3.4.5.2- Sur le plan social
Les retombées sociales du désenclavement de
KOUTOUGOU sont évidentes et diverses. D'abord, la croissance du taux de
scolarisation sera un fait. Comme dans le cas de Lotogou décrit par
YATOMBO (1994) où il est passé de 26% en 1984 à 53,8% en
1991, le tracé d'une route est un facteur de stabilité pour les
enseignants qui ne s'en iront plus.
Ensuite, à voir le flux de marchandises qui
s'écoulent vers le Bénin, on peut croire que si une route
existait entre Kantè et KOUTOUGOU, il y aurait nécessairement un
marché d'animation hebdomadaire qui faciliterait les échanges
commerciaux au bénéfice des populations de l'environnement
d'investigation. Il permettra en outre de réduire la dépendance
des populations de KOUTOUGOU vis-à-vis du marché extraterritorial
de Takonta au Bénin.
Enfin sur le plan sanitaire, la couverture médicale,
même si elle ne s'améliore pas profitera de la proximité de
l'hôpital préfectoral de Kantè. Les patients pourront alors
être évacués en temps réel et être
sauvés plus facilement.
Quand nous connaissons l'importance du niveau de scolarisation et
de l'état sanitaire de la population sur sa vie économique, nous
ne pouvons passer sous silence cet aspect.
3.4.5.3- Sur le plan économique
Il est important pour tous qu'un milieu qui de surcroît est
agricole ne soit pas obligé de vivre tourné vers un autre
pays.
Les retombées économiques d'un éventuel
processus de désenclavement de notre terroir se perçoivent sous
le triple angle des grands bénéficiaires que sont la
préfecture prélevant des taxes de marché, les paysans
écoulant leurs produits puis les consommateurs disposant d'un nouveau
grenier.
L'intensification de l'activité commerciale dans le
milieu avec à terme la création d'un marché est un plus
pour les caisses de la préfecture qui a besoin de ressources
financières pour exécuter certains de ses projets. Elle pourra
alors par la collecte des taxes de marché
éviter que ces revenus ne renforcent les sources de
recettes des collectivités locales en territoire béninois.
Quant aux paysans, nous avions montré comment
l'enclavement engendrait des manques à gagner sur leurs produits vendus
sur les marchés béninois. Ils pourront alors vendre plus
facilement et à des prix plus intéressants, ce qui aura pour
effet de les inciter à un effort de production soutenu.
Par ailleurs, les prix des intrants qui augmentaient à
cause de la distance et du mauvais état des routes pourront baisser pour
être au niveau du prix national. Aussi, les prix des outils de travail
étant plus élevés au Bénin que sur le territoire
togolais, les paysans pourront-ils ainsi économiser le surplus et
l'investir dans d'autres domaines. Il en va de même pour les
excédents qu'ils pourront réaliser sur la main d'oeuvre agricole
dont le prix baissera.
Enfin, l'ouverture de ce milieu sur le reste du territoire
permettra aux paysans de profiter des innovations dans le domaine agricole
quand on sait que celles-ci n'atteignent pas les milieux enclavés et
ceux qui ne le sont pas au même rythme.
Pour les nombreux consommateurs togolais, chaque fois qu'un
sac de céréale sort du territoire, c'est un franc qui s'ajoute au
prix des denrées. Les quantités importantes de
céréales qui quittent le territoire national pour le Bénin
(56 tonnes pour le maïs, 24 pour le sorgho...) alors que tout le
territoire est en pleine pénurie constituent une réserve
inutilisée. D'ailleurs, quand on sait que les intrants ayant permis de
produire ces denrées ont été fournis par les structures
d'encadrement paysan togolais, la nécessité devient plus
récurrente.
Nous voyons donc qu'il n'y a pas que les paysans de KOUTOUGOU
pour profiter d'un processus de désenclavement de leur milieu? Bien au
contraire, tout le pays et sa population devront jouir des retombées
d'un tel processus. Nous convenons que les premiers bénéficiaires
sont les habitants de notre zone d'étude. Cependant, il faut comprendre
que la localité offre plusieurs avantages qui peuvent facilement
être exploités au profit de l'économie nationale. Ces
avantages se perçoivent à travers les domaines culturel,
touristique, social et économique avec d'énormes quantités
de céréales au profit du Togo.
Que doit-on retenir au terme de cette étude du terroir
Temberma de Koutougou enclavé dans la Kéran ?
