Mémoire de recherche sociologie Master
2 Présenté par: El Kettab
Nejwa Sous la direction de: Madame Chafika
Marouf
ENGAGEMENT POLITIQUE ET ASSOCIATIF DES FEMMES
EN MAURITANIE
Le « négoféminisme maure » :
entre stratégies féminines et pratiques informelles du pouvoir
politique
UPJV 2011-2012
REMERCIEMENTS:
En préambule à ce mémoire, je souhaite
adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui m'ont
apporté leur aide et qui ont contribué à
l'élaboration de ce mémoire ainsi qu'à la réussite
de cette année universitaire.
Je tiens à remercier sincèrement ma directrice
de mémoire Madame Chafika Marouf pour ses conseils, ses
réflexions et sa disponibilité. Merci de m'avoir laissée
travailler avec une telle indépendance, tout en m'apportant un
encadrement de qualité et un grand réconfort.
Mes remerciements s'adressent également aux
éminents sociologues et chercheurs qui m'ont guidé et
conseillé avec une grande générosité tout au long
de mes recherches : Le professeur Abdel Wedoud ould Cheikh ainsi que le
professeur Nadir Marouf.
J'exprime ma gratitude à toutes les femmes
interrogées pour ce mémoire qui ont accepté de
répondre à mes questions avec gentillesse et
disponibilité.
Je n'oublie pas mes parents pour leur contribution, ma
mère qui ma toujours encouragée à aller au bout de mes
recherches sociologiques ainsi que le soutien sans égale de mon
père Mohamed Lemine ould El Kettab, ses précieux conseils et sa
confiance qui ont constitués ma principale motivation pour
l'élaboration de ce mémoire.
J'adresse mes plus sincères remerciements à tous
mes proches et amis, qui m'ont toujours soutenus et encouragés au cours
de la réalisation de ce mémoire.
Enfin je dédie ce mémoire à mon père,
à notre amour pour la découverte et la réflexion
intellectuelle.
Avant propos p.6
Introduction p.7
a)Informations d'ordre général sur la Mauritanie
p. 8
b)Présentation de la figure féminine maure: La
femme mauritanienne, entre une culture de l'émancipation et une
tradition patriarcale. p.10
I. Constitution de l'Etat Mauritanien: Insertion des
femmes dans la sphère politique et dans les activités
collectives
A. Rappel historique:
a) Indépendance de l'Etat mauritanien p.13
b) Le rôle des femmes dans le processus de la
décolonisation p. 17
c) La création du premier mouvement national des femmes
et insertion de l'activité féminine dans la sphère
politique. p. 18
d) Prolifération d'associations féminines :
Typologie des différentes associations existantes, leur rôle et
leur fonction dans la société civile. p.24
B. Le mouvement des Kadihine : Un mouvement syndicaliste
révolutionnaire...
a) Contexte politique et émergence d'antagonismes
idéologiques p. 32
b) Prolifération d'un militantisme de la jeunesse au
coeur de ce mouvement et constitution du parti des Kadihines. p.34
c) Impact de cette mouvance politique sur l'activité
politique et les trajectoires des femmes aujourd'hui en Mauritanie. p.37
d) Un autre féminisme : un engagement sur plusieurs
fronts p.46
C. Régime politique démocratique : De 1984
à nos jours
a) Votes des lois sur la parité (Quota, Sénat,
partis politiques,...) et l'évolution de la situation des femmes dans le
paysage politique au regard de la mise en place de ces politiques paritaires.
p. 51
b) Principales revendications féminines, renforcement des
discours féministes dans les sphères
décisionnelles.
|
p.55
|
c) Statut social de la femme et lieu de pouvoir : Une approche
du genre
|
p.64
|
d) Rôle de la jeunesse: quelle place pour la jeunesse
féminine sur la scène publique ?
|
p.67
|
|
II. Statut social et engagement féminin : un
pouvoir à tendance « informelle » ?
A. Les champs d'actions des femmes dans le monde
urbain. p.68
a) Le Commerce : espace féminin et réseau
social source de contributions socio-économique et politique en
Mauritanie p.68
b) Campagne féminine » électorale : Quand
la voix du citoyen est portée par la voix des femmes .....p.71
B. Sphère publique et sphère domestique
: Relation dialectique entre ces deux espaces et rapport de genre :
a) L'espace mondain comme espace de pouvoir : Comportements
féminins et hiérarchie sociale p.75
b) Une sociabilité organisée autour des femmes
: Le théâtre de la réussite sociale. p.77
c) Le concept de Harîm comme grille de lecture pour
l'analyse de l'organisation tribale et politique de la société
maure (Référence aux travaux de Pierre Bonte) p.80
III. Entre tradition et modernité : Quelle place
pour la femme dans le milieu social et politique ?
A. La place de l'éducation traditionnelle : Ordre
tribal comme mode de transmission du savoir.p.84
a. Impact de l'éducation traditionnelle sur le statut
personnel de la femme : Le cas des femmes « zawyat »et « hassan
» p.88
b. Statut féminin « des femmes savantes »
p.91
c. Education traditionnelle: une entrave à la
scolarisation des filles ? p.93
B. Dimension anthropologique et religieuse
a) Statut juridique de la femme maure «l'islam maure
» et la place des femmes p.98
b) Spécificité culturelle des pratiques
matrimoniales, statut particulier de la femme divorcée p.99
Conclusion
p.101 Bibliographie:
-Ouvrages p.103
-Articles p.105
Avant propos:
Etant mauritanienne et ayant grandi dans cette culture
complexe ce qui implique l'intégration de ses codes et de ses valeurs,
ce travail devient un moyen de dépasser mes propres prénotions et
un exercice sur moi-même indispensable à ma formation de
sociologue afin de cerner les réels mécanismes sociologiques qui
soutiennent les interactions sociales et le mode de pensée sur lequel se
fondent l'organisation d `une société. S'ajoute à cela que
je porte un intérêt particulier à la condition de la femme
dans le monde arabo-musulman d'où le choix du sujet «le
Féminisme islamique» pour mon mémoire de recherche en
Master1. Mes convictions féministes et ma volonté de participer
à la production intellectuelle mettant en évidence les enjeux
politiques et sociaux autour de la question de l'inégalité
homme-femme sont à l'origine de mes motivations et de mon engagement
personnel pour la cause de l'émancipation de la femme musulmane et/ou
arabe. Les spécificités culturelles de la société
maure et sa lecture de l'islam sont à l'origine de la situation
particulièrement avantageuse de la femme mauritanienne. Ainsi, cerner
les mécanismes sociaux de cet état de fait peut constituer une
clé analytique pouvant être au service des réflexions et
des discours autour des processus décisionnels visant à
améliorer la condition de la femme dans les pays en voie de
développement. Sans avoir la prétention de vouloir
résoudre l'énigme de l'éternel patriarcat propre aux
sociétés arabo-musulmanes (et dans une moindre mesure aux
sociétés occidentales), cette analyse peut néanmoins
apporter quelques éléments de réponse aux questionnements
relatifs à l'émancipation de la femme dans une
société traditionnelle et islamique.
Introduction:
«Les Mauresses conservent plus d'empire sur leurs maris
que nos dames françaises»1 cette remarque de
l'explorateur René Caillé peut être complétée
par celle du géographe maghrébin Ibn Battuta (au 14ème
siècle) qui s'étonna lors de son périple le conduisant en
Mauritanie :«La condition de ce peuple est étonnante, et ses moeurs
sont bizarres. Quant aux hommes, ils ne sont nullement jaloux de leurs
épouses» pour souligner la particularité de la figure
féminine maure. La femme maure jouissant d'un statut particulier a fait
l'objet d'un certain nombre de réflexions tentant de comprendre sa
position parfois paradoxale dans la mesure où il s'agit d'une
société arabe fondée sur des règles islamiques
rigides et dont les traditions et la culture propre sont la source de
l'émancipation des femmes, leur permettant de jouir d'un certain
pouvoir.
L'intérêt de notre étude ici est de voir
justement les limites du pouvoir féminin et les origines
socio-historiques soutenant «cette culture féministe».
Comment la culture maure favorise t'elle à la fois
l'émancipation féminine et le maintien d'un patriarcat au sein de
la sphère politique? En quoi la norme sociale et les traditions
créent des espaces de pouvoirs réservés aux femmes et en
excluent d'autres?
Cette enquête tourne autour de la question de
l'engagement politique et associatif féminin en Mauritanie, l'aspect
culturel étant un des volets analytiques principaux de cette
étude, il s'agira pour nous ici de se pencher sur la culture maure plus
spécifiquement. La Mauritanie étant un pays pluri-ethniques,
renfermant ainsi une diversité culturelle et des modes de pensées
différents en fonction des communautés, il est nécessaire
ici de traiter le sujet en se penchant sur un seul mode culturel (ce qui
n'exclut pas des comparaisons avec les autres systèmes de pensée
présents sur le territoire mauritanien), à savoir la culture
maure.
1Figures du féminin dans la société
maure- Aline Tauzin- Editions Khartala- 2001
a) Informations d'ordres générales sur la
Mauritanie
Tout d'abord il est important de mettre en avant la
spécificité politique de la Mauritanie, car en effet se situant
à la charnière de l'Afrique noire et du Maghreb, elle
présente des particularités significatives tant au niveau
culturel que politique. C'est donc d'une part un pays musulman (de rite
malékite) le rattachant au monde du Maghreb (et plus
spécifiquement arabo-berbère) et l'Afrique noire (par la
présence d'une large communauté négro-africaine:
Soninké, Poular et Wolof). C'est aujourd'hui une République
islamique, on peut parler «d'une démocratie mauritanienne [...]
islamique, centraliste, nationale, socialiste»2. Cette
spécificité politique de l'État mauritanien s'explique par
le refus des mauritaniens d'intégrer la totalité des valeurs et
des codes occidentaux apportés par le principe démocratique mais
de garder la philosophie d'un système juste et égalitaire tout en
fonctionnant sur un modèle islamique car l'islam constitue
l'éthique général de cette population; une éthique
religieuse qui régit les codes et les valeurs des rapports sociaux.
L'objectif principal de l'établissement d'une démocratie
nationale est de garantir une unité nationale centralisée car
avant la colonisation il n'existait pas d'État fondé sur un
pouvoir étatique unique mais il s'agissait plutôt d'un ensemble
disparate de groupes dominants. En effet, les populations de cette zone
étant à majorité nomades, il n'existait pas d'instance
supérieure régissant l'ensemble du territoire mais l'Islam
constituait le socle spirituel commun de ces habitants.
Ce pays qui a connue une colonisation française d'une
trentaine d'année a connu son indépendance en Novembre 1960, et
c'est dans un esprit de « construction » et non pas de «
reconstruction » que le premier président de la Mauritanie
indépendante Moktar Ould Daddah s'est engagé pour créer un
État démocratique islamique et socialiste. Ce socialisme en
question ne se réfère à aucun schéma
européen ou modèle établi dans un autre pays, il s'agit
d'un socialisme « mauritanien » encourageant l'action d'une
économie privée (et dans une certaine mesure individuelle) pour
amener les populations à développer divers savoir-faire. C'est
donc un État récent dont les frontières parfois
tracées à la règle, tentant de rallier une identité
culturelle propre à lui et dans le même temps emprunter une
philosophie issue d'autres systèmes lui garantissant une
légitimité auprès des autres nations indépendantes
et modernes.
2 Le Dossier de la Mauritanie- Attilio Gaudio- Nouvelles
Editions Latines 1978
Cependant à l'heure actuelle on assiste à une
montée de revendications prônant les valeurs républicaines
comme le seul remède au sous développement et les putschs
consécutifs qu'a connus la Mauritanie cette dernière
décennie témoignent d'une volonté profonde de changements
au sein de la population.
Géographiquement, la Mauritanie est située
à la charnière entre l'Afrique Blanche et l'Afrique Noire, elle
constitue de ce fait l'interface entre les populations Arabo-berbères
Maghrébines et celles Négro-africaines sahélo-sahariennes.
C'est un espace de brassages sociaux et de métissages culturels, et ce
depuis la haute antiquité.
La Mauritanie a connu son indépendance en 1960, un
régime parlementaire multi-partite, qui s'est petit à petit
mué en un régime à parti unique, supprimé lui, en
1978 par un coup d'état militaire. Les deux décennies suivantes
se caractérisent par une série de putches, pour connaitre une
certaine stabilité politique à partir de 2005 jusqu'à
aujourd'hui malgré une forte agitation de la société
civile et des populations revendiquant des changements dans la mouvance du
printemps arabe.
L'ethnie maure est d'origine arabo-berbère. Certains de
ses éléments arrivèrent dans le Sahara occidental
dès le second ou le troisième siècle après J.C.
Cependant pour les maures, leur Histoire commence avec l'épopée
des Almoravides qui étendirent l'Islam vers le sud détruisant
l'Empire du Ghana en 1077. Puis au 14eme siècle, une tribu arabe (les
Maquil) venue d'Orient arrive en Mauritanie et après la guerre du
Char Bouba 3laissant place à une nouvelle structure
sociale issue de ce métissage arabo-berbère dès le
18ème siècle. C'est ainsi que ces émirats ont pu se mettre
en place (petites royautés) telle que ceux du Trarza, du Brakna, de
l'Adrar, etc. dans différentes zones du territoire. C'est sur cette
nouvelle organisation fondée sur des royautés bien
définies que se sont articulées l'organisation et la
hiérarchie des différentes classes et castes (tribus). On peut
parler d'un système de castes car c'est une structure qui renferme une
réelle distance sociale entre ces différentes catégories
et leurs interactions sont fondées sur des codes et des règles
rigides judicieusement respectées. On peut parler également de
classes dans la mesure
3.Guerre de Trente Ans mauritanienne, a eu lieu entre 1644-74
dans les zones tribales de ce qui est aujourd'hui la Mauritanie et le Sahara
marocain. Ce fût un combat entre les Sanhadja résident dans la
région, dirigée par Lamtuna Imam Nasr ad-Din, et les tribus
arabes immigrées Maqil, au premier rang desquels était les Beni
Hassan.
où le pouvoir économique et politique (on
pourrait même parler du capital économique et culturel au sens
bourdieusien) est détenu par les castes supérieures (à
savoir les tribus guerrières et maraboutiques4).
b) Présentation de la figure féminine
maure : La femme mauritanienne, entre une culture de l'émancipation et
une tradition patriarcale.
C'est donc dans ce contexte culturel et politique que la femme
mauritanienne active tente de concilier entre les prérogatives de la vie
moderne politique démocratique et son rôle social, à savoir
respecter les règles traditionnelles encadrant sa place au sein de la
communauté. En effet, il est important de rappeler qu'au delà des
avancées politiques pour l'émancipation de la femme et des
avantages que présentent la culture maure, il existe un ensemble de
codes visant à contrôler ces femmes. La pudeur et la
chasteté sont considérées comme les qualités
essentielles attribuées aux femmes qu'elles se doivent de respecter sous
peine de se voir rejeter par le groupe ou d'être l'objet d'un
déshonneur tribal.
« Keyd en-nissa » (ruse des femmes), cette
expression largement reprise dans le dialecte Hassaniya (parlé par les
maures) illustre parfaitement la « crainte » qui alimente toutes les
conceptions construites autour de l'aspect dévastateur de la femme.
Dotées d'une intelligence (le terme le plus adéquat ici serait
« ruse ») lui permettant de manipuler les hommes, détourner
les lois divines ou contourner les règles; elles sont capables de
détruire l'homme ou de le rendre « fou ». Il existe une
quantité importante de contes et de poèmes considérables
maures et arabes visant à prouver que les femmes sont
machiavéliques. Ce sont des croyances populaires largement diffuses dans
la péninsule arabe et qui continuent de caractériser le mode de
pensée de tout le pourtour méditerranéen. Et
parallèlement à cela il y a cette définition du
désir féminin (ou de la femme) où il y a quelque chose
d'irrésistible et d'aliénant dont la littérature des
textes arabes rend d'ailleurs compte avec une précision que n'atteint
pas la langue française d'où cette
4.La guerre de Char Bouba se termina en défaite pour les
tribus amazighs, et ils furent à partir de ce moment forcés de
remettre leurs armes et de se soumettre aux tribus guerrières arabes,
auxquel ils payaient le horma («la razia») un impôt tribal
sorte de protection accordée par le vainqueur au vaincu. Ils resteront
présents au bas de l'échelle sociale que ce soit comme
exploitants agricoles semi-sédentaires et pêcheurs ( tribus
Znaga), ou, plus haut sur l'échelle sociale, en tant que tribus
religieuses (de marabout ou zawiya).
conception de la femme comme séductrice et
dévastatrice récurrente dans les poésies arabes depuis des
siècles. Pour mettre en avant cet état d'esprit
omniprésent dans la société maure, l'anthropologue Aline
Tauzin5 a écrit un ensemble de récits (qu'elle a elle
même traduit du hassaniya au français) reprenant des contes
(proches des mythes ou des légendes) maures qui mettent l'accent sur cet
aspect néfaste des femmes qu'il faut éviter et contrôler.
Des histoires de la société maure qui font étalage de
l'aptitude des femmes à susciter le désir, leur insoumission
à la loi divine et de leur perversité lorsqu'il s'agit de la
contourner pour s'emparer des biens des hommes ou de les rendre faibles et
à leur merci (Aline Tauzin nous parle d'un aspect « castrateur
» dans l'analyse psychanalytique de ce phénomène dans son
ouvrage « figures du féminin dans la société maure
»). Ainsi s'établit une distance entre les hommes et les femmes,
une distance comblée par une diversité de poésies (la
poésie et l'art du verbe étant au centre de la culture maure)
avec une tonalité élégiaque exprimant le tourment des
hommes causé par ces femmes. A noter également que les femmes
dans cette société à l'origine nomade du désert
(avant l'urbanisation mais ceci est toujours valable dans le milieu urbain)
assument les devoirs de l'hospitalité et d'entretiens du foyer et des
affaires qui sont liées à la survie du groupe et de la famille.
Et dans le même temps, les hommes (s'agissant des frères
ainés ou des maris) quand ils sont présents servent les femmes,
se soucie de leur bien être et ne laissent pas s'installer auprès
d'elles une déplaisance ou une souffrance. Cette volonté de
servir la femme de manière à ce qu'elle ne manque de rien vient
expliquer ce rite du gavage et de l'entretien du corps de la femme
présent dans cette société. Les filles sont
préparées dès leur naissance à devenir «
belles » et donc grosses: « Le corps féminin fait l'objet d'un
investissement très important. Il est soumis, dès la naissance,
à toute une série de manipulations et de marquages... » .
Être grosse est en effet un critère de beauté, la femme
doit avoir des rondeurs qui témoignent de son appartenance à une
grande tribu (riche et puissante dont les filles ne manque de rien), signe de
prospérité et de bonne éducation, l'entretien du corps des
filles est donc une affaire de femmes mais aussi de l'honneur très
importante. Cette pratique du gavage est appelé « lebluh », la
fillette (dès l'âge de 6 ans) est forcée à
ingurgiter une grande quantité de lait (de chamelles ou de vaches) et
toute une quantité
5.Anthropologue et spécialiste du monde arabe,
chargée de recherche au CNRS dans l'unité » psychanalyse et
pratique sociale de la santé », elle a enquêté depuis
les 1970 auprès de femme du Yémen, de la Mauritanie et des
milieux urbains mauritaniens.
de nourriture grasse. Par le massage et le gavage on cherche
à en faire un corps lisse et dont la rondeur la rapprochera du mariage
le plus vite possible afin d'éviter un risque de déshonneur de la
femme: Plus tôt la fille est mariée mieux c'est pour le prestige
du groupe mais aussi afin d'éviter un éventuel scandale puisque
le désir de la femme est considéré comme étant plus
intense que celui de l'homme, elle peut donc commettre l'erreur suprême
qui est celle de concevoir un enfant hors mariage « etverakh » (
terme repris par Aline Tauzin nous expliquant la gravité et la crainte
de cet acte par les tribus dominantes); on dit dans ces cas là que
« elle est sortie de la main » ( « marget leyd ») c'est
à dire qu'elle n'est plus sous le contrôle du groupe au plus grand
désarroi de sa famille. La pratique du gavage en tant que tel a
quasiment disparu du paysage urbain, mais il reste une minorité de
groupe la pratiquant particulièrement dans le monde rural, ce
désir d'obésité absolue aujourd'hui a tendance à
être remplacé par des rondeurs moins marquées, la femme
doit garder une légère surcharge pondérale;ce qui rend la
minceur encore considérée comme un défaut.
De plus il serait judicieux de rappeler que le terme en
hassaniya de « klitha » veut à la fois dire « grosse
» mais aussi peut être utilisé pour qualifier la noblesse
d'une tribu: on voit donc qu'il y a une correspondance entre la noblesse et
l'aspect physique, la relation qui les lie étant dialectique ce terme en
témoigne car le terme de « rgeyig » voulant dire aussi «
maigre » peut être utilisé pour qualifier une tribu de basse
classe.
La femme maure devient donc le reflet du statut d'une tribu,
de son prestige et porte en elle la renommée et la réputation du
groupe, ce qui amène à penser qu'il s'agit d'un membre à
la fois actif par son rôle social et passif dans la mesure où la
femme reste un être fragile dont on doit prendre soin. On retrouve ce
mélange subtil de l'actif et du passif chez la femme maure dans la vie
active, politique et social.
Les entretiens faits avec plusieurs personnalités
féminines engagées dans la vie active et politique pour cette
étude en témoignent, leurs discours convergent vers une
même idée d'émancipation mais limitée et parfois se
heurtant à des forces rétrogrades intimement liés aux
mentalités locales. Quel type de pouvoir est conféré aux
femmes en Mauritanie? Qu'en est-il du mythe de la femme parfaitement libre et
autonome dans la société maure? C'est par le biais d'entretiens
et d'observations participantes au sein d'une communauté que l'on va
tenter ici de décrypter le phénomène de ce que l'on peut
désigner comme étant « la force du sexe faible»,
l'antithèse des termes «force» et
«faible» met en évidence le lien étroit se tissant
entre ces deux définitions contradictoires de la femme maure.
I. Constitution de l'Etat Mauritanien : Insertion des
femmes dans la sphère politique et dans les activités
collectives
A. Rappel historique:
a) Indépendance de l'Etat mauritanien
Naissance d'une entité musulmane: Processus
d'arabisation et naissance de la Mauritanie:
A partir du XIIIème mais surtout du XVème
siècle, l'arrivée des tribus arabes Hassan en Mauritanie
va achever l'arabisation du pays en modifiant considérablement la
culture berbère préexistante. L'infiltration est progressive et
les résistances sont fortes. Au XVIIIème et XVIIIème
siècle vont se fonder les émirats du Trarza, du Brakna, du
Tagant, du Hodh et de l'Adrar. Il s'en suit des conflits incessants jusqu'au
XIXème entre les différentes tribus arabes et berbères.
Au delà des conflits, les arabes se sont
mélangés à la population d'origine berbère ou
noire, constituant au fil des siècles le groupe aujourd'hui majoritaire
en Mauritanie, les Arabo-berbères ou Maures. La société
maure a pris son originalité avec l'arrivée progressive des
tribus Hassan auxquelles elle doit sa répartition en tribus (on peut
utiliser le terme caste dans la mesure où ce système repose sur
une hiérarchie sociale rigide régissant l'activité du
pouvoir et les alliances) et sa langue, le Hassaniya, dialecte parlé par
les nouveaux arrivants.
La colonisation: Déstructuration du cadre
traditionnel du Pouvoir:
En 1904, la Mauritanie devient protectorat Français, en
1920, elle est transformée en colonie Française, avant
d'être arbitrairement incorporée à l'Afrique Occidentale
Française. Ayant approuvé par voie référendaire la
constitution de la 5ème République Française, le pays
devient membre autonome de la Communauté Française de l'AOF et le
28 Novembre 1960 il accède à l'Indépendance Nationale. Il
a par la suite connu une évolution politico-institutionnelle qui aboutit
à l'instauration de la 3ème République et l'adoption,
à partir de 1992, du pluralisme politique qui est en cours à
l'heure actuelle.
On sait que suite à la colonisation de nombreux pays de
l'Afrique de l'Ouest ont subi une profonde déstructuration du cadre
traditionnel de l'organisation du pouvoir. En Mauritanie on est passé
d'un pouvoir décentralisé à un pouvoir centralisé
comme le requière la démocratie calquée sur le
modèle français. Les tribus Guerrières qui
détenaient le pouvoir militaire et décisionnel (partagé
avec les tribus maraboutiques: Les zwayas) se sont retrouvées
dans un système nouveau en inadéquation avec leur habitudes de
gouvernance. D'où la fragilité du processus démocratique
que connait aujourd'hui la Mauritanie, c'est une République Islamique
qui a connu plusieurs coup d'États avant de pouvoir aspirer à une
véritable démocratie (présidée actuellement par le
Général Mohamed ould Abdel Aziz). C'est donc un État qui
rallie valeurs démocratiques modernes et croyances religieuses fortement
ancrées: la population mauritanienne fait de ces valeurs spirituelles et
de sa civilisation un attachement à l'islam et aux principes de la
démocratie tels qu'ils ont été définis par la
déclaration Universelle des droits de l'Homme du 10 décembre
1948.
Processus de décolonisation et mise en place d'un
parti unique: Naissance de l'Etat Nation
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qu'illustre bien
la création de l'organisation des Nations unies, l'ordre international
devait être l'ordre des États, pas de n'importe quel type
d'État: l'ordre des États-nations. C'est au nom de ces principes
que partout fut poursuivie et encouragée la lutte pour la
libération des peuples opprimés. La fin de l'oppression se
marquant exclusivement par l'accession d'un peuple à une existence
étatique universellement reconnue. Tout État nouveau devait donc
être qualifié d'État-nation.
Dans la tête des élites locales de Mauritanie il
y a d`abord le futur président Moktar ould Daddah ( premier
président de la Mauritanie indépendante), la création de
la Mauritanie devait bien, idéologiquement obéir à ce
schéma : Si le Sahara, le Sahel, le Fleuve, ainsi que le Chergue et la
Guebla représentent des entités vivantes avec des vocations
particulières, il faut placer au-dessus d'elles une entité qui
les résume toutes : La Mauritanie.
« C'est une nation qui naît. Nous en avons conscience.
Faisons ensemble la Nation mauritanienne » Moktar ould Daddah, discours
devant l'Assemblée territoriale en 1957.
Le premier président de la Mauritanie Moktar Ould
Daddah est à l'image du principe régissant l'esprit politique
mauritanien dans la mesure où cet homme symbolisait à lui seul le
rattachement aux valeurs traditionnelles, religieuses mais aussi à un
attachement fort aux idéaux modernes de la démocratie. Né
en décembre 1924 dans une famille maraboutique de Boutilimit,
«élevé dans la plus pure tradition musulmane, mais sans
sectarisme, il est demeuré fidèle à la piété
de son enfance ainsi qu'a l'enseignement paternel, aujourd'hui encore, il
continue à respecter « toutes barbes plus vieilles que la
sienne » »6. Après des études de
troisième cycle au Sénégal, il devient
fonctionnaire-interprète à l'âge de 18 ans en
19477. Puis il part en France où il passe son
baccalauréat et entame des études de droit jusqu'en 1956.
Après une brève carrière d'avocat à Dakar au
Sénégal, il rentre en Mauritanie pour suivre les affaires
politiques du Pays. Une de ces premières initiatives fut de proposer une
capitale pour le pays où il y aurait un centre décisionnel :
Nouakchott. Sa situation géographique serait selon lui
privilégiée pour favoriser le développement d'un point
d'échanges entre les régions agricoles et minières du
pays, de plus étant proche de la mer, elle favoriserait le
désenclavement du pays. Alors que Nouakchott n'était qu'une vaste
étendue désertique, Moktar Ould Daddah obtint la signature du
décret d'application transférant cette localité comme
étant le centre politique, économique et décisionnel du
pays.
