La compatibilité entre le
concept de propriété
intellectuelle et la Shari'a.
FRADET Léo.
Mémoire en vue de l'obtention du Master Professionnel en
Droit des affaires mention droit des Techniques de l'Information et de la
Communication.
Mémoire en vue de l'obtention du Magistère en Droit
des Techniques de l'Information et de la Communication.
La compatibilité entre le
concept de propriété
intellectuelle et la Shari'a.
FRADET Léo.
Mémoire en vue de l'obtention du Master Professionnel en
Droit des affaires mention droit des Techniques de l'Information et de la
Communication.
Mémoire en vue de l'obtention du Magistère en Droit
des Techniques de l'Information et de la Communication.
La Faculté n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les mémoires ; ces opinions
doivent être considérées comme propres à leurs
auteurs.
Remerciements :
Je tiens avant tout à remercier Maher Ayroud pour toute
l'aide qu'il m'a fourni. Sans lui, il m'aurait été difficile de
rédiger ce mémoire.
Je remercie ensuite le professeur Gaudrat pour sa confiance et
pour m'avoir permis de choisir ce sujet.
Je remercie aussi toutes les personnes qui m'ont soutenu et
aidé dans la rédaction de ce mémoire, ma famille, mes
amis, et notamment à Manu et Mojdeh.
Abréviations :
§ : Paragraphe
ADPIC : Aspects des Droits de
Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce CEDH :
Convention Européenne des Droits de l'Homme
CUB : Convention de l'Union de Berne
H. Q. IV 80 : Saint Coran, sourate IV, verset 80
OMC : Organisation Mondiale du Commerce
SIDA : Syndrome d'Immuno Déficience Acquise
WHO : World Health Organization
WTO : World Trade Organization.
Sommaire:
Avant-propos 1
Introduction 2
Chapitre I : La Propriété Intellectuelle,
un droit de culture occidentale. 2
Section I : Un droit né de la libéralisation
des économies. 2
Section II : Une généralisation à
l'ensemble des pays du monde par le
droit internationale.
|
3
|
I. L'acculture du droit international.
|
3
|
II. L'incompréhension et le rejet, résultats de
l'acculture.
|
4
|
Chapitre II : La contrefaçon dans les pays
musulmans.
|
6
|
Section I : La contrefaçon, une activité courante
dans les pays
|
6
|
musulmans.
|
Section II : Une contrefaçon discriminante au
bénéfice des ayants droit musulmans. 7
Titre I : Présentation de la Shari'a et de son
influence sur le monde musulman. 11
Chapitre I : Présentation des sources du droit
musulman. 12
Section I : Le Coran. 12
Section II : La Sunna. 12
Section III : L'Igma 13
Chapitre II : La Shari'a droit fondamental des pays
musulmans. 15 Section I : La Shari'a, un corps de règles
figé. 15 Section II : La dichotomie entre la Loi (sar) et la
politique (Siyasa). 17 Chapitre III : La place de lislam dans la vie
des croyants. 18
Section I : L'absence de distinction entre le domaine du
spirituel et le domaine du profane. 18
Section II : Le champ d'intervention de la loi humaine.
19
Titre II : La compatibilité entre les
règles régissant le
patrimoine dans la Shari'a et le droit de la
propriété intellectuelle. 23
Chapitre I : La justification du droit de
propriété intellectuelle par les règles régissant
le droit de la propriété de la Shari'a. 25
Section I : Le droit de propriété en droit
musulman. 25
I. Le débat sur le caractère physique ou non des
biens appropriables au sens de la Shari'a. 27
II. L'analogie entre le vol et la contrefaçon. 29
Section II : Le respect des règles régissant
l'acquisition des biens dans la Shari'a. 30
I. Les méthodes d'enrichissement personnel
autorisées par la Shari'a. 31
II. La possible acquisition de droit de propriété
sur des biens incorporels. 32
Chapitre II : La légalité en droit musulman
des actes d'exploitation d'un actif incorporel. 37
Section I : La compatibilité entre les usages
contractuels de la propriété intellectuelle et la Shari'a. 39
I. La distinction entre l'aléa du à certains biens
immatériels objet de contrats de propriété intellectuelle
et le concept d'imprécision de la Shari'a. 40
II. La distinction entre l'aléa dû à la
rémunération proportionnelle dans les contrats de
propriété intellectuelle et le concept d'imprécision de la
Shari'a. 41
Section II : La possible transmission des droits de
propriété intellectuelle aux héritiers. 43
Titre III : Le respect des intérêts
fondamentaux de l'Islam, un enjeu déterminant pour l'acceptation de la
Propriété Intellectuelle. 46
Chapitre I : Des intérêts essentiels de
lislam en contradiction. 49 Section I : La thèse du
monopole sur la connaissance. 49
Section II : La propriété intellectuelle,
une protection pour le patrimoine. 52
Chapitre II : Les intérêts divergents
conciliés par le caractère incitatif de la
propriété intellectuelle. 55
Section I : Le caractère incitatif de la
propriété intellectuelle synonyme de poursuite de
l'intérêt général. 56
I. Une protection des droits de propriété
intellectuelle au bénéfice des industries des pays en voie de
développement. 56
II. L'incitation à la diffusion de la connaissance par la
propriété intellectuelle. 58
Section II : La nécessité de l'existence de
limites à la propriété intellectuelle. 59
Conclusion 62
Avant-Propos :
Ce mémoire, dont le sujet est « la
compatibilité entre le concept de propriété intellectuelle
et la Shari'a», ne se veut pas une étude approfondie du droit
musulman, mais un texte cherchant à mettre en relation deux ordres
juridiques distincts, le droit international de la propriété
intellectuelle et la Shari'a.
Les musulmans représentent un cinquième de la
population mondiale, et dans les pays où la population est
majoritairement musulmane, la religion tient généralement une
place importante dans l'activité politique et juridique. C'est pourquoi
il me parait aussi important d'étudier les principes de la Shari'a que
d'étudier le droit américain ou chinois.
Mon constat est qu'en France la propriété
intellectuelle nous est souvent présentée comme une
évidence. Cependant elle ne l'est pas nécessairement pour des
cultures autres que la nôtre. Or, si la propriété
intellectuelle se révélait être contraire à des
prescriptions religieuses, cela pourrait empêcher sa bonne application
dans les pays musulmans.
Pour ces raisons, j'ai décidé de me pencher sur
cette question afin de mettre en lumière les points de friction pouvant
exister entre les deux droits et de donner des premiers éléments
de réponse quant aux solutions à apporter.
Introduction :
Chapitre I. La Propriété Intellectuelle,
un droit de culture occidentale.
Tout d'abord un constat. Le droit de propriété
intellectuelle semble être une évidence pour les pays occidentaux
qui en font la promotion et tentent de le faire appliquer dans l'ensemble des
pays du monde. Pour preuve de cette évidence, il peut être
avancé le fait que les droits de propriété intellectuelle
sont considérés comme étant des droits fondamentaux par la
Convention Européenne des Droit de l'Homme. En effet, l'article 1 du
protocole additionnel n°1 à la CEDH prévoit que «
toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens
». La Cour a eu ensuite l'occasion de se prononcer sur les droits de
propriété intellectuelle et les a qualifiés de biens au
sens de ce même protocole1. Dans l'affaire
Balan c/Moldova, qui oppose un photographe à l'Etat Moldave, la Cour
rappelle très clairement que l'ensemble des droits de
propriété intellectuelle bénéficie du régime
des biens au considérant 34 de sa décision : « The Court
reiterates that Article 1 of Protocol No. 1 is applicable to intellectual
property » 2.
Section I. Un droit né de la
libéralisation des économies
Cependant, on oublie souvent que ce droit est très
récent à l'échelle des sociétés humaines et
que sa création et son développement est autant un effet de la
libéralisation des économies qu'une reconnaissance d'un droit
fondamental. Les premières lois anglaises et
françaises3 datent de périodes
révolutionnaires, ou post
révolutionnaires4,
caractérisées par une importante libéralisation des
échanges et la fin des privilèges économiques
octroyés par le Roi. Si la loi permet à un créateur d'une
oeuvre de l'esprit de tirer un bénéfice de son travail par esprit
de justice, l'intérêt, pour les Etats qui mettent en place un
régime de protection des biens
1Voir les décisions suivantes, pour les brevets
CEDH, 4 octobre 1990, n° 12633/87, Smith Kline et French Lab. c/ Pays-Bas,
pour les marques CEDH, 11 janv. 2007, n° 73049/01, Anheuser-Busch c/
Portugal et pour le droit d'auteur CEDH, 28 janvier 2008, n° 19247/03
Balan c/ Moldova.
2 Traduction : La Cour rappelle que l'Article 1 du
Protocole n°1 est applicable à la
propriétéintellectuelle.
3 D'une part, pour l'Angleterre, The Statute of Monopolies du 25
mai 1624 protégeant les inventions techniques et The Statute of Anne du
10 avril 1910 protégeant les livres, et, d'autre part pour la France la
loi des 13 et 19 janvier 1791 et la loi des 19 et 24 juillet 1793 pour le droit
d'auteur, et la loi du 7 janvier 1791 pour les brevets.
4 La Révolution Anglaise a lieu entre 1741 à 1749,
la Révolution Française a lieu entre 1789 et 1799.
immatériels, est aussi de protéger leurs acteurs
économiques contre ceux des autres pays qui pourraient être
tentés par le commerce des copies de ces oeuvres.
Le droit de la propriété intellectuelle s'est
principalement développé dans les pays dits occidentaux, alors
même que leurs sociétés extrêmement segmentées
se libéralisaient, tout du moins économiquement, et que ces
nations entraient dans l'ère Révolution Industrielle. Ainsi, ces
droits sont des droits créés par les pays occidentaux avec la
volonté de permettre l'essor de leur économie.
Section II. Une généralisation à
l'ensemble des pays du monde par le
droit international.
La deuxième caractéristique de ce droit est son
fort développement grâce au droit international. Parmi les tous
premiers traités multilatéraux se trouvent les deux premiers
traités ayant pour sujet le droit de la propriété
intellectuelle que sont la Convention de l'Union de Paris et la Convention de
l'Union de Berne. Aujourd'hui, des standards internationaux sont applicables
à la quasi-totalité des pays du monde via l'Accord sur les
aspects des Droits de la Propriété Intellectuelle qui touchent le
Commerce. Ce texte correspond à l'annexe 1C de l'accord de Marrakech
portant création de l'Organisation Mondiale du Commerce et doit
être impérativement ratifiée par tout pays désirant
faire partie de cette organisation internationale5.
L'objectif pour les pays développés était d'imposer des
standards internationaux aux pays en voie de développement en
contrepartie de la réduction des barrières douanières et
des subventions octroyées à leur industrie.
I. L'acculture du droit international.
Ces règles standardisées et imposées par
les pays occidentaux ne prennent pas en compte les particularismes nationaux
des pays membres de l'OMC. John Carroll, le directeur de la « Intellectual
Property and Transactional Law Clinic » de l'Université de
Richmond, explique6 que les gouvernants des pays
occidentaux, face à une question internationale, proposent les moyens
qui leurs semblent les plus efficaces sans égards pour les
particularismes culturels et religieux de ces pays :
5 Article II-2 de l'accord de Marrakech : « 2. Les
accords et instruments juridiques connexes repris dans les Annexes 1, 2 et 3
(ci-après dénommés les "Accords commerciaux
multilatéraux") font partie intégrante du présent accord
et sont contraignants pour tous les Membres. »
6 Carrol, John. Copyright in the Middle East, a cultural
perspective. Bibliothèque en ligne HeinOnline.
« An intentional and purposeful consequence of the
West' dominance of international law over the past century has been to remove
cultural, ideological and religious content from the substantive discussion and
transnational issues throughout the world » 7.
II. L'incompréhension et le rejet, resultats de
l'acculture.
Ainsi, il en resulte pour lui une necessaire incomprehension,
voir un rejet pur et simple de ces règles par les populations des pays
en voie de developpement car ces textes ont ete penses sans egard pour leur
culture ou pour leur religion. John Carroll donne comme exemple une affaire qui
s'est déroulée lors de la conférence des Nations Unies sur
la population mondiale et le developpement. Le Departement d'Etat
Américain voulut profiter de cette occasion pour faire la promotion de
la libéralisation de la contraception et de l'avortement comme
méthode de régulation de la population. Ces propositions avaient
rencontre une vive opposition, notamment des pays dont la population est
à grande majorite musulmane8.
L'Administration Clinton s'était focalisee sur le resultat mais avait
fait abstraction des barrières idéologiques. Le Professeur
William K. Jones de la faculté de droit de l'Université de
Columbia explique9 le point de vue de l'Occident ainsi :
« In terms of productivity analysis, legalized
abortions appear to be an optimal solution. A policy of outlawing abortion
results in unwanted births to unprepared parents - in many cases impoverishing
the parents, offspring, and society at large »10
John Carroll analyse la reaction des pays musulmans de cette
manière :
« The proposals met with disapproval and were perceived
by states with large Muslim populations as being founded on abstract
intellectualism rather than reason.
»11
7Page 555, § 1.
Traduction : « Une des conséquences voulues et
délibérées de la domination de l'Occident sur le Droit
International au court du siècle précédent a
été la mise à l'écart des particularismes
culturels, idéologiques et religieux des discussions de fond et des
enjeux internationaux à travers le monde. »
8 Mais pas uniquement, le Vatican est aussi intervenu pour que
soit retiré l'avortement des plans de planning familiaux ou pour que ne
soit pas reconnu un droit international à l'avortement.
9 William K. Jones, A theory of social norms, 1994 U.
ILL. L. REV 545, 586
10
Traduction : « Si l'on réfléchit en termes
d'efficacité, légaliser l'avortement semble ~tre une
solution
optimale. Une politique rendant illégal l'avortement
débouchera des naissances non désirées pour des parents
qui ne sont pas prêts - appauvrissant dans beaucoup de cas les parents,
la descendance, et la société plus
généralement. »
Dans le cas présent, il est évident que c'est le
fait de ne pas avoir pris en compte les particularismes régionaux qui a
amené au rejet des propositions de l'Administration Américaine.
Concernant le droit de la propriété intellectuelle, le sujet est
certainement bien moins polémique que l'avortement, au moins en ce qui
concerne les groupes religieux. Cependant, dans des pays où la religion
joue un rôle de premier ordre, il est primordial que le concept de
propriété intellectuelle soit compatible avec la principale
religion du pays afin qu'il soit pleinement accepté par la population et
les acteurs économiques.
Cet « acculturalisme » du droit international n'est
pas absolu, et il est possible pour les Etats, notamment au sein des ADPIC, de
déroger aux traités pour défendre un intérêt
supérieur tel qu'un précepte religieux. Par exemple, l'OMC ne
peut forcer l'Arabie Saoudite à autoriser les importations d'alcool.
Néanmoins, le droit de la propriété
intellectuelle est, comme nous l'avons vu plus haut, un droit pensé et
créé par les occidentaux d'une part, et
généralisé par un droit international « acculturel
» d'autre part. Aussi, il est à craindre que ses dispositions ne
soient pas, à tout le moins partiellement, compatible avec le droit
religieux musulman.
11 Page 556, § 2
Traduction : « Les propositions reçurent un
accueil défavorable et furent perçues par les pays dont la
population est à majorité musulmane comme étant
fondées sur des réflexions abstraites plutôt que sur la
raison ».
Chapitre II. La contrefaçon dans les pays
musulmans.
Il est important de pouvoir démontrer la
compatibilité entre le droit musulman et la propriété
intellectuelle car de nombreux pays dont la population est à
majorité musulmane connaissent une importe activité de
contrefaçon12.
De cette activité, se plaignent même les acteurs
économiques locaux qui souffrent de ne pas bénéficier
d'une protection suffisante pour leurs biens immatériels. Une
étude13 a été menée auprès des
professionnels des industries créatives de cinq14 pays
musulmans par Nadjib Harabi, Professeur d'économie à « the
University of Applied Sciences of Northwestern Switzerland ». Quatre
secteurs ont été étudiés dans ces pays: l'industrie
du livre, du cinéma, de la musique et du logiciel. Dans les
réponses qui ont été données, le niveau de
protection des droits de propriété intellectuelle a toujours
été décrit comme étant bas voir très bas.
Seules deux exceptions ressortent, la protection des droits sur les logiciels
en Tunisie et en Jordanie qui est qualifiée de bonne.
Section I. La contrefaçon, une activité
courante dans les pays
musulmans.
