Annexe 5 :
[Dossier] Les enjeux du branding musical
selon Universal Music France - Publié le 3
décembre 2014 par Romy Roynard.
Troisième partie de notre dossier sur le
branding musical (partie 1 -partie 2), l'un des
enjeux majeurs de l'industrie et de l'économie musicales modernes que
nous avons choisi d'expliquer. Nous avons rencontré
Emmanuel de Sola, le Directeur commercial d'Universal
Music & Brands, à l'occasion du festival Black
XS.
MyBandNews : Les études comme The Strategic
Integration of Music Branding and its Evolution montrent que le branding
musical est devenu l'un des moyens pour l'industrie musicale de compenser la
baisse des ventes physiques et que d'une manière plus
générale la musique permettrait un meilleur engagement du
consommateur type. Est-ce que ce sont des tendances que vous avez pu observer
?
Emmanuel de Sola : L'intégration du
branding et des partenariats avec des marques est pour nous une
réalité depuis 15 ans. Nous avons été les premiers
à construire notre marque en dehors du spectre musical, en proposant des
forfaits mobiles avec des offres spéciales jeunes qui portent notre
marque. Pascal Nègre a été visionnaire en plaçant
Universal Music à la fin de tous nos spots de pubs tv pour en faire en
France une marque qui est devenue une référence auprès
d'autres marques et radios. Nous nous y intéressions bien avant que l'on
parle du digital et de la chute éventuelle du marché.
Une maison d'artistes comme Universal c'est avant tout
entourer les artistes avec un maximum de services. Les marques, c'est un
savoir-faire développé pour faire des économies
d'échelle à travers nos clips, développer la recherche de
sponsors à l'occasion du lancement d'un album. Ensuite se pose la
problématique de mettre ce savoir-faire au service des marques, qui sont
très attentives à ce qu'on les considère comme des clients
au moins autant considérés que nos labels et nos artistes.
Parfois nous sommes amenés à traiter des problématiques
100% marques et à réanalyser notre métier de leur point de
vue. C'est comme cela que l'on crée des partenariats stratégiques
comme Black XS, où l'on considère le point de vue de la marque,
en fonction de son budget, de son timing, de ses réalités
métiers, de ses contraintes. Ce qui a changé c'est que nous avons
maintenant deux approches : servir au mieux les intérêts de nos
artistes et réfléchir pour certaines marques à la
construction stratégique d'événements sur lesquels nous
sommes parfois co-investisseurs.
MBN : Dans une infographie Universal Music
publiée en juin 2014 (ci-dessus) vous avancez que 71% des 13-15 ans, 52%
des 16-25 ans et 50% des 25-34 ans aiment voir leur artiste
préféré associé à une marque. Avez-vous
l'impression que le public cible a changé ? Les efforts des
publicitaires se sont-ils déplacés vers un public plus jeune
?
EDS : Oui j'en suis convaincu. C'est une
réalité déjà quand on voit un public très
jeune et la rapidité à laquelle ils sont confrontés
à des écrans. L'ouverture du domaine des marques pour des cibles
plus jeunes est encore un tabou dans la publicité, mais c'est une
réalité. Et la musique fait très tôt partie
73
de la vie des plus jeunes, on est donc amenés à
travailler ces problématiques-là. On travaille plutôt sur
des cibles jeunes de 15 à 25 ans, mais ce qu'il faut comprendre c'est
que les jeunes sont aussi une cible prioritaire pour les marques qui partent du
principe qu'une fois les 13-15 ans captés, ils lui resteront
fidèles. On est plutôt dans un traitement universel, et c'est cela
qui plaît aussi aux marques : la musique n'est pas segmentant,
contrairement au sport par exemple, qui est puissant mais segmentant.
MBN : Ça ne pose pas de problèmes
éthiques aux marques et aux labels de s'intéresser à un
public de plus en plus jeune ? C'est légitime si l'on considère
qu'il commence à consommer de plus en plus tôt mais on pourrait
aussi penser que c'est un public cible peut-être plus
influençable...
