NINA DANET
n° 12315367
UNIVERSITE PARIS 8 UFR Culture et Communication
* * *
MASTER ICREA - mention Culture et
Médias
ESPACES DE COWORKING
-
Capitalisme cognitif et métamorphose du
travail
1
Mémoire de Master 2, réalisé sous la
direction de Sophie Jehel, maître de
conférences Année 2013-2014
NINA DANET
n° 12315367
UNIVERSITE PARIS 8 UFR Culture et Communication
* * *
MASTER ICREA - mention Culture et
Médias
ESPACES DE COWORKING
-
Capitalisme cognitif et métamorphose du
travail
2
Mémoire de Master 2, réalisé sous la
direction de Sophie Jehel, maître de
conférences Année 2013-2014
3
4
Remerciements
* * *
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont
accompagnée dans la rédaction de ce mémoire, que ce soit
à travers leurs conseils, leur soutien ou tout simplement leur
présence.
Merci à ma directrice de mémoire Mme. Jehel pour
ses pistes de recherches et ses conseils,
Merci à Gabriel, Charles, Aurore, Alain,
Clémentine, Audrey, Michaela, Jaime, Noa, pour leur disponibilité
et les conversations inspirantes.
Merci à mes amies, Amanda, Steph, Carla, Sjoera mais aussi
Pauline, Marie, Honor, Marine
Merci à ma famille.
5
Table des matières
INTRODUCTION 7
PARTIE 1 : ETAT DE L'ART 11
I) Le coworking : présentation 11
1.1 L'origine du coworking 11
1.2 Un tiers-lieu professionnel 13
1.3 Un nouveau paradigme organisationnel 16
1.3.1 Une double rupture 16
1.3.2 Mixité, Flexibilité,
Sérendipité 17
1.3.3 Un projet social ? 18
II) Ethos et travail 21
2.1 Société industrielle : la valorisation du
travail 22
2.1.2 Le travail comme facteur de production 22
2.1.1 L'éthique du labeur : le travail comme devoir
individuel et collectif 23
2.1.3 la transition : travail et épanouissement 24
2.2 Contexte actuel, la dualité d'un travail en
quête de sens 26
2.2.1 Desinstitutionalisation et parcours de vie 26
2.2.2 Crise de l'emploi, crise du travail ? 26
2.2.3 Revaloriser le travail à l'aune de l'ethos de
l'épanouissement 27
III) Nouveau modèle productif et évolution du
travail 29
3.1 Un nouveau modèle de société, vers une
société de la connaissance 29
3.2 La thèse du Capitalisme cognitif 31
3.2.1 Idéologie du libre et émergence d'une «
creative class » 32
3.2.2 Les nouvelles frontières du travail 37
a) Rapport au(x) temps 37
b) Rapport à l'espace : 38
c) Rapport à la production : 40
d) Rapport à la hiérarchie : 41
e) Rapport au collectif : 42
IV) Conclusion partielle : Une mise en capacité ? 45
4.1 Quête de sens et Nouvel esprit du capitalisme 46
PARTIE 2 : METHODOLOGIE 49
I) Problématique et hypothèses de recherche 49
II) Méthodologie 51
2.1 Recueil de données 51
2.1.1 La deuxième enquête mondiale du coworking
51
2.1.2 Entretiens qualitatifs 52
PARTIE 3 RESULTATS DE L'ENQUETE et ANALYSE 55
I) Les EC, un déploiement récent mais significatif
55
1.1 Un phénomène mondial 55
1.2 L'Europe et les villes créatives au premier plan 56
1.3 Une structuration progressive 57
II)
6
Nouveaux espaces, nouvelles temporalités 59
2.1 Des lieux ouverts 59
2.2 Les EC et articulation des temps de vie 64
III) Le nomadisme coopératif à l'épreuve
du coworking 67
3.1 Tous différents, ensemble 67
3.2 Constitution et vie des collectifs de coworking : le
travail et ses dehors 70
IV) Espaces de coworking, les limites et perspectives de
recherches 74
4.1 Une valeur ajoutée pas tout le temps
identifiée 74
4.2 Modèle ou passerelle ? 75
CONCLUSION 78
TABLE DES ILLUSTRATIONS 80
BIBLIOGRAPHIE 81
7
INTRODUCTION
Il y a maintenant trois ans, j'ai découvert la Cantine.
Un lieu presque insolite, confiné au fond du passage des Panoramas
à Paris. Dans cet espace, des designers, développeurs, des
journalistes, des artistes prenaient place sur des sofas, organisaient des
réunions spontanées autour d'un café ou discutaient d'un
nouveau projet à l'étage. Ce lieu ne ressemblait pas à un
bureau, pas vraiment à un bar, c'était un mélange
étonnant de gens en costumes et de geeks en t-shirt. La Cantine est
née en 2008, portée par l'association d'entreprises innovantes,
Silicon Sentier. Il s'agissait du premier espace de coworking (EC) d'Île
de France.
La découverte de ce lieu m'a amenée à
étudier ce qu'est un espace de coworking. L'année
dernière, dans le cadre de ma première année de Master, je
m'étais penchée sur l'inscription de ces espaces dans les
stratégies urbaines d'attractivité autour du concept de «
ville créative ». Cette première expérience de
recherche m'avait permis d'étudier plus spécifiquement la Cantine
parisienne en tant qu'écosystème d'innovation et son encastrement
urbain. Pour clôturer ma deuxième année de master
Icréa, j'ai eu la chance de pouvoir réaliser un semestre à
l'étranger, à Séville en Andalousie. Si une étude
comparative entre la France et l'Espagne pouvait être envisagée,
il me semblait après quelques observations sur place que le terrain
sevillan n'était pas encore assez mâture et qu'il serait difficile
pour moi de mener à bien une enquête de ce type, y compris d'un
point de vue de la maîtrise complète de la langue. J'ai donc
privilégié une approche plus transversale auprès des lieux
et des personnes. Certaines rencontres à Séville m'ont permis de
poser les bases de ma recherche au sujet des nouvelles modalités du
travail, que j'ai ensuite continué en France. Aussi, notre recherche
n'est pas précisément localisée et n'est donc pas le
reflet d'une réalité spécifique, d'un espace de coworking
ou d'une communauté. Elle vise d'avantage à faire émerger
les points forts qui animent le mouvement du coworking et ceci au-delà
des frontières. Depuis maintenant sept ans, on observe dans les grandes
villes du monde la mise en place de ces nouveaux lieux. Issu d'une mouvance
ayant fait ses preuves sur le continent Nord-Américain, notamment dans
la baie de San Francisco, le coworking s'est popularisé en Europe au
travers d'espaces de référence comme la Cantine parisienne, le
Hub à Bruxelles ou encore le Betahaus à Berlin. L'idée
principale est la suivante : ouvrir une structure d'accueil collaborative pour
une
8
génération de travailleurs nomades.
Concrètement, les EC se présentent sous la forme d'open spaces
où les « bureaux » (ici plus souvent résumés
à une connexion wifi, une chaise et une table) sont ouverts à la
location. Chacun peut y venir avec son équipement personnel, se
connecter et bénéficier ainsi d'un cadre de travail
différent que le domicile, le bureau traditionnel ou encore le «
café du coin ». Car si les EC se développent autant, il
semble que c'est aussi parce qu'ils captent une demande croissante. La
pénétration massive des technologies numériques dans le
monde professionnel a révolutionné les usages. En amoindrissant
les contraintes spatiales, une frange spécifique de la population semble
développer une approche différente du travail qui ne serait plus
déterminée par des locaux fixes et des heures imposées. Si
ces mutations se sont concrétisées il y a une vingtaine
d'années par l'explosion du travail à domicile, une nouvelle
génération de lieux tend à s'imposer dans les pratiques :
les tiers-lieux. Le concept de tiers-lieu a été
théorisé par Ray Oldenburg au début des années 90.
Il désigne des espaces hybrides, ouverts, publics, neutres, où la
conversation est l'activité principale et l'atmosphère y est
conviviale. En ce sens, ils sont des espaces de sociabilité où
s'entremêlent des pratiques variées, qu'elles soient
professionnelles ou ludiques. Si ce concept a aujourd'hui presque un quart de
siècle, il s'actualise avec l'éclosion de nouveaux lieux comme
les EC. Ainsi, de par leur nature hybride, les EC en tant que tiers-lieu
questionnent la notion de travail telle qu'elle s'exprime et se dessine
aujourd'hui. Se portant garants d'une « révolution du monde du
travail » vers une société plus créative et
solidaire, ces espaces semblent répondre aux exigences d'une
économie de la connaissance mondialisée qui s'organise en
réseau. Mais au-delà de leur inscription économique et
territoriale dans une course à l'innovation, c'est sous l'angle du
projet social qu'ils incarnent que nous souhaitons étudier les EC et
leurs publics. Car ces lieux semblent renvoyer à un idéal de
travail créatif source d'épanouissement. Un lieu d'expression des
individualités, mais aussi de nouvelles solidarités.
Pour établir notre recherche, nous avons
questionné la notion de travail et ses représentations à
travers les sciences humaines. Le travail fait partie du quotidien de nos
sociétés occidentales. Il est une préoccupation centrale
dans de nombreux domaines et au coeur de nombreuses problématiques
d'ordre politique, économique mais aussi social et psychologique. Il
convient de revenir sur cette notion au travers des apports historiques,
9
anthropologiques et philosophique qui démontrent
notamment qu'elle a connu de nombreux avatars dans nos sociétés
occidentales et que son acception contemporaine est située dans le temps
et dans l'espace. Ainsi « le travail n'a pas une "nature anthropologique"
donnée. » (Afriat, 1997, p.63). Aujourd'hui, à l'heure d'une
société de la connaissance portée par les nouvelles
technologies, de nouvelles modalités du travail se dessinent et se
laissent entrevoir dans les espaces de coworking. La métamorphose du
travail a été largement étudiée au cours de ces
dernières décennies, entre espoirs et désillusions.
Aujourd'hui plus que jamais semble-t-il, la quête d'un idéal de
travail s'affirme comme un objectif sociétal mais surtout un projet
personnel. Notre travail de mémoire a pour but d'étudier les EC
au travers des nouvelles modalités du travail et de s'interroger sur
leur inscription dans cette quête. La thèse du capitalisme
cognitif qui a pris forme autour d'un noyau de chercheurs nous offrira un cadre
conceptuel et des pistes de recherches pour définir la
métamorphose du travail à l'oeuvre dans nos
sociétés, entre quête de libération et nouvelles
contraintes. Au regard de ces mutations, nous tenterons ensuite de voir en quoi
les EC répondent aux défis actuels générés
par l'affaiblissement des repères traditionnels qui ont
façonnés nos sociétés depuis l'essor du
capitalisme. Le travail ferait désormais partie d'un projet individuel
qui n'est plus normé selon des institutions mais bien le fruit
d'expériences personnelles, de trajectoires diverses animées par
un désir d'emprise sur sa vie. Cette vision, dans sa version la plus
utopique libère l'homme des carcans de la société qui
l'assignait à un rôle, une identité et une fonction bien
précise. Selon une perspective plus critique, elle est aussi le fruit de
l'intériorisation de normes libérales qui contraint l'individu
à être seul face à son sort, libéré mais sous
pression constante pour se réaliser et « être soi ».
Notre recherche sur le coworking tente justement d'explorer cette tension, pour
sortir de l'idéologie et inscrire ces espaces dans la
réalité sociale mais aussi économique. Une
réalité qui d'ailleurs n'est pas universelle, car notons
qu'étudier le coworking, c'est aussi étudier une certaine
génération, certains secteurs et aussi certains territoires. Bien
que portant en eux un projet global à l'échelle de la
société, les EC sont encore aujourd'hui les lieux de rencontre
d'une « classe créative », jeune, diplômée et
urbaine qui par l'accès et la maîtrise des nouvelles technologies
n'est pas ou peu conditionnée physiquement par un lieu de travail. Nous
ne pouvons dès lors positionner notre recherche comme
révélatrice d'une tendance générale puisque cela
signifierait exclure toute personne dont l'activité n'est tout
simplement pas adaptée aux pratiques du coworking. Pour autant, nous
considérons qu'étudier les EC est digne d'intérêt si
nous les considérons comme avant-
10
gardes, révélateurs d'un changement de
mentalités au travail qui gagne du terrain et ne cesse depuis maintenant
sept ans de séduire de nouveaux adeptes : fondateurs de lieux,
coworkers, mais aussi personnalités politiques et grandes marques.
Pour réaliser notre recherche, nous avons
mobilisé plusieurs sources. Premièrement, nous avons
étudié les résultats d'une enquête mondiale
réalisée par Deskmag sur l'année 2012, intitulée
Global Coworking Survey. Cette enquête a été menée
auprès de plus de 2000 personnes (coworkers et gérants
d'espaces), nous offrant une échelle fiable et une certaine vision
d'ensemble du paysage du coworking. Pour compléter ces données,
nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès d'individus
travaillant ou ayant travaillé dans ce type d'espaces mais
également auprès de fondateurs de lieux. L'enquête de
terrain est assez réduite, mais nous permettra d'illustrer ou de nuancer
les résultats de l'enquête mondiale et donc d'apporter des
éléments d'ordre qualitatif sur l'expérience subjective du
coworking.
11
PARTIE 1 : ETAT DE L'ART
I) Le coworking : présentation
Dans un premier chapitre, nous allons tenter de définir
et de contextualiser le coworking. Malgré une littérature
spécifique peu abondante, il convient d'introduire notre objet de
recherche en précisant ses origines, ses particularités et les
premières questions qui se posent à nous.
1.1 L'origine du coworking
L'origine du coworking est discutable et sujet à
diverses interprétations. Après la lecture de différents
articles désireux de tracer la généalogie de ce
phénomène, nous pouvons cependant affirmer que le premier espace
de coworking est né outre Atlantique dans la baie de San Francisco au
début des années 2000. En 2006, on ne dénombre alors
qu'une trentaine d'espaces de ce type à travers le monde. Pourtant
dès 2007, on parle déjà de « tendance ». Les
requêtes sur Google explosent, une page Wikipedia « coworking »
se crée et le nombre d'espaces croît de manière fulgurante.
On les retrouve principalement dans les grandes métropoles des pays
développés : San Francisco, Paris, Berlin, Barcelone,
Londres...
Selon une étude menée par la start-up berlinoise
Deskwanted en février 2013, l'Europe serait aujourd'hui le continent
ayant le plus d'équipements de coworking avec 1160 espaces. Pour le
moment, il est difficile de trouver une définition claire du coworking.
Chacun y va de sa formulation et chaque EC propose généralement
sa propre définition ou plutôt vision de ce concept sur leur site
internet. Selon Wikipedia, « le coworking est un type d'organisation du
travail qui regroupe deux notions : un espace de travail partagé, mais
aussi un réseau de travailleurs encourageant l'échange et
l'ouverture. » A proprement parler, le coworking est une
12
forme de travail basée sur la collaboration qui prend
forme à travers des lieux proposant des postes de travail à la
location, permettant aux individus d'y trouver un point d'ancrage autre que le
domicile ou que l'entreprise traditionnelle. Ils conviennent donc
particulièrement bien aux travailleurs nomades, sujets au
télé-travail ou encore aux indépendants, entrepreneurs,
n'ayant par exemple pas de fonds nécessaires pour s'acquitter des frais
d'un local professionnel. Phénomène encore récent, le
coworking suscite pourtant un engouement certain auprès surtout d'une
jeune génération de plus en plus diplômée qui
s'éloigne des parcours classiques de carrière . La presse
généraliste couvre régulièrement l'inauguration de
ce type de lieux ou aborde la thématique du coworking autour de dossiers
spéciaux concernant le « travail de demain », mais la
littérature académique à ce sujet reste étonnamment
anecdotique. Bruno Moriset mène depuis une dizaine d'années ses
recherches autour des télécentres et du télétravail
et propose depuis peu une conceptualisation des espaces de coworking. Il
reprend à se titre la définition proposée par le site du
programme Creative Wallonia l développé dans la région de
Wallonie pour poser les bases de son développement :
« Un espace de coworking est un lieu d'accueil, de
travail et de rencontre pour les entrepreneurs, porteurs de projets et
d'idées qui souhaitent les partager avec d'autres ; ce lieu est
dynamisé par une animation spécifique qui vise à
créer des liens à l'intérieur de la communauté des
coworkers et en dehors (...) l'agencement des pièces et du mobilier
ainsi que le modèle d'animation sont étudier en vue de favoriser
la rencontre, la collaboration, la discussion et le travail, pour la mise en
oeuvre des projets. Il y règne une ambiance décontractée
et informelle qui libère la créativité et favorise le
développement de projets. (...) Le coworking permet de favoriser la
collaboration entre acteurs et ainsi créer un écosystème
innovant au niveau local. »
www.creativewallonia.be (
Moriset, 2014, p.3)
Cette définition large permet de souligner le
caractère multidimensionnel des EC. Nous retiendrons plus
précisément pour la suite de nos recherches que l'espace est
envisagé au-delà du lieu de travail « pur ». Ils sont
au croisement de plusieurs activités que l'on peut assimiler
tantôt au cadre professionnel ( collaboration, mise en oeuvre de
projets...) tantôt du cadre de la détente, du temps libre
(discussion, ambiance décontractée et informelle...). Ce
positionnement des EC est particulier et typique d'une catégorie de
lieux qui a été théorisée au début des
années 90 : les tiers-lieux.
13
1.2 Un tiers-lieu professionnel
La définition proposée par le site Creative
Wallonia nous invite donc à mobiliser la notion de tiers-lieu
(traduction de third place) que nous devons à Ray Oldenburg (Oldenburg,
1989). L'auteur s'est intéressé à la naissance de nouveaux
lieux, intermédiaires entre le domicile et le travail, adaptés
à un style de vie urbain, individualisé et mobile. D'après
la classification qu'il propose, les premiers-lieux désignent le
domicile et les endroits de vie privée. Les seconds lieux se
caractérisent par les espaces de travail traditionnels où
l'individu passe la majeure partie de son temps. Le tiers-lieu est donc une
place hybride, localisée dans l'espace, qui répond selon l'auteur
à quelques critères. Parmi eux : la gratuité ou le bon
marché, l'accessibilité, le cadre hospitalier et confortable,
accueillant des habitués mais aussi des gens de passage (Genoud,
Moeckli, sd, p.4). Ces lieux sont neutres, simples, facilitent les rencontres
dans un climat informel. En définitive, il s'agit d'un type d'espaces
assez vaste allant du café à la bibliothèque en passant
par un hall de gare, qui se positionnent comme une alternative aux deux
sphères socialement structurantes que sont le domicile et le lieu de
travail et dans lesquels se développent des usages hybrides.
Avec la « révolution numérique » le
concept de tiers-lieu a suscité un regain d'intérêt. La
numérisation des fichiers, les outils de communication en ligne, les
réseaux sociaux et de manière générale la
convergence des supports a permis de « délocaliser »
progressivement des activités quotidiennes. D'où un nouveau
regard porté sur ces lieux, qu'ils soient explicités comme tel ou
non. Car en effet « ce n'est pas tant le lieu qui fait tiers-lieu mais
l'usage » (Garov, 2012). C'est d'ailleurs par les usages qu'il semble
intéressant de distinguer les différents types de tiers-lieux.
Ainsi, la classification actuelle proposée par l'équipe de la
Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing) nous paraît
convaincante puisqu'elle en distingue trois sous-catégories et permet
ainsi de préciser l'inscription des EC dans le champ des tiers-lieux.
·
14
des lieux de médiations et d'accès :
médiathèques, Espaces Publics Numériques (EPN),
cafés wifi...
· des lieux de création et de projets : fablabs,
makerspaces... 1
· des lieux de travail et entrepreneuriat : espaces de
coworking, télécentres, business lounge...