Jonh Carroll décrit, dans son article15, une
contrefaçon généralisée à tous les niveaux
de l'économie, et renforcée par la méconnaissance du droit
de la propriété intellectuelle et ce, bien que les lois
nationales reprennent les standards internationaux :
« Banks in Saudi Arabia have been accused of using
illegal copies of Microsoft computer software products. Copying of computer
software is «out of control» in Bahrain, and before 1998 unauthorized
duplication of software was not illegal in Kuwait. ~ Even in well-regarded
Saudi Arabia, «Many Companies still
12
Le rapport spécial de 2010 sur les droits de
propriété intellectuelle par « the Office of the United
States Trades Representative » inclue trois pays musulmans
dans la liste des onze pays à surveiller en priorité :
l'Algérie, Indonésie et Pakistan. En ce qui concerne la liste des
vingt-neuf pays à surveiller, elle comprend neuf pays musulmans :
Brunei, Egypte, Koweït, Liban, Malaisie, Ouzbékistan, Tadjikistan,
Turquie et Turkménistan.
13
Harabi, Najib. Copyright based industry in arab countries.
Site du Munich personal RePEc archive.
[en ligne] URL:
http://mpra.ub.uni-muenchen.de/5181/
14
Le Maroc, la Tunisie, le Liban, la Jordanie et l'Egypte.
15
Voir note supra 6.
consider it their right to buy one legal package of each
software product and copy it internally without permission of the owner of the
software package» »16.
Section II. Une contrefaçon discriminante au
bénéfice des ayants droit
musulmans.
Mais cette pratique répandue de la contrefaçon
ne peut pas être expliquée par la seule méconnaissance du
droit, mais aussi par des raisons culturelles et politiques amenant les
citoyens des pays arabes à respecter plus les droits des
sociétés locales, que ceux des sociétés
étrangères. John Carroll décrit les étals des
marchands de logiciels où les contrefaçons des logiciels
occidentaux côtoient les copies légales des logiciels des pays
arabes.
« It is interesting to note that Middle Eastern
software vendors may apply a double standard to local and Western
software.
«Amidst this copying oriented atmosphere, it is
amusing to see some original titles being sold. There are Arabic software
titles, mainly developed by Jordanians. Apparently, some sort of
«silent» agreement has been reached between Jordanian software
developers and local pirates shops! The shops only sell originals of local
software as a gesture of support to the local software industry.»
» 17
Cette différence de traitement met tout d'abord en
évidence le sentiment qu'ont les populations des pays musulmans
d'appartenir à un groupe supranational, partageant des
éléments culturels communs. Le principal élément,
au-delà des divergences dogmatiques, est l'Islam. Le lien
créé par la religion est renforcé d'une part par la
langue, l'arabe, qui est parlée dans une très grande partie des
pays
16 Page 558, § 2
Traduction : « Des banques en Arabie Saoudite ont
été accusées d'usage illégal de copies de logiciels
Microsoft. La contrefaçon de logiciel est « hors de contrôle
» au Bahrain, et, avant 1998, la copie non autorisée de logiciels
n'était pas illégale au Koweit. ~ Mrme en Arabie Saoudite, qui a
pourtant une bonne réputation, « de nombreuses compagnies
continuent à considérer qu'elles sont dans leur
droit en achetant un exemplaire légal de chaque
logiciel afin de le copier en interne en l'absence de toute permission de
l'ayant droit ».
17 Page 592, § 3
Traduction : « Il est intéressant de noter qu'au
Moyen Orient les vendeurs de logiciels traitent différemment les
logiciels locaux et les occidentaux.
Au sein de ce milieu de la contrefaçon
orientée, il est amusant de voir un certain nombre de copies
légales en vente. Il s'agit de logiciels arabes, principalement
développés par des jordaniens. Apparemment, des accords tacites
ont en quelque sorte été conclus par les développeurs
jordaniens avec les vendeurs locaux de contrefaçons ! Les seuls
logiciels originaux vendus par ces marchands sont locaux, comme un geste de
soutien à l'industrie locale du logiciel ».
musulmans, notamment par 80% des sunnites18.
D'autre part, les peuples du MoyenOrient et du Nord de l'Afrique partagent une
histoire commune riche à travers l'existence de grands
empires19.
Cependant cette appartenance commune peut aussi se
définir négativement par opposition à la culture
occidentale et la crainte que le commerce avec les pays occidentaux ne se
transforme en une nouvelle colonisation par ces derniers. John Carroll
décrit un comportement contradictoire des musulmans, hésitant
entre l'envie de commercer avec les pays occidentaux d'une part, et de
protéger leur culture d'autre part.
« Iranian malls are packed « with boutiques
crammed with counterfeit Calvin Klein and Ralph Lauren clothing, with
electronics stores featuring all the latest in Japanese gadgetry and with
American-style fast food outlets offering kebabs, burgers and banana
splits~» »20.
Pour conclure sur ce point, la culture en
générale, et la religion plus particulièrement, jouent un
rôle extrêmement important dans le commerce et dans la politique
des pays musulmans. Pour prendre l'entière mesure de ce rôle, il
est nécessaire de comprendre d'une part la place de l'Islam dans le
corps des lois des pays musulmans, et d'autre part dans la vie quotidienne des
croyants.
18 Source : Site Internet de l'Université Laval de
Québec. [en ligne] URL :
http://www.tlfq.ulaval.ca
19 Par exemple l'Empire Mongol, 1205 à 1294, qui
s'étendait de la côte Est de la Chine à l'Ukraine et de la
Russie méridionale aux frontières de l'Inde, ou encore l'Empire
Turc-Ottoman, 1299 à 1922, qui allait de l'Algérie au Golfe
Persique et de l'Autriche au Nord de la Somalie.
20
Page 572, § 4
Traduction : « Les centres commerciaux iraniens sont
remplis « de boutiques pleines de vêtements Calvin Klein et Ralph
Lauren contrefaits, de magasins d'électronique offrant les tous derniers
gadgets japonais et de fast-food à l'américaine servant des
Kebabs, des hamburgers et des banana
split~ » ».
Pour conclure cette introduction, il est nécessaire de
faire le lien entre les différents éléments qui y ont
été inclus. La propriété intellectuelle est un
droit créé par les pays occidentaux dans une logique
économique. Ce droit a été étendu au reste du monde
via le droit international en faisant abstraction des
spécificités culturelles.
Cependant, il est évident que la
propriété intellectuelle n'est pas ou peu respectée dans
les pays musulmans, malgré les lois de ces pays qui reprennent les
standards internationaux en la matière.
Il est donc nécessaire de connaître les raisons
de ce non-respect afin d'augmenter l'efficacité des règles de
propriété intellectuelle et de protéger les acteurs
économiques étrangers qui commerceraient avec ces pays. Eu
égard à la place de la religion dans ces pays, elle pourrait
être un des freins à l'application de la propriété
intellectuelle car elle n'a pas été prise en compte dans la
rédaction des traités internationaux.
C'est pourquoi il est nécessaire de s'interroger sur la
compatibilité entre la Shari'a et le concept de propriété
intellectuelle.
Pour le présent mémoire, le terme de
propriété intellectuelle doit être compris dans son sens le
plus large, comprenant tant la propriété littéraire et
artistique que la propriété industrielle. De plus, les
règles de propriété intellectuelle, qui seront prises en
compte dans le corps de ce mémoire, sont celles des ADPIC. Mon choix
s'est porté sur cet accord international car, par le biais de
l'adhésion à l'OMC, la quasitotalité des pays musulmans
l'a ratifié21.
Tout d'abord, il sera fait une présentation
générale du droit musulman, et notamment de ses sources et de la
place qu'il prend dans la vie des croyants. Il est nécessaire de
connaître les caractéristiques de ce droit pour comprendre
l'intérêt d'en vérifier la compatibilité avec le
concept de propriété intellectuelle. Ce sera l'objet du Titre
I.
Afin de démontrer la compatibilité entre la
Shari'a et le droit de la propriété intellectuelle, il faut tout
d'abord démontrer qu'un actif immatériel peut faire l'objet
21En 2008, 153 pays du monde faisaient partie de
l'OMC.
d'appropriation dans le droit musulman. Cela sera l'objet d'un
Titre II dans lequel sera vérifié la compatibilité entre
les règles régissant le patrimoine dans la Shari'a et le droit de
la propriété intellectuelle.
Il faut aussi démontrer que le droit de la
propriété intellectuelle ne rentre pas en conflit avec les
intérêts fondamentaux de l'Islam que sont la protection de
l'intégrité physique et mentale des croyants. Ce sera l'objet du
Titre II, le respect des intérêts fondamentaux de l'Islam, un
enjeu déterminant pour l'acceptation de la propriété
intellectuelle.
Titre I : Présentation de la Shari'a et de son
influence sur le monde
musulman.
Ce terme de Shari'a est souvent utilisé dans les
médias, mais en général pas ou peu compris. Il est
nécessaire d'en donner une définition.
La Shari'a est un ensemble de règles religieuses qui a
pour objet de guider la vie du croyant. Elle est principalement composée
des quatre grandes sources suivantes : le Coran, la Sunna, les Hadits, et
l'Igma'. Ces sources vont être étudiées dans le premier
Chapitre du présent titre.
Ensuite, dans un second chapitre, il sera expliqué en quoi
la Shari'a peut être considérée comme étant le droit
fondamental des pays musulmans.
Pour finir, ce sera la place de la Shari'a dans la vie des
croyants qui sera étudiée dans le Chapitre III.
Chapitre I. Présentation des sources du droit
musulman.
Section I. Le Coran.
La plus sacrée de toutes les sources est le Coran. Il
regroupe les révélations divines faites à Mohamed par
l'intermédiaire de l'ange Gabriel. Ce texte est au sommet du droit
musulman, toute autre règle est nécessairement en accord avec le
Coran et tous les autres textes doivent être interprétés
à la lumière du livre saint. Ignaz Goldziher, spécialiste
de l'Islam au début du siècle dernier, et professeur à
l'Université de Budapest, en dira ce qui suit dans son livre « Le
dogme et la Loi de l'Islam » 22:
« Le Qorân demeure pour les adeptes de la
religion de Muhammed une ° uvre fondamentale,
révérée comme divine, objet d'une admiration telle que
nulle autre ° uvre dans la littérature universelle n'en a
peut-être inspiré de semblable~ »23.
Section II. La Sunna.
Ensuite vient la Sunna, c'est-à-dire la « coutume
sacrée ». Il s'agit d'un ensemble de comportements
considérés comme étant adéquates par le
prophète et rapportés par ses compagnons. Ce corpus de
règles est un témoignage de la volonté du Prophète
mais permet aussi d'éclairer le Coran et de le rendre plus
compréhensible. La Sunna ne peut cependant en aucun cas être
comprise comme étant contraire au Coran. Ignaz Goldziher explique de
quelle manière naissaient ces règles.
« On tenait pour correcte une façon d'agir et
de juger lorsqu'elle pouvait être rattachée par une tradition
sûre et ininterrompue à un Compagnon qui, témoin oculaire
ou auriculaire, l'avait donnée comme répondant à la
volonté du Prophète. « C'est par une telle tradition que les
détails coutumiers du rite et de la loi, établis sur son
autorité, furent consacrés comme étant l'usage suivi sous
les yeux du Prophète
22
Goldziher Ignaz. Le dogme et la Loi d'islam. Traduit par Arin
Félix. Paris : LIBRAIRIE PAUL
GEUTHNER, 1920.
23
Chapitre I, §12, Page 25
et avec son approbation par les modèles
qu'étaient les fondateurs et les premiers adeptes de l'Islam »
» 24.
Ces règles ont été transmises de
différentes manières par le prophète à ses
disciples. Ces derniers ont raconté ses actions, les actions des autres
pour lesquels le Prophète était en accord, et surtout ses
paroles. Ce sont ces paroles que l'on nomme hadit, ce sont elles qui
témoignent de la coutume sacrée. Cependant, après la mort
du Prophète, les hadits se multiplièrent, chaque
théologien donnant la forme de coutume à ses propos afin de leur
conférer une légitimité aux yeux des croyants. Il en
résultat un foisonnement de coutumes pouvant se contredire les unes les
autres. Il a donc été nécessaire de figer la coutume afin
de faire cesser ces pratiques et ainsi « six ouvrages furent
élevés au rang de sources décisives de ce qui doit
être considéré comme Sunna du Prophète. Parmi ces
six recueils de hadit figurent les deux Authentiques (ainsi nommés
à cause des traditions formellement indiscutables qu'ils renferment) de
Bukhàrl ( 256/870) et de Muslim (
261/875), les sources les plus considérées de la Sunna
prophétique; on leur adjoignit encore comme sources autorisées
les recueils à'Abu Dâwûd ( 273/888), ai-Nasa
l ( 303/915), al-Tirmidl ( 279/892), Ibn
Mâdja ( 273/886), celui-ci en dernier lieu et après
quelque résistance ». 25
Ces hadits seront d'une très grande importance pour le
sujet de ce mémoire puisque ce sont eux qui contiennent la plupart des
règles de commerce et de propriété de la Shari'a.
Section III. L'Igma
Enfin il y a l'Igma', c'est-à-dire le consensus. C'est
une règle acceptée par tous de tout temps et qui a donc valeur de
loi en tant qu'elle n'est pas contraire au Coran. Heba A. Raslan, lectrice
à la faculté de droit de l'Université du Caire, l'explique
ainsi dans son ouvrage « shari'a and the protection of intellectual
property-- the example of egypt » 26.
24 Chapitre II, § 3, page 32
25 Chapitre II, § 3, page 34
26 Raslan, Heba. Shari'a and the protection of intellectual
property-the example of Egypt. Bibliothèque en ligne HeinOnline [en
ligne] URL:
« The main source that is usually cited to confirm
the validity of Ijma as a secondary source is the Prophet's saying: «My
nation will never agree on something wrong.» «[T]he [doctrine] of
consensus in Sunni Islam is [the] unanimous opinion of the Sunnite community in
any generation on a religious matter, constitute[ing] an authority, and ought
to be accepted by all Muslims in later times.» »
27
Ces trois sources du droit forment l'essentiel de la Shari'a,
le droit musulman. Ce droit religieux, immuable du fait de son caractère
sacré, fait aujourd'hui office de droit fondamental auquel les lois des
hommes ne peuvent déroger dans un certain nombre de
pays28.
http://heinonline.org/HOL/LandingPagecollection=journals&handle=hein.journals/idea47&div=21&id=&
page=
27 Page 508.
Traduction : « La principale source citée afin
de démontrer la validité de l'Igma, en tant que source
secondaire, est la parole du Prophète « Ma nation n'autorisera
jamais quelque chose de mauvais ». « La doctrine du consensus dans
l'Islam Sunnite est une opinion unanime de toutes les générations
de la communauté sunnite sur une question religieuse, lui donnant force
obligatoire et liant tous les musulmans à l'avenir ».
28 Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweït, les Emirats Arabes
Unis, Qatar, Oman, Yémen, Iran, Pakistan, Afghanistan, Lybie, Soudan,
Égypte, Nigéria et Somalie.
Chapitre II. La Shari'a droit fondamental des pays
musulmans.
Tous les pays musulmans n'appliquent pas la Shari'a, et ceux
qui le font ne peuvent limiter leur corps de règles aux prescriptions
religieuses car cela ne suffirait pas à répondre aux besoins de
l'ensemble des activités de la société. En effet la
Shari'a est un corps de règle figé qui ne peut en aucun cas
être modifié ou évoluer. C'est ce qui sera
étudié dans la Section I.
Les juristes musulmans vont alors séparer ce qui
dépend de la Loi (Sar) de la politique (Siyasa), afin que puisse
être administrée la communauté. C'est le sujet de la
seconde Section du présent Chapitre.
Section I. La Shari'a, un corps de règles
figé.
La Shari'a est un ensemble de règles immuables,
figées, que l'homme ne peut ni modifier, ni compléter. En effet,
légiférer est interdit à l'homme car cela reviendrait
à corriger le travail de Dieu. Des méthodes ont néanmoins
existées afin de prendre en compte l'évolution sociale et les
manques éventuels de la Shari'a.
L'istihsan, par exemple, permettait de prendre en compte le
bien commun dans l'exécution de la Shari'a, pouvant mener l'acceptation
de lois ou d'institutions préexistantes à l'Islam ou même
à des solutions contraires à la Shari'a. Émile Tyan, dans
son ouvrage « Méthodologie et sources du droit en Islam
(Isti?sân, Isti?lâ?, Siyâsa ðar?iyya) »
29, en donne l'exemple suivant :
« Exemple de solutions contraires à un texte
coranique. C'est l'argumentum classique d'une armée d'infidèles
qui, dans la bataille, fait avancer devant elle, pour la protéger, un
groupe de captifs musulmans. On se demande alors s'il est permis aux
combattants musulmans de tirer sur ce groupe et de tuer éventuellement
des musulmans, alors qu'une disposition du Coran fait un crime et un
péché du meurtre d'un croyant. On y répond
affirmativement, par l'istihsan, en faisant prévaloir sur la
29 Tyan, Emile. Méthodologie et sources du droit en Islam
(Isti?sân, Isti?lâ?, Siyâsa ðar?iyya). Studia Islamica,
N° 10 ,1959, p 79-109.
règle formelle du texte spécial coranique,
des considérations supérieures tirées de la
nécessité de la conservation de l'ensemble de la
communauté. » 30
Son effet sera donc de temperer la rigidité du droit
religieux afin d'arriver à une solution plus conforme à
l'intéret général, il a « pour objet de
prévenir « les conséquences exorbitantes, les excès
» (Satibi, I'tisam, II, 321) de ce droit, de le maintenir dans les limites
du raisonnable et de l'utile » 31.
