QUELQUES PRECISIONS TERMINOLOGIQUES :
TERROIR : Etendue de terrain
présentant certains caractères (relief, végétation,
climat, sol, exposition, habitat, types d'exploitations, ...) qui
l'individualisent au point de vue agronomique. Il est l'unité
territoriale appartenant à un peuple qui s'y reconnaît et dont le
centre de gravité est le village. Ainsi défini, il est un
territoire sur lequel une communauté de paysans s'est installée
pour le défricher et le cultiver et sur lequel elle exerce des droits
agraires.
HABITAT RURAL : Ensemble et arrangement des
habitations dans un espace donné. Il est bâti sur l'espace
habité du terroir et rassemble les maisons d'habitation, les greniers,
les enclos, les magasins et leurs annexes. C'est la cellule organisatrice de la
vie rurale. On la désigne aussi sous le vocable de centre
d'exploitation.
PAYSAGE AGRAIRE : C'est le résultat
concret de l'aménagement de l'espace rural par un peuple. Son analyse
prend en compte le type d'habitat, le parcellaire, le réseau de chemins,
les sols, bref, c'est la photographie d'un terroir à une époque
précise.
STRUCTURES AGRAIRES : Ensemble des liens
durables et profonds qui unissent un peuple à son sol. Elles prennent en
compte les formes de propriété du sol, les formes de son
utilisation et les modes de faire-valoir qui y règnent. Comme tel, elles
sont le cadre juridique, l'ossature dans laquelle évolue l'agriculture
sur le terroir considéré. Elles sont généralement
stables et durent longtemps à moins qu'une réforme ne vienne les
rompre.
ENCLAVEMENT : Dérivé du
concept enclave, ce mot trouve son origine dans le terme latin clavis
qui exprime l'idée initiale de clef, de verrou ou de barre de fermeture.
Le dictionnaire Larousse avance qu'on dit d'un espace « enfermé,
enclos dans un autre », qu'il est enclavé. Stricto sensu
donc, seuls le Vatican, Lesotho et San Marin sont des pays enclavés au
monde. Mais, dans la langue française contemporaine, on utilise le mot
enclavé dans son sens anglo-saxon : landlocked, «
enfermé à l'intérieur des terres » puisque
d'après le dictionnaire Harcourt (
www.harcourt.com), en
géographie, il se défini comme : « a land region, having
no access to a waterway ». C'est donc l'absence d'accès
à la mer qui devient le critère de définition de
l'enclavement. C'est du moins le sens que lui donnent les
spécialistes de la géopolitique. Pour les
économistes et les géographes, « l'isolement dans lequel se
trouve une aire plus ou moins étendue, souvent dans un milieu montagneux
ou désertique, du fait de l'absence, ou de l'insuffisance des moyens de
communication » est l'enclavement, RABALLAND G. et ZINS M.(2003). Mais
l'impact économique de l'enclavement étant difficile à
évaluer, certains géographes et économistes
préfèrent parler des enclavements en y ajoutant une nouvelle
notion, celle de centralité. Il existerait donc d'après ces
derniers, des zones enclavées mais centrales c'est-à-dire
incontournables dans les échanges dans une région comme la Suisse
en Europe, alors que d'autres sont considérées comme
défavorisées.
En dépit de la relativité du concept, nous
retiendrons dans le cadre de cette étude que l'enclavement est
l'absence, l'insuffisance ou la praticabilité saisonnière des
voies de communication dans une zone donnée. Cette situation
qui maintient le milieu dans un déficit de croissance, peut se
répartir en quatre échelles selon DOUMENGE F. (2000), allant de
« l'enclavement supportable » pour les zones situées à
moins de 500 km d'un important port aux coins « excessivement
enclavés » situés à plus de 2000 km.
INTRODUCTION GENERALE
La vie de tout peuple est relatée par rapport à
son milieu de vie. Celui-ci est constitué du cadre physique, des liens
qui le lient à son environnement ainsi que des aménagements qu'il
apporte en vue de satisfaire à des besoins d'ordre économique,
culturel ou naturel. Ce faisant, lorsqu'un peuple s'approprie un territoire
qu'il modèle à son goût, il en fait une unité
distincte des autres, qui, associée à sa
spécificité physique devient son terroir.
Ainsi, l'histoire des Incas1 est liée
à Cuzco dans l'actuel Pérou et celle des Pygmées à
la forêt équatoriale d'Afrique centrale. La vie des Temberma elle,
l'est avec les versants de la chaîne de l'Atakora aux confins nord-est de
la préfecture de Kéran, dans un des coins les plus
enclavés de la région et même du pays.
Au pied de la chaîne Défalé donc, vivent
les Temberma, peuple de paysans et de bâtisseurs dont le nom vient de
betammaribe c'est-à-dire « les bons maçons
» par référence au type d'habitat dans lequel ce peuple a
toujours vécu. De nos jours, personne ne peut parler de ce peuple sans
en faire allusion. C'est pourquoi les Temberma et leurs forteresses, ou mieux
leurs fermes fortifiées selon les mots de FRANCOIS Y. (1995) font
l'objet d'une attention particulière de la part des architectes, des
touristes et des historiens, bref du monde scientifique. C'est d'ailleurs ce
qui explique l'inscription de ce site au patrimoine mondial de l'UNESCO comme
un site culturel depuis juillet 2004.
C'est à ce peuple de bâtisseurs qu'appartiennent
les 2 647 habitants du canton de Koutougou, qui s'étend sur 112
km2 avec une densité de 19 hbts/km2. Il est
enserré entre la chaîne de l'Atakora à l'ouest et au nord,
le Bénin à l'est et la rivière Kéran au sud. Mais
pour éviter la confusion que peut laisser apparaître l'utilisation
de Koutougou comme terroir d'étude et comme un village de ce terroir,
nous userons du même nom écrit de deux façons
différentes : Koutougou pour signifier le village et KOUTOUGOU pour
désigner le terroir.
Le terroir de KOUTOUGOU qui correspond à notre zone
d'étude, comptait 1885 habitants en 1970 puis 1923 au recensement
général de la population de 1981. En 2005, sa population est
estimée à 2007 individus repartis dans les quatre villages
couvrant notre zone d'investigation. Celle-ci est située au sud-est du
canton du même nom et est limitée par les villages de
Koutchatougou, Koutapa, Kouya-kougou au nord-ouest et le Bénin à
l'est. C'est sur cette limite nord-ouest que se dresse la chaîne de
l'Atakora alors que plus au sud se trouve le cours d'eau
Kéran.
1 « Fils du Soleil », nom des souverains du peuple
quechua, au Pérou (vallée de Cuzco), qui ont établi un
empire sur la cordillère des Andes qui va être défait au
milieu du XVIe siècle lors de la conquête espagnole. Le terme
désigne à la fois le souverain de l'Empire lui-même, mais
également la tribu qui est à l'origine de son édification
qui s'est enrichie de l'ensemble des peuples amérindiens qui lui sont
soumis.
Notre travail consistera dans un premier temps à en
faire une étude exhaustive. Il s'agira pour nous de passer en revue
l'historique même de l'installation de cette frange du peuple Temberma au
sud du mont alors que la plupart vit encore du côté nord de la
formation géomorphologique dans le canton de Nadoba. Nous nous
intéresserons par ailleurs à l'aspect physique - climat, sol,
végétation, exposition, hydrographie, relief -, et son
incidence sur la vie des habitants, à l'aspect humain en prenant en
compte la population et ses mouvements internes et externes. Dans cette partie,
nous porterons un intérêt particulier au paysage agraire de notre
terroir de même qu'aux modes de gestion de la terre. Nous pourrions du
coup définir les structures agraires qui sont pratiquées par les
Temberma de KOUTOUGOU et analyser en outre les réalités
économiques de notre terroir. Il sera aussi question de passer au peigne
fin les formes d'utilisation des sols (le système agricole) et les
résultats de cette utilisation auxquels nous ajouterons ceux des
activités parallèles comme la chasse, la pêche et
l'artisanat.
Au terme de cette analyse, nous apprécierons le
développement de notre site d'étude en rapport avec les
infrastructures de transport y existant et leur niveau de fréquentation.
C'est la prise en compte de cet aspect économique qui nous mènera
vers l'étude des relations et des échanges entre les habitants de
KOUTOUGOU et leurs voisins considérant qu'aucun développement
n'est possible pour un milieu s'il vit en autarcie (YATOMBO T., 1994). Nous
déboucherons ainsi sur l'étude de l'enclavement qui
caractérise notre site et qui limite son intégration au
réseau commercial national.