EDS : Aujourd'hui ces frontières en
termes d'âge n'existent plus. Maintenant les enfants accèdent
très rapidement aux devices tactiles et peuvent trouver un artiste ou
une chanson sur Google dès 4 ou 5 ans. Quelques années plus tard
leurs goûts sont encore plus affirmés et ils se dirigent vers des
labels de musique qui sont liés à certaines marques de
façon je pense légitime.
MBN : Comment convaincre un artiste d'être
associé à une marque en particulier et comment proposer ce
conseil aux marques ? Est-ce que la marque vient vers vous pour obtenir des
conseils ou vient-elle après avoir mené des études de
marché ?
EDS : C'est une vraie collaboration. Plus on
travaille avec une marque et mieux on la comprend, mieux on comprend ses
produits, ses contraintes, sa philosophie d'entreprise. Les partenaires dans un
premier temps ont souvent des idées assez arrêtées puis se
laissent convaincre pour de bonnes raisons, quand on échange sur la
faisabilité de telle ou telle association avec un artiste. On
évite aujourd'hui la démarche d'associer une marque à un
artiste en particulier. Nous avons chez Universal une base de données
qui nous permet de traiter beaucoup de data. Il y a des artistes que l'on
appelle les no-brainers, tout le monde les veut. Néanmoins si on peut
construire des projets avec des artistes très connus, les marques
n'auront pas autant de latitude avec eux qu'avec des artistes émergents.
Nous savons à l'avance ce qu'ils vont devenir, on peut leur dire «
dans 6 mois au moment où on fera l'opération cet artiste sera
connu ». Un exemple récent avec Lily Wood and The
Pricks pour le festival Black XS : au moment où nous avons
discuté de la programmation le groupe n'était pas au niveau
auquel il est aujourd'hui, c'était une vraie prise de parti sur le
potentiel du groupe. La marque nous a fait confiance et a eu raison : au moment
où le festival a eu lieu le groupe avait émergé.
MBN : Justement ces données, comment les
collectez-vous et lesquelles analysez-vous ? Est-ce que ce sont les
interactions des artistes avec leurs fans sur les réseaux sociaux, les
partages de contenus que vous pouvez observer, ou alors l'expérience
d'un label qui permettent de deviner le succès d'un artiste
émergent ?
EDS : Le développement d'un artiste,
c'est très long. Il y a plusieurs étapes non visibles du grand
public mais pour nous il y a des indicateurs très forts : la radio est
très importante, les réseaux sociaux, la tv, la presse... les
métiers de promotion sont le coeur du réacteur. Dans un label un
tiers
74
des effectifs sont dédiés à promouvoir
les artistes, à passer des coups de fils, à présenter
l'artiste, son disque et son histoire. Pourquoi plein d'artistes signent chez
nous ? C'est avant tout parce qu'ils savent que derrière il y a une
machine très puissante dans le bon sens du terme. Pour le service aux
marques, on propose soit la grosse machine, et les tubes que tout le monde
connaît, soit au contraire nous allons chercher un groupe plus pointu,
moins connu. Ca peut rassurer d'avoir une grosse machine, mais ce qui compte
aujourd'hui c'est que le groupe joue le jeu, qu'on ait du temps avec lui. Les
marques investissent beaucoup dans les partenariats, du temps, de l'argent, des
médias... il faut que l'implication soit équivalente de l'autre
côté. Quand on choisit pour un partenariat un groupe qui
émerge, il est plus disponible et enthousiaste de s'associer à
une marque qu'un artiste plus établi qui a un planning
surchargé.
MBN : Est-ce que certains artistes ont refusé
d'être associés à une marque ou un projet global que vous
organisiez ?
