Conclusion
Les haies vives survivent aujourd'hui, non plus pour le
rôle défensif, puisque les guerres entre voisins ont pris fin au
début du 20e siècle à l'occasion de
l'administration coloniale allemande. Le rôle de pare feu est aussi
devenu obsolète parce que les savanes ont depuis disparu au contact
immédiat de l'ensemble des haies. Néanmoins, aux yeux de la
population, les haies demeurent un symbole protecteur dans le sens spirituel.
Elles survivent aussi pour des raisons objectives car sous leur ombrage, des
plants de cacaoyers sont aménagés. En fait, ces plantes
sciaphiles ont besoin de l'ombrage des arbres pour assurer leur croissance.
C'est
100
donc grâce aux haies que des cacaoyers et des palmeraies
ont été aménagés dans la région dans la
première moitié du 20e siècle.
Parallèlement, leur présence a favorisé indirectement
l'implantation des bosquets et l'expansion de la forêt dense humide de
part et d'autre de leurs lignes d'implantation. Le chapitre 4 décrit les
implications de l'aménagement des haies défensives sur le triple
plan social, économique et écologique. Il précise en
particulier le rôle de ces boisements dans le contexte défensif,
dans le cadre de la mise en valeur agricole et dans la dynamique des contacts
forêt-savane sur le site.
101
CHAPITRE IV : LES IMPLICATIONS ECOLOGIQUES ET
SOCIO-ECONOMIQUES DES HAIES VIVES
Introduction
Les systèmes défensifs végétaux
aménagés pour défendre des villages, des cités et
des propriétés ont été décrits dans
plusieurs territoires de savanes et de steppes tropicales (Seignobos, 1978 et
1980). Mais partout, ces « murs enceints» élevés
uniquement dans les domaines végétaux ouverts sont tombés
en désuétude, la colonisation européenne ayant mis fin aux
guerres entres des peuples voisins rivaux. Dans l'extrême nord du
Cameroun, c'est-à-dire au nord-ouest de la ville de Maroua, les haies ne
servent plus aujourd'hui qu'à canaliser le bétail hors des
champs. Au centre Cameroun, la conservation des alignements d'arbres a permis
non seulement de protéger les plantations de palmiers à huile
contre les feux de brousse de savanes, mais ils ont aussi permis
d'étendre les champs vivriers et les plantations de cacaoyers. Les haies
vives à Ceiba pentandra et Bombax buonopozense ont
même créé des conditions écologiques de
dissémination et de recrutement d'espèces pionnières de la
forêt dense, comme les relevés botaniques l'ont montré.
IV.1. Les impacts écologiques
Sur le plan écologique, les arbres jouent un rôle
essentiel dans le domaine de la mosaïque forêt-savane. Non seulement
ils servent d'habitat à un grand nombre d'espèces animales et
végétales, mais ils remplissent de nombreuses autres fonctions.
Grâce à la photosynthèse qui se réalise au niveau
des feuilles, ils rejettent de l'oxygène dans l'atmosphère. Les
racines des arbres retiennent les sols, ce qui diminue considérablement
l'érosion. Les forêts réduisent le ruissellement des eaux
de pluies ; elles interceptent l'eau des précipitations et les
redistribuent: une partie de l'eau de pluie recueillie au sommet coule le long
du tronc des arbres et le reste est diffusé à travers les
branches et le feuillage.
IV.1.1. les impacts écologiques de Ceiba
pentandra et Bombax buonopozense
Ceiba pentandra et Bombax buonopozense
préparent l'invasion de la savane par la forêt en constituant
dans un premier temps de boucliers pare feux (figure 26). Du fait de cette
barrière naturelles contre la propagation des feux, l'implantation des
espèces de la forêt en savane est possible, voire
accélérée. Mais au paravent, les populations ont
exploité le bouclier pour
102
implanter, dans un premier temps des palmiers à huile
(rapport du Major Hans Dominik cité par Beauvilain et al., 1985 et
Mekindé, 2004). Plus tard, ces populations ont diversifié les
cultures en cultivant des arbres fruitiers exotiques et indigènes, mais
aussi en plantant le cacaoyer à partir des années 1930. Ainsi, en
pays yambassa, ces deux espèces favorisent l'agroforesterie (figure 28
et photo 18).
