Annexe 2 : Répartition géographique des
centres d'art contemporain
en France en 2015
![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme17.png)
Source : Association française de développement des
centres d'art
70
Annexe 3 : Interviews de six acteurs de la culture en
France
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Interview de Jérôme Delormas, Directeur de
la Gaîté Lyrique Réalisée le 12 mai 2015 au Foyer de
la Gaîté Lyrique
|
Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : Cela dépend vraiment du type
d'artiste et de la pratique. L'art et la création inventent des langages
et des formes. Je suis foncièrement formaliste. Il peut y avoir un
artiste extrêmement spéculatif qui va tellement loin dans la
création de formes et de langage qu'il créé une rupture,
quelque chose qui forcement prend une place particulière et
singulière dans le monde au sens des relations sociales. En l'occurence,
il peut y avoir des artistes qui n'inventent pas du tout au niveau formel mais
qui ont un message ultra impliqué, engagé voir politique
explicitement mais qui sont de très mauvais artistes. D'autres ont un
degré d'abstraction extrême et une pratique tellement disruptive,
tellement dans l'invention d'un nouveau monde qu'ils sont politiques.
Des artistes intègrent tellement le marché et la
notion de notoriété et de validation par les instances que
finalement ça devient plus important que la pratique. Ils
pré-répondent une attente et du coup ça devient
marketing.
71
La question de l'engagement explicite n'est pas le bon
paramètre. On peut être engagé dans sa tour d'ivoire comme
on peut être totalement mauvais dans son engament ne servir à rien
pour la société quand on est pseudo-engagé. On a plein
d'exemples avec les bouleversements politiques et écologiques : il y a
beaucoup d'artistes qui s'engouffrent là-dedans. On voit bien que c'est
parce qu'il y a un marché en terme de notoriété et en
terme économique.
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
R : C'est une vaste et éternelle
question qui englobe celle de la censure et de la liberté d'expression.
Je défend évidemment la liberté absolue et si l'art doit
avoir une fonction c'est celle de la liberté totale, sinon cette
fonction n'existe plus dans la société. Liberté totale
cela veut dire un imaginaire débridé, une capacité
à inventer. Certains régimes politiques ne s'y trompent pas : si
ils censurent c'est bien qu'ils y voient du danger. Si il y a danger, il y a
intérêt et cela a un impact sur la société.
Après, on a la chance de travailler non pas que sur des objets mais sur
avec de l'humain, et par rapport à la création contemporaine ce
sont des gens vivants que l'on peut rencontrer. Il y a alors l'aspect
éthique et moral qui rentre en jeu. Ce sont des citoyens comme les
autres. Je ne veux surtout pas sacraliser l'artiste, le mettre sur un pied
d'éstale. En tant qu'être social, l'artiste n'a pas tous les
droits et cela reste quelqu'un qui a des responsabilités. Une de ses
responsabilités peut être de revendiquer sa liberté
d'expression. A ce moment, il faut que cela soit complètement
assumé.
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Il y a des artistes qui ont l'impression d'exprimer une
liberté énorme et qui se font censurer mais avec un peu distance,
on se rend compte que c'était absurde. D'abord, ils n'étaient pas
si audacieux que ça. Ensuite, la censure est faite à mauvais
escient : elle s'applique au mauvais moment et sur des mauvaises choses. Par
exemple, la censure de l'oeuvre à Barcelone au MACBA qui a conduit
à la démission du directeur. Il y a eu contre lui un tollé
contre lui. Cette oeuvre, que j'ai vu en reproduction, ne bouleverse rien et ne
remet pas une seconde en cause un ordre social. A la Gaîté
Lyrique, on intègre la position du public. On travaille à part
égal la question du propos de l'artiste et la question de
l'expérience du visiteur. Un cas de conscience peut exister mais il n'y
a à priori aucune raison de censurer. On met des avertissements pour que
le public soit prévenue.
Q :L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : C'est vrai que la figure de
l'entrepreneur est assez proche de celle de l'artiste. Je n'en avais pas une
conscience aussi aigüe que depuis que j'ai fait un voyage en Californie
où finalement là-bas le concept même d'entrepreneur
culturel, concept qui nous est chère, et en particulier à la
Gaîté Lyrique, est un peu incongru. Cela nous renvoie à
notre position très française de mettre la culture dans une case,
comme si c'était un registre bien précis alors que finalement
lorsqu'on a une mentalité entrepreneuriale : l'entrepreneur est un
créateur. C'est aussi quelqu'un qui prend un risque absolu. Certains
artistes prennent l'entreprise comme sujet mais ce qui est vraiment
intéressant c'est la façon d'être au monde qui est
risquée et qui engage complètement la personne.
73
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : Il y a quelque chose que l'on ne doit pas
oublier. La culture, l'art et la création sont des productions sociales
pour être ensemble,pour susciter du débat, de l'expression et de
l'échange. On a tendance à l'oublier en sacralisant et en mettant
l'oeuvre d'art sur un pied d'éstale. Or, l'oeuvre est faites pour nous,
et non pour elle. En ce sens, c'est un vecteur social fondamental. C'est aussi
pour cela qu'il est très important d'avoir des lieux comme la
Gaîté Lyrique, notamment pour un lieu culturel qui se consacre,
qui problématise la question du numérique et de la
société numérique qui, à priori, pourrait aller du
côté du virtuel, de l'immatériel... Au contraire, ce n'est
surtout pas chacun devant son écran. On partage des expériences,
des espaces, de la musique, des expositions.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
R : C'est tout à fait cela. En revanche,
il n'est pas possible de commander aux artistes. L'artiste ne peut pas
répondre à une commande. Ce que j'aime entrevoir chez l'artiste
c'est cette capacité à pousser les logiques au bout et à
les distordre. C'est pour cela que beaucoup d'artistes intéressent des
grandes sociétés spécialisées dans la technologie
et dans les usages numériques. Les artistes vont détourner un
algorithme, un procédé bien lisse et ils vont aider
l'entrepreneur, le développeur ou l'ingénieur à aller
encore plus loin.