Bien que les frontières ne soient en
réalité pas si hermétiques (on retrouve parfois deux types
de tiers-lieux au sein d'un même espace), cette catégorisation
permet d'observer l'espace de coworking comme tiers-lieu formalisé,
à visée professionnelle et donc comme nouvel espace alternatif de
travail. Ray Oldenburg répertoriait les espaces urbains qui
s'inventaient tiers-lieux sans pour autant se définir de la sorte. Il
s'agissait d'avantage d'une appropriation spontanée et individuelle d'un
lieu, que ce soit une librairie ou même un salon de coiffure dans
certains pays, qui donnait naissance à une communauté vivante. On
remarque aujourd'hui que l'utilisation de cette notion désigne des lieux
qui se sont construits, ont été pensés et
aménagés autour de ces nouveaux usages. Ce fut par exemple une
des lignes directrices du développement de la chaîne de
coffeeshops Starbucks dans le monde. Remarquant la fréquentation
croissante de travailleurs occasionnels nomades qui grâce à leur
équipement personnel (ordinateur portable, tablettes et autres
terminaux) pouvaient exercer leur activité presque n'importe où,
la chaîne Starbucks y a vu une niche à exploiter. Séduit
par le concept de tiers-lieu, Howard Schlutz PDG de la marque en a fait le
coeur de ce qu'il appellera « l'expérience Starbucks » :
« Starbucks, c'est une atmosphère rationalisée mais
décontractée, efficace mais lounge [...] Le sens de la
flânerie est travaillé, de même que l'esthétique de
la décoration.[...] Le but est de s'y sentir bien quelque soit la
situation : en travaillant connecté, avec des amis, ou pour signer des
contrats. Certains appellent cela la "classic Starbucks experience"
»2. Sans rentrer plus loin ici dans le débat de la
récupération marketing et marchande du concept de tiers-lieu et
donc de sa potentielle dénaturation (Daix, sd), nous nous
intéressons au fait que le tiers-lieu notamment professionnel semble
aujourd'hui correspondre à des attentes spécifiques de la part
d'une catégorie de population urbaine, mobile, connectée... Une
catégorie de population qui a intégré les usages
numériques au
1 En ce qui concerne la thématique spécifique des
fablabs et makerspaces que nous n'aborderons pas plus en profondeur ici, je
renvoie aux récents travaux de la Fing :
http://www.slideshare.net/slidesharefing/tour-dhorizon-des-fab-labs
(consulté le 21/07/2014)
2 DAIX, Matthieu, Le marketing selon Starbucks, le concept de
third-place,
http://www.brocooli.com/le-marketing-selon-starbucks-le-concept-de-third-place/
(consulté le 28/07/14)
15
quotidien et qui recompose son environnement social et
professionnel de manière flexible et décloisonnée. Une
catégorie de population considérée leader d'opinion,
prescriptrice des tendances culturelles et des modes de vie à venir.
Le déploiement récent des EC dans les
territoires urbains semble donc répondre aux attentes et aux usages mais
aussi aux valeurs de plus en plus affirmées des travailleurs du
XXIème siècle, que l'on retrouve dans le concept de tiers-lieu. A
ce titre, Bruno Moriset nous fournit un tableau comparatif qui
révèle la similarité des approches entre les lieux
décrits par R.Oldenburg il y a vingt-cinq ans et les EC. Pour cela
l'auteur prend appui sur Citizen Space, l'un des premiers EC basé
à San Francisco, source d'inspiration pour beaucoup d'acteurs du
coworking (Moriset, 2014, p.8)
Figure 1 : tableau valeurs « des tiers-lieux » et
des espaces de coworking : une comparaison. (Source : Moriset, 2014,
p.8)
16
1.3 Un nouveau paradigme organisationnel
1.3.1 Une double rupture
« L'émergence des tiers-lieux traduit une rupture
radicale dans le paradigme organisationnel. [Ils prennent] l'exact contre-pied
des règles qui ont présidé la structuration de la
société, de l'économie, de l'espace, c'est-à-dire
les règles de la spécialisation exclusive. » (Chapignac,
2012,p.3) En tant que tiers-lieu donc, les espaces de coworking tranchent avec
le lieu travail traditionnel et son organisation. Ils sont plus ou moins dans
une dynamique de rejet des formes dominantes du travail qui structurait la
société auparavant. La Mutinerie, EC parisien partage ainsi sa
vision : « Imaginez un espace où [les individus] travaillent
ensemble mais pour des clients distincts, un environnement stimulant, sans
hiérarchie, sans compétition, sans politique, un cadre convivial
et cosy. » En bref, les EC se « vendent » comme des espaces
d'autonomie, de liberté, d'expression et de rencontres, opposés
aux espaces uniformes, impersonnels et rationnels que nous renvoie l'imaginaire
de l'entreprise du XXème siècle.
Mais, rappelons que le tiers-lieu est aussi une alternative
au « premier lieu », c'est-à-dire le domicile. Les outils
numériques ont permis à une partie de la population de se
libérer des contraintes spatio-temporelles via le développement
du télétravail. Le télétravail ou travail à
distance s'est propagé dans les années quatre-vingt-dix avec
comme trame de fond les discours utopiques de la société
digitale3. Il serait « un moyen idéal
d'économiser l'énergie, de diminuer la pollution et le stress
causés par les déplacements quotidiens, une manière de
concilier le travail et la vie familiale [...] la solution miracle pour le
développement des espaces ruraux, un outil pour l'insertion
socioprofessionnelle des personnes à mobilité réduite
» (Moriset, 2004:6). Bien que le télétravail soit en
réalité étendu à tout lieu « hors les murs
», il s'est manifesté en grande partie à travers le travail
à domicile. Mais face à une vision hédoniste de l'individu
maître de son temps, de son activité, pouvant organiser à
sa guise son emploi du temps entre travail famille et loisirs, apparaissent
assez vite les limites du domicile comme « nouveau bureau ».
Après retour sur expérience, « le télétravail
est perçu comme un facteur d'isolement de l'individu, limitant les
contacts professionnels avec les pairs aux stricts besoins de la
coopération et de la coordination [sans pouvoir] compter sur la
3 Voir les rapports Théry (1994), Breton (1995),
DATAR/Guigou (1998)
17
cohésion et la solidarité des groupes de
travail. [...] le télétravail est pris comme une situation qui
paraît ne pas avoir de réels contacts avec son environnement.
» (Largier, 2001:43). A une période de déploiement du
télétravail résolument optimiste va succéder
progressivement une période aux discours plus nuancés, mettant en
garde contre les éventuelles nuisances et les effets
désocialisant.
Les EC s'imposent naturellement comme alternative au travail
à domicile et à l'isolement. On constate que cet argument est
largement repris dans les définitions du coworking proposées par
les différents lieux. Ainsi, La Mutinerie à Paris propose «
un écosystème efficace pour leur permettre de rester autonomes
sans être isolés »4 ; La Boussol' à Brest
aborde sans détours : « Marre d'être isolé dans votre
travail ? Rejoignez-nous ! »5 ; L'espace Coworking Montreuil
s'adresse lui aussi aux travailleurs « qui souhaitent ne plus être
isolés chez eux ou dans des bureaux sans âme. »6
... En bref, les EC seraient le point de convergence des formes de rejet
associées au lieu et à l'organisation du travail, espaces
d'émergence d'un nouveau modèle plus en phase avec les attentes
des travailleurs qui ne se reconnaissent plus dans le bureau fixe traditionnel
et/ou ne parviennent pas à vivre l'utopie libératrice du
télétravail à domicile.
1.3.2 Mixité, Flexibilité,
Sérendipité
Les EC se nichent donc dans cette faille, au confluent des
maux engendrés par l'évolution des formes de travail et des
aspirations nouvelles. A l'isolement croissant des
télétravailleurs mais aussi des micro-entrepreneurs, start-ups et
free-lanceurs en manque de réseau professionnel, le coworking
répond par un espace physique, partagé, collaboratif. «
Rassemblant des profils très hétérogènes dans un
premier temps et offrant dans un second, un environnement de travail nouveau,
public et informel, les tiers-lieux professionnels soutiennent
l'émergence de nouvelles formes de collaboration entre les
différents acteurs : celle du travail en réseau.» (Frekane,
Trupia, 2010, p.6). Cette forme de travail en réseau, collaboratif est
perçue comme un accélérateur de sérendipité.
Le terme sérendipité,
4 http://www.mutinerie.org/
5 http://laboussol.fr/ (consulté le 12/07/14)
6
http://www.bureauxapartager.com/location-de-bureaux/ile-de-france/montreuil/93100/5993-rejoignez-coworking-createurs
(consulté le 12/07/14)
18
néologisme de l'anglais serendipity est en
fait la capacité, l'opportunité de faire par chance des
rencontres ou des découvertes plaisantes (Moriset, 2014, p.10). La
relation entre le coworking et la sérendipité a notamment
été mise en avant par C.Messina, co-fondateur de l'EC Citizen
Space à San Francisco. La proximité physique, le cadre convivial,
l'animation du tiers-lieu en fait un support privilégié
d'interactions entre les individus. Ces derniers sont invités à
partager leurs idées, collaborer autour de projets collectifs,
s'intégrer à la communauté en discutant et
échangeant les points de vue. On retrouve d'ailleurs dans l'esprit du
coworking un désir d'ouverture . Un des objectifs des EC est en effet
d'abattre les cloisons du marché par la « mise en relation »
des travailleurs. Ceux-ci peuvent être de la même profession ou
secteur mais le coworking permet, au-delà du fait de rencontrer ses
pairs, d'élargir l'horizon professionnel en incitant l'échange
avec d'autres acteurs. A ce titre, les sites des EC sont
révélateurs. Un bref détour par les rubriques
destinées à informer les potentiels-futurs usagers des lieux
permet de confirmer le caractère résolument ouvert du
coworking.
· « A tous les curieux et passionnés du
Numérique » (Cantine Toulouse)
· « Nous recherchons des personnes avec un "esprit
bêta" » (Betahaus, Barcelona)
· « Nous sommes ouverts à toutes les
industries et businesses et nous cherchons chez nos potentiels membres les
qualités suivantes : curiosité, créativité,
intellect, désireux de participer et contribuer à une
communauté ouverte. » (The Cube, London)
· « Surtout, venez comme vous êtes! Car non,
il n'y a pas de sélection à l'entrée. Nous avons des
entrepreneurs, des salariés, des chercheurs (d'emploi), des
indépendants, etc...[...] Tout le monde à sa place » (La
Cordée, Lyon)
· « [Nous accueillons] des esprits innovants de
tous horizons » (Lawomatic, Paris)
1.3.3 Un projet social ?
Les EC ont jusque là été
étudiés essentiellement selon leur capacité à
générer de l'innovation (Besson, 2014 Moriset, 2014 ; Suire,
2013) et à les diffuser à l'échelle de la « ville
créative » (Chapignac, 2014). Ces recherches sont notamment au
fondement des politiques publiques menées à l'égard des
EC. Redynamiser le tissu local, créer des emplois, faire éclore
des écosystèmes d'innovations capables de s'affirmer dans un
contexte
19
économique international de plus en plus
concurrentiel... sont autant d'objectifs prônés par les politiques
européennes qui ont justifié l'implication croissante des
collectivités (et particulièrement en France) quant au soutien
à la création et au développement des EC (Fekrane, Trupia,
2010, p.7).
Ce qui nous interpelle ici, serait le glissement des
référents symboliques de la situation de travail. Outre l'effet
de mode, l'engouement médiatique, il nous semble intéressant de
replacer le coworking dans ce qu'est le travail, sa place dans la
société et ses représentations. Au même titre que le
télétravail a nourri une utopie du « travailleur libre
», le coworking semble porter en lui les valeurs d'un projet de mode de
vie qui va bien au-delà du simple bureau partagé. A l'aune d'une
époque où les risques liés au travail occupent souvent le
devant de la scène (que l'on parle d'harcèlement, de
chômage, de stress etc...) le coworking semble indiquer un chemin
consensuel vers une société apaisée, solidaire et
épanouissante. Où le travail serait loisir, les collègues
seraient des amis, le bureau un salon cosy. Où les nouvelles
technologies numériques ne seraient pas des « outils despotes
» dans le sens où ils priveraient l'individu d'initiatives et de
responsabilités en le soumettant à la technique (Stiegler, 2006)
mais bien l'un des moyens de vivre une situation de travail plus libre,
conviviale et plus humaine. En poussant le raisonnement, l'individu trouverait
dans le coworking la manière de se réaliser en tant que
travailleur mais aussi en tant qu'individu . Cela questionne ainsi la place du
travail dans la vie mais également le rapport subjectif au travail.
A ce titre, la notion d'ethos en tant qu' « ensemble des
valeurs, des attitudes et des croyances relatives au travail qui induisent une
manière de vivre son travail au quotidien » (Mercure, Vultur,
2010:2) nous permet de creuser cette réflexion puisque cela invite
à cerner les changements de mentalité liés au travail qui
s'opèrent dans la société, à « rendre compte
entre le domaine du psychologique et du sociologique, entre l'individu et le
système social » (Lalive d'Epinay, 1998, p.68). Les auteurs
québécois Daniel Mercure et Mircea Vultur distinguent trois
composantes de l'ethos (Op.cit.) :
1)
20
l'importance du travail dans la vie des individus
2) la centralité du travail par rapport aux autres
sphères
3) la signification du travail, c'est à dire sa
finalité
Aussi, il nous paraît important afin de poursuivre nos
recherches de questionner l'Histoire et les sciences humaines sur les
représentations du travail dans les sociétés occidentales.
Alors que le coworking est prôné comme projet social,
précurseur du travail de demain (comme le coworker incarnerait
l'idéal-type du travailleur de demain), il convient de s'interroger sur
la place du travail dans l'espace social et les différentes dimensions
qu'il recoupe. Pour cela, nous développerons succinctement dans le
second chapitre de cette revue de littérature les différentes
acceptions qu'a pu recouvrir le concept de travail et ses
représentations. Car l'ethos a une histoire, c'est un produit
socio-historique, « il surgit, se développe, se cristallise,
décline et disparaît en fonction de la myriade d'interactions,
conflits et innovations qui font et refont la société en
permanence » (Lalive d'Epinay, 1998, p.68). Il ne s'agit pas ici de
traiter de manière exhaustive l'ensemble des théories qui ont
construit le concept et conduit à sa vision contemporaine, mais bien de
voir comment les valeurs au travail véhiculées au sein des EC en
tant que tiers-lieu professionnel se positionnent, entre rupture et
continuité en interrogeant le travail au niveau sociétal.
21
II) Ethos et travail
Il faut savoir que le concept de travail n'est pas immuable et
de tout temps. « [Son] contenu et le sens du mot "travail" varient selon
les cultures et les époques » (Mercure, Spurk, 2003, p.1). En
occident, son acception contemporaine remonterait au XVIIème
siècle. Le travail constitue un champ de recherche riche et en
perpétuel débat puisqu'il s'agit avant tout de penser l'individu
dans la société moderne : « Les sciences humaines issues de
la Renaissance n'ont pu penser l'homme et la société en l'absence
du travail parce que le travail s'est de plus en plus affirmé comme
l'une des formes modernes de l'homme en société. » (Op.cit.
p.2) Mais l'idée d'inscription du travailleur au coeur de l'espace
social n'a pas toujours existé.
Dans la Grèce classique, le travail correspondait aux
efforts fournis pour subvenir aux besoins vitaux. Il correspondait donc
à un certain « asservissement à la nécessité
à quoi s'oppose le domaine de la liberté, politique et parole
» et donc de l'épanouissement personnel. Le travail est une
activité rabaissante, privant l'individu de son statut de citoyen et
d'acteur de la Cité. Il n'est pas plus source de lien social puisque le
métier est vécu comme facteur de « différenciation et
de cloisonnement entre les citoyens ». Les activités
assimilées au travail, regroupées sous le terme ponos
sont en ce sens dévalorisées au profit de l' egon
(oeuvre) qui concerne les activités de l'esprit. Ainsi pour
réaliser la « bonne vie », il serait nécessaire de se
libérer de ces activités contraignantes qui maintiennent une
relation de dépendance pour s'adonner aux loisirs, arts et philosophie.
Platon et Aristote développent en ce sens la vision d'un idéal
individuel social détaché des nécessités et des
conditions matérielles de survie. Ainsi, de l'esclave à
l'artisan, aucun ne correspond aux critères du citoyen grec digne de ce
nom puisque le travail « ruine les corps et brisent les âmes »
(Aristote, cité par Migeotte, 2003, p. 17). Il n'est donc pas possible
de parler d'une essence du travail, conçue comme réalisation de
soi. (Afriat, 1996, p.62). Cette vision va se perpétuer et il faudra
attendre des siècles avant d'observer une valorisation du travail comme
activité essentielle à l'homme et source de lien social . Ainsi,
le travail dans son acception moderne regroupant des activités
éloignées est récente, tout comme son caractère
central dans l'ordre social.
22
2.1 Société industrielle : la valorisation
du travail
Un bond dans le temps nous permet de nous rendre compte d'un
retournement de situation frappant. Alors que dans la Grèce classique,
le travail, activité déshumanisante, faisait du travailleur un
réprouvé de la cité, la société industrielle
l'érige comme activité essentielle à l'homme. Comment et
sur quoi s'est bâtie cette valorisation ? Et comment cela peut-il nous
permettre de mettre en perspective les représentations du travail
à l'oeuvre dans les EC ?
En se penchant sur la valeur travail en tant
qu'idéologie à travers le temps et les textes, on est
forcé d'admettre que le travail dans les sociétés
occidentales occupe alors une place prépondérante. Tous
s'accordent sur ce point, qu'importe les penchants philosophiques, politiques
ou économiques. Le travail serait unanimement reconnu comme
l'expérience humaine sociale centrale. Ce qui diverge cependant, c'est
le sens que l'on donne au travail. La véritable tension qui est
donnée à voir n'est pas un débat sur la
nécessité de travailler ou non, mais porte d'avantage sur ses
finalités. En somme, pourquoi travaillons-nous ? Le travail est-il un
devoir ? Un instrument ? Une fin en soi ?
2.1.2 Le travail comme facteur de production
Le XVIIIe marque la mise en place du travail « moderne
» (Boissonat, 2012) notamment avec l'avènement de l'économie
comme science et au fur et à mesure de la croissance économique
dans les pays d'Europe centrale. Au XVIIIème donc, le travail trouve son
unité, notamment grâce aux apports des économistes
classiques comme Adam Smith et ses contemporains. Bien qu'entretenant la
relation entre travail, effort et peine, A.Smith le considère dans son
ouvrage de 1764 7 comme « ce qui crée de la richesse
». Ciment de la société, le travail est créateur de
lien entre les individus puisque chacun dépend d'autrui, de l'autre,
selon le principe de la division du travail. Le lien économique est
celui qui permet à la société de se développer, de
croître et de s'enrichir sur la base de l'interdépendance entre
les individus. Ainsi, des échanges entre marchandises découlent
les échanges sociaux dans la société de marché et
« le rapport qui lie les individus est fondamentalement celui de la
7 SMITH, Adam, La Richesse des nations, 1776
23
contribution des individus à la production et de leur
rétribution, dont le travail est la mesure» (Meda, 2010, p.7). En
un sens, ce travail conduit à l'autonomie. L'individu par son travail se
dote de la capacité d'échanger, de participer à la marche
de la société-marché et donc d'exister en son sein. Il
permet aux individus d'accéder à une position sociale à
partir de leur contribution objective à la production (Meda, 2010, p.8).
Cela ne signifie pourtant pas que le travail en tant que tel,
c'est-à-dire dans son contenu est glorifié. La pensée
libérale au XVIII tend à considérer le marché comme
chef d'orchestre de l'ordre social sans pour autant que l'activité de
travail soit entendue comme épanouissante ou facteur de «
réalisation de soi ». La vision du travail véhiculée
ici est celle d'un travail orienté vers une finalité, en
l'occurrence, la richesse.
2.1.1 L'éthique du labeur : le travail comme devoir
individuel et collectif
« L'oisiveté est péché contre le
commandement de Dieu, car Il a ordonné qu'ici-bas chacun travaille.
» Martin Luther (1483 - 1546)
Pour Max Weber, cette valorisation du travail trouve ses
fondements au-delà des logiques de mécanique économique.
La thèse qu'il développe à l'aube du XXème
siècle démontre en quoi la culture religieuse (ici le
protestantisme) en tant que système de représentation, a
forgé cet ethos du travail moderne. Dans la conclusion de son
ouvrage L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, il
écrit « Le puritain voulait être un homme besogneux, nous
sommes forcés de l'être» (Weber cité par
Lalive d'Epinay, p.154). Le travail est alors perçu comme une affaire de
morale et de devoir. Il constitue un « sacrifice de soi à la
collectivité » en contrepartie d'une certaine
sécurité et prospérité. La collectivité,
alors principe supérieur à l'individu, justifie
l'exécution du devoir productif. Avec le protestantisme du XVème
et XVIème siècle s'opère le basculement des valeurs
attachées au travail qui selon M.Weber constitue les fondements de
l'essor de capitalisme industriel, autour de l'éthique du labeur. Selon
cette conception, « l'homme est par excellence, l'homme au travail. La
figure de l'homme déchu s'incarne dans l'oisif» (op.cit p.155). En
résumé, cet ethos pose les fondements d'une société
qui serait la « condition d'existence de l'individu » qui par son
travail participe au vaste projet conquérant de
l'industrialisme.(Op.cit. p.78). La réalisation de l'individu passe par
l'accomplissement de son destin social, en exerçant son
métier.