Suite à « la fermeture des portes à
l'ijtihad32 », les juristes musulmans considerèrent que
ne devait plus etre fait d'effort de compréhension de la Shari'a. Cet
evènement a fige le droit musulman interdisant l'émergence de
toute nouvelle règle de droit. Jusqu'à cet
évènement, les juristes avaient contourné l'interdiction
qui leur etait faite de créer des règles de droit un invoquant
qu'ils découvraient de nouvelles règles encore inconnues.
C'est au XIème et XIIème
siècle que les theologiens vont decider que plus aucune règle ne
reste à découvrir dans la Shari'a et que le travail de
compréhension des textes sacres est clos. Pour Andre Poupart, Professeur
à la Faculte de Droit de l'Université de Montréal, cette
fixation correspond à une periode de ralentissement de la societe
musulmane. « La fermeture des portes » est pour lui l'effet le plus
visible de ce ralentissement. Cette fixation juridique en apporte à elle
seule la preuve eu egard à l'importance du droit dans la societe
musulmane (le thème de la place du droit musulman dans la vie des
croyants est aborde plus loin dans le même Titre). Dans son ouvrage
« Adaptation et Immutabilite en Droit Musulman » 33, Andre
Poupart justifie son point de vue ainsi :
« Dans le cadre d'une société~ dont le
but est de mettre le croyant sur la voie qui le mènek vers
l'Au-delà, il n'est pas surprenant que le droit, la Shari'a, exerce une
fonction prééminentek C'est par le droit que l'islam manifeste le
mieux sa façon
30 Page 85
31 Page 85
32 L'ijtihad est un effort intellectuel fourni par le juriste
afin de faire émerger une nouvelle solution du texte.
33Poupart Andre. Adaptation et Immutabilite en Droit
Musulman, Edition l'Harmattant, 2010.
d'assurer le bonheur de ses adeptes sur terre et dans la vie
future ; c'est par le droit
que son évolution peut etre le mieux
évaluée et exprimée. » 34.
C'est ainsi que les Etats musulmans firent face à une
grande difficulté. D'une part la société évoluait
et nécessitait de nouvelles normes qui puissent répondre à
ces évolutions. D'autre part, leur corpus juridique était
figé dans le temps et interdisait tout acte législatif.
Section II. La dichotomie entre la Loi (sar) et la
politique (Siyasa).
Les théologiens s'appuyèrent sur cette
nécessité pour le droit de s'adapter aux évolutions de la
société pour trouver une solution à cette impasse. Ils
séparèrent les règles de droit en deux catégories.
La première demeurerait immuable et figée, c'est le Sar, ou la
Loi proprement dite. La deuxième comprend tout ce qui dépend de
la Siyasa, la politique, « en ce sens qu'il est impose par les
nécessités d'un bon gouvernement de la communauté et qu'il
est édicté par l'autorité établie »
35.
Cette obligation qu'ont les gouvernants d'administrer la
communauté dans l'intéret de ses habitants va permettre la
création de nouvelles lois pour la société à la
condition qu'elles respectent les règles du Sar. Ensuite, notamment sous
l'influence du droit occidental au XIXème siècle, la
Shari'a va s'effacer de plus en plus de l'environnement juridique des pays
musulmans pour ne connaître qu'une application théorique.
Cet effacement va prendre fin durant la deuxième
moitié du XXème siècle, le monde musulman
connaissant un retour du pouvoir religieux et de la Shari'a au sein de la
société. Les exemples de cela sont nombreux : l'Iran est devenu
une république islamique en 1979 suite à la Révolution
Islamique, en 1980 une modification de la constitution égyptienne fait
de la Shari'a la principale source du droit, ou encore les islamistes
modérés du partie pour la justice et le développement
arrivés au pouvoir en Turquie en 2003.
34Page 76.
35Tyan, Emile. Méthodologie et sources du droit
en Islam (Isti?sân, Isti?lâ?, Siyâsa ðar?iyya). Studia
Islamica, N° 10 ,1959, p 79-109.
Page 103.
Dans les pays musulmans où la Shari'a est
appliquée, elle joue un rôle important car elle s'impose aux lois
des hommes qui doivent respecter les prescriptions religieuses. C'est pour
cette raison que le prêt à intérêt est encore
interdit dans de nombreux pays musulmans.
Chapitre III. La place de l'Islam dans la vie des
croyants.
La vie entière du croyant est guidée par
l'Islam, que ce soit sa vie personnelle ou ses relations sociales. En effet
l'Islam ne connait pas de séparation entre le pouvoir religieux et le
pouvoir terrestre, au contraire des sociétés de culture
chrétienne. En Europe il y a toujours eu deux chefs distincts, celui du
religieux d'une part et celui de la noblesse de l'autre.
Dans la première section sera étudiée
l'absence de séparation entre le domaine du spirituel et du profane.
Ensuite, dans la seconde section, sera étudié le domaine de la
loi humaine dans cette culture où la religion occupe une telle place.
Section I. L'absence de distinction entre le domaine du
spirituel et le
domaine du profane.
Les chefs musulmans ont toujours eu une double
responsabilité, politique et religieuse. Par exemple le Roi du Maroc est
aussi le chef des croyants, tout comme l'étaient les Califes.
Cette absence de séparation se retrouve dans la vie
quotidienne des musulmans qui doivent continuellement agir conformément
au droit religieux afin de pouvoir atteindre l'au-delà à leur
mort. Pour Ignaz Goldziher, cette préoccupation d'être en accord
avec le droit religieux est de tous les instants et c'est principalement la
Sunna qui édicte les règles.
« [L]e critérium prépondérant
chez les Arabes, pour apprécier ce qui était convenable et
légal dans toutes les circonstances de la vie, consistait à se
demander pour tout geste s'il correspondait à la norme et à
l'habitude héritées des ancêtres. Il n'y a de vrai et de
juste que ce qui a ses racines dans les idées et les m urs
héréditaires qui constituent la Sunna , que ce qui s'accorde avec
elle. C'était là ce qui leur tenait lieu de loi et de sacra,
l'unique source de leur droit et de leur religion ; s'en écarter passait
pour une faute contre l'infrangible règle des m urs consacrées.
» 36
36 Voir note supra 21. Chapitre VI, §1, page 213
Pour Abraheem Abdulla Muhmmed Al-Marzouqi, la force obligatoire
de la Sunna se retrouve autant dans un verset du Coran que dans un hadit du
Prophète37 :
« That legal authenticity of the Sunna as a second
primary source of Islamic legislation is exemplified by the following:
"Who obeyeth the messenger, obeyeth Allah, and whoso
runneth away: We have not sent thee as a warder over them" H.Q.IV.80.
On this matter Ibn Kathrr confirms al-Shafi'r's opinion.
Moreover he points to the Prophet's Hadith, as a part of Sunna which says
"Whoever obeyed me he obeyed Allah, and whoever disobeyed me, he has disobeyed
Allah» » 38 .
Cette immixtion du religieux dans la vie du croyant intervient
dans tous les domaines, que ce soit celui de la famille, du commerce ou encore
de la propriété. Ainsi l'on peut retrouver des règles du
droit des contrats, dont certaines sont les même que celles du droit
civil français, ainsi « [e]n matière de vente, le
contrat opère transfert de la propriété de la chose vendue
à l'acheteur au moment et par le fait même de l'accord des
volontés » 39.
Section II. Le champ d'intervention de la loi
humaine.
Il s'agit d'un réel guide de bonne conduite devant
maintenir le croyant dans une vie vertueuse. Les actions peuvent être
séparées en cinq catégories distinctes. Il y a ce qui est
obligatoire (Wajeb), ce qui est conseillé (Mandoob), ce qui est permis
(Mobah), ce qui est déconseillé (Makroh) et ce qui est interdit
(Moharam). La politique peut agir pour modifier ces règles ou en
créer de nouvelles tant que le but est de défendre
l'intérêt général. Cependant, la définition
de l'intérêt général n'est pas libre et «
doit se faire par référence aux intérêts
essentiels de la communauté et
37 Al-Marzouqi, Abraheem Abdulla Muhammed. Human rights in
Islamic law. Thèse soutenue en philosophie du droit à
l'Université d'Exeter à la faculté de droit.
Février 1990.
38 Page 26
Traduction: « La Force juridique de la Sunna en tant que
seconde principale source du droit musulman est démontrée par ce
qui suit :
« Ceux qui obéissent au messager obéissent
à Dieu, quand à ce qui le renient : tu n'as pas été
envoyé pour veiller sur eux » H.Q.IV.80.
Pour cette question, Ibn Kathrr confirme l'opinion de
al-Shafi'r's. Surtout, il cite le hadit du Prophète faisant partie de la
Sunna et qui dispose « Celui qui m'obéit, obéit à
Dieu, et celui qui me désobéit désobéit à
Dieu. » »
39
Voir note supra 33.
Page 86.
des particuliers en tant que membres de cette
communauté et qu'on ramène aux cinq chefs suivants : la religion,
l'intégrité physique, la descendance, le patrimoine, les
facultés mentales. Toute règle ou solution qui tend à
conserver et favoriser l'un de ces 6elments ou à écarter ce qui
peut le compromettre, doit être considéré comme «
convenable (mundsib) » , comme « utile, bon (salih) »
» 40.
En cas de divergence entre deux intérests essentiels,
il convient alors de protéger le plus important pour le bien de la
communauté. Par contre tout n'est pas possible, et les injonctions et
interdictions de l'Islam doivent etre respectées. Un musulman à
qui la société, à laquelle il appartient, interdit un acte
permis par la Shari'a devra s'abstenir. Heba A. Raslan l'exprime
ainsi41 :
«Non-Shari'a laws refer to the laws which the
government enacted to cover situations where no body of rules sufficiently
exists in other Shari'a rules. Currently, most of the laws in the Muslim
countries are non-Shari'a laws (intellectual property laws are one example);
nonetheless, they remain obligatory for the citizens
((» 42
Mais si l'acte interdit par la loi humaine est obligatoire
dans la Shari'a, il n'aura pas d'autre choix que de désobéir. Le
Mufti Taqi Usmani rappelle ce principe en conclusion de son avis sur la
compatibilité entre la Shari'a et le droit de la propriété
intellectuelle43.
« Therefore, it is necessary for every citizen to abide
by the law of copyright unless it compels a person to do an impermissible act,
or to refrain him from a mandatory act under the Shariah.
»44
40
Voir note supra 33.
Page 97.
41Voir supra, note 25.
42Page 512.
Traduction : « Les lois n'appartenant pas à la
Shari'a correspondent aux lois qui ont été promulguées par
le gouvernement afin de réglementer des situations pour lesquelles il
n'existe aucun corps de règles suffisant dans l'ensemble des
règles de la Shari'a. De nos jours la majorité des lois des pays
musulmans ne sont pas issues de la Shari'a (la propriété
intellectuelle en est un exemple) ; néanmoins, elles doivent être
respectées par les citoyens ».
43Mufti Taqi Usmani. Copyright according to Shari'a.
Site
central-mosque.com [en ligne]
URL:
http://www.central-mosque.com/fiqh/Copyright.htmce
44Dernier paragraphe.
Traduction : «Par conséquent, il est
nécessaire que tous les citoyens de se conformer au droit d'auteur,
à moins que cela mène une personne à commettre un acte
interdit, ou l'emprche d'effectuer un acte obligatoire de la Shari'a
».
Ceci est l'effet du premier pilier de l'Islam, la Profession
de Foi, (Chahada). Par la phrase suivante « Ach-hadou 'al-la 'ilaha
'illallah, wa 'ach-hadou 'anna
Mouhammadar-Raçouloullah45 » le croyant
énonce sa foi pour Dieu et se soumet à sa volonté. John
Carroll décrit ce lien entre le croyant de telle
manière46 :
« ,Islam is the act of
submission to the will of God In the broadest sense, every object in the
universe has its own « islam ». It must conform to God's Rules
».47
45Traduction : « Il n'y a d'autre dieu que
Dieu et que Mouhammad est le Messager de Dieu ».
46Voir note supra 6.
47Page 583.
Traduction : « L'Islam c'est l'acte de soumission
à la volonté de Dieu. Dans un très large sens, tout ce que
contient l'Univers a son propre Islam. Tout doit être conforme aux lois
de Dieu ».
Titre II : La compatibilité entre les
règles régissant le patrimoine dans la Shari'a et le droit de la
propriété intellectuelle.
Comme il a été vu en introduction, une
majorité de pays musulmans a adhéré à l'OMC. Pour
respecter leurs obligations nées du traité de 1994 instituant
l'OMC, ils doivent mettre en conformité leurs législations avec
les accords ADPIC. Cependant, ces accords ayant été
créés sans égard pour les spécificités
culturelles des pays adhérents, il convient de s'assurer de la
compatibilité de ces normes internationales avec le droit musulman.
La Shari'a étant un texte très ancien, il ne
connait pas de règles spécifiques aux actifs incorporels. Il faut
donc effectuer un travail d'analogie pour déterminer quelles
règles de la Shari'a pourraient permettre de confirmer que le concept
propriété intellectuelle est conforme au droit musulman. Les deux
modèles occidentaux existants sont d'une part le monopole anglo-saxon et
le droit de propriété de l'Europe continentale. Il peut donc etre
vérifié si l'un de ces deux modèles peut être
conforme au droit musulman.
Le choix va se porter sur le droit de propriété
car le monopole doit être écarté directement. En effet, la
Shari'a interdit explicitement les monopoles commerciaux considérant que
cela est source d'abus. Abraheem Abdulla Muhmmed Al-Marzouqi l'exprime
clairement dans sa thèse48 :
« Monopoly. of wealth [is] considered illegal or
immoral acts, and wealth in general must not be monopolized by the rich.
Everybody has a right to property and the individual must not be deprived
accordingly. »49
La Shari'a contient des règles pour tous les aspects de
la vie des hommes, et donc des règles intéressant les biens,
déterminant ceux qui peuvent faire l'objet d'un droit de
propriété et dans quelles conditions. Dans sa
thèse50, Abraheem Abdulla Muhmmed Al-Marzouqi explique
l'interaction du religieux dans le domaine des biens et du commerce par la
nécessité de protéger les croyants des abus des plus
riches :
48
Voir note supra 35.
49 Page 290, §4.
Traduction : « Le monopole sur un patrimoine est
considéré comme étant illégal ou immoral, et
l'abondance en général ne doit pas etre monopolisée par
les riches. Chacun a un droit à la propriété, en
conséquence les individus ne peuvent en être privés.
»
50
Voir note supra 35.
« Human history witnesses that man suffers slavery
and injustice mostly as a result of the abuse and monopoly either wealth or
government authority. ~ As a precaution to avoid injustice from the misuse of
wealth or political power the Islamic determination in this case is that these
powers are of Allah's jurisdiction. »51
Une fois la compatibilité avec le droit des biens
démontrée, il faut aussi vérifier que l'exploitation du
droit de la propriété intellectuelle est lui aussi en accord avec
les principes de la Shari'a. Les actes de commerce sont eux aussi soumis
à la loi religieuse avec le même objectif de protéger les
croyants des abus.
Il faut donc démontrer qu'il peut y avoir un droit de
propriété intellectuelle sur un bien intangible dans le droit des
biens musulman. Pour ce travail il est nécessaire de vérifier le
respect de la Shari'a dans la création de droit sur des choses
incorporelles. Ce sera le sujet du Chapitre premier du présent titre.
Ensuite, il faut aussi s'assurer que les actes d'exploitation
de ces droits fassent partis des actes de commerce autorisés par la Loi
Islamique. C'est ce qui sera étudié au second Chapitre.
51
Page 289, §1.
Traduction : « L'Histoire de l'Humanité
témoigne que les hommes ont souffert de l'asservissement et de
l'injustice principalement en raison des abus et des monopoles tant sur les
biens que sur le pouvoir politique. Comme précaution, afin d'emprcher
l'injustice née du mauvais usage des pouvoirs économiques ou
politiques, le choix de l'Islam a été dans ce cas de soumettre
ces pouvoirs à Dieu. »
Chapitre I. La justification du droit de
propriété intellectuelle par les règles régissant
le droit de la propriété de la Shari'a.
La question posée dans ce chapitre est la suivante : y
a-t-il dans la Shari'a des règles qui puissent justifier que l'on
octroie un droit de propriété sur un actif intangible ?
