Conclusion
Les populations de la localité de Yambassa, en
concevant un système défensif végétal à base
d'alignements de Ceiba pentandra et de Bombax buonopozense,
ont mis en place des conditions de recrutement et de dispersion
d'espèces pionnières de la forêt dense humide. Les guerres
entre voisins terminées, ils ont consolidé les implantations de
bosquets et d'îlots forestiers en intégrant, derrière et
sous les arbres « défensifs» d'autres arbres utiles. Il s'agit
en particulier, pour les espèces exotiques, du manguier (Mangifera
indica), de l'avocatier (Persea americana), de l'oranger
(Citrus sinensis). Pour les espèces indigènes, il s'agit
du palmier à huile (Elaeis guineensis) et d'autres arbres
fruitiers comme le safoutier (Dacryodes edulis) communément
appelé « prune» en langage local, le « djansan »
(Ricinodendron heudelotii) et les colatiers (Cola lepidota, Cola
lateritia, Cola spp) et le fruit noir (Canarium schweinfurthii).
Ces espèces utiles cohabitent localement avec des espèces de la
forêt qui se sont installées spontanément, sans doute
disséminées par le vent, les oiseaux et les animaux. Parmi
celles-ci, on distingue essentiellement des Moraceae avec en tête
Ficus thonningii, suivie de Ficus exasperata, Ficus sur
et Ficus spp. On note aussi la présence d'arbre à
bois précieux comme Mansonia altissima (Bété),
Terminalia superba (fraké) et Milicia excelsa (iroko).
Mais le plus évident est l'extension des cacaoyers sous l'ombre de
Ceiba et de Bombax, y compris tous les autres. Autrement dit, le
développement des agrosystèmes et des agroforêts s'est fait
grâce à l'appui des arbres introduits en savanes par les
hommes.
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CONCLUSION GENERALE
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L'un des principaux résultats de cette étude
tient au fait que contrairement aux analyses de Beauvilain et al (1985) qui
affirment que les murs végétaux défensifs des Yambassa
sont composés essentiellement de Ceiba pentandra, nos
relevés établissent qu'une autre espèce est
associée. Il s'agit de Bombax buonopozense qui a une
densité relative (Dr) de 24,9% des individus du relevé alors
que Ceiba représente 25,1% de la population. Les deux
espèces partagent donc équitablement la flore des haies vives. Il
convient de préciser que les deux espèces présentent
à quelques exceptions près la même morphologie. En plus de
partager la même architecture (grand arbre, tronc élancé,
branches haut perchées et horizontales, forme du houppier, feuilles
composées, caducité des feuilles), leurs bases sont
caractérisées par des contreforts élancés et
robustes. Toutefois, alors que les pétales de la fleur de Ceiba sont
blancs, ceux de Bombax sont rouges. De plus, Ceiba présente
à maturité des contreforts ailés pouvant par ailleurs
s'élever à 6 m (photo 15) alors que Bombax porte des
contreforts arqués ne s'élevant qu'à 3 m tout au plus.
Le choix a été porté sur les deux
espèces, non pas pour la qualité de leur bois. En effet, elles
développent un bois mou inutilisable dans la construction des oeuvres
d'habitations comme les perches, les planches, les lattes ou les chevrons. Bien
sûr que ce bois est utilisé traditionnellement pour la fabrication
des pirogues. Le bois des deux espèces est utilisé comme bois de
bourrage des contreplaqués et est aussi débité pour la
confection des emballages. Mais cette attention est réservée aux
régions où le choix des essences est très limité.
Par ailleurs, leurs vertus médicinales et mystiques sont diverses aussi
bien en régions dominées par les savanes qu'en territoires de
forêts denses.
