Influence des facteurs comportementaux
Des accuses sur leur défense en
assises
GARNIER Corinne 2010
DU Criminologie et science criminelle
Propos introductifs
Evoquer l'indivisibilite du droit penal et de la manifestation
de la verite pourrait, de prime abord, apparaItre comme une lapalissade. Une
telle affirmation pourrait prêter a sourire si elle ne devait être
regardee que d'un seul point de vue technique en omettant la prise en
consideration de ses multiples incidences sociologiques, philosophiques,
collectives et individuelles qui ont marque et marquent aujourd'hui encore
l'esprit du citoyen depourvu de culture juridique.
La force de cette indivisibilite est telle qu'elle s'exerce
comme une constante dans la duree bien au-delà de la fin prononcee du
système accusatoire, engendrant et ancrant un mecanisme
quasi-inconscient de defiance du citoyen tant envers le regard qu'il pose sur
ses propres actes qu'envers une justice rendue en son propre nom.
Cette defiance relève, entre autre, d'un
phenomène de crainte collective parfois exacerbe par l'influence de la
personnalite, souvent largement alimente par une presse avide d'erreurs
judiciaires, et de scandales, adepte du voyeurisme. Cette presse, a l'instar du
foisonnement des creations litteraires et cinematographiques concourt a la
mystification du système judiciaire et enracine dans l'esprit populaire
non la conscience de l'utilite de la norme et le souci de son respect mais la
preoccupation quasi-systematique d'eviter le contact avec le milieu
judiciaire.
L'objet de cette etude n'est en aucun cas l'analyse
symptomatique d'un phenomène remarquable d'incomprehension mais de
tenter d'en evaluer l'impact lorsque circonstances et actes font de quelque
citoyen un criminel.
Une part du phenomène semble trouver sa source dans
l'histoire du droit penal et de la procedure drainee au fil des regimes
politiques et des systèmes repressifs, amplifiee au fil des
siècles par la prise de conscience suscitee par l'evolution des
philosophies et des moeurs :
Memoire collective et ancestrale de la barbarie des peines
archaIques ; Peur intemporelle de l'aveu et de son corollaire : la peine...
l'individu auteur presume se change en spectateur de son propre
procès... emmure dans ses incoherences et ses terreurs, balayant d'un
regard la gymnastique oratoire de son avocat, impuissant, assistant a l'auto
-flagellation de son client.
Près de vingt siècles avant Jesus Christ, la
civilisation hebraIque consacrait l'implacabilite de la sanction en cas
d'homicide. Si les parents de la victime ne se contentaient pas des dons
offerts par le meurtrier, le refus de la composition pecuniaire laissait
subsister le droit de la vengeance.
Le coupable, confessant son malheur et ses remords,
recherchait l'accomplissement du sacrifice expiatoire. Son sang purifiait le
groupe social auquel il appartenait et que son acte avait atteint dans sa
vision de l'ordre divin.
L'Egypte antique concedait une place de choix au combat livre
par l'accusation et la defense, combat silencieux, exclusivement ecrit et non
contradictoire.*
L'accusateur deboute subissait le châtiment du au crime
dont il avait charge l'accuse. Dans une societe de droit elabore dans laquelle
Sabaton abolit la peine de mort au profit de l'enchaInement des condamnes a des
travaux sur des ouvrages publics; ou l'on se preoccupait du respect des
procedures, de la qualification des faits et des circonstances de leur
commission; la question fondamentale de la preuve n'etait pas abordee. Le
temoignage dont la valeur dependait de la caste de son auteur palliait le cas
echeant au defaut d'aveu.
L'epoque justinienne reservait a l'aveu une place specifique
mais ô combien centrale dans la procedure civile. En permettant a l'aveu
de faire l'economie d'un jugement, ce dernier se trouvait de facto nanti du
pouvoir absolu d'aneantir toute tentative de construction d'une defense. Le
choix du mutisme etait consacre par les textes...assorti d'une sanction
specifique.*
Le droit penal romain ne reconnaissait quant a lui aucune
place a l'aveu ; la confessio semblait absente de l'institution de la preuve,
mais l'etait-elle reellement ? Certes, la codification n'y faisait pas la
moindre reference mais qu'en etait-il de la plus importante des normes
comportementales des accuses qui visait a ne jamais reconnaItre les fautes qui
leur etaient imputees ?...L'aveu du crime constituait la voie inevitable de
l'execution capitale, peut-on en ce contexte ne conferer a l'aveu une moindre
valeur juridique ?
Ciceron parvint a faire admettre l'aveu comme preambule de la
defense: l'aveu prejudiciel deplaçait le debat sur la qualification des
faits dont la nature criminelle serait contestee. Compte tenu des fortes
probabilites de l'issue des debats de l'epoque, il relevait de l'instinct de
survie des accuses que de risquer de se prêter au OE jeu .
*L'aveu Renaud Dulong
*Histoire du droit criminel des peuples anciens, A Du Boys
1845
Le moyen age marquera sans nul doute irremediablement la
memoire humaine empreinte de la periode inquisitoire. L'indicible etait dit,
hurle, gemi, de la bouche des accuses dans un climat d'horreur cree a cet
effet, marque du sceau de l'irrationalisme religieux au combien
justificateur.
La procedure canonique gagne le terrain de l'application du
droit laIque marque par la fièvre des grands procès
politico-religieux du XIVème siècle. Si incriminations et formes
procedurales varient considerablement selon les lieux, de l'heresie a
l'envoOtement, les juges sous couvert d'un insatiable desir de lutte contre les
forces sataniques assurent dans la terreur la consecration du pouvoir royal ou
pontifical; acclames par le peuple oublieux que la fama ne connaIt comme seule
limite, la haine, la vengeance, la jalousie, la jouissance de la torture de
l'autre.
L'impulsion des legistes en terminera definitivement avec cet
episode, prefigurant l'unification du droit et la periode revolutionnaire.*
Privilegiant la justice royale dans le règlement des
conflits de lois existant ordonnances royales et bulles pontificales, ils
affichent une volonte d'amelioration de la procedure criminelle dans un souci
d'efficacite de la justice.
L'Ordonnance criminelle de 1670, redigee sous l'impulsion d'un
oncle de Colbert, Henri Pussort instituera une instruction d'inspiration
inquisitoire sacrifiant les droits de la defense sur l'autel du resultat.
Ainsi debute le long et lent periple de la France vers la
patrie des Droits de l'Homme et des libertes fondamentales...periple infini,
quête perpetuelle d'une impossible d'adequation : celle de la justice et
de l'equite, de la tolerance et de la repression, Des droits de la Defense et
de l'Action Publique...
Si les avancees realisees sont indeniables, la conscience humaine
a-t-elle pour autant oublie l'histoire sanglante de ses propres systèmes
repressifs et les principales dispositions du code de 1791 ?
*« Art. 1: Les peines qui seront prononcées
contre les accusés trouvés coupables par le jury, sont la peine
de mort, les fers, la réclusion dans la maison de force, la gêne,
la détention, la déportation, la dégradation civique, le
carcan.
Art. 2: La peine de mort consistera dans la simple privation
de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture
envers les condamnés.
Art. 3: Tout condamné aura la tête
tranchée.
Art. 14: Tout condamné à la peine de la
gêne sera enfermé seul dans un lieu éclairé, sans
fers ni liens; il ne pourra avoir pendant la durée de sa peine, aucune
communication avec les autres condamnés ou avec des personnes du dehors.
»
L'être humain construit sa personnalite en composant son
psychisme avec des facteurs environnementaux personnels; lesquels se combinent
avec des facteurs sociologiques.
Le criminel gère son acte a partir de ces mecanismes, le
contenu de ces composantes est unique, personnel, individuel...rattache a de
multiples influences, anciennes ou recentes de la vie de l'individu.
Face a la complexite de l'analyse comportementale ; un enjeu
pour l'avocat de la defense: un enjeu unique et multiple a la fois : celui de
l'obtention d'une peine adaptee en vue de garantir a son client l'existence
d'une chance de se peindre un destin, une vie d'homme libre, responsable et
maître de son devenir.
La defense, contrairement a la science du droit penal et de la
procedure ne s'apprend pas. Elle s'enseigne en revanche au travers l'experience
et le vecu des plus grands penalistes.
La defense est regie de principes, de normes techniques mais
aussi de règles non ecrites, non dites, de celles qui s'appliquent dans
l'instant, dans l'emotion du moment.
L'avocat contemporain subit une double confrontation, celle de
l'evolution de sa prestation et de son adaptation permanente a la mouvance de
la vision sociale du crime et celle de la necessite imperieuse de reussir
l'approche psychologique de son client pour lui permettre de gerer la
scène de son propre jugement.
Cette approche psychologique se caracterise par son degre de
difficulte, elle ne repose sur aucune formation specifique pour l'immense
majorite des defenseurs qui ne disposent donc pas de possibilite de repli
theorique, ni de lien institutionnel avec les experts dont la mission est
reduite a un etat descriptif.
La Defense autodidacte tente en funambule la gestion du risque
comportemental, assumant l'impact sur les verdicts rendus et les tragedies
humaines qui peuvent en decouler...
*Apercu de l'histoire du droit penal francais JP Doucet
*Introduction histoire du droit penal Dalloz
Maître Lombard et Maître Le Forsonney ne sauveront
pas Christian RANUCCI. Extrait des nombreux commentaires de la presse de
1976 :
« Au cours de son procès l'accusé se
montre arrogant et conteste l'ensemble du dossier. Il revient bien entendu sur
ses aveux qui lui ont, selon lui, été suggéré par
les policiers. Son comportement fait une impression désastreuse aux
jurés. »
Le 28 juillet 1976, ses avocats l'assistent vers une mort
audiencée, au petit matin, dans la cour de la prison des Baumettes...
La presse ne commentera jamais le vécu de ses avocats.
Si l'abolition de la peine de mort a mis un terme a de telles
scenes, la problematique reste entière : le comportement de
l'accusé pèse sur la sanction prononcée, au même
titre que l'acte commis et les éléments du dossier.
Nantis de leurs seules compétences juridiques et de leurs
qualites humaines, les avocats pénalistes sont-ils réellement en
capacité d'accomplir au mieux l'immensité de la tâche qui
leur incombe ?
Dans un contexte ou l'enjeu majeur semble resider en
l'adaptation de la prestation aux mutations du droit, l'évolution de la
place conférée aux mesures expertales et a la pression sociale et
mediatique, l'avocat dispose t-il de reels outils d'analyse de l'état
psychologique de son client, du temps nécessaire a cette
réflexion et de la formation adaptée ?
L'impact du comportement de l'accusé sur le verdict
tant au stade de la determination de la culpabilité qu' celui de la
peine prononcée devra être pris en compte par son défenseur
qui tentera d'en limiter les risques d'effets negatifs.
L'amélioration de cette prise en compte du facteur
humain, doit, de par sa nature imprévisible, faire l'objet d'une
réflexion axée sur les moyens mis a disposition des praticiens
tant sur un plan interne a la profession que sur un plan contextuel favorisant
l'appréhension de la problematique au service des droits de la
defense.
La premiere partie de ce mémoire sera en consequence
consacrée a la description des facteurs d'évolution de la
construction des strategies de defense; tandis que la seconde partie
s'attachera a la recherche d'axes de progrès dans une tentative de
gestion plus particulière des seuls facteurs comportementaux
émanant de l'accusé par son avocat.
PARTIE I :
Facteurs influents sur la défense en assises
La comparaison classique de la Cour d'Assises et d'un
theâtre s'impose au regard, ou plutôt a l'oreille du public comme
une evidence. Evidence a combien caricaturale pour ceux qui vivent et ne jouent
en aucun cas la gravite de ces instants...
Dans l'esprit du citoyen, les Assises sont indeniablement le
symbole de la justice en marche, de la magnificence de ses acteurs dont on tend
souvent a oublier que de la force des mots dependent des vies humaines, vies
d'innocents, de coupables, de victimes en quête de deuil... Au fil du
temps aucun detracteur de la juridiction criminelle n'a pu en affaiblir l'effet
de fascination qu'elle suscite.
La plus protocolaire des juridictions repressives semble,
très provisoirement a l'heure ou je l'ecris, relativement epargnee par
la multiplication des reformes, subissant comme seule grande evolution
perceptible pour le citoyen l'institution de l'appel depuis le 1er
janvier 2001. Neanmoins, nombre de mutations s'opèrent, necessitant une
constante adaptation des praticiens.
Si les vertus de l'art oratoire demeurent reines ; le poids
des tendances legislatives et des mesures expertales pèse sur les
strategies.
L'evolution de la criminalite et du seuil de tolerance sociale
complexifie la tâche de celui a qui incombe la responsabilite de defendre
l'indefendable. Lorsqu'a cela s'ajoute la gestion comportementale d'un client
dont la salle requiert la seule expression de son repentir, peu importe
d'ailleurs souvent sa culpabilite, la mission de l'avocat tend a se fondre dans
la prestation du prestidigitateur.
Le droit et la plaidoirie sont ce que le solfège est au
violon. Le lien qui les unit est aussi vital que tenu. Des annees
d'enseignement juridique ne sauraient garantir le talent, la sensibilite,
l'humanite necessaires a la reussite.
*On retrouve generalement deux grandes etapes dans une
plaidoirie traditionnelle: celle qui parle a la raison et celle qui parle au
coeur: le droit et la peroraison. La raison commande de rappeler les faits et
rester assez neutre, c'est une etape technique mettant en oeuvre la pertinence
et la rigueur dans le droit.
La peroraison met en oeuvre la passion, permet l'emancipation
des faits pour faire vibrer le coeur de la Cour et de jures, pris comme
adversaires qu'il s'agit de faire changer d'avis.
Ce descriptif, a combien sommaire, est bien evidemment
depourvu de la moindre pretention de tracer en quelques lignes la caricature
d'une prestation avant tout individuelle, personnelle, unique a son auteur
comme d'ailleurs a son client.
L'evolution de la defense en Assises repose sur trois
fondements principaux : l'evolution du droit penal et de la procedure, la
pression mediatique et sociologique et enfin le poids et les limites des
mesures expertales dans la manifestation de la verite.
Ces facteurs se combinent immanquablement a la psychologie de
l'accuse pour constituer ecueils et recifs au travers desquels la defense
tentera de frayer son chemin jusqu'à atteindre dans une mesure d'ampleur
variable son objectif : l'intime conviction.
Principaux fondements des evolutions de la prestation de
l'avocat :
? Evolutions corrélatives aux mutations du droit et
de la procédure pénale.
Les grandes évolutions procédurales
Les specificites des plaidoiries d'Assises, au-delà du
lien qui les unit tant aux individus qu'à la matière penale, sont
intimement liees a l'histoire de la Cour elle-même dont il convient dans
un premier temps de rappeler les principales etapes afin de conserver a
l'esprit les differents contextes politiques, sociologiques et juridiques dans
lesquels ont oeuvre les avocats de 1808 a nos jours.
Il serait presomptueux et totalement illusoire que de tenter
un recensement exhaustif des reformes legislatives assorti de l'analyse de
l'impact produit sur l'evolution des methodes employees par les defenseurs ;
seul un panel generique est en consequence presente.
* Site Internet Association Lysias
*Au debut de la Revolution de 1789, les juristes
français furent animes par la volonte d'en terminer avec le droit
monarchique et marquerent leur preference pour le système anglais qui
connaissait le jury a la fois pour le renvoi des accuses devant la juridiction
de jugement et pour le jugement au fond.
De cette volonte emana l'esprit de la loi des 16-21 septembre
1791 qui institua un tribunal criminel departemental. Ce tribunal etait compose
de citoyens statuant sur la culpabilite et de juges qui, en cas de verdict de
culpabilite rendu par ces citoyens, prononçaient la peine. Ce tribunal
criminel deviendra en 1808 la Cour d'Assises.
Le code d'instruction criminelle de 1810 abandonna le principe
instaure du jury d'accusation investi de la mission de statuer en appreciant
les charges sur le renvoi devant la juridiction de jugement. Ce college de
citoyens, confondant charges et preuves, votait souvent le non-lieu,
c'est-à-dire l'arrêt des poursuites.