Pour répondre à cette question il est tout
d'abord nécessaire de présenter le droit de la
propriété en droit musulman. L'Islam autorise les croyants
à s'enrichir et ne fait pas l'apologie de la pauvreté. Par contre
le comportement de celui qui a fait fortune se doit d'être vertueux. Par
exemple, il doit payer l'impôt religieux et faire l'aumône aux
pauvres. Pour Heba Raslan52, l'accumulation des biens est possible
sans limite de quantité. Par contre, elle est conditionnée
à la licéité de cette accumulation ce qui nécessite
la légalité des sources de l'enrichissement. Abraheem Abdulla
Muhmmed Al-Marzouqi 53 présente les deux méthodes
licites d'enrichissement qui sont le travail et le commerce. Les prêts
à intérêt, ou al-Ribd, par exemple, sont interdits par la
Shari'a :
« Al-Ribd is defined by the Holy Quran as a
squandering of others' property in vanity, wrong; and it is an unjust practice
which, if people do not give it up, they are warned of war against them from
Allah and His Messenger. » 54
Ainsi, l'enrichissement personnel est autorisé par
l'Islam. Mais il faut respecter les règles qui encadrent cet
enrichissement. Dans le présent chapitre seront étudiés
les biens susceptibles d'appropriation dans une section I, puis, dans une
Section II, les méthodes d'acquisition des biens autorisés par la
Shari'a.
Section I. Le droit de propriété en droit
musulman.
Le droit de propriété est donc défini et
conditionné par le droit musulman. C'est un droit sacré auquel il
ne faut pas porter atteinte, même dans l'hypothèse où le
bien appartiendrait à un non musulman. En effet, la
propriété n'existe pas vraiment
52
Voir supra, note 25.
53
Voir note supra 35.
54
Voir note supra 35.
Page 301, dernier §.
Traduction : « l' Al-Ribd est considéré
dans le Coran comme la dilapidation des biens d'autrui par vanité, et
donc comme étant mauvais ; c'est une méthode injuste et, si elle
n'est pas abandonnée, ceux qui la pratiquent subiront les foudres de
Dieu et de son messager ».
au sens de la Shari'a. Le bien est plutôt donné
en usufruit à la personne qui en a la jouissance. Pour Abraheem Abdulla
Muhmmed Al-Marzouqi55, la personne est le « trustee »
56 de Dieu, et reçoit ses biens directement d'Allah :
« According to the Holy Quran people are considered
to be Allah's trustees in His wealth ". . spend of that where He hath made you
trustees"; H.Q.LVII.7; in order to satisfy their needs and, on the other hand,
to maintain social justice both in gaining and spending wealth according to His
Law. » 57
Ainsi, l'homme (en général et pas seulement les
croyants58) reçoit ses biens de Dieu qui en est le
propriétaire et qui place sa confiance en lui. L'homme doit ensuite en
faire un usage conforme aux règles divines afin que la
société dans son ensemble en bénéficie.
Cependant, toutes les choses ne sont susceptibles de faire
l'objet d'un droit de propriété, et il est important pour la
question qui nous occupe que les oeuvres de l'esprit le soient. Ainsi, en (I),
il sera étudié dans quelle mesure un bien incorporel peut faire
l'objet d'un droit de propriété intellectuelle. Ensuite, en (II),
il sera entrepris une démonstration a contrario grâce à
l'analogie entre le vol et la contrefaçon en droit musulman.
55
Voir note supra 35.
56 Le trust est un contrat anglais dans lequel une personne
cède des biens à une autre, le « trustee », qui doit
les gérer au bénéfice d'une troisième personne, le
bénéficiaire.
57 Page 290, §1.
Traduction : « En conformité avec le Saint Coran,
les hommes sont considérés comme étant les
« trustee » de ce qui appartient à Dieu
« use de ce qu'Il a mis en ta possession » ; H.Q.LVII.7;dans le but
de satisfaire leurs besoins mais aussi de maintenir la justice sociale en
s'enrichissant et en dépensant en accord avec Sa Loi ».
58
Voir supra, note 25.
Page 522: « in Islam, property rights are acknowledged
to Muslims and non-Muslims without discrimination. »; Traduction :
« dans l'Islam, le droit de propriété est reconnu aux
musulmans et aux non musulmans sans discrimination ».
I. Le debat sur le caractère physique ou non des
biens appropriables au sens de la Shari'a.
Il existe un desaccord entre les differentes ecoles
doctrinales concernant ce qui est appropriable ou non en droit musulman. Il
existe quatre grandes ecoles sunnites : les Hanafites, les Mâlekites, les
Chafiite, et les Hanbalite59.
Seule la première ecole, les Hanafites, s'oppose
à ce qu'il puisse exister un droit de propriete sur des choses
intangibles. Pour cette ecole doctrinale, seul ce qui est tangible, perceptible
par les cinq sens, peut faire l'objet d'un droit de propriété.
Heba A. Raslan explique60 leur opinion et leur vision de ce qui peut
être « Mal », autrement dit ce qui peut faire l'objet d'un
droit de propriété :
« This is primarily the result of a disagreement
about the proper criterion for what could be considered mal or money. One
school, the Hanafis, consider «physical possession,» or Heiaza, as
the only acceptable criterion for Mal. They accept only tangibles as Mal and
eventually property, and admit intangibles, or Manfa'a, as Mal only if they
become the subject of a contract. » 61
Le Mufti Taqi Usmani, membre de « l'International Shariah
Standard Council », explique ce refus de l'intangible dans son
Fiqh62 du 5 novembre 200963 par l'absence de
précédent dans la Shari'a.
59 Ces quatre écoles juridiques font partie de la branche
Sunnite de l'Islam. Les zones d'influence des differentes ecoles sont les
suivantes.
Les Hanafites : dans les Balkans, en Turquie, dans les
republiques Caucasiennes, en Afghanistan, au Pakistan et dans le sous-continent
Indien.
Les Mâlekites : au Maghreb, en Afrique de l'Ouest et autour
du golfe du Niger.
Les Chafiites : en Afrique de l'Est, dans la région des
grands lacs, en Syrie, au Yemen, dans les Emirats Arabes Unis, en Malaisie, en
Indonesie, au Brunei et aux Philippines.
Les Hanbalites : en Arabie Saoudite.
Ces quatre ecoles coexistent avec les six ecoles juridiques du
Chiisme : Duodecimain, Ismaelien, Alaouite, Druze, Alevi, Zaydite.
Source : Buresi, Pascal. Histoire de l'Islam. La
documentation Française, dossier n°8058, juillet août
2007.
60 Voir supra, note 25.
61 Page 516, dernier §.
Traduction : « C'est à l'origine le
résultat d'un désaccord concernant le bon critère
déterminant ce qui appartient au Mal, ou argent. Une école, les
Hanafites, considèrent que « la possession physique », ou
Heiaza, comme le seul critère acceptable pour le Mal. Ils acceptent
uniquement ce qui est tangible en tant que Mal et éventuellement en tant
que bien, et ils n'admettent ce qui est intangible, ou Manfa'a, comme Mal
seulement s'il a été l'objet d'un contrat ».
62 Le Fiqh est un avis juridique.
« They contend that there is no precedent in the Holy
Qur'an, in Sunna or in the juristic views of the Muslim jurists where an
intangible object has been subjected to private ownership or to sale and
purchase. » 64
Cependant, son avis est au contraire qu'il n'y a rien dans la
Shari'a qui s'oppose à ce qu'une chose intangible soit l'objet d'un
droit de propriété, et même des droits sur des choses
intangibles existent dans la Shari'a et peuvent faire l'objet de transactions
financières65.
Heba A. Raslan partage elle aussi l'avis des trois autres
écoles sunnites, qui elles acceptent le concept de
propriété intellectuelle. Leur raisonnement prend en compte
l'utilité et la valeur des actifs incorporels. La population trouvant
une utilité dans les actifs incorporels, ces derniers acquièrent
ainsi une valeur marchande et deviennent donc Mal. Dans son article sur la
propriété intellectuelle et la Shari'a elle l'explique ainsi :
« The three remaining schools, the Malki, the Shafie,
and the Hanbali all agree that the proper criterion should be
«usefulness.» Thus, these schools accept both tangibles and
intangibles as property. They believe that anything that is useful for people
will become of value for them and will become the subject of their dealings.
They refer to the importance of resorting to prevailing customs or Urf to
determine what is considered useful and valuable in society. It follows then,
that the majority of scholars accept intangibles as property. » 66
63
Mufti Taqi Usmani. Copyright according to Shari'a. Site
central-mosque.com [en ligne]
URL:
http://www.central-mosque.com/fiqh/Copyright.htm
64 Traduction: « Ils affirment qu'il n'y a aucun
précèdent dans le Saint Coran, dans la Sunna ou dans la doctrine
des juristes musulmans où une chose intangible a été
l'objet de propriété privée, de vente ou d'achat
».
65« |T]here is no express provision in the Holy Qur'an
or in the Sunna which restricts the ownership to the tangible objects
only.
There are several intangible rights accepted and maintained
by the Shariah, and there are several instances where such intangible rights
have been transferred to others for some monetary considerations.
»
Traduction: «Il n'y a aucune disposition expresse du
Saint Coran ou dans la Sunna qui restreigne la propriété aux
seules choses tangibles.
Il y a plusieurs droits incorporels acceptés et
maintenus par la Shari'a, et il y a plusieurs cas dans lesquels de tels droits
incorporels ont été transférés à d'autres
avec une contrepartie financière ». 66 Page 517, §1.
Traduction: « Les trois autres écoles, les Malki,
les Shafie, et les Hanbali, sont toutes d'accord pour que le critère
pris en compte devrait être « l'utilité ». Ainsi, ces
écoles reconnaissent un droit de
Ainsi, la majorité des auteurs considère que les
biens incorporels peuvent être soumis à un droit de
propriété car ils acquièrent de la valeur du fait de leur
utilité. Il est donc bénéfique pour la
société qu'il y ait un droit de propriété sur ces
actifs car ils seront l'objet d'échanges au sein de la population.
Néanmoins, ce droit de propriété ne devra en aucune
manière mener à un acte proscrit par la Shari'a.
Ce droit de propriété pourrait aussi être
démontré a contrario par une analogie entre le vol et la
contrefaçon. Cependant ce rapprochement semble être moins
évident.
II. L'analogie entre le vol et la contrefaçon.
Heba A. Raslan assimile l'acte de contrefaçon à
celui du vol67. Pour elle, la contrefaçon revient à
tirer profit de la propriété de l'autre sans son accord. Afin
d'appuyer son point de vue elle cite un hadit du Prophète :
« Shari'a expressly prohibits wrongful taking of
personal property by individuals or the state because a taking of property must
be subject to mutual consent. In the Farewell Pilgrimage sermon, the Prophet
said: «[f]or the property of a man is not permissible except by a willing
consent from him. 68» »
Elle précise même que certains auteurs souhaitent
que soit appliquée la même peine pour la contrefaçon et
pour le vol. Ainsi, si la punition applicable est la meme, c'est qu'ils sont un
seul et meme acte. C'est donc que la contrefaçon équivaut au
non-respect de la propriété d'autrui.
Cependant, le Mufti Taqi Usmani ne fait pas la même
analogie entre les deux actes dans son avis69. Pour lui la sanction
repose sur l'interdiction créée par l'Etat, à
propriété autant sur ce qui est intangible que
sur ce qui est tangible Ils considèrent que tout ce qui est utile aux
gens va acquérir une certaine valeur pour eux et devenir l'objet de
leurs échanges. Ils s'appuient sur l'importance de recourir à
l'usage dominant, ou Urf, afin de déterminer ce qui est
considéré comme étant utile et de valeur dans la
société Il en résulte ainsi que la
majorité des auteurs acceptent la propriété
incorporelle »
67 Voir supra, note 25.
68 Page 521, §3.
Traduction : « La Shari'a interdit expressément
de se saisir illicitement de la chose d'autrui, que ce soit par un individu ou
par l'état, car le transfert de la propriété doit etre
l'objet d'un consentement mutuel. Dans son sermon, lors de son
pèlerinage d'adieu, le Prophète déclara : « Parce que
la propriété de l'homme n'est pas disponible sauf s'il y a
consenti » ».
69 Voir note supra 61.
condition que cette acte étatique n'aille pas à
l'encontre des dispositions de la Shari'a :
« It is an accepted position in the Islamic
jurisprudence that the legislation of an Islamic state resolves the juristic
dispute in a manner not expressly mentioned in the Holy Qur'an or in the
Sunna. » 70
Dans cette section il a été
démontré que pour une majorité d'auteurs, aucune
règle dans la Shari'a n'interdit qu'il y ait un droit de
propriété sur un actif incorporel. Ces auteurs considèrent
meme qu'il est utile qu'ils soient l'objet d'un droit de
propriété car ils font l'objet d'échanges commerciaux.
Certains vont meme jusqu'à considérer qu'un acte de
contrefaçon est équivalent à un vol.
Si l'on considère sur la base de cette majorité
qu'un actif incorporel peut etre soumis à un droit de
propriété, il faut encore s'assurer que la méthode
d'acquisition de cette propriété soit conforme à la
Shari'a.
Section II. Le respect des règles
régissant l'acquisition des biens dans
la Shari'a.
La Shari'a limite et conditionne l'accession à la
propriété tout comme elle limite ce qui peut faire l'objet d'un
droit de propriété. La méthode utilisée afin de
s'enrichir doit etre morale et licite. Abraheem Abdulla Muhmmed Al-Marzouqi
rappelle ce principe dans sa thèse 71 :
« According to Islamic jurisprudence, the income
gained by cheating (in commerce or whatever else) or by monopoly of goods
(especially foodstuffs; intending thereby to obtain high price) is
unlawful. » 72
70 Traduction : « C'est une opinion admise par la
jurisprudence islamique que la loi d'un état musulman résout les
difficultés juridiques qui ne sont pas expressément
réglées dans le saint Coran ou dans la Sunna. ».
71
Voir note supra 35.
72 Page 293, §3.
Traduction : « Conformément à la
jurisprudence islamique, le revenu obtenu par tricherie (que ce soit dans le
commerce ou dans d'autres domaines) ou par des monopoles sur des biens (tout
particulièrement sur des produits alimentaires ; tentant par
conséquent d'obtenir un prix élevé) est illicite.
»
L'auteur cite ensuite les deux moyens reconnus par la Shari'a
pour s'enrichir. Ces deux moyens sont le travail et le commerce. Ils seront
étudiés dans un point (I) de la présente section.
Ensuite, en point (II), il sera montré que ces modes
d'acquisition permettent l'existence d'un droit de propriété
intellectuelle complet, et notamment dans la récompense de l'effort
personnel. Ce point de vue de la compatibilité entre les règles
d'acquisition de la propriété de la Shari'a et le droit de la
propriété intellectuelle sera renforcé par d'autres modes
d'acquisition existants dans le Coran.
I. Les méthodes d'enrichissement personnel
autorisées par la Shari'a.
En droit musulman, il existe donc deux principaux moyens de
s'enrichir qui sont le travail et le commerce. Par contre tout moyen permettant
de s'enrichir sans effort, sans mérite, est interdit. Aussi, l'usure et
les jeux d'argent sont-ils prohibés par la Shari'a.
1. Le Travail
Le travail est une des deux méthodes d'enrichissement
autorisées par la Shari'a. Par cela, l'enrichissement vient
récompenser un effort personnel. Le Prophète dans plusieurs de
ses hadiths encourageait les gens à s'enrichir par le travail. Heba A.
Raslan cite73 un hadith rapporté par un des compagnons du
Prophète :
« «Narrated Al-Miqdam: The Prophet said,
«Nobody has ever eaten a better meal than that which one has earned by
working with one's own hands. The Prophet of God, David, used to eat from the
earnings of his manual labor.» » 74
Ainsi le travail est une activité morale et mise en
avant par le Prophète qui encourage le croyant à vivre des fruits
de son labeur. Il faut, pour s'enrichir, travailler. C'est même une
obligation de rester actif pour le bien de la communauté. Abraheem
73
Voir supra, note 25.
74 Page 515, note 85.
Traduction : « Rapporté par Al-Miqdam : Le
Prophète dit, « Personne n'a jamais mangé de repas meilleur
que celui qu'il a gagné en travaillant de ses propres mains. Le
Prophète de Dieu, David, avait pour coutume de manger ce qu'il obtenait
de son travail manuel ».
Abdulla Muhmmed Al-Marzouqi explique dans sa thèse que
tant que le croyant est capable de travailler il doit continuer à
être actif pour le bien de la communauté.75
2. Le commerce
Le Prophète Mohamed était lui-meme un
commerçant, aussi n'est-il pas surprenant qu'il ait une bonne image de
l'activité marchande. Cependant, afin d'éviter des abus de la
part des commerçants, la Shari'a comporte un grand nombre de
règles applicables aux échanges. 76
De même qu'en droit français, la volonté
joue un rôle de premier ordre dans les relations commerciales. Heba A.