Trois ans plus tard, l'indépendance de la Mauritanie est
proclamée, une indépendance au début assez relative
dans la mesure où elle restait soumise au dictat français et dont
la souveraineté symbolique visait à favoriser «
l'exploitation d'un des gisements de minerai de fer les plus riches
6.Page.327 Le Dossier de la Mauritanie- Attilio Gaudio-
Nouvelles Editions Latines-1978
7.Date coincidant avec « la création du premier
parti organisé du pays, formé dans le but de réclamer une
plus grande représentativité de l'unique député
mauritanien à l'Assemblée nationale française »
Ibid p.328
de la planète »8 . C'est dans ce
contexte néocoloniale que Moktar Ould Daddah s'est fait connaitre sur la
scène politique par ses prises de positions contre les forces politiques
françaises en particulier par son opposition farouche au projet
métropolitain d'intégration économique et administrative
dans l'Organisation Communes des Régions Sahariennes (OCRS), une
tentative française qui avait pour objectif de contrôler une
partie du désert Algérien et répartir ses richesses
minières et pétrolières entre les pays riverains du
Sahara, dont la Mauritanie. Renonçant ainsi à des subventions
versées par la France. Et c'est cette prise de position en faveur de
l'Algérie et de la souveraineté nationale des Etats Ouest
africains que Moktar ould Daddah jouissait d'une grande audience et d'un
support important auprès de ces populations. A la tête du Parti
pour le Peuple Mauritanien (PPM), il a rassemblé tous les autres partis
politiques pour une unité nationale, rassemblant la jeunesse et les
ethnies du pays. Ce parti unique et son projet unificateur
présenté lors d'un Congrès à Aleg, visait à
atténuer les antagonismes entre Noirs et Blancs, les soulèvements
syndicalistes et de la jeunesse pour une stabilité politique et sociale
vers un avenir commun de la population mauritanienne.
Il est donc important de rappeler que le processus de
décolonisation et la période post-coloniale en Mauritanie s'est
accompagnée d'un éveil contestataire politique important
(notamment s'agissant du mouvement Kadihine) qui a mobilisé hommes et
femmes pour une cause commune. Forgeant ainsi une conscience politique ayant
énormément influencé les trajectoires sociales des
personnalités influentes aujourd'hui du pays9.
Ce rappel historique et contextuel dans lequel est née
la Mauritanie met en évidence cette symbiose entre traditions et
modernité comme étant le principe régissant la vie
politique et sociale puisque on retrouve cet attachement à une forme
traditionnel du pouvoir (tribalisme et parenté en
politique10) et aux principes de l'Etat-nation moderne. Cette
faculté de s'attacher à deux états d'esprit
différents, voir opposés en Mauritanie, parfois constituant un
frein à l'avènement d'une démocratie
équilibrée peut être considérée comme une des
spécificités
8.Ibid p. 328
9.Dont des femmes engagées interviewées pour cette
étude
culturelles de ce pays. Cette remarque pouvant être
perçue comme étant assez culturaliste reste néanmoins un
constat fondé sur des réalités mauritaniennes tant au
niveau de la vie sociale qu'en ce qui concerne l'exercice du pouvoir politique.
En effet, nous le verrons c'est un phénomène pouvant s'appliquer
à la situation de l'activité féminine dans l'espace
publique et social. Pour cela il serait judicieux de commencer par exposer les
premiers pas féminins sur la scène politique en Mauritanie et
d'en déceler les fondements socioculturels ayant favorisé
l'insertion des femmes dans la vie publique.
En effet, maintenant que nous avons présenté le
paysage politique mauritanien on peut introduire la question de la femme dans
ce champ, il est plus judicieux en effet de parler d'un champ car l'action
féminine dans la sphère politique est variée et peut
prendre diverses formes. Étant donné la spécificité
avec laquelle la question du féminin est traitée, l'action des
femmes dans ce qui attrait au décisionnelle peut être
considérée d'un point de vue domestique car elle présente
des singularités s'agissant du pouvoir des femmes dans cette
société.
b) Le rôle des femmes dans le processus de la
décolonisation
« De tout temps, la Beidaniya11 s'est
intéressée à la politique. Elle a été
souvent l'inspiratrice d'expéditions de vengeance ou de guerre. Elle
exerce une influence indiscutable dans les Djema'a12. Pendant la
conquête de la Mauritanie par les troupes françaises, des
officiers, le général Gouraud, Ernest Psichari et bien d'autres
ont été frappés par la hardiesse des femmes maures qui
s'exposaient aux balles pour encourager les guerriers à la
résistance , recharger leur armes et amener les blessés à
l'abri »13 . Le mode de vie du nomadisme dans tout ce qu'il
implique comme faculté d'adaptation pour la défense du foyer (des
éventuels pilleurs « getaa treg »14 ou
d'autres attaques) a permis à ces femmes de développer un certain
courage et savoir
11. Terme en hassaniya désignant « la femme maure
»
12. Terme en hassaniya désignant une réunion , un
regroupement officiel ou non rassemblant des personnes pour une discussion.
13. Ibip p. 161
14Terme en hassaniya désignant les brigands du
désert qui s'attaquaient aux convois ou aux campements pour piller leurs
biens
faire s'agissant de la protection de leur foyer et la
défense de leur territoire. C'est ainsi que les mauresses ont activement
participé à la résistance face aux forces coloniales
françaises. Avant la colonisation, quand un campement était
attaqué, les femmes faisaient un mélange de henné et du
henné et aspergeaient les ravisseurs pour les humilier. Les femmes
maures ont donc toujours participé activement aux
événements de la vie en collectivité.
Ce rappel est nécessaire à la
compréhension de cette facilité avec laquelle les femmes en
Mauritanie ont su intégrer la vie active et politique au lendemain de
l'indépendance du pays , une nouvelle forme d'engagement imposée
par les besoins d'une vie démocratique moderne.
c) La création du premier mouvement national des
femmes et insertion de l'activité
féminine dans la sphère politique.
Les prémices de l'engagement politique des femmes en
Mauritanie: Dès l'indépendance, une nouvelle gestion
féminine du pouvoir est offerte aux femmes.
C'est au lendemain de l'indépendance nationale que
s'organise de nouvelles Instances visant a intégrer les femmes dans
l'action collective. La première organisation féminine
mauritanienne a connue le jour en 1961, à l'initiative de Mariem Daddah
(épouse du premier président de la république mauritanien
Moktar Ould Daddah). Suite à cette initiative 20 autres organisations
féminines sont crées.
Années 1960 -1980: Proliférations de groupes
revendicatifs et de discours féministes pour une insertion de la femme
dans le nouveau paysage politique:
· En 1964: A Kaédi , un groupement de femmes
participe aux initiatives d'un congrès politique ( durant lequel fut
proclamé pour la première fois la reconnaissance des droits
politiques de la femme ainsi que l'intégration des femmes au sein du
Parti du peuple mauritanien).
· En 1966 a lieu le deuxième congrès
national: Les femmes y revendiquent une législation visant la protection
juridique et sociale de la famille.
· En 1968: La femme mauritanienne obtient le droit de
« participer sans restrictions aux activités nationales » .
·En 1971, le congrès national nomme une
représentante des femmes au bureau politique national et augmente le
nombre des femmes dans les différentes instances du Parti (Sections,
fédérations, conseil national, Congrès,...).
Débute alors une véritable multiplication des
revendications malgré quelques hostilités des forces
rétrogrades, ces femmes ont su imposer leur droits et mettre en place de
véritables politiques pour la promotion de la condition féminine.
Le MNF (Le mouvement national des femmes) a commencé par mettre en place
un certain nombre d'objectifs:
· L'amélioration du niveau culturel des femmes
mauritaniennes sans distinction de race ou de religion
· La scolarisation de toutes les filles
· La protection de la femme par la lutte contre le divorce
anarchique
· La défense des droits de la femme mauritanienne
dans tous les domaines (tant au niveau social que politique) jusqu'à ce
que son niveau intellectuel et matériel lui permette d'être
l'égale de la femme dans le reste du monde
· La lutte contre l'ignorance et les mauvaises habitudes
liées à certaines pratiques archaïques
· La scolarisation des filles sans négliger
l'enseignement religieux.
· La contribution à la construction d'une
société musulmane moderne (conformément aux valeurs
véhiculées par le concept de « la république
islamique »)
· La promotion du niveau de la femme mauritanienne
jusqu'à la naissance d'un mouvement ou d'un groupe de femmes capable de
participer activement au service du pays
C'est ainsi que ces groupes de militantes s'étendirent
peu à peu sur le continent (par exemple la création en juillet
1962 d'un bureau de femmes mauritaniennes résidant à Dakar) .Le
Conseil supérieur des femmes édite deux revues « Mariemou
» et « La militante » ainsi qu'une série
d'animations éducatives destinée aux femmes
analphabètes. Le MNF devient un membre actif au sein de l'Union
internationale des organismes familiaux et a participé au Congrès
international des femmes à Helsinki en juillet 1969, au séminaire
international de Tunis concernant le droit africain de la famille... Les lignes
majeurs sur lesquels se concentrent ce militantisme tournent jusqu'à
présent autour de quelques grands axes: La protection de l'enfance et de
la famille, le respect et la garantie du maintien des droits de la femme
(statut juridique, social, matrimonial,...) ainsi que la scolarisation des
femmes et une garantie d'une formation des cadres féminins pour une
intégration des femmes dans la vie économique du pays.
Durant la fin des années 1960 et le début des
années 1970, le pays a connu une intense activité féminine
dans le secteur politique et associatif (participation à des colloques
internationaux, visites de délégations féminines
internationales, création d'ateliers de formations de jeunes filles
à divers métiers, etc.). C'est au milieu des années 1970
que le désir d'émancipation atteint son paroxysme donnant lieu
à une présence affirmée de l'action des femmes dans divers
domaines.
Le 10 juillet 1978, le Comité militaire de redressement
national dissout alors toutes les organisations des jeunes et des femmes dans
un communiqué rendu public. Le discours de la femme disparaît peu
à peu durant cette courte durée mais dès la
présidence de Maaouya Ould Sid'Ahmed Taya, qui annonça dans un
discours le 5 mars 1986, (devenu fête nationale de la femme en
Mauritanie) la demande de participation de la femme et l'affirmation de son
rôle dans le développement a réintégré les
femmes dans la sphère publique. Ce qui déboucha sur la mise en
place d'un quota de 20%15 de femme au parlement ainsi que « la
création d'un nouveau département pour les femmes au niveau du
Secrétariat permanent du Comité militaire de salut national.
»16
Une des premières personnalités féminine
mauritanienne influente sur la scène publique, fut Mariem Daddah
épouse du président Moktar ould Daddah ; d'origine
française elle a intégré la culture du pays qu'elle
considère désormais comme la sienne. Après le
décès de son mari le 14 octobre 2003, elle continue aujourd'hui
son engagement auprès de diverses associations
15Dont nous développerons l'évolution et les
retombées politiques plus loin
16Maurifemme.mr- blog rassemblant les principales
avancées du militantisme féminin en Mauritanie.
féminines et soutient un ensemble de projets politiques
en faveur de l'émancipation des femmes en Mauritanie.
Dans une interview recueillie par Modibo Keita, parue dans la
revue Africa de Dakar en février 1977 fait avec Mme Daddah en
1977 met en avant les premiers projets politiques et la vision de la
première Dame du pays alors que le paysage politique mauritanien
était en pleine construction.
A travers cette interview on arrive à percevoir
l'état d'esprit avec lequel l'Etat introduisit la femme dans la
sphère publique. Convertie à l'islam en 1977 Mariem (
Marie-Thérese) Daddah a ému le peuple mauritanien par son
attachement et sa volonté de participer au développement du pays.
Nous allons retranscrire ici un extrait de cette interview afin de mettre la
lumière sur les prémices de cet éveil politique en
Mauritanie.
« Comment assumez-vous votre tâche de contribution au
progrès du pays ? »
« J'ai été à la tête du
Mouvement des femmes, que j'ai crée avec d'autres camarades en 1964.
Auparavant (1961-1964) j'avais participé à la création des
Unions féminines. Je me suis d'abord penchée sur le sort de nos
soeurs d'ici. (Je suis avant tout une femme et c'est en tant que telle que je
suis venue ici : épouse, mère de famille, citoyenne). Je dois
beaucoup aux femmes, elles étaient les plus proche de moi et les plus
faciles a toucher. C'est elle qui m'ont appris la langue, les traditions de ce
pays, qui m'ont permis de pénétrer la mentalité de ce
peuple. J'ai eu ensuite l'occasion de lancer l'information au niveau du parti.
Il nous était apparu sur le parti manquait de vigueur dans le domaine de
l'information, qu'il avait besoin d'un support et j'ai été
chargé de lancer le Centre d'information et de formation (CIF) qui est
devenue l'institut national d'éducation et d'études politiques
(INEEP).
Récemment on ma chargée de ce projet
impressionnant qu'est la création de la Télévision
nationale dans un délai le plus court possible. J'ai lancé aussi
le Croissant rouge mauritanien en 1971 et je suis restée à sa
tête seulement un an et demi pour ensuite en confier la direction
à une compatriote. Ma façon de contribuer est donc
concrète. Je travaille au bureau toute la journée, j'ai des
équipes, je travaille comme toute citoyenne du pays.
Je dois signaler que dans mon activité, que je me
suis beaucoup intéressé à la jeunesse. La jeunesse est
chargée de prendre la relève et de faire mieux que les
générations précédentes. J'ai eu beaucoup de
contacts avec les jeunes, les intellectuels particulièrement, surtout
les nouveaux, les plus jeunes, ceux qui ont été dans une
contestation assez active dans les années 68-73 et j'ai essayé de
les comprendre, de savoir pourquoi ils contestaient, ce qui ne leur convenait
pas, quelles étaient leurs aspirations.
[...]
-Pensez vous que la libération de la femme
mauritanienne se trouve véritablement dans le Coran? (allusions à
la polygamie, à la réputation, etc....)
Cette question, très riche, doit être,
à mon avis, élargie à un champ plus vaste. [...] Notre
Parti a opté pour une voie claire : il a estimé que l'islam
orthodoxe, c'est-à-dire l'islam des premiers temps, élargi
à un champ plus vaste. « L'islam est il apte à régler
les problèmes de la société mauritanienne de demain. C'est
une gageure dans le monde actuel qui perd sa religiosité, qui est
dominé par les idéologies matérialistes (capitalisme et
marxisme). Notre voie est originale. Ce pays est islamisé depuis 1000
ans. Nous pensons qu'il revient aux jeunes génération de
démonopoliser la religion des marabouts parce que ceux-ci ne sont pas
les meilleures véhicules ( il y a ceux que nous appelons les faux
marabouts , les faux cheikh parce qu'il ne connaissent pas la religion , ils
sont basés sur l'ignorance). La religion doit passer en d'autres
mains.
Nous ne voulons pas nous perdre dans le
matérialisme du capitalisme. Nous rejetons la société de
consommation : le marxisme a des méthodes qui pourraient être
retenues, mais sa finalité ne convient pas à l'âme du
peuple mauritanien. Nous avons opté pour un islam rénové,
pour le progrès et non pour l'asservissement. S'agissant des femmes,
prenons l'exemple de la polygamie. C'est une pratique qui n'est répandue
chez nous qu'au Sud, dans la partie négroafricaine de notre peuple. Elle
est tolérée par l'Islam mais soumise à des conditions qui
font presque dire qu'elle est décommandée. Les conditions sont
rigoureuses et les versets coraniques sont extrêmement précis
à ce sujet. Mais les gens ont préféré voir ce qui
l'est avantage plutôt que ce qui est réellement écrit.
C'est le prototype de la déviation de l'interprétation de la
religion. Rien ne servira d'interdire la polygamie. C'est une institution qui
tombera en
désuétude. Je pense que la libération
de la femme se trouve dans l'islam rénové. C'est un long travail
mais nous nous y sommes mis. »
Dans un autre entretien avec Mme Mariem Daddah en Novembre
1977 paru dans la revue Remarques Africaines réalisé par
Jean Wolf, rédacteur en chef de la revue ; elle nous expose la fusion
entre islam et politique au sein du pouvoir politique mauritanien dès sa
création.
« [...] Je voudrais donc vous demander de bien vouloir
nous parler de la démocratie mauritanienne. Cette démocratie que
nous ne comprenons pas toujours très bien...Comment est elle
intégrée aux besoins du peuple mauritanien et correspond elle aux
nécessités de ce pays ?
-C'est un problème fondamental pour le Parti du
peuple mauritanien (PPM). Il s'agit en permanence de nous poser constamment la
question de savoir quelle est la voie que nous devons choisir. Au moment du
choix politique qui s'est effectué d'une manière
irréversible en 1975, nous avions comme tous les pays du Tiers-Monde
plusieurs possibilités : Ou bien choisir un schéma
déjà réalisé ( par exemple dans les pays
industrialisés), nous en tenir à une constitution qui soit
strictement musulmane, ou nous modeler sur des expériences africaines ou
tiers mondiste...Mais la Mauritanie est un pays bien spécifique. Son
originalité réside notamment dans le fait que , d'une part ,
c'est un pays musulman et que d'autre part , c'est véritablement un
confluent entre deux mondes différents : le Maghreb arabo-berbère
et l'Afrique Noire.
Ces caractéristiques fondamentales nous ont donc
amenés à faire un choix original. La Charte de notre Parti
qualifie notre démocratie comme suit : la démocratie
mauritanienne est islamique , centraliste nationale, socialiste.
Une démocratie islamique signifie surtout que nous
refusons consciemment d'emprunter à d'autres systèmes
philosophiques le fondement de notre démocratie. Il ne pouvait
être question pour nous de choisir entre le modèle occidental et
le marxisme. L'islam, qui n'est pas seulement notre religion mais aussi notre
éthique général, suffit à fonder solidement notre
société.
[...] Auparavant dans son Histoire, la Mauritanie n'avait
jamais été un Etat au sens actuel du terme, mais plutôt un
ensemble harmonieux certes, mais non étatique. Notre démocratie
doit aussi garantir notre unité nationale à laquelle nous tenons
beaucoup. L'objectif du développement présuppose l'unité
organique de la nation.
[...]Cette démocratie est enfin socialiste. Mais
socialiste à la manière mauritanienne, car le socialisme n'est
l'apanage de personne, ni d'un pays ni d'un philosophe. Notre est
essentiellement national et se qualifie par notre souci de la justice
allié à l'encouragement d'une économie privée qui
soit canalisée et aidée au besoin par l'Etat. Ce socialisme
très souple ne se réfère a aucun schéma
pré-établi à l'étranger ou dans le passé
»
Il est important d'exposer cette vision globale de la
construction étatique de l'Etat mauritanien intimement liée aux
identités locales, on comprend ici qu'il ne s'agissait pas de faire une
rupture avec le cadre traditionnel et idéologique mauritanien mais de
prendre des éléments de la modernité ( dans ce qu'elle
implique comme valeurs républicaines et de justice sociale) pour en
faire un idéal démocratique propre à cette nation.
C'est dans cet état d'esprit que nous devons
comprendre l'enjeu du pouvoir politique en Mauritanie aujourd'hui. C'est un
héritage idéologique et politique qui oriente à l'heure
actuelle l'activité politique.
d) Prolifération d'associations féminines :
Typologie des différentes associations existantes,
leurs rôles et leurs fonctions dans la
société civile.
C'est cette « démocratie islamique »
fondée sur une lecture modérée du Coran qui favorise le
maintien d'une forme d'une dynamique féminine que l'on retrouve sur la
scène politique. En effet, cette autonomie féminine maure
étant tout de même limitée comme nous l'avons
expliqué au préalable, la femme reste avant tout un être
mineur, fragile, et surtout en dehors des hautes instances
décisionnelles. En effet, les décisions politiques, le pouvoir
tribal et la gouvernance du pays restent entre les mains des hommes et la femme
ne peut y participer que d'un point de vue informel. C'est la raison pour
laquelle la femme mauritanienne engagée est largement plus
représentée dans la société civile pour des
revendications relatives aux affaires sociales, à savoir une
sphère monopolisée historiquement par la femme maure.
féminines ayant pour vocation de défendre les
intérêts liés aux affaires sociales, au droit de la
famille, à la protection de l'enfance mais aussi en ce qui concerne les
politiques paritaires, l'émancipation de la femme et son accès
à l'éducation. Ce phénomène se traduit
également par la création du ministère de la femme, qui
deviendra plus tard le ministère des affaires sociales17.
Les interventions de ces associations sur le terrain peuvent
prendre diverses formes : collaboration étroite avec l'Etat pour la mise
en place de politiques garantissant ces droits, interventions dans le milieu
rural pour sensibiliser sur des questions sanitaires les population les plus
reculées et précaires, des campagnes luttant contre
l'analphabétisme,...
L'empreinte féminine sur les politiques sociales en
Mauritanie est considérable, on peut parler d'une « gauche
féminine ». On peut reprendre l'analyse de Pierre Bourdieu du
pouvoir politique en France en distinguant la Droite de la Gauche : La Droite
qui serait « masculine » car elle privilégie les questions
économiques et financières orientant l'activité politique
alors que la Gauche souvent associée à un intérêt
particulier porté sur la sphère sociale : la
sécurité sociale, la démocratisation de
l'éducation, etc. ce qui la rend dans la conscience collective : «
féminine » car plus proche des affaires sociales. Il en va de
même s'agissant du paysage politique mauritanien, on peut appliquer ce
schéma analytique sur la répartition du pouvoir en Mauritanie
dans la mesure où il existe une forme de division politique entre les
hommes et les femmes. Une division du pouvoir pas forcément source de
parité puisqu'elle crée un espace limité où
l'activité des femmes est tolérée. C'est la formation de
ces espaces de pouvoirs qui attire notre attention ici car c'est un
phénomène qui renferme une idéologie que l'on retrouve de
façon universelle à savoir : le confinement de la femme dans
l'espace privé et donc l'espace domestique. La particularité de
la Mauritanie s'illustre par le fait que les femmes en ont fait une source
d'engagement dans la vie active et politique.
17 Ce qui met en évidence l'association de la condition
féminine aux questions sociales ( famille, enfance, etc.).
Associations officielles répertoriées
au jour d'aujourd'hui en Mauritanie :
· SOS Exclus (pour la protection et
l'épanouissement de la famille, de l'enfant et des personnes
vulnérables)
· Réseau femmes, solidarité et
développement
· Association mauritanienne pour l'action contre la
pauvreté et l'analphabétisme des femmes (AMAPAF)
· Forum national pour la promotion des droits de la
femme et de l'enfant (FNPDFE)
· Association mauritanienne Espoir
· Association mauritanienne des pratiques ayant
effet sur la santé des femmes et des enfants (AMPSFE)
· Réseau mauritanien pour les droits des
femmes et de l'enfant et environnement (RMDFE)
· Association mauritanienne des femmes juristes
(AMAFEJ)
· Association féminine de bienfaisance pour
l'enfance SILATOU RAHIM18
· Association pour la défense des droits de
la femme et de l'enfant
· Union mauritanienne des femmes entrepreneurs et
commerçantes
18Terme en arabe désignant dans le langage religieux
islamique, la charité et la bonté envers les autres
· Association mauritanienne pour la promotion
de la famille
· Association mauritanienne pour la promotion du
sport
· Association Mauritanie 2000
· Association mauritanienne pour la santé de
la mère et de l'enfant
· Association des femmes et enfants démunis
(ASFED)
· Association mauritanienne pour la promotion de
l'enfant (AMPE)
· Réseau mauritanien pour la promotion des
droits de la femme
· Organisation mauritanienne pour l'encadrement et
le développement
· Association des femmes chefs de famille
(AFCF)19
· Union des ONG de développement
· Association Stop-Sida
· Association pour le bien être familial et
le développement durable
· Union des Coopératives féminines du
Guidimakha (UCFG)
Ces associations ont pour mission de garantir les droits des
populations dans le besoins, des droits s'accordant aux principes
républicains pour une justice sociale. Les discours des femmes à
la tête de ces associations convergents vers une idée de justice
et de défense des droits de l'Homme dépassant le cadre
traditionnel maure réputé pour être « féministe
» par essence. La culture et les traditions ne suffisent plus pour
s'adapter au contexte moderne démocratique.
J'ai, à cet effet, fait un entretien avec une des
personnalités féminines les plus actives sur la scène
publique et faisant preuve d'un militantisme multi-sectoriel pour la
défense des plus opprimées (femmes, enfants, population
précaire, ...). A la tête d'une association (AFCF), elle a
19.Association dont la présidente, Aminetou Mint El
Moctar, femme très active sur le terrain et militante pour les droits de
l'Homme, a été interrogé pour cette étude.
également milité sur d'autres fronts luttant contre
des pratiques tels que le gavage, l'excision, les mariages précoces
etc.
Aminetou mint El Moctar, Présidente de
l'AFCF
(Association des Femmes Chef de Famille) Le 18 mars
2012 à Nouakchott
Quel est votre parcours universitaire et
social?
«J'étais une militante de la gauche dès les
années 1970. J'ai commencé très jeune dans le mouvement
des Kadihine. J'étais déjà militante pour la
cause nationale du pays, pour les opprimés, pour les couches les plus
marginalisées et particulièrement les femmes. Donc j'ai
milité pour le changement (politique et social) de mon pays. J'ai
participé aux mouvements qui militaient pour l'unité nationale.
Depuis lors je milite pour l'égalité des femmes et des hommes.
Pour l'accès des femmes aux décisions, pour la participation
politique des femmes.»
« J'estime que vu l'ouverture de la société
mauritanienne, particulièrement la société arabe (maure),
elle est très ouverte et permet aussi à la femme une certaine
indépendance que les autres femmes arabes n'ont pas. Nos traditions et
nos coutumes ont permis à la femme une sorte d'émancipation
innée dans la société maure. Celle-ci a des
spécificités que l'ethnie négroafricaine n'a pas. On a
gardé cette culture nomade, cette culture du désert où la
femme devait prendre soin de son foyer durant les longues absences de son mari,
ce qui la rend aujourd'hui assez indépendante. On prend ainsi en compte
la place de la femme et on lui donne une certaine importance parce que dans le
reste du monde arabe, la femme est sous le contrôle total du patriarcat.
La femme mauritanienne a son indépendance dans sa famille. Son foyer la
considère, elle a son mot à dire dans son foyer, on prend en
compte sa parole. Depuis l'époque des émirats qui organisaient
les tribus en Mauritanie, les femmes avaient leur mot à dire concernant
les décisions à prendre. On écoutait la femme et on
prenait en compte son avis. Tout ceci explique aujourd'hui le rôle et la
place de la femme dans la société maure par rapport à nos
soeurs dans les autres pays arabes. Mais ceci n'est qu'un aspect de la
question. Il y en a d'autres. C'est-à-dire que malgré cette
indépendance de la femme, elle reste tout de même sous le pouvoir
des hommes parce que le dernier mot revient à l'homme. Car c'est l'homme
qui dirige financièrement le foyer et c'est l'éducation des
hommes qui prime, ce dernier étant considéré comme
l'avenir de la famille, et celui sur qui on peut compter. C'est lui qu'on
éduque au détriment de la fille. C'est à lui que revient
les grandes décisions. Il est plus facile pour lui de trouver un travail
que pour la femme, même s'ils avaient un même niveau universitaire.
Dans le milieu administratif, ce sont toujours les hommes qui ont de meilleurs
postes et de meilleurs salaires. La femme restera toujours son auxiliaire. On
dit qu'on ne doit pas s'inquiéter pour la femme car elle finira par se
marier mais c'est à l'homme en priorité de s'établir
professionnellement et donc il faudrait privilégier son éducation
et sa promotion. »
Dans la société maure, il y a une
spécificité: les femmes ne prennent pas le nom de leur mari.
Peut-on alors parler d'une forme d'émancipation symbolique parce qu'en
réalité, ce sont les hommes qui bénéficient des
avantages liés à l'indépendance financière et
matérielle ? De plus, on constate dans les chiffres que le taux
d'éducation des filles dans certaines régions est largement
supérieur à celui des hommes. Que pensez-vous de tout ça ?
