I.2- Quelques résultats empiriques
Les analyses du recours a la contraception avant le mariage et
celles des phenomenes socio-demographiques qui lui sont directement rapproches
telles qu'abordees par les auteurs susmentionnes ont conduit a des resultats
edifiants qu'il convient d'exposer dans un esprit de revue de la litterature
empirique.
DELAUNAY Valerie et BECKER Charles (2000) dans leur analyse,
sont arrives A trois types de conclusions. Ils ont observe premierement une
deterioration des systemes d'information traditionnels ; deuxiemement ils
remarquent un interet suivant le sexe de la pratique de la contraception
moderne et troisiemement, ils font ressortir un nouveau modele d'adoption de la
contraception. Ceux-ci aboutissent dans leur etude a d'importants resultats
relatifs a la contraception.
Selon les resultats de ces auteurs, il semble que l'on assiste
a une modification du systeme de transmission du savoir traditionnel en matiere
de contraception, qui se traduit par une information plus diversifiee,
empruntant de moins en moins ses canaux traditionnels qu'etaient l'initiation
et le mariage.
Mais les nouveaux canaux d'information echappent au controle
social traditionnel et touchent des groupes qui autrefois ne l'etaient pas. Ce
sont en effet les jeunes, plus scolarises et ayant frequente la ville, qui
paraissent les mieux informes. L'information, plus disponible en ville, semble
se diffuser rapidement aupres des jeunes femmes restees au village par
l'intermediaire des jeunes migrantes.
Par contre, la motivation pour une utilisation future ne
serait pas systematiquement transmise. Les auteurs trouvent que ce sont aussi
les groupes les plus instruits qui ont la plus grande experience de la
contraception moderne. La contraception apparait pour les femmes comme un enjeu
de plus grande importance et de nature differente.
Elles ont en effet une meilleure connaissance de la
contraception traditionnelle et moderne, une plus grande pratique et un plus
grand desir de contraception future. Les auteurs ont egalement pu constater que
la contraception concerne plutot les femmes dans le mariage. Leur objectif
serait surtout d'espacer les naissances, pour limiter la fatigue liee a la
maternite, mais elles souhaitent aussi une contraception d'arret, pour
eviter
les grossesses tardives. Dans cette meme enquete, 30 % des
femmes ont declare une descendance ideale de 6 enfants. Les femmes, qui, dans
la plupart des societes africaines, subissent le coUt physique et economique
des enfants, mais ne prennent pas les decisions en matiere de reproduction
semblent dans l'etude afficher un plus grand role de decideurs, du moins dans
les intentions declarees.
Les hommes, quanta eux, paraissent plus concernes par les
problemes de contraception avant le maria ge, leur objectif etant surtout
d'eviter les grossesses hors mariage ; ils semblent peu se preoccuper des
difficultes rencontrees par les femmes.
Dans l'article publie par Perspectives Internationales sur le
Planning Familial en 1999, l'auteur fait etat de ce que les facteurs
socioeconomiques n'etaient pas uniformement associes aux differences observees
dans les connaissances feminines de la contraception.
Au Bangladesh, en Egypte, en Jordanie, au Maroc et en Turquie,
par exemple, ces connaissances ne variaient guere suivant le lieu de
residence, le niveau d'instruction ou l'exposition a la
television. Au Niger et au Senegal, par contre, la residence en milieu
rural, le faible niveau d'instruction et l'exposition peu frequente a la
television etaient autant de facteurs associes a une faible connaissance
generale de la contraception, et a une familiarite moindre encore a l'egard des
methodes modernes.
L'auteur souligne que malgre la population principalement
musulmane des pays soumis a son etude, le developpement socioeconomique, la
prevalence contraceptive et l'effort du programme de planning familial de
chacun varient largement. Il en resulte une variation considerable, d'un pays a
l'autre, quant au succes de la transition de fecondite. L'auteur conclut que la
pratique de l'islam ne represente, au niveau mondial, ni un obstacle, ni un
facteur de stimulation du declin de la fecondite.
L'etude enrichissante de Michel GARENNE et Juliette HALIFAX
(2000), rappelle d'abord l'historique de l'evolution de la nuptialite en
Afrique avant de cerner par la suite certaines variables qui expliquent la
fecondite premaritale. Pour ces derniers, la nuptialite des femmes africaines
etait, a l'epoque, precoce et quasi universelle : presque toutes les femmes se
mariaient. Une proportion importante de celles-ci se mariait avant l'age de 20
ans (HERTRICH Veronique et PILON Marc, 1997). Cette forte intensite de la
nuptialite etait souvent renforcee par les regimes de polygamie, frequents en
Afrique, qui permettaient a toutes les femmes d'etre mariees meme si tous les
hommes ne l'etaient pas ou ne l'etaient que plus tardivement.
