Influence des facteurs comportementaux
Des accuses sur leur défense en
assises
GARNIER Corinne 2010
DU Criminologie et science criminelle
Propos introductifs
Evoquer l'indivisibilite du droit penal et de la manifestation
de la verite pourrait, de prime abord, apparaItre comme une lapalissade. Une
telle affirmation pourrait prêter a sourire si elle ne devait être
regardee que d'un seul point de vue technique en omettant la prise en
consideration de ses multiples incidences sociologiques, philosophiques,
collectives et individuelles qui ont marque et marquent aujourd'hui encore
l'esprit du citoyen depourvu de culture juridique.
La force de cette indivisibilite est telle qu'elle s'exerce
comme une constante dans la duree bien au-delà de la fin prononcee du
système accusatoire, engendrant et ancrant un mecanisme
quasi-inconscient de defiance du citoyen tant envers le regard qu'il pose sur
ses propres actes qu'envers une justice rendue en son propre nom.
Cette defiance relève, entre autre, d'un
phenomène de crainte collective parfois exacerbe par l'influence de la
personnalite, souvent largement alimente par une presse avide d'erreurs
judiciaires, et de scandales, adepte du voyeurisme. Cette presse, a l'instar du
foisonnement des creations litteraires et cinematographiques concourt a la
mystification du système judiciaire et enracine dans l'esprit populaire
non la conscience de l'utilite de la norme et le souci de son respect mais la
preoccupation quasi-systematique d'eviter le contact avec le milieu
judiciaire.
L'objet de cette etude n'est en aucun cas l'analyse
symptomatique d'un phenomène remarquable d'incomprehension mais de
tenter d'en evaluer l'impact lorsque circonstances et actes font de quelque
citoyen un criminel.
Une part du phenomène semble trouver sa source dans
l'histoire du droit penal et de la procedure drainee au fil des regimes
politiques et des systèmes repressifs, amplifiee au fil des
siècles par la prise de conscience suscitee par l'evolution des
philosophies et des moeurs :
Memoire collective et ancestrale de la barbarie des peines
archaIques ; Peur intemporelle de l'aveu et de son corollaire : la peine...
l'individu auteur presume se change en spectateur de son propre
procès... emmure dans ses incoherences et ses terreurs, balayant d'un
regard la gymnastique oratoire de son avocat, impuissant, assistant a l'auto
-flagellation de son client.
Près de vingt siècles avant Jesus Christ, la
civilisation hebraIque consacrait l'implacabilite de la sanction en cas
d'homicide. Si les parents de la victime ne se contentaient pas des dons
offerts par le meurtrier, le refus de la composition pecuniaire laissait
subsister le droit de la vengeance.
Le coupable, confessant son malheur et ses remords,
recherchait l'accomplissement du sacrifice expiatoire. Son sang purifiait le
groupe social auquel il appartenait et que son acte avait atteint dans sa
vision de l'ordre divin.
L'Egypte antique concedait une place de choix au combat livre
par l'accusation et la defense, combat silencieux, exclusivement ecrit et non
contradictoire.*
L'accusateur deboute subissait le châtiment du au crime
dont il avait charge l'accuse. Dans une societe de droit elabore dans laquelle
Sabaton abolit la peine de mort au profit de l'enchaInement des condamnes a des
travaux sur des ouvrages publics; ou l'on se preoccupait du respect des
procedures, de la qualification des faits et des circonstances de leur
commission; la question fondamentale de la preuve n'etait pas abordee. Le
temoignage dont la valeur dependait de la caste de son auteur palliait le cas
echeant au defaut d'aveu.