Le jury d'accusation fut remplace par la chambre d'accusation,
section de la cour d'appel composee de trois magistrats professionnels.
Le second empire erige l'instruction en une juridiction.
La separation des fonctions des jures statuant sur la
culpabilite et des magistrats statuant sur la peine instituee a l'origine va
evoluer pour tendre vers un echevinage progressif.
Une premiere loi, du 25 juin 1824, confia a la cour,
c'est-à-dire aux trois juges professionnels, le soin de statuer sur les
circonstances attenuantes. On avait constate, dans des affaires d'infanticide
que les jures preferaient nier la culpabilite pour empêcher les juges de
prononcer une peine qui, a l'epoque, etait insusceptible d'être humanisee
par la voie des circonstances attenuantes.
Comme cependant la loi de 1824 confiant les circonstances
attenuantes aux juges et que les jures n'etaient jamais sOrs qu'ils en feraient
usage, une seconde loi, en date du 28 avril 1832, attribua au jury, cette fois,
le droit d'appliquer les circonstances attenuantes. Les jures votant la
culpabilite pouvaient egalement eviter le prononce de la peine de mort.
La loi du 5 mars 1932 permit au jury, après avoir
statue seul sur le fait de se joindre a la cour pour la deliberation sur la
peine.
La loi du 25 novembre 1941 est a l'origine du
système actuel: juges et jures statuent ensemble, en un college unique,
sur le fait et sur le droit*.
Ces dispositions seront reprises par le code de procedure
penale de 1959 dont l'article 356 dispose: OE La cour et le jury
delibèrent, puis votent par bulletins ecrits et par scrutins distincts
et successifs, sur le fait principal d'abord et, s'il y a lieu, sur chacune des
circonstances aggravantes, sur les questions subsidiaires et sur chacun des
faits constituant une cause legale d'exception ou de diminution de peine
ç.
*L'instauration par l'ordonnance du 2 fevrier 1945 d'une
Cour d'Assises des mineurs marque la prise en compte de la specificite du
jugement des crimes commis par les adolescents de plus de seize ans. Les
règles procedurales subissent les amenagements lies la personnalite de
l'accuse notamment le huis clos, l'interdiction de la transcription des debats
dans la presse, la publicite de la seule decision et la composition
particulière de cette juridiction dont les assesseurs sont juges des
enfants. La formulation des questions posees s'adapte au jeune age de l'accuse
et interroge sur l'opportunite de prononcer une condamnation penale et
d'exclure l'accuse de la diminution de peine. Le president peut demander au
mineur de se retirer durant une partie des debats afin de lui eviter le
traumatisme lie a la lecture de rapports sur son histoire ou celle de sa
famille.
Cette procedure derogatoire tend a demontrer une volonte de
permettre au mineur criminel juge de subir minima les effets psychologiques
devastateurs lies au vecu de sa comparution devant la juridiction criminelle.
L'etat d'esprit que semble refleter de telles dispositions se doit d'être
aussi celui des defenseurs, qu'ils interviennent en partie civile ou en
defense: la technique juridique dejà peu presente alors qu'il s'agit de
s'adresser et de convaincre un jury populaire fait place a une emotion
suscitee, mesuree et pudique, respectueuse de l'immense detresse, inimaginable,
inconcevable detresse de l'accuse...face a la souffrance des victimes.
La loi du 15 juin 2000 sur la presomption d'innocence a
rendu possible l'appel interjete contre les arrêts rendus par les Cours
d'Assises. L'instauration de l'appel criminel traduit la reconnaissance des
dangers de l'affirmation consistant a exclure tout risque d'erreur d'une
decision emanant du peuple jugeant souverainement et justifiant la Cassation
comme seul recours possible.* La reforme tire les consequences de l'inexistence
d'une garantie importante de bonne justice, la carence de double degre de
juridiction, alors même que les peines encourues et
effectivement prononcees justifient, au contraire, davantage de securite et a
pour objectif d'y remedier.
Même si, comme nous l'evoquerons dans la partie de ce
chapitre consacre aux perspectives d'evolution du droit et de la procedure
penale, elle concourt a l'affaiblissement des jurys populaires
*Site Internet Criminocorpus
*Guide des archives judiciaires et pénitentiaires JC
Fary
L'appel criminel se caracterise par son caractère
specifiquement non hierarchique : exerce devant une Cour d'Assises differente
de celle ayant statue en premier ressort mais ne constituant pas un second
degre de juridiction.
Cet appel circulaire de << seconde chance ç
reconnaIt que la justice, quelque soit l'organisation et la composition des
tribunaux est faillible : Mieux vaut deux declarations de culpabilite de deux
juridictions differentes, mais de même nature, avant de considerer un
homme coupable.
L'instauration de ce recours englobe dans une loi de renfort
sur la presomption d'innocence semble implicitement viser a limiter les risques
d'erreur judiciaire et va dans le sens d'une prise de conscience et de
responsabilite du legislateur face a l'impact humain des decisions rendues.
L'appel du ministère public sur une decision
d'acquittement etant prohibe par la loi, deux declarations de culpabilite
peuvent aboutir desormais a la condamnation d'une personne se proclamant
innocente. Mais force est de constater que la question de l'innocence se pose
de façon marginale en Assises, le travail de la defense est le plus
souvent axe sur le quantum de la peine. Le sort de l'accuse peut être
aggrave par appel du ministère public. La difficulte et l'ampleur de la
tâche de l'avocat ne s'en trouve en rien diminue. En revanche, le
caractère securisant de l'appel pour l'accuse lui-même et cet etat
de droit peut produire quelque effet sur sa psychologie et son comportement
durant les debats ; sous reserve d'une pedagogie adaptee employee en amont.
Les statistiques demontrent qu'en grande majorite (92%) les
cours d'assises d'appel confirment le sens de la culpabilite choisi par les
premiers jures.* La voie de l'appel est utilisee a 23% des arrêts rendus
en premiere instance en 2009, que ce soit a l'initiative de l'accuse ou du
ministère public.
Obtenir une intime conviction inverse a celle des premiers
jures relève en grande partie des secrets de l'alchimie judiciaire.
L'irrationnel critère geographique semble demontrer son incroyable part
de verite : Bordeaux serait moins sevère que Perigueux. NImes, plus
qu'Avignon. Ou Albi, plus que Toulouse, etc. Seule la cour d'appel de Paris, ou
les presidents d'assises tournent, echappe a ce hit-parade. Les chiffres, en
revanche, montrent le poids que peut avoir la seule decision de faire appel
d'un verdict. Le risque n'est jamais absent même si le taux national
d'acquittement passe de 6,2% en premiere instance a 9% en appel.
Les grandes évolutions de la matière
pénale
L'evolution des incriminations est aussi celle de des
mutations societales, philosophiques et politiques. De 1808 a nos jours, les
Cours d'Assises ont eu a juger de crimes qui ne sont plus et de crimes qui en
sont devenus.
A cet egard, l'historique de la repression de certains crimes est
significatif :
*En 1810, l'avortement est un crime passible de 10 ans
d'emprisonnement. En 1943, Marie-Louise Giraud est la dernière femme
condamnee a mort en France pour 26 avortements. L'avortement est
correctionnalise par une loi du 27 mars 1923 mais le but est d'eviter
l'indulgence des jures et faire juger l'acte par des professionnels moins
sensibles.
Avant la loi VEIL, le code penal condamnait l'avortement a 5
ans et l'auto-avortement par 2 ans. L'avortement d'une femme << supposee
enceinte ç ou commis avec des moyens inefficaces restaient punissables.
Autrement dit, l'avortement putatif constituait un delit.
L'evolution debute en 1967 par l'admission de la liberte de
contraception. La loi VEIL maintient la repression tout en autorisant trois cas
d'avortement. En 1992, le CP ne parle plus d'avortement : on sanctionne le non
respect des regles legales, l'auto-avortement ;
En 1993, on cree le delit d'entrave a l'IVG. Les reformes les
plus recentes datent du 4 juillet 2001, seul reste dans le code penal,
l'avortement sans le consentement de la femme.
Le viol constitue egalement une illustration typique de
l'evolution des incriminations : A l'origine, defini comme le fait pour un
homme d'avoir une relation sexuelle avec une femme contre son gre avec un
risque de grossesse. Cette conception a change pour s'adapter a l'evolution des
moeurs. Il devient en 1980 <<tout acte de penetration sexuelle de nature
quelconque qu'il soit commis sur la personne d'autrui par violence, menace,
contrainte ou surprise. ; definition prefigurant la disparition du delit
d'homosexualite en 1982.
* Précis Dalloz Droit Pénal Spécial
Le viol entre epoux a ete longtemps considere comme
impossible, le mariage emportant consentement aux relations sexuelles, en 1990,
la Cour de Cassation l'admet quand le mari impose la relation accompagnee
d'actes de torture et de barbarie. Dans un arrêt du 11 juin 1992, le viol
est possible quand les epoux sont en instance de divorce. La presomption de
consentement des epoux est affirmee comme une presomption simple par la Cour.
La loi du 4 avril 2006 incrimine le viol entre epoux et fait de la qualite de
la victime une circonstance aggravante, qu'elle soit ou non unit a l'auteur par
un lien matrimonial.
Le meurtre de l'enfant est un meurtre aggrave ; la legislation
actuelle protege le mineur de moins de quinze ans tandis que le code
napoleonien reprimait de façon specifique le seul infanticide constitue
par le fait de tuer un nouveau ne dans les premiers jours suivants sa
naissance. Les meurtres d'enfants, quelque soit l'âge de la victime
etaient reprimes comme le meurtre d'un adulte.
L'empoisonnement fait l'objet d'une repression specifique et
d'un traitement aggrave par rapport l'incrimination de meurtre. Les causes de
cette aggravation sont criminologiques et remontent a une epoque ou
l'empoisonnement etait particulièrement redoute en raison de son
caractère dissimule. Pendant très longtemps l'empoisonnement
etait particulièrement difficile a decouvrir compte tenu de la faiblesse
des connaissances toxicologiques : jugement de reprobation morale beaucoup plus
grand que pour le meurtre. Il s'en est suivi une incrimination specifique. Elle
n'a jamais ete remise en cause depuis. Cette specificite de l'empoisonnement a,
encore aujourd'hui, ete avancee dans certaines affaires pour defendre son
application là ou le meurtre n'aurait pas pu l'être : affaire du
sang contamine.
Après nombre de procès dechirants, la
legislation française de 2005 a choisi la voie de d'une reforme prudente
sur la question de l'euthanasie ; l'euthanasie directe ou indirecte, si elle
est passive n'est plus un crime mais relève du droit reconnu aux malades
en fin de vie: droit de refuser ou interrompre un traitement, droit accorde au
medecin d'arrêter le traitement, droit aux soins palliatifs.
En matière de suicide assiste, euthanasie de
compassion, celui-ci demeure un homicide avec premeditation mais en pratique
l'indulgence est frequente et a abouti a des decisions d'acquittement et
même de non lieu....
Au stade des incriminations, les evolutions sont innombrables
s'agissant des crimes mais egalement des delits se muant en crimes par le biais
des circonstances aggravantes, conduisant dans le box des accuses des
personnalites diversifiees generant chacune leur propre problematique
comportementale et necessitant une adaptabilite renouvelee de leurs
defenseurs.
Mais, La Mutation de ces deux siècles est intervenue au
stade de la peine, non de l'incrimination.
Incontestablement et intemporellement ; l'évolution
la plus marquante de l'histoire des Assises était, est et sera
l'abolition de la peine de mort.
Si l'historique vers l'abolition de la peine de mort en France
est precisement retrace par nombre d'ouvrages, les recherches de recits
d'executions capitales ou de plaidoiries visant la defense d'un accuse passible
de cette peine s'avèrent nettement moins aisees et ce pour une pluralite
de motifs de differents ordres :
D'une part, l'ancien article 15 du Code Penal interdisait a la
presse le recit d'une execution et si cette dernière defrayait la
chronique c'etait lors de son prononce et non lors de sa mise en oeuvre ;
l'aube choisie etant decidee en catimini, souvent des reception du rejet de la
demande de grace. L'avocat etait l'avant dernier prevenu, quelques heures avant
son client.
D'autre part, et cela n'est en rien specifique a la sentence
encourue, les plaidoiries ne sont par nature pas ecrites et rares sont celles
qui ont pu faire l'objet de retranscription y compris de leurs auteurs qui
seraient bien incapables de s'atteler a une tâche de redaction conforme a
la realite du propos tenu. Si l'argumentaire developpe se retrouve aisement, le
regard, le ton, le sentiment exprime eux, ne se vivent qu'une fois.
Enfin, les avocats qui ont connu l'immense douleur
d'accompagner leur client aux portes de la mort se sont peu exprimes sur ce
sujet qui, cela se conçoit, suscite des emotions que peu de mots sont
capables de porter.
*Les plaidoiries de la defense avant l'entree en vigueur de la
loi Badinter du 9 octobre 1981, ont suivi un cheminement parallèle a la
reflexion societale : on observe au travers de l'evolution de l'argumentation
un deplacement sensible du debat :
Temporairement resigne a la seule abolition de la torture en
1791, le discours est centre sur les preuves, les faits, le client; avant de
s'elargir progressivement jusqu'a prefigurer le discours de Robert Badinter
devant l'assemblee nationale le 17 septembre 1981. Le phenomène est
particulièrement significatif dans la defense d'Henry, Garceau et Bodin
mais se retrouve egalement dans les propos de MaItres Polak et Lombard (hors
affaire Ranucci ou il opta pour une strategie visant a creer le doute au profit
de l'innocence clamee par son client).
La partie civile n'est pas absente de cette evolution a
laquelle elle n'hesite pas a s'associer courageusement, faisant fi de la
vindicte populaire. Face a MaItres Lombard, Le Forsonney et Fraticelli, Gilbert
Collard se lance a son tour dans un plaidoyer implicite contre la peine de mort
: ne la reclamant pas, il exhorte l'accuse a la repentance, seule issue
possible pour epargner sa vie.
La sera sans doute son erreur, l'accuse n'exprimera aucun
remord d'un acte qu'il maintiendra n'avoir jamais commis et refusera toute
compromission estimant sauver son honneur au mepris de sa vie.
*Pour le defenseur du condamne a la peine capitale, le verdict
ne sonne pas le glas de la vie mais le debut d'un ultime combat: juridique dans
un premier temps, visant a l'aneantissement de l'arrêt de la Cour
d'Assises au (x) moyen (s) d'un hypothetique pourvoi en Cassation. Dans la
plupart des cas, la procedure est parfaitement respectee et l'avocat se
contente d'une declaration de pourvoi, confiant la difficile tâche de
redaction du memoire aux avocats a la Cour ; lesquels disposent, hormis leur
experience technique specifique, d'aucun moyen supplementaire. Le droit et rien
que le droit, depouille des faits, de tout être humain pourtant a
l'origine de son application. Telles sont les fonctions de la haute Cour qui
n'a pas a connaItre de la moindre esperance...nonobstant le fait que sa saisine
puisse en faire naItre dans l'esprit de son auteur en depit d'une realite
connue et de tout autre facteur. La sentence ne sera executee qu'après
rejet du pourvoi et de la demande de grace: la vie coule encore dans les veines
du monstre pour lequel on implore un sursaut d'humanite.
Au terme de ces recours, l'avocat s'entend detruire par une
voix sans âme l'ultime lueur d'espoir qu'envers et contre tous, il
n'avait pu eteindre en lui : l'annonce de l'horaire planifie de l'execution.
Les heures qui suivront seront marquees d'un phenomène etrange,
presqu'un comble pour qui maItrise l'art oratoire, qui du son de sa voix
depeint chaque scene a sa couleur, qui fait resonner chaque phrase bien au-dela
du seul sens des mots...Le silence soudain domine. Le silence s'impose la
oü deja les mots ne sont plus; le brouillard emmitoufle les conversations,
seuls les bruits de cles et les pas transpercent la lourdeur de ces
instants.
