Edouard Vaudour
Directeur de mémoire : Florent Machabert Msc Creative
Business
La responsabilité sociale de l'artiste
contemporain et la création artistique comme outil de
développement économique
2
Résumé
« Le temps des artistes irresponsables est passé
». Cette formule d'Albert Camus est-elle une prophétie
autoréalisatrice ? Depuis lors, les artistes continuent à
défier les systèmes et à dépasser les limites des
cadres imposés. Mais paradoxalement il semblerait que la
responsabilité sociale de l'artiste soit de préserver son
rôle de chercheur de vérité et de liberté même
si il est à contre-courant des paradigmes existants et en
décalage avec son temps, car cette place est légitime. Cette
recherche est une source d'innovation et permet de repenser les manières
de se comporter et de modéliser la société. Le processus
créatif, formidable conception de l'esprit, est source d'innovation.
Grâce à son ouverture intrinsèque sur d'autres champs et au
fait qu'il ne se limite pas à une discipline, l'art a cette
capacité à s'intégrer à des domaines comme
l'entreprenariat ou la science. L'homme de l'art, au service de la
création, a alors toute sa place dans la Cité en tant que
dépositaire de la culture, langage qui relie les hommes entre eux.
3
Sommaire
PARTIE 1 : REVUE DE LITTERATURE
Introduction .Ép5
I Les rapports entre les pouvoirs politiques &
économiques et l'artiste : entre transgression, acceptation et
transfiguration
A. L'artiste engagé, pirate des formes sociales face au
pouvoir politique p10
B. Un lien ambigu avec le pouvoir économique et le
paradoxe de la notoriété p13
C. Les volontés politiques de ré-intégrer
l'artiste au coeur de la cité p16
II L'artiste contemporain face aux nouveaux
enjeux
A. Le rapport de l'artiste à la technologie à
l'heure du numérique p18
B. La création artistique face à l'engagement
civique p20
C. L'artiste comme entrepreneur social p22
III L'interdisciplinarité, la diffusion de l'offre
culturelle et l'accès au public
A. Le dialogue interdisciplinaire et les domaines connexes
d'application:
renouvellement et enrichissement du sens p24
B. Les formes d'accompagnement culturel et les lieux innovants
de création en
France p26
C. L'enjeu de l'élargissement et de l'accès au
public .p28
IV Le processus créatif au service du
développement économique
A. Le design à l'oeuvre .Ép30
B. La création artistique comme matière
première des industries créatives p32
C. La créativité au coeur du business p34
Conclusion p35
4
PARTIE 2 : CONTEXTE, HYPOTHESES & METHODOLOGIE
I Contexte p36
II Hypothèses de recherche .p38
III Méthodologie p40 PARTIE
3 : ANALYSE, DISCUSSION & RECOMMANDATIONS
I Analyse p41
II Recommandations .p64
Bibliographie p65
Sources p66
ANNEXES
Annexe 1 p68
Annexe 2 p69
Annexe 3 p70
Interview de Jérôme Delormas p70
Interview de Michel Muckensturm .p81
Interview de Thibault Duchesne de Lamotte p87
Interview de Beth Saccia p94
Interview d'Alexandre Gain p98
Interview de Michèle Broutta p103
5
A l'heure où la thématique de
Responsabilité Sociale de l'Entreprise est de plus en plus
présente dans les mentalités et dans la manière
d'appréhender les échanges économiques, où les
acteurs du marché ont de plus en plus conscience de l'impact
environnemental et social de leur activité et de la
nécessité d'une approche plus éthique du business, il
convient de s'interroger sur la position de l'artiste face à la notion
de responsabilité sociale. C'est bien dans un contexte de remise en
cause du capitalisme débridé que l'art apparaît comme liant
social de par sa capacité à générer du sens
collectif. Faire appel à la fonction sociale de l'art, c'est redonner
ses lettres de noblesse à la culture et lui reconnaître une
utilité sociale et un impact parfois difficilement quantifiable en terme
économique mais non moins important. La culture contribue en 2011
à près de 60 milliards d'euros du PIB français et à
2,5% de l'emploi national. (1)
L'appauvrissement du lien social remet en cause la nature
fédératrice de la société dont les changements
induits par la révolution numérique ne cessent de faire
évoluer les comportements. La souveraineté des rapports
économiques au détriment des rapports sociaux contribue
également au dénaturement des rapports entre les individus.
L'artiste aurait un rôle à jouer dans ce tissage de liens, ainsi
qu'une responsabilité qui lui est propre afin que son travail enrichisse
non seulement le patrimoine culturel mais oeuvre aussi au vivre-ensemble.
L'oeuvre artistique peut se positionner comme contre-pouvoir en
révélant les failles de la promesse de « Progrès
» et éveille en nous une promesse d'une autre manière
d'exister : la véritable manière d'être soi. Avec sa
manière d'interroger le monde,
6
comme celle du philosophe, l'artiste dérange et les
censeurs d'opinion peuvent vouloir le bâillonner.
Dès lors, comment réhabiliter la place de
l'artiste dans la société et reconnaître son oeuvre comme
terreau de développement économique et social ?
Par artiste, l'imaginaire collectif tend à projeter la
figure du rêveur ayant une vie à la marge de la
société mais l'on entend ici l'homme de l'art, doté d'un
savoir-faire et de créativité au service de domaines aussi divers
que la musique, le graphisme, le design, l'architecture, la sculpture. Le
climat actuel pour la création contemporaine est exigeant compte-tenu du
fait que les artistes émergeants ont conscience du patrimoine artistique
accumulé au fil des siècles et de la valorisation de celui-ci.
Cela demande aux créateurs contemporains «un mélange,
nécessairement mue d'audace et d'humilité» (2) , un juste
dosage entre réappropriation et innovation. Le challenge dans cette
pratique artistique est aussi d'allier liberté et responsabilité
dans cette quête de vérité. Le cadre social ne devrait
être une limitation de la liberté de l'artiste mais bien une
intégration de celui-ci dans la communauté. Dans cette
intégration, les acteurs de la médiation culturelle en France que
comprennent les résidences artistiques, les incubateurs de projets et
les entrepreneurs culturels ont un rôle essentiel à jouer afin de
mettre en lumière d'une part les bénéfices qu'a la
société d'avoir un vivier de créateurs et d'autre part
l'opportunité pour les artistes de bénéficier d'un soutien
privé ou public et de pouvoir partager leur vision avec un large public.
Être responsable c'est avoir
7
conscience de son environnement et respecter autrui. Or, la
recherche de vérité et de liberté qui est propre à
l'artiste ne peut se faire sans responsabilité vis-à-vis
d'autrui. La responsabilité pour autrui doit précéder et
investir une liberté qui, sans elle, serait sans visage. Le travail de
l'artiste prend alors tout son sens générateur
d'émancipation : que cela soit la sienne ou celle d'autrui. C'est bien
un défi pour l'artiste contemporain qui est expérimentateur du
jeu social. Dans un contexte historique, les rapports entre l'artiste et la
société ont évolué selon le type de
société. En effet, dans les sociétés
traditionnelles, l'artiste est perçu comme un gardien de la tradition,
un conteur de mythes qui transmet des valeurs qui forgent l'individu et la
communauté. Si l'on prend l'exemple des griots maliens, ils sont les
héritiers d'un savoir ancestral diffusé au moyen de la musique.
Laurent Bizot, fondateur du label No Format! sous lequel sont signés des
griots comme Ballaké Sissoko ou Kassé Mady Diabaté,
témoigne de cette tradition soutenue par la caste des nobles, qui
agissent comme des mécènes auprès des artistes (Annexe 1).
On retrouve ce procédé dès le Moyen-Age en France avec les
commandes ecclésiastiques et princières (3). En ce qui concerne
l'objet d'art en lui-même, comme le souligne Daniel Bougnoux, les objets
d'art étaient dotés de propriétés magiques,
religieuses, rituelles voire médicinales (4). L'acte de création
artistique est mystifié car l'artiste est capable d'expliquer un
fonctionnement de la Nature dont les causes ne seront comprises que plus
tardivement par la méthode scientifique moderne. L'artiste, comme
manipulateur de symboles, donne un sens collectif à la
communauté, même si celui-ci s'inscrit avant tout dans
l'imaginaire. Peu à peu, à l'image de Léonard de Vinci,
l'artiste devient le technicien d'une Praxis
8
à la recherche esthétique mais au service d'une
vérité scientifique. L'artiste dissèque le réel et
interroge les rapports de l'Homme au monde physique. Dans les
sociétés modernes, la place de l'artiste est
démystifiée car l'art est utilisé comme outil
d'instruction et de retranscription du réel. Des portraits
réalistes de Velasquez aux planches de l'Encyclopédie de Drouot,
il subsiste une volonté de faire de l'art un outil d'éducation.
Néanmoins, depuis Marcel Duchamp, dont l'approche visionnaire
révolutionna la conception de l'art, on assiste à une
dématérialisation des supports des oeuvres artistiques : ce n'est
pas tant l'objet qui compte mais bel et bien la réflexion, la symbolique
ou encore les répercussions de l'oeuvre sur le tissu social qui
préoccupent l'artiste. Comme le constate Nicolas Bourriaud, on est donc
passé du rapport entre l'Homme et le divin, au rapport entre l'Homme et
l'objet puis désormais on tend de plus en plus à analyser le
rapport entre l'Homme et la société (5). L'artiste, plus que
jamais conscient de la portée de l'art, est intéressé par
l'impact qu'aura son travail sur autrui. Désormais ce ne sont plus les
seuls supports comme un tableau ou une sculpture qui sont des formes
artistiques mais aussi tout rapport humain. Cette rencontre entre l'artiste et
le spectateur va être décisive et selon les époques et les
moeurs, parfois nourricier, parfois conflictuel. Il convient d'étudier
tout d'abord les rapports entre l'artiste et les pouvoirs économiques et
politiques. Ces rapports tendent à être bouleversés
notamment avec les nouveaux enjeux de société que sont la
révolution numérique, l'éthique et l'environnement qui
semble transformer la figure de l'artiste en entrepreneur social. Enfin, la
responsabilité sociale de l'artiste repose aussi sur les acteurs qui
entourent, interprètent et donnent accès à son oeuvre
à savoir les
9
médiateurs culturels (musées, fondations,
résidences artistiques...) et les nombreux dialogues et collaborations
artistiques qui enrichissent profondément une oeuvre. En
intégrant le processus artistique à des problèmes
techniques, l'art peut même devenir un vecteur de développement
dans des domaines connexes d'application qui s'étendent du domaine
spatial au médical, faisant de l'artiste un allié dans la
recherche pour l'amélioration des conditions de vie. La création
artistique a alors sa place, non seulement comme vecteur de remise en cause des
paradigmes existants et comme spiritualisation du sensible mais aussi notamment
grâce au design comme laboratoire d'innovation qui inspire la
société dans son ensemble.
I Les rapports entre les pouvoirs politiques &
économiques et l'artiste : entre transgression, acceptation et
transfiguration
A. L'artiste engagé, pirate des formes sociales
face au pouvoir politique
A la suite de la loi le Chapelier de 1791 qui proscrit le
regroupement en corporation, l'artiste acquiert peu à peu autonomie et
indépendance et face aux bouleversements induits par la
révolution industrielle dès le milieu du XIXème
siècle, l'artiste, qui n'est plus seulement artisan, est partagé
entre une vision académique ou une vision sociale. Soit, sur le
modèle du mouvement des réalistes, l'artiste opte pour un suivi
des standards académiciens, soit comme avec les utopistes, l'artiste
milite pour une refonte d'un système fondé sur un art bourgeois
(6). Bien que la liberté de création est préservée
en France par la liberté d'expression, l'artiste n'en reste pas moins un
concurrent de la sphère politique dans la mesure où il agit
également sur l'imaginaire collectif et sur le sens que les individus
donnent à la société. En effet, l'artiste contemporain se
place au coeur des rapports sociaux en tant que citoyen mais aussi en tant que
créateur. Ne recherchant plus seulement l'esthétique de l'objet,
l'artiste recherche une esthétique relationnelle dans ses rapports avec
le public. Ce rapport peut s'établir dans une forme contestataire au
pouvoir politique. L'artiste serait alors par nature engagé
malgré lui face aux maux de la société. Même son
silence serait une forme d'engagement. Désormais, comme Albert Camus
l'avait discerné, «tout artiste aujourd'hui est embarqué
dans la galère dans son temps» (7). L'artiste contemporain est plus
que jamais un hacker des formes sociales qui élargit les
10
11
possibles et la créativité réside dans le
fait de jouer avec ces formes sociales souvent consolidées par le
pouvoir politique. L'art conscientise les scénarios collectifs et
nourrit le mythe social (8). Ainsi, de nombreux politiques craignent la remise
en cause et l'émancipation que peuvent permettre les oeuvres d'art.
L'artiste chinois Ai Weiwei qui a exposé au Jeu de Paume en 2012 pour
son exposition Entrelacs, en est la preuve. Considéré comme
dissident, il est assigné à résidence à
Pékin. Les médiateurs culturels comme les musées ont alors
un rôle à jouer dans le choix de leur programmation et dans la
diffusion d'oeuvres qui sont censurés dans certains pays.
Néanmoins, l'art peut-il avoir une place en politique ?
Selon Gilberto Gil, à la fois artiste et ancien ministre de la Culture
de 2003 à 2008 au Brésil, « la politique a toujours un temps
de retard » et ce principe serait en contradiction avant l'esprit
d'avant-garde propre à la création contemporaine (9). Au lieu de
construire des utopies ou des idéologies, l'artiste contemporain tente
de mieux habiter le monde et partage l'expérience du pouvoir du moment
présent. C'est cette expérience de la pratique artistique, en
tant que puissance de vie (10), qui est déjà un contrepouvoir.
L'acte de créer n'est-il alors déjà pas un acte de
résistance ? La création, en tant que proposition de nouveau
contenu, est une alternative qui remet déjà en cause la
création existante. En désertant le terrain esthétique,
les artistes se confrontent au réel et peuvent avoir des conduites
sociales qui ont des conséquences directes et non plus symboliques. Avec
le développement des performances artistiques, sous couvert de l'acte
symbolique, des artistes peuvent
12
croire à une immunité (11). En témoignent
les célèbres actions de Pierre Pinoncelli qui en 1975 braque une
banque pour 10 francs symboliques ou en 1993 frappe l'urinoir de Duchamp d'un
coup de marteau (12).
Le pouvoir politique tente de préserver la
cohésion d'un ordre social établi et des oeuvres jugées
obscènes ou cruelles peuvent mettre à mal une vision d'un
modèle politique et faire remonter à la surface des
réflexions sur des sujets auxquels il est difÞcile de se
confronter. Néanmoins, la responsabilité de l'artiste n'est pas
liée à une forme de rationalité, ni même à
une forme de réalisme auquel l'artiste devrait se soumettre. On aurait
tort de que penser les dadaïstes ou les situationnistes soient
irresponsables. Bien au contraire, ils prônent la libération par
l'irrationnel. Les oeuvres sont aussi des moyens de proposer des
modalités alternatives d'existence, qui sortent des schémas
compulsifs du désir. Toute oeuvre est déjà une tentative
de créer une sculpture sociale, principe cher à l'artiste Joseph
Beuys, qui voyait en chaque homme un artiste qui avait la possibilité
d'utiliser sa créativité pour être libre (13).
Dès lors, en tant qu'émancipation du
désir souvent attisé par les outils marketing de notre
société contemporaine, l'artiste entretient avec le pouvoir
économique une relation complexe : tout à la fois soumis à
un marché de l'art compétitif, à une
nécessité de soutien économique à un besoin de
liberté et d'indépendance.
13
B. Le lien ambigu avec le pouvoir économique et le
paradoxe de la notoriété
Face à la marchandisation de la société
et en particulier de l'art, l'artiste doit se positionner. Alors que de par son
statut il souhaiterait s'extraire du jeu de rôle économique, en
refusant d'être considéré soit comme marchand soit comme
consommateur, car considérant ce jeu possiblement aussi destructeur pour
l'Esprit que pour la Nature, comme en témoigne les oeuvres d'artistes
contemporains comme Jules de Balincourt ou Raqs Media Collective (14) L'artiste
n'en reste pas moins soumis à un marché concurrentiel où
désormais des mécènes comme Bernard Arnault ou Francois
Pinault peuvent par leurs choix changer radicalement la condition de vie d'un
artiste. Il n'est pas aisé de faire carrière en tant qu'artiste
contemporain tant il est difficile de prévoir les aléas du
marché et les chances de réussite. L'artiste contemporain se
retrouve alors en porte-à-faux face à une situation où sa
fonction le pousse à s'emparer des habitudes comportementales induites
par le complexe techno-industriel (15) et une nécessité de
bénéficier d'un appui financier qui provient de moins en moins de
fonds publics mais bien de mécènes privés issues des
multinationales sur le modèle américain. L'artiste doit
également veiller à préserver son oeuvre afin de ne pas
faire de son art de « l'entertainment ».