Certes, la definition du mariage n'est pas imposee par un acte
legal comme dans les pays europeens, mais dans pratiquement toutes les societes
africaines il existe une forme de mariage reconnue socialement, associee a une
ceremonie et a un echange de biens, ce qui permet d'utiliser ce concept dans
les enquetes demographiques.
Jusque vers 1960, continuent les auteurs, periode a laquelle
la plupart des pays africains ont accede a l'independance, la limitation des
naissances etait peu pratiquee, la fecondite des jeunes femmes etait tres
valorisee et l'essentiel de la fecondite se produisait apres le premier
mariage. Certes on notait des exceptions et dans certains groupes ethniques le
premier mariage n'etait celebre qu'apres que la jeune femme ait prouve sa
fecondite, mais ces cas restaient dans l'ensemble assez rares et cette
fecondite avant le premier mariage (fecondite premaritale) etait valorisee,
souhaitee par la femme et prise en charge par le groupe familial.
Leur analyse aboutit aux conclusions selon lesquelles le
premier mariage est retarde pour un ensemble de raisons : urbanisation rapide
et emploi des femmes (la demande pour le travail feminin augmente en milieu
urbain), scolarisation de plus en plus tardive des jeunes filles (bien au-dela
des ages traditionnels au mariage) et nouveaux modeles de vie souvent imites
des pays developpes grace a la diffusion des medias. Les jeunes femmes
expriment de nouvelles preferences pour l'activite economique moderne,
l'independance financiere, un mariage plus tardif et un choix personnel du
partenaire au lieu des mariages arranges par les familles. D'autre part, la
fecondite commence a etre mieux maitrisee, surtout en milieu urbain, grace a la
contraception moderne et au recours plus frequent a l'avortement. Cependant ce
contrOle de la fecondite touche peu les adolescentes : il est surtout le fait
des femmes plus agees, souvent mariees, ayant deja eu un ou plusieurs enfants
ou ayant atteint la descendance souhaitee.
Par ailleurs, les auteurs trouvent que la fecondite avant le
premier mariage n'est en general pas desiree, surtout chez les adolescentes et
les jeunes femmes scolarisees. Pour ces dernieres, la fecondite avant le
mariage signifie l'arr0t des etudes et de serieuses difficultes financieres.
Mime s'ils resistent a l'urbanisation et a la montee de l'individualisme, les
reseaux de solidarite familiale ne sont plus aussi structures et puissants
qu'autrefois et une naissance hors mariage exige de plus en plus que la mere
dispose d'un revenu independant pour subvenir aux besoins de l'enfant.
Apres avoir reconnu que la fecondite premaritale n'est pas un
phenomene propre . l'Afrique et qu'on le trouve dans certains pays europeens,
ainsi qu'aux Etats-Unis, surtout dans la population afro-americaine, les
auteurs exposent une serie de conclusions concernant l'Afrique.
Ils decouvrent que dans les pays pour lesquels les donnees
sont disponibles, la fecondite premaritale en Afrique est peu liee (au sens
statistique) aux principaux facteurs socio-demographiques : elle est cependant
positivement correlee au niveau d'instruction des femmes (r = 0,27) et a la
prevalence de la contraception (r = 0,47) ; elle est negativement correlee a
l'urbanisation (r = -0,13) et a l'islamisation (r = -0, 51).
Elle n'a pas de correlation significative avec la prevalence
du VIH/sida dans la population generale. Ce phenomene de forte fecondite
premaritale semble assez recent, datant d'une quinzaine d'annees en Afrique du
Sud en milieu rural par exemple. De ce fait les auteurs suggerent que
l'expansion geographique, la dynamique recente et les determinants de la
fecondite premaritale doivent faire l'objet d'etudes plus approfondies.
La rigoureuse analyse de Raimi FASSASSI (2001) aboutit sur des
conclusions tres enrichissantes que l'auteur expose comme suit. Les pratiques
contraceptives en Cote d'Ivoire sont encore faibles au regard des succes qui
ont pu etre atteints dans certains pays leaders d'Afrique subsaharienne moins
avances economiquement.