Parlant de l'exploitation des espèces
forestières, la coupe sélective par définition
répond à deux critères : une catégorie
précise d'espèces à bois précieux demandée
sur le marché et un diamètre minimum d'exploitabilité
(DME). Pour optimiser la rentabilité, l'exploitant a pour souci de
prélever uniquement les espèces sollicitées par les
marchés. De l'autre côté, l'Etat propriétaire de la
forêt doit préserver son patrimoine et éviter les critiques
des organisations qui militent pour la conservation des
écosystèmes forestiers intertropicaux. Bien que le DME ait
été fixé de façon à permettre le
renouvellement des espèces exploitées dans leur milieu (les
arbres étant supposés être sexuellement mûrs avant
d'avoir atteint ce seuil), certaines études permettent d'établir
des perturbations qui ont des conséquences sur les processus devant
assurer la régénération de la diversité
génétique, et en particulier les mécanismes reproducteurs
(Jennings et al. 2001 cités par Lourmas, 2005). En effet, le
prélèvement concerne des individus qui sont supposés
être reproducteurs, des individus âgés qui sont souvent
considérés comme des réservoirs de la diversité
génétique. Leur exploitation est de nature à limiter la
reproduction de l'espèce. Même si l'exploitation sélective
des forêts se caractérise par le prélèvement des
arbres situés au dessus d'un seuil de diamètre (appelé
diamètre minimum d'exploitabilité) fixé par espèce
et mesuré à 1,30 mètre du sol, elle ne cause pas moins des
dégâts sur la forêt. L'exploitation pourrait conduire
à la raréfaction des arbres les plus vieux dont certaines ne se
régénèrent que très lentement. Elle entraîne
aussi une ouverture importante du milieu forestier (ouverture de la
canopée) (Lourmas, 2005).
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Ainsi, les espèces des haies sont à l' origine
de la diversification des activités des exploitants agricoles, avec
constitution d'un patrimoine d'arbres de valeur, sans interrompre le revenu
courant des parcelles plantées. Elles jouent un rôle protecteur
des arbres pour les cultures intercalaires ou pour les animaux : effet
brise-vent, abri du soleil, de la pluie, du vent, fixation des sols,
stimulation de la microfaune et de la microflore des sols.
En outre, elles favorisent la récupération par
les racines profondes des arbres d'une partie des éléments
fertilisants lessivés ou drainés ; nous notons aussi
l'enrichissement du sol en matière organique par les litières
d'arbres et la mortalité racinaire des arbres.
Une étude menée dans deux sites
représentatifs du bassin de production du cacao du sud Cameroun à
savoir Ngomedzap à 110 km environ au sud de Yaoundé, capitale
politique du Cameroun, en zone de forêt humide à
pluviométrie bimodale et Bokito à 150 km au nord de
Yaoundé en zone de transition forêt - savane par Bidzanga Nomo et
al. en 20095 a permis de caractériser les perceptions des
paysans sur la contribution des essences associées à
l'amélioration de la fertilité des sols sous cacaoyers pour
certaines essences dont les racines sont mieux colonisées par les
mycorhizes : Ficus mucoso (53-73%), Ficus exasperata (53%), Ceiba
pentandra (60-67%), Ricinodendron heudelotii et Canarium
schweinfurthii (47%), Spathodea campanulata (40%),
Entrandropragma cylindrica (13-33%), Terminalia superba (33%),
Milicia excelsa (20-27%). Les paysans soutiennent que les essences
à système racinaire profond améliorent la structure du sol
et n'entrent pas en compétition avec d'autres plantes pour l'eau. Ils
observent aussi que le sol autour de ces essences garde une humidité
relativement élevée par rapport aux autres niches du
système. Par contre, ils estiment que les essences à
système racinaire superficiel « assèchent » le sol et
par conséquent, empêchent le développement normal des
cultures associées. La surface foliaire et la surface des feuilles des
essences associées, selon les perceptions paysannes, déterminent
la biomasse produite, qui une fois décomposée, améliore la
fertilité du sol (Bidzanga Nomo, Op.cit.).
