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Espaces de coworking - capitalisme cognitif et métamorphoses du travail

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par Nina Danet
Université Paris VIII - Master II Information & Communication spécialité Industries créatives 2014
  

Disponible en mode multipage

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NINA DANET

n° 12315367

UNIVERSITE PARIS 8
UFR Culture et Communication

* * *

MASTER ICREA - mention Culture et Médias

ESPACES DE COWORKING

-

Capitalisme cognitif et métamorphose du travail

1

Mémoire de Master 2, réalisé sous la direction de Sophie Jehel, maître de conférences
Année 2013-2014

NINA DANET

n° 12315367

UNIVERSITE PARIS 8
UFR Culture et Communication

* * *

MASTER ICREA - mention Culture et Médias

ESPACES DE COWORKING

-

Capitalisme cognitif et métamorphose du travail

2

Mémoire de Master 2, réalisé sous la direction de Sophie Jehel, maître de conférences
Année 2013-2014

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Remerciements

* * *

Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont accompagnée dans la rédaction de ce mémoire, que ce soit à travers leurs conseils, leur soutien ou tout simplement leur présence.

Merci à ma directrice de mémoire Mme. Jehel pour ses pistes de recherches et ses conseils,

Merci à Gabriel, Charles, Aurore, Alain, Clémentine, Audrey, Michaela, Jaime, Noa, pour leur disponibilité et les conversations inspirantes.

Merci à mes amies, Amanda, Steph, Carla, Sjoera mais aussi Pauline, Marie, Honor, Marine

Merci à ma famille.

5

Table des matières

INTRODUCTION 7

PARTIE 1 : ETAT DE L'ART 11

I) Le coworking : présentation 11

1.1 L'origine du coworking 11

1.2 Un tiers-lieu professionnel 13

1.3 Un nouveau paradigme organisationnel 16

1.3.1 Une double rupture 16

1.3.2 Mixité, Flexibilité, Sérendipité 17

1.3.3 Un projet social ? 18

II) Ethos et travail 21

2.1 Société industrielle : la valorisation du travail 22

2.1.2 Le travail comme facteur de production 22

2.1.1 L'éthique du labeur : le travail comme devoir individuel et collectif 23

2.1.3 la transition : travail et épanouissement 24

2.2 Contexte actuel, la dualité d'un travail en quête de sens 26

2.2.1 Desinstitutionalisation et parcours de vie 26

2.2.2 Crise de l'emploi, crise du travail ? 26

2.2.3 Revaloriser le travail à l'aune de l'ethos de l'épanouissement 27

III) Nouveau modèle productif et évolution du travail 29

3.1 Un nouveau modèle de société, vers une société de la connaissance 29

3.2 La thèse du Capitalisme cognitif 31

3.2.1 Idéologie du libre et émergence d'une « creative class » 32

3.2.2 Les nouvelles frontières du travail 37

a) Rapport au(x) temps 37

b) Rapport à l'espace : 38

c) Rapport à la production : 40

d) Rapport à la hiérarchie : 41

e) Rapport au collectif : 42

IV) Conclusion partielle : Une mise en capacité ? 45

4.1 Quête de sens et Nouvel esprit du capitalisme 46

PARTIE 2 : METHODOLOGIE 49

I) Problématique et hypothèses de recherche 49

II) Méthodologie 51

2.1 Recueil de données 51

2.1.1 La deuxième enquête mondiale du coworking 51

2.1.2 Entretiens qualitatifs 52

PARTIE 3 RESULTATS DE L'ENQUETE et ANALYSE 55

I) Les EC, un déploiement récent mais significatif 55

1.1 Un phénomène mondial 55

1.2 L'Europe et les villes créatives au premier plan 56

1.3 Une structuration progressive 57

II)

6

Nouveaux espaces, nouvelles temporalités 59

2.1 Des lieux ouverts 59

2.2 Les EC et articulation des temps de vie 64

III) Le nomadisme coopératif à l'épreuve du coworking 67

3.1 Tous différents, ensemble 67

3.2 Constitution et vie des collectifs de coworking : le travail et ses dehors 70

IV) Espaces de coworking, les limites et perspectives de recherches 74

4.1 Une valeur ajoutée pas tout le temps identifiée 74

4.2 Modèle ou passerelle ? 75

CONCLUSION 78

TABLE DES ILLUSTRATIONS 80

BIBLIOGRAPHIE 81

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INTRODUCTION

Il y a maintenant trois ans, j'ai découvert la Cantine. Un lieu presque insolite, confiné au fond du passage des Panoramas à Paris. Dans cet espace, des designers, développeurs, des journalistes, des artistes prenaient place sur des sofas, organisaient des réunions spontanées autour d'un café ou discutaient d'un nouveau projet à l'étage. Ce lieu ne ressemblait pas à un bureau, pas vraiment à un bar, c'était un mélange étonnant de gens en costumes et de geeks en t-shirt. La Cantine est née en 2008, portée par l'association d'entreprises innovantes, Silicon Sentier. Il s'agissait du premier espace de coworking (EC) d'Île de France.

La découverte de ce lieu m'a amenée à étudier ce qu'est un espace de coworking. L'année dernière, dans le cadre de ma première année de Master, je m'étais penchée sur l'inscription de ces espaces dans les stratégies urbaines d'attractivité autour du concept de « ville créative ». Cette première expérience de recherche m'avait permis d'étudier plus spécifiquement la Cantine parisienne en tant qu'écosystème d'innovation et son encastrement urbain. Pour clôturer ma deuxième année de master Icréa, j'ai eu la chance de pouvoir réaliser un semestre à l'étranger, à Séville en Andalousie. Si une étude comparative entre la France et l'Espagne pouvait être envisagée, il me semblait après quelques observations sur place que le terrain sevillan n'était pas encore assez mâture et qu'il serait difficile pour moi de mener à bien une enquête de ce type, y compris d'un point de vue de la maîtrise complète de la langue. J'ai donc privilégié une approche plus transversale auprès des lieux et des personnes. Certaines rencontres à Séville m'ont permis de poser les bases de ma recherche au sujet des nouvelles modalités du travail, que j'ai ensuite continué en France. Aussi, notre recherche n'est pas précisément localisée et n'est donc pas le reflet d'une réalité spécifique, d'un espace de coworking ou d'une communauté. Elle vise d'avantage à faire émerger les points forts qui animent le mouvement du coworking et ceci au-delà des frontières. Depuis maintenant sept ans, on observe dans les grandes villes du monde la mise en place de ces nouveaux lieux. Issu d'une mouvance ayant fait ses preuves sur le continent Nord-Américain, notamment dans la baie de San Francisco, le coworking s'est popularisé en Europe au travers d'espaces de référence comme la Cantine parisienne, le Hub à Bruxelles ou encore le Betahaus à Berlin. L'idée principale est la suivante : ouvrir une structure d'accueil collaborative pour une

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génération de travailleurs nomades. Concrètement, les EC se présentent sous la forme d'open spaces où les « bureaux » (ici plus souvent résumés à une connexion wifi, une chaise et une table) sont ouverts à la location. Chacun peut y venir avec son équipement personnel, se connecter et bénéficier ainsi d'un cadre de travail différent que le domicile, le bureau traditionnel ou encore le « café du coin ». Car si les EC se développent autant, il semble que c'est aussi parce qu'ils captent une demande croissante. La pénétration massive des technologies numériques dans le monde professionnel a révolutionné les usages. En amoindrissant les contraintes spatiales, une frange spécifique de la population semble développer une approche différente du travail qui ne serait plus déterminée par des locaux fixes et des heures imposées. Si ces mutations se sont concrétisées il y a une vingtaine d'années par l'explosion du travail à domicile, une nouvelle génération de lieux tend à s'imposer dans les pratiques : les tiers-lieux. Le concept de tiers-lieu a été théorisé par Ray Oldenburg au début des années 90. Il désigne des espaces hybrides, ouverts, publics, neutres, où la conversation est l'activité principale et l'atmosphère y est conviviale. En ce sens, ils sont des espaces de sociabilité où s'entremêlent des pratiques variées, qu'elles soient professionnelles ou ludiques. Si ce concept a aujourd'hui presque un quart de siècle, il s'actualise avec l'éclosion de nouveaux lieux comme les EC. Ainsi, de par leur nature hybride, les EC en tant que tiers-lieu questionnent la notion de travail telle qu'elle s'exprime et se dessine aujourd'hui. Se portant garants d'une « révolution du monde du travail » vers une société plus créative et solidaire, ces espaces semblent répondre aux exigences d'une économie de la connaissance mondialisée qui s'organise en réseau. Mais au-delà de leur inscription économique et territoriale dans une course à l'innovation, c'est sous l'angle du projet social qu'ils incarnent que nous souhaitons étudier les EC et leurs publics. Car ces lieux semblent renvoyer à un idéal de travail créatif source d'épanouissement. Un lieu d'expression des individualités, mais aussi de nouvelles solidarités.

Pour établir notre recherche, nous avons questionné la notion de travail et ses représentations à travers les sciences humaines. Le travail fait partie du quotidien de nos sociétés occidentales. Il est une préoccupation centrale dans de nombreux domaines et au coeur de nombreuses problématiques d'ordre politique, économique mais aussi social et psychologique. Il convient de revenir sur cette notion au travers des apports historiques,

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anthropologiques et philosophique qui démontrent notamment qu'elle a connu de nombreux avatars dans nos sociétés occidentales et que son acception contemporaine est située dans le temps et dans l'espace. Ainsi « le travail n'a pas une "nature anthropologique" donnée. » (Afriat, 1997, p.63). Aujourd'hui, à l'heure d'une société de la connaissance portée par les nouvelles technologies, de nouvelles modalités du travail se dessinent et se laissent entrevoir dans les espaces de coworking. La métamorphose du travail a été largement étudiée au cours de ces dernières décennies, entre espoirs et désillusions. Aujourd'hui plus que jamais semble-t-il, la quête d'un idéal de travail s'affirme comme un objectif sociétal mais surtout un projet personnel. Notre travail de mémoire a pour but d'étudier les EC au travers des nouvelles modalités du travail et de s'interroger sur leur inscription dans cette quête. La thèse du capitalisme cognitif qui a pris forme autour d'un noyau de chercheurs nous offrira un cadre conceptuel et des pistes de recherches pour définir la métamorphose du travail à l'oeuvre dans nos sociétés, entre quête de libération et nouvelles contraintes. Au regard de ces mutations, nous tenterons ensuite de voir en quoi les EC répondent aux défis actuels générés par l'affaiblissement des repères traditionnels qui ont façonnés nos sociétés depuis l'essor du capitalisme. Le travail ferait désormais partie d'un projet individuel qui n'est plus normé selon des institutions mais bien le fruit d'expériences personnelles, de trajectoires diverses animées par un désir d'emprise sur sa vie. Cette vision, dans sa version la plus utopique libère l'homme des carcans de la société qui l'assignait à un rôle, une identité et une fonction bien précise. Selon une perspective plus critique, elle est aussi le fruit de l'intériorisation de normes libérales qui contraint l'individu à être seul face à son sort, libéré mais sous pression constante pour se réaliser et « être soi ». Notre recherche sur le coworking tente justement d'explorer cette tension, pour sortir de l'idéologie et inscrire ces espaces dans la réalité sociale mais aussi économique. Une réalité qui d'ailleurs n'est pas universelle, car notons qu'étudier le coworking, c'est aussi étudier une certaine génération, certains secteurs et aussi certains territoires. Bien que portant en eux un projet global à l'échelle de la société, les EC sont encore aujourd'hui les lieux de rencontre d'une « classe créative », jeune, diplômée et urbaine qui par l'accès et la maîtrise des nouvelles technologies n'est pas ou peu conditionnée physiquement par un lieu de travail. Nous ne pouvons dès lors positionner notre recherche comme révélatrice d'une tendance générale puisque cela signifierait exclure toute personne dont l'activité n'est tout simplement pas adaptée aux pratiques du coworking. Pour autant, nous considérons qu'étudier les EC est digne d'intérêt si nous les considérons comme avant-

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gardes, révélateurs d'un changement de mentalités au travail qui gagne du terrain et ne cesse depuis maintenant sept ans de séduire de nouveaux adeptes : fondateurs de lieux, coworkers, mais aussi personnalités politiques et grandes marques.

Pour réaliser notre recherche, nous avons mobilisé plusieurs sources. Premièrement, nous avons étudié les résultats d'une enquête mondiale réalisée par Deskmag sur l'année 2012, intitulée Global Coworking Survey. Cette enquête a été menée auprès de plus de 2000 personnes (coworkers et gérants d'espaces), nous offrant une échelle fiable et une certaine vision d'ensemble du paysage du coworking. Pour compléter ces données, nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès d'individus travaillant ou ayant travaillé dans ce type d'espaces mais également auprès de fondateurs de lieux. L'enquête de terrain est assez réduite, mais nous permettra d'illustrer ou de nuancer les résultats de l'enquête mondiale et donc d'apporter des éléments d'ordre qualitatif sur l'expérience subjective du coworking.

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PARTIE 1 : ETAT DE L'ART

I) Le coworking : présentation

Dans un premier chapitre, nous allons tenter de définir et de contextualiser le coworking. Malgré une littérature spécifique peu abondante, il convient d'introduire notre objet de recherche en précisant ses origines, ses particularités et les premières questions qui se posent à nous.

1.1 L'origine du coworking

L'origine du coworking est discutable et sujet à diverses interprétations. Après la lecture de différents articles désireux de tracer la généalogie de ce phénomène, nous pouvons cependant affirmer que le premier espace de coworking est né outre Atlantique dans la baie de San Francisco au début des années 2000. En 2006, on ne dénombre alors qu'une trentaine d'espaces de ce type à travers le monde. Pourtant dès 2007, on parle déjà de « tendance ». Les requêtes sur Google explosent, une page Wikipedia « coworking » se crée et le nombre d'espaces croît de manière fulgurante. On les retrouve principalement dans les grandes métropoles des pays développés : San Francisco, Paris, Berlin, Barcelone, Londres...

Selon une étude menée par la start-up berlinoise Deskwanted en février 2013, l'Europe serait aujourd'hui le continent ayant le plus d'équipements de coworking avec 1160 espaces. Pour le moment, il est difficile de trouver une définition claire du coworking. Chacun y va de sa formulation et chaque EC propose généralement sa propre définition ou plutôt vision de ce concept sur leur site internet. Selon Wikipedia, « le coworking est un type d'organisation du travail qui regroupe deux notions : un espace de travail partagé, mais aussi un réseau de travailleurs encourageant l'échange et l'ouverture. » A proprement parler, le coworking est une

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forme de travail basée sur la collaboration qui prend forme à travers des lieux proposant des postes de travail à la location, permettant aux individus d'y trouver un point d'ancrage autre que le domicile ou que l'entreprise traditionnelle. Ils conviennent donc particulièrement bien aux travailleurs nomades, sujets au télé-travail ou encore aux indépendants, entrepreneurs, n'ayant par exemple pas de fonds nécessaires pour s'acquitter des frais d'un local professionnel. Phénomène encore récent, le coworking suscite pourtant un engouement certain auprès surtout d'une jeune génération de plus en plus diplômée qui s'éloigne des parcours classiques de carrière . La presse généraliste couvre régulièrement l'inauguration de ce type de lieux ou aborde la thématique du coworking autour de dossiers spéciaux concernant le « travail de demain », mais la littérature académique à ce sujet reste étonnamment anecdotique. Bruno Moriset mène depuis une dizaine d'années ses recherches autour des télécentres et du télétravail et propose depuis peu une conceptualisation des espaces de coworking. Il reprend à se titre la définition proposée par le site du programme Creative Wallonia l développé dans la région de Wallonie pour poser les bases de son développement :

« Un espace de coworking est un lieu d'accueil, de travail et de rencontre pour les entrepreneurs, porteurs de projets et d'idées qui souhaitent les partager avec d'autres ; ce lieu est dynamisé par une animation spécifique qui vise à créer des liens à l'intérieur de la communauté des coworkers et en dehors (...) l'agencement des pièces et du mobilier ainsi que le modèle d'animation sont étudier en vue de favoriser la rencontre, la collaboration, la discussion et le travail, pour la mise en oeuvre des projets. Il y règne une ambiance décontractée et informelle qui libère la créativité et favorise le développement de projets. (...) Le coworking permet de favoriser la collaboration entre acteurs et ainsi créer un écosystème innovant au niveau local. »

www.creativewallonia.be ( Moriset, 2014, p.3)

Cette définition large permet de souligner le caractère multidimensionnel des EC. Nous retiendrons plus précisément pour la suite de nos recherches que l'espace est envisagé au-delà du lieu de travail « pur ». Ils sont au croisement de plusieurs activités que l'on peut assimiler tantôt au cadre professionnel ( collaboration, mise en oeuvre de projets...) tantôt du cadre de la détente, du temps libre (discussion, ambiance décontractée et informelle...). Ce positionnement des EC est particulier et typique d'une catégorie de lieux qui a été théorisée au début des années 90 : les tiers-lieux.

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1.2 Un tiers-lieu professionnel

La définition proposée par le site Creative Wallonia nous invite donc à mobiliser la notion de tiers-lieu (traduction de third place) que nous devons à Ray Oldenburg (Oldenburg, 1989). L'auteur s'est intéressé à la naissance de nouveaux lieux, intermédiaires entre le domicile et le travail, adaptés à un style de vie urbain, individualisé et mobile. D'après la classification qu'il propose, les premiers-lieux désignent le domicile et les endroits de vie privée. Les seconds lieux se caractérisent par les espaces de travail traditionnels où l'individu passe la majeure partie de son temps. Le tiers-lieu est donc une place hybride, localisée dans l'espace, qui répond selon l'auteur à quelques critères. Parmi eux : la gratuité ou le bon marché, l'accessibilité, le cadre hospitalier et confortable, accueillant des habitués mais aussi des gens de passage (Genoud, Moeckli, sd, p.4). Ces lieux sont neutres, simples, facilitent les rencontres dans un climat informel. En définitive, il s'agit d'un type d'espaces assez vaste allant du café à la bibliothèque en passant par un hall de gare, qui se positionnent comme une alternative aux deux sphères socialement structurantes que sont le domicile et le lieu de travail et dans lesquels se développent des usages hybrides.

Avec la « révolution numérique » le concept de tiers-lieu a suscité un regain d'intérêt. La numérisation des fichiers, les outils de communication en ligne, les réseaux sociaux et de manière générale la convergence des supports a permis de « délocaliser » progressivement des activités quotidiennes. D'où un nouveau regard porté sur ces lieux, qu'ils soient explicités comme tel ou non. Car en effet « ce n'est pas tant le lieu qui fait tiers-lieu mais l'usage » (Garov, 2012). C'est d'ailleurs par les usages qu'il semble intéressant de distinguer les différents types de tiers-lieux. Ainsi, la classification actuelle proposée par l'équipe de la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing) nous paraît convaincante puisqu'elle en distingue trois sous-catégories et permet ainsi de préciser l'inscription des EC dans le champ des tiers-lieux.

·

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des lieux de médiations et d'accès : médiathèques, Espaces Publics Numériques (EPN), cafés wifi...

· des lieux de création et de projets : fablabs, makerspaces... 1

· des lieux de travail et entrepreneuriat : espaces de coworking, télécentres, business lounge...