Mais en prélude à cette étude, nous
exposerons le cadre conceptuel et méthodologique afin de montrer outre
nos motivations sur le choix de ce sujet, la problématique qu'il
soulève, les interrogations qui s'y attachent de même que la revue
de la littérature et les objectifs assignés à cette
étude. Par ailleurs, il sera aussi question de présenter les
hypothèses de travail ainsi que la méthodologie utilisée
pour les vérifier avant de faire état des difficultés
rencontrées sur le terrain.
Lorsqu'un peuple choisit son site d'existence, il le fait par
rapport aux conditions physiques du milieu qui dans la plupart des cas sont
compatibles avec son activité principale.
Les Temberma de KOUTOUGOU l'ont très bien
appliqué quand ils s'y installèrent. Ainsi, Climat, sols,
végétation sont favorables à la pratique de l'agriculture.
Chaque année donc, plusieurs tonnes de produits vivriers et de coton y
sont récoltées. Mais la nécessité d'une production
massive est souvent couplée de celle des marchés
d'écoulement qui permettent aux paysans de vendre leurs récoltes
et d'acheter en retour des biens manufacturés.
C'est justement à partir de là que les choses
se compliquent pour les habitants de l'univers étudié dont la
caractéristique principale est l'insuffisance ou mieux l'absence des
voies de communication. A cela s'ajoute la question de la
praticabilité saisonnière des rares infrastructures de
transport qui y existent. C'est ce que nous appelons l'enclavement de
KOUTOUGOU.
Mais qu'est-ce qui peut faire de cet enclavement de KOUTOUGOU un
thème d'étude en Maîtrise de Géographie rurale ?
En 1995, le Togo comptait 12 040 km de routes dont 2 926 km
de route nationale (1 650 km bitumées, 1 036 km non revêtues et
282 km non aménagées en terre) et 9 110 km de routes et pistes
rurales (dont 4 950 km de pistes aménagées). De nos jours, loin
d'avoir progressés, ces chiffres ont connu une baisse significative
puisque les pistes aménagées n'ont pas connu un entretien
conséquent. Il en ressort une diminution du trafic vers certains points
du pays surtout vers les milieux ruraux.
Dans la préfecture de la Kéran par exemple, la
situation actuelle des infrastructures routières se présente
comme l'indique la figure 1 et montre une disparité entre
l'extrême sudouest qui a un réseau routier dense et l'est qui en a
un très lâche s'il n'est pas entièrement inexistant. Dans
cette partie, il se résume à une piste automobile
saisonnière dont la praticabilité est rendue complexe par
l'état du pont sur la Kéran, et des pistes secondaires en
très mauvais état surtout en saison des pluies.
1°00'
1°20'
0°40'
0°50'
1°10'
0°40'
0°50'
1°00'
1°10'
1°20'
FIG 1 : Infrastructures routières dans la
Préfecture de la Kéran
PREFECTURE DE L'0TI
KOPELE
OTINAFOKIO
SONGOULAOU
#
#
MBORATCHIKA
#
#
N
#Y
#
OSSAKRE
#
HOULIO
#
NADOUDJA
#
HELOTA
#
NABO
#Y #
#
NABOULGOU
#
SINITE
WARDE
#
#
ANIMA
#
TERITE
LEOTA
#
ANDESSI
#
KOKOU TAMBERMA
#Y #
TCHASTE
#
WARTE
#
#Y #
ATALOTE
#
KOFI
#
SIOUTE
NATIBONI
#
#Y #
KPESSIDE
NADJANGOU
#
KOKOTE
#
KOUTOUGOU
#
TATANWATA
#
PIYANGA
#
AGNINKATA
#
AWANDE
#
#
% #Y #
ATETOU
#
PIMINI
KANTE
KOUKOTCHIENGOU
#
NADOBA
#Y #
DEOUTE
#
#
GOULBI
#
WARTEMA
#
KOUTAGOU
#
#Y KOUTAPA
#
WARENGO
þ# Village étudié
% Chef lieu de Préfecture
#Y Chef lieu de Canton
#
Route bitumée Route secondaire
Autres localités
Kouya - Kougou
#
Koutougou Sola
Koutantagou
#
Lipouli 2
þ# #
#
Koutapa
2 0 2 4 6 8 10 Kilometers
Source : NOYOULEWA A. (205), d'après les
données recueillies dans Cartographie Censitaire,
D.S.I.D., 1996.
#
LEGENDE
þ# #
þ# #
·
Lipouli 1
UTOUGOU
Koutamagou
Limites de Préfecture
Limite d'Etat
Cours d'eau permanent Cours d'eau saisonnier Réserve
de la Kéran
Zone d'étude
Tapounté
#
9°50' 10°00' 10°10'
10°10'
10°00'
9°50'
Certaines zones par ailleurs n'ont jamais connu un quelconque
aménagement de leurs pistes et connaissent depuis toujours un
enclavement très préjudiciable à leur
développement. C'est le cas du canton de Koutougou.
En effet, pour y accéder, il n'y a rien de facile.
Durant la saison sèche, l'accès au site d'investigation reste
difficile en dépit de l'aménagement des rues par la SOTOCO en vue
du transport du coton graine. En fait, quoique séparés de
Kantè, le chef-lieu de la préfecture à laquelle ils
appartiennent de dix kilomètres à vol d'oiseau, aucune piste
même cyclable ne relie les habitants de KOUTOUGOU à cette ville.
La situation se complique davantage en saison pluvieuse puisque dès les
premières pluies (autour de 400 mm), le radier sur la rivière
Kéran est submergé par les flots et aucun passage n'est possible.
C'est cette situation que présente les photos 1 & 2 sur lesquelles
on se rend compte que le niveau de l'eau est légèrement en
dessous du pont. Cette décrue est le fait d'une accalmie
pluviométrique d'une semaine à la fin du mois d'août 2005.
Autrement, il en résulte un isolement du terroir par rapport au reste du
pays.
Photo 1 : Vue oblique du pont sur la
Kéran
Source : Cliché de l'auteur, 2005.
7 Photo 2 : Etat du pont sur la
Kéran
Source : Cliché de l'auteur, 2005.
De l'avis de RABALLAND G. & ZINS M-J. (2003),
l'enclavement est une question essentielle aujourd'hui. Paradoxalement, cette
question ne semble pas encore préoccuper les acteurs du
développement au Togo.
Pourtant, ce ne sont pas les références sur
l'importance des voies de communication dans un processus de
développement qui manquent. Dans une allocution de M. Alassane Dramane
OUATTARA, alors Directeur Général Adjoint du FMI prononcée
le 12 mai 1999 à Port-Louis (Maurice) à l'occasion d'un
séminaire de haut niveau sur l'ajustement structurel en Afrique
subsaharienne, il n'a pas manqué de prouver que les nombreux
investissements vers l'Afrique auraient été plus rentables si au
tout début, une priorité avait été donnée
à la mise en place d'une infrastructure de communication viable et de
longue durée, car ajoute-t-il, cela aurait été source d'un
développement économique de base sérieux et le moteur
d'une intégration plus sûre au sein des entités
politico-économiques sous-régionales sur ce continent.
Quant à Cécile SPORTIS, porte-parole du
Programme Alimentaire Mondial (PAM), elle déclarait le 26 octobre 2005
lors de la conférence des donateurs à Genève quand elle
parlait de la situation des victimes du séisme du 16 octobre au
Pakistan, que le simple fait du manque des voies de communication multipliait
les besoins par trois car il fallait dès lors utiliser les
hélicoptères. Ceci est une preuve supplémentaire sur
l'importance des routes dans
tout processus ayant trait au bien-être des hommes.
KOUTOUGOU peut-il faire exception à cette règle ?
L'isolement de l'environnement étudié par
rapport au reste de la préfecture qui le porte et du pays,
entraîne de facto le développement des échanges
transfrontaliers en défaveur du Togo. C'est cette situation
particulière qui a motivé le choix de notre thème sur un
terroir Temberma, celui de KOUTOUGOU qui constitue l'unité agronomique
sur lequel plus de deux milliers d'hommes et de femmes se battent pour tirer de
la terre les produits de leur survie et les ressources nécessaires pour
promouvoir le développement de leur contrée. C'est d'ailleurs
pourquoi nous l'avons intitulé : KOUTOUGOU, UN TERROIR TEMBERMA
ENCLAVE DANS LA KERAN.
Il s'agit d'un terroir que l'on classe en
général parmi les terroirs de warengo, terroirs propres aux
Temberma, peuple issu du groupe linguistique des Para-gourma (GAYIBOR N. L.
dir.1997). Ces terroirs sont reconnus pour être propres aux zones de
reliefs contrastés, avec un habitat semi dispersé et des
densités de population faibles à l'échelle du pays (19
hbts/km2).