*Les avocats qui ont decrit ces moments l'ont fait avec une
immense pudeur, une solennite respectueuse de ceux qui ne sont plus. Sans
culpabilite car ils sont conscients de leur investissement, de ce qu'ils
ont donnéet de ce qu'ils vont donner en survivant a l'exécution
de leur client.
La loi du 9 octobre 1981 mettra un terme definitif au combat
mene par les avocats pour la survie physique de leur client; laissant entre
leurs mains une lutte differente mais toute aussi cruciale, la lutte pour
l'existence d'une chance, d'un espoir de vivre un jour une existence choisie
au-dela des actes commis.
Le combat des Assises n'est plus celui de la survie mais
demeure celui des droits et libertés fondamentaux ; celui de la
moderation, de la résistance a la tentation de ceder a une
frénésie de repression situant a nouveau le débat sur le
terrain de la vengeance et non du droit.
L'avocat de la defense est aujourd'hui confronte a deux
phenomènes revelateurs de notre epoque: la victimisation et la tentation
juridiquement habillee d'accrediter les theses de Lombroso sur l'incorrigible
criminel ne.
*Historiquement, une victime signifiait une personne vivante
offerte en sacrifice. Ce qui sous-entend qu'on lui infligeait cela malgre sa
volonte. Qu'il s'agisse d'une personne physique ou morale, d'une atteinte
individuelle ou collective, les textes juridiques ne definissent pas la victime
sauf a dire selon les droits vises (civils ou penaux) qu'elle est synonyme de
partie lesee, de plaignant, de partie civile, de personne ayant subi un
prejudice ou ayant personnellement souffert du dommage cause par
l'infraction.
De l'absence de reponse sociale donnee a la souffrance des
victimes, la legislation a evolue jusqu'a lui conferer une place centrale dans
la procedure repressive, instaurant correlativement un droit a l'indemnisation
integrale du prejudice subi de par les dispositions de la loi du 6 janvier
1990. Cette prise en charge de la victime modifie fondamentalement la
conception contemporaine de la repression et les strategies de defense mises en
oeuvre.
* Documentation Francaise discours R Badinter 17.09.1981 *
Journal d'un Avocat Document anonyme.
* Emile Polak la parole est a la defense 1975
Pour l'avocat de la partie civile, le combat est avant tout
interne et se joue bien avant l'audience : il ne saurait s'agir d'aller
quérir les dommages et intérêts liés a l'action
civile et qui, en matière criminelle ont d'ores et déja
été octroyés a son client par la saisine de la Commission
d'Indemnisation des Victimes d'Infraction mais d'exprimer la souffrance d'une
victime générée par la commission d'un acte criminel ;
souffrance sincere dont son défenseur doit être convaincu.
Car souffrance n'est pas vengeance, pas plus qu'indemnisation
n'est enrichissement.
*En psychologie, la victimisation signifie << l'attitude
par laquelle un sujet se pose en victime, dans le but conscient ou inconscient
de susciter chez autrui un sentiment de pitié ou même de
culpabilité, et de se protéger ainsi contre toute accusation ou
punition, tout en revendiquant indirectement la satisfaction de ses besoins
matériels ou affectifs ç.
Cependant, on ne peut pas dire que, parce qu'il y a atteinte a
l'intégrité physique, il y a automatiquement traumatisme. Les
psychologues parlent plutôt, de besoin d'un investissement narcissique
qui peut créer une tendance a faire de nos blessures, un besoin de
restauration et de réparation. Etre victime implique le besoin
d'être dédommagé, notamment si les politiques publiques
encouragent ce positionnement.
Les intervenants peuvent parfois confondre
rétablissement de l'ordre public et mission d'aide aux personnes. Leur
action tend ainsi a renforcer l'investissement narcissique de la blessure et a
transformer la victime en victime chronique.
Il ne s'agit en aucun cas de généraliser les
effets pervers potentiellement issus d'une saine prise en considération
de la condition des victimes mais d'évoquer la nécessité
d'un équilibre au combien délicat a trouver entre droits de la
défense et droits des victimes.
La multiplication et la complexification des textes et
jurisprudences ont conduit la technique juridique a pousser la porte de la
correctionnelle, s'imposant désormais au détriment des
plaidoiries fleuves des avocats des générations
précédentes.
La structuration du débat s'impose également aux
praticiens qui, quelque soit la stratégie choisie se doivent de
démontrer la logique de l'enchaInement des arguments
développés qui ne se contentent plus d'une simple
énonciation pour être efficace.
En Assises, l'évolution semble en apparence plus
nuancée, car s'adressant aux jurés non professionnels, il s'agit
d'être brillant mais également compris. Le discours visera donc
l'accessibilité a la conscience et a la culture de chacun. Cela ne
signifie pas pour autant l'absence de technique juridique : cette
dernière tend au contraire a affirmer sa présence tout en
demeurant imperceptible pour les non-initiés tant l'exercice est
empreint de pédagogie.
Le vocabulaire technique fait donc l'objet d'une
nécessaire vulgarisation.
Les questions posées visent également ce même
objectif d'accessibilité.
Au-dela des seuls temps de plaidoiries et durant toute la
durée des débats, la mise en oeuvre de la procédure fait,
quant a elle, l'objet d'une vigilance accrue visant a signaler sur le champ
tout incident.
? Evolutions contextuelles dictées par la pression
sociologique et médiatique
A titre d'avant propos, il semble impératif de rappeler
quelques réalités élémentaires mais souvent
occultées indissociables de la présente réflexion :
L'évolution de la criminalité constitue une
denrée difficilement mesurable et ce pour de nombreux facteurs :
Cette criminalité si précisément quantifiée,
surtout en période électorale, ne peut nécessairement
englober que les infractions découvertes et dont les autorités de
poursuite ont eu connaissance ; l'augmentation de faits dénoncés
ne saurait signifier abruptement une augmentation de la commission d'un type
d'infractions déterminé ; l'évolution des incriminations
ne fait l'objet d'aucune analyse statistique, quid des disparitions
inquiétantes non élucidées et a fortiori non
comptabilisées au titre d'une infraction ?...
C'est a partir de ces <<variables ç que nos
prétendants au gouvernement ou, selon les périodes, nos
gouvernants, nous exhortent a faire face a une montée de
l'insécurité.
Pourtant, en dépit de ces discours alarmistes, la
diminution des crimes de sang est constante depuis déja plusieurs
années et donc depuis plusieurs septennats et quinquennats.
Le nombre de crimes commis dans la sphere familiale augmente.
Les auteurs de crime tendent a être de plus en plus jeunes...et de plus
en plus âgés également même si le
phénomène << porte ç moins dans l'opinion
publique.
* La victimisation Thèse de Souad Bouaoili-Ait Ouarab
L'insecurite règne, evoquee avec le plus grand serieux par
nos politiques gonflant par leurs propres comportements infractionnels les
chiffres si habillement decries !!
Qui d'autre que les autorites elles-mêmes decrit le
sentiment d'insecurite OE vecu ç par les citoyens ?
Selon donc, les autorites, le seuil de tolerance de la
population face au risque diminuerait de façon reguliere et
significative...s'interroge t'on sur la nature du risque invoque ? Serait-ce
celui de faire l'objet d'un placement en garde a vue ? En depit de son ampleur,
(il concerne a lui seul plus de 1, 3 % de la population française totale
!!), il ne fait aucun doute qu'il ne soit ecarte de la reflexion !!
La demande de protection de la population face au risque est
une demande croissante a laquelle se doit de s'adapter le concept de securite
interieure. La vulnerabilite des citoyens justifie cette demande de protection;
vulnerabilite liee aux evolutions demographiques telle le vieillissement des
populations, aux mutations sociologiques telles l'augmentation des familles
monoparentales...a la pauperisation, a la montee du chômage et de la
precarite ; même si, cela va de soit, ces facteurs de vulnerabilite ne
sont pas cites.
La complexite de la societe contemporaine justifie cette
demande de protection: l'augmentation des flux de population, la disparition du
contrâle social, l'urbanisation, la perte de repères de la
jeunesse et la banalisation des stupefiants concourent a cette complexite
croissante.
De l'incident au phenomène de societe, le pas se
franchit allegrement : la violence a l'ecole est intolerable (Pourrait-on
d'ailleurs concevoir qu'elle le soit ailleurs ?) Il revient donc en toute
logique aux juridictions repressives la charge de gerer et de sanctionner la
perte de valeurs, la demission des parents et les carences de l'education
nationale.
La pression sociologique s'exerce et influe sur les strategies
de defense des criminels dont on se doit de faire le procès, et non bien
sOr celui d'un système repressif, intolerant, liberticide, tentant
lâchement de faire endosser au citoyen la responsabilite de ses actes.
Une pression sociologique generee a dessein et relayee par les
medias...
*Tous les faits, evenements ou comportements ne disposent pas
d'une probabilite identique d'être mediatises. Une selection
s'opère selon des critères recurrents : la preference est
accordee aux faits immediats susceptibles de donner lieu a une mediatisation en
temps reel ; d'autre part, les faits survenant dans un contexte familier
disposent d'une forme de priorite sur ceux qui surviennent dans des contextes
davantage atypiques.
Le contexte familier favorisant l'identification emotionnelle
du consommateur potentiel du contenu mediatique ; puis les faits
personnalisables qui peuvent être reduits, a des questions de personnes
sont plus frequemment exploites par les medias ;
Enfin, les faits de nature hautement dramatique occupent la
une des medias, quelque soit le support de communication utilise.
Or, ces caracteristiques commerciales se retrouvent dans la
quasi-totalite des faits criminels ; ce qui semble justifier la place
privilegiee des faits divers sanglants dans nombre de medias. Selon les
epoques, certains crimes seront OE privilegies ç par rapport a d'autre :
les poisons ont eu leur heure de gloire ; aujourd'hui les drames familiaux
connaissent la leur, tout comme la pedophilie...Tandis que l'on nous invite
sans sourciller tirer les leçons d'Outreau.
Ces recits, regulièrement illustres par un panel de
reactions triees sur le volet constituent l'information consacree par la
liberte de la presse dont une part du budget est affectee au paiement des
amendes et dont une part de l'espace est sacrifiee a la publication des
decisions judiciaires la condamnant. Certes, ces comportements ne sont fort
heureusement pas generalisables mais ils demeurent dangereux car touchant les
classes moyennes et donc une masse importante de personnes pour qui d'autres
categories de medias restent inaccessibles.
S'agissant des reactions, le developpement de l'Internet a
engendre une liberalisation totale des reactions jusqu'alors exprimees a la
demande des medias decideurs de l'opportunite de leur publication. La toile a
supprime ce OE contrâle ç des medias sur l'information,
transformant le web en un immense cafe du commerce oü tout se dit, tout se
lit, tout et n'importe quoi, par n'importe qui, a grand renfort de blogs et a
la faveur d'une carence notoire de règlementation... diffamation, non
respect de la vie privee, non respect de la presomption d'innocence,
discriminations, negationnisme...Toutes ces infractions sont commises, en une
quasi impunite averee, par des auteurs persuades d'exercer en toute legalite
leur liberte d'expression.
* Médiatiser ou média-attiser le crime ? M
Dantinne
Mais au-deíà des mécanismes
utiíisés pour rendre compte du crime, se pose ía question
des conséquences de ce rendu :
Peu nombreux sont les citoyens qui n'ont pas d'opinion sur les
causes de la criminalite en tant que phenomène, le criminel en tant
qu'être humain (ou pas humain d'ailleurs), le crime en tant qu'acte et
les manières d'y remedier, parfois en termes de prevention, souvent en
matière de repression. Les medias sont au coeur des interactions
sociales qui donnent un sens a ces faits et ils peuvent des lors presenter un
impact sur les representations sociales qu'ils concernent.
La surrepresentation evoquee des formes violentes de crime
constitue un exemple general de distorsion de la verite quantitative.
A titre de demonstration de ce phenomène, il y a lieu
de citer une etude realisee par *Laurent Muchielli, sociologue français
: Analysant le phenomène des viols collectifs, il a fait emerger que de
1990 a 2000, ce type de crimes a fait l'objet de quatre gros titres par an,
pour passer de cinquante a trente-deux et vingt-trois titres par an avant de
revenir a quatre en 2004. Comparant ces valeurs a celles des statistiques
officielles de condamnation, Muchielli put mettre en evidence le
caractère plus que claudicant des representations forgees par l'image
mediatique : en effet, sur les annees envisagees, le nombre de condamnations
pour viols collectifs n'avait pas varie de façon statistiquement
significative et aucune correlation n'a des lors pu être etablie.
Au-delà des preoccupations quantitatives, les medias,
traitant de la question criminelle, sont aussi susceptibles de vehiculer des
stereotypes, de vicier qualitativement les representations sociales qu'ils
contribuent a former. En effet, l'analyse des contenus mediatiques
prealablement quantifies met en exergue le constat selon lequel le
phenomène des viols collectifs etait quasi implacablement presente comme
le fait des << jeunes des cites ç, accentuant au passage une
double stigmatisation, celle de cites banlieues reancrees dans leur image de
<< zones de non-droit ç et celle des jeunes de ces quartiers
marques au fer rouge de leur etiquette de jeunes a risque et/ou dangereux.
En matière de criminalite, les evaluations et les
opinions du public tendent a refleter beaucoup plus les conceptions et les
representations que se font les medias que la realite elle-même. L'impact
des medias sur l'opinion publique est croissant et non l'inverse comme bon
nombre de journalistes se complaisent a croire. Face a cette omnipresence des
medias dans le voisinage des Cours d' Assises, l'Avocat fait un choix : celui
de l'utilisation ou de l'absence de communication.
Cette fonction de communication s'exerce dans un cadre
reglemente, en depit de la suppression depuis 1944 de l'obligation
d'autorisation du bâtonnier prealablement a toute expression publique.
*L'article 5.3 du Reglement Interieur de la profession
dispose:
<< 5.3.1...l'avocat s'exprime librement dans les domaines
de son choix et suivant les moyens qu'il estime appropries.
Il doit en toutes circonstances faire preuve de delicatesse,
particulièrement lorsque sa qualite d'avocat est connue, et s'interdire
toute recherche de publicite contraire aux dispositions de l'article 161 du
Decret.
5.3.2 Si l'avocat fait des declarations concernant des
affaires en cours ou des questions generales en rapport avec l'activite
professionnelle, il doit indiquer a quel titre il s'exprime et faire preuve
d'une vigilance particulière.
Ces interventions publiques ne peuvent avoir qu'un
caractère exceptionnel. L'avocat en informe le Bâtonnier....
ç.
Les interventions des Avocats dans la presse se situent
principalement sur deux terrains juridiques bien distincts : le droit
economique et la matière penale. Dans nombre de cas et frequemment en
matière criminelle, le recours aux medias resulte pour l'avocat d'une
demarche volontaire, en violation toleree de sa deontologie :
En effet, en matière penale, sauf pour les affaires
ayant un très grand retentissement, l'avocat peut se sentir contraint,
pour la defense de son client, et parfois avec son aide, de solliciter les
medias pour être entendu; Cela peut conduire a une violation du secret de
l'instruction notamment lorsque l'objectif est, en cours d'information,
d'obtenir une liberation provisoire de son client au profit du placement sous
contrâle judiciaire de ce dernier car la seule sensibilisation au respect
de la presomption d'innocence ne saurait satisfaire l'appetence du grand public
demandeur de plus d'elements, plus d'informations, pour comprendre les rouages
d'une procedure penale opaque pour plus de 90% des lecteurs !!!
Mais la presse peut aussi être utilisee en cours de
procès, en toute legalite, dans le strict interêt de son client:
Il s'agit alors d'une fonction demystificatrice de l'Avocat, pour qui l'enjeu
reside en le fait de ramener le debat au plus près possibles des faits
ou du moins de la version des faits defendue par son client.
* Les tournantes L Mucheilli *CNB
Il peut s'agir pour certains d'une occasion de publicite
personnelle cependant, il ne faut pas s'y tromper, même pour ceux d'entre
eux qui en jouent comme d'une arme et ne se cachent pas d'en jouir, l'enjeu
fondamental reste la defense du client.