Bien que les frontières ne soient en réalité pas si hermétiques (on retrouve parfois deux types de tiers-lieux au sein d'un même espace), cette catégorisation permet d'observer l'espace de coworking comme tiers-lieu formalisé, à visée professionnelle et donc comme nouvel espace alternatif de travail. Ray Oldenburg répertoriait les espaces urbains qui s'inventaient tiers-lieux sans pour autant se définir de la sorte. Il s'agissait d'avantage d'une appropriation spontanée et individuelle d'un lieu, que ce soit une librairie ou même un salon de coiffure dans certains pays, qui donnait naissance à une communauté vivante. On remarque aujourd'hui que l'utilisation de cette notion désigne des lieux qui se sont construits, ont été pensés et aménagés autour de ces nouveaux usages. Ce fut par exemple une des lignes directrices du développement de la chaîne de coffeeshops Starbucks dans le monde. Remarquant la fréquentation croissante de travailleurs occasionnels nomades qui grâce à leur équipement personnel (ordinateur portable, tablettes et autres terminaux) pouvaient exercer leur activité presque n'importe où, la chaîne Starbucks y a vu une niche à exploiter. Séduit par le concept de tiers-lieu, Howard Schlutz PDG de la marque en a fait le coeur de ce qu'il appellera « l'expérience Starbucks » : « Starbucks, c'est une atmosphère rationalisée mais décontractée, efficace mais lounge [...] Le sens de la flânerie est travaillé, de même que l'esthétique de la décoration.[...] Le but est de s'y sentir bien quelque soit la situation : en travaillant connecté, avec des amis, ou pour signer des contrats. Certains appellent cela la "classic Starbucks experience" »2. Sans rentrer plus loin ici dans le débat de la récupération marketing et marchande du concept de tiers-lieu et donc de sa potentielle dénaturation (Daix, sd), nous nous intéressons au fait que le tiers-lieu notamment professionnel semble aujourd'hui correspondre à des attentes spécifiques de la part d'une catégorie de population urbaine, mobile, connectée... Une catégorie de population qui a intégré les usages numériques au

1 En ce qui concerne la thématique spécifique des fablabs et makerspaces que nous n'aborderons pas plus en profondeur ici, je renvoie aux récents travaux de la Fing : http://www.slideshare.net/slidesharefing/tour-dhorizon-des-fab-labs (consulté le 21/07/2014)

2 DAIX, Matthieu, Le marketing selon Starbucks, le concept de third-place, http://www.brocooli.com/le-marketing-selon-starbucks-le-concept-de-third-place/ (consulté le 28/07/14)

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quotidien et qui recompose son environnement social et professionnel de manière flexible et décloisonnée. Une catégorie de population considérée leader d'opinion, prescriptrice des tendances culturelles et des modes de vie à venir.

Le déploiement récent des EC dans les territoires urbains semble donc répondre aux attentes et aux usages mais aussi aux valeurs de plus en plus affirmées des travailleurs du XXIème siècle, que l'on retrouve dans le concept de tiers-lieu. A ce titre, Bruno Moriset nous fournit un tableau comparatif qui révèle la similarité des approches entre les lieux décrits par R.Oldenburg il y a vingt-cinq ans et les EC. Pour cela l'auteur prend appui sur Citizen Space, l'un des premiers EC basé à San Francisco, source d'inspiration pour beaucoup d'acteurs du coworking (Moriset, 2014, p.8)

Figure 1 : tableau valeurs « des tiers-lieux » et des espaces de coworking : une comparaison. (Source : Moriset, 2014, p.8)

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1.3 Un nouveau paradigme organisationnel

1.3.1 Une double rupture

« L'émergence des tiers-lieux traduit une rupture radicale dans le paradigme organisationnel. [Ils prennent] l'exact contre-pied des règles qui ont présidé la structuration de la société, de l'économie, de l'espace, c'est-à-dire les règles de la spécialisation exclusive. » (Chapignac, 2012,p.3) En tant que tiers-lieu donc, les espaces de coworking tranchent avec le lieu travail traditionnel et son organisation. Ils sont plus ou moins dans une dynamique de rejet des formes dominantes du travail qui structurait la société auparavant. La Mutinerie, EC parisien partage ainsi sa vision : « Imaginez un espace où [les individus] travaillent ensemble mais pour des clients distincts, un environnement stimulant, sans hiérarchie, sans compétition, sans politique, un cadre convivial et cosy. » En bref, les EC se « vendent » comme des espaces d'autonomie, de liberté, d'expression et de rencontres, opposés aux espaces uniformes, impersonnels et rationnels que nous renvoie l'imaginaire de l'entreprise du XXème siècle.

Mais, rappelons que le tiers-lieu est aussi une alternative au « premier lieu », c'est-à-dire le domicile. Les outils numériques ont permis à une partie de la population de se libérer des contraintes spatio-temporelles via le développement du télétravail. Le télétravail ou travail à distance s'est propagé dans les années quatre-vingt-dix avec comme trame de fond les discours utopiques de la société digitale3. Il serait « un moyen idéal d'économiser l'énergie, de diminuer la pollution et le stress causés par les déplacements quotidiens, une manière de concilier le travail et la vie familiale [...] la solution miracle pour le développement des espaces ruraux, un outil pour l'insertion socioprofessionnelle des personnes à mobilité réduite » (Moriset, 2004:6). Bien que le télétravail soit en réalité étendu à tout lieu « hors les murs », il s'est manifesté en grande partie à travers le travail à domicile. Mais face à une vision hédoniste de l'individu maître de son temps, de son activité, pouvant organiser à sa guise son emploi du temps entre travail famille et loisirs, apparaissent assez vite les limites du domicile comme « nouveau bureau ». Après retour sur expérience, « le télétravail est perçu comme un facteur d'isolement de l'individu, limitant les contacts professionnels avec les pairs aux stricts besoins de la coopération et de la coordination [sans pouvoir] compter sur la

3 Voir les rapports Théry (1994), Breton (1995), DATAR/Guigou (1998)

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cohésion et la solidarité des groupes de travail. [...] le télétravail est pris comme une situation qui paraît ne pas avoir de réels contacts avec son environnement. » (Largier, 2001:43). A une période de déploiement du télétravail résolument optimiste va succéder progressivement une période aux discours plus nuancés, mettant en garde contre les éventuelles nuisances et les effets désocialisant.

Les EC s'imposent naturellement comme alternative au travail à domicile et à l'isolement. On constate que cet argument est largement repris dans les définitions du coworking proposées par les différents lieux. Ainsi, La Mutinerie à Paris propose « un écosystème efficace pour leur permettre de rester autonomes sans être isolés »4 ; La Boussol' à Brest aborde sans détours : « Marre d'être isolé dans votre travail ? Rejoignez-nous ! »5 ; L'espace Coworking Montreuil s'adresse lui aussi aux travailleurs « qui souhaitent ne plus être isolés chez eux ou dans des bureaux sans âme. »6 ... En bref, les EC seraient le point de convergence des formes de rejet associées au lieu et à l'organisation du travail, espaces d'émergence d'un nouveau modèle plus en phase avec les attentes des travailleurs qui ne se reconnaissent plus dans le bureau fixe traditionnel et/ou ne parviennent pas à vivre l'utopie libératrice du télétravail à domicile.

1.3.2 Mixité, Flexibilité, Sérendipité

Les EC se nichent donc dans cette faille, au confluent des maux engendrés par l'évolution des formes de travail et des aspirations nouvelles. A l'isolement croissant des télétravailleurs mais aussi des micro-entrepreneurs, start-ups et free-lanceurs en manque de réseau professionnel, le coworking répond par un espace physique, partagé, collaboratif. « Rassemblant des profils très hétérogènes dans un premier temps et offrant dans un second, un environnement de travail nouveau, public et informel, les tiers-lieux professionnels soutiennent l'émergence de nouvelles formes de collaboration entre les différents acteurs : celle du travail en réseau.» (Frekane, Trupia, 2010, p.6). Cette forme de travail en réseau, collaboratif est perçue comme un accélérateur de sérendipité. Le terme sérendipité,

4 http://www.mutinerie.org/

5 http://laboussol.fr/ (consulté le 12/07/14)

6 http://www.bureauxapartager.com/location-de-bureaux/ile-de-france/montreuil/93100/5993-rejoignez-coworking-createurs (consulté le 12/07/14)

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néologisme de l'anglais serendipity est en fait la capacité, l'opportunité de faire par chance des rencontres ou des découvertes plaisantes (Moriset, 2014, p.10). La relation entre le coworking et la sérendipité a notamment été mise en avant par C.Messina, co-fondateur de l'EC Citizen Space à San Francisco. La proximité physique, le cadre convivial, l'animation du tiers-lieu en fait un support privilégié d'interactions entre les individus. Ces derniers sont invités à partager leurs idées, collaborer autour de projets collectifs, s'intégrer à la communauté en discutant et échangeant les points de vue. On retrouve d'ailleurs dans l'esprit du coworking un désir d'ouverture . Un des objectifs des EC est en effet d'abattre les cloisons du marché par la « mise en relation » des travailleurs. Ceux-ci peuvent être de la même profession ou secteur mais le coworking permet, au-delà du fait de rencontrer ses pairs, d'élargir l'horizon professionnel en incitant l'échange avec d'autres acteurs. A ce titre, les sites des EC sont révélateurs. Un bref détour par les rubriques destinées à informer les potentiels-futurs usagers des lieux permet de confirmer le caractère résolument ouvert du coworking.

· « A tous les curieux et passionnés du Numérique » (Cantine Toulouse)

· « Nous recherchons des personnes avec un "esprit bêta" » (Betahaus, Barcelona)

· « Nous sommes ouverts à toutes les industries et businesses et nous cherchons chez nos potentiels membres les qualités suivantes : curiosité, créativité, intellect, désireux de participer et contribuer à une communauté ouverte. » (The Cube, London)

· « Surtout, venez comme vous êtes! Car non, il n'y a pas de sélection à l'entrée. Nous avons des entrepreneurs, des salariés, des chercheurs (d'emploi), des indépendants, etc...[...] Tout le monde à sa place » (La Cordée, Lyon)

· « [Nous accueillons] des esprits innovants de tous horizons » (Lawomatic, Paris)

1.3.3 Un projet social ?

Les EC ont jusque là été étudiés essentiellement selon leur capacité à générer de l'innovation (Besson, 2014 Moriset, 2014 ; Suire, 2013) et à les diffuser à l'échelle de la « ville créative » (Chapignac, 2014). Ces recherches sont notamment au fondement des politiques publiques menées à l'égard des EC. Redynamiser le tissu local, créer des emplois, faire éclore des écosystèmes d'innovations capables de s'affirmer dans un contexte

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économique international de plus en plus concurrentiel... sont autant d'objectifs prônés par les politiques européennes qui ont justifié l'implication croissante des collectivités (et particulièrement en France) quant au soutien à la création et au développement des EC (Fekrane, Trupia, 2010, p.7).

Ce qui nous interpelle ici, serait le glissement des référents symboliques de la situation de travail. Outre l'effet de mode, l'engouement médiatique, il nous semble intéressant de replacer le coworking dans ce qu'est le travail, sa place dans la société et ses représentations. Au même titre que le télétravail a nourri une utopie du « travailleur libre », le coworking semble porter en lui les valeurs d'un projet de mode de vie qui va bien au-delà du simple bureau partagé. A l'aune d'une époque où les risques liés au travail occupent souvent le devant de la scène (que l'on parle d'harcèlement, de chômage, de stress etc...) le coworking semble indiquer un chemin consensuel vers une société apaisée, solidaire et épanouissante. Où le travail serait loisir, les collègues seraient des amis, le bureau un salon cosy. Où les nouvelles technologies numériques ne seraient pas des « outils despotes » dans le sens où ils priveraient l'individu d'initiatives et de responsabilités en le soumettant à la technique (Stiegler, 2006) mais bien l'un des moyens de vivre une situation de travail plus libre, conviviale et plus humaine. En poussant le raisonnement, l'individu trouverait dans le coworking la manière de se réaliser en tant que travailleur mais aussi en tant qu'individu . Cela questionne ainsi la place du travail dans la vie mais également le rapport subjectif au travail.

A ce titre, la notion d'ethos en tant qu' « ensemble des valeurs, des attitudes et des croyances relatives au travail qui induisent une manière de vivre son travail au quotidien » (Mercure, Vultur, 2010:2) nous permet de creuser cette réflexion puisque cela invite à cerner les changements de mentalité liés au travail qui s'opèrent dans la société, à « rendre compte entre le domaine du psychologique et du sociologique, entre l'individu et le système social » (Lalive d'Epinay, 1998, p.68). Les auteurs québécois Daniel Mercure et Mircea Vultur distinguent trois composantes de l'ethos (Op.cit.) :

1)

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l'importance du travail dans la vie des individus

2) la centralité du travail par rapport aux autres sphères

3) la signification du travail, c'est à dire sa finalité

Aussi, il nous paraît important afin de poursuivre nos recherches de questionner l'Histoire et les sciences humaines sur les représentations du travail dans les sociétés occidentales. Alors que le coworking est prôné comme projet social, précurseur du travail de demain (comme le coworker incarnerait l'idéal-type du travailleur de demain), il convient de s'interroger sur la place du travail dans l'espace social et les différentes dimensions qu'il recoupe. Pour cela, nous développerons succinctement dans le second chapitre de cette revue de littérature les différentes acceptions qu'a pu recouvrir le concept de travail et ses représentations. Car l'ethos a une histoire, c'est un produit socio-historique, « il surgit, se développe, se cristallise, décline et disparaît en fonction de la myriade d'interactions, conflits et innovations qui font et refont la société en permanence » (Lalive d'Epinay, 1998, p.68). Il ne s'agit pas ici de traiter de manière exhaustive l'ensemble des théories qui ont construit le concept et conduit à sa vision contemporaine, mais bien de voir comment les valeurs au travail véhiculées au sein des EC en tant que tiers-lieu professionnel se positionnent, entre rupture et continuité en interrogeant le travail au niveau sociétal.

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II) Ethos et travail

Il faut savoir que le concept de travail n'est pas immuable et de tout temps. « [Son] contenu et le sens du mot "travail" varient selon les cultures et les époques » (Mercure, Spurk, 2003, p.1). En occident, son acception contemporaine remonterait au XVIIème siècle. Le travail constitue un champ de recherche riche et en perpétuel débat puisqu'il s'agit avant tout de penser l'individu dans la société moderne : « Les sciences humaines issues de la Renaissance n'ont pu penser l'homme et la société en l'absence du travail parce que le travail s'est de plus en plus affirmé comme l'une des formes modernes de l'homme en société. » (Op.cit. p.2) Mais l'idée d'inscription du travailleur au coeur de l'espace social n'a pas toujours existé.

Dans la Grèce classique, le travail correspondait aux efforts fournis pour subvenir aux besoins vitaux. Il correspondait donc à un certain « asservissement à la nécessité à quoi s'oppose le domaine de la liberté, politique et parole » et donc de l'épanouissement personnel. Le travail est une activité rabaissante, privant l'individu de son statut de citoyen et d'acteur de la Cité. Il n'est pas plus source de lien social puisque le métier est vécu comme facteur de « différenciation et de cloisonnement entre les citoyens ». Les activités assimilées au travail, regroupées sous le terme ponos sont en ce sens dévalorisées au profit de l' egon (oeuvre) qui concerne les activités de l'esprit. Ainsi pour réaliser la « bonne vie », il serait nécessaire de se libérer de ces activités contraignantes qui maintiennent une relation de dépendance pour s'adonner aux loisirs, arts et philosophie. Platon et Aristote développent en ce sens la vision d'un idéal individuel social détaché des nécessités et des conditions matérielles de survie. Ainsi, de l'esclave à l'artisan, aucun ne correspond aux critères du citoyen grec digne de ce nom puisque le travail « ruine les corps et brisent les âmes » (Aristote, cité par Migeotte, 2003, p. 17). Il n'est donc pas possible de parler d'une essence du travail, conçue comme réalisation de soi. (Afriat, 1996, p.62). Cette vision va se perpétuer et il faudra attendre des siècles avant d'observer une valorisation du travail comme activité essentielle à l'homme et source de lien social . Ainsi, le travail dans son acception moderne regroupant des activités éloignées est récente, tout comme son caractère central dans l'ordre social.

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2.1 Société industrielle : la valorisation du travail

Un bond dans le temps nous permet de nous rendre compte d'un retournement de situation frappant. Alors que dans la Grèce classique, le travail, activité déshumanisante, faisait du travailleur un réprouvé de la cité, la société industrielle l'érige comme activité essentielle à l'homme. Comment et sur quoi s'est bâtie cette valorisation ? Et comment cela peut-il nous permettre de mettre en perspective les représentations du travail à l'oeuvre dans les EC ?

En se penchant sur la valeur travail en tant qu'idéologie à travers le temps et les textes, on est forcé d'admettre que le travail dans les sociétés occidentales occupe alors une place prépondérante. Tous s'accordent sur ce point, qu'importe les penchants philosophiques, politiques ou économiques. Le travail serait unanimement reconnu comme l'expérience humaine sociale centrale. Ce qui diverge cependant, c'est le sens que l'on donne au travail. La véritable tension qui est donnée à voir n'est pas un débat sur la nécessité de travailler ou non, mais porte d'avantage sur ses finalités. En somme, pourquoi travaillons-nous ? Le travail est-il un devoir ? Un instrument ? Une fin en soi ?

2.1.2 Le travail comme facteur de production

Le XVIIIe marque la mise en place du travail « moderne » (Boissonat, 2012) notamment avec l'avènement de l'économie comme science et au fur et à mesure de la croissance économique dans les pays d'Europe centrale. Au XVIIIème donc, le travail trouve son unité, notamment grâce aux apports des économistes classiques comme Adam Smith et ses contemporains. Bien qu'entretenant la relation entre travail, effort et peine, A.Smith le considère dans son ouvrage de 1764 7 comme « ce qui crée de la richesse ». Ciment de la société, le travail est créateur de lien entre les individus puisque chacun dépend d'autrui, de l'autre, selon le principe de la division du travail. Le lien économique est celui qui permet à la société de se développer, de croître et de s'enrichir sur la base de l'interdépendance entre les individus. Ainsi, des échanges entre marchandises découlent les échanges sociaux dans la société de marché et « le rapport qui lie les individus est fondamentalement celui de la

7 SMITH, Adam, La Richesse des nations, 1776

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contribution des individus à la production et de leur rétribution, dont le travail est la mesure» (Meda, 2010, p.7). En un sens, ce travail conduit à l'autonomie. L'individu par son travail se dote de la capacité d'échanger, de participer à la marche de la société-marché et donc d'exister en son sein. Il permet aux individus d'accéder à une position sociale à partir de leur contribution objective à la production (Meda, 2010, p.8). Cela ne signifie pourtant pas que le travail en tant que tel, c'est-à-dire dans son contenu est glorifié. La pensée libérale au XVIII tend à considérer le marché comme chef d'orchestre de l'ordre social sans pour autant que l'activité de travail soit entendue comme épanouissante ou facteur de « réalisation de soi ». La vision du travail véhiculée ici est celle d'un travail orienté vers une finalité, en l'occurrence, la richesse.

2.1.1 L'éthique du labeur : le travail comme devoir individuel et collectif

« L'oisiveté est péché contre le commandement de Dieu, car Il a ordonné qu'ici-bas chacun travaille. » Martin Luther (1483 - 1546)

Pour Max Weber, cette valorisation du travail trouve ses fondements au-delà des logiques de mécanique économique. La thèse qu'il développe à l'aube du XXème siècle démontre en quoi la culture religieuse (ici le protestantisme) en tant que système de représentation, a forgé cet ethos du travail moderne. Dans la conclusion de son ouvrage L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, il écrit « Le puritain voulait être un homme besogneux, nous sommes forcés de l'être» (Weber cité par Lalive d'Epinay, p.154). Le travail est alors perçu comme une affaire de morale et de devoir. Il constitue un « sacrifice de soi à la collectivité » en contrepartie d'une certaine sécurité et prospérité. La collectivité, alors principe supérieur à l'individu, justifie l'exécution du devoir productif. Avec le protestantisme du XVème et XVIème siècle s'opère le basculement des valeurs attachées au travail qui selon M.Weber constitue les fondements de l'essor de capitalisme industriel, autour de l'éthique du labeur. Selon cette conception, « l'homme est par excellence, l'homme au travail. La figure de l'homme déchu s'incarne dans l'oisif» (op.cit p.155). En résumé, cet ethos pose les fondements d'une société qui serait la « condition d'existence de l'individu » qui par son travail participe au vaste projet conquérant de l'industrialisme.(Op.cit. p.78). La réalisation de l'individu passe par l'accomplissement de son destin social, en exerçant son métier.