![](Koutougou-un-terroir-Temberma-enclave-dans-la-Keran-Togo29.png)
CONCLUSION GENERALE
Les deux milliers d'habitants de KOUTOUGOU vivent
essentiellement du travail agricole. Plusieurs raisons militent en faveur du
développement de cette activité. Il s'agit d'abord d'un climat
favorable avec ses éléments qui s'accordent bien avec le type
tropical sec. De lui découlent non seulement une
végétation de savane arborée facilement exploitable mais
davantage des sols diversifiés et riches. Mais le facteur
pédologique est aussi lié à la nature de la roche
mère qui y est très diversifiée selon que l'on soit sur un
versant ou dans la plaine le long de la Kéran.
Il résulte de ces conditions naturelles favorables et
de l'histoire de ce peuple de braves paysans, dont la taille des exploitations
les plus répandues dans la zone étudiée se situe entre 3
et 5 hectares. L'acquisition des ces terres relevant encore des modes
traditionnels que sont le don et surtout l'héritage, les conflits
liés à la question foncière sont plutôt rares.
La société vit alors dans une espèce de
solidarité qui trouve ses origines dans une organisation sociale
où les vieux sont des repères pour les jeunes alors que la femme
est réduite à ses tâches domestiques. L'enfant quant
à lui constitue la première richesse et comme tel ne quitte le
toit parental qu'après les cérémonies d'initiation. Ce
départ conduit les jeunes mâles selon les cas à la
fondation d'une famille ou à l'aventure vers le Bénin ou le
Nigeria voisins augmentant du coup les disparités remarquées
entre les populations masculines et féminines.
La cohésion sociale en question est aujourd'hui
maintenue par l'organisation du travail dans le terroir de Koutougou. En fait,
les jeunes forment des groupes d'entraide alors que les plus vieux font appel
à l'invitation. D'autres encore, mais dans une moindre proportion ont
recours au salariat agricole qui n'est pourtant pas répandu.
Cette organisation de la société tout
entière et de ses activités couplée à un respect
scrupuleux des itinéraires techniques permet alors au peuple Temberma de
développer plusieurs cultures allant des vivriers au coton. Mais ces
dernières années, les problèmes de la filière coton
dans le monde et au Togo ne sont pas passés sans y laisser des traces.
Une démotivation chez les paysans a ainsi entraîné une
baisse fulgurante des superficies emblavées et du coup celle de la
production. La majorité des paysans consacrent alors toutes les
superficies ou presque aux cultures vivrières comme le maïs, le
sorgho, le niébé, le fonio....
Et pour arriver à une production efficiente, les
paysans pratiquent une agriculture extensive sur brûlis avec une grande
préférence à la jachère qui dure plus de 5 ans
comme l'indiquent 90,6% de nos enquêtés. De plus la rotation et de
l'association des cultures sont des
pratiques aussi vielles que ce peuple. Il découle de
toutes ces formes d'utilisation du sol, d'importantes productions
céréalières.
En plus des vivriers et du coton dans une moindre mesure, il
faut noter que les Temberma pratiquent un élevage traditionnel avec les
bêtes en divagation ou attachées aux piquets. L'artisanat, la
pêche et la chasse y existent aussi mais leur pratique est de nos jours
de moins en moins répandue.
L'ensemble des produits d'élevage et agricole de
l'environnement d'étude sont déversés sur le marché
béninois à Takonta à défaut de voies de
communication pouvant conduire vers les marchés nationaux. C'est ce que
nous avons appelé l'enclavement du terroir de Koutougou. Celui-ci se
manifeste par un réseau de chemin très lâche et dont les
pistes autant rurales que automobiles sont d'une praticabilité
saisonnière. A cela s'ajoute une rivière, la Kéran qui
reste en crue durant plus de trois mois dans l'année.
Ce phénomène a des conséquences multiples
autant sur les populations qui y vivent que celles du reste du territoire
national togolais. Il s'agit sur le plan moral du développement sur
place d'un complexe d'infériorité par rapport aux autres peuples,
d'un sentiment fort d'appartenance au territoire béninois sur le plan
culturel. C'est ce qui explique même que les échanges
transfrontaliers s'intensifient dans la zone. Sur le plan sociologique, on note
une organisation du travail par rapport au marché béninois de
Takonta, seul lieu d'écoulement des produits agricoles. Quant à
la vie sociale, elle souffre de l'enclavement à cause du manque du
personnel enseignant refusant de regagner ce poste du fait de son
éloignement et faisant baisser les taux de scolarisation, de la
faiblesse de la couverture sanitaire comparativement aux autres
localités de la région. L'aspect économique des
méfaits de l'isolement est illustré par un coût de
production très élevé créé par une main
d'oeuvre chère et qui se fait rare, des coûts de revient des
intrants au-dessus du prix national et celui des outils de travail très
élevés. Aussi, les prix de vente imposés sur le
marché béninois auquel s'ajoute le prélèvement des
taxes de marché abaissent-ils considérablement la marge de
bénéfice des paysans.