Toute fixation d'image ou de son en audience est demeuree
prohibee, la prise de note et le dessin etant seuls autorises ; la presence de
la presse semble ne pas devoir influer davantage aujourd'hui que jadis sur le
contenu des plaidoiries elles-mêmes.
Aucune reforme sur ce point n'est a souhaiter et ce, pour
plusieurs motifs evidents pour tout homme de bon sens : Un pretoire n'est pas
un plateau tele. Les magistrats et les avocats ne sont pas formes pour passer a
l'ecran, leur rhetorique n'est pas la même. Le public peut acceder
librement dans les salles d'audience, mais a charge pour lui d'avoir une
attitude correcte, silencieuse et ne troublant pas le deroulement de
l'audience. On ne regarde pas une audience.
De plus, qui dit television dit montage. Une audience
d'Assises peut durer des semaines, Un reportage au journal televise dure 2
minutes, seules quelques phrases seront citees : celles de l'accusation ou de
la defense? Le prevenu pas plus que la victime n'ont a se transformer en
vedettes de tele realite...la pudeur et le respect sont de rigueur.
La presence d'une camera et d'un micro perturberait
l'audience, chaque intervenant pensant plus a l'image qu'il pourrait donner de
lui plutôt qu'au seul dossier. L'avocat penaliste plaide pour la Cour et
les jures ; il ne peut être soumis a la tentation de plaider pour la
camera.
Est-ce a dire que les medias demeurent pour autant absent des
debats ? Si, fort heureusement, la legislation les contraint a la discretion en
audience; elle n'en diminue pas pour autant la force avec laquelle s'exerce
leur emprise. Cette emprise s'exerce sur les jures qui, même
inconsciemment peuvent se laisser impacter par le climat mediatique cree ; les
temoins dont les declarations seront ou non relatees qui pourront parfois
être tentes de se retrouver sous les feux de la rampe, derisoires,
ephemères mais au combien dangereux...
Enfin, les medias font et defont a volonte l'image des
avocats, se fondant sur un critère tout aussi unique qu'inique : la
côte de popularite du personnage...dont ils sont eux-mêmes dans la
plupart des cas a l'origine.
L'annonce dans la presse locale des affaires venant a la
session d'automne des Assises 2009 illustre parfaitement le phenomène :
Un procés en appel d'une condamnation pour un double assassinat dans un
petit barreau de province: le journal local annonce avec orgueil le deplacement
d'un OE Tenor du Barreau de Lille ç assurant la defense des deux
accuses, face a lui, la partie civile, dont on cite le cabinet plutôt que
le nom car, enfin, qui connaIt Maître X...
Le verdict tombe : confirmation de la condamnation ; le
denouement occupera a peine dix lignes dans le même journal qui a deja
oublie le OE Tenor du Barreau de Lille ç s'en retournant bredouille en
son palais et qui n'a toujours pas reussi a se souvenir de l'avocat de la
partie civile.
Certes, en l'occurrence, ce dernier n'est pas blesse car pour
cela il aurait fallu qu'il place son ego avant l'amour de son metier ce qui lui
est totalement impossible, neanmoins...les victimes lisant le premier article
ne pouvaient-elles pas douter, craindre, trembler... La presse peut-elle
s'arroger le droit de risquer d'affaiblir la confiance placee en Maître X
alors même que son seul argument reside en la celebrite de son adversaire
?
Composer avec la presse pour certains, flirter pour d'autres,
la combattre ou se contenter de repondre modestement a ses sollicitations... la
presse produit inlassablement : des monstres, des victimes suppliciees, des
tenors du barreau et des anonymes.
? Difficile recherche d'un equilibre entre poids des mesures
expertales et vérité vécue par les inculpés
Le procés penal a pour objectif supreme la
manifestation de la verite. Cette dernière peut se definir en droit
penal comme l'affirmation ou la representation exacte de la realite des faits
de l'espèce. Alors que la verite est objective, la veracite est
subjective. Celui qui parle avec veracite, avec franchise, expose ce qu'il
pense sincèrement être la verite ; on ne peut attendre plus d'un
accuse; on devrait toujours en attendre autant d'un temoin.
Parmi d'autres textes, l'art. 310 du Code de Procedure Penale
rappelle au president de la Cour d'assises que le but de toute instruction
criminelle consiste en premier lieu dans la recherche de la verite ; non d'une
verite philosophique portant sur des notions abstraites, mais de la verite
materielle concernant l'existence des faits concrets qui font l'objet des
poursuites. Le tribunal doit donc veiller a ce que l'information s'effectue
dans le
respect des droits du prevenu et de la partie civile sans
jamais oublier que son but prioritaire est l'etablissement de la verite.
Si l'on conçoit aisement l'impossibilite de
retranscrire a la matière penale la theorie generale de la preuve
civiliste ; le principe de la liberte de la preuve en depit de sa logique
n'apporte aucune facilite a l'exercice ; qu'il s'agisse de celui de
l'accusation comme celui de la defense d'ailleurs.
Si l'on semble en avoir termine avec la toute puissance de
l'aveu et que l'on tend a convenir de la necessite pour ce dernier d'être
corrobore par d'autres elements pour emporter l'intime conviction; il faut
cependant avoir a l'esprit qu'un tel raisonnement ne peut emaner que d'un
professionnel, non d'un jure, susceptible d'accorder quelque credit au dicton
OE il n'y a pas de fumee sans feu ç
D'autant que l'aveu fait encore des ravages au coeur
d'affaires contemporaines : De Seznec a Outreau, tout commence par
l'enquête policière et par les choix d'un directeur
d'enquête, qui, parmi les pistes envisageables pour retrouver le ou les
auteurs de faits criminels, va asseoir ses certitudes sur la seule piste qu'il
privilegie, pour des motifs qui lui sont propres (ou parfois dictes) : il
choisit son coupable et neglige les autres.
Notre Droit penal est ainsi fait que le suppose coupable,
apprehende, place en garde a vue, entre dans une zone oü la Defense n'est
pas admise : il est livre aux services enquêteurs qui sont contraints de
faire coller a leur version, encore virtuelle, les declarations de leur OE
client ç.
De cette longue confrontation a armes inegales,
enquêteurs et garde a vue il restera un cahier d'enonciations horaires
des temps de OE repos ç en cellule de l'interesse, de ces periodes
d'alimentation, etc. Le reste sera le dossier des declarations du garde a vue,
ou des confrontations. Le fait est, que des aveux peuvent être recueillis
durant cette periode : Aveux spontanes ou extorques, ils pèseront lourds
dans la strategie de la defense bien au-dela de leur retractation.
L'interesse, qui, souvent, n'a jamais eu a faire a la justice
auparavant, ignore au debut ce qu'il est cense avoir commis et, l'apprenant,
proteste aussitôt ; place en cellule pour reflechir : il se pense victime
d'une erreur, reste serein ou panique totalement. Mais la capacite de reflexion
du garde a vue de survie et de defense s'emousse au fil des heures, face a ce
qu'il ne comprend pas, et il dispose d'un inconvenient majeur d'être,
comme tout être humain, sensible aux pressions psychologiques.
Pendant ce temps, tout est exploite, tout est repertorie dans
le dossier : ses silences, ses hesitations a repondre, le manque de clarte de
ses reponses, voire ses contradictions, ses declarations successives, ses
reponses a des questions, resumees sur le papier, mais qui etaient beaucoup
plus suggestives. Le tout est signe a chaque fois par l'interesse, qui confirme
donc l'exactitude de ce qui est ecrit. Au terme de ce scenario, l'aveu
mensonger est assimilable au suicide de l'innocent, pour en finir !! Fort de
cette prise de conscience (après combien de drames ?), l'aveu doit donc
être complete par d'autres indices graves et concordants.
Le temoignage, a l'instar de l'aveu, fait l'objet d'une prise
en consideration reservee : l'experience demontre de façon significative
que la même scene a laquelle assistent plusieurs personnes simultanement
donnera lieu a une pluralite de recits differents voire contradictoires.
L'accusation, sur qui repose la charge de la preuve de la
culpabilitO dispose de moyens importants visant démontrer l'existence
d'un lien causal entre crime et accuse. Ces moyens scientifiques viennent
corroborer ou contredire aveux et temoignages et pèsent
considérablement sur les verdicts prononcés.
*L'expertise moderne apparaIt dans notre legislation avec le
Code Civil, le Code d'Instruction Criminelle et le Code Penal. C'est du reste a
cette epoque qu'apparaissent la medecine du crime et l'expertise medicale en
matière civile. Tout au cours des XIXème et XXème
siècles, l'expertise s'est developpee, en matière civile comme en
matière penale, expertises obligatoires ou facultatives, au point que
l'on peut aujourd'hui se demander s'il n'existe pas un abus du recours a
l'expertise, l'abus residant aussi dans le fait que les rapports des experts
ont acquis aujourd'hui valeur de quasi-preuve.
Il convient de s'attarder un instant sur la procedure de
designation des experts: Les experts designes sont habituellement ceux figurant
sur les listes des Cour d'Appel; frequemment surcharges de travail, ces
designations ont pour effet de ralentir considerablement la marche de la
procedure.
* Place des experts, Me François Gibault
Pour pallier cette difficulte, certains Juges d'Instruction
font appel a des Experts non inscrits qui sont en mesure d'executer plus
rapidement leur mission. La longueur des expertises, environ trois mois pour
une expertise psychiatrique, constitue ainsi une atteinte, au moins indirecte,
aux droits de la defense. Certains Avocats, dans des affaires correctionnelles,
renoncent parfois a demander une expertise pour ne pas prolonger la detention
de leur client
En matière penale, les Experts sont essentiellement
designes par les Juges d'Instruction, mais les Experts peuvent egalement
être nommes par les Juridictions de jugement, Tribunaux et Cours d'Appel,
y compris les Chambres de l'Instruction. Les Presidents des Cours d'assises ont
egalement ce pouvoir, avant l'ouverture des debats, puis les Cours d'Assises
ont le même droit. Le juge dispose d'une liberte absolue pour designer
l'Expert ou les Experts de son choix sans consultation des parties, et ce droit
constitue une premiere atteinte a la regle du contradictoire.
Aujourd'hui, les Juges d'Instruction ne notifient plus aux
parties les Ordonnances par lesquelles ils commettent des Experts. Mais il y a
pire. En effet, ces Ordonnances, qui ne sont evidemment pas susceptibles
d'appel, sont placees par le greffier dans une cote secrete dite << en
cours ç a laquelle les Avocats n'ont pas accès. En d'autres
termes, l'avocat ne sait pas si une expertise a ete ordonnee et ne connait donc
pas le nom de l'Expert designe, le nom du psychiatre par exemple charge
d'examiner son client, de telle manière qu'il est dans l'impossibilite
de prendre contact avec lui et de lui communiquer informations et documents qui
pourraient lui être utiles pour l'execution de sa mission.
L'atteinte aux droits de la defense est ici manifeste.
Pour en revenir a la designation des Experts, dans la
pratique, ce sont generalement les mêmes Experts qui sont designes par
les mêmes Juges. Il se cree ainsi, consciemment ou inconsciemment, entre
le Juge et l'Expert, des liens intellectuels mais aussi des liens economiques.
Les deux paraissent regrettables. Cette observation est essentiellement valable
pour les Expertises psychiatriques et plus encore pour les Expertises
psychologiques.
Le Juge designe l'Expert et lui definie sa mission.
Generalement, il lui parle de l'affaire, et l'on imagine que, au cours de cet
entretien, il lui donne son point de vue. Il lui montre les pièces
essentielles puisque, des sa designation, l'Expert a accès au dossier.
Dans la pratique le Juge lui envoie même, ou lui remet, une copie des
pièces susceptibles de l'eclairer et de lui faciliter sa mission. Ainsi,
lorsqu'il se rend a la prison pour executer sa mission, l'Expert psychiatre
connaIt-il l'opinion du Juge, ce qui est reproche a la personne qu'il doit
examiner, il connaIt notamment son système de defense, et ses
antecedents, il est deja averti d'un certain nombre de choses et il connaIt
même, lorsqu'il s'agit d'une contre-expertise, l'avis du ou des Experts
precedemment nommes avec la même mission.
L'expertise est en principe facultative mais en matière
criminelle, les derogations a ce principe sont nombreuses : autopsie
obligatoire si l'infraction a entraIne la mort de la victime, expertise
psychiatrique et psychologique de l'auteur presume...
Dans le proces penal, l'encadrement de la procedure expertale
s'applique dans un schema vertical oü le juge definit les limites de la
mission par un encadrement de questions precises, l'expert s'y conformera selon
la doctrine expertale « ía mission et rien que ía
mission » ; Cette instrumentalisation relève d'une politique
souverainiste qui guide la main invisible du droit oü l'expertise n'est
pas censee s'ecarter du cadre fixe par le juge. Ce cadre, necessaire au risque
de voir apparaItre dans les conclusions de l'expert une prise de position
personnelle presente neanmoins l'inconvenient d'interdire a l'expert de
soulever tout autre point pertinent mais ne figurant pas dans la liste des
questions posees.
L'independance statutaire des experts est preservee. L'expert
judiciaire ne dispose d'aucun statut dans le corps judiciaire, il reste affilie
a sa profession et attache a son organisation professionnelle, la denomination
relève plus d'une qualite que d'un titre selon un arrêt de la
chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 10 janvier 1991. Son
serment est un appel solennel a l'honneur et a la conscience, il s'agit d'un
rappel du principe de loyaute qui doit accompagner l'expert dans sa mission et
dont les modalites sont prevues par les articles 77-1 al.2, 157 et 160 du code
de procedure penale. La qualite d'expert est ainsi reconnue a toutes personnes
qualifiees qui restent soumises a l'article 60 du code de procedure penale.
Le cadre de l'expertise, quelque soit le praticien
visé, se définit comme suit:
L'existence de la mission suffit a determiner la qualite
qu'elles soient ou non inscrites sur les listes de la cour d'appel comme le
prevoit l'article 157 du code de procedure penale. C'est ainsi que la
jurisprudence definit le
râle de l'expert comme une personne qualifiee designee
par le Juge et qui donne en toute independance et impartialite un avis d'ordre
technique.
Le rapport d'expertise se divise en general en quatre parties
distinctes : Un preambule qui rappelle les termes de la mission, un resume de
la procedure avec une distinction des parties en presence et leurs positions
respectives puis un expose des differentes phases de l'expertise suivi d'une
discussion des elements recueillis et de l'avis de l'expert
Si, d'un point de vue juridique, l'expertise ne constitue pas
une preuve mais cree une presomption ; en pratique, l'impact de la mesure
ordonnee tend a prendre une importance telle que l'acte est credite d'une
veritable force probante. C'est l'absence d'interêt personnel qui
determine le caractère exceptionnel de la parole de l'expert. Le rapport
contribue a attester de la realite ou d'une realite, il s'agit donc d'une
demonstration de causalites qui eclaire une situation qui echappe plus ou moins
a la comprehension de la Cour et des jures.
Mais si la nature exogène de l'expertise dans le
procès penal contribue a l'elaboration d'une decision, elle ne garantit
pas pour autant l'infaillibilite des resultats.Le principe du contradictoire et
de la contre-expertise sont par consequent indispensables tout
particulièrement dans les sciences humaines et les sciences appliquees
plus favorables a l'interpretation subjective.
Le Juge d'Instruction, puis la juridiction de jugement sont
entièrement libres de suivre ou de ne pas suivre l'avis de l'Homme de
l'Art. L'Article 427 du Code de Procedure Penale enonce le principe que le Juge
doit decider d'après son intime conviction. Il est le Juge des preuves.
En pratique, il en va differemment car, en bien des matières,
l'expertise peut constituer une preuve. Qui niera que dans certaines affaires
des condamnations sont prononcee au vu d'empreintes digitales, au vu de
l'analyse du taux d'alcoolemie, grace a la telephonie, et plus encore grace aux
analyses ADN...Même si la loi ne fait pas obligation aux juges de rendre
compte des moyens par lesquels ils ont forge leur intime conviction.
