NINA DANET
n° 12315367
UNIVERSITE PARIS 8 UFR Culture et Communication
* * *
MASTER ICREA - mention Culture et
Médias
ESPACES DE COWORKING
-
Capitalisme cognitif et métamorphose du
travail
1
Mémoire de Master 2, réalisé sous la
direction de Sophie Jehel, maître de
conférences Année 2013-2014
NINA DANET
n° 12315367
UNIVERSITE PARIS 8 UFR Culture et Communication
* * *
MASTER ICREA - mention Culture et
Médias
ESPACES DE COWORKING
-
Capitalisme cognitif et métamorphose du
travail
2
Mémoire de Master 2, réalisé sous la
direction de Sophie Jehel, maître de
conférences Année 2013-2014
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4
Remerciements
* * *
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont
accompagnée dans la rédaction de ce mémoire, que ce soit
à travers leurs conseils, leur soutien ou tout simplement leur
présence.
Merci à ma directrice de mémoire Mme. Jehel pour
ses pistes de recherches et ses conseils,
Merci à Gabriel, Charles, Aurore, Alain,
Clémentine, Audrey, Michaela, Jaime, Noa, pour leur disponibilité
et les conversations inspirantes.
Merci à mes amies, Amanda, Steph, Carla, Sjoera mais aussi
Pauline, Marie, Honor, Marine
Merci à ma famille.
5
Table des matières
INTRODUCTION 7
PARTIE 1 : ETAT DE L'ART 11
I) Le coworking : présentation 11
1.1 L'origine du coworking 11
1.2 Un tiers-lieu professionnel 13
1.3 Un nouveau paradigme organisationnel 16
1.3.1 Une double rupture 16
1.3.2 Mixité, Flexibilité,
Sérendipité 17
1.3.3 Un projet social ? 18
II) Ethos et travail 21
2.1 Société industrielle : la valorisation du
travail 22
2.1.2 Le travail comme facteur de production 22
2.1.1 L'éthique du labeur : le travail comme devoir
individuel et collectif 23
2.1.3 la transition : travail et épanouissement 24
2.2 Contexte actuel, la dualité d'un travail en
quête de sens 26
2.2.1 Desinstitutionalisation et parcours de vie 26
2.2.2 Crise de l'emploi, crise du travail ? 26
2.2.3 Revaloriser le travail à l'aune de l'ethos de
l'épanouissement 27
III) Nouveau modèle productif et évolution du
travail 29
3.1 Un nouveau modèle de société, vers une
société de la connaissance 29
3.2 La thèse du Capitalisme cognitif 31
3.2.1 Idéologie du libre et émergence d'une «
creative class » 32
3.2.2 Les nouvelles frontières du travail 37
a) Rapport au(x) temps 37
b) Rapport à l'espace : 38
c) Rapport à la production : 40
d) Rapport à la hiérarchie : 41
e) Rapport au collectif : 42
IV) Conclusion partielle : Une mise en capacité ? 45
4.1 Quête de sens et Nouvel esprit du capitalisme 46
PARTIE 2 : METHODOLOGIE 49
I) Problématique et hypothèses de recherche 49
II) Méthodologie 51
2.1 Recueil de données 51
2.1.1 La deuxième enquête mondiale du coworking
51
2.1.2 Entretiens qualitatifs 52
PARTIE 3 RESULTATS DE L'ENQUETE et ANALYSE 55
I) Les EC, un déploiement récent mais significatif
55
1.1 Un phénomène mondial 55
1.2 L'Europe et les villes créatives au premier plan 56
1.3 Une structuration progressive 57
II)
6
Nouveaux espaces, nouvelles temporalités 59
2.1 Des lieux ouverts 59
2.2 Les EC et articulation des temps de vie 64
III) Le nomadisme coopératif à l'épreuve
du coworking 67
3.1 Tous différents, ensemble 67
3.2 Constitution et vie des collectifs de coworking : le
travail et ses dehors 70
IV) Espaces de coworking, les limites et perspectives de
recherches 74
4.1 Une valeur ajoutée pas tout le temps
identifiée 74
4.2 Modèle ou passerelle ? 75
CONCLUSION 78
TABLE DES ILLUSTRATIONS 80
BIBLIOGRAPHIE 81
7
INTRODUCTION
Il y a maintenant trois ans, j'ai découvert la Cantine.