Pouvons-nous parler d'une évolution ?
« S'agissant de l'éducation, il est vrai
qu'à un moment donné, il y avait une surreprésentation des
femmes dans l'enseignement primaire et secondaire pour la simple raison qu'il
existe plus de femmes que d'hommes d'un point de vue démographique.
C'est le résultat de plusieurs campagnes pour l'éducation des
filles qui luttent contre l'analphabétisme. En effet, on ne peut pas
accepter que la majeure partie de la population soit analphabète car il
y a beaucoup plus de femmes que d'hommes en Mauritanie. C'est une clé du
développement durable. Mais quel est le taux de l'éducation
féminine ? Dans l'enseignement primaire, il est assez
élevé. Et plus on monte dans le niveau d'études, moins les
filles sont représentées. Ceci s'explique par le taux de mariage
précoce, la pauvreté puis comme je l'ai dit tout à
l'heure, les familles donnent plus d'importance à l'éducation des
garçons. Lorsqu'elles n'ont pas les moyens d'éduquer leurs
enfants, elles privilégient l'éducation des garçons. Elles
investissent plus dans l'éducation de ces derniers. Les filles
deviennent comme une marchandise qu'elles « revendent » d'un point de
vue matrimonial. Les filles sont à marier, les garçons sont
à éduquer. Il existe une concentration démographique dans
les régions rurales donc les filles sont plus présentes sur le
terrain mais puisque ces régions sont les plus pauvres de la Mauritanie,
les écoles s'arrêtent au niveau du collège ce qui signifie
que pour continuer les études, il faut les envoyer vers la capitale. Or
ces familles pauvres privilégient l'envoi des garçons par rapport
aux filles. On retient donc les filles au foyer, on les marie et le peu de
revenus de ces familles est consacré à l'éducation des
garçons, surtout pour les études supérieures. On
privilégie le travail traditionnel, artisanal, ou le commerce pour les
femmes. »
Que pensez-vous de la prolifération des
associations féminines en Mauritanie ? Comment expliquez-vous ce
phénomène ?
« La société civile est au centre de la vie
démocratique d'une nation. La société civile
reflète les réalités sociales et les réelles
attentes de la population. C'est une façon d'attirer l'attention du
gouvernement sur les critiques et revendications de celles-ci. C'est un
instrument de communication pour transmettre les résultats des
politiques locales mises en oeuvre pour cette même population, pour
créer un éveil chez elle. La société civile a un
poids aussi très important car elle travaille en étroite
collaboration avec la population. C'est le plaidoyer pour des investissements
auprès des bailleurs de fonds ou de l'Etat. Mais il faut une
société civile capable de négocier des marchés, de
sensibiliser, d'agir, d'informer, de former et aussi d'avoir un permis
d'action sur les populations. C'est ce genre de
société civile qui devrait exister. En réalité, les
personnes qui sont à l'origine des associations en Europe sont des gens
qui ont un capital économique important alors que malheureusement ici,
ce n'est pas le cas. De plus, tout le monde aujourd'hui se dit porte-parole
d'une association et le but pour ces ONG c'est de soutirer de l'argent sur le
dos du peuple. Ces sociétés civiles demandent de l'argent
auprès des institutions susceptibles de les financer alors que
normalement, ils ne doivent pas les demander et les recevoir le plus
naturellement possible. Elles doivent travailler. Mon local à moi est
composé d'un local de comptabilité, d'un bureau juridique, un
point d'écoute. Nous avons des centres d'écoute dans des
quartiers populaires. Tous ces centres ne sont pas pris en charge. Personne ne
prend en charge. Nous sommes une association qui travaille sur le terrain, dans
des régions parfois reculées mais nous avons des volontaires, des
femmes qui s'engagent à travailler pour la sensibilisation des
populations sur ce terrain. L'Etat ne nous aide jamais car nous sommes
indépendants et on veut le rester pour pouvoir critiquer. Nous avons
toutes sortes d'employés et personne ne les paye. Ni les
étrangers, ni les bailleurs de fonds ni nous-mêmes. On aide avec
des prestations de service, et c'est comme cela que nous alimentons les
populations. C'est ça la société civile. On fait ça
pour modifier les lois, le code de la famille. On travaille sur plusieurs
aspects, et même sur l'aspect juridique. Par exemple, nous avons
modifié certaines lois par rapport à l'héritage.
D'un point de vue juridique, les lois islamiques
juridiques sont-elles respectées et comment les percevez-vous au niveau
de la justice sociale entre les hommes et les femmes ?
« Nous estimons que le courant obscurantiste
évolue en Mauritanie. Je suis pour l'Ijtihad20. Tous les pays
musulmans ont opté pour l'Ijtihad pour mettre en exergue cette
égalité que les femmes méritent et les traitent en
conformité avec les hommes. Cependant en Mauritanie, on assiste à
l'évolution du courant obscurantiste depuis quelques années,
courant qui est contre l'Ijtihad, contre cette interprétation source
d'égalité des sexes. On relègue la femme à son
rôle de femme au foyer primitif. D'ailleurs on avait un ministère
pour la promotion des femmes qui s'intitule
20.Lecture dite objective du Coran et des textes religieux pour
une vision éclairée et plus juste de la religion, un concept
repris et défendu par les féministes musulmanes afin de
dénoncer les lectures patriarcales du Coran.
aujourd'hui: « le ministère des affaires sociales et
de l'enfance ». C'est comme si on reléguait le rôle de la
femme à son rôle traditionnel, archaïque, c'est-à-dire
le travail social lié à la famille. »
Pourquoi votre association est-elle une association des
femmes chef de famile ?
« Au début on ne voulait pas un nom comme
ça pour l'association mais lorsqu'on l'a créée,
j'étais une militante des droits de l'Homme. J'étais
déjà reconnue et j'avais quelques difficultés à me
déplacer. On l'avait appelée, à l'origine, l' «
Association pour le droit des femmes » et lorsqu'on l'a proposé,
les gens avaient refusé de la reconnaître car elle était
liée à ma personne à un moment. On a dû changer le
nom de l'association pour ne pas voir la notion de droit humain car j'ai
été critiquée et rejetée à cause de mes
idées. C'était pendant la présidence de Maaouya Ould
Taya21 . On était donc dans l'opposition et on critiquait le
gouvernement en place à l'époque. »
Donc vos motivations sont plus personnelles ?
« C'est vrai, j'ai toujours été
moi-même attirée par les idéaux de la justice sociale et la
démocratie. Je n'aime pas la discrimination, j'aime
l'égalité. Je me sens frustrée de voir des situations
d'injustice et je m'engage à lutter pour que la femme mauritanienne
s'engage dans la politique d'une manière honnête et
conséquente. »
La trajectoire sociale de Aminetou mint El Moctar
reflète un militantisme qui a débuté avec la naissance du
mouvement social revendicatif des Kadihine, un mouvement qui a eu un impact
considérable non seulement d'un point de vue politique mais aussi sur
les trajectoires sociales des individus qui en ont fait parti. Il a
constitué une sorte de tremplin à toute une catégorie de
personnes en Mauritanie dans leur carrière politique et intellectuelle.
Le plus remarquable c'est que toutes les personnalités (influentes et
engagées) interrogées pour l'élaboration de ce
mémoire de recherche, ont tous fait partie du mouvement des Kadihine.
B. Le mouvement des Kadihine : Un mouvement
syndicaliste révolutionnaire...
a) Contexte politique et émergence d'antagonismes
idéologiques
L'incidence de ce mouvement est comparable aux
événements de Mai 1968 en France dans la mesure où il
s'agit là aussi d'un bouleversement du champ politique et intellectuel,
les philosophes, écrivains et penseurs ayant participé au
soulèvement de Mai 1968 ont redessiné le paysage politique et
social français et ont laissé une marque indélébile
dans l'Histoire de la France mais aussi dans leur propre trajectoire sociale,
leur expérience. Ce phénomène s'applique parfaitement au
mouvement des Kadihines, et nous le verrons à travers les autres
entretiens avec ces personnalités qu'il a constitué un tournant
dans leur carrière politique et leur vision de l'engagement politique.
Il s'agit donc d'une certaine catégorie d'âge (à partir de
40 ans et plus).
Afin de comprendre la portée et l'étendue de ce
mouvement dans l'Histoire de la Mauritanie, il est nécessaire de faire
un rappel historique et de rappeler les idéologies sous-jacentes
à ces bouleversements.
« Afro-nationalisme, arabisme, et marxisme- le Baath de
la Mauritanie de 1960- 1990 »22 :
Ce titre choisit par Pierre Robert Baduel pour son chapitre
dédié à la formation du mouvement des Kadihine,
résume l'esprit idéologique et le contexte autour duquel s'est
formée cette mouvance nationaliste.
Dès la proclamation de l'indépendance de la
Mauritanie le 28 novembre 1968, le pays n'obtint la reconnaissance d'aucun Etat
arabe en dehors de la Tunisie. Le Maroc ayant pour projet d'intégrer
cette partie du Sahara dans son territoire national ; débuta alors un
débat et le premier député à l'Assemblée
nationale française Horma Ould Babana23 créa l'Union
progressiste mauritanienne (UPM). Malgré de nombreuses oppositions
l'Etat mauritanien fut fondé. Il a d'abord été
considéré dans les années 1960 comme appartenant au bloc
négro-africain, puis en 1970 le Maroc reconnut l'Etat mauritanien, la
Ligue arabe suivit le Maroc dans cette reconnaissance en 1973. Le parti unique
de Moktar ould Daddah reconnu l'arabité du pays afin
22.Page 228 « La difficile sortie d'un régime
autoritaire.Mauritnaie 1990-1992 » par Pierre Robert Baduel paru dans la
Revue du monde musulman et de la Méditéranée en
1992 Vol 63-
23.Horma Ould Babana élu député à
l'Assemblée nationale française en 1946, crée l'Entente
mauritanienne. en 1950, exilé au Maroc en 1956 il y crée
l'armée de libération nationale.
de trouver un appui auprès du Proche Orient. La
Mauritanie dirigée alors par le parti unique (PPM) se retrouve au centre
de deux directions revendicatives opposées: Un antagonisme entre le
mouvement nationaliste arabe (de type nassérien) dirigé d'abord
par l'élite maure avant d'intégré d'autres militants issus
de plusieurs catégories sociales et ethniques ; et les mouvements
négro-africains. C'est dans l'élan révolutionnaire qui
touchait la France (Mai 1968) et la révolution culturelle en Chine que
le mouvement nationaliste arabe a rejoint le parti de gauche marxiste : le
parti des Kadihines (PK). Puis apparut au milieu des années 1970, le
parti Baath d'influence irakienne, qui se situait plutôt au centre dans
l'échiquier politique mauritanien par rapport au parti marxiste et
était constitué en majorité d'une élite
d'intellectuelle arabisante.
Ces mouvements plus ou moins clandestins sont nés dans
un contexte de contradictions politiques quant à l'avenir et la
constitution de la Mauritanie. A l'intérieur du paysage politique
mauritanien nouvellement crée il y avait d'un coté une mouvance
négro-africaines qui revendiquait l'intégration de la Mauritanie
dans la fédération Ouest Africaine (comportant le Mali, le
Sénégal et la Guinée) et de l'autre coté la
communauté maure qui voulait que la Mauritanie soit orientée vers
le Maghreb arabe.
b) Prolifération d'un militantisme de la jeunesse au
coeur de ce mouvement, constitution du
parti des Kadihines.
Dans ce contexte de crise et de divergences
idéologico-politiques, apparait un mouvement étudiant
(présent en Mauritanie mais aussi dans d'autre pays tel que l'Egypte,
l'Irak, la France, ...). L'union des étudiants mauritaniens qui
comportait surtout les éléments maures, avec en parallèle
l'ASM (association des étudiants mauritaniens) qui était
négro-africaines. Les étudiants maures mettaient l'accent sur
l'arabité de la Mauritanie tandis que les négro-africains
étaient soucieux du caractère négro-africain de la
Mauritanie alimenté surtout par une peur de l'influence montante de
l'arabe et du recul de l'enseignement du français.
Le gouvernement mauritanien connaissait des difficultés
à réguler l'effervescence de ces mouvements contradictoires ce
qui accentuait la faiblesse du parti unique qui dirigeait le pays. De plus, le
seul revenu du pays : La Miferma (société de mine et de fer de
Mauritanie), véritable source de richesse pour le pays était une
société dominée par les européens (en particulier
par les
belges et les anglais) et la France, bénéficiant
ainsi des principaux revenue de cette société minière. Le
gouvernement mauritanien avait des accords militaires avec les autorités
françaises débouchant sur une très forte présence
de consultants français dans l'administration mauritanienne, si bien que
les mouvements naissants des étudiants reprochaient à l'Etat
d'être un gouvernement néo-colonial.
Ce qui a hâté la prise de conscience politique du
mauritanien fut la grève entreprise par les ouvriers de la Miferma, elle
a été réprimée par l'armée mauritanienne
dans le sang (plusieurs morts). C'est ainsi que les syndicalistes et les
étudiants ont commencé à percevoir le gouvernement comme
étant néo-colonial au service de la France. Ces mouvements au
départ corporatistes se sont petit à petit politisés, si
bien qu'à l'intérieur du pays le syndicat des enseignants, des
ouvriers, les étudiants et l'organisation des lycéens se sont
regroupés pour mener un travail politique contre le gouvernement en
place qu'ils accusaient d'être le valet de l'impérialisme
français .
Tout d'abord cette prise de conscience a permis la naissance
d'un mouvement contestataire nationaliste arabe sous l'influence du
Nassérisme égyptien, et du mouvement de Baath. Ce mouvement
nationaliste arabe luttait pour la promotion de la culture arabe, le
positionnement de la Mauritanie au sein des pays arabe voulant affirmer le
caractère arabe du pays contre lequel se dressaient les noirs qu'ils
appelaient « chauvins ».
Petit à petit dans les feux de la lutte, s'est
crée une conscience de la nécessité de dépasser les
clivages ethniques. Les mouvements syndicalistes et étudiants ont
opéré un glissement vers la Gauche, ils adoptent peu a peu des
idées socialistes pour se radicaliser au fur et à mesure vers des
idées communistes (s'inspirant de Marx et Lénine). Ils ont vu
dans l'idéologie marxiste une solution à la crise et aux
problèmes ethniques que traversait la Mauritanie. La reconnaissance
ethnique devenait le point de jonction entre les noirs et les arabes.
Les syndicats, l'élite des intellectuels et les
étudiants ont commencé à adopter les idées
marxistes, dépasser la notion d'arabe, de noirs, etc. Ils ne posent plus
le problème en terme ethniques mais en termes de classes sociales. La
contradiction n'est plus entre noirs et arabes mais entre le capitalisme
européen et les forces de travail. Une véritable approche
marxiste s'opère.
Ce mouvement fait boule de neige et s'étend, il devient
de plus en plus important et acquière de plus en plus d'adeptes. Le
parti des Kadihines a rallié et touché les couches populaires,
les marginalisés (les « haratines » qui sont les anciens
esclaves, les griots, les anciens esclaves, les artisans,...). Les
marginalisés par le système des castes se sont sentis
concernés par cette mouvance et c'est en conséquence qu'il
devient un mouvement populaire, il est dirigé par des intellectuels
marxistes qui se sont trouvé en opposition avec le mouvement
nationaliste arabe. Ce mouvement marxiste a été accusé par
le mouvement arabe (mis de coté) de mettre en avant les noirs et
d'oublier l'arabisation qui, rappelons le, est leur cause principale.
Le mouvement des Kadihines s'est répandu dans les zones
précarisées (bidonvilles etc.), touchant ainsi une grande part de
la population ce qui a permis de dépasser les clivages ethniques. Parmi
ses principales avancées, ce parti a exercé une forte pression
sur le gouvernement pour l'adoption de politiques beaucoup plus patriotiques,
si bien qu'il a amené le pouvoir en place à réviser les
accords militaires avec la France . Un ensemble de changements s'est
opéré également suite aux revendications des Kadihines :
La nationalisation de la Miferma en 1974 (devenue la SNIM), la création
de la monnaie nationale, la reconnaissance de la pluralité
ethnique,...Suites à ces bouleversements socio-politiques, un grand
nombre de jeunes ont intégré ce parti. C'est ainsi qu'une grande
part des anciens Kadihines ont estimé que le gouvernement ayant
opéré d'importants changements qualitatifs pour le pays
justifierait son intégration et sa collaboration avec le parti. Suite
à cela, un grand nombre d'anciens Kadihines se sont ralliés au
parti au pouvoir, le PPM (Parti pour le peuple mauritanien).
Les Kadihines qui ont intégré le parti de Moktar
ould Daddah (le PPM) ont perdu leur combativité, le président a
su rallier à son parti une force gauchiste considérable suivi
d'une politique d'arabisation ; ce qui provoqua l'implosion du PK donnant
naissances à deux partis : Le mouvement national
démocratique24 (MND) et l'Alliance mauritanienne des
démocrates (AMD). Une grande part des Kadihines négro africains
ont rejoint le parti de l'AMD et du Flam25.
24. Minorité très active sur le plan politique et
qui existe toujours aujourd'hui.
25? Pati luttant contre les discriminations raciales et
l'esclavage des noirs en Mauritanie
C'est donc une tendance qui existe encore, active mais pas
avec la même ampleur. Les anciens Kadihines ont tous le sentiment d'avoir
participé à un grand tournant de l'Histoire politique de la
Mauritanie.
Les Kadihines ont constitué un réservoir pour
tous les pouvoirs qui se sont succédés dans la mesure où
ils sont restés très actifs dans le paysage politique
mauritanien. Ils sont devenus des caméléons politiques, ils se
sont accommodés aux différents régimes qui ont
dirigé la Mauritanie. Même si le marxisme n'est plus d'ordre, il
est resté une certaine vision du politique et un esprit d'organisation
propre à eux.
c) Impact de cette mouvance politique sur l'activité
politique et les trajectoires des femmes
aujourd'hui en Mauritanie
Au-delà des transformations politiques et
idéologiques opérés par le PK, il a modelé l'esprit
de ses principaux acteurs. Il a participé au passage d'une culture
traditionnelle du pouvoir à un modèle moderne de l'organisation
politique. Les femmes ont joué un grand rôle dans cette mouvance,
tant au niveau des lycées qu'au niveau des syndicats et des partis
politiques. Ce n'était pas le niveau intellectuel, la classe sociale ou
l'appartenance ethnique qui caractérisaient les femmes Kadihines mais
elles ont spontanément intégré cette mouvance, prises dans
l'élan contestataire de la vie politique de leur pays. Cette
période de soulèvements dans les années 1960 a vu naitre
des femmes qui s'impliquaient entièrement dans le militantisme politique
contrairement à aujourd'hui où d'un point de vu politique les
femmes y participent de façon informelle, où leur engagement est
davantage associatif et social que politique.
Ce militantisme des femmes Kadihines a eu un impact
considérable sur les trajectoires sociales et les carrières
politiques de ces femmes aujourd'hui, certaines ont poursuivi leur
carrière en politique, d'autres dans le milieu associatif et d'autres
ont développé une littérature engagée (roman,
théâtre, poésie,...).
Parmi ces femmes il y a Sy Lalla Aïcha Ouedraogo,
présidente d'un comité pour la promotion des droits de l'Homme,
elle a accepté de nous exposer sa trajectoire de militante et nous
offrir ainsi le point de vue d'un ancien membre du PK appartenant à la
communauté négro-africaine.
Sy Lalla Aïcha Ouedraogo, présidente du
CSVDH
(Comité de Solidarité avec les Victimes
des Violations des Droits humains en Mauritanie) Le 19/04/2012 à
Nouakchott
Quel est votre parcours social et universitaire ?
:
« Je suis Peul26 . Je suis originaire du
Brakna. J'ai fait mon primaire à Bogué et mon lycée
à Nouakchott. J'ai milité très tôt dans le mouvement
des Kadihines, comme ma mère. C'était un mouvement national
démocratique qui revendiquait une unité nationale. Il
était opposé au parti unique. Au lycée de Bogué, le
mouvement y était en plus assez fort. J'ai milité depuis 1976,
la
date où je suis venue à Nouakchott pour
étudier au collège des jeunes filles. A cause de la
répression, j'ai été arrêtée en 1973. J'ai
fait 42 jours de prison, c'est pour cela qu'on m'a renvoyé du
lycée. Parce que j'ai milité. Le mouvement était contre la
féodalité et pour les valeurs démocratiques. On peut dire
que c'était un parti communiste. Je suis née dans une famille
religieuse, j'ai été dans les hautes sphères de la culture
Kadih. Il y avait un mouvement féminin très fort. C'est pour cela
que jusqu'en 1974, je n'ai pas été à l'école. En
1974, j'ai fait le concours national de santé publique. Je suis devenue
sage-femme. Ce n'est pas vraiment ce que je voulais faire mais je n'avais pas
le choix, mes parents voulaient que je m'occupe. Jusqu'en 1984, j'ai
travaillé à l'intérieur du pays comme sage-femme. Je suis
aussi allée à Dakar, j'ai fait l'Ecole Nationale
Supérieure en santé publique. J'ai été prof
adjointe en santé publique. Je suis ensuite allée à
Montréal où j'ai fait une maîtrise en santé
publique. En 2000, j'ai passé le bac en même temps que mon fils.
Mes enfants en rient encore. J'ai enseigné à l'Ecole Nationale.
En 1994, il y a eu la conférence de Bengin. A l'époque, on m'a
empêché d'intervenir car j'étais dans le parti de
l'opposition (l'UFD). J'ai été aussi militante au sein de la
société civile. L'association dont je suis aujourd'hui la
présidente. Ce qui a principalement motivé mon militantisme et ma
volonté d'intégrer la société civile, ce sont les
événements de 1989, à cause de son aspect
racial27. La prolifération des mouvements racistes en 1989
à engendrer des antagonismes séparant les ethnies alors que la
Mauritanie c'est nous tous. Le gouvernement à l'époque n'a pas
accepté nos différences. En 1989, l'Etat a profité de cet
antagonisme pour prétexter que les négro-africains voulaient
faire un coup d'Etat, on les a alors exterminé. C'est pour cela que je
m'y suis toujours opposée. C'est pourquoi j'ai fondé la CVSDH en
1993, grâce à un groupe de femmes. C'était des femmes qui
avaient été touchées par ces événements. Il
y avait aussi des mauresques, des haratines... des veuves, des pauvres, etc.
elles se sont toutes réunies pour donner de l'argent à certaines
femmes pour leur venir en aide. »
Pouvez-vous nous parler de l'évolution de la
situation de la femme en Mauritanie ?
27.En 1989, l'antagonisme entre le mouvement Bassiste et
Nassérien, qualifiés de racistes par beaucoup d'ancien Kadihines
, surtout ceux issus des communautés négro-africaines de
Mauritanie. Des personnes issues de l'ethnie négro-africaine
accusées d'avoir voulu renverser l'Etat militaire ont été
tuées par les militaires au pouvoir. Ce fût une période
sanglante.
« Il y a effectivement une évolution. Mais il est
vrai qu'on dit toujours que tout va bien tout haut mais dans la pratique, c'est
différent car les femmes dans la sphère décisionnelle ne
sont jamais là. Quand il s'agit de soutenir un parti politique ou un
projet, elles sont là, mais quand il y a des décisions, des
actions, elles ne sont plus là. C'est le patriarcat malgré tout
qui empêche cela. »
Que pensez-vous de la prolifération des
associations féminines ?
« Il y a une prolifération malsaine des
associations, il y a eu quelques associations «cartables». J'explique
cela par le fait que politiquement, dans l'air de Maayoua, il y avait plein
d'associations qui étaient contre le pouvoir, qui critiquaient le
gouvernement, alors le Président créait des associations qui
étaient contre celles-ci. D'où le grand nombre d'associations en
Mauritanie. Toutes les femmes ministres aujourd'hui ont une association mais
celles-ci sont des associations avec l'Etat, financées par le
gouvernement. Les associations parfois même deviennent des entreprises
familiales. »
Que pensez-vous de la situation de la femme
négro-africaine en Mauritanie ?
« La femme négro-africaine est plus soumise au
mari que la femme maure. La polygamie est tolérée. Elle travaille
dans la maison, culturellement c'est ce qui constitue un frein à son
émancipation. En ce qui concerne ma personne, même si mon
militantisme m'a pénalisé, car souvent je ne m'entendais pas avec
les régimes en place, on m'a affecté loin pour m'embêter.
En réalité, j'ai travaillé de 1978 à 1994 dans la
fonction publique, la répression s'abattait toujours sur moi mais je ne
regrette rien car ce sont mes convictions. J'attends ma retraite, je continue
ma lutte pour une unité nationale et pour la femme. »
Durant cet entretien qui s'est déroulé dans le
domicile de cette militante, Aicha Sy semblait gérer ses
activités chez elle, le salon étant équipé d'un
ordinateur, d'une imprimante, d'un fax et d'une bibliothèque ; on
comprend en y pénétrant qu'elle est en perpétuelle
connexion avec son activité au sein de la société civile.
La majorité des femmes dirigeant des associations interrogées
pour cette étude semble être avant tout des mères de
familles, s'occupant de leur foyer mais qui mènent en parallèle
leur militantisme, leur carrière ne constitue pas un frein à leur
rôle de mère de famille. L'implication des femmes dans ces deux
sphères que l'on oppose souvent est un phénomène courant
au sein du militantisme féminin mauritanien. La vie domestique des
femmes maures n'étant pas associée à l'oppression ou au
confinement exclusif à l'espace maintenu par
une violence patriarcale, l'engagement de ces femmes dans la
vie publique devient l'autre face indissociable de leur trajectoire. Il
n'existe pas de dissociation entre les deux puisque la culture du maintien du
foyer par les femmes est par essence le reflet d'une forme d'autonomie que nous
avons développé au préalable dans l'exposition de la
figure féminine maure dans la société.
Si nous nous penchons sur la trajectoire de Aïcha
Ouedraogo pourtant issue de la communauté négro-africaine, cette
militante a repris ses études après avoir était
mariée et mère de famille, elle a passé son
Baccalauréat en même temps que son fils, « il n'est jamais
trop tard pour ce genre de chose » dit-elle. La politique qu'elle
mène au sein de son association , à savoir la protection et
l'aide des familles ( les femmes plus particulièrement) pauvres et
exclues , une initiative qui fut motivée par un événement
marquant ( les événements de 1989) et sanglant ayant
déchiré des familles. C'est donc un engagement auprès des
plus démunis: des veuves et des orphelins issus de toutes les
communautés qu'Aicha Sy souhaite mener son action. Il y a un rôle
de médiatrice, dépasser les antagonismes ethniques pourtant
à l'origine de ces événements pour venir en aide à
ces populations. On retrouve ce rôle de médiatrice dans la quasi
totalité des engagements féminins de la péninsule arabique
mais aussi dans une grande partie de l'Afrique noire. « J'ai beaucoup
d'amis maures, je parle hassanya, c'est cette Mauritanie que je veux, une
Mauritanie unie, sans barrières de langues [...] C'est en unissant nos
différences que le pays avancera » dit `elle à la fin de
l'entretien en me raccompagnant à la porte, on comprend ici qu'elle
repousse les limites du féminisme ou du militantisme féminin pour
une cause plus large. Le socle commun de ces femmes engagées est dans la
multiplicité de leur terrains de lutte, ce ne sont pas des causes
spécifiquement féministes mais un féminisme au service de
questions plus larges concernant l'avenir du pays dans toutes ces
dimensions.
L'analyse des trajectoires sociales et politiques de ces
femmes nous permettent de cerner la spécificité de leurs
activités politiques et la relation étroite qui se tisse entre
leur carrière et leur trajectoire sociale. Dans l'entretien suivant, que
j'ai entrepris dans le domicile de l'intéressée, il s'agit d'une
femme maure ancienne ministre de la condition féminine, on peut
distinguer entre
autre dans son parcours, l'influence des événements
liés à sa vie personnelle sur sa carrière politique.
