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Les déplacés allemands après la seconde guerre mondiale

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par Fortis Matthieu Copin Raphaël
Paris-Est Marne-la-Vallée - Licence Histoire 2013
  

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VIII. Constat des traces des expulsions dans la mémoire : débats actuels

Il est légitime de s'interroger sur la place de ces évènements dans la mémoire collective et des traces encore perceptibles à ce jour. A priori, les pays les moins concernés par ces mouvements migratoires ont volontairement masqué une partie de leur histoire. En effet, nous sommes les témoins directs d'un programme d'histoire ignorant ou passant sous silence les actes moins glorieux des Alliés après la Seconde Guerre Mondiale. Avant de connaître le sujet de ce mémoire, nous ignorions totalement cette migration massiveet nous l'avons vérifié auprès de notre entourage. Ainsi tout porte à croire qu'hormis les descendants de ces Allemands, des intellectuels, des historiens ou des passionnés pour le sujet, les Français ne semblent pas avoir connaissance de ce passé. Tout porte à supposer que ces faits sont aussi méconnus des américains et des anglais.

Alors, il semble logique de s'interroger sur les traces laissées par ces évènements dans la mémoire collective des habitants de pays concernés directement par ces derniers.

Tout d'abord, elles sont visibles au travers des lois comme s'applique à le montrer Douglas dans Les Expulsés. Cependant, on constate que l'aspect juridique révèle une volonté peu glorieuse émanant de la classe politique des pays expulseurs. A la suite de l'effondrement de l'URSS, l'idée d'appartenir à une communauté européenne émerge et se consolide dans ces pays qui étaient jusque-là sous domination du bloc de l'Est. Pour appartenir à une communauté européenne, il est nécessaire de ratifier certains documents comme la Convention européenne des droits de l'Homme ce qui semble être quelque chose de positif. Pourtant, cela mit les pays expulseurs dans une situation plutôt désagréable. En effet, la ratification d'un tel documentoffre la possibilité aux expulsés ou à leur descendance de tenter d'obtenir réparation dans des tribunaux civils. Les dossiers déposés n'obtinrent pas gain de cause (République Tchèque et Pologne) mais ont étédéclencheurs d'un désordre politique d'envergure dans les années 1990. En effet, les expulsés et leurs descendants pouvaient réclamer compensation pour les nombreux préjudices subis: conditions de vie dans les camps, expropriation, atteinte psychologique, déchéance de la nationalité très utilisée en République Tchèque.

L'opinion publique tchèque s'oppose de façon très véhémente à une compensation donnée pour des souffrances que le peuple avait lui-même enduré pendant la domination nazie. Ainsi, le gouvernement tchèque fît passer des lois empêchant la restitution des biens confisqués durant la domination communiste afin de bloquer parallèlement les possibles demandes des expulsés. La loi votée par le Parlement tchèque en 1991 autorisait une possibilité de restitution pour les confiscations faites entre 1948 et 1989, ce qui limitait considérablement les demandes des descendants d'expulsés. En effet, les expropriations eurent lieu principalement entre 1945 et 1948. De plus, pour pouvoir porter réclamation, il était nécessaire de détenir la citoyenneté tchèque et de vivre dans le pays de façon permanente. La Pologne suivit l'exemple tchèque et vota des lois évitant la possibilité d'être attaquée par les descendants des expulsés. Suivant cette logique, on retrouve la loi suivante " loi tchécoslovaque n°115, de 1946, qui légalisait rétroactivement "les justes représailles pour les actions des forces d'occupation {allemandes} et de leurs complices (...) même quand ces actes seraient autrement punissables par la loi". Ce texte reste en vigueur aujourd'hui: il bloque toute possibilité d'enquête, de poursuite ou de châtiment concernant les milliers de meurtres, de tortures ou de viols perpétrés contre des Allemands avant le 28 octobre 1945. 

Ces stratégies juridiques continuèrent au niveau européen avec l'incapacité de la Convention européenne des droits de l'Homme d'agir rétrospectivement sur la ratification des pays expulseurs à celles-ci. En 2002, le Parlement tchèque vota une loi empêchant un retour sur les « arrangements juridiques et immobiliers » et elle fut saluée par les gouvernements des pays Alliés. En 2009, Vaclav Klaus exigea qu'une déclaration, reconnaissant l'application des décrets de 1945 sur l'expropriation et la déchéance de nationalité, soit ajoutée au Traité de Lisbonne. Il demanda une dérogation pour des épisodes historiques de son pays car la Charte des droits fondamentaux reconnaissait illégale les expulsions massives. Les 26 autres pays membres acceptèrent sans rechigner. Ainsi on constate que la mémoire des pays concernés garde une trace de cette migration au travers de stratégies juridiques visant à empêcher des réclamations des descendants des expulsés. Ces tractations politiques montrent que les pays expulseursne sont pas en paix avec leur conscience. Cependant, l'opinion majeure des habitants desdits pays montre qu'ils ne s'estiment pas plus coupables que les Allemands ayant servi pour le IIIe Reich, voyant dans leur attitude quelque chose de juste.