Une des formes de la responsabilité sociale de
l'artiste serait paradoxalement d'utiliser son droit au détournement et
au boycott. Ces formes de détournement et de réapropriation
peuvent tout aussi bien concerner les chefs d'oeuvres passés ou
14
des formes du quotidien : on retrouve ce processus dans
Fontaine de Marcel Duchamp, aux collages de Joan Miró en
passant par le travail plus récent de sampling du « dj ». Bien
que les artistes puissent être à la limite de la
légalité concernant les droits d'auteur, l'artiste est libre de
créer de nouvelles manières d'utiliser et d'interpréter
l'existant. C'est aussi une manière d'étendre le champ
artistique. En particulier avec le monde des grandes entreprises, il y a un
double-mouvement. D'un côté, certains artistes détournent
les logos, les images de marque d'entreprise et ce, en particulier dans le
street-art, pour faire prendre conscience au public que les acteurs du
système économique sont eux aussi des manipulateurs de symboles.
Ces détournements, popularisés par Andy Warhol, sont un droit
absolu de l'artiste à jouer avec des formes existantes. De l'autre, les
publicitaires utilisent les artistes et détournent des oeuvres d'art
comme outil promotionnel.
L'artiste contemporain se retrouve également face
à ses propres contradictions dans la mesure où il dénonce
un danger de réification de l'individu à travers des choix mais
l'individu peut s'entourer d'oeuvres artistiques. L'oeuvre d'art devient objet
d'identification et de consommation. Elle est même instrumentalisé
pour élaborer de la reconnaissance sociale et soumise à
spéculation fiduciaire. Le philosophe John Dewey relève que le
collectionneur typique et le capitaliste typique ne font qu'un. Pour prouver sa
position supérieure, le capitaliste amasse des oeuvres de la même
manière qu'il le fait avec les actions et les obligations (16). En
outre, il existe également une forte distorsion entre une condition
socio-
15
économique difficile et un statut symbolique investi.
Le statut de l'artiste n'échappe pas à une forte pression
concurrentielle et ne peut échapper à la comparaison et à
la compétition. Dans la carrière d'un artiste,
l'évaluation des critiques et la communication des médias jouent
un rôle essentiel. Le succès rapide induit par la
médiatisation vient perturber la vision qu'a l'artiste de son oeuvre et
la médiatisation de l'artiste-star peut nuire au travail de l'artiste et
à son équilibre personnel. Jean-Michel Basquiat, en faisant la
une du NY Times à tout juste 25 ans, est devenu malgré lieu une
icône et cela peut perturber le travail de l'artiste. La
célébrité peut travestir la pensée de l'artiste et
diriger les projecteurs sur sa personne plutôt que sur son oeuvre
(17).
L'artiste, tantôt adulé, tantôt mise
à la marge de la société, doit pouvoir
bénéficier de la reconnaissance de l'Etat dont le rôle de
préserver le patrimoine artistique et de mettre en oeuvre les conditions
d'intégration de l'artiste dans la société.
16
C. Les volontés politiques de
ré-intégrer l'artiste au coeur de la cité
Entre la vision platonicienne où l'artiste n'a pas sa
place dans la Cité car il ne fait qu'imiter la nature et l'approche
saint-simonienne où l'artiste allié à l'industriel est un
bâtisseur du Progrès social (18), les considérations sur la
place de l'artiste sont nombreuses. Cela provient du fait que dans une
société où le travail est
intégrateur, celui de l'artiste est plus difficile
à comprendre. La recherche esthétique fait considérer
l'activité de l'artiste comme un travail à visée non
utilitaire, une dépense positive d'énergie dont le
résultat de la production est incertain (19). Dans un cadre à
logique utilitaire, le travail de l'artiste en devient subversif. Afin de
préserver cette conception unique d'un travail qui n'a pas
d'utilité directe, les artistes ont besoin du soutien d'institutions
publiques et de statuts spécifiques garantis notamment par la Maison des
Artistes ou les statuts d'intermittence. Les lieux comme les centres d'art ,
qui existent depuis 1970 en France (Annexe 3) opèrent aussi en amont
afin d'aider à l'expérimentation artistique.
Si l'impulsion ne provient pas des instances politiques, elle
peut éclore de jeunes artistes qui créent des résidences
artistiques, comme le 59 Rivoli à Paris ou L'Amour à Bagnolet.
Bien qu'il puisse y avoir des enjeux juridiques concernant l'appropriation des
lieux, c'est la preuve du désir d'avoir pour les jeunes créateurs
à disposition des laboratoires d'innovation et d'expérimentation.
Cette envie va de pair avec l'émergence des « fab labs »,
véritables « hackerspaces » dédiés à
17
l'expérimentation. Par ailleurs, le
développement des lieux à financement hybride à Paris
comme la Gaîté Lyrique, le 104, le Carreau du Temple sont autant
de signaux d'une demande de la part du public de dynamiser et diversifier
l'offre culturelle. Il s'agit aussi de mettre en valeur les territoires par
l'art et l'utilisation de lieux en friche pour les réhabiliter en lieu
de vie culturel. Des lieux tels la Recyclerie à Paris sont des usages et
des réhabilitations d'espaces inédits. D'ailleurs, ce projet
soutenu par les autorités publiques rappelle combien leur rôle est
essentiel pour le soutien à la création. Il en va de
l'intégration et l'acceptation de la figure de l'artiste comme
protagoniste oeuvrant à la fédération de la
communauté.
Néanmoins, l'artiste est confronté à de
nombreux enjeux propres à la période actuelle, que cela soit
l'essor du numérique, l'engagement civique ou le développement
durable. L'hypothèse avancée serait alors que l'artiste est une
forme d'entrepreneur social, par le biais de ses actions et sa mission dans la
société.
18
II L'artiste contemporain face aux nouveaux
enjeux
A. Le rapport de l'artiste à la technologie à
l'heure du numérique
Avec la révolution numérique, l'artiste doit
faire avec son temps et la technologie est une nouvelle condition
d'expérience esthétique. Tout autant que la révolution de
l'imprimerie au XVème siècle ou que la découverte des
frères Lumière à la fin du XIXème siècle
pour la cinématographie, les changements induits par l'ère
numérique soulèvent certes des critiques face aux comportements
des utilisateurs mais peuvent être un formidable outil
d'interactivité afin de faire des expositions de véritables
expériences immersives. En effet, se dessinent de nouveaux rapports avec
le public. L'outil internet devient à la fois outil de travail à
travers l'art numérique mais aussi support de communication et
même de vente avec les nouvelles plateformes de vente en ligne comme Etsy
ou Artsper. Au-delà de l'outil internet, les possibilités
technologiques comme la projection mapping, les imprimantes 3D ou la
réalité augmentée sont autant d'outils pour permettre aux
artistes de mieux modéliser leurs visions et ainsi les partager.
L'artiste peut développer une technique via des outils technologiques ou
des nouveaux langages comme le code html. La révolution numérique
voit l'émergence d'un art qui lui est consacré : l'art
numérique. Des artistes comme Phillipe Boisnard ou Maurice Benayou font
de la réalité virtuelle des nouveaux champs de
créativité et d'interactivité.
19
Par ailleurs, la révolution numérique facilite
directement la création grâce aux outils technologiques : des
logiciels de musique électronique, à la retouche photographique
en passant par les logiciels d'animation ou d'architecture. Dès lors,
c'est bien la volonté de créer qui est le moteur et non plus la
technique qui est grandement facilité par l'allié technologique.
En tant que décloisonnement des barrières de technicité,
d'accès et de savoir, la révolution numérique offre un
terrain infini d'explorations pour l'artiste. Le challenge reste encore de
trouver une meilleure appropriation sociale des technologies, pour pouvoir
décupler la force du message ou de l'expérience qu'il a à
partager.
Dans les thématiques abordées par la
création contemporaine, miroir de la société, la
dégradation de l'environnement ou le manque de réactivité
d'une majorité de citoyens entre également dans la
réflexion de l'artiste. L'artiste par son oeuvre amène aussi des
réflexions sur d'autres sujets de société afin
d'encourager des initiatives citoyennes.
20
B. La création artistique face à
l'engagement civique
De nombreux artistes sont engagés pour diverses causes
sociétales : du développement durable aux droits civiques en
passant par l'égalité des sexes. L'émergence d'une
consommation citoyenne pousse aussi l'artiste à faire appel à des
outils comme le boycott ou le piratage (20). Il peut ainsi inspirer le
spectateur et lui donner envie d'agir. Les artistes sont aussi responsables
vis-à-vis des matériaux qu'ils utilisent et d'éventuels
partenaires ou mécènes avec lesquels ils s'associent. Des oeuvres
artistiques peuvent encourager les initiatives personnelles et les
responsabilités individuelles en se réapropriant l'espace public,
laissé au jeu politique et aux entreprises privés. De plus,
certaines initiatives peuvent provenir des citoyens eux-mêmes qui portent
des projets culturels afin de ne plus être de simples « spectateurs
» comme le font les Amacca ( Associations pour le Maintien des
Alternatives en matière de Culture et de Création Artistique).
C'est bien l'usage qu'on en fait qui forme l'oeuvre d'art et
qui en donne sa valeur. Cette usage des formes d'art tend à devenir de
plus en plus organique et collaboratif et moins contemplatif. Un des
défis de l'art contemporain et de la création artistique sous
toutes ces formes est de briser cette inaccessibilité afin d'encourager
le public à multiplier les expériences culturelles. Certains
artistes, comme Thomas Hirschorn, loin de vouloir perpétuer une vision
élitiste de l'art, tente à tout prix d'inclure les visiteurs dans
leur oeuvre comme ce fût le cas lors de l'exposition Flamme Eternelle au
Palais de Tokyo en 2014 (cf photographie
21
illustrant le mémoire). Il souhaite alors faire en
sorte que les visiteurs soient acteurs de l'oeuvre au sein du musée et
on pourrait s'interroger si ce n'est pas également une sollicitation
afin qu'on soit acteurs de nos propres vies.
Il y a là un engagement manifeste de sa part à
vouloir améliorer la société. «L'artiste se forge
dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de
la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à
laquelle il ne peut s'arracher.» (21). Ces différents engagements
de l'artiste opèrent sur le squelette social et le rapproche de la
figure de l'entrepreneur social.
22
C. L'artiste comme entrepreneur social
Bien souvent l'artiste a été
considéré et s'est même positionné en poète
maudit, exclu et incompris de la société. Pourtant l'art est loin
d'être un monologue. Il parle à tous et peut avoir un rôle
éducatif, au service de l'intérêt général. En
ce sens, comme l'entrepreneur social, l'artiste a une mission de service social
dans le sens qu'il apporte à la cohésion de la
société. Par la transversalité de l'art, ce qui est tout
particulièrement vrai en musique, l'oeuvre transcende le sensible et
permet au spectateur de vivre une certaine catharsis oeuvrant au
bien-être commun. La figure de l'artiste est aussi comparable à
celle de l'entrepreneur au sens où tous deux oeuvrent dans l'incertitude
et partagent cette même envie de créer, d'apporter du changement
à la société. Depuis les années 90, les artistes
proposent de plus en plus des moments de socialité, comme les espaces de
convivialité proposés par Rirkrit Tiravanija en 1994 avec
Surfaces de réparation. L'artiste entreprend dans le réel qu'il
utilise comme répertoire de formes. Il puise son oeuvre dans les failles
de la société. Jeff Koons et son oeuvre kitsh reflète bien
le consumérisme américain qui apparaît dans une certaine
démesure. En quelque sorte, l'oeuvre est le miroir de la
société et l'artiste ne propose pas nécessairement de
solutions directes comme l'entrepreneur mais soulève néanmoins
des réflexions essentielles. L'oeuvre de l'artiste s'inscrit bien dans
un ensemble significatif, et dans son aller-retour entre lui et les autres,
l'artiste peut être à la fois solitaire et solidaire (22). Il
s'agit de retisser du lien social, là où des espaces de
contrôle ne proposent ce lien qu'autour de produits.
23
Par conséquent, la responsabilité sociale de
l'artiste serait également de sortir de ces rapports de consommation. Le
peut-il vraiment ? La mécanisation générale des fonctions
sociales réduit progressivement l'espace relationnel. En témoigne
l'appauvrissement des rapports des voisinage et l'isolement des individus. Or,
les signes génèrent de l'empathie et créent du lien
social. C'est une des vertus de l'art que son pouvoir de connectivité.
Des connexions s'opèrent et donnent un sens à l'histoire
personnelle de l'observateur mais aussi à l'histoire commune de la
société. Tout comme l'entrepreneur social, l'artiste redonne du
sens à un monde qui en a besoin. Les deux ont ce même goût
pour l'autonomie et oeuvre dans l'incertitude. Ils ont comme
dénominateur commun de parier sur l'avenir.
Tous ces enjeux du début du XXIème siècle
ont donc progressivement amené l'activité artistique a se
décloisonner et à favoriser la pluridisciplinarité. Cette
manière plus collaborative et collective d'aborder la pratique
artistique, si elle est correctement accompagnée par les institutions
culturelles et les entreprises, permet de toucher un public plus large et de
diversifier l'offre culturelle en France.
24
III. L'interdisciplinarité, la diffusion de
l'offre culturelle et l'accès au public
A. Le dialogue interdisciplinaire et les domaines
connexes d'application : renouvellement et enrichissement du sens
Le regroupement d'artistes en mouvements ou en associations
n'est pas l'apanage de l'art contemporain. Déjà en 1391, la
corporation de Saint-Luc regroupe ensemble « peintres et imagiers »
(23). Les associations d'artistes sont l'opportunité de confronter des
points de vue, de partager des savoirs-faire et de lancer des écoles ou
des mouvements comme le dadaïsme ou le surréalisme. En revanche, la
révolution numérique permet de favoriser le dialogue
interdisciplinaire en melânt plus facilement par exemple l'art de la
vidéo avec celui de la musique. Ces disciplines peuvent même
être en dehors du dialogue « cross-art» et concerner la
science.
La technologie ouvre des zones d'hybridation entre art et
science. Ainsi, l'IRCAM à Paris propose des projets qui associent
musique et science de pointe. C'est également le cas de l'Atelier Arts
Sciences qui héberge des résidences et proposent des workshops
créatifs qui favorisent les collaborations dans des domaines
paramédicaux ou spatiaux. Des techniciens aux savoirs-faire multiples
sont amenés à collaborer entre eux afin de proposer des oeuvres
à la croisée des disciplines. Du dialogue entre art et science
peut émerger de nouvelles formes de créativité et de
nouvelles manières complémentaires de percevoir le monde (24).
25
On peut également concevoir la
pluridisciplinarité comme une approche plus large qui peut aussi
s'appliquer à la cuisine, au troc de vêtements ou à des
pratiques plus corporelles comme le yoga. Ces combinaisons inédites
offrent une multiplicité d'expériences. Dans ce cadre, des lieux
comme le 104 avec à la fois une boutique Emmaüs, une librairie et
un marché bio mais aussi des cours aussi variés que la pratique
du hip hop ou celle du yoga sont dans une optique de foisonnement
créatif et expressif. Cela ne peut qu'être bénéfique
à la vie de quartier, en l'occurence le 19ème arrondissement
à Paris.
C'est alors aux lieux et aux accompagnateurs culturels
d'offrir la possibilité d'assister à ces performances
pluridisciplinaires et aussi à proposer une large programmation.
L'innovation est autant dans les mains des artistes que dans les mains des
résidences ou des lieux de diffusion culturelle comme les musées
ou les galeries.