Raslan explique77 que cela donne un caractère sacré au
contrat :
« The Coran and the Sunna direct Muslims to fulfill
their contracts. Contracts are considered not only binding but sacred, and
fulfilling them is considered part of the faith. «The authority for the
primacy of the maxim `pacta sunt servanda'in Islamic law is massive.»
However, for the purpose of this paper it will be sufficient to mention Prophet
Mohammed's hadith that «Muslims are bound by their Stipulationsk
» »78
Les deux sources légales ayant été
présentées, il faut à présent vérifier si
elles permettent d'acquérir des droits de propriété sur
des actifs intangibles.
II. La possible acquisition de droit de
propriété sur des biens incorporels.
Les droits de propriété intellectuelle sont
pleinement compatibles avec les modes d'acquisition de la
propriété en droit musulman, que ce soit par le travail ou
75
Voir note supra 35.
Page 294.
76
Voir note supra 35.
Page 298 : « Trade is another legal source of earning wealth
which is encouraged by Islam. It too is well circumscribed by regulations in
order that it not be abused or constitute any injustice among people.»
Traduction: « Le commerce est une autre source légale
d'enrichissement qui est encouragée par l'Islam. Cela est aussi
circonscrit par un ensemble de règles afin qu'il n'y ait pas d'abus ou
que des injustices n'apparaissent pas entre les gens ».
77
Voir supra, note 25.
78 Page 522, § 4.
Traduction : « Le Coran et la Sunna imposent aux
musulmans de remplir leurs obligations contractuelles. Les contrats sont
considérés comme étant non seulement obligatoires mais
aussi sacrés, et les exécuter est considéré comme
faisant partie de la foi. « La doctrine plaidant pour la primauté
de la maxime « pacta sunt servanda » dans le droit musulman est
importante. Néanmoins, en ce qui concerne le sujet de cet article, il
serait suffisant de citer le Hadit du Prophète Mohamed qui est que
« les musulmans sont liés par ce qu'ils stipulent. »
par le commerce. Cette compatibilité est d'autant plus
forte qu'il est possible de faire une analogie avec d'autres situations
prévues par la Shari'a où des droits de propriété
sont octroyés dans des conditions similaires.
1. La compatibilité entre la
propriété intellectuelle et les modes d'acquisition de la
propriété permis par la Shari'a.
En ce qui concerne le travail, tout d'abord il est
évident que les efforts déployés par une personne dans la
création d'une oeuvre de l'esprit doit permettre de jouir de droits sur
cette oeuvre. Les droits de propriété intellectuelle sont une
juste récompense de l'effort fourni. C'est en tout cas l'avis du Mufti
Taqi Usmani, qui, dans son Fiqh79, défend cette idée
:
« [T]he law of "copyright" prevents a person from the
wide commercial use of an object on the ground that the person who has invented
it by his mental labor is more entitled to its commercial benefits, and any
other person should not be allowed to reap the monetary fruits of the former's
labor without his permission. The author of a book who has worked day and night
to write a book is obviously the best person who deserves its publication for
commercial purposes. »80
Ainsi, le droit de propriété intellectuelle, et
donc la rémunération qui l'accompagne, vient en récompense
de l'effort fourni par le créateur. Une difficulté pourrait tout
de meme survenir dans la détermination d'un effort suffisant à
l'acquisition d'un droit de propriété. Mais les solutions
choisies par les pays occidentaux pourraient être des pistes tout
à fait en accord avec la Shari'a. Ainsi l'activité inventive
nécessaire à la brevetabilité d'une invention en droit
français pourrait tout à fait permettre de justifier l'effort
intellectuel de l'inventeur et donc son droit de propriété
intellectuelle.
Concernant le transfert des droits de propriété
intellectuelle par contrat, cela ne pose pas de problème dans le
principe. En effet, c'est le principe de la liberté contractuelle qui
est applicable, et ce, tant que l'acte ne s'applique pas à un domaine
79
Voir note supra 61.
80 Traduction : « Le droit d'auteur emprche qu'une
personne exploite commercialement une chose dans la mesure où la
personne qui l'a inventée gr~ce à son activité
intellectuelle est celle qui a le plus le droit d'en tirer des
bénéfices, et personne d'autre ne devrait ~tre autorisé
à récolter les fruits du travail qu'il a fourni
sans son autorisation. L'auteur d'un livre qui a travaillé
jour et nuit pour l'écrire est évidement celui qui mérite
le plus de le faire éditer dans un but commercial. »
interdit par la Shari'a. Donc, rien ne s'oppose à la
cession du droit de propriété sur un actif incorporel par
contrat. Cependant, des problèmes peuvent apparaitre avec les usages
contractuels de la propriété intellectuelle, en ce qui concerne
notamment la détermination de la rémunération de
l'exploitation des droits de propriété intellectuelle. Ce point
sera étudié dans le chapitre II du présent titre.
Par contre, dans l'hypothèse d'un cessionnaire
bénéficiant de l'exploitation d'un droit de
propriété intellectuelle qu'il aurait obtenu par contrat pour un
prix dérisoire, cela pourrait se révéler contraire
à la Shari'a. Ainsi que l'indique Heba A. Raslan81,
l'honneteté et la bonne foi sont indispensable à la
légalité du contrat en droit musulman :
« Commercial honesty and fairness in dealings are
prerequisites for the legality of any transaction or contract. »82
Il pourrait donc être utile de mettre en place des
règles protectrices des créateurs dans leurs relations avec leurs
financeurs. L'objectif étant que le créateur soit associé
à l'exploitation de l'actif immatériel objet du droit de
propriété intellectuelle qu'il aura cédé, et le cas
échéant, qu'il soit aussi associé au succès de
cette exploitation.
2. Analogie avec d'autres modes similaires
d'acquisition de la propriété.
Ce point de vue défendant la compatibilité entre
l'acquisition d'un droit de propriété intellectuelle et le droit
musulman peut être appuyé par des situations similaires
présentes dans la Shari'a.
Ainsi Heba A. Raslan fait une analogie entre l'acquisition de
droits de propriété intellectuelle par le travail et
l'acquisition d'autre droit de propriété par le meme moyen. Elle
cite deux situations qui sont d'une part le travail d'une terre laissée
à l'abandon et d'autre part l'obtention de ressources naturelles :
« [I]mproving and developing vacant land
(«Mawat»), gives the developer the right to acquire land as his own
property. k [W]hen a person exerts an effort to
81
Voir supra, note 25.
82 Page 524, § 3.
Traduction : « L'honn~teté dans le commerce et
l'équité dans les échanges sont indispensables pour la
légalité de toute transaction ou de tout contrat ».
extract minerals from the ground or catches fish from a
river; the minerals and the fish become his own property
»83.
Bien entendu, les droits de propriété
intellectuelle ne peuvent être considérés comme des
ressources naturelles ou encore des champs en friches. Cependant, ces cas
illustrent la théorie du labeur (« amal ») qui peut être
étendue, selon Abdul Ghani Azmi, Ida Medieha dans sa
thèse84, à l'ensemble des activités
humaines, y incluant notamment les services :
« '[A]mal' (work and labour) can as, a general rule,
be a basis for appropriation of wealth, everyone should be rewarded
commensurate to his effort and hence all forms of 'amal' should be rewarded...
» 85
83 Page 518, § 2.
Traduction : « Améliorer et aménager une
terre à l'abandon (« Mawat »), donne à celui qui la
travaille le droit d'acquérir la terre en tant que sa
propriété Quand une personne produit un effort afin d'extraire
des minéraux du sol ou de pécher des poissons dans une
rivière ; les minéraux et les poissons deviennent sa
propriété ».
84 Abdul Ghani Azmi, Ida Medieha. Intellectual property law
and Islam in Malysia. Thèse soutenue à « the intellectual
property law unit of the centre of commercial law studies, queen mary &
westfield college, london ». Mai 1995.
85 Page 121, §3.
Traduction : « « amal » (le travail et l'effort)
peut aussi, en guise de règle générale, justifier
l'appropriation de richesses..., tout à chacun devrait etre
récompensé à la mesure de son effort, et donc toutes les
formes d' « amal » devraient être récompensées
»
En conclusion de ce point (II), il faut noter que l'effort
personnel (« amal ») permet dans la Shari'a d'acquérir des
biens et de s'enrichir. Il est même logique en Islam qu'une personne soit
récompensée pour son travail. Ainsi, comme une personne qui
retourne une terre laissée à l'abandon afin de la faire revivre
obtient un droit de propriété sur cette terre, l'auteur qui
fournit un effort intellectuel afin de créer une nouvelle oeuvre va
bénéficier de droits de propriété intellectuelle
sur cette oeuvre.
Les oeuvres de l'esprit sont donc susceptibles d'être
l'objet d'un droit de propriété qui est acquis par l'effort
intellectuel fourni par son créateur. Ainsi, le concept même de
propriété intellectuelle est compatible avec le droit de la
propriété de la Shari'a. Mais les risques
d'incompatibilité entre ces catégories de droits peuvent encore
exister lors de leur exploitation, notamment avec les usages contractuels des
acteurs économiques.
Chapitre II. La légalité en droit musulman
des actes d'exploitation d'un actif incorporel.
En matière de contrats, c'est le principe de la
liberté contractuelle qui domine. Les parties sont libres autant sur le
fond que sur la forme tant que les prescriptions de la Shari'a sont
respectées, et leur volonté a force de loi. Le Professeur de
droit à « the Institute of Intellectual Property and Social
Justice, Howard University », Steven
D. Jamar illustre86 ce principe par un exemple d'un
contrat dans le domaine du pétrole :
« [T]he Arbitration Tribunal in the Saudi
Arabia-Aramco87 Arbitration referred to the oil concession
arrangement as an example of how parties can develop their own law through
contract without undue formalities. Custom and practice of the parties or the
trade can also form a basis for enforceable contract rights.
»88
Une fois que les parties se sont accordées sur le
contenu du contrat, il devient obligatoire sur la seule base de cette rencontre
des volontés. Cette force obligatoire est de toute première
importance dans le cadre de la Shari'a car les obligations contractuelles sont
sacrées en droit musulman. Heba A. Raslan cite un hadit du
Prophète dans son article89 :
« Narrated Abu Hearer: The Prophet said, `The signs
of a hypocrite are three: 1. Whenever he speaks, he tells a lie. 2. Whenever he
promises, he always breaks it (his promise[]). 3. If you trust him, he proves
to be dishonest. (If you keep something as a trust with him, he will not return
it.) »90
86 Jamar, Steven. The protection of intellectual property
under islamic law. [en ligne] URL:
http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1148735
87 Aramco: Arabian American Oil Company, c'est la compagnie
nationale saoudienne d'hydrocarbures.
88 Page 6, § 2.
Traduction: « Le tribunal arbitral de l'intance
d'arbitrage d'Aramco en Arabie Saoudite fait référence à
l'accord de concession pétrolière comme un exemple de comment les
parties peuvent créer leur propre loi grâce à un contrat
sans formalités excessives. La coutume et les usages des parties ou du
commerce peuvent aussi servir de bases à des obligations contractuelles.
»
89
Voir note supra 25.
90 Note 124.
Traduction : « Rapporté par Abu Hearer : Le
Prophète dit, « Les signes de l'hypocrite sont trois : 1. Toutes
les fois oil il parle, il prononce un mensonge. 2. Toutes les fois oil il
promet, il ne la respecte jamais (sa promesse). 3. Si tu as confiance en lui,
il se révèle être malhonnête. ( Si tu lui confies
quelque chose, il ne te le rendra pas). »
Cette sacralité du contrat s'impose tant aux individus
qu'aux Etats. Ces derniers doivent respecter les traités qu'ils signent
de la même manière que les individus doivent respecter les
contrats qu'ils concluent.
Les parties sont ainsi libres de décider à
quelles obligations elles veulent se soumettre. Cependant, certains contrats
sont interdits. Ces interdictions peuvent soit faire référence
aux objets du contrat, soit aux types d'obligations qui sont prévues
dans le contrat. 91
Dans la partie suivante, il sera étudié les
différentes pratiques de la propriété intellectuelle afin
de s'assurer que celles-ci n'entrent pas en conflit avec des interdictions de
la Shari'a. La section I aura donc pour objet l'étude de la
compatibilité entre les usages contractuelles de la
propriété intellectuelle et la Shari'a.
Il faut ajouter, à l'exploitation normale d'une oeuvre,
l'évènement qu'est le décès de l'auteur. La
durée de protection prévue par les ADPIC étant d'au
minimum 50 années après la publication de l'oeuvre92,
le créateur mourra nécessairement avant l'extinction de
l'ensemble de ses droits sur ses oeuvres de l'esprit. Il se pose alors la
question de la transmission des droits de propriété
intellectuelle pour cause de mort. Comme il est précisé dans
l'article de Heba A. Raslan93, le droit de la succession est
extrêmement détaillé dans la Shari'a, aussi n'est-il pas
possible d'y déroger. Le possible legs des droits de
propriété intellectuelle sera l'objet de la seconde section du
présent chapitre.
91 Ikbal, Qaiser. Intellectual Property Rights and Islam. [en
ligne] URL:
http://www.visbdev.net/visbdev/fe/Docs/ipr
islam.pdf
Page 43, dernier §.
« It forbade him (the Muslim) from owning certain assets
such as alcohol, pork and drugs. ~ It
forbade him from other means such as usury, gambling and sale
by speculation.» Traduction: « Il lui (au musulman) est
interdit de détenir certains actifs tels que l'alcool, le porc et des
drogues. ... Il lui est interdit d'user d'autres moyens tels que l'usure, le
jeu et la vente spéculative ».
92 Article 12 des ADPIC.
93 Voir note supra 25.
Section I. La compatibilité entre les usages
contractuels de la
propriété intellectuelle et la
Shari'a.
Une fois que l'on a démontré
l'appropriabilité en droit musulman des oeuvres de l'esprit, il faut
encore vérifier que les interdictions de la Shari'a n'en empecheront pas
l'exploitation. Or, les biens intellectuels diffèrent des biens
physiques et ne peuvent faire l'objet des memes contrats. D'une part l'on a les
biens corporels qui font notamment l'objet de contrat de location ou de vente,
avec pour conséquence la transmission de la possession de la chose.
D'autre part, les biens intellectuels sont les objets de contrats de licence ou
de cession dont l'objectif est la transmission du droit d'exploiter le bien.
Comme il a été vu précédemment, la
Shari'a est très souple en ce qui concerne le droit des contrats ; et la
liberté contractuelle est le principe qui prévaut. Par exemple,
la sécabilité des droits de propriété
intellectuelle sans limite est tout à fait acceptable en droit musulman
comme l'indique94 Heba A. Raslan :
« While the owner maintains his title to the
property, he could authorize others to use or exploit the property for a return
subject to the conditions and limitations put forth in their agreement.
Accordingly, the practice of granting exclusive and nonexclusive licenses is
consistent with Shari'a. »95
Il faut tout de meme s'intéresser à un des
interdits de la Shari'a en matière contractuelle qui est
l'imprécision dans les contrats. Cette règle interdit aux parties
de conclure un contrat qui serait spéculatif ou incertain. Heba A.
Raslan explique comment les parties peuvent respecter leurs obligations, et
donne des exemples de contrats frappés d'imprécision.
« In order for a contract to be legally valid from a
Shari'a perspective, the parties must have sufficient knowledge of the
contract's subject matter and its value and «effective control» over
it. Accordingly, sales that are prohibited under Shari'a include: sales of
unknown values, sales where the object is too uncertain to be
94
Voir note supra 25.
95 Page 521, §2.
Traduction : « Bien que l'ayant droit conserve son titre
de propriété, il peut autoriser des tiers à utiliser ou
exploiter la propriété pour un certain usage soumis à des
condition et des limitations issues de leur accord. En conséquence de
quoi, la pratique d'octroi de licences exclusives et non exclusives est
conforme à la Shari'a ».
realized, sales where the future benefit is unknowable, and
sales with inexactitude. »96
Il s'agit de contrats qui pourraient etre rapprochés
des jeux d'argent où le hasard tient une grande part. Cette règle
vient donc protéger la moralité publique en interdisant aux
croyants de s'enrichir en spéculant.
Les contrats de propriété intellectuelle ont une
caractéristique qui pourrait se révéler être en
contradiction avec la Shari'a. Ils sont souvent marqués par un important
aléa, soit parce que le bien de propriété intellectuelle
objet du contrat est mal défini ou secret, soit parce que le montant de
la rémunération est inconnu. Il sera distingué dans cette
section les aléas présents dans les contrats de
propriété intellectuelle du concept d'imprécision dans le
contrat (gharar), pratique prohibée par la Shari'a. Cette distinction
sera faite avec l'objet dans un point (I), et avec le système de la
rémunération proportionnelle dans un point (II)
I. La distinction entre l'aléa du à certains
biens immatériels objet de contrats de propriété
intellectuelle et le concept d'imprécision de la Shari'a.