74
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : L'Esthétique Relationnelle,
théorisée brillamment par Nicolas Bourriaud, l'illustre bien mais
je me demande si celle-ci n'a pas été mise en oeuvre dans des
pratiques qui ne se revendiquent pas, tout simplement parce qu'il y a un
côté phagocitage. Quand un milieu est trop constitué, il
enferme les oeuvres même si elles sont disruptives. Comme le capitalisme,
d'une certaine manière. Cela avale et digère très bien.
L'Esthétique Relationnelle a principalement mise en relation des
artistes et des gens du milieu de l'art entre eux. C'est là que je
trouve qu'il y a une limite qui ne vient pas de la théorie mais d'un
milieu en auto-reproduction, d'un fonctionnement social.
Dans les années 90, Thomas Hirschorn avait fait le
choix à Bilbao d'en parallèle de sa résidence, de
s'installer dans un atelier pignon sur rue. Il fût assez
dépité car il avait envie d'échanger mais il n'a eu que
des clochards qui sont rentrés dans son atelier. Il n'a pas
réussi à toucher un large public. Cela n'a pas été
un lieu de relation sociale. Aussi, certains artistes ont mis en oeuvre un
partage de plats, d'alimentation dans l'Esthétique relationnelle. Cela a
été un indice de quelque chose qui est très fort : la
cuisine et l'alimentation comme faisant partie de la culture et comme
finalement la première et primordiale esthétique relationnelle.
Je fais un continuum entre toutes les pratiques sociales et la création,
il n'y a pas de rupture pour moi.
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Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Le numérique est un outil de
reproduction et de diffusion qui continuerait par certains moyens ce qu'on pu
faire la photo et la vidéo dans l'histoire récente.
Il y a également aussi l'aspect de l'art
numérique qui est un genre dont le milieu de l'art va s'empresser de
codifier, de créer une branche de l'art contemporain avec son
marché, ses critiques, ses lieux spécialisés. Ce qui est
honorable mais ce qui est limité et ne me satisfait pas. Je pense que la
révolution en cours fait exploser cela. C'est potentiellement la notion
d'art contemporain avec toute son histoire qui est remise en cause avec les
usages numériques d'aujourd'hui qui sont en tout cas
l'opportunité de rebattre les cartes. C'est aussi la position de la
Gaîté Lyrique de travailler à la
déhiérarchisation : détricoter des systèmes
hiérarchiques que l'on a créés dans l'histoire de l'art
jusqu'à aujourd'hui. Le concept d'art numérique va dans ce
sens-là. De nombreux artistes « numériques » sont
méprisés par le milieu de l'art et ne rêve que d'une chose
c'est d'être adoubé par ce milieu comme si il y avait une
hiérarchie. Or, il y a des malentendus là-dessus. A la
Gaîté Lyrique, nous essayons de casser les statuts en invitant des
gens hétérodoxes qui viennent d'ailleurs, qui n'attendent pas de
la Gaîté Lyrique un statut. Enfin, le numérique est une
occasion non pas de mimer ce que l'on fait dans l'art contemporain pour en
faire un genre nouveau au sein de l'art contemporain mais de se dire que tout
peut voler en éclat, qu'il y a de nouvelles manières de
créer, de nouveau types d'oeuvres, de nouveaux types de récits,
d'autres imaginaires qui ne sont pas antagoniste avec le passé. Plein
d'artistes qui utilisent l'outil numérique finalement
76
se reposent et nous renvoient à des questions
ancestrales. Prenons l'exemple du jeu vidéo qui nous offre aujourd'hui
l'opportunité de se réaproprier le jeu comme
phénomène sociale et artistique. C'était un peu ringard
d'aimer jouer il n'y a pas si longtemps. Aujourd'hui, on peut être gamer,
un geek de jeu vidéo et aimer jouer aux jeux de plateau, aux
échecs etcÉ On l'a vérifié dans plein d'endroits
ici avec des projets d'artistes et de game designers. De plus en plus,
notamment les plus jeunes cousent plein de choses, croisent l'espace
réel, le rapport physique aux choses et le virtuel, le numérique.
C'est aussi le cas avec le phénomène des fab labs qui renvoient
à des pratiques ancestrales de fabrication. Si on prend l'exemple du
designer François Brument qui expose ici dans le cadre de l'exposition
Oracles du Design, il a conçu des algorithmes qui permettent de produire
une forme qui est numérisée sur un ordinateur lorsque vous
soufßez. Ensuite ces formes sont imprimées en 3D. En l'occurence,
ce sont des vases. A terme, avec l'avancée de la technologie, on pourra
les imprimer non plus avec de la matière synthétique mais avec de
la terre. On pourra donc faire de la céramique comme les techniques
traditionnelles mais dans un processus ultra contemporain et très
sophistiqué. Ici, l'art contemporain n'a pas d'importance. Ce n'est plus
la question.
Concernant la vente d'objets d'art sur Internet, je ne pense
pas que cela soit un danger pour les galeries. Elles seront
intégrées ces dimensions. Comme toujours dans ce
domaine-là et en particulier dans le commerce, on a toujours
intérêt à multiplier les points de vente et la
visibilité étant donné que ça développe de
l'intérêt. Je pense qu'actuellement le marché de l'art
numérique est en train
77
d'émerger, mais de ce fait une galerie qui aurait un
artiste numérique a tout intérêt
à s'associer à des plateformes.
Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels des
lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?
R : Il y a une nécessité absolue
de lieux de vie culturelle comme la Gaîté Lyrique : des lieux de
vie sociale à l'ère numérique.
Q : Pourquoi la diversification des formes de
dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont
nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et
des territoires investis ?
