UNIVERSITE DE LA REUNION
Faculté de Lettres et des Sciences Humaines
Département de Géographie
Mémoire de Master 1 de géographie
année universitaire 2009-2010
Mutations urbaines:
pratiques et perceptions.
* * *
Un quartier de Saint-Denis de La Réunion:
La Source
---
Bertrand BOUTEILLES
Sous la direction de Monsieur Jean-Michel JAUZE
Professeur des universités, Directeur de Recherche
Université de La Réunion
Mutations urbaines:
pratiques et perceptions.
Un quartier de Saint-Denis de La Réunion:
La Source
* * *
Bertrand BOUTEILLES
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L'homme est fils de ses habitudes et de son milieu,
et non fils de sa nature et de son mélange d'humeurs
Ibn Khaldoun
Introduction
Des enjeux urbains majeurs, comme le Tram-train ou la nouvelle
Route du Littoral, sont actuellement en discussion à l'échelle de
l'île, au lendemain des dernières élections
régionales. Le débat continue également à
Saint-Denis, touchée en partie par ces grands projets en son coeur de
ville, et désirant en amorcer de nouveaux, tels le percement d'une
tranchée couverte sous le Barachois ou encore la construction de
l' « Espace Océan »1(*).
Ces grands projets ne se font pas sans impact sur
l'environnement. Désormais la nouvelle Route des Tamarins marquera
durablement les pentes de l''ouest de l'île; et l'implantation du
Boulevard Sud dans l'agglomération dionysienne en fait un axe majeur de
l'espace urbain.
Par ailleurs, nous pensons comme R. Park que « la
ville [ne se réduit pas à sa structure], c'est avant tout un
état esprit »; et si elle ne semble qu'une structure
artificielle, « elle est [en fait] le résultat d'une
organisation morale et matérielle. »
Les sociétés construisent des villes, les
organisent, les planifient. Mais à leur tour, ces mutations urbaines
imposées aux habitants orientent certaines de leurs pratiques ou de
leurs représentations du territoire.
En effet, ces mutations de structures concernent le
géosystème urbain dans son ensemble; et c'est ainsi que les
populations, les activités, les pratiques, les espaces symboliques
évoluent avec la morphologie de l'espace urbain.
Aussi face à ce constat allons-nous tenter de
répondre à la problématique suivante: En quoi la
modification de la structure urbaine constitue-t-elle un facteur de changements
socio-culturels pour la population ?
Autrement dit: comment la population vit-elle et
perçoit-elle les mutations urbaines de son quartier ?
En quoi la modification de la structure urbaine peut-elle
être créatrice de territoires, et comment la population
s'approprie-t-elle ces mutations successives ?
Nous allons tenter de répondre à cette
problématique générale en étudiant le cas
particulier du quartier de La Source, situé entre le centre-ville et les
rampes de Bellepierre. En effet, sur sa portion comprise entre le pont Vinh San
et la tranchée couverte, une partie des immeubles et maisons de ce
quartier urbain ont été détruits pour laisser place au
Boulevard Sud. Et désormais le quartier doit compter avec ce nouvel axe
qui le traverse.
Aussi, pour répondre à notre
problématique, nous verrons dans une première partie comment la
géographie humaine, avec ses outils spécifiques, aborde les
questions de transformation des milieux urbains.
Dans une seconde partie, nous présenterons les
différentes hypothèses que nous nous proposons de
résoudre, ainsi que les outils et la méthodologie que nous
emploierons afin d'étudier ce terrain.
Enfin, dans une troisième partie intitulée
« Étude de Cas », nous exposerons les premiers
résultats obtenus à partir du questionnaire d'enquête ainsi
que les informations que nous avons pu tirer de la mission photographique de
1950.
1. La géographie face au phénomène
urbain
1.1 Histoire de la géographie
des milieux urbains
Naissance de la géographie
urbaine
Il y a peu de temps encore les populations mondiale et
réunionnaise étaient largement rurales, et ce n'est qu'à
partir de la moitié du XXe siècle que va débuter et
s'accélérer l'urbanisation des sociétés. A cette
époque et sur le plan mondial «seulement 30% des habitants de la
planète sont considérés comme urbains ».2(*) Dans le même temps
à La Réunion, Jean Defos du Rau estime qu'« il n'y a
dans l'île que trois agglomérations essentiellement urbaines: les
centres-villes de Saint-Denis et de Saint-Pierre et le
Port ».3(*)
C'est avec l'essor de plus en plus important des villes que
les géographes vont développer une géographie
spécifique à ces espaces, car « alors que la population
du globe a quadruplé depuis 1850, la population urbaine s'est
multipliée par 10 »4(*). Il est alors intéressant de noter que face
à d'autres branches de la géographie (physique, rurale...), la
géographie urbaine demeure relativement récente et prend ses
racines dans la géographie humaine de la fin du XIXe siècle. Ceci
s'explique donc parce que cette discipline géographique nait avec
l'objet -la ville- qu'elle va étudier.
Dans son Histoire de la Géographie5(*), Paul Claval indique que la
géographie est marquée autour de 1900 par la naissance des autres
sciences sociales. Des « querelles de délimitation »
apparaissent et produisent trois courants géographiques majeurs,
favorisés par la montée et les spécificités des
écoles nationales développées en France, mais
également en Allemagne et aux États-Unis.
En Allemagne, la discipline est d'abord
axée sur la question de la population dans le paysage
(Landschaft en allemand dépasse les significations du mot
français paysage). « Et l'idée [mise en avant] c'est
[qu'] à travers le paysage [...] on peut repérer les espaces
modelés par un peuple »6(*). Dans l' école allemande, la
géographie urbaine sera abordée en 1933 à travers la
notion de voisinage et de hiérarchie urbaine, grâce à la
théorie de Christaller sur les lieux centraux.
Au même moment en France, la notion
d'urbanisme émerge à la suite notamment de l'important
renouvellement urbain mené à Paris par le baron Haussmann, dans
la seconde moitié du XIXe siècle. Ainsi dans son article
intitulé La ville, objet ou problème ? La géographie
urbaine en France (1890-1960)7(*), Marie-Claire Robic nous indique que c'est en
1900 que Jean Bruhnes utilise le premier l'expression
« géographie urbaine » dans une communication sur
« Le boulevard comme fait de géographie urbaine ».
Mais cette incursion dans le monde de la ville est en fait peu
suivie, et durant cette « période qui va de 1890 à 1950
[...] la géographie revêt sa forme classique [comme] science
naturelle des paysages et des sociétés. Elle fait une large place
à l'étude des faits physiques et se montre plus à l'aise
dans le traitement des sociétés traditionnelles que dans celui du
monde urbain et industrialisé dont la mise en place
s'accélère. »8(*)
Des études urbaines sont menées par des
géographes tels que Paul Vidal de La Blache ou Raoul Blanchard9(*) qui s'adonnent dans un premier
temps à rédiger des monographies de grandes villes
françaises, et étudient également des villes
européennes comme Londres10(*).
Au même moment, d'autres disciplines vont alors
s'intéresser de plus près au phénomène urbain, et
c'est à la Société Française des Urbanistes (SFU)
créée en 1911 que revient l'approche urbaniste de la
société la plus avancée. Ce mouvement est composé
avant tout de techniciens de la ville: architectes, ingénieurs,
géomètres, paysagistes. En 1923 la SFU met en avant que
« Le Plan (de ville) est une oeuvre d'ensemble qui a pour but de
fournir les directives générales permettant de modeler la ville
au fur et à mesure de son développement. Cette oeuvre
d'ensemble... a besoin d'être étudiée en fonction de
données anthropo-géographiques, économiques et sociales
bien définies. »11(*)
Enfin aux États-Unis, l'école
de Chicago commence à s'intéresser à la ville dès
la fin du XIXe siècle. Elle se transforme peu à peu, sous
l'impulsion de son département de sociologie, en véritable lieu
dédié à l'observation et à l'analyse des
comportements collectifs et des interactions urbaines. Ces textes et cette approche globale de la ville inspireront
longtemps la géographie américaine, dont Carl Sauer qui
étudiera surtout « les relations entre les groupes humains et
leur environnement »12(*).
Cette école de Chicago est principalement axée
sur les relations individus / environnement à travers le prisme des
sciences sociales. Et même si elle utilise pour ses besoins propres des
techniques cartographiques, et si son lieu d'investigation est la ville
révélatrice « des processus
sociaux »13(*),
elle ne peut être identifiée véritablement comme un courant
géographique à part entière.
De ces trois écoles nationales du début du XXe
siècle nous pouvons tirer quelques conclusions:
La discipline géographique est d'abord utilisée
pour comprendre pourquoi les villes sont situées sur un endroit et pas
sur un autre. « On ne s'intéresse alors encore qu'à la
morphologie de la ville : son plan, l'évolution de son bâti, la
spécialisation de ses quartiers... dans une perspective [...] «
spontanéiste », comme si la ville n'était que le produit de
l'Histoire et de la Nature... »14(*) . Ainsi, ce sont les facteurs naturels qui expliquent
la présence d'une ville.
« La géographie classique [...] en se
limitant à l'observation et la description »15(*), met en avant non pas
simplement le site, autrement dit le lieu même où s'installe la
ville, mais la position de ce site dans son entourage, c'est à dire son
intégration au réseau existant des villes.