B. Les nouvelles formes d'accompagnement culturel et les
lieux innovants de création en France
Désormais, la conception aristocratique de la
disposition d'oeuvres d'art est mise à mal par la volonté de
rencontre entre l'oeuvre et son observateur afin d'élaborer du sens
commun. Il existe des espaces de cohabitation comme le Palais de Tokyo à
Paris qui offrent des expositions qui rompent avec les formes
académiques. Si l'on revient sur l'exposition Flamme Eternelle de Thomas
Hirschhorn, elle est sans doute l'une des expositions, si on peut encore
qualifier cet espace social d'« exposition », les plus
révolutionnaires de ces dernières années. Parmi un amas de
pneus et de polystyrène, le visiteur construit lui-même l'oeuvre
en ayant la possibilité de travailler sur les matériaux, de lire
au micro des ouvrages, d'imprimer depuis des ordinateurs mis à
disposition afin de coller des affiches qui s'accumulent sur les murs au fil
des visiteurs. Il y a aussi des canapés et un bar qui font du lieu une
expérience plus proche de la résidence artistique ou du squat que
d'un musée Thomas Hirschorn oeuvre à la
désinstitutionalisation du statut muséal. Rompre avec les formes
académiques c'est déjà innover. Il y a en effet de
nombreux critiques qui dénoncent la mise en forme de la culture
cantonnée dans sa forme muséale alors que l'expérience
artistique ne se limite pas à ce champ (25).
C'est alors aux institutions culturelles d'offrir la
possibilité aux artistes contemporains de multiplier les
expériences et de faire des expositions des
26
27
laboratoires d'interactivité sociale. C'est le cas y
compris dans des institutions de premier plan comme au Centre Pompidou qui a
par exemple laissé Pierre Huyghe en 2013 faire de son exposition un lieu
surréaliste où l'on pouvait à la fois voir une patineuse
danser sur une patinoire installée pour l'occasion ou un chien à
la patte rose se promener dans l'exposition. Ce type d'interactions
enrichissent la réflexion sur les formes que peuvent prendre l'art et
assouplissent une certaine rigidité et fixité des lieux culturels
à l'époque où l'on observe une multiplicité des
flux générés par la révolution numérique.
Dans cette même logique, à l'instar de
l'initiative de l'association californienne Freespace qui s'est
installée à Paris pendant l'été 2014, des acteurs
culturels veulent promouvoir une forme de transmission des savoirs et
développer la fibre artistique de chacun. Ouvrir des lieux de
création libre où chacun peut s'exprimer, créer et
s'approprier le lieu, c'est une manière d'élargir le public
d'élargir la notion de ce qu'est être artiste. C'est en
diversifiant les formes de dialogue avec le public qu'on apporte du lien social
et les répercussions positives en terme économique qui en
découlent.
28
C. L'élargissement et la diversification de
l'accès au public
Selon le degré de participation de
l'expérimentateur, le dialogue sera plus ou moins riche. La valeur de
l'oeuvre d'art peut être mesurée à la capacité de
susciter ce dialogue intérieur. Il y aurait donc bien une
responsabilité de l'expérimentateur. A une époque
où le repli sur soi, la passivité et la désolidarisation
sont devenus des plaies du « vivre-ensemble », l'artiste pousse
à la réaction et à la participation. L'art devient alors
un moyen de briser l'apathie des acteurs de notre société et
l'accès au plus grand nombre est une manière de lutter contre
l'inégale répartition du capital culturel (26). Les missions
d'accès au public sont d'autant plus importantes qu'elles participent
à l'éducation. Garantir un accès pour tous à la
culture, c'est à la fois la responsabilité sociale des
médiateurs culturels mais aussi la possibilité de créer de
la richesse avec le développement du secteur culturel. Le souci est de
savoir quelle forme de culture diffuser ? Peut-on concevoir l'entertainment de
la même façon que l'art ? L'arbitrage économique tend
à valoriser le développement de cinémas multiplexes
à la programmation de blockbusters mais c'est bien souvent en
considérant seulement l'impact à court-terme. Afin de mettre en
valeur les territoires investis, c'est à des institutions comme Le
Louvre en s'installant au Lens ou au Centre Pompidou avec le Centre Pompidou
Mobile, musée itinérant, qui s'est déroulé en 2012
et 2013 et a débuté à Chaumont-sur-Marne (ville de 30 000
habitants) d'élargir leur public et de véritablement être
dans une mission sociale de garantie d'accès à la culture. On
assiste aussi à une nouvelle forme de réappropriation d'anciens
sites industriels,
29
véritable pied-de-nez à l'Histoire. Comme
portés par des cycles apolliniens et dionysiaques de création et
destruction, émergent au coeur d'anciens lieux d'exploitation,
d'aliénation et de déshumanisation des lieux de création
artistique. Des entreprises comme la SNCF font aussi des appels à
projets afin que des artistes utilisent d'anciens lieux en friches (27). Plus
encore que l'artiste, lorsqu'une institution, une entreprise, ou un
mécène, soutient une action artistique, qu'elle soit locale,
nationale ou internationale, c'est à elle de lui donner une dimension de
responsabilité sociale.
En permettant l'accès au public à l'art, cela a
un impact positif sur l'économie en terme d'emplois, de création
de richesse et de dynamisme territorial. La création artistique est une
source diffuse d'innovation au sein des industries créatives et de
l'innovation en général. Le design semble également
être une application d'un art fonctionnel, et un compromis entre
recherche esthétique et usage au profit du plus grand nombre.
30
IV Le processus créatif au service de la
croissance économique
A. Le design à l'oeuvre
Parfois difficile à définir car à la
croisée des disciplines, le design, signifiant « conception »
en anglais, est au service d'une production qui peut être industriel et
apparaît comme un outil d'application de la création artistique
à la vente d'objets. Sur le modèle du Bauhaus allemand du
début du XXème siècle, le design est à
l'intersection de l'art, de la science et de la technique. Là où
il se distingue de l'art contemporain c'est par l'usage qu'on fait de la
production du design qui est au service de la fonctionnalité. Le design
est la preuve de la potentialité du pouvoir de l'art sur la production
économique. Que serait Apple sans son designer Jonathan Ive ? Le design
devient facteur compétitif déterminant et est un
élément de différenciation important sur des produits qui
ont parfois les mêmes propriétés intrinsèques. Les
célèbres designers comme le français Philippe Starck ont
également su imposer leur style et s'exporter à l'international.
En ce qui concerne les designers les plus prometteurs, chaque année
depuis 2008, le Design Museum à Londres, organise les « Designs of
the Year » en exposant les objets les plus innovants. En 2014, on pouvait
trouver aussi bien les lunettes 3D immersions Occulus Rift que la voiture XL1
de Wolswagen (28). Ces produits du design étendent le champ de l'art car
sont bel et bien de véritables oeuvres.
31
Le design est une solution plus pragmatique d'un art
appliqué au monde moderne et à la loi du marché. C'est
même une pensée qui peut révolutionner la manière de
concevoir le management et la gestion de projet comme l'ont
théorisé des professeurs de l'Université de Standford avec
le Design Thinking, modèle qui réconcilie à la fois la
pensée intuitive et analytique (29). Le design est alors un processus
qui équilibre une pensée plus rationnelle, provenant de
l'hémisphère gauche de notre cerveau et une pensée plus
créative, provenant de l'hémisphère droit. C'est aussi
quelque part l'union du principe féminin et masculin, la
réconciliation de la figure de l'artiste avec celle du scientifique.
La création contemporaine sous la forme du design est
un formidable terreau de développement économique et une forme
d'art que chacun utilise dans sa vie de tous les jours. Les industries du
cinéma, du jeux vidéo, de la mode ou de la musique s'inspirent
également de la création artistique.
32
B. La création artistique comme matière
première des industries créatives
Pour les économistes Adam Smith et David Ricardo la
dépense pour les arts ne contribuent pas à la richesse de la
nation (30). Or, si l'on considère le poids des industries
créatives on se rend compte de l'importance de la culture au sens large
en France (31). C'est bien l'art contemporain, comme champ
d'expérimentations et l'avant-garde, qui infuse son esprit dans les
industries créatives. Les associations d'idées inventives qui
peuvent venir de l'inspiration d'un artiste sont ainsi reprises et se diffusent
dans différents milieux. L'artiste est l'initiateur de mouvements, de
tendances et de connexions qui auront un impact social. C'est en cela que
l'artiste est visionnaire et en avance sur son temps. Les industries
créatives se ré-approprieront le travail de l'artiste, le
digéreront et exploiteront la richesse de l'idée jusqu'à
ce qu'une nouvelle, plus innovante, détrône la
précédente. La création artistique touche alors des
domaines aussi nombreux que l'architecture, l'édition, la
publicité ou le cinéma.
Laisser à l'artiste la possibilité d'exprimer
son art et mettre en avant ses oeuvres c'est s'ouvrir à des
externalités positives. Comme étudié
précédemment, celles-ci sont certes sociales avec un lien
fédérateur, de l'échange et des réflexions sur ce
qui forme la société mais elles sont aussi économiques
avec de la création de projets et d'emplois, de l'innovation de
procédés ou produits. Les innovations
33
peuvent aussi concerner les formes de management avec de
nouveaux rapports plus coopératifs ou un esprit « freelance »
plus autonome et indépendant (32)
La création artistique est alors un moteur
d'innovation, indispensable à la croissance économique et qui
alimente un processus de créativité qui insufße une
nouvelle manière d'aborder le business.
34
C. La créativité au coeur du
business
L'artiste est un artisan de l'innovation shumpetérienne
qui apporte de nouveaux concepts et manières de penser. Par
surcroît, le processus créatif n'est pas uniquement propre
à l'artiste et on assiste de plus en plus à la volonté
d'intégrer plus de créativité dans le business. En tant
que mode de pensée, qu'ouverture d'esprit afin de changer les paradigmes
existants, la créativité est un formidable outil pour
dépasser les limites existantes et relever des challenges. La
créativité est le point commun entre l'artiste et le scientifique
et alors que l'on consacre en moyenne 1 à 3% du P.I.B dans les pays
développés dans les laboratoires scientifiques, il serait
intéressant d'investir tout autant dans des laboratoires transversaux
associant à la science la culture et l'art (33). Cela permettrait
d'avoir des pôles d'innovation plus variés qui font
déjà le succès de territoires comme la Silicon Valley ou
Broadway aux Etats-Unis. A l'échelle de l'entreprise, c'est aussi la
responsabilité des ressources humaines de permettre aux employés
de laisser leur créativité s'exprimer. Le développement et
le succès des métiers de graphic designers ou directeurs
artistiques sont dus à la reconnaissance de l'utilité de la
créativité sur la production ou l'aboutissement d'un projet.
Evoluer dans un environnement créatif est aussi une source de
bien-être. Tout métier peut alors devenir artistique au sens
premier du mot qui vient de « ars » en latin signifiant
habileté exercée non par la Nature mais par la main de
l'Homme.
35
Conclusion
L'artiste éclaire comme un phare les travers de notre
société. Engagé socialement car tout acte de
création est un acte de résistance, sa vocation est d'être
au service de la vérité qui révèle et de la
liberté qui émancipe. Il oeuvre à l'éveil citoyen
et à une plus grande responsabilisation de par son oeuvre qui est une
manifestation de la spiritualisation du sensible. La responsabilité
sociale de l'artiste est de rester à l'avant-garde afin d'inspirer les
autres. C'est pour cela qu'il est important de préserver la
liberté de création et de faciliter non seulement la production
d'oeuvres avec des laboratoires d'expérimentation, des résidences
artistiques et de l'accompagnement culturel mais aussi, par une diffusion des
oeuvres sur de multiples supports, de soutenir des collaborations avec d'autres
domaines. Ce qui fait la valeur de l'artiste est sa capacité
d'imagination qui est la créativité. Or, la
créativité est une source infinie de potentialités et
d'opportunités pour accroître le développement
économique et le bien-être en société. L'art comme
besoin de l'esprit, sillage de l'humanité et ordre établi
à partir du chaos est un composant vital de la société.
L'homme de l'art est un homme accompli, à la fois incarné dans la
matière et qui a conscience par l'esprit que le sens de son incarnation
est de transformer et de sublimer cette matière. En ayant la
responsabilité de cette conscience, les hommes en tant que
co-créateurs peuvent modifier et améliorer leur conditions de
vie. Soyons donc artistes !
PARTIE 2 : CONTEXTE, HYPOTHESES & METHODOLOGIE I
Contexte
De par la pluralité des acteurs de la scène
culturelle et artistique en France, afin de valider les différentes
hypothèses que j'ai soulevé au cours de mes recherches, il
convient d'interroger un panel d'acteurs qui oeuvrent chacun par
différents moyens à la promotion de la culture.
En premier lieu, le ministère de la Culture chiffrait en
2010 en France plus de 1 000 établissements culturels ayant le label de
musée.
En deuxième lieu, on compte près de 300
résidences officielles d'art
contemporain et une dizaine de lieux occupés
appelés « squats » dans Paris.
36
Source:Thomas Aguileira-Gouverner l'illégal, les
politiques urbaines face aux squats à Paris
En troisième lieu, il y a près de 50 000 artistes
enregistrés à la Maison des Artistes.
Source : Maison des Artistes
Enfin, d'après le Ministère de la Culture et de la
Communication, la seule région Île-de-France comporte 1 151
galeries d'art contemporain, soit 53% du nombre total de galeries d'art
contemporain en France.
38
II Hypothèses de recherche
En analysant la revue de littérature, j'ai pu extraire
10 hypothèses. Celles-ci portent aussi bien sur la pratique artistique
en tant que telle que sur les nouveaux rapports face à l'art induits par
la révolution numérique, les lieux innovants de création,
la collaboration pluridisciplinaire et le design.
Hypothèse 1 : L'artiste a une
responsabilité sociale vis-à-vis de son oeuvre
Hypothèse 2 : L'artiste est un acteur du
changement qui créé du lien social
Hypothèse 3 : L'artiste par ses oeuvres pousse
à l'action citoyenne
Hypothèse 4 : L'art contemporain est de plus en
plus axé sur la rencontre entre le spectateur et l'artiste
Hypothèse 5 : Le numérique est un
bouleversement sans précédent dans le
monde de l'art
Hypothèse 6 : Les médiateurs culturels ont
un rôle clé dans l'enrichissement du dialogue entre l'artiste et
son public
39
Hypothèse 7 : Les lieux innovants qui aident
à la collaboration pluridisciplinaire et à
l'expérimentation sont un socle indispensable pour la création
contemporaine
Hypothèse 8 : La création artistique est
complémentaire de la création scientifique et les ponts entre art
et science re-dessinent la manière de penser les délimitations de
l'art et par conséquent son impact économique
Hypothèse 9 : L'innovation, liée à
la recherche artistique, est un concept-clé pour la création de
richesse
Hypothèse 10 : La création artistique
inspire la société dans son ensemble et trouve son application
notamment avec le design
40
III Méthodologie
Avec une série de 15 questions identiques, j'ai
entrepris une étude qualitative de mes 10 hypothèses sur un
échantillon de six acteurs de la scène culturelle et artistique
en France. Les six interviewés ont chacun un domaine de
spécialisation mais suffisamment d'expérience pour
témoigner de l'évolution du monde de la création
contemporaine. Ci-dessous la liste des protagonistes :
-Lieu des cultures
numériques- Jérôme Delormas, Directeur
de la Gaîté Lyrique -Institution du dialogue
art&science- Michel Muckensturm, Administrateur
Général de l'IRCAM -Espace de création
libre- Beth Scaccia, Membre de l'association
Freespace -Galerie d'art contemporain- Michèle Broutta,
Galeriste & Editrice -Collectif artistique
pluridisciplinaire- Thibault Duchesne de Lamotte, Artiste
& Fondateur de Prism Collective -Résidence
artistique non ofÞciel- Alexandre Gain, Responsable
de la résidence l'Amour & Membre de CAAOU
41
PARTIE 3 : ANALYSE, DISCUSSION & RECOMMANDATIONS
I Analyse des réponses
Hypothèse 1 : L'artiste a une responsabilité
sociale vis-à-vis de son oeuvre
L'artiste doit-il conscientiser dans sa pratique
artistique la portée de son message ? Cela dépend
du type d'artiste et du message qu'il souhaite faire passer mais ce que l'on
peut dégager des réponses des interviewés est que
l'artiste ne doit pas répondre à une attente. L'artiste
créé par besoin et ne doit réfléchir que dans un
second temps sur la portée de son message. Il est important de pouvoir
créer simplement pour le processus de création et non pas
seulement pour le rendu.
« J'aime cette idée de
recherche et de mystère et peut-être que chacun peut trouver une
portée plutôt qu'un message. » Thibault
Duchesne
« En ce qui concerne l'artiste, l'oeuvre sort de lui.