Toutou mint Khattry, ancienne ministre de la condition
féminine et de l'enfance
(Elle a milité contre le régime des
militaires), A Nouakchott, le 07/07/2012
Quel est votre parcours social et universitaire
?
« Je suis née dans une famille très
conservatrice, très attachée aux traditions, là où
l'éducation des femmes n'était pas primordiale. C'est grâce
à ma mère qui m'a soutenue pour que j'étudie que je suis
allée à l'école. Mon oncle était
député, il est venu me chercher et je suis partie dans plusieurs
villages où j'ai fait l'école. J'étais
hébergée chez des familles, je tenais absolument à finir
mes études, tout ceci jusqu'en 1984. Pendant les problèmes
politiques (le premier putsch de
Heydala28 ), moi et mes soeurs avions lutté
politiquement, ce que mon père n'a pas apprécié. A
l'époque, un homme m'a demandé en mariage. Je ne l'aimais pas
mais j'ai accepté car je voulais ma liberté dans la capitale
où j'ai passé mon bac (pendant ma première grossesse).
J'ai pu faire mon bac et ma fille est née le lendemain des
résultats du bac. J'avais une volonté de fer (je suis
passée aux rattrapages). J'ai fait un bac D29 puis une
maîtrise en économie, ainsi qu'une formation dans la FUNIAP dans
le développement durable. J'ai travaillé au sein du
ministère du développement durable puis j'ai été
nommée ministre de la SOMINEX puis j'ai été ministre de la
promotion féminine et de l'enfance. C'est pendant mon cursus scolaire et
universitaire que j'ai eu des difficultés mais c'est ma mère qui
m'a aidée. Puis j'ai fait un remariage, cette fois d'amour (rires).
»
Quelle est l'influence de la culture maure sur la
situation de la femme selon vous ?
« Je pense que la femme maure a une place qu'on ne trouve
pas dans d'autres sociétés. La civilisation ici essaie de
considérer la femme, l'homme n'a de valeur que s'il respecte la femme
mais d'un point de vue politique ce n'est pas pareil car sur la scène
publique, ce sont les hommes qui prennent les avants. La situation politique de
la femme ici aujourd'hui est changeante en fonction des contextes politiques.
Pendant la période de transition (2005-2006), le quota de 20%
instauré a permis une avancée. On a eu une bonne présence
dans le Parlement mais cette loi n'a pas imposé le fait qu'elle soit
mère par exemple. Durant la présidence de la Sidi ould Cheikh
Abdellahi, la femme est entrée dans divers secteurs. Par exemple, dans
la diplomatie on avait deux ambassadrices, dans le domaine juridique on avait
des juges etc.... Au début de la présidence de notre actuel
Président, Mohamed ould Abdel Aziz, il y a eu une femme ministre des
affaires étrangères30 . Malheureusement, depuis
quelques temps, on assiste à une dégradation d'un point de vue
des représentations politiques. Aujourd'hui, ils sont revenus sur cette
loi, c'est flou. On assiste à une baisse du nombre des femmes ministres,
ambassadrices, parlementaires etc.... Je pense que c'est parce que le mouvement
féminin ici n'est pas mature, avant les femmes
28? En 1980, deuxième coup d'Etat par le colonel Mohamed
Khona Heyadala contre Salek Moustapha 29? Ce qui correspond à un bac
scientifique
30 Naha Mint Meknas, première femme dans le monde arabe
à occuper ce poste
étaient engagées, aujourd'hui elles le sont
moins. Il faut qu'il y ait un « connecting31 » pour
réunir toutes ces femmes. Les femmes aujourd'hui sont
éduquées mais elles ne sont pas intéressées par la
politique. »
Que pensez-vous de la place de l'Islam dans la situation
des femmes en Mauritanie?
« D'un point de vue islamique, moi par exemple qui
provient d'une famille conservatrice, ça ne m'a pas empêché
d'être une militante engagée. De plus, notre compréhension
de l'Islam ici n'est pas un frein à la présence de la femme en
politique. Même le parti islamique ici Tawasul, les femmes y sont
très présentes et actives. Et puisque c'est la seule religion,
elle ne peut pas être facteur d'oppression. Mais le problème qui
persiste aujourd'hui, c'est que dans la société comme dans la
politique, la femme doit être très forte. Elle est en
perpétuel besoin de faire ses preuves, de montrer qu'elle est capable de
s'engager, d'être active. Elle a cette double pression qui ne facilite
pas son acceptation dans la sphère publique, voilà pourquoi on
doit s'organiser. D'ailleurs je suis la Secrétaire
générale du projet « the connecting » qui n'a pas
encore été mis en place car on attend son officialisation.
»
Pouvez-vous me parler de votre engagement politique
?
« A l'époque du putsch qui a eu lieu contre le
Président Sidi ould Cheikh Abdellahi, car élu
démocratiquement, nous avions fait une manifestation, moi et d'autres
femmes du parti dans lequel j'étais. J'étais
vice-présidente du parti ADEL. J'ai fait la première
déclaration contre le coup d'Etat à la télévision
et notre Président, à l'époque auteur du putsch, m'avait
appelée pour me dire de ne pas m'inquiéter pour mon poste et de
ne pas me mêler de cette affaire. Ce n'était pas mon poste qui
m'inquiétait mais plutôt l'avenir politique du pays. On est
allée manifester devant l'institution des Nations-Unies. C'était
une manifestation féminine. On a été frappées,
malmenées et c'est à partir de là que les autres hommes
ont bougé. Les hommes de l'opposition se sont réunis pour s'unir
contre le coup d'Etat en 2008. Cette manifestation féminine est parue
dans un article du journal Elle mettant en évidence notre
volonté de fer malgré la répression. »
On comprend à travers les propos de Toutou mint Khattry
que sa carrière dans le milieu politique est intimement liée
à son parcours sociale. Son premier mariage constitua pour elle le
moyen
d'échapper à la tutelle parentale et de
retrouver une liberté de mouvement lui permettant de vivre dans la
capitale afin d'exercer son activité politique. Le paradoxe ici se
traduit par le recours à une pratique source d'oppression des femmes
(mariage arrangé, précoce) pour se frayer un chemin dans les
cercles du pouvoir. Il est nécessaire ici de reconsidérer le
statut de la femme dans cette société dans la mesure où
les pratiques rétrogrades deviennent une source d'émancipation.
Si on se penche sur le parcours de cette ancienne ministre et
kadiha32, il est aisé d'affirmer qu'elle considère que
c'est par l'affrontement et la rébellion que les femmes peuvent
être écoutées, la manifestation des femmes qu'elle a
organisé contre le coup d'Etat en 2005 était la seule initiative
dénonçant ce putsch. « C'est uniquement lorsque les forces
de l'ordre nous ont maltraitées et blessées que les hommes ont
décidé de bouger et de faire quelque chose [...] C'est à
partir de là que les hommes appartenant aux autres partis politiques se
sont unis contre l'auteur du putsch, il a fallu qu'on soit touchées et
médiatisées pour qu'ils réagissent ! ». Il est
aisé de constater ici que l'action des femmes reste subordonnée
à celle des hommes, leurs initiatives ne prennent forme sur le terrain
qu'à travers son application par les hommes. On retrouve la limite du
pouvoir accordé aux femmes, il existe une frontière plus ou moins
distincte entre l'espace décisionnel (qui revient aux hommes) et
l'espace réservé aux femmes (revendications, implication dans la
société civile, discours engagé, etc.). Cet état de
fait semble être propre à la période actuelle car la
période contestataire des Kadihines a vu naitre un engagement entier des
femmes dans l'espace public au coté des hommes. La manifestation devant
le siège des Nation Unis à Nouakchott en 2005 constitua pourtant
un tournant décisif dans le déroulement des affaires politiques
en Mauritanie dans la mesure où les différents partis de
l'opposition ont exigé l'élection démocratique et
transparente d'un président de la république, ce qui
déboucha sur l'élection du président actuel Mohamed ould
Abdel Aziz. Comme l'affirme Celine Lesourd dans son analyse33 du
rôle des femmes durant les campagnes électorales où
l'initiative féminine est au coeur de la vie politique et peut
être décisive de part le poids de la parole des femmes dans la
société et leur main mise sur un certain nombre
d'activités culturelles et associatives. Une
32.Nom féminin donné aux femmes faisant parti du
Parti Kadihine
33.Céline Lesourd, « Femmes mauritaniennes et
politique. De la tente vers le puits ? », L'Année du Maghreb
novembre 2010
implication décisive sur l'avenir du paysage politique,
mais une politique dirigée essentiellement par les hommes ; si elles
participent à la campagne présidentielle c'est pour élire
un président et non pas une femme à la tête d'un parti.
Dans la vie nomade il ne s'agissait pas d'un pouvoir centralisé et d'une
logique politique fondée sur un Etat-nation républicain mais d'un
pouvoir tribal décentralisé où les décisions
revenaient au chef masculin de la tribu, certes des décisions
indissociables de l'empreinte de la culture berbérophone mais qui
restent réservées aux hommes portant le nom de la tribu. Cette
formation d'espaces de pouvoir organisant l'implication des hommes et des
femmes dans les affaires politiques en Mauritanie peut nous amener à
entreprendre une approche culturaliste nous permettant d'affirmer que la
répartition du pouvoir aujourd'hui entre les hommes et les femmes
s'explique par l'héritage de la culture maure nomade et tribale,
conférant à la femme une place importante dans la vie publique de
la communauté. Une implication féminine n'intégrant pas la
sphère décisionnelle et celle de la haute gouvernance.
d)Un autre féminisme : un engagement sur plusieurs
fronts
L'expérience de ces femmes sur le terrain attire notre
attention sur ce féminisme maure ou dans un sens plus large un
féminisme africain portant en lui les marques sociales et culturelles de
l'Histoire du pays ainsi que sa conception de l'engagement féminin.
C'est l'héritage de leur carrière de Kadihines qui
rend leur engagement avant tout politique et non féministe. La plupart
d'entre elles ne se réclament pas du féminisme.
L'Histoire de la Mauritanie atteste que les femmes ont
joué un rôle majeur dans la société, elles ont
activement pris part aux luttes de libération et aux mouvements pour le
changement social. Peut-on parler d'une nouvelle forme de féminisme ?
Qu'en est-il de cette approche du féminisme par rapport au reste du
monde ? Il serait judicieux d'analyser ce phénomène dans un sens
plus large, c'est-à-dire : Appréhender ce militantisme
féminin en prenant en compte le cadre géographique et culturel
africain. Il existe en effet, un discours féministe africain propre
à l'Histoire africaine.
« Autres féminismes : Quand la femme africaine
repousse les limites de la pensée et de l'action féministe
»34 .
C'est dans cet état d'esprit que nous devons aborder la
question du féminisme africain où l'activisme féminin est
ancré dans les réalités locales de cette région. Le
féminisme occidental a émergé dans un contexte politique
et historique de bouleversements sociaux où les mouvements
révolutionnaires se sont fondés sur les principes universels des
droits de l'Homme intégrant ainsi dans les discours féministes
l'idée d'égalité et de justice entre les citoyens quelque
soit leur genre. Le féminisme occidental exige une fin à toute
forme de sexisme et dénonce la différenciation sexuelle,
biologique régissant les rôles sociaux des individus. C'est ainsi
que ce mouvement s'est construit autour d'une volonté de dénoncer
le confinement des femmes dans l'espace domestique et à son rôle
traditionnellement institué de mère, d'épouse et mineur
par rapport aux hommes. Si on se penche sur les autres mouvements
féministes ayant émergé dans d'autres contextes
socio-culturels on observe un autre modèle de militantisme
féministe se fondant sur une toute autre approche du genre : le
modèle africain et africain-américain.
En effet, des mouvements comme celui des noirs
américaines dans les années 1970, des femmes du Tiers-Monde dans
les années 1980, et des Africaines des années 1990 ont
élargit les perspectives du féminisme. Le féminisme
africain se distingue du féminisme occidental dans la mesure où
il pose des questions ancrées dans les réalités locales de
ces femmes, des réalités locales dépassant le cadre de la
lutte contre le sexisme mais contre plusieurs formes de discrimination en
respectant les spécificités ethniques et idéologiques de
la communauté.
Dans la mouvance du mouvement des droits civiques et du
militantisme contre la guerre du Vietnam, le mouvement féministe
états-unien admit dans ses rangs des femmes issues d'autres
communautés présentes aux Etats- Unis (Femmes noires et latines)
bien que constitué principalement de femmes blanches issues de la classe
moyenne américaine. Ce mouvement militant pour l'égalité
des sexes et la violence patriarcale, s'est fissuré au début des
années 1970 suite aux contestations de ces femmes de couleur
dénonçant leur marginalisation au sein du mouvement. C'est ainsi
que s'est formé le mouvement du féminisme noir mené par
des
34.page 12 «Féminisme(s) en Afrique et dans la
diaspora» Africultures- un dossier coordonné par Christine Eyene
l'Harmattan- Titre du premier chapitre par Obioma Nnaemeka
féministes antiracistes35. Ces
féministes ont avancé l'idée selon laquelle pour
comprendre l'oppression des femmes noires dans sa globalité, la race et
la classe sociale devraient être prises en considération. Selon
ces femmes, « la race, la classe sociale et le genre représentent
des systèmes d'oppression affectant lourdement la femme
africaine-américaine »36. L'idéologie soutenant
ce mouvement a été définie par le concept de «
womanisme »37 , un concept avancé par Alice Walker
mettant en évidence le courage et l'audace de ces femmes se consacrant
à des causes touchant la totalité de leur communauté.
Les womanistes et les féministes africaines font de
leur combat une prise de position contre l'eurocentrisme et
l'impérialisme des mouvements féministes occidentaux. C'est dans
cet état d'esprit que les femmes du Tiers-Monde et du monde
post-colonial, ont appelé les féministes occidentales à
mettre fin à leur conception réductrice du militantisme
féministe. L'une des théoriciennes du féminisme
africain38 distingue trois type de féminisme : Le
féminisme de tourisme (approche englobant tous les mouvements
féministes dans une seule catégorie), le féminisme
d'exploration (approche culturelle relativiste), et le
féminisme de solidarité (ou « modèle
d'études comparatives du féminisme »39), cette
universitaire rejette les deux premières approches mais recommande la
troisième caractérisant les mouvements féminins africains
car c'est un militantisme qui parvient à lier le local et le global. Le
féminisme de solidarité devient le propre des mouvements
féministes du Tiers Monde s'appuyant sur une cause commune
dépassant les frontières (critique du néocolonialisme, du
capitalisme et du sexisme tout en
35Audre Lorde, Barbara Smith, Belle Hooks et Angela Davis.
36«Black Feminist Thought: Knowledge, Consciousness, and the
Politics of Empowerment»- Patricia Hill Collins- Deuxième edition,
New York: Routledge, 1990.
37Terme utilisé par Alice Walker ( écrivaine et une
militante féministe américaine) et repris par l'universitaire
américaine Tuzyline Jita Allan, définit la
spécificité de ce mouvement féminin noir américain
militant pour le droit des femmes mais aussi « au bien être du
peuple dans son ensemble, hommes et femmes inclus » (p .14
«Féminisme(s) en Afrique et dans la diaspora»
Africultures).
38. Chandra Talpade Mohanty
39. « Feminism without Borders: Decolonozing theory,
Practicing Soladarity. » Mohanty Chandra Talpade Durham: Duke University
Press, 2003.
tenant compte des spécificités locales).
L'amélioration de la situation de la femme ne peut s'opérer sans
une prise en compte globale de l'ère culturelle locale. Ainsi, l'Afrique
est imprégnée d'un esprit féministe qui se décline
en une variété de formes qui se distingue de la version
occidentale en plusieurs points, contrairement à ce «
féminisme radical40 », le féminisme africain ne
rejette et ne dénonce pas la maternité comme faisant partie
intégrante de l'identité de la femme africaine. Dans les
années 1980-1990 se sont développées des recherches sur le
féminisme africain mettant en avant l'idée selon laquelle la
diversité ethnique, sociale, culturelle, économique, politique et
religieuse a produit une variété de féminismes en Afrique.
Le womanisme ou le womanisme africain41 intègrent
les particularités africaines dans ses discours : « [...] tout en
ayant conscience des problèmes liés au genre, une womaniste
reconnait l'importance d'inclure la question raciale, culturelle, national,
économique, et politique dans sa philosophie »42. Les
africaines s'approprient le concept du féminisme mais l'adapte aux
réalités locales impliquant ainsi une vision du combat
féministe propre à elles. Dans cette logique d'appropriation du
féminisme, Catherine Acholonu43 a développé le
concept du Mothernism (le maternisme) associant à la
maternité une conscience écologique et citoyenne ; la
maternité « se soucie de la guerre dans le monde, du racisme, de la
malnutrition, de l'exploitation politique et économique, ainsi que de la
famine[...] la dégradation de l'environnement et la réduction de
la couche d'ozone due à la pollution »44 ; on comprend
ici qu'elle élargit l'action féministe vers des questions
dépassant le cadre de la lutte contre le sexisme et en mettant la
lumière sur le statut de la maternité comme étant
intrinsèquement lié à ce souci du bien être de la
population. Une mère
40.Ibid p. 17, « Le féminin : entre vécu et
théorie » Africultures n°74-75- Dossier
41.Terme utilisé par l'universitaire féministe
Chikwenye Okonjo Ogunyemi distinguant le womanisme africain-américain du
womanisme africain qui lui prend en compte les spécificités
culturelles des sociétés africaines.
42.«Womanism: the Dynamics of the Contemporary Black Female
Novel in English» Chikwenye Okonjo Ogunyemi
43.Professeur et chercheuse dans le centre d'étude des
cultures africaines au Nigéria.
44.«Mothernism: The Afrocentric Alternative to
Feminism» Catherine Acholonu, Nigéria: Afa Publications,
1995-P.111
est avant tout une citoyenne et un être conscient des
réalités sociales et politiques qui l'entourent ; l'action
maternelle peut rejoindre en ce sens une action d'ordre politique et
écologique. Ce concept illustre une stratégie propre à la
culture africaine dans la mesure où l'espace social féminin peut
être considéré comme un espace où se déploie
une action qui concerne la communauté et la vie de la
collectivité.
La prépondérance de la question du genre dans
l'organisation sociale en Afrique met en évidence la
nécessité d'établir des stratégies dans les
rapports sociaux et les interactions hommes-femmes dans ces
sociétés. C'est dans cet état d'esprit que s'est
développé le concept de négoféminisme qui
signifie le féminisme de négociation. Le
négoféminisme devient un principe de négociation et de
concessions mutuelles et de compromis pour contourner le patriarcat. Il repose
donc sur une habileté à négocier avec le patriarcat afin
de répondre aux besoins propres aux réalités locales
africaines. Cette faculté de négociation, de compromis et de
contournement caractérise le womanisme africain lui permettant de mener
une action sur le terrain ayant un réel impact sur ces populations.
Il est important d'appréhender le féminisme
différemment selon les contextes socioculturels. Il s'agit d'une
pluralité de féminisme reflétant une variété
d'engagements féminins régis par des catégories de
perceptions différentes modélisant ainsi ce que l'on entend par
« feminisme » en fonction des réalités locales.
C'est dans cet état d'esprit que nous devons
appréhender l'engagement féminin en Mauritanie. En effet, on peut
parler d'un négoféminisme qui prend forme par la faculté
qu'ont ces femmes à déjouer la position dominante masculine et de
négocier avec le patriarcat afin de créer des espaces de pouvoir
propre aux femmes ou de mener une action à travers des compromis. On
retrouve cette stratégie dans l'engagement des femmes dont on a
exposé les trajectoires , ces stratégies sont variées en
fonction des femmes ( recours au mariage arrangé pour acquérir
une autonomie , maintenir un rôle de mère et d'épouse afin
de rester dans la norme afin de se faire entendre et crédibiliser le
discours au sein de la société, une participation active mais
informelle durant les campagnes électorales,...) mais ont pour objectif
commun de mener une action multisectorielle conformément à la
logique du womanisme africain par son expérience ancrée dans les
réalités locales. En effet, ces mauritaniennes ne se
définissent pas comme étant féministes mais tout en
critiquant le sexisme, elles s'approprient le concept de féminisme pour
en faire un
engagement avant tout personnel et politique. Elles militent
pour une cause globale qui tient compte des spécificités
culturelles du pays, cette prise en compte des spécificités de la
communauté s'illustre entre autres par le respect et l'acceptation des
rôles et des statuts sociaux régissant les rapports hommes-femmes.
En d'autres termes, ces trajectoires féminines combinent à la
fois le statut de femme autonome, militante et la position socioculturelle tout
en dépassant les limites du genre. On peut considérer que ce
womanisme ici entretient une relation dialectique avec les hommes, un
féminisme qui ne prend sens qu'à travers un échange avec
la gent masculine.
C'est dans cette logique que l'on doit considérer
l'engagement de ces femmes en Mauritanie afin de comprendre la
particularité de ce militantisme féminin. Les espaces de pouvoir
féminins sont le résultat d'un dialogue et d'une
négociation entre les hommes et les femmes, une négociation
implicite mais qui se construit autour des enjeux politiques et sociaux
régissant le fonctionnement du pays. On peut parler d'un
négoféminisme mêlé à un womanisme africain
pour décrire l'engagement féminin dans la société
maure.
C. Régime politique démocratique : De
1984 à nos jours
Sous la présidence de Maayoua ould Sidahmed Taya , un
certain nombre de transformations ont eu lieu au niveau parlementaire et
politique s'agissant de l'insertion des femmes dans cette sphère. La
Mauritanie a connu ces deux dernières décennies d'importantes
réformes politiques visant à promouvoir la condition
féminine et à tendre vers une justice paritaire impliquant une
plus grande participation des femmes dans la sphère politique. Quant
est-il réellement de ces avancées sur le terrain ? Ya t'il eu une
réelle évolution du statut de la femme dans le milieu
décisionnel ?
a) Votes des lois sur la parité (Quota,
Sénat, partis politiques,...) et l'évolution de la situation des
femmes dans le paysage politique au regard de la mise en place de ces
politiques paritaires.
Pour répondre à ce questionnement il est
nécessaire de mettre la lumière sur les différentes
réformes adoptées et leur impact sur la réalité
politique des femmes à ce sujet.
Une des anciennes ministres, Seniya mint Sidi Haïba est
l'auteur également d'un certain nombre d'articles et de
réflexions sur la situation de la femme dans la sphère politique.
Elle dresse un bilan des effets des nouvelles législations sur la
parité au sein du gouvernement mauritanien.
En février 2012 à Tanger (Maroc), Seniya mint
Sidi Haiba a présenté, dans le cadre de « la
conférence panafricaine de renforcement des capacités de
leadership », une réflexion s'intitulant : La place et le
rôle des femmes dans le processus d'émergence des pays africains-
Cas de la Mauritanie à travers laquelle elle met la lumière
sur l'évolution du statut de la femme dans les discours politiques ainsi
que sur la scène publique.
En rappelant l'importance de la prise en compte du contexte
politico-économique africain, elle commence par mettre le doigt sur les
défis que les pays du Tiers-Monde doivent surmonter afin de rattraper
les pays émergents qui eux ont connu un développement signifiant
suite à l'adoption de politiques de développement durable. C'est
dans l'optique de proposer des stratégies pour le développement
du pays que Seniya mint Sidi Haiba rappelle l'importance et la
nécessité de mettre en place des politiques visant à
promouvoir l'insertion professionnelle et multi-sectorielle des femmes ainsi
que leur intégration dans les sphères décisionnelles du
gouvernement : « Pour la réalisation de ces reformes, les
stratégies d'avenir doivent se pencher sur la promotion des ressources
humaines par le biais de l'éducation et de la formation en mettant
l'accent sur l'éducation d'une manière générale et
l'éducation de la femme en particulier »45.
Au cours de cette conférence, elle expose les
principales avancées qu'a connue la promotion de la condition
féminine en termes politiques, de lois et de participation des femmes
à la vie publique.
Un certain nombre d'engagements internationaux dont « les
Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), la Plate
forme d'action de Beijing, la Conférence Internationale sur la
Population et le Développement, la Convention sur l'Elimination de
Toutes les Formes de Discriminations à l'égard des Femmes (CEDEF)
ratifiée en 2001[...], la Convention relative aux
45. P.2 «La place et le rôle des femmes dans le
processus d'émergence des pays africains-Cas de la Mauritanie.
»Communication présentée par Madame Seniya Mint Sidi
Haïba lors de la conférence panafricaine de renforcement des
capacités de leadership Tanger, du 20 au 22 février 2012
Droits de l'Enfant (CDE) ratifiée en 1991 et le protocole
à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1981
relatif aux droits des femmes (2005) ».
Puis l'initiative étatique de créer un
ministère pour la promotion de la condition féminine en 1992 a
permis de réaliser des progrès conséquents sur les plans
de l'éducation des filles et de la participation politique des femmes.
En 2008, la question du genre fut intégrée dans les
stratégies nationales pour la promotion de la femme, une question qui
est encore au coeur de divers discours et d'initiatives pour
l'émancipation féminine ; en effet cette considération du
genre dans le débat national déboucha sur « la mise en place
au niveau national et régional d'un groupe de Suivi Genre et la
proclamation solennelle par le Gouvernement, lors d'une réunion
présidée par le premier ministre en 2008, de son attachement au
mainstreaming (intégration) de la dimension Genre dans toutes politiques
publiques »46.
A coté de cela se sont développés des
groupements visant à matérialiser de façon concrète
les efforts entrepris pour la promotion de la femme : En 2007 c'est la
création d'un Réseau Mauritanien des Femmes Ministres et
Parlementaires (RMFMP) et dans cette même lancée s'est crée
récemment (2012) un autre réseau constitué de femmes
engagées issues de différents secteurs appelé le
Connectinggroup-Mauritanie. Ce dernier réseau a pour objectif d'unir les
efforts féminins du pays afin de renforcer leurs prises de positions et
leurs actions vers une direction commune. Le Connectinggroup-Mauritanie qui
n'est pas encore reconnu officiellement est l'aboutissement d'un constat de
l'existence d'un nombre important d'associations féminines (60 % des
associations sont dirigées par des femmes) , le Connectinggroup vise un
meilleur échange entre ces différentes associations de
manière à asseoir la parole de ces femmes et
d'homogénéiser leurs discours.
On note aussi une évolution considérable du
nombre de femmes occupant des postes à haute responsabilité au
sein du gouvernement : En 2007 des femmes ont accédé pour la
première fois à des postes jusqu'à là exclusivement
masculin : Préfet, gouverneur et ambassadeur ; puis en 2010 : 20 % de
femmes occupaient des fonctions de direction d'un département
ministériel.
Dans le cadre de la loi électorale de 2006 a
été instauré un quota de 20% de femmes au niveau des
listes électorales, ce quota a été appliqué
à l'occasion des élections législatives et
46. Ibid 2 p.4- Seniya Mint Sidi Haiba
municipales de 2006 et sénatoriales de 2007. Il s'est
traduit par un taux de 18% de femmes élues à l'Assemblée
nationale (soit 18 femmes sur 95 députés) et de 16% de femmes au
niveau du Sénat (soit 9 sur 56.) Au total, la proportion de
sièges parlementaires occupés par des femmes s'élevait
à 18% (soit 27 sièges sur 151.) Ainsi, cette proportion a plus
que quadruplé entre les deux dernières élections, passant
de 4 % en 2005 à 18 % en 2007. Au niveau des conseils municipaux, la
proportion de femmes élues est de 30,37%. S'en est suivi un accès
de 40 femmes à l'Ecole Nationale d'Administration de Journalisme et de
Magistrature ( ENAJM) suite à l'organisation en novembre 2011 d'un
concours prévu à cet effet.
La mise en place d'un Dialogue politique entre le gouvernement
et les partis de l'opposition a débouché sur « la
création d'une liste nationale de 20 % de femmes lors des
élections législatives »47. Seniya mint Sidi
Haiba est une des principales initiatrice et participante de la mise en place
de ce Dialogue entre ces deux partis.