Ainsi, la discipline s'intéresse plus à la forme
de la ville, à sa place dans le paysage, autrement dit aux aspects
extérieurs « de » la ville, qu'à ce qui se
passe « dans » la ville.
A contrario, les chercheurs en sciences sociales et
les urbanistes vont privilégier les relations qu'entretiennent les
individus avec la ville.
Mais dans la période de l'entre deux guerres, la
population urbaine connaît une constante augmentation. « C'est
en effet à l'occasion du recensement de 1931 que l'on a
enregistré pour la première fois un effectif de population
urbaine supérieur à celui de la population
rurale. »16(*)
Et, dans cette première moitié du XXe
siècle, la ville n'est encore pensée que de manière
parcellaire, chaque discipline l'étudiant à travers son prisme
particulier. C'est la seconde guerre mondiale qui va bouleverser les approches,
car c'est une vision globale qui doit s'imposer pour aider à la
reconstruction des villes dans toute l'Europe.
La géographie urbaine à partir des
années 1950 en France
EN MÉTROPOLE
La reconstruction des pays va passer d'abord par la
reconstruction de ses villes. En France une ville comme le Havre va être
entièrement rebâtie par l'architecte Auguste Perret. Les
matériaux et techniques de constructions, qui ont
énormément évolué depuis le début du
siècle, permettent alors la maîtrise industrielle de la production
de béton. Aussi entre 1954 et 1972 la construction va passer en France
d'un peu plus de 100000 logements à près de 55000017(*).
Le visage de la ville va alors évoluer très
rapidement , tout comme l'approche qu'en ont les géographes. En 1963,
Jacqueline Beaujeu-Garnier et Georges Chabot écrivent le
« Traité de géographie urbaine » qui marquera
le début d'une véritable
« consécration »18(*) de la discipline dans le champ
géographique.
Ces auteurs qui « connaissent très bien les
travaux des géographes urbains »19(*) contemporains abordent des
notions de géographie traditionnelle tout en développant de
nouvelles idées traitées par ailleurs dans d'autres milieux
géographiques. A propos de la ville on parle dès lors de
fonctions urbaines, d'aménagement du territoire, des réseaux
urbains, de mutations urbaines ou encore plus généralement
d'espace perçu, d'espace vécu...
Cette explosion démographique des villes et le
renouveau des recherches font qu'en 1983, certains géographes
considèrent « la géographie urbaine en France comme le
domaine le plus fréquenté de la discipline. »20(*) Ce domaine devient peu
à peu le carrefour incontournable des nombreuses autres disciplines qui
étudient la ville comme la sociologie, la politique ou encore
l'économie.
A LA RÉUNION
C'est Jean Defos du Rau qui le premier abordera
brièvement en 1964 dans sa géographie humaine de l'île de
La Réunion21(*) son
aspect urbain. A son époque et malgré la
départementalisation intervenue en 1946, seules trois
agglomérations peuvent être considérées comme de
véritables villes: Saint-Denis, Saint-Pierre et Le Port. Or à La
Réunion, entre 1968 et 2006, la population va passer de 416 000
habitants à près de 782 000. Et
« l'accélération de la croissance urbaine, [va devenir]
le phénomène majeur de ce temps . »22(*).
Fig. 1: Plan de Saint-Denis par Jean Defos du Rau en 1946.
Aussi l'État et les collectivités territoriales
vont-ils se donner les moyens de planifier et d'organiser le territoire, par
l'intermédiaire d'organismes tels que la DATAR23(*) ou l'Atelier d'Urbanisme de La
Réunion. Ils vont s'attacher d'abord à la résorption
massive de l'habitat insalubre en construisant des logements sociaux, et dans
un second temps maîtriser l'étalement des grands pôles
urbains devenus selon certains de véritables
« éléphants»24(*).
Face à ces développements rapides, le
thème de la ville va être étudié
spécifiquement par une nouvelle génération de
géographes réunionnais. Ces recherches donneront lieu à
des ouvrages explorant des dynamiques urbaines comparées, comme entre
Maurice et La Réunion par exemple25(*), ou présentant des études de type
régional26(*) ou
portant sur les mutations de la ville de Saint-Denis27(*).
Des travaux provenant de disciplines connexes comme
l'anthropologie, l'ethnologie, ou encore la sociologie et les réseaux
complètent ces études. Ces disciplines vont s'attacher à
décrire les interactions et les influences de l'urbain sur les habitants
de l'île, et cherchent à appréhender les nouvelles
façons que les réunionnais ont de vivre leur ville. Autrement
dit, elles tentent de comprendre les effets produits par ces nouvelles
urbanités que sont les zones péri-urbaines et les nouveaux
quartiers de vie28(*).
Ainsi à La Réunion comme en métropole, la
géographie urbaine ne peut se comprendre qu'à travers une
approche multidisciplinaire.
Comme en témoignent les nombreuses approches de la
ville au cours du temps, celle-ci est avant tout un lieu de centralité
d'où viennent et partent des flux de toutes sortes. C'est un espace
contraint essentiellement par des facteurs d'ordre naturel, historique et
humain. Cet espace non homogène regroupe dans son
périmètre et de façon inégale habitants, habitats,
réseaux, activités, déplacements, patrimoine... Pour
approcher un tel espace nous adopterons « la très classique
approche systémique »29(*) qui nous permettra d'aborder des notions essentielles
pour la suite de notre travail, en étudiant dans deux parties distinctes
l'espace urbain réel, visible puis l'espace urbain symbolique,
invisible.
1.2 La ville et le quartier aujourd'hui à La
Réunion
Peut-être plus que l'espace symbolique, l'espace
réel est avant tout un produit de la société agissant sur
son espace physique. Dans les villes, l'homme, de façon collective ou
individuelle, organise son espace. Il subdivise sa ville en quartiers,
construit des axes pour les transports, tente de maîtriser
l'étalement de son aire urbaine...Autrement dit il structure peu
à peu son espace, produit un maillage selon son tempérament et
les obstacles qu'il rencontre.
Ainsi, comme J.-P. PAULET nous pensons que « le
relief guide l'extension urbaine, et le plan est le résultat d'un
certain nombre de choix de la société qui édifie la
cité. [...] Chaque ville est en ce sens unique car son histoire lui est
propre, cette combinaison repose toujours sur un nombre limité de formes
géométriques (aréolaires, linéaires, ruptures,
quadrillages ou dissymétrie). »30(*)
Le développement urbain de Saint-Denis
Le plan actuel de Saint-Denis est la parfaite illustration de
son développement, puisqu'à lui seul, il nous permet de
comprendre rapidement les différentes périodes de structuration
urbaine qu'a connu la ville. Nous distinguerons essentiellement trois phases
majeures, mentionnées par Guy DUPONT dans son ouvrage sur
Saint-Denis31(*):
« La première s'étend de la création et de
l'expansion originelle aux années 1860 (fig.1 période 1); la
deuxième caractérisée par la léthargie et
même la récession urbaine couvre la période de 1860
à la deuxième guerre mondiale (fig.1 période 2); la
troisième enfin faite d'une croissance explosive, puis soutenue, [...]
que nous connaissons depuis la fin de la deuxième guerre mondiale (fig.1
période 3) ». C'est durant cette période que la
densification des zones planes s'est développée, avec un
étalement vers les hauts de la commune facilité par le tout
automobile.
Fig. 2: Les trois temps du développement urbain de
Saint-Denis
Les trames urbaines: une caractéristique de
quartier ?
La trame urbaine, comme la trame de tissu, correspond à
la façon dont les voies de circulation et le bâti sont
agencés. Cette organisation globale des réseaux et du bâti
peut permettre de faire ressortir des particularités liées
à l'histoire de la construction d'un quartier.
La trame dépend de deux facteurs principaux:
· la volonté de la société qui
planifie plus ou moins fortement l'espace: la régularité
des motifs de la trame
· le milieu naturel sur lequel l'action de l'homme
s'exerce: la forme de la trame
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Cette trame est liée à une planification forte
s'appuyant sur un espace non encore structuré, qui reste totalement
à organiser .
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Hypercentre de Saint-Denis
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Motif régulier, forme de damier
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Cette trame est composée d'une voirie simple; c'est
à dire que c'est autour de la voirie, construite en premier, que le
bâti est ensuite implanté.
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Quartier de La Montagne
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Motif régulier, forme de chandelier
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Dans ce troisième exemple, la structure viaire est
complexe et fragmentée. La nouvelle voirie s'adapte au bâti
existant et aux axes précédemment tracés
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Quartier de La Source
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Pas de motif régulier, forme complexe
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Sans se prononcer de façon exclusive, nous pouvons
tirer de ces exemples deux conclusions:
· Quand la trame est composée de motifs
réguliers, l'emprise du quartier est plus facile à
déterminer, ce qui n'est pas le cas du quartier de La Source.
· Les formes géométriques simples
(chandelier, damier) sont associées à des périodes de
forte planification urbaine qui s'exerce sur des espaces vides. A
contrario, dans des quartiers comme La Source où l'histoire urbaine
est plus chaotique, et pour lesquels les mutations se sont
étalées dans le temps, le motif et la forme de la trame urbaine
sont complexes.