R : On retrouve ici la question de la
démocratisation culturelle. Question qu'un Thomas Hischorn a
plutôt bien géré mais ils sont rares les professionnels du
monde de l'art qui réussissent cela. Qui dit démocratisation de
la culture, cela présuppose qu'il y a quelque chose à rendre
accessible. Or, ce quelque chose, qui décide de cette valeur-là
symbolique ? Ce sont toujours les mêmes. Par exemple, le Centre Pompidou
Mobile amène les oeuvres d'art dans des territoires : c'est un bon
sentiment mais quel message veut-on faire passer ? Est-ce que cela veut dire
que ces gens-là n'ont pas de culture ? Or, ils ont une culture. Tout le
monde a une culture : simplement certaines sont valorisées et d'autres
non. Je sais bien que la société classe mais il faut se battre
contre cela. C'est quelque chose que les outils numériques peuvent
apporter : un partage des savoirs. Au Japon, il existe des
78
quartiers où il existe une université
communautaire où chacun s'échangent ces savoirs. C'est le
paradigme numérique qui permet cela.
Nier le fait que tout le monde ait une valeur, politiquement
c'est inacceptable. Il faut être cohérent : si l'on montre un
Malevitch ou un Mondrian en banlieue, en quoi cela est plus légitime
qu'un concert de rap ou autre chose ?
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : Le paradigme numérique apporte la
collaboration et l'interdisciplinarité. Ce dont on se rend compte
à nouveau c'est que l'innovation, l'invention, la création
n'émergent pas tout à fait là où on le pense, en
tout cas pas en milieu pur. Toute l'histoire prouve en terme d'innovation que
c'est est un phénomène fortuit. C'est parce qu'il y a eu
transposition, qu'il y a eu discussion avec quelqu'un dans un champ qui n'a
rien à voir, qu'il il y a eu emprunt et analogie avec un autre secteur.
La rencontre fortuite est fondamentale et cela est aidé par des
conditions pluridisciplinaires. A la Gaîté Lyrique, en mettant
sous le même toit des entrepreneurs de start-ups, des artistes de toutes
les disciplines, des chercheurs, des scientifiquesÉ c'est se dire
qu'à un moment donné il y a des connexions qui se font et que
l'on avait pas nécessairement pré-conçues ou
imaginées. On sait simplement que les conditions sont réunies.
Q : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
79
R : J'aurais une position assez pragmatique
là-dessus. C'est toujours bien qu'une société plutôt
que de détruire systématiquement son patrimoine et reconstruire,
c'est mieux de transformer ce qu'elle a produit. C'est un potentiel où
l'on aurait tort de se priver. En revanche, il ne faut pas le sacraliser. J'ai
rencontré des collectivités et des élus qui ont en charge
un patrimoine industriel considérable et veulent en faire absolument
quelque chose. Parfois, il ne faut pas non plus se forcer. Ce n'est pas parce
que c'est trop grand à utiliser : comme el Matadero à Madrid qui
est un lieu extraordinaire mais c'est objectivement trop grand. Il faut donc
savoir réutiliser du patrimoine et la Gaîté Lyrique en est
un très bel exemple, mais il faut avoir aussi cette audace de
détruire pour refaire du neuf. Dans certains pays comme au Royaume-Uni,
il y a une générosité architecturale plus importante alors
qu'en France on est un peu timoré.
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou des ateliers
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Il y a une condition : celle d'avoir une
conception assez large de l'artiste qui englobe le designer. Il y a un
parallèle car ils sont tous dans une spéculation et dans une
passion, à corps perdu. Les grands scientifiques ont souvent des
attitudes communes aux grands artistes.
80
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Le design est un champ immense. Il y a
beaucoup de polémiques et de discussions sur ce qu'est le design. J'ai
une acception assez large et anthropologique. Je vois qu'on est dans une
société où la plupart des objets que nous utilisons sont
le fruit d'un double-processus : de dessein et de dessin. Nous sommes de plus
en plus dans une société interfacée et le rôle du
design est cette fonction qui fait qu'on est au monde d'une certaine
manière et pas d'une autre. Cela met le design au centre et partout.
Après, il y a des modes de production et des formes du design qui sont
très hétérogènes les unes des autres. Cela fait
tout le merveilleux et toute la chaire du design : il y a le design graphique,
le webdesign, le design d'objets, le design de modeÉCette
diversité est fabuleuse mais cela reste finalement un même
processus mental et un processus de création de même type. En
vérité c'est un enjeu de pouvoir. C'est un enjeu politique
phénoménale. En témoignent les Iphones qui sont des purs
produits de design dans le hardware comme dans le software. Les
péripéties, les discussions sur « est-ce de l'art ou non?
» n'a à vrai dire peu d'importance. Ce qui est important c'est
l'enjeu autour de ces outils numériques : le code devient un langage de
pouvoir. Ce langage, les artistes se l'approprient comme ils se sont
appropriés les autres.
81
![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme19.png)
|
Interview de Michel Muckensturm, Administrateur
généréral de l'IRCAM Réalisée le 22 mai 2015
à l'IRCAM
|
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou des ateliers
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Pierre Boulez est un artiste fortement
engagé dans la cité. Il a créé l'IRCAM et il
cherchait à créer des matériaux nouveaux. En ayant une
formation d'ingénieur et de mathématicien, il souhaitait utiliser
les techniques modernes pour accroître l'expressivité du langage
musical. Il a rencontré Georges Pompidou qui avait aussi une certaine
vision. Il y a une démarche politique de certains artistes à
certains moments mais ce type d'artistes restent rares. L'IRCAM est un des
rares lieux où il y a la fois des chercheurs scientifiques et des
créateurs.