L'epoque justinienne reservait a l'aveu une place specifique
mais ô combien centrale dans la procedure civile. En permettant a l'aveu
de faire l'economie d'un jugement, ce dernier se trouvait de facto nanti du
pouvoir absolu d'aneantir toute tentative de construction d'une defense. Le
choix du mutisme etait consacre par les textes...assorti d'une sanction
specifique.*
Le droit penal romain ne reconnaissait quant a lui aucune
place a l'aveu ; la confessio semblait absente de l'institution de la preuve,
mais l'etait-elle reellement ? Certes, la codification n'y faisait pas la
moindre reference mais qu'en etait-il de la plus importante des normes
comportementales des accuses qui visait a ne jamais reconnaItre les fautes qui
leur etaient imputees ?...L'aveu du crime constituait la voie inevitable de
l'execution capitale, peut-on en ce contexte ne conferer a l'aveu une moindre
valeur juridique ?
Ciceron parvint a faire admettre l'aveu comme preambule de la
defense: l'aveu prejudiciel deplaçait le debat sur la qualification des
faits dont la nature criminelle serait contestee. Compte tenu des fortes
probabilites de l'issue des debats de l'epoque, il relevait de l'instinct de
survie des accuses que de risquer de se prêter au OE jeu .
*L'aveu Renaud Dulong
*Histoire du droit criminel des peuples anciens, A Du Boys
1845
Le moyen age marquera sans nul doute irremediablement la
memoire humaine empreinte de la periode inquisitoire. L'indicible etait dit,
hurle, gemi, de la bouche des accuses dans un climat d'horreur cree a cet
effet, marque du sceau de l'irrationalisme religieux au combien
justificateur.
La procedure canonique gagne le terrain de l'application du
droit laIque marque par la fièvre des grands procès
politico-religieux du XIVème siècle. Si incriminations et formes
procedurales varient considerablement selon les lieux, de l'heresie a
l'envoOtement, les juges sous couvert d'un insatiable desir de lutte contre les
forces sataniques assurent dans la terreur la consecration du pouvoir royal ou
pontifical; acclames par le peuple oublieux que la fama ne connaIt comme seule
limite, la haine, la vengeance, la jalousie, la jouissance de la torture de
l'autre.
L'impulsion des legistes en terminera definitivement avec cet
episode, prefigurant l'unification du droit et la periode revolutionnaire.*
Privilegiant la justice royale dans le règlement des
conflits de lois existant ordonnances royales et bulles pontificales, ils
affichent une volonte d'amelioration de la procedure criminelle dans un souci
d'efficacite de la justice.
L'Ordonnance criminelle de 1670, redigee sous l'impulsion d'un
oncle de Colbert, Henri Pussort instituera une instruction d'inspiration
inquisitoire sacrifiant les droits de la defense sur l'autel du resultat.
Ainsi debute le long et lent periple de la France vers la
patrie des Droits de l'Homme et des libertes fondamentales...periple infini,
quête perpetuelle d'une impossible d'adequation : celle de la justice et
de l'equite, de la tolerance et de la repression, Des droits de la Defense et
de l'Action Publique...
Si les avancees realisees sont indeniables, la conscience humaine
a-t-elle pour autant oublie l'histoire sanglante de ses propres systèmes
repressifs et les principales dispositions du code de 1791 ?
*« Art. 1: Les peines qui seront prononcées
contre les accusés trouvés coupables par le jury, sont la peine
de mort, les fers, la réclusion dans la maison de force, la gêne,
la détention, la déportation, la dégradation civique, le
carcan.
Art. 2: La peine de mort consistera dans la simple privation
de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture
envers les condamnés.
Art. 3: Tout condamné aura la tête
tranchée.
Art. 14: Tout condamné à la peine de la
gêne sera enfermé seul dans un lieu éclairé, sans
fers ni liens; il ne pourra avoir pendant la durée de sa peine, aucune
communication avec les autres condamnés ou avec des personnes du dehors.
»
L'être humain construit sa personnalite en composant son
psychisme avec des facteurs environnementaux personnels; lesquels se combinent
avec des facteurs sociologiques.
