GENERALE
Avant le début de la crise du milieu des années
80 au Cameroun, le secteur rural est tributaire de l'économie
administrée en vigueur dans le cadre des plans quinquennaux de
développement économique et social. La politique agricole dans ce
cadre retient principalement trois orientations comme le note le
Ministère de l'Agriculture et du Développement Rural (MINADER,
2005) : le maintien et la consolidation de l'autosuffisance alimentaire, le
développement des cultures d'exportation et l'amélioration du
niveau et des conditions de vie en milieu rural. Par ailleurs, le financement
du secteur rural dans cette période est marqué par une succession
d'organismes plus ou moins spécialisés en la matière qui
ont eu un bilan plutôt mitigé en termes d'amélioration de
la production, d'accroissement des rendements et d'augmentation des revenus
paysans malgré les montants colossaux distribués (Moulende,
2003). On distingue principalement, la Banque Camerounaise de
Développement (BCD)1 l'Office National de Commercialisation
des Produits de Base (ONCPB)2 le Fonds National de
Développement Rural (FONADER)3 et le Crédit Agricole
du Cameroun (CAC)4. Après cette crise, on assiste à
une mutation du rôle de l'Etat vers la mise en place d'un environnement
favorable à l'économie de marché. Dans le cadre des plans
d'ajustement structurel conclus avec les institutions de Brettons Wood, l'Etat
se désengage de la sphère productive pour se recentrer sur ses
missions régaliennes de facilitation de l'activité des
opérateurs privés. Afin de lever les distorsions des
marchés et de réduire les coûts de transactions, on assiste
à
1 La BCD, créée en 1961 a pour
objectif dans un premier temps de redistribuer le crédit rural. Par la
suite, elle s'occupe de financer les campagnes de commercialisation agricoles.
Elle ferme en 1990 à la suite de nombreux impayés des banques
dont elle a financé les campagnes de commercialisation (Moulende,
2003).
2 L'ONCPB est mise en place pour mettre en oeuvre
une politique des prix des produits agricoles préservant les
intérêts des producteurs et des consommateurs. Ainsi, le
gouvernement fixe les prix payés aux producteurs des principales
cultures d'exportation (cacao, café et coton), sur recommandation de
l'ONCPB. La structure dépose le bilan en 1991.
3 Le FONADER, créé en 1973, a
été conçu comme une « banque du paysan ». De ce
fait, il accorde directement des crédits aux paysans ou à des
groupes engagés dans l'agriculture ou l'élevage (Roesch et al.,
2002). La défaillance de sa politique de crédit agricole, le
manque de ressources financières, l'inadaptation des systèmes de
garantie et des impayés de l'ordre de 70% pousse le gouvernement en 1990
à créer en remplacement, le Crédit Agricole du Cameroun
(CAC).
4 Le Crédit Agricole du Cameroun (CAC)
jouissait du statut de banque avec vocation agricole. Il a peu financé
l'agriculture traditionnelle. Malheureusement, le CAC lui aussi est
liquidé en 1997.
l'émergence d'une nouvelle économie du
développement (Stieglitz, 1986). Celle-ci utilise une approche
institutionnelle basée sur les systèmes financiers
décentralisés telle que les Etablissements de Micro finance
(EMF). Ces nouvelles institutions financières exceptionnelles
prospèrent dans le monde, en Bolivie, au Bangladesh, et en
Indonésie.