Si l'on prend l'exemple de l'Opéra dans l'Italie de la
Renaissance, ce fût un laboratoire, des expériences de princes :
un mélange à la fois technique et artistique. L'IRCAM est
contruit sur ce modèle L'objectif de l'IRCAM est d'avoir des artistes
qui ont des préoccupations particulières, à priori ce sont
plutôt des artistes musiciens et d'avoir un dialogue compétitif
avec des scientifiques qui sont
excellents dans leur domaines. L'objectif est de coordonner le
développement scientifique pour accroître le langage artistique.
C'est un mécanisme difficile à incarner. Souvent on fait des
choses par analogie, on s'inspire de l'astronomie, d'Einstein ou de je ne sais
quoi, mais il n'y a pas de vrai démarche commune qui va concourir
à créer quelque chose de nouveau dans le temps. Or, à
l'IRCAM, on est plus proche du Bauhaus où il a les dimensions techniques
et artistiques dans le même lieu. Une véritable cohabitation n'est
pas simple. L'artiste a un processus qui lui est propre et des
préoccupations : l'urgence de sa création, la pièce
à venir. Or, le chercheur scientifique lui veut faire avancer la
science. Il est dans une idée de généricité. Tout
nourrit sa problématique mais il a l'éternité devant
lui.Il est ouvert à tout nouveau paradigme ou à
l'amélioration de son paradigme. L'artiste a lui besoin d'être
à telle heure à un concert ou à une exposition et doit
voir son oeuvre fonctionner. Pour l'IRCAM, ce dialogue s'incarne
véritablement dans l'outil technologique et en particulier dans les
logiciels. Les chercheurs scientifiques vont développer des algorithmes
particuliers et vont essayer de répondre aux sollicitations à la
fois des artistes mais aussi aux problématiques générales
de leur secteur qui concernent différents champs scientifiques : de
l'acoustique instrumental à la spatialisation de l'espace. Le pont entre
l'artiste et le scientifique se fait par le logiciel. C'est la manière
par laquelle l'innovation pourra s'incarner dans quelque chose de plus
générique qui va dépasser l'oeuvre artistique du
créateur.
82
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
83
R : A l'IRCAM, on invente des paradigmes de
programmation informatique. l y a une vingtaine d'années, la
confrontation d'artistes et de scientifiques a donné lieu à la
création de MAX MSP utilisé maintenant par tous les artistes :
à la fois musiciens, plasticiens, ceux qui fonts des installations
vidéos et qui cherchent à travailler avec l'interactivité
d'événements séquentiels. C'est un langage qui permet
l'écriture d'événements temporels : que ce soit des notes
de musique ou des mouvements de danseur. C'était pour répondre
à un besoin scientifique d'un artiste, à l'époque Philippe
Manoury. C'est peut-être par accident car ce n'est pas la
préoccupation première de l'artiste qui souhaite avant tout
sortir son oeuvre mais cela peut donner lieu à de l'innovation d'usage,
l'innovation produit dans des univers beaucoup plus larges. La
spécificité de l'IRCAM est de faire travailler des musiciens qui
jouent en live sur scène avec des phénomènes
électroniques qui varient en fonction du jeu. Ce sont des
problématiques de langage informatique aussi complexes que celles dans
l'industrie spatiale. Ce sont des phénomènes de synchronisation
que vous trouvez également dans l'industrie de l'armement. Où va
se déplacer la trajectoire prédictive du missile et non de la
note ? On est sur un travail où des gens dans l'IRCAM vont enrichir par
leur travail la problématique de l'aéronautique, du
contrôle de trafic aérien et celle du musicien. La volonté
initiale est de gérer un événement artistique mais cela
participe à des recherches pour une communauté scientifique qui
peuvent donner lieu à de l'exploitation de logiciels.Ce mécanisme
vient quand même du besoin créateur. Les scientifiques se
nourrissent de la demande artistique qui a des requêtes d'usage. Ce n'est
pas une demande de "proof of concept" dans un laboratoire. Il y a un
défi qui est de faire
84
fonctionner l'expérience devant un public. L'IRCAM
valorise aussi des objets ou des logiciels. Par exemple, sur le suivi des
partitions, on fait des recherches et on développe avec une start-up un
karoké amélioré. On pourra disposer en jouant au piano
dans son salon d'un logiciel qui va permettre à l'orchestre virtuel de
s'adapter à votre allure. Dans la musique électronique, la
première phase de l'IRCAM était de construire du hardware pour
créer des oscillateurs. Le hardware servait aussi au Ministère de
la Défense.On a aussi depuis 15 ans, une équipe de recherche qui
travaille sur la description qualitative de genre. On a signé un contrat
avec UNIVERSAL MUSIC pour améliorer leurs recommandations d'utilisateurs
en fonction de l'atmosphère et de sonorités en élargissant
les genres de musique. Il y a aussi DASSAULT, plus grande SSII
européenne, qui propose Catia un logiciel 3D de conception industrielle.
L'un des points qui est ressorti est que lorsqu'ils ont sorti le Dreamliner
d'Airbus, les clients avaient peur du fait qu'il n'y ait pas de bruit. Ce sont
les musiciens qui peuvent créer de la synthèse sonore. Pour
l'artiste, ça lui permet de modéliser des matériaux avec
du son. C'est quelque chose qui intéresse l'industrie.
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : A l'IRCAM, on travaille également
avec l'industrie pour véhiculer des informations particulières
qui permettent un rendu particulier. On travaille avec des médecins, des
neurologues par exemple pour soigner les acouphènes. Le patient
85
peut rééduquer son cerveau afin de diminuer la
douleur. On est bien dans la pluridisciplinarité.
Q : En quoi l'artiste nourrit-il
l'innovation, susceptible d'aider le développement humain ?
R : Ce sont des produits
dérivés de la création artistique qui peuvent trouver des
applications. Il y a beaucoup de pistes de relations science - art qui n'est
pas une incarnation purement d'analogie. Cela a un impact et c'est une source
d'innovation.