Ce râle, frequemment crucial de l'expertise dans le
procés criminel soulève pour les avocats plusieurs problematiques
distinctes :
Au stade du temoignage de l'expert, celui-ci rendra compte de
sa mission et de ses conclusions, qui, selon la matière peuvent conduire
a une impossibilite de fournir une reponse certaine aux questions posees :* A
titre d'exemple, la datation de la mort constitue un exercice plus difficile
qu'il n'y parait dans les series televisees : la reussite de la mission depend
d'une multitude de facteurs tel l'etat de decomposition ou non du corps, le
lieu d'entreposage de celui-ci depuis la mort et lors de la decouverte, la
saison et la region de decouverte s'il etait a l'air libre ou la nature de son
environnement d'enfouissement...Dans des conditions optimales, la datation
pourra être realisee a trente minutes près, a qui profiteront ces
trente minutes, a l'accusation ou a la defense?
Le râle de l'avocat, quelle que soit sa position est
d'avoir pleinement conscience de l'existence de ces fameuses trente minutes
minimales et de qu'elles peuvent ou non apporter a son client afin, le cas
echeant, d'être en mesure de les exploiter dans sa plaidoirie.
Cela implique pour l'expert de faire preuve d'une grande
pedagogie dans l'enonce de son temoignage car cette donnee, manifestement
inconnue des jures, peut ne pas l'être davantage pour l'avocat debutant,
même si en pratique, le cas fait figure d'hypothese d'ecole.
Chaque partie possède l'opportunite d'intervenir pour
appuyer ou critiquer le rapport d'expertise aux moyens de questions qui
pourront contenir des observations et qui soulèvent des points
importants. Si des observations ont deja ete deposees, chacune des parties doit
en tenir compte avec le rapport qui detaille les faits et parfois determine la
relation de cause a effet entre l'infraction et un auteur suppose.
L'avocat doit bien connaItre le rapport d'expertise avant de
reprendre les points qui posent un problème a son client, il peut s'agir
de contradictions entre le rapport et les conclusions, d'un procede expertal
decrie, d'erreur de calcul, ou d'interpretations qui sont personnelles.
Il s'agit aussi de preparer la plaidoirie finale et d'essayer
de redimensionner un rapport en adaptant un vocabulaire plus accessible dans un
sens plus favorable a la partie que l'avocat represente.
D'autre part, le domaine des mesures expertales s'est elargi
avec les progrès scientifiques realises ; il necessite pour l'avocat un
socle de competences diversifiees dont il ne dispose pas au vue de sa
formation. L'arrivee de l'expert est un moment important lors des sessions
d'assises, ce n'est pas pour le jure une personne ordinaire, il y a une
certaine deference qui semble le mettre a egalite avec les magistrats
professionnels, il represente la connaissance et donc dans l'esprit des jures
une verite consideree avec attention. Cette representation de la verite est
parfois doublee d'interpretations surprenantes de la part des jures.
. * Stage médecine légale CHU Grenoble
A titre d'exemple, dans l'esprit des jures, la declaration par
l'expert psychiatre de l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique
ayant altere le discernement de l'auteur au moment des faits devrait, selon les
termes de l'article 122-1alinea 2 du Code Penal devrait conduire a l'admission
facilitee de circonstances attenuantes ; tandis que, dans l'esprit des jures,
cette alteration est souvent signe de dangerosite et peut conduire au prononce
d'une peine sevère visant a proteger la societe contre le risque
represente par le criminel.
L'avocat doit defendre les interêts des personnes qu'il
represente, dans l'expertise son râle appuie ou combat les conclusions
d'une expertise, son objectif n'est pas de rechercher une quelconque verite
mais d'obtenir l'adhesion même momentanee de la Cour et des jures dans
son argumentation qui sera reprise dans la motivation d'une decision. Pour se
faire, il devra s'engouffrer dans la moindre faille du temoignage de l'expert,
faille soulevee lors des debats et reprise dans sa plaidoirie. Dans l'optique
inverse, il devra renforcer les propos de l'expert jusqu'à leur
ôter le moindre caractère faillible.
Il s'agit ici d'une strategie de la regle du contradictoire ou
un rapport de force s'engage contre « l'adversaire », car le
magistrat jouit d'une liberte d'action dans la presentation du rapport
d'expertise qu'il peut evaluer, rejeter ou enteriner avant d'en faire ou non la
source de sa decision.
L'avocat ne doit donc pas sous-estimer la force d'un rapport
d'expertise defavorable pour son client et doit agir en consequence, notamment
en cas de non-respect de la procedure d'audition car a ce stade les nullites de
l'information sont d'ores et dejà purgees. .. Agir en consequence, c'est
ici agir avec methode et avec une precision chirurgicale qui implique une
concentration accrue lors de l'audition, decelant chaque silence, autopsiant
chaque mot, chaque question posee, chaque reponse fournie...chaque conditionnel
employe.
Ce travail sera effectue pour chacune des expertises
pratiquees et sera exploite selon la nature de la mesure dans la partie de la
plaidoirie evoquant les faits commis et les circonstances de cette commission
ou dans la partie evoquant la personnalite de la victime ou de l'accuse
defendu. La structuration du discours, plus que devant toute autre juridiction
est en Assises capitale. En raison de la continuite des debats, les plaidoiries
arrivent generalement après au moins deux jours d'audience, les jures ne
sont en rien habitues a ce type d'exercice necessitant de leur part une
attention et une disponibilite intellectuelle qu'ils ne deploient
peut-être pas ou rarement dans leur vie professionnelle. En consequence,
pour atteindre l'objectif vise, la clarte est de mise ; l'eloquence seule ne
saurait suffire si elle s'exerce de manière desordonnee. Les jures ne
doivent pas entendre, comprendre, ils doivent être suspendus au discours
de l'avocat pour le ressentir au plus profond d'eux-mêmes, il est
illusoire de pretendre atteindre ce resultat sans fil conducteur au moyen d'une
argumentation semee au vent des consciences qui aurait ainsi peut de chance de
produire le moindre germe.
? Vers un affaiblissement de l'art oratoire ?
Le constat s'impose que nous traversons une periode
d'aggravation de la repression au cours de laquelle toutes les reformes
effectives ou avortees tendent vers le même objectif : instaurer plus de
severite et limiter l'exercice des droits de la defense. Il ne s'agit pas ici
de developper les motifs de cette tendance, pas plus que le contexte dans
laquelle celle-ci se fond ni même de debattre de leur caractère
legitime ou illegitime. Cependant, certains projets de reformes, au-delà
de l'impact recherche, peuvent entraIner de profondes modifications de la
profession d'avocat ; risquant de reduire celui-ci au seul rang de technicien,
sans coeur ni âme :
Parmi les << grands ç projets en cours de
reflexion, la limitation des temps de plaidoirie constitue l'une des
dangereuses aberrations de notre temps: Imaginons l'avocat debitant ses
arguments au rythme effrene de son chronomètre, l'oeil rive sur ce
dernier, focalisant sur le respect de cette obligation, ne regardant ni la Cour
ni les jures auquel il est sense s'adresser !!
Pourtant, toutes les plaidoiries ne s'eternisent pas a
l'instar de l'affaire Clear Stream; la moyenne se situe plus près des
vingt a trente minutes que des quatre heures !! D'autre part, limiter le droit
d'expression de la defense et de la partie civile necessite de reflechir aussi
a l'obligation d'etendre cette même limite au requisitoire du procureur
de la Republique...Histoire de respecter l'equilibre des forces en presence.
*Plus grave encore les projets visant a compromettre l'avenir
même des Cours d'Assises :
La cour d'assises est la seule juridiction française
qui fonctionne avec un jury populaire. C'est là un heritage que nous a
legue la Revolution française qui avait même, un temps, essaye de
composer ainsi tous les tribunaux...
Le fonctionnement des cours d'assises a longtemps ete
critique, notamment parce que ses decisions, qui etaient les plus lourdes de
consequences pour les condamnes etaient insusceptibles d'appel jusqu'à
la reforme du 15 juin 2000.
Il serait question de supprimer ce jury populaire en premiere
instance, ou plutôt, de ne conserver le jury que pour les crimes les plus
graves. Motif invoque : les cours d'assises ne sont pas des juridictions
permanentes (elles siegent par sessions) et donc la justice qu'elles rendent
est beaucoup trop lente. On attend leurs jugements pendant plusieurs mois, dans
la plupart des cas plusieurs annees du fait notamment de la longueur de
l'instruction precedant l'arrêt de renvoi. C'est pourquoi il existerait
une tendance a OE correctionnaliser ç les crimes pour en faire des
delits afin de les faire passer devant le Tribunal correctionnel (pour aller
plus vite). Ainsi, par exemple, un viol qui est un crime, sera qualifie
d'agression sexuelle - un delit - et echappera a la cour d'assises.
La motivation officielle de ce projet reside donc en une
meilleure gestion du facteur temps: Qui veut-on convaincre en developpant une
telle argumentation?
L'histoire des incriminations et de leur repression foisonne
d'elements probants et notoires des veritables motifs de correctionnalisation
de certains crimes: le principal motif etant toujours de remedier a l'humanite
des jurys populaire et d'eviter acquittements ou non-lieux...
La justice professionnelle est moins sensible aux grandes
envolees et aux effets de manche de la defense ou aux diatribes du parquet.
D'autre part, il semble aberrant d'etablir une distinction
entre les crimes les plus graves (qui relèveraient toujours du jury
d'assises) et les moins graves (qui relèveraient d'un tribunal criminel
de premiere instance compose uniquement de magistrats professionnels), les deux
etant soumis au second degre a la cour d'assises d'appel.
Cela aboutirait au remaniement complet de la classification
des infractions: au lieu des trois existantes - les contraventions qui
dependent du tribunal de police, les delits qui relèvent du tribunal
correctionnel et les crimes qui reviennent a la cour d'assises -, on en aurait
quatre puisqu'il y aurait les OE petits crimes ç et les OE grands crimes
ç.
Si la France a fait l'objet de plusieurs condamnations par la
Cour Europeenne des Droits de l'Homme tant pour la lenteur de ses procedures
que pour la duree des detentions provisoires ; faute n'est en aucun cas a
l'engorgement des Cour d'Assises ni a leur caractère intermittent.
Il serait interessant d'etudier l'evolution du nombre de
magistrats instructeurs au cours de cette dernière decennie, non sans se
feliciter de l'abandon même temporaire de la reforme visant la
disparition pure et simple de la fonction.
Quant a la duree des detentions provisoires, le bilan de
l'inapplication de l'article 144 du Code de Procedure Penale (Dans sa trop
recente redaction) s'avererait sans nul doute edifiant a cet egard.
Le jugement des OE petits crimes ç ainsi banalise aux
yeux de l'opinion publique deviendrait affaire de praticiens ; obeissant aux
regles de plaidoirie correctionnelle, tendant vers une technicite toujours plus
importante, diminuant la place accordee au talent et a la sensibilite des
defenseurs.
Au fil du temps, la profession pourrait y perdre son sens de
la rhetorique, son humanite, sa flamme, son aura, son identite...Sa dimension
sociale ainsi menacee diminuerait sa force dans sa lutte permanente en faveur
des libertes fondamentales et de la democratie.
* Dominique Boy-Mottard, le Monde 7 juin 2010
Psychologie criminelle et analyse comportementale des
inculpés:
? Exclusion du cas des criminels récidivistes
Le présent sous-titre appelle en toute logique la
nécessité de répondre a deux questions fondamentales et
déterminante dans la fixation du cadre du présent document: D'une
part, pourquoi pratiquer une telle exclusion; d'autre part, quelles typologies
de criminels se trouvent de ce fait exclu du présent champ
d'investigation ?
Exclure l'étude de l'influence des facteurs
comportementaux des accusés récidivistes obéit en premier
lieu a une logique statistique :* Une étude réalisée par
la Sous-direction de la Statistique, des Etudes et de la Documentation
révèle que sur une période d'observation de 18 ans, 137
criminels condamnés en 2001 avaient déja été
sanctionnés pour un crime, soit un taux de récidive de 4,7%. Ce
taux varie selon le type de crime: de 14,7% pour les vols aggravés a
1,8% pour les viols.
Parmi les 137 condamnés récidivistes de 2001, 87
l'ont été pour vol aggravé, 28 pour viol, 11 pour homicide
volontaire.
Le taux de récidive par type de crime varie de 14,7 %
pour les vols aggravés a 1,8% pour les viols. En matière
criminelle la récidive a l'identique est fréquente (75,2 %) du
fait de l'éventail réduit des types de crimes. Des
différences de comportement apparaissent toutefois : près de 80%
des récidivistes condamnés pour viols avaient déja
étaient condamnés pour viol, près de 90 % des voleurs
avaient déja commis un vol criminel, en revanche seulement 45,5 % des
condamnés pour homicide volontaire avaient précédemment
été condamnés pour ce type de crime.
La récidive en matière criminelle se produit en
moyenne 7,2 ans après la premiere condamnation. La moitié des
récidives criminelles ont lieu en moins de six ans, les trois quarts en
moins de neuf ans. Ces délais peuvent paraItre courts s'agissant de
condamnés criminels pour lesquels les peines d'emprisonnement ou de
réclusion sont souvent très longues. Mais ils auront
fréquemment subi une détention provisoire importante dont la
durée s'impute sur celle de la peine. Par ailleurs les
aménagements de peine anticipent la remise en liberté.
Ce délai moyen varie selon le type de crime, il
s'établit a six ans pour les vols aggravés, a près de neuf
ans pour les homicides et a près de sept ans lorsqu'il s'agit de
viols.
S'il convient de relativiser les résultats d'une telle
étude qui mériteraient une analyse approfondie de la
méthodologie d'observation employée ainsi qu'une analyse
comparative effectuée sur une ou plusieurs périodes
différente, elle constitue néanmoins une illustration
intéressante éclairant la problématique de la
récidive sous un angle quantitatif : La récidive criminelle
concernerait environ 5% des condamnés.
*Pierre Tournier, chercheur au CNRS, publie des
résultats confirmant cette tendance ;*ces résultats ne sont pas
démentis par le ministère de la justice qui publiait ainsi en
2004 une étude démontrant que seuls 2,2 % des condamnés
pour homicide et 1,3 % des violeurs avaient déja un
antécédent criminel.
En dépit de la multiplication des interventions
politiques sur le theme de la récidive, le phénomène ne
revêt pas la même ampleur quant a son effectivité que quant
a sa médiatisation et a la communication accrue dont il fait l'objet ;
le présent document s'attachera donc a l'étude du plus grand
nombre : les criminels primaires.
Cette exclusion aboutit-elle a l'exclusion d'une typologie
particulière de criminels ? Répondre par l'affirmative aboutirait
a une stigmatisation du criminel incompatible avec un regard d'ouverture
porté sur la question; sachant qu'environ un tiers des condamnés
récidivistes le sont pour des infractions similaires, il semble d'autant
plus difficilement concevable de déduire que l'exclusion des cas des
criminels récidivistes entraIne l'exclusion d'une catégorie de
criminels formée a partir de la nature du crime commis.
L'intérêt de l'exclusion de la récidive de
la présente réflexion réside en le fait principal de la
concentrer sur la problématique du comportement d'accusés non OE
rodés ç aux rouages de la pratique judiciaire et n'adoptant face
aux jurés et a la Cour d'autre attitude que la leur, conditionnée
par le poids sensoriel et émotionnel que suscite en eux le
procés.
Ces criminels donnent d'eux-mêmes une
représentation induite par un afflux de sentiments dont la nature de
l'expression ne sert pas toujours favorablement leur défense et rajoute
a leur défenseur un échelon OE interne ç de
complexité.
Les récidivistes, quant a eux, connaissent
généralement le comportement attendu d'eux et tendent, sauf
exception, a répondre a cette attente.
* Les condamnés de 2001, SDSED
* Pierre Tournier, la récidive criminelle a
l'épreuve des chiffres * Infostats 2004
· Impact psychologique de la détention
provisoire et affectation de la perception des réalités sur le
comportement des accusés
Au choc genere par la commission du crime, car c'en est un
pour la plupart des auteurs independamment de toute notion de premeditation
d'ailleurs, succéde, le choc carceral.