Ce problème de l'imprécision peut se poser tout
d'abord pour l'objet du contrat. La situation est celle du contrat de commande
d'une oeuvre de l'esprit qui n'existe pas encore, ou d'un objet est
protégé par le secret d'affaire et qui est donc inconnu pour
l'une des parties. Ces objets sont principalement les codes sources des
logiciels et les renseignements non divulgués97.
Cependant pour Steven D. Jamar98, ce problème
n'est pas insurmontable. Il explique l'incidence que cela peut avoir :
« [T]he principle of indefiniteness could well have
an effect on the structuring of license arrangements. However, it should not
ultimately prevent or limit the ability to enter into valid, binding and
creative arrangements because of the Islamic
96 Page 530, §2.
Traduction : « Afin qu'un contrat soit légalement
valable dans la perspective de la Shari'a, les parties doivent avoir une
connaissance suffisamment précise de l'objet du contrat, de sa valeur et
un
« contrôle effectif »a de
l'objet. En conséquence de quoi, les ventes qui sont interdites par la
Shari'a incluent : les ventes de valeurs inconnues, les ventes dans lesquelles
l'objet est trop incertain pour être réalisé, les ventes
oil le futur bénéfice est inconnaissable, et les ventes avec des
inexactitudes ».
97 Bien que ces informations ne peuvent être
protégées par un droit de propriété intellectuelle,
les pays signataires des ADPIC doivent les protéger en vertu de
l'article 39.
98 Voir note supra 84.
reverence for the sanctity of contracts and the
flexibility with which they can be structured. »99
La question n'est donc pas de savoir si les contrats sur ces
objets sont licites ou non au sens de la Shari'a, mais de quelle manière
l'on pourrait définir assez précisément les objets afin de
palier à l'imprécision. Par exemple pour un contrat en vue de la
création d'un logiciel, l'important est que le contrat prévoit
précisément, au moyen d'un cahier des charges par exemple, les
usages auxquels est destiné le logiciel. L'Islam n'interdit pas pour
imprécision un contrat qui porterait sur la commande d'un outil qui
n'existe pas encore.
II. La distinction entre l'aléa dû à la
rémunération proportionnelle dans les
contrats de propriété intellectuelle et le concept
d'imprécision de la Shari'a.
Le problème est plus complexe en ce qui concerne le
système de la rémunération proportionnelle à
l'exploitation de l'oeuvre de l'esprit. Le prix étant proportionnel
à une exploitation future dont on ne connait pas le succès, il
est donc nécessairement incertain. Pour Steven D. Jamar, l'incertitude
interdite par la Shari'a doit etre comprise comme une analogie du jeu où
l'existence meme de l'objet est incertaine. Ce qui est pour lui
complètement différent des mécanismes de
rémunérations proportionnelles :
« The analogy to selling fruit before it ripens, a
prohibited act, is attractive. However, the reason for the rule against selling
unripened fruit is that it is still subject to loss through drought, disease,
or storm-it may never ripen. Here, the work exists, and only the ultimate value
of it over time is unknown. The fruit has ripened and the ultimate market value
of it is just an ordinary business risk. » 100
99 Page 10, §1.
Traduction : « Le principe de l'imprécision
pourrait bien avoir des effets sur la structure des contrats de licence.
Cependant, cela ne pourrait pas entièrement empêcher ou limiter la
possibilité de conclure un contrat valide, contraignant et
créatif grâce à la révérence islamique pour
la sacralité des contrats et pour la flexibilité avec laquelle
ils peuvent être construits ».
100 Page 14, §3.
Traduction : « L'analogie avec la vente de fruits avant
leur maturité, un acte interdit, est séduisante. Cependant, la
raison de cette règle concernant la vente de fruit qui ne sont pas
encore mûres, est que cela fait toujours l'objet de pertes qui ne seront
jamais cueillies à cause de la sécheresse, de la maladie ou des
vers. Dans notre cas, le travail existe et seule sa valeur finale à
travers le temps est inconnue. Le fruit a été cueilli et la
valeur définitive qu'il aura sur le marché constitue seulement un
aléa normal dans le milieu des affaires. ».
Ida Medieha Abdul Ghani Azmi, dans sa thèse ayant pour
sujet la conformité entre le droit malaisien de la
propriété intellectuelle et la Shari'a101, constate
lui aussi la difficulté pouvant naître de ce mode de
rémunération, mais arrive à une conclusion très
différente. Selon lui, il faudrait que la rémunération
soit forfaitaire et, en cas de succès plus important que prévu de
l'oeuvre, que puisse être réévaluée la somme devant
être versée à l'auteur.
Pour cela il fait référence au droit
français et à la possibilité, prévue à
l'article L 131-4 du code de propriété intellectuelle
français, qu'a l'auteur de demander d'être
rémunéré au moyen de sommes annuelles forfaitaires. Il
ajoute à son modèle la rescision pour lésion de l'article
131-5 du code de propriété intellectuelle français qui
permettrait de rééquilibrer le contrat en cas de succès
inattendu.102
La seconde solution est en comparaison de la première
beaucoup plus rigide et nécessiterait que soit fait couramment appel
à une autorité extérieure afin de décider du
montant de la rémunération. Cependant, bien que l'incertitude
demeure sur ce point, elle ne met pas en péril la compatibilité
de la propriété intellectuelle avec la Shari'a, mais seulement un
mode de rémunération. Les parties devront cependant être
vigilantes sur ce point, quitte à consulter des juristes locaux lors de
la rédaction du contrat.
Les droits de propriété intellectuelle peuvent
ainsi être exploités et cédés par contrat en toute
légalité avec la Shari'a. Cependant une autre méthode de
transmission doit être impérativement étudiée, c'est
celle du legs. Afin que les oeuvres puissent être effectivement
protégées pendant la durée minimale imposée par les
traités internationaux, les droits de propriété
intellectuelle doivent pouvoir être transmis aux héritiers en cas
de décès de l'ayant droit.
Section II. La possible transmission des droits de
propriété
intellectuelle aux héritiers.
Contrairement au droit des contrats, le droit des successions est
extrêmement détaillé dans la Shari'a, et les règles
prévues sont obligatoires, il n'est donc pas
101 Abdul Ghani Azmi, Ida Medieha. Intellectual property law
and Islam in Malaysia. Thèse soutenue à « the intellectual
property law unit of the centre of commercial law studies, queen mary &
westfield college, london ». Mai 1995.
102 Page 159, dernier §.
permis d'y déroger. La transmission des biens du
défunt aux héritiers est prévue dans un Hadit du
Prophète :
« Whoever dies leaving property or rights, then it
can be inherited by the family ».103
Dans cette section, il ne sera étudié que la
transmissibilité des droits patrimoniaux. En effet le droit moral
étant écarté des ADPIC, il n'entre pas dans le champ
d'étude du présent mémoire.
En ce qui concerne les droits patrimoniaux, Ida Medieha Abdul
Ghani Azmi se pose la question de la possible transmission d'un actif
intangible par succession et notamment parce que le droit de
propriété sur un bien corporel est éternel, alors que les
droits de propriété intellectuelle eux sont limités dans
le temps. Mais pour lui les droits de propriété intellectuelle
sont tout à fait transmissibles par legs et il écarte très
rapidement cet argument :
« Despite this (la difference entre les droits
de propriété sur les biens tangibles et sur les biens
intangibles) the jurists agree that it (les droits de
propriété intellectuelle) can be transmitted through
inheritance and disposed off through will. The basis of the transmissibility is
the Prophetic 'hadith': "man lahu haqqan faliwarathihi" (who has a valid claim
(haqq), that can be transmitted through inheritance). »104
Ainsi les droits de propriété intellectuelle
seront transmis aux héritiers à la mort de l'ayant droit. Il n'y
a donc sur ce point pas de difficulté entre le droit de la
propriété intellectuelle et la Shari'a.
103 Voir note supra 99.
Page 84, note 100.
Traduction : « Celui qui meurt laisse des biens et des
droits, alors cela doit pouvoir être hérité par la famille
».
104 Page 87, §1.
Traduction : « Malgré cela, les juristes admettent
qu'ils peuvent être transmis par succession et être l'objet d'un
testament. La justification de la transmissibilité est un Hadit du
Prophète : "man lahu
haqqan faliwarathihi" (celui qui dispose d'une créance
licite (haqq), qui peut être transmisse par succession) ».
Il est tout de même à noter certaines
règles qui devront impérativement être respectées
dans les lois de transposition des pays musulmans afin d'être conforme
à la Shari'a.
La dévolution successorale est prévue
précisément par la Shari'a et elle devra être
respectée. Seule une quotité d'un tiers du patrimoine est
laissée à la discrétion du testateur ainsi que le rappelle
Heba A. Raslan105 :
« [T]he one-third limitation for transfer of property
by wills applies to intellectual property rights and should be observed. This
limitation is intended to avoid eliminating rightful heirs from their shares in
the estate. » 106
105
Voir note supra 25.
106 Page 535, §2.
Traduction : « La limite d'un tiers au transfert des
biens par testament est applicable à la propriété
intellectuelle et doit être respectée. Cette restriction a pour
objectif d'emp-cher que des héritiers de plein droit perdent leurs parts
du patrimoine ».
C'est par cette section que se clos le Titre II sur « La
compatibilité entre les règles régissant le patrimoine
dans la Shari'a et le concept de la propriété intellectuelle
». En conclusion nous pouvons affirmer qu'il n'y a pas de
difficultés majeures au sein du droit des biens de la Shari'a qui
mènerait à s'opposer à la transposition des ADPIC dans les
pays musulmans. Les quelques questions qui demeurent, par exemple
l'imprécision dans les contrats de propriété
intellectuelle, ne concernent pas directement des droits devant être
protégés en vertu des ADPIC, mais plutôt des usages
commerciaux et contractuels qui devront peut-être faire l'objet
d'adaptation au cas par cas.
Ainsi, les biens intangibles peuvent être soumis
à un droit de propriété tout comme les biens tangibles,
mais aussi être exploités et transférés entre vifs
ou pour cause de mort. Cette propriété est la récompense
d'un effort personnel du créateur de l'oeuvre de l'esprit, et elle a
pour but de lui permettre de vivre de sa création. Les lois de
transposition des traités internationaux sur la propriété
intellectuelle devront cependant respecter un certain nombre
d'impératifs moraux imposés par la Shari'a afin d'être
parfaitement compatible. Notamment le titulaire originaire des droits devra
toujours être le créateur initial de l'oeuvre de l'esprit, et en
cas de cession à un tiers, le créateur devra
nécessairement être justement rémunéré pour
son travail.
Bien que le droit des biens de la Shari'a permet la
création de lois ayant rapport à la propriété
intellectuelle, il faut encore se demander à quelles conditions cette
dernière n'est pas en contradiction avec les intérêts
fondamentaux de l'Islam. La défense de ces intérêts
fondamentaux doit être l'objet de toutes les lois humaines, c'est
pourquoi leur respect est fondamental pour l'acceptation de la
propriété intellectuelle. L'étude de ces
intérêts fondamentaux et des conditions de leur respect sera sujet
de la Partie II.
Titre III : Le respect des interêts fondamentaux
de l'Islam, un enjeu determinant pour l'acceptation de la Propriete
Intellectuelle.
Comme il a ete presente en introduction, les lois humaines
doivent être utiles pour la société afin de respecter la
Shari'a. Cette utilité s'apprécie en référence aux
interêts essentiels de la communaute et des individus qui la compose. Ces
interêts peuvent être separes en cinq categories : la religion,
l'integrite physique, la descendance, le patrimoine, les facultes mentales.
Ainsi doit être consideree comme convenable (mundsib),
comme utile, bonne (salih), toute loi prise dans le but d'atteindre un de ces
objectifs dans le respect de la Shari'a107. C'est ainsi qu'il est
possible pour les Etats d'édicter de nouvelles lois en l'absence de
règles claires dans la Shari'a.
Heba A. Raslan108 cite les trois conditions qui
doivent être respectees afin d'éviter l'arbitraire dans la
désignation de ce qui répond à l'intéret public
:
« 1. The existence of a genuineas opposed to probable
interestwhere there is a reasonable probability that the benefits of enacting a
rule to observe it outweighs the harms that might be caused due to its
observance.
2. It must be a general interest in the sense that it is
a benefit acknowledged, or it is a harm prevented to society as a whole, in
contrast to particular persons or a group of persons. This does not mean that
it must benefit or protect each individual, but it does mean that a significant
number of people are likely to benefit from it.
3. The proposed interest does not contradict or negate a
value or principle already upheld, expressly or impliedly, by the Qur'an, the
Sunna, or Consensus. »109
107
Voir note supra 38.
108
Voir note supra 25.
109 Page 511, § 3.
Traduction : « 1. L'existence d'un
véritable--à opposer à un intérêt
probablelorsqu'il existe une probabilité raisonnable que les
bénéfices de la création d'une règle qui devra rtre
respectée surpassent les méfaits qui pourraient naître de
son respect.
2. Ce doit être pour un intérêt public
dans le sens oil le bénéfice est obtenu, ou le méfait est
prévenu, pour la société dans son ensemble, par contraste
avec des individus ou des groupes d'individus. Cela ne signifie pas que doit en
tirer le bénéfice ou la protection chaque individu, mais, cela
signifie qu'un nombre significatif de personnes est susceptible d'en
bénéficier.
3. L'intértt mis en avant ne doit pas contredire ou
nier une valeur ou un principe déjà
confirmé, expressément ou implicitement, par le Coran, la
Sunna, ou le Concensus. »
André Poupart en donne un exemple assez clair dans son
article110 d'une décision qui a été prise en
considération d'un intérêt public :
« On avait discuté, dans les tous premiers
temps de l'Islam, si la Révélation devait être
laissée à l'état de tradition orale ou s'il y avait lieu
de la constater par écrit. Rien, dans les sources de la loi -
Révélation, paroles ou attitudes du Prophète - ne
fournissait de réponse à cette question. Cependant, un calife
décida de faire procéder à la rédaction du Coran.
Cette décision étant justifiée par la considération
de l'intér~t de la religion~ » 111.
Ce domaine demeure cependant extrêmement marqué
par l'idéologie et la politique. Selon son opinion politique une mesure
sera plus ou moins bénéfique pour la société. Il
faut ajouter que dans certaines situations, deux intérêts peuvent
être en contradictions. Ida Medieha Abdul Ghani Azmi précise que
la Foi est alors l'intérêt le plus important et qu'il doit primer
sur les quatre autres112.
Afin de pouvoir désigner l'intérêt public
le plus important en cas de contradiction, les juristes musulmans ont
développé cinq critères que nous livre Ida Medieha Abdul
Ghani Azmi :
« (i) what is considered as public interest will take
precedence over private interest.
(ii) matters pertaining to 'al-fardhu '(mandatory) will take
priority over matters pertaining to 'al-nawafil' (ce qui est permis).
(iii) in policy choices which act as a restraint (as
contrasted with promotion of values), the choice is to avoid the greater
evil.
(iv) in the field of economic transactions, what is
commonly held as the presiding interest of the whole community of traders ('ahi
al-suq') prevails over the interest of individual traders.
110 Voir note supra 38.
111 Page 97, § 3.
112 Voir note supra 99. Page 182, dernier §.
(v) the scholars also look at the chances or the probability
of occurrence. Hence one which has the highest chance of occurring should be
given priority. » 113
Il existe une contradiction entre deux intérêts
essentiels de l'Islam dans le sujet qui nous concerne. Parmi les juristes
musulmans, ceux qui considèrent que la propriété
intellectuelle est contraire à l'Islam lui opposent souvent l'argument
suivant : ces droits constituent une confiscation de la connaissance, ce qui
est contraire au développement des capacités intellectuelles, et
parfois même à l'intégrité physique, des croyants. A
l'opposé il y a l'intérêt économique des
créateurs d'actifs intangibles dont le patrimoine est constitué
de droits de propriété intellectuelle. C'est cette contradiction
que sera étudiée au Chapitre I du présent Titre.
Ce débat entre l'intérêt économique
des ayant droits et la diffusion de la connaissance se révèle
finalement assez universel, et dépasse largement les frontières
des pays musulmans. Les défenseurs de la propriété
intellectuelle réconcilient ces deux intérêts, à
tout le moins en théorie, à travers l'argument suivant : la
propriété intellectuelle permet le développement de la
connaissance car elle incite les acteurs économiques à investir
dans son développement. Cette argument sera étudié, lui,
dans un second Chapitre.
113
Page 184, §2.
Traduction : « (i) ce qui est d'intérit public
prévaut sur l'intérrt privé,
(ii) les matières se rapportant à «
al-fardhu » (ce qui est impératif) est plus important que ce qui se
rapporte « al-nawafil »,
(iii) pour les choix politiques concernant les actes
restrictifs (et non ceux qui défendent des valeurs), le choix doit
être de prévenir le plus grand méfait.