Entre 2005 et 2007, les femmes ont représenté en
moyenne 15% des membres du gouvernement.
D'un point de vue juridique, un ensemble de mesures
législatives a été mis en place pour la lutte contre toute
forme de discrimination et pour une garantie des droits de la femme (le Code du
Statut Personnel de 2001, le Code du travail de 2004, etc.).
Des campagnes musclées luttant contre la pratique de
l'excision et des diverses formes de violences subies par les femmes. Parmi ces
dispositions, a été mise en place depuis 2003, la Journée
Internationale de Lutte contre les Violences à l'Egard des Femmes, et en
2008 d'un Comité national de lutte contre les violences basées
sur le genre dont la lutte contre les mutilations génitales
féminines (MGF) impliquant la diffusion de la Fatwa48
interdisant cette pratique de mutilation génitale et pénalisant
les auteurs de ces mutilations ( dans le cadre de l'ordonnance n°2005-015
pour la protection pénal de l'enfant).
47. Ibid 2 p. 4 Seniya mint Sidi Haiba
48. Une fatwa est un avis juridique en islam, un avis
juridique donné par un spécialiste de loi religieuse sur une
question particulière. En règle générale, une fatwa
est émise à la demande d'un individu ou d'un juge pour
régler un problème où la jurisprudence islamique n'est pas
claire.
Un renforcement des politiques relatives à
l'amélioration de la santé de la femme ainsi qu'une scolarisation
massive des filles (« le taux brut de scolarisation (TBS) des filles
dépasse désormais celui des garçons : 100,5 contre 95,4%
en 2007 »49).
En ce qui concerne l'autonomie des femmes, un mouvement
coopératif de la micro-finance féminine a été mis
en place en étroite collaboration avec différents
ministères et programmes de développement. Des projets
financés par ces groupements qui visent à consolider le pouvoir
économique des femmes.
Les principales avancées mises en oeuvre
témoignent d'une volonté politique naissante de promouvoir la
condition féminine ainsi que son insertion dans le milieu
décisionnel grâce à un volet revendicatif féminin
considérable. Néanmoins, force est de constater que malgré
ces progrès, perdurent des inégalités quant à la
participation des femmes à la vie publique.
b) Principales revendications féminines,
renforcement des discours féministes dans les sphères
décisionnelles.
On peut noter une forme de contournement de ces lois
paritaires par la gent masculine, un contournement leur permettant de maintenir
leur domination masculine dans les hautes sphères décisionnelles
tout en affichant un respect « hypocrite » de ces mesures en faveur
de la participation de la femme à la vie politique du pays. Nous nous
pencherons sur cette habilité du contournement patriarcal sur les quotas
en vigueur pour la représentativité féminine au sein du
Parlement, du Sénat, etc. Seniya mint Sidi Haiba a publié un
article50 dénonçant cet état de fait en mettant
la lumière sur la discrimination faite aux femmes dans les
sphères du pouvoir.
49. Ibid 2 p. 5 - Seniya mint Sidi Haiba
50. « Une inquiétude justifiée » sur
Maurimédia, actualité de la Mauritanie et du monde- 27
mars 2012
http://www.maurimedia.com/Une-inquietude-justifiee
En guise d'introduction à cette réflexion, il
serait pertinent d'abord d'exposer ici l'entretien que j'ai effectué
avec l'auteure51 afin de cerner la trajectoire sociale et politique
de cette ancienne ministre et principale initiatrice du Connectinggroup et
d'avoir un aperçu global des revendications que l'on peut qualifier
cette fois à juste titre de féministes.
Seniya Mint Sidi Haïba
Présidente du Conseil de coordination et
d'orientation de la NAPEG Le 26/03/2012 à Nouakchott
Quel est votre parcours social et universitaire
?
51. A noter que l'entretien fut effectué à la
veille de l'apparition de cet article sur internet.
« J'ai commencé par un bac scientifique. Je suis
allée en faculté et j'ai eu une maîtrise en gestion
économique. Puis j'ai été au Ministère de la
condition féminine ainsi qu'au Ministère du commerce.
· De 1991à 1993 : Directrice générale
adjointe de la SONIMEX (société d'import-export)
· De 1996 à 1997 : Secrétaire d'Etat
chargée de la promotion féminine (correspondant en d'autre termes
à ministre de la condition féminine)
· De 1998 à 2007 : Conseillère de Premier
Ministre chargée des affaires sociales en même temps
Présidente du Conseil d'Administration de la SOMAGAZ. C'est une
période durant laquelle aussi j'ai présidé la Commission
nationale chargée du Président de la faculté de
Nouakchott.
· De 2007 à aujourd'hui : je suis présidente
du Conseil de Coordination, d'orientation de la NAPEG. J'ai fait aussi un MBA
en finance à Sup-Management. »
Que pensez-vous de la situation de la femme en
Mauritanie?
« La femme Mauritanienne a un statut particulier. Elle
est présente partout et son avis est important. Depuis
l'Indépendance du pays, la femme est rentrée en politique depuis
donc 1961. Par exemple, nous avons la première ministre femme Aichata
Kane. Mais dès la prise du pouvoir par les militaires, la situation de
la femme s'est dégradée. On a assisté donc à une
baisse de l'insertion féminine dans la politique de 1986 à 1991,
puis une amélioration de sa condition de 1991 à 2006, pour une
régression encore de sa présence dans le paysage politique de
2006 à aujourd'hui. Durant le régime de Maaouya Ould Sid'ahmed
Taya, nous étions trois femmes dans le parti du PRDS52. Mais
depuis l'instauration du quota de 20% par le Président Sidi ould Cheikh
Abdellahi, c'était en 2006, c'est un système adopté par
tout le monde en Mauritanie. On a mis un système d'exécution qui
assure la mise en place de ce taux contrairement par exemple à la
France. Le « plaidoyer » de 2006 a fait un travail remarquable.
Cependant, l'atmosphère instable a facilité la baisse de ce
pourcentage. 18% dans le Parlement et 33% dans les conseils municipaux. Mais
les fonctions leaders sont restées masculines. Du point de vue de
52. Le Parti Républicain Démocratique et Social,
présidé par l'ex président de la Mauritanie Maaouya ould
sid'ahmed Taya
l'administration, il y a un réel déficit. La
femme travaille beaucoup dans le domaine artisanal, privé etc., mais il
y a beaucoup d'handicaps : analphabétisme, manque de formation, services
de base, santé, etc. Dans le monde rural, la situation de la femme est
précaire car ses fonctions sont multiples. Mais certaines
coopératives féminines ont apporté leur aide malgré
un manque de financement. Dans le domaine agricole, les femmes sont très
impliquées alors que dans le monde rural, le manque de moyens
réduit l'activité professionnelle des femmes. La femme urbaine :
l'éducation est à un taux de 100%. Mais il persiste le
problème de la déperdition scolaire : il y a 27% de filles au
lycée. Ce phénomène est causé par la
pauvreté, le mariage précoce, l'éloignement des services
scolaires... De plus, la santé de la femme doit être prise en
compte car il y a une augmentation du taux de la mortalité infantile.
Tout ceci m'amène à dire que l'activité économique
de la femme est handicapée à cause du manque de certains moyens
et des traditions la reléguant à son rôle social.
Aujourd'hui les centres décisionnels sont importants. C'est pour cela
que les femmes doivent être présentées dans les
différentes administrations, les institutions publiques, les parlements
etc. sinon personne ne les défendrait. Je suis donc pour la promotion
d'un leadership féminin !
Je voudrais rajouter par ailleurs qu'il est aisé de
constater qu'en général, les femmes ne pratiquent pas la
corruption, elles sont brillantes. On ne peut pas marginaliser une partie de la
population. De plus, l'approche du genre faite il y a quelques années
ici, nous a poussés à donner les mêmes chances de
réussite pour les hommes et pour les femmes. L'approche du genre
proposée par un groupement féminin en Mauritanie il y a quelques
années, a commencé par une circulaire que j'ai moi-même
faite et dans laquelle il était dit que chaque projet de
développement doit au moins comporter une femme, c'était en 1996.
Le Président actuel dit que l'approche du genre est aujourd'hui
centrale. En réalité, la majorité des hommes sur le
terrain ne veulent pas l'émancipation totale des femmes. C'est pour cela
qu'ils veulent garder une dépendance vis-à-vis d'elles. Nous les
femmes qui sommes engagées et qui ont un niveau, une profession, c'est
bien. Mais il y en a beaucoup d'autres qui ne l'ont pas ou bien qui
abandonnent. Il faut travailler sur trois fronts : le front économique
(les financements) ; le front social (combattre les mentalités
archaïques) et puis le front politique (finalité de tout : postes
électifs). »
Que pensez-vous de l'influence de la culture maure sur la
situation de la femme ?
« La femme a un statut privilégié car dans
l'histoire de la Mauritanie, c'était elle qui enseignait, elle avait son
mot à dire, et on a heureusement, hérité de tout cela. On
garde notre nom après le mariage etc. alors que la femme
négro-mauritanienne connaît une situation plus précaire.
Elle travaille plus que la femme maure, surtout dans le monde rural. »
Pouvez-vous nous parler de votre dernier article
?
« Depuis que je suis dans le « Dialogue », il y
a quatre mois, au sein des différents partis politiques, il y avait un
dialogue avec l'Etat concernant le code électoral, la législation
etc. pour parler sur un certain nombre de points. J'avais remarqué une
dégradation et une réticence de la part de certains hommes
à l'égard de l'émancipation des femmes donc il m'a paru
nécessaire de faire un récapitulatif des différentes
étapes qu'a connu la situation de la femme mauritanienne. Les hommes au
pouvoir aujourd'hui étaient d'accord sur quelques points mais ils ont
annulé les acquis de 2006 et il a fallu pour moi de dénoncer ces
reculs. »
On comprend ici qu'il faut relativiser les avancées
politiques concernant les femmes. C'est dans cette optique que cette ancienne
ministre mais aussi un ensemble de femmes engagées
(députés, membres du parti de l'opposition, activiste dans la
société civile,...) revendiquent une meilleure
représentativité au parlement et au gouvernement. Dans la
communication présentée par Seniya mint Sidi Haiba à
Tanger, elle y expose les défis qui restent à relever. Elle
avance qu'en matière de santé publique, le taux de
mortalité maternelle est un des plus élevé du monde. En
matière d'insertion professionnelle, elle déclare que le
chômage touche beaucoup plus les femmes que les hommes (44 % de femmes
sont au chômage) ; de plus il existe une réelle discrimination
envers les femmes s'agissant des crédits accordés par les
institutions financières, elles ne sont pas privilégiées
dans la distribution des projets.
Les violences faites aux femmes persisteraient à
travers la pratique de l'excision (72 % des filles 53 subissent
cette mutilation), le mariage précoce (19% des femmes ont
été mariées avant l'âge de 15 ans et 43 % avant 18
ans54 ) et la pratique du gavage qui persisterait touchant environ
le cinquième des filles.
53. Cette pratique touche davantage les femmes issues des
communautés négro-africaines présentes en Mauritanie.
Au regard de ces maux socio-économiques, c'est dans le
cadre du plan d'action CSLP ( Cadre Stratégique de Lutte contre la
Pauvreté ) que s'est mis en place le projet politique en faveur de la
croissance économique, de la lutte contre la précarisation des
populations défavorisées, pour une meilleure gestion des
ressources humaines et l'accès aux services de base. La stratégie
de la lutte contre la pauvreté repose donc sur quatre grands axes qui se
soutiennent pour converger vers la réalisation des objectifs
fixés.
Le Gouvernement mauritanien a lancé le processus en
associant les collectivités locales, les représentants des
organisations socioprofessionnelles (patronats, syndicats), les organisations
de la société civile (ONG), des universitaires et de nombreuses
autres personnes impliqués dans cette cause.
Les femmes impliquées dans le processus de
développement du pays (dans la sphère politique ou de la
société civile) réclament l'intégration de la
question du Genre55 dans cette stratégie nationale.
L'institutionnalisation de « l'approche genre » devrait participer
à la promotion de l'égalité des sexes pour une meilleure
parité dans le cadre de ce projet national. Ce projet doit être
une preuve d'une dynamique favorable au Genre intégré au
processus de développement du pays.
On retrouve une implication féminine se souciant non
seulement de la condition féminine mais intégrant des questions
plus larges concernant la marche du pays pour le développement. Ce
womanisme s'est accentué cette dernière décennie
accompagnant les bouleversements politiques survenus avec les putschs
consécutifs qu'a connue la Mauritanie.
Le renforcement de ces discours féministes se traduit
notamment par la prise de conscience d'une nécessité de lutter
contre les différentes formes de discriminations engendrées par
le système démocratique (représentativité au
parlement, dans le gouvernement, accès à la magistrature,
insertion dans la sphère décisionnelle,...).
54. Ibid 2 P .6 Seniya mint Sidi Haiba.
55. L'approche Genre dans toutes politiques publiques est le
résultat d'une initiative de l'UNFPA (les fonds des nations Unis pour la
population) en Mauritanie.
C'est dans cet état d'esprit que nous devons aborder le
recul qu'a connue la condition féminine dans la vie politique
mauritanienne.
« La femme mauritanienne à l'instar de ses soeurs
de par le monde n'a cessé de lutter contre la marginalisation et
l'injustice, malgré la place relativement privilégiée qui
a toujours été la sienne. »56, ici l'auteure bien
qu'ayant conscience des avantages que la culture maure octroie à la
femme de cette société, il s'agit de dépasser cet acquis
loin d'être suffisant pour une parité parfaite et une
participation équilibrée des hommes et des femmes dans la vie
publique du pays.
Suite à l'élection du président Mohamed
ould Abdel Aziz en 2009, la situation de la femme a connu un net progrès
avec l'entrée de six femmes au gouvernement avant de connaitre assez
vite une baisse considérable du nombre de femmes dans ces instances. En
effet, l'auteure affirme que le nombre de femmes ministres a été
réduit de moitié avec une disparition des femmes dans le secteur
diplomatique et de l'administration territoriale. On a assisté ces
dernières années à une chute du nombre de nomination de
femme à des postes étatiques pourtant diffus et
diversifiés. L'action publique féminine n'est plus une
priorité dans les discours politique du pays.
Ces inquiétudes exprimées ici constituent
également la source du renforcement dernièrement de
l'activité des femmes dans la société civile et des
groupements féminins dans l'opposition se mobilisant pour
dénoncer ce recul qu'a connue la situation de la femme dans la
sphère politique.
Un recul se caractérisant surtout par la baisse des
postes électifs féminins, des postes censés être
garantis par la mise en place du quota de 20% institué en 2006. Dans le
cadre de l'engagement collectif international des Nations Unies : «
Objectifs du Millénaires pour le Développement pour 2015 »,
la question de la parité est au coeur de cette initiative ,
l'échéance proche de ce plan inquiète les femmes du pays
ayant constaté un net recul de la représentativité
féminine.
Seniya Mint Sidi Haiba met en évidence les revers
négatifs et discriminatoires de la nouvelle loi sur la
représentation des femmes dans les instances décisionnelles
(Parlement, Sénat, conseils municipaux, etc.). On voit la disparition
des femmes des circonscriptions nationales soutenue par une loi dont l'aspect
paritaire n'est qu'une illusion. En effet suite à la nouvelle loi issue
du
56. « Une inquiétude justifiée » Seniya
mint Sidi Haiba
Dialogue organisé entre l'Etat et les partis d'opposition,
on peut noter une différence significative marginalisant les femmes de
ces postes électifs.
Le passage qui suit, extrait de l'article « Une
inquiétude justifiée », nous permet de cerner les
conséquences de cette nouvelle loi sur chacune des instances du pays
:
{...} « Assemblée nationale :
L'ordonnance de 2006 : Le nombre de députés
était de 95 dont 18 femmes, soit 18%.
La nouvelle loi : Le nombre de députés est de
146 dont 20 sièges sur la liste nationale réservée aux
femmes, soit 13 %.
Notre opposition de principe à la liste
dédiée uniquement aux femmes résulte du fait que l'ancien
mécanisme - l'élection à partir des régions de
l'intérieur - habitue les citoyens à être
représentés par des femmes et, par conséquent, contribue
à vaincre les réticences et les tendances de marginalisation et
permet l'émergence d'une classe de femmes aptes à la concurrence
politiques dans toutes les circonscriptions. Cependant, nous avions bien
accueilli la liste nationale des femmes à condition qu'elle vienne en
appoint pour renforcer les mécanismes déjà existants et
augmenter le quota des femmes et non se substituer à ces
mécanismes.
-Une liste nationale paritaire avec alternance des genres.
Cette formule, louable dans sa forme, peut créer l'illusion qu'elle peut
aboutir à l'élection de 10 femmes. Cependant, quand on regarde de
près les conditions dans lesquelles se dérouleront les
élections, on est en droit de douter du résultat que pourront
obtenir les femmes à partir de cette liste. Pourquoi ? Parce que, tout
simplement, ces listes seront élues à la proportionnelle. Elles
seront concoctées par les directions de partis dominés par les
hommes qui ont longtemps attendu cette occasion pour se présenter
eux-mêmes ou présenter des hommes auxquels ils ont confiance
à la tête de chaque liste. Etant donné le nombre de partis,
la rudesse de la concurrence et l'éclatement du paysage politique, rares
sont les partis qui pourront faire élire plus que leur tête de
liste (qui est surement un homme), ce qui ne permettra pas l'élection de
plus de deux ou trois femmes pour les grands partis(2 ou 3 partis).
-Une liste régionale paritaire de 18 sièges
par alternance des genres à Nouakchott. Cette liste peut, elle aussi,
donner l'illusion que 9 femmes pourraient monter à partir de la
Capitale. Cependant, en plus des handicaps évoqués plus haut
concernant la liste nationale, il y a les enjeux politiques propres à
Nouakchott et qui réduisent encore plus les chances d'élection
des femmes.
Soyons optimistes là aussi et concédons 3
places aux femmes sur cette liste régionale (2 ou 3 partis
encore).
-Les listes des circonscriptions qui comptent plus de
trois sièges et qui sont au nombre de six et où sera
appliqué l'alternance des genres et le système de la
proportionnelle, sans obligation pour les partis de présenter des femmes
en tête de liste. Les handicaps évoqués plus haut, auxquels
s'ajoute le conservatisme des collectivités de l'intérieur du
pays, laissent peu d'espoir de voir des femmes élues sur ces
listes.
Cependant, soyons encore plus optimistes et espérons
l'élection d'1 femme sur ces listes (un seul parti peut gagner 2 ou 3
sièges par exemple).
Ces projections nous amènent au résultat
suivant :
20 + 3 + 3 + 1 = 27/146 soit 18%, ce qui est en
deçà des 20% accordés par l'ordonnance prise six
années plus tôt, en 2006.
Ajoutons à cela le fait que le renoncement aux
candidatures des femmes à partir des capitales régionales
à deux sièges aura incontestablement des répercussions
négatives sur l'évolution des mentalités en faveur de la
participation de la femme.
{...}Les conseils municipaux :
L'ordonnance de 2006 : Cette ordonnance a accordé
aux femmes un quota de 20% des conseils municipaux. Ce pourcentage a
été dépassé pour atteindre plus de 30% grâce
à l'application scrupuleuse de ce mécanisme, aux efforts
déployés par les femmes et à l'atmosphère ambiante
d'alors.
La nouvelle loi : Le quota accordé aux femmes
oscille entre 17% et 18% selon le nombre des conseillers municipaux, sans
qu'aucune obligation ne rapporte ce pourcentage aux têtes de listes qui
seront obligatoirement des maires.
Il en résulte un recul (18%) par rapport à
l'ordonnance de 2006 (20%) et il est fort probable que les prochaines
élections ne permettent à aucune femme d'accéder au poste
de maire car celui-ci, selon la nouvelle loi, est automatiquement la tête
de liste majoritaire. Or, comme on le sait, cette place de tête de liste
sera généralement réservée aux hommes.
{...} Le Sénat :
C'est au niveau du Sénat que le recul a
été le plus patent.
· L'ordonnance de 2006 : Cette ordonnance a
accordé un quota de 20% aux femmes au niveau de cette chambre. Pour ce
faire, il a fait obligation que les têtes de listes de deux sur les trois
circonscriptions électorales de Nouakchott soient
réservées à des femmes. Le résultat a
été l'élection de 9 sénatrices sur 53, soit 17%
environ.
· La nouvelle loi : La nouvelle loi fait obligation
aux partis qui se présentent dans quatre circonscriptions de
présenter une femme à la tête de l'une de leurs listes,
sans préciser si cette obligation veut dire « sur chaque quatre
listes » ou, tout simplement, qu'ils doivent présenter une seule
femme quel que soit le nombre de listes au-delà de ces quatre. Il en
résulte une confusion inquiétante quant à l'accès
des femmes au Sénat. Si cet accès devait avoir lieu, ce sera avec
un nombre insignifiant par rapport à la législature
précédente. »
Ce compte rendu nous révèle les principales
inquiétudes justifiées des femmes, l'auteure a mis l'accent ici
sur l'illusion d'une parité au sein des sphères
décisionnelles, une illusion entretenue par une force patriarcale
contournant la législation pour écarter les femmes des postes
électifs. De plus, lorsque les femmes accèdent aux postes de
responsabilité, on leur octroie souvent des ministères qui les
renvoient à leur position dans la société : condition
féminine, Affaires sociales et familles, enfance, Solidarité,
Santé...Il s'agit de ministères peu stratégiques ne leur
permettant pas de déployer tout leur potentiel décisionnel qui
concerne la gouvernance globale du pays.
discrimination que la culture nomade maure ne connaissait pas.
Le phénomène de modernisation que connait la Mauritanie
aujourd'hui constitue la source d'une multitude de discours revendicatifs
visant à établir les valeurs républicaines de justice
sociale et d'égalité.
c) Statut social de la femme et lieu de pouvoir : Une
approche du genre
Les femmes impliquées dans ce processus
démocratique se heurtent au patriarcat fortement ancré dans les
hautes instances étatiques. En effet, on perçoit ici les limites
auxquels se confrontent ces femmes en terme de pouvoir, comme nous l'avons
exposé au préalable, des frontières se sont
dessinées au sein du gouvernement du pays reléguant les femmes
à un espace décisionnel défini et limité. La
culture et le mode de pensée maure traditionnellement
caractérisés par leur aspect « féministe »
octroyant une certaine liberté aux femmes ne s'appliquait pas aux
réunions tribales majoritairement constituées
d'hommes57 , cet espace exclusivement masculin n'avait comme
emprunte féminine qu'une participation passive. En effet, la prise de
parole d'une femme en public, et en particulier en présence d'hommes
plus âgés jouissant d'une certaine notoriété,
était mal vue. On retrouve cette logique aujourd'hui dans les hautes
sphères décisionnelles où l'implication de la femme reste
confrontée à une réticence masculine. C'est dans cette
logique des rapports de genre que les femmes engagées «
négocient » le pouvoir, une négociation se construisant
autour d'un partage des activités relatives à la scène
publique du pays. En effet, c'est ainsi que s'est développé un
leadership féminin important dans la société civile et une
appropriation de la direction des affaires sociales sur un plan politique. En
dirigeant les affaires sociales et en s'impliquant dans les causes relatives au
droits de l'Homme (la famille, protection de l'enfance, précarité
des populations marginalisées, promotion de la condition
féminine...), elles féminisent des espaces de pouvoir en
concédant les autres espaces aux hommes. Cette forme d'arrangement met
en évidence un négoféminisme mêlé à un
womanisme se traduisant par l'engagement multi-sectoriel entrepris par ces
femmes. Cette faculté de négociation se traduit également
par un respect de la norme sociale permettant à ces femmes d'être
acceptées dans les sphères publiques. Un conformisme aux normes
sociales révélé par le statut social de ces
57. «la jamaa» terme en hassaniya désignant
à l'origine les réunions des hommes pour discuter des affaires de
la tribu, ce terme peut aussi être utiliser pour désigner un
simple regroupement, une réunion d'individus dans un même
endroit.
femmes : mariées et mères de famille, elles
remplissent leurs fonctions sociales au sein du foyer comme toutes les autres
femmes afin de crédibiliser leur engagement et asseoir leur discours. Le
statut social est intimement lié à la carrière politique
dans la mesure où la femme maure n'acquière une réelle
autonomie et liberté de mouvement qu'en étant mariée et
maitresse de son propre foyer. Les femmes passant de la tutelle parentale
à la tutelle de leur mari, celle-ci étant moins rigide et plus
émancipatrice que le contrôle familial sur les jeunes filles
célibataires, elles acquièrent une plus grande liberté
leur permettant d'entreprendre des activités relatives à l'espace
public traditionnellement réservé aux hommes. Il existe des
différences de statuts quant à la catégorie à
laquelle une femme appartient (par exemple : une femme issue d'une tribu «
noble », d'un milieu religieux et lettré n'est pas
confrontée aux même codes et valeurs à régissant le
comportement d'une femme appartenant à un statut social «
inférieure »58 ) ; lorsque le statut social est
élevé, les femmes sont tenues à une certaine forme de
conduite au bout du compte assez contraignante. On reste convaincu que la femme
devrait continuer sinon indéfiniment à vivre par personne
interposée d'où cette nécessité d'arrangement et de
compensation matrimoniale comme condition sine qua non à leur
participation à la vie politicoéconomique du pays.
Ce constat est d'autant plus valable que notre étude
appuyée par des interviews a confirmé la force du cadre normatif
dans lequel ces femmes engagées se situent et sur lequel elles
s'appuient pour asseoir et légitimer leur place dans les instances de
pouvoir. Une femme comme Minetou mint Elmoctar que nous avons interviewé
fait preuve d'un engagement personnel totale dans la société
civile, confrontée à des critiques virulentes de la part des
forces rétrogrades et parfois de l'opinion publique, elle continue son
militantisme au risque de heurter certaines convictions fortement
ancrées dans les consciences collectives. On peut penser que son combat
qui lui a valu une implication totale de sa personne explique sa situation
sociale en opposition avec la norme établie. En effet, divorcée
depuis plusieurs années (son ex mari étant un ancien militant des
Kadihines, leur séparation date de l'effritement de ce mouvement), elle
mit sa vie conjugale de coté pour se consacrer à son
activité de militante des droits de l'Homme soutenue par un discours
faisant voler en éclat les tabous et les règles de prise de
parole d'une femme dans ce
58. Caste située au bas de la hiérarchie social
d'un point de vue tribal ou ethnique
milieu. On perçoit ici un choix de vie différent
des autres femmes en questions qui explique son parcours semé
d'embûches malgré son militantisme légitime pour des causes
parfaitement justifiées et fondées.
Cette violence normative vient s'ajouter aux réticences
patriarcales dans le milieu politique constituant ainsi une double contrainte
débouchant sur ces multiples forme d'arrangements et de
stratégies régissant les rapports de genre en terme de pouvoir
politique.
Dans cette perspective, la division sexuelle du pouvoir, ou
mieux la division socio-sexuée du pouvoir constitue la raison principale
empêchant la pleine participation des femmes au pouvoir politique.
L'approche du genre est centrale pour comprendre le fonctionnement social et
politique en Mauritanie car c'est en étudiant les relations qui existent
entre ces groupes et la façon dont ils se partagent les rôles, les
tâches et les responsabilités que l'on peut cerner l'impact des
besoins stratégiques des femmes et des hommes dans l'organisation
politique soutenue par une préoccupation commune à savoir le
développement économique du pays.
d) Rôle de la jeunesse : quelle place pour la
jeunesse féminine sur la scène publique?