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2.1.3 la transition : travail et épanouissement

Dans l'après-guerre, la société industrielle culmine et offre ce pour quoi elle a été bâtie : l'abondance. Que ce soit au travers des Trente glorieuses à la française, du miracle allemand, de la nouvelle renaissance italienne, la réalité du travail change: le PIB croît sans embûches, le plein emploi est assuré et le pouvoir d'achat des salariés n'en est que plus fort. Chrisitian Lalive d'Epinay, sociologue, a dédié une partie de sa carrière à évaluer les mutations socioculturelles à l'oeuvre dans les sociétés développées, notamment autour de la question des transformations du travail et de ses valeurs. Selon l'auteur, dans un climat de prospérité économique, « l'environnement se transforme, les mentalités aussi. Une mutation culturelle - des habitudes, des styles de vie, mais aussi au plus profond des croyances et des valeurs - s'est produite. » (Lalive d'Epinay, 1998, p.82). L'ethos du travail avait mis à la tâche toute une société en marche vers le progrès justifiant les sacrifices. La fin justifiant les moyens, après un siècle et demi de travail acharné, les années dorées apparaissent comme la récompense ultime. En toute logique, l'éthos du travail perd de sa substance. Le « devoir » envers la société n'a plus tant de sens, il se noie dans l'abondance de la consommation et le développement des loisirs. Un glissement s'opère : « la véritable vocation de l'homme n'est plus le travail mais le bonheur, l'épanouissement personnel [...] le droit fondamental n'est plus de vivre et de travailler mais de vivre et s'épanouir. » (Op.cit. p.83). Le concept travail prendrait ici sa forme la plus réduite, la plus vide puisque l'individu se réaliserait en dehors de celui-ci. En un sens, c'est aussi le mythe du travail en tant que liberté créatrice comme il s'imagine chez Marx qui s'épuise. Pour reprendre une expression d'André Gorz, Il n'est donc plus tellement question de se libérer dans le travail si ce n'est de se libérer du travail. En tant que concept étroitement lié à l'individualité, la question de l'épanouissement inverse la relation entre l'individu et la société. Cette dernière doit garantir un « environnement favorable [en] reconnaissant les dimensions non rationnelles de la nature humaine » (Op.cit.) Ce sera la grande mission de l'Etat providence qui tend à dédomager le citoyen de la pénibilité du travail par l'établissement de règlementations économique et sociales. Cela concorde avec l'affirmation progressive d'un droit du travail dont deux des grandes manifestations sont, d'une part la réduction du temps de travail, de l'autre l'élévation des niveaux de salaires. En somme,

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le cadre institutionnel et juridique du travail épouse un éthos de l'épanouissement qui, dans une société d'abondance se cristallise autour des loisirs et des biens de consommation de masse, dans un contexte de plein-emploi. Ainsi, l'idée centrale de l'Etat providence n'est pas tant de revaloriser le travail en soi, si ce n'est d'accéder à un niveau de supportabilité du travail en garantissant l'accès à un revenu, des droits et des protections.

« Cette période de grande transition est l'occasion d'une révolution culturelle au cours de laquelle l'ethos du travail ayant perdu sa raison d'être se voit concurrencer par un hymne nouveau qui change l'individu et son épanouissement » (Op.cit. p.69). La dialectique travail/temps libre à cette époque a inspiré de nombreux chercheurs qui ont cherché à déterminer les nouvelles articulations des temps sociaux. Parmi eux, Jean Viard, sociologue français, a souligné comment l'évolution des conditions du travail moderne déplaçait le centre de gravité de la société du travail au loisir. Dans Le sacre du temps libre, Jean Viard démontre que le temps libre serait désormais la sphère structurante de la société, celle où l'homme développe ses relations sociales et se développe par la même occasion, hors-travail. (Viard, 2004). Pourtant, Christian Lalive d'Epinay invite à nuancer le propos et à s'éloigner d'une opposition trop schématique des deux sphères. Pour lui, le passage d'un ethos du travail à un éthos de l'épanouissement est surtout le reflet d'un changement de point de vue dans la relation symbolique entre l'individu et la société : « l'ethos de travail subordonnait l'individu au tout social, l'ethos de l'épanouissement fait de l'individu la finalité de la société. » Et si dans un premier temps l'ethos du travail s'est manifesté par la perte de centralité du travail, cela ne veut pas dire que le travail perd sa signification et qu'il n'est plus investi de valeurs symboliques. L'auteur émet l'hypothèse que l'ethos de l'épanouissement est associé à une vision polycentrée de la vie et que le travail est réinterprété selon des modalités individuelles portées sur le désir de réalisation de soi. Il est dans cette optique ni tout puissant ni absent, mais imbriqué dans un projet de vie au sens large.

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2.2 Contexte actuel, la dualité d'un travail en quête de sens

2.2.1 Desinstitutionalisation et parcours de vie

Il apparaît que depuis une quarantaine d'années, les standarts des parcours de vie s'affaiblissent. Ils avaient connu leur apogée dans les années 60 avec une institutionnalisation forte autour de l'Etat providence dans un contexte de croissance économique et de quasi-absence de chômage (Cavelli, 2007 : 20). Mais la crise du milieu des années 70 amène plusieurs chercheurs à formuler l'hypothèse de l'érosion de ce modèle insitutionnalisé. Les parcours sont de plus en plus personnalisés et se détachent des trajectoires linéaires. En fait, ces standarts seraient devenus à la fois peu réalistes (dû aux incertitudes du marché du travail) mais aussi peu désirables (l'individu veut jouir d'une souvenraineté et être maître de sa destinée). Du fait de la montée de l'individualisme, on assisterait donc à un déclin de l'autorité de la société et de sa capacité à établir un modèle normatif. D'un côté, l'individu s'émanciperait des tutelles traditionnelles vers la quête de son propre épanouissement. De l'autre, il faut noter que ce retrait de l'institution au sens large peut également être une source de nouvelles tensions : « l'individu moderne a certes conquis sa liberté, mais risque aussi de se retrouver seul face à sa destinée. » (Cavelli, 2007 : 31). La vision du travail dans ce contexte est alors remise en question.

2.2.2 Crise de l'emploi, crise du travail ?

Au regard de l'ethos de l'épanouissement, le travail est en procès. Depuis les années 70-75, les grands mythes de la société industrielle s'effritent et apparaît un climat d'incertitude généralisé . En résumé, nous retrouvons dans les pays développés les grandes lignes suivantes : Stabilisation de l'emploi salarié, entrée et stabilisation du chômage de masse, précarisation de l'emploi salarié , développement des formes précaires d'emploi comme les contrats à durée déterminée ou le travail intérimaire... Le travail salarié, dégradé et parfois dégradant reste pourtant le graal d'une multitude d'individus touchés par le chômage. L'emploi

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est en difficulté dans presque tous les pays de l'OCDE, fluctuant au rythme des crises économiques. Aujourd'hui, le vocable « crise du travail » est expression courante, largement relayée par les médias qui pointent du doigt les pressions grandissantes sur les travailleurs, les risques sanitaires ou psycho-sociaux, mais aussi un certain désenchantement sous la thématique du malaise. L'ethos de l'épanouissement en mettant l'individu au premier plan a mis en exergue tout une série de problématiques liées aux conditions de travail.

2.2.3 Revaloriser le travail à l'aune de l'ethos de l'épanouissement

En revenant à l'ethos de l'épanouissement, la place du travail accordé à ce cheminement individuel vers la réalisation de soi et en quelque sorte le bonheur, reste en débat. Dominique Meda parle de double nature du travail. D'un côté le travail est dévalorisé puisque dans un climat économique instable, il n'est tout simplement plus assuré. Le plein emploi a laissé place à des vagues de chômage qui privent les individus de leur droit à l'épanouissement hors-travail. Ainsi pour certains penseurs dont André Gorz, il faut s'affranchir des idéaux d'une société utilitariste qui a instrumentalisé le travail jusqu'à un point de non retour. La valorisation du travail s'est construite selon des logiques capitalistes de production/consommation et l'extension du salariat. Pour lui, le problème est donc que la société s'est développée autour de valeurs qui nous conduisent dans l'impasse. Dans son ouvrage de 1991, La métamorphose du travail, quête du sens, André Gorz critique cette omniprésence du travail soumis à la sphère marchande. Une critique philosophique, qui nous invite à mobiliser succinctement les apports de Karl Marx. Déjà au XIX siècle, l'auteur plaidait pour que la priorité soit dans le développement humain, de telle sorte que l'individu soit maître de son travail et de la production au lieu de se voir dominé par elle (Noguera, 2011). Car selon Marx, «le travail, cette pure capacité de transformation de la nature donnée à l'homme, qui transforme en même temps l'homme, qui est l'esprit qui toujours nie, supprime le naturel pour mettre à la place de l'humain, a été défiguré, a été détourné de son sens; et il faut désormais libérer le travail, le retrouver dans sa pureté ». (Meda, 2001:10). La deuxième nature du travail explicitée par Dominique Meda va dans ce sens. Le travail source de souffrances est paradoxalement investi d'une valeur d'émancipation, d'épanouissement. Cette ambivalence actuelle est pour l'auteur le signe d'une inadéquation entre les évolutions du

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travail et un modèle organisationnel et sociétal qui a du mal à se défaire de son héritage. Aussi, nous pouvons nous demander comment les EC répondent-ils à la métamorphose du travail en proposant un modèle alternatif qui participerait à l'affirmation de nouvelles valeurs aux travail orienté vers l'épanouissement de l'individu.

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III) Nouveau modèle productif et évolution du travail

Les nouvelles technologies et Internet en premier plan forment l'innovation la plus significative de la fin du XXème siècle. Changement d'ère, changement de civilisation, révolution.... Les expressions ne manquent pas de panache pour illustrer le bouleversement que connaissent les sociétés développées depuis maintenant quatre décennies. Selon Pierre Levy, « il n'y a jamais eu de système de communication qui se soit développé aussi vite dans l'histoire de l'humanité, à l'échelle mondiale. » (Levy, cité par Kleck, 2007,p.26). Le coût d'acquisition diminue d'année en année et leur utilisation se simplifie pour devenir une révolution « grand public ». C'est la « vitesse de pénétration sociale du changement » (Kleck, 2007, p.25) qui est belle et bien spectaculaire : Internet impacte nos modes de vie, de travail, de consommation, nos relations et s'impose comme une « réalité incontournable sur le plan

économique mais surtout social.» (Gilles, Marchandise, 2013, p.27). La propagation
fulgurante des NTIC et particulièrement d'Internet à travers le monde a nourri de nombreux espoirs, une porte de sortie répondant aux défis sociaux, économiques, politiques, écologiques, culturels... En bref, le world wild web s'est vu chargé de résoudre tous les maux contemporains, alimentant une multitude d'ouvrages prospectivistes voire prophétiques. A travers le réseau, on devait voir éclore une société égalitaire, pacifique et connectée au delà des frontières physiques. Le caractère insaisissable et illimité d'Internet a débridé les imaginations, nourrit les utopies tout comme les craintes relatives aux bouleversements puissants qui nous échappent.

3.1 Un nouveau modèle de société, vers une société de la connaissance

Dès les années soixante-dix, Alain Touraine et Daniel Bell avaient identifié l'information et la connaissance comme nouveau fondement de l'économie post-industrielle. « L'immatériel » devient la vraie source de richesse, jusque là assimilée aux éléments matériels (machines, matières premières...). Le capitalisme du XXème siècle reposant sur la

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figure centrale de la grande firme dense, verticale et centralisée se démantèle peu à peu au profit d'une organisation plus réactive, fluide et adaptable (Cohen, 2009). L'apparition progressive mais massive des nouvelles technologies va apporter un souffle à cette théorie, en augmentant de manière exponentielle les potentialités de production et partage de l'information et des connaissances. Pour Manuel Castells, ancien élève d'Alain Touraine et auteur reconnu notamment pour son ouvrage imposant de trois tomes « L'ère des réseaux », le développement informationnel permet de réorganiser la société de manière plus souple, « Les progrès de l'informatique et des télécommunications [ayant] permis à une obscure technologie, qui n'avait pas d'application pratique en dehors de l'informatique, de devenir le levier d'une société de type nouveau : la société en réseau » (Castells, 2001). Malgré la pluralité sémantique observable pour définir ce « nouveau type de société » (société en réseau, société informationnelle, immatérielle, de la connaissance...) les recherches tendent à s'accorder sur le fait que le ciment du monde actuel et à venir n'est plus dans la production bornée, quantifiable de biens matériels mais que s'opère un glissement vers une société organisée en réseau dont la création de valeur repose sur « la production, diffusion, consommation, de connaissances, de compétences et de pratiques cognitives...[...] génératrices de performances, individuelles ou collectives, économiques, sociales et culturelles » (Padiolau cité par Breton, 2005).

Cette réalité nous impose un nouveau cadre référentiel pour envisager le travail. Comme la machine a vapeur a réorganisé le travail au XIXème siècle, les nouvelles technologies en se généralisant dans la sphère professionnelle semblent redéfinir le rapport de l'individu à son travail. Crise, renouveau ? Disparition ou omniprésence ? Les interprétations divergent, se chevauchent, se contredisent, ce qui traduit surtout une complexité de lecture des indicateurs et un bouleversement historique qui demande de repenser le travail tant au niveau de son contenu qu'au niveau de sa forme. Selon Valérie Kleck « le travail, qui est au coeur de nos vies individuelles et de l'organisation de nos vies collectives [...] subit actuellement une telle évolution que toutes les théories et politiques de l'ancienne économie sont devenues inappropriées et totalement inefficaces. » (Kleck, 2006, p.56). Il devient insaisissable, plus difficilement quantifiable et regroupe dès lors des réalités très diverses. L'unité du « travail moderne » apparue sous la société industrielle est ébranlée.

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3.2 La thèse du Capitalisme cognitif

La thèse du capitalisme cognitif présente selon nous un intérêt particulier pour évaluer la métamorphose du travail comme il se manifeste au sein des EC, au travers de la transformation de l'économie capitaliste. Le contenu essentiel de la refonte de l'accumulation du capital repose sur la « captation » de l'économie du savoir. Ainsi le « capital physique devient une variable secondaire par rapport à la capacité de mobiliser en réseau les intelligences des hommes » (Vercellone, 2002 :11). La thèse du capitalisme cognitif invite à repenser le régime d'accumulation. La connaissance n'est pas un stock quantifiable (Besson, 2010) mais bien un mouvement. Ce n'est pas tant la connaissance, mais bien le phénomène de production, le transfert, la circulation de celle-ci qui constitue la vraie richesse. Nous retiendrons une définition générale proposée par les auteurs-collaborateurs de la revue Multitudes, référence française de la pensée du capitalisme cognitif.

« Nous appelons capitalisme cognitif un système d'accumulation associant un mode de production capitaliste, un régime d'accumulation privilégiant la connaissance et la créativité, et un mode de régulation caractérisé par des rapports sociaux fondamentaux et des comportements tournés vers l'innovation, la nouveauté et le partage des droits y afférents. Ce système implique une transformation majeure du rapport salarial et des formes de la concurrence. »

(Dieuaide et.al, 2008, 4)

L'intérêt de cette thèse pour envisager le travail repose sur le fait que malgré les changements qui s'opèrent au gré de la mondialisation et de l'avènement des nouvelles technologies depuis les années soixante-dix, les penseurs du capitalisme cognitif refusent l'idée d'un déterminisme technologique selon lequel l'évolution de la société ne serait qu'une adaptation aux transformations technologiques . Yann Moulier Boutang dans son ouvrage paru en 2007 Le capitalisme cognitif, la nouvelle grande transformation affirme que c'est la « production de la connaissance par la connaissance » et du « vivant au moyen du vivant » qui caractérise l'économie contemporaine. En d'autres termes, alors que les théories de la société de l'information ou de la connaissance qui considèrent les NTIC comme « facteur causal exogène du changement » (Corsani et.al, sd) le capitalisme cognitif s'attache à l'appropriation de la technique et des connaissances instrumentées par la technique, par l'humain. Ainsi, les mutations structurelles ne sont pas simplement « la conséquence globale de la modification

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d'une cause unique extérieure » (Boutang, 2010) mais plus le fruit d'une renégociation complexe des principes capitalistes industriels au prisme de la société de la connaissance. Autrement dit, les auteurs nous invitent à recontextualiser cette « nouvelle ère » en inscrivant les dynamiques actuelles dans l'histoire du capitalisme, en rupture avec une vision « a-historique, positiviste et non conflictuelle de la science et de la technologie qui conduit à effacer les contradictions sociales, éthiques et culturelles que le développement de l'économie du savoir engendre » (Dieuaide et.al, 2008, 5). Le capitalisme cognitif offre en ce sens une grille de lecture qui s'éloigne des mythes, utopies et idéologies qui ont façonnés les discours des théoriciens de la nouvelle économie, repris allègrement par les politiques (op.cit). Finalement, capitalisme cognitif comme « régime en devenir » reconnaît l'existence de tensions entre l'ordre capitaliste et les nouvelles conditions d'un régime en cours de construction. Autre point important, le capitalisme cognitif déborde la sphère productive et des lieux traditionnels de l'entreprise pour annoncer une restructuration à l'échelle de la société (Moulier Boutang, 2010, p.8). Il s'agit d'un processus global (Dieuaide et.al, 2008, p.6). Le passage à une nouvelle forme de capitalisme selon ces auteurs produit un bouleversement des référenciels que ce soit par rapport au temps, à l'espace, à la production, à la hiérarchie et au travail (Besson, 2010).

3.2.1 Idéologie du libre et émergence d'une « creative class »

« le travail, en devenant de plus en plus immatériel et cognitif, ne peut plus être réduit à une simple dépense d'énergie effectuée dans un temps donné » (Negri, Vercellone, 2008:25). Plusieurs auteurs se sont attachés à montrer en quoi le secteur des TIC et le mouvement du logiciel libre laisse entrevoir les contours d'un nouveau modèle productif, d'une nouvelle organisation et d'un nouveau rapport au travail (Vandramin, 2007 ; Himanen, 2001). Pour Yann Moulier Boutang, « le phénomène social et économique du libre » fournirait « un véritable modèle productif. Et ceci, tant sur le plan des forces sociales nouvelles que l'on peut repérer, sur celui de la division sociale du travail, que celui de la rationalité des agents économiques qui se trouve ainsi inventée, promue, des formes d'identité non pas au travail mais à un travail qui a changé fortement de contenu. » (Moulier Boutang cité par Broca, 2008:20). En d'autres termes, le secteur des TIC empreint de l'idéologie du libre serait un

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« avant-goût du bouleversement global de l'organisation du travail » (Broca, 2008:23) permettant d'analyser le capitalisme sous ses multiples facettes. Je propose ici, après avoir exposé brièvement les fondements de « l'idéologie du libre » telle qu'elle a été étudiée par les auteurs mentionnés ci-dessus, de mettre en évidence les nouvelles logiques du travail qu'elle suppose.

Le mouvement du logiciel libre prend forme au tournant des années 70-80, au moment ou apparaît l'ordinateur personnel. Les sociétés informatiques décident de privatiser le code et d'introduire des closes de confidentialité auprès des employés. Ainsi l'accès au code source, qui permettait de modifier, d'améliorer les programmes est largement restreint ce qui empêche donc les communautés d'informaticiens de collaborer autour de l'écriture et l'évolution de ceux-ci. En réaction à ce mouvement de privatisation des contenus, certaines figures du monde des TIC vont donc développer des systèmes entièrement libres pour « revenir aux sources » de ce qui a façonné l'informatique, à savoir la collaboration. Au cours des décennies suivantes, le mouvement va évoluer et se structurer à travers des projets de systèmes d'exploitation, des fondations, des licences... et quelques personnalités comme Richard Stallman (informaticien au MIT à l'origine du GNU) ou encore Linus Torvalds (père de Linux). Le fait que le mouvement du libre se soit développé en réaction contre les pratiques commerciales et les grandes sociétés de l'informatique, ne veut pas dire qu'il n'est resté qu'un épiphénomène contestataire. Aujourd'hui, les projets GNU et Linux combinés forment un système d'exploitation complet qui « a acquis une solide réputation de fiabilité, et est devenu le concurrent principal de Windows. » (Broca, 2008:8).

