilité en cas d'échec. Aucun donateur
ne se sent finalement en obligation de résultat, ou concerné en
cas d'échec. On se trouve ainsi en face du problème commun
à l'ensemble des biens publics : le problème du passager
clandestin. Un réajustement des politiques actuelles d'aide est alors
nécessaire face à l'augmentation inquiétante de la
pauvreté dans la région.
CONCLUSION POUR LA DEUXIEME PARTIE
L'aide au développement ne semble pas aider le
développement en Afrique sub-saharienne. Dans cette deuxième
partie, on a examiné les raisons susceptibles d'expliquer
l'inefficacité de l'aide dans la région. Même si
l'idée selon laquelle les économies africaines sont prises au
piège de la pauvreté n'est pas à écarter
totalement, l'inefficacité de l'aide au développement en Afrique
ne semble pas liée au volume de l'aide. En effet, même sur la
période où l'aide à l'Afrique subsaharienne a
été suffisamment forte, elle n'a pas favorisé le
développement. De plus, même pour les pays qui vraisemblablement
ne sont pas pris au piège de la pauvreté, l'aide est
inefficace.
Les explications les plus plausibles de l'échec de
l'aide dans la région sont la qualité de la gouvernance dans les
pays receveurs et les politiques d'aide des principaux donateurs. Une gestion
économique malsaine serait associée à l'aide au
développement dans les pays receveurs. Nos résultats
révèlent que la qualité de la gouvernance dans les pays de
la région fait que, l'aide entraîne une augmentation de la
consommation et donc une baisse de l'épargne domestique.
L'investissement dans le pays récipiendaire que devrait financer l'aide
n'augmenterait pas véritablement. Plus étonnant, l'aide qui est
censée lutter contre la pauvreté n'augmente pas la consommation
des populations pauvres. Mais celle d'une classe de «
privilégiés ». On peut alors comprendre pourquoi
malgré l'augmentation de la consommation que crée l'aide
internationale, la pauvreté augmente en Afrique subsaharienne.
Si la productivité de l'aide dépend de son
utilisation dans le pays receveur, l'efficacité de l'aide serait
différente selon la qualité de la gouvernance dans le pays
considéré. C'est ainsi qu'on a intégré la
qualité de la gouvernance dans notre analyse. Le résultat
suggère alors curieusement que l'aide exerce un impact négatif
sur l'activité économique dans le pays receveur. Nos analyses
révèlent que cette perversité de l'aide serait due aux
effets d'incitation que l'aide crée au niveau du gouvernement
aidé. Non seulement l'aide exerce un effet néfaste significatif
sur l'épargne et l'investissement domestiques, mais aussi elle
désincite à l'effort. L'aide internationale encourage l'adoption
de politiques inappropriées dans les pays receveurs. De façon
générale donc, l'aide extérieure engendre une
désincitation à l'effort nécessaire pour que les pays
pauvres sortent du sous-développement.
Le paradoxe de la perversité de l'aide, serait
lié aux pratiques des donateurs. Leurs politiques d'aide seraient
à la base des effets néfastes que l'aide crée. En effet,
s'il semble admis qu'à long terme, il y a équivalence entre les
différents modes de financement (prêts, dons ou même une
combinaison des deux), les principaux critères d'attribution de l'aide
ne seraient pas quant à eux neutres en terme d'incitation. La logique du
besoin et/ou de proximité avec le donateur n'encourageraient pas le pays
aidé à faire d'effort, à entreprendre les réformes
politico-institutionnelles nécessaires pour une meilleure performance
économique et donc, une meilleure efficacité de l'aide. L'aide
pose dans ce cas un problème d'antisélection. Le meilleur
critère d'attribution de l'aide serait le critère
d'efficacité. Malheureusement, il est le moins pertinent dans
l'explication de l'allocation internationale de l'aide au développement
en Afrique sub-saharienne. Les résultats de nos analyses rejoignent ceux
de Svensson (2000) et Alesina et Weder (2002) selon lesquels l'aide va plus
vers les pays dont la qualité de la gouvernance est moins bonne.
En effet, en accordant trop souvent, plus d'importance
à leurs propres intérêts, les grands donateurs
supporteraient plus des régimes institutionnellement défaillants.
La pratique de l'aide conditionnelle serait presque inexistante (ou faible) en
Afrique sub-saharienne. Aussi note-t-on une mauvaise coordination de l'aide qui
est liée à l'égoïsme des pays donateurs. Cette
défaillance organisationnelle au niveau des donateurs alourdit la
bureaucratie de l'aide, ainsi que les coûts liés à la
gestion de l'aide au développement. La mauvaise harmonisation des
politiques au niveau des donateurs est un autre véritable
problème. Elle profite aux régimes « prédateurs
» qui peuvent surfer sur l'insuffisance de la coordination au niveau des
donateurs pour faire échouer la conditionnalité de l'aide
internationale. Dans ce cas, l'aide sera octroyée malgré le fait
que les réformes nécessaires en matière de gouvernance au
niveau du pays receveur ne soient pas entreprises. L'aide ne peut alors
être efficace.