Mais l'aspect juridique révèle une autre trace de la mémoire de ces événements. Par exemple, Lionel Jospin a reconnu officiellement en 1999, alors qu'il était 1er ministre du gouvernement français de Jacques Chirac, qu'il y avait eu une « guerre » d'Algérie. Des déclarations venant de gouvernements ou d'individus élus par le peuple permettent d'inscrire juridiquement et officiellement des événements historiques controversés dans la mémoire des individus et dans la mémoire d'un pays. Avant de s'intéresser aux possibles reconnaissances de souffrances infligées par d'anciens gouvernements des pays expulseurs, il faut revenir sur le travail d'oubli qui a été réalisé durant plusieurs décennies.

Après les expulsions, les pays expulseurs, l'Allemagne et les Alliés eurent la volonté de mettre de côté leurs actes. Les pays sous la domination du bloc de l'Est préféraient passer sous silence tous les aspects dérangeants de leur passé alors que les Alliés affichaient un discours concernant une action nécessaire mais évitaient de trop en parler. Les quelques personnalités tentant de combattre ce silence se résignèrent face à la pression ou furent contraints à un silence forcé comme Heiner Müller qui tenta de monter une pièce de théâtre sur la vie d'une expulsée. Ses comédiens et elle-même furent arrêtés après la première et son metteur en scène fut envoyé au travail forcé dans une mine pendant deux ans. Face à une telle pression, il est difficile pour des individus isolés de dénoncer et de préserver la vie mémorielle des expulsions. Pour l'Allemagne de l'Ouest, un mythe fondateur de la République fédéral fut mis en place et il reposait essentiellement sur la mémoire des souffrances allemandes. Cependant, les expulsés restaient un sujet tabou pour les Allemands préférant revenir sur les souffrances causées par Hitler et sa politique. Enfin, il y avait l'idée que les expulsés se confondraient dans la masse allemande et laisseraient de côté leurs souvenirs concernant cet épisode comme un « devoir de silence ».

Il a fallu attendre les années 90 pour avoir un début de reconnaissance. Le Parlement hongrois a reconnu dans une résolution de mars 1990 que l'expulsion était une « action injuste ». Si pour certains individus peu concernés par ces événements cela peut sembler un peu faible, pour les descendants des expulsés il s'agit d'un incroyable pas en avant pour des Etats ayant fait un tel travail de rejet des souvenirs et de la mémoire des expulsions. Vaclav Havel, premier président de la République Tchèque, fit un discours qui se révéla être des excuses officielles : « Au lieu de juger légalement tous ceux qui avaient trahi leur Etat, nous les avons chassés du pays, usant ainsi d'un châtiment que notre code juridique ne connaissait pas. Ce n'était pas un châtiment, mais une vengeance ». Pour les observateurs, il s'agit de tentatives pour se rapprocher de Berlin après la chute du bloc soviétique mais pour les descendants des expulsés, c'est enfin la reconnaissance que leurs ancêtres ont pu être traités injustement. Pourtant, ces déclarations officielles ne reflètent pas la pensée de nombreux tchèques. Douglas met en avant des sondages reflétant que les tchèques n'estimaient pas devoir d'excuse aux Allemands expulsés. Ainsi le discours officiel n'est pas rejoint par une majorité du peuple.

Les pays expulseurs semblent assumer en façade leur passé mais s'activent en coulisse afin de se protéger de possibles réactions des descendants d'expulsés. Mais l'aspect juridique et la législation ne sont pas les seules traces présentes de nos jours, touchant la mémoire collective, de la migration de millions d'Allemands au XXe siècle.