Selon Pekka Hinamen, chercheur finlandais auteur de « L'éthique hacker et l'esprit de l'ère de l'information » paru en 2001, les pratiques et valeurs véhiculées dans le monde du logiciel libre ont données naissance à une « nouvelle éthique du travail ». Ce travail, qui consiste à bricoler, créer, inventer, modifier... est conçu par les hackers (ici entendu comme membre du mouvement du logiciel libre et non comme la figure médiatique du pirate malveillant), comme une activité passionante, un « plaisir jubilatoire d'expérimentation et de construction » (Dutertre, 2001, 6). En ce sens, la conception du travail s'éloigne du devoir moral ou du rapport financier que l'on retrouve sans l'éthique protestante. Yann Moulier

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Boutang reprend, au travers de sa thèse sur le capitalisme cognitif, les grandes lignes des recherches de P. Hinamen. Pour lui, le mode de production émergeant serait basé sur « le travail de coopération des cerveaux réunis en réseau » (Boutang, 2007, p.95). L'entreprise n'est plus l'unique centre nerveux productif puisque l'activité se dessine au travers des interactions, des communications, des inventions permises par un système ouvert où chacun y injecte son expertise dans un but d'oeuvre collective.

Les deux auteurs partagent un point de vue : avec la généralisation des TIC dans l'ensemble du tissu productif et l'avènement d'une société où la diffusion du savoir des connaissances, des innovations jouent un rôle majeur, l'éthique du travail développées par les adeptes du libre constitue un exemple hors pair. « Les communautés de développeurs du libre auraient inventé le mode de production caractéristique de ce nouveau régime économique. » (Broca, 2008:27). Ainsi, ces communautés seraient des avant-gardes, annonçant une nouvelle manière de concevoir le travail et ceci à l'échelle de la société (et non plus cantonnée au simple secteur de l'informatique). Malgré de nombreuses objections quant aux risques « d'extrapoler des tendances partielles » spécifiques à un secteur de pointe, Yann Moulier Boutang reste fidèle à son raisonnement quant aux mutations du capitalisme: il ne s'agit pas d'affirmer un changement radical et homogène mais bien « d'entrevoir des trajectoires d'évolution. » (Op.cit : 29). Aussi, nous prenons le parti dans le cadre de notre recherche sur le coworking de nous appuyer sur ce raisonnement. En nous intéressant aux nouvelles formes et représentations du travail, nous tentons de tester les espaces coworking comme laboratoires du travail de demain, de voir comment au sein de ces espaces émergent et se laissent entrevoir les dynamiques du capitalisme cognitif comme « régime en devenir ».

A ce titre, il nous semble intéressant d'invoquer la question, bien que controversée, de la « classe créative » qui a été introduite par Richard Florida dans « The rise of creative class ». Devenu un best-seller aux États Unis, cet ouvrage introduit donc la notion de classe créative qui a suscité un grand intérêt auprès des décideurs publics ainsi qu'au sein des communautés scientifiques. Cette « classe » serait représentée par « l'ensemble des individus

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engagés dans des processus créatifs ou d'innovation dans le cadre de leur profession. » Bien qu'il s'agisse d'un « ensemble social des plus composites dont les contours sont au demeurant assez flous » (Roy-Valex, 2006 : 5) et que la notion manquerait de rigueur sociologique, elle permet cependant de mettre en évidence l'émergence d'un « groupe social, hétérogène du point de vue des catégories socioprofessionnelles mais dont les membres partagent les mêmes types de rapports à la connaissance, au travail, voir à la vie quotidienne [...] Ils ont tous en commun d'avoir à créer, c'est à dire réaliser des choses qui n'existaient pas, imaginer des solutions, formaliser des problèmes nouveaux, à inventer, innover.» (Op.cit.). Les valeurs fondatrices réunies sous les 3T (Talent, Tolérance, Technologie), reprennent les principales critiques à la base du développement des nouvelles modalités du travail qui animent les communautés du logiciel libre comme les décrit Pekka Hinamen, tout en l'étendant à une catégorie plus vaste qui serait porteuse d'un renouveau socio-économique dans le cadre du capitalisme cognitif. Malgré les critiques parfois virulentes quant à la construction théorique de la classe créative, il semble cependant pertinent de voir en quoi cela nous permettrait de définir et donner de la consistance à ce que nous appelons « coworkers ». Nous avons vu au début de ce mémoire, que les coworkers ne semblaient pas ou peu être définis par leur profession. Bien qu'il existe désormais quelques études des publics du coworking selon le secteur professionnel8, il nous paraît plus juste de caractériser cette population de travailleurs par un état d'esprit, un ethos spécifique plus que par un métier. Or c'est bien ce glissement que la théorie de la classe créative invite à opérer. Comme le relève Elsa Vivant, « la notion de classe créative n'est pas qu'une question de catégorie socio-professionnelle ; c'est aussi un état d'esprit. Lorsque [Richard Florida] parle de créativité, il entend toute forme possible de créativité qui interagirait et se nourrirait les unes des autres. » (Vivant, 2006, p.2). Au même titre, P.M Menger englobe les artistes, ingénieurs et scientifiques pour caractériser une avant-garde, un noyau scellé par un nouveau rapport au travail plus mobile, créatif, inventif, flexible... (Menger, 2007). Pour lui, ce modèle social que l'on retrouve chez les hackers est similaire à ce qui anime les milieux artistiques et ceci depuis des siècles. Tout comme les hackers, les artistes développeraient des modalités de travail « de plus en plus revendiquées comme l'expression la plus avancée des nouveaux modes de production et des nouvelles relations d'emploi engendrés par les mutations récentes du capitalisme. » Le parallèle effectué entre hackers et artistes est intéressant pour nous puisque nous retrouvons ces deux

8 Voir par exemple les résultats du sondage mené à échelle européenne en 2012 par Deskmag, accessibles via le site www.deskmag.com

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composantes dans la genèse du coworking. Il est d'ailleurs courant d'être confronté à une hésitation quand aux sources du coworking, certains invoquant la Silicon Valley et ses communautés d'informaticiens, d'autres remontant jusqu'aux ateliers d'artistes. Par exemple, la Mutinerie, espace de coworking parisien explique sur son site internet : « Les ateliers d'artistes qui apparaissent au XIXème étaient proches des espaces de coworking modernes : des espaces qui regroupent des individus mettant en commun des ressources et échangent des idées pour nourrir leur activité. »9 avant de poursuivre plus loin, « les acteurs de la révolution des NTIC sont à l'origine de multiples pratiques collaboratives ; ce sont eux qui ont lancé les premiers barcamps, les premières Jelly10 et créé les premiers espaces de coworking. » Les deux positions ne sont donc pas antagonistes et il ne me semble pas impératif de trancher. Au contraire, cette double généalogie est un des points intéressants du coworking. Les espaces de coworking seraient le point de convergence des avant-gardes, des alternatives au travail moderne tel que nous l'avons défini et un des lieux plébiscités par une classe créative « naturellement attirée par ces lieux de vie favorable aux phénomènes d'émergence dont elle renforce le dynamisme et l'attractivité dans un cercle vertueux favorable à l'innovation, au partage et aux synergies. » (Genoud, Moeckli, 2010, p.5)

Il convient ici de définir les contours des modalités de travail telles qu'elles sont développées par une classe créative hétérogène mais animée par des valeurs similaires et qui a notamment trouvé dans les nouvelles technologies, les outils nécessaires à leur réalisation et dans les espaces de coworking, un cadre adéquat. Le développement suivant nous permettra par la suite, en rapport avec notre cas d'étude, de voir comment les EC sont une manifestation concrète des aspirations individuelles et collectives liées au travail et donc, comment ils s'inscrivent dans la « grande transformation » du capitalisme.

9 www.mutinerie.org/qu-est-ce-le-coworking/#.U-J3DEg2lb0 (consulté le 28/07/14)

10 Les barcamps sont des rencontres ouvertes, des ateliers-événements participatifs ou chacun est amené à créer au travers de ses interventions le contenu de la rencontre. Une jelly est un concept de travail en commun dans un cadre inhabituel. On peut l'assimiler à la forme événementielle du coworking. ( www.zevillage.net, consulté le 28/07/14)

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3.2.2 Les nouvelles frontières du travail

a) Rapport au(x) temps

Les frontières temps de travail, temps libre s'estompent. Si, sous la société capitaliste industrielle le partage du temps était envisagé de façon mécanique et binaire (l'un définissant l'autre par soustraction), le capitalisme cognitif modifie les lignes temporelles. Alors qu'un mur était érigé entre l'univers personnel et l'univers professionnel, la tendance encouragée par les nouvelles technologies est à l'agilité, la superposition (voire la confusion) entre les temps privés et les temps de travail. Ainsi, l'efficacité économique, la mesure et la définition même du travail deviennent plus confuses puisque non bornées aux repères temporels classiques imposés par la division du travail sous l'ère industrielle (Vercelonne, 2008, p.10).Une étude menée en 2007 par la sociologue Patricia Vendramin intitulée « Temps et travail » en vient à ces mêmes conclusions : « les activités sont de plus en plus désynchronisées, le temps de travail [...] envahit des plages horaires de plus en plus étendues » (Vendramin, 2007, p.13) . Selon l'auteur, ce brouillage des repères est notamment dû aux réalités d'un marché mondial et en réseau : « Organisation en flux tendus, stratégies axées sur la clientèle, travail par projet, politiques du zéro délai, zéro stock, zéro défaut, autonomie et responsabilisation, nouvelles technologies, sont autant de dispositifs qui,de manière convergente, ont modifié le rapport au temps de travail et transformé les rythmes de travail. » (Op.cit). En effet, si le travail se dilue dans le temps, il gagne aussi en densité. C'est ce qu'on appelle l'intensification du travail, notamment poussée par les TIC qui entretiennent une « culture de l'immédiateté ». (Rapport Digiwork)

Un autre effet à noter, concerne les temps sociaux. Par temps sociaux, il faut entendre les étapes successives censées forger un parcours professionnel au long de la vie, de la formation initiale à la retraite. La structure temporelle de la vie active est bouleversée car « le temps de travail a objectivement perdu la place centrale qu'il occupait par rapport aux autres temps sociaux dans la société industrielle moderne. Le temps de travail constituait le grand principe organisateur dont les autres temps sociaux dépendaient. » (Sue, 1995:16). Aujourd'hui, la formation gagne en importance et s'étend dans le temps avec par exemple la

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mise en place de la formation continue, mais aussi de manière générale le développement de pratiques individuelles pour acquérir de nouvelles compétences (cours en ligne, forums, workshops, ateliers, stages...). La capacité d'apprentissage étant une des clés du capitalisme cognitif (Moulier Boutang, 2010), l'intégration de temps de formation tout au long de la vie devient facteur de compétitivité sur le marché du travail (Azais et.al, 2001, p.130).

De plus, étant donné le développement des formes atypiques de travail, la carrière est envisagée de plus en plus de façon discursive. Il devient difficile d'imaginer un temps plein dans la même entreprise sur trente ans de vie active. Le changement serait devenu la norme, développant ainsi l'individualisation des parcours, des compétences et du rapport au travail. Le recul du contrat à durée indéterminée s'observe par exemple en France depuis une vingtaine d'années, au profit des formes de travail plus flexibles, qu'il s'agisse de contrats à durée déterminée, du temps partiel...A ceci, rajoutons plus largement que la tendance est depuis les années cinquante à la réduction du temps de travail dans les pays développés questionnant sa centralité et son rôle structurant par rapport aux autres temps sociaux (Bouvier, Fatoumata, 2010). L'articulation des temps sociaux, bien qu'en partie dépendant de la conjoncture du marché de l'emploi, devient alors en quelque sorte une entreprise individuelle, entre négociation, valorisation et gestion de carrière. Le travailleur devient « employeur de son propre travail » (Gorz, 2001:12), amené à configurer lui-même sa trajectoire professionnelle selon des modalités plus souples, plus libres. Certains auteurs parlent alors d'une nouvelle théorie des carrières (Arthur, Rousseau, 1996 ; Cadin et.al., 2003) autour du concept de « carrière nomade » ou « carrière sans attaches ». Ces deux expressions traduisent une vision du parcours professionnel caractérisé par un « lien faible avec l'entreprise et un accent important sur l'autonomie et l'engagement. » (Vendramin, 2007:13).

b) Rapport à l'espace :

Les technologies ont rendu possible le principe d'ubiquité. C'est à dire que la présence physique n'est plus la condition sinéquanone du travail. Communiquer, travailler n'importe où et n'importe quand était notamment l'une des pierres angulaires des expériences de télétravail. L'individu, à partir du moment où il a accès à un équipement technologique adéquat, peut s'affranchir des contraintes spatiales dans le cadre de son activité. « La coprésence n'est plus

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qu'une modalité parmi d'autres du lien professionnel ; présence et distance s'entremêlent sans cesse dans les relations de travail. » (Vandramin, 2007:31). L'unité de lieu n'est donc plus inhérente au travail ce qui se concrétise par l'avènement de formes de travail plus diffuses, nomades et en réseau, rendues progressivement possibles grâce aux usages des TIC. Cependant, il faut prendre un certain recul avec les thèses qui ont annoncé dans les années 90 la fin des territoires, des villes, des frontières etc...(Badie, 1995). Il a depuis été démontré que sous les effets de la mondialisation et de la diffusion généralisée des TIC, nous n'assistions pas tant à la la disparition des territoires mais plutôt à une « déterritorialisation » et « reterritorialisation » des espaces (Moulier Boutang, 2002, 4). C'est également ce que les géographes de l'innovation soutiennent en invitant à penser la « crise du principe de territorialité » sans pour autant remettre en cause toutes les formes de territorialisation car « il est, au contraire, permis de penser que lorsque les activités et les acteurs économiques se seront libérés des contraintes spatiales, la dimension spatiale sera encore plus importante qu'aujourd'hui. » (Feldman, 2002 :40). La grande révolution ne serait donc pas dans l'abolition de l'espace physique mais plus dans l'abolition de la distance ou encore l'abolition de la « tyrannie de la distance » (Op.cit). En d'autres termes, le travailleur connecté qui subit de moins en moins les contraintes liées aux déplacements, aux heures de présence, à la localisation même de son activité, jouit de nouvelles libertés qui modifient son rapport à l'espace et à son lieu de travail. Il naît de cette transformation une réalité complexe entre « processus concomitants de dispersion et de concentration » (Moriset, 2014, p.4). Par exemple, alors que l'économie immatérielle semblait propice à l'éclatement géographique des travailleurs dans les territoires ruraux notamment avec les pratiques de télétravail, il a été prouvé que les centres urbains sont toujours, voire de plus en plus, le lieu privilégié, notamment par la classe créative. (Op.cit) Pourquoi ? Pour certains auteurs qui se sont penchés sur le renforcement paradoxal du poids des villes depuis la révolution numérique, étant donné l'éclatement de l'unité de temps et de lieu des activités économiques, les individus seraient davantage sensibles au cadre de vie dans son ensemble. Les métropoles seraient grâce à l'offre culturelle, les lieux de convivialité (bars, restaurants etc...), les réseaux de transport performants, ou encore l'accessibilité des services publics, les espaces les plus attractifs. (Moriset, 2014).

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Cette attente en terme de cadre de vie se répercute sur l'espace de production (espace de travail). Étant donné la pénétration du travail dans la sphère privée et vice-versa, on remarque que l'espace de travail est envisagé différemment. A titre d'exemple, une étude menée auprès de 500 étudiants d'une grande école française offre des résultats significatifs11 quant aux attentes d'une génération de jeunes diplômés, engagés dans des carrières intellectuelles . Les futurs entrants sur le marché du travail plébiscitent un lieu de travail en centre ville, un bureau «qui ne ressemble pas à un bureau », agréable à vivre, proche du domicile. Ils se dressent en bloc (93%) contre le bureau classique et le cloisonnement individuel (73%). Ils envisagent des formes de travail mobiles, mais ne sont pas prêts à travailler n'importe où. En bref, un espace de coworking ?

c) Rapport à la production :

La définition de « productif » comme celle d' « improductif » perd de sa consistance, les deux s'interpénètrent. « Le rôle central que tendent désormais à jouer, dans la production, l'intelligence (collective), et d'autres facultés humaines attachées à la subjectivité des travailleurs et à la socialité permet de comprendre l'effacement progressif de la distinction entre travail et hors-travail » (Amsellem, 2013, p.215). Les qualités primordiales ne seraient plus de l'ordre de la force ou la résistance physique face à une situation de travail usante, mais bien cognitives. La capacité créatrice, d'invention, d'innovation, d'improvisation sont les compétences spécifiques aux nouvelles formes du capitalisme, ce qui modifie le sens du travail mais surtout l'investissement individuel qu'il sous-entend. Les auteurs parlent alors de « production de l'homme par l'homme » (Op.cit) ou de « production de soi » (Gorz, 2002) dans le sens où l'individu est intégré au marché du travail avec « toutes ses aptitudes et compétences acquises et développées, au-delà de l'entreprise et même de l'éducation formelle, dans les interactions quotidiennes, résultent de l'expérience commune de la vie en société. » (Gollain, 2010:23). On retrouve ici, dans le cadre productif, l'effacement progressif des frontières entre privé-professionnel. Si les deux sphères temporelles se chevauchent désormais, par extension, il est de plus en plus compliqué de distinguer ce qui dépend du travail et du loisir, ce qui s'insère dans une logique économique ou non. Car si les attentes

11 Enquête menée en juin 2013 par la Chaire Immobilier et Developpement durable de l'ESSEC, sous la direction du professeur Ingrid Nappi-Choulet auprès de 492 étudiants de ESSEC Grande Ecole. http://www.huffingtonpost.fr/sylvia-di-pasquale/open-space-travail_b_4673522.html (consulté le 19/07/14)

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envers les travailleurs sont de plus en plus variées et non bornées au strictes compétences opérationnelles, les individus eux aussi développent plus de critères quant au contenu de leur travail. Ils recherchent désormais un travail qui soit « intéressant, amusant, source d'apprentissage et de réalisation personnelle. » et ce « travail, alliant passion, plaisir et recherche d'épanouissement personnel, rentre mal dans un cadre trop formalisé » (Vandramin, 2007:20). Autrement dit, la dimension expressive du travail gagne en importance s'inscrivant dans « un projet plus large, guidé par la réalisation de soi. » (Op.cit.)