La projection du presume innocent dans un univers dont jusqu'
alors il ne pouvait imaginer l'interieur ; les informations, recits, lectures
ou telefilms sur le sujet proposent une vision necessairement tronquee de la
realite ; la vision de dehors.
Dedans, la vision est autre : Quel que soit son statut, tout
detenu passe sa premiere journee en maison d'arrêt. Avant qu'un agent du
greffe de l'etablissement procède aux formalites de la mise sous ecrou,
l'arrivant est systematiquement soumis a une fouille integrale. Un numero
d'ecrou est alors attribue au detenu, qui devra le rappeler dans toutes ses
correspondances et dans tout acte de la vie quotidienne. Il est ensuite place
en OE cellule d'attente ç (cellule prevue pour accueillir les arrivants)
jusqu'au moment de son affectation dans une cellule ordinaire. Le detenu doit
avoir la possibilite de se laver et des vêtements peuvent en principe lui
être fournis s'il le demande. Il doit rapidement être mis en mesure
d'informer ses proches de son incarceration par courrier.
Le rituel d'admission est necessairement degradant, quelle que
soit la manière dont il est accompli par les surveillants, que ceux-ci
tentent de rassurer devant un desarroi manifeste ou qu'ils traitent le lot
d'arrivants comme une nouvelle fournee a dispatcher en detention. Parque dans
une cellule d'attente le plus souvent exiguë, le nouveau venu sera OE
libere ç pour suivre un parcourt prescrit : conduit au greffe, il devra
se soumettre aux formalites anthropologiques (empreintes digitales, photo),
repondre aux questions qui permettent au fonctionnaire de remplir sa fiche
penale, recenser tous les objets de valeurs qu'il a sur lui (bijoux, argent,
cheques) et ses papiers d'identites qui seront laisses en depôt a la OE
caisse ç de l'etablissement jusqu'a sa sortie. Puis il sera accompagne
au OE vestiaire ç et, la, il verra chacun de ses effets personnels
fouilles et inventories, et il comprendra vite, devant l'etalage de morceaux de
son intimite, qu'en prison l'usuelle distinction entre ce qui relève du
prive et du public n'a plus cours. Il sera dessaisi des vêtements et
autres objets qu'il n'est pas autorise a conserver en cellule et ceux-ci seront
remises au vestiaire de l'etablissement, gardien pour une duree inconnue de son
identite d'homme libre.
Ce choc carceral, plus de 95% des personnes poursuivies pour
un crime vont le vivre, quelque soit leur age (dans les limites legales), leur
sexe, l'ampleur du trouble cause a l'ordre public, le risque de recidive, de
pression exercee sur les victimes ou leurs proches et les garanties de
representation que ces auteurs presumes pourraient eventuellement
presentees.
Sur le plan psychologique, un double traumatisme est donc a
gerer, seul, dans la plupart des cas sans aucune aide, dans un univers a priori
hostile dans lequel creer des liens est synonyme de risque.
Deux configurations sont alors possible: le detenu est place
en cellule classique, avec d'autres codetenus avec lesquels il va devoir OE
cohabiter , soit il fait l'objet d'un placement a l'isolement, seul face a
lui-même, sans autre forme de communication que la faculte d'adresser des
courriers a l'exterieur mais prive de toute visite, hormis celle de son
avocat.
Le prevenu perçoit avec une vision pas toujours
très nette, qu'en l'espace de quelque 48 heures en moyenne, il vient de
quitter sa vie. Selon, les composantes de feu son existence (car il ne la
retrouvera jamais en son integralite) et sa propre personnalite, la peur
engendree par la perception même confuse de cette realite peut être
plus ou moins intense et peut ou non s'exprimer par un comportement de repli
sur soi, de fuite (la consommation de somnifères en detention est
impressionnante bien que medicalement geree, sans compter la circulation de
stupefiants) ou de revolte.
Plus le prevenu aura connu une vie socialement integree, plus
cette etape lui sera penible a vivre.
A cette perte generalisee de repères environnementaux,
sociaux, affectifs et materiels s'ajoute la reaction face a l'acte commis:
reaction guidee par la nature même du crime, la possibilite ou
l'impossibilite de s'en expliquer les mobiles, la presence ou l'absence de
remords.
Cette reaction sera, dans la plupart des cas evolutive durant
le cours de la detention, jusqu'a parfois aboutir a l'expression de sentiments
diametralement opposes a ceux initialement exprimes.
Ce phenomène incontestablement lie a la duree des
detentions provisoires en matière criminelle (*dont la moyenne se situe
autour des vingt-trois mois) mais relève egalement de l'evolution de la
personnalite confrontee a l'univers carceral.
* Rapport sur les conditions de détention en France,
Sénat 2005
Il n'est pas rare, notamment en cas d'homicide involontaire ou
de meurtre ulterieurement requalifie en coups et blessures ayant entraIne la
mort sans intention de la donner, de voir le prevenu se confondre en remords,
exprimer une immense compassion a l'egard de la victime.
Quelque soit l'acte commis, humaine est la reaction consistant a
implorer le pardon des siens dans l'espoir de sauvegarder sa vie passee.
Ce remord, aussi sincere soit-il a l'instant de son
expression, voit frequemment sa place evoluer dans la sphere de detresse
sociale vecue par le prevenu. Centre au fil du temps sur sa personne et les
evènements de la maison d'arrêt (ceux de l'exterieur ne lui
parvenant que par bribes au gre des courriers ou visites) ; le prevenu s'adapte
malgre lui a son environnement et evolue en fonction de ce dernier.
L'experience de l'incarceration depend de la place occupee par
la prison dans l'histoire de vie des personnes ; pour un non recidiviste cette
place etait jusqu'alors inexistante d'oü l'amplitude particulière
du risque traumatique durable.
La souffrance liee a la privation de liberte, a la
promiscuite, a la frequentation d'un milieu impose, a l'eloignement familial et
affectif peut, sur la duree, être ressenti, comme une injustice en
l'absence de condamnation et amener le prevenu a une attitude de victimisation.
La carence de vie sociale le conduit des lors a ne considerer que la seule
problematique de sa privation de liberte, excluant la prise en consideration du
crime commis, la comprehension du sens des mesures ordonnees dans le cadre de
l'information en cours, le sens de la repression, les actes accomplis par son
avocat dans le cadre de sa defense...Lequel avocat n'etant cense n'avoir
d'autre preoccupation que la remise en liberte immediate de son client.
Dans cette configuration, ramener progressivement son client
au plus près de la realite des faits et du dossier relève de la
gageure, necessite du temps, de la sensibilite sur le plan psychologique et
parfois même de la fermete au risque de se voir dessaisi du dossier au
profit de quelque confrere apportant une vision plus conforme a celle attendue
par le prevenu.
Les honoraires perçus dans le cadre de procedures
criminelles sont eleves diront a l'unanimite accuses et victimes ; mais ils
restent sans commune mesure avec le volume d'heures consacre au traitement de
ces dossiers. Les rendez-vous ou visites en maison d'arrêt seront par
leur nombre et leur duree toujours insuffisants. Les interrogatoires,
confrontations, reconstitution, sollicitations du prevenu d'incessantes
demandes de mise en liberte provisoire, sollicitations de la famille desemparee
perdue dans les meandres de la procedure ; tout cela constitue un
investissement, certes professionnel mais avant tout humain. Prendre en charge
un client, c'est aussi accepter et assumer le souci que l'on aura de son vecu
et de son devenir a travers le prononce de la decision le concernant.
Que dire des dossiers criminels acceptes au titre de l'aide
juridictionnelle par les avocats, contrairement aux idees reçues ou
propagees, ils ne constituent pas un investissement au rabais ni une occasion
de multiplier les actes de procedure inutiles dans le but d'augmenter le nombre
d'unites de valeurs retenues pour le versement de la remuneration.
Ces dossiers concretisent la realite et la profondeur du
serment des avocats. Il est au combien plus difficile de trouver un medecin
acceptant la CMU. A croire que tous les serments ne conservent pas la
même force a l'epreuve du temps.
Dans une perception de la realite souvent faussee par les
effets de la detention, l'avocat a a accomplir une mission specifique de
rationalisation et de pedagogie. Cette mission vise deja la preparation de son
client a affronter son procès. Cette mission ne peut être remplie
par aucun autre intervenant judiciaire ou penitentiaire ; elle implique des
moyens a developper, a ameliorer, a inventer. Des moyens dont la mise en oeuvre
impacte le verdict et qui, a ce titre, devraient constituer des droits de la
defense.
PARTIE II: Impact du phénomène
comportemental sur les verdicts rendus
Affronter la justice criminelle est pour les parties un choc
traumatique post-traumatique intervenant dans la plupart des cas a plusieurs
annees d'intervalle.
Le procès marque pour la victime comme pour l'accuse un
tournant de vie dont le contenu va demeurer determinant pour la page nouvelle
qui commencera a s'ecrire après le verdict.
Pour la victime en vie, cela peut s'apparenter a crever
l'abcès qui la ronge pour finir en paix avec elle-même ; delivree
de la souillure du crime et parfois d'un sentiment de culpabilite
particulièrement present en cas de viol notamment. C'est affronter le
regard des autres et celui de l'auteur, soutenir l'impudicite de ce regard
explorant jusqu'aux pires secondes de son existence; prendre conscience de la
necessite de ce regard et du verdict qui en resultera comme d'une etape
cruciale dans sa demarche de reconstruction personnelle
Pour les proches de la victime decedee, bien après les
obseques, le verdict ouvrira la phase de deuil ; levant parfois les
dernières interrogations sur la mort ou les raisons de la mort ;
entendre l'innentendable est preferable au silence.
Pour l'accuse qui ne dement pas sa culpabilite, le face a face
est d'abord avec lui-même avant de soutenir le regard des autres. Face a
face avec l'horreur, terrorise par sa propre personnalite, rejetant le moi
monstrueux qui le repugne et fuyant sa responsabilite, revendicatif et se
posant en victime, accable, glacial, silencieux, centre sur sa personne,
meprisant la victime...en aucun cas indifferent. Ce comportement evolutif a
chaque seconde sera observe, analyse, disseque par les jures... influant de
façon consciente ou inconsciente sur la construction de l'intime
conviction de chacun d'eux.
Si nul ne peut combattre l'impression produite par les traits
d'un visage, l'attitude et le verbe peuvent en revanche faire l'objet non de
correction mais de preparation visant a limiter tout risque d'impact negatif.
Cette tâche incombe a l'avocat (particulièrement a l'avocat de la
defense mais aussi a celui de la partie civile) qui aura soin de prevenir les
reactions intempestives ou inappropriees, les tentatives de prise de parole
desordonnees, les marques d'indifference apparentes, les colères
debordantes, les excès de langages ou les digressions.
? Impact sur la construction de la stratégie de
défense et sur les verdicts rendus :
Dans la preparation du proces avec son client, l'avocat ne
dispose que de peu de donnees relatives a sa personnalite et autres que la
relation qu'il a lui-même nouee avec l'interesse ; en depit des
expertises et investigations effectuees au cours de l'information. Il se doit
donc d'envisager les situations les plus difficilement supportables, de les
evoquer si besoin precisement afin d'apprehender les reactions de son client et
de les reprendre avec lui en explicitant chaque fois les consequences
potentielles et l'interpretation qui peut en decouler. Cette preparation
constitue un travail realise dans la duree et dont le degre de difficulte
s'evalue au fil des entretiens. La progression dans la comprehension des choses
et dans la gestion des emotions n'est pas lineaire ; toute la maItrise
travaillee precedemment peut a tout moment être aneantie par une pensee
ou un evènement perturbateur.
Parfois, l'avocat ne dispose que d'un temps reduit a consacrer
a cette phase preparatoire, s'il vient par exemple d'être saisi du
dossier jusqu'alors gere par un autre confrere. La prise en main du dossier
après clâture de l'information par exemple, le prive de
l'observation des reactions de son client aux auditions, confrontations,
reconstitution. Il apprehendera la situation au vu des elements du dossier et
surtout au vu de l'impression laissee par les contacts sporadiques qu'il aura
eu avec son client.
Expertises psychiatriques et psychologiques, une
problématique entrecroisée :
La formulation des questions posees a l'expert psychiatre
s'inspire directement de la redaction de l'article 122-1 du Code Penal ; celle
des questions posees au psychologue du huitième alinea de l'article 81
du même code. Ces formulations peuvent engendrer certaines difficultes :*
La Cour d'Assises, compte-tenu de l'oralite des debats est le revelateur des
difficultes d'articulation entre les deux types d'intervention, qui devraient
être specifiques, mais qui, pour des raisons liees a l'histoire, aux
approximations de la procedure, a la personnalite et a la formation des experts
se chevauchent dans le meilleur des cas, se contaminent dans d'autres,
obscurcissant ou alourdissant les debats, avec les consequences que l'on peut
imaginer sur le deroulement du procés et sur le justiciable.
*L'expertise psychiatrique penale, Bruno Gravier
*Certains avancent la nécessité d'une
réforme réaliste de l'OEexpertise psychiatriqueç et de
l'OEexpertise psychologiqueç. Face a l'évolution
prévisible des effectifs de psychiatres (en baisse) et de psychologues
(en hausse) ces deux appellations d'expertise devraient être
abandonnées au profit d'un concept unique d'OEexpertise mentaleç
réalisée indifféremment par des psychiatres ou par des
psychologues sélectionnés sur la base de leurs compétences
évaluées pour mener a bien ces missions. La mise en place de
quelques autres grands principes (création d'un consensus clinique et
juridique de l'expertise mentale, obligation de formation harmonisée et
actualisée des experts, prise en compte de l'expérience
professionnelle des experts, temps passé et périodes opportunes
pour réaliser les expertises, revalorisation des actes d'expertise)
permettrait de mettre a la disposition de la justice et des justiciables des
effectifs suffisants d'experts de qualité sur l'ensemble du territoire
national
La seconde problématique réside dans les conditions
de réalisation de ces expertises :
Celles-ci sont dans la plupart des cas réalisées
en une voire deux visites rendues au prévenu placé dans le
contexte de la détention provisoire. Ces visites dont la durée
varie de deux a trois heures sont-elles suffisantes pour permettre pour
permettre a l'expert de réaliser une analyse au plus près de la
personnalité de l'accusé ?
Réalisées trop tot, les manifestations
symptomatiques liées au choc carcéral peuvent impacter les
résultats de l'expertise ; mais réalisées tardivement, OE
l'accoutumance ç a la gestion de la situation d'incarcération
peut produire semblable effet. L'extraction pourrait être une solution
partielle même si davantage mobilisatrice de moyens humains et
financiers.
Failles de l'enquete de personnalit
L'objectif de l'enquête de personnalité est de
produire un " portrait social " et une analyse de cette image
réfractée par l'intéressé et par son entourage. De
manière approfondie, l'enquêteur vérifie et
développe les éléments concernant l'histoire de
l'intéressé, sa personnalité, sa situation
matérielle, familiale et sociale. S'il n'est pas rare de voir
l'exécution de cette mesure confiée au secteur associatif
spécialisée s'agissant des auteurs de délits ou des
victimes ; l'enquête de personnalité en matière criminelle
demeure fréquemment effectuée par les services de police ou de
gendarmerie recevant commission rogatoire pour entendre les personnes
susceptibles d'apporter un éclairage sur la personnalité de
l'accusé. Contrairement aux associations, la police ou la gendarmerie
disposent ici de moyens d'action limités par un cadre dont la
modification est soumise a l'obtention d'une nouvelle commission rogatoire,
octroyée ou non par le magistrat. La pratique associative
révèle une méthodologie plus souple, permettant
peut-être une meilleure adaptation des auditions au vécu de
l'intéressé. L'enquêteur rencontre
l'intéressé, sujet de l'enquête, soit dans des locaux
sécurisés au Palais de justice, soit en maison d'arrêt,
pour un entretien de deux a trois heures. Son entourage est ensuite
contacté et/ou rencontré pour enrichir le recueil d'informations
biographiques ou a caractère psychosocial et professionnel.
L'enquête ainsi rédigée est systématiquement relue
par le chef de service ou son adjointe puis transmise au juge prescripteur.