Je ne pense pas que l'artiste doivent conscientiser son message. Les artistes
ont la foi mais je ne sais pas si ils ont la conscience de ce qu'ils font.
» Michèle Broutta
« Il est important que nous ayons les
opportunités de créer sans tellement se concentrer sur le
résultat. Par exemple, au Tibet, des moines construisent des mandalas en
sable fin pendant des semaines et une fois complété, ils le
détruisent. » Beth Scaccia
42
Moines tibétains réalisant un
mandala
Dans quelle mesure l'artiste aurait le droit
à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
Bien que les interviewés défendent la
liberté comme principe de création et d `expérimentation,
l'intention de l'artiste est primordiale. L'artiste ne doit pas se croire
au-dessus des lois et être sacralisé mais peut utiliser l'art
comme un outil de contestation et d'émancipation.
« Je suis pour une liberté totale. En
même temps, je souhaite que les expositions que j'organise à
l'Amour soit accessibles. L'accessibilité de la production artistique
est un point important. (É) Il y a des artistes qui sous couvert
artistique vont vouloir choquer. » Alexandre Gain
« L'artiste, si il fait ce qu'il sent qu'il doit
faire, n'est pas responsable de la réaction des autres. »
Michèle Broutta
« Si l'art doit avoir une fonction c'est celle de la
liberté totale, sinon cette fonction n'existe plus dans la
société. Liberté totale cela veut dire un imaginaire
débridé, une capacité à inventer. (É) En
tant qu'être social, l'artiste n'a pas tous les droits et cela
43
reste quelqu'un qui a des responsabilités. Une de
ses responsabilités peut être de revendiquer sa liberté
d'expression. » Jérôme Delormas
« Je ne considère par l'artiste comme un
super-citoyen où quelqu'un qui échappe à la
société. Il critique la société mais il s'expose
aux conséquences. Le meilleur moyen d'exacerber des problèmes
c'est de se confronter aux limites de la société. »
Thibault Duchesne
Hypothèse 2 : L'artiste est un acteur du changement qui
créé du lien social
L'artiste, par sa volonté de changement,
s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
Il y a deux grande similarités entre ses deux figures
qui prennent un risque et s'engagent tous les deux. Il y a un double-mouvement
: l'entrepreneur est à la fois créateur et l'artiste doit
gérer sa carrière comme au sein d'une entreprise. Là
où il y a une différence notable est que l'entrepreneur social a
pour mission d'aider autrui alors que certains artistes ne créent avant
tout que pour eux. C'est un travail plus introspectif. En revanche, ces deux
figures sont bien complémentaires l'une de l'autre et lorsqu'elles
s'associent, elles peuvent porter de fantastiques projets.
« L'entrepreneur est un
créateur. C'est aussi quelqu'un qui prend un risque absolu. Certains
artistes prennent l'entreprise comme sujet mais ce qui est vraiment
intéressant c'est la façon d'être au monde qui est
risquée et qui engage complètement la personne. »
Jérôme Delormas
44
« On a tendance à
considérer l'artiste comme quelqu'un qui échappe aux principes de
la société mais il y a tout une organisation autour de l'artiste
»
Thibault Duchesne
« Je connais certains artistes qui ne partagent pas
leur travail, leur but n'est pas de partager avec les autres. C'est simplement
de libérer leurs émotions. » Beth Scaccia
« L'entrepreneur fait un pari. Il part d'une idée pour
faire une carrière. L'artiste, lui, fait une carrière sur sa
production, sa personne. Faire une carrière artistique c'est
entreprendre. » Alexandre Gain
« Ce qui est extraordinaire est le cas où
l'artiste rencontre l'entrepreneur. Je pense ici au cas de Giacometti dont le
frère était entrepreneur. Il faut qu'il y ait quelqu'un
derrière un artiste pour sortir l'artiste qui est trop focalisé
sur le perfectionnement de son oeuvre.» Michèle
Broutta
Diego & Alberto Giacometti, 1958 (c) Fondation
Ernst Sheidegger
45
Avec l'érosion du lien social, l'artiste
a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens collectif
?
De par la nature-même de la culture comme liant social,
l'artiste a un rôle à jouer afin de susciter du dialogue et de
l'échange. Les politiques ne devraient pas oublier ce facteur
décisif. En revanche, l'art contemporain peut avoir une image suffisante
de lui-même qui érige au contraire des barrières.
« La culture, l'art et la création sont des
production sociales pour être ensemble,pour susciter du débat, de
l'expression et de l'échange. L'oeuvre est faites pour nous, et non pour
elle. En ce sens, c'est un vecteur social fondamental. »
Jérôme Delormas
« L 'art a une portée universelle et pourtant
il est sujet à alimenter cette fracture sociale car cela alimente une
certaine élite autour d'un projet artistique. »
Thibault Duchesne
« Les arts plastiques ont réussi à
faire penser qu'ils sont prédominants sur le reste des arts. »
Michel Muckensturm
« La politique ne devrait
jamais oublier la faculté de la culture à réunir les gens.
» Michèle Broutta
46
Hypothèse 3 : L'artiste par ses oeuvres pousse à
l'action citoyenne
En quoi les réflexions amenées par
l'expérience artistique sont essentiels à la construction
individuelle ?
Faire l'expérience de l'art amène l'individu
à développer son sens critique. La culture a une portée
éducative et l'on a beaucoup à apprendre de la vision de
l'artiste.
« L'artiste est en avance sur son temps.
Il donne aux autres le monde de demain.» Michèle
Broutta
« L'art en soi il y a quelque chose qui
est à prendre et pas nécessairement accessible. »
Thibault Duchesne
« L'art est une belle manière d'attirer
l'attention sur les problèmes sociaux. Nous avons besoin de l'art afin
de questionner nos croyances et être critique, afin de regarder les
choses d'une nouvelle perspective » Beth Scaccia
L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
On ne peut imposer à l'artiste de modifier en
profondeur les comportements et habitudes mais l'artiste par son travail peut
remettre en cause des paradigmes existants et proposer de nouvelles
possibilités. L'artiste pousse à un état réflexif
et méditatif sur soi ou sur son environnement.
47
« L'artiste ne peut pas
répondre à une commande. Ce que j'aime entrevoir chez l'artiste
c'est cette capacité à pousser les logiques au bout et à
les distordre » Jérôme Delormas
« L'artiste est là
pour apporter une vision personnelle. Est-ce qu'il doit montrer un
modèle ou reprogrammer ? Je ne sais pas. (É) Il amène
à une réflexion, à un état.»
Thibault Duchesne
« Si l'on regarde le
festival Burning Man, c'est définitivement une critique de la
société consuméristes. Les artistes croient en la
dé-codification. (É) C'est une manière de trouver des
alternatives ». Beth Scaccia
« Si on prend l'exemple de Jeff Koons au Centre
Pompidou, c'est intéressant car c'est tout à fait dans un cadre
et un public qui sera touché par le message. Tandis qu'exposer Jeff
Koons en banlieue, eu égard la consommation des gens, cela n'aurait pas
de sens. La puissance de l'art contemporain est que les installations et les
performances sont un langage direct et peuvent changer des vies. »
Alexandre Gain
Vue de l'exposition Jeff Koons au Centre Pompidou du
26.11.14 au 27.04.15
48
Hypothèse 4 : L'art contemporain est de plus en plus
axé sur la rencontre entre le spectateur et l'artiste
En quoi l'art contemporain fait du spectateur non
plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de l'oeuvre
?
Par rupture avec les formes académiques et l'envie
d'interagir avec le public, notamment grâce aux outils que permettent la
technologie, l'art contemporain implique désormais plus le spectateur
comme sujet. Cette immersion initiée par des artistes recherchant une
Esthétique Relationnelle au début des années 90 se fait
souvent seulement au sein du milieu de l'art et il y a ici encore un
défi d'accès.
« J'envisage l'oeuvre comme un questionnement.
J'invite le spectateur à une promenade intellectuelle qui de fait le
rend acteur mais non sujet. Le spectateur donne sens à l'oeuvre. C'est
faire l'expérience de l'art qui importe. On peut amener à une
forme de contemplation. La passivité face à l'art, c'est un des
axes majeure de l'artiste contemporain. » Thibault
Duchesne
« L'Esthétique Relationnelle a principalement
mise en relation des artistes et des gens du milieu de l'art entre eux. C'est
là que je trouve qu'il y a une limite qui ne vient pas de la
théorie mais d'un milieu en auto-reproduction, d'un fonctionnement
social. » Jérôme Delormas
« Pour l'immersion, tout dépend du propos de
l'artiste. » Michel Muckensturm
49
« Cette immersion est
récente dans l'histoire de l'art. On arrive sur la fin du format
académique, du White Cube. » Alexandre
Gain
White Cube Galery à Londres (vers la fin de ce
modèle ?)
Hypothèse 5 : Le numérique est un bouleversement
sans précédent dans le monde de l'art
Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
La révolution numérique bouleverse non seulement
la pratique artistique avec l'émergence de l'art numérique mais
aussi la diffusion de l'art. C'est aussi une opportunité de
décloisonner un milieu de l'art trop hiérarchisé. L'IRCAM
et la Gaîté Lyrique sont des lieux à la pointe du
numérique pour faire de cet outil un pont entre artiste et scientifique
et élargir l'art à de nouvelles pratiques (fab labs, jeux
50
vidéos etcÉ). Le numérique est aussi un
moyen d'accès à la pratique artistique et à de nouvelles
techniques pour les créateurs.
« C'est potentiellement la notion d'art contemporain
avec toute son histoire qui est remise en cause avec les usages
numériques d'aujourd'hui qui sont en tout cas l'opportunité de
rebattre les cartes. C'est aussi la position de la Gaîté Lyrique
de travailler à la déhiérarchisation : détricoter
des systèmes hiérarchiques que l'on a créés dans
l'histoire de l'art jusqu'à aujourd'hui. (É) De plus en plus,
notamment les plus jeunes cousent plein de choses, croisent l'espace
réel, le rapport physique aux choses et le virtuel, le numérique.
C'est aussi le cas avec le phénomène des fab labs qui renvoient
à des pratiques ancestrales de fabrication. »
Jérôme Delormas
« Le numérique
change la donne. L'art sort de la galerie. Il y a un écueil en revanche
avec les installations photos : on peut avoir vu quelque chose sans l'avoir
vécu. L'action derrière un écran va aplatir. Dans la
pratique artistique, on tend à sortir du cadre du tableau et on retombe
derrière un cadre : celui de l'ordinateur. (É) Cela laisse un
champ assez vaste pour l'artiste pour envisager le rapport au public.
(É) On va peut-être trouver la vraie utilisation par des pratiques
expérimentales. »
Thibault Duchesne
«A l'IRCAM, on invente des
paradigmes de programmation informatique. (É) Pour l'IRCAM, le dialogue
entre artistes et scientifiques s'incarne véritablement dans l'outil
technologique et en particulier dans les logiciels. Les chercheurs
scientifiques vont développer des algorithmes particuliers et vont
essayer de répondre aux sollicitations à la fois des artistes
mais aussi aux problématiques générales de leur
51
secteur qui concernent différents champs
scientifiques : de l'accoustique instrumental à la spatialisation de
l'espace. C'est la manière par laquelle l'innovation pourra s'incarner
dans quelque chose de plus générique qui va dépasser
l'oeuvre artistique du créateur. » Michel
Muckensturm
« Internet a donné
un élan à beaucoup de choses, notamment au street-art. Le
numérique a aussi permis le développement des logiciels de
musique comme Ableton et les logiciels de retouche de photos. Cela oblige
l'artiste à aller plus loin dans sa technique pour se
différencier. » Alexandre Gain
« Le numérique est
un outil qui permet d'aller plus loin, de découvrir des langages et de
faire des calculs. Je serais très curieuse de voir des calculs sur le
nombre d'or dans l'art contemporain faites par un ordinateur. »
Michèle Broutta
Exemple d'un « fab lab » en région
parisienne : Ici Montreuil
52
Hypothèse 6 : Les médiateurs culturels ont un
rôle clé dans l'enrichissement du dialogue entre l'artiste et son
public
Qu'est-ce qui rend les lieux culturels des lieux de vie
fédérateurs pour la communauté ?
Les établissements culturels sont des lieux où
des savoirs sont partagés et transmis. Ce sont aussi des lieux de
rencontre et d'échange qui dynamisent le territoire sur lequel ils sont
implantés. Elargir le public est une manière de faire en sorte
que ces lieux ne soient pas réservés au seul milieu
artistique.
« C'est la rencontre, la
mise en commun d'une même sensibilité sur une oeuvre. C'est un
moyen d'échange, que cela soit dans l'accord ou dans la guerre. La
Cité Radieuse du Corbusier à Marseille n'a été
comprise que par la suite. » Michèle
Broutta
« Il y a une
nécessité absolue de lieux de vie culturelle comme la
Gaîté Lyrique : des lieux de vie sociale à l'ère
numérique. » Jérôme Delormas
« Il y a aussi des lieux qui créent du lien
entre les artistes. Le problème est encore une fois
l'accessibilité du contenu. Il y a des inégalités de
capital culturel et social. » Alexandre Gain
« Ce qui rend un lieu spécial
est la culture. Lorsque les gens partagent une part d'eux-mêmes, c'est le
type de monnaie qui forme la communauté. » Beth
Scaccia
53
La Cité Radieuse à Marseille
designée par Le Corbusier
Pourquoi la diversification des formes de dialogue
via le développement de festivals & des expositions hors-les-murs
sont nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes
et des territoires investis ?
Le développement des festivals et des expositions
hors-les-murs participent à la démocratisation de la culture. Le
problème est de savoir à quelle culture se réfère
ces initiatives. Il faut savoir mettre en valeur les territoires investis et
promouvoir une culture locale qui possède aussi une
créativité qui lui est propre.
« On retrouve ici la
question de la démocratisation culturelle. Question qu'un Thomas
Hischorn a plutôt bien géré mais ils sont rares les
professionnels du monde de l'art qui réussissent cela. Qui dit
démocratisation de la culture, cela présuppose qu'il y a quelque
chose à rendre accessible. Or, ce quelque chose, qui décide de
cette valeur-là symbolique ? Ce sont toujours les mêmes. Par
exemple, le Centre
54
Pompidou Mobile amène les oeuvres d'art dans des
territoires : c'est un bon sentiment mais quel message veut-on faire passer ?
Est-ce que cela veut dire que ces gens-là n'ont pas de culture ? Or, ils
ont une culture. Tout le monde a une culture : simplement certaines sont
valorisées et d'autres non. » Jérôme
Delormas
« Le rayonnement culturel
dépend de la classe créative qui a un rôle
prédominant dans notre société. »
Thibault Duchesne
Vue du Centre Pompidou Mobile
55
Hypothèse 7 : Les lieux innovants qui aident à
la collaboration pluridisciplinaire et à l'expérimentation sont
un socle indispensable pour la création contemporaine
En quoi une programmation pluridisciplinaire
autour d'un thème est à la fois un challenge artistique et une
opportunité d'élargir les possibles ?
En croisant les disciplines artistiques, comme se donne pour
mission l'association Prism Collective, on enrichit le travail de l'artiste qui
voit son oeuvre dialoguer et renaître sous d'autres formats. C'est aussi
en favorisant les interactions entre les représentants de
différentes disciplines qu'on se rend compte de la transversalité
de certains domaines et de la possibilité par analogie de
déboucher sur de grandes découvertes. L'innovation provient
souvent de la confrontation de champs différents. A l'IRCAM collaborent
des musiciens et des médecins dans le traitement des
acouphènes.
« Ce dont on se rend compte
à nouveau c'est que l'innovation, l'invention, la création
n'émergent pas tout à fait là où on le pense, en
tout cas pas en milieu pur. Toute l'histoire prouve en terme d'innovation que
c'est est un phénomène fortuit. C'est parce qu'il y a eu
transposition, qu'il y a eu discussion avec quelqu'un dans un champ qui n'a
rien à voir, qu'il il y a eu emprunt et analogie avec un autre secteur.