EDS : Oui. Ca arrive assez
fréquemment. On va dire que ça arrive trop souvent, mais ce n'est
pas assez significatif pour empêcher les projets d'être
menés à bien. Nous avons la chance d'avoir assez d'artistes dans
notre catalogue et des relations avec d'autres majors qu'Universal pour pouvoir
honorer toutes les problématiques qui nous sont proposées. Les
histoires de partenariats entre marques et célébrités
s'écrivent sur le long terme. C'est pour ça que l'on
privilégie les constructions de projets stratégiques à
long terme.
MBN : C'est ce que RedBull par exemple a très
bien fait, notamment par la création de la RedBull Music Academy qui a
en théorie la fonction de servir la promotion d'événements
et d'artistes émergents. Ils se sont éloignés de l'image
première de la marque pour l'associer à la musique, après
n'avoir été que sponsors les premières années, ils
sont devenus acteurs.
EDS : Tout à fait. Mise à part
que le mot « sponsor » n'existe plus dans mon langage. On parle
maintenant plus de partenaires, on évite le terme de sponsoring dans la
musique. Une marque ne cherche pas à apporter uniquement du
numéraire, et d'ailleurs certaines marques se développent et des
équipes de communication sont créées autour des
partenariats pour nous aider à faire connaître la marque et sa
stratégie. Le plus souvent nous travaillons avec des marques qui n'ont
pas la capacité de créer ces équipes à long terme,
et on se substitue à ces équipes.
MBN : Diriez-vous que le sponsoring n'existe plus non
plus même pour des petits festivals que des marques plus modestes
soutiennent financièrement dans leur développement ou par du
placement de produit comme ça se fait encore beaucoup dans les pays
anglo-saxons ?
EDS : Oui ils sont sponsors, ou plutôt
fournisseurs officiels. Il y a une interaction avec le produit. C'est
provocateur évidemment de dire que le sponsoring n'existe plus, et c'est
volontaire de ma part. Aujourd'hui les marques investissent du temps, de
l'argent, des ressources, mais souhaitent des manières intelligentes de
s'investir, des touch pointsnouveaux. Rares sont les situations
où les
75
marques se contentent d'une simple bannière, et c'est
légitime. Elles veulent écrire une histoire avec les artistes et
le public.
Les marques veulent écrire une histoire avec les
artistes et le public.
MBN : Si on prend l'exemple du festival Black XS qui
est une marque non directement liée à la musique,
l'événement serait donc un moyen de connecter un public cible
à la marque, par le biais du médium universel qu'est la
musique.
EDS : Pacco Rabbane avait créé
un label de Hip-Hop il y a très longtemps. Le lien entre la musique et
le créateur Pacco Rabbane existe depuis le début de la marque.
D'une manière générale, il faut être pragmatique et
faire des choix en fonction des moyens. Le but est d'émerger le plus
fortement possible. Plus une marque est flexible et considère qu'elle va
s'investir dans la durée dans un domaine qu'est la musique, plus elle
est gagnante. Black XS par exemple est un projet à long terme qui paye
aujourd'hui. Si chaque année on avait mis en question la collaboration,
la manière de travailler, on n'en serait pas là où on en
est aujourd'hui.
MBN : Quels sont les enjeux en terme de communication
d'un festival comme Black XS ? Avez-vous des retombées
économiques réelles ou est-ce un simple événement
dans le cadre d'une campagne
promotionnelle ?
EDS : Plus aucune marque en 2014 ne fait des
événements pour en faire des Press Powerpoint
auprès de la direction. Les stratégies sont
très précises. Il faut avoir des retombées et créer
un message qui est plus affinitaire en touchant des cibles qui sont de moins en
moins sensibles à la communication classique. La programmation du
festival permet d'avoir l'image la plus pointue possible et de trouver cet
équilibre juste pour que la présence très forte d'une
marque sur une affiche ne soit plus répulsive et ne soit plus
vécue comme un compromis commercial. Black XS fait partie de ces marques
qui à long terme deviennent de véritables acteurs dans le domaine
musical, et peuvent se permettre plus d'audace. Les équipes de Black XS
ont une maturité qui permet de monter ce genre
d'événements de manière aussi équilibrée.
|