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : Le public, lorsqu'il vient à
l'IRCAM, c'est pour un spectacle. Lorsque vous êtes dans un restaurant 3
étoiles, vous venez pas pour avoir la recette. La démarche du
public est différente. C'est la relation à l'oeuvre d'art qui
intéresse le public.
Les arts plastiques ont réussi à faire penser
qu'ils sont prédominants sur le reste des arts. La musique vous impose
sa propre temporalité alors qu'un tableau on peut penser le saisir en
une minute. Pour l'immersion, tout dépend du propos de l'artiste.
L'IRCAM collabore avec le CNRS et le laboratoire Pierre Marie-Curie mais a
aussi une dimension de transmission. On héberge un Master en science
appliqué à la musique et on a aussi un doctorat en composition.
On organise aussi des résidences recherche-création. On a aussi
développé dans Live de Ableton, IRCAMAX un outil qui permettre
d'acroître l'expressivité électronique. Parfois, le
86
laboratoire créé et demande aux artistes
d'appliquer lors de performances. Le 21 juin 2015 pour la fête de la
musique aura lieu avec la musicienne électronique Chloé . La
place sera insonorisée et les smartphones du public vont interagir avec
l'artiste. Il y aura aussi un concert prévu en décembre avec
Rone.
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Avec l'école des Beaux-Arts du
Mans, on a créé une filière de formation en design sonore
et on a aussi une équipe spécialisée dans ce domaine.
Autant le design visuel existe, autant le design sonore n'est pas très
développé. L'outil Pantone n'est pas disponible pour les sons.
Cette équipe travaille la manière de qualifier les
différents sons. On a ainsi travaillé avec RENAULT sur leurs
véhicules électriques. Les véhicules émmettent un
signal qui caractérisent leur marque. Le son devient alors un outil
marketing pour véhiculer un message. Cette équipe est plus dans
une situation anthropologique : je regarde et je qualifie ce qui se fait. Je ne
suis pas dans l'aide à la création immédiate. On est plus
proche d'un design industriel.
87
![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme20.png)
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Interview de Thibault Duchesne de Lamotte Artiste,
Graphic Designer & Fondateur du Prism Collective
Interview réalisée le 12 mai 2015 au
Louvre
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Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : Il y a plusieurs types d'artistes dans
l'art contemporain. Il y a ceux qui veulent choquer pour choquer. En tant
qu'artiste, j'essaye de m'éloigner du message du publicitaire. Je
préfère un process plutôt qu'une interrogation. J'aime
cette idée de mystère et de recherche et peut-être que
chacun peut trouver une portée plutôt qu'un message.
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
R : Je ne considère par l'artiste
comme un super-citoyen où quelqu'un qui échappe à la
société. Il critique la société mais il s'expose
aux conséquences. Le meilleur moyen d'exacerber des problèmes
c'est de se confronter aux limites de la société. Il
n'échappe pas aux conséquences de ces actes. Si il n'y avait
aucune
88
conséquences en tant qu'artiste, l'acte ne servirait
à rien. On n'a pas à légitimer une action ou avoir plus de
droit au nom de l'art.
Q : L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : On a tendance à considérer
l'artiste comme quelqu'un qui échappe aux principes de la
société mais il y a tout une organisation autour de l'artiste.
Aussi, l'entrepreneuriat est un acte créatif en soi. Un artiste devient
une société car c'est une marque.
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : Un des problèmes majeurs qu'on a
aujourd'hui c'est la fracture sociale. On essaye de retrouver des
schémas de société pour gommer tout ça. Or, l'art a
une portée « universelle » et pourtant il est sujet à
alimenter cette fracture car cela alimente une certaine élite autour
d'un projet artistique. Il y a toujours des courants et des contre-courants. En
contrepartie, il y a au niveau des musées, une ouverture avec des
happenings, des festivals et une volonté de gommer cette image qui
ternit le milieu artistique aujourd'hui.
Q : En quoi les réflexions
amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la
construction individuelle ?
R : L'art en soi il y a quelque chose qui est
à prendre et pas nécessairement accessible. On ne va pas en faire
de l'entertainment où l'on rabaisse le contenu. A
89
force de vouloir tout démocratiser, on rabaisse le
contenu et la qualité. Au cinéma, il y a une baisse de
qualité, une démarche commerciale. Or, sur la scène
artistique, ce que je souhaite c'est de proposer un contenu de
qualité.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
R : C'est un peu fort de parler de
responsabilité de l'artiste. Il y a aussi une responsabilité des
philosophes et des sociologues. L'artiste est là pour apporter une
vision personnelle. Est-ce qu'il doit montrer un modèle ou reprogrammer
? Je ne sais pas. C'est plutôt un collège de différents
acteurs de la société qui peut proposer des alternatives.
L'artiste en lui-même propose une vision. Je ne suis pas sûr que
ça soit le rôle de l'artiste. Il amène à une
réflexion, à un état. Le philosophe aura une vision plus
universelle alors que l'artiste qui va avoir une vision plus personnelle.
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : Il y a une différence notable
entre les années 90 où il n'y avait plus d'esthétique.
Aujourd'hui, on ré-infuse de l'esthétique mais avec une pratique
qui reste relationnelle. Notamment grâce avec les installations
vidéos, on est dans l'immersion.
Concernant ma pratique, j'envisage l'oeuvre comme un
questionnement. J'invite le spectateur à une promenade intellectuelle
qui de fait le rend acteur mais non sujet.
90
Le spectateur donne sens à l'oeuvre. C'est faire
l'expérience de l'art qui importe. On peut amener à une forme de
contemplation. La passivité face à l'art, c'est un des axes
majeures de l'artiste contemporain.
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Le numérique change la donne.
L'art sort de la galerie. Il y a un écueil en revanche avec les
installations photos : on peut avoir vu quelque chose sans l'avoir vécu.