La rencontre fortuite est fondamentale et cela est aidé par des
conditions pluridisciplinaires. A la Gaîté Lyrique, en mettant
sous le même toit des entrepreneurs de start-ups, des artistes de toutes
les disciplines, des chercheurs,
56
des scientifiquesÉ c'est se dire qu'à un
moment donné il y a des connexions qui se font et que l'on avait pas
nécessairement pré-conçues ou imaginées. On sait
simplement que les conditions sont réunies. »
Jérôme Delormas
« A l'IRCAM, on travaille également avec
l'industrie pour véhiculer des informations particulières qui
permettent un rendu particulier. On travaille avec des médecins, des
neurologues par exemple pour soigner les acouphènes. Le patient peut
rééduquer son cerveau afin de diminuer la douleur. On est bien
dans la pluridisciplinarité. » Michel
Muckensturm
«. Le processus
créatif à partir du moment où il est confronté
à différentes idées a tendance à être
enrichi. » Thibault Duchesne
Que pensez-vous de la transformation et la
réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
Les interviewés réagissent positivement à
la ré-utilisation d'espaces abandonnés et soulignent l'impact
culturel positif de telles initiatives qui permettent de décentraliser
les pôles culturels. Cependant, il ne faut pas sacraliser ce processus et
les artistes transforment de tels lieux par manque de moyens financiers.
« A l'Amour à Bagnolet, on occupe un
bâtiment qui est abandonné depuis 27 ans. Si on n'occupait pas ce
bâtiment, il serait resté vide pendant longtemps avant
d'être détruit. Je trouve légitime d'en faire une galerie
d'art et un lieu de vie pour 8 personnes. Dans le fond, c'est encore
l'intention qui compte. C'est bien quand c'est un bâtiment qui n'avait
pas d'utilité sociale. » Alexandre Gain
57
« C'est toujours bien qu'une société
plutôt que de détruire systématiquement son patrimoine et
reconstruire, c'est mieux de transformer ce qu'elle a produit. (É) En
revanche, il ne faut pas le sacraliser. (É) Il faut donc savoir
ré-utiliser du patrimoine et la Gaîté Lyrique en est un
très bel exemple, mais il faut avoir aussi cette audace de
détruire pour refaire du neuf. » Jérôme
Delormas
« Un collectif d'artistes
qui prend possession d'un hangar ce sont des questions financières. Il y
a un espace de création et d'exposition potentielle à prendre,
des espaces en friche. Cela décentralise les pôles culturels. Ce
sont des lieux périphériques. De tout temps, il y a eu ça
: c'était Montparnasse avant, Montreuil aujourd'hui. »
Thibault Duchesne
« Les artistes ont la nécessité
d'emménager dans des lieux avec des loyers très bas.
» Beth Scaccia
« Lorsque les artistes investissent des lieux, ils
les transforment (É) Il ne faut en revanche pas confondre
l'événement et l'oeuvre d'art. » Michèle
Broutta
Vue de la résidence artistique l'Amour à
Bagnolet
58
Hypothèse 8 : La création artistique est
complémentaire de la création scientifique et les ponts entre art
et science re-dessinent la manière de penser les délimitations de
l'art et par conséquent son impact économique
En quoi les ponts entre approche scientifique et
artistique sont importants pour décloisonner ces domaines
?
Les figures de l'artiste et du scientifique ont subi une trop
grande dichotomie auprès du grand public alors que les actes de
création et d'innovation proviennent de mêmes modes d'inspiration
et de constructions de l'esprit. Le plus difficile est de ne pas seulement
fonctionner par analogie mais bel et bien coordonner l'action scientifique et
artistique sur un même projet alors que les attentes de chacun sont
différentes. L'artiste peut aussi avoir une démarche scientifique
en étudiant la couleur ou la coupe de cellules. Sans chercher absolument
à associer deux domaines que l'on pourrait croire opposés, on
perçoit que les interactions sont nombreuses. L'artiste a aussi une
fascination pour la recherche scientifique bien que lui soit au service de la
beauté et non de la science.
« L'objectif est de coordonner le
développement scientifique pour accroître le langage artistique.
C'est un mécanisme difficile à incarner. Souvent on fait des
choses par analogie, on s'inspire de l'astronomie, d'Einstein ou de je ne sais
quoi, mais il n'y a pas de vrai démarche commune qui va concourir
à créer quelque chose de nouveau dans le temps. (É)
L'artiste a une processus qui lui est propre et
59
des préoccupations : l'urgence de sa
création, la pièce à venir. Or, le chercheur scientifique
lui veut faire avancer la science. Il est dans une idée de
généricité. (É) La volonté initiale est de
gérer un événement artistique mais cela participe à
des recherches pour une communauté scientifique qui peuvent donner lieu
à de l'exploitation de logiciels. Les scientifiques se nourrissent de la
demande artistique qui a des requêtes d'usage. Ce n'est pas une demande
de "proof of concept" dans un laboratoire. Il y a un défi qui est de
faire fonctionner l'expérience devant un public. »
Michel Muckensturm
« Historiquement, le
scientifique et le philosophe sont les mêmes. Il y a un cheminement
philosophique très fort. Il y a beaucoup d'artistes qui
s'intéressent à la science. Caroline Corbasson s'intéresse
à des phénomènes géologiques et spatiaux. Il y a un
rapprochement scientifique qui est évident. Ses thèmes sont les
terres à prendre, la dimension inconnue. L'étude de la couleur
est un aspect scientifique. La pratique artistique implique une pratique de la
chimie. Le peintre est un chimiste : il y a un mélange de couleur, de
pigments.Il y a également des installations qui s'intéressent
à l'énergie, à la géométrie. Je pense ici
à l'exposition sur Takis qui s'intéresse au
magnétisme.C'est l'image tout public qui a changé. »
Thibault Duchesne
« Avant nous vivions dans
un temps où tout était spécialisation. Désormais,
nous percevons de quelles manières sont reliées toutes les
disciplines et toutes les connexions qu'il y a entre elles. Nous avons
organisé un hackaton sur la mode à Paris où un
ingénieur a collaboré avec un designer de mode.
» Beth Scaccia
« Dans la science, dans la biologie, il y aussi une
esthétique, une beauté qui est presque du domaine artistique. En
même temps, parfois il ne faut pas absolument mélanger des
domaines opposés pour dire qu'on les mélange. »
Alexandre Gain
« Il y a des artistes qui
se sont inspirés de biologie, de l'étude de cellules. Beaucoup
d'oeuvres d'artistes s'apparentent à de la science, ne serait-ce que par
l'observation. Je pense néanmoins que c'est surtout l'artiste qui puise
son inspiration auprès du scientifique et non l'inverse. »
Michèle Broutta
« Il y a un parallèle car ils sont tous dans
une spéculation et dans une passion, à corps perdu. Les grands
scientifiques ont souvent des attitudes communes aux grands artistes. »
Jérôme Delormas
Vue de l'exposition « Takis », Palais de
Tokyo 2015. Photo : André Morin. (c) ADAGP, Paris
60
61
Hypothèse 9 : L'innovation, liée à la
recherche artistique, est un concept-clé pour la création de
richesse
En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation dans les
industries créatives ?
L'artiste nourrit l'innovation des industries créatives
car il est à l'avant-garde. L'art expérimental est le laboratoire
des industries créatives qui en puisent de l'inspiration et l'applique
avec des moyens plus importants. L'art contemporain qui est souvent à la
pointe de la recherche esthétique infuse peu à peu les industries
créatives.
« C'est peut-être par accident car ce n'est pas
la préoccupation première de l'artiste qui souhaite avant tout
sortir son oeuvre mais cela peut donner lieu à de l'innovation d'usage,
l'innovation produit dans des univers beaucoup plus larges. (É) On a
signé un contrat avec UNIVERSAL MUSIC pour améliorer leurs
recommandations d'utilisateurs en fonction de l'atmosphère et de
sonorités en élargissant les genres de musique. »
Michel Muckensturm
« L'art contemporain est la
base expérimentale pour ce qui deviendra plus commercial. Beaucoup de
campagnes publicitaires s'appuient sur des oeuvres d'art contemporain. L'art
contemporain infuse le paysage culturel et on va le retrouver dans les
industries créatives. Le cinéma d'avant-garde a totalement
inspiré le cinéma grand public. Ainsi, les films
expérimentaux de Jean-Luc Godard ont inspiré tout une
génération au cinéma. La pratique expérimentale
donne lieu à de nouvelles idées. » Thibault
Duchesne
62
Hypothèse 10 : La création artistique inspire la
société dans son ensemble et trouve son application notamment
avec le design
En quoi le design apparaît comme une
solution afin de combiner art, technique et société
?
A la croisée des disciplines, le design est une
application plus fonctionnelle de l'art mais qui prend une place de plus en
plus importante dans nos sociétés interfacées. Le design
devient un enjeu de pouvoir et il se développe sous de multiples formes,
comme le design sonore. Le designer a une démarche différente de
l'artiste car il est là pour solutionner un problème plus que
pour amener une réflexion philosophique.
« Je vois qu'on est dans
une société où la plupart des objets que nous utilisons
sont le fruit d'un double-processus : de dessein et de dessin. Nous sommes de
plus en plus dans une société interfacée et le rôle
du design est cette fonction qui fait qu'on est au monde d'une certaine
manière et pas d'une autre. Cela met le design au centre et partout.
Après, il y a des modes de production et des formes du design qui sont
très hétérogènes les unes des autres.(...) C'est un
enjeu politique phénoménale. En témoignent les Iphones qui
sont des purs produits de design dans le hardware comme dans le software.
» Jérôme Delormas
« Avec l'école des
Beaux-Arts du Mans, on a créé une filière de formation en
design sonore (É). Autant le design visuel existe, autant le design
sonore n'est pas très développé. (É) On a ainsi
travaillé avec RENAULT sur leurs véhicules
électriques.
Les véhicules émettent un signal qui
caractérisent leur marque. Le son devient alors un outil marketing pour
véhiculer un message. » Michel Muckensturm
« Le designer n'a pas les mêmes questionnement
que l'artiste. Dans le design, il y a un produit qui tend à être
multiplié et distribué. L'artiste soulève des questions
tandis que le designer solutionne. » Thibault
Duchesne
« Le design c'est de l'art
fonctionnel, au service de la personne lambda. (É) Les designers
acceptent leur côté artisan et le côté fonctionnel de
leurs produits. » Alexandre Gain
« Le designer est
influencé par l'artiste, il a le regard de ce qui a été
fait et entreprit par l'artiste. Il faut que cela soit sufÞsamment
nouveau pour étonner mais aussi que cela soit reçu. »
Michèle Broutta
63
En 2014, lÕIRCAM a collaboré avec le
compositeur Andrea Cera pour le design de la ZOE
64
II Recommandations
Suite à l'analyse des interviews, ce qui ressort est
que notre époque est marquée par la révolution
numérique qui accroît exponentiellement les possibilités de
création et de diffusion de l'art. La responsabilité sociale de
l'artiste est de préserver sa liberté et de continuer à
être un véhicule de créativité. Les
répercussions de la créativité sur l'innovation en terme
économique sont bien plus important qu'imaginé grâce au
design et à des collaborations dans des domaines regroupants art,
science et ingénierie. Afin de garantir la liberté du travail de
l'artiste, les médiateurs culturels et les établissement
culturels doivent innover dans leur rapport au public et tenter de briser
l'image d'un art contemporain trop élitiste et inaccessible. Les
possibilités infinies qu'offrent l'interdisciplinarité et la
technologie sont autant de voies à explorer. En ce qui concerne la
responsabilité, elle est donc partagée et ce également
avec les politiques qui devraient prendre conscience de l'importance de la
culture dans la construction de l'individu et de la communauté. En
effet, l'art est avant tout l'occasion d'ouvrir le dialogue sur
différents débats essentiels à l'idéal
démocratique. Il s'agit d'intégrer des espaces de création
pour développer la créativité, notamment au sein des
entreprises. Terreau de développement économique et sociale,
l'art comme capacité propre à l'Homme et manifestation de
spiritualisation doit rester accessible à tous en tant que potentiels
créateurs d'une société plus juste.
65
BIBLIOGRAPHIE
Livres
L'économie de la culture - Françoise Benhamou
Postproduction - Nicolas Bourriaud
Esthétique Relationnelle - Nicolas Bourriaud
L'Art comme expérience - John Dewey
Histoire de l'Art - Ernst Gombrish
L'artiste et l'entrepreneur - Norbert Hilaire
Vivre de son art : Histoire du statut de l'artiste, XVe-XXIe
siècles - Agnès Graceffa
La mission de l'artiste - Ferdinand Hodler
Portrait de l'artiste en travailleur - Pierre-Michel Menger
L'Art de Platon à Deleuze - Eric Oudin & Ciryl
Morana
L'Art du XXIème siècle - Edition Phaidon
Articles et essais
L'artiste dans la société contemporaine -
l'UNESCO
Médiapart : l'art assume-t-il des fonctions sociales
http://blogs.mediapart.fr/blog/bout-de-souffle/230509/l-art-assume-t-il-des-fonctions-sociales
Quelle peut être la place de l'artiste dans une
société du «savoir» ?
http://www.millenaire3.com/uploads/tx_ressm3/debat_savoirs_2009_01.pdf
Rencontre France Culture «L'artiste dans la
cité»
http://www.rectoversion.com/contact_lapage21.htm
L'artiste : immunité ou responsabilité? -
Vème Congrès Méditerranéen Esthétique,
Carthagène, 4-8 juillet 2011
Art, science, technologie - Création numérique et
politiques de l'interdisciplinarité, Jean-Paul Fourmentraux
66
SOURCES
(1) Etude Ernst & Young et France Créative du
07.10.13
(2) André Comte Sponville, préface de l'Art de
Platon à Deleuze
(3) Agnès Graceffa, Vivre de son art p14
(4) Daniel Bougnoux, « Lieu d'être », in Oeuvre
et lieu, Essais et documents, Flammarion, 2002, p35
(5) Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, p28
(6) Norbert Hilaire, L'artiste et l'entrepreneur
(7) Albert Camus, Conférence L'artiste et son temps
(8) Mirceia Eliade, Mythes, rêves et
réalité
(9) Conférence « Que peut faire l'Art en politique ?
» à l'Aéronef à Lille le 09.10.14 avec Gilberto Gil,
ancien ministre de la culture et membre fondateur du mouvement brésilien
tropicalisme (1964-1967)
(10) Gilles Deleuze, film l'Abécédaire, «Il
n'y a pas d'art qui ne soit une liberation d'une puissance de vie»
(11) L'artiste : immunité ou responsabilité?
Considérations sur l'usage des catégories
éthico-juridiques dans le monde de l'art - Vème Congrès
Méditerranéen Esthétique, Carthagène, 4-8 juillet
2011, p13
(12)
http://www.liberation.fr/societe/1998/09/19/le-profanateur-de-pissotiere-en-appelle-a-l-art-pierre-pinoncelli-est-juge-pour-avoir-souille-et-abi_246219
(13) Joseph Beuys, « Chaque personne est un
artiste»
(14) L'Art du XXIème siècle, édition
Phaidon, p25 & 214
(15) Nicolas Bourriaud, Postproduction p
(16)
67
John Dewey, L'art comme expérience, p38
(17) Julian Schnabel, Documentaire Basquiat, 1996
(18) Pierre Musso, Art, innovation et industrie : le retour du
saint-simonisme ?
(19) Pierre-Michel Menger, Etre artiste, oeuvrer dans
l'incertitude, 2012
(20) Nicolas Bourriaud, Postproduction, Conclusion
(21) Albert Camus, Discours de Suède, p15
(22) Fourmentraux, Volume! numéro 10, p114
(23) Agnès Graceffa, Vivre de son Art, p 12
(24) David Edwards, Artscience: Creativity in the Post-Google
Generation (Harvard Press, 2008)
(25) John Dewey, L'art comme expérience, p38
(26) Françoise Benhamou ,L'économie de la
culture
(27) Article du Figaro :
http://www.lefigaro.fr/culture/
2015/05/06/03004-20150506ARTFIG00167-la-sncf-16-sites-inoccupes-ouverts-a-des-projets-culturels.php
(28) Gagnants du concours Design of the Year 2014 :
http://www.dezeen.com/
2014/02/10/designs-of-the-year-2014-shortlist-announced
(29) Rolf A. Faste, An Improved Model for Understanding
Creativity and Convention (Standford, 1992)
(30) Françoise Benhamou, L'économie de la
culture
(31) Infographie du Ministère de la culture
(32) Pierre-Michel Menger, Portrait de l'artiste en travailleur,
2002
(33) David Edwards, The Lab : Creativity and Culture, 2010
68
ANNEXES
Annexe 1 : Interview de Laurent Bizot, fondateur du label
No Format!, réalisé le 2 mars 2015
Q : Pouvez-vous nous en dire plus sur la place du griot dans
la société malienne ?