Alors qu'au Kenya, au Zimbabwe, au Botswana et en Afrique du
Sud, les progres de la contraception sont remarquables, en 1994, la
contraception totale n'etait en Cote d'Ivoire que de 16, 5% pour l'ensemble de
la population feminine en age de procreer ; la prevalence des methodes modernes
ne s'elevant qu'a 5,7% (N'Cho et al., 199 5).
Lorsque, de la population totale des femmes en age de
procreer, on retranche les femmes enceintes et celles qui sont en menopause, on
obtient la population designee ici comme potentiellement feconde. Pour
celles-ci, l'emploi de la contraception au moment de l'enquete se justifie
davantage. La prevalence contraceptive totale est alors de 19% tandis
que celle des methodes modernes remonte a 6,3%. Ces taux
restent insuffisants meme si l'environnement tres longtemps pronataliste et la
deficience de l'offre de moyens efficaces ont pu jouer un role important dans
le peu d'interet que la population a manifeste jusque la a la contraception
notamment moderne.
En Cote d'Ivoire, la contraception emergente peut encore etre
qualifiee de contraception d'elites meme si les besoins emanent de differentes
categories socioeconomiques. Les differentes variables retenues comme facteurs
explicatifs de la pratique contraceptive moderne rendent compte de niveaux
divers d'insertion des femmes dans la logique contraceptive.
En tout etat de cause, l'instruction de la femme, son milieu
de vie et son lieu de socialisation mais aussi l'a ge et l'activite sexuelle
sont des variables cles dont les combinaisons rendent le plus compte de la
pratique contraceptive. La femme utilisatrice des methodes modernes de
planification familiale appartient a la frange superieure de la classe plus
large des utilisatrices d'une methode non populaire de contraception.
L'utilisatrice d'une methode de contraception est une femme
plutOt jeune et instruite, socialisee et residant a Abidjan ou dans une grande
ville de Cote d'Ivoire. Elle vit dans un logement de bon standing avec un
conjoint egalement instruit et favorable a la planification familiale qui est
d'ailleurs souvent leur sujet de conversation. Elle retire une remuneration
monetaire d'une occupation qu'elle exerce dans son milieu de vie, le milieu
urbain, et elle est ouverte a l'ensemble des medias. Elle est dans la phase de
sa vie feconde oil les risques de grossesse sont importants. La contraception
lui sert d'ailleurs a espacer ses naissances qu'elle souhaite assez
limitees.
La femme non utilisatrice est quant a elle issue du milieu
rural. Elle est agricultrice tout comme son conjoint et n'a pas ete scolarisee.
Si elle regarde parfois la television ou ecoute la radio, la presse ecrite lui
est interdite du fait de son eloignement de la ville et de sa meconnaissance de
la langue frangaise. Elle n'a aucune envie de limiter sa descendance car elle
considere que cela relive de Dieu seul. Elle est issue d'un milieu pauvre et
habite un logement de bas standing.
Lorsque l'on prend l'odds ratio comme critere de
classification, la conjonction de la situation matrimoniale et de l'activite
sexuelle met en exergue le groupe des femmes non mariees mais sexuellement
actives pour qui la pratique contraceptive est tres elevee. Les variables qui
sont liees a l'accumulation du capital social emergent egalement. C'est le cas
des femmes qui ont acces a la presse ecrite ou qui s'informe aux travers des
emissions de television. C'est aussi le cas des femmes instruites dont le
statut social autorise une ouverture plus large sur le monde exterieur, le
monde occidental en particulier qui est la reference pour cette categorie de
femmes.
Lorsque par contre le pourcentage d'inhibition de la fecondite
cumulee sert de base a la classification des femmes, le niveau d'instruction
eleve de la femme, celui de son conjoint, l'insertion de l'homme ou de la femme
dans la sphere moderne de l'economie et le recours a la presse ecrite, sont les
principaux facteurs contributifs a l'adhesion de la femme a la planification
familiale.
Par ailleurs, AMEGEE Lambert (2001) a trouve que les jeunes en
Afrique sont plus exposes au risque d'accouchement en dehors du mariage et au
risque de contracter une IST/VIH/SIDA a cause du recul de l'age au mariage et
surtout a cause de la precocite des rapports sexuels.