Pourtant ces conditionnements ne constituent pas des
déterminismes. En effet, il est possible de se libérer de leurs
entraves, du moins partiellement dans la mesure où ces femmes ont
conscience du poids des coutumes et du rôle social qu'on leur inflige
ainsi que les limites que ce système leur impose. Cette conscience
politique et cette implication féministe concernent donc une
catégorie de femme appartenant à une tranche d'âge allant
de 30 à 45 ans voir plus...La notion de mobilité et de
liberté de mouvement que requière l'engagement politique ne
pouvant être admis que chez les femmes jouissant d'un certain statut
sociale ( mariée et ayant un certain âge avancé...), les
jeunes filles sont très peu présentes voir totalement absentes du
paysage politique. En effet, l'accès à cet espace est soumis
à des conditions implicitement établies mais qui conditionne la
légitimité de l'insertion féminine dans le pouvoir
politique. Cette analyse nous amène à comprendre la faible
participation de la jeunesse féminine à la vie politique du pays,
de plus cette génération se trouve confronté aux
prérogatives de la modernité dont l'éducation qui devient
un besoin fondamental à l'intégration des sphères
décisionnelles. L'effectif de la
scolarisation des filles étant assez faible surtout dans
l'enseignement supérieur accentue ce phénomène.
Il est important de noter par ailleurs qu'une
ambigüité se crée dans ce pays qui vacille entre les besoins
de l'ère moderne et la place importante qu'occupent la tradition et les
coutumes. En effet, deux mondes se chevauchent : Les institutions
socio-politiques traditionnelles et modernes se côtoient et
s'interpénètrent. Une telle situation creuse un fossé
entre les principes d'une éducation traditionnelle assurée par la
collectivité ayant des fonctions précises (solidarité
ethnique, communisme primitif, savoir faire traditionnel, transmission des
croyances et des coutumes locales, etc.) et l'éducation moderne qui elle
met en place un système basé essentiellement sur l'acquisition de
connaissances dans une perspective de compétence et de réussite
individuelle fondé sur des critères totalement différents.
Ce phénomène constitue un frein supplémentaire à la
participation des jeunes filles à la vie active et publique du pays. Le
statut personnel de la femme étant intimement lié à une
multiplicité de rôles sociaux qu'elle doit assurer, l'enjeu de
l'éducation des filles ne lui permet pas d'intégrer pleinement
des responsabilités sur un plan politique et économique.
Cet état de fait explique la tendance informelle des
engagements politiques féminins en Mauritanie. Dans le chapitre suivant
nous tenterons de déceler à travers les champs d'actions de ces
femmes, l'espace qui lui est réservé et l'influence de la culture
nomade berbère sur les rapports de genre dans la société
et en matière de politique, comment ces deux univers s'articulent de
manière à dessiner un paysage socio-politique particulier
caractérisant ce pays.
II. Statut social et engagement féminin : un
pouvoir à tendance « informelle » ?
A. Les champs d'actions des femmes dans le monde
urbain:
La capitale de la Mauritanie, Nouakchott, est une ville
née depuis l'indépendance qui n'a pas l'ancienneté des
autres réseaux urbains que l'on peut trouver dans le monde arabe et
méditerranéen. En effet, Nouakchott étant une ville
peuplée d'anciens bédouins qui sont venus s'installer, suite
à la désertification de la fin des années 1960, est une
ville en pleine expansion et
dont l'architecture mal tracée témoigne de
l'empreinte de la culture nomade sur l'organisation spatiale de ce
territoire.
a) Le Commerce : espace féminin et réseau
social source de contributions socio-
économiques et politiques en Mauritanie.
Tout d'abord il est important de rappeler qu'à
première vue, la place des femmes dans l'espace public à
Nouakchott est marquée par un secteur d'activité
spécifique : Le Commerce. Le marché aux voiles où les
boutiques sont aux mains des commerçantes est un espace essentiellement
féminin. En effet, il existe un important investissement des femmes dans
le secteur privé et en particulier les activités commerciales et
les services : magasins vestimentaires, importation d'accessoires
féminins et masculins, salons de coiffure, supermarchés, etc.
L'investissement de cet espace par les femmes est le résultat de leur
faible occupation des postes professionnels, électifs, ou dans les
hautes instances gouvernementales. Dans le milieu maure, une femme sur deux a
déjà pratiqué ou pratique une activité commerciale.
Selon l'office national des statistiques, 24 799 femmes sont impliquées
dans les affaires commerciales en 200059.
Il est important de se pencher sur ce phénomène et
d'en déceler les rapports de genre dans l'organisation et l'occupation
de l'espace publique urbain en Mauritanie.
Il s'agit ici de porter une attention particulière sur
que Celine Lesourd appelle à juste titre « les grandes
commerçantes »60 , un moyen pour ces femmes de
s'extraire socialement et spatialement du foyer61 leur
garantissant une autonomie financière et une reconnaissance sociale. En
réalité, la question du commerce féminin dans le milieu
maure révèle non seulement une stratégie visant a subvenir
aux besoins de la famille mais il s'agit surtout et avant tout pour ces «
business women » d'acquérir une fortune ostentatoire pour
être influentes et puissantes. Tous les moyens
59. "Au bonheur des dames" : femmes d'affaires mauritaniennes de
nos jours- Celine Lesourd -Thèse en anthropologie EHESS Paris 2006
60. Que l'on surnomme à Nouakchott les «
batrounates », un concept sur lequel s'est
penchél'anthropologue Celine Lesourd dans sa
recherche.
61. Camille Schmoll «Immigration et nouvelles marges
productives dans l'aire métropolitaine de Naples», Bulletin de
l'Association des Géographes Français, 2001 - 66, 4, p. 68-87
sont mis en oeuvre pour « nourrir la
fidélité d'une cour »62, se met alors en place
une réelle compétition entre ces commerçantes
mauritaniennes pour devenir « une batroune » passant par une
théâtralisation de la réussite sociale de ces femmes
(dépenses ostentatoires, villas, voitures de luxe, voyages,
etc.63). Les enjeux stratégiques soutenant cette mise en
scène nous révèle à qui s'adresse et profite cette
activité féminine montante. La majorité de ces femmes
d'affaires appartiennent à l'association UMAFEC (Union Mauritanienne des
Femmes Entrepreneuses et Commerçantes), une association à
l'origine de la construction d'un certain nombre de centres commerciaux et en
particulier « Le marché des femmes » (grand centre commerciale
proposant des articles de luxe) qui intègre un large réseau
social de femmes influentes (épouses et filles de hauts fonctionnaires
ou d'hommes d'affaires). L'étendue de leur main mise sur un certain
nombre d'activités impulsées par les discours politiques
prônant la promotion de la condition féminine ces deux
dernières décennies et leur influence notable dans l'espace
publique leur vaut le statut d'une classe
politico-commerciale64 à part entière. Il s'agit
pour ces femmes de mobiliser leur réseau social établi à
travers des femmes influentes dont les maris occupent des postes clés
dans la perspective de consolider leur ascension sociale et leur degré
d'influence.
L'essor du commerce féminin renferme également
une grille d'analyse des rapports de genre : « Nous les femmes, le mari
peut nous abandonner, partir avec une autre femme, il faut alors faire face.
Alors quand on a un homme qui a les moyens, il faut en profiter, acheter des
bijoux, avoir un terrain ou une voiture. C'est notre compte épargne
à nous » (Citation d'une commerçante maure interrogé
par Celine Lesourd « Au bonheur des dames »: femmes d'affaires
mauritaniennes de nos jours- 2006, p.14). Il est donc question d'assurer
une indépendance financière par rapport aux hommes, s'installe
alors une relation d'interdépendance ambigüe entre les hommes et
les femmes : A la fois admirateurs, spectateurs et dépendants de cette
ascension sociale féminine des businesswomen, les hommes fortunés
tirent profit du succès de ces femmes
62. Ibid Celine Lesourd p. 12
63. Céline Lesourd, « Le mesrah. Regard sur la
« culture matérielle du succès » à Nouakchott
», L'Année du Maghreb-2008,
64. Terme utilisé par Jean François Bayart dans
son ouvrage « L'Etat en Afrique. La politique du ventre. » 1989
Paris, Fayard.
et leur influence sur le mesrah65
mauritanien. L'activité de ces femmes devient en quelque sorte le pont
entre l'univers privé féminin et la sphère publique voir
politique. En effet, cette population féminine étant
principalement constituée d'épouses, de filles, ou de parents
proches (soeurs, cousines, appartenance tribale commune,...) d'hommes occupant
un haut poste politique, elles influencent indirectement l'activité
politique. Elles investissent aussi une part importante de leur revenu dans les
campagnes électorales présidentielles pour le candidat qu'elles
soutiennent (un investissement qui, bien entendu, entretient leurs
intérêts également). Ce dernier point mérite
d'être analyser car la participation des femmes aux élections
reflètent une implication informelle mais centrale dans le
déroulement du processus électorale mauritanien. Cette
faculté d'articuler les activités relevant du privé et
celles relevant de la sphère publique caractérise la
multiplicité des champs d'actions des femmes en Mauritanie, une
diversification des champs résultant des stratégies de
contournement du patriarcat afin d'avoir plus ou moins main mise sur l'ensemble
des institutions de la communauté.
b) « Campagne féminine » électorale
: Quand la voix du citoyen est portée par la voix des
femmes :
La période de la campagne électorale en
Mauritanie est marquée par une ambiance de festivité : de grandes
tentes se dressent dans les rues de la capitale, des voitures sont
mobilisées circulant en ville affichant les posters des candidats, des
festivités sont organisées au grand public sous les tentes qui
ornent les nuits de Nouakchott,... «Elles portent des voiles mauve clair
et des casquettes à l'effigie du futur président [...] La place
est envahie de jeunes filles, de jeunes femmes, de dames plus
âgées, de militantes. Certaines rient et d'autres chantent. Elles
discutent.
65. « Le mesrah, en arabe et en hassâniyya1,
désigne littéralement la scène, par extension le
théâtre. Pour les Mauritaniens, « être sur le mesrah
» signifie alors « être sous les feux de la rampe », ou,
en d'autres termes, appartenir à une certaine élite. On dit de
ces gens du mesrah, qu'« ils font le théâtre »,
qu'« ils s'affichent », qu'ils « vont paraître »,
qu'« ils brillent », expression surtout utilisée pour les
femmes alors désignées sous le terme de « mcha'ch'a»,
soit l'« étincelante », la « flambeuse ». Les
membres de cettejet-set se composent en Mauritanie d'hommes d'affaires, de
fonctionnaires bien placés et potentiellement gourmands, de femmes
riches, célèbres et charmantes et de leur cour. »
Céline Lesourd « Le mesrah. Regard sur la « culture
matérielle du succès » à Nouakchott »,
L'Année du Maghreb -2008
En un espace, en un instant un bout de Nouakchott semble mauve
de femmes. »66, cette description de l'espace urbain
nouakchottois représente parfaitement la ferveur féminine durant
cette période politique. Une présence publique des mauritaniennes
s'est développé dans les manifestations officielles ou
officieuses de manière à contrer leur discrimination au regard
des postes électifs.
Celine Lesourd nous offre dans son étude sur les
militantes politiques mauritaniennes en période électorale, une
vision du quotidien de ces femmes et la manière dont elles abordent
cette activité politique s'improvisant à peu prés toutes
comme des « directrices de campagne », une campagne qu'elles
mènent personnellement auprès des individus dans les salons, sous
les tentes érigées à cet effet, etc.
« En fin d'après-midi, après avoir
géré les affaires de la maison (le chauffeur ira chercher les
enfants à l'école, il faudra prévoir des collations pour
les visiteurs « politiques »), certaines militantes enfileront leur
plus beau voile/boubou pour aller faire du porte-à-porte et convaincre
ceux et celles qui seraient encore hésitants. »67 , on
retrouve ici l'organisation typiquement féminine des femmes
mauritaniennes engagées, jonglant entre les tâches domestiques et
les activités relevant de la sphère publique. Le statut des
femmes maures étant ambivalent, elles affirment bénéficier
d'une certaine autonomie et une émancipation que l'on ne rencontre pas
dans les autres ethnies ou pays arabes, et dans le même temps elles ne
rejettent pas leur fonction sociale de mère de famille qu'elles
qualifient de « chef de famille » pour maintenir cette image presque
mythique de la femme maure libre et puissante.
Elles suivent de prés l'évolution du processus
électoral et se tiennent au courant des alliances politiques et des
discours officiels pour établir des pronostics. La période de la
campagne électorale en Mauritanie constitue un événement
impliquant toutes les femmes quelque soit leur statut social, mais les plus
influentes et impliquées dans l'organisation de ces «
festivités politiques » sont les femmes riches appartenant à
un haut rang social. « Banderoles, posters, guirlandes, tentes, musique,
voitures fardées au couleur d'un candidat, la ville fête la
66. Céline Lesourd, « Femmes mauritaniennes et
politique. De la tente vers le puits ? », L'Année du Maghreb -
2007
67. Ibid. C.Lesourd
campagne »68, cette campagne devient un
événement mondain à travers lequel se déploie tout
le savoir-faire féminin mais aussi masculin mettant en évidence
une distribution des tâches pour mener à bien une période
qui concerne la collectivité.
On retrouvait déjà cette dynamique féminine
lors des anciennes batailles tribales lorsque les femmes maures vantaient le
courage des guerriers de leur clan à travers des poésies.
Aujourd'hui, les femmes remplissent une véritable
mission de marketing à travers les campagnes. Les mauritaniens affirment
que « la campagne ne se fait pas sans les femmes »69.
Certaines font dresser des tentes, d'autres payent des griots, les moins riches
participent au porteà-porte. L'agitation envahit jusqu'aux foyers. Mais
cette implication ne dépasse pas le cadre du soutient politique dans la
mesure où rares sont les femmes qui passeront de la campagne aux
responsabilités et des responsabilités aux hautes sphères
décisionnelles du pouvoir. C'est en ce sens que notre analyse nous
amène à dire que les femmes s'expriment en politique uniquement
d'un point de vu social («Les Mauritaniennes ont un mode de faire de
la politique au féminin. Des voies d'expression qui leur sont propres.
Le rôle féminin consiste surtout à « dire »,
à « faire circuler », à « organiser »,
à « téléphoner », à « visiter des
maisons », à « faire passer des tracts »... Les femmes
font un lourd travail de communication ».70).
Malgré l'ordonnance mise en place en 2006 par le
gouvernement de transition militaire (CMJD) relative à la promotion de
l'accès des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives (quota de 20 % ciblant les mairies et leurs
conseillés), la présence des femmes dans l'appareil d'État
et dans les organes officiels du pouvoir est resté très
symbolique. Depuis la mise en place de ce quota, on a assisté à
une prolifération de commentaires parfois révélant une
méconnaissance précise des textes : « un
député sur quatre sera une femme », « le sénat
comptera une vingtaine de femmes », « les femmes vont avoir plus de
pouvoir maintenant ! ».
68. Ibid C.Lesourd
69. ibid C.Lesourd
70. Ibid C.Lesourd
Une partie de l'opinion affiche une réelle
résistance à ce quota, dont Naha Mint Mouknass, présidente
de parti, ancienne conseillère à la présidence et ancienne
ministre des affaires étrangères71 a
déclaré à la presse son mécontentement : «
C'est une vaste blague [...]. Pourquoi pas un quota pour les handicapés
ou pour les jeunes de moins de 34 ans ? Je m'insurge contre les slogans creux
et irréfléchis. Je suis pour le mérite et pas pour qu'on
remplisse l'assemblée et les mairies par des femmes
quotaïsées »72. Le manque de formation est
systématiquement invoqué par les opposants au quota comme
l'indique ces témoignages de plusieurs femmes recueillis par Celine
Lesourd au cours de son enquête sur les femmes maure et la politique :
« Les femmes font déjà de la politique,
on est déjà là, c'est juste qu'on ne rentre pas dans les
cases statistiques des organismes internationaux qui ont décidé
que, avec tant de femmes dans les parades, la Mauritanie serait une vraie
démocratie... », « Ils ont décidé qu'il fallait
que les femmes fassent de la politique mais ! on en fait déjà !
[...] On ne peut pas dire que tout va bien ici... il faut nommer des
professionnels, élire des gens compétents mais toutes les femmes
ne sont pas prêtes [...] on impose mal [...] et trop d'un coup.
»
« Qui vont être les femmes de la politique ?
Des commerçantes illettrées ? Des femmes qui dorment toute la
journée ? Il n'y a pas un stock de femmes, formées et
compétentes, en Mauritanie qui peut prendre les places que Ely [soit le
CMJD et l'ordonnance] leur propose [...]. Qui va vraiment pouvoir faire
ça ? [...] Alors ça va être n'importe qui [...] et on dira
que c'est la faute des femmes ? »
Les discours contre la mise en place de ce quota
témoignent d'une préférence pour cette politique
informelle féminine qui serait plus légitime qu'une implication
officielle à travers des postes clés pour lesquelles elles ne
seraient pas assez compétentes.
Grâce à cette discrimination positive, neuf
femmes accèdent au sénat qui compte 56 membres ; soit une part
féminine de 16 %. Le phénomène est exclusivement urbain,
puisque c'est dans la capitale que ces chiffres gonflent car la loi stipule que
les listes sénatoriales doivent être conduites par une femme dans
les circonscriptions électorales de Nouakchott et la règle n'est
pas
71. Première femme à occuper ce poste dans le monde
arabe
72. Interview réalisée par Bios Diallo pour Jeune
Afrique n° 2390, du 29-10 au 4/11/2006.
valable à l'intérieur du pays. Par
conséquent, le sénat se féminise grâce à
Nouakchott (huit sénatrices sur neuf). A noter que 17 femmes sur un
total de 95 sièges (17,8 %) pénètrent l'assemblée
nationale. Quatre d'entre elles ont été élues à
Nouakchott (soit presque un quart). Là encore, l'effet urbain ne
peut-être nié. Néanmoins l'aspect paritaire de cette loi
reste relatif puisque même à Nouakchott, sur un total de 41 listes
en concurrence, seules quatre d'entre elles étaient dirigées par
une femme. La population féminine reste donc marginalisée de
l'entrée officielle en politique ce qui explique le maintient de cette
implication politique informelle des femmes leur garantissant une
présence dans les rouages du pouvoir politique en Mauritanie.
On peut parler d'une nouvelle forme de sociabilité, une
interconnexion entre les diverses catégories qui composent le paysage
politique et économique du pays formant cette pratique féminine
urbaine que l'on peut désigner de phénomène social total
dans la mesure où elle intègre la totalité des
réseaux sociaux mauritaniens. Pour comprendre la portée de ce
phénomène social, il est nécessaire pour nous ici de
présenter les logiques de ce mode de vie urbain renvoyant à une
hiérarchie sociale et à la formation d'un espace jouxtant entre
la scène politique et privée.
B. Sphère publique et sphère domestique :
Relation dialectique entre ces deux espaces
et rapport de genre :
a) L'espace mondain comme espace de pouvoir : Comportements
féminins et hiérarchie
sociale :
L'urbanisation et la sédentarisation qu'a connue la
population mauritanienne leur a imposée un nouveau modèle de vie
et d'organisation sociale. Dans le cadre de notre problématique de
mémoire, il serait indispensable pour évaluer les
potentialités d'actions féminines en terme politique et
économique, de mettre la lumière sur les rapports de force
hommes/femmes ; des rapports qui, nous le verrons, sont intimement liés
au mode de vie imposé par l'urbanisation.
A la fin des années 1970, le régime militaire de
Mohamed Khouna ould Haidallah décide de se tourner vers une richesse
jusqu'alors inexploitée : les ressources halieutiques des côtes
mauritaniennes. De nombreux individus se pressent alors à Nouadhibou
(ville située sur les côtes nord-ouest du pays, capitale
économique du pays), port avec zone franche, et se lancent dans la
pêche et ses activités maritimes
dérivées (consignations, usines de congélation,
sociétés d'assurances, etc.), une riche classe d'affaires
mauritanienne voit alors le jour. Leurs affaires aujourd'hui touchent une
diversité de domaines : commerce, politique, banques, assurances,
immobilier, bâtiments,... Cette effervescence donna naissance d'abord
à une nouvelle forme de sociabilité nocturne dans
l'intimité des maisons, ces réunions rassemblant des hommes et
des femmes, appelées « salons », sont marquées par le
luxe qui donne lieu à un véritable développement d'une
classe prestigieuse et influentes dans les divers cercles socio-politiques. En
effet, ces espaces élitistes que Celine Lesourd appelle le
mesrah (voir la définition en note de bas de page n°67) se
rapprochent des salons mondains du XVIIIe siècle en France dans la
mesure où on y retrouve des réseaux sociaux étroitement
liés au pouvoir politique, des rapports de séduction, de
sociabilités mondaines, des interactions qui participent
également à la construction des rapports de genre dans ces hautes
sphères de la société. Ceci nous conduit à de
multiples questionnements sur la relation dialectique qui s'instaure entre
l'empreinte féminine du mesrah et le pouvoir en Mauritanie.
C'est dès les années 1980 sous le régime de Maaouya ould
Sid'ahmed Taya (1984-2005) que l'on a vu se développer notamment dans la
capitale du pays une élite urbaine qui est en étroite
collaboration officieuse avec l'Etat. Une élite majoritairement
composée d'une classe d'affaire s'enrichissant des fonds publics ,
s'instaure alors une kleptocracie élargissant et consolidant
l'influence et le pouvoir du mesrah : « plus d'argent, plus de
courtisans, plus de fidèles, plus de paraître, plus de besoins
financiers, plus de concurrences au sein de la cour et entre les cours, plus de
rumeurs et de « rumorants » »73.
Les femmes qui sont les principales actrices et initiatrices
du mesrah mauritanien, contribuent à fidéliser une cour
politicienne en ayant recours à divers discours clientélistes
(d'ordre tribal, régional ou ethnique) pour élargir et renforcer
leur cercle, le plus souvent par des moyens douteux ou discutables. Elles
dirigent leurs actions en fonction de l'orientation du régime politique
en place débouchant sur un nouveau mode d'action politique.
Le mesrah étant composé d'hommes hauts
placés dans les sphères politique du pays, ces femmes connues
pour leur beauté et leur assise dans la classe politico-commerciale
construisent des réseaux sociaux mais aussi internationaux pour
accroitre leur autorité et leur influence. Depuis
les années 1990, ces « shabibate »74
(« Badineuses, épouses ou divorcées de businessmen, de
militaires ou de nominés »75) sont aussi devenues
les businesswomen d'aujourd'hui.
Leur pouvoir est fondé sur ce que la sociologue
spécialiste de la méditerranéen Véronique Manry
appelle les « compétences relationnelles ». En effet, ces
commerçantes s'appuient sur les liens de parenté : proches
parentes de hauts fonctionnaires et/ou de femmes d'affaires.
Celine Lesourd a réalisé au cours de son
enquête auprès des commerçantes mauritaniennes que les plus
riches étaient les filles de cadres dans une administration publique,
filles de grandes commerçantes ou de chefs d'entreprises, soeurs de
conseiller à la présidence, nièces de haut responsable du
PRDS76, fille de sénateurs, soeur d'un grand banquier de la
place etc. Autant de relations de parenté qui en disent long sur les
véritables voies de réussite pour les femmes et constituent des
capitaux sociaux variés et cumulables leur donnant accès à
la classe politicocommerciale, et par là même, à un
véritable tremplin pour leur business personnel. Le capital social
devient une garantie du capital financier. Le mesrah, cet espace
semi-public devient le théâtre de stratégies individuelles
de réussite pour ces femmes et un moyen de théâtraliser
leur richesse ainsi que leur renommée. Une véritable
sociabilité se crée autour et par ces femmes puissantes
entretenant une cour et des courtisans pour demeurer dans l'élite et
« relever des défis ostentatoires pour prouver ses marques de
prestige »77. Ainsi les mauresques étant moins actives,
moins scolarisées, certaines nous le verrons, se démarquent par
des investissements particuliers et savent quand il le faut, jouer de leur
rôle de femme et bénéficier d'un certain pouvoir au sein de
la communauté.
74. Terme en hassaniya, dialectque arabe des maure,
désignant une femme belle et jouissant d'un grand prestige social.
75. Ibid 2 C.Lesourd
76. Parti politique du président Maaouya ould Sid'ahmed
Taya au pouvoir de 1984 à 2005
77. Ibid 2 C.Lesourd, l'auteure y développe longuement la
compétition entres ces jet-seteuses pour se hisser sur le mesrah,
soutenue par un mode de vie ostentatoire propre à elles.
Le mode de vie urbain moderne devient un théâtre
social au sens goffmanien dans la mesure où s'y déploie toutes
les ressources conceptuelles des métaphores de la théorie
goffmanienne : « scène », « public », «
personnage », « rôle », « coulisse » et «
mise en scène ».78 En effet, ce phénomène
s'est accompagné d'un développement sulfureux d'une architecture
luxueuse de villas dans les quartiers chics de la capitale (Tevragh Zeina,
E-Nord, Las Palmas,...) exposant ainsi la réussite sociale des
propriétaires. Des voitures dernier cri, des villes, des voyages
à Dubaï, en France, en Espagne,...l'achat des accessoires et
équipements domestiques de pointe constituent des dépenses
participant à consolider la position statutaire des hommes et des femmes
en particulier appartenant à cette élite.
« Ces palais rivalisent de successions de salons : il
y a le salon maure (composés de banquettes de bazin et de tapis
importés d'Iran) dans lequel la famille se réunit, à
même le sol, confortablement lovée dans une multitude de coussins.
Des halls immenses à colonnes s'ouvrent sur d'autres salons à
« l'européenne » : canapés fleuris aux très
lourds accoudoirs et aux imposants dossiers, luxueux tapis, tables basses en
verre soutenues par des armatures dorées. Des fleurs en plastique dans
des vases en porcelaine surplombent des bibelots made in China. Aux murs, dans
des cadres alambiqués, sont accrochés de grands posters figurant
des forêts suisses, des torrents nord-américains, un château
de la Loire et sa verte campagne. La télévision trône
majestueuse sur un meuble de même facture que la collection de tables
basses. De l'écran plat de grande taille à l'écran plasma
géant, le poste (relié à une parabole bien en vue sur le
toit) confère un certain prestige. Plus l'appareil, exposant social, est
imposant, plus l'hôte semble puissant. Dans ces intérieurs,
presque baroques, chaque détail compte : les moulures au plafond,
l'épaisseur et le luxe des rideaux et tapis, les fioritures des
colonnes, le clinquant des cascades de lustres. Les fauteuils, les
canapés, et de plus en plus, les ensembles table à manger et
vaisselier, confèrent au propriétaire ses marques de noblesse.
Chaque mobilier est mis en valeur par divers artifices (cadres, rubans,
figurines, vases, cendriers) [...] L'objet est ainsi
dédoublé, comme ajoutant du prestige au prestige. Il y a alors
surexposition de la position sociale de l'hôte. Les architectures
extérieure et intérieure de ces véritables châteaux,
tout comme le mobilier - jouant encore une fois « le rôle d'exposant
du statut social » font l'objet d'âpres concurrences : la lutte
ostentatoire s'organise, tout d'abord, autour de l'acquisition du meilleur
terrain (le plus grand, le mieux placé, négocié de main de
maître), puis à propos de la superficie de sa construction, de la
hauteur de ses tours, du coût de ses
78. « La mise en scène de la vie quotidienne 1 : La
présentation de soi » Erving Goffman- Les Editions de Minuit-
1975
carrelages, de la lourdeur de ses draperies et du nombre de
véhicules rutilants abrités dans le garage . »79
L'exposition de ces biens et leur théâtralisation
urbaine sont intimement liés aux rapports de genre et jouent un
rôle central dans les rapports de séductions à travers
lesquels les femmes parviennent à bénéficier de ces
avantages en entretenant autour d'elles un réseau masculin assurant leur
prestige. Se développe dès les années 1980 avec la
naissance des « salons » mondains une catégorie de femmes :
les « shabibate » usant de tout leur capital relationnel et de
séduction pour la mise en scène de leur réussite sociale
et financière sur le mesrah.