R : «Le griot a une place très importante dans la
société malienne, qui repose sur un système de castes
depuis le 12e siècle. Depuis l'époque de Soundiata Keita
(1191-1255), la structure sociale de ce qui était à
l'époque l'empire du Mali n'a quasiment pas bougé, du moins
jusqu'à ces dernières années. La société est
divisée en castes correspondant à une fonction professionnelle ou
sociale. Les nobles (propriétaires terriens, guerriers, chasseurs), les
forgerons, les pêcheurs..
Les familles de griots sont en général
associés à une famille de nobles, et cultivent avec eux une
relation d'interdépendance. Le noble entretient matériellement le
griot. Le griot rend de multiples services au noble. Réputé
maitre dans l'art de la parole, le griot est par exemple le représentant
du noble dans toutes les interactions sociales importantes,
négociations, demandes en mariage, conflit de terrain.. C'est un
intermédiaire, parfois avocat, parfois notaire. C'est aussi un biographe
et un historien, il a en tête toute la généalogie de la
famille noble à laquelle il est attaché, et à l'art de
raconter les exploits des ancêtres de cette famille. Enfin la pratique du
chant ou d'un instrument peut faire partie des talents du griot. En tout cas
cette pratique leur est réservée, et jusqu'à
récemment, il était hors de question qu'un noble chante ou jour
d'un instrument (cf rejet de Salif Keita par sa famille).
Ballaké Sissoko vient d'une famille de griots gambiens,
son père était un grand joueur de kora.
Kassé Mady Diabaté vient de Kela, au coeur du
pays mandingue. Kela est un village à la tradition griotique très
forte. Il représente la tradition griotique authentique, avant qu'elle
soit "contaminée" par les travers actuels (pratique griotique
aujourd'hui motivée par l'appât du gain avant tout). Kasse Mady
chante les grandes figures de l'histoire du manding, les moments historiques et
les légendes, qui parfois se croisent, mais il chante aussi des conseils
pour les jeunes, des recommandations pour que la communauté vive en
paix. Ses mots touchent autant que sa virtuosité et la finesse de ses
phrases mélodiques, la forme sert le fond. On dit qu'il a
hérité de la voix de son grand père le grand griot Bintou
Fama. Dès l'âge de 7 ans les anciens du village ont reconnu cette
voix, et l'ont formé. La transmission du savoir griotique est orale,
elle s'opère pendant les jeunes années surtout.»
69
Annexe 2 : Répartition géographique des
centres d'art contemporain
en France en 2015
Source : Association française de développement des
centres d'art
70
Annexe 3 : Interviews de six acteurs de la culture en
France
|
Interview de Jérôme Delormas, Directeur de
la Gaîté Lyrique Réalisée le 12 mai 2015 au Foyer de
la Gaîté Lyrique
|
Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : Cela dépend vraiment du type
d'artiste et de la pratique. L'art et la création inventent des langages
et des formes. Je suis foncièrement formaliste. Il peut y avoir un
artiste extrêmement spéculatif qui va tellement loin dans la
création de formes et de langage qu'il créé une rupture,
quelque chose qui forcement prend une place particulière et
singulière dans le monde au sens des relations sociales. En l'occurence,
il peut y avoir des artistes qui n'inventent pas du tout au niveau formel mais
qui ont un message ultra impliqué, engagé voir politique
explicitement mais qui sont de très mauvais artistes. D'autres ont un
degré d'abstraction extrême et une pratique tellement disruptive,
tellement dans l'invention d'un nouveau monde qu'ils sont politiques.
Des artistes intègrent tellement le marché et la
notion de notoriété et de validation par les instances que
finalement ça devient plus important que la pratique. Ils
pré-répondent une attente et du coup ça devient
marketing.
71
La question de l'engagement explicite n'est pas le bon
paramètre. On peut être engagé dans sa tour d'ivoire comme
on peut être totalement mauvais dans son engament ne servir à rien
pour la société quand on est pseudo-engagé. On a plein
d'exemples avec les bouleversements politiques et écologiques : il y a
beaucoup d'artistes qui s'engouffrent là-dedans. On voit bien que c'est
parce qu'il y a un marché en terme de notoriété et en
terme économique.
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
R : C'est une vaste et éternelle
question qui englobe celle de la censure et de la liberté d'expression.
Je défend évidemment la liberté absolue et si l'art doit
avoir une fonction c'est celle de la liberté totale, sinon cette
fonction n'existe plus dans la société. Liberté totale
cela veut dire un imaginaire débridé, une capacité
à inventer. Certains régimes politiques ne s'y trompent pas : si
ils censurent c'est bien qu'ils y voient du danger. Si il y a danger, il y a
intérêt et cela a un impact sur la société.
Après, on a la chance de travailler non pas que sur des objets mais sur
avec de l'humain, et par rapport à la création contemporaine ce
sont des gens vivants que l'on peut rencontrer. Il y a alors l'aspect
éthique et moral qui rentre en jeu. Ce sont des citoyens comme les
autres. Je ne veux surtout pas sacraliser l'artiste, le mettre sur un pied
d'éstale. En tant qu'être social, l'artiste n'a pas tous les
droits et cela reste quelqu'un qui a des responsabilités. Une de ses
responsabilités peut être de revendiquer sa liberté
d'expression. A ce moment, il faut que cela soit complètement
assumé.
72
Il y a des artistes qui ont l'impression d'exprimer une
liberté énorme et qui se font censurer mais avec un peu distance,
on se rend compte que c'était absurde. D'abord, ils n'étaient pas
si audacieux que ça. Ensuite, la censure est faite à mauvais
escient : elle s'applique au mauvais moment et sur des mauvaises choses. Par
exemple, la censure de l'oeuvre à Barcelone au MACBA qui a conduit
à la démission du directeur. Il y a eu contre lui un tollé
contre lui. Cette oeuvre, que j'ai vu en reproduction, ne bouleverse rien et ne
remet pas une seconde en cause un ordre social. A la Gaîté
Lyrique, on intègre la position du public. On travaille à part
égal la question du propos de l'artiste et la question de
l'expérience du visiteur. Un cas de conscience peut exister mais il n'y
a à priori aucune raison de censurer. On met des avertissements pour que
le public soit prévenue.
Q :L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : C'est vrai que la figure de
l'entrepreneur est assez proche de celle de l'artiste. Je n'en avais pas une
conscience aussi aigüe que depuis que j'ai fait un voyage en Californie
où finalement là-bas le concept même d'entrepreneur
culturel, concept qui nous est chère, et en particulier à la
Gaîté Lyrique, est un peu incongru. Cela nous renvoie à
notre position très française de mettre la culture dans une case,
comme si c'était un registre bien précis alors que finalement
lorsqu'on a une mentalité entrepreneuriale : l'entrepreneur est un
créateur. C'est aussi quelqu'un qui prend un risque absolu. Certains
artistes prennent l'entreprise comme sujet mais ce qui est vraiment
intéressant c'est la façon d'être au monde qui est
risquée et qui engage complètement la personne.
73
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : Il y a quelque chose que l'on ne doit pas
oublier. La culture, l'art et la création sont des productions sociales
pour être ensemble,pour susciter du débat, de l'expression et de
l'échange. On a tendance à l'oublier en sacralisant et en mettant
l'oeuvre d'art sur un pied d'éstale. Or, l'oeuvre est faites pour nous,
et non pour elle. En ce sens, c'est un vecteur social fondamental. C'est aussi
pour cela qu'il est très important d'avoir des lieux comme la
Gaîté Lyrique, notamment pour un lieu culturel qui se consacre,
qui problématise la question du numérique et de la
société numérique qui, à priori, pourrait aller du
côté du virtuel, de l'immatériel... Au contraire, ce n'est
surtout pas chacun devant son écran. On partage des expériences,
des espaces, de la musique, des expositions.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
R : C'est tout à fait cela. En revanche,
il n'est pas possible de commander aux artistes. L'artiste ne peut pas
répondre à une commande. Ce que j'aime entrevoir chez l'artiste
c'est cette capacité à pousser les logiques au bout et à
les distordre. C'est pour cela que beaucoup d'artistes intéressent des
grandes sociétés spécialisées dans la technologie
et dans les usages numériques. Les artistes vont détourner un
algorithme, un procédé bien lisse et ils vont aider
l'entrepreneur, le développeur ou l'ingénieur à aller
encore plus loin.
74
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : L'Esthétique Relationnelle,
théorisée brillamment par Nicolas Bourriaud, l'illustre bien mais
je me demande si celle-ci n'a pas été mise en oeuvre dans des
pratiques qui ne se revendiquent pas, tout simplement parce qu'il y a un
côté phagocitage. Quand un milieu est trop constitué, il
enferme les oeuvres même si elles sont disruptives. Comme le capitalisme,
d'une certaine manière. Cela avale et digère très bien.
L'Esthétique Relationnelle a principalement mise en relation des
artistes et des gens du milieu de l'art entre eux. C'est là que je
trouve qu'il y a une limite qui ne vient pas de la théorie mais d'un
milieu en auto-reproduction, d'un fonctionnement social.
Dans les années 90, Thomas Hirschorn avait fait le
choix à Bilbao d'en parallèle de sa résidence, de
s'installer dans un atelier pignon sur rue. Il fût assez
dépité car il avait envie d'échanger mais il n'a eu que
des clochards qui sont rentrés dans son atelier. Il n'a pas
réussi à toucher un large public. Cela n'a pas été
un lieu de relation sociale. Aussi, certains artistes ont mis en oeuvre un
partage de plats, d'alimentation dans l'Esthétique relationnelle. Cela a
été un indice de quelque chose qui est très fort : la
cuisine et l'alimentation comme faisant partie de la culture et comme
finalement la première et primordiale esthétique relationnelle.
Je fais un continuum entre toutes les pratiques sociales et la création,
il n'y a pas de rupture pour moi.
75
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Le numérique est un outil de
reproduction et de diffusion qui continuerait par certains moyens ce qu'on pu
faire la photo et la vidéo dans l'histoire récente.
Il y a également aussi l'aspect de l'art
numérique qui est un genre dont le milieu de l'art va s'empresser de
codifier, de créer une branche de l'art contemporain avec son
marché, ses critiques, ses lieux spécialisés. Ce qui est
honorable mais ce qui est limité et ne me satisfait pas. Je pense que la
révolution en cours fait exploser cela. C'est potentiellement la notion
d'art contemporain avec toute son histoire qui est remise en cause avec les
usages numériques d'aujourd'hui qui sont en tout cas
l'opportunité de rebattre les cartes. C'est aussi la position de la
Gaîté Lyrique de travailler à la
déhiérarchisation : détricoter des systèmes
hiérarchiques que l'on a créés dans l'histoire de l'art
jusqu'à aujourd'hui. Le concept d'art numérique va dans ce
sens-là. De nombreux artistes « numériques » sont
méprisés par le milieu de l'art et ne rêve que d'une chose
c'est d'être adoubé par ce milieu comme si il y avait une
hiérarchie. Or, il y a des malentendus là-dessus. A la
Gaîté Lyrique, nous essayons de casser les statuts en invitant des
gens hétérodoxes qui viennent d'ailleurs, qui n'attendent pas de
la Gaîté Lyrique un statut. Enfin, le numérique est une
occasion non pas de mimer ce que l'on fait dans l'art contemporain pour en
faire un genre nouveau au sein de l'art contemporain mais de se dire que tout
peut voler en éclat, qu'il y a de nouvelles manières de
créer, de nouveau types d'oeuvres, de nouveaux types de récits,
d'autres imaginaires qui ne sont pas antagoniste avec le passé. Plein
d'artistes qui utilisent l'outil numérique finalement
76
se reposent et nous renvoient à des questions
ancestrales. Prenons l'exemple du jeu vidéo qui nous offre aujourd'hui
l'opportunité de se réaproprier le jeu comme
phénomène sociale et artistique. C'était un peu ringard
d'aimer jouer il n'y a pas si longtemps. Aujourd'hui, on peut être gamer,
un geek de jeu vidéo et aimer jouer aux jeux de plateau, aux
échecs etcÉ On l'a vérifié dans plein d'endroits
ici avec des projets d'artistes et de game designers. De plus en plus,
notamment les plus jeunes cousent plein de choses, croisent l'espace
réel, le rapport physique aux choses et le virtuel, le numérique.
C'est aussi le cas avec le phénomène des fab labs qui renvoient
à des pratiques ancestrales de fabrication. Si on prend l'exemple du
designer François Brument qui expose ici dans le cadre de l'exposition
Oracles du Design, il a conçu des algorithmes qui permettent de produire
une forme qui est numérisée sur un ordinateur lorsque vous
soufßez. Ensuite ces formes sont imprimées en 3D. En l'occurence,
ce sont des vases. A terme, avec l'avancée de la technologie, on pourra
les imprimer non plus avec de la matière synthétique mais avec de
la terre. On pourra donc faire de la céramique comme les techniques
traditionnelles mais dans un processus ultra contemporain et très
sophistiqué. Ici, l'art contemporain n'a pas d'importance. Ce n'est plus
la question.
Concernant la vente d'objets d'art sur Internet, je ne pense
pas que cela soit un danger pour les galeries. Elles seront
intégrées ces dimensions. Comme toujours dans ce
domaine-là et en particulier dans le commerce, on a toujours
intérêt à multiplier les points de vente et la
visibilité étant donné que ça développe de
l'intérêt. Je pense qu'actuellement le marché de l'art
numérique est en train
77
d'émerger, mais de ce fait une galerie qui aurait un
artiste numérique a tout intérêt
à s'associer à des plateformes.
Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels des
lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?
R : Il y a une nécessité absolue
de lieux de vie culturelle comme la Gaîté Lyrique : des lieux de
vie sociale à l'ère numérique.
Q : Pourquoi la diversification des formes de
dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont
nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et
des territoires investis ?
R : On retrouve ici la question de la
démocratisation culturelle. Question qu'un Thomas Hischorn a
plutôt bien géré mais ils sont rares les professionnels du
monde de l'art qui réussissent cela. Qui dit démocratisation de
la culture, cela présuppose qu'il y a quelque chose à rendre
accessible. Or, ce quelque chose, qui décide de cette valeur-là
symbolique ? Ce sont toujours les mêmes. Par exemple, le Centre Pompidou
Mobile amène les oeuvres d'art dans des territoires : c'est un bon
sentiment mais quel message veut-on faire passer ? Est-ce que cela veut dire
que ces gens-là n'ont pas de culture ? Or, ils ont une culture. Tout le
monde a une culture : simplement certaines sont valorisées et d'autres
non. Je sais bien que la société classe mais il faut se battre
contre cela. C'est quelque chose que les outils numériques peuvent
apporter : un partage des savoirs. Au Japon, il existe des
78
quartiers où il existe une université
communautaire où chacun s'échangent ces savoirs. C'est le
paradigme numérique qui permet cela.
Nier le fait que tout le monde ait une valeur, politiquement
c'est inacceptable. Il faut être cohérent : si l'on montre un
Malevitch ou un Mondrian en banlieue, en quoi cela est plus légitime
qu'un concert de rap ou autre chose ?
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : Le paradigme numérique apporte la
collaboration et l'interdisciplinarité. Ce dont on se rend compte
à nouveau c'est que l'innovation, l'invention, la création
n'émergent pas tout à fait là où on le pense, en
tout cas pas en milieu pur. Toute l'histoire prouve en terme d'innovation que
c'est est un phénomène fortuit. C'est parce qu'il y a eu
transposition, qu'il y a eu discussion avec quelqu'un dans un champ qui n'a
rien à voir, qu'il il y a eu emprunt et analogie avec un autre secteur.
La rencontre fortuite est fondamentale et cela est aidé par des
conditions pluridisciplinaires. A la Gaîté Lyrique, en mettant
sous le même toit des entrepreneurs de start-ups, des artistes de toutes
les disciplines, des chercheurs, des scientifiquesÉ c'est se dire
qu'à un moment donné il y a des connexions qui se font et que
l'on avait pas nécessairement pré-conçues ou
imaginées. On sait simplement que les conditions sont réunies.