Des fonctions urbaines structurantes
Dans un premier temps, les fonctions urbaines ont
été assimilées à la ville; on peut aujourd'hui
tenter de comprendre comment sont réparties les différentes
fonctions dans son organisation. Non pas pour comprendre « les lieux
comme s'ils étaient prédestinés exerçant une
fonction en vertu d'une vocation »32(*) mais bien pour établir des
« pôles d'activité plus ou moins bien
accomplis » 33(*) comme nous le recommande R. BRUNET.
La BD TOPO® Pays de l'IGN34(*) distingue huit classes
d'objets dans une zone agglomérée: administratif, culture et
loisirs, enseignement, gestion des eaux, industriel ou commercial,
santé, sport et transport. Si l'on ajoute les fonctions
résidentielles (essentiellement au-dessus des 100m d'altitude) et
militaires (à l'ouest de la Rivière des Pluies et au pied de La
Montagne), on couvre la majorité des fonctions urbaines.
Fig. 3: Les classes d'activités de
Saint-Denis
La corrélation entre quartier et fonction urbaine
pourrait être définie assez finement (en calculant par exemple le
ratio surfacique entre bloc IRIS de l'INSEE et classe d'activité de la
BD TOPO). Toutefois, pour notre travail, nous en resterons à une analyse
plus simple et intuitive.
Nous noterons donc qu'un certain nombre de quartiers peuvent
être associés à leur fonction spécifique
(administrative, commerciale...), ce qui structure fortement leur espace. En
revanche d'autres quartiers ne présentent pas de fonction majeure
suffisamment forte, et sont considérés alors comme des quartiers
de résidence à habitat individuel ou collectif, comme La
Source.
Quartier
|
Fonction principale
|
Bellepierre
|
Résidence (individuel)
|
Centre-ville
|
Administrative et commerciale
|
Champ Fleuri
|
Sportive et administrative
|
Commune Prima
|
Industrielle et commerciale
|
Le Chaudron
|
Résidence (collectif)
|
La Source
|
Résidence (collectif)
|
Petite-Ile
|
Militaire et industrielle
|
Moufia
|
Enseignement
|
Fig. 4: Quartiers de Saint-Denis et leurs fonctions
principales
Le quartier comme échelle de recherche
La première approche que l'on peut avoir du quartier
est liée directement à l'organisation spatiale et sociale de la
ville. « Portion assez quelconque de l'espace »35(*), on a vu
précédemment qu'il pouvait déjà se distinguer par
ses fonctions, sa structure, son histoire...
Mais ces critères n'en font pas toutefois un
véritable territoire, c'est à dire un espace approprié.
Pour cela il faut, de plus, tenir compte de la perception de ses habitants, de
l'homogénéité de leurs représentations et de leurs
habitudes de vie. Autrement dit, il faut « passer d'une
géographie de l'objet quartier à une géographie du sujet
producteur de cet objet, étant entendu qu'entre objet et sujet la
relation est dialectique »36(*). Ainsi nous reprenons à notre compte
l'idée que le quartier est d'abord « medium fort
subtil de l'interaction sociale »37(*) où le flou de ses limites est peu à peu
levé par les habitants eux-mêmes.
Quant à la spécificité du
kartié réunionnais, Michel WATIN nous indique qu'il
tend, surtout en milieu urbain, à disparaître: « A la
diversité sociologique du kartié créole
succède maintenant un quartier sociologique homogène où
l'accès à la résidence est fonction des
revenus. »38(*)
Reste toutefois que c'est sur ce territoire que se cristallise
une vie sociale spécifique. En témoignent l'organisation spatiale
de l'espace par les boutiks, le marché forain et
autres terrains de jeux, les relations inter-individuelles entre voisins et
amis qui se connaissent de longue date, les structures associatives, sportives
et culturelles qui peuvent permettre d'approfondir l'histoire du
quartier...39(*)
Aussi le terme de quartier, dans la mesure où il
indique une échelle tout en signifiant des liens noués entre
l'espace et ses habitants, nous semble approprié pour la suite de notre
recherche.
La mobilité et l'espace public
Il apparaît de plus en plus que les notions de
mobilité et d'espace public sont intimement liées. En effet, plus
les habitants d'un quartier ont la possibilité d'aller ailleurs trouver
ce qu'ils désirent -que ce soit pour des raisons professionnelles, pour
des achats ou pour leurs loisirs, plus le risque est grand qu'ils
négligent leur environnement immédiat. « Avec la
démocratisation de la voiture, et l'amélioration du réseau
routier, sortir du kartié ne constitue plus du tout un acte
exceptionnel. Les individus peuvent plus facilement qu'avant [...] entretenir
des relations suivies avec des personnes [...] dispersées sur toute
l'île. »40(*) A cela M. WATIN ajoute les réseaux de
télécommunication et la transformation de l'espace
médiatique comme catalyseurs d'espaces publics.
Dans la mesure où ces notions de mobilité et
d'espace public ont un impact direct sur les habitudes des populations, nous
pouvons en déduire que c'est l'idée même de territoire qui
est modifiée.
Dans notre travail, ce lien est confirmé par les
projets d'aménagement du Boulevard Sud, dont l'objectif, en plus de
fluidifier la circulation, consiste à « être
générateur d'espaces publics dignes de ce
nom. »41(*)
C'est à dire qu'au-delà de la structure urbaine
proprement dite, il nous faut à présent nous pencher sur des
aspects plus humains de la géographie urbaine de La Source, et
définir plus précisément les idées de perception,
de pratiques et d'identité des groupes humains qui se rattachent
à ce quartier.
1.3 Les concepts importants de la sociologie
urbaine
Des espaces vers le territoire
DES ESPACES...
Dans son travail sur le quartier du Bas de la Rivière,
V. TREPORT42(*) se
réfère principalement à G. DI MEO43(*) (et dans une moindre mesure
à A. FREMONT44(*))
pour distinguer un certain nombre d'espaces utiles à la
définition du territoire. Nous en retiendrons trois qui nous semblent
particulièrement pertinents pour notre travail:
Tout d'abord l'espace produit, car c'est avant tout l'espace
dans lequel nous vivons. Cet espace n'est pas figé dans le temps,
puisqu'il est le résultat des représentations et des actions de
l'homme; il est donc amené à évoluer sans cesse.
Néanmoins, du point de vue du géographe, c'est également
un espace donné car c'est celui qui nous est donné
d'étudier.
Fig. 5: Limites INSEE du quartier de La Source
L'espace produit est donc soumis à deux influences qui
interagissent avec cet espace: celle de l'action individuelle ou collective,
que l'on nommera: « pratiques sociales », et celle de
l'imaginaire, de la perception, du symbolique. Les deux conjuguées
prennent forme dans des visions, ou des représentations et des actions,
qu'elles soient individuelles ou bien collectives. La création d'une
agence d'urbanisme45(*) ou
les plans locaux d'urbanisme (PLU) à l'échelle d'une commune
répondent bien à une action de la collectivité pour la
production d'un nouvel espace. Ces deux composantes se mêlent donc et
interviennent sur l'espace produit afin de créer au cours du temps un
nouvel espace produit.
Puis l'espace perçu, que nous confondrons, sauf mention
explicite, avec l'espace vécu. A ce stade la distinction entre l'espace
vécu, c'est à dire l'espace dans lequel est impliqué le
sujet, et l'espace perçu, c'est à dire l'espace perçu pour
lequel le sujet est distant, ne sera pas prise en compte afin de faciliter la
simplicité du propos.
Cet espace perçu va bien au-delà des limites de
l'INSEE, puisque pour Clairy Andoche46(*) il comprend en plus le lavoir, la rue Bertin, le
palais de La Source, et même le Jardin de l'État...
Fig. 6: Limites du quartier de La Source selon Clairy
Andoche
Enfin, concernant l'espace social, nous reprendrons la
définition de V. TREPORT: « L'espace social est l'imbrication
des lieux et des rapports sociaux. [...] Pour FREMONT, l'espace social
correspond au territoire. »
...VERS LE TERRITOIRE
Le territoire est ainsi une appropriation de ces
différents espaces. C'est à dire la superposition des espaces
physiques et symboliques, l'interface entre réalité physique et
perception de l'espace. Ainsi; nous avons donc un espace physique, construit,
délimité, intégré et surtout approprié qui
aboutit au sentiment d'un territoire partagé. Et c'est ce
rapport-là, ces liens entre l'homme et son territoire que l'on appellera
territorialité.
Espace physique
Espace produit
Espace perçu
Espace social
Temps
Perceptions
Représentations
Actions
Pratiques sociales
Individu
Fig. 7: Les espaces du territoire
L'identité
L'identité est un concept important en
géographie et sociologie urbaine. Quand elle concerne un individu,
l'identité est d'abord un paradoxe et balance entre similitude et
singularité47(*).
Sa racine latine idem fait référence à ce qui est
semblable, identique. Et par ailleurs l'identité appelle à
« l'identité du moi dans sa continuité temporelle, en
tant qu'elle est distincte des autres individus ».48(*) L'identité est ainsi au
coeur de l'idée que l'on a de soi-même et des autres.
Appliquée à un groupe social, elle
entraîne un processus de différenciation entre soi et les
habitants du quartier voisin par exemple.