On peut perdre en substance par rapport à une oeuvre. Il faut être
vigilant par rapport à ça lorsqu'on « consomme » l'art.
L'action derrière un écran va aplatir. Dans la pratique
artistique, on tend à sortir du cadre du tableau et on retombe
derrière un cadre : celui de l'ordinateur.
Cela donne un outil puissant à l'artiste. On peut
envisager des pratiques mais cela tâtonne énormément. Cela
laisse un champ assez vaste pour l'artiste pour envisager le rapport au
public.
Ensuite, c'est aussi un média de diffusion. Avec la
révolution douce qui a touché la communication, on envisage
encore les ordinateurs comme des pages. La transition ne s'est pas encore faite
par rapport aux médias. On va peut-être trouver la vraie
utilisation par des pratiques expérimentales.
Q : Pourquoi la diversification des formes de
dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont
nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et
des territoires investis ?
91
R : Le rayonnement culturel dépend de
la « classe créative » qui a un rôle prédominant
dans notre société.
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : Il y a eu de tout temps des collectifs
artistiques, de la collaboration mais aujourd'hui on a peut-être avec les
réseaux sociaux, il y a eu plus de communication autour des collectifs.
Le processus créatif à partir du moment où il est
confronté à différentes idées a tendance à
être enrichi.
Un collectif de peintres va pratiquer avec le même genre
d'idéaux mais pas le collectif pluridisciplinaire. L'artiste gagne en
humilité à travailler en collectif car c'est le fait d'assumer
que le musicien a son expertise à apporter en tant que musicien et que
l'artiste n'a pas nécessairement la réponse à tout,
même techniquement.
Q : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
R : Un collectif d'artistes qui prend
possession d'un hangar ce sont des questions financières. Il y a un
espace de création et d'exposition potentielle à prendre, des
espaces en friche. Cela décentralise les pôles culturels. Ce sont
des lieux périphériques. De tout temps, il y a eu ça :
c'était Montparnasse avant, Montreuil aujourd'hui.
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Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Historiquement, le scientifique et le
philosophe sont les mêmes. Il y a un cheminement philosophique
très fort. Il y a beaucoup d'artistes qui s'intéressent à
la science. Caroline Corbasson s'intéresse à des
phénomènes géologiques et spatiales. Il y a un
rapprochement scientifique qui est évident. Ses thèmes sont les
terres à prendre, la dimension inconnue. L'étude de la couleur
est un aspect scientifique. La pratique artistique implique une pratique de la
chimie. Le peintre est un chimiste : il y a un mélange de couleur, de
pigments.Il y a également des installations qui s'intéressent
à l'énergie, à la géométrie. Je pense ici
à l'exposition sur Takis qui s'intéresse au
magnétisme.C'est l'image tout public qui a changé. On a
oublié le scientifique qui a « l'intuition créative ».
Il y a en réalité deux territoires : l'inconnu et le connu.
Q : En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation
des industries créatives ?
R : L'art contemporain est la base
expérimentale pour ce qui deviendra plus commercial. Beaucoup de
campagnes publicitaires s'appuient sur des oeuvres d'art contemporain. L'art
contemporain infuse le paysage culturel et on va le retrouver dans les
industries créatives.
Le cinéma d'avant-garde a totalement inspiré le
cinéma grand public. Ainsi, les films expérimentaux de Jean-Luc
Godard ont inspiré tout une génération au cinéma.
La pratique expérimentale donne lieu à de nouvelles
idées.
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Q : En quoi le design apparaît comme une
solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Le designer n'a pas les mêmes
questionnement que l'artiste. Dans le design, il y a un produit qui tend
à être multiplié et distribué.
L'artiste soulève des questions tandis que le designer
solutionne.
L'art contemporain va aussi infuser le design qui à son
tour va infuser la société dans son ensemble. Je pense aussi que
le design est une pratique à part entière.
![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme21.png)
Oeuvre de Thibault Duchesne, Float, 2014
94
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Interview de Beth Scaccia
Membre de l'association californienne Freespace
Réalisée le 11 mai 2015 sur Skype en anglais
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Q : Does the artist need to think about the
impact of his message while creating ?
R : Each artist is different. Sometimes
artists do have a specific message in mind that they want to transmit but I
think the purpose of art is to brighten through expression and a way to channel
our emotions into something more positive. It is important that we have the
opportunities to create without focusing so much on the outcome. For example,
in Tibet, monks made sand mandalas during weeks and afterwards they completely
destroy it. It is much more about the process of creating art than about the
end product.
However, artists are also suppose to market themselves and to
sell their work.
Q : To what extent the artist has the right
to be irresponsible in the name of the freedom to create ?
R : Art is a great way to draw attention to
social issues, it is a nice vehicle for that. We need art for that reasons : to
questions our beliefs and just to be critical, to look at thing for another
perspective. It is also essential to democracy.
Q : Does an artist, with his willing to
change society, share the same mission as a social entrepreneur ?
R : These two figures can be similar. Some
people just want to create art for themselves. I know some artists that do not
share their work, it is not their goal to share their goal with others. It is
just to deal with their emotions. Art can have many different uses.
Q : Why the art expriment is essential for the
individual construction ?
R : Arts and culture attract and bring people
together.
Q : Do you think the artist fight against bad
consumerism habits and propose a new way to exist ?
R : If you look at the festival Burning Man,
it is definitely a criticism of the consumerist society. Artists believe in
de-codification. Even with Freespace, our devise is « no ego, no logo
». Some artists do have a big ego to create but in Burning Man, there are
10 principles and one is the gift principle. We don't exchange any money. It is
a criticism of capitalist principles and also a way to find alternatives.
Q : How the numeric revolution change the way
people are « consuming » art ?
R : It is a tool for the artists to sell an to
promote their work. It allows collaboration.