Q : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
79
R : J'aurais une position assez pragmatique
là-dessus. C'est toujours bien qu'une société plutôt
que de détruire systématiquement son patrimoine et reconstruire,
c'est mieux de transformer ce qu'elle a produit. C'est un potentiel où
l'on aurait tort de se priver. En revanche, il ne faut pas le sacraliser. J'ai
rencontré des collectivités et des élus qui ont en charge
un patrimoine industriel considérable et veulent en faire absolument
quelque chose. Parfois, il ne faut pas non plus se forcer. Ce n'est pas parce
que c'est trop grand à utiliser : comme el Matadero à Madrid qui
est un lieu extraordinaire mais c'est objectivement trop grand. Il faut donc
savoir réutiliser du patrimoine et la Gaîté Lyrique en est
un très bel exemple, mais il faut avoir aussi cette audace de
détruire pour refaire du neuf. Dans certains pays comme au Royaume-Uni,
il y a une générosité architecturale plus importante alors
qu'en France on est un peu timoré.
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou des ateliers
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Il y a une condition : celle d'avoir une
conception assez large de l'artiste qui englobe le designer. Il y a un
parallèle car ils sont tous dans une spéculation et dans une
passion, à corps perdu. Les grands scientifiques ont souvent des
attitudes communes aux grands artistes.
80
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Le design est un champ immense. Il y a
beaucoup de polémiques et de discussions sur ce qu'est le design. J'ai
une acception assez large et anthropologique. Je vois qu'on est dans une
société où la plupart des objets que nous utilisons sont
le fruit d'un double-processus : de dessein et de dessin. Nous sommes de plus
en plus dans une société interfacée et le rôle du
design est cette fonction qui fait qu'on est au monde d'une certaine
manière et pas d'une autre. Cela met le design au centre et partout.
Après, il y a des modes de production et des formes du design qui sont
très hétérogènes les unes des autres. Cela fait
tout le merveilleux et toute la chaire du design : il y a le design graphique,
le webdesign, le design d'objets, le design de modeÉCette
diversité est fabuleuse mais cela reste finalement un même
processus mental et un processus de création de même type. En
vérité c'est un enjeu de pouvoir. C'est un enjeu politique
phénoménale. En témoignent les Iphones qui sont des purs
produits de design dans le hardware comme dans le software. Les
péripéties, les discussions sur « est-ce de l'art ou non?
» n'a à vrai dire peu d'importance. Ce qui est important c'est
l'enjeu autour de ces outils numériques : le code devient un langage de
pouvoir. Ce langage, les artistes se l'approprient comme ils se sont
appropriés les autres.
81
|
Interview de Michel Muckensturm, Administrateur
généréral de l'IRCAM Réalisée le 22 mai 2015
à l'IRCAM
|
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou des ateliers
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Pierre Boulez est un artiste fortement
engagé dans la cité. Il a créé l'IRCAM et il
cherchait à créer des matériaux nouveaux. En ayant une
formation d'ingénieur et de mathématicien, il souhaitait utiliser
les techniques modernes pour accroître l'expressivité du langage
musical. Il a rencontré Georges Pompidou qui avait aussi une certaine
vision. Il y a une démarche politique de certains artistes à
certains moments mais ce type d'artistes restent rares. L'IRCAM est un des
rares lieux où il y a la fois des chercheurs scientifiques et des
créateurs.
Si l'on prend l'exemple de l'Opéra dans l'Italie de la
Renaissance, ce fût un laboratoire, des expériences de princes :
un mélange à la fois technique et artistique. L'IRCAM est
contruit sur ce modèle L'objectif de l'IRCAM est d'avoir des artistes
qui ont des préoccupations particulières, à priori ce sont
plutôt des artistes musiciens et d'avoir un dialogue compétitif
avec des scientifiques qui sont
excellents dans leur domaines. L'objectif est de coordonner le
développement scientifique pour accroître le langage artistique.
C'est un mécanisme difficile à incarner. Souvent on fait des
choses par analogie, on s'inspire de l'astronomie, d'Einstein ou de je ne sais
quoi, mais il n'y a pas de vrai démarche commune qui va concourir
à créer quelque chose de nouveau dans le temps. Or, à
l'IRCAM, on est plus proche du Bauhaus où il a les dimensions techniques
et artistiques dans le même lieu. Une véritable cohabitation n'est
pas simple. L'artiste a un processus qui lui est propre et des
préoccupations : l'urgence de sa création, la pièce
à venir. Or, le chercheur scientifique lui veut faire avancer la
science. Il est dans une idée de généricité. Tout
nourrit sa problématique mais il a l'éternité devant
lui.Il est ouvert à tout nouveau paradigme ou à
l'amélioration de son paradigme. L'artiste a lui besoin d'être
à telle heure à un concert ou à une exposition et doit
voir son oeuvre fonctionner. Pour l'IRCAM, ce dialogue s'incarne
véritablement dans l'outil technologique et en particulier dans les
logiciels. Les chercheurs scientifiques vont développer des algorithmes
particuliers et vont essayer de répondre aux sollicitations à la
fois des artistes mais aussi aux problématiques générales
de leur secteur qui concernent différents champs scientifiques : de
l'acoustique instrumental à la spatialisation de l'espace. Le pont entre
l'artiste et le scientifique se fait par le logiciel. C'est la manière
par laquelle l'innovation pourra s'incarner dans quelque chose de plus
générique qui va dépasser l'oeuvre artistique du
créateur.
82
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
83
R : A l'IRCAM, on invente des paradigmes de
programmation informatique. l y a une vingtaine d'années, la
confrontation d'artistes et de scientifiques a donné lieu à la
création de MAX MSP utilisé maintenant par tous les artistes :
à la fois musiciens, plasticiens, ceux qui fonts des installations
vidéos et qui cherchent à travailler avec l'interactivité
d'événements séquentiels. C'est un langage qui permet
l'écriture d'événements temporels : que ce soit des notes
de musique ou des mouvements de danseur. C'était pour répondre
à un besoin scientifique d'un artiste, à l'époque Philippe
Manoury. C'est peut-être par accident car ce n'est pas la
préoccupation première de l'artiste qui souhaite avant tout
sortir son oeuvre mais cela peut donner lieu à de l'innovation d'usage,
l'innovation produit dans des univers beaucoup plus larges. La
spécificité de l'IRCAM est de faire travailler des musiciens qui
jouent en live sur scène avec des phénomènes
électroniques qui varient en fonction du jeu. Ce sont des
problématiques de langage informatique aussi complexes que celles dans
l'industrie spatiale. Ce sont des phénomènes de synchronisation
que vous trouvez également dans l'industrie de l'armement. Où va
se déplacer la trajectoire prédictive du missile et non de la
note ? On est sur un travail où des gens dans l'IRCAM vont enrichir par
leur travail la problématique de l'aéronautique, du
contrôle de trafic aérien et celle du musicien. La volonté
initiale est de gérer un événement artistique mais cela
participe à des recherches pour une communauté scientifique qui
peuvent donner lieu à de l'exploitation de logiciels.Ce mécanisme
vient quand même du besoin créateur. Les scientifiques se
nourrissent de la demande artistique qui a des requêtes d'usage. Ce n'est
pas une demande de "proof of concept" dans un laboratoire. Il y a un
défi qui est de faire
84
fonctionner l'expérience devant un public. L'IRCAM
valorise aussi des objets ou des logiciels. Par exemple, sur le suivi des
partitions, on fait des recherches et on développe avec une start-up un
karoké amélioré. On pourra disposer en jouant au piano
dans son salon d'un logiciel qui va permettre à l'orchestre virtuel de
s'adapter à votre allure. Dans la musique électronique, la
première phase de l'IRCAM était de construire du hardware pour
créer des oscillateurs. Le hardware servait aussi au Ministère de
la Défense.On a aussi depuis 15 ans, une équipe de recherche qui
travaille sur la description qualitative de genre. On a signé un contrat
avec UNIVERSAL MUSIC pour améliorer leurs recommandations d'utilisateurs
en fonction de l'atmosphère et de sonorités en élargissant
les genres de musique. Il y a aussi DASSAULT, plus grande SSII
européenne, qui propose Catia un logiciel 3D de conception industrielle.
L'un des points qui est ressorti est que lorsqu'ils ont sorti le Dreamliner
d'Airbus, les clients avaient peur du fait qu'il n'y ait pas de bruit. Ce sont
les musiciens qui peuvent créer de la synthèse sonore. Pour
l'artiste, ça lui permet de modéliser des matériaux avec
du son. C'est quelque chose qui intéresse l'industrie.
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : A l'IRCAM, on travaille également
avec l'industrie pour véhiculer des informations particulières
qui permettent un rendu particulier. On travaille avec des médecins, des
neurologues par exemple pour soigner les acouphènes. Le patient
85
peut rééduquer son cerveau afin de diminuer la
douleur. On est bien dans la pluridisciplinarité.
Q : En quoi l'artiste nourrit-il
l'innovation, susceptible d'aider le développement humain ?
R : Ce sont des produits
dérivés de la création artistique qui peuvent trouver des
applications. Il y a beaucoup de pistes de relations science - art qui n'est
pas une incarnation purement d'analogie. Cela a un impact et c'est une source
d'innovation.
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : Le public, lorsqu'il vient à
l'IRCAM, c'est pour un spectacle. Lorsque vous êtes dans un restaurant 3
étoiles, vous venez pas pour avoir la recette. La démarche du
public est différente. C'est la relation à l'oeuvre d'art qui
intéresse le public.
Les arts plastiques ont réussi à faire penser
qu'ils sont prédominants sur le reste des arts. La musique vous impose
sa propre temporalité alors qu'un tableau on peut penser le saisir en
une minute. Pour l'immersion, tout dépend du propos de l'artiste.
L'IRCAM collabore avec le CNRS et le laboratoire Pierre Marie-Curie mais a
aussi une dimension de transmission. On héberge un Master en science
appliqué à la musique et on a aussi un doctorat en composition.
On organise aussi des résidences recherche-création. On a aussi
développé dans Live de Ableton, IRCAMAX un outil qui permettre
d'acroître l'expressivité électronique. Parfois, le
86
laboratoire créé et demande aux artistes
d'appliquer lors de performances. Le 21 juin 2015 pour la fête de la
musique aura lieu avec la musicienne électronique Chloé . La
place sera insonorisée et les smartphones du public vont interagir avec
l'artiste. Il y aura aussi un concert prévu en décembre avec
Rone.
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Avec l'école des Beaux-Arts du
Mans, on a créé une filière de formation en design sonore
et on a aussi une équipe spécialisée dans ce domaine.
Autant le design visuel existe, autant le design sonore n'est pas très
développé. L'outil Pantone n'est pas disponible pour les sons.
Cette équipe travaille la manière de qualifier les
différents sons. On a ainsi travaillé avec RENAULT sur leurs
véhicules électriques. Les véhicules émmettent un
signal qui caractérisent leur marque. Le son devient alors un outil
marketing pour véhiculer un message. Cette équipe est plus dans
une situation anthropologique : je regarde et je qualifie ce qui se fait. Je ne
suis pas dans l'aide à la création immédiate. On est plus
proche d'un design industriel.
87
|
Interview de Thibault Duchesne de Lamotte Artiste,
Graphic Designer & Fondateur du Prism Collective
Interview réalisée le 12 mai 2015 au
Louvre
|
Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : Il y a plusieurs types d'artistes dans
l'art contemporain. Il y a ceux qui veulent choquer pour choquer. En tant
qu'artiste, j'essaye de m'éloigner du message du publicitaire. Je
préfère un process plutôt qu'une interrogation. J'aime
cette idée de mystère et de recherche et peut-être que
chacun peut trouver une portée plutôt qu'un message.
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
R : Je ne considère par l'artiste
comme un super-citoyen où quelqu'un qui échappe à la
société. Il critique la société mais il s'expose
aux conséquences. Le meilleur moyen d'exacerber des problèmes
c'est de se confronter aux limites de la société. Il
n'échappe pas aux conséquences de ces actes. Si il n'y avait
aucune
88
conséquences en tant qu'artiste, l'acte ne servirait
à rien. On n'a pas à légitimer une action ou avoir plus de
droit au nom de l'art.
Q : L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : On a tendance à considérer
l'artiste comme quelqu'un qui échappe aux principes de la
société mais il y a tout une organisation autour de l'artiste.
Aussi, l'entrepreneuriat est un acte créatif en soi. Un artiste devient
une société car c'est une marque.
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : Un des problèmes majeurs qu'on a
aujourd'hui c'est la fracture sociale. On essaye de retrouver des
schémas de société pour gommer tout ça. Or, l'art a
une portée « universelle » et pourtant il est sujet à
alimenter cette fracture car cela alimente une certaine élite autour
d'un projet artistique. Il y a toujours des courants et des contre-courants. En
contrepartie, il y a au niveau des musées, une ouverture avec des
happenings, des festivals et une volonté de gommer cette image qui
ternit le milieu artistique aujourd'hui.
Q : En quoi les réflexions
amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la
construction individuelle ?
R : L'art en soi il y a quelque chose qui est
à prendre et pas nécessairement accessible. On ne va pas en faire
de l'entertainment où l'on rabaisse le contenu. A
89
force de vouloir tout démocratiser, on rabaisse le
contenu et la qualité. Au cinéma, il y a une baisse de
qualité, une démarche commerciale. Or, sur la scène
artistique, ce que je souhaite c'est de proposer un contenu de
qualité.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
R : C'est un peu fort de parler de
responsabilité de l'artiste. Il y a aussi une responsabilité des
philosophes et des sociologues. L'artiste est là pour apporter une
vision personnelle. Est-ce qu'il doit montrer un modèle ou reprogrammer
? Je ne sais pas. C'est plutôt un collège de différents
acteurs de la société qui peut proposer des alternatives.
L'artiste en lui-même propose une vision. Je ne suis pas sûr que
ça soit le rôle de l'artiste. Il amène à une
réflexion, à un état. Le philosophe aura une vision plus
universelle alors que l'artiste qui va avoir une vision plus personnelle.
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : Il y a une différence notable
entre les années 90 où il n'y avait plus d'esthétique.
Aujourd'hui, on ré-infuse de l'esthétique mais avec une pratique
qui reste relationnelle. Notamment grâce avec les installations
vidéos, on est dans l'immersion.
Concernant ma pratique, j'envisage l'oeuvre comme un
questionnement. J'invite le spectateur à une promenade intellectuelle
qui de fait le rend acteur mais non sujet.
90
Le spectateur donne sens à l'oeuvre. C'est faire
l'expérience de l'art qui importe. On peut amener à une forme de
contemplation. La passivité face à l'art, c'est un des axes
majeures de l'artiste contemporain.
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Le numérique change la donne.
L'art sort de la galerie. Il y a un écueil en revanche avec les
installations photos : on peut avoir vu quelque chose sans l'avoir vécu.
On peut perdre en substance par rapport à une oeuvre. Il faut être
vigilant par rapport à ça lorsqu'on « consomme » l'art.
L'action derrière un écran va aplatir. Dans la pratique
artistique, on tend à sortir du cadre du tableau et on retombe
derrière un cadre : celui de l'ordinateur.
Cela donne un outil puissant à l'artiste. On peut
envisager des pratiques mais cela tâtonne énormément. Cela
laisse un champ assez vaste pour l'artiste pour envisager le rapport au
public.
Ensuite, c'est aussi un média de diffusion. Avec la
révolution douce qui a touché la communication, on envisage
encore les ordinateurs comme des pages. La transition ne s'est pas encore faite
par rapport aux médias. On va peut-être trouver la vraie
utilisation par des pratiques expérimentales.
Q : Pourquoi la diversification des formes de
dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont
nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et
des territoires investis ?
91
R : Le rayonnement culturel dépend de
la « classe créative » qui a un rôle prédominant
dans notre société.
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : Il y a eu de tout temps des collectifs
artistiques, de la collaboration mais aujourd'hui on a peut-être avec les
réseaux sociaux, il y a eu plus de communication autour des collectifs.
Le processus créatif à partir du moment où il est
confronté à différentes idées a tendance à
être enrichi.
Un collectif de peintres va pratiquer avec le même genre
d'idéaux mais pas le collectif pluridisciplinaire. L'artiste gagne en
humilité à travailler en collectif car c'est le fait d'assumer
que le musicien a son expertise à apporter en tant que musicien et que
l'artiste n'a pas nécessairement la réponse à tout,
même techniquement.
Q : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
R : Un collectif d'artistes qui prend
possession d'un hangar ce sont des questions financières. Il y a un
espace de création et d'exposition potentielle à prendre, des
espaces en friche. Cela décentralise les pôles culturels. Ce sont
des lieux périphériques. De tout temps, il y a eu ça :
c'était Montparnasse avant, Montreuil aujourd'hui.