A Nouadhibou puis à Nouakchott, ces femmes issues d'un
haut rang social organisent des fêtes, des soirées privées
dans leur salon rassemblant une sélection d'hommes et de femmes du gotha
nouakchottois dans une ambiance de musique, de poésie ponctuée
souvent par des jeux de séduction, un amour courtois qui a longtemps
caractérisé les rapports amoureux maures tel que nous les
décrit Aline Tauzin dans son ouvrage (Figures du féminin dans
la société maure). Pour être convié chez
certaines « shabibate » fortunées, il faut être
prêt à honorer une certaine somme : Des montants pouvant varier
entre 100 000 et 200 000 ouguiyas (soit 300 à 600 €). Une
dépense souvent complétée par la prise en charge du repas,
des cadeaux caprices suggérés par la shabiba (argent, accessoires
de luxe, voitures, voyages, etc.), ou par ses proches, au cours de la
soirée. En échange, ces femmes se laissent courtiser et
entretiennent une relation privilégiée avec avec ces hommes.
« Elle a sa cour d'admirateurs [...], la femme exprime ses désirs
directement ou par l'intermédiaire des femmes présentes, elle
suggère les cadeaux qu'elle veut, les voyages [...]. Elle veut entendre
des mots, des compliments [...]. Les hommes veulent briller et gagner ses
faveurs »80. Etre convié à un « salon »
est donc une marque de prestige et un privilège pour les hommes.
Ces « salons » deviennent les coulisses du
théâtre de la réussite sociale, du mesrah. Le
mesrah prend tout son sens goffmanien dans la mesure où les
rapports de genre sont fondés sur une répartition des
rôles entre les hommes et les femmes garantissant à chacun une
reconnaissance
79. Description extraite de l'étude de Celine Lesourd
« « Le mesrah. Regard sur la « culture matérielle du
succès » à Nouakchott », L'Année du Maghreb.
80. Témoignage d'un connaisseur de ces salons recueilli
par Celine Lesourd - cf Ibid 2
statutaire. Pour « garder la face » (concept de
E.Goffman traduisant le maintien d'une crédibilité sociale aux
yeux des individus) ces manipulations doivent cependant demeurer
encadrées par des normes et des règles strictes car, oscillant
entre privé et public, il y a ce qui doit être vu et ce qui peut
être vu, ce que l'on peut dire et ce que l'on doit taire.
En conduisant leur vie amoureuse avec opportunisme et en
menant une vie mondaine ostentatoire, ces femmes renversent le principe de la
subordination féminine aux hommes, en effet cet espace de mixité
ouvert aux classes aisées de Nouakchott met en évidence une
réalité complexe des rapports de genre. En jouant sur les
concurrences masculines et en exigeant des cadeaux et des égards, ces
femmes font preuve d'une forme d'autorité sur les hommes
débouchant sur une subordination de ces derniers et un assujettissement
à leurs caprices. C'est en ce sens que l'on peut qualifier ces rapports
de genre comme relevant d'une complexe complémentarité.
c) Le concept de Harîm comme grille de lecture pour
l'analyse de l'organisation tribale et
politique de la société maure
(Référence aux travaux de Pierre Bonte) :
Cette forme de sociabilité organisée autour de
la femme met en évidence une instrumentalisation de la culture maure des
rapports de genre par les femmes : le concept de « Harîm » tel
qu'il est analysé par Pierre Bonte (L'émirat de l'Adrar
mauritanien. Harîm, compétition et protection dans une
société tribale saharienne) ainsi que l'amour courtois
étant une spécificité berbérosaharienne. Une
instrumentalisation leur permettant de jouir d'un statut social avantageux et
leur garantissant une autonomie financière. Ceci dit l'analyse de ce
concept nous permettra de relativiser la subordination des hommes à ces
femmes de renommées dans la mesure où cette relation
d'interdépendance renferme une logique de domination masculine telle
qu'on la retrouve dans les analyses de Pierre Bourdieu.
En effet, le concept de Harîm est au coeur des logiques
sociales de la société maure : Désignant la femme en
arabe classique mais dont l'étymologie est formée par le
mélange des termes « interdire » et « protéger
». Ceci nous renvoie donc à une idée de protection, le
harîm c'est
l'univers que les hommes du groupe doivent protéger et
contrôler, faisant penser à toute la problématique de
l'honneur. Pour l'élaboration de ce mémoire, j'ai effectué
un entretien ayant eu lieu a Paris81 avec le sociologue Abdel Wedoud
ould Cheikh82, un sociologue et collègue de Pierre Bonte
ayant fait un compte rendu sur l'ouvrage de l'anthropologue en question.
Au cours de l'entretien, Abdel Wedoud ould Cheikh a mis
l'accent sur le caractère méditerranéen de la question de
l'honneur : « Les anthropologues qui ont travaillé sur les
sociétés méditerranéennes (notamment les travaux de
Pierre Bourdieu sur la Kabylie) ont révélé que la question
de l'honneur est au coeur des rapports de genre. Appelé le «
nif» chez les kabyles et « darja », le « charaf » chez
les maures, les femmes sont les gardiennes de l'honneur des hommes et
réciproquement [...] Il y a une expression de l'anthropologue Pitt
Rivers qui résume parfaitement ce phénomène «
Chez les méditerranéens l'honneur se perd par les femmes et se
gagne par les hommes ». Elles peuvent compromettre le statut des
hommes alors pour protéger leur honneur, ils se chargent de
protéger celui des femmes. »
C'est dans cet état d'esprit que nous devons
considérer les rapports de genre dans la société maure.
Dans l'ouvrage de Pierre Bonte « L'émirat de l'Adrar mauritanien.
Harîm, compétition et protection dans une société
tribale saharienne », à la fois synthèse et
élargissement d'une thèse d'État soutenue en 1998,
l'auteur nous amène à comprendre comment s'est formé
l'émirat de l'Adrar à partir des compositions tribales,
généalogiques et statutaires, il nous conduit progressivement
dans un ouvrage particulièrement dense à considérer que ce
qui est au départ une « affaire de famille » devient une
« affaire d'État ». On peut illustrer cette théorie par
l'exemple des Uthman : « La succession de Uthmân83
divise, selon des clivages liés à la parenté et à
l'alliance, les descendants de Lavdhîl84. Le mariage
léviratique, qui conforte, en un premier
81. Juin 2012
82. Professeur et chercheur en anthropologie et sociologie ,
auteur d'ouvrages portant sur l'organisation tribale dans l'espace saharien,
l'islam et le pouvoir politique ainsi que les systèmes
confrériques musulmans. Ancien Directeur de l'Institut Mauritanien de
Recherche Scientifique.
83. Chef de la tribu guerrière des Awlad Qaylân,
dont le règne débuta vers 1740.
84. Autre fraction d'une tribu Hassan (guerrière)
temps, les droits du frère de l'émir
défunt, la mobilisation des relations de parenté paternelles et
maternelles, les clivages entre frères germains, l'opposition entre
l'oncle et le neveu agnatique et les alliances, ou conflits, entre cousins
parallèles patrilatéraux, la mise à l'écart des
demigermains issus d'une mère esclave... »85 On y cerne
le poids du « nasab » ( terme arabe qui désigne le lien de
parenté qui définit la généalogie d'une tribu ou
d'une famille ) dans l'acquisition des droits par la descendance ainsi que les
logiques matrimoniales s'articulant autour d'une hypergamie féminine et
le statut de la filiation comme modèle d'analyse de cette
société tribale saharienne.
Si nous nous penchons sur la place et le rôle des femmes
dans l'organisation de l'ordre tribal, on peut noter en premier lieu la
pratique du « mariage arabe » exprimant une préférence
pour le mariage entre cousins parallèles patrilatéraux. Cette
endogamie lignagère est interprétée différemment
selon les anthropologues : d'un point de vu politique, elle peut constituer une
prévention à d'éventuelles fissions au sein du groupe :
« en donnant sa fille à son neveu agnatique, l'oncle paternel
renforce des solidarités lignagères menacées par les feuds
et les conflits et il pérennise la lignée dont il est issu [...]
D'autres ( Rosenfeld 1957 ; Patai, 1965 ; Peters, 1976) insistent sur les
fonctions économiques de ce mariage : dans les sociétés
musulmanes qui prévoient qu'une part de l'héritage revienne aux
femmes, il prévient la dispersion du patrimoine familial et lignager
»86 ; s'ajoute à cela une hypergamie féminine
rendant compte des différences de rang entre les tribus et les fractions
qui les composent. Une femme ne pouvant épouser qu'un homme à un
statut égale ou supérieur à elle, ainsi les alliances
matrimoniales s'inscrivent dans une logique de proximité
c'est-à-dire que les mariages restent soumis à la règle de
l'endogamie privilégiant la parenté proche ou un conjoint issue
d'une tribu occupant le même rang dans la hiérarchie sociale.
Abdel Wedoud ould Cheikh affirme que « toute l'architecture tribale est
fondé sur ce principe [...] d'ailleurs un proverbe maure en
témoigne : « ila tmassou jloud tgadou jdoud »87, si
une fille épouse un homme elle « égalise »
85. Page 40 - « L'émirat de l'Adrar mauritanien.
Harîm, compétition et protection dans une société
tribale saharienne » P.Bonte
86. Ibid P.Bonte p .78
87. littéralement traduit : « Quand les peaux se
touchent, les grands parents (sous-entendu : paternels, dans cette
société patrilinéaire) deviennent égaux .Un dicton
en hassâniyya, le dialecte arabe des
leurs parents respectifs dans la hiérarchie sociale des
tribus. ». La circulation des femmes est donc organisée non pas sur
la base de la réciprocité, mais sur celle de la hiérarchie
et de la compétition ; « lorsque la société
fonctionne sur « l'illusion de l'échange », cette
réciprocité se transforme immanquablement en proximité
(solidarité) sociale et , à plus ou moins long terme , en
proximité généalogique agnatique...
»88.
On comprend ici que l'ordre tribal de la société
maure repose en grande partie sur les normes régissant la circulation
des femmes ; des « harîm » que les hommes doivent
protéger et une base pour les stratégies tribales. Ainsi, le
statut féminin dans la société maure devient un «
acteur passif », cet oxymore illustre la réalité complexe du
rôle de la femme dans la mesure où sa position de subordination
aux règles de la patrilinéarité, de l'hypergamie,...
accompagne une dynamique féminine relative au choix du conjoint sur
laquelle repose l'honneur du groupe, de la tribu. Il s'agit ici aussi d'un
phénomène social formant un pont entre la sphère
privée et la sphère publique : En effet, l'aspect matrimonial et
la parenté (cercle privé, familiale) constituent un tremplin sur
lequel le groupe s'appuie pour établir des alliances tribales (en lien
étroit avec l'organisation traditionnelle du pouvoir) ce qui
relève donc de la sphère publique. Le pouvoir politique
mauritanien aujourd'hui étant démocratique et centralisé,
les relations et les alliances tribales régissent la vie politique et
économique du pays, les femmes usent donc de ces systèmes
d'alliances pour bénéficier d'opportunités auprès
des pouvoirs publics.
Comme nous le montre Philippe Marchesin dans son ouvrage
« Tribus, ethnies et pouvoirs en Mauritanie » (1992) : Le tribalisme
demeure « une donnée permanente dans la vie politique
mauritanienne[...] La qabilâ orchestrerait toutes nominations politiques,
elle organiserait toutes les carrières et construirait toutes les
fortunes de ce pays, d'où le surnom sous la présidence de Taya
« d'Etat Smasid », en raison de la prédominance de la tribu
présidentielle aux postes de responsabilités et de
profits»
populations maures qui souligne l'inscription dans la
durée généalogico-statutaire de toute (més)alliance
matrimoniale, celle en particulier qu'engendrerait le mariage d'une femme avec
un homme d'un statut « inférieur » car « le mariage
engendre la parité des aïeux ».
88. Ibid P.Bonte p.93
Les femmes influentes du monde urbain nouakchottois se sont
donc appropriés cet héritage culturel : tribalisme, calculs
stratégiques des alliances matrimoniales, instrumentalisation des
rapports de force hommes/femmes pour accéder à une reconnaissance
sociale, un chemin les menant a un succès qui élargit leurs
champs d'actions.
III. Dimension anthropologique :Entre tradition et
modernité : Quelle place pour la femme dans le milieu social et
politique ?
Depuis leur indépendance, la plupart des pays africains
aux nombreuses potentialités économiques et humaines, vivent une
profonde crise marquée par l'effondrement du système politique,
économique, social, fortement ressenti en particulier dans les
provinces. Le système scolaire est certainement celui qui porte le plus
les stigmates de la déstructuration du cadre traditionnel de ces
sociétés. Vacillant entre le mode de fonctionnement traditionnel
et le modèle imposé par la modernité, ce sont souvent les
femmes qui subissent en premier lieu les conséquences de ce tiraillement
entre tradition et modernité, une transition marquant
profondément le rôle social de l'éducation des filles.
L'intérêt de cette partie est d'inscrire la thématique de
l'éducation dans une perspective du genre et des rapports sociaux dans
le contexte socioculturel et politique maure.
A. La place de l'éducation traditionnelle :
Ordre tribal comme mode de transmission
du savoir:
En guise d'introduction à cette partie, il serait
judicieux de se pencher sur le milieu traditionnel maure où
l'éducation des filles et une affaire de femme, la transmission du
savoir se fait par les
femmes et ne relève pas uniquement des savoir-faire
liés à la vie social et domestique. Pour illustrer cette
idée, nous allons exposer un entretien effectué auprès
d'une femme maure ayant la cinquantaine, ancienne kadiha et présidente
du réseau féminin des journalistes en Mauritanie, on a ici la
trajectoire sociale et intellectuelle d'une femme ayant
bénéficié d'une éducation maternelle savante. Un
savoir transmis sur lequel cette femme s'est appuyée pour entamer sa
propre formation dans le système scolaire. En effet, les entretiens
effectués pour ce mémoire de recherche et les observations
illustrent et confirment cet état de fait et mettent en évidence
le rôle féminin majeur dans les structures familiales et
social.
Salka Mint Snid, Présidente de l'Association du
Réseau des Journalistes Femmes Mauritaniennes (épouse d'un des
plus grands poètes mauritaniens) Le 25/03/2012, à
Nouakchott
Quel est votre parcours social et universitaire
?
« Je n'ai jamais eu un cursus classique. Ma mère
m'a enseigné le Coran, les Hadith... en brousse. C'est grâce
à elle que j'ai acquis mes premières connaissances. Mon
père est décédé lorsque j'étais jeune. Puis
je suis venue à Nouakchott en 1975. J'ai choisi alors d'aller à
l'école mais rares étaient les filles de ma tribu89
qui allaient à l'école alors cela m'avait posé quelques
problèmes au début. C'est plus la civilisation arabo-islamique
qui était enseignée dans cette école, qui s'appelait Ecole
Ben Amer Enehliye. C'était l'époque où les jeunes lisaient
beaucoup et se sentaient concernés par la culture. J'étais
militante de gauche (du parti Kadihine). Je participais à des clubs de
lecture en vogue qui m'ont donnés le goût à
l'écriture. J'ai commencé par écrire au sein du parti
Kadihine puis j'ai été emprisonnée avec les autres
militants. Il y avait
89. Salka mint Snid est issue de la tribu des « idab lahssan
», qui sont des « zwaya » :membre de la catégorie
lettrée et maraboutique maure.
beaucoup de femmes de ce mouvement. Au début,
c'était parce que le pays se construisaient. Les femmes étaient
de plus en plus engagées et de plus en plus éduquées.
Durant cette période, les années 1970, il y avait la Ligue pour
l'Emancipation des Femmes pour le Travail. Il y avait un intérêt
pour la femme. Il y avait eu un centre pour femmes. Cette expérience m'a
amené à penser qu'il faut pour la femme, non seulement le travail
mais aussi l'éducation, la participation politique, et à
l'époque, on avait des projets multi-sectoriels pour
l'émancipation de la femme. Beaucoup de femmes ont connu un grand
succès durant cette période. »
Que pensez-vous donc de la situation actuelle de la femme
en Mauritanie ?
« Forcément, ce n'est pas pareil. Avant il y avait
une ébullition intellectuelle et un militantisme qui a emporté un
certain nombre de personnes qu'ils soient hommes ou femmes, dans cette
volonté de changement et d'émancipation. Mais aujourd'hui, ce
n'est plus le même contexte. Avant on était plus proche du peuple,
on était à son écoute ; des femmes comme Aminetou Mint El
Moctar, Nejah Mint Snid (ma soeur décédée), Mariem Mint
Lehwej, Fatimetou Mint Abidine, ... La pression et la répression
étaient fortes sur ces militantes. J'ai moi-même fait six mois de
prison en octobre 1973. Avec moi dans la même cellule il y avait d'autres
femmes, certaines d'origine étrangère. Puis il y a eu la paix
entre le pays et les militants. Notre mouvement s'est transformé en
parti d'opposition. A l'époque, j'étais au siège des
femmes. Ensuite, il y a eu la guerre du Sahara, ce qui a tout
bouleversé. Je suis allée au lycée pour avoir un
diplôme secondaire en lettres. J'ai épousé un homme
militant aussi mais à l'époque, j'avais eu un enfant malade. J'ai
dû quitter la scène publique pour quelques temps puis j'ai
été journaliste pour subvenir aux besoins du petit. J'ai dû
alors quitter les études ; plus tard, j'étais candidate libre au
baccalauréat alors que mes enfants étaient déjà
grands. Je fus donc présentatrice radio. J'ai été la
deuxième journaliste femme à la radio car ils leur manquaient des
voies féminines. Puis je suis allée à la faculté
après l'obtention de mon bac. J'ai fait des études de Lettres
mais j'ai dû arrêter à nouveau pour être plus
présente dans la vie de mes enfants. Cependant, il n'y a pas longtemps,
j'ai fait un M2 en culture poétique90. »
Pouvez-vous me parler de votre association ?
« Mon association fut le fruit du journal que j'avais
crée « El Ilham ». Mais j'ai connu des réticences car
ils m'ont demandé de supprimer ce journal. Les hommes politiques ne
m'appréciaient pas car je partageais mon avis malgré la
liberté d'expression limitée. Après le coup d'Etat
(août 2005), j'ai voulu reprendre mon poste. Moi et neuf autres
journalistes femmes avons été appelées par l'UNESCO pour
nous former à faire des spots pour la campagne présidentielle
(pour le référendum). C'est de là qu'est partie
l'idée de faire une association car nous avions fait du bon travail
(2006) avec le soutien du responsable de l'information au niveau du bureau
régional de l'UNESCO arabe. Ces femmes m'ont elles-mêmes
élue comme présidente car j'étais la plus
âgée et celle avec le plus d'expérience dans le secteur du
journalisme. On a eu l'officialisation de l'association le 14 juillet 2007.
J'ai décidé suite à cela, de m'intéresser à
la question du genre dans cette association, il ne faut pas faire comme les
autres (associations) qui pullulent le paysage politico-social. On s'est
intéressé à la jeunesse surtout, pour leur donner un
espoir, un symbole. J'ai voulu que la partie financière soit limpide !
Je ne veux pas de magouilles pour que l'association soit exemplaire et suivre
les principes que j'ai toujours défendu. Depuis ce moment, la place de
la femme journaliste a connu un bond considérable car on s'est mise
à être impliquées dans des causes telles que celles du
développement et de la lutte contre le sida. Il est vrai qu'il y a des
associations parfois peu honnêtes mais il y a des femmes qui font ce
qu'elles peuvent. Il faut aussi savoir que l'Etat n'aide pas et ça
favorise la corruption. Nous, on est indépendantes vis-à-vis de
l'Etat, on ne lui doit rien. C'est nous-mêmes qui finançons nos
efforts personnels. Il nous manque quand même les moyens pour la mise en
oeuvre de certains projets comme la formation des femmes journalistes. Mon mari
est un grand intellectuel, c'est un poète et un écrivain. C'est
un membre de l'Académie des UK. Il est connu dans le monde arabe. Il m'a
enseigné aussi. Je le remercie et il m'a fait confiance durant tout mon
militantisme. C'est un moderniste qui est pour le progrès. »
Que pensez-vous de la culture maure sur la situation de
la femme ?
« La femme a beaucoup oeuvré dans le passé.
C'est elle qui a enseigné. Dans la région de laquelle je suis
originaire, ce sont les femmes qui transmettaient le savoir. C'étaient
elles les éclairées. Même au niveau des griottes, des
« zawaya », des « aârab » (tribus « hassan
» guerrières), par la division traditionnelle du travail, les
femmes avaient chacune leur rôle à jouer au sein de leur tribu.
Elles étaient très actives. Elles s'occupaient du foyer quand
leurs hommes
partaient en voyage. C'est cette ancienne confiance qu'on
accordait aux femmes qui expliquent le maintien de cette confiance aujourd'hui
; elle est éduquée selon son milieu. Mais aujourd'hui, est-ce
suffisant ? Non ! Parce que la modernité crée de nouveaux
besoins. Que doit-on faire ? Pour cela il faut se rendre compte que l'Etat doit
savoir que les choses ont changé. Les femmes doivent être
indépendantes, il faut qu'elles soient éduquées ; c'est
ça l'égalité ! L'éducation des femmes est centrale
pour le changement. Il faut un système de bourses pour permettre
à ces femmes d'accéder aux études supérieures. Et
il faut noter que les femmes sont de plus en plus brillantes. Le savoir aussi
doit être au centre de la question du genre. La révolution
tunisienne tient sa source dans la bonne insertion des femmes et leur
émancipation. »
A l'issue de cet entretien, on comprend que
l'interrogée a conscience de l'insuffisance de l'éducation
traditionnelle des filles dans le contexte moderne que connait la Mauritanie
aujourd'hui. Son mémoire portant sur les figures féminines
savantes de la société maure met la lumière sur le
rayonnement intellectuel de ces femmes à une époque certes
révolue mais qui témoigne d'un potentiel féminin maure qui
n'est plus exploité aujourd'hui par le système scolaire moderne.
L'éducation de ces filles avait lieu sous la tente : la « khayma
» désignant par là aussi « le foyer » en
hassaniya. Une « khayma », un lieu d'éducation qui transmet
les codes et les valeurs liés au statut et au comportement des femmes
.
a) Impact de l'éducation traditionnelle sur le statut
personnel de la femme : Le cas des femmes
« zawyat »et « hassan »:
L'éducation des femmes est régit par la
hiérarchie sociale, en effet les filles étaient
éduquées dans un milieu social donné dont elle
perpétuaient les valeurs en portant en elles les marques de leur origine
tribale. Leur éducation devient donc conditionnée par les normes
propres à leur « qabila »91. Cette structure
traditionnelle avait tendance à maintenir les femmes dans un cadre
limitée dont on retrouve les traces encore aujourd'hui dans le
comportement féminin de certaines femmes appartenant à un groupe
social donné ce qui forme le plus souvent un frein à
l'exploitation de toute l'étendue de leur potentiel. Afin de cerner en
quoi l'éducation traditionnelle contribue à la transmission et au
maintien des croyances et des valeurs ancestrales et en particulier en ce qui
concerne les femmes.
91. Terme arabe désignant la tribu
L'ordre tribal maure se traduit par une hiérarchie
social avec à sa tête deux groupes dominants, supérieurs :
D'une part, les « zawaya » : un groupe tribal détenant le
pouvoir religieux qui s'est investi dans l'enseignement (textes religieux,
philosophie, Lettres, etc.), ce que Abdel Wedoud ould Cheikh appelle «
l'administration du sacré et de l'invisible » et les
activités commerciales. Le trait dominant de ce groupe se traduit par
une morale fondée sur des règles de bienséance et d'un
respect scrupuleux des principes religieux : «[...]l'investissement dans
le savoir et le savoir religieux [...] au coeur de la reproduction de l'ordre
maraboutique et de sa légitimité, ouvrait plus largement
accès à d'autres sources de revenu, car l'éducation
constituait le moyen essentiel d'accréditation d'une emprise «
islamique » sur le monde de l'invisible et sur les dangers et les
promesses dont l'opinion populaire le chargeait. La rente de
piété traditionnelle prenait racine dans la conjonction entre
autorité théologique et baraka, ilm et walâya,
savoir et sainteté, que le quasi-monopole de l'éducation
conférait aux ressortissants de l'ordre maraboutique, ou plus exactement
à une minorité d'entre eux. »92, ce pouvoir
conféré par « la sainteté » de leur savoir
religieux constituait une forme de protection pour assurer leur activité
économique et commerciale fondamentale à la survie de leur groupe
(élevage, agriculture, forages des puits, etc.) face aux guerriers (les
hassân) qui comme leur nom l'indique étaient les
spécialistes de la guerre et assuraient la protection des autres tribus
dont ces « zawaya » en échanges d'une redevance (la «
raziaa ») . Les discours traditionnels s'accordent à rattacher les
hassân aux tribus Banû Hilal et Banû Sulaym qui ont parcouru,
depuis l'Arabie Saoudite, le Maghreb puis la Mauritanie. Ces derniers s'y sont
installés dès le XVe siècle et ont consolidé leur
pouvoir jusqu'au XVIII e siècle. Ces guerriers détiennent
également le pouvoir politique dans le cadre des émirats. Les
qualités stéréotypées que l'on attribue aux
guerriers sont le courage, la générosité et le sens de
l'honneur. Les femmes guerrières (hassâniyyat) ne
dérogeaient pas à cette réputation. Les femmes
hassân étant considérées comme peu discrètes,
peu réservées voir même particulièrement
audacieuses. Ces attributs, fortement revendiqués, les
caractérisaient en opposition aux femmes issues des tribus maraboutiques
réputées pour être quant à elle plus
discrètes et réservées.
92. Mohamed Fall Ould Bah et Abdel Wedoud Ould Cheikh «
Entrepreneurs moraux et réseaux financiers islamiques en Mauritanie
», Afrique contemporaine 3/2009 (n° 231), p. 99-117.
L'antagonisme de ces images attribuées aux femmes
issues de ces deux milieux opposés participaient à consolider
leur identité les distinguant les unes par rapport aux autres. Ces
caractéristiques étant conformes aux fonctions et aux attributs
de ces catégories tribales, ils participent au renforcement des places
de chacun dans la hiérarchie. Ainsi, la discrétion et la «
pudeur » des femmes « zawiyyat » s'oppose très clairement
aux comportements des femmes « hassan ». Les conceptions politiques
antagonistes de ces groupes (les tribus maraboutiques revendiquant un exercice
du pouvoir tourné vers les préceptes religieux islamiques
contrairement aux guerriers qui basent leur organisation politique sur les
batailles et la conquêtes des biens et des territoires). Cette
confrontation tribale s'est donc prolongée dans une opposition des
comportements.
En effet, les zawâya qui se disent de grande valeur
morale et spirituelle mettent en valeur leur aspect érudit et pacifiste.
Une attitude qui explique l'inactivité des femmes maraboutiques qui
préfèrent s'adonner à des activités plus
intellectuelles et spirituelles (apprentissage et enseignement du coran, de la
littérature, etc.). « Elles passent pour maitres dans l'usage de
l'euphémisme et de la métaphore » (C.Lesourd 2006, p.45). Il
est question donc ici de comportements stéréotypés
véhiculés par la compétition entre « zawaya » et
« hâssan » dont l'interprétation sociologique
aujourd'hui est nécessaire à la compréhension des
attitudes et des valeurs que l'on retrouve chez les mauresques.
Des remarques et des propos récurrents que l'on peut
entendre dans le milieu maure soulignent ce conformisme féminin à
ce type de comportement qu'on appelle « esstezwy » (formé par
la racine « zawaya » pour exprimer cet archétype
comportemental propre à cette catégorie social). Les exemples
sont multiples : « Je ne peux pas me permettre de m'exprimer sur des
sujets tabous comme ça, en public sans pudeur [...] je suis une zawya !
» « Que dira-t-on si on me voit dans des endroits peu
fréquentables ? ! Une fille de mon rang social ne doit pas faire ce
genre de chose... ». Des principes qui accompagnent souvent les consignes
parentales (surtout maternelles) dans l'éducation des filles : «
Une fille des « zawaya » ne doit pas faire telle ou telle chose [...]
Tu es une « mint93 zawaya » tu te dois de respecter les
règles de bienséances et rester discrètes ! ». Tous
ces impératifs sociaux et bien d'autres caractérisent le mode de
socialisation féminin des tribus maraboutiques.