« Les sentiments d'identité jouent un
rôle [...] profond dans l'uniformisation des attitudes au sein de
beaucoup de groupes. [...] La morale n'est pas individuelle [...]et l'image
à partir de laquelle se bâtit le sentiment d'identité
repose souvent sur l'idée d'une descendance commune, d'une histoire
assumée de conserve [...]. Les disciplines de comportement sont d'autant
plus fortes que tous les membres d'un groupe participent aux mêmes
tâches, connaissent les mêmes rythmes et se heurtent en même
temps aux mêmes difficultés [...]. La territorialité est
fondamentalement liée à ce type
d'identité. »49(*)
C'est en ce sens que nous pourrons utiliser les termes
d'identité et de territoire, même s'il faut se garder d'un
déterminisme qui lierait de façon trop simpliste le lieu de vie
et le caractère supposé des habitants, dans la mesure où
ces éléments sont appelés à évoluer sans
cesse.50(*)
« En effet, un quartier n'est pas une juxtaposition
d'individus entrant en contact superficiel par la force des choses. Il a une
existence collective plus ou moins profondément enracinée selon
l'histoire, la manière et le degré d'intensité avec lequel
la pratique sociale l'alimente. Il est peu à peu façonné
par les trames des réseaux de connaissances, des liens de
solidarité, des conflits, des histoires individuelles, des politiques
dirigées vers lui, qui inscrivent leur trace dans les rues, sur les
maisons, dans les familles, formant la mémoire collective dont la vie
quotidienne est imprégnée. ''Les quartiers sont les produits
involontaires de la multitude des grands et petits gestes de la vie
quotidienne. Les individus doivent ce qu'ils sont pour une part aux espaces
où ils ont vécu et où ils vivent'' (Pinçon-Charlot,
1997).»51(*)
En ce sens l'identité collective des habitants de La
Source est liée principalement à la construction des logements
sociaux des années 1960 pour remplacer les bidonvilles, avec
l'arrivée massive d'une population nouvelle. Et c'est à
l'église, sur le terrain de handball (La Sours est encore
aujourd'hui une des meilleures équipes de handball de l'île !), ou
encore grâce au foyer des jeunes, que collectivement s'est forgée
une nouvelle identité propre au quartier.
Néanmoins, cette nouvelle identité s'est
intégrée à l'ancienne vie de ce quartier assez rural dont
la richesse essentielle était l'omniprésence de l'eau. Et que ce
soit par la présence d'une piscine, de plusieurs sources, ou encore des
différents canaux bâtis à l'origine pour alimenter le
Jardin de l'État, le nom même de La Source résume
l'attachement de ses habitants à cette eau bienfaitrice sortie de leur
quartier.
Divisions spatiales et effet de seuil
Nous avons vu que des groupes humains possèdent une
identité spécifique forgée en partie par le fait d'habiter
ensemble dans un territoire donné. Cela est dû pour une grande
part à la stratégie des individus, qui désirent trouver un
lieu leur apportant le maximum de satisfactions.
Ainsi, à travers la ville, vont se former et se
composer des logiques de peuplement. Et « au fil du temps vont se
façonner en chaque ville des « secteurs », des
territoires auxquels peuvent être durablement associées des
populations et des images particulières. »52(*)
Les structures des villes sont également des
accumulations de l'histoire, et l'impact de la construction d'un boulevard
urbain, ou de l'implantation de logements sociaux, joue un grand rôle
dans les différents processus de division de l'espace et les
représentations.
Dans la mesure où une construction urbaine marque
fortement l'espace, le temps ou le mouvement, elle représente un
véritable seuil favorisant le passage ou au contraire marquant une
rupture, une discontinuité ou une limite dans l'espace urbain53(*).
Dans la ville de Saint-Denis, le Boulevard Sud risque de
provoquer des effets de seuil et de diviser spatialement les populations qui
résident de part et d'autre de cet axe. Au niveau du quartier de La
Source, malgré les 40 000 véhicules par jour , des efforts ont
été faits pour que ce boulevard reste accessible aux
piétons en y implantant des jardins intérieurs.
Il reste donc à comprendre dans quelle mesure ce
boulevard est facteur de division spatiale, et s'il est pratiqué et
perçu par les habitants de La Source comme un passage vers le
centre-ville, le Jardin de l'État ou bien comme une rupture.
*
* *
De ce chapitre nous retiendrons que le développement
urbain de Saint-Denis depuis sa création s'est fait très
progressivement jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Par la suite, c'est la poussée démographique qui a imposé
les mutations urbaines et la modernisation de nombreux quartiers dont La
Source. On en voit la conséquence dans les différentes trames qui
composent la ville.
D'autre part, un des objectifs du Boulevard Sud est de
répondre aux besoins de mobilité de la population
réunionnaise, et pas uniquement dionysienne. Or, ce dernier
créé également une division spatiale par son effet de
seuil. L'espace est alors fortement marqué, mais qu'en est-il pour le
territoire ? La perception et les pratiques sociales sont-elles
réellement modifiées ?
L'étude de l'impact du Boulevard Sud au coeur d'un
quartier urbain comme La Source nous apparaît pertinent dans la mesure
où il s'agit d'un territoire suffisamment étendu pour être
représentatif et suffisamment restreint pour être commode à
étudier.
Aussi la partie épistémologique que nous
concluons ici nous a fourni quelques concepts, que nous tâcherons de
mettre en application dans l'approche méthodologique ainsi que dans
l'étude de cas qui lui fait suite.
2. Approche méthodologique
2.1 L'intérêt de la
recherche et les hypothèses avancées
Intérêt de la recherche
L'intérêt de cette recherche est double, car il
va s'agir de comprendre comment un quartier s'inscrit dans un espace urbain au
cours de l'histoire récente, puis d'étudier comment ce quartier
est pratiqué et perçu durant ce même temps.
A travers les différentes sources en notre possession,
dont nous proposerons la liste ultérieurement, nous allons tenter de
répondre aux hypothèses et questionnements suivants:
Hypothèse principale qu'il nous faudra
vérifier
La modification de la structure urbaine est un facteur majeur
dans la création de nouveaux espaces vécus et perçus.
Autrement dit, et de façon plus concrète, le Boulevard Sud serait
à l'origine (ou au moins un catalyseur puissant) de la création
d'un nouvel espace urbain, situé dans la partie nord du quartier, proche
du Jardin de l'État.
Hypothèses secondaires qu'il nous faudra
vérifier
Les hypothèses secondaires sont étroitement
liées à l'hypothèse principale. Elles découlent
naturellement de la première, et la confirment ou l'infirment. Ces
hypothèses sont également plus précises que
l'hypothèse principale, et s'attachent d'abord à l'histoire
urbaine du quartier de La Source puis à l'apparition du Boulevard Sud
dans le quartier.
1. La mutation du quartier a
été très forte au cours des cinquante dernières
années, avec la construction de la cité SIDR54(*).
2. La pratique des habitants a
été perturbée pendant et depuis la construction du
Boulevard Sud.
3. La perception du quartier par ses
habitants a été fortement modifiée depuis la construction
du Boulevard Sud.
4. Le regard des habitants des quartiers
voisins a été fortement modifié depuis les derniers
mutations: construction de la cité SIDR et construction du Boulevard
Sud.
2.2 Les différentes sources utilisées
pour répondre aux hypothèses
A chacune des hypothèses formulées
précédemment, nous allons essayer de répondre avec les
outils et les sources dont nous disposons.
Hypothèse n°1: mutations du quartier depuis
1960.
La Source principale utilisée sera l'ensemble des
missions photographiques aériennes réalisées par
l'Institut Géographique National (IGN) à La Réunion dans
le cadre de la couverture intégrale du territoire français. Pour
les photographies nous allons utiliser les missions photographiques de 1950,
1978 et 2008.
N
Fig. 8: Photographie aérienne n° 1-175 -
Mission IGN de 1950 (résolution <2m)
A noter que pour chaque image un travail de
géo-référencement sera effectué, dans le but de
superposer les différentes missions et cartes entre elles afin de les
comparer plus facilement. Ce travail fastidieux ne sera pas
détaillé dans notre mémoire.
N
Fig.9: Photographie aérienne n° 103-60 -
Mission IGN de 1978 (résolution <2m)
N
Fig. 10: Dalle n°0335-7690 - BDOrtho® IGN 2008
(résolution 50 cm)
Les sources secondaires pour aider à la
compréhension seront constituées principalement des cartes IGN
depuis 1957, des plans cadastraux, des documents d'urbanisme et d'études
produits par l'Agence d'Urbanisme de La Réunion, par l'Agence pour
l'observation de la Réunion, l'aménagement et l'habitat (Agorah),
et par la SIDR.
Hypothèses n°2 et n°3: Perceptions et
pratiques des habitants perturbées depuis la construction du Boulevard
Sud.
LES SOURCES
Ces deux hypothèses seront conduites de manière
indépendante mais parallèle. En effet, si la réflexion
devra bien distinguer les pratiques des représentations, les
résultats pour chacune des deux hypothèses nous seront
donnés d'abord par un questionnaire d'enquête unique soumis aux
habitants du quartier.
Néanmoins, si le questionnaire reste notre source
principale, nous tâcherons d'établir des entretiens avec quelques
personnes choisies pour leur connaissance de l'histoire du quartier ou
l'investissement qu'ils peuvent avoir dans les structures locales. Cela nous
produira une source secondaire qui nous sera utile lors de la phase
d''interprétation et de dépouillement des enquêtes de
terrain.