24
2.1.3 la transition : travail et
épanouissement
Dans l'après-guerre, la société
industrielle culmine et offre ce pour quoi elle a été bâtie
: l'abondance. Que ce soit au travers des Trente glorieuses à la
française, du miracle allemand, de la nouvelle renaissance italienne, la
réalité du travail change: le PIB croît sans
embûches, le plein emploi est assuré et le pouvoir d'achat des
salariés n'en est que plus fort. Chrisitian Lalive d'Epinay, sociologue,
a dédié une partie de sa carrière à évaluer
les mutations socioculturelles à l'oeuvre dans les
sociétés développées, notamment autour de la
question des transformations du travail et de ses valeurs. Selon l'auteur, dans
un climat de prospérité économique, « l'environnement
se transforme, les mentalités aussi. Une mutation culturelle - des
habitudes, des styles de vie, mais aussi au plus profond des croyances et des
valeurs - s'est produite. » (Lalive d'Epinay, 1998, p.82). L'ethos du
travail avait mis à la tâche toute une société en
marche vers le progrès justifiant les sacrifices. La fin justifiant les
moyens, après un siècle et demi de travail acharné, les
années dorées apparaissent comme la récompense ultime. En
toute logique, l'éthos du travail perd de sa substance. Le « devoir
» envers la société n'a plus tant de sens, il se noie dans
l'abondance de la consommation et le développement des loisirs. Un
glissement s'opère : « la véritable vocation de l'homme
n'est plus le travail mais le bonheur, l'épanouissement personnel [...]
le droit fondamental n'est plus de vivre et de travailler mais de vivre et
s'épanouir. » (Op.cit. p.83). Le concept travail prendrait ici sa
forme la plus réduite, la plus vide puisque l'individu se
réaliserait en dehors de celui-ci. En un sens, c'est aussi le mythe du
travail en tant que liberté créatrice comme il s'imagine chez
Marx qui s'épuise. Pour reprendre une expression d'André Gorz, Il
n'est donc plus tellement question de se libérer dans le
travail si ce n'est de se libérer du travail. En tant que
concept étroitement lié à l'individualité, la
question de l'épanouissement inverse la relation entre l'individu et la
société. Cette dernière doit garantir un «
environnement favorable [en] reconnaissant les dimensions non rationnelles de
la nature humaine » (Op.cit.) Ce sera la grande mission de l'Etat
providence qui tend à dédomager le citoyen de la
pénibilité du travail par l'établissement de
règlementations économique et sociales. Cela concorde avec
l'affirmation progressive d'un droit du travail dont deux des grandes
manifestations sont, d'une part la réduction du temps de travail, de
l'autre l'élévation des niveaux de salaires. En somme,
25
le cadre institutionnel et juridique du travail épouse
un éthos de l'épanouissement qui, dans une société
d'abondance se cristallise autour des loisirs et des biens de consommation de
masse, dans un contexte de plein-emploi. Ainsi, l'idée centrale de
l'Etat providence n'est pas tant de revaloriser le travail en soi, si ce n'est
d'accéder à un niveau de supportabilité du travail en
garantissant l'accès à un revenu, des droits et des
protections.
« Cette période de grande transition est
l'occasion d'une révolution culturelle au cours de laquelle l'ethos du
travail ayant perdu sa raison d'être se voit concurrencer par un hymne
nouveau qui change l'individu et son épanouissement » (Op.cit.
p.69). La dialectique travail/temps libre à cette époque a
inspiré de nombreux chercheurs qui ont cherché à
déterminer les nouvelles articulations des temps sociaux. Parmi eux,
Jean Viard, sociologue français, a souligné comment
l'évolution des conditions du travail moderne déplaçait le
centre de gravité de la société du travail au loisir. Dans
Le sacre du temps libre, Jean Viard démontre que le temps libre
serait désormais la sphère structurante de la
société, celle où l'homme développe ses relations
sociales et se développe par la même occasion, hors-travail.
(Viard, 2004). Pourtant, Christian Lalive d'Epinay invite à nuancer le
propos et à s'éloigner d'une opposition trop schématique
des deux sphères. Pour lui, le passage d'un ethos du travail à un
éthos de l'épanouissement est surtout le reflet d'un changement
de point de vue dans la relation symbolique entre l'individu et la
société : « l'ethos de travail subordonnait l'individu au
tout social, l'ethos de l'épanouissement fait de l'individu la
finalité de la société. » Et si dans un premier temps
l'ethos du travail s'est manifesté par la perte de centralité du
travail, cela ne veut pas dire que le travail perd sa signification et qu'il
n'est plus investi de valeurs symboliques. L'auteur émet
l'hypothèse que l'ethos de l'épanouissement est associé
à une vision polycentrée de la vie et que le travail est
réinterprété selon des modalités individuelles
portées sur le désir de réalisation de soi. Il est dans
cette optique ni tout puissant ni absent, mais imbriqué dans un projet
de vie au sens large.
26
2.2 Contexte actuel, la dualité d'un travail en
quête de sens
2.2.1 Desinstitutionalisation et parcours de vie
Il apparaît que depuis une quarantaine d'années,
les standarts des parcours de vie s'affaiblissent. Ils avaient connu leur
apogée dans les années 60 avec une institutionnalisation forte
autour de l'Etat providence dans un contexte de croissance économique et
de quasi-absence de chômage (Cavelli, 2007 : 20). Mais la crise du milieu
des années 70 amène plusieurs chercheurs à formuler
l'hypothèse de l'érosion de ce modèle
insitutionnalisé. Les parcours sont de plus en plus personnalisés
et se détachent des trajectoires linéaires. En fait, ces
standarts seraient devenus à la fois peu réalistes (dû aux
incertitudes du marché du travail) mais aussi peu désirables
(l'individu veut jouir d'une souvenraineté et être maître de
sa destinée). Du fait de la montée de l'individualisme, on
assisterait donc à un déclin de l'autorité de la
société et de sa capacité à établir un
modèle normatif. D'un côté, l'individu
s'émanciperait des tutelles traditionnelles vers la quête de son
propre épanouissement. De l'autre, il faut noter que ce retrait de
l'institution au sens large peut également être une source de
nouvelles tensions : « l'individu moderne a certes conquis sa
liberté, mais risque aussi de se retrouver seul face à sa
destinée. » (Cavelli, 2007 : 31). La vision du travail dans ce
contexte est alors remise en question.
2.2.2 Crise de l'emploi, crise du travail ?
Au regard de l'ethos de l'épanouissement, le travail
est en procès. Depuis les années 70-75, les grands mythes de la
société industrielle s'effritent et apparaît un climat
d'incertitude généralisé . En résumé, nous
retrouvons dans les pays développés les grandes lignes suivantes
: Stabilisation de l'emploi salarié, entrée et stabilisation du
chômage de masse, précarisation de l'emploi salarié ,
développement des formes précaires d'emploi comme les contrats
à durée déterminée ou le travail
intérimaire... Le travail salarié, dégradé et
parfois dégradant reste pourtant le graal d'une multitude d'individus
touchés par le chômage. L'emploi
27
est en difficulté dans presque tous les pays de l'OCDE,
fluctuant au rythme des crises économiques. Aujourd'hui, le vocable
« crise du travail » est expression courante, largement
relayée par les médias qui pointent du doigt les pressions
grandissantes sur les travailleurs, les risques sanitaires ou psycho-sociaux,
mais aussi un certain désenchantement sous la thématique du
malaise. L'ethos de l'épanouissement en mettant l'individu au premier
plan a mis en exergue tout une série de problématiques
liées aux conditions de travail.
2.2.3 Revaloriser le travail à l'aune de l'ethos de
l'épanouissement
En revenant à l'ethos de l'épanouissement, la
place du travail accordé à ce cheminement individuel vers la
réalisation de soi et en quelque sorte le bonheur, reste en
débat. Dominique Meda parle de double nature du travail. D'un
côté le travail est dévalorisé puisque dans un
climat économique instable, il n'est tout simplement plus assuré.
Le plein emploi a laissé place à des vagues de chômage qui
privent les individus de leur droit à l'épanouissement
hors-travail. Ainsi pour certains penseurs dont André Gorz, il faut
s'affranchir des idéaux d'une société utilitariste qui a
instrumentalisé le travail jusqu'à un point de non retour. La
valorisation du travail s'est construite selon des logiques capitalistes de
production/consommation et l'extension du salariat. Pour lui, le
problème est donc que la société s'est
développée autour de valeurs qui nous conduisent dans l'impasse.
Dans son ouvrage de 1991, La métamorphose du travail, quête du
sens, André Gorz critique cette omniprésence du travail
soumis à la sphère marchande. Une critique philosophique, qui
nous invite à mobiliser succinctement les apports de Karl Marx.
Déjà au XIX siècle, l'auteur plaidait pour que la
priorité soit dans le développement humain, de telle sorte que
l'individu soit maître de son travail et de la production au lieu de se
voir dominé par elle (Noguera, 2011). Car selon Marx, «le travail,
cette pure capacité de transformation de la nature donnée
à l'homme, qui transforme en même temps l'homme, qui est l'esprit
qui toujours nie, supprime le naturel pour mettre à la place de
l'humain, a été défiguré, a été
détourné de son sens; et il faut désormais libérer
le travail, le retrouver dans sa pureté ». (Meda, 2001:10). La
deuxième nature du travail explicitée par Dominique Meda va dans
ce sens. Le travail source de souffrances est paradoxalement investi d'une
valeur d'émancipation, d'épanouissement. Cette ambivalence
actuelle est pour l'auteur le signe d'une inadéquation entre les
évolutions du
28
travail et un modèle organisationnel et sociétal
qui a du mal à se défaire de son héritage. Aussi, nous
pouvons nous demander comment les EC répondent-ils à la
métamorphose du travail en proposant un modèle alternatif qui
participerait à l'affirmation de nouvelles valeurs aux travail
orienté vers l'épanouissement de l'individu.
29
III) Nouveau modèle productif et évolution
du travail
Les nouvelles technologies et Internet en premier plan forment
l'innovation la plus significative de la fin du XXème siècle.
Changement d'ère, changement de civilisation, révolution.... Les
expressions ne manquent pas de panache pour illustrer le bouleversement que
connaissent les sociétés développées depuis
maintenant quatre décennies. Selon Pierre Levy, « il n'y a jamais
eu de système de communication qui se soit développé aussi
vite dans l'histoire de l'humanité, à l'échelle mondiale.
» (Levy, cité par Kleck, 2007,p.26). Le coût d'acquisition
diminue d'année en année et leur utilisation se simplifie pour
devenir une révolution « grand public ». C'est la «
vitesse de pénétration sociale du changement » (Kleck, 2007,
p.25) qui est belle et bien spectaculaire : Internet impacte nos modes de vie,
de travail, de consommation, nos relations et s'impose comme une «
réalité incontournable sur le plan
économique mais surtout social.» (Gilles,
Marchandise, 2013, p.27). La propagation fulgurante des NTIC et
particulièrement d'Internet à travers le monde a nourri de
nombreux espoirs, une porte de sortie répondant aux défis
sociaux, économiques, politiques, écologiques, culturels... En
bref, le world wild web s'est vu chargé de résoudre tous les maux
contemporains, alimentant une multitude d'ouvrages prospectivistes voire
prophétiques. A travers le réseau, on devait voir éclore
une société égalitaire, pacifique et connectée au
delà des frontières physiques. Le caractère insaisissable
et illimité d'Internet a débridé les imaginations, nourrit
les utopies tout comme les craintes relatives aux bouleversements puissants qui
nous échappent.
3.1 Un nouveau modèle de
société, vers une société de la
connaissance
Dès les années soixante-dix, Alain Touraine et
Daniel Bell avaient identifié l'information et la connaissance comme
nouveau fondement de l'économie post-industrielle. «
L'immatériel » devient la vraie source de richesse, jusque
là assimilée aux éléments matériels
(machines, matières premières...). Le capitalisme du XXème
siècle reposant sur la
30
figure centrale de la grande firme dense, verticale et
centralisée se démantèle peu à peu au profit d'une
organisation plus réactive, fluide et adaptable (Cohen, 2009).
L'apparition progressive mais massive des nouvelles technologies va apporter un
souffle à cette théorie, en augmentant de manière
exponentielle les potentialités de production et partage de
l'information et des connaissances. Pour Manuel Castells, ancien
élève d'Alain Touraine et auteur reconnu notamment pour son
ouvrage imposant de trois tomes « L'ère des réseaux »,
le développement informationnel permet de réorganiser la
société de manière plus souple, « Les progrès
de l'informatique et des télécommunications [ayant] permis
à une obscure technologie, qui n'avait pas d'application pratique en
dehors de l'informatique, de devenir le levier d'une société de
type nouveau : la société en réseau » (Castells,
2001). Malgré la pluralité sémantique observable pour
définir ce « nouveau type de société »
(société en réseau, société
informationnelle, immatérielle, de la connaissance...) les recherches
tendent à s'accorder sur le fait que le ciment du monde actuel et
à venir n'est plus dans la production bornée, quantifiable de
biens matériels mais que s'opère un glissement vers une
société organisée en réseau dont la création
de valeur repose sur « la production, diffusion, consommation, de
connaissances, de compétences et de pratiques cognitives...[...]
génératrices de performances, individuelles ou collectives,
économiques, sociales et culturelles » (Padiolau cité par
Breton, 2005).
Cette réalité nous impose un nouveau cadre
référentiel pour envisager le travail. Comme la machine a vapeur
a réorganisé le travail au XIXème siècle, les
nouvelles technologies en se généralisant dans la sphère
professionnelle semblent redéfinir le rapport de l'individu à son
travail. Crise, renouveau ? Disparition ou omniprésence ? Les
interprétations divergent, se chevauchent, se contredisent, ce qui
traduit surtout une complexité de lecture des indicateurs et un
bouleversement historique qui demande de repenser le travail tant au niveau de
son contenu qu'au niveau de sa forme. Selon Valérie Kleck « le
travail, qui est au coeur de nos vies individuelles et de l'organisation de nos
vies collectives [...] subit actuellement une telle évolution que toutes
les théories et politiques de l'ancienne économie sont devenues
inappropriées et totalement inefficaces. » (Kleck, 2006, p.56). Il
devient insaisissable, plus difficilement quantifiable et regroupe dès
lors des réalités très diverses. L'unité du «
travail moderne » apparue sous la société industrielle est
ébranlée.
31
3.2 La thèse du Capitalisme cognitif
La thèse du capitalisme cognitif présente selon
nous un intérêt particulier pour évaluer la
métamorphose du travail comme il se manifeste au sein des EC, au travers
de la transformation de l'économie capitaliste. Le contenu essentiel de
la refonte de l'accumulation du capital repose sur la « captation »
de l'économie du savoir. Ainsi le « capital physique devient une
variable secondaire par rapport à la capacité de mobiliser en
réseau les intelligences des hommes » (Vercellone, 2002 :11). La
thèse du capitalisme cognitif invite à repenser le régime
d'accumulation. La connaissance n'est pas un stock quantifiable (Besson, 2010)
mais bien un mouvement. Ce n'est pas tant la connaissance, mais bien le
phénomène de production, le transfert, la circulation de celle-ci
qui constitue la vraie richesse. Nous retiendrons une définition
générale proposée par les auteurs-collaborateurs de la
revue Multitudes, référence française de la pensée
du capitalisme cognitif.
« Nous appelons capitalisme cognitif un système
d'accumulation associant un mode de production capitaliste, un régime
d'accumulation privilégiant la connaissance et la
créativité, et un mode de régulation
caractérisé par des rapports sociaux fondamentaux et des
comportements tournés vers l'innovation, la nouveauté et le
partage des droits y afférents. Ce système implique une
transformation majeure du rapport salarial et des formes de la concurrence.
»
(Dieuaide
et.al, 2008, 4)
L'intérêt de cette thèse pour envisager le
travail repose sur le fait que malgré les changements qui
s'opèrent au gré de la mondialisation et de l'avènement
des nouvelles technologies depuis les années soixante-dix, les penseurs
du capitalisme cognitif refusent l'idée d'un déterminisme
technologique selon lequel l'évolution de la société ne
serait qu'une adaptation aux transformations technologiques . Yann Moulier
Boutang dans son ouvrage paru en 2007 Le capitalisme cognitif, la nouvelle
grande transformation affirme que c'est la « production de la
connaissance par la connaissance » et du « vivant au moyen du vivant
» qui caractérise l'économie contemporaine. En d'autres
termes, alors que les théories de la société de
l'information ou de la connaissance qui considèrent les NTIC comme
« facteur causal exogène du changement » (Corsani
et.al, sd) le capitalisme cognitif s'attache
à l'appropriation de la technique et des connaissances
instrumentées par la technique, par l'humain. Ainsi, les mutations
structurelles ne sont pas simplement « la conséquence globale de la
modification
32
d'une cause unique extérieure » (Boutang, 2010)
mais plus le fruit d'une renégociation complexe des principes
capitalistes industriels au prisme de la société de la
connaissance. Autrement dit, les auteurs nous invitent à
recontextualiser cette « nouvelle ère » en inscrivant les
dynamiques actuelles dans l'histoire du capitalisme, en rupture avec une vision
« a-historique, positiviste et non conflictuelle de la science et de la
technologie qui conduit à effacer les contradictions sociales,
éthiques et culturelles que le développement de l'économie
du savoir engendre » (Dieuaide
et.al, 2008, 5). Le capitalisme cognitif
offre en ce sens une grille de lecture qui s'éloigne des mythes, utopies
et idéologies qui ont façonnés les discours des
théoriciens de la nouvelle économie, repris allègrement
par les politiques (op.cit). Finalement, capitalisme cognitif comme «
régime en devenir » reconnaît l'existence de tensions entre
l'ordre capitaliste et les nouvelles conditions d'un régime en cours de
construction. Autre point important, le capitalisme cognitif déborde la
sphère productive et des lieux traditionnels de l'entreprise pour
annoncer une restructuration à l'échelle de la
société (Moulier Boutang, 2010, p.8). Il s'agit d'un processus
global (Dieuaide
et.al, 2008, p.6). Le passage à une
nouvelle forme de capitalisme selon ces auteurs produit un bouleversement des
référenciels que ce soit par rapport au temps, à l'espace,
à la production, à la hiérarchie et au travail (Besson,
2010).
3.2.1 Idéologie du libre et émergence d'une
« creative class »
« le travail, en devenant de plus en plus
immatériel et cognitif, ne peut plus être réduit à
une simple dépense d'énergie effectuée dans un temps
donné » (Negri, Vercellone, 2008:25). Plusieurs auteurs se sont
attachés à montrer en quoi le secteur des TIC et le mouvement du
logiciel libre laisse entrevoir les contours d'un nouveau modèle
productif, d'une nouvelle organisation et d'un nouveau rapport au travail
(Vandramin, 2007 ; Himanen, 2001). Pour Yann Moulier Boutang, « le
phénomène social et économique du libre » fournirait
« un véritable modèle productif. Et ceci, tant sur le plan
des forces sociales nouvelles que l'on peut repérer, sur celui de la
division sociale du travail, que celui de la rationalité des agents
économiques qui se trouve ainsi inventée, promue, des formes
d'identité non pas au travail mais à un travail qui a
changé fortement de contenu. » (Moulier Boutang cité par
Broca, 2008:20). En d'autres termes, le secteur des TIC empreint de
l'idéologie du libre serait un
33
« avant-goût du bouleversement global de
l'organisation du travail » (Broca, 2008:23) permettant d'analyser le
capitalisme sous ses multiples facettes. Je propose ici, après avoir
exposé brièvement les fondements de « l'idéologie du
libre » telle qu'elle a été étudiée par les
auteurs mentionnés ci-dessus, de mettre en évidence les nouvelles
logiques du travail qu'elle suppose.
Le mouvement du logiciel libre prend forme au tournant des
années 70-80, au moment ou apparaît l'ordinateur personnel. Les
sociétés informatiques décident de privatiser le code et
d'introduire des closes de confidentialité auprès des
employés. Ainsi l'accès au code source, qui permettait de
modifier, d'améliorer les programmes est largement restreint ce qui
empêche donc les communautés d'informaticiens de collaborer autour
de l'écriture et l'évolution de ceux-ci. En réaction
à ce mouvement de privatisation des contenus, certaines figures du monde
des TIC vont donc développer des systèmes entièrement
libres pour « revenir aux sources » de ce qui a façonné
l'informatique, à savoir la collaboration. Au cours des décennies
suivantes, le mouvement va évoluer et se structurer à travers des
projets de systèmes d'exploitation, des fondations, des licences... et
quelques personnalités comme Richard Stallman (informaticien au MIT
à l'origine du GNU) ou encore Linus Torvalds (père de Linux). Le
fait que le mouvement du libre se soit développé en
réaction contre les pratiques commerciales et les grandes
sociétés de l'informatique, ne veut pas dire qu'il n'est
resté qu'un épiphénomène contestataire.
Aujourd'hui, les projets GNU et Linux combinés forment un système
d'exploitation complet qui « a acquis une solide réputation de
fiabilité, et est devenu le concurrent principal de Windows. »
(Broca, 2008:8).
Selon Pekka Hinamen, chercheur finlandais auteur de «
L'éthique hacker et l'esprit de l'ère de l'information »
paru en 2001, les pratiques et valeurs véhiculées dans le
monde du logiciel libre ont données naissance à une «
nouvelle éthique du travail ». Ce travail, qui consiste à
bricoler, créer, inventer, modifier... est conçu par les hackers
(ici entendu comme membre du mouvement du logiciel libre et non comme la figure
médiatique du pirate malveillant), comme une activité
passionante, un « plaisir jubilatoire d'expérimentation et de
construction » (Dutertre, 2001, 6). En ce sens, la conception du travail
s'éloigne du devoir moral ou du rapport financier que l'on retrouve sans
l'éthique protestante. Yann Moulier
34
Boutang reprend, au travers de sa thèse sur le
capitalisme cognitif, les grandes lignes des recherches de P. Hinamen. Pour
lui, le mode de production émergeant serait basé sur « le
travail de coopération des cerveaux réunis en réseau
» (Boutang, 2007, p.95). L'entreprise n'est plus l'unique centre nerveux
productif puisque l'activité se dessine au travers des interactions, des
communications, des inventions permises par un système ouvert où
chacun y injecte son expertise dans un but d'oeuvre collective.