De plus, le travailleur du capitalisme cognitif est polyvalent. De par son parcours professionnel qui regroupe des expériences de plus en plus variées et sa formation de plus en plus complète, l'individu est amené à mobiliser un ensemble de compétences et de talents sur un éventail de plus en plus large. Les tâches se diversifient et demandent une adaptation constante de la part du travailleur. C'est également le cas si l'on considère l'évolution constante et soutenue des technologies numériques. Les versions de logiciels, les nouvelles applications, les nouveaux terminaux recquièrent d'une part un socle de qualifications conséquent mais aussi une capacité d'apprentissage autonome, de « débrouillardise ».

d) Rapport à la hiérarchie :

Suite à l'éclatement des cadres référenciels du travail moderne, le rapport à la hiérarchie est modifié. Premièrement, le nivellement est moins important, dû notamment à une élévation généralisée du niveau de formation. Le caractère intellectuel, cognitif, du travail, fait pencher vers une complémentarité des travailleurs plus que vers une organisation verticale faite de relations de subordination. Deuxièmement, nous l'avons vu plus haut, l'autonomie et l'individualisation sont désormais deux caractéristiques importantes du travail. Les rapports hiérarchiques sont alors assouplis, plus informels. Dans le secteur des TIC « l'accessibilité des hiérarchies fait partie d'une politique plus générale misant sur la qualité des relations sociales. La communication est importante, dans une logique de partage de l'information. Une bonne coopération est essentielle» (Vendramin, 2007:14). L'assouplissement des relations hiérarchiques s'inscrit dans cette logique d'affaiblissement du modèle de la grande firme à organigramme pyramidal. Ce basculement a notamment été illustré par Raymond via le modèle de la cathédrale et du bazar. Selon l'auteur, « L'une des

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transformations les plus fortes qu'internet et les technologies de l'information ont favorisées est le renforcement de pratiques sociales et d'organisations "horizontales". Elles sont à l'oeuvre dans les relations d'autorité et de hiérarchies dans de nombreux domaines et voient la fragilisation progressive des formes les plus verticales. » L'organisation du travail suit cette logique, privilégiant les forces de coopération, de travail en équipe autour de projets plutôt qu'une fragmentation hiérarchique de la production. Il en ressort une forme de « bazar » ou de « chaos », plus complexe, moins lisible. Cela ne veut pourtant pas dire qu'il n'y a pas d'organisation. Simplement, cette organisation s'invente et se négocie au gré des projets et des collaborateurs ; elle est co-construite plus qu'imposée, et critique, par rapport à l'organisation scientifique du travail dans le sens où cette dernière ne permet pas l'affirmation et l'autonomie des individus. Pekka Himanen en étudiant l'éthique du travail en vigueur dans l'univers hacker formule clairement cette critique (Himanen, 2001) :

« La culture qui consiste à contrôler le temps de travail est une culture dans laquelle on considère les adultes comme des êtres incapables de prendre en main leur existence. Elle conçoit qu'il n'y a qu'une poignée de personnes suffisamment mûres au sein de certaines entreprises et administrations pour se prendre en charge et que la majorité des adultes ne peuvent pas faire de mêmes sans être couvés par ce petit groupe doté de l'autorité. Dans cet environnement, la plupart des êtres humains se trouvent condamnés à obéir. »

e) Rapport au collectif :

Pour toutes les raisons que nous venons d'exposer ci-dessus, le rapport au collectif est modifié, tout simplement parce que le collectif n'est plus ce qu'il était à savoir « une entité stable, bien délimitée, fruit d'une coopération fine, de règles formelles et de codes implicites. » L'environnement social, technique et organisationnel qui émane du monde professionnel des TIC suggère une nouvelle lecture. Patricia Vendramin met en évidence le paradoxe que l'on pourrait y voir : d'un côté l'accent est mis sur l'individualité. Travailler à l'heure de l'immatériel recquiert un ensemble de capacités cognitives qui suppose une implication subjective. L'individu développe alors une vision plus personnelle de son travail puisqu'il y investit sa personnalité, ses facultés « cognitives mais également expressives et affectives » (Gollain, p.2). Les parcours sont eux aussi de plus en plus individuels sur un mode projet, mouvants dans le temps et l'espace. En bref, alors qu'une partie de la littérature tend à se focaliser sur l'individualisation des conditions de travail et d'emploi et donc

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relativiser la dimension collective du travail, des éléments d'étude notamment du secteur des TIC démontrent qu'au contraire, on retrouve un désir « d'être ensemble au travail, de créer des « nous » [...], une volonté et un besoin constants de s'associer aux autres à la fois pour réaliser l'activité professionnelle mais aussi pour porter un projet personnel. » (Vendramin, 2007: 27). L'opposition individu/collectif n'est pas pertinente. Il faut percevoir les nouvelles formes de collectif et les nouvelles forme de vivre le collectif qui permettent l'expression des individualités. Ainsi, Patricia Vendramin élabore la notion de « nomadisme coopératif » (Vendramin, 2007) inspirée du concept « d'individualisme coopératif » de C.Thuderoz développé dans un cadre pourtant tout autre, celui de l'industrie métallurgique et sidérurgique. Dès le milieu des années 90, l'auteur observait sur les différents sites étudiés l'importance des aspirations individuelles dans les formes de coopération au travail. Il propose de caractériser la nouvelle attitude au travail par la combinaison paradoxale de la subjectivation de l'individu (sa capacité à dire « je » et à affirmer son projet personnel) et de sa capacité à « tisser des liens, échanger, à communiquer avec d'autres individus ». (Thuderoz, cité par Vendramin, 2007: 29). Cette manière d'envisager le collectif ne veut pas dire qu'un individualisme féroce vampirise les solidarités collectives. « Si l'histoire personnelle et la trajectoire individuelle sont ce qui donne du sens à la situation professionnelle de chacun, cela ne signifie pas qu'il soit fait une utilisation fonctionnelle de l'autre. L'engagement dans un collectif c'est aussi une attente de convivialité, de relations « vraies », une passion partagée pour un travail et un respect de l'autre. » (Op.cit.:33) Encore une fois, il faut saisir là l'apparition de nouvelles formes de solidarités plus complexes et diffuses, plus éphémères selon des parcours individuels différenciés.

A l'heure des TIC, de l'éclatement de l'unité de temps et de lieu du travail, le rôle de la technique dans la constitution des formes collectives a constitué un vaste champ d'études. Mais plutôt que d'étudier la technique en tant que telle, il semble plus pertinent dans le cadre de notre définition d'un idéal-type du travail, de voir les formes de coopération et de collectif qu'elle permet de mettre en oeuvre. En d'autres termes, il est nécessaire de se pencher sur les usages des TIC dans le tissage des solidarités, d'observer comment l'humain s'approprie la technique pour constituer des nouvelles formes collectives. Comme le soulignent à leur tour les auteurs du capitalisme cognitif, « Les TIC ne peuvent correctement fonctionner que grâce à un savoir vivant capable de les mobiliser » (Negri, Vercellone, 2008) sans quoi, elles ne

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seraient qu'une ressource stérile. Dans ce sens, P.Vendramin propose de dégager plusieurs traits caractéristiques des collectifs de travail comme ils se dessinent dans le secteur des TIC grâce à l'appropriation des nouveaux outils de communication et des nouveaux modes d'organisation.

? Ubiquité : les collectifs sont des réseaux d'interconnexions réelles et virtuelles. Le nomadisme ici suggère le mouvement, la dynamique et la superposition des relations de présence et distance rendue possible par les usages des TIC. Le collectif de travail n'est plus dépendant de l'espace physique : « L'avènement des moyens de communication a instauré la coopération au-delà de la coprésence et une conscience du collectif qui n'est pas forcément ancrée à un espace. La coprésence n'est plus qu'une modalité parmi d'autres du lien professionnel » (Vandramin, 2007: 31).

? Malléabilité: les frontières sont redéfinies au gré des projets. C'est l'activité en commun qui fait le lien, dans le présent, sans réelle projection sur le long terme.

? Hétérogénéité :les individus engagés ont des statuts variés, des formations et des parcours diversifiés. Les cercles professionnels s'entrecroisent et ne sont plus autant hermétiques. Naissent ainsi des modes de coopérations nouveaux au delà des appartenances pré-établies, motivés par la réalisation du projet, l'atteinte des objectifs, la mobilisation des ressources.

Par extension, l'engagement dans un collectif n'est plus le même. L'individu s'engage dans un collectif avec des attentes personnelles et une certaine exigence quant à ce que cela peut lui apporter. Si le travail cesse d'être intéressant, épanouissant, l'idée de nomadisme suggère qu'il n'est pas exclu de rompre avec le collectif pour partir vers d'autres espaces professionnels. Deuxièmement, l'engagement n'est pas unique et exclusif. Nous avons vu plus haut que les travailleurs sont désormais amenés à construire leurs parcours individuels de manière discursive au gré des opportunités, des expériences et des réseaux auxquels ils adhèrent. Ainsi, « Les engagements sont liés à des projets [...] le travail par projet permet aux individus de construire leurs propres « réseaux de mobilité » et « carte d'employabilité » (Op.cit. :34). Ces engagements sont donc inscrits dans le temps, motivés par des choix personnels en fonction de ce qu'ils apportent en terme d'épanouissement et de construction de

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l'identité professionnelle. Et le fait que l'engagement repose sur un choix plutôt que sur des appartenances communautaire, modifie le rapport de l'individu au collectif. Selon J. Ion et B. Ravon :

« Les individus jouent un rôle de plus en plus actif dans la création et l'animation collectives [...] La nature du lien social qui se donne à voir dans des collectifs éphémères et non forcément structurés ne peut en effet être analysée dans le cadre habituel de la société des individus, lorsque l'engagement est pensé comme une intégration sociale dans une identité collective [...] En effet, nombre de caractéristiques contemporaines de l'engagement relèvent d'un fonctionnement en réseau, en ce qu'elles ne contribuent aucunement à fixer les limites de l'unité sociale du groupement. » (Ion et Ravon, cité par Vendramin, 2007 : 37)

IV) Concusion partielle : Une mise en capacité ?

Cet état des lieux des mutations en cours permettent de faire un parallèle avec ce que les EC promeuvent en tant que tiers-lieux professionnel. A savoir un espace où se vivent et s'expérimentent ces nouvelles formes de travail, plus souples, plus horizontales, plus collectives aussi, tout en insistant sur l'individu et sa subjectivité. Avec le redessinement des frontières que l'on a évoqué ci-dessus, l'idée de « mise en capacité » des individus semble celle qui donne cohérence à cet idéal-type. Par « mise en capacité », nous évoquons le phénomène de transition du travailleur agent au travailleur acteur, nous référant aux définitions du sociologue André Akoun : « Par agent, on désigne l'individu qui exécute une tâche, qui est essentiellement déterminé à agir par des conditions qui lui sont imposées. Par acteur, on désigne l'individu qui agit selon ses propres desseins, selon ses propres motivations. » (Akoun, cité par Noseda, Racine, 2009:7). Ce que nous voulons dire, c'est qu'après l'ethos du travail moral, puis l'affaiblissement de celui-ci sous l'ethos de l'épanouissement, le travail semble être sujet à une revalorisation symbolique placée sous le thème de l'expression et l'affirmation de soi. Les choix personnels que ce soit en termes de formations, de lieux, d'horaires, de collègues, les formes d'implications subjectives que l'on observent dans les modalités de travail de la classe créative nous amènent à considérer l'affirmation d'un « ensemble des valeurs, des attitudes et des croyances relatives au travail qui induisent une manière de vivre son travail au quotidien » (Mercure,Vultur, 2010:2), c'est à dire d'un ethos particulier, propre au capitalisme cognitif, qu'il convient de tester au travers du

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coworking. Ici déjà se profile une des hypothèses que nous développerons ultérieurement : Les EC seraient le lieu de déploiement d'un nouveau rapport de l'individu au travail, un lieu où le travail n'est plus subi mais négocié selon des trajectoires personnelles, un désir d'accomplissement, de lien social ; où le travailleur devient acteur et se libère des schémas pré-établis de l'organisation du travail. Après l'individu-producteur, l'individu-consommateur, l'individu acteur ?

4.1 Quête de sens et Nouvel esprit du capitalisme

« L'expressivité, l'autonomie et le partage se sont dispersés dans des usages de plus en plus multiples, socialement divers et culturellement hétérogènes. Si bien que ce qui avait valeur d'émancipation dans un monde-à-soi est parfois regardé comme aliénation conformiste dans un monde où les valeurs culturelles de 68 se sont largement diffusées et où les intérêts marchands ont épousé les revendications de l'individualisme contemporain. » (Cardon, 2012, p.28)

Là est l'ambiguïté du capitalisme cognitif tel qu'il a été conceptualisé par Yann Moulier Boutang. Tout en l'inscrivant dans la longue histoire du capitalisme, il insiste pourtant sur sa qualité intrinsèque à surpasser le capitalisme. Pour lui, « il possède un côté libérateur, émancipateur [...] et porte bien en lui une clôture du capitalisme. » (Boutang, 2009:3). A ce titre, la mobilisation de la théorie développée par Luc Boltanski et Eve Chiapello en 1999 dans leur ouvrage Le Nouvel esprit du capitalisme, nous offre des éléments pertinents pour remettre en question l'idée d'une « clôture du capitalisme ». Pour les deux auteurs, la critique du capitalisme a revêtu deux formes essentielles : la « critique artiste » (le capitalisme est facteur d'oppressionn d'un désenchantement du monde et s'oppose à la liberté, la créativité) et la « critique sociale » (le capitalisme est source d'inégalités et de misère). La spécificité du système capitaliste fait qu'il a développé la capacité de se servir de ces critiques pour se regénérer. A ce titre, les revendications exprimées par les mouvements sociaux et étudiants de mai 68 autour des thématiques de libération qui ont façonné la critique artiste se retrouveraient dans la métamorphose du travail. Il n'est pas exagéré de soutenir en effet que les nouvelles valeurs qui semblent animer la classe créative seraient en accord avec l'esprit libéral contemporain. L'individu acteur, l'individu entrepreneur de sa vie est une figure clé de ce capitalisme cognitif. L''investissement subjectif au travail, l'autonomie et l'esprit d'initiative la principale source de valorisation du capital. Si nous suivons cette logique, le

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capitalisme cognitif pourrait être cette mue du capitalisme ayant absorbé des idéaux d'une génération opprimée. Mais la thèse de L.Boltanski et E.Chiapello ne s'arrête pas là puisqu'elle porte un regard nuancé sur ce Nouvel esprit du capitalisme. Ce qui était liberté serait devenu injonction. Injonction à s'épanouir, s'exprimer, à être soi... En définitive, les auteurs mettent en lumière des nouvelles formes d'opressions et de contraintes dûes à la récupération des valeurs de la critique artiste. Le projet de libération de la critique artiste s'est exprimé sous la forme d'une « émancipation par rapport à toute forme de détermination susceptible de limiter la définition de soi et l'autoréalisation des individus » (Boltanski, Chiapello, 1999, p.578). Or, les gains de libération se seraient traduits par des vagues de précarisation et des formes de « dépendances systémiques ». De l'autonomie à la solitude, il n'y a parfois qu'un pas.

Nous ne contestons pas ces apports qui ont selon nous permis d'analyser en profondeur les évolutions de la société contemporaine et d'y porter un regard plus nuancé. Cependant, à l'aune de ce que nous avons pu entrevoir à travers cet état de l'art, la thèse du Nouvel esprit du capitalisme soulève un point important qu'il convient de mettre en perspective. Le modèle capitaliste se regénère en se nourrissant des critiques qui lui sont adressées. Au terme de leur conclusion, Luc Boltanski et Eve Chiapello invitaient à « ouvrir le champ des possibles » en posant de nouveau un regard critique sur la société.

Le capitalisme cognitif comme nous l'avons étudié au cours de notre état de l'art s'articule autour d'un projet de mise en capacité qui questionne l'idée de libération telle qu'elle s'est manifesté au travers de la critique artiste. Le but de notre recherche sur les espaces de coworking est d'interroger la notion de travail selon les modalités d'un capitalisme renouvelé. Mais la question du « travail libéré » reste ambigüe. Nous admettons que le capitalisme cognitif n'est pas l'avènement d'un monde du travail sans contraintes. Celles-ci peuvent être exogènes (rythmes de travail, concurrence, ...) ou endogènes (investissement personnel croissant, ambitions...). Nous soutenons par ailleurs que des initiatives commes le coworking peuvent non pas effacer les contraintes, mais plutôt s'en saisir pour proposer un environnement en adéquation avec les projets de vie, d'expression et de réalisation de soi. Comme le souligne M.Vultur, « nous sommes [aujourd'hui] en présence d'un jeu entre contraintes et espaces de liberté. Ce jeu crée des potentialités diverses et suppose que les

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individus soient outillés pour s'en saisir positivement sans pour autant en faire d'eux des victimes. » (Vultur, 2010 : 17). Le cadre du capitalisme cognitif envisage un nouvel « horizon de sens » où chaque individu serait acteur de son travail. Les espaces de coworking en tant que manifestation de la métamorphose du travail nous permettent de tester la réalisation mais aussi les limites du projet du capitalisme cognitif. Car si les travailleurs cognitifs profitent de plus amples possibilités dans la poursuite de leurs buts et d'une extension du contrôle sur leur vie, cela semble également induire une surresponsabilisation des individus, l'injonction à l'initiative et à la performance (Cavalli, 2007 : 30). La thèse du nouvel esprit du capitalisme nous invite à étudier les EC au coeur de cette ambivalence.

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PARTIE 2 : METHODOLOGIE

présentation de la problématique et hypothèses de recherche

I) Problématique et hypothèses de recherche

Après avoir interrogé notre objet de recherche au travers des sciences sociales, nous proposons ici de confronter les apports théoriques de l'état de l'art avec des résultats de terrain, empiriques que nous avons récolté tout au long de ce travail de mémoire. Grâce à cette revue de littérature, nous avons déjà pu apporter des précisions et des réponses partielles aux interrogations de départ, ce qui nous permet ici d'affiner notre propos et de construire un protocole d'enquête en vue de répondre à notre problématique.

Nous l'avons évoqué au début de ce mémoire, le coworking et les espaces qui lui sont dédiés sont un objet d'étude récent, en construction. Les rapports, enquêtes, premiers articles académiques, premiers cadrages théoriques ont vu le jour il y a à peine deux ans et à ce titre, nous intégrons pleinement à ce travail de recherche la dimension d' « émergence ». Si cela peut éventuellement se traduire par un manque de recul et de vision à long terme, cela fait aussi partie de la particularité du coworking et de son intérêt en tant que « tendance ». Voilà pourquoi j'ai pris le parti de questionner ce phénomène dans ce qu'il a de nouveau, de prometteur et surtout de révélateur. L'idée n'est donc pas de poser un regard sur un modèle culturel, social et économique en place et d'en tirer des conclusions plus ou moins définitives mais bien d'amorcer un questionnement dans le champ des sciences sociales de manière dynamique. J'entends par là que pour pallier à une éventuelle superficialité due à la multiplication de discours que l'on pourrait considérer comme marketing, questionner le coworking à travers l'ethos permet de l'insérer dans une trajectoire d'évolution plus ancienne, plus complexe également. Aussi, au travers des mutations récentes du modèle productif que nous avons exploré sous l'angle du capitalisme cognitif, l'objectif de mon enquête est de voir

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en quoi les EC sont des espaces d'expression des nouvelles modalités au travail qui ont pris forme chez les avant-gardes. En d'autres termes, il s'agit d'entrevoir les modalités de travail à l'oeuvre au sein des EC, pour déterminer en quoi ces tiers-lieux participent à l'affirmation « d'un ensemble de valeurs, d'attitudes et des croyances relatives au travail qui induisent une manière de vivre son travail au quotidien » porté par la classe créative, mais aussi de s'interroger sur les limites de ces espaces.

Pour répondre à cette problématique, nous nous appuyons en partie sur les éléments théoriques étudiés dans l'état de littérature. Le cadre conceptuel du capitalisme cognitif nous invite à envisager le travail de manière décloisonnée selon un mode de vie polycentré qui questionne l'ethos du travail tel qu'il s'est affirmé dans les différentes phases sociétales.

Hypothèses :

a) Les incitations des acteurs à agir dépendent du cadre dans lequel ils accomplissent leur activité. Les EC comme modèle organisationnel se construisent et se développent selon une logique ascendante, créant espaces d'autonomie où s'expriment les individualités mais aussi de nouvelles solidarités. Cette mise en capacité des travailleurs permet aux individus de s'épanouir et charge le travail d'un sens nouveau. En définitive, le modèle organisationnel des EC réunirait les conditions d'expressions des modalités du travail cognitif.

b) Cependant, la réalisation du capitalisme cognitif au travers des EC suppose quelques limites. Le « projet social » du coworking est aujourd'hui restreint à une frange de la population (jeune, diplômée, autour des professions intellectuelles et créatives), son inscription à plus grande échelle et sur du long terme n'est pas garantie. Les défis auxquels sont confrontés les EC dans leurs perspectives de développement sont aussi le reflet de nouvelles contraintes qui pèsent sur les individus.

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II) Méthodologie

2.1 Recueil de données

2.1.1 La deuxième enquête mondiale du coworking

Une première étape de la récolte de matériaux a été de s'intéresser aux enquêtes qui ont pu être menées au sujet du coworking, afin de fournir des éléments quantitatifs complets, à une échelle que je n'aurais pas pu maîtriser aux vues de différents obstacles (temps, investissement économique, matériel d'enquête...). Une des enquêtes retient notre attention : Il s'agit de l'enquête mondiale menée par Deskmag en collaboration avec l'équipe Coworking Europe et avec le soutien de Emergent Research, University of Texas at Austin, Coworking Deutschland, Coworking Project Italy, Jellyweek.org, Deskwanted & Cohere Community.

Deskmag est « un magazine sur le nouveau concept de travail et leurs espaces, à quoi ils ressemblent, comment ils fonctionnent, comment ils peuvent être améliorés et comment nous y travaillons. [Ils mettent] particulièrement l'accent sur les espaces de coworking qui hébergent la nouvelle génération de travailleurs indépendants et des petites entreprises »12. Ce magazine est une source d'information indéniable. Déjà à la base d'une enquête en 2010, sa légitimité dans le domaine est reconnue. Aussi, l'accès à la deuxième enquête, plus récente et poussée, nous permettra de mobiliser des données variées et fiables. Quelques données annexes aux études repérées dans des articles ou des dossiers en lignes pourrons venir compléter les résultats.

L'enquête n'étant disponible que sur Internet en format , je renvoie ici directement au site13 qui laisse en libre-accès les résultats. Si cela est nécessaire les données graphiques pertinentes pour notre étude seront relayées au sein de ce mémoire, eux-mêmes disponibles en annexe dans la table des illustrations. Pour des raisons de lisibilité, sauf mention contraire, tous les résultats quantitatifs exprimés en pourcentages sont issus de cette étude et donc ne seront pas référencés à chaque utilisation.