CONCLUSION GENERALE
Depuis que l'aide internationale au développement
existe, on s'est légitimement interrogé sur ses fondements et la
mesure de son impact. Telle a été notre préoccupation tout
au long de ce travail, qui a porté sur l'Afrique subsaharienne.
Même si l'aide peut se justifier par la nécessité d'une
politique de redistribution à l'échelle planétaire, elle
vise un objectif fondamental : la lutte contre la pauvreté ou encore
l'amélioration des niveaux de vie dans les pays pauvres. L'aide semble a
priori ne devoir se justifier véritablement que par son impact à
ce niveau.
Pour atteindre cette cible, l'aide devrait permettre aux pays
pauvres où l'épargne est insuffisante, d'augmenter leur niveau
d'investissement pour favoriser la croissance économique. Le
décollage économique entraînera une amélioration du
revenu des couches défavorisées de la population, et
l'augmentation du revenu à son tour va entraîner des
progrès sur le plan social.
Malheureusement, plus de cinquante ans d'aide au
développement n'ont pas permis de faire baisser la pauvreté dans
le monde. Elle serait même en augmentation. La situation est même
inquiétante en Afrique sub-saharienne où on assiste à une
effective paupérisation de la population, avec une dégradation
constante des conditions de vie. Et pourtant, l'Afrique sub-saharienne est la
première région bénéficiaire d'aide dans le monde.
Pour élucider ce paradoxe, nous avons analysé l'impact de l'aide
internationale sur le niveau de vie des populations de la région.
Il ressort de cette étude que les pays de l'Afrique
sub-saharienne enregistrent depuis les années 1970, des
difficultés de croissance économique que l'aide au
développement n'a pas permis de résoudre. Les résultats de
notre analyse nous amènent à conclure que l'aide en Afrique
sub-saharienne n'a pas eu d'impact positif sur la croissance économique.
D'autres variables comme le niveau initial des revenus, la qualité des
politiques économiques suivies et la gouvernance en
générale paraissent plus déterminantes dans l'explication
du sentier de croissance économique de la région. L'aide
reçue n'a pas généré les effets escomptés.
Pour comprendre le phénomène de l'aide internationale en Afrique
subsaharienne, nous avons analysé les trois principales raisons qui
peuvent être à la base de son inefficacité. La raison le
plus couramment évoquée est l'insuffisance de l'aide. Nos
résultats dans ce travail, suggèrent que l'inefficacité de
l'aide en Afrique sub-saharienne ne dépend pas du volume de l'aide. Elle
serait surtout liée à deux grandes causes : d'abord la
qualité de la gouvernance dans le pays receveur, qui détermine
l'utilisation qui est faite de l'aide reçue. Ensuite l'incitation que
l'aide crée au niveau du receveur, et qui est liée à la
politique d'aide au niveau des
donateurs. L'inefficacité de l'aide internationale au
développement en Afrique subsaharienne est donc beaucoup plus un
problème de politique qu'un problème de volume.
Dans l'attribution de l'aide aux pays d'Afrique
sub-saharienne, le niveau des besoins et l'intérêt du pays
donateur sont les principaux critères déterminants. Le fait que
le niveau d'aide reçu dépende de l'étendu des besoins
semble normal. Mais lorsqu'on lui accorde trop d'importance, il est
néfaste; surtout lorsque le facteur d'efficacité n'est pas pris
en considération. Sans se préoccuper de la qualité de la
gouvernance ou de l'utilisation qui en sera faite (et donc du critère
d'efficacité), l'aide va beaucoup plus vers les pays dont la gouvernance
est moins bonne, mais qui ont des liens privilégiés avec les pays
donateurs ; et/ou qui ont un niveau de pauvreté élevé.
Ceci crée une désincitation à l'effort dans le pays
receveur et donc, n'encourage pas les gouvernements aidés à
entreprendre les réformes nécessaires pour le décollage
économique. L'aide internationale incite plutôt les gouvernements
récipiendaires à adopter des politiques appauvrissantes : «
plus ma population est pauvre, plus je reçois d'aide -- donc j'ai
intérêt à la garder pauvre ». L'aide crée ainsi
un problème d'aléa de moralité. Parce que l'aide soutient
des régimes peu favorables à un environnement
politico-économique sain, et qu'elle les encourage à adopter de
« mauvaises
politiques », elle ne peut promouvoir le
développement. Ceci expliquerait l'effet négatif de l'aide
internationale sur la croissance économique lorsqu'on a
intégré un indicateur de gouvernance dans notre analyse.