Les deux auteurs partagent un point de vue : avec la
généralisation des TIC dans l'ensemble du tissu productif et
l'avènement d'une société où la diffusion du savoir
des connaissances, des innovations jouent un rôle majeur,
l'éthique du travail développées par les adeptes du libre
constitue un exemple hors pair. « Les communautés de
développeurs du libre auraient inventé le mode de production
caractéristique de ce nouveau régime économique. »
(Broca, 2008:27). Ainsi, ces communautés seraient des avant-gardes,
annonçant une nouvelle manière de concevoir le travail et ceci
à l'échelle de la société (et non plus
cantonnée au simple secteur de l'informatique). Malgré de
nombreuses objections quant aux risques « d'extrapoler des tendances
partielles » spécifiques à un secteur de pointe, Yann
Moulier Boutang reste fidèle à son raisonnement quant aux
mutations du capitalisme: il ne s'agit pas d'affirmer un changement radical et
homogène mais bien « d'entrevoir des trajectoires
d'évolution. » (Op.cit : 29). Aussi, nous prenons le parti dans le
cadre de notre recherche sur le coworking de nous appuyer sur ce raisonnement.
En nous intéressant aux nouvelles formes et représentations du
travail, nous tentons de tester les espaces coworking comme laboratoires du
travail de demain, de voir comment au sein de ces espaces émergent et se
laissent entrevoir les dynamiques du capitalisme cognitif comme «
régime en devenir ».
A ce titre, il nous semble intéressant d'invoquer la
question, bien que controversée, de la « classe créative
» qui a été introduite par Richard Florida dans «
The rise of creative class ». Devenu un best-seller aux États
Unis, cet ouvrage introduit donc la notion de classe créative qui a
suscité un grand intérêt auprès des décideurs
publics ainsi qu'au sein des communautés scientifiques. Cette «
classe » serait représentée par « l'ensemble des
individus
35
engagés dans des processus créatifs ou
d'innovation dans le cadre de leur profession. » Bien qu'il s'agisse d'un
« ensemble social des plus composites dont les contours sont au demeurant
assez flous » (Roy-Valex, 2006 : 5) et que la notion manquerait de rigueur
sociologique, elle permet cependant de mettre en évidence
l'émergence d'un « groupe social, hétérogène
du point de vue des catégories socioprofessionnelles mais dont les
membres partagent les mêmes types de rapports à la connaissance,
au travail, voir à la vie quotidienne [...] Ils ont tous en commun
d'avoir à créer, c'est à dire réaliser des choses
qui n'existaient pas, imaginer des solutions, formaliser des problèmes
nouveaux, à inventer, innover.» (Op.cit.). Les valeurs fondatrices
réunies sous les 3T (Talent, Tolérance, Technologie), reprennent
les principales critiques à la base du développement des
nouvelles modalités du travail qui animent les communautés du
logiciel libre comme les décrit Pekka Hinamen, tout en l'étendant
à une catégorie plus vaste qui serait porteuse d'un renouveau
socio-économique dans le cadre du capitalisme cognitif. Malgré
les critiques parfois virulentes quant à la construction
théorique de la classe créative, il semble cependant pertinent de
voir en quoi cela nous permettrait de définir et donner de la
consistance à ce que nous appelons « coworkers ». Nous avons
vu au début de ce mémoire, que les coworkers ne semblaient pas ou
peu être définis par leur profession. Bien qu'il existe
désormais quelques études des publics du coworking selon le
secteur professionnel8, il nous paraît plus juste de
caractériser cette population de travailleurs par un état
d'esprit, un ethos spécifique plus que par un métier. Or c'est
bien ce glissement que la théorie de la classe créative invite
à opérer. Comme le relève Elsa Vivant, « la notion de
classe créative n'est pas qu'une question de catégorie
socio-professionnelle ; c'est aussi un état d'esprit. Lorsque [Richard
Florida] parle de créativité, il entend toute forme possible de
créativité qui interagirait et se nourrirait les unes des autres.
» (Vivant, 2006, p.2). Au même titre, P.M Menger englobe les
artistes, ingénieurs et scientifiques pour caractériser une
avant-garde, un noyau scellé par un nouveau rapport au travail plus
mobile, créatif, inventif, flexible... (Menger, 2007). Pour lui, ce
modèle social que l'on retrouve chez les hackers est similaire à
ce qui anime les milieux artistiques et ceci depuis des siècles. Tout
comme les hackers, les artistes développeraient des modalités de
travail « de plus en plus revendiquées comme l'expression la plus
avancée des nouveaux modes de production et des nouvelles relations
d'emploi engendrés par les mutations récentes du capitalisme.
» Le parallèle effectué entre hackers et artistes est
intéressant pour nous puisque nous retrouvons ces deux
8 Voir par exemple les résultats du sondage mené
à échelle européenne en 2012 par Deskmag, accessibles via
le site
www.deskmag.com
36
composantes dans la genèse du coworking. Il est
d'ailleurs courant d'être confronté à une hésitation
quand aux sources du coworking, certains invoquant la Silicon Valley et ses
communautés d'informaticiens, d'autres remontant jusqu'aux ateliers
d'artistes. Par exemple, la Mutinerie, espace de coworking parisien explique
sur son site internet : « Les ateliers d'artistes qui apparaissent au
XIXème étaient proches des espaces de coworking modernes : des
espaces qui regroupent des individus mettant en commun des ressources et
échangent des idées pour nourrir leur activité.
»9 avant de poursuivre plus loin, « les acteurs de la
révolution des NTIC sont à l'origine de multiples pratiques
collaboratives ; ce sont eux qui ont lancé les premiers barcamps, les
premières Jelly10 et créé les premiers espaces
de coworking. » Les deux positions ne sont donc pas antagonistes et il ne
me semble pas impératif de trancher. Au contraire, cette double
généalogie est un des points intéressants du coworking.
Les espaces de coworking seraient le point de convergence des avant-gardes, des
alternatives au travail moderne tel que nous l'avons défini et un des
lieux plébiscités par une classe créative «
naturellement attirée par ces lieux de vie favorable aux
phénomènes d'émergence dont elle renforce le dynamisme et
l'attractivité dans un cercle vertueux favorable à l'innovation,
au partage et aux synergies. » (Genoud, Moeckli, 2010, p.5)
Il convient ici de définir les contours des
modalités de travail telles qu'elles sont développées par
une classe créative hétérogène mais animée
par des valeurs similaires et qui a notamment trouvé dans les nouvelles
technologies, les outils nécessaires à leur réalisation et
dans les espaces de coworking, un cadre adéquat. Le développement
suivant nous permettra par la suite, en rapport avec notre cas d'étude,
de voir comment les EC sont une manifestation concrète des aspirations
individuelles et collectives liées au travail et donc, comment ils
s'inscrivent dans la « grande transformation » du capitalisme.
9
www.mutinerie.org/qu-est-ce-le-coworking/#.U-J3DEg2lb0
(consulté le 28/07/14)
10 Les barcamps sont des rencontres ouvertes, des
ateliers-événements participatifs ou chacun est amené
à créer au travers de ses interventions le contenu de la
rencontre. Une jelly est un concept de travail en commun dans un cadre
inhabituel. On peut l'assimiler à la forme événementielle
du coworking. (
www.zevillage.net,
consulté le 28/07/14)
37
3.2.2 Les nouvelles frontières du travail
a) Rapport au(x) temps
Les frontières temps de travail, temps libre
s'estompent. Si, sous la société capitaliste industrielle le
partage du temps était envisagé de façon mécanique
et binaire (l'un définissant l'autre par soustraction), le capitalisme
cognitif modifie les lignes temporelles. Alors qu'un mur était
érigé entre l'univers personnel et l'univers professionnel, la
tendance encouragée par les nouvelles technologies est à
l'agilité, la superposition (voire la confusion) entre les temps
privés et les temps de travail. Ainsi, l'efficacité
économique, la mesure et la définition même du travail
deviennent plus confuses puisque non bornées aux repères
temporels classiques imposés par la division du travail sous
l'ère industrielle (Vercelonne, 2008, p.10).Une étude
menée en 2007 par la sociologue Patricia Vendramin intitulée
« Temps et travail » en vient à ces mêmes conclusions :
« les activités sont de plus en plus désynchronisées,
le temps de travail [...] envahit des plages horaires de plus en plus
étendues » (Vendramin, 2007, p.13) . Selon l'auteur, ce brouillage
des repères est notamment dû aux réalités d'un
marché mondial et en réseau : « Organisation en flux tendus,
stratégies axées sur la clientèle, travail par projet,
politiques du zéro délai, zéro stock, zéro
défaut, autonomie et responsabilisation, nouvelles technologies, sont
autant de dispositifs qui,de manière convergente, ont modifié le
rapport au temps de travail et transformé les rythmes de travail. »
(Op.cit). En effet, si le travail se dilue dans le temps, il gagne aussi en
densité. C'est ce qu'on appelle l'intensification du travail, notamment
poussée par les TIC qui entretiennent une « culture de
l'immédiateté ». (Rapport Digiwork)
Un autre effet à noter, concerne les temps sociaux. Par
temps sociaux, il faut entendre les étapes successives censées
forger un parcours professionnel au long de la vie, de la formation initiale
à la retraite. La structure temporelle de la vie active est
bouleversée car « le temps de travail a objectivement perdu la
place centrale qu'il occupait par rapport aux autres temps sociaux dans la
société industrielle moderne. Le temps de travail constituait le
grand principe organisateur dont les autres temps sociaux dépendaient.
» (Sue, 1995:16). Aujourd'hui, la formation gagne en importance et
s'étend dans le temps avec par exemple la
38
mise en place de la formation continue, mais aussi de
manière générale le développement de pratiques
individuelles pour acquérir de nouvelles compétences (cours en
ligne, forums, workshops, ateliers, stages...). La capacité
d'apprentissage étant une des clés du capitalisme cognitif
(Moulier Boutang, 2010), l'intégration de temps de formation tout au
long de la vie devient facteur de compétitivité sur le
marché du travail (Azais
et.al, 2001, p.130).
De plus, étant donné le développement des
formes atypiques de travail, la carrière est envisagée de plus en
plus de façon discursive. Il devient difficile d'imaginer un temps plein
dans la même entreprise sur trente ans de vie active. Le changement
serait devenu la norme, développant ainsi l'individualisation des
parcours, des compétences et du rapport au travail. Le recul du contrat
à durée indéterminée s'observe par exemple en
France depuis une vingtaine d'années, au profit des formes de travail
plus flexibles, qu'il s'agisse de contrats à durée
déterminée, du temps partiel...A ceci, rajoutons plus largement
que la tendance est depuis les années cinquante à la
réduction du temps de travail dans les pays développés
questionnant sa centralité et son rôle structurant par rapport aux
autres temps sociaux (Bouvier, Fatoumata, 2010). L'articulation des temps
sociaux, bien qu'en partie dépendant de la conjoncture du marché
de l'emploi, devient alors en quelque sorte une entreprise individuelle, entre
négociation, valorisation et gestion de carrière. Le travailleur
devient « employeur de son propre travail » (Gorz, 2001:12),
amené à configurer lui-même sa trajectoire professionnelle
selon des modalités plus souples, plus libres. Certains auteurs parlent
alors d'une nouvelle théorie des carrières (Arthur, Rousseau,
1996 ; Cadin
et.al., 2003) autour du concept de «
carrière nomade » ou « carrière sans attaches ».
Ces deux expressions traduisent une vision du parcours professionnel
caractérisé par un « lien faible avec l'entreprise et un
accent important sur l'autonomie et l'engagement. » (Vendramin,
2007:13).
b) Rapport à l'espace :
Les technologies ont rendu possible le principe
d'ubiquité. C'est à dire que la présence physique n'est
plus la condition sinéquanone du travail. Communiquer, travailler
n'importe où et n'importe quand était notamment l'une des pierres
angulaires des expériences de télétravail. L'individu,
à partir du moment où il a accès à un
équipement technologique adéquat, peut s'affranchir des
contraintes spatiales dans le cadre de son activité. « La
coprésence n'est plus
39
qu'une modalité parmi d'autres du lien professionnel ;
présence et distance s'entremêlent sans cesse dans les relations
de travail. » (Vandramin, 2007:31). L'unité de lieu n'est donc plus
inhérente au travail ce qui se concrétise par l'avènement
de formes de travail plus diffuses, nomades et en réseau, rendues
progressivement possibles grâce aux usages des TIC. Cependant, il faut
prendre un certain recul avec les thèses qui ont annoncé dans les
années 90 la fin des territoires, des villes, des frontières
etc...(Badie, 1995). Il a depuis été démontré que
sous les effets de la mondialisation et de la diffusion
généralisée des TIC, nous n'assistions pas tant à
la la disparition des territoires mais plutôt à une «
déterritorialisation » et « reterritorialisation » des
espaces (Moulier Boutang, 2002, 4). C'est également ce que les
géographes de l'innovation soutiennent en invitant à penser la
« crise du principe de territorialité » sans pour autant
remettre en cause toutes les formes de territorialisation car « il est, au
contraire, permis de penser que lorsque les activités et les acteurs
économiques se seront libérés des contraintes spatiales,
la dimension spatiale sera encore plus importante qu'aujourd'hui. »
(Feldman, 2002 :40). La grande révolution ne serait donc pas dans
l'abolition de l'espace physique mais plus dans l'abolition de la distance ou
encore l'abolition de la « tyrannie de la distance » (Op.cit). En
d'autres termes, le travailleur connecté qui subit de moins en moins les
contraintes liées aux déplacements, aux heures de
présence, à la localisation même de son activité,
jouit de nouvelles libertés qui modifient son rapport à l'espace
et à son lieu de travail. Il naît de cette transformation une
réalité complexe entre « processus concomitants de
dispersion et de concentration » (Moriset, 2014, p.4). Par exemple, alors
que l'économie immatérielle semblait propice à
l'éclatement géographique des travailleurs dans les territoires
ruraux notamment avec les pratiques de télétravail, il a
été prouvé que les centres urbains sont toujours, voire de
plus en plus, le lieu privilégié, notamment par la classe
créative. (Op.cit) Pourquoi ? Pour certains auteurs qui se sont
penchés sur le renforcement paradoxal du poids des villes depuis la
révolution numérique, étant donné
l'éclatement de l'unité de temps et de lieu des activités
économiques, les individus seraient davantage sensibles au cadre de vie
dans son ensemble. Les métropoles seraient grâce à l'offre
culturelle, les lieux de convivialité (bars, restaurants etc...), les
réseaux de transport performants, ou encore l'accessibilité des
services publics, les espaces les plus attractifs. (Moriset, 2014).
40
Cette attente en terme de cadre de vie se répercute sur
l'espace de production (espace de travail). Étant donné la
pénétration du travail dans la sphère privée et
vice-versa, on remarque que l'espace de travail est envisagé
différemment. A titre d'exemple, une étude menée
auprès de 500 étudiants d'une grande école
française offre des résultats significatifs11 quant
aux attentes d'une génération de jeunes diplômés,
engagés dans des carrières intellectuelles . Les futurs entrants
sur le marché du travail plébiscitent un lieu de travail en
centre ville, un bureau «qui ne ressemble pas à un bureau »,
agréable à vivre, proche du domicile. Ils se dressent en bloc
(93%) contre le bureau classique et le cloisonnement individuel (73%). Ils
envisagent des formes de travail mobiles, mais ne sont pas prêts à
travailler n'importe où. En bref, un espace de coworking ?
c) Rapport à la production :
La définition de « productif » comme celle d'
« improductif » perd de sa consistance, les deux
s'interpénètrent. « Le rôle central que tendent
désormais à jouer, dans la production, l'intelligence
(collective), et d'autres facultés humaines attachées à la
subjectivité des travailleurs et à la socialité permet de
comprendre l'effacement progressif de la distinction entre travail et
hors-travail » (Amsellem, 2013, p.215). Les qualités primordiales
ne seraient plus de l'ordre de la force ou la résistance physique face
à une situation de travail usante, mais bien cognitives. La
capacité créatrice, d'invention, d'innovation, d'improvisation
sont les compétences spécifiques aux nouvelles formes du
capitalisme, ce qui modifie le sens du travail mais surtout l'investissement
individuel qu'il sous-entend. Les auteurs parlent alors de « production de
l'homme par l'homme » (Op.cit) ou de « production de soi »
(Gorz, 2002) dans le sens où l'individu est intégré au
marché du travail avec « toutes ses aptitudes et compétences
acquises et développées, au-delà de l'entreprise et
même de l'éducation formelle, dans les interactions quotidiennes,
résultent de l'expérience commune de la vie en
société. » (Gollain, 2010:23). On retrouve ici, dans le
cadre productif, l'effacement progressif des frontières entre
privé-professionnel. Si les deux sphères temporelles se
chevauchent désormais, par extension, il est de plus en plus
compliqué de distinguer ce qui dépend du travail et du loisir, ce
qui s'insère dans une logique économique ou non. Car si les
attentes
11 Enquête menée en juin 2013 par la Chaire
Immobilier et Developpement durable de l'ESSEC, sous la direction du professeur
Ingrid Nappi-Choulet auprès de 492 étudiants de ESSEC Grande
Ecole.
http://www.huffingtonpost.fr/sylvia-di-pasquale/open-space-travail_b_4673522.html
(consulté le 19/07/14)
41
envers les travailleurs sont de plus en plus variées et
non bornées au strictes compétences opérationnelles, les
individus eux aussi développent plus de critères quant au contenu
de leur travail. Ils recherchent désormais un travail qui soit «
intéressant, amusant, source d'apprentissage et de réalisation
personnelle. » et ce « travail, alliant passion, plaisir et recherche
d'épanouissement personnel, rentre mal dans un cadre trop
formalisé » (Vandramin, 2007:20). Autrement dit, la dimension
expressive du travail gagne en importance s'inscrivant dans « un projet
plus large, guidé par la réalisation de soi. » (Op.cit.)
De plus, le travailleur du capitalisme cognitif est
polyvalent. De par son parcours professionnel qui regroupe des
expériences de plus en plus variées et sa formation de plus en
plus complète, l'individu est amené à mobiliser un
ensemble de compétences et de talents sur un éventail de plus en
plus large. Les tâches se diversifient et demandent une adaptation
constante de la part du travailleur. C'est également le cas si l'on
considère l'évolution constante et soutenue des technologies
numériques. Les versions de logiciels, les nouvelles applications, les
nouveaux terminaux recquièrent d'une part un socle de qualifications
conséquent mais aussi une capacité d'apprentissage autonome, de
« débrouillardise ».
d) Rapport à la hiérarchie :
Suite à l'éclatement des cadres
référenciels du travail moderne, le rapport à la
hiérarchie est modifié. Premièrement, le nivellement est
moins important, dû notamment à une élévation
généralisée du niveau de formation. Le caractère
intellectuel, cognitif, du travail, fait pencher vers une
complémentarité des travailleurs plus que vers une organisation
verticale faite de relations de subordination. Deuxièmement, nous
l'avons vu plus haut, l'autonomie et l'individualisation sont désormais
deux caractéristiques importantes du travail. Les rapports
hiérarchiques sont alors assouplis, plus informels. Dans le secteur des
TIC « l'accessibilité des hiérarchies fait partie d'une
politique plus générale misant sur la qualité des
relations sociales. La communication est importante, dans une logique de
partage de l'information. Une bonne coopération est essentielle»
(Vendramin, 2007:14). L'assouplissement des relations hiérarchiques
s'inscrit dans cette logique d'affaiblissement du modèle de la grande
firme à organigramme pyramidal. Ce basculement a notamment
été illustré par Raymond via le modèle de la
cathédrale et du bazar. Selon l'auteur, « L'une des
42
transformations les plus fortes qu'internet et les
technologies de l'information ont favorisées est le renforcement de
pratiques sociales et d'organisations "horizontales". Elles sont à
l'oeuvre dans les relations d'autorité et de hiérarchies dans de
nombreux domaines et voient la fragilisation progressive des formes les plus
verticales. » L'organisation du travail suit cette logique,
privilégiant les forces de coopération, de travail en
équipe autour de projets plutôt qu'une fragmentation
hiérarchique de la production. Il en ressort une forme de « bazar
» ou de « chaos », plus complexe, moins lisible. Cela ne veut
pourtant pas dire qu'il n'y a pas d'organisation. Simplement, cette
organisation s'invente et se négocie au gré des projets et des
collaborateurs ; elle est co-construite plus qu'imposée, et critique,
par rapport à l'organisation scientifique du travail dans le sens
où cette dernière ne permet pas l'affirmation et l'autonomie des
individus. Pekka Himanen en étudiant l'éthique du travail en
vigueur dans l'univers hacker formule clairement cette critique (Himanen, 2001)
:
« La culture qui consiste à contrôler le
temps de travail est une culture dans laquelle on considère les adultes
comme des êtres incapables de prendre en main leur existence. Elle
conçoit qu'il n'y a qu'une poignée de personnes suffisamment
mûres au sein de certaines entreprises et administrations pour se prendre
en charge et que la majorité des adultes ne peuvent pas faire de
mêmes sans être couvés par ce petit groupe doté de
l'autorité. Dans cet environnement, la plupart des êtres humains
se trouvent condamnés à obéir. »
e) Rapport au collectif :
Pour toutes les raisons que nous venons d'exposer ci-dessus,
le rapport au collectif est modifié, tout simplement parce que le
collectif n'est plus ce qu'il était à savoir « une
entité stable, bien délimitée, fruit d'une
coopération fine, de règles formelles et de codes implicites.
