Usages et pratiques d'internet par les étudiants au Cameroun: quels enjeux ?( Télécharger le fichier original )par Hermann ESSOUKAN EPEE Université Stendhal-Grenoble 3 - Master 2 2014 |
Chapitre IV : Internet. Réalité(s) hybride(s), reproduction sociale et simulationSection1 : Promesses des interfaces numériques1-1. Internet, un espace de médiation et de remédiation : la convergence numérique et l'hybridation des pratiques : Internet plus qu'un multimédia est un plurimédia, en ce sens qu'il contient virtuellement tous les autres médias (...) ainsi que tous les nouveaux médias qu'on peut obtenir par la combinaison de plusieurs d'entre eux151(*) ; ce qui permet d'effectuer par le biais de la convergence numérique, une remédiation des pratiques sociales. La convergence est le fruit de la numérisation des contenus (films, images, audio, vidéos, textes...), des technologies (réseau hertzien, câble ou réseau satellite, réseau ADSL, fibre optique...) et des médias (télévision, radio, presse écrite, Internet...) dans un même format et stockés, lus, vus, écoutés à partir de n'importe quel dispositif technique (ordinateur, Smartphone, Tablette numérique...)152(*),153(*). Cette convergence numérique entraine continuellement l'hybridation des pratiques chez les étudiants de l'Université de Douala. Une hybridation qui s'opère à travers la substitution et le greffage des pratiques préexistantes sur un espace nouveau à partir duquel émerge l'innovation. C'est ainsi que l'ordinateur substitue le magnétoscope en possédant un lecteur (DVD, VCD, CD), le calendrier support papier en support numérique, et s'adapte en dispositif pour passer les appels audiovisuels, envoyer les sms, ou visionner les vidéos. Le téléphone mobile quant à lui permet d'intégrer l'horloge et la montre à bracelet, les baladeurs et lecteurs audio, vidéo (MP3, MP4), l'agenda, la calculette en calculatrice numérique, le dictaphone en microphone, l'appareil photo, la radio et la télévision mobile, voire le GPS (...) Avec Internet, la convergence numérique permet également aux étudiants de l'Université de Douala de créer des contenus multimédias en étant à la fois acteurs et spectateurs, de substituer la dimension spatio-temporelle en étant absents physiquement, mais présents virtuellement, de mener leurs activités en ligne sans toutefois se déplacer et subir des embouteillages, lorsqu'ils font des achats ou cherchent à bénéficier de services. 1-2. L'imaginaire dans la construction d'une culture planétaire : Nous ne saurons aborder les notions d' « imaginaire » et d' « utopie » dans la construction d'une culture planétaire sans parler d'Harold Innis et de Marshall Mc Luhan. Si les deux auteurs canadiens sont restés fascinés par des sociétés du passé, Mc Luhan par le Moyen-âge et les sociétés tribales, Harold Innis par le siècle d'or de la Grèce de Périclès, l'oeuvre de chacun répond à des questions, à des préoccupations spécifiques, à un projet propre154(*). Innis a essayé de déterminer les conditions de l'équilibre et de la pérennité des sociétés, des empires, des civilisations qui selon lui se regroupaient en un empire mondial. Mc Luhan a tenté de comprendre les causes, le sens et la direction des mutations consécutives à l'invention de nouveaux médias et de leur impact sur la vie des hommes et des femmes modernes, ou post-modernes si l'on préfère155(*), à travers lesquelles il a prédit un village planétaire. Dans notre étude, nous nous inscrivons dans une démarche critique envers tout déterminisme technique ou technologique et toute idéologie qui soutient la thèse d'une culture planétaire. A travers notre étude de terrain menée sur les usages et pratiques d'Internet par les étudiants au Cameroun, plus précisément ceux de l'Université de Douala, nous nous sommes rendu compte qu'il existe une rupture dans la construction d'une culture planétaire ou commune aux internautes. Car, le problème de la fracture numérique dû au retard pris par les pays dépourvus en infrastructure de pointe en télécommunication comme le Cameroun, présentent sans doute l'inégale répartition des populations connectées, entre les villes, également entre les étudiants appartenant à une même ville et à une même Université. Ces inégalités dans la culture numérique au Cameroun s'observent tant au niveau du sexe, de