Un lieu presque insolite, confiné au fond du passage des Panoramas
à Paris. Dans cet espace, des designers, développeurs, des
journalistes, des artistes prenaient place sur des sofas, organisaient des
réunions spontanées autour d'un café ou discutaient d'un
nouveau projet à l'étage. Ce lieu ne ressemblait pas à un
bureau, pas vraiment à un bar, c'était un mélange
étonnant de gens en costumes et de geeks en t-shirt. La Cantine est
née en 2008, portée par l'association d'entreprises innovantes,
Silicon Sentier. Il s'agissait du premier espace de coworking (EC) d'Île
de France.
La découverte de ce lieu m'a amenée à
étudier ce qu'est un espace de coworking. L'année
dernière, dans le cadre de ma première année de Master, je
m'étais penchée sur l'inscription de ces espaces dans les
stratégies urbaines d'attractivité autour du concept de «
ville créative ». Cette première expérience de
recherche m'avait permis d'étudier plus spécifiquement la Cantine
parisienne en tant qu'écosystème d'innovation et son encastrement
urbain. Pour clôturer ma deuxième année de master
Icréa, j'ai eu la chance de pouvoir réaliser un semestre à
l'étranger, à Séville en Andalousie. Si une étude
comparative entre la France et l'Espagne pouvait être envisagée,
il me semblait après quelques observations sur place que le terrain
sevillan n'était pas encore assez mâture et qu'il serait difficile
pour moi de mener à bien une enquête de ce type, y compris d'un
point de vue de la maîtrise complète de la langue. J'ai donc
privilégié une approche plus transversale auprès des lieux
et des personnes. Certaines rencontres à Séville m'ont permis de
poser les bases de ma recherche au sujet des nouvelles modalités du
travail, que j'ai ensuite continué en France. Aussi, notre recherche
n'est pas précisément localisée et n'est donc pas le
reflet d'une réalité spécifique, d'un espace de coworking
ou d'une communauté. Elle vise d'avantage à faire émerger
les points forts qui animent le mouvement du coworking et ceci au-delà
des frontières. Depuis maintenant sept ans, on observe dans les grandes
villes du monde la mise en place de ces nouveaux lieux. Issu d'une mouvance
ayant fait ses preuves sur le continent Nord-Américain, notamment dans
la baie de San Francisco, le coworking s'est popularisé en Europe au
travers d'espaces de référence comme la Cantine parisienne, le
Hub à Bruxelles ou encore le Betahaus à Berlin. L'idée
principale est la suivante : ouvrir une structure d'accueil collaborative pour
une
8
génération de travailleurs nomades.
Concrètement, les EC se présentent sous la forme d'open spaces
où les « bureaux » (ici plus souvent résumés
à une connexion wifi, une chaise et une table) sont ouverts à la
location. Chacun peut y venir avec son équipement personnel, se
connecter et bénéficier ainsi d'un cadre de travail
différent que le domicile, le bureau traditionnel ou encore le «
café du coin ». Car si les EC se développent autant, il
semble que c'est aussi parce qu'ils captent une demande croissante. La
pénétration massive des technologies numériques dans le
monde professionnel a révolutionné les usages. En amoindrissant
les contraintes spatiales, une frange spécifique de la population semble
développer une approche différente du travail qui ne serait plus
déterminée par des locaux fixes et des heures imposées. Si
ces mutations se sont concrétisées il y a une vingtaine
d'années par l'explosion du travail à domicile, une nouvelle
génération de lieux tend à s'imposer dans les pratiques :
les tiers-lieux. Le concept de tiers-lieu a été
théorisé par Ray Oldenburg au début des années 90.
Il désigne des espaces hybrides, ouverts, publics, neutres, où la
conversation est l'activité principale et l'atmosphère y est
conviviale. En ce sens, ils sont des espaces de sociabilité où
s'entremêlent des pratiques variées, qu'elles soient
professionnelles ou ludiques. Si ce concept a aujourd'hui presque un quart de
siècle, il s'actualise avec l'éclosion de nouveaux lieux comme
les EC. Ainsi, de par leur nature hybride, les EC en tant que tiers-lieu
questionnent la notion de travail telle qu'elle s'exprime et se dessine
aujourd'hui. Se portant garants d'une « révolution du monde du
travail » vers une société plus créative et
solidaire, ces espaces semblent répondre aux exigences d'une
économie de la connaissance mondialisée qui s'organise en
réseau. Mais au-delà de leur inscription économique et
territoriale dans une course à l'innovation, c'est sous l'angle du
projet social qu'ils incarnent que nous souhaitons étudier les EC et
leurs publics. Car ces lieux semblent renvoyer à un idéal de
travail créatif source d'épanouissement. Un lieu d'expression des
individualités, mais aussi de nouvelles solidarités.