Enfin nous prendrons également comme source secondaire
les observations directes de l'enquêteur qui réside dans le
quartier.
LA MÉTHODE
Principes généraux pour préparer
l'enquête
Le principe du questionnaire est de recueillir des
données pour confirmer, infirmer ou modifier des hypothèses. Nous
allons donc déterminer deux types de variables: les variables
explicatives et les variables à expliquer.
L'objectif de l'enquête est de comprendre comment une
population soumise à des évolutions importantes et rapides se
comporte et les perçoit, afin de résoudre les hypothèses
énoncées .
Le choix de l'échantillon
Avant de s'engager dans la phase du questionnaire, il est
important de définir le type d'échantillon que nous allons
prendre, afin qu'il puisse être suffisamment représentatif pour
pouvoir en tirer des conclusions pertinentes. L'échantillon idéal
comprendrait l'ensemble des personnes du quartier, mais alors les moyens mis en
oeuvre seraient considérables et difficilement envisageables sur le
quartier de La Source, qui compte plus de 2000 habitants.
Aussi notre préférence portera sur
l'échantillon en strate, défini par François de Singly
comme « un choix effectué en référence aux
contraintes de la statistique et aux objectifs de
connaissance ».55(*) En effet, nous pensons qu'un certain nombre de
caractéristiques propres aux personnes interrogées sont des
facteurs clivants dans leurs perceptions et leurs pratiques. Il faut donc en
tenir compte dans le choix des personnes interrogées, et définir
dès lors les déterminants principaux qui guideront
l'enquête et les enquêtés.
LE QUESTIONNAIRE D'ENQUÊTE
Les déterminants du questionnaire
Parmi les nombreux déterminants qui s'offrent à
nous, deux paraissent clivants au regard des hypothèses que nous
souhaitons vérifier:
En premier lieu, la situation
géographique; car c'est le déterminant essentiel qui
nous permettra de comparer facilement les pratiques et les perceptions induites
par la construction du Boulevard Sud.
Ensuite, il nous sera utile de connaître le(s)
moyen(s) de transport utilisé(s). Car il est sûr que se
déplacer à pied, en vélo, en bus ou en voiture conditionne
la façon dont la personne interviewée pratique l'espace et
construit ses représentations.
Le questionnaire
1. Données Initiales
Date: Durée de l'entretien:
Lieu de l'enquête:
Situation géographique de l'enquêté:
2. Caractéristiques
Sexe: Homme - Femme
Classe d'âge: 20-40 - 41-60 - >60
Famille: autres personnes qui habitent avec vous? Oui -
Non
Si oui, combien ? ___________
Profession ___________
Études ? Primaire - Collège -
Lycée /Apprentissage - Supérieur
Statut d'occupation : Locataire - Propriétaire
Moyens de locomotion: Voiture - Bus - Vélo -
à pied
Autres:
3. Appartenance
Où êtes-vous né ? _______________
Depuis combien de temps vivez-vous dans le quartier ?
_______________
A quel endroit êtes vous le plus attaché ?
_______________
Pour quelle(s) raison(s) êtes-vous venu dans ce quartier
(envie, travail, hasard, famille...)?
4. Pratiques
Où travaillez-vous ?
Où faites-vous vos courses (si vous les faites)?
Quels sont vos loisirs et activités à
l'extérieur de la maison?
Où pratiquez-vous ces loisirs et activités ?
5. Perceptions
Citez au moins 3 aménagements les plus marquants de la
vie du quartier depuis votre arrivée à La Source.
Si cela n'a pas été fait lors de la
précédente question, citez les 3 lieux les plus agréables
du quartier, et les 3 lieux les plus désagréables.
Lieux agréables
Lieux désagréables
Pensez-vous qu'il fait bon vivre dans votre quartier et pour
quelles raisons?
6. Évolutions
Quelle est selon vous la réputation du quartier?
Comment a-t-elle évolué depuis les années
1950?
Croisez-vous de plus en plus (ou de moins en moins) de gens
qui n'habitent pas le quartier et d'où viennent-ils selon vous ?
7. Boulevard Sud
Pensez-vous que le quartier a changé depuis la
construction du Boulevard Sud?
Pas du tout 1 - 2 - 3 - 4 - 5
Beaucoup
Si oui, qu'est ce qui a principalement changé ?
Ces changements ont été source
d'inconvénients ou d'atouts pour le quartier ?
Pensez-vous que le Boulevard Sud coupe le quartier en deux ?
Oui - Non
Pourquoi?
Quelles seraient les évolutions en terme de
constructions ou d'infrastructures pour les habitants du quartier que vous
souhaiteriez voir aboutir ?
LA CARTE MENTALE SEMI-GUIDÉE
Nous allons tenter également une approche originale qui
consiste à demander aux personnes enquêtées de construire,
à l'aide d'un dispositif simple, une carte mentale semi-guidée
représentative du quartier, afin de déterminer si le Boulevard
Sud constitue un effet de seuil dans les représentations.
La constitution de cette carte mentale est semi-guidée
dans la mesure où il sera demandé aux personnes
interrogées quel est, selon elles, le lieu central du quartier, puis
ensuite de placer sur une feuille blanche A3 une vingtaine de pions
représentant des lieux connus faisant partie de La Source ou de la ville
de Saint-Denis. Le tirage des pions sera fait au hasard pour ne pas introduire
de biais lié à un enchaînement particulier des lieux.
On ne tiendra compte que de la distance entre les pions et le
centre du quartier. En effet, nous estimons que la position des pions entre eux
dépend trop du sens de l'orientation des personnes interrogées
pour pouvoir être exploitable pour notre travail.
|
|
Feuille A3 représentant le quartier
|
Pions correspondant à des lieux
|
Fig. 11: Dispositif de carte mentale
semi-guidée
Liste des pions et des lieux à placer sur la feuille
A3:
-1- Conseil Général
-2- Église
-3- Hôtel de police de la rue Malartic
-4- Parc de La Providence
-5- Lycée Bellepierre
-6- Score Chatel
-7- Marché des Camélias
-8- Kiosque
-9- Rivière St-Denis
-10- Jardin de l'État
-11- Hôpital
-12- Piscine
-13- Lavoir
-14- Score Bellepierre
-15- Foyer des jeunes
-16- Préfecture
-17- Casino Providence
-18- CAF (Caisse d'allocations familiales)
Pour pouvoir exploiter les distances brutes obtenues par notre
dispositif et les comparer à la distance réelle, nous avons
choisi comme échelle standard pour le dispositif du 8000e (1cm sur la
feuille A3 représente 80m).
Hypothèse n°4: Regard des habitants
extérieurs au quartier
Cette hypothèse donnera lieu à un bref
questionnaire, élaboré pendant l'année du Master 2.
Le public visé par ce questionnaire n'habite pas dans
le quartier. Et nous établirons une distinction entre deux types de
personnes:
-Les personnes qui sont amenées par leurs pratiques
quotidiennes ou hebdomadaires à traverser le quartier, ou qui y
travaillent: c'est à dire les automobilistes du Boulevard Sud, et les
personnes fréquentant le Jardin de l'État, la piscine de La
Source, les cours d'anglais et de musique, la salle de sport, ou l'école
Gabriel Macé.
-Les personnes qui ne se rendent jamais ou très
rarement dans le quartier
2.3 Proposition de plan détaillé pour
l'année de Master 2
Le plan du Master 2 s'inspirera largement de celui de
première année, en essayant d'en assurer la continuité.
1) Aux sources du quartier
1.a) Un quartier dans le contexte dionisyen
Saint-Denis en 1946
Les quartiers voisins de La Source
1.b) Les racines historiques du quartier
Les fonctions au cours de l'histoire
la population
1.c) Structure urbaine de La Source à la
départementalisation
Habitat et voirie
Répartition du foncier et limites du quartier
Population (CSP, âge...)
2) L'émergence d'un nouveau quartier: les
constructions de la SIDR
2.a) Une nouvelle structure urbaine au service de la
population
Disparition des bidonvilles
Particularité des constructions SIDR à La
Source
Les nouvelles limites du quartier et ses nouveaux quartiers
voisins
2.b) Conséquences sur les pratiques de quartier
Création, suppression de services: marché,
machines à laver
Foyer des Jeunes, sports et musique
fédérateurs
Paroisse, écoles maternelle et
élémentaire?, piscine
2.c) Renouvellement de l'identité collective
3) La construction du boulevard sud dans le
quartier
3.a) Histoire et caractéristiques du Boulevard Sud
L'évolution du projet, ses objectifs
Caractéristiques du Boulevard
Impact sur une structure urbaine recomposée: le
tissu viaire
3.b) Des pratiques de quartier modifiées
L'effet de seuil du boulevard sud
Arrivée de nouveaux services: poste, pharmacie,
médiathèque
Transformation des espaces publics: Le jardin de
l'État, le Boulevard, le boulodrome
3.c) Des perceptions en mutation
Les entrées du quartier
Un espace historique et symbolique désormais
divisé
3.d) Évolutions prévisible du quartier, les
différents scénarios
3. Étude de Cas - Premiers résultats
Nous allons présenter deux résultats obtenus
durant l'année de Master 1. Ils concernent dans un premier temps la
structure du quartier de La Source à la sortie de la guerre,
principalement à partir de l'étude et de l'analyse des
photographies aériennes de 1950. Dans un second temps, nous exposerons
quelques résultats intéressants issus des premières
enquêtes déjà réalisées et qui seront
poursuivies lors de l'année de Master 2.