Une solution au « comportement » du receveur
(aléa de moralité) serait de conditionner l'aide à
l'adoption de politiques appropriées. Dans ce cas, le système de
l'aide fonctionnerait comme un marché où les pays receveurs
(considérés comme producteurs d'un bien qui est la
réduction de la pauvreté) feraient constamment des efforts pour
attirer les clients (les donateurs qui aimeraient avoir accès à
un maximum de biens (nombre de personnes tirées de la pauvreté)
pour chaque dollar de ressource (ou aide). Puisque l'aide irait alors vers le
pays qui l'utilise efficacement, elle va créer cette fois-ci une
incitation à l'effort. Les pays receveurs feront d'effort pour se
qualifier à l'aide ; ce qui va accroître la productivité de
l'aide internationale. On aurait ainsi des meilleurs résultats en terme
de développement global.
Malheureusement, de telles politiques ont souvent
échoué parce que les principaux donateurs ont du mal à
harmoniser leurs pratiques. Ils accordent trop souvent, plus d'importance
à leurs propres intérêts, et utilisent l'aide comme un
instrument de politique étrangère. L'aide sert souvent
d'élément de compétition entre les différents
donateurs dans les pays pauvres. Ce fut par exemple le cas de la RDC, l'ex
Zaïre où Mobutu Sésé Séko était
vaillamment soutenu par les grandes puissances et bénéficiait de
sommes importantes d'aide malgré le fait que les donateurs fussent
conscients qu'il utilisait cette aide non pas pour lutter contre la
pauvreté, mais pour s'armer contre son peuple de plus en plus
révolté. Lorsque la qualité de la gouvernance est faible
dans un pays pauvre donné, une bonne coordination au niveau des
donateurs est indispensable et permettrait non seulement aux populations
pauvres de bénéficier des ressources d'aide, mais aussi aux
donateurs d'amener le gouvernement aidé à entreprendre les
réformes nécessaires.
Burnside et Dollar (1997) dans une analyse sur un
échantillon mondial des pays en développement trouvaient un
coefficient « Aide-politique économique » positif et
significatif; ils concluaient que l'aide favorise la croissance quand elle est
associée à de bonnes politiques économiques.
Easterly, Levine et Roodman (2003) dans une analyse sur un
autre échantillon mondial, plus grand, avec une période plus
longue trouvaient un coefficient « Aide-politique économique »
négatif et non significatif. Ils remettaient en cause
l'efficacité de l'aide à favoriser la croissance, même
lorsqu'elle est associée à de bonnes politiques
économiques.
Dans notre régression sur l'Afrique sub-saharienne,
nous trouvons un coefficient « Aide-politique économique »
négatif et significatif. Cela voudrait dire que non seulement l'aide est
inefficace en Afrique sub-saharienne, mais elle est contre productive.
Alors que la politique économique a un effet positif et
significatif sur la croissance, l'aide vient curieusement détruire cet
effet. Ce qu'on peut suggérer ici est en référence avec
les trois positions exposées dans le chapitre 2 de la première
partie de ce travail ; la philosophie de la Banque Mondiale pour laquelle
l'aide est efficace, la position marxiste pour laquelle l'aide est une forme
d'exploitation, la position actuelle selon laquelle l'aide est inefficace. Nous
venons de voir qu'il est insuffisant de prétendre que l'aide est
inefficace. L'aide est perverse. Faut-il pour autant adopter la position
marxiste ? Doit-on condamner l'aide internationale ? Doit-on cesser d'aider les
pays pauvres?
Une alternative serait sans doute de tenir compte de la raison
que nous avons suggérée comme étant à la base de
cet effet pervers de l'aide sur la croissance économique. Nos
suggestions concernant le fait que l'aide favorise avant tout, la consommation
présente, et la consommation présente d'une classe de «
privilégiés » méritent un peu d'intérêt.
L'aide crée un cercle vicieux dans lequel, les dirigeants
«prédateurs» rassurés du soutien de leurs alliés
occidentaux, n'ont aucune incitation à assainir le climat de la vie
politique et économique de leur pays.
Les pratiques des anciennes puissances coloniales
créent une forme de clientélisme voire d'accaparement de l'aide
par des coalitions d'intérêts prédatrices. C'est ainsi que
l'aide devient perverse. En effet, si l'aide finance des régimes
corrompus, prédateurs, qui mènent de mauvaises politiques,
puisque ces derniers sont néfastes pour la croissance économique,
il y a de quoi comprendre la négativité de l'impact de l'aide sur
la croissance. Nos propositions pour une meilleure efficacité de l'aide
au développement sont principalement des recommandations de politiques.