Pour établir notre recherche, nous avons
questionné la notion de travail et ses représentations à
travers les sciences humaines. Le travail fait partie du quotidien de nos
sociétés occidentales. Il est une préoccupation centrale
dans de nombreux domaines et au coeur de nombreuses problématiques
d'ordre politique, économique mais aussi social et psychologique. Il
convient de revenir sur cette notion au travers des apports historiques,
9
anthropologiques et philosophique qui démontrent
notamment qu'elle a connu de nombreux avatars dans nos sociétés
occidentales et que son acception contemporaine est située dans le temps
et dans l'espace. Ainsi « le travail n'a pas une "nature anthropologique"
donnée. » (Afriat, 1997, p.63). Aujourd'hui, à l'heure d'une
société de la connaissance portée par les nouvelles
technologies, de nouvelles modalités du travail se dessinent et se
laissent entrevoir dans les espaces de coworking. La métamorphose du
travail a été largement étudiée au cours de ces
dernières décennies, entre espoirs et désillusions.
Aujourd'hui plus que jamais semble-t-il, la quête d'un idéal de
travail s'affirme comme un objectif sociétal mais surtout un projet
personnel. Notre travail de mémoire a pour but d'étudier les EC
au travers des nouvelles modalités du travail et de s'interroger sur
leur inscription dans cette quête. La thèse du capitalisme
cognitif qui a pris forme autour d'un noyau de chercheurs nous offrira un cadre
conceptuel et des pistes de recherches pour définir la
métamorphose du travail à l'oeuvre dans nos
sociétés, entre quête de libération et nouvelles
contraintes. Au regard de ces mutations, nous tenterons ensuite de voir en quoi
les EC répondent aux défis actuels générés
par l'affaiblissement des repères traditionnels qui ont
façonnés nos sociétés depuis l'essor du
capitalisme. Le travail ferait désormais partie d'un projet individuel
qui n'est plus normé selon des institutions mais bien le fruit
d'expériences personnelles, de trajectoires diverses animées par
un désir d'emprise sur sa vie. Cette vision, dans sa version la plus
utopique libère l'homme des carcans de la société qui
l'assignait à un rôle, une identité et une fonction bien
précise. Selon une perspective plus critique, elle est aussi le fruit de
l'intériorisation de normes libérales qui contraint l'individu
à être seul face à son sort, libéré mais sous
pression constante pour se réaliser et « être soi ».
Notre recherche sur le coworking tente justement d'explorer cette tension, pour
sortir de l'idéologie et inscrire ces espaces dans la
réalité sociale mais aussi économique. Une
réalité qui d'ailleurs n'est pas universelle, car notons
qu'étudier le coworking, c'est aussi étudier une certaine
génération, certains secteurs et aussi certains territoires. Bien
que portant en eux un projet global à l'échelle de la
société, les EC sont encore aujourd'hui les lieux de rencontre
d'une « classe créative », jeune, diplômée et
urbaine qui par l'accès et la maîtrise des nouvelles technologies
n'est pas ou peu conditionnée physiquement par un lieu de travail. Nous
ne pouvons dès lors positionner notre recherche comme
révélatrice d'une tendance générale puisque cela
signifierait exclure toute personne dont l'activité n'est tout
simplement pas adaptée aux pratiques du coworking. Pour autant, nous
considérons qu'étudier les EC est digne d'intérêt si
nous les considérons comme avant-
10
gardes, révélateurs d'un changement de
mentalités au travail qui gagne du terrain et ne cesse depuis maintenant
sept ans de séduire de nouveaux adeptes : fondateurs de lieux,
coworkers, mais aussi personnalités politiques et grandes marques.
Pour réaliser notre recherche, nous avons
mobilisé plusieurs sources. Premièrement, nous avons
étudié les résultats d'une enquête mondiale
réalisée par Deskmag sur l'année 2012, intitulée
Global Coworking Survey. Cette enquête a été menée
auprès de plus de 2000 personnes (coworkers et gérants
d'espaces), nous offrant une échelle fiable et une certaine vision
d'ensemble du paysage du coworking. Pour compléter ces données,
nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès d'individus
travaillant ou ayant travaillé dans ce type d'espaces mais
également auprès de fondateurs de lieux. L'enquête de
terrain est assez réduite, mais nous permettra d'illustrer ou de nuancer
les résultats de l'enquête mondiale et donc d'apporter des
éléments d'ordre qualitatif sur l'expérience subjective du
coworking.
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