3.1 Photographies de 1950, La Source: «un coin
où il faisait bon vivre »56(*)
Le bâti et la voirie dans la
continuité du centre-ville
Dans le paragraphe §1.2 sur les trames urbaines, nous
avons vu que le quartier de La Source n'avait pas de structure nettement
marquée; c'est effectivement ce que montre l'analyse du bâti et de
la voirie en 1950.
En effet ce sont les rues (surtout celles du
Ruisseau-des-Noirs et de La Source) venant du centre-ville de Saint Denis qui
semblent structurer les habitations du quartier dont la limite sud est le
boulevard de La Source. Le peuplement du quartier est ainsi progressif.
Fig. 12: La voirie du quartier de La Source en 1950
Cette progressivité est du reste confirmée par
la baisse de densité du bâti à mesure que l'on
s'éloigne du centre de Saint-Denis, surtout au sud de la rue Bertin;
dans la zone marécageuse et cultivée au sud-est du quartier la
présence du bâti devient quasi-nulle.
La progressivité de la baisse du bâti vers le sud
du quartier s'accompagne également d'un changement de type puisque l'on
passe de maisons en dur à un habitat plus petit et
éphémère.
Faute de logiciel de télédétection tel
qu'Ecognition qui est utilisé à l'IRD, il ne nous a pas
été possible d'effectuer un calcul précis de la
densité du bâti dans le quartier à partir des images en
notre possession. Nous pensons que cela nous aurait fourni des résultats
plus précis que ceux présentés ici; néanmoins cette
analyse fine pourrait être réalisée lors du Master 2.
Fig. 13: Répartition du bâti du quartier de La
Source en 1950
Une population défavorisée
Dans son enquête documentaire en 1965 sur Saint-Denis,
la préfecture nous rappelle brièvement l'origine des populations
qui habitaient la banlieue de la ville: « Le quartier de La
Providence, d'origine plus récente, prend son essor à partir de
1860, à la suite de l'aménagement des rues Doret, de la
Providence et de La Source. ''Les échoppes, qui nuisaient à
l'harmonie et une distillerie connue sous le nom de 'Bis-coco' furent
démolies'', par un maire dynamique, M. Gilbert des Molières, pour
embellir le quartier aristocratique.
[Et] il ne faut pas oublier toutefois qu'une partie des
extensions de la ville est due au ''rush'' d'anciens esclaves
libérés qui se refusèrent à travailler dans les
cannes et s'établirent aux portes de l'agglomération. C'est de
cette époque que datent les premiers bidonvilles de Saint-Denis.
[...]
En 1914, le gouverneur Cor adresse au Directeur de la
Santé une lettre peu réconfortante sur l'avenir de
Saint-Denis: ''La périphérie est en ruines, si bien que l'on
peut présager que, dans quelques années, la superficie de la
cité sera réduite de moitié. Visiter le camp Ozoux [limite
ouest de La Source], parcourir le Camp Giron [à l'est de La Source] et
les rues qui y aboutissent, ajoute-t-il, c'est accomplir un véritable
voyage de la désolation''. [...]
La ville s'est dépeuplée; les effectifs des
écoles primaires baissent de moitié. L'école de
garçons du Camp Ozoux est fermée en 1898. [...] La
périphérie se prolétarise. [...] Les habitants
aisés se plaignent ''d'être exposés à des risques
d'incendie tels que les compagnies d'assurance refusent d'assurer leurs
maisons'' (séance du Conseil Municipal du 2 septembre
1903).»57(*)
La division spatiale telle que nous l'évoquions au
paragraphe §1.3 est déjà réalisée de
façon diffuse dans le quartier en 1950. Ainsi, l'habitat pauvre augmente
à mesure que l'on s'éloigne du centre de Saint-Denis.
Sur la photographie, on remarque la présence d'habitats
très petits et disposés de manière anarchique: ce sont les
signes de présence de bidonville.
Fig. 14: Bâti pauvre et épars du quartier de
La Source en 1950
Un quartier naturel et agricole
« Dans les années 1940, on peut qualifier le
secteur de La Source de « coin » où il faisait bon
vivre. Cette région du Piedmont foisonne de jardins et potagers
fournissant aux habitants des légumes frais. En aval du boulevard [de La
Source], on trouvait de véritables viviers, notamment à la rue
Saint-Philippe et près du futur bureau de la SIDR, où poissons de
toutes espèces se disputaient leur nourriture dans un même
bassin. Le ruissellement des eaux de part et d'autre de la rue
Ruisseau-des-Noirs amenait également son lot d'anguilles et de
tilapias.»58(*)
La culture maraîchère du lieu et les champs de
canne de M. Lenormand étaient encore dans la continuité du Jardin
de l'État, et de belles maisons voyaient le jour comme celle de la
famille Cazal, ou encore, un peu plus loin, celle située le long de la
rue de La Source hébergeant à présent une
société ambulancière.
La vocation agricole du quartier est confirmée par les
parcelles identifiées sur la mission photographique de 1950. On
s'aperçoit que la majorité des espaces cultivés se situent
alors dans le sud du quartier, avec des reliquats de culture
maraîchère à l'ouest du Jardin de l'État. On
distingue clairement quatre types d'espaces: les espaces boisés; les
espaces à vocation agricole composés de canne à sucre, ou
bien de cultures maraîchères typiques des petites parcelles; une
zone de verger; et des espaces que nous avons appelés mixtes et qui
s'apparentent à des terrains vagues ou des friches.
Fig. 15: Les espaces à vocation agricole ou
naturelle dans le quartier de La Source en 1950
Fig. 16: Source de la ravine de La Source
Cette vocation agricole et naturelle est grandement
liée à l'irrigation importante de cet espace par les canaux et
les ravines qui le traversent. En effet, les nombreuses sources qui jaillissent
au pied de la montagne, là où se fait la rupture de pente,
alimentent tout au long de l'année le quartier en eau. Les ravines
Montplaisir ou de La Source sont encore de nos jours alimentées par ces
sources. C'est pour cette raison qu'une grande partie du quartier est
demeurée longtemps inhabitée et propice à l'agriculture,
car située sur un véritable marécage.
Nous avons vu dans cette partie les caractéristiques du
quartier en 1950, et sa continuité avec le centre-ville en ce qui
concerne le bâti et la voirie. La particularité de ce quartier
« naturel » est l'étendue de ses zones agricoles,
favorisée par l'irrigation provenant des nombreuses sources et cours
d'eau. Aussi serait-il intéressant de confronter ces
caractéristiques au quartier tel qu'il était en 1978, puis
actuellement, afin de mesurer les mutations qui s'y sont opérées;
ce travail sera réalisé en année de Master 2.
3.2 Premiers résultats de l'enquête de
quartier
Nous analyserons ici brièvement les premiers
résultats obtenus, avec pour objectif d'apporter des
améliorations durant notre année de Master 2.
Méthode et échantillon
Afin d'évaluer si notre questionnaire était
robuste et pertinent, nous l'avons soumis dans un premier temps à un
échantillon de six personnes; nous avons donc choisi pour cela une
population du quartier la plus hétérogène possible. Aussi
notre panel d'habitants regroupe une personne très âgée (76
ans) et une trentenaire, des gens arrivés depuis un an et d'autres ayant
toujours habité le quartier, des femmes, des hommes, des personnes se
déplaçant à pied, en voiture ou en bus.
Quand à la position géographique des personnes
interrogées, trois personnes habitent à moins de 50m du Boulevard
Sud, dont une dans la partie nord du quartier.
PRATIQUES
Lieux des courses
Voici, dans l'ordre d'importance des réponses, les
commerces où les gens vont faire leur courses:
Les supermarchés de Saint-Denis comme Carrefour et
Leclerc.
Le supermarché dans le quartier de La Providence et le
marché forain des Camélias, très proches
Les commerces du quartier ou à sa limite: Score
Bellepierre, Boulangerie, K'adi
Aussi, malgré la présence d'un marché
forain à La Source tous les jeudis matins (cité par une seule
personne), l'activité commerciale n'est pas un marqueur important dans
le quartier; d'autant moins pour les personnes qui possèdent une
voiture.
Moyens de transport utilisés
Les habitants se déplacent essentiellement en voiture
ou à pied. La voiture est le plus souvent réservée aux
trajets domicile - travail, aux courses et à un certain nombre de
loisirs. En revanche, la marche à pied est préférée
pour se rendre en centre-ville, passer du temps au Jardin de l'État,
aller acheter le journal le matin...
Fig. 17: Les moyens de transports utilisés
Les lieux les plus agréables
Quand on demande aux gens les lieux qu'ils trouvent les plus
agréables, devant lesquels ils aiment bien passer, ils indiquent tous au
moins dans leurs réponses un espace vert. Et si le Jardin de
l'État est le premier espace vert le plus souvent cité, deux
personnes ont évoqué les jardins aménagés le long
du Boulevard Sud dans lesquels ils se promènent, à l'exception de
l'un d'eux ceint d'une grille fermée à clef.