A noter que cette tendance aujourd'hui s'étend
même dans les familles issues des tribus hâssan traduisant une
homogénéisation de la pudeur et de la discrétion
féminine. Une logique que l'on retrouve aussi dans les groupes sociaux
issus des tribus au bas de la hiérarchie sociale : « znaga »
ou « lahma » d'origine berbère dont le rôle traditionnel
des femmes consistaient à travailler dans l'agriculture ou
l'élevage. On assiste en effet, à l'heure actuelle, à une
généralisation de ce comportement dans tous les milieux, qui
s'explique par une volonté collective propre aux sociétés
arabo-musulmanes pour entretenir l'honneur du groupe. Raison pour laquelle cet
antagonisme comportemental aujourd'hui dans la société maure
n'est perceptible que dans la population masculine.
Cette analyse anthropologique nous amène à
penser que la discrétion et la pudeur étant de rigueur pour les
femmes maures, leur faible insertion dans les hautes sphères
décisionnelles du pays aujourd'hui est le résultat d'un lourd
héritage socioculturel. Un héritage qui comme nous l'avons
développé au préalable amène les femmes à
recourir à des stratégies de contournement du patriarcat de
manière à bénéficier d'un certain pouvoir. On peut
parler d'un « pouvoir discret » respectant ainsi cette qualité
réservée aux femmes dans cette société. Que ce soit
dans l'intimité des salons mondains, du mesrah, ou à
travers leur compétences relationnelles et leur influence sur les
hommes, les mauresques parviennent a se frayer un chemin dans les cercles du
pouvoir sans pour autant enfreindre les normes sociales de la
communauté.
On retrouvait déjà ce
négoféminisme dans l'ordre traditionnel de la
société maure à travers la renommée de plusieurs
femmes savantes de cette région qui ont su marquer l'Histoire de la
culture maure.
b) Statut féminin « des femmes savantes »
:
Dans la tribu des « zawaya » les femmes avaient un
rôle important dans l'enseignement primaire des enfants, elles se
chargeaient de leur éducation. Les femmes avaient le savoir-faire de
leur tribus, celles-ci étant réputées pour être
érudits et savantes, une grande partie des « zawyat »
n'acceptaient pas l'analphabétisme. Certaines arrivaient même
à dépasser le niveau des hommes, surtout dans le domaine
religieux et les sciences de la langue.
Parmi cette mouvance intellectuelle féminine, on peut
citer quelques exemples :
· Fatma mint Haj Elbechir malgré son appartenance
à une tribu « hâssan » (les « brabich »),
cette femme savante était la fille d'un gouverneur, elle est venue
s'installer dans la ville de Ouadane située au Nord du pays, une ville
réputée pour être le berceau de la civilisation maure et
ayant abrité un nombre important de savants. Elle a fait preuve d'une
maitrise parfaite de la langue arabe et du coran (si bien qu'elle pouvait le
réciter à l'envers). Enseignante et savante, elle était
connue aussi pour sa belle écriture, une calligraphe
réputée ; elle est décédée vers l'an
1890.
· Ghadije mint Mohamed El Akel : fut une intellectuelle,
au 19ème siècle issue d'une tribu « zawaya » : les
« Oulad Deymane ». Elle enseignait le coran et les sciences de la
religion appliquées surtout au domaine juridique. Elle était
réputée pour ses connaissances en matière de logique
aristotélicienne, mais aussi l'astronomie et la médecine. Elle
avait enseigné trois personnages très importants dans l'Histoire
de la région : son frère Ahmed ould Mohamed El Akel (mort vers
1823), Elmami Abdel Kader Kanne ( chef des Almami94, mort en 1805)
et Moctar ould Boune ( mort vers 1805) de la tribu « zawaya » des
Tajakanet.
· Khnathe mint Bakar, fille d'un émir du Brakna
au 18eme siècle, elle a épousé le roi Moulaye Ismail
(fondateur de la dynastie Alaouite au Maroc), elle s'installe au Maroc et elle
est devenue une femme qui présidait des salons du savoir. Elle
était réputée pour engager des discussions très
poussées avec les savants de l'époque ( les savants du Moyen
Orient) .
Depuis l'avènement de l'islam dans la
société maure beaucoup de femmes s'étaient
appropriées l'activité intellectuelle. Elles ont joué un
rôle important dans l'acquisition des savoirs traditionnellement
rattachés aux catégories des érudits de cette
société (la logique, la linguistique, la poésie, la
philosophie, le savoir religieux, la jurisprudence,...). Le mémoire de
recherche de Salka mint Snid « La poésie féminine
mauritanienne », un travail de recherche dense et riche met la
lumière sur la multiplicité des figures savantes féminines
maures. Des poétesses, écrivaines, philosophes et experte en
science de la religion, elles ont su mettre à profit la
spécialisation de leur groupe sociale d'appartenance afin d'avoir main
mise sur ce qui faisait
94. Un mouvement politico-religieux dans la vallée du
Sénégal qui revendiquait la création d'un Etat religieux
autour de cette communauté .Le premier chef almami était Abdel
Kader Kanne.
la spécificité de leur tribu et par la
même le pouvoir traditionnel. Là encore, c'est en participant
à ce qui fait la renommée et la légitimité (au sens
politique, c'est en accentuant leur savoir faire que les groupes tribaux ont su
asseoir leur pouvoir) de leur groupe que ces femmes ont su mettre à
profit leur compétence pour affirmer leur place malgré
l'hégémonie du patriarcat. Donc, c'est en gardant une
cohérence dans leur identité culturelle que les mauresques
résistent à la domination masculine car pour être
acceptées et bénéficier d'une légitimité au
sein du groupe, il est nécessaire de respecter la norme, s'opère
alors une soumission à la norme qu'elles tournent le plus possible
à leur avantage.
Néanmoins, ce contournement du patriarcat est-il
toujours efficace en matière d'éducation ? Puisque le savoir
traditionnel a été remplacé par l'école coloniale
moderne qu'en est-il de la place des femmes dans ce système
éducatif nouveau ? Bien entendu, force est de constater que l'enjeu de
la scolarisation des filles en Afrique de manière général
reste au coeur des stratégies de développement dans la mesure
où la part des femmes dans l'enseignement reste assez faible par rapport
aux garçons. Il serait judicieux ici dans cette perspective analytique
de voir en quoi l'ordre traditionnel qui régissait le rôle de
l'éducation en fonction du genre a eu un impact considérable sur
la scolarisation des filles.
c) Education traditionnel : une entrave à la
scolarisation des filles ?
En ce qui concerne la femme maure, malgré son
rôle relativement important dans l'acquisition et la transmission du
savoir dans la tradition de cette société, on ne retrouve pas ce
même degré d'implication dans le système scolaire moderne
aujourd'hui mauritanien. Aujourd'hui comme hier, les filles dans la
société maure sont éduquées en vue du mariage et de
la maternité ; ce qui compte c'est une éducation féminine
réussie à savoir une bonne future « épouse » et
« mère » ; une qualité qui lui permettra de jouer sur
toutes les stratégies que nous avons déjà
évoquées. Mais l'instruction a changé et ces
stratégies féminines du contournement sont de moins en moins
efficaces avec le contexte montant de la mondialisation et l'impératif
de compétences académiques individuelles pour une réussite
professionnelle.
On peut parler d'une lente prise de conscience de la femme en
Mauritanie car plusieurs femmes engagées elles même instruites
revendiquent et exigent une prise en compte politique des
problèmes liés à la discrimination faite
aux femmes au sein du système éducatif. Cet état de fait
vient expliquer la reprise des études souvent tardives des femmes
activent sur la scène politique pour combler ce retard. Les exemples des
femmes interviewées pour ce mémoire de recherche en
témoignent, bon nombre d'entre elles ont repris des études dans
l'enseignement supérieur et secondaire pour certaine
(baccalauréat) pour une remise à niveau qu'elles jugent
indispensable à une insertion politique et professionnelle.
Ceci dit, parmi les femmes instruites ayant eu un parcours
scolaire et universitaire classique on note une dénonciation du
patriarcat politique plus marquée. Nana mint Cheikhne et sa soeur Khady
mint Cheikhne, militantes au sein du parti de l'opposition expriment une
profonde inquiétude quant à la place des femmes dans le paysage
politique mauritanien que Nana mint Cheikhne associe à la
défaillance du système éducatif mauritanien.
Nana Mint Cheïkhna, militante dans le parti de
l'opposition : RFD
Le 23/03/2012, à Nouakchott
Quel est votre parcours social et universitaire ?
:
dans le département juridique. J'ai commencé mon
engagement pour la société civile dans les années 1980
(membre de la Ligue Mauritanienne des Droits de l'Homme). Il faut garder
à l'esprit qu'à l'époque, on n'avait pas le droit d'avoir
un parti politique puisqu'il y avait des militaires au pouvoir jusqu'en 1991.
Je suis restée dans cette Ligue jusqu'en 1998. Cette
annéelà, j'ai intégré un parti, l'UFD
(ancêtre du RFD). J'ai été élue en 2001 comme
conseillère municipale de la commune de Tevragh-Zeina, puis
Vice-Présidente de la communauté urbaine de Nouakchott. Jusqu'en
2006 où j'ai été élue députée
à la circonscription de Nouakchott. Je préside le mouvement des
femmes au sein du parti du RFD (Rassemblement des Forces Démocratiques).
»
Comment percevez-vous la place des femmes dans la
société maure ?
« D'un point de vue culturel, les « Bidhane »
sont en grande partie d'origine berbère, l'emprunte berbère est
restée assez forte. C'est pour ça que la femme maure jouit d'une
certaine indépendance par rapport au monde arabe. Dans le foyer, la
femme à une place différente de celle des autres ethnies. Mais
malgré tout, il y a une sorte de machisme qui est assez maquillé,
qui entre dans les bonnes moeurs. Par exemple, des phrases récurrentes
le prouvent ; « la femme est faible, la femme est mineure malgré
tout ». Elle est traitée comme un enfant. Il y a une certaine
hypocrisie. Certes, elle est importante, on la soigne, mais elle ne
représente jamais la tribu par exemple donc au niveau politique, ce sont
les hommes qui représentent. Or depuis que nous avons un Etat national,
la politique ne s'est pas faite avec les institutions et les partis politiques
mais avec les tribus. Par exemple, certaines tribus entrent dans un jeu
d'échange avec l'Etat. La femme est certes très présente
et active mais elle reste faible. Il y a certaines femmes ministres mais c'est
pour faire bonne figure. La plupart d'entre elles ont été
choisies pour des raisons d'équilibre régional. Elles ont
été choisies par les militaires. Il n'y a pas assez de femmes
compétentes à cause du faible taux de filles présentes
dans le système scolaire. Il ne faut pas choisir au nom de la
parité une femme même si elle est peu instruite, il faut commencer
par redresser le système de l'enseignement ici et comprendre que les
filles autant que les garçons doivent poursuivre des études
»
Avez-vous constaté une évolution de la
situation de la femme ces derniers temps ?
« A partir de 2005, les choses ont commencé
à évoluer. Au-delà de leur appartenance politique et
tribale, les femmes sont devenues de plus en plus présentes sur la
scène politique. La création d'un mouvement s'intitulant «
le plaidoyer pour la question du genre », pour que la question du genre
soit prise en considération dans les représentations politique et
législative ; avait aboutit au quota de 20% au niveau des conseils
municipaux, ce qui est une excellente chose car elle a obligé le
gouvernement à mettre des femmes dans le gouvernement et dans les
conseils municipaux, et donc de les familiariser avec le principe de la
représentation politique des femmes. Globalement j'ai l'impression que
les gens n'étaient pas déçus par cela. Par contre, les
forces traditionnelles de certaines tribus n'étaient pas pour ce
changement. On a donc vu une régression au niveau du Parlement et de
l'Assemblée. Nous étions 95 députés dont 17 femmes
en 2006. Aujourd'hui, l'Assemblée a été portée
à 140 députés et ils ont prévu une liste à
part pour les femmes, de 20 personnes. Donc sur 140, 20 femmes font 13% et non
20%. Il y a un changement de lois qui n'apporte pas davantage à la femme
dans le milieu politique. Au niveau municipal, le schéma un homme/une
femme n'est plus obligatoire. Et au niveau du Sénat, il y avait trois
places réservées aux femmes (au collège électoral)
or ceci n'a plus été retenu alors qu'il était obligatoire
que dans chaque collège électoral il y ait trois femmes. Il y a
donc un recul que nous essayons de freiner. »
Que pensez-vous de la montée de certains
mouvements islamistes sur la scène politique ? Qu'en est-il de la
situation de la femme à ce niveau ?
« Il y a un mouvement islamique qui se développe
dans lequel on n'a pas encore décelé une misogynie car ils ont
des femmes dans le monde municipal et le Sénat. Il ne faut pas percevoir
les islamistes comme un groupe homogène car il y a les salafistes, les
autres islamistes qui eux, comprennent que la femme a sa place. Aujourd'hui,
c'est celui-là qui est le plus présent. »
Avez-vous rencontré des problèmes
personnels durant votre parcours de militante ?
« Il y a toujours une marginalisation des femmes bien que
dans le parti (le RFD) il y a beaucoup de femmes très actives. Il existe
toujours des hommes qui tentent de limiter les actions des femmes. Tant que la
femme joue son rôle d'animatrice, c'est bon. Mais dès qu'il s'agit
d'être leadership, il y a toujours des réticences et des
difficultés à travailler. J'essaye de dépasser ces
réticences masculines malgré tout. »
Khady mint Cheikhna (soeur de Nana Mint
Cheikhna)
Militante au sein du parti de l'opposition RFD Quel est
votre parcours social et universitaire ? :
« J'ai eu la chance d'être parmi les
premières femmes à aller à l'école car mon
père était un haut fonctionnaire. Ce n'était pas
évident à l'époque car c'était rare. J'ai fait mes
études à l'Ecole Normale Supérieure à Nouakchott
puis une licence d'anglais en France (à la Sorbonne). J'ai obtenu mon
CAPES. J'ai enseigné dans plusieurs lycées (le français,
l'anglais et autres...). J'ai travaillé à la CNIM
(société minière mauritanienne) et pendant huit ans, j'ai
été secrétaire générale de
l'Assemblée Générale. J'ai fait plusieurs
ministères (Ministère de l'emploi, Ministère du tourisme
et Ministère du commerce). J'ai milité dans un parti d'opposition
donc j'ai été virée car il n'y avait pas de liberté
de pensée alors que j'ai d'autres vues pour mon pays. Je sais que le
pays va de mal en pire et c'est pour ça que je continue à militer
au sein du RFD. Cela va faire 10 ans aujourd'hui.
Je suis aussi poétesse à mes heures perdues. Je
ne le dis pas pour me vanter (rires) mais je suis très
intéressée par la musique ; la poésie a malheureusement
perdu sa place dans notre culture. J'ai remarqué que notre culture est
menacée. Donc j'ai créé une association il y a deux ans,
reconnue officiellement que depuis septembre. Elle s'appelle « Emprunte
Culturelle ». Avec des compétences culturelles (des poètes,
des artistes etc....), reflétant le vrai visage de la culture maure. Il
est vrai que notre folklore a tendance à disparaître. La culture
authentique doit être préservée. Et notre patrimoine
culturel doit être valorisé. Les femmes ne participent plus
à sa sauvegarde comme c'était le cas avant »
En parlant de l'aspect culturel, que pensez-vous de
l'impact de la culture maure sur la situation de la femme ?
« Dans le passé, les femmes faisaient tout dans
les campements. Elles prenaient en charge la famille lors des longues absences
de leur mari. Mais aujourd'hui, il y a eu la modernité ; on peut dire
qu'on a calqué le mode de pensée de la culture traditionnelle
maure sur la vie moderne. C'est une des raisons pour laquelle des professions
comme des femmes pilotes sont admises. La femme maure a su convaincre la
société.
Intervention de Nana : « Oui mais le problème c'est
la représentation politique et l'éducation des filles »
Reprise avec Khady: « Il est vrai qu'il y a une
présence macho militaire dans le milieu politique. Je pense que le vrai
moteur du parti dans lequel je milite, ce sont les femmes. Celles-ci en
général sont entières. Il y a beaucoup d'hommes qui nous
ont quittés pour des raisons X ou Y sauf les femmes, jamais...Il faut
donc que la politique, la société et le système
éducatif prennent en compte le potentiel des femmes ! »
Que pensez-vous de l'engagement associatif des femmes en
Mauritanie ?
« Il est très important. Il faut qu'il y ait une
reprise de cette structure-là sur des critères objectifs car il y
a beaucoup d'ONG qui se multiplient sans raison valable, il faut donc resserrer
les lois relatives à leur création. Il faut un apprentissage des
vraies valeurs qui comptent : le patriotisme, la citoyenneté, etc....
Notre système de valeurs est menacé. Il faut sa
réhabilitation. »
Les inquiétudes exprimées ici liés au
présent et à l'avenir du pays constituent des constantes dans les
autres propos recueillis lors des entretiens, mais s'agissant des femmes
politiquement engagées comme Nana mint Cheikhne, Khady mint Cheikhne et
Seniya mint Sidi Haiba on perçoit une vision de l'éducation
féminine comme source d'émancipation et d'acceptation des femmes
au sein des sphères décisionnelles du pays. Ces remarques sur le
statut de la femme accompagnent les impératifs de la vie moderne et
urbaine qu'a connue la Mauritanie ces trente
dernières années. En effet, ce pays ayant acquis
son indépendance il y a seulement 52 ans, les structures
socio-politiques liées à ces questions du genre constituent des
problématiques naissantes dont seule une minorité de la
population en a conscience.
B. Dimension anthropologique et religieuse
a) Statut juridique de la femme maure «l'islam maure
» et la place des femmes :
La religion musulmane étant particulièrement
ancrée dans la société maure, une population 100%
musulmane de rite malékite. Le droit musulman fonde le statut juridique
des hommes et des femmes. En effet, les différentes constitutions
adoptées au cours de l'Histoire de la Mauritanie n'ont jamais fait
référence à la laïcité ; depuis la
Constitution du 13 Mai 1959, la Mauritanie est dénommée «
République islamique. ».
D'un point de vu social, le respect des règles
islamiques et des principes religieux régissant le quotidien des
mauritaniens reste la principale sinon l'unique référence
juridique dans l'organisation juridique et sociale des rapports sociaux. Si
nous nous penchons sur la situation de la femme au regard de cette
obéissance à l'islam dans cette société, on voit
qu'en matière d'héritage et de divorce, les maures se
référent au rite malékite. La femme hérite de la
moitié de la part qui revient à l'homme, quant au divorce il
prend la forme d'une répudiation à la seule initiative de l'homme
mais qui dans la pratique est plus complexe. En effet, la matrimonialité
dans la société maure bien que fortement soumise au « code
» de Khlil ( condensé de règles du fiqh
malékite) et fortement imprégnée de soufisme, elle
présente néanmoins les traces d'un héritage des coutumes
ancestrales berbères et des tendances monogamiques et matriarcales
prononcées. Le droit de l'homme à avoir quatre épouses
légitimes y est par exemple presque inexistant. Rappelons que le mariage
tient une place majeure dans l'islam car la structure de base de la
société islamique est la famille. Mais le mariage islamique n'est
pas un sacrement comme le mariage chrétien, c'est un contrat
passé entre l'homme et la femme, définissant les droits et les
obligations de chacune des deux parties garantissant ainsi à la femme de
refuser par exemple la polygamie dès le contrat de mariage, ce qui
caractérise les contrats matrimoniaux maures. Ce rappel est important
pour introduire une particularité matrimoniale maure, à savoir le
divorce.
b) Spécificité culturelle des pratiques
matrimoniales, statut particulier de la femme
divorcée :
« Le divorce est devenu un acte fréquent -pour ne
pas dire banal- dans notre société. L'enquête mauritanienne
sur la fécondité de 1981 montre que 31% des premiers mariages
finissent par être rompus. Comparativement à d'autres pays arabes
ou africains (Maroc, Tunisie, Syrie, Sénégal...), la Mauritanie
détient un taux d'instabilité des unions très
élevé. » ("Le divorce roi...", Mohamed ould Sidi -
Espace Calame, n° 5, Mai 1994). Ce constat alarmant du journaliste Mohamed
ould Sidi met en évidence l'aspect pathologique du taux de divorce en
Mauritanie et plus spécifiquement dans le milieu maure.
La polygamie étant strictement refusée par les
femmes, les maures ne sont pas à l'abri de l'instabilité
conjugale. Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler quelques
éléments relatifs à l'aspect matrimonial maure expliquant
en partie ce phénomène :
L'hypergamie féminine, « le mariage arabe »,
l'endogamie, etc. constituent autant de règles matrimoniales qui
réduisent considérablement la liberté de choix du conjoint
débouchant donc sur un plus grand nombre de divorce. S'ajoute à
cela les motivations financières, le mariage avec un homme ayant une
situation financière confortable devient pour les femmes maures (dont la
majorité rappelons le n'exerce pas d'activités professionnelles)
un moyen d'améliorer leur condition de vie ; l'existence d'une
instabilité économique et du marché du travail en
Mauritanie favorise l'appauvrissement des individus (en l'occurrence s'agissant
ici des hommes) provoquant ainsi le divorce pour ce type de mariage. Il y a
aussi le facteur âge dans la mesure où une grande partie de ces
mariages unissent deux personnes présentant un écart de
génération important favorisant la mésentente.
Ce sont les stratégies matrimoniales (alliances
tribales, endogamie, parenté, acquisition de biens etc.) qui fragilisent
la solidité des unions et entrainent une déstructuration de la
cellule familiale devenu monnaie courante dans le paysage social maure. Les
divorces et les remariages sont donc devenus une forme de polygamie offerte
à l'homme et à la femme : « Ainsi, une femme de 25 eans peut
avoir noué deux mariages et deux divorces en l'espace de six ou sept ans
» (C.Lesourd 2006- p.69). Cette nouvelle forme de polygamie propre
à la société maure est favorisée par des
démarches administratives peu contraignantes, le mariage est
tourné vers la sphère privé,
domestique n'impliquant que la volonté des individus et
devient donc à la portée de tous. Cette liberté
administrative liée à un système juridique
défaillant octroie une plus grande liberté aux individus de
contracter des mariages et de prononcer des divorces en dehors d'un cadre
institutionnel établi.
Ainsi en 2000, 39% des femmes auraient contracté plus
d'un mariage (contre 16% en milieu rural) quel que soit leur niveau
d'instruction95. Cette instabilité conjugale chez les femmes
maures n'est pas signe d'une mort sociale comme on peut le noter dans le reste
des pays du Maghreb arabe, au contraire il participe à parfaire la
réputation de « Chabiba » que l'on rencontre dans le milieu
maure. S'être mariée plusieurs fois pour une femme peut être
considéré chez les maures comme un signe de prestige, de
renommée et d'un grand pouvoir de séduction. Le divorce entre en
jeu dans les multiples stratégies féminines maures visant
à accroitre leur compétence relationnelle mais aussi leur
succès auprès des hommes qui bénéficient d'un
certain pouvoir (politique, économique, etc.). Les «
carrières matrimoniales » des mauresques sont à l'image de
l'opportunisme féminin qui s'est développé dans le paysage
urbain du pays.
CONCLUSION :
Mon enquête sur l'engagement politique et associatif des
femmes en Mauritanie m'a amené a reconsidérer le statut de la
femme dans la société maure et tenter de voir où se situe
la réelle empreinte féminine dans cette communauté. Cette
analyse m'a permis de redéfinir les champs d'actions des femmes dans des
espaces à la fois privés et publics.
Au premier abord on s'aperçoit que les dynamiques
féminines s'exercent sur plusieurs niveaux de la vie sociale, civile et
politique : tontines coopératives, ONG, partis politiques, et une
présence féminine visible durant les campagnes
électorales...L'analyse des trajectoires sociales et des
carrières politiques des femmes interviewés pour ce
mémoire révèle un intérêt commun à
toutes ces femmes à savoir le progrès global du pays et un
militantisme sur plusieurs fronts dépassant ainsi la cause
féministe. C'est en ce sens que nous pouvons parler d'un womanisme
95. RGPH 2000- Recensement Général de la Population
et de l'Habitat.
africain caractérisant l'engagement politique de ces
femmes. La multiplicité des rôles des femmes sur la scène
publique est soutenue par une volonté de contourner le patriarcat en
ayant main mise sur une multitude de sphères liées à la
vie de la collectivité. L'enseignement à retenir est l'annonce
d'une nouvelle ère en matière de gestion de l'approche du genre
en Mauritanie.
En effet, le réseau des femmes d'affaires,( «
batrounne »), des « chabibate », des militantes associatives,
etc. dépassent le simple cadre d'une course effrénée vers
les postes clés du pouvoir politique pour une émancipation
féminine mais elles tirent profit de la notion de
complémentarité homme-femme à travers les rapports de
forces, de séduction, de compétences relationnelles, du pouvoir
économique etc. Ici le pouvoir féminin se construit autour de
l'attention portée à ces stratégies exclusivement
féminines transformant les rapports de puissance entre hommes et femmes.
Ces nouvelles pratiques et interactions sociales fortement favorisées
par le mode de vie urbain et moderne sont soutenues par l'héritage d'une
culture nomade maure intégrant la femme de façon informelle
certes, aux cotés de l'homme dans l'espace public.
Il a été nécessaire de se situer sur une
perspective analytique et une approche du genre propre à ce type de
société dans l'optique de dépasser la notion de
subordination de la femme face au patriarcat que l'on retrouve dans les
fondements théoriques européens. En effet, l'intérêt
de notre démarche ici se traduit par une rupture avec un cadre
théorique euro-centrique en prenant en compte les catégories de
perception locales et les rapports de genre ancrés dans les
réalités de cette société. Une approche
théorique et analytique qui permet de desceller des stratégies
féminines calculées dans les pratiques matrimoniales, les
activités économiques et les rôles sociaux leur permettant
d'agir, souvent de façon officieuse, mais non moins efficace dans les
sphères décisionnelles du pays.
On peut parler d'un féminisme maure se construisant
autour de deux valeurs principales : la réussite financière
(impliquant succès, prestige, renommée mais surtout une
indépendance économique par rapport à l'homme) et un haut
degré d'influence dans les cercles du pouvoir.
L'élite politico-commerciale féminine qui s'est
développé à Nouakchott ces vingt dernières
années en est un parfait exemple. Le pouvoir du contournement et de la
négociation deviennent les sous bassement du pouvoir féminin en
Mauritanie.
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Troisième série n° 9 -2011.
- Héritier Françoise et Xanthakou M. ,
« Séduction, jalousie et défi entre hommes.
Chorégraphie des affects et des corps dans la société
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Articles du même auteur : Céline Lesourd
- Le mesrah. Regard sur la « culture matérielle
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- Non, mon Président ! Oui, mon général
! Retour sur l'expérience et la chute du président Sidi Ould
Cheikh Abdallahi -Paru dans L'Année du Maghreb, V | 2009.
- «Le «Centre commercial de Chinguetti»,
à Nouakchott (Mauritanie)» - Bulletin de l'APAD - 2009.
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- Bouche en coeur, battement de cils et tête à
l'envers : rencontres et flirts à Nouakchott-Paru dans
L'Année du Maghreb, VI | 2010.
- Femmes mauritaniennes et politique. De la tente vers le
puits ? », L'Année du Maghreb [En ligne], III | 2007, mis en
ligne le 01 novembre 2010.
- Ould Cheikh Abdel Wedoud - Compte rendu sur
«L'émirat de l'Adrar mauritanien Harîm, compétition et
protection dans une société tribale saharienne» de Pierre
Bonte - 2008 Revue l'Homme.
- Ould Cheikh Abdel Wedoud et Ould Bah Amohamed Fall -
Entrepreneurs moraux et réseaux financiers islamiques en Mauritanie,
Afrique contemporaine- 3/2009 n° 231, P.99-117.
- Schmoll Camille - «Immigration et nouvelles marges
productives dans l'aire métropolitaine de Naples», Bulletin de
l'Association des Géographes Français, 2001.
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