Au Cameroun, la micro finance démarre officiellement en
1963, avec la création de la première coopérative
d'épargne et de crédit (« Credit Union » ou caisse
populaire) en zone anglophone du pays sous l'impulsion de missionnaires
hollandais. Toutefois, elle prend un essor remarquable et commence à se
diversifier à partir du début des années 1990 grâce
notamment aux lois sur la liberté d'association, décret
n° 90/053 du 19 décembre 1990, et le décret
n° 92/006 du 14 août 1992 relative aux
sociétés, coopératives et aux groupes d'initiatives
communes (GIC). Par ailleurs, la restructuration du secteur bancaire qui a
suivi la crise des années 80, a entrainé la liquidation de
plusieurs banques et la fermeture de presque la totalité des guichets de
banques dans les zones rurales et les petites villes, et le licenciement de
nombreux cadres de banques. Ces derniers se sont reconvertis en créant
de nombreuses coopératives d'épargne et de crédit (COOPEC)
fonctionnant ou essayant de fonctionner comme des quasi-banques (Creusot,
2006). C'est donc dans ce contexte caractérisé par la
précarité, l'instabilité, la fragilité des revenus,
la pauvreté ambiante que l'entrepreneuriat coopératif va se
développer au Cameroun en mettant en place des produits financiers
innovants (Tchouassi, 2001).
En 2000, sur les 1021 EMF recensés en zone CEMAC
(Cameroun, Congo, Centrafrique, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad), le
Cameroun comptait 64% des EMF, avec 67% des dépôts et 86% des
encours de crédits. On note une inégale répartition des
EMF sur le territoire national. En 2002, 52% des EMF fonctionnels
étaient implantés en zone urbaine contre 48% en zone rurale
(Creusot, 2006).
L'importance de la micro finance pour le gouvernement
camerounais s'est par ailleurs traduite par la mise en oeuvre d'un certain
nombre de projets. A l'instar du Projet d'appui
au Programme national de la Micro finance (PPMF)5
et récemment le Projet d'Appui au Développement de la Micro
finance rurale (PADMIR)6.
Dans l'espoir de réduire la pauvreté, les
établissements de micro finance se sont transformés en
fournisseurs de services financiers aux ménages à faible revenus
(Morduch, 1999). Autrement, dit, la micro finance représente
l'intermédiation financière en faveur des pauvres qui sont
généralement exclus du système bancaire classique (Kobou
et al., 2009 ). Ainsi, la micro finance s'adresse particulièrement au
petit producteur et les sommes prêtées ou épargnées
restent limitées (Doligez et Gentil, 2000). L'objectif qu'on lui assigne
généralement est de contribuer à la réduction de la
pauvreté (Morduch, 1999 ; Khandker, 2001 ; Morduch et Haley, 2002 ;
Vatta, 2003 ; Labie, 2004 ; Hermes et Lensink, 2007 ; Kobou et al., 2009 ;
Fondo et Baye, 2009 ; Lelart, 2010).
La pauvreté au Cameroun reste préoccupante comme
le montre les statistiques de la deuxième Enquête Camerounaise
auprès des Ménages (ECAM II). En effet, en 2002 environ
4 personnes sur 10 sont pauvres au Cameroun. De plus, elle se
caractérise par des différences importantes, aussi bien suivant
les groupes socio-économiques, que suivant la zone de résidence.
Toutefois, le milieu rural reste le plus durement frappé.
La pauvreté est un phénomène complexe
à appréhender, nécessitant ainsi différentes
approches. Il est cependant devenu classique de distinguer trois principales
écoles de pensée sur la mesure de la pauvreté :
l'école Welfarist7 (Tinbergen, 1991 ; Ravallion,
1994 ; Lipton et Ravallion,
5 Le PPMF, mis en place en novembre 2000 s'inscrit
dans le cadre de la stratégie gouvernementale de lutte contre la
pauvreté avec un accent particulier sur la zone rurale. Ce projet est
l'aboutissement de négociations conclues en novembre 1999 à Rome
entre le gouvernement du Cameroun et le Fonds International pour le
Développement Agricole (FIDA) pour un montant de 7 milliards de francs
CFA sur 6 ans.
6Le PADMIR quant à lui, a été
lancé les 13 et 14 janvier 2011. D'un coût total 22,5 millions
d'USD, il a pour objectif d'appuyer financièrement et en priorité
des petits producteurs agricoles en milieu rural, quels qu'ils soient,
individuellement ou regroupés en Groupement d'Initiative Commune (GIC)
ou en micro entreprise rurale (MER), qui ont des difficultés
sérieuses à accéder aux services financiers formels.