» L'environnement social, technique et organisationnel qui émane du
monde professionnel des TIC suggère une nouvelle lecture. Patricia
Vendramin met en évidence le paradoxe que l'on pourrait y voir : d'un
côté l'accent est mis sur l'individualité. Travailler
à l'heure de l'immatériel recquiert un ensemble de
capacités cognitives qui suppose une implication subjective. L'individu
développe alors une vision plus personnelle de son travail puisqu'il y
investit sa personnalité, ses facultés « cognitives mais
également expressives et affectives » (Gollain, p.2). Les parcours
sont eux aussi de plus en plus individuels sur un mode projet, mouvants dans le
temps et l'espace. En bref, alors qu'une partie de la littérature tend
à se focaliser sur l'individualisation des conditions de travail et
d'emploi et donc
43
relativiser la dimension collective du travail, des
éléments d'étude notamment du secteur des TIC
démontrent qu'au contraire, on retrouve un désir «
d'être ensemble au travail, de créer des « nous » [...],
une volonté et un besoin constants de s'associer aux autres à la
fois pour réaliser l'activité professionnelle mais aussi pour
porter un projet personnel. » (Vendramin, 2007: 27). L'opposition
individu/collectif n'est pas pertinente. Il faut percevoir les nouvelles formes
de collectif et les nouvelles forme de vivre le collectif qui permettent
l'expression des individualités. Ainsi, Patricia Vendramin
élabore la notion de « nomadisme coopératif »
(Vendramin, 2007) inspirée du concept « d'individualisme
coopératif » de C.Thuderoz développé dans un cadre
pourtant tout autre, celui de l'industrie métallurgique et
sidérurgique. Dès le milieu des années 90, l'auteur
observait sur les différents sites étudiés l'importance
des aspirations individuelles dans les formes de coopération au travail.
Il propose de caractériser la nouvelle attitude au travail par la
combinaison paradoxale de la subjectivation de l'individu (sa capacité
à dire « je » et à affirmer son projet personnel) et de
sa capacité à « tisser des liens, échanger, à
communiquer avec d'autres individus ». (Thuderoz, cité par
Vendramin, 2007: 29). Cette manière d'envisager le collectif ne veut pas
dire qu'un individualisme féroce vampirise les solidarités
collectives. « Si l'histoire personnelle et la trajectoire individuelle
sont ce qui donne du sens à la situation professionnelle de chacun, cela
ne signifie pas qu'il soit fait une utilisation fonctionnelle de l'autre.
L'engagement dans un collectif c'est aussi une attente de convivialité,
de relations « vraies », une passion partagée pour un travail
et un respect de l'autre. » (Op.cit.:33) Encore une fois, il faut saisir
là l'apparition de nouvelles formes de solidarités plus complexes
et diffuses, plus éphémères selon des parcours individuels
différenciés.
A l'heure des TIC, de l'éclatement de l'unité de
temps et de lieu du travail, le rôle de la technique dans la constitution
des formes collectives a constitué un vaste champ d'études. Mais
plutôt que d'étudier la technique en tant que telle, il semble
plus pertinent dans le cadre de notre définition d'un idéal-type
du travail, de voir les formes de coopération et de collectif qu'elle
permet de mettre en oeuvre. En d'autres termes, il est nécessaire de se
pencher sur les usages des TIC dans le tissage des solidarités,
d'observer comment l'humain s'approprie la technique pour constituer des
nouvelles formes collectives. Comme le soulignent à leur tour les
auteurs du capitalisme cognitif, « Les TIC ne peuvent correctement
fonctionner que grâce à un savoir vivant capable de les
mobiliser » (Negri, Vercellone, 2008) sans quoi, elles ne
44
seraient qu'une ressource stérile. Dans ce sens,
P.Vendramin propose de dégager plusieurs traits caractéristiques
des collectifs de travail comme ils se dessinent dans le secteur des TIC
grâce à l'appropriation des nouveaux outils de communication et
des nouveaux modes d'organisation.
? Ubiquité : les collectifs sont des réseaux
d'interconnexions réelles et virtuelles. Le nomadisme ici suggère
le mouvement, la dynamique et la superposition des relations de présence
et distance rendue possible par les usages des TIC. Le collectif de travail
n'est plus dépendant de l'espace physique : « L'avènement
des moyens de communication a instauré la coopération
au-delà de la coprésence et une conscience du collectif qui n'est
pas forcément ancrée à un espace. La coprésence
n'est plus qu'une modalité parmi d'autres du lien professionnel »
(Vandramin, 2007: 31).
? Malléabilité: les frontières sont
redéfinies au gré des projets. C'est l'activité en commun
qui fait le lien, dans le présent, sans réelle projection sur le
long terme.
? Hétérogénéité :les
individus engagés ont des statuts variés, des formations et des
parcours diversifiés. Les cercles professionnels s'entrecroisent et ne
sont plus autant hermétiques. Naissent ainsi des modes de
coopérations nouveaux au delà des appartenances
pré-établies, motivés par la réalisation du projet,
l'atteinte des objectifs, la mobilisation des ressources.
Par extension, l'engagement dans un collectif n'est plus le
même. L'individu s'engage dans un collectif avec des attentes
personnelles et une certaine exigence quant à ce que cela peut lui
apporter. Si le travail cesse d'être intéressant,
épanouissant, l'idée de nomadisme suggère qu'il n'est pas
exclu de rompre avec le collectif pour partir vers d'autres espaces
professionnels. Deuxièmement, l'engagement n'est pas unique et exclusif.
Nous avons vu plus haut que les travailleurs sont désormais
amenés à construire leurs parcours individuels de manière
discursive au gré des opportunités, des expériences et des
réseaux auxquels ils adhèrent. Ainsi, « Les engagements sont
liés à des projets [...] le travail par projet permet aux
individus de construire leurs propres « réseaux de mobilité
» et « carte d'employabilité » (Op.cit. :34). Ces
engagements sont donc inscrits dans le temps, motivés par des choix
personnels en fonction de ce qu'ils apportent en terme d'épanouissement
et de construction de
45
l'identité professionnelle. Et le fait que l'engagement
repose sur un choix plutôt que sur des appartenances communautaire,
modifie le rapport de l'individu au collectif. Selon J. Ion et B. Ravon :
« Les individus jouent un rôle de plus en plus
actif dans la création et l'animation collectives [...] La nature du
lien social qui se donne à voir dans des collectifs
éphémères et non forcément structurés ne
peut en effet être analysée dans le cadre habituel de la
société des individus, lorsque l'engagement est pensé
comme une intégration sociale dans une identité collective [...]
En effet, nombre de caractéristiques contemporaines de l'engagement
relèvent d'un fonctionnement en réseau, en ce qu'elles ne
contribuent aucunement à fixer les limites de l'unité sociale du
groupement. » (Ion et Ravon, cité par Vendramin, 2007 : 37)
IV) Concusion partielle : Une mise en capacité
?
Cet état des lieux des mutations en cours permettent de
faire un parallèle avec ce que les EC promeuvent en tant que tiers-lieux
professionnel. A savoir un espace où se vivent et s'expérimentent
ces nouvelles formes de travail, plus souples, plus horizontales, plus
collectives aussi, tout en insistant sur l'individu et sa subjectivité.
Avec le redessinement des frontières que l'on a évoqué
ci-dessus, l'idée de « mise en capacité » des individus
semble celle qui donne cohérence à cet idéal-type. Par
« mise en capacité », nous évoquons le
phénomène de transition du travailleur agent au travailleur
acteur, nous référant aux définitions du sociologue
André Akoun : « Par agent, on désigne l'individu qui
exécute une tâche, qui est essentiellement déterminé
à agir par des conditions qui lui sont imposées. Par acteur, on
désigne l'individu qui agit selon ses propres desseins, selon ses
propres motivations. » (Akoun, cité par Noseda, Racine, 2009:7). Ce
que nous voulons dire, c'est qu'après l'ethos du travail moral, puis
l'affaiblissement de celui-ci sous l'ethos de l'épanouissement, le
travail semble être sujet à une revalorisation symbolique
placée sous le thème de l'expression et l'affirmation de soi. Les
choix personnels que ce soit en termes de formations, de lieux, d'horaires, de
collègues, les formes d'implications subjectives que l'on observent dans
les modalités de travail de la classe créative nous
amènent à considérer l'affirmation d'un « ensemble
des valeurs, des attitudes et des croyances relatives au travail qui induisent
une manière de vivre son travail au quotidien » (Mercure,Vultur,
2010:2), c'est à dire d'un ethos particulier, propre au capitalisme
cognitif, qu'il convient de tester au travers du
46
coworking. Ici déjà se profile une des
hypothèses que nous développerons ultérieurement : Les EC
seraient le lieu de déploiement d'un nouveau rapport de l'individu au
travail, un lieu où le travail n'est plus subi mais
négocié selon des trajectoires personnelles, un désir
d'accomplissement, de lien social ; où le travailleur devient acteur et
se libère des schémas pré-établis de l'organisation
du travail. Après l'individu-producteur, l'individu-consommateur,
l'individu acteur ?
4.1 Quête de sens et Nouvel esprit du
capitalisme
« L'expressivité, l'autonomie et le partage se
sont dispersés dans des usages de plus en plus multiples, socialement
divers et culturellement hétérogènes. Si bien que ce qui
avait valeur d'émancipation dans un monde-à-soi est parfois
regardé comme aliénation conformiste dans un monde où les
valeurs culturelles de 68 se sont largement diffusées et où les
intérêts marchands ont épousé les revendications de
l'individualisme contemporain. » (Cardon, 2012, p.28)
Là est l'ambiguïté du capitalisme cognitif
tel qu'il a été conceptualisé par Yann Moulier Boutang.
Tout en l'inscrivant dans la longue histoire du capitalisme, il insiste
pourtant sur sa qualité intrinsèque à surpasser le
capitalisme. Pour lui, « il possède un côté
libérateur, émancipateur [...] et porte bien en lui une
clôture du capitalisme. » (Boutang, 2009:3). A ce titre, la
mobilisation de la théorie développée par Luc Boltanski et
Eve Chiapello en 1999 dans leur ouvrage Le Nouvel esprit du capitalisme,
nous offre des éléments pertinents pour remettre en question
l'idée d'une « clôture du capitalisme ». Pour les deux
auteurs, la critique du capitalisme a revêtu deux formes essentielles :
la « critique artiste » (le capitalisme est facteur d'oppressionn
d'un désenchantement du monde et s'oppose à la liberté, la
créativité) et la « critique sociale » (le capitalisme
est source d'inégalités et de misère). La
spécificité du système capitaliste fait qu'il a
développé la capacité de se servir de ces critiques pour
se regénérer. A ce titre, les revendications exprimées par
les mouvements sociaux et étudiants de mai 68 autour des
thématiques de libération qui ont façonné la
critique artiste se retrouveraient dans la métamorphose du travail. Il
n'est pas exagéré de soutenir en effet que les nouvelles valeurs
qui semblent animer la classe créative seraient en accord avec l'esprit
libéral contemporain. L'individu acteur, l'individu entrepreneur de sa
vie est une figure clé de ce capitalisme cognitif. L''investissement
subjectif au travail, l'autonomie et l'esprit d'initiative la principale source
de valorisation du capital. Si nous suivons cette logique, le
47
capitalisme cognitif pourrait être cette mue du
capitalisme ayant absorbé des idéaux d'une
génération opprimée. Mais la thèse de L.Boltanski
et E.Chiapello ne s'arrête pas là puisqu'elle porte un regard
nuancé sur ce Nouvel esprit du capitalisme. Ce qui était
liberté serait devenu injonction. Injonction à s'épanouir,
s'exprimer, à être soi... En définitive, les auteurs
mettent en lumière des nouvelles formes d'opressions et de contraintes
dûes à la récupération des valeurs de la critique
artiste. Le projet de libération de la critique artiste s'est
exprimé sous la forme d'une « émancipation par rapport
à toute forme de détermination susceptible de limiter la
définition de soi et l'autoréalisation des individus »
(Boltanski, Chiapello, 1999, p.578). Or, les gains de libération se
seraient traduits par des vagues de précarisation et des formes de
« dépendances systémiques ». De l'autonomie à la
solitude, il n'y a parfois qu'un pas.
Nous ne contestons pas ces apports qui ont selon nous permis
d'analyser en profondeur les évolutions de la société
contemporaine et d'y porter un regard plus nuancé. Cependant, à
l'aune de ce que nous avons pu entrevoir à travers cet état de
l'art, la thèse du Nouvel esprit du capitalisme soulève
un point important qu'il convient de mettre en perspective. Le modèle
capitaliste se regénère en se nourrissant des critiques qui lui
sont adressées. Au terme de leur conclusion, Luc Boltanski et Eve
Chiapello invitaient à « ouvrir le champ des possibles » en
posant de nouveau un regard critique sur la société.
Le capitalisme cognitif comme nous l'avons
étudié au cours de notre état de l'art s'articule autour
d'un projet de mise en capacité qui questionne l'idée de
libération telle qu'elle s'est manifesté au travers de la
critique artiste. Le but de notre recherche sur les espaces de coworking est
d'interroger la notion de travail selon les modalités d'un capitalisme
renouvelé. Mais la question du « travail libéré
» reste ambigüe. Nous admettons que le capitalisme cognitif n'est pas
l'avènement d'un monde du travail sans contraintes. Celles-ci peuvent
être exogènes (rythmes de travail, concurrence, ...) ou
endogènes (investissement personnel croissant, ambitions...). Nous
soutenons par ailleurs que des initiatives commes le coworking peuvent non pas
effacer les contraintes, mais plutôt s'en saisir pour proposer un
environnement en adéquation avec les projets de vie, d'expression et de
réalisation de soi. Comme le souligne M.Vultur, « nous sommes
[aujourd'hui] en présence d'un jeu entre contraintes et espaces de
liberté. Ce jeu crée des potentialités diverses et suppose
que les
48
individus soient outillés pour s'en saisir positivement
sans pour autant en faire d'eux des victimes. » (Vultur, 2010 : 17). Le
cadre du capitalisme cognitif envisage un nouvel « horizon de sens »
où chaque individu serait acteur de son travail. Les espaces de
coworking en tant que manifestation de la métamorphose du travail nous
permettent de tester la réalisation mais aussi les limites du projet du
capitalisme cognitif. Car si les travailleurs cognitifs profitent de plus
amples possibilités dans la poursuite de leurs buts et d'une extension
du contrôle sur leur vie, cela semble également induire une
surresponsabilisation des individus, l'injonction à l'initiative et
à la performance (Cavalli, 2007 : 30). La thèse du nouvel esprit
du capitalisme nous invite à étudier les EC au coeur de cette
ambivalence.
49
PARTIE 2 : METHODOLOGIE
présentation de la problématique et
hypothèses de recherche
I) Problématique et hypothèses de
recherche
Après avoir interrogé notre objet de recherche
au travers des sciences sociales, nous proposons ici de confronter les apports
théoriques de l'état de l'art avec des résultats de
terrain, empiriques que nous avons récolté tout au long de ce
travail de mémoire. Grâce à cette revue de
littérature, nous avons déjà pu apporter des
précisions et des réponses partielles aux interrogations de
départ, ce qui nous permet ici d'affiner notre propos et de construire
un protocole d'enquête en vue de répondre à notre
problématique.
Nous l'avons évoqué au début de ce
mémoire, le coworking et les espaces qui lui sont dédiés
sont un objet d'étude récent, en construction. Les rapports,
enquêtes, premiers articles académiques, premiers cadrages
théoriques ont vu le jour il y a à peine deux ans et à ce
titre, nous intégrons pleinement à ce travail de recherche la
dimension d' « émergence ». Si cela peut éventuellement
se traduire par un manque de recul et de vision à long terme, cela fait
aussi partie de la particularité du coworking et de son
intérêt en tant que « tendance ». Voilà pourquoi
j'ai pris le parti de questionner ce phénomène dans ce qu'il a de
nouveau, de prometteur et surtout de révélateur. L'idée
n'est donc pas de poser un regard sur un modèle culturel, social et
économique en place et d'en tirer des conclusions plus ou moins
définitives mais bien d'amorcer un questionnement dans le champ des
sciences sociales de manière dynamique. J'entends par là que pour
pallier à une éventuelle superficialité due à la
multiplication de discours que l'on pourrait considérer comme marketing,
questionner le coworking à travers l'ethos permet de l'insérer
dans une trajectoire d'évolution plus ancienne, plus complexe
également. Aussi, au travers des mutations récentes du
modèle productif que nous avons exploré sous l'angle du
capitalisme cognitif, l'objectif de mon enquête est de voir
50
en quoi les EC sont des espaces d'expression des nouvelles
modalités au travail qui ont pris forme chez les avant-gardes. En
d'autres termes, il s'agit d'entrevoir les modalités de travail à
l'oeuvre au sein des EC, pour déterminer en quoi ces tiers-lieux
participent à l'affirmation « d'un ensemble de valeurs, d'attitudes
et des croyances relatives au travail qui induisent une manière de vivre
son travail au quotidien » porté par la classe créative,
mais aussi de s'interroger sur les limites de ces espaces.
Pour répondre à cette problématique, nous
nous appuyons en partie sur les éléments théoriques
étudiés dans l'état de littérature. Le cadre
conceptuel du capitalisme cognitif nous invite à envisager le travail de
manière décloisonnée selon un mode de vie
polycentré qui questionne l'ethos du travail tel qu'il s'est
affirmé dans les différentes phases sociétales.
Hypothèses :
a) Les incitations des acteurs à agir dépendent
du cadre dans lequel ils accomplissent leur activité. Les EC comme
modèle organisationnel se construisent et se développent selon
une logique ascendante, créant espaces d'autonomie où s'expriment
les individualités mais aussi de nouvelles solidarités. Cette
mise en capacité des travailleurs permet aux individus de
s'épanouir et charge le travail d'un sens nouveau. En définitive,
le modèle organisationnel des EC réunirait les conditions
d'expressions des modalités du travail cognitif.
b) Cependant, la réalisation du capitalisme cognitif
au travers des EC suppose quelques limites. Le « projet social » du
coworking est aujourd'hui restreint à une frange de la population
(jeune, diplômée, autour des professions intellectuelles et
créatives), son inscription à plus grande échelle et sur
du long terme n'est pas garantie. Les défis auxquels sont
confrontés les EC dans leurs perspectives de développement sont
aussi le reflet de nouvelles contraintes qui pèsent sur les
individus.
51
II) Méthodologie
2.1 Recueil de données
2.1.1 La deuxième enquête mondiale du
coworking
Une première étape de la récolte de
matériaux a été de s'intéresser aux enquêtes
qui ont pu être menées au sujet du coworking, afin de fournir des
éléments quantitatifs complets, à une échelle que
je n'aurais pas pu maîtriser aux vues de différents obstacles
(temps, investissement économique, matériel d'enquête...).
Une des enquêtes retient notre attention : Il s'agit de l'enquête
mondiale menée par Deskmag en collaboration avec l'équipe
Coworking Europe et avec le soutien de Emergent Research, University of Texas
at Austin, Coworking Deutschland, Coworking Project Italy,
Jellyweek.org, Deskwanted &
Cohere Community.
Deskmag est « un magazine sur le nouveau concept de
travail et leurs espaces, à quoi ils ressemblent, comment ils
fonctionnent, comment ils peuvent être améliorés et comment
nous y travaillons. [Ils mettent] particulièrement l'accent sur les
espaces de coworking qui hébergent la nouvelle génération
de travailleurs indépendants et des petites entreprises
»12. Ce magazine est une source d'information
indéniable. Déjà à la base d'une enquête en
2010, sa légitimité dans le domaine est reconnue. Aussi,
l'accès à la deuxième enquête, plus récente
et poussée, nous permettra de mobiliser des données
variées et fiables. Quelques données annexes aux études
repérées dans des articles ou des dossiers en lignes pourrons
venir compléter les résultats.
L'enquête n'étant disponible que sur Internet en
format , je renvoie ici directement au site13 qui laisse en
libre-accès les résultats. Si cela est nécessaire les
données graphiques pertinentes pour notre étude seront
relayées au sein de ce mémoire, eux-mêmes disponibles en
annexe dans la table des illustrations. Pour des raisons de lisibilité,
sauf mention contraire, tous les résultats quantitatifs exprimés
en pourcentages sont issus de cette étude et donc ne seront pas
référencés à chaque utilisation.