Comme expliqué précédemment, concernant les allemands déplacés, des traces subsistent. Cependant, les questions juridiques semblent bien loin du commun des mortels, limitant l'interaction avec le passé et la mémoire des pays concernés et délaissant la mémoire collective. L'année 1995 fut importante dans la mesure oùelle marqua le cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre Mondialeet que cela alimenta les études sur l'Allemagne avec un intérêt justifié par la réunification des deux Allemagne. Les études de la fin des années des 1990 portaient particulièrement sur les victimes du côté allemand. Mais on a pu constater que depuis les années 2000, et plus précisément 2001, un net regain d'intérêt pour la question avec de grands documentaires sur la fuite de certains Allemands et les expulsions20(*). En effet, un intérêt important s'est développé en Allemagne pour cette question de la migration de millions d'Allemands dans un passé qui ne se situe pas encore trop loin. Daniela Heimerlest revenu sur l'audimat des documentaires et le nombre plutôt conséquent de tirages d'ouvrages portant sur ce sujet avec l'exemple du best-seller Im Krebsgang de Günter Grass paru en 2002. L'opinion allemande s'est montrée de plus en plus intéressée par cet épisode de l'histoire de son pays, comme en témoigne le sondage du Frankfurter Allgemeine Zeitung du 2 janvier 2006. Ce dernier révéla que les moins de trente ans ne connaissaient quasiment rien du sujet en question mais se sentaientnéanmoins concernés par cette partie de leur histoire.

Ce soudain intérêt, en apparence, peut s'expliquer par la présence d'un débat concernant un projet de fondation d'un « Centre contre les expulsions ». Ce projet consisterait en l'ouverture d'un lieu de documentation et de mémoire des expulsions et des expulsés à Berlin. Ainsi entre 2000 et 2005 eurent lieu des tractations et négociations concernant ce projet entre la Fédération des expulsés (Bund der Vertriebenen, BdV), l'Union chrétienne-démocrate (CDU), l'Union sociale-chrétienne (CSU) et le parti social-démocrate (SPD). Les négociations amenèrent à replacer la possibilité de l'ouverture d'un tel centre dans une perspective européenne et non plus nationale ce qui a provoqué de nombreuses réactions négatives notamment en Pologne où l'on estime qu'il s'agit du problème des Allemands.

On constate que la mémoire des expulsés est toujours au centre de débat les dépassant totalement. En effet, après la Seconde Guerre Mondiale, leur sort était décidé par les grandes puissances et 60 ans après, leur mémoire est entre les mains d'entités dépassant leurs descendants. La mémoire des expulsés est instrumentalisée dans des débats les concernant peu voire pas du tout. Les tensions germano-polonaises entourent continuellement la question de la mémoire des expulsés.

Pour le projet du Centre des expulsions, les responsables de la Fédération des expulsés désiraient garder une organisation allemande mais ces derniers étaient bien souvent des députés ayant voté contre des traités germano-polonais ou des déclarations favorables à une réconciliation. La mémoire des expulsés devient alors un autre terrain pour les affrontements entre les responsables politiques allemands et polonais. Cependant, ce n'est pas le seul débat entourant la mémoire des expulsés. Wolfgang Benz, directeur du Centre de la recherche sur l'antisémitisme, estima qu'il y avait une volonté de contrer le Monument à la mémoire des Juifs d'Europe assassinés. Ainsi on entoure de débats négatifs une démarche dont l'idée originale est tout de même de renseigner sur un événement historique majeur et de le préserver au sein de la mémoire collective.

Dans son article, Heimerl montre les enjeux suscités par l'étude de la migration des Allemands. Elle en vient à expliquer que le travail sur la mémoire doit permettre d'éclaircir certains points obscurs et de définir définitivement le statut des Allemands vis-à-vis de cette migration massive : victimes, coupables ou les deux ? Elle estime que les Allemands ont une part de responsabilité dans leur destin en revenant sur la politique d'Hitler sur laquelle nous sommes revenus brièvement durant l'introduction. Si une partie des Allemands soutenait la politique pangermaniste, une autre ne s'y opposait pas réellement. Ainsi, la volonté d'unité ethnique d'Hitler eut des conséquences directes sur les expulsions, toujours selon Heimerl, dans le fait qu'elles concernèrent d'abord les polonais ou tchèques expulsés qui récupérèrent leur place lorsque cela fut le tour des Allemands d'être expulsés. Elle ne tranche pas en définissant de statut définitif pour les Allemands mais cela bouscule encore la mémoire des expulsés. Sa pensée résume un débat concernant la supposée victimisation des Allemands expulsés. Comme expliqué précédemment, les années 2000 ont vu un regain d'intérêt des intellectuels pour cette partie de l'histoire allemande mais pour la majorité d'entre eux, les récits ou les articles visaient à mettre en avant les souffrances subies par les Allemands. Certains n'hésitaient pas à réutiliser un champ lexical embaumé d'un lourd passé avec par exemple des termes comme « crématoire ». Un processus de victimisation se mit en place et le projet de Centre contre les expulsions semble se placer dans cette lignée. Les opinions divergent donc en ce qui concerne ce projet entre ceux défendant le sort des Allemands, ceux estimant qu'ils ne sont pas les plus à plaindre et d'autres pensant que c'était presque une forme de réajustement de la justice avec les expulsions d'individus appartenant à un peuple ayant fait souffrir des millions de personnes.