Pour le reste de la population togolaise, c'est un grenier de
céréale qui leur reste inaccessible toute l'année alors
que pour l'économie nationale, c'est une perte sous deux angles. Sous un
premier angle, le manque à gagner est engendré par l'absence d'un
marché d'animation hebdomadaire sur place. Sous un autre angle, il est
établi que c'est toute une masse monétaire qui est
déversée sur les marchés extraterritoriaux par les paysans
qui y achètent produits manufacturés, outils de travail,
habillement, moyens de transport.... Tout ceci est perçu comme une perte
au plan national lorsqu'on y ajoute le fait que les intrants qui servent
à la production vivrière proviennent des réserves
nationales acquises à des tarifs
élevés et subventionnés par le gouvernement
togolais. On en conclut donc sur une note d'investissement non rentable
à cause du simple fait de l'enclavement.
Et pourtant, ce ne sont pas les raisons de justification d'un
processus de désenclavement qui manquent. Outre les potentialités
agricoles sus mentionnées, la préservation du patrimoine Temberma
étant au nombre des priorités des autorités touristiques
de notre pays, la rentabilisation des tatas de KOUTOUGOU sera non seulement un
atout économique local à l'heure de la communalisation de nos
campagnes mais aussi une raison pour mobiliser les populations à leur
préservation.
A tout considérer, on se rend bien compte que des
raisons existent pour qu'un processus de désenclavement de KOUTOUGOU
devienne une préoccupation sérieuse. Celui-ci en fait devra
s'appuyer sur des potentialités locales existantes. C'est d'abord la
disponibilité d'une vallée entre les monts Tamoungou et
Takpangou qui permettrait de relier KOUTOUGOU à Kantè
par une route de 08 kilomètres ; c'est en tout cas le voeu de 96,7% de
nos enquêtés. De plus, le désenclavement de KOUTOUGOU passe
aussi par une question d'entretien des infrastructures existantes. Ce sont les
ponts sur la Binah et sur la Kéran auxquels on doit ajouter
l'amélioration de la qualité de la piste automobile venant de
Tchitchira et qui continue vers le Bénin. Par ailleurs,
désenclaver c'est aussi prévoir une ouverture de l'espace
géographique étudié sur le reste du Togo en matière
de réseaux invisibles tels celui de la télévision, de la
radio et de la téléphonie rurale. Enfin, l'atout majeur est la
population de KOUTOUGOU qui, à partir de son CVD pense du moins dans sa
grande majorité pouvoir participer aux efforts qu'exigeront les travaux
de désenclavement de leur localité. Certains affirment pouvoir
donner une participation financière à hauteur de 1000 francs
(76,8%) ou plus (23,2%) alors que d'autres22 pensent se rendre
disponibles pour des travaux précis dans le cadre du tracé de la
route ou de l'amélioration de celle qui existe.
Dans tous les cas, un tel processus engendrera probablement
des retombées positives sur toutes les composantes de l'économie
togolaise. Les populations de KOUTOUGOU, celles de la région de la Kara
et du Togo en tireront profit ; les unes par la vente de leurs produits sur
place, les autres par les apports en vivriers. Quant à l'Etat, le
désenclavement de cette localité lui éviterait d'investir
dans la production de denrées alimentaires qui ne profite à
personne si ce n'est aux Béninois et de garantir des revenus à
partir des taxes de marchés et celles à prélever sur les
produits manufacturés qui y seront vendus.
22 58,5% des restants sont ceux là qui ne
peuvent qu'offrir leur main d'oeuvre.
C'est en tout cas l'espoir de désenclavement de leur
contrée qui fait vivre et travailler encore les habitants de KOUTOUGOU
même si cet espoir s'intensifie puis s'exaspère au fil du temps et
au rythme des campagnes électorales quand on leur demande de
débroussailler la vallée pour que les tracteurs qui doivent
arriver très prochainement commencent le travail.
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