12 Source :
http://www.deskmag.com/fr/a-propos
(consulté le 02/08/14)
13
http://www.deskmag.com/fr/l-anniversaire-des-espaces-de-coworking-522
(consulté le 02/08/14)
52
2.2 Entretiens qualitatifs
L'enquête mondiale menée par Deskmag nous offre
des données nombreuses que nous pourrons mobiliser pour tester nos
hypothèses. Cependant nous avons jugé pertinent de croiser cette
enquête avec des entretiens individuels, car ils nous permettrons d'aller
plus loin dans l'expérience subjective au travail. Ces entretiens ont
été menés de mai à juillet 2014, auprès de
deux types acteurs que nous considérons légitimes pour apporter
un éclairage lié à notre problématique.
· Co-fondateurs (indiqués par
l'abréviation cf) : J'ai eu l'occasion de rencontrer trois
co-fondateurs d'espaces de coworking (deux à Séville, un à
Brest). Ces entretiens m'ont permis d'identifier les motivations, la
philosophie à l'oeuvre dans la gestion d'un espace, les
problématiques auxquels on peut se trouver etc... Ces entretiens sont
particulièrement important dans le sens où ils offrent des
exemples concrets de situation de travail et un retour sur expérience
conséquent. Par ailleurs, les co-fondateurs rencontrés sont
également coworkers puisque ils exercent une activité à
côté.
· Coworkers (indiqués par l'abréviation
cw) : J'ai par la suite pris contact avec plusieurs coworkers (actuels
ou anciens) en essayant d'étudier des profils variés (sexe,
professions, âge...) tout en restant en accord avec le public type des
EC. En prenant contact avec les potentiels interrogés, j'ai
également pris en compte la nature de l'espace de coworking qu'ils
avaient fréquenté. En effet, l'appelation « coworking »
est aujourd'hui utilisée peut-être plus qu'elle ne devrait et
regroupe parfois des télécentres, ou même des simples
bureaux à louer dans des établissements qui cherchent à
optimiser financièrement leur espace, sans qu'il n'y ait vraiment de
dynamique coworking comme nous l'avons définie aux prémices de ce
mémoire.
53
Figure 2 - Tableau récapitulatif des
entretiens coworkers
Interrogés
|
sexe
|
Age
|
Profession
|
Statut
|
Expérience coworking
|
N°1, fr
|
F
|
29 ans
|
Journaliste
|
Freelance coworker
|
12 mois à temps plein
|
N°2, fr
|
M
|
30 ans
|
Designer sonor
|
Freelance coworker
|
6 mois à temps partiel
|
N°3, fr
|
M
|
28 ans
|
Webdesigner
|
Freelance coworker
|
Régulièrement, mais fréquences
variées selon les contrats/projets personnels
|
N°4, fr
|
F
|
35 ans
|
Ergonome
|
Entrepreneur coworker
|
6 mois à temps plein
|
N°5, es
|
M
|
25 ans
|
Chargée de production, spectacle vivant
|
Employée coworker
|
3 mois à temps partiel
|
Les interviews ont été menés en face
à face ou par visioconférence si la distance m'y contraignait.
Tous les entretiens ont été enregistrés en format audio,
retranscrits puis analysés selon une grille d'étude. La
restitution complète des entretiens se trouve en annexe de se
mémoire. (Annexe n°2) ; Nous avons analysé ces interviews et
ces observations suivant les besoins de l'étude, en isolant les points
qui nous ont paru pertinents suivant plusieurs axes :
Axe 1 : L'expérience du coworking - j'ai invité
les interviewés à relater leur expérience dans un espace
de coworking donné. Les raisons pour lesquelles ils avaient
intégré l'EC, leurs critères de sélection, leurs
modes de fréquentation, leur investissement personnel dans l'espace et
les relations entretenues.
Axe 2 : A partir de ces premiers éléments j'ai
ensuite guidé l'entretien vers le retour d'expérience subjectif.
Le but était ici de voir en quoi le coworking a permis ou non à
l'individu de s'épanouir dans son travail et selon quelles
modalités.
Axe 3 : Le troisième axe se veut plus ouvert,
prospectif. J'y interrogeais les coworkers sur leur vision du travail
contemporain, la vision de leur avenir professionnel, le regard qu'ils posent
sur leur situation actuelle.
54
L'analyse des résultats vise à mettre en
lumière les convergences entre les différents récits
d'expérience mais aussi les points de tension. Le style semi-directif de
l'entretien a permis d'orienter l'échange en fonction des thèmes
sans orienter les réponses et ainsi de révéler les
informations nécessaires pour tester nos hypothèses de
recherches.
Pour des raisons pratiques, j'ai pris le parti de ne pas me
limiter géographiquement dans la récolte de données, ou
dans une moindre mesure. Aussi, c'est surtout les opportunités de
rencontres qui m'ont amenées à réaliser mes entretiens,
qu'ils soient en Espagne ou en France. Les interviewés ont
été contactés par e-mail ou téléphone
après des recherches Internet (annuaire de coworkers, sites officiels
d'espaces de coworking). N'ayant pas eu l'occasion de réaliser un stage
dans un EC ou de pouvoir au moins consacrer un temps conséquent à
l'observation d'une structure spécifique, j'ai privilégié
une méthode d'enquête plus ouverte et croisée. Dans la
mesure du possible, j'ai cherché à varier les profils des
interviewés tout en restant fidèle à un certain profil
type du coworker identifié grâce aux données de
l'enquête mondiale Deskmag :
-jeune : 69% des coworkers ont moins de 40 ans
-indépendant : 54% des coworkers ont un statut freelance.
-diplômé : 72% des coworkers ont un Bachelor/Master
Les professions représentées correspondent
également aux secteurs prédominants dans les EC et plus
généralement à la définition de la « classe
créative ».
PARTIE 3 RESULTATS DE L'ENQUETE et ANALYSE
I) Les EC, un déploiement récent mais
significatif
Notre recherche a été animée par le
désir de questionner une tendance qui jusqu'il y a quelques
années étaient réservée à une élite
technophile américaine. L'intérêt de cette première
partie introductive est de montrer, avec des données chiffrées,
le poids que représente petit à petit le coworking dans les pays
développés grâce à la prolifération d'EC dans
les territoires. L'utilisation de l'enquête menée par Deskmag,
permet de mettre en évidence la propagation de ces tiers-lieux
professionnels, mais aussi leur inscription dans les villes créatives.
Cette logique d'inscription territoriale permet d'établir un premier
lien qui justifie notre recherche : les EC naissent, se développent
essentiellement autour d'une classe créative urbaine dont le travail
épouse des formes et un sens nouveaux.
1.1 Un phénomène mondial
Figure 3 - Nombre d'ouvertures d'espaces de coworking par
an à travers le monde (Source : Deskmag)
56
Des espaces de coworking ne cessent d'ouvrir à travers
le monde. On observe une envolée à partir de l'année 2007,
ininterrompue jusque là. Et si le nombre d'espaces est croissant,
l'expansion du coworking se dévoile aussi par le développement
interne des lieux. 45% des espaces sondés ont prévu
d'acquérir plus de surface et 91% prévoient d'accueillir plus de
membres l'année suivante. Cette évolution répond à
une demande croissante, de travailleurs aux statuts divers. On retrouve en
premier lieu, sans surprise les « freelancers » (ou
indépendants) et les entrepreneurs dont le statut reflète d'ores
et déjà une certaine conception du travail centrée autour
les valeurs d'autonomie, de responsabilité et d'investissement. On
retrouve également des professionnels séduits par un
environnement de travail autre que le domicile mais aussi autre que les
cafés-wifi et le bureau traditionnel.
1.2 L'Europe et les villes créatives au premier
plan
Il est vrai que les premiers espaces de coworking sont apparus
aux Etats-Unis en Californie. Cependant, depuis que le concept a
traversé l'atlantique, l'Europe s'est affirmée comme la plus
dynamique en la matière. Avec 1160 espaces, le vieux continent prend la
première place du classement mondial devant l'Amérique du Nord et
l'Asie. Les capitales comme Paris, Berlin, Londres et Madrid tiennent sans
surprise le haut du podium européen même si, en terme de villes,
c'est San-Francisco et sa fameuse Silicon Valley qui reste la
référence ultime avec 46 espaces. Comme le note Bruno Moriset,
les EC sont particulièrement présents dans les villes dites
créatives. Une logique de concentration spatiale qui se veut aussi le
reflet d'une compétitivité urbaine accrue et dont l'objectif est
d'attirer la classe créative. Les EC s'affirment comme un modèle
susceptibe de capter, réunir ces « travailleurs cognitifs »,
en adéquation avec les modes de travail, mais aussi les modes de vie. En
s'intéressant à l'encastrement urbain des tiers-lieux, le
géographe Raphaël Besson parvient aux mêmes conclusions :
« Les espaces de coworking [...] se développent essentiellement en
milieu urbain bénéficiant et produisant par la même
occasion des aménités urbaines qui permettent d'attirer et de
stimuler la « classe créative » [...] Les créatifs
peuvent ainsi travailler, se restaurer, se cultiver, flâner et se
distraire. (Besson, 2014)
57
1.3 Une structuration progressive
Cette offre croissante se structure petit à petit. Si
les premiers espaces sont nés spontanément, d'initiatives
privées aux allures parfois « système D », l'offre
actuelle se densifie et s'organise. La majorité des EC ayant ouvert il y
a quelques années sont toujours en activité à ce jour. Le
secteur du coworking est en effet en période de maturation ; ce n'est
plus une curiosité expérimentale mais un modèle qui fait
ses preuves, un réseau mondial en construction.
a) Les labels : A échelle nationale, se
dessinent des réseaux d'EC réunis sous des labels. En France, on
retrouve par exemple celui des Cantines14 ou celui des
Cordées15. Les entités bien qu'indépendantes
s'appuient sur un modèle commun et des dynamiques communes. Par exemple,
la charte des cantines stipule : « Plus qu'un label s'inscrivant dans une
politique classique de qualité, il s'agit de comprendre le terme de
« label » comme un référentiel de valeurs
»16. Le label est envisagé comme une opportunité
de structurer, connecter les espaces pour générer de
l'intérêt commun et gagner en visibilité. C'est aussi un
moyen d'affirmation et de diffusion de « l'esprit coworking »
à travers les territoires.
b) Le Coworking Manifesto : réunissant
à ce jour 1595 signatures17, ce manifeste en ligne
rédigé en anglais a une portée internationale. La phrase
d'accroche résume l'intention : « Nous avons le talent, nous avons
juste besoin de travailler ensemble ; différents environnements doivent
se déployer se connecter et interagir pour transformer notre culture.
»18 Ce manifeste entend agréger une communauté
investie dans l'expansion du coworking pour construire un
14 Aujourd'hui, ce réseau français est
composé de 5 Cantines: http://reseaudescantines.org/
(consulté le 16/07/2104)
15 Il existe une Cordé lyonnaise et une Cordé
parisienne.
16 Source :
http://reseaudescantines.org/la-charte-du-reseau/#encre2
(consulté le 16/07/2014)
17 Source http://coworkingmanifesto.com/ (consulté
le 03/08/2014)
18 Notre traduction : « We have the talent. We just need
to work together. Different environments need to overlap, to connect and to
interact in order to transform our culture. » Extrait du Coworking
Manifesto
http://lc.cx/manifesto
(consulté le 16/07/2014)
58
futur durable. Depuis 2010, des conférences
internationales ont également vu le jour19. A Bruxelles,
Berlin, Paris, Barcelone puis bientôt Lisbonne, des centaines d'acteurs
du monde entier se réunissent le temps d'un week-end pour
réfléchir, décrypter les tendances et imaginer les
évolutions.
A différentes échelles, l'univers du coworking
se construit en réseau. Que ce soit via l'apparition de labels ou
à travers des événements divers, le « mouvement
coworking » est en train de se structurer et d'affirmer son
idéologie. Aujourd'hui, le coworking tel qu'il s'affirme actuellement
fête ses sept ans. Encore jeune, son évolution est cependant
significative d'une prise de conscience à grande échelle : la
nécessité de créer des environnements adaptés
à une réalité du travail mais aussi une
réalité culturelle qui s'affirme au dehors des structures
dominantes. Ainsi, les EC participeraient mais surtout accompagneraient cette
transition vers un capitalisme cognitif.
19 Les Coworking Europe Conferences sont une initiative de Global
Entreprise, une structure de consulting spécialités dans
l'innovation ouverte, l'entrepreneuriat et le coworking. En 2013, 41 pays
étaient représentés à la conférence
annuelle.
http://coworkingeurope.net/blog/
(consulté le 03/08/2014)
59
II) Nouveaux espaces, nouvelles
temporalités
2.1 Des lieux ouverts
Au sein même des lieux, les espaces sont conçus
pour favoriser les rencontres, les discussions et le partage. Au espaces clos
et opaques, on préférera donc généralement les
open-spaces. Le cadre de travail joue un rôle essentiel si l'on en juge
par l'aménagement intérieur des lieux : plantes vertes, sofas,
tables basses, coin bar, parfois même espace de jeux. Le design neutre et
standardisé des espaces de travail est banni, on prône ici un
environnement chaleureux, convivial et personnalisable. Ci-contre, trois photos
nous permettent d'illustrer le propos.
Figure 4 - La Cantine à Paris. Crédit Sipa
Figure 5 - Mobilesuite coworking Berlin. Crédit ShareDesk
Figure 6 - The Shed coworking Madrid
60
Pour William Van Den Broek, entrepreneur et co-fondateur de
l'EC la Mutinerie à Paris, la configuration de l'espace en
lui-même et l'équipement de celui-ci constitue le fondement du
succès d'un lieu : « Avant toute chose, un espace de coworking doit
pouvoir offrir de quoi permettre à chacun de travailler dans de bonnes
conditions : un wifi performant, un poste de travail confortable, des
équipements adaptés, des espaces de rangements, la
possibilité de manger et boire [...] ». Alors que l'offre d'EC dans
les villes est croissante (les sites de recensement sont un bon
indicateur20), l'aménagement joue un rôle essentiel.
Parmi les critères, les fonctionnalités et le design du lieu
peuvent s'avérer décisifs dans la sélection du futur
espace de travail. Nos entretiens sont révélateurs de cette
exigence envers les lieux. Avant toute chose, on doit pouvoir travailler et
s'organiser avec tout le confort matériel que cela demande. Si le design
intérieur n'est pas non plus considéré comme la
valeur forte des EC, elle n'est pas cependant à négliger :
43% des coworkers déclarent que c'est ce qu'ils préfèrent
dans leur espace.
« Ce que je recherchais dans les espaces de
coworking, c'était surtout un espace agréable de travail :
spacieux, calme, lumineux. Il faut qu'il soit bien équipé, avec
un self service café, the, boisson froide et puis surtout un bon
réseau wifi [...] Avec un petit budget, c'est bien de pouvoir
fréquenter des espaces qui sont si bien aménagés. On s'y
sent bien, le mobilier est fonctionnel... Je ne pourrais pas travailler dans un
espace tout étriqué, sombre et austère » cw
Mais ce n'est pas tout. Le coworking ne se limite pas à
du design et du café à volonté. En interrogeant les
fondateurs d'EC puis les coworkers, la dimensions humaine s'avère
fondamentale. Ici se dessinent les contours de l'EC en tant que tiers-lieu : Le
but n'est pas la rationalisation, l'optimisation des espaces mais plus la
création d'un espace où s'entremêlent le loisir, le
travail, la discussion.
« Les gens pensent souvent qu'un espace de coworking
c'est avant tout des tables de travail. Nous, 40% de notre espace sont des
espaces de relations. Et c'est le coeur du coworking. L'autre zone donc de 60%
est la zone opérative, de travail. [...] Selon les formes de travail, du
niveau de concentration dont le travailleur a besoin, les deux zones peuvent
interagir. Certains travaillent dans les sofas, d'autres vont travailler plus
loin au calme... Ce que l'on veut c'est que chacun
20 A titre d'exemple, le site
www.ne-nomade.com, moteur
de recherche de tiers-lieux professionnels recense 68 espaces à Paris.
(Consulté le 02/08/14). CoworkingLondon affirme quant à lui que
Londres s'approche des 100 espaces
http://coworkingeurope.net/blog/
(consulté le 13/08/2014)
61
trouve la forme de travail la plus confortable selon ses
besoins » cf
« [L'espace de coworking] pour moi c'est un lieu de
rencontre [...] Donc typiquement c'est bien d'avoir une pièce ouverte,
une machine à café. On pouvait se retrouver à plusieurs,
discuter, faire des rencontres...on est dans un cadre qui permet de
créer autre chose que des relations strictement professionnelles. »
cw
« On a voulu créer [...] un espace ouvert
agréable, mais surtout convivial » cf
L'espace n'est pas conçu en fonction de sa stricte
spécialisation mais pensé à travers l'individu. Notre
état de l'art nous a permis de pointer du doigt le brouillage des
frontières entre productif et improductif, entre espace de travail et
espace de vie. Ce que l'on observe dans le coworking est symptomatique de ces
nouvelles modalités de travail. Le coworker est amené à
évoluer, aménager son temps et son espace selon ses besoins. Ceci
se ressent dans le caractère polymorphe des EC qui répond
à un désir d'interaction. En effet, près des deux-tiers
des coworkers jugent que l'interaction avec les gens est une des dimensions
importantes que doit permettre le coworking notamment grâce aux
qualités pratiques de l'infrastructure.
Au cours des entretiens, nous avons remarqué que les
individus s'identifiaient à l'EC qu'ils fréquentent et cela pour
plusieurs raisons. Premièrement, il l'ont choisi, tout simplement et
ceci en fonction de leurs critères personnels et d'une situation
donnée. Que ce soit en fonction de la localisation, du cadre ou
même des rencontres avec les personnes qui le fréquentent, il
apparaît essentiel pour les coworkers d'être en phase avec l'esprit
du lieu. Ces derniers déclaraient aimer leur espace de coworking
à hauteur de 8,4 sur une échelle de 1 à 10 et ils sont
seulement 4% à être abonné simultanément un autre
espace. Une certaine fidélité s'exprime envers le lieu que l'on
affectionne et dont on se sent membre.
« le lieu est important. En lui même et aux
alentours. Il faut qu'on se sente à l'aise » cf
« Il faut qu'on puisse faire autre chose que purement
du travail et s'y sentir bien, pouvoir prendre ses marques et en faire un lieu
où le matin quand tu arrives, t'es content de passer la porte. »
cw
Deuxièmement, l'idée d'un lieu à
s'approprier est aussi présente. Que ce soit du côté des
fondateurs du lieu ou des coworkers eux-mêmes, la participation à
la vie du lieu dans son ensemble est un point important. L'investissement
personnel que cela requiert est aussi
62
envisagé comme une manière de s'intégrer
à la communauté et d'instaurer un climat de respect mutuel et de
confiance entre les acteurs du lieux.
« Tout se construit petit à petit, avec les
gens [...] les choses se sont faites naturellement, chacun met la main à
la pâte. » cw
« Ils filent un coup de main tout en étant
coworkers, par exemple avec le blog. C'est une forme de troc, d'échange
parce qu'on peut s'aider mutuellement. Ce point est important parce qu'on
essaye vraiment que la gestion ne soit pas seulement l'apanage de nous autres
fondateurs [...] Au final, nous essayons de faire en sorte que les personnes
gèrent d'elles-mêmes l'espace, qu'elles soient ordonnées
aussi !L'objectif final serait que les personnes puissent aussi proposer des
contenus, écrire sur le blog, organiser des événements...