92
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Historiquement, le scientifique et le
philosophe sont les mêmes. Il y a un cheminement philosophique
très fort. Il y a beaucoup d'artistes qui s'intéressent à
la science. Caroline Corbasson s'intéresse à des
phénomènes géologiques et spatiales. Il y a un
rapprochement scientifique qui est évident. Ses thèmes sont les
terres à prendre, la dimension inconnue. L'étude de la couleur
est un aspect scientifique. La pratique artistique implique une pratique de la
chimie. Le peintre est un chimiste : il y a un mélange de couleur, de
pigments.Il y a également des installations qui s'intéressent
à l'énergie, à la géométrie. Je pense ici
à l'exposition sur Takis qui s'intéresse au
magnétisme.C'est l'image tout public qui a changé. On a
oublié le scientifique qui a « l'intuition créative ».
Il y a en réalité deux territoires : l'inconnu et le connu.
Q : En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation
des industries créatives ?
R : L'art contemporain est la base
expérimentale pour ce qui deviendra plus commercial. Beaucoup de
campagnes publicitaires s'appuient sur des oeuvres d'art contemporain. L'art
contemporain infuse le paysage culturel et on va le retrouver dans les
industries créatives.
Le cinéma d'avant-garde a totalement inspiré le
cinéma grand public. Ainsi, les films expérimentaux de Jean-Luc
Godard ont inspiré tout une génération au cinéma.
La pratique expérimentale donne lieu à de nouvelles
idées.
93
Q : En quoi le design apparaît comme une
solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Le designer n'a pas les mêmes
questionnement que l'artiste. Dans le design, il y a un produit qui tend
à être multiplié et distribué.
L'artiste soulève des questions tandis que le designer
solutionne.
L'art contemporain va aussi infuser le design qui à son
tour va infuser la société dans son ensemble. Je pense aussi que
le design est une pratique à part entière.
Oeuvre de Thibault Duchesne, Float, 2014
94
|
Interview de Beth Scaccia
Membre de l'association californienne Freespace
Réalisée le 11 mai 2015 sur Skype en anglais
|
Q : Does the artist need to think about the
impact of his message while creating ?
R : Each artist is different. Sometimes
artists do have a specific message in mind that they want to transmit but I
think the purpose of art is to brighten through expression and a way to channel
our emotions into something more positive. It is important that we have the
opportunities to create without focusing so much on the outcome. For example,
in Tibet, monks made sand mandalas during weeks and afterwards they completely
destroy it. It is much more about the process of creating art than about the
end product.
However, artists are also suppose to market themselves and to
sell their work.
Q : To what extent the artist has the right
to be irresponsible in the name of the freedom to create ?
R : Art is a great way to draw attention to
social issues, it is a nice vehicle for that. We need art for that reasons : to
questions our beliefs and just to be critical, to look at thing for another
perspective. It is also essential to democracy.
Q : Does an artist, with his willing to
change society, share the same mission as a social entrepreneur ?
R : These two figures can be similar. Some
people just want to create art for themselves. I know some artists that do not
share their work, it is not their goal to share their goal with others. It is
just to deal with their emotions. Art can have many different uses.
Q : Why the art expriment is essential for the
individual construction ?
R : Arts and culture attract and bring people
together.
Q : Do you think the artist fight against bad
consumerism habits and propose a new way to exist ?
R : If you look at the festival Burning Man,
it is definitely a criticism of the consumerist society. Artists believe in
de-codification. Even with Freespace, our devise is « no ego, no logo
». Some artists do have a big ego to create but in Burning Man, there are
10 principles and one is the gift principle. We don't exchange any money. It is
a criticism of capitalist principles and also a way to find alternatives.
Q : How the numeric revolution change the way
people are « consuming » art ?
R : It is a tool for the artists to sell an to
promote their work. It allows collaboration.
95
Q : What make cultural places a tool to build
community ?
96
R : What makes a place special is culture.
When people share a part of themselves, that's the currency that creates
community.
Q : Why the recent development of festivals
and Outside the Walls exhibitions participate to the radiance of cultural
institutions, artists and territories ?
R : We don't have any mobile museums that I
am aware of in California. Museums are important as social components as they
attract people. It also creates community.
Q : What do you think of the transformation
of old industrial places into artistic places ?
R : Artists have to move to places with very
low rent. It provides opportunity to have a place. I know a project from
Detroit : the Garbage Man. In Detroit, they do not have any recycle program and
the Garbage Man started to organize in a warehouse a place to create things
from recycling products. This recycling center is all citizen-driven and the
founder Matthew Naimi is providing a service that the state is not. Many events
with arts and music are now happening there. I think again it is an example of
a place where there are tools to create and to make art.
Q : Do you think that connexions between
science and arts are important to decompartmentalize these domains ?
R : Before we were living in a time where all
was about specialization. Now we see that all the different disciplines are
related and how many connections there are
between them. For me, Freespace is an example of this idea :
this is a place that is not specialized to artists or scientists. All people
can come and share with each other. We believe that this is where magic
happens. In Paris, we made an event : a fashion hackaton. That was designed by
an engineer together with a fashion designer. It worked well : both the
structure of the engineer and the creativity of the fashion designer.
Q : To what extent the design thinking is a
solution so as to combine technicality, arts and society ?
R : The design principles themselves are
directly combining all these knowledge together. It is kind of an hybrid
process.
97
Logo & devise de Freespace
98
|
Interview d'Alexandre Gain-Chabbert Administrateur du
Wonder à Saint-Ouen & de l'Amour à Bagnolet
Interview réalisée à l'Amour le 14
mai 2015
|
Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : Je suis pour une liberté totale.
En même temps, je souhaite que les expositions que j'organise à
l'Amour soit accessibles. Un verre d'eau sur un tabouret peut transcender
quelqu'un qui a fait 10 ans d'études d'art. Si on expose dans un centre
de quartier, c'est dommage de faire de l'art minimaliste.
L'accessibilité de la production est un point important. L'artiste doit
réfléchir aussi à la visibilité
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
R : Ce n'est pas le rendu qui est important.
La forme peut choquer mais ce qui compte c'est l'intention de l'artiste. Il y a
des artistes qui sous couvert artistique vont vouloir choquer. Le
problème est que ce n'est pas évident à déceler.
Deux performances identiques peuvent partir de deux intentions très
différentes. Même si l'intention de départ est juste avec
une pensée bien ficelée, il y a des
99
performances. A titre personnel, je fais du street-art qui
peut choquer des gens mais mon intention est surtout de faire rire.
Q : L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : L'entrepreneur fait un pari. Il part
d'une idée pour faire une carrière. L'artiste, lui, fait une
carrière sur sa production, sa personne. Faire une carrière
artistique c'est entreprendre. Dans le fond c'est la même chose et dans
la forme ça diffère.
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : D'après moi, la majorité
des artistes n'en ont pas conscience. Ce sont plus aux organisateurs d'avoir
cette conscience. Je ne vois pas quel type d'oeuvre d'art peut créer du
lien social.
Q : En quoi les réflexions
amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la
construction individuelle ?
R : J'ai travaillé pour une
association qui s'appelle Synesthésie et qui organisait une exposition
d'art contemporain à Saint-Rémi. Les oeuvres étaient
incompréhensibles et non lisibles pour le public.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
100
R : Si on prend l'exemple de Jeff Koons au
Centre Pompidou, c'est intéressant car c'est tout à fait dans un
cadre et un public qui sera touché par le message. Tandis qu'exposer
Jeff Koons en banlieue, eu égard la consommation des gens, cela n'aurait
pas de sens. La puissance de l'art contemporain est que les installations et
les performances sont un langage direct et peuvent changer des vies.
Q : En quoi l'art contemporain fait du
spectateur non plus un témoin passif mais bien un acteur essentiel de
l'oeuvre ?
R : Cette immersion est récente dans
l'histoire de l'art. On arrive sur la fin du format académique, du
« white cube ».
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Internet a donné un élan
à beaucoup de choses, notamment au street-art. Le numérique a
aussi permis le développement des logiciels de musique comme Ableton et
les logiciels de retouche de photos. Cela oblige l'artiste à aller plus
loin dans sa technique pour se différencier.
Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels
des lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?
R : Il y a aussi des lieux qui créent
du lien entre les artistes. Le problème est encore une fois
l'accessibilité du contenu. Il y a des inégalités de
capital culturel et social.
101
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ? Dans la forme, on fait pareil qu'une fondation qui a beaucoup de
moyens. A l'Amour à Bagnolet, on occupe un bâtiment qui est
abandonné depuis 27 ans. Si on n'occupait pas ce bâtiment, il
serait resté vide pendant longtemps avant d'être détruit.
Je trouve légitime d'en faire une galerie d'art et un lieu de vie pour 8
personnes. Dans le fond, c'est encore l'intention qui compte. C'est bien quand
c'est un bâtiment qui n'avait pas d'utilité sociale.
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Je connais par exemple Guillaume Coerno
qui fait de la science en galerie. Dans la cité de la science et de
l'industrie, il y a aussi un fab lab.
L'artiste, comme le scientifique, essaye de créer ce
qui n'existe pas. Dans la science, dans la biologie, il y aussi une
esthétique, une beauté qui est presque du domaine artistique. En
même temps, parfois il ne faut pas absolument mélanger des
domaines opposés pour dire qu'on les mélange. Ca serait comme en
musique mélanger le rap et le métal.
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
102
R : Le design c'est de l'art fonctionnel, au
service de la personne lambda. La technique devrait être le point de
départ de toute pratique artistique. On développe une technique,
on part de l'artisanat, d'un matériau (le bois, le métal) et de
temps en temps on va faire de l'art. Qu'on soit artisan de la matière,
de la lumière etcÉ
Les designers acceptent leur côté artisan et le
côté fonctionnel de leurs produits. C'est une voie respectable
à suivre : repenser l'objet de tous les jours et le rendre plus simple.
Au sein même du design, il y a des designers artistes qui vont oeuvrer
pour le beau et des designers plus industriels qui vont chercher la
fonctionnalité avant tout.
Vue du Wonder à Saint-Ouen
Interview de Michèle Broutta
Galeriste & éditrice
Réalisée le 22 mai à la Galerie
Michèle Broutta
103
Q : L'artiste doit-il conscientiser dans sa
pratique artistique la portée de son message ?
R : La pratique artistique c'est choisir une
voie d'expression de vie personnelle à travers une expression
artistique. Il y a le peintre-sculpteur, le musicien, celui qui
créé quelque chose mais aussi ceux qui font de la relation. Ceux
qui se servent de la culture pour éduquer les autres, pour partager.
En ce qui concerne l'artiste, l'oeuvre sort de lui. La
conscience il peut l'avoir après. Je suis sûr que les grands
artistes, comme Picasso ou Duchamp par exemple, ne choisissent pas. Ils ont
été porteurs d'un message mais on s'en rend souvent bien compte
après. Ils ont réussi à développer ce qu'ils
avaient à dire parce qu'ils sont passés avec beaucoup
d'humilité par un travail que l'on pouvait juger artisanal. Je ne pense
pas que l'artiste doivent conscientiser son message. Les artistes ont la foi
mais je ne sais pas si ils ont la conscience de ce qu'ils font.
Q : Dans quelle mesure l'artiste aurait le
droit à l'irresponsabilité au nom de la liberté de
création ?
104
R : L'artiste, si il fait ce qu'il sent qu'il
doit faire, n'est pas responsable de la réaction des autres. Qu'il en
tire des conséquences et qu'il soit influencé par une mode ou par
un aspect plus plubicitaire, mais ce n'est pas lui qui peut juger de cela.
Q : L'artiste, par sa volonté de
changement, s'apparente-il à l'entrepreneur social ?
R : Il aura un impact sur la
société si c'est un grand artiste. Je pense que l'artiste et
l'entrepreneur sont complémentaires. Ce qui est extraordinaire est le
cas où l'artiste rencontre l'entrepreneur. Je pense ici au cas de
Giacometti dont le frère était entrepreneur. Il faut qu'il y ait
quelqu'un derrière un artiste pour sortir l'artiste qui est trop
focalisé sur le perfectionnement de son oeuvre. L'artiste ne doit pas
être dans le mimétisme par rapport à un entrepreneur. C'est
lui le créateur.
Par exemple, Brancusi a apporté un regard neuf sur la
sculpture. Durant la première partie de sa vie, jusqu'à 40 ans il
a été véritablement artiste. Mais ensuite, il a
arrêté de créer à 40 ans et a su faire valoir sa
création de lorsqu'il était jeune.
Q : Avec l'érosion du lien social,
l'artiste a-t-il un rôle à jouer dans l'élaboration de sens
collectif ?
R : La politique ne devrait jamais oublier la
faculté de la culture à réunir les gens. Un monarque comme
Frédéric II l'avait compris.
Q : En quoi les réflexions
amenés par l'expérience artistique sont essentiels à la
construction individuelle ?
105
R : L'artiste est en avance sur son temps. Il
donne aux autres le monde de demain. C'est pour cela qu'on ne l'entend pas, on
ne peut pas le comprendre.
Q : L'artiste déprogramme-t-il des
comportements et habitudes inconscientes pour reprogrammer une nouvelle
manière d'exister ?
R : Vous appliquez votre intelligence mental
mais pas du tout votre intelligence du coeur. Un être humain c'est une
tête, une âme, un coeur et des mains.
Q : Comment le numérique change-t-il les
manières d'aborder l'art ?
R : Grâce au numérique, bien que
ça soit la souris au lieu d'un crayon, ce qui est important est que
ça passe par la main. Le numérique est un outil qui permet
d'aller plus loin, de découvrir des langages et de faire des calculs. Je
serais très curieuse de voir des calculs sur le nombre d'or dans l'art
contemporain faites par un ordinateur.
Q : Qu'est-ce qui rend les lieux culturels
des lieux de vie fédérateurs pour la communauté ?
R : C'est la rencontre, la mise en commun
d'une même sensibilité sur une oeuvre. C'est un moyen
d'échange, que cela soit dans l'accord ou dans la guerre. La Cité
Radieuse du Corbusier à Marseille n'a été comprise que par
la suite.
106
Q : Pourquoi la diversification des formes de
dialogue via le développement de festivals & des hors-les-murs sont
nécessaires au rayonnement culturel des institutions, des artistes et
des territoires investis ?
R : Je vois ce qui fait dans le 15ème
arrondissement de Paris. Au fond, les politiques ne sont pas
intéressés. Ils cherchent bien souvent à faire en sorte
que l'on parle de ce qu'ils font. Si on veut changer quelque chose dans la
culture, il faut apprendre l'histoire de l'art et des religions. Ce sont des
bases que les politiques n'ont pas. En Italie, l'histoire du pays se fait
à travers la peinture. En France, on apprend plus l'histoire à
travers les batailles plutôt qu'à travers l'art.
Q : En quoi une programmation
pluridisciplinaire autour d'un thème est à la fois un challenge
artistique et une opportunité d'élargir les possibles ?
R : J'ai fait des ponts entre
l'édition et le dessin,la peinture. On a aussi plusieurs artistes qui
lisent des poèmes lors d'expositions.
Q : Que pensez-vous de la transformation et
la réappropriation d'anciens lieux industriels en lieux artistiques et
culturelles ?
R : Lorsque les artistes investissent des
lieux, ils les transforment. C'est particulièrement vrai avec le
street-art. On est dans une période tellement cassée que l'on
peut tout faire. Il ne faut en revanche pas confondre l'événement
et l'oeuvre d'art.
107
Q : A l'initiative de l'IRCAM ou de l'atelier
Arts-Sciences, en quoi les ponts entre approche scientifique et artistique sont
importants pour décloisonner ces domaines ?
R : Il y a des artistes qui se sont
inspirés de biologie, de l'étude de cellules. Beaucoup d'oeuvres
d'artistes s'apparente à de la science, ne serait-ce que par
l'observation. Je pense néanmoins que c'est surtout l'artiste qui puise
son inspiration auprès du scientifique et non l'inverse.
Q : En quoi l'artiste nourrit-il l'innovation
des industries créatives ?
R : L'artiste est très créatif.
Il a un noyau autour de lui pendant les 10 premières années mais
il a une véritable influence souvent 50 ans après. Ce fut le cas
pour le sculpteur Alexander Calder.
Q : En quoi le design apparaît comme
une solution afin de combiner art, technique et société ?
R : Le designer est influencé par
l'artiste, il a le regard de ce qui a été fait et entrepris par
l'artiste. Il faut que cela soit suffisamment nouveau pour étonner mais
aussi que cela soit reçu.
|