Fig. 18. Jardin de l'État le long de la rue de La
Source
Il est remarquable de noter que le premier espace
agréable cité se trouve à la limite nord du quartier et
qu'il n'est pas considéré comme faisant partie de La Source par
l'INSEE (cf. §1.3).
Pour les trois lieux que les personnes interrogées
devaient indiquer par ordre de préférence, nous avons
affecté trois points au premier lieu cité, deux au second puis un
point au troisième. Le résultat est alors le suivant:
Fig. 19: Les lieux agréables à vivre dans le
quartier
Les lieux les plus
désagréables
Parmi les lieux les plus désagréables, le
Boulevard Sud recueille la majorité des avis des habitants, ceci pour
différentes raisons. Tout d'abord parce que pour se rendre au Jardin de
l'État (un des lieux désignés comme les plus
agréables) il faut traverser le boulevard, et cela paraît
dangereux pour les personnes âgées ou accompagnées
d'enfants.
La plupart des gens interrogés mettent en avant les
nuisances sonores, comme les sirènes des ambulances la nuit. Par
ailleurs beaucoup ne comprennent par pourquoi une partie des jardins au milieu
du Boulevard Sud sont inaccessibles. Ils assimilent alors ce lieu à la
notion de ''désagréable'' car interdit.
La méthode pour constituer ce graphique est la
même que celle utilisée au paragraphe précédent.
Figure 20: Les lieux désagréables à
vivre dans le quartier
Fig. 21: Carrefour du Boulevard Sud et de la rue de La
Source
Activités et loisirs
Concernant les activités et loisirs, les
réponses sont difficiles à exploiter par rapport à la vie
du quartier, dans la mesure où les personnes interrogées font
état de loisirs le plus souvent à l'extérieur de
celui-ci.
Reste que pour deux personnes la messe dominicale à
l'église est une activité importante, car c'est un lieu et un
moment où l'on rencontre le voisinage. Une autre personne confirme cette
impression; quand on l'interroge sur l'ambiance du quartier elle
déclare: « Avant les gens étaient très croyants,
le dimanche à la messe on se retrouvait ».
PERCEPTIONS
Sentiment d'appartenance au quartier
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la
plupart des personnes interrogées s'investissaient dans le quartier, que
ce soit pour y faire des courses d'appoint, se promener ou
bénéficier des services existants comme la poste par exemple.
Quand on leur demande de quel lieu il se sentent le plus proche, beaucoup
répondent instantanément La Source, et les nouveaux arrivants
précisent qu'ils s'y sentent à l'aise. Tous considèrent La
Source comme le quartier auquel ils appartiennent; ils mentionnent toujours son
centre de vie (cf. infra) et son aspect
« village » sans pour autant réussir à
définir nettement ses frontières. Le quartier apparaît
alors, malgré le Boulevard Sud, comme un territoire aux limites floues
et ouvertes.
Le centre du quartier: un lieu paradoxal
La grande majorité des personnes interrogées
(cinq sur six, la sixième répondant
l' « allée coco ») définissent le
kiosque comme le centre du quartier. Il est remarquable de constater que cette
question qui touche à la centralité fait la quasi
unanimité. Plus encore, la question est apparue comme naïve pour
certains de mes interlocuteurs.
Fig. 22: Le kiosque, point central du quartier de La
Source
Néanmoins il est intéressant de noter que le
kiosque, s'il est reconnu comme le centre névralgique, est aussi
considéré par un grand nombre comme un lieu négatif devant
lequel il n'est pas agréable de passer (cf. les lieux les plus
désagréables), l'endroit étant le rendez-vous des hommes
qui boivent à la boutik voisine et qui restent là toute
la journée à « chauffer les galets ».
LE BOULEVARD SUD: UN EFFET DE SEUIL
Carte des perceptions
Après avoir appliqué la correction
d'échelle aux données brutes de la carte mentale
semi-guidée qui était proposée aux participants (cf.
méthode expliquée supra), nous pouvons présenter
un premier aperçu des résultats obtenus, en précisant
préalablement que la marge d'erreur du dispositif dépend
principalement de la précision avec laquelle les personnes placent les
pions. Nous avons estimé cette précision entre 2 et 2,5 cm sur la
feuille A3, c'est à dire une incertitude maximale de 100m de rayon.
Toutes les distances sont calculées à partir du
kiosque de La Source défini comme lieu central du quartier.
Identifiant
|
Lieux
|
Distance réelle
(en mètres)
|
Distance perçue moyenne
(en mètres)
|
1
|
Caisse d'Allocations Familiales
(16, rue du Général de Gaulle)
|
450
|
1187
|
2
|
Hôtel de police rue Malartic
|
630
|
970
|
3
|
Conseil Général
(Palais de La Source)
|
450
|
890
|
4
|
Jardin de l'État
|
350
|
820
|
5
|
Hôpital de Bellepierre
|
400
|
1070
|
6
|
Magasin Score Bellepierre
|
600
|
980
|
7
|
Lycée de Bellepierre
|
900
|
850
|
8
|
Lavoir
(19, bd de La Providence)
|
710
|
620
|
9
|
Magasin Casino Providence
|
1100
|
840
|
10
|
Marché des Camélias
|
1300
|
1100
|
11
|
Parc de La Providence
|
870
|
910
|
12
|
Préfecture
|
1700
|
1780
|
Fig. 23: Écart entre les distances réelles et
perçues en moyenne
Fig. 24: Emplacements réels et estimés par
les habitants du quartier
Après l'analyse de la carte ci-dessus, nous remarquons
trois groupes de lieux estimés de manière semblable par les
personnes interrogées.
· Tout d'abord les lieux qui se situent à l'est du
lavoir dans les quartiers de La Providence et des Camélias: l'estimation
est relativement proche de la réalité topographique, puisque les
emplacements estimés intersectent la plupart du temps les emplacements
réels.
· Ensuite les lieux situés dans la zone de
l'hôpital Bellepierre à l'ouest. Contrairement à la zone
précédente, les estimations situent l'hôpital et le Magasin
Score Bellepierre beaucoup plus loin qu'ils ne le sont en
réalité. Il y a donc un effet de seuil dû vraisemblablement
au fort relief qu'il faut monter pour accéder à ces lieux.
· Enfin les lieux qui se situent au nord du quartier,
à savoir l'hôtel de police de la rue Malartic, le Jardin de
l'État, la Caisse d'Allocations Familiales (Caf) et le Conseil
Général sont eux aussi estimés plus loin qu'ils ne le sont
en réalité. Or, contrairement à la zone
précédente, l'effet de seuil n'est pas lié au relief
puisque celui-ci est inexistant. Nous en concluons que c'est le Boulevard Sud
qui provoque ce défaut de perception chez les habitants du quartier.
Ainsi, plus qu'un lieu qui favoriserait les échanges, le Boulevard Sud
agit là comme une limite symbolique à franchir.
Fig. 25: Les effets de seuil dans le quartier
Les limites de l'échantillon restreint
Les résultats précédents sont
fondés sur un échantillon trop faible pour pouvoir nous permettre
une analyse très fine de la perception des habitants du quartier.
Néanmoins, nous en avons tiré quelques grandes lignes; et il
serait bon dès lors de prolonger cette méthode de cartographie
mentale semi-guidée au cours de l'année du Master 2, afin de
faire apparaître peut-être d'autres phénomènes, ou du
moins de confirmer ceux que nous avons déjà pu mettre en
évidence.
Conclusion
Pendant cette année de Master 1, et plus
particulièrement pour ce mémoire, nous avons essayé de
poser les fondements épistémologiques de notre recherche,
d'explorer les concepts utiles pour notre travail de terrain et de
définir un certain nombre d'hypothèses en commençant
à y répondre.
A partir des premières enquêtes menées sur
le terrain, nous avons pu d'une part valider en grande partie
l'intérêt de notre démarche et d'autre part mieux
comprendre les caractéristiques du quartier de La Source et du Boulevard
Sud.
D'après nos premières conclusions, après
les enquêtes menées surtout dans la partie sud du quartier, il
nous a semblé que la construction de ce boulevard crée à
présent deux espaces distincts: le premier au sud qui concentre la
majeure partie de la vie collective et identitaire du quartier issue de
brassages de populations successifs et continus; et le second espace
situé au nord du boulevard proche du Jardin de l'État, rarement
associé dans les mentalités au quartier de La Source même,
dont il semble désormais s'éloigner.
Aussi, essaierons-nous au cours de notre deuxième
année de prolonger l'étude sur la construction historique du
quartier et d'en comprendre les pratiques et les perceptions contemporaines. Il
nous paraît également essentiel d'interroger des habitants
répartis sur l'ensemble du quartier afin de mieux saisir les enjeux
spatiaux liés au Boulevard Sud et de répondre, ainsi, de
façon plus certaine qu'aujourd'hui aux hypothèses
avancées.
Car au-delà même du temps formel de
l'enquête, nous nous sommes souvent entretenu avec les habitants du
quartier, aussi bien dans des lieux publics qu'à leur domicile... Ils
parlent volontiers de La Source, et il est passionnant d'écouter ces
personnes évoquer la vie de leur kartié lontan
(pas tant que cela d'ailleurs !), aujourd'hui disparu et dont le Boulevard
Sud vient encore d'enlever quelques traces.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
GÉNÉRALE
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SINGLY (DE), F., L'enquête et ses méthodes:
le questionnaire, Paris, Nathan, 2005, 128p.