En revanche, les deux espèces ont des avantages que nulle
autre espèce ne possède:
1) Elles peuvent s'établir en savane:
ce sont des plantes héliophiles qui s'adaptent à tous les milieux
ouverts de la forêt (chablis, clairières, jeunes jachères
de forêt, lisières de forêt, berges des cours d'eau
forestiers). Elles s'adaptent aussi en savane à condition que les feux
de brousse n'y passent pas au stade de jeunes plants;
2) Elles manifestent une croissance rapide:
ce sont des plantes peu exigeantes en termes de qualité des sols. Elles
occupent tous types de sols, y compris les sols hydromorphes des bas fonds
périodiquement inondés. Certes, elles ne sont pas
sollicitées comme le genre Eucalyptus par les programmes de
reboisements du fait de leur pauvre valeur en bois d'oeuvre;
3) Les contreforts très
développés leur donne un aspect imposant et utilitaire comme
système défensif végétal: il est rare,
voire impossible de retrouver des
Il ne semble donc pas superflu de penser à estimer dans
des recherches futures le bilan carbone de ces investissements. Il s'agit aussi
de souligner que dans les régions tropicales,
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contreforts plus développés que ceux des deux
espèces dans toutes les forêts denses. Elles ne sont pas certes
les seules à constituer de telles bases. D'autres espèces comme
Terminalia superba, Triplochiton scleroxylon ou Mansonia altissima
développent aussi des extensions latérales sur leur base,
mais elles ne sont pas aussi imposantes. De plus, elles mettent beaucoup plus
de temps à en former.
Par ailleurs, en implantant des espèces
pionnières de la forêt dans les savanes, les habitants ont
contribué directement et indirectement à la colonisation de ces
savanes par la forêt. D'une part, ils ont contribué directement
à l'expansion de la forêt en plantant des arbres dans les savanes.
D'autre part, ils ont permis indirectement la colonisation de la savane par la
forêt. En effet, en éliminant lentement les graminées sous
leur ombrage, les arbres introduits ont créé des conditions de
recrutement d'autres espèces de la forêt. Dans un premier temps
les espèces pionnières de la forêt sont apparues. Elles se
sont par la suite mélangées, non seulement aux arbres fruitiers
plantés comme le palmier à huile (Elaeis guineensis), le
safoutier (Dacryodes edulis) ou le manguier (Mangifera
indica). Les relevés révèlent que d'autres
espèces moins plastiques de la forêt se sont elles aussi
implantées progressivement, contribuant ainsi à l'enrichissement
de la biodiversité. On n'oublie pas non plus que grâce à
l'implantation des haies vives, les populations locales ont pu étendre
la culture du cacao sous l'ombrage de Ceiba pentandra et de Bombax
buonopozense. Bien entendu, les boisements à base de ces
espèces semblent aujourd'hui en déclin, mais d'autres arbres plus
utiles dans le contexte actuel sont diffusés. D'après les
relevés, il s'agit surtout des arbres fruitiers, des arbres à
bois précieux comme le teck (Tectona grandis) et des arbres
ornementaux comme Cassia javanica.
Au centre Cameroun en général, les conditions de
climat humide sont favorables à une extension de la forêt sur les
savanes. Mais dans la zone du confluent entre la rivière Mbam et le
fleuve Sanaga, cette expansion bénéficie en plus des conditions
de mise en valeur des sols favorables. Il est donc certain aujourd'hui que les
populations ont favorisé une extension de grande ampleur de la
forêt dont le point de départ est sans doute l'implantation des
systèmes défensifs végétaux. En suspendant les feux
de brousses dans les parcelles de savanes occupées par les champs et les
habitats, les hommes ont en quelque sorte impulsé une
accélération du processus. Les autres formes de boisements comme
la création de cacaoyers et d'autres systèmes d'agro forêts
ont aussi participé à la colonisation de la forêt.
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l'homme ne participe pas seulement à la
déforestation ou à la dégradation de la forêt. Dans
certaines régions et dans certaines situations, il parvient au contraire
à provoquer une extension de la forêt à base
d'espèces indigènes. Autrement dit, certaines populations
paysannes participent à la séquestration du CO2 en permettent
ainsi une expansion des forêts en territoires de savanes.
Enfin, lorsqu'on évoque le patrimoine culturel et
historique du Cameroun, on parle souvent des paysages de bocage des hautes
terres de l'ouest ou des terrasses de Mandara dans l'extrême nord. Le
paysage agraire des yambassa mérite aussi que l'on s'y attarde
en termes de publicité. Le fait est que les « murs vivants »,
termes employés par Beauvilain et al. (1985), ne sont pas entretenus.
Les individus morts ne sont pas remplacés. Pourtant, si ces anciennes
haies végétales défensives étaient classées
comme patrimoine national, elles attireraient des personnes
intéressées par l'écotourisme. Par ailleurs, il convient
aussi de mener des études botaniques détaillées sur
l'ensemble de la zone pour chiffrer l'extension réelle des haies autour
de tous les sites qu'elles entourent.
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