Quant à leur mise en valeur, elle est semi extensive
avec la possibilité d'une longue jachère et une organisation des
exploitations en banquettes sur les versants de montagne rappelant les cultures
en terrasses des Kabyè comme décrites par POKO Y. (1999). En ce
qui concerne le parcellaire, il est relativement plus grand que chez les
Kabyè avec des champs assez éloignés des concessions (500
mètres environ) dégageant un espace de pâturage autour des
cases. On note également une déforestation poussée surtout
ces dernières années en dépit d'une faible occupation du
sol (19 hbts/km2). La reproductibilité de cette situation de
notre zone d'investigation est analogue à celle de Dimori, village de
plaine du Katcha, un terroir N'caam dans la préfecture de Bassar
décrite par ALI S. (1996) où la densité est de 7,3
hbts/km2. Mais elle contraste nettement avec celle de Mandela,
terroir Kabyè où la densité de 127,9 hbts/km2
est aussi source de déforestation avancée d'après
DJIMINGRA M. (1983).
KOUTOUGOU est situé sur le versant sud de la
chaîne de Défalé qui y atteint des altitudes de 400
à 500 mètres et a pour limite sud la rivière Kéran
au travers de laquelle le radier supposé relier notre zone
d'étude au reste des villages voisins n'a qu'une hauteur de moins d'un
mètre et demi au-dessus du lit mineur. Ainsi, déjà au
cours du mois de juillet, lorsque la pluviométrie atteint 400 mm, la
rivière est en crue.
Quant au Mont, son ascension et sa traversée
n'étant pas faciles, les populations de Koutougou passent alors
plusieurs mois coupés de leurs voisins et du reste du Togo. C'est ce qui
fait de ce terroir un terroir enclavé, tant son réseau de voies
de communication interne se
résume aux sentiers qui relient champs et maisons et
villages voisins. Isolés même du chef-lieu de la
préfecture de la Kéran à laquelle ils appartiennent, les
Temberma se contentent une bonne partie de l'année d'échanger
uniquement avec leurs frères vivant dans le Bénin voisin.
Il se dégage alors de l'analyse des
réalités humaines, de la position géographique et des
réalités physiques naturelles de la zone d'investigation un
aspect qui retient particulièrement notre attention : c'est
l'enclavement. Des interrogations se dégagent alors en vue d'aider
à mieux comprendre ce phénomène.
Qu'est-ce qui a amené cette frange du peuple Temberma
à franchir le Mont pour s'installer dans cette cloison isolée du
monde et de leur site primaire ? Comment est organisée la vie des
Temberma de KOUTOUGOU ? Comment gèrent-ils le patrimoine foncier sur
lequel ils vivent et se déroulent leurs activités ? Qu'est-ce qui
est à la base des nombreuses mutations qui se remarquent aujourd'hui
dans l'habitat rural de ce peuple de bâtisseurs ? Comment se font les
échanges culturels et commerciaux avec leurs frères voisins du
Bénin, ceux de Nadoba au nord de KOUTOUGOU ainsi qu'avec les villages
environnants ? Quelles sont les infrastructures socio collectives dont ils
disposent ? Quels sont les effets de l'enclavement sur les activités
économiques du milieu ? Comment les habitants de KOUTOUGOU
perçoivent-ils leur isolement ?
Autant de questions qui justifient le choix de notre sujet,
même s'il faut y ajouter notre passion pour le monde rural qui nous a vu
naître et grandir. Nous y avons ainsi côtoyé en grandissant
et à travers les régions des Plateaux Sud, Plateaux Est, et celle
de la Kara, de braves paysans toujours confrontés à
l'épineux problème de la proximité ou de
l'accessibilité des centres d'écoulement de leurs produits
agricoles. Depuis les villages d'Ogou sur la rive Est de la rivière Ogou
dans la préfecture de l'Est-Mono à ceux de la préfecture
de Dankpen dans l'ouest de la région de la Kara, nous avons
expérimenté la vie dans une contrée où les
automobiles ne viennent qu'en saison sèche et seulement les jours de
marchés hebdomadaires si ceux-ci existent. Autrement, c'est lors de la
campagne d'achat et d'évacuation du coton graine par exemple que les
gros véhicules attirent des foules de badauds curieux de voir
très souvent pour une première fois le « titan ».
Ainsi donc, au moment d'entreprendre des recherches en vue de
l'obtention d'une Maîtrise, quoi de plus normal que de se tourner vers ce
monde pour nous appesantir sur une des situations les plus
désagréables de la vie d'un paysan : l'éloignement et la
difficulté d'accès au marché. DUMONT R. (1991) ne
disait-il pas que si en Afrique on veut que les paysans produisent en masse, il
faut d'abord leur donner les moyens et la chance de pouvoir écouler
leurs produits sans difficultés ? Nous ne pouvons parler des motivations
qui nous ont
conduit à ce sujet sans parler de l'attachement que
nous avons eu du monde Temberma depuis la première fois que nous nous y
sommes rendu. Il s'agit donc pour nous d'assouvir un désir longtemps
manifesté et en même temps de contribuer à la connaissance
de ce peuple hautement riche sur le plan culturel mais sur lequel
paradoxalement, il existe très peu d'écrits puisque les rares
existants sont du domaine architectural, touristique ou historique très
souvent signés par des expatriés. Néanmoins, aucune
étude ne pouvant aboutir sans recherche documentaire préalable,
nous avons, à défaut d'ouvrages portant sur le pays Temberma, eu
accès aux documents allant de l'étude d'autres terroirs à
ceux relatifs aux problèmes du monde rural en général et
de l'enclavement en particulier.
La place qu'occupe l'agriculture dans les pays en
développement est une préoccupation plus que jamais
d'actualité. Depuis leurs indépendances en effet, les pays moins
nantis en ressources minières et énergétiques ont mis un
accent particulier sur la promotion du secteur agricole. Mais il faut noter que
cette primauté de l'agriculture dans ces pays ne date pas de
l'époque des indépendances. Depuis les temps coloniaux en effet,
avec le pacte colonial, nos pays ont hérité d'un rôle qui
les maintient dans un situation d'éternels fournisseurs de
matières premières aux pays du Nord.
Plus tard, même avec la division internationale du
travail puis la mondialisation, ce rôle est loin de changer. Bien au
contraire, la tendance se renforce encore avec la mondialisation sous sa forme
actuelle en dépit des nombreuses mutations institutionnelles et des
réformes entreprises souvent en accord avec les grandes institutions
internationales et laissant derrière elles des retombées
fâcheuses pour les populations.
C'est ce que dénonce ELA J-M. (1982) dans
L'Afrique des villages lorsqu'il parle de la mise en place des
politiques de développement rural entreprises par les gouvernements
africains à coût de milliards déboursés par les
institutions internationales et qui ont abouti dans la plupart des cas à
des échecs et pire encore à l'éclosion de relations
conflictuelles entre les masses. C'est ainsi que s'opposent vieux et jeunes,
agriculteurs et éleveurs, citadins et ruraux. Cette situation selon
l'auteur conduit à l'éclatement des groupes sociaux ayant des
intérêts divergents mais appelés à vivre sur un
même territoire national. Il conclut donc en précisant que tant
que la mise en place des projets ne prendra pas en compte les
réalités des bénéficiaires et sera plutôt
basée sur des relations de domination et d'assujettissement, ils
n'auront pas d'autres issues que l'échec. Il ajoute que l'exploitation
et la négligence des masses rurales que l'on écarte injustement
de la confection et de la réalisation des projets en leur faveur au nom
d'un hypothétique illettrisme est un frein pour le
développement.
Il poursuit dans Quand l'Etat pénètre en
brousse... : les ripostes paysannes à la crise (1990), en
stigmatisant les partis uniques imposés par les dirigeants politiques
depuis les années soixante pour étouffer toute tentative de
démocratisation ou de révolte tout en utilisant le travail et les
efforts des paysans pour assouvir les caprices des gouvernants. Aussi,
ajoute-til que les cultures commerciales ont fragilisé un tissu
économique et social certes précaire, mais qui était
fondé sur des pratiques ancestrales et empiriques ayant fait leurs
preuves. Il garde toutefois espoir dans le dynamisme du paysan africain en
prévenant que l'épanouissement réel de ce dernier passe
par une liberté pouvant ouvrir la voie à l'expression de sa
créativité, à l'organisation des associations et
groupements villageois qui doivent constituer les bases de canalisation des
forces et qui deviennent du coup les acteurs des changements dans les milieux
ruraux.