Table des figures
Figure 1: Plan de Saint-Denis par Jean Defos du Rau en 1946.
9
Figure 2: les trois temps du développement urbain de
Saint-Denis 11
Figure 3: Les classes d'activités de Saint-Denis 13
Figure 4: Quartiers de Saint-Denis et leurs fonctions
principales 14
Figure 5: Limites INSEE du quartier de La Source 16
Figure 6: Limites du quartier de La Source selon Clairy
Andoche 17
Figure 7: Les espaces du territoire 18
Figure 8: Photographie aérienne n° 1-175 - Mission
IGN de 1950 (résolution <2m) 22
Figure 9: Photographie aérienne n° 103-60 -
Mission IGN de 1978 (résolution <2m) 23
Figure 10: Dalle n°0335-7690 - BDOrtho® IGN 2008
(résolution 50 cm) 24
Figure 11: Dispositif de carte mentale semi-guidée
29
Figure 12: La voirie du quartier de La Source en 1950 34
Figure 13: Répartition du bâti du quartier de La
Source en 1950 35
Figure 14: Bâti pauvre et épars du quartier de La
Source en 1950 36
Figure 15: Les espaces à vocation agricole ou naturelle
dans le quartier de La Source en 1950 38
Figure 16: Source de la ravine de La Source 38
Figure 17: Les moyens de transports utilisés 40
Figure 18. Jardin de l'État le long de la rue de La
Source 40
Figure 19: Les lieux agréables à vivre dans le
quartier 41
Figure 20: Les lieux désagréables à vivre
dans le quartier 41
Figure 21: Carrefour du Boulevard Sud et de la rue de La
Source 42
Figure 22: Le kiosque point central du quartier de La Source
43
Figure 23: Écart entre les distances réelles et
perçues en moyenne 44
Figure 24: Emplacements réels et estimés par les
habitants du quartier 45
Figure 25: Les effets de seuil dans le quartier 46
Table des matièresIntroduction
4
1. La géographie face au phénomène urbain
6
1.1 Histoire de la géographie des milieux urbains
6
Naissance de la géographie urbaine
6
La géographie urbaine à partir des années
1950 en France
8
1.2 La ville et le quartier aujourd'hui à La
Réunion
10
Le développement urbain de Saint-Denis
11
Les trames urbaines: une caractéristique de quartier ?
12
Des fonctions urbaines structurantes
13
Le quartier comme échelle de recherche
14
La mobilité et l'espace public
15
1.3 Les concepts importants de la sociologie urbaine
16
Des espaces vers le territoire
16
L'identité
18
Divisions spatiales et effet de seuil
19
2. Approche méthodologique
21
2.1 L'intérêt de la recherche et les
hypothèses avancées
21
2.2 Les différentes sources utilisées pour
répondre aux hypothèses
22
Hypothèse n°1: mutations du quartier depuis 1960.
22
Hypothèses n°2 et n°3: Perceptions et
pratiques des habitants perturbées depuis la construction du Boulevard
Sud.
25
Hypothèse n°4: Regard des habitants
extérieurs au quartier
30
2.3 Proposition de plan détaillé pour
l'année de Master 2
31
3. Étude de Cas - Premiers résultats
33
3.1 Photographies de 1950, La Source: «un coin où
il faisait bon vivre »
33
Le bâti et la voirie dans la continuité du
centre-ville
33
Une population défavorisée
35
Un quartier naturel et agricole
37
3.2 Premiers résultats de l'enquête de quartier
39
Méthode et échantillon
39
Les limites de l'échantillon restreint
46
Conclusion
47
Bibliographie
48
Table des figures
51
* 1 Terme employé par la nouvelle
municipalité de Saint-Denis
* 2 PAULET, J.P, Manuel de
Géographie urbaine, 2009.
* 3 DEFOS DU RAU, J., L'île de
La Réunion - Etude de Géographie humaine, 1960.
* 4 HAROUEL, J..L., Histoire de
l'urbanisme, 1993.
* 5 CLAVAL, P., Histoire de la
Géographie, 2008.
* 6 CLAVAL, P., Histoire de la
Géographie, 2008.
* 7 ROBIC, M.C., La ville, objet ou
problème ? La géographie urbaine en France (1890-1960),
2003.
* 8 CLAVAL, P., Histoire de la
Géographie, 2008.
* 9 BLANCHARD, R., Grenoble.
Étude de géographie urbaine, 1911.
* 10 VIDAL DE LA BLACHE, P.,
États et nations de l'Europe autour de la France, 1889.
* 11 Le portail des urbanistes
français - Historique SFU, http://www.urbanistes.com/page-4.html.
* 12 CLAVAL, P., Histoire de la
Géographie, 2008.
* 13 GRAFMEYER, Y.; JOSEPH, I.,
L'école de Chicago: naissance de l'écologie urbaine,
1984.
* 14 JANIN, E., La ville sous
l'oeil du géographe, 2009.
* 15 PAULET, J.P., Manuel de
Géographie urbaine, 2009.
* 16 JOUVENEL, H., Radioscopie de
la France en mutation 1950-2030, 2003.
* 17 JACQUOT, A., Cinquante ans
d'évolution des conditions de logements des ménages,
2006.
* 18 JANIN, E., La ville sous
l'oeil du géographe, 2009.
* 19 TROTIER, L., Cahier de
géographie du Québec, 2002.
* 20 PUMAIN, D. et alii.,
Jouer de l'ordinateur sur un air urbain,1983.
* 21 DEFOS DU RAU, J., L'île
de La Réunion - Etude de Géographie humaine, 1960.
* 22 HUC, C., Journal de
l'île de La Réunion, 11 Août 1976.
* 23 DATAR: Délégation
à l'aménagement du territoire et à l'action
régionale.
* 24 BARONCE, G., Saint-Denis de La
Réunion, l'éléphant urbain, 2009
* 25 LEFEVRE, D., Organisation de
l'espace à Maurice et à La Réunion, 1986.
* 26 JAUZE, J.M., Dynamiques
urbaines au sein d'une économie sucrière: La région Est -
Nord-Est de La Réunion, 1997.
* 27 DUPONT, G., Saint-Denis de La
Réunion, ville tropicale en mutation, 1990.
* 28 Entres autres E; WOLFF ou M.
WATIN
* 29 PAULET, J.P., Manuel de
Géographie urbaine, 2009.
* 30 PAULET, J.P., Manuel de
Géographie urbaine, 2009.
* 31 DUPONT, G., Saint-Denis de La
Réunion, ville tropicale en mutation, 1990.
* 32 BRUNET, R. et alii.,
Les mots de la géographie: dictionnaire critique, 1993.
* 33 BRUNET, R. et alii.,
Les mots de la géographie: dictionnaire critique, 1993.
* 34 Institut Géographique
National, BD TOPO® Pays Version 1.2 - Descriptif de contenu,
2002.
* 35 BRUNET, R. et alii.,
Les mots de la géographie: dictionnaire critique, 1993.
* 36 HUMAIN-LAMOURE, A.L., Le
quartier comme objet en géographie, 2009.
* 37 DI MEO, G., Géographie
sociale et territoires, 1998.
* 38 WATIN, M., Les espaces urbains
et communicationnels à La Réunion: Réseaux et lieux
publics, 2005.
* 39 En ce sens le livre de Clairy
Andoche et des jeunes du foyer de La Source aux éditions Azalées
en est un très bon exemple (cf. bibliographie).
* 40 WATIN, M., Les espaces urbains
et communicationnels à La Réunion: Réseaux et lieux
publics, 2005.
* 41 DDE REUNION, Le Boulevard Sud:
un boulevard urbain - un boulevard humain, 1996.
* 42 TREPORT, V., Relation entre
identité et territorialité, 2006.
* 43 DI MEO, G., Géographie
sociale et territoires, 1998.
* 44 FREMONT, A., La région
espace vécu, 1999
* 45 Telle que l'Agence pour
l'observation de la Réunion, l'aménagement et l'habitat
(Agorah)
* 46 ANDOCHE, C., La Source - Saint
Denis 1772-2002, 2003.
* 47 BRUNET, R. et alii.,
Les mots de la géographie: dictionnaire critique, 1993.
* 48 MONTENOT, J.,
Encyclopédie de la philosophie, 2002.
* 49 CLAVAL, P., Géographie
culturelle: une nouvelle approche des sociétés et des
milieux, 2003.
* 50 BRUNET, R. et alii.,
Les mots de la géographie: dictionnaire critique, 1993.
* 51 VAILLANT, Z., La
Réunion, koman i lé ? Territoires, santé,
société, 2008.
* 52 GRAFMEYER, Y., Sociologie
urbaine, 1994.
* 53 BRUNET, R. et alii.,
Les mots de la géographie: dictionnaire critique, 1993.
* 54 SIDR: Société
Immobilière du Département de La Réunion.
* 55 DE SINGLY, F., L'enquête
et ses méthodes: le questionnaire, 2005.
* 56 ANDOCHE, C., La Source - Saint
Denis 1772-2002, 2003.
* 57 Atelier d'Urbanisme de La
Réunion, Saint-Denis: Enquête documentaire, 1965.
* 58 ANDOCHE, C., La Source - Saint
Denis 1772-2002, 2003.
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