12 Source : http://www.deskmag.com/fr/a-propos (consulté le 02/08/14)

13 http://www.deskmag.com/fr/l-anniversaire-des-espaces-de-coworking-522 (consulté le 02/08/14)

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2.2 Entretiens qualitatifs

L'enquête mondiale menée par Deskmag nous offre des données nombreuses que nous pourrons mobiliser pour tester nos hypothèses. Cependant nous avons jugé pertinent de croiser cette enquête avec des entretiens individuels, car ils nous permettrons d'aller plus loin dans l'expérience subjective au travail. Ces entretiens ont été menés de mai à juillet 2014, auprès de deux types acteurs que nous considérons légitimes pour apporter un éclairage lié à notre problématique.

· Co-fondateurs (indiqués par l'abréviation cf) : J'ai eu l'occasion de rencontrer trois co-fondateurs d'espaces de coworking (deux à Séville, un à Brest). Ces entretiens m'ont permis d'identifier les motivations, la philosophie à l'oeuvre dans la gestion d'un espace, les problématiques auxquels on peut se trouver etc... Ces entretiens sont particulièrement important dans le sens où ils offrent des exemples concrets de situation de travail et un retour sur expérience conséquent. Par ailleurs, les co-fondateurs rencontrés sont également coworkers puisque ils exercent une activité à côté.

· Coworkers (indiqués par l'abréviation cw) : J'ai par la suite pris contact avec plusieurs coworkers (actuels ou anciens) en essayant d'étudier des profils variés (sexe, professions, âge...) tout en restant en accord avec le public type des EC. En prenant contact avec les potentiels interrogés, j'ai également pris en compte la nature de l'espace de coworking qu'ils avaient fréquenté. En effet, l'appelation « coworking » est aujourd'hui utilisée peut-être plus qu'elle ne devrait et regroupe parfois des télécentres, ou même des simples bureaux à louer dans des établissements qui cherchent à optimiser financièrement leur espace, sans qu'il n'y ait vraiment de dynamique coworking comme nous l'avons définie aux prémices de ce mémoire.

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Figure 2 - Tableau récapitulatif des entretiens coworkers

Interrogés

sexe

Age

Profession

Statut

Expérience coworking

N°1, fr

F

29 ans

Journaliste

Freelance coworker

12 mois à temps plein

N°2, fr

M

30 ans

Designer sonor

Freelance coworker

6 mois à temps partiel

N°3, fr

M

28 ans

Webdesigner

Freelance coworker

Régulièrement, mais fréquences variées selon les contrats/projets personnels

N°4, fr

F

35 ans

Ergonome

Entrepreneur coworker

6 mois à temps plein

N°5, es

M

25 ans

Chargée de production, spectacle vivant

Employée coworker

3 mois à temps partiel

Les interviews ont été menés en face à face ou par visioconférence si la distance m'y contraignait. Tous les entretiens ont été enregistrés en format audio, retranscrits puis analysés selon une grille d'étude. La restitution complète des entretiens se trouve en annexe de se mémoire. (Annexe n°2) ; Nous avons analysé ces interviews et ces observations suivant les besoins de l'étude, en isolant les points qui nous ont paru pertinents suivant plusieurs axes :

Axe 1 : L'expérience du coworking - j'ai invité les interviewés à relater leur expérience dans un espace de coworking donné. Les raisons pour lesquelles ils avaient intégré l'EC, leurs critères de sélection, leurs modes de fréquentation, leur investissement personnel dans l'espace et les relations entretenues.

Axe 2 : A partir de ces premiers éléments j'ai ensuite guidé l'entretien vers le retour d'expérience subjectif. Le but était ici de voir en quoi le coworking a permis ou non à l'individu de s'épanouir dans son travail et selon quelles modalités.

Axe 3 : Le troisième axe se veut plus ouvert, prospectif. J'y interrogeais les coworkers sur leur vision du travail contemporain, la vision de leur avenir professionnel, le regard qu'ils posent sur leur situation actuelle.

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L'analyse des résultats vise à mettre en lumière les convergences entre les différents récits d'expérience mais aussi les points de tension. Le style semi-directif de l'entretien a permis d'orienter l'échange en fonction des thèmes sans orienter les réponses et ainsi de révéler les informations nécessaires pour tester nos hypothèses de recherches.

Pour des raisons pratiques, j'ai pris le parti de ne pas me limiter géographiquement dans la récolte de données, ou dans une moindre mesure. Aussi, c'est surtout les opportunités de rencontres qui m'ont amenées à réaliser mes entretiens, qu'ils soient en Espagne ou en France. Les interviewés ont été contactés par e-mail ou téléphone après des recherches Internet (annuaire de coworkers, sites officiels d'espaces de coworking). N'ayant pas eu l'occasion de réaliser un stage dans un EC ou de pouvoir au moins consacrer un temps conséquent à l'observation d'une structure spécifique, j'ai privilégié une méthode d'enquête plus ouverte et croisée. Dans la mesure du possible, j'ai cherché à varier les profils des interviewés tout en restant fidèle à un certain profil type du coworker identifié grâce aux données de l'enquête mondiale Deskmag :

-jeune : 69% des coworkers ont moins de 40 ans

-indépendant : 54% des coworkers ont un statut freelance. -diplômé : 72% des coworkers ont un Bachelor/Master

Les professions représentées correspondent également aux secteurs prédominants dans les EC et plus généralement à la définition de la « classe créative ».

PARTIE 3 RESULTATS DE L'ENQUETE et ANALYSE

I) Les EC, un déploiement récent mais significatif

Notre recherche a été animée par le désir de questionner une tendance qui jusqu'il y a quelques années étaient réservée à une élite technophile américaine. L'intérêt de cette première partie introductive est de montrer, avec des données chiffrées, le poids que représente petit à petit le coworking dans les pays développés grâce à la prolifération d'EC dans les territoires. L'utilisation de l'enquête menée par Deskmag, permet de mettre en évidence la propagation de ces tiers-lieux professionnels, mais aussi leur inscription dans les villes créatives. Cette logique d'inscription territoriale permet d'établir un premier lien qui justifie notre recherche : les EC naissent, se développent essentiellement autour d'une classe créative urbaine dont le travail épouse des formes et un sens nouveaux.

1.1 Un phénomène mondial

Figure 3 - Nombre d'ouvertures d'espaces de coworking par an à travers le monde (Source : Deskmag)

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Des espaces de coworking ne cessent d'ouvrir à travers le monde. On observe une envolée à partir de l'année 2007, ininterrompue jusque là. Et si le nombre d'espaces est croissant, l'expansion du coworking se dévoile aussi par le développement interne des lieux. 45% des espaces sondés ont prévu d'acquérir plus de surface et 91% prévoient d'accueillir plus de membres l'année suivante. Cette évolution répond à une demande croissante, de travailleurs aux statuts divers. On retrouve en premier lieu, sans surprise les « freelancers » (ou indépendants) et les entrepreneurs dont le statut reflète d'ores et déjà une certaine conception du travail centrée autour les valeurs d'autonomie, de responsabilité et d'investissement. On retrouve également des professionnels séduits par un environnement de travail autre que le domicile mais aussi autre que les cafés-wifi et le bureau traditionnel.

1.2 L'Europe et les villes créatives au premier plan

Il est vrai que les premiers espaces de coworking sont apparus aux Etats-Unis en Californie. Cependant, depuis que le concept a traversé l'atlantique, l'Europe s'est affirmée comme la plus dynamique en la matière. Avec 1160 espaces, le vieux continent prend la première place du classement mondial devant l'Amérique du Nord et l'Asie. Les capitales comme Paris, Berlin, Londres et Madrid tiennent sans surprise le haut du podium européen même si, en terme de villes, c'est San-Francisco et sa fameuse Silicon Valley qui reste la référence ultime avec 46 espaces. Comme le note Bruno Moriset, les EC sont particulièrement présents dans les villes dites créatives. Une logique de concentration spatiale qui se veut aussi le reflet d'une compétitivité urbaine accrue et dont l'objectif est d'attirer la classe créative. Les EC s'affirment comme un modèle susceptibe de capter, réunir ces « travailleurs cognitifs », en adéquation avec les modes de travail, mais aussi les modes de vie. En s'intéressant à l'encastrement urbain des tiers-lieux, le géographe Raphaël Besson parvient aux mêmes conclusions : « Les espaces de coworking [...] se développent essentiellement en milieu urbain bénéficiant et produisant par la même occasion des aménités urbaines qui permettent d'attirer et de stimuler la « classe créative » [...] Les créatifs peuvent ainsi travailler, se restaurer, se cultiver, flâner et se distraire. (Besson, 2014)

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1.3 Une structuration progressive

Cette offre croissante se structure petit à petit. Si les premiers espaces sont nés spontanément, d'initiatives privées aux allures parfois « système D », l'offre actuelle se densifie et s'organise. La majorité des EC ayant ouvert il y a quelques années sont toujours en activité à ce jour. Le secteur du coworking est en effet en période de maturation ; ce n'est plus une curiosité expérimentale mais un modèle qui fait ses preuves, un réseau mondial en construction.

a) Les labels : A échelle nationale, se dessinent des réseaux d'EC réunis sous des labels. En France, on retrouve par exemple celui des Cantines14 ou celui des Cordées15. Les entités bien qu'indépendantes s'appuient sur un modèle commun et des dynamiques communes. Par exemple, la charte des cantines stipule : « Plus qu'un label s'inscrivant dans une politique classique de qualité, il s'agit de comprendre le terme de « label » comme un référentiel de valeurs »16. Le label est envisagé comme une opportunité de structurer, connecter les espaces pour générer de l'intérêt commun et gagner en visibilité. C'est aussi un moyen d'affirmation et de diffusion de « l'esprit coworking » à travers les territoires.

b) Le Coworking Manifesto : réunissant à ce jour 1595 signatures17, ce manifeste en ligne rédigé en anglais a une portée internationale. La phrase d'accroche résume l'intention : « Nous avons le talent, nous avons juste besoin de travailler ensemble ; différents environnements doivent se déployer se connecter et interagir pour transformer notre culture. »18 Ce manifeste entend agréger une communauté investie dans l'expansion du coworking pour construire un

14 Aujourd'hui, ce réseau français est composé de 5 Cantines: http://reseaudescantines.org/ (consulté le 16/07/2104)

15 Il existe une Cordé lyonnaise et une Cordé parisienne.

16 Source : http://reseaudescantines.org/la-charte-du-reseau/#encre2 (consulté le 16/07/2014)

17 Source http://coworkingmanifesto.com/ (consulté le 03/08/2014)

18 Notre traduction : « We have the talent. We just need to work together. Different environments need to overlap, to connect and to interact in order to transform our culture. » Extrait du Coworking Manifesto http://lc.cx/manifesto (consulté le 16/07/2014)

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futur durable. Depuis 2010, des conférences internationales ont également vu le jour19. A Bruxelles, Berlin, Paris, Barcelone puis bientôt Lisbonne, des centaines d'acteurs du monde entier se réunissent le temps d'un week-end pour réfléchir, décrypter les tendances et imaginer les évolutions.

A différentes échelles, l'univers du coworking se construit en réseau. Que ce soit via l'apparition de labels ou à travers des événements divers, le « mouvement coworking » est en train de se structurer et d'affirmer son idéologie. Aujourd'hui, le coworking tel qu'il s'affirme actuellement fête ses sept ans. Encore jeune, son évolution est cependant significative d'une prise de conscience à grande échelle : la nécessité de créer des environnements adaptés à une réalité du travail mais aussi une réalité culturelle qui s'affirme au dehors des structures dominantes. Ainsi, les EC participeraient mais surtout accompagneraient cette transition vers un capitalisme cognitif.

19 Les Coworking Europe Conferences sont une initiative de Global Entreprise, une structure de consulting spécialités dans l'innovation ouverte, l'entrepreneuriat et le coworking. En 2013, 41 pays étaient représentés à la conférence annuelle. http://coworkingeurope.net/blog/ (consulté le 03/08/2014)

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II) Nouveaux espaces, nouvelles temporalités

2.1 Des lieux ouverts

Au sein même des lieux, les espaces sont conçus pour favoriser les rencontres, les discussions et le partage. Au espaces clos et opaques, on préférera donc généralement les open-spaces. Le cadre de travail joue un rôle essentiel si l'on en juge par l'aménagement intérieur des lieux : plantes vertes, sofas, tables basses, coin bar, parfois même espace de jeux. Le design neutre et standardisé des espaces de travail est banni, on prône ici un environnement chaleureux, convivial et personnalisable. Ci-contre, trois photos nous permettent d'illustrer le propos.

Figure 4 - La Cantine à Paris. Crédit Sipa Figure 5 - Mobilesuite coworking Berlin. Crédit ShareDesk

Figure 6 - The Shed coworking Madrid

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Pour William Van Den Broek, entrepreneur et co-fondateur de l'EC la Mutinerie à Paris, la configuration de l'espace en lui-même et l'équipement de celui-ci constitue le fondement du succès d'un lieu : « Avant toute chose, un espace de coworking doit pouvoir offrir de quoi permettre à chacun de travailler dans de bonnes conditions : un wifi performant, un poste de travail confortable, des équipements adaptés, des espaces de rangements, la possibilité de manger et boire [...] ». Alors que l'offre d'EC dans les villes est croissante (les sites de recensement sont un bon indicateur20), l'aménagement joue un rôle essentiel. Parmi les critères, les fonctionnalités et le design du lieu peuvent s'avérer décisifs dans la sélection du futur espace de travail. Nos entretiens sont révélateurs de cette exigence envers les lieux. Avant toute chose, on doit pouvoir travailler et s'organiser avec tout le confort matériel que cela demande. Si le design intérieur n'est pas non plus considéré comme la valeur forte des EC, elle n'est pas cependant à négliger : 43% des coworkers déclarent que c'est ce qu'ils préfèrent dans leur espace.

« Ce que je recherchais dans les espaces de coworking, c'était surtout un espace agréable de travail : spacieux, calme, lumineux. Il faut qu'il soit bien équipé, avec un self service café, the, boisson froide et puis surtout un bon réseau wifi [...] Avec un petit budget, c'est bien de pouvoir fréquenter des espaces qui sont si bien aménagés. On s'y sent bien, le mobilier est fonctionnel... Je ne pourrais pas travailler dans un espace tout étriqué, sombre et austère » cw

Mais ce n'est pas tout. Le coworking ne se limite pas à du design et du café à volonté. En interrogeant les fondateurs d'EC puis les coworkers, la dimensions humaine s'avère fondamentale. Ici se dessinent les contours de l'EC en tant que tiers-lieu : Le but n'est pas la rationalisation, l'optimisation des espaces mais plus la création d'un espace où s'entremêlent le loisir, le travail, la discussion.

« Les gens pensent souvent qu'un espace de coworking c'est avant tout des tables de travail. Nous, 40% de notre espace sont des espaces de relations. Et c'est le coeur du coworking. L'autre zone donc de 60% est la zone opérative, de travail. [...] Selon les formes de travail, du niveau de concentration dont le travailleur a besoin, les deux zones peuvent interagir. Certains travaillent dans les sofas, d'autres vont travailler plus loin au calme... Ce que l'on veut c'est que chacun

20 A titre d'exemple, le site www.ne-nomade.com, moteur de recherche de tiers-lieux professionnels recense 68 espaces à Paris. (Consulté le 02/08/14). CoworkingLondon affirme quant à lui que Londres s'approche des 100 espaces http://coworkingeurope.net/blog/ (consulté le 13/08/2014)

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trouve la forme de travail la plus confortable selon ses besoins » cf

« [L'espace de coworking] pour moi c'est un lieu de rencontre [...] Donc typiquement c'est bien d'avoir une pièce ouverte, une machine à café. On pouvait se retrouver à plusieurs, discuter, faire des rencontres...on est dans un cadre qui permet de créer autre chose que des relations strictement professionnelles. » cw

« On a voulu créer [...] un espace ouvert agréable, mais surtout convivial » cf

L'espace n'est pas conçu en fonction de sa stricte spécialisation mais pensé à travers l'individu. Notre état de l'art nous a permis de pointer du doigt le brouillage des frontières entre productif et improductif, entre espace de travail et espace de vie. Ce que l'on observe dans le coworking est symptomatique de ces nouvelles modalités de travail. Le coworker est amené à évoluer, aménager son temps et son espace selon ses besoins. Ceci se ressent dans le caractère polymorphe des EC qui répond à un désir d'interaction. En effet, près des deux-tiers des coworkers jugent que l'interaction avec les gens est une des dimensions importantes que doit permettre le coworking notamment grâce aux qualités pratiques de l'infrastructure.

Au cours des entretiens, nous avons remarqué que les individus s'identifiaient à l'EC qu'ils fréquentent et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, il l'ont choisi, tout simplement et ceci en fonction de leurs critères personnels et d'une situation donnée. Que ce soit en fonction de la localisation, du cadre ou même des rencontres avec les personnes qui le fréquentent, il apparaît essentiel pour les coworkers d'être en phase avec l'esprit du lieu. Ces derniers déclaraient aimer leur espace de coworking à hauteur de 8,4 sur une échelle de 1 à 10 et ils sont seulement 4% à être abonné simultanément un autre espace. Une certaine fidélité s'exprime envers le lieu que l'on affectionne et dont on se sent membre.

« le lieu est important. En lui même et aux alentours. Il faut qu'on se sente à l'aise » cf

« Il faut qu'on puisse faire autre chose que purement du travail et s'y sentir bien, pouvoir prendre ses marques et en faire un lieu où le matin quand tu arrives, t'es content de passer la porte. » cw

Deuxièmement, l'idée d'un lieu à s'approprier est aussi présente. Que ce soit du côté des fondateurs du lieu ou des coworkers eux-mêmes, la participation à la vie du lieu dans son ensemble est un point important. L'investissement personnel que cela requiert est aussi

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envisagé comme une manière de s'intégrer à la communauté et d'instaurer un climat de respect mutuel et de confiance entre les acteurs du lieux.