C'est dans cette logique qu'aborde HARRISON P. (1991) dans
Une Afrique verte, un document écrit au terme
d'une enquête réalisée au profit de l'institut
international de l'environnement et de l'USAID qui a financé le projet.
L'auteur, chargé de cours à l'université d'Ifè au
Nigeria a visité seize projets, quatre grands centres internationaux
dans six pays différents. Il en ressort donc que les « projets
réussis » (14%) sont le fait des gouvernants ayant pris la mesure
de l'association des paysans à toute initiative comme au Zimbabwe avec
ce qu'il appelle « le miracle du maïs zimbabwéen » alors
que ceux qui ne le sont pas (86%) résultent de ce qu'on peut appeler les
« copier coller » d'un milieu à un autre. Il dénonce en
outre le «piège de l'aide » qui a maintenu beaucoup de
coordonnateurs de projets dans une situation mesquine qui consiste à
arrêter toute initiative dès que les financements
extérieurs n'arrivent plus.
S'il est quasi certain au regard de ce qui
précède que la promotion du secteur agricole passe
nécessairement par l'association des paysans aux nombreux et
coûteux projets de développement, il n'est pas moins
évident que cela passe aussi par la prise en compte des
réalités physiques de chaque milieu surtout quand il est question
d'opérer des choix de cultures, des types d'habitat et
d'aménagement.
Dans leur article Agriculture de colline et de petite
montagne : Evolution récente des systèmes de production dans une
zone de montagne du Nord Vietnam, district de Cho Dông, province de Bac
Kan, in Agriculture et développement,
(1997), BAL P. et al écrivent que la diversité des
systèmes de production est en rapport avec le relief
caractéristique du milieu. Ainsi, dans le district sud où on
trouve des collines en forme de demi oranges, avec des vallées
étroites, des sols en général profonds et acides, c'est la
pratique de la culture du riz de
submersion qui prévaut au sein des Tay2 qui
y habitent. Par contre, dans le nord, où prédominent des longues
et fortes pentes, des sols alcalins, un substrat calcaire et des reliefs
karstiques, c'est la crise agricole qui est marquée par une agriculture
semi itinérante sur brûlis pratiquée par les
Dao3, du groupe Mao Yao. Ils concluent en disant que la
variabilité des zones agro-écologiques du district de Cho
Dông peut représenter pour les agents d'appui et de
développement une situation complexe. Mais ils ajoutent que « dans
ce contexte, les méthodes de vulgarisation comme les approches des
projets de développement doivent rechercher, en partenariat avec les
paysans, des solutions qui ne peuvent plus se limiter au
transfert des innovations techniques en provenance des plaines.
»
Les conditions physiques sont autant un moteur qu'un frein
dans le développement de toute activité et celui de l'agriculture
en particulier. C'est ce que soutient BETEMA B. (1992) dans son mémoire
de Maîtrise intitulé Nima, un terroir Kotokoli (centre du
Togo),. Dans cet ouvrage, l'auteur relève la
compatibilité entre les conditions physiques et climatiques (milieu de
plaine sous climat tropical soudano-guinnéen) et la pratique de
l'activité agricole sur le terroir de Nima avant de montrer que parfois,
cette même activité peut être soumise à des
aléas climatiques qui entraînent des résultats
désastreux pour les paysans qui n'ont que le fruit de la terre pour
assurer leur survie. Il continue en ouvrant une brèche sur les
difficultés relatives à l'écoulement des produits
agricoles dues soit à la saturation des marchés, soit à
l'impossibilité de rallier des marchés plus grands du fait de
l'absence ou de la praticabilité saisonnière des voies de
communication.
Il en résulte une nouvelle dimension qui vient
s'ajouter au problème de développement des zones rurales. C'est
la dialectique du développement en milieu rural en rapport avec
l'enclavement qui a été abordée par certains auteurs
également. Parmi eux, nous parlerons autant de ceux qui ont juste fait
allusion à ce problème dans un ouvrage que de ceux-là qui
ont consacré toute une étude, article ou ouvrage pour donner un
point de vue ou mieux une approche de solution à ce que tous conviennent
de classer parmi les raisons qui freinent l'évolution du monde rural.
C'est par exemple MERLIN P. (1991) qui, dans son
Espoir pour l'Afrique Noire trouve que le retard de
l'Afrique subsaharienne sur les autres continents dans tous les domaines peut
s'expliquer par l'isolement qui caractérise ses villes et ses campagnes.
Dans ce
2 Du groupe des Thaï, les Tày sont
après les Kinh le groupe le plus important et le plus influant au nord
du Vietnam.
3 Ils représentaient 11% de la population du
district en 1994. Leur présence dans la zone n'est pas datée avec
exactitude mais elle paraît relativement récente.
cadre précis, ajoute-t-il, l'activité agricole
ne peut en rien se développer si les produits récoltés ne
peuvent être écoulés sur d'autres marchés pour
rapporter des devises aux paysans.
Pour GOUROU P. (1982) dans Terre de Bonne
Espérance, l'Afrique Tropicale, les échanges
d'hommes et de marchandises ont toujours joué un rôle
planétaire dans le développement des techniques de production. Ce
fut, dit-il, le cas de l'Europe et de l'Asie, chacun des deux continents
profitant tour à tour des découvertes et des inventions qui se
produisaient dans l'autre alors qu'à l'inverse, la barrière
constituée par le Sahara et des côtes difficiles d'accès a
empêché ou freiné les échanges entre ce monde
eurasiatique très actif et l'Afrique subsaharienne à la
traîne. Il conclut que l'Afrique gagnerait à promouvoir les
échanges avec les autres continents et que cela passe
nécessairement par le développement des voies de communication
à l'échelle internationale.
C'est aussi le point de vu de DUMONT R. (1991) dans
Démocratie pour l'Afrique quand il
démontre qu'il ne peut y avoir de démocratie sans un
développement et que la mise en place d'une meilleure infrastructure de
transport, d'un réseau de pistes desservant tous les villages constitue
un préalable au progrès rapide. Alors, si les paysans doivent
produire plus, il faut leur concéder des prix qui puissent leur
permettre d'acquérir des moyens de transport, des outils de travail du
sol et de récolte plus appropriés. C'est donc de cette
façon que les peuples y compris ceux des milieux ruraux parviendront au
développement et aussi à la démocratie. A défaut,
lorsque dans un pays, le réseau routier est effondré, les paysans
s'en viennent au découragement comme ce fut le cas au Cameroun, en
Tanzanie, au Sénégal et ailleurs en Afrique. C'est en tout cas
l'explication qu'il trouve mais cette fois avec MOTTIN M-F.(1980), à la
situation statique, immobile de ce continent dans leur ouvrage L'Afrique
étranglée.
YATOMBO T. (1994) lui, croit trouver le bâton magique
pour sortir nos milieux de cet immobilisme dans son mémoire de
Maîtrise titré Désenclavement et dynamique de
l'espace rural dans la région des savanes : cas du sous/secteur de
Lotogou lorsqu'il démontre que le désenclavement
réalisé dans ce milieu a introduit une nouvelle dynamique de
développement faisant croître les surfaces cultivées de
plus de 60% entre 1988 et 1992 alors que le nombre de planteurs est
passé de 911 à 1713 soit 88% de croissance dans la même
période. En outre, écrit-il, le taux de scolarisation par le seul
fait du désenclavement a évolué de 26% en 1984 à
53,8% en 1991 et le nombre de marchés d'animation hebdomadaire de 03
à 07. Il en résulte donc une intensification de la vie
économique du milieu après un processus de désenclavement.
Néanmoins, l'auteur évoque et prévient du risque de
l'apparition de nouvelles formes de préoccupations comme la destruction
de l'environnement, l'oisiveté, ...
SEGBOR P. (1990) va plus loin dans son article Transport
et développement au Togo, in Annales de l'Université
du Bénin, série Lettres Tome XI, 1983 - 1991, car il
affirme que le niveau de développement d'un milieu peut
s'apprécier à partir de son réseau routier.
Ainsi, dit-il, celui-ci est à l'image de l'animation
économique et sociale qui y prévaut, elle-même tributaire
de la facilité des populations de rallier les autres villages proches
des centres économiques. Il finit en mentionnant comme en exemple le
fait que les villages proches des centres de distribution économique
connaissent un essor plus important que ceux qui en sont
éloignés.
Au total, il ressort que le développement est
lié à l'amélioration du réseau de chemin et surtout
à sa praticabilité en toute saison. En plus, la prise en compte
des réalités physiques, et culturelles des peuples et du milieu
est un impératif de même que l'association des
bénéficiaires à tout processus de développement.