7Elle pense que, la « chose » en question
est le bien-être économique. Le concept du bien-être est
approché à celui de l'utilité. Du fait de
l'impossibilité de mesurer les utilités, elle s'appuie sur
l'utilisation du revenu (ou de la consommation) comme mesure du
bien-être.
1995), l'école des besoins de base8
(Stewart et Streeten, 1981 ; Stewart, 1995) et enfin l'école des
capacités9 (Sen, 1981, 1985, 1992, 1999 ; Nussbaum,
1995, 1999, 2003).
Par ailleurs, ces trois écoles semblent être
d'accord au moins sur le point suivant : est considérée comme
pauvre, toute personne qui n'atteint pas un minimum de satisfaction raisonnable
d'une « chose ». Ce qui les distingue, c'est la nature et le niveau
de ce minimum (Asselin et Dauphin, 2000). De nos jours, les analyses de la
pauvreté utilise principalement deux approches : l'approche
monétaire 10(qui s'inscrit dans une vision Welfariste)
et l'approche nonmonétaire ou multidimensionnelle
11(qui se rapproche quant à elles des écoles de
besoins de base et celle des capacités).
En 2001, 84% des pauvres vivaient en milieu rural et
l'incidence de la pauvreté11 y était plus du double de
l'incidence en milieu urbain. Malgré les efforts du gouvernement dans la
lutte contre la pauvreté et l'adoption du Document de Stratégie
de Réduction de la Pauvreté (DSRP) en 2003, la stabilité
de la pauvreté observée au niveau national masque un contraste
frappant entre les milieux de résidence et entre les régions. En
effet, en 2007, plus de la moitié des individus sont pauvres en milieu
rural alors que seulement 12,2% sont pauvres dans les villes d'au moins 50 000
habitants selon l'Institut National de la Statistique (INS, 2007). L'un des
objectifs majeurs du gouvernement à l'horizon 2035 est la
réduction de la pauvreté à un niveau socialement
acceptable à travers le Document de Stratégies pour la Croissance
et l'Emploi (DSCE). En effet, le taux de pauvreté monétaire
était de 40,2% en 2001. Malgré les efforts du gouvernement, ce
8Elle montre que, la « chose manquante »
dans la vie des pauvres est un sous ensemble de biens et services
spécifiquement identifiés et perçus comme universels,
communs aux hommes de différentes cultures et civilisations. Cette
pauvreté des « conditions de vie » ou « pauvreté
d'existence », traduit une situation de manque dans les domaines relatifs
à l'alimentation, à la santé, à l'éducation,
au logement, etc.
9Pour cette école, la « chose »
qui manque n'est ni l'utilité ni la satisfaction des besoins de base,
mais des habilités ou capacités humaines. Cette approche
découle des travaux de Sen (prix Nobel d'économie 1998), elle
s'inscrit dans le champ d'une réflexion sur la justice sociale,
l'égalité et les inégalités.
10Selon l'approche monétaire, la
pauvreté désigne l'état des individus ou des
ménages dont le revenu ou les dépenses sont inférieurs
à un seuil de pauvreté. Dans la plupart des pays du monde, ce
seuil est l'équivalent monétaire d'un panier de biens et de
services considérés comme le minimum nécessaire à
l'existence (Beitone et al., 2008).
11La pauvreté multidimensionnelle concerne
à la fois les conditions de vies, la culture des individus, l'existence
de discriminations, la désignation ou la stigmatisation par les
organismes sociaux, etc. (Beitone et al., 2008).
taux de pauvreté est demeuré pratiquement stable
entre 2001 et 2007 (République du Cameroun, 2009). C'est dans ce
contexte que notre problématique s'articulera autour de la question
centrale suivante : quels risques de crédits court un
établissement de micro finance dans la réduction de la
pauvreté au Cameroun ? Aussi cette principale question sera-t-elle
analysée autour des clients Particuliers et des clients Entreprises.
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