» cf
« C'est aussi le rôle d'un peu tout le monde,
apporter sa pierre à l'édifice pour créer de la bonne
ambiance. C'est bien de cultiver ça, parce que pour moi ces espaces
c'est avant tout une idée.. » cw
Au-delà de la gestion de l'espace, on se rend compte
que les lieux sont très mouvants en fonction des personnes qui
interagissent, des projets divers, ce qui créent une dynamique de
co-construction. Sans qu'il y ait un sentiment d' inachevé, les EC
jouent avec les frontières créant des espaces modulables. Il faut
noter aussi que beaucoup de lieux sont récents. L'âge moyen d'un
EC est de un an et demi et l'ouverture est souvent prématurée. Un
tiers des espaces ouvre seulement trois mois après la première
phase de lancement. Des équipes légères (dans 80% des cas,
le projet est porté par trois co-fondateurs ou moins) et des
investissements surtout issus de fonds privés expliquent en partie ces
ouvertures spontanées. Bien que les contraintes économiques
existent et peuvent ralentir la création de lieux (loyers
élevés selon les villes, difficultés de prêts
etc...) les EC naissent souvent donc assez rapidement et se construisent au fur
et à mesure, d'où cette dimension "work in progess" : Rien n'est
figé, tout est dans la malléabilité. Un guide pour les
fondateurs d'Ex paru en avril 201421 explique que le fait de
designer soi-même l'espace peut être une «opportunité
exceptionnelle pour
21 Cet ouvrage rédigé en anglais reprend de
manière pédagogique les étapes successives pour ouvrir un
espace de coworking : conseils techniques, juridiques, managériaux... le
livre se veut simple et concis pour accompagner le développement des
structures pas à pas. SUAREZ, Ramon (dir.), The coworking
handbook, Charleston, 2014
63
impliquer les membres de la communauté qui seront alors
plus investis et attachés au lieu. »22 (Suarez, 2014 p. 121). Faire
les choses selon ses propres moyens est parfois une solution économique,
mais témoigne aussi d'un certain état d'esprit. Cet encouragement
au « Do it yourself » (littéralement «
Fais-le toi même ») est un des traits
caractéristiques qui fait écho notamment au mouvement du logiciel
libre23. Ici, bricoler, co-construire, expérimenter permet de
créer cet environnement proche des gens et personnalisé. C'est
aussi la concrétisation d'une forme d'indépendance :
« En juin 2011 on a obtenu le premier étage de
ce bâtiment et l'aventure commençait. On a peut-être pas
fait les choses de la meilleure manière dès le début. Il y
avait peu d'informations, on s'est lancé là-dedans au
début sans tellement savoir où ça allait mais petit
à petit on structure les choses [...] On s'investit beaucoup au jour le
jour pour créer une dynamique » cf
Ce qui est intéressant à la lecture de ces
premiers points et au regard de notre problématique, c'est de voir
comment en terme d'aménagement, de gestion quotidienne, d'implication
individuelle et collective, ces lieux sont le reflet d'une imbrication
croissante du cadre de travail et du cadre de vie. Les coworkers recherchent,
nous l'avons vu, un lieu où l'on peut exercer son activité avec
tous les équipements techniques, technologiques dont ils ont besoin
(bien que cela se résume souvent à une connexion et un bureau)
mais également un lieu où il fait bon vivre, que l'on peut
s'approprier, où l'on peut soumettre des idées et se sentir un
peu chez soi. L'individu est aussi donc de ce point de vue acteur, de par ses
choix et son investissement personnel dans le lieu. Soulevons ici un des
nombreux paradoxes qui façonnent les EC. Ceux-ci étant
considérés comme des lieux d'accueil des travailleurs nomades,
ces « sans bureau fixe » pour reprendre l'expression de Bruno
Marzloff24, il est pertinent de relever à quel point les
usages remettent en question l'idée d'une mobilité
exacerbée. Le coworker type est certes potentiellement mobile
grâce aux technologies numériques mais cela ne signifie pas pour
autant qu'il ne développe pas de pratiques stables.
22 Notre traduction « Designing your space is a great
opportunity to involve your community and get members more involved and
attaches to the space »
23 L'expression DIY (Do it yourself) date des années 70 et
a premièrement été utilisée pour analyser les
subcultures juvéniles notamment punk. Aujourd'hui, le terme s'est
étendu jusqu'à être envisagé comme une philosophie
que l'on retrouve également chez les communautés open-source.
24 Le terme « SBF », c'est à dire sans bureau
fixe se réfère aux personnes n'ayant pas de contraintes de lieux
dans leur travail. Des globes trotteurs professionnels qui utilisent les
tiers-lieux, les espaces publics et multiplient les pratiques nomades. Bruno
Marzloff y a consacré un ouvrage du même nom paru en 2013 aux
éditions FYP, pour inciter les politiques publiques à repenser
l'aménagement territorial et la mobilité en milieu urbain.
(MARZLOFF, Bruno, Sans Bureau Fixe, FYP, Paris, 2013)
64
80% des membres d'EC ont prévus de rester au moins un
an dans leur espace. Ce chiffre recoupe effectivement des
réalités variées. Les types d'abonnements varient, les
coworkers ne travaillent pas non plus exclusivement dans les EC : neuf
coworkers sur dix effectuent encore une partie de leur travail dans d'autres
endroits. Et pas seulement pour des réunions, mais aussi pour le travail
en lui-même. Le domicile, les cafés, restent des alternatives
ancrées dans les usages. Donc, il serait hasardeux de conclure sur une
nouvelle forme de sédentarisation. Cependant, le fait que les coworkers
se projettent dans l'avenir au sein de l'EC qu'ils fréquentent
actuellement renforce l'idée que ces lieux s'inscrivent durablement dans
la vie professionnelle. Ils se démarquent ainsi des autres tiers-lieux
en créant une relation pérenne entre les usagers et un sentiment
d'appartenance.
2.2 Les EC et articulation des temps de vie
De la même manière que nous avons vu que le lieu
se construit physiquement autour des individus, on observe que les EC
s'organisent également en fonction de nouvelles temporalités.
L'offre d'abonnements est variée et s'adapte à une
pluralité des profils professionnels et des usages. Selon les lieux,
cela peut aller de l'heure au mois, avec des variantes (des tickets
journée par exemple). Mais dans le brouhaha des offres on remarque
cependant des tendances similaires :
« Au début nous avions commencé avec
des abonnements plus rigides: abonnement pour le matin, pour
l'après-midi, avec des options pour les équipements etc... Au
final il y avait beaucoup de tarifs, ce n'était pas tellement lisible et
on s'est adapté. » cf
Dans un souci de lisibilité, d'harmonisation et aussi
de facilité de gestion, les EC tendent à proposer des abonnements
fixes et flexibles. Les premiers fonctionnent au mois et se déclinent
schématiquement en une version temps plein et une version temps partiel.
Les seconds se présentent sous la forme de tickets ou de bons, valable
sur une longue durée, pour des visites ponctuelles. Malgré la
catégorisation fixe/flexible, on remarque que de manière
générale l'offre se veut variée, la plus proche de la
demande et épouse un éventail de possibilités d'usages.
Mais au final, seul un membre sur dix paye à la journée ou
à la semaine.
65
Alors que le coworking semblait porter en lui la
révolution du travail nomade et ultra-flexible, cela peu sembler
insignifiant. Les résultats d'enquête révèlent
plutôt des usages stables, fréquents voire quotidiens (60% des
enquêtés se rendent dans leur EC au moins trois à quatre
fois par semaine et un tiers d'entre eux s'y rendent tous les jours.) Cela va
de paire aussi avec des horaires aménagés qui s'étendent
sur le week-end ou en soirée. Selon l'enquête mondiale Deskmag,
même si un tiers des coworkers continue de fréquenter les espaces
selon des horaires traditionnels de bureau, la moitié
bénéficie aujourd'hui d'un accès 24h/24, 7j/7 à
leur espace.
« Si par exemple il y a un jour une conversation
intéressante jusqu'à 1h du matin, on laisse les locaux ouverts,
il faut faire preuve d'adaptabilité ! C'est ça qui
génère la valeur du coworking. »cf
« Chaque personne qui travaille ici rentre, sort, a
les clés [...] On a pas vraiment d'horaires ! »cf
Les EC se caractérisent donc par leur
adaptabilité aux plannings individuels à travers des abonnements
différenciés et des horaires plus souples. Cette organisation
flexible est la manifestation d'une porosité des temps et du
déclin, donc de la séparation stricte entre temps de travail et
temps libre (Sue, 1995 ; Lalive d'Epinay, 1992). Norbert Ansellem dans son
ouvrage de 2013 Le travail et ses dehors reprend les investigations
menées sur l'articulation des temps de vie et met en évidence un
« décentrement subjectif du travail » (Ansellem, 2013). Au
regard de nos différents résultats d'enquêtes, on peut
retrouver les éléments permettant de s'inscrire dans la
lignée de ses observations. Le temps de travail reste structurant et au
lieu d'une colonisation des deux sphères temporelles, on pourrait
davantage parler de conciliation. En faisant tomber une partie des contraintes,
l'EC permet de gérer de manière individuelle la combinaison des
temps qui convient le mieux :
« J'y allais tous les jours. J'avais des horaires
très élastiques. Comme j'ai un enfant c'était plus facile
pour moi comme ça de gérer au jour le jour [...] Je pouvais y
aller quand je voulais, sans devoir mentionner à quelqu'un mes horaires.
» cw
Condition quasi sinéquanone à cette
flexibilité, l'accessibilité. Les temps de trajets quotidiens
rallongés par les congestions urbaines ou encore la surcharge des
réseaux publics sont depuis peu l'objet de nombreuses critiques. Des
études successives ont pointé du doigt
66
cet « enfer des transports » qui serait facteur de
stress, de fatigue et de souffrance au travail25 tout
particulièrement dans les grandes métropoles. Ces trajets
réguliers, outre leur effets psychosociaux néfastes sont
perçus comme une contrainte lourde qui empêche les travailleurs
d'être plus autonomes dans la gestion du quotidien. A l'opposé, le
travail à domicile, situation très fréquente dans la
communauté des coworkers (58% d'entre eux étaient d'ancien
travailleurs à domicile avant d'intégrer l'EC), a certes
ôté la contrainte-trajet mais n'a pas pu satisfaire pleinement les
attentes des travailleurs.
« Ce n'est pas toujours l'idéal de travailler
chez soi, surtout quand on habite dans des petits studios ou en coloc.
Ça fait un peu système D. Et puis on finit par en avoir vraiment
marre de passer tout son temps au même endroit »cw
« Beaucoup de gens viennent ici [dans l'espace de
coworking] parce qu'ils ne veulent plus travailler chez eux. On a des enfants,
c'est pas forcément confortable... »cf
Pour les coworkers, la localisation de l'espace est à
ce titre un point crucial. Si globalement le centre-ville apparaît comme
le Graal parce qu'il permet d'insérer l'espace dans un tissu dense, bien
desservi et dynamique, la proximité du domicile est un argument en
lui-même majeur. Près des deux tiers des membres ne mettent que
vingt minutes ou moins pour se rendre à leur espace et un sur quatre n'a
besoin que de dix minutes . Les EC commencent progressivement à mailler
le territoire, ce qui donnent de plus en plus aux travailleurs la
possibilité de trouver un lieu dans un périmètre
restreint. Quatre coworkers sur dix affirment que cette proximité avec
domicile a été décisive dans le choix de l'espace. En
bref, nous retrouvons ici une des manifestations du tiers-lieu : un entre deux,
un endroit de proximité qui permet une coupure physique avec le foyer
mais qui ne soumet pas l'individu à des trajets trop longs et
contraignants. On assiste alors à l'émergence d'une
mobilité choisie, positive et pratique pour les individus.
L'intérêt du coworking dans cette optique est cette recherche
d'équilibre subjectif.
Cette possibilité d'être maître de son
temps est plébiscitée par l'ensemble des coworkers : 83% d'entre
eux recherchent cette flexibilité horaire. Un parallèle avec
les
25 Parmi ces études, celle du cabinet d'audit Technologia
parue en 2010 et reconduite en 2013 « Stress & transport » :
http://www.technologia.fr/blog/wp-content/uploads/2013/10/Technologia-Etude-transport-2013-1.pdf
67
nouvelles formes d'emploi en « mode projet » permet
de comprendre ces attentes. Nos entretiens ont mis en exergue cette
discontinuité dans le travail, cette alternance entre temps forts et
temps plus souples. Au delà d'une conciliation vie professionnelle/vie
privée, la flexibilité est aussi envisagée comme une moyen
de coller à une réalité du travail non linéaire et
d'un marché aujourd'hui international :
« J'ai du mal avec les horaires fixes.. 8h-17h, j'ai
beaucoup de mal. On avance au gré des projets. Il y a des moments
où l'on vit des coups de pressions, il faut être là [...],
on va se mettre à fond sur ce projet-là à ce
moment-là. Après, pour peu que l'activité soit un peu en
baisse, on va aussi pouvoir avoir des plages plus limitées.[...] Je le
vis comme une vraie liberté.[...]Ce n'est pas un poids, c'est voulu et
contrôlé. On adapte sa vie à son travail et son travail
à sa vie..» cw
« Le coworking, c'est un peu comme
j'idéalisais le travail à la sortie de mes études. Je
savais par exemple que j'avais besoin de flexibilité horaire et le
coworking m'a permis de tester ça. »cw
« Quand je travaille ici, c'est peut-être en
même temps que quelqu'un qui travaille la nuit au Japon. Peu importe
où tu es, à New York, Londres, Séville, Paris.. [...]C'est
ça le futur, prendre part à des projets variés, dans des
lieux variés etc... C'est un univers du travail mobile, changeant.
»cf
En définitive, il ressort que les individus recherchent
au sein des EC une nouvelle manière de composer et de gérer le
puzzle entre vie privée et vie professionnelle de plus en plus complexe
car soumis à des rythmes aléatoires. En ce sens, les EC sont le
support de l'expression des nouvelles modalités du travail du
capitalisme cognitif portées sur la mise en capacité des
acteurs.
III) Le nomadisme coopératif à
l'épreuve du coworking
3.1 Tous différents, ensemble
Les EC tendent à construire un écosystème
basé sur une communauté hétérogène mais qui
partage une même réalité et surtout conception du travail.
A l'image de la classe créative, les profils sont variés et en
majeure partie, les EC sont ouverts à toute les professions (dans les
limites de faisabilité pratique). L'idée de mixité, au
coeur du coworking est cependant nuancée.
68
D'une part, nous assistons depuis peu à
l'éclosion d'EC spécialisés « pour renforcer les
opportunités de rencontres professionnelles fructueuses » (Moriset,
2014:5). Ainsi, certains espaces tendent à s'adresser à un public
particulier. C'est le cas par exemple de La Ruche à Paris qui ouvre ses
portes aux entrepreneurs sociaux, La Manufacture qui vise les professions
littéraires. Plus récemment encore, on a assisté à
l'ouverture d'un EC culinaire (Cookworking, Paris) ou encore
dédié aux professionnels de la mode (Coworkingdemoda,
Séville). Sans nous attarder d'avantage sur le concept d'EC
spécialisés, nous avons remarqué que la diversité
des profils est une question qui divise. Rencontrer des gens est perçu
comme une nécessité, mais la nature et le but de ces relations
restent sujet à discussion. Les coworkers interrogés ont tendance
à insister sur la convivialité et un esprit d'ouverture en
règle générale propice à des relations
décontractées voire amicales, intimes.
« On est dans des modes de travail où on est
tous plus ou moins amenés à bosser seuls chez nous. Alors quand
on va dans ces lieux, on a besoin de contact humain, on a besoin de passer des
bons moments, et au-delà de se refiler des filons, tout ce
côté humain est super important. »cw
« Certains membres étaient à la base
des connaissances, ils sont devenus des amis. On peut dire des amis. On avait
des centres d'intérêt en commun hors -travail, on était
dans la même tranche d'âge, assez jeunes, dynamiques et oui
forcément, ça crée des liens. En plus on est dans un cadre
qui permet de créer autre chose que des relations strictement
professionnelles. »cw
« Ici c'est comme une sorte de famille, on se sent bien.
»cf
Si les relations s'échappent du cadre professionnel,
c'est aussi parce que les coworkers entretiennent ce rapport d'égal
à égal avec des personnes issues de divers horizons. En
intégrant un EC, on s'insère dans un environnement où les
individus ne sont pas définis par rapport à leur statut ou leur
place dans l'organigramme. Peu de situation de concurrence, des lieux et temps
de détente collectifs, des événements ponctuels
participent au développement d'affinités. Par ailleurs, ces
rapports détendus sont perçus comme le moyen de s'épanouir
et de « sortir » de son quotidien de travail. Autrement dit, la
diversité, le mélange des professions et des statuts est
revendiqué comme l'une des valeurs ajoutée du coworking. Les
individus y trouvent l'occasion de se défaire des relations formelles et
codifiées au profit d'une atmosphère agréable.
69
« Ce qui compte, c'est la variété des
profils de personnes qui interviennent dans ces espaces. Plus il y a de
brassage, plus c'est intéressant » cw
« [...] il n'y avait pas de compétition vu que
personne ne faisait la même chose. Il y avait des domaines qui
s'entrecroisaient mais chacun avait plus ou moins sa spécialité.
» cw
« Je suis en contact avec des amis de mon ancienne
université qui sont aujourd'hui dans des grands studios d'architectes et
ils me disent : "tu as beaucoup de chance ! Ici on n'est qu'entre architectes
on ne parle que de ça ! " . C'est sûr, au bout d'un moment on n'en
peut plus de ne parler que du travail et avec des gens en plus qui font la
même chose. Ici c'est une totale diversité et ça fait du
bien. » cf
« Ce n'est pas la profession qui crée la
communauté coworking, c'est plus que ça. Moi par exemple je
n'irais jamais dans un espace de coworking d'architectes. Ça n'a aucun
sens ! Ça n'enrichit pas. Tu n'apprends jamais autant avec des gens qui
font la même chose que toi. » cf
Mais les relations dans les EC se caractérisent par
cette volonté d'ouverture et d'échange, ceci s'inscrit
également dans une démarche professionnelle. Ce que cherchent les
coworkers au travers des interactions, c'est aussi des opportunités. A
la question : « que recherchiez-vous en intégrant un espace de
coworking ? », l'idée de « réseau » ou de «
carnet d'adresse » ressort majoritairement dans nos entretiens tout comme
dans l'enquête mondiale : Huit coworkers sur dix affirment avoir
élargi leur réseau professionnel grâce à la
fréquentation d'un EC.
« Je démarrais, je devais créer de toute
pièce mon réseau, je me suis dis que c'était une solution
pour rencontrer [des] professionnels. » cw
« Ce qui se passe dans les métiers du son et
le design sonore c'est qu'on est souvent seul dans les studios et qu'on ne peut
pas bénéficier d'une structure, on n'est pas en contact avec
d'autres activités comme le graphisme ou le développement [...]
je me suis dis que c'était une solution pour rencontrer ce genre de
professionnels » cw
Dans cette mesure, les coworkers cherchent à
l'évidence des profils diversifiés mais dans des domaines qui
seraient complémentaires. Le spectre est large et flou et dépend
bien sûr des attentes individuelles. Ce besoin exprimé de mise en
relation professionnelle est à
70
mettre en parallèle avec des nouvelles formes de
collectifs au travail, étudiées autour du concept de nomadisme
coopératif (Vendramin, 2007). Bien que les individus soient de plus en
plus indépendants et autonomes, la volonté de créer des
liens est primordiale. Cette volonté devient alors
nécessité lorsque l'on est amené à être de
plus en plus polyvalent :
« La plupart des problèmes que tu as devant
toi en fait, sont rarement de l'ordre de ce qui fait ton coeur de
compétences, que tu as déjà acquis parce que tout
simplement c'est ton métier. Aujourd'hui comme on est amené
à vraiment être autonome, polyvalent etc... C'est vrai qu'il faut
maîtriser de plus en plus de choses en annexes et là, ça
devient intéressant effectivement de rencontrer des gens qui eux ont
l'expertise dont tu as besoin. » cw
3.2 Constitution et vie des collectifs de coworking : le
travail et ses dehors
Suivant une organisation horizontale du travail, la
coopération est affirmée comme un nouveau moyen de
répondre à des exigences professionnelles. Pouvoir compter sur
une communauté au sein des espaces est une valeur ajoutée
indéniable puisqu'il permet de générer et d'auto-organiser
spontanément des collectifs performants et affinitaires.
« [...] plus le temps passe, plus les relations se
développent. Par exemple il y a un jeune designer graphique dans
l'espace, je lui fais confiance personnellement et professionnellement, parce
que je le connais, je le vois tous les jours. » cf
Que ces relations soient envisagées dans le cadre du
travail ou au-delà, elles se caractérisent par un engagement
personnel particulier. Au cours de nos entretiens, nous avons remarqués
que les coworkers étaient attachés à leur
indépendance. Celle qui leur permet de gérer leur temps, de
fréquenter plusieurs lieux, d'organiser son activité en fonction
de leurs paramètres. Celle aussi qui s'exprime plus
généralement dans la relation à autrui. Cette
indépendance se manifeste sur plusieurs points. Dans un premier temps,
bien que des liens affectifs se créent dans les espaces, les coworkers
expriment souvent le besoin de conserver une séparation entre des
relations établies dans un cadre privé et celles
développées via le coworking. Même si au final seulement
15% des coworkers n'ont jamais eu de contacts avec un autre membre du
même EC en dehors de celui-ci, la majorité des 85% restant
déclare qu'il s'agit uniquement de quelques personnes et ceci de
manière ponctuelle.
71
« Moi par exemple j'aime bien manger le midi avec les
gens de l'espace et puis si à 16h00 on va boire un demi, avec plaisir !
Mais c'est vrai que les voir le weekend, je ne sais pas si j'irais jusque
là. Ou si c'est autour d'un projet pourquoi pas. Mais j'aime bien quand
même séparer un minimum les choses. » cw
Ceci étant, les événements
organisés, les temps collectifs de détente sont très bien
accueillis lorsqu'ils sont intégrés à l'espace et à
la vie de la communauté. Ainsi, selon les envies, sans obligation, la
participation à ce genre de réunions s'avère être
des moments privilégiés où l'on peut se retrouver et
apprendre à mieux se connaître. 84% de tous les coworkers qui ont
répondu à l'étude ont dit qu'ils assistaient à des
événements et participent en moyenne à 1,8
événement par mois.