Le criminel gère son acte a partir de ces mecanismes, le
contenu de ces composantes est unique, personnel, individuel...rattache a de
multiples influences, anciennes ou recentes de la vie de l'individu.
Face a la complexite de l'analyse comportementale ; un enjeu
pour l'avocat de la defense: un enjeu unique et multiple a la fois : celui de
l'obtention d'une peine adaptee en vue de garantir a son client l'existence
d'une chance de se peindre un destin, une vie d'homme libre, responsable et
maître de son devenir.
La defense, contrairement a la science du droit penal et de la
procedure ne s'apprend pas. Elle s'enseigne en revanche au travers l'experience
et le vecu des plus grands penalistes.
La defense est regie de principes, de normes techniques mais
aussi de règles non ecrites, non dites, de celles qui s'appliquent dans
l'instant, dans l'emotion du moment.
L'avocat contemporain subit une double confrontation, celle de
l'evolution de sa prestation et de son adaptation permanente a la mouvance de
la vision sociale du crime et celle de la necessite imperieuse de reussir
l'approche psychologique de son client pour lui permettre de gerer la
scène de son propre jugement.
Cette approche psychologique se caracterise par son degre de
difficulte, elle ne repose sur aucune formation specifique pour l'immense
majorite des defenseurs qui ne disposent donc pas de possibilite de repli
theorique, ni de lien institutionnel avec les experts dont la mission est
reduite a un etat descriptif.
La Defense autodidacte tente en funambule la gestion du risque
comportemental, assumant l'impact sur les verdicts rendus et les tragedies
humaines qui peuvent en decouler...
*Apercu de l'histoire du droit penal francais JP Doucet
*Introduction histoire du droit penal Dalloz
Maître Lombard et Maître Le Forsonney ne sauveront
pas Christian RANUCCI. Extrait des nombreux commentaires de la presse de
1976 :
« Au cours de son procès l'accusé se
montre arrogant et conteste l'ensemble du dossier. Il revient bien entendu sur
ses aveux qui lui ont, selon lui, été suggéré par
les policiers. Son comportement fait une impression désastreuse aux
jurés. »
Le 28 juillet 1976, ses avocats l'assistent vers une mort
audiencée, au petit matin, dans la cour de la prison des Baumettes...
La presse ne commentera jamais le vécu de ses avocats.
Si l'abolition de la peine de mort a mis un terme a de telles
scenes, la problematique reste entière : le comportement de
l'accusé pèse sur la sanction prononcée, au même
titre que l'acte commis et les éléments du dossier.
Nantis de leurs seules compétences juridiques et de leurs
qualites humaines, les avocats pénalistes sont-ils réellement en
capacité d'accomplir au mieux l'immensité de la tâche qui
leur incombe ?
Dans un contexte ou l'enjeu majeur semble resider en
l'adaptation de la prestation aux mutations du droit, l'évolution de la
place conférée aux mesures expertales et a la pression sociale et
mediatique, l'avocat dispose t-il de reels outils d'analyse de l'état
psychologique de son client, du temps nécessaire a cette
réflexion et de la formation adaptée ?
L'impact du comportement de l'accusé sur le verdict
tant au stade de la determination de la culpabilité qu' celui de la
peine prononcée devra être pris en compte par son défenseur
qui tentera d'en limiter les risques d'effets negatifs.
L'amélioration de cette prise en compte du facteur
humain, doit, de par sa nature imprévisible, faire l'objet d'une
réflexion axée sur les moyens mis a disposition des praticiens
tant sur un plan interne a la profession que sur un plan contextuel favorisant
l'appréhension de la problematique au service des droits de la
defense.
La premiere partie de ce mémoire sera en consequence
consacrée a la description des facteurs d'évolution de la
construction des strategies de defense; tandis que la seconde partie
s'attachera a la recherche d'axes de progrès dans une tentative de
gestion plus particulière des seuls facteurs comportementaux
émanant de l'accusé par son avocat.
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