Mais en tant que terroir, quelles sont les
réalités de Koutougou en rapport avec d'autres terroirs ayant
déjà fait l'objet d'une étude ?
Si les habitants de KOUTOUGOU reconnaissent que les tatas
sont le type de construction qui jusqu'à un passé récent
les individualisait des autres peuples de la région, les Nawdéba
eux, comme le montre KOUDEMA A. (1983) dans son mémoire de
maîtrise titré : La vie rurale dans le canton de Siou.
Exemple du quartier de Birigou, ont pour cadre de vie la case ronde ou
mieux la concession ronde en forme de Soukhala très bien décrite
par DJIMINGAR M. (1983) dans son Terroir Kabyè : MANDELA
Nord-Togo. C'est d'ailleurs ce type d'habitat qu'adoptent de
nos jours les Temberma.
Quant aux systèmes d'exploitation dans le monde rural
en Afrique et au Togo, ils peuvent varier d'une région à une
autre selon les réalités physiques et humaines. ANTHEAUME B.
(1978) puis SAUVAGET C. (1981) dans leurs livres respectifs :
Agbétiko, terroir de la basse vallée du Mono,
Sud-Togo et BOUA, village de Koudè, un terroir
Kabyè, Togo septentrional décrivent la pratique de la
culture intensive qui résulte de la pression démographique et qui
contraste bien avec celle que les habitants de KOUTOUGOU pratiquent. En effet,
la densité de population y étant de 19 hbts/km2, les
Temberma de notre zone d'étude pratiquent plutôt une agriculture
extensive sur brûlis et ce, à cause de la disponibilité des
terres. La seule nuance à apporter est que dans le cas
d'Agbétiko, le Mono et ses dépôts de limon sont un avantage
certain dans la richesse des sols et qu'à Boua, il existe une forme de
fertilisation des sols basée sur les fosses compostières alors
qu'à KOUTOUGOU, les paysans pratiquent encore une jachère qui va
au-delà de cinq ans et plus.
Ainsi, l'environnement étudié ne peut faire
exception à la règle et une étude sur ce terroir doit
pouvoir définir des objectifs pour mieux répondre aux nombreux
défis, attentes et interrogations autour desquels, il est possible
d'envisager son développement. Quels sont les facteurs qui permettent de
cerner au mieux les réalités du terroir de Koutougou en pays
Temberma ? Des objectifs clairs et précis doivent donc être
définis pour mener à bien cette étude qui est
censée rechercher et organiser les données en vue du
développement et de l'épanouissement des populations de notre
zone d'étude et de leur site.
Les objectifs que nous assignons à cette étude
sont de deux ordres. Il s'agit d'un objectif général duquel
découlent des objectifs spécifiques. L'objectif
général est de montrer en quoi l'enclavement de notre zone
constitue un frein à l'épanouissement socio culturel et
économique pour ses habitants. De là, apparaît un autre
beaucoup plus historique et culturel mais non moins important car permettant de
rentabiliser notre travail par les concepteurs du projet de sauvegarde et de
viabilisation du patrimoine Temberma en vigueur dans la préfecture de la
Kéran. En fait, à la veille de la communalisation de nos
campagnes, chacune d'elles doit pouvoir créer des ressources propres
pour assurer son fonctionnement et au-delà, son développement
économique et social. Pour y parvenir, à KOUTOUGOU comme
ailleurs, les développeurs doivent disposer d'études partageant
les réalités de la vie des peuples afin de les prendre en
considération. Comme intérêt pratique donc, nous voudrions
montrer les effets induits de l'abandon des tatas sur l'activité
touristique afin d'apporter au terme d'analyses et de comparaisons avec les
réalités du pays Nadoba, des approches de solutions pour arriver
à définir un programme de développement authentique et
durable au profit du terroir et partant du canton de Koutougou, car en dernier
ressort, tous les programmes de désenclavement, misent sur les richesses
disponibles dans la localité. Quant aux objectifs spécifiques,
ils se présentent comme suit :
- Analyser les réalités physiques du terroir ainsi
que leurs implications sur les
activités des habitants.
- Etudier les modes de vie et de gestion des terres à
KOUTOUGOU.
- Etudier les mouvements de la population de même que le
niveau de vie de
celle-ci.
- Montrer pourquoi ce groupe de Temberma a dû quitter ses
frères pour
s'installer de ce côté de la montagne.
- Evaluer les effets de l'enclavement de KOUTOUGOU sur les
échanges
transfrontaliers qui se développent entre ce milieu et le
Bénin.
- Etudier les relations qu'ils entretiennent avec leurs voisins
Temberma de
Nadoba et Nawdéba puis Lamba de la préfecture de
Doufelgou.
- Faire découvrir les cultures des Temberma de KOUTOUGOU
et leur façon de
concevoir leur isolement.
Pour atteindre ces objectifs et trouver des réponses
aux nombreuses questions soulevées plus haut, nous allons nous servir de
nos observations sur le terrain, de nos expériences vécues et
lues pour poser des hypothèses. A cet effet, nous dégagerons des
hypothèses subsidiaires autour d'une hypothèse centrale. Celle-ci
est la suivante : l'isolement de KOUTOUGOU par rapport au reste du Togo est un
obstacle au développement du milieu et à l'épanouissement
des habitants. Les hypothèses subsidiaires elles, s'articulent selon la
configuration ci-après :
- Les mutations intervenues dans l'habitat des Temberma de
Koutougou est le
résultat d'un brassage avec les populations Lamba,
Kabyè et Nawdéba des préfectures de la Kéran et de
Doufelgou.
- La dynamique de l'habitat a été renforcée
par la disparition de la nécessité de
se défendre ou de faire la guerre puisqu'une des raisons
qui justifiaient l'édification des tatas était d'ordre
sécuritaire.
- La situation du territoire sur un versant est favorable
à l'implantation des
concessions de forme ronde comme en pays Kabyè.
- C'est la recherche de terres plus riches et plus giboyeux qui
a conduit cette
frange du peuple Temberma à essaimer vers le sud de la
chaîne de montagne.
- Les conditions physiques du milieu se prêtent fort bien
à la pratique de
l'agriculture et de l'élevage ainsi qu'aux
systèmes d'exploitation en vigueur sur le terroir.
- L'isolement de KOUTOUGOU est le facteur premier dans la
précarité qui y règne et qui caractérise la vie de
ses populations car il explique non seulement un coût de production
élevé mais aussi des prix de vente très bas.
- L'enclavement, l'unité monétaire et linguistique
sont les facteurs qui militent
en faveur du développement des échanges
commerciaux avec le Bénin.
Comment procéder pour répondre favorablement
aux attentes et collecter les données nécessaires afin de pouvoir
intégrer dans notre analyse les nombreuses préoccupations
inhérentes à l'enclavement de l'univers d'investigation. Il se
dégage à travers les hypothèses
précédées des objectifs assignés à notre
étude, la nécessité de définir une
approche méthodologique qui puisse nous permettre de
collecter les données nécessaires en vue de répondre aux
interrogations et vérifier les hypothèses.
Nous avons mené notre étude sur une base
méthodologique à trois niveaux : la documentation
préexistante, l'enquête de terrain et l'observation
participante.
La documentation préexistante est l'ensemble des
sources de renseignement dont nous avons eu besoin pour mieux circonscrire
notre sujet dans l'espace, dans le temps et dans le débat scientifique
actuel. Outre les cartes, les rapports d'activités de la
Société Togolaise du Coton (SOTOCO) et les documents
généraux ayant trait à notre sujet, nous nous sommes rendu
dans de nombreux services et centres de documentation.
· A la Direction des Statistiques Agricoles, de
l'informatique et de la Documentation (D.S.I.D.), nous avons eu accès
aux données du recensement agricole de 1996 dans un document
édité en avril 1998 en deux séries : SP - Population
agricole et série AA - Population Active.
· A la bibliothèque du centre de documentation
technique du Ministère du Plan, nous avons disposé outre du
schéma directeur de la région de la Kara, d'un atlas du
développement régional au Togo.
· A la Direction Générale des Statistiques et
de la Comptabilité Nationale, nous avons eu accès au
dépouillement des fiches complètes du recensement
général de 1981.
· A la Direction Régionale de la SOTOCO à
Kara et à la Coordination BinahDoufelgou à Niamtougou, plusieurs
informations relatives au niveau de production de coton et à
l'acheminement des intrants nous ont été fournies.
· Dans les bibliothèques universitaires notamment
celle du département de Géographie, celle de la FLESH et à
la bibliothèque centrale, nous avons trouvé outre les
mémoires de nos devanciers, certains articles et autres publications des
enseignants de l'université.