(iv) dans le domaine des échanges commerciaux, ce
qui est communément désigné comme l'intér~t
général de l'ensemble de la communauté des marchands ('ahi
al-suq') prévaut sur l'intérIt individuel des marchands,
(v) la doctrine s'intéresse aussi aux chances ou
à la probabilité que cela se réalise. Donc,
l'intérit ayant le plus de chance de se réaliser doit être
prioritaire. »
Chapitre I. Des intérests essentiels de l'Islam
en contradiction
Dans les débats ayant pour sujet l'intérest que
représente la propriété intellectuelle pour les
sociétés humaines, ses détracteurs avancent inlassablement
l'argument que la propriété intellectuelle est un monopole sur la
connaissance. Cet argument est aussi utilisé par certains juristes
musulmans et notamment ceux de l'école Hanafites. Le Mufti Taqi Usmani
explique ce point de vue dans son avis114 :
« They ... argue that "knowledge" in Islam is not the
property of an individual, nor can he prevent others from acquiring knowledge,
whereas the concept of "intellectual property" leads to monopoly of some
individuals over knowledge, which can never be accepted by Islam.
»115
Ces monopoles sur la connaissance seraient contraires aux
intérests essentiels de l'Islam en général, et de la
protection du développement des capacités mentales et de
l'intégrité physique en particulier. Ce fera l'objet d'une
première section.
L'argument réponse à cela est l'intérest
légitime pour les créateurs de tirer profit de leur
activité afin de subvenir à leurs besoins. C'est le point de vue
défendu par le Mufti Taqi Usmani116. Cet argument sera
étudié dans la seconde Section de ce Chapitre.
Section I. La thèse du monopole sur la
connaissance.
Cette thèse, qui frappe par son omniprésence
dans les débats relatifs à la propriété
intellectuelle, repose sur le caractère non rival des biens de
propriété intellectuelle. Puisque la diffusion de ces biens n'en
épuise pas la quantité, alors il faut les mettre à
disposition de tous sans exception.
En droit musulman l'on peut ajouter l'obligation qui est faite
à tout musulman de diffuser la connaissance. Permettre l'appropriation
de cette connaissance par quelques un revient à en interdire, ou au
moins à en restreindre, la diffusion auprès des croyants. Cela
porte atteinte à l'intérest essentiel de l'Islam qui consiste en
la
114
Voir note supra 41.
115 Traduction : « Ils argument que la «
connaissance » au sein de l'Islam n'est pas la propriété
d'un individu, personne ne peut empecher autrui d'acquérir de la
connaissance, considérant que le concept de «
propriété intellectuelle » conduit au monopole des certains
individus sur la connaissance, alors il ne pourra jamais etre accepté
par l'Islam. »
116 Voir citation de la note supra 78.
protection et au développement des capacités
mentales des croyants. De plus, dans le cas des brevets sur les
médicaments, par exemple, cette atteinte peut aussi porter sur
l'intégrité physique.
La Convention de l'Union de Berne pour la protection des
oeuvres littéraires et artistiques (CUB) est l'une des conventions
auxquelles les pays adhèrent en signant les ADPIC. A son article 9,
alinéa 1, elle dispose que les « auteurs d'oeuvres
littéraires et artistiques . jouissent du droit exclusif d'autoriser la
reproduction de ces oeuvres, de quelque manière et sous quelque forme
que ce soit ».
Ainsi l'auteur bénéficie d'un monopole sur le
contenu de l'oeuvre et peut en interdire la diffusion ou encore la permettre
à des conditions prohibitives pour la majeure partie de la population.
La connaissance qui est contenue dans ce livre n'est donc pas diffusée
à tous les croyants, mais à une minorité qui disposent de
moyens financiers importants.
Heba A. Raslan explique le point de vue de l'école
Hanafite qui utilise cet argument contre la propriété
intellectuelle117 :
« The opponents of intellectual property rights .
recite the doctrine of public interest as grounds for their position. They
argue . that the benefits achieved by protecting and enforcing intellectual
property rights are minimal compared to the harm that is inflicted on the
public in the form of price increases and restrictions on access to knowledge.
»118
Selon cet argument la population est privée de ce bien
commun qu'est la connaissance, au profit de quelques-uns. Cette confiscation de
la connaissance peut même aller jusqu'à mettre en danger le
patrimoine et l'intégrité physique des populations quand elle
porte par exemple sur des médicaments. Qaiser Iqbal donne
117
Voir note supra 25.
118
Page 525, dernier §.
Traduction : « Les opposants aux droits de
propriété intellectuelle ... énumère la doctrine de
l'intéret public comme motif pour leur position. Ils font valoir que les
bénéfices obtenus en protégeant et appliquant les droits
de propriété intellectuelle sont minimes en comparaison des
préjudices subis pa le public sous forme d'augmentation des prix et de
restrictions dans l'accès à la connaissance ».
l'exemple particulièrement parlant des trithérapies
permettant de traiter les malades du SIDA dans son mémoire119
:
« [A]ccording to WHO none of the countries with high
infection rates (ninety-five percent of people with HIV in the world live in
developing countries) can afford the per patient $10-15,000 price tag of
non-generic HIV drugs. What this means is that the African countries face a
social, economic and political devastation of apocalyptic proportions because
of intellectual property enforcement. »120
Les ravages dénoncés dans ce paragraphe
démontrent, il est vrai, un effet possible des droits de
propriété intellectuelle. D'autres domaines scientifiques
créent eux aussi de vives inquiétudes dans le Monde. Pour preuve
le rapport de l'Assemblée Nationale121 sur la
brevetabilité du vivant dans lequel le député Alain Claeys
cite le Comité consultatif national d'éthique :
« Comment imaginer, si l'on décidait de
traiter le gène comme un produit banal, que cette conception ne
s'étendrait pas à une cellule, à un organe ou à des
transactions concernant la reproduction ? [ ] Ce qui serait dit du gène
à propos de la propriété intellectuelle pourrait si l'on
n'y prend garde fragiliser la règle qui met le corps humain hors
commerce et il faut éviter d'en arriver là. »
En réponse à ces arguments, les
défenseurs de la propriété intellectuelle soutiennent que
les droits de propriété intellectuelle ne sont pas une
confiscation de la connaissance mais une récompense à l'effort
intellectuel fourni. Aussi, avancent-ils qu'avec la propriété
intellectuelle est défendu le patrimoine des auteurs et des
inventeurs.
119
Ikbal, Qaiser. Intellectual Property Rights and Islam. [en ligne]
URL:
http://www.visbdev.net/visbdev/fe/Docs/iprislam.pdf
120 Page 32, §4.
Traduction : « Selon l'OMS (Organisation Mondiale de la
Santé), aucun des pays connaissant un fort taux de contamination
(Quatre-vingt quinze pourcents des personnes ayant le VIH dans le monde vivent
dans les pays en voie de développement) ne peut se permettre le prix
moyen de 10 à 15.000$ par patient des traitement HIV non
génériques. Cela signifie que les pays africains doivent faire
face à des ravages sociaux, économiques et politiques dans des
proportions apocalyptiques à cause de l'application de la
propriété intellectuelle. »
121
Assemblée Nationale, Rapport sur la brevetabilité
du vivant. [En ligne] URL :
http://www.assemblee-nationale.fr/rap-oecst/i3502.asp
Enregistré le 20 décembre 2001 à la Présidence de
l'Assemblée Nationale.
Les créateurs d'oeuvres de l'esprit dépensent du
temps, de l'énergie et de l'argent afin de les créer. Un
écrivain peut travailler des années afin d'écrire son
livre, et un laboratoire peut dépenser des millions d'euros pour
inventer un nouveau médicament. Ne pas leur permettre d'être
rémunérés pour les oeuvres qu'ils livrent à la
société, enrichissant ainsi la connaissance humaine, est inique.
C'est la thèse que défend entre autre Heba A.
Raslan122 :
« Most intellectual creations «~ consume
significant amounts of effort, time, resources, and money. Those who develop
such creations and those who publicly disseminate them deserve some form of
compensation for their efforts. They also deserve the right to stop others from
free riding on their efforts and from altering their creations in an unintended
manner. »123
Cette vision de la nécessaire récompense
à un effort est logique avec la vision qu'à l'Islam du travail et
avec les hadits du Prophète. En effet ce dernier y fait, comme il a
été vu précédemment, l'apologie du
travail124. C'est la source la plus noble de l'enrichissement
économique. Il va donc de soi que les créateurs doivent etre
rémunérés pour l'effort qu'ils ont fait afin de
créer une oeuvre de l'esprit.
La citation de Heba A. Raslan qui suit montre bien à
quel point cette récompense est évidente pour ceux qui
défendent les droits de propriété intellectuelle :
« These people should all be entitled to the fruits
of their efforts: the writer who creates an original work, the inventor who
creates a new invention, and the trader who creates a distinct mark for his
business and spends money and time to advertise it.
».125
122
Voir note supra 25.
123
Page 526, dernier §.
Traduction : « La plupart des uvres de l'esprit
nécessite des quantités significatives d'effort, de temps, de
ressources et d'argent. Ceux qui développent ces uvres et ceux qui les
diffusent publiquement, méritent un certain nombre de compensation pour
leurs efforts. Ils méritent aussi le droit d'emp~cher des tiers qui
bénéficieraient gratuitement de leurs efforts et
altèreraient leurs ~uvres sans leur accord ».
124
Par exemple voir la citation de la note supra 72.
125
Page 519, § 2.
C'est ce à quoi sert la propriété
intellectuelle. Ce concept conférant au créateur un droit
exclusif sur son oeuvre de l'esprit, il peut alors en tirer profit. Pour cela,
il va exiger des tiers qui souhaitent faire usage ou diffuser l'oeuvre le
paiement d'une rémunération qui va lui permettre de subvenir
à ses besoins. Ainsi est permise la poursuite d'un intérêt
essentiel de l'Islam qui est la protection et l'augmentation du patrimoine par
une source licite d'enrichissement.
Traduction : « Ces personnes devraient toutes avoir
droit aux fruits de leurs efforts : l'écrivain qui a créé
une ~uvre originale, l'inventeur qui a créé une nouvelle
invention et le marchand qui a créé une marque distincte pour son
commerce et qui dépense de l'argent et du temps pour la faire
connaître ».
Dans le Chapitre précédent, il a
été montré que des intérêts essentiels de
l'Islam pouvaient s'opposer dans le débat sur la compatibilité ou
non de la propriété intellectuelle au regard de la Shari'a. D'une
part, il est nécessaire pour le bien de la société, que
les oeuvres de l'esprit circulent et soient accessibles par tous. D'autre part,
il est normal que ceux qui ont travaillé à la création de
ces oeuvres bénéficient de droits afin tirer un
bénéfice de leur effort.
Afin que le concept de propriété intellectuelle
soit compatible avec la Shari'a, il est nécessaire qu'il permette la
défense de l'intérêt général. On pourrait
comparer ces deux intérêts divergents, les soupeser, et finalement
déterminer lequel a le plus de valeur. Pour cela il suffirait de suivre
les critères indiqués par Ida Medieha Abdul Ghani
Azmi126.
Cependant, la réponse est autre. En effet, ces
intérêts qui peuvent paraitre divergents, sont
réconciliables grâce caractère incitatif de la
propriété intellectuelle. Les juristes qui défendent la
propriété intellectuelle avancent qu'elle ne restreint pas
l'accès à la culture, mais au contraire, qu'elle l'augmente. Cela
est dü au fait que les acteurs économiques sont incités
à créer par les droits qu'ils recevront sur leur future
création.
Cette réconciliation sera étudiée dans le
Chapitre II du présent Titre.
126 Voir note supra 111.
Chapitre II. Les intérêts divergents
conciliés par le caractère incitatif de la
propriété intellectuelle.
La principale caractéristique de la
propriété intellectuelle est qu'elle est incitative. En effet,
c'est par ce moyen que l'on justifie l'appropriation d'actifs incorporels par
des personnes privées. L'objectif est d'inciter les acteurs
économiques privés en leur garantissant des droits exclusifs sur
leur création pendant un certain temps afin, d'une part, de recouvrer
leurs investissements, et d'autre part d'en tirer des bénéfices.
Les défenseurs de la propriété intellectuelle
considèrent qu'ainsi l'on permet l'existence d'une création
dynamique et diversifiée.
En conséquence de quoi, les bénéfices des
apports permis par la propriété intellectuelle, à la
culture et à la connaissance humaine, dépasseraient alors de
beaucoup le préjudice subi du fait de l'appropriation des oeuvres de
l'esprit par leur créateur.
Ce principe est même explicitement cité comme
étant l'objectif du traité ADPIC.
« Article 7 Objectifs
La protection et le respect des droits de
propriété intellectuelle devraient contribuer à la
promotion de l'innovation technologique et au transfert et à la
diffusion de la technologie, à l'avantage mutuel de ceux qui
génèrent et de ceux qui utilisent des connaissances techniques et
d'une manière propice au bien-être social et économique, et
à assurer un équilibre de droits et d'obligations. »
Dans une première section, il sera étudié
de qu'elle manière ce principe arrive à concilier les
différents intérêts fondamentaux de l'Islam et ainsi
assurer la conformité de la propriété intellectuelle
à l'intérêt public au sens du droit musulman.
Cependant, cette volonté affichée d'agir au nom
du bien commun n'est pas toujours une réalité dans les relations
économiques et tout particulièrement internationales. La
propriété intellectuelle est généralement un levier
économique utilisé par les personnes privées et publiques
pour obtenir un avantage concurrentiel sur les autres, et ce, sans égard
pour l'intérêt général.
Dans une seconde section sera étudiée la
nécessité de mettre en place des limites aux droits de
propriété intellectuelle afin de prévenir les
comportements abusifs et assurer leur réelle compatibilité
à la Shari'a.
Section I. Le caractère incitatif de la
propriété intellectuelle synonyme
de poursuite de l'intérêt
général.
Comme il a été vu dans le Chapitre I de ce
même Titre, il est communément avancé par des juristes
musulmans, contre la propriété intellectuelle, qu'elle serait
contraire à l'intérêt général. En effet, ils
considèrent que cela permet la création de monopoles sur la
connaissance et en limite la diffusion.
Cependant, grace à l'incitation financière
permise par les droits obtenus sur les oeuvres de l'esprit, les acteurs
privés sont plus enclins à dépenser du temps et de
l'argent dans le développement d'innovations. Ces efforts vont permettre
l'enrichissement et la diffusion de la connaissance humaine de manière
bien plus efficace que l'absence de protection. On peut citer une
métaphore du président américain Abraham Lincoln pour
illustrer ce principe :
« The patent system added the fuel of interest to the
fire of genius »127.
Dans un point (I), il sera étudié
l'intérêt de mettre en place des systèmes de protection
efficaces de la propriété intellectuelle pour inciter les
industries des pays en voie de développement à investir dans la
création et l'innovation. Dans un second point il sera
étudié dans quelle mesure une réelle protection des droits
des pays développés peut faciliter les transferts
technologiques.
I. Une protection des droits de propriété
intellectuelle au bénéfice des industries
des pays en voie de développement.
L'assurance de pouvoir tirer bénéfice de ses
créations grace à des droits de propriété
intellectuelle incite les personnes privées à investir dans le
secteur de l'immatériel. Cette incitation est tout aussi vraie pour les
industriels des pays développés que pour ceux des pays en voie de
développement.
127 Phrase prononcée lors de son discours du 11
février 1859 à l'occasion de la seconde lecture du «
Discoveries and Inventions act » au congrès.
Traduction : « Le système du brevet ajoute le
combustible de l'intér~t au feu du génie ».
Tout d'abord, ces industries des pays en voie de
développement ne trouvent pas d'intérets à
développer leurs propres créations sachant que leur
investissement bénéficiera à d'autres qui profiteront de
l'absence de protection effective. Les pays en voie de développement
doivent donc mettre en place un système efficace de protection des
droits de propriété intellectuelle. De cette manière,
leurs industriels seront incités à investir massivement dans les
innovations au lieu de se contenter de copier celles des pays
développés.
Dans son étude128, Nadjib Harabi note que
les professionnels des industries créatives dans les pays arabes se
plaignent de l'absence de protection de leurs intérêts
économiques. Il arrive à la conclusion que cette faiblesse de la
propriété intellectuelle est une des raisons qui empêchent
l'émergence d'une industrie de l'innovation pérenne dans ces
pays, et conseille donc aux Etats de mettre en place des législations
efficaces et d'en assurer l'exécution.
Pour Shahid Alikhan129, l'enjeu de ce
développement va même au-delà du seul marché
national. Il considère qu'un régime efficace de
propriété intellectuelle est une condition indispensable à
l'émergence dans les pays en voie de développement d'un secteur
innovant à meme d'exporter son savoir :
« It is essential that developing countries should
really aim, with the help of the intellectual property system, to move from
being largely importers of technology to becoming its producers and
exporters. » 130
Par cela, il est montré que la propriété
intellectuelle n'est pas uniquement un frein au développement de la
connaissance humaine. Au contraire, elle peut être un levier permettant
d'accroitre considérablement les moyens mis en oeuvre par les
128
Voir note supra 13.