Pour les missions criminelles, les enquêteurs, au même titre que la
police ou la gendarmerie peuvent être amenés a témoigner en
cour d'assises lors du proces pour lequel l'enquête a été
réalisée. Le témoignage est alors préparé en
détails avec un responsable du service. Les salariés en charge de
ces missions sont généralement psychologues, juristes ou issus de
formations sociales. Leur regard et leur expérience est par nature
différent de celui d'un policier ou d'un gendarme. Le rendu sera donc
différent.
Ici encore, l'objectivité requise par l'article 81
alinéa1 est confrontée a une problématique de délai
et de moyens : D'une part, il n'est pas concevable que l'exécution des
commissions rogatoires ou des enquêtes puissent constituer une cause
supplémentaire d'allongement des procédures; d'autres part, il
n'est pas admissible de voir clOturer une enquête de personnalité
bâclée pour cette même raison. La seule surveillance des
échanges de courrier peut-elle dispenser le magistrat instructeur de
l'audition de l'ex-épouse et de l'épouse de l'accusé, par
exemple ?
Enfin, il sera parfois difficile d'obtenir un portrait
réaliste de l'accusé beaucoup plus enclin a citer les personnes
dont il sait qu'elles donneront de lui une vision positive que de communiquer
l'identité de personnes avec lesquelles il aura eu des relations plus
complexes quelque soit le cadre de celles-ci.
N'oublions pas les cas oü l'enquête de
personnalité se révèle quasiment vaine : crime commis par
un SDF de passage dans une région ou toute personne non
stabilisée socialement donc sans attache ni véritable
entourage.
*revue internationale de victimologie, JP Bouchard
Carence de formation de la profession d'avocat
La place de la psychologie dans la profession d'avocat est
grandissante, tout domaine d'intervention confondus. Ce constat directement
issu du quotidien fait l'objet d'une reflexion de la commission prospective du
Conseil National des Barreaux :* Même si le droit reste le fil conducteur
de l'avocat, celui-ci doit recourir la psychologie. La psychologie doit
être un outil au service de l'avocat lui permettant de mieux gerer son
dossier, mieux accompagner le client mais aussi mieux gerer son stress
personnel. La psychologie se developpe dans les affaires, civiles, sociales et
familiales ; en matière penale et plus particulièrement en
matière criminelle, elle revêt une importance specifique largement
evoquee dans le present document.
L'avocat developpe avec l'experience la connaissance de la
psychologie humaine, ce qui, pour autant, ne suffit pas a limiter le risque de
se sentir demuni face a un client au comportement irrationnel, instable ou
agressif. D'autre part, l'acquisition de l'experience necessite bien evidemment
une duree de pratique professionnelle plus ou moins longue selon les aptitudes
de chacun a l'approche psychologique. Durant, cette periode d'acquisition de la
competence, le risque d'erreur est accru, risque aux consequences non
negligeables pour le client mais egalement pour l'avocat dont la
carrière debute et qui a besoin de forger sa reputation.
Le besoin recense par le CNB se situe sur un double niveau :
celui de la connaissance au service du client mais aussi celui du soutien au
service de l'avocat lui-même. Si la psychologie fait son entree dans la
formation continue, elle demeure encore absente du cursus de formation
initiale.
S'agissant d'un besoin de soutien, celui-ci peine a s'exprimer
pour de multiples raisons aisement comprehensibles : la profession est par
nature stressante et difficile ; ceux qui l'embrassent en sont generalement
conscients et manifestent la volonte d'assumer seuls cette responsabilite.
D'autre part, chacun d'entre eux a a l'esprit la necessite de preserver l'image
de la profession et cet enjeu collectif prime sur les enjeux individuels. Les
difficultes psychologiques pas plus que les difficultes economiques ne sont
evoquees. Là ou se decident de la liberte des individus ou de leur
privation de liberte pour des durees generalement longues, les deux niveaux de
besoins se combinent : la capacite a gerer le comportement d'un accuse et a y
adapter sa strategie de defense dont une part de l'elaboration se fait au fil
du deroulement du procés depend aussi de l'etat psychologique du
defenseur qui doit surmonter sa propre problematique pour se concentrer sur sa
mission. L'eloquence en depend et dans une certaine mesure l'intime conviction
aussi.
Peines susceptibles d'être aggravées du fait
de facteurs comportementaux non dOmonstrateurs de dangerosité.
Les arrêts rendus par les Cours d'Assises ne sont pas
motives; il en consequence impossible de connaItre le fondement de l'intime
conviction des jures. L'intime conviction est le contraire d'un raisonnement
legal construit tendant vers la declaration de culpabilite. Elle ressemble plus
au mode de croyance du profane que celui que doit avoir un juriste. L'intime
conviction fait place a des decisions purement subjectives et non objectives.
Elle n'est pas reellement conciliable avec le principe selon lequel le doute
profite a l'accuse, doute qui se trouve de la sorte ampute de toute sa
substance.
Or, si precisement cette intime conviction semble relever du
ressenti; elle fait necessairement place a l'humain dans l'integralite de sa
perception de l'autre. D'oü l'interdependance de la sanction prononcee,
avec, entre autres facteurs, le comportement de l'accuse, voire sa
presentation, son aspect physique.
L'avocat, dans sa preparation du procès, tentera
d'inviter son client a la moderation de ses propos dans le choix des termes
employes (plus ou moins large selon le niveau de culture de l'interesse) et
dans l'intonation. Il l'invitera a des explications les plus claires et
concises possibles, a se concentrer sur la question sans en elargir le champ, a
l'exception des points contestes qui devront l'être brièvement.
C'est a l'avocat que revient la tâche d'expliciter les fondements de ces
contestations.
Cependant, en fonction du contexte unique de chaque affaire,
de la personnalite du client et de son etat psychologique de l'instant, le
risque de voir ces conseils balayes par l'emotion n'est jamais nul. Cette
emotion qu'un jure sera naturellement enclin entendre de la part de la victime
ou de ses proches sera perçue de façon beaucoup plus aleatoire si
exprimee par l'accuse. Le sentiment de revolte et la colère sont
particulièrement dangereux pour ce dernier même si, dans de
nombreux cas, ils temoignent d'une souffrance de n'être pas cru ou
incompris dans les explications fournies ; voire d'un besoin d'exprimer une
profonde detresse, certes differente mais parfois tout aussi intense que celle
de la victime.
Mais la traduction de telles emotions passent souvent par la
noirceur du regard, la hauteur du son de la voix, une gestuelle excessive...
autant de signes qui peuvent être interpretes comme marques de
dangerosite. S'il est capable de s'emporter dans une salle d'audience, lieu
oü par nature il devrait faire preuve de retenue, que pourrait-il faire
dans un contexte de liberte ?
La prise en compte du paroxysme des emotions suscitees par un
procès criminel peut être exclue de l'analyse faite de l'attitude
de la personne.
* CNB
La peur règne sur ces moments: les jures aussi ont la
leur, celle de commettre une erreur, de ne pas être la hauteur de la
responsabilite qui est la leur. Centres sur leur peur, ils peuvent en oublier
celle de l'accuse qui l'amène a tous les etats, de la prostration a la
prise de risque.
Le silence même donne lieu a interpretation : froideur,
indifference quant au sort de la victime et a son propre sort, absence de
regrets...Capable de recidive ?
Il arrive frequemment qu'au fil du procès, aprioris et
idees reçues s'estompent au profit d'une recherche reelle de
comprehension; le sentiment d'investissement d'une mission aidant. Cela
n'occulte pas pour autant l'importance de l'impression laissee par un
comportement quelque soit son mode d'expression et le risque de voir la peine
prononcee sur la base d'une intime conviction forgee sur cet element ; lequel
ne pouvant être qualifies de demonstrateur de dangerosite.
Au-delà de la presentation, de l'attitude et de
l'expression de l'individu, le contenu de ses propos est de la plus haute
importance: il est necessaire prealablement au deroulement de procés de
parcourir une ultime fois le recit des faits avec son client, de s'assurer de
chaque etape, de façon aussi detaillee que possible. Soulever les
difficultes pouvant resulter des contradictions de la version soutenue et du
resultat des mesures expertales diligentees est notamment capital: A titre
d'exemple, la contradiction du geste effectue par l'accuse lors de la
reconstitution et du rapport d'autopsie demontrant une difference remarquable
de distance du tir ne manquera pas d'être remarquee et de soulever un
questionnement.
L'avocat sait qu'entre un tir a dix metres et une autopsie
relevant les brulures circulaires d'un tir a bout portant ou a bout touchant
selon leur profondeur et leur circonference ne passera pas inaperçue. Il
se doit d'interpeller son client sur le risque engendre par le maintien de sa
version. Il se doit d'expliquer a celui qui s'enferre dans le mensonge par peur
de sa condamnation que la sincerite est son meilleur allie ; il se doit de ne
pas adherer a des strategies bancales tout droit sorties d'une imagination
debordante d'angoisse. L'horreur même peut se decrire, susciter des
tentatives de comprehension; le mensonge grossier ou decouvert ne recevra comme
echo que la severite.
Démultiplication du phénomène en cas
de co-auteurs ou complices : des défenses parfois inconciliables.
Le risque genere par le facteur comportemental se trouve en
toute logique multiplie par le nombre d'accuses ; autant de personnalites,
autant de risques. Le constat relève de l'evidence mais merite neanmoins
qu'une attention y soit portee car source de problematiques pour les avocats,
qui bien que côte a côte, savent qu'ils auront a gerer des defenses
parfois inconciliables lorsque divergent les versions des faits, parfois
fondamentalement, lorsque chacun des co-auteurs ou complices tentent de
minimiser sa participation par un recit accablant son comparse.
Les praticiens ont parfaitement conscience que ce type de
conflit, en cas d'eclatement en audience constitue un risque aggrave pour la
defense dans son ensemble. Generalement, ils en connaissent l'existence au vu
des elements du dossier car les contradictions emergent des interrogatoires,
des confrontations et du comportement de chacun lors de la reconstitution.
Cette connaissance leur permet parfois d'eluder le point litigieux, selon sa
nature et son impact sur la comprehension de l'affaire. S'il s'avère
impossible qu'il ne soit pas evoque ; ils tenteront d'abord de cadrer le debat
sur un plan technique le cas echeant.
L'objectif reside en l'absence d'affrontement au sein de la
defense car cela tend a produire sur les jures une impression negative. La
contestation floue la manifestation de la verite, le manque de clarte traduit
une volonte de dissimulation de la realite. Loin de creer un doute profitable a
la defense, elle renforce le crime par le mensonge, car parmi les versions
donnees, certaines sont inevitablement erronees.
? Pistes de réflexion et d'appréhension
du phénomène :
Se pretendre en capacite de gerer, contrâler, canaliser
la nature humaine placee dans un contexte d'extrême difficulte et
detresse psychologique relève du domaine de l'utopie voire de
l'imposture. Ce ne peut être un objectif même enonce dans
l'interêt exclusif de la personne defendue. La profession d'avocat ne
saurait imaginer un seul instant faire fi du respect de l'autre et des libertes
fondamentales que sont en l'occurrence la liberte de pensee ou d'expression.
L'enjeu n'est jamais d'imposer ; il reside en la recherche de la comprehension
et de l'adhesion du client a la strategie adoptee pour sa defense.
Cette adhesion passe par la conviction de ce dernier que le
choix des arguments developpes constitue pour lui la solution la plus
rationnelle ou en tout cas la moins pire dans le but de reduire autant que
faire ce peut la sanction prononcee au regard de la peine encourue.
L'adhesion de la personne a la strategie employee pour la
defendre implique d'amener celle-ci a se positionner comme actrice de sa
defense et non en spectatrice de son avocat. Etre acteur de sa defense suppose
de veiller a observer en toutes circonstances un comportement modere et
courtois que l'impulsion ne doit en aucun cas guider.
Parvenir a ce resultat est plus ou moins difficile selon les
personnalites ; pour l'avocat cela implique non seulement la confiance de son
client mais aussi de disposer de moyens adaptes. Ces moyens peuvent être
internes a la profession mais egalement externes a celle-ci; touchant au
contexte environnemental de l'accuse.
La problematique des victimes est abordee de façon plus
specifique par la collectivite ; un accompagnement psychologique est
systematiquement propose. Son abord n'est en rien plus facile mais très
different et necessitant un approfondissement impossible dans le present cadre
d'etude ; aussi les axes de progrès potentiels degages sont plus
precisement orientes vers la defense.
Formation des avocats
*Le projet de resolution presente par la commission
prospective du Conseil National des Barreaux sur le theme OE Avocat et
psychologie ç propose des avances interessantes, principalement axees
sur un objectif de mieux vivre sa profession en levant des l'accès a
l'EDA un certain nombre d'interrogations fondamentales quant a la gestion de
l'avenir des elèves avocats. Il s'agit d'expliciter des questions
essentiellement d'ordre pratique, liees a la gestion d'un cabinet ou
l'insertion au sein d'un cabinet afin de limiter le stress lie a la
meconnaissance de ces fonctionnements et a l'apprehension relationnelle et
economique. Des preconisations sont egalement formulees au stade de la
formation continue et en direction de la gestion du besoin de soutien
psychologique emanant de la profession.
Cette preoccupation de l'etat psychologique des avocats est
legitime et en lien direct avec le contexte par nature conflictuel dans lequel
ils evoluent.
La commission souhaite engager une reflexion sur la mise en
place d'un test d'aptitude a l'examen d'entree a la profession d'avocat, cela
qui pourrait constituer une etape interessante a condition toutefois de savoir
eviter les ecueils de la subjectivite a combien nombreux sur le terrain de
l'analyse des savoir-être : Ce test devrait être integre aux
formalites d'inscription aux IEJ, en amont des epreuves classiques. Son contenu
pourrait être elabore par des psychologues sur la base de comportements
definis comme attendus par la profession dans le cadre de mises en situation.
Il s'agirait cependant de ne pas anticiper une demande en competences qui
seront acquises ulterieurement, a l'EDA notamment. Les objectifs du test
viseraient a evaluer des savoir-être de base en matière de
capacite de concentration, de tenacite, de resistance au stress, de gestion de
conflit et d'aisance relationnelle...au sein desquels une place devrait
être reservee a l'expression du candidat permettant d'evaluer sa
conception de la profession, ses attentes et son degre d'engagement dans
celle-ci. La difficulte ne se situe pas tant au stade de l'identification des
aptitudes attendues mais dans le choix d'une methode d'evaluation de celles-ci.
Il n'est pas souhaitable de voir un tel test doubler par son contenu, le grand
oral par exemple.
Au-dela des preconisations deja formulees et s'agissant de la
psychologie mise de façon directe au service de la clientele, une
formation de base pourrait être proposee au niveau de l'EDA, de
façon facultative, dans le cadre du semestre consacre au projet
professionnel personnalise. Cette formation, dont la duree devrait être
necessairement restreinte au profit de la densite afin de ne pas rallonger la
formation dont la charge financière pèse sur la profession,
pourrait perdre son caractère facultatif des lors que le projet elabore
tendrait vers une pre-specialisation en matière penale.
Le complement a cette base residerait essentiellement dans
l'acquisition de l'experience mais des modules de formation continue pourraient
être organises en lien avec des thematiques specifiques afin de permettre
l'abord des questions psychologiques appliquees a des contextes juridiques
particuliers.
* CNB
Ce mode d'organisation, proche des contenus de formation
continue proposes par l'ENM (formations auxquelles les avocats ont
accès) serait plus aisement accessible a la profession car moins eloigne
geographiquement si dispense par les EDA ; ces formations seraient bien sOr
prises en compte au titre des vingt heures annuelles obligatoires.
Evolutions souhaitable du régime de detention
preventive et développement du role des associations d'aide aux
détenus
Du tabou au cheminement de la reflexion sur la situation des
detenus, la progression se caracterise par sa lenteur. L'image de la prison est
naturellement rattachee a la condamnation et a la peine purgee ; il en decoule
une faible sensibilite de l'opinion publique face a la situation de ceux qui
s'y trouvent. C'est oublier la proportion encore importante des prevenus en
attente de jugement et par consequent presumes innocents. Reduire l'impact du
choc carceral et de la detention sur les individus doit constituer un objectif.