· Au Centre Culturel Français, nous avons
bénéficié de certains documents de géographie
récents introuvables à l'Université.
Nombre de nos informations proviennent également des
recherches sur des sites d'universités étrangères par le
biais de l'Internet.
Toutefois la non prise en compte dans nos recherches
documentaires des photographies aériennes de l'environnement
étudié est due essentiellement au fait que les photos disponibles
mis à part leur échelle trop petite et donc couvrant une zone
trop grande,
sont vieilles de plus de trente ans et ne traduisent pas
nécessairement les réalités actuelles surtout en ce qui
concerne l'occupation des sols. Néanmoins, les quelques
interprétations faites nous ont édifié sur les
réalités physiques.
Par ailleurs, les entretiens que nous avons eus avec certaines
personnes ressources notamment l'ATC de la SOTOCO, le magasinier du groupement
agricole villageois, le chef canton et son secrétaire ont
été des sources indiscutables de données chiffrées
ou historiques. Nous rappelons que ces contacts ont été pris lors
de notre séjour d'une dizaine de jours à KOUTOUGOU entre le 14 et
le 22 octobre 2004, visite que nous avons aussi consacrée à
l'observation passive des faits physiques et humains puis lors de nos travaux
de terrains effectués du 19 août au 02 septembre 2005.
Cette enquête de terrain qui a duré deux semaines
a consisté à administrer un questionnaire à 116 chefs de
ménage soit 40% des chefs de ménage que compte la zone
d'étude. Cet effectif est réparti sur tout le terroir sur la base
indicative des données du tableau n°1 et selon l'importance de la
population des quatre villages pris en compte dans cette étude. Ainsi,
à Koutamagou habité par 792 habitants (39,7% de la population
totale) et donc 115 chefs de ménages, nous avons retenu 46
enquêtés soit 39,7% des enquêtés. Les autres villages
ont eu respectivement 38 (Koutougou), 20 (Lipouli 1) et 13 (Lipouli 2)
enquêtés. Parmi eux, nous avons ciblé dans chaque village
une proportion de 20,7% de femmes.
Cette proportion de femmes est guidée par les
données sociologiques caractéristiques du terroir d'étude.
D'abord le fait d'avoir pensé intégrer des femmes dans notre
échantillon qui devrait se constituer que de chefs de ménage est
dû à notre volonté de ne pas négliger cette couche
qui pourtant est majoritaire dans la population de l'environnement
d'étude. Mais pourquoi seulement 20% ? Nous nous sommes contenté
de cette proportion à cause de la place qui est celle de la femme dans
la société Temberma à KOUTOUGOU. Réduite à
l'exécution des décisions du mari par qui tout peut arriver, elle
ne maîtrise presque pas les données relatives à la vie de
sa société. Ce faisant, celles que nous avons pu interroger ont
un âge compris entre 35 et 55 ans car les plus jeunes, restent encore
sous la protection et la surveillance de leurs époux.
Quant aux hommes, nous avons retenu la tranche d'âge 18
à 55 ans puisque dans cette société, le critère
d'autonomie est jugé par le départ du toit parental ou mieux la
construction de sa propre maison même si cela se réalise à
la périphérie de la concession familiale. Toutefois, on peut se
demander comment sommes-nous arrivé à cet échantillon
alors que notre zone d'étude compte selon les projections
que nous avons faites à partir des données démographiques
existantes environ 2007 habitants en 2005 ?
Voici présentée la fiche technique
d'échantillonnage.
Estimation de la population actuelle à Koutougou :
P2005 = P1981 (0 1 1) ~
Ø : Croissance moyenne nationale: 2,6 %
P1981: Population en 1981
P2005 : Population en 2005
n : Nombre d'années = 24
Calcul du nombre de ménages : Moyenne de la
taille des ménages dans la Kéran : 6,9 Nombre de
ménages = Pop. Totale / 6,9 Déduction du nombre
d'enquêtés par village : Echantillon estimé
à 40 % Nombre d'enquêtés = (Pop. Totale x 40) /
100
Tableau n°1 : Récapitulatif de
l'évolution de la population, du nombre de ménages et
du nombre d'enquêtés par village :
Villages
|
Effectifs
|
Nombre de ménages
|
Nombres d'enquêtés
|
1970
|
1981
|
2005 (estimation)
|
Koutamagou
|
744
|
759
|
792
|
115
|
46
|
Koutougou
|
612
|
624
|
652
|
94
|
38
|
Lipouli 1
|
315
|
322
|
335
|
49
|
20
|
Lipouli 2
|
214
|
218
|
228
|
33
|
12
|
KOUTOUGOU
|
1885
|
1923
|
2007
|
291
|
116
|
Sources : D'après nos calculs à partir des
données recueillies dans Schéma Directeur régional,
édition révisée de 1986, D.R.I.P.
L'échantillon de 116 chefs de ménages a
constitué la population cible à laquelle notre questionnaire a
été administré. Le questionnaire en lui-même
comporte six parties.
La première est purement consacrée à
l'identification de l'enquêté: âge, sexe, personnes à
charge, autochtonie, situation matrimoniale, profession, ....
La deuxième partie devrait contribuer à une
meilleure connaissance des pratiques foncières en cours dans le terroir
notamment les limites du domaine foncier villageois, les modes d'accès
à la terre ainsi que ceux de gestion de ces terres.
Quant à la troisième partie, elle devait combler
les attentes relatives aux pratiques agricoles. Il s'agit là de mieux
apprécier les usages faits des sols à KOUTOUGOU, les
différentes cultures agricoles, la façon et les moyens techniques
et humains mis en oeuvre pour les produire.
Dans une quatrième partie réservée aux
données socio-économiques, nous nous sommes
intéressé à la finalité des produits agricoles et
surtout au type de culture à laquelle les paysans accordent plus
d'importance.
L'historique du terroir et la dynamique de son habitat ont
constitué le cinquième volet de notre questionnaire. Il s'est
agit de mieux appréhender les raisons qui ont conduit à
l'essaimage de ce peuple puis aux transformations qui se remarquent dans son
habitat.
Enfin nous avons consacré la dernière partie de
notre questionnaire à la perception des enquêtés sur la
notion de l'enclavement de même que la manière dont ils le vivent.
Il s'agit entre autres de comprendre la mentalité des habitants de
KOUTOUGOU sur le phénomène qu'ils vivent et qui les
individualisent des autres peuples de la région, puis les pistes de
résolution qu'ils préconisent pour en sortir. Quant à
l'analyse des effets induits par l'enclavement, elle a été rendue
possible par l'utilisation d'un guide d'entretien censé compléter
les travaux de l'enquête proprement dite.
Il faut toutefois ajouter que dans la conception du
questionnaire sus- présenté, nous avons eu recours à un
certain nombre de variables. Ce sont des caractéristiques auxquelles on
assigne des valeurs. Nous en avons adopté dans le cadre de notre
étude deux types :
D'une part les variables indépendantes. Ce sont :
l'âge, le sexe, l'ethnie, le niveau d'instruction et l'état
civil.
Concernant l'âge, nous sommes partis des données
des services des statistiques qui considèrent comme personnes actives
dans le domaine agricole les personnes ayant un âge compris entre
dix-huit et cinquante-cinq ans. Cependant selon les réalités de
la zone d'investigation et surtout compte tenu du statut social des jeunes qui
doivent avoir leur propre
logis avant de bénéficier de leur autonomie
d'action, de même que celui des personnes âgées qui à
défaut de support pratiquent les activités agricoles
jusqu'à un âge très avancé, nous avons retenus la
tranche d'âge 15 à 60 ans. Cette catégorie de personnes est
celle dont l'activité est déterminante dans la vie sociale et
économique de notre terroir d'étude. C'est à cet âge
qu'on devient responsable et indépendant au point de prendre des
décisions concernant la gestion du foyer et des parcelles
cultivées.
Le sexe quant à lui est dans nos sociétés
traditionnelles un facteur de différenciation important. Il nous a
semblé utile de l'inscrire au nombre des variables indépendantes.
En effet, à Koutougou comme ailleurs en Afrique, les travaux qui
requièrent l'usage de la force et les prises de décisions
incombent aux hommes alors que les femmes se contentent de petits travaux
champêtres. Elles s'adonnent aux attributions spécifiques à
une épouse.