Le Centre contre les expulsions est toujours à l'état de projet et entouré de débats subversifs pour la mémoire des expulsés. On conserve donc des traces mémorielles des expulsions d'Allemands au travers de débats qui nous sont contemporains mais pas forcément les plus bénéfiques pour la mémoire des expulsés.

CONCLUSION

Comment le monde a-t-il pu passer à côté d'un tel déploiement de violences, juste après avoir tant lutté contre le nazisme et son système autoritaire d'une violence inouïe ? Entre 1945 et 1947, des centaines de milliers d'expulsés ont perdu la vie. Torturés, humiliés, ces Allemands ethniques ont payé le prix cher d'une Seconde guerre mondiale qui aura vu leurs cousins germaniques devenir la bête noire du globe.

La reprise cathartique de la violence nazie à l'égard de ces peuples allemands, vivant parfois depuis plusieurs générations sur ces terres hongroises ou tchécoslovaques, pose évidemment plusieurs problèmes éthiques et moraux. Quelle notion de la justice comprendre derrière toute cette entreprise ? Alors que les Alliés se faisaient les prêcheurs de la bonne parole en 1945, ils n'ont pas eu de mal à fermer les yeux durant plusieurs mois sur ces expulsions menées en Europe de l'est et en Europe centrale. Britanniques et Américains ne semblèrent que peu troublés par la cruauté et la terreur de ces opérations.

Le journalisme anglo-russe Stefan Schimanski, grand opposant aux Allemands et à l'Allemagne durant la guerre, fut l'un des rares à s'être déplacé au printemps 1946 dans la zone britannique pour retranscrire les atrocités qui s'y déroulaient durant l'opération Swallow. « Je savais qu'aucun SS n'aurait pu faire pire », finit-il même pas dire à l'arrivée du premier train Swallow à Pöppendorf21(*). La pensée dominante négligeait les souffrances de ces Allemands, « eux qui avaient tant fait souffrir » aimait-on dire. D'ailleurs, l'argument de la collaboration avec le régime nazi ne tient pas debout. Le cas des Slovaques représente ici un contre-exemple pertinent. Le gouvernement prit part notamment à l'invasion de la Pologne et fut un état client de l'Allemagne. Pourtant, après la guerre, aucun Slovaque ne fut soumis à un traitement identique à celui que l'on infligea aux Allemands ethniques.

Il y eut donc une réappropriation des usages nazis, symbolisée par le déplacement massif d'individus par le biais de trains etde camps de concentration ou de « transition ».La sélection des individus reposait théoriquement sur l'ethnie, elle-même définie par des critères utilisés quelques mois auparavant par les nazis. Ainsi ces pays mirent au même rang de culpabilité tous les Allemands et les expulsés furent le vecteur de cette vengeance.

Parallèlement à ce désir de vengeance qui fut par la suite encadré par les Alliés, les pays expulseurs avaient également d'autres objectifs au travers des expropriations et de la redistribution des biens des Allemands expulsés. Pourtant, cette motivation économique s'avéra enrichissante sur le court terme mais avec une population remplacée seulement partiellement, cela se révéla être un échec sur le long terme. Ce constat est tout autre pour l'Allemagne qui a, plus ou moins, réussi l'intégration d'une dizaine de millions d'individus rejetés à leur arrivée par la majorité de la population qui les considérait comme responsables de leur sort, chose qu'ils avaient en commun avec les populations des pays expulseurs.

Cette partie de l'histoire européenne, occidentale (voire mondiale) ne devrait pas être oubliée. Pourtant, les nouvelles générations ignorent souvent la totalité de ces évènements passés. Cet oubli provoqué par une omertainitiée par les Alliés témoigne du malaise et de l'ambiguïté de leur comportement et notamment celui des États-Unis. Ce pays, qui a affiché une lutte contre les ennemis de la démocratie, a cautionné le procédé des expulsions et ses conséquences. C'est bel et bien là tout le paradoxe de ces deux années. Le passage d'une lutte contre la barbarie àla reprise de cette dernière.

* 20Alice Volkwein, « Analyse du discours mémoriel allemand de la fuite et expulsion », Trajectoires [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 16 décembre 2009, consulté le 20 avril 2013. URL : http://trajectoires.revues.org/215

* 21 S. Schimanski, Vain Victory, Londres, Gollancz, 1946, p. 115 ou R. M. Douglas, Les expulsés, 2012, p. 115.

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