« Les instants collectifs c'est plus les
apéros, les soirées... J'essaye d'y aller. C'est bien pour mieux
connaître les gens et dans un autre cadre que le travail. Ça
permet de faire des rencontres aussi, c'est sympa. »cw
Ainsi la question de l'individualisme contemporain et de son
inscription dans les dynamiques collectives reste un des points de tension
inhérent aux EC. Nous l'avons vu, une attention particulière a
été portée aux processus d'individuation des formes de
travail, qui s'expriment notamment dans les modalités du coworking. La
manière d'envisager l'engagement dans le collectif et le rapport
à l'autre dans le travail est modifiée puisque l'accent est mis
sur les aspirations individuelles, qui ne sont pas forcément les
mêmes que les autres membres. Un mouvement de recherches dans la
lignée des travaux de R. Sainsaulieu s'est particulièrement
penché sur l'affaiblissement des modèles identitaires fusionnels
au profit d'un engagement plus subjectif. Appliqué aux EC, on remarque
que la constitution des collectifs à visée professionnelle (c'est
à dire la partie productive) est animée par la volonté
d'agir ensemble mais aussi de valoriser son talent. Quelque part, en
réunissant des profils distincts aux compétences
complémentaires, les EC participent à la création de
synergies par la promotion des talents individuels.
« Si tu veux employer quelqu'un, ou travailler avec
quelqu'un, qui veux-tu ? Le meilleur. Et pas forcément ton cousin, le
copain d'untel... Et l'espace de coworking
72
est aussi cet espace de rencontre. [...] le talent c'est
la clé aujourd'hui et qu'il faut savoir le promouvoir. La
différenciation aujourd'hui se fait au talent. » cf
« Les gens qui sont mous, pas vraiment
concernés... Non, il faut des gens qui sont à fond ! Il faut
être productif, compétent, à fond dans les projets... C'est
important de côtoyer des gens de haut niveau, avec une expertise dans
leur domaine. »cw
Au travers des formes mouvantes de coopération, les
coworkers sont amenés à échanger des connaissances mais
aussi valoriser leurs compétences. La mutation du travail vers un mode
projet a aussi exacerbé cette « culture de la performance »
qui façonne les collectifs. Mais si cette culture, voire ce culte est
généralement étudié sous son jour le plus sombre
(pressions, concurrence...), nos entretiens avec les coworkers
révèlent que cette recherche de performance est plus
envisagée comme une manière de se surpasser, d'atteindre des
objectifs personnels. Intégrer un EC, c'est aussi intégrer une
communauté de professionnels intellectuellement stimulante.
« Tu te rends compte de la barre à atteindre,
tu te fixes des objectifs et ça motive. Dans ces espaces c'est un peu
ça qui se passe je trouve. Des gens qui arrivent, ultra motivés,
avec des nouvelles idées, qui sont là pour bosser, qui envoient
la sauce, qui aident les autres... » cw
« c'est hyper bien d'avoir un travail dans un
environnement qui permette de se tirer vers le haut [...] Il y a le
côté atteinte des objectifs aussi. Chaque mission est
différente avec des gens différents et permet de découvrir
des choses qu'on ne connaît pas. Il faut apprendre, mettre les deux mains
dedans pour pouvoir le maîtriser. C'est des challenges passionnants
» cw
Pour conclure cette étape de la recherche, revenons
à notre hypothèse principale.
? Les incitations des acteurs à agir
dépendent du cadre dans lequel ils accomplissent leur activité.
Les EC comme modèle organisationnel se construisent et se
développent selon une logique ascendante, créant espaces
d'autonomie où s'expriment les individualités mais aussi de
nouvelles solidarités. Cette mise en capacité des travailleurs
permet aux individus de s'épanouir et charge le travail d'un sens
nouveau. En définitive, le modèle organisationnel des
73
EC réunirait les conditions d'expressions des
modalités du travail cognitif.
Après analyse des différentes données
quantitatives et qualitatives récoltées, il nous semble correct
de confirmer provisoirement l'hypothèse de recherche. Les EC, dans leur
fonctionnement interne et dans les valeurs qu'ils tentent d'inculquer,
développent un modèle organisationnel innovant. Celui-ci permet
aux membres de s'investir, s'affirmer, s'unir selon leurs
propriétés individuelles. Il est caractéristique d'une
mise en capacité des travailleurs qui s'approprient et agissent sur leur
travail pour que celui-ci soit en accord avec les modes de vie et les modes de
pensées. Michel Lacroix, philosophe français a consacré
une partie de sa carrière à la question d'idéal de vie, du
développement et l'épanouissement personnel26. Dans un
entretien récent accordé à la revue Sciences Humaines,
l'auteur déclare : « Les voies de la réalisation
personnelle sont multiples! [...] Les styles d'existence accomplie sont
très divers et il est fort heureux qu'il en soit ainsi. Or, le trait
commun de ces existences accomplies c'est l'action. L'action est indispensable
à la réalisation de soi. » (Lacroix, 2014, p.37).
Nous soutenons que les EC développent un environnement
propice à l'action au sens large. En rupture avec un certain
fatalisme, les coworkers investissent ainsi le travail de valeurs nouvelles.
Cette vision du travail rejoint les principes de l'ethos
l'épanouissement, mettant en avant les vertues extrinsèques du
travail (valorisation des compétences, responsabilité, atteinte
d'objectifs personnels..) (Lalive d'Epinay, 1998, p.88). Aussi, le
modèle organisationnel des EC favorise la dimension expressive du
travail qui trouve alors sa place dans un projet personnel de
réalisation de soi. Ceci ne veut pas dire que le travail chez les
coworkers est érigé comme seul vecteur d'accomplissement. En
accord avec une vision polycentrée de la vie, les attitudes au travail
dans ces espaces témoignent de la recherche d'un équilibre
permanent entre sérieux et détente, vie professionnel et vie
privée. Bien que les coworkers confirment sans hésiter que le
travail prend une place très importante dans leurs vies, ils expriment
aussi certaines limites à cet égard. Toujours dans un souci
d'épanouissement, les différentes personnes interviewées
se disent prêtes à faire des sacrifices (notamment sur les
horaires) si cela leur offre en retour une satisfaction immédiate ou
à venir. Les EC, tels qu'ils se révèlent au travers de
notre enquête, ont cette faculté d'offrir un cadre
26 Michel Lacroix, philosophe est auteur de plusieurs ouvrages
dont « Avoir un idéal est-ce bien raisonnable? »
(Flammarion, 2007), « Le développement personnel »
(Flammarion, 2004) et « Se réaliser. Petite philosophie de
l'épanouissement» (Marabout, 2010)
74
souple où s'exerce ce jeu entre libertés et
contraintes. Aujourd'hui « l'emploi a perdu de son universalité
» (Lalive d'Epinay, 1998, p.94) tant pas sa forme que son contenu. C'est
donc par un modèle organisationnel polymorphe et bâti selon une
logique ascendante de co-construction que le coworking réinvente
l'univers du travail auprès de la classe créative
désireuse mais aussi dans un certain sens contrainte
d'expérimenter des formes nouvelles de travail.
IV) Espaces de coworking, les limites et perspectives de
recherches
Bien que nos entretiens nous aient fourni un certain nombre de
réponses pour confirmer notre hypothèse de recherche, ils ont en
même temps soulevé des contradictions, des questionnements quant
aux pratiques de coworking.
4.1 Une valeur ajoutée pas tout le temps
identifiée
Dans tous nos entretiens, l'expérience de travail au
sein des EC a été appréhendée de manière
positive par les coworkers. Ceux qui ont quitté les espaces sont
prêts à recommencer l'expérience si cela se
présente, ceux qui y sont encore aujourd'hui ne s'en plaignent pas. Mais
pourtant, on a pu remarquer que l'inscription sur du long terme était
généralement mal perçue. Paradoxalement, alors que le
modèle organisationnel des EC convient à leur activité,
leurs valeurs et qu'ils se sentent épanouis dans ces formes de travail,
les personnes interrogées ont exprimé leur désir de
trouver un endroit « à eux ».
« Aujourd'hui on est encore dans cet espace mais on
cherche des bureaux plus fixes. On arrêtera quand on aura trouvé
parce que c'est vraiment ça au final qu'on cherchait à la base,
un lieu de travail. Si on arrive à obtenir des locaux dans notre budget,
bien placés etc... Je ne vois pas pourquoi on continueraient à le
fréquenter [...] J'envisage plus mon avenir dans des bureaux
privés, qui permettraient de recevoir des clients par exemple. Quelque
chose bien à nous.» cw
« Moi aujourd'hui j'ai mon lieu. Ça m'aurait
plu peut-être de bosser encore dans un espace de coworking, mais
voilà, le Graal c'est d'avoir ses locaux. Ce qui vont dans ces lieux au
final c'est qu'ils n'ont pas de locaux. [...] Le problème c'est que
c'est un peu mal vu aussi. Ça veut dire que tu n'as pas les moyens de te
payer les locaux. Du coup moi je n'ai jamais tenté de m'y installer
définitivement. » cw
75
Ces éléments nous disent plusieurs choses
à propos des EC en leur état actuel. La tendance bien que
croissante et significative n'est pas encore bien identifiée sur le
marché du travail, les individus remettent en cause sa
légitimité. Nous observons ici une certaine résistance
formulée par les coworkers eux-mêmes qui malgré les
bénéfices qu'ils retirent du coworking, le voient aussi au
travers d'un monde du travail qui n'est peut-être pas encore prêt
à redéfinir ses critères. Le bureau personnel reste
synonyme de réussite et d'accomplissement, une forme de
consécration. Selon cette perspective, les EC ont encore du mal à
se positionner à l'échelle d'une carrière individuelle.
Sans rejet personnel de la part des coworkers bien au contraire, ils redoutent
cependant l'image d'instabilité économique voire de
précarité que renvoi la fréquentation du coworking sur du
long terme.
4.2 Modèle ou passerelle ?
Le développement des EC est donc une question
importante. On distingue déjà plusieurs tentatives et plusieurs
orientations distinctes. Le paysage du coworking est en pleine
évolution, devient de plus en plus hétérogène et la
capacité des EC à s'affirmer en tant que modèle est
parfois remis en cause par les usages. En effet, le cadre de travail
proposé semble être très adapté aux
indépendants, travaillant seuls ou en collaboration sur des projets avec
d'autres membres de l'espace . Mais lorsque la question de
l'élargissement de l'activité se pose, les EC semblent moins
susceptibles de correspondre aux attentes. Aussi, les EC apparaissent parfois
comme des « tremplins » professionnels, un pied à
l'étrier pour s'insérer plus durablement sur le marché de
l'emploi par exemple.
« Au début ça peut apporter des
contacts, un carnet d'adresse, il y a des gens qui s'entrecroisent, des
domaines qui s'entrecroisent dans le graphisme, le web etc... [...] Mais au
bout d'un moment je voyais moins la nécessité. [...] Si je
déménage il se pourrait que je devienne membre d'un nouvel espace
pour me refaire un réseau par exemple. Pour me mettre le pied à
l'étrier» cw
« les lieux de coworking c'est un bon tremplin, au
même titre que les incubateurs, les pépinières etc...
Après pour moi ce n'est pas une fin en soi. » cw
76
En fonction de ces éléments, on peut se demander
à juste titre si les EC sont un modèle durable dans sa forme
actuelle. Certains lieux ont grandi de manière
phénoménale. C'est le cas par exemple de la Cantine parisienne
à laquelle nous faisions allusion en introduction de ce mémoire.
Identifiée comme une vitrine de l'innovation, la Cantine a
récemment déménagé vers des locaux imposants au
coeur de Paris et a diversifié ses services. L'espace de coworking
côtoie un fablab, un incubateur, une salle d'événements, un
bar et s'insère ainsi dans un écosystème plus vaste qui
attire aujourd'hui des grandes entreprises comme Google ou Orange27.
Si cette évolution permet d'installer confortablement l'image du
coworking comme partie prenante d'un modèle résolument innovant,
certains y voient cependant l'effacement progressif de ce qui fait la force des
EC, à savoir une échelle humaine. Ce basculement d'une forme
à la base alternative vers une structure à la fois reconnue,
soutenue par des investissements privés et publics (le Numa a
bénéficié d'une subvention du département à
hauteur de 500 000 euros)28 interroge sur l'absorption des valeurs
du coworking à plus grande échelle. D'un côté, on
peut y voir un phénomène d'adhésion positif, une prise de
conscience de la nécessité de réinventer des
méthodes et des modèles organisationnels en phase avec une
montée de autoentrepreneuriat et plus généralement des
formes individualisées d'emploi. De l'autre, on peut effectivement se
poser la question des effets néfastes d'une forme
d'institutionnalisation du coworking. Si l'on en juge par nos quelques
témoignages, l'expérience au sein des EC paraît
bénéfique lorsqu'elle est inscrit dans le temps, qu'elle permet
de répondre à un besoin temporaire de bénéficier
d'un lieu et de se constituer un réseau selon une étape
clé de la vie professionnelle (entrée sur le marché du
travail, reconversion, déménagement, démarrage de
projet....). Il en ressort que les formes de flexibilités permises mais
aussi encouragées par les EC sont vécues positivement à
partir du moment où elles permettent de concilier par exemple la vie
professionnelle et la vie familiale, ou si elles sont inscrites temporairement
dans une stratégie entrepreneuriale :
« Moi je fais des sacrifices tout le temps. Mais
c'est des paris. Je le vois comme ça et ça a été
plutôt gagnant jusque là. Se sacrifier en temps, il faut savoir
pourquoi et jusqu'à quand. [...] bosser le week-end, le soir, quand tu
veux, c'est bien Moi je suis vraiment multi-projets, j'ai tout le temps quinze
mille projets ! C'est vrai que je suis explosif, j'ai plein de trucs partout et
c'est en phase avec ma personnalité. Ça m'apporte un certain
équilibre et un plaisir dans mon travail [...] Aujourd'hui
27 Le Numa (anciennement la Cantine), 39 rue du Caire dans le
2nd arrondissement a ouvert ses portes en 2013. Ils accueillent
chaque année 40 000 personnes et organisent près de 800
événements
28 Source :
http://www.observatoiredessubventions.com/2013/clientelisme-entre-hidalgo-et-l-association-silicon-sentier/
(consulté le 07/09/2014)
77
je sais que travailler beaucoup c'est aussi ce qui me
permet d'être confiant dans l'avenir. Parce que plus je
développerai mon activité, plus j'aurai la possibilité de
faire des choses colos et de me marrer dans mon travail. » cw
Or le développement des EC comme modèle
organisationnel pose à juste titre la question de la
pérennité de ces formes de travail et des contraintes qui lui
sont associées. A quel moment les EC cessent d'être des espaces
où s'expriment des choix individuels et des libertés pour devenir
des lieux où s'imposent de nouvelles normes ? C'est ici la tension
notamment exprimée par L.Boltanski et E.Chiapello dans leur thèse
sur le nouvel esprit du capitalisme. Les revendications de flexibilité,
libertés, ouverture, localisée à l'échelle de la
classe créative et essentiellement autour des professions free-lance a
pris forme au sein d'EC de petite taille et indépendants. Au terme de ce
travail de recherche il nous semble que le coworking n'est pas tant un
modèle en devenir, mais plutôt un modèle résolument
actuel, ciblé qui répond à des attentes spécifiques
qu'on ne peut pas attribuer à l'ensemble des travailleurs. Le risque
d'une trop grande régulation du coworking et d'une certaine
institutionnalisation notamment dû à l'intérêt
croissant des politiques publiques, est celui de la proclamation univoque d'un
idéal de travail décontextualisé. Or un idéal de
travail a ceci de particulier qu'il répond à un vision subjective
de l'individu qu'on ne peut formaliser et qui dépend de son statut, de
son âge, de sa situation familiale, de son diplôme....
78
CONCLUSION
Ce travail de recherche nous a permis de questionner le
phénomène du coworking en pleine expansion. Derrière un
certain engouement médiatique voire marketing, le coworking reste pour
nous un moyen pertinent de questionner les représentations du travail
à l'oeuvre dans nos sociétés contemporaines. Les espaces
dédiés à ces usages fleurissent sur le territoire à
échelle mondiale, captant une catégorie de travailleurs qui a
intériorisé des modalités du travail propres au
capitalisme cognitif.
En construisant des tiers-lieux adaptés à une
demande croissante de personnes mobiles, connectées, créatives
mais parfois isolées, le coworking est bien plus qu'une « solution
pratique ». Les individus y voient une manière de développer
des attitudes au travail nouvelles auxquelles ils attribuent un sens et des
valeurs personnelles. Les EC participent en ce sens à un mouvement de
resignification du travail en phase avec un projet de vie, que chacun
s'approprie et défini selon des modalités individualisées.
Aussi, nous restons sceptiques quand à l'affirmation d'un ethos
spécifique au coworking. Selon nous, bien que l'ensemble des
comportements aux travail laissent transparaître un souci
d'auto-réalisation et d'épanouissement personnel, que le
mouvement du coworking tende à se structurer et affirmer ses valeurs
d'une seule voix, il ne faut pas conclure que nous assistons à
l'apparition d'un modèle salvateur. Nos entretiens, le recours aux
enquêtes quantitatives, les différents articles que nous avons
été amenés à étudier nous ont permis de
mettre en évidence des réalités très diverses. A ce
titre, nous pensons d'avantage que les EC ont cette faculté
d'expérimentation de nouvelles formes d'organisation du travail et
qu'ils accompagnent plus qu'ils ne répondent à cette quête
de sens.
Il faut aussi reporter le coworking à son
échelle actuelle, qui est celle de la classe créative. Il est
évident que pour l'instant, cette situation de travail n'est pas offerte
ni adaptée à tout le monde. Nous rejoignons ici les perspectives
de développement que nous avons abordé au terme de ce
mémoire. Les EC sont encore jeunes, ancrés dans les villes
créatives et de taille relativement petite. Cette situation n'est
sûrement pas éternelle et l'avenir du coworking est en train de
s'écrire. Si les perspectives de croissance sont bonnes (même si
les projets de développement sont en légère baisse pour
2014), le coworking a besoin de mûrir et penser son
79
inscription durable dans la société au risque de
voir son projet social se diluer. Et cela ne veut pas forcément dire
grandir en taille, en investissement, en nombre.
Enfin, il me semble que malgré les espoirs
projetés à travers le coworking, on ne peut isoler les EC du
contexte économique auquel ils répondent. Bien que le projet du
coworking s'inscrive bien au delà, la justification d'une mise en commun
d'un espace et d'outils est d'abord celle d'une logique de réduction des
coûts. Le coworking est l'une des tendances de l'économie du
partage qui prend diverses formes comme le covoiturage, la colocation etc...
Ces pratiques témoignent elles aussi toutes à leur manière
d'une contrainte économique certaine. Cela peut bien sûr
déboucher sur des aventures humaines, des expériences
enrichissantes, des relations durables... dont nous ne remettons pas en cause
l'authenticité. Cependant, il semble qu'éclipser totalement la
dimension « réduction des coûts » au profit d'un
discours prônant des nouveaux modes de vie collaboratifs et solidaires, a
peu d'emprise sur la réalité. L'économie collaborative
sous-entend un passage d'une société basée sur la
possession vers un « âge de l'accès » comme le
diagnostique Jeremy Rifkin, prospectiviste américain. La richesse ne
serait plus dans la possession mais dans l'usage. La Fondation Internet
Nouvelle Génération (FING) dans un récent dossier
intituler « posséder, c'est dépassé
»29 indiquait que « la possession, le patrimoine,
cessaient d'être des valeurs positives : à la recherche de
légèreté et d'agilité dans un monde dur, les plus
jeunes les voient même comme un poids. » Or, notre enquête
bien que modeste et ne pouvant totalement infirmer cette proposition, permet
d'apporter quelques éléments qui remettent en cause la
consolidation d'un imaginaire positif du partage . Les coworkers
interrogés trouvent dans les EC une manière de répondre
temporairement à un besoin concret qui est celui d'un espace de travail
adapté. A ceci, se greffe effectivement une dimension humaine de
collaboration, de partage, de confiance autour d'une communauté. Mais
les symboles d'accomplissement professionnel semblent avoir la peau dure.
Aussi, le modèle organisationnel du coworking est encore
identifié comme le reflet d'une contrainte et d'une instabilité
économique et non d'un choix de vie. Posséder reste pour nos
enquêtés un objectif pour asseoir son indépendance mais
aussi pour correspondre aux critères de réussite personnelle et
professionnelle encore ancrés dans les mentalités.
29
http://fing.org/?Posseder-c-est-depasse
(consulté le 07/09/2014)
80
TABLE DES ILLUSTRATIONS
* * *
Figures
Figure 1 : tableau valeurs « des tiers-lieux » et des
espaces de coworking : une comparaison. (Source : Moriset, 2014, p.8), p.11
Figure 2 : Tableau récapitulatif des entretiens coworkers,
p.46
Figure 3 : Nombre d'ouvertures d'espaces de coworking par an
à travers le monde (Source : Deskmag), p.49
Figure 4 : La Cantine à Paris. (Crédit Sipa),
p.53
Figure 5 : Mobilesuite coworking Berlin. (Crédit
ShareDesk), p.53
Figure 6 : The Shed coworking Madrid, (Source:
http://theshedcoworking.com/),
p.53
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