L'ethnie est aussi une variable indépendante, parce que
la plupart de nos contrées regorgent de populations allochtones. A
KOUTOUGOU, cette réalité est moins apparente puisqu'on y compte
que 3,5% de foyers allochtones. Quoique vivant dans un milieu autre que le
leur, les ménages allochtones conservent certains procédés
et certaines techniques de leur milieu d'origine. Il en résulte une
dimension sociologique qui s'exprime à travers une
différenciation qui s'observe au niveau des moyens de production, des
techniques culturales, de la façon de concevoir la réalité
de l'enclavement et surtout d'appréhender celle de la dynamique de
l'habitat. C'est ce qui justifie l'inscription de cette donnée au nombre
des variables indépendantes.
La prise en compte du niveau d'instruction est le
résultat du fait que dans le monde paysan, il détermine sans
aucun doute les choix culturaux et surtout la facilité ou la
réticence avec laquelle les producteurs acceptent les innovations.
D'autre part nous y avons inscrit les variables
dépendantes. Elles sont celles dont l'option est liée avec
d'autres. Il s'agit entre autres des activités rurales, des techniques
culturales et de l'état du ménage.
Concernant les activités rurales, nous
préciserons seulement que le labeur est souvent relatif à
l'âge du paysan. La tranche d'âge 15-60 ans est la plus active
économiquement alors que les personnes âgées sont
très peu rentables à l'instar des moins de 15 ans.
Néanmoins, si l'agriculture reste la principale activité, elle
est toujours associée de l'avis de 89% de nos enquêtés,
à une autre comme l'élevage.
Tout comme la variable ethnique, les techniques culturales
varient mais s'interpénètrent. Certaines disparaissent au profit
d'autres et ce, compte tenu des réalités physiques du milieu qui
les abrite. On parlera entre autres des Kabyè qui y ont abandonné
la culture en terrasse pour adopter la culture sur brûlis qui se pratique
dans le milieu d'investigation. Le faible taux de rotation de cultures (3,4%)
est enregistré auprès des populations allochtones.
L'état des ménages est un indicateur important
surtout que nous nous fixons pour finalité de montrer l'impact de la
production agricole sur le niveau de vie des populations de même que
l'effet qu'a l'isolement sur cette dernière. Ainsi, le nombre des
membres d'une famille est déterminant dans les choix de l'habitat et de
la taille de l'exploitation effectués par le chef de ménage.
Ce questionnaire ainsi décrit a été
administré comme nous l'avions dit plus haut à un
échantillon représentatif de 40% des chefs de ménage
tirés par hasard à partir des chiffres de la population du
recensement général de 1981 que nous avons actualisés soit
à 116 chefs de ménages dont 24 femmes. L'administration du
questionnaire s'est faite avec l'aide d'un étudiant en quatrième
année de Géographie avec qui nous avons formé
équipe en vue des travaux de terrain.
Pour gagner du temps, nous avons fait faire un
dépouillement assisté à l'ordinateur après
naturellement avoir fait codé le questionnaire. Le logiciel
utilisé est le SPSS 10.0 avec un nombre de lignes dans le fichier de
travail évalué à cent seize et celui des valeurs
autorisées à 18 724.
Qu'en est-il alors de la troisième phase de notre
méthodologie ?
L'observation participante dont il est question s'est faite
essentiellement au cours de nos visites et séjours dans la
localité puisque durant nos travaux nous avons vécu soit chez un
habitant soit comme dans le cas du dernier séjour chez le chef canton.
Elle a permis entre autres de bien comprendre l'organisation de la cellule
familiale et la hiérarchie sociale chez les Temberma et les principes
qui régissent la célébration de certains cultes ainsi que
de certaines fêtes traditionnelles.
En tout état de cause, des difficultés n'ont pas
manqué de surgir à un moment ou à un autre de notre
travail. Certes elles sont sérieuses mais elles n'ont en rien
ébranlé notre détermination. Bien au contraire, elles
constituent pour nous le péril grâce auquel notre triomphe sera
glorieux.
En premier lieu, la difficulté majeure reste celle de
la communication et est relative aux contradictions qui peuvent se rencontrer
lors de l'utilisation des sources orales. En effet certains de nos
interlocuteurs nous ont fourni des informations dont le contenu a varié
d'un jour à l'autre ou mieux d'une visite à l'autre.
Par ailleurs, nous avons souffert de la disponibilité
des paysans à répondre à nos questions. La raison est que
nos travaux ont été effectués soit en période des
pluies et donc en pleine activité des champs, soit au cours des
périodes consacrées aux cérémonies traditionnelles
et au cours desquelles, les jeunes sont interdits de frotter avec « le
monde ambiant ».
L'autre aspect des difficultés reste
l'éloignement de l'environnement étudié par rapport
à notre lieu de résidence. Cette situation ne nous a pas
aidé dans la collecte de certaines informations. Notre souhait de
pouvoir apprécier le niveau d'eau dans la Kéran pendant la
période d'étiage en a souffert.
Au demeurant, il en résulte un travail qui sera
présenté en trois parties outre l'introduction
générale qui intègre le cadre conceptuel et
méthodologique et la conclusion générale qui résume
les résultats auxquels nous sommes parvenus.
D'abord le cadre physique et humain qui, outre l'aperçu
géographique et le milieu naturel, traite du couvert
végétal et des données humaines. Cette partie
présente notamment les réalités physiques de notre zone
d'étude de même que les aspects relatifs au peuplement, son
histoire, son évolution et son organisation actuelle. Nous
déboucherons ainsi sur la caractérisation physique et humaine du
terroir étudié.
Il sera ensuite question de l'espace agraire dans le terroir
de Koutougou. C'est ici que nous présenterons entre autre la
problématique foncière, la dynamique agricole, les types de
cultures ainsi que les différentes activités économiques
qui se déroulent dans le milieu. Notre étude ayant
privilégié le concept de terroir, nous préciserons ici les
différents traits qui l'individualisent par rapport aux autres
contrées Temberma ou Lamba de la région.
Nous étudierons enfin l'enclavement dans toutes ses
dimensions avec tous ses effets induits sur la vie des habitants de KOUTOUGOU.
Ainsi, après avoir fait état de la faiblesse des infrastructures
de transport, nous évoquerons les contraintes d'ordre moral, social,
culturel et surtout économique liées au fait de l'isolement. Il
sera aussi question de décrire les manifestations concrètes de ce
phénomène sur les activités économiques et sociales
en rapport avec les autres contrées de la zone d'étude. Une
évaluation des prix des intrants, un inventaire
des outils de travail et les opportunités de main d'oeuvre
vont constituer des indicateurs d'analyse du coût de production
élevé qui caractérise l'univers géographique
étudié.
Il sera question de montrer :
- la nécessité de désenclaver ce milieu de
laboureurs qui travaillent beaucoup plus pour
ravitailler le Bénin voisin alors qu'ils
bénéficient entièrement d'un approvisionnement en intrants
de la part des services d'encadrement paysan du Togo.
- qu'un tel processus sera d'un grand intérêt non
seulement pour les populations de
KOUTOUGOU qui pourront voir leur coût de production
baisser et les prix de vente de leurs produits s'élever mais aussi pour
le reste du territoire togolais qui profitera ainsi d'un grenier
céréalier supplémentaire puis d'un site touristique.
- que l'existence de potentialités physiques
(vallée exploitable et pistes à aménagées...)
et humaines (population prête à participer aux
efforts de désenclavement) est une évidence dans un milieu
où l'enclavement est plutôt perçu comme une réelle
volonté pure des pouvoirs publics d'isoler tout un peuple.
Tous les atouts du milieu couplés des
possibilités existantes constituent des raisons valables qui justifient
la nécessité d'enclencher un processus de désenclavement
au profit de notre terroir d'étude.
Comment se présente le cadre physique dans lequel se
déroule la vie des Temberma de KOUTOUGOU et se pratiquent leurs
activités ? Quelles sont les réalités humaines de ce site
et comment sa population y perçoit les mutations qui s'y opèrent
dans le temps et dans l'espace ? Bref comment pouvons-nous percevoir dans la
zone d'investigation l'interface homme-milieu ?
Ce sont entre autres, les préoccupations auxquelles le
premier chapitre intitulé cadre physique et humain tentera de
répondre.
CHAPITRE 1
CADRE PHYSIQUE ET HUMAIN
A KOUTOUGOU comme dans tout espace géographique, des
réalités physiques et humaines existent et il convient de les
étudier afin de mieux comprendre notre environnement d'investigation. De
la présentation de l'aperçu géographique à celle
d'une zone faiblement peuplée en passant par un bref exposé sur
le milieu naturel, la flore et la végétation, nous
dégagerons les grands traits qui caractérisent ce terroir
enserré dans la Kéran et expliquerons dans certaines mesures
l'organisation de la vie.