« Tout se construit petit à petit, avec les gens [...] les choses se sont faites naturellement, chacun met la main à la pâte. » cw

« Ils filent un coup de main tout en étant coworkers, par exemple avec le blog. C'est une forme de troc, d'échange parce qu'on peut s'aider mutuellement. Ce point est important parce qu'on essaye vraiment que la gestion ne soit pas seulement l'apanage de nous autres fondateurs [...] Au final, nous essayons de faire en sorte que les personnes gèrent d'elles-mêmes l'espace, qu'elles soient ordonnées aussi !L'objectif final serait que les personnes puissent aussi proposer des contenus, écrire sur le blog, organiser des événements... » cf

« C'est aussi le rôle d'un peu tout le monde, apporter sa pierre à l'édifice pour créer de la bonne ambiance. C'est bien de cultiver ça, parce que pour moi ces espaces c'est avant tout une idée.. » cw

Au-delà de la gestion de l'espace, on se rend compte que les lieux sont très mouvants en fonction des personnes qui interagissent, des projets divers, ce qui créent une dynamique de co-construction. Sans qu'il y ait un sentiment d' inachevé, les EC jouent avec les frontières créant des espaces modulables. Il faut noter aussi que beaucoup de lieux sont récents. L'âge moyen d'un EC est de un an et demi et l'ouverture est souvent prématurée. Un tiers des espaces ouvre seulement trois mois après la première phase de lancement. Des équipes légères (dans 80% des cas, le projet est porté par trois co-fondateurs ou moins) et des investissements surtout issus de fonds privés expliquent en partie ces ouvertures spontanées. Bien que les contraintes économiques existent et peuvent ralentir la création de lieux (loyers élevés selon les villes, difficultés de prêts etc...) les EC naissent souvent donc assez rapidement et se construisent au fur et à mesure, d'où cette dimension "work in progess" : Rien n'est figé, tout est dans la malléabilité. Un guide pour les fondateurs d'Ex paru en avril 201421 explique que le fait de designer soi-même l'espace peut être une «opportunité exceptionnelle pour

21 Cet ouvrage rédigé en anglais reprend de manière pédagogique les étapes successives pour ouvrir un espace de coworking : conseils techniques, juridiques, managériaux... le livre se veut simple et concis pour accompagner le développement des structures pas à pas. SUAREZ, Ramon (dir.), The coworking handbook, Charleston, 2014

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impliquer les membres de la communauté qui seront alors plus investis et attachés au lieu. »22 (Suarez, 2014 p. 121). Faire les choses selon ses propres moyens est parfois une solution économique, mais témoigne aussi d'un certain état d'esprit. Cet encouragement au « Do it yourself » (littéralement « Fais-le toi même ») est un des traits caractéristiques qui fait écho notamment au mouvement du logiciel libre23. Ici, bricoler, co-construire, expérimenter permet de créer cet environnement proche des gens et personnalisé. C'est aussi la concrétisation d'une forme d'indépendance :

« En juin 2011 on a obtenu le premier étage de ce bâtiment et l'aventure commençait. On a peut-être pas fait les choses de la meilleure manière dès le début. Il y avait peu d'informations, on s'est lancé là-dedans au début sans tellement savoir où ça allait mais petit à petit on structure les choses [...] On s'investit beaucoup au jour le jour pour créer une dynamique » cf

Ce qui est intéressant à la lecture de ces premiers points et au regard de notre problématique, c'est de voir comment en terme d'aménagement, de gestion quotidienne, d'implication individuelle et collective, ces lieux sont le reflet d'une imbrication croissante du cadre de travail et du cadre de vie. Les coworkers recherchent, nous l'avons vu, un lieu où l'on peut exercer son activité avec tous les équipements techniques, technologiques dont ils ont besoin (bien que cela se résume souvent à une connexion et un bureau) mais également un lieu où il fait bon vivre, que l'on peut s'approprier, où l'on peut soumettre des idées et se sentir un peu chez soi. L'individu est aussi donc de ce point de vue acteur, de par ses choix et son investissement personnel dans le lieu. Soulevons ici un des nombreux paradoxes qui façonnent les EC. Ceux-ci étant considérés comme des lieux d'accueil des travailleurs nomades, ces « sans bureau fixe » pour reprendre l'expression de Bruno Marzloff24, il est pertinent de relever à quel point les usages remettent en question l'idée d'une mobilité exacerbée. Le coworker type est certes potentiellement mobile grâce aux technologies numériques mais cela ne signifie pas pour autant qu'il ne développe pas de pratiques stables.

22 Notre traduction « Designing your space is a great opportunity to involve your community and get members more involved and attaches to the space »

23 L'expression DIY (Do it yourself) date des années 70 et a premièrement été utilisée pour analyser les subcultures juvéniles notamment punk. Aujourd'hui, le terme s'est étendu jusqu'à être envisagé comme une philosophie que l'on retrouve également chez les communautés open-source.

24 Le terme « SBF », c'est à dire sans bureau fixe se réfère aux personnes n'ayant pas de contraintes de lieux dans leur travail. Des globes trotteurs professionnels qui utilisent les tiers-lieux, les espaces publics et multiplient les pratiques nomades. Bruno Marzloff y a consacré un ouvrage du même nom paru en 2013 aux éditions FYP, pour inciter les politiques publiques à repenser l'aménagement territorial et la mobilité en milieu urbain. (MARZLOFF, Bruno, Sans Bureau Fixe, FYP, Paris, 2013)

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80% des membres d'EC ont prévus de rester au moins un an dans leur espace. Ce chiffre recoupe effectivement des réalités variées. Les types d'abonnements varient, les coworkers ne travaillent pas non plus exclusivement dans les EC : neuf coworkers sur dix effectuent encore une partie de leur travail dans d'autres endroits. Et pas seulement pour des réunions, mais aussi pour le travail en lui-même. Le domicile, les cafés, restent des alternatives ancrées dans les usages. Donc, il serait hasardeux de conclure sur une nouvelle forme de sédentarisation. Cependant, le fait que les coworkers se projettent dans l'avenir au sein de l'EC qu'ils fréquentent actuellement renforce l'idée que ces lieux s'inscrivent durablement dans la vie professionnelle. Ils se démarquent ainsi des autres tiers-lieux en créant une relation pérenne entre les usagers et un sentiment d'appartenance.

2.2 Les EC et articulation des temps de vie

De la même manière que nous avons vu que le lieu se construit physiquement autour des individus, on observe que les EC s'organisent également en fonction de nouvelles temporalités. L'offre d'abonnements est variée et s'adapte à une pluralité des profils professionnels et des usages. Selon les lieux, cela peut aller de l'heure au mois, avec des variantes (des tickets journée par exemple). Mais dans le brouhaha des offres on remarque cependant des tendances similaires :

« Au début nous avions commencé avec des abonnements plus rigides: abonnement pour le matin, pour l'après-midi, avec des options pour les équipements etc... Au final il y avait beaucoup de tarifs, ce n'était pas tellement lisible et on s'est adapté. » cf

Dans un souci de lisibilité, d'harmonisation et aussi de facilité de gestion, les EC tendent à proposer des abonnements fixes et flexibles. Les premiers fonctionnent au mois et se déclinent schématiquement en une version temps plein et une version temps partiel. Les seconds se présentent sous la forme de tickets ou de bons, valable sur une longue durée, pour des visites ponctuelles. Malgré la catégorisation fixe/flexible, on remarque que de manière générale l'offre se veut variée, la plus proche de la demande et épouse un éventail de possibilités d'usages. Mais au final, seul un membre sur dix paye à la journée ou à la semaine.

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Alors que le coworking semblait porter en lui la révolution du travail nomade et ultra-flexible, cela peu sembler insignifiant. Les résultats d'enquête révèlent plutôt des usages stables, fréquents voire quotidiens (60% des enquêtés se rendent dans leur EC au moins trois à quatre fois par semaine et un tiers d'entre eux s'y rendent tous les jours.) Cela va de paire aussi avec des horaires aménagés qui s'étendent sur le week-end ou en soirée. Selon l'enquête mondiale Deskmag, même si un tiers des coworkers continue de fréquenter les espaces selon des horaires traditionnels de bureau, la moitié bénéficie aujourd'hui d'un accès 24h/24, 7j/7 à leur espace.

« Si par exemple il y a un jour une conversation intéressante jusqu'à 1h du matin, on laisse les locaux ouverts, il faut faire preuve d'adaptabilité ! C'est ça qui génère la valeur du coworking. »cf

« Chaque personne qui travaille ici rentre, sort, a les clés [...] On a pas vraiment d'horaires ! »cf

Les EC se caractérisent donc par leur adaptabilité aux plannings individuels à travers des abonnements différenciés et des horaires plus souples. Cette organisation flexible est la manifestation d'une porosité des temps et du déclin, donc de la séparation stricte entre temps de travail et temps libre (Sue, 1995 ; Lalive d'Epinay, 1992). Norbert Ansellem dans son ouvrage de 2013 Le travail et ses dehors reprend les investigations menées sur l'articulation des temps de vie et met en évidence un « décentrement subjectif du travail » (Ansellem, 2013). Au regard de nos différents résultats d'enquêtes, on peut retrouver les éléments permettant de s'inscrire dans la lignée de ses observations. Le temps de travail reste structurant et au lieu d'une colonisation des deux sphères temporelles, on pourrait davantage parler de conciliation. En faisant tomber une partie des contraintes, l'EC permet de gérer de manière individuelle la combinaison des temps qui convient le mieux :

« J'y allais tous les jours. J'avais des horaires très élastiques. Comme j'ai un enfant c'était plus facile pour moi comme ça de gérer au jour le jour [...] Je pouvais y aller quand je voulais, sans devoir mentionner à quelqu'un mes horaires. » cw

Condition quasi sinéquanone à cette flexibilité, l'accessibilité. Les temps de trajets quotidiens rallongés par les congestions urbaines ou encore la surcharge des réseaux publics sont depuis peu l'objet de nombreuses critiques. Des études successives ont pointé du doigt

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cet « enfer des transports » qui serait facteur de stress, de fatigue et de souffrance au travail25 tout particulièrement dans les grandes métropoles. Ces trajets réguliers, outre leur effets psychosociaux néfastes sont perçus comme une contrainte lourde qui empêche les travailleurs d'être plus autonomes dans la gestion du quotidien. A l'opposé, le travail à domicile, situation très fréquente dans la communauté des coworkers (58% d'entre eux étaient d'ancien travailleurs à domicile avant d'intégrer l'EC), a certes ôté la contrainte-trajet mais n'a pas pu satisfaire pleinement les attentes des travailleurs.

« Ce n'est pas toujours l'idéal de travailler chez soi, surtout quand on habite dans des petits studios ou en coloc. Ça fait un peu système D. Et puis on finit par en avoir vraiment marre de passer tout son temps au même endroit »cw

« Beaucoup de gens viennent ici [dans l'espace de coworking] parce qu'ils ne veulent plus travailler chez eux. On a des enfants, c'est pas forcément confortable... »cf

Pour les coworkers, la localisation de l'espace est à ce titre un point crucial. Si globalement le centre-ville apparaît comme le Graal parce qu'il permet d'insérer l'espace dans un tissu dense, bien desservi et dynamique, la proximité du domicile est un argument en lui-même majeur. Près des deux tiers des membres ne mettent que vingt minutes ou moins pour se rendre à leur espace et un sur quatre n'a besoin que de dix minutes . Les EC commencent progressivement à mailler le territoire, ce qui donnent de plus en plus aux travailleurs la possibilité de trouver un lieu dans un périmètre restreint. Quatre coworkers sur dix affirment que cette proximité avec domicile a été décisive dans le choix de l'espace. En bref, nous retrouvons ici une des manifestations du tiers-lieu : un entre deux, un endroit de proximité qui permet une coupure physique avec le foyer mais qui ne soumet pas l'individu à des trajets trop longs et contraignants. On assiste alors à l'émergence d'une mobilité choisie, positive et pratique pour les individus. L'intérêt du coworking dans cette optique est cette recherche d'équilibre subjectif.

Cette possibilité d'être maître de son temps est plébiscitée par l'ensemble des coworkers : 83% d'entre eux recherchent cette flexibilité horaire. Un parallèle avec les

25 Parmi ces études, celle du cabinet d'audit Technologia parue en 2010 et reconduite en 2013 « Stress & transport » : http://www.technologia.fr/blog/wp-content/uploads/2013/10/Technologia-Etude-transport-2013-1.pdf

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nouvelles formes d'emploi en « mode projet » permet de comprendre ces attentes. Nos entretiens ont mis en exergue cette discontinuité dans le travail, cette alternance entre temps forts et temps plus souples. Au delà d'une conciliation vie professionnelle/vie privée, la flexibilité est aussi envisagée comme une moyen de coller à une réalité du travail non linéaire et d'un marché aujourd'hui international :

« J'ai du mal avec les horaires fixes.. 8h-17h, j'ai beaucoup de mal. On avance au gré des projets. Il y a des moments où l'on vit des coups de pressions, il faut être là [...], on va se mettre à fond sur ce projet-là à ce moment-là. Après, pour peu que l'activité soit un peu en baisse, on va aussi pouvoir avoir des plages plus limitées.[...] Je le vis comme une vraie liberté.[...]Ce n'est pas un poids, c'est voulu et contrôlé. On adapte sa vie à son travail et son travail à sa vie..» cw

« Le coworking, c'est un peu comme j'idéalisais le travail à la sortie de mes études. Je savais par exemple que j'avais besoin de flexibilité horaire et le coworking m'a permis de tester ça. »cw

« Quand je travaille ici, c'est peut-être en même temps que quelqu'un qui travaille la nuit au Japon. Peu importe où tu es, à New York, Londres, Séville, Paris.. [...]C'est ça le futur, prendre part à des projets variés, dans des lieux variés etc... C'est un univers du travail mobile, changeant. »cf

En définitive, il ressort que les individus recherchent au sein des EC une nouvelle manière de composer et de gérer le puzzle entre vie privée et vie professionnelle de plus en plus complexe car soumis à des rythmes aléatoires. En ce sens, les EC sont le support de l'expression des nouvelles modalités du travail du capitalisme cognitif portées sur la mise en capacité des acteurs.

III) Le nomadisme coopératif à l'épreuve du coworking

3.1 Tous différents, ensemble

Les EC tendent à construire un écosystème basé sur une communauté hétérogène mais qui partage une même réalité et surtout conception du travail. A l'image de la classe créative, les profils sont variés et en majeure partie, les EC sont ouverts à toute les professions (dans les limites de faisabilité pratique). L'idée de mixité, au coeur du coworking est cependant nuancée.

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D'une part, nous assistons depuis peu à l'éclosion d'EC spécialisés « pour renforcer les opportunités de rencontres professionnelles fructueuses » (Moriset, 2014:5). Ainsi, certains espaces tendent à s'adresser à un public particulier. C'est le cas par exemple de La Ruche à Paris qui ouvre ses portes aux entrepreneurs sociaux, La Manufacture qui vise les professions littéraires. Plus récemment encore, on a assisté à l'ouverture d'un EC culinaire (Cookworking, Paris) ou encore dédié aux professionnels de la mode (Coworkingdemoda, Séville). Sans nous attarder d'avantage sur le concept d'EC spécialisés, nous avons remarqué que la diversité des profils est une question qui divise. Rencontrer des gens est perçu comme une nécessité, mais la nature et le but de ces relations restent sujet à discussion. Les coworkers interrogés ont tendance à insister sur la convivialité et un esprit d'ouverture en règle générale propice à des relations décontractées voire amicales, intimes.

« On est dans des modes de travail où on est tous plus ou moins amenés à bosser seuls chez nous. Alors quand on va dans ces lieux, on a besoin de contact humain, on a besoin de passer des bons moments, et au-delà de se refiler des filons, tout ce côté humain est super important. »cw

« Certains membres étaient à la base des connaissances, ils sont devenus des amis. On peut dire des amis. On avait des centres d'intérêt en commun hors -travail, on était dans la même tranche d'âge, assez jeunes, dynamiques et oui forcément, ça crée des liens. En plus on est dans un cadre qui permet de créer autre chose que des relations strictement professionnelles. »cw

« Ici c'est comme une sorte de famille, on se sent bien. »cf

Si les relations s'échappent du cadre professionnel, c'est aussi parce que les coworkers entretiennent ce rapport d'égal à égal avec des personnes issues de divers horizons. En intégrant un EC, on s'insère dans un environnement où les individus ne sont pas définis par rapport à leur statut ou leur place dans l'organigramme. Peu de situation de concurrence, des lieux et temps de détente collectifs, des événements ponctuels participent au développement d'affinités. Par ailleurs, ces rapports détendus sont perçus comme le moyen de s'épanouir et de « sortir » de son quotidien de travail. Autrement dit, la diversité, le mélange des professions et des statuts est revendiqué comme l'une des valeurs ajoutée du coworking. Les individus y trouvent l'occasion de se défaire des relations formelles et codifiées au profit d'une atmosphère agréable.

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« Ce qui compte, c'est la variété des profils de personnes qui interviennent dans ces espaces. Plus il y a de brassage, plus c'est intéressant » cw

« [...] il n'y avait pas de compétition vu que personne ne faisait la même chose. Il y avait des domaines qui s'entrecroisaient mais chacun avait plus ou moins sa spécialité. » cw

« Je suis en contact avec des amis de mon ancienne université qui sont aujourd'hui dans des grands studios d'architectes et ils me disent : "tu as beaucoup de chance ! Ici on n'est qu'entre architectes on ne parle que de ça ! " . C'est sûr, au bout d'un moment on n'en peut plus de ne parler que du travail et avec des gens en plus qui font la même chose. Ici c'est une totale diversité et ça fait du bien. » cf

« Ce n'est pas la profession qui crée la communauté coworking, c'est plus que ça. Moi par exemple je n'irais jamais dans un espace de coworking d'architectes. Ça n'a aucun sens ! Ça n'enrichit pas. Tu n'apprends jamais autant avec des gens qui font la même chose que toi. » cf

Mais les relations dans les EC se caractérisent par cette volonté d'ouverture et d'échange, ceci s'inscrit également dans une démarche professionnelle. Ce que cherchent les coworkers au travers des interactions, c'est aussi des opportunités. A la question : « que recherchiez-vous en intégrant un espace de coworking ? », l'idée de « réseau » ou de « carnet d'adresse » ressort majoritairement dans nos entretiens tout comme dans l'enquête mondiale : Huit coworkers sur dix affirment avoir élargi leur réseau professionnel grâce à la fréquentation d'un EC.

« Je démarrais, je devais créer de toute pièce mon réseau, je me suis dis que c'était une solution pour rencontrer [des] professionnels. » cw

« Ce qui se passe dans les métiers du son et le design sonore c'est qu'on est souvent seul dans les studios et qu'on ne peut pas bénéficier d'une structure, on n'est pas en contact avec d'autres activités comme le graphisme ou le développement [...] je me suis dis que c'était une solution pour rencontrer ce genre de professionnels » cw

Dans cette mesure, les coworkers cherchent à l'évidence des profils diversifiés mais dans des domaines qui seraient complémentaires. Le spectre est large et flou et dépend bien sûr des attentes individuelles. Ce besoin exprimé de mise en relation professionnelle est à

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mettre en parallèle avec des nouvelles formes de collectifs au travail, étudiées autour du concept de nomadisme coopératif (Vendramin, 2007). Bien que les individus soient de plus en plus indépendants et autonomes, la volonté de créer des liens est primordiale. Cette volonté devient alors nécessité lorsque l'on est amené à être de plus en plus polyvalent :

« La plupart des problèmes que tu as devant toi en fait, sont rarement de l'ordre de ce qui fait ton coeur de compétences, que tu as déjà acquis parce que tout simplement c'est ton métier. Aujourd'hui comme on est amené à vraiment être autonome, polyvalent etc... C'est vrai qu'il faut maîtriser de plus en plus de choses en annexes et là, ça devient intéressant effectivement de rencontrer des gens qui eux ont l'expertise dont tu as besoin. » cw

3.2 Constitution et vie des collectifs de coworking : le travail et ses dehors

Suivant une organisation horizontale du travail, la coopération est affirmée comme un nouveau moyen de répondre à des exigences professionnelles. Pouvoir compter sur une communauté au sein des espaces est une valeur ajoutée indéniable puisqu'il permet de générer et d'auto-organiser spontanément des collectifs performants et affinitaires.

« [...] plus le temps passe, plus les relations se développent. Par exemple il y a un jeune designer graphique dans l'espace, je lui fais confiance personnellement et professionnellement, parce que je le connais, je le vois tous les jours. » cf

Que ces relations soient envisagées dans le cadre du travail ou au-delà, elles se caractérisent par un engagement personnel particulier. Au cours de nos entretiens, nous avons remarqués que les coworkers étaient attachés à leur indépendance. Celle qui leur permet de gérer leur temps, de fréquenter plusieurs lieux, d'organiser son activité en fonction de leurs paramètres. Celle aussi qui s'exprime plus généralement dans la relation à autrui. Cette indépendance se manifeste sur plusieurs points. Dans un premier temps, bien que des liens affectifs se créent dans les espaces, les coworkers expriment souvent le besoin de conserver une séparation entre des relations établies dans un cadre privé et celles développées via le coworking. Même si au final seulement 15% des coworkers n'ont jamais eu de contacts avec un autre membre du même EC en dehors de celui-ci, la majorité des 85% restant déclare qu'il s'agit uniquement de quelques personnes et ceci de manière ponctuelle.

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« Moi par exemple j'aime bien manger le midi avec les gens de l'espace et puis si à 16h00 on va boire un demi, avec plaisir ! Mais c'est vrai que les voir le weekend, je ne sais pas si j'irais jusque là. Ou si c'est autour d'un projet pourquoi pas. Mais j'aime bien quand même séparer un minimum les choses. » cw

Ceci étant, les événements organisés, les temps collectifs de détente sont très bien accueillis lorsqu'ils sont intégrés à l'espace et à la vie de la communauté. Ainsi, selon les envies, sans obligation, la participation à ce genre de réunions s'avère être des moments privilégiés où l'on peut se retrouver et apprendre à mieux se connaître. 84% de tous les coworkers qui ont répondu à l'étude ont dit qu'ils assistaient à des événements et participent en moyenne à 1,8 événement par mois.