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Q : What make cultural places a tool to build
community ?
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R : What makes a place special is culture.
When people share a part of themselves, that's the currency that creates
community.
Q : Why the recent development of festivals
and Outside the Walls exhibitions participate to the radiance of cultural
institutions, artists and territories ?
R : We don't have any mobile museums that I
am aware of in California. Museums are important as social components as they
attract people. It also creates community.
Q : What do you think of the transformation
of old industrial places into artistic places ?
R : Artists have to move to places with very
low rent. It provides opportunity to have a place. I know a project from
Detroit : the Garbage Man. In Detroit, they do not have any recycle program and
the Garbage Man started to organize in a warehouse a place to create things
from recycling products. This recycling center is all citizen-driven and the
founder Matthew Naimi is providing a service that the state is not. Many events
with arts and music are now happening there. I think again it is an example of
a place where there are tools to create and to make art.
Q : Do you think that connexions between
science and arts are important to decompartmentalize these domains ?
R : Before we were living in a time where all
was about specialization. Now we see that all the different disciplines are
related and how many connections there are
between them. For me, Freespace is an example of this idea :
this is a place that is not specialized to artists or scientists. All people
can come and share with each other. We believe that this is where magic
happens. In Paris, we made an event : a fashion hackaton. That was designed by
an engineer together with a fashion designer. It worked well : both the
structure of the engineer and the creativity of the fashion designer.
Q : To what extent the design thinking is a
solution so as to combine technicality, arts and society ?
R : The design principles themselves are
directly combining all these knowledge together. It is kind of an hybrid
process.
![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme23.png)
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Logo & devise de Freespace
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![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme24.png)
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Interview d'Alexandre Gain-Chabbert Administrateur du
Wonder à Saint-Ouen & de l'Amour à Bagnolet
Interview réalisée à l'Amour le 14
mai 2015
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Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : Je suis pour une liberté totale.
En même temps, je souhaite que les expositions que j'organise à
l'Amour soit accessibles. Un verre d'eau sur un tabouret peut transcender
quelqu'un qui a fait 10 ans d'études d'art. Si on expose dans un centre
de quartier, c'est dommage de faire de l'art minimaliste.
L'accessibilité de la production est un point important. L'artiste doit
réfléchir aussi à la visibilité
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
R : Ce n'est pas le rendu qui est important.
La forme peut choquer mais ce qui compte c'est l'intention de l'artiste. Il y a
des artistes qui sous couvert artistique vont vouloir choquer. Le
problème est que ce n'est pas évident à déceler.
Deux performances identiques peuvent partir de deux intentions très
différentes. Même si l'intention de départ est juste avec
une pensée bien ficelée, il y a des
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performances. A titre personnel, je fais du street-art qui
peut choquer des gens mais mon intention est surtout de faire rire.
Q : L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : L'entrepreneur fait un pari. Il part
d'une idée pour faire une carrière. L'artiste, lui, fait une
carrière sur sa production, sa personne. Faire une carrière
artistique c'est entreprendre. Dans le fond c'est la même chose et dans
la forme ça diffère.
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : D'après moi, la majorité
des artistes n'en ont pas conscience. Ce sont plus aux organisateurs d'avoir
cette conscience. Je ne vois pas quel type d'oeuvre d'art peut créer du
lien social.
Q : En quoi les réflexions
amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la
construction individuelle ?
R : J'ai travaillé pour une
association qui s'appelle Synesthésie et qui organisait une exposition
d'art contemporain à Saint-Rémi. Les oeuvres étaient
incompréhensibles et non lisibles pour le public.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
100
R : Si on prend l'exemple de Jeff Koons au
Centre Pompidou, c'est intéressant car c'est tout à fait dans un
cadre et un public qui sera touché par le message. Tandis qu'exposer
Jeff Koons en banlieue, eu égard la consommation des gens, cela n'aurait
pas de sens. La puissance de l'art contemporain est que les installations et
les performances sont un langage direct et peuvent changer des vies.
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : Cette immersion est récente dans
l'histoire de l'art. On arrive sur la fin du format académique, du
« white cube ».
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Internet a donné un élan
à beaucoup de choses, notamment au street-art. Le numérique a
aussi permis le développement des logiciels de musique comme Ableton et
les logiciels de retouche de photos. Cela oblige l'artiste à aller plus
loin dans sa technique pour se différencier.
Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels
des lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?
R : Il y a aussi des lieux qui créent
du lien entre les artistes. Le problème est encore une fois
l'accessibilité du contenu. Il y a des inégalités de
capital culturel et social.
101
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ? Dans la forme, on fait pareil qu'une fondation qui a beaucoup de
moyens. A l'Amour à Bagnolet, on occupe un bâtiment qui est
abandonné depuis 27 ans. Si on n'occupait pas ce bâtiment, il
serait resté vide pendant longtemps avant d'être détruit.
Je trouve légitime d'en faire une galerie d'art et un lieu de vie pour 8
personnes. Dans le fond, c'est encore l'intention qui compte. C'est bien quand
c'est un bâtiment qui n'avait pas d'utilité sociale.
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Je connais par exemple Guillaume Coerno
qui fait de la science en galerie. Dans la cité de la science et de
l'industrie, il y a aussi un fab lab.
L'artiste, comme le scientifique, essaye de créer ce
qui n'existe pas. Dans la science, dans la biologie, il y aussi une
esthétique, une beauté qui est presque du domaine artistique. En
même temps, parfois il ne faut pas absolument mélanger des
domaines opposés pour dire qu'on les mélange. Ca serait comme en
musique mélanger le rap et le métal.