Les espèces des haies vives yambassa sont des
espèces à potentiel agroforestier. Voacanga africana a
l'avantage d'être intégré dans les agroforêts
à cacao du Cameroun. Ces espèces favorisent la restauration de la
fertilité des sols, apportent de l'ombrage aux cacaoyers proches au
même titre que Ceiba pentandra et Bombax buonopozense,
jouent un rôle de
5Bidzanga Nomo et al., 2009. Mycotrophie
et fertilisation dans les agroforêts et connaissances paysannes des
essences fertilitaires dans les agroforêts à base de cacaoyers du
sud Cameroun. Cameroon Journal of Experimental Biology 2009 Vol. 05 N°
02, 79-86.
105
brise-vent et constituent des habitats pour faune. Leur
exploitation entraîne également une légère
modification de la biodiversité floristique.
Photo Youta Happi, 2013
Photo 18 : Au coeur d'un bosquet implanté entre
les haies de Ceiba et de Bombax à Yambassa
Lorsque les haies se sont implantées
définitivement dans les savanes, les populations ont d'abord
aménagé des palmeraies derrière le rideau d'arbres
(Beauvilain et al., 1985). Au début du 20e siècle, les
agriculteurs ont aussi déployé des plants de cacaoyers aux
mêmes emplacements. Plus tard, les savanes ont été
éliminées et remplacées par des agroforêts à
base de cacaoyers, de palmier à huile et de fruitiers. Ailleurs, tous
les espaces non aménagés en champs et plantations sont
systématiquement envahis par des bosquets.
IV.1.2. La poursuite de la sélection et de
l'introduction des essences utiles IV.1.2.1. L'enrichissement de la
biodiversité
Les arbres associés aujourd'hui aux haies vives ont
entraîné la dispersion d'autres espèces de plantes.
L'enrichissement direct se traduit par la culture des essences à bois
précieux et des fruitiers. Les fruitiers en particulier donnent des
aliments, non seulement aux hommes, mais
106
aussi aux animaux et aux oiseaux (figure 27). A leur tour, les
arbres pionniers qui se sont installés opportunément à
l'instar des Ficus, constituent des pôles d'attraction pour de
nombreux oiseaux et mammifères comme les chauves souris qui s'y posent
pour consommer leurs fruits ou simplement pour nicher. Au passage, leur
déjections et fientes qui comportent des graines et semences contribuent
à la dissémination d'autres espèces dont ils ont
consommés les fruits ailleurs.
IV.1.2.2. Le rôle des espèces auxiliaires
des haies vives
Les autres espèces des murs vivants sont en grande
partie les espèces forestières qui se sont
développées à l'ombre de Ceiba et
Bombax. Sur le plan écologique 100% de notre échantillon
affirment que ces espèces jouent le rôle d'ombrage, de brise-vent
et de création des cacaoyers. D'autres ont des rôles
spécifiques. Il s'agit d'espèces à bois précieux
(Mansonia altissima ou bété, Triplochiton
scleroxylon ou ayous, Milicia excelsa ou iroko, Terminalia
superba ou fraké, Pycnanthus angolensis ou ilomba),
d'espèces produisant un bon bois de chauffage comme (Ficus
spp), d'espèces ayant une valeur rituelle et/ou médicinale
(Voacanga africana, Rauwolfia vomitoria), et d'espèces à
valeur alimentaire (Dacryodes edulis, Canarium schweinfurtii, Myrianthus
arboreus) (figures 27et 28).
Figure 27 : Les services écologiques et
économiques rendus par les arbres inclus dans les haies
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Ceiba pentandra
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|
Palmier à huile
|
|
|
Bombax buenopozen se
|
|
(Eters guineensis)
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·
|
Ficus spp
|
·
|
Arbres fruitiers
|
|
·
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Albiaia spp
|
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Axe d'alignement
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Sources: Relevés
|
·
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Autres espèces de la forêt dense
|
|
des haies
|
de terrain
|
Classe des diamètres
>100cm 70 à 100 40 à 69 20 à 39 5à
19
Figure 28 : La distribution de la biodiversité
sur le transect de Yambassa
108
|