Au stade de la detention preventive, il est necessaire de parvenir a instaurer
un regime differentiel effectif plus compatible avec le respect de la
presomption d'innocence. Le mixage de population et l'absence de gestion
adaptee des locaux lies au manque de moyens ne peuvent continuer a constituer
l'unique reponse apportee a une problematique d'une telle ampleur humaine.
L'emprisonnement cellulaire individuel est demeure un voeu pieux sous le
règne de la promiscuite.
Dans les maisons d'arrêt, il n'est pas rare de constater
que la seule difference notoire entre le regime d'incarceration des prevenus et
celui des condamnes est le nombre hebdomadaires de parloirs qui peuvent leur
être accordes (deux pour les prevenus, un pour les condamnes).
L'absence totale de prise en consideration de la situation
sociale et familiale du prevenu renforce la violence du choc cause par sa
projection dans le milieu carceral : permettre au magistrat instructeur de OE
ventiler ç coauteurs et complices dans les etablissements penitentiaires
de la region afin d'eviter tout contact entre eux ; ce peut être aussi
augmenter l'isolement du prevenu qui, incarcere a des kilomètres de son
domicile recevra peu de visites de son entourage dont la situation materielle
se trouve frequemment fragilisee du fait de l'incarceration ; c'est aussi
choisir d'accroitre le risque de rupture familiale. Sans compter le fait qu'une
telle pratique engendre d'autres difficultes qui peuvent sembler materielles et
derisoires mais sont cruciales pour un detenu : l'entretien de son linge et
donc l'enjeu de son hygiene personnelle et de sa dignite, le coOt des
transports subi par ses proches qui influera peut-être sur leur capacite
a lui adresser des mandats pour lui permettre de cantiner...
Peut-on decemment se contenter de considerer qu'il n'aurait
pas du par ses actes se placer dans une situation de risque d'incarceration ?
N'oublions pas qu'a ce stade de la procedure, il est toujours presume
innocent...
Si l'on peut aisement entendre le fait que les necessites de
l'instruction requierent l'interdiction de tout contact entre les co-prevenus,
on peut aussi entendre qu'il puisse être mis en oeuvre d'autres securites
pour parvenir a cet objectif que la solution simpliste de l'eloignement
geographique.
D'autre part, le placement d'un prevenu a l'isolement
constitue un moyen de pression psychologique tout aussi deloyal que la
fabrication de preuves ; or, si cette dernière est lourdement
sanctionnee l'isolement, lui, est pratique en toute legalite. L'individu passe
en l'espace d'au maximum 72 heures de la liberte a l'absence et la prohibition
de tout contact avec autrui. Seul face a lui-même, ne disposant d'aucun
droit de visite hormis son avocat et les gardiens qui, en depit de leur
eventuelle bonne volonte, ne peuvent lui accorder davantage que de courtes
minutes pour parler. Il conserve le droit a la correspondance. Il n'est pas
rare qu'au cours de cette periode l'observation de la correspondance
revèle un etat de confusion voire un etat depressif profond duquel il
mettra parfois longtemps a sortir. Des symptômes physiques peuvent
être constates : après deux mois d'isolement, la voix est changee,
eteinte ; elle se ranimera progressivement avec l'usage retrouve.
Les liens actuels de rattachement de l'infraction au ressort
du tribunal competent ne permettent pas davantage la prise en compte de cette
problematique : le lieu d'arrestation et le lieu de detention tendent a
favoriser le deracinement des individus : l'arrestation peut, au gre des
circonstances, se derouler aux antipodes du lieu de vie, il serait en
consequence souhaitable qu'elle ne figure au rang des liens de rattachement
determinant la competence territoriale dans le seul cas oü la procedure
prevoit la jonction ou l'indivisibilite. Le lieu de detention ne devrait pas,
etant donne l'inexistence de regles autre que la gestion des places
disponibles, pouvoir être pris en compte au titre des liens de
rattachement. En effet, la competence geographique determinee va souvent
induire les decisions prises quant a l'etablissement auquel sera adresse le
mandat de depôt et conditionnera pour de longs mois l'eloignement du
detenu de ses proches.
Le milieu carceral ne peut pas par nature être ouvert
sur l'exterieur ; il se doit neanmoins de permettre au secteur associatif
specialise un accés et le tissage de liens psychologiquement necessaires
au detenu pour limiter les mefaits engendres par une deconnexion faussant la
perception des realites. Les associations intervenant auprès de ces
publics sont assez peu nombreuses, disposent de moyens limites et
interviennent
sur des champs d'intervention reduits. Si le reseau fonctionne
relativement bien autour des centres de detention ; la presence associative est
plus limitee au voisinage des maisons d'arrêt. La pratique des visiteurs
de prison est essentielle car elle constitue un contact exterieur avec lequel
le detenu peut nouer des liens; un contact non concerne par son affaire et
centre sur l'ecoute. Cependant, la mission de ces benevoles ne peut aller
au-dela de l'attention et du reconfort moral prodigue. Elle n'a pas pour
finalite l'apport d'un soutien psychologique qui dans ce cadre fait cruellement
defaut.
Systématisation de prise en charge psychologique et
expertise construite a partir d'une relation suivie.
La proposition d'une visite de psychologue en dehors du
contexte de l'expertise obligatoire est frequemment formulee au detenu. Son
effectivite reste subordonnee a l'echo reçu d'une part car ce type de
demarche rendue obligatoire se vide instantanement de sa substance, d'autre
part, cette intervention qui demeure ponctuelle est loin d'être
suffisante. La visite permet de debonder mais non d'entamer un veritable
travail de fond autour de l'acte commis et du vecu de la detention. Il serait
necessaire de se doter de moyens importants permettant la mise en place de
suivi a la demande des detenus.
Les personnes adherentes a cette proposition seraient
informees du fait que l'expertise psychologique serait effectuee par le
praticien en charge de ce suivi; solution compatible avec celle de l'expertise
unique precedemment evoquee.
Les personnes non adherentes a cette proposition feraient
l'objet d'une expertise classiquement organisee. Une telle preconisation
necessite l'elargissement de la reflexion a la possibilite pour le praticien de
conserver le recul necessaire a l'accomplissement de sa mission mais aussi aux
moyens materiels qui devraient être mobilises : L'augmentation du temps
consacre a l'expertise via la mise en place d'un suivi mobilise des coOts
supplementaires et peut-être rendue difficile par le nombre d'experts
relativement faibles au regard du nombre de cas a traiter par ressort de cour
d'appel, d'autant que les experts exercent a titre principal d'autres fonctions
et que ces professions tendent vers une certaine penurie. Il pourrait
être fait appel au secteur associatif specialise dont l'intervention
serait sans doute moins coOteuse et dont la proximite faciliterait
l'accomplissement de ces missions. Certaines associations emploient du
personnel qualifie et pourraient sous reserve de la mise en place d'un cadre
d'intervention formalise être mandatees et financees pour ce faire.
Lien entre défenseur et praticien
Actuellement, ce lien n'existe pas et tend même vers une
certaine forme de prohibition puisque l'avocat doit se contenter de recevoir le
resultat des expertises psychologique et psychiatrique et d'eventuellement
solliciter une contre-expertise. La non information de la designation de
l'expert prealablement a l'accomplissement de sa mission peut s'apparenter a
une certaine forme de diabolisation de la profession d'avocat qui pourrait
detenir un pouvoir d'influence sur des professionnels de la connaissance du
fonctionnement de l'humain !!! ...C'est la prêter aux avocats une faculte
de retournement dont ils aimeraient sans doute disposer, malheureusement pour
leurs clients, ils ne sont encore que des hommes et des femmes, anges c'est a
voir, gardiens... des libertes fondamentales sans doute ; mais Josephine...le
droit de rêver ne peut être ôte a quiconque.
Le contact etabli entre avocat et expert pourrait enrichir la
connaissance dont ce dernier dispose du dossier. L'avocat se forge une vision
singuliere de l'accuse car celui-ci lui accorde sa confiance et s'exprimera
beaucoup plus aisement auprès de lui que face a un psychologue ou
psychiatre qu'il tendra a considerer avec une certaine defiance. Sans pour
autant trahir le secret professionnel, l'avocat peut apporter des elements non
de fait mais de perception de son client. Ce contact s'etablirait a
l'initiative de l'avocat, facultativement et selon ce que ce dernier estime
pouvoir fournir comme eclairage dans l'interêt de son client. La critique
issue du risque a voir s'etablir une relation entre avocat et expert est sans
objet, d'autant que cette même relation existe entre expert et
magistrat.
Eriger les mesures préconisées externes a la
profession d'avocat en composantes effective de l'exercice des droits de la
defense.
Reforme de l'expertise psychiatrique et psychologique,
instauration du suivi psychologique effectif sur demande des prevenus,
ouverture a l'avocat d'une possibilite de contact avec l'expert : De telles
mesures necessiteraient une reforme en consequence du code de procedure penale
accompagnee d'une reflexion conduite sur le regime des nullites auxquelles ces
mesures se rattacheraient. Il en va de leur portee et de leur effectivite,
s'agissant notamment de la proposition de suivi psychologique faite au detenu
et de l'information de l'avocat de l'expert designe de façon a lui
permettre s'il le souhaite d'etablir le contact. Nullite textuelle ou
virtuelle, peu importe ; le debat se situe bien davantage sur la reconnaissance
ou non du caractère d'interêt general de ces deux mesures. A
priori, ces nullites seraient des nullites d'interêt prive car les
mesures visees
semblent bénéficier au seul mis en examen et par
consequent, leur invocation serait subordonnée a la demonstration de
l'existence d'un grief.
En revanche, leur rattachement aux formalités de
clâture de l'information, par exemple en conditionnant la validité
de l'arrêt de mise en accusation a l'adjonction a ce dernier du compte
rendu de l'exécution de ces mesures, pourrait permettre de les lier a
l'intérêt de la bonne administration de la justice et de les
ériger au rang des nullités d'intérêt general, cette
conception integrant la prise en compte du caractère intrinseque du
grief. L'invalidité de l'arrêt de mise en accusation emporterait
d'office la fin des effets du mandat de dépôt auquel se
substituerait le placement sous contrâle judiciaire de
l'intéressé pour la durée.
Du pied de l'avocat glisse en 1798 dans la porte du cabinet
d'instruction a l'étendue actuelle des droits de la defense, deux portes
fondamentales demeurent a ouvrir : celle du commissariat dont les verrous
commencent a ceder et celle de la maison d'arrêt pour adapter le
traitement des prévenus aux exigences requises par la présomption
d'innocence.
Le comportement de l'accusé guide par son avocat
répond a deux enjeux fondamentaux : celui d'une defense de qualite et
celui d'un procès equitable dans une conception infiniment plus large
que celle enoncee par la jurisprudence de la Cour Europeenne des Droits de
l'Homme.
CONCLUSION
Renforcer les droits de la defense, mieux armer les avocats
pour lutter contre les multiples assauts du tout repressif equivaut sans
conteste a plaider a contre-courant de notre epoque, a lutter contre les
derives d'un regime dissimulant son autoritarisme sous une rigueur rendue
incontournable dans un contexte de crise.
Face a la manipulation de l'opinion publique a qui l'on
explique a grand renfort d'exemples cibles que la securite est un objectif
repondant a son besoin ; les concepts positivistes ressortent des placards,
depoussieres, astiques, savamment saupoudres de notions non juridiquement
definies telles la dangerosite, la deviance...
La necessaire justification des mesures proposees passe par
une phase d'objectivation et d'amoindrissement du principe de personnalisation
de la peine, comme si l'automatisation de la sanction pouvait constituer un
remède contre le crime.
N'en deplaise a ceux qui portent l'ideologie d'une societe
ayant vaincu le crime; ce dernier ne peut être eradique quelque soit la
politique penale mise en oeuvre : le crime fait partie integrante de la vie
sociale dont il est lui-même le produit.
En revanche, le portrait même du criminel semble
evoluer, plongeant au choeur du système judiciaire des individus qui,
contrairement a tout dogme positiviste, n'ont a priori aucune <<raison
ç de s'y retrouver. Des individus de plus en plus jeunes et d'autres de
plus en plus âges ; pour ces derniers souvent decrits comme sans histoire
par leur entourage. Les stereotypes du tueur en serie et du crime organise font
sans nul doute recette sur ecran mais sont loin d'être a l'origine de
l'engorgement des cours d'assises. Le crime actuel est le reflet des maux de
notre societe souffrant la perte de ses valeurs, l'eclatement de la cellule
familiale, la solitude et le chômage recurrent...
Hormis la specificite des crimes revelateurs de pathologies,
le criminel d'aujourd'hui peut être potentiellement chacun d'entre nous
dans un geste d'impuissance, de desesperance, de lassitude face aux difficultes
de la vie...Près de 80% d'entre eux ne recidiveront jamais ; a commencer
par les auteurs de viols dont seulement environ 2% reitèrent leur crime;
est-ce par crainte de se voir appliquer une peine plancher ?
Si la mobilisation dans la lutte contre la criminalite est
necessaire, encore faut-il situer les interventions au niveau ou elles auront
une chance de produire l'effet escompte soit la diminution des crimes et non la
satisfaction de l'electorat.
La prevention de la delinquance a desormais quitte ces
frontières, envahit la quasi-totalite des domaines de
l'interventionnisme public, de l'education nationale a l'aide sociale.
Apprehender les ressorts de la psychologie de ces individus
dont la vie bascule soudain dans le crime, sans le moindre precedent, sans le
plus infime signe avant coureur, est un enjeu majeur pour l'avocat penaliste
qui tient a bout de bras ou plus exactement de voix les prochaines annees de la
vie de son client.
La profession a conscience de cet enjeu et de ses
responsabilites. Elle sait aussi que son positionnement et son engagement dans
une reflexion sur la place de la psychologie ne saurait suffire en depit de
toutes les resolutions qui pourront être prises.
Il appartient a l'ensemble des acteurs politiques ou
judiciaires d'introduire le facteur psychologique dans leur reflexion vers des
axes de progrès, pour une procedure penale plus respectueuse de la
presomption d'innocence, pour une applicabilite plus effective des dispositions
de l'article 144 du dit code; pour lutter contre la survivance du traumatisme
vecu bien au-dela de la duree de la peine prononcee.
La victime demande respect de sa souffrance et indemnisation
du prejudice subi; par notamment la loi sur la retention de sOrete, la societe
demande l'acharnement sur le condamne ayant purge sa peine... De l'ancien
regime a l'epoque contemporaine, sommes-nous seulement passe de la vengeance
privee a la vengeance publique ? Quand serons-nous donc en capacite de bannir
ce terme de notre système repressif ?
SOURCES
Ouvrages :
L'aveu, Renaud Dulong
Histoire du droit criminel des peuples anciens, A du
Boyes Aperçu de l'histoire du droit pénal français, JP
Doucet Introduction a l'histoire du droit pénal, Dalloz
Guide des archives judiciaires et pénitentiaires,
JC Farcy Droit pénal spécial, précis Dalloz
La victimisation, Souad Bouaoili-Ait Ouarab
Médiatiser ou média-attiser le crime
Mickael Tantinne Place des experts Me François Gibault
La parole est a la défense Me Emile
Polack
Revues:
Journal international de victimologie, article de
Jean-Pierre Bouchard 2006 Revue international de droit pénal ERES
2001
Le jury en France, une histoire jamais terminée,
Jean Pradel
Le Monde, article de Dominique Boy-Mottard 7 juin
2010
Etudes:
Les tournantes, Laurent Mucheilli
L'expert et l'avocat dans le procès pénal,
Philippe Thomas Les condamnés de 2001, SDSED
Les conditions de détention en France,
Sénat 2005 L'expertise psychiatrique pénale, Bruno
Gravier
Sites Internet:
Association Lysias
Droit criminel
Archives de France
Sénat
Légifrance
Criminocorpus
Ministère de la Justice et des
Libertés
Documentation Française
Amnesty International
Journal d'un avocat
Centre National de Documentation Pédagogique
Conseil National des Barreaux
Citoyens et Justice
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