129
Alikhan, Shahid. Socio-economics benefits of intellectual
property protection in developing
countries. Site de l'Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle, [en ligne] URL:
http://books.google.com/books?id=5Mj5b6r9HLkC&printsec=frontcover&dq=Socio
-
economic+benefits+of+intellectual+property+protection+in+developing+countries&hl=fr&ei=oYgDTbby
EYaAOp_d7KYB&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CCoQ6AEwAA#v=onepage&q&f
=fal
130 Page 16, §2.
Traduction : « ,Il est essentiel que les pays en voie de
développement soient en mesure, avec l'aide du système de la
propriété intellectuelle, de cesser d'~tre principalement des
importateurs de technologies pour devenir eux même producteurs et
exportateurs ».
personnes privées dans le but de créer de nouvelles
innovations ou de nouvelles oeuvres.
II. L'incitation à la diffusion de la connaissance
par la propriété intellectuelle.
Grâce à un régime de protection efficace
de leurs actifs incorporels, les ayants droit sont incités à
partager leur connaissance et leur savoir avec les autres. Dans le cas
contraire, en l'absence de protection, les personnes ayant
développé une nouvelle innovation seraient poussées
à la garder secrète.
En effet, dans le cas d'une invention qui permet par exemple
d'augmenter la productivité d'une machine, l'inventeur aurait tout
intérêt à garder son invention secrète afin
d'être le seul à en bénéficier. Dans le cas
contraire, tous ses concurrents bénéficieraient gratuitement de
ces efforts.
Cette diffusion de la connaissance est même l'un des
principaux objectifs des régimes de propriété
industrielle. La condition posée à la protection de l'invention
est qu'elle soit divulguée et expliquée à tous dans la
demande de brevet. La connaissance humaine s'enrichit du seul fait du
dépôt de la demande de brevet.
Cela peut même faciliter un transfert de technologie des
pays développés vers les pays en voie de développement. En
l'absence d'une protection effective de leurs droits, les inventeurs seront
extrêmement réticents quand il s'agira de transférer son
savoir vers un pays en voie de développement :
« Strong and effective intellectual property
protection is a crucial factor in facilitating technology transfer as well as
attracting foreign direct investment in certain sectors of the economy that are
vital for sustainable development. »131
Ainsi, la mise en place d'un régime de
propriété intellectuelle efficace dans les pays musulmans est
conforme à l'intérêt général. En effet, la
connaissance des croyants sera enrichie d'une part grace au
développement d'une industrie créative nationale, et d'autre part
grace à des transferts de technologies facilités. Les
intérêts
131
Voir note supra 127
Page 2, §2.
Traduction : « Une protection forte et effective de la
propriété intellectuelle est un facteur crucial facilitant le
transfert de technologie autant qu'il attire les investissements
étrangers dans certains secteurs de l'économie qui sont
indispensables à une croissance pérenne. »
fondamentaux de l'Islam que sont le patrimoine et les
facultés intellectuelles sont donc bien conciliés par ce
caractère incitatif.
Pour illustration, Amir H. Khoury132 explique la
réussite de la politique de Dubaï en termes d'industrie
créative par le fait que soit effectivement appliqué le droit de
la propriété intellectuelle dans l'Emirat :
« By creating a multilayered economic model of
incentives that is coupled with a long-term investment in national IP-related
infrastructure, Dubai has, in effect, paved a distinctive "developmental"
track. »133
Cependant, cette rencontre entre les deux
intérêts n'est permise que tant que l'équilibre entre les
différents intérêts est préservé. Si les
ayants droit bénéficient de droits trop importants, où
même en abusent, les intérêts privés vont prendre le
dessus sur l'intérêt général.
Section II. La nécessité de l'existence
de limites à la propriété
intellectuelle.
Tant qu'ils permettent une meilleure diffusion de la
connaissance au sein de la société humaine, les droits de
propriété intellectuelle sont en conformité avec la notion
d'intérêt général au sens de l'Islam. Par contre,
à partir du moment où les intérêts privés
prévalent sur l'intérêt général, et que les
droits de propriété intellectuelle sont un frein à la
diffusion de la connaissance, ils deviennent alors contraire à la
Shari'a.
Pour Steven Jamar134 il est essentiel de prendre en
compte l'intérêt général dans
l'interprétation des lois sur la propriété intellectuelle
afin de maintenir l'équilibre entre l'intérêt des ayant
droits et celui des usagers des biens de propriété
intellectuelle. Comme il l'explique cet équilibre est essentiel :
132 Khoury, Amir. Dubai's new intellectual property based
economy. John Marshall review of Intellectual Property Law. n°84, 2009.
133 Page 109, § 3.
Traduction: « Par la création d'un
modèle économique de plusieurs couches d'incitations, qui
couplé avec des investissements à long terme dans des
infrastructures en relation avec l'industrie créative, Dubaï a
effectivement tracé une nouvelle voie « du développement
» ».
134
Voir note supra 84.
« If public interest is drawn too broadly and too
powerfully, it can be abused to remove protections for intellectual property on
the grounds that the whole society has need of or could benefit by unrestricted
use of the item. On the other hand, too narrow or restrictive a conception of
public interest can lead to imbalance in favor of private rights against the
public interest or welfare. »135
Les droits dont jouissent les créateurs sont
justifiés par le bénéfice que la population retire des
créations. Si ces créations ne sont pas diffusées, les
droits n'ont plus aucune justification. Il faut alors que l'Etat prévoit
des limitations à ces droits afin de maintenir l'équilibre.
Par exemple, Qaiser Ikbal136 rappelle que les pays
occidentaux ont fait pression sur les pays émergeants, et notamment sur
l'Inde, afin que ceux-ci abandonnent leur industrie du médicament
générique et protègent mieux les brevets sur les
médicaments. Cependant, si cette contrefaçon était aussi
développée, c'était notamment à cause du prix
exorbitant exigé par les laboratoires des pays occidentaux pour faire
usage de leurs brevets.
Dans cette situation, on est évidemment en face d'un
abus des ayants droit. Si l'on ne peut bien entendu pas attendre des personnes
privées qu'elles prennent en compte d'autres intérets que les
leurs, il est néanmoins de la responsabilité des Etats et des
instances internationales de créer des limites à ces droits afin
de mieux prendre en compte l'intéret général.
Le droit de l'OMC permet aux Etats de créer des
exceptions aux droits prévus par les ADPIC137. Cela reste
cependant un mécanisme d'exception, les mesures
135 Page 7, § 4.
Traduction: « Si l'intér/t
général fait l'objet d'une application trop large ou trop forte,
il peut en ~tre fait un abus afin de faire disparaitre la protection de la
propriété intellectuelle parce que l'ensemble de la
société aurait un besoin ou pourrait bénéficier du
libre usage du bien. D'un autre côté, une conception trop
étroite ou restrictive de l'intérit général peut
mener à un déséquilibre en faveur des droits privés
et contre l'intérit ou le bienttre général. »
136
Voir note supra 89.
137 Par exemple pour les brevets : « Article 30
Exceptions aux droits conférés
Les Membres pourront prévoir des exceptions
limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet,
à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière
injustifiée à l'exploitation normale du brevet ni ne causent un
préjudice injustifié aux intérêts légitimes
du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes
des tiers. »
prises sur cette base souffriront donc toujours d'une
insécurité juridique certaine et leurs effets seront
nécessairement limités.
Par contre, il est aussi permis à un Etat de faire
usage de licences obligatoires pour ses propres besoins dans le domaine des
brevets138. Ces licences obligatoires peuvent même être
utilisées pour les besoins d'autres Etats qui ne disposent pas d'une
capacité de production suffisante dans le cas des
médicaments139.
Des limitations sont aussi possibles dans les autres domaines
de la propriété intellectuelle. Ainsi pour le droit d'auteur,
l'article 13 de l'accord ADPIC prévoit que des dérogations
peuvent être prévues par les Etats.
De façon général, il est permis aux Etats
dans l'accord instituant l'OMC, et dans les ADPIC, de déroger à
leurs obligations. Les conditions sont assez strictes, mais la jurisprudence
les a aujourd'hui assez clairement définies, diminuant de facto
l'insécurité juridique pesant sur l'usage du mécanisme
d'exception.
Ainsi, le droit international contient des mécanismes
d'exception permettant de maintenir l'équilibre entre les
intérêts des personnes privées et l'intérêt
général. Les Etats musulmans doivent donc les mettre en
application dans leurs lois afin de garantir l'intérêt
général. Ainsi sera permise une parfaite compatibilité
entre leur droit de la propriété intellectuelle et la Shari'a.
138 Article 31 de l'accord ADPIC.
139 Décision du conseil général de l'OMC du
6 décembre 2005.
Conclusion :
Pour conclure ce mémoire, il faut constater qu'aucune
règle de la Shari'a ne s'oppose à la propriété
intellectuelle. De plus, cette dernière semble etre en complète
conformité avec les prescriptions religieuses de l'Islam.
Tout d'abord, le concept de propriété tel qu'il
est décrit dans la Shari'a peut tout à fait s'appliquer à
des biens intangibles. En effet, ces derniers faisant l'objet de transactions
financières deviennent « Mal », autrement dits pouvant faire
l'objet de propriété, cette propriété étant
acquise soi par le travail, soi par un acte de commerce.
La Shari'a ne s'oppose pas non plus à la transmission
des droits à des tiers selon les usages contractuels en vigueur. Les
parties devront seulement s'assurer que les éléments tels que
l'objet et la rémunération sont clairement définis afin
que le contrat ne soit pas frappé d'imprécision. Mais dans ce
dernier cas, on ne fait pas face à une incompatibilité de
principe, mais seulement à une difficulté pouvant
apparaître ponctuellement.
Une fois démontré que les actifs intangibles
pouvaient être des objets de commerce, il a fallu montrer leur
compatibilité avec les intérêts fondamentaux de l'Islam.
Pour cela il a fallu trouver une solution à la contradiction classique
concernant la propriété intellectuelle et qui oppose
l'intéret économique des créateurs et la
nécessité de diffuser la connaissance le plus largement possible.
La solution réside dans le caractère incitatif de la
propriété intellectuelle.
La majorité des écoles juridiques musulmanes
arrivent d'ailleurs à cette solution, c'est-à-dire à la
compatibilité. Certain étant même intransigeants avec les
contrefacteurs. Par exemple, pour Heba A. Raslan140 la Shari'a ne
peut en aucun cas servir de justification à la contrefaçon :
« Shari'a does not provide an excuse for denying
national and foreign intellectual property owners their rights. Nor does it
provide an excuse for implementing lax enforcement of intellectual property
laws. To the contrary, the
140
Voir note supra 25.
principles of Shari'a enjoin any transgression of these
rights and oblige Muslim governments to strongly guard and enforce them.
»141
Non seulement le fait pour un Etat de protéger les
droits de propriété intellectuelle n'est pas contraire à
la Shari'a, mais c'est en plus un devoir sacré pour les musulmans de les
respecter comme tout droit de propriété. Cette sacralité
est due au fait que, en droit musulman, tout ce que possède un homme lui
a été remis par Dieu. Ainsi, ne pas respecter son droit revient
à ne pas respecter la volonté divine, et ce, que le
propriétaire soit musulman ou non.
Il demeure tout de même une condition à respecter
afin de garantir cette conformité de la propriété
intellectuelle à la Shari'a. La loi doit poursuivre
l'intérêt général et ne pas donner d'avantages indus
aux créateurs. Les droits de propriété intellectuelle sont
compatibles tant qu'ils permettent un enrichissement de la connaissance humaine
sans pour autant priver la population des bienfaits de cette connaissance. Ida
Medieha Abdul Ghani Azmi142 rappelle ce principe en conclusion de sa
thèse :
« The preservation of life a takes priority over
other mundane concerns particularly that relating to financial rewards and
security to those involved in developing such inventions.
»143
Mais cette condition est loin d'être insurmontable et
peut tout à fait être justifiée dans le cadre des ADPIC et
du droit de l'OMC. De plus, loin d'être la preuve d'un quelconque
archaïsme religieux, cette condition est de bon sens et devrait
constamment guider le législateur. En effet, à partir du moment
où la population ne bénéficie plus de savoirs à
cause de la propriété intellectuelle, cette dernière n'a
plus lieu d'être.
141
Page 559, dernier §.
Traduction : « La Shari'a ne peut servir de
prétexte au non respect des droits des ayants droit if
nationaux et étrangers. Elle ne peut pas non plus servir de
prétexte à une application laxiste des lois sur la
propriété intellectuelle. Au contraire, les principes de la
Shari'a interdisent toute transgression de ces droits et obligent les
gouvernements musulmans à les protéger et à les mettre en
application efficacement ».
142
Voir note supra 101.
143 Page 312, § 3.
Traduction : « La préservation de la vie ~ est
prioritaire sur les autres préoccupations terrestres, en particulier sur
celle relative aux avantages et garanties financiers de ceux qui travaillent
dans le développement de ces inventions ».
En ce qui concerne l'intéret de démontrer la
compatibilité entre la propriété intellectuelle et la
Shari'a, il semble que cette démonstration ne demeure pas sans effet. La
connaissance par les croyants de l'obligation de respecter les droits des
créateurs permet d'obtenir que ces droits soient mieux
protégés. Une anecdote démontre cela. Le grand Mufti du
Caire Al-Azhar prononça une fatwa contre la contrefaçon en
coopération avec le Business Software Alliance.144 Ghada
Khalifa, Directeur de la section antipiratage de Microsoft Egypte, raconte la
réaction d'un directeur d'une grande entreprise égyptienne suite
à cette fatwa145 :
« The day after [the fatwa] was issued, a major
Egyptian business executive phoned Microsoft's Cairo offices and asked the
company to review all of his software and to remove any illegal copies . . .
[w]hen he [the businessman] was told that it was haram (Arabic for
`forbidden'), he called and said `I'm not going to keep it for one more
minute. »146
Cette histoire montre le rôle joué par la
religion dans ces pays et à quel point il est important que la
propriété intellectuelle soit compatible avec la Shari'a. Cela
démontre aussi qu'il est nécessaire de le faire savoir, car les
populations ignorent souvent qu'elles commettent un acte illégal. De
cette manière, les droits de propriété intellectuelle
bénéficieront d'un plus grand respect de la part des populations
des pays musulmans et d'une meilleure application par les pouvoir publics.
Néanmoins, la démonstration et l'explication de
la compatibilité avec la Shari'a ne permettront pas d'éliminer
entièrement la contrefaçon dans les pays musulmans. La religion
n'est dans notre cas qu'un aspect d'une controverse plus globale.
Les pays musulmans font tous partis des pays en voie de
développement, voir même des pays les moins avancés pour
certain. Certains auteurs dans le monde
144
Association de défense des droits des développeurs
de logiciels propriétaires. Les membres sont
en autres : Microsoft, Adobe, Apple, Intel, Dell...
145
Voir note supra 25.
146
Page 503, § 3.
Traduction : « Le lendemain de la publication de la
Fatwa, un important chef d'entreprise égyptien téléphona
aux bureaux de Microsoft au Caire et demanda à la société
de vérifier tous ses logiciels et de désinstaller toutes les
copies illégales~ [q]uand il [le dirigeant] a su que c'est haram («
interdit » en arabe), il appela et dit, je ne vais pas les conserver une
minute de plus ».
considèrent que la propriété
intellectuelle ne profite qu'aux pays développés. Ces derniers en
feraient usage afin de maintenir les pays en voie de développement dans
le rôle de pays consommateurs. C'est ce qu'Amir Khoury appelle « la
théorie de la dépendance »147 :
« [T]he «world capitalist economy has resulted
from a relation[ship] of domination by a few `metropolitan' countries (the
`[Center]') and the `subjugation' and subordination of most of Africa, Asia and
Latin America (the `periphery').» According to this line of reasoning, the
«Periphery» was prevented from attaining industrialization and
remained the supplier of primary products. »148
Dans ce raisonnement, les accords ADPIC sont montrés
comme étant des outils de cette domination, imposés aux pays en
voie de développement par les pays industrialisés. Cette
controverse dépasse largement la question religieuse et s'impose dans
les relations interétatiques nord/sud et concerne des populations de
toute confession.
147
Voir note supra 132.
148 Page 92, § 3.
Traduction : « « L'économie capitaliste
mondiale est le résultat d'une relation de domination par quelques pays
métropolitains (le « Centre ») et la « soumission »,
et la subordination, de la majeure partie de l'Afrique, de l'Asie et de
l'Amérique latine (la « Périphérie »). »
Selon ce raisonnement, la
« Périphérie » a été
empêchée de sindustrialiser et est demeurée fournisseuse de
matières premières ».
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