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
102
R : Le design c'est de l'art fonctionnel, au
service de la personne lambda. La technique devrait être le point de
départ de toute pratique artistique. On développe une technique,
on part de l'artisanat, d'un matériau (le bois, le métal) et de
temps en temps on va faire de l'art. Qu'on soit artisan de la matière,
de la lumière etcÉ
Les designers acceptent leur côté artisan et le
côté fonctionnel de leurs produits. C'est une voie respectable
à suivre : repenser l'objet de tous les jours et le rendre plus simple.
Au sein même du design, il y a des designers artistes qui vont oeuvrer
pour le beau et des designers plus industriels qui vont chercher la
fonctionnalité avant tout.
![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme25.png)
Vue du Wonder à Saint-Ouen
![](La-responsabilite-sociale-de-lartiste-contemporain-et-la-creation-artistique-comme26.png)
Interview de Michèle Broutta
Galeriste & éditrice
Réalisée le 22 mai à la Galerie
Michèle Broutta
103
Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : La pratique artistique c'est choisir une
voie d'expression de vie personnelle à travers une expression
artistique. Il y a le peintre-sculpteur, le musicien, celui qui
créé quelque chose mais aussi ceux qui font de la relation. Ceux
qui se servent de la culture pour éduquer les autres, pour partager.
En ce qui concerne l'artiste, l'oeuvre sort de lui. La
conscience il peut l'avoir après. Je suis sûr que les grands
artistes, comme Picasso ou Duchamp par exemple, ne choisissent pas. Ils ont
été porteurs d'un message mais on s'en rend souvent bien compte
après. Ils ont réussi à développer ce qu'ils
avaient à dire parce qu'ils sont passés avec beaucoup
d'humilité par un travail que l'on pouvait juger artisanal. Je ne pense
pas que l'artiste doivent conscientiser son message. Les artistes ont la foi
mais je ne sais pas si ils ont la conscience de ce qu'ils font.
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
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R : L'artiste, si il fait ce qu'il sent qu'il
doit faire, n'est pas responsable de la réaction des autres. Qu'il en
tire des conséquences et qu'il soit influencé par une mode ou par
un aspect plus plubicitaire, mais ce n'est pas lui qui peut juger de cela.
Q : L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : Il aura un impact sur la
société si c'est un grand artiste. Je pense que l'artiste et
l'entrepreneur sont complémentaires. Ce qui est extraordinaire est le
cas où l'artiste rencontre l'entrepreneur. Je pense ici au cas de
Giacometti dont le frère était entrepreneur. Il faut qu'il y ait
quelqu'un derrière un artiste pour sortir l'artiste qui est trop
focalisé sur le perfectionnement de son oeuvre. L'artiste ne doit pas
être dans le mimétisme par rapport à un entrepreneur. C'est
lui le créateur.
Par exemple, Brancusi a apporté un regard neuf sur la
sculpture. Durant la première partie de sa vie, jusqu'à 40 ans il
a été véritablement artiste. Mais ensuite, il a
arrêté de créer à 40 ans et a su faire valoir sa
création de lorsqu'il était jeune.
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : La politique ne devrait jamais oublier la
faculté de la culture à réunir les gens. Un monarque comme
Frédéric II l'avait compris.
Q : En quoi les réflexions
amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la
construction individuelle ?
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R : L'artiste est en avance sur son temps. Il
donne aux autres le monde de demain. C'est pour cela qu'on ne l'entend pas, on
ne peut pas le comprendre.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
R : Vous appliquez votre intelligence mental
mais pas du tout votre intelligence du coeur. Un être humain c'est une
tête, une âme, un coeur et des mains.
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Grâce au numérique, bien que
ça soit la souris au lieu d'un crayon, ce qui est important est que
ça passe par la main. Le numérique est un outil qui permet
d'aller plus loin, de découvrir des langages et de faire des calculs. Je
serais très curieuse de voir des calculs sur le nombre d'or dans l'art
contemporain faites par un ordinateur.
Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels
des lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?
R : C'est la rencontre, la mise en commun
d'une même sensibilité sur une oeuvre. C'est un moyen
d'échange, que cela soit dans l'accord ou dans la guerre. La Cité
Radieuse du Corbusier à Marseille n'a été comprise que par
la suite.
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Q : Pourquoi la diversification des formes de
dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont
nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et
des territoires investis ?
R : Je vois ce qui fait dans le 15ème
arrondissement de Paris. Au fond, les politiques ne sont pas
intéressés. Ils cherchent bien souvent à faire en sorte
que l'on parle de ce qu'ils font. Si on veut changer quelque chose dans la
culture, il faut apprendre l'histoire de l'art et des religions. Ce sont des
bases que les politiques n'ont pas. En Italie, l'histoire du pays se fait
à travers la peinture. En France, on apprend plus l'histoire à
travers les batailles plutôt qu'à travers l'art.
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : J'ai fait des ponts entre
l'édition et le dessin,la peinture. On a aussi plusieurs artistes qui
lisent des poèmes lors d'expositions.
Q : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
R : Lorsque les artistes investissent des
lieux, ils les transforment. C'est particulièrement vrai avec le
street-art. On est dans une période tellement cassée que l'on
peut tout faire. Il ne faut en revanche pas confondre l'événement
et l'oeuvre d'art.
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Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Il y a des artistes qui se sont
inspirés de biologie, de l'étude de cellules. Beaucoup d'oeuvres
d'artistes s'apparente à de la science, ne serait-ce que par
l'observation. Je pense néanmoins que c'est surtout l'artiste qui puise
son inspiration auprès du scientifique et non l'inverse.
Q : En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation
des industries créatives ?
R : L'artiste est très créatif.
Il a un noyau autour de lui pendant les 10 premières années mais
il a une véritable influence souvent 50 ans après. Ce fut le cas
pour le sculpteur Alexander Calder.
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Le designer est influencé par
l'artiste, il a le regard de ce qui a été fait et entrepris par
l'artiste. Il faut que cela soit suffisamment nouveau pour étonner mais
aussi que cela soit reçu.
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