« Les instants collectifs c'est plus les apéros, les soirées... J'essaye d'y aller. C'est bien pour mieux connaître les gens et dans un autre cadre que le travail. Ça permet de faire des rencontres aussi, c'est sympa. »cw

Ainsi la question de l'individualisme contemporain et de son inscription dans les dynamiques collectives reste un des points de tension inhérent aux EC. Nous l'avons vu, une attention particulière a été portée aux processus d'individuation des formes de travail, qui s'expriment notamment dans les modalités du coworking. La manière d'envisager l'engagement dans le collectif et le rapport à l'autre dans le travail est modifiée puisque l'accent est mis sur les aspirations individuelles, qui ne sont pas forcément les mêmes que les autres membres. Un mouvement de recherches dans la lignée des travaux de R. Sainsaulieu s'est particulièrement penché sur l'affaiblissement des modèles identitaires fusionnels au profit d'un engagement plus subjectif. Appliqué aux EC, on remarque que la constitution des collectifs à visée professionnelle (c'est à dire la partie productive) est animée par la volonté d'agir ensemble mais aussi de valoriser son talent. Quelque part, en réunissant des profils distincts aux compétences complémentaires, les EC participent à la création de synergies par la promotion des talents individuels.

« Si tu veux employer quelqu'un, ou travailler avec quelqu'un, qui veux-tu ? Le
meilleur. Et pas forcément ton cousin, le copain d'untel... Et l'espace de coworking

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est aussi cet espace de rencontre. [...] le talent c'est la clé aujourd'hui et qu'il faut savoir le promouvoir. La différenciation aujourd'hui se fait au talent. » cf

« Les gens qui sont mous, pas vraiment concernés... Non, il faut des gens qui sont à fond ! Il faut être productif, compétent, à fond dans les projets... C'est important de côtoyer des gens de haut niveau, avec une expertise dans leur domaine. »cw

Au travers des formes mouvantes de coopération, les coworkers sont amenés à échanger des connaissances mais aussi valoriser leurs compétences. La mutation du travail vers un mode projet a aussi exacerbé cette « culture de la performance » qui façonne les collectifs. Mais si cette culture, voire ce culte est généralement étudié sous son jour le plus sombre (pressions, concurrence...), nos entretiens avec les coworkers révèlent que cette recherche de performance est plus envisagée comme une manière de se surpasser, d'atteindre des objectifs personnels. Intégrer un EC, c'est aussi intégrer une communauté de professionnels intellectuellement stimulante.

« Tu te rends compte de la barre à atteindre, tu te fixes des objectifs et ça motive. Dans ces espaces c'est un peu ça qui se passe je trouve. Des gens qui arrivent, ultra motivés, avec des nouvelles idées, qui sont là pour bosser, qui envoient la sauce, qui aident les autres... » cw

« c'est hyper bien d'avoir un travail dans un environnement qui permette de se tirer vers le haut [...] Il y a le côté atteinte des objectifs aussi. Chaque mission est différente avec des gens différents et permet de découvrir des choses qu'on ne connaît pas. Il faut apprendre, mettre les deux mains dedans pour pouvoir le maîtriser. C'est des challenges passionnants » cw

Pour conclure cette étape de la recherche, revenons à notre hypothèse principale.

? Les incitations des acteurs à agir dépendent du cadre dans lequel ils accomplissent leur activité. Les EC comme modèle organisationnel se construisent et se développent selon une logique ascendante, créant espaces d'autonomie où s'expriment les individualités mais aussi de nouvelles solidarités. Cette mise en capacité des travailleurs permet aux individus de s'épanouir et charge le travail d'un sens nouveau. En définitive, le modèle organisationnel des

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EC réunirait les conditions d'expressions des modalités du travail cognitif.

Après analyse des différentes données quantitatives et qualitatives récoltées, il nous semble correct de confirmer provisoirement l'hypothèse de recherche. Les EC, dans leur fonctionnement interne et dans les valeurs qu'ils tentent d'inculquer, développent un modèle organisationnel innovant. Celui-ci permet aux membres de s'investir, s'affirmer, s'unir selon leurs propriétés individuelles. Il est caractéristique d'une mise en capacité des travailleurs qui s'approprient et agissent sur leur travail pour que celui-ci soit en accord avec les modes de vie et les modes de pensées. Michel Lacroix, philosophe français a consacré une partie de sa carrière à la question d'idéal de vie, du développement et l'épanouissement personnel26. Dans un entretien récent accordé à la revue Sciences Humaines, l'auteur déclare : « Les voies de la réalisation personnelle sont multiples! [...] Les styles d'existence accomplie sont très divers et il est fort heureux qu'il en soit ainsi. Or, le trait commun de ces existences accomplies c'est l'action. L'action est indispensable à la réalisation de soi. » (Lacroix, 2014, p.37).

Nous soutenons que les EC développent un environnement propice à l'action au sens large. En rupture avec un certain fatalisme, les coworkers investissent ainsi le travail de valeurs nouvelles. Cette vision du travail rejoint les principes de l'ethos l'épanouissement, mettant en avant les vertues extrinsèques du travail (valorisation des compétences, responsabilité, atteinte d'objectifs personnels..) (Lalive d'Epinay, 1998, p.88). Aussi, le modèle organisationnel des EC favorise la dimension expressive du travail qui trouve alors sa place dans un projet personnel de réalisation de soi. Ceci ne veut pas dire que le travail chez les coworkers est érigé comme seul vecteur d'accomplissement. En accord avec une vision polycentrée de la vie, les attitudes au travail dans ces espaces témoignent de la recherche d'un équilibre permanent entre sérieux et détente, vie professionnel et vie privée. Bien que les coworkers confirment sans hésiter que le travail prend une place très importante dans leurs vies, ils expriment aussi certaines limites à cet égard. Toujours dans un souci d'épanouissement, les différentes personnes interviewées se disent prêtes à faire des sacrifices (notamment sur les horaires) si cela leur offre en retour une satisfaction immédiate ou à venir. Les EC, tels qu'ils se révèlent au travers de notre enquête, ont cette faculté d'offrir un cadre

26 Michel Lacroix, philosophe est auteur de plusieurs ouvrages dont « Avoir un idéal est-ce bien raisonnable? » (Flammarion, 2007), « Le développement personnel » (Flammarion, 2004) et « Se réaliser. Petite philosophie de l'épanouissement» (Marabout, 2010)

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souple où s'exerce ce jeu entre libertés et contraintes. Aujourd'hui « l'emploi a perdu de son universalité » (Lalive d'Epinay, 1998, p.94) tant pas sa forme que son contenu. C'est donc par un modèle organisationnel polymorphe et bâti selon une logique ascendante de co-construction que le coworking réinvente l'univers du travail auprès de la classe créative désireuse mais aussi dans un certain sens contrainte d'expérimenter des formes nouvelles de travail.

IV) Espaces de coworking, les limites et perspectives de recherches

Bien que nos entretiens nous aient fourni un certain nombre de réponses pour confirmer notre hypothèse de recherche, ils ont en même temps soulevé des contradictions, des questionnements quant aux pratiques de coworking.

4.1 Une valeur ajoutée pas tout le temps identifiée

Dans tous nos entretiens, l'expérience de travail au sein des EC a été appréhendée de manière positive par les coworkers. Ceux qui ont quitté les espaces sont prêts à recommencer l'expérience si cela se présente, ceux qui y sont encore aujourd'hui ne s'en plaignent pas. Mais pourtant, on a pu remarquer que l'inscription sur du long terme était généralement mal perçue. Paradoxalement, alors que le modèle organisationnel des EC convient à leur activité, leurs valeurs et qu'ils se sentent épanouis dans ces formes de travail, les personnes interrogées ont exprimé leur désir de trouver un endroit « à eux ».

« Aujourd'hui on est encore dans cet espace mais on cherche des bureaux plus fixes. On arrêtera quand on aura trouvé parce que c'est vraiment ça au final qu'on cherchait à la base, un lieu de travail. Si on arrive à obtenir des locaux dans notre budget, bien placés etc... Je ne vois pas pourquoi on continueraient à le fréquenter [...] J'envisage plus mon avenir dans des bureaux privés, qui permettraient de recevoir des clients par exemple. Quelque chose bien à nous.» cw

« Moi aujourd'hui j'ai mon lieu. Ça m'aurait plu peut-être de bosser encore dans un espace de coworking, mais voilà, le Graal c'est d'avoir ses locaux. Ce qui vont dans ces lieux au final c'est qu'ils n'ont pas de locaux. [...] Le problème c'est que c'est un peu mal vu aussi. Ça veut dire que tu n'as pas les moyens de te payer les locaux. Du coup moi je n'ai jamais tenté de m'y installer définitivement. » cw

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Ces éléments nous disent plusieurs choses à propos des EC en leur état actuel. La tendance bien que croissante et significative n'est pas encore bien identifiée sur le marché du travail, les individus remettent en cause sa légitimité. Nous observons ici une certaine résistance formulée par les coworkers eux-mêmes qui malgré les bénéfices qu'ils retirent du coworking, le voient aussi au travers d'un monde du travail qui n'est peut-être pas encore prêt à redéfinir ses critères. Le bureau personnel reste synonyme de réussite et d'accomplissement, une forme de consécration. Selon cette perspective, les EC ont encore du mal à se positionner à l'échelle d'une carrière individuelle. Sans rejet personnel de la part des coworkers bien au contraire, ils redoutent cependant l'image d'instabilité économique voire de précarité que renvoi la fréquentation du coworking sur du long terme.

4.2 Modèle ou passerelle ?

Le développement des EC est donc une question importante. On distingue déjà plusieurs tentatives et plusieurs orientations distinctes. Le paysage du coworking est en pleine évolution, devient de plus en plus hétérogène et la capacité des EC à s'affirmer en tant que modèle est parfois remis en cause par les usages. En effet, le cadre de travail proposé semble être très adapté aux indépendants, travaillant seuls ou en collaboration sur des projets avec d'autres membres de l'espace . Mais lorsque la question de l'élargissement de l'activité se pose, les EC semblent moins susceptibles de correspondre aux attentes. Aussi, les EC apparaissent parfois comme des « tremplins » professionnels, un pied à l'étrier pour s'insérer plus durablement sur le marché de l'emploi par exemple.

« Au début ça peut apporter des contacts, un carnet d'adresse, il y a des gens qui s'entrecroisent, des domaines qui s'entrecroisent dans le graphisme, le web etc... [...] Mais au bout d'un moment je voyais moins la nécessité. [...] Si je déménage il se pourrait que je devienne membre d'un nouvel espace pour me refaire un réseau par exemple. Pour me mettre le pied à l'étrier» cw

« les lieux de coworking c'est un bon tremplin, au même titre que les incubateurs, les pépinières etc... Après pour moi ce n'est pas une fin en soi. » cw

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En fonction de ces éléments, on peut se demander à juste titre si les EC sont un modèle durable dans sa forme actuelle. Certains lieux ont grandi de manière phénoménale. C'est le cas par exemple de la Cantine parisienne à laquelle nous faisions allusion en introduction de ce mémoire. Identifiée comme une vitrine de l'innovation, la Cantine a récemment déménagé vers des locaux imposants au coeur de Paris et a diversifié ses services. L'espace de coworking côtoie un fablab, un incubateur, une salle d'événements, un bar et s'insère ainsi dans un écosystème plus vaste qui attire aujourd'hui des grandes entreprises comme Google ou Orange27. Si cette évolution permet d'installer confortablement l'image du coworking comme partie prenante d'un modèle résolument innovant, certains y voient cependant l'effacement progressif de ce qui fait la force des EC, à savoir une échelle humaine. Ce basculement d'une forme à la base alternative vers une structure à la fois reconnue, soutenue par des investissements privés et publics (le Numa a bénéficié d'une subvention du département à hauteur de 500 000 euros)28 interroge sur l'absorption des valeurs du coworking à plus grande échelle. D'un côté, on peut y voir un phénomène d'adhésion positif, une prise de conscience de la nécessité de réinventer des méthodes et des modèles organisationnels en phase avec une montée de autoentrepreneuriat et plus généralement des formes individualisées d'emploi. De l'autre, on peut effectivement se poser la question des effets néfastes d'une forme d'institutionnalisation du coworking. Si l'on en juge par nos quelques témoignages, l'expérience au sein des EC paraît bénéfique lorsqu'elle est inscrit dans le temps, qu'elle permet de répondre à un besoin temporaire de bénéficier d'un lieu et de se constituer un réseau selon une étape clé de la vie professionnelle (entrée sur le marché du travail, reconversion, déménagement, démarrage de projet....). Il en ressort que les formes de flexibilités permises mais aussi encouragées par les EC sont vécues positivement à partir du moment où elles permettent de concilier par exemple la vie professionnelle et la vie familiale, ou si elles sont inscrites temporairement dans une stratégie entrepreneuriale :

« Moi je fais des sacrifices tout le temps. Mais c'est des paris. Je le vois comme ça et ça a été plutôt gagnant jusque là. Se sacrifier en temps, il faut savoir pourquoi et jusqu'à quand. [...] bosser le week-end, le soir, quand tu veux, c'est bien Moi je suis vraiment multi-projets, j'ai tout le temps quinze mille projets ! C'est vrai que je suis explosif, j'ai plein de trucs partout et c'est en phase avec ma personnalité. Ça m'apporte un certain équilibre et un plaisir dans mon travail [...] Aujourd'hui

27 Le Numa (anciennement la Cantine), 39 rue du Caire dans le 2nd arrondissement a ouvert ses portes en 2013. Ils accueillent chaque année 40 000 personnes et organisent près de 800 événements

28 Source : http://www.observatoiredessubventions.com/2013/clientelisme-entre-hidalgo-et-l-association-silicon-sentier/ (consulté le 07/09/2014)

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je sais que travailler beaucoup c'est aussi ce qui me permet d'être confiant dans l'avenir. Parce que plus je développerai mon activité, plus j'aurai la possibilité de faire des choses colos et de me marrer dans mon travail. » cw

Or le développement des EC comme modèle organisationnel pose à juste titre la question de la pérennité de ces formes de travail et des contraintes qui lui sont associées. A quel moment les EC cessent d'être des espaces où s'expriment des choix individuels et des libertés pour devenir des lieux où s'imposent de nouvelles normes ? C'est ici la tension notamment exprimée par L.Boltanski et E.Chiapello dans leur thèse sur le nouvel esprit du capitalisme. Les revendications de flexibilité, libertés, ouverture, localisée à l'échelle de la classe créative et essentiellement autour des professions free-lance a pris forme au sein d'EC de petite taille et indépendants. Au terme de ce travail de recherche il nous semble que le coworking n'est pas tant un modèle en devenir, mais plutôt un modèle résolument actuel, ciblé qui répond à des attentes spécifiques qu'on ne peut pas attribuer à l'ensemble des travailleurs. Le risque d'une trop grande régulation du coworking et d'une certaine institutionnalisation notamment dû à l'intérêt croissant des politiques publiques, est celui de la proclamation univoque d'un idéal de travail décontextualisé. Or un idéal de travail a ceci de particulier qu'il répond à un vision subjective de l'individu qu'on ne peut formaliser et qui dépend de son statut, de son âge, de sa situation familiale, de son diplôme....

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CONCLUSION

Ce travail de recherche nous a permis de questionner le phénomène du coworking en pleine expansion. Derrière un certain engouement médiatique voire marketing, le coworking reste pour nous un moyen pertinent de questionner les représentations du travail à l'oeuvre dans nos sociétés contemporaines. Les espaces dédiés à ces usages fleurissent sur le territoire à échelle mondiale, captant une catégorie de travailleurs qui a intériorisé des modalités du travail propres au capitalisme cognitif.

En construisant des tiers-lieux adaptés à une demande croissante de personnes mobiles, connectées, créatives mais parfois isolées, le coworking est bien plus qu'une « solution pratique ». Les individus y voient une manière de développer des attitudes au travail nouvelles auxquelles ils attribuent un sens et des valeurs personnelles. Les EC participent en ce sens à un mouvement de resignification du travail en phase avec un projet de vie, que chacun s'approprie et défini selon des modalités individualisées. Aussi, nous restons sceptiques quand à l'affirmation d'un ethos spécifique au coworking. Selon nous, bien que l'ensemble des comportements aux travail laissent transparaître un souci d'auto-réalisation et d'épanouissement personnel, que le mouvement du coworking tende à se structurer et affirmer ses valeurs d'une seule voix, il ne faut pas conclure que nous assistons à l'apparition d'un modèle salvateur. Nos entretiens, le recours aux enquêtes quantitatives, les différents articles que nous avons été amenés à étudier nous ont permis de mettre en évidence des réalités très diverses. A ce titre, nous pensons d'avantage que les EC ont cette faculté d'expérimentation de nouvelles formes d'organisation du travail et qu'ils accompagnent plus qu'ils ne répondent à cette quête de sens.

Il faut aussi reporter le coworking à son échelle actuelle, qui est celle de la classe créative. Il est évident que pour l'instant, cette situation de travail n'est pas offerte ni adaptée à tout le monde. Nous rejoignons ici les perspectives de développement que nous avons abordé au terme de ce mémoire. Les EC sont encore jeunes, ancrés dans les villes créatives et de taille relativement petite. Cette situation n'est sûrement pas éternelle et l'avenir du coworking est en train de s'écrire. Si les perspectives de croissance sont bonnes (même si les projets de développement sont en légère baisse pour 2014), le coworking a besoin de mûrir et penser son

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inscription durable dans la société au risque de voir son projet social se diluer. Et cela ne veut pas forcément dire grandir en taille, en investissement, en nombre.

Enfin, il me semble que malgré les espoirs projetés à travers le coworking, on ne peut isoler les EC du contexte économique auquel ils répondent. Bien que le projet du coworking s'inscrive bien au delà, la justification d'une mise en commun d'un espace et d'outils est d'abord celle d'une logique de réduction des coûts. Le coworking est l'une des tendances de l'économie du partage qui prend diverses formes comme le covoiturage, la colocation etc... Ces pratiques témoignent elles aussi toutes à leur manière d'une contrainte économique certaine. Cela peut bien sûr déboucher sur des aventures humaines, des expériences enrichissantes, des relations durables... dont nous ne remettons pas en cause l'authenticité. Cependant, il semble qu'éclipser totalement la dimension « réduction des coûts » au profit d'un discours prônant des nouveaux modes de vie collaboratifs et solidaires, a peu d'emprise sur la réalité. L'économie collaborative sous-entend un passage d'une société basée sur la possession vers un « âge de l'accès » comme le diagnostique Jeremy Rifkin, prospectiviste américain. La richesse ne serait plus dans la possession mais dans l'usage. La Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) dans un récent dossier intituler « posséder, c'est dépassé »29 indiquait que « la possession, le patrimoine, cessaient d'être des valeurs positives : à la recherche de légèreté et d'agilité dans un monde dur, les plus jeunes les voient même comme un poids. » Or, notre enquête bien que modeste et ne pouvant totalement infirmer cette proposition, permet d'apporter quelques éléments qui remettent en cause la consolidation d'un imaginaire positif du partage . Les coworkers interrogés trouvent dans les EC une manière de répondre temporairement à un besoin concret qui est celui d'un espace de travail adapté. A ceci, se greffe effectivement une dimension humaine de collaboration, de partage, de confiance autour d'une communauté. Mais les symboles d'accomplissement professionnel semblent avoir la peau dure. Aussi, le modèle organisationnel du coworking est encore identifié comme le reflet d'une contrainte et d'une instabilité économique et non d'un choix de vie. Posséder reste pour nos enquêtés un objectif pour asseoir son indépendance mais aussi pour correspondre aux critères de réussite personnelle et professionnelle encore ancrés dans les mentalités.

29 http://fing.org/?Posseder-c-est-depasse (consulté le 07/09/2014)

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

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Figures

Figure 1 : tableau valeurs « des tiers-lieux » et des espaces de coworking : une comparaison. (Source : Moriset, 2014, p.8), p.11

Figure 2 : Tableau récapitulatif des entretiens coworkers, p.46

Figure 3 : Nombre d'ouvertures d'espaces de coworking par an à travers le monde (Source : Deskmag), p.49

Figure 4 : La Cantine à Paris. (Crédit Sipa), p.53

Figure 5 : Mobilesuite coworking Berlin. (Crédit ShareDesk), p.53

Figure 6 : The Shed coworking Madrid, (Source: http://theshedcoworking.com/), p.53

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