Les donateurs doivent cesser de penser à leurs seuls
intérêts et de soutenir leurs alliés. Il est
nécessaire qu'on sépare l'aide au développement de la
politique étrangère. Pour cela, il est préférable
que l'aide transite par les organismes multilatéraux qui n'ont pas
d'intérêts particuliers à défendre dans tel ou tel
pays et qui, du fait du learning by doing, ont un sérieux avantage
comparatif dans la réalisation de projets de développement.
Lorsque la qualité de la gouvernance dans un pays
donné est faible, des discussions préalables pour définir
le cadre dans lequel l'aide devrait être délivrée sont
indispensables. La pratique de la conditionnalité associée
à l'aide au développement doit donc être
reconsidérée en Afrique sub-saharienne. Elle doit guider l'aide
aux pays pauvres dont la gouvernance est de faible qualité.
Les gouvernements africains doivent à leur tour
comprendre que le développement de l'Afrique ne se fera pas sans une
réelle volonté et une participation active des Africains. Des
politiques gouvernementales perverses, pour des visées politiques ont
trop souvent fait perdre à l'Afrique, de formidables opportunités
en matière de développement. Après tout, capital is
made at home.
Ce travail analytique, est le fruit de notre volonté
d'apporter notre modeste contribution à la politique d'aide au
développement en Afrique sub-saharienne. Il conclut que l'aide au
développement n'aide pas les populations africaines et serait même
perverse pour leur bien-être, et fait des propositions de politiques pour
l'avenir, afin de ne pas retomber dans les erreurs du passé.
Néanmoins, comme toute oeuvre humaine, il n'est pas
parfait. Il présente des insuffisances. D'abord, l'aide internationale
appréhendée globalement est difficile à analyser en terme
d'impact. Elle englobe des flux réels (transferts liquides, experts
internationaux, envoi de vivres, ...) et fictifs (les allègements et
rééchelonnements de dettes). Comment peut-on analyser avec
exactitude, l'effet d'un ensemble si hétéroclite de transferts
sur le bien-être d'une population ? Le fait de retenir par exemple une
période moyenne de 4 ans au bout de laquelle l'aide doit produire son
impact sur la croissance économique est une autre limite de notre
étude.
L'analyse présentée dans cette thèse
invite à considérer qu'il n'y a pas toujours une stricte
concordance entre le bien-être collectif d'un pays et les
préférences de ses dirigeants. Ainsi, l'analyse peut-elle
être prolongée en s'orientant vers une modélisation d'une
forme de jeu à double étage : à l'intérieur d'un
pays, et entre pays. Une telle analyse permettrait de mieux comprendre les
interactions stratégiques entre les différents acteurs de l'aide
: donateurs et bénéficiaires; dans un environnement pouvant
laisser la place à des asymétries d'information.
Enfin, le fait que la pauvreté augmente en Afrique
sub-saharienne malgré l'aide internationale ne veut pas dire forcement
que l'aide est inefficace. Il se peut que sans l'aide au développement,
les choses seraient pires et la croissance quasinulle des économies
africaines serait négative. Il serait alors préférable
pour apporter un jugement sur l'effet de l'aide, de passer par d'autres
méthodes pouvant permettre d'évaluer ce que serait la situation
en Afrique sub-saharienne si l'aide n'existait pas. Des recherches
supplémentaires dans ce sens pourront enrichir le débat sur
l'efficacité de l'aide au développement. Nous pouvons terminer
avec une note d'espoir pour l'Afrique libérée de la
colonisation. Si les Africains prennent les choses en main,
mènent de « bonnes politiques »,
peut être
décolleront un jour, les économies africaines.
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BIOGRAPHIE DE L'AUTEUR DU MEMOIRE
NABONA BISIMWA Jean--Paul,
Né à Uvira, le 16/01/1983,
Usus d'une famille Chrétienne de 7 enfants dont 4
garçons et 3 filles,
Cursus académique
- Diplômé d'Etat en Section Technique, Option
Sociale, éduction 2003-2004, Institut
MIKENO de GOMA
- 2004-2005 : Ecole Pratique de langue,
département Anglais-Français: à
l'Université
Nationale du Rwanda, UNR
- Gradué en Développement Communautaire,
Option Gestion et Administration des Projet,
année académique
2006-2007, Université Ouverte, Campus de GOMA,
- Licencier en développement Communautaire, Option
sciences sociale et développement
intégré, 2008-2009, idem
Expérience académique et
scientifique
- Retenu comme assistant à la même année,
juste après la distinction en deuxième de
Licence, et Chef de département de D .C à
l'UPROGL/Extension d'Uvira
- en 2010-2011 : secrétaire académique
assistant à l'ULUGL-Uvira
- en 2011-2012 : secrétaire général
administratif et financier à la même institution
- auteur de plusieurs articles dans le département de
développement communautaire,
travaux pratique et travaux dirigés au sein de la
même université depuis 2009-2013