l'appartenance sociale, ethnique qu'au niveau des compétences personnelles. Et comme le précise Manuel Castells, « la fracture numérique ne se mesure pas seulement au nombre de connectés, mais aux effets simultanés de la connexion et de la non-connexion ». Pour lui, les infrastructures de télécommunication sont un enjeu aussi important que les « vrais problèmes » du tiers-monde que sont l'éducation, la santé ou l'accès à l'eau156(*). Nous constatons avec Patrice Flichy que, l'imaginaire Internet renvoie à de nombreux thèmes de l'univers culturel américain : celui de la « frontière », qui incline à voir dans le cyberspace un territoire à conquérir, celui de la communauté ou encore de la liberté individuelle157(*). Des propos similaires tenus lors de l'avènement de l'électricité, qui allait apporter « la connaissance » avec la lumière, ou des chemins de fer qui allaient apporter « l'association universelle » avec le rapprochement des distances physiques. Aujourd'hui, on tient le même type de propos avec l'Internet et les techniques d'information et de communication, qui apporteraient l'intelligence collective, comme un véritable cerveau planétaire158(*). Pourtant nous vivons un paradoxe sur la question des frontières. Depuis la chute du mur de Berlin, l'ouverture, la libre circulation, le village global passe pour l'horizon indépassable du progrès, qu'il soit politique, économique ou culturel. C'est dans ce sillage qu'Internet est devenu le symbole de cette idéologie du décloisonnement généralisé. Cependant, il n'y a jamais eu autant de contrôles, de blocages, de censures, de quotas, un peu comme si les frontières étaient des hydres : pour un mur abattu, on en érige deux nouveaux159(*). En outre, loin du partage d'une même culture, nous observons les regroupements des Internautes sur la Toile selon les goûts, les centres d'intérêts et les appartenances. Nous pouvons citer la construction des forums de discussions spécialisés, des communautés ethniques, tribales, religieuses, intellectuelles ou idéologiques. Cette sanctuarisation des frontières endogènes à Internet avec la construction des groupes privés, permet de s'interroger sur la thèse d'une culture globale et même celle d'Internet comme espace public virtuel planétaire. Enfin, en filigrane des services qu'offre Internet se trouve dissimulée une forte idéologie basée sur l'économie et la surveillance permettant ainsi de localiser, cibler et agir plus facilement sur les internautes. Des actions qui consolident la thèse de Patrice Flichy que nous partageons largement : c'est d'autant plus regrettable que « la prolifération des utopies, l'abondance des discussions et des controverses sont les conditions pour qu'une société s'approprie une nouvelle technique, la fasse sienne, l'intègre dans sa vision d'avenir »160(*). * 151 Médiation, les nouveaux cahiers de l'irepp ; Internet et nous. Le commerce et les échanges : la fin des intermédiations ? irepp n° 20, Paris, 1997, p.12 * 152 Piotraut Jérémy ; Les conséquences de la convergence sur les médias traditionnels, Thèse professionnelle, M.Sc. en Entertainment et Media Management, Euromed Marseille, 2006, disponible sur http://www.memoireonline.com * 153 http://www.cite-sciences.fr/archives/francais/ala_cite/affiche/convergence/convergence.htm * 154 Tremblay Gaëtan ; De Marshall Mc Luhan à Harold Innis ou du village global à l'empire mondial, tic&société, Vol. 1, n°1 | 2007, mis en ligne le 06 novembre 2007, consulté le 18 mai 2015. URL : http://ticetsociete.revues.org/222 ; DOI : 10.4000/ticetsociete.222 * 155 Ibid. Tremblay Gaëtan, 2007 * 156 http://www.scienceshumaines.com/internet-le-pouvoir-de-l-imagination_fr_2234.html * 157 Flichy Patrice ; L'imaginaire d'Internet, Paris, La Découverte, 2001, Volume 133 numéro 133, disponible sur http://www.persee.fr * 158 Musso Pierre ; L'imaginaire des réseaux. Au coeur de nos sociétés gouvernées par la technologie, disponible sur http://www.culturemobile.net/visions/pierre-musso-imaginaire-reseaux * 159 Paquot Thierry, Lussault Michel (coor) ; Murs et frontières, Revue Hermès no 63. Septembre 2012, disponible sur http://www.iscc.cnrs.fr/spip.php?article1648 * 160 http://www.scienceshumaines.com/internet-le-pouvoir-de-l-imagination_fr_2234.html |
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