En effet, les relations sexuelles se passaient jadis,
generalement dans le mariage surtout chez les femmes et la survenue d'une
grossesse entraine souvent l'entree en mariage. Dans son etude, l'auteur releve
que 44% des adolescents celibataires ages de 1 5-19 ans et 48% des adolescentes
celibataires de meme age sont sexuellement actifs. Les resultats de l'EDS
Togo-1998, revelent quanta eux que 20% des femmes de 1 5-19 ans ont eu leur
premier rapport sexuel a 1 5 ans exactement, alors que seulement 1 5% des
femmes ages au moment de l'enquete de 4 5-49 ans l'ont eu a ce meme age.
L'auteur note qu'au fil des generations, des changements sont intervenus dans
les comportements des hommes et des femmes.
En outre, les perceptions des individus sur la possibilite ou
non d'avoir des relations sexuelles avant le mariage et sur l'utilisation de la
contraception different d'une generation a l'autre, les programmes visant les
adolescents risquent ainsi de ne pas atteindre leurs objectifs si les parents
se constituent en barrieres pour l'adoption des pratiques sexuelles saines par
les jeunes. Jusqu'. nos jours, l'auteur fait remarquer qu'on connait tres peu
sur les perceptions parentales des comportements sexuels des adolescents. Alors
que ces informations sont tres importantes dans la conception meme des
programmes en Sante Reproductive en direction des jeunes.
Dans cette perspective, l'etude originale de cet auteur
s'avere interessante puisqu'elle prouve que les perceptions des parents sur les
comportements sexuels des adolescents different selon le genre. En outre, elle
montre que les declarations des enfants en matiere de communication avec leurs
parents au sein du menage different, selon le sexe de l'enfant par rapport au
pere ou a la mere, des declarations des parents sur le meme sujet.
Dans une certaine mesure l'article publie par KOUWONOU Kodjovi
(1996) fait ressortir d'importants resultats relatifs a la pratique de la
contraception. Celui-ci releve que la constitution des couples se fait selon
des regles tenant compte surtout des conditions sociales de chacun des
conjoints.
Le "marche matrimonial" est ainsi regi par des "lois" qu'il
faut bien comprendre pour mieux expliquer les differentes strategies
individuelles et collectives en matiere de procreation. C'est ainsi qu'en
combinant le milieu de socialisation et le niveau de scolarisation des
conjoints, son analyse a permis de degager quatre grands groupes d'unites
familiales. Chaque groupe d'unites familiales elabore des strategies
specifiques de reproduction.
Les conjoints (tous deux) instruits sont les plus enclins a
conclure leurs unions par une ceremonie coutumiere, une ceremonie civile et une
ceremonie religieuse. Par contre, dans les groupes de familles oil seul le mari
a ete a l'ecole et a passe au moins ses douze premieres annees de vie en ville,
les unions dites consensuelles representent une proportion relativement
importante. En outre, ces formes d'alliance sont doublees de la non
co-residence des conjoints.
Mieux l'etude montre que malgre les efforts consentis ici et
lA par les institutions de planification familiale, l'utilisation des methodes
modernes de contraception ne mobilise qu'une petite frange de la population,
meme dans les agglomerations urbaines. Il a ete observe que le niveau
d'instruction des parents joue un role important dans l'utilisation des
contraceptifs modernes.
Au sein des differentes unites familiales, il apparait
clairement que le niveau de la prevalence contraceptive est de loin plus
important dans les couches sociales oil les deux
conjoints ont ete scolarises. En fait, la scolarisation
influence beaucoup les comportements individuels. Ainsi, ce sont les femmes non
scolarisees qui sont davantage soumises aux traditions.
La litterature relative a la contraception avant le mariage et
les phenomenes sociodemographiques sous-jacents abondent aussi bien en
approches theoriques qu'en resultats empiriques. La principale remarque qui
peut se degager de prime abord de ces resultats signifies supra, est leur
diversite et/ou leur pluralite. Les auteurs semblent tout de mime s'accorder
sur l'influence sans faille de l'instruction et des facteurs de socialisation
dans l'etude des determinants des phenomenes de la contraception.
Les voies d'analyses, hormis celles empruntees dans quelques
etudes, explorent generalement les methodes statistiques les plus rigoureuses
et les mieux adaptees. Il convient toutefois de mener une reflexion approfondie
sur les phenomenes sociodemographiques et singulierement sur le phenomene de la
contraception pre-maritale, comme l'ont si bien signifie Michel GARENNE et
Juliette HALIFAX.
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