1.1- APERÇU GEOGRAPHIQUE
Koutougou est situé dans la région de la Kara au
nord du Togo. La région de la Kara, unité administrative de
création relativement récente surtout dans sa composition
actuelle (créée en 1968 et réaménagée par la
loi n° 81/9 du 23 juin 1981), est située entre 9°25 et
10°10 de latitude Nord et 0°15 et 1°30 de longitude Est. Elle
couvre une superficie de 11 629 km2 soit 20,50% du territoire
national togolais.
La région de la Kara présente une morphologie
très irrégulière avec un relief constitué par une
alternance de plaines et de vallées, de plateaux, dominés par de
vieux massifs accidentés aux aspects assez contrastés, et, le
plus souvent dénudés de végétation.
Néanmoins, deux ensembles géomorphologiques se
dégagent.
D'une part les surfaces planes de la vallée de l'Oti,
véritable glacis polygénique entaillé par une reprise
d'érosion récente. Les pentes y sont faibles (3% sur des
distances de 6 Km) mais plus importantes à l'approche des versants de
l'Oti (3 à 5%). En fait, ce sont des terrains tendres
sédimentaires, non métamorphiques, quasi-horizontaux appartenant
au groupe supratillitique du Voltaïen moyen. Ils sont constitués de
shales gris-vert et silistones argileux, de grès argileux
verdâtres, d'argilites comme celles qui s'étendent de Mango
à Gando, le tout reposant sur une discordance de ravinement glaciaire.
On y rencontre aussi dans les environs de Kabou (pays Bassar), des couches
issues de la série du Buem fortement métamorphisées
évoluant vers des schistes plus ou moins gréseux ainsi que celles
fortement altérées avec leur teinte jaunâtre quelques fois
masquées par des terrains de couverture peu épais mais
très étendus. La nature imperméable de la
roche-mère, la faiblesse de la fissuration et de la fracturation, ne
permettent pas le stockage de l'eau. Les cours d'eau constituent donc le seul
moyen d'approvisionnement en eau sur de vastes superficies d'autant plus que le
réseau hydrographique, en dépit de la faible extension de l'Oti
dans la région est dense du fait de la présence des affluents
comme le Mô, Kankassi, Katcha.... qui découpent la plaine.
D'autre part, on retrouve les reliefs orientaux qui sont
essentiellement subdivisés en trois sous-ensembles. L'unité
structurale de la plaine Benino-togolaise, les formations de l'Atakorien et les
schistes de Kantè.
Les roches de l'unité structurale Benino-togolaise sont
des formations d'âges diversifiés qui ont été
métamorphisées il y a environ 550 millions d'années suite
à l'orogenèse panafricaine. On y distingue facilement
l'orthogneiss de Kara avec ses trois faciès pétrographiques (les
micaschistes mésocrates du piémont nord-est de l'Atakora, les
gneiss mésocrates de Pya et les granites leucocrates le long des cours
d'eau comme la Binah, Kpélou et la Kara) et le complexe Kabyè
formant un ensemble individualisé caractérisé par un
alignement de collines au relief accusé et s'étendant du sud au
nord notamment, LamaKouméa (779 m), Sirka (602 m),
Farendè-Pessaré (679 m) et Boufalé-Solla (558 m). Il date
aussi de la tectonique panafricaine (550 millions d'années) et constitue
un bloc rigide avec un empilement de grandes écailles chevauchant vers
l'ouest et le sud-ouest. Par ailleurs, il faut noter la présence d'un
ensemble de plateaux indurés (glacis latéritiques)
s'étendant au nord de Solla, dans le secteur central de
Kouméa-Pagouda-Kétao et Kétao-Sirka.
Quant aux formations de l'Atakorien, elles commencent à
partir de l'escarpement de 350 à 400 m et correspondent aux Monts du
Togo (Atakora au Bénin). Ce sont des roches dures formées pour la
plupart de quartzites et de grès-quartzites allant du sud de la Kara
où elles se présentent sous la forme d'une plaine alluviale aux
monts Djamdè, Tabalo (625 m) beaucoup plus contrastés. Elles
progressent diagonalement vers le Bénin avec des altitudes quelque fois
très élevées (600 à 650 m).
Enfin, les schistes de Kantè ont des limites
imprécises mais s'étalent entre les plaines de l'Oti et
l'Atakora. C'est un paysage de collines arrondies séparées par de
petites plaines formées de séritoschistes gréseux (roche
grise finement litée de faciès vulcano-sédimentaire). Avec
des pendages autour de 45° et parfois 75 - 80°, ces couches sont
fortement plissées parachevées au nord par un relief tabulaire du
plateau de Koumongou (réserve de la Kéran), fossilisée par
une cuirasse avec de très faibles pentes. C'est sur cet ensemble
géomorphologique que se situe la préfecture de la Kéran,
une des six que compte la région de la Kara depuis 1981.
La préfecture de la Kéran qui a pour chef-lieu
Kantè, couvre une superficie de 1 660 Km2 et compte de nos
jours neuf cantons. Il s'agit de : Atalotè, Kantè, Koutougou,
Nadoba, Pessidè puis Helota, Ossacré, Warengo et Akpontè
de création plus récente.
Le pays Temberma lui, s'étend sur les cantons de
Nadoba, Warengo et Koutougou, l'équivalent de 294 Km2 soit
environ 18% de la superficie totale de la Préfecture. Il se situe
dans toute la partie Est de la préfecture et forme la
frontière togolaise avec le Bénin. Cette zone est habitée
à plus de 90% par les Temberma ou Bessourbe, du groupe
Para-gourma, groupe linguistique très fréquent dans la
région septentrionale du Togo et duquel proviennent les Bassar, les
Konkomba, les Tchokossi... En 1981, on comptait environ 11 899 Temberma dans la
région de la Kara dont 10 752 au niveau préfectoral.
C'est dans l'étendue de cette zone que se situe le
canton de Koutougou, qui couvre 112 Km2 et est habité par 2
095 et 2 137 individus respectivement en 1970 et 1981. Aujourd'hui on les
estime à 2 647 et on pense qu'ils seront 2 684 en 2006. C'est une
entité administrative qui comprend sur la base de la figure 2,
les villages de Koutapa, Koutchatougou, Kouya-Kougou, Koutantagou,
Tapountè Koutamagou, Lipouli 1, Lipouli 2 et Koutougou qui en est le
chef-lieu.
Ces villages, quoique du même ressort administratif
connaissent des héritages différents autant dans leur situation
géographique que dans leurs réalités culturelles et
socioéconomiques.
Certains villages situés sur le flanc de la
chaîne de l'Atakora (cas de Koutapa, KouyaKougou et Koutantagou) ou sur
la rive nord de la Kéran à proximité du canton de
Tchitchira dans la préfecture de Doufelgou (cas de Tapountè), ont
un accès facile au monde environnant. D'autres par contre se distinguent
par leur situation plutôt sur les versants ou dans la plaine,
coincés entre la chaîne de l'Atakora au nord et la Kéran au
sud comme indiqué sur la figure 3 relative à la position
des villages étudiés. Ce sont eux qui, en vertu de leur position
géographique à laquelle s'ajoutent d'autres liens
inhérents à la langue et aux pratiques foncières puis
agricoles, forment le terroir de Koutougou, espace géographique sur
lequel se déroule notre étude. Ce terroir, comme tout espace
géographique se spécifie par toute une diversité de
réalités physiques et humaines.
34000
50000
48000
46000
44000
40000
38000
36000
4200029
N Fig. 2: Situation géographique de la
zone d'étude
11 18000
#
Kouya - Tougou
#
1116000
Koptapa
Koumagou
luli
1
CANTON DE NADOBA
1114000
luli 2
KOUTOUGOU
%U # #þ
1112000
Ta4ounté
1110000
Koutougou Sola
1104000
PREFECTURE DE DOUFELGOU
1 104000 1106000 HOMO 1 110000 1112000 1114000 1116000
1118000
1106000
1104000
34000
50000
48000
46000
44000
42000
40000
38000
36000
LEGENDE
þ#
Limites de Préfecture
Village étudié
# KOUTOUGOU
Cours d'eau permanent
#
Autres localités
Cours d'eau saisonnier
%U Chef lieu de Canton
Limites de Canton
Limites d'Etat
Route secondaire
Zone d'étude
Limites de Canton
0.6 0 0.6 1.2 1.8 2.4 3 3.6 Kilometers
Source: NOYOULEWA A. (2005), d'après les
données recueilies dans Cartographie Censitaire, DSID, 1996.
0°45'
1°00'
1°15'
0°45'
1°00'
1°15'
þ# Village étudié
Zone d'étude
# Chef lieu de Canton
% Chef lieu de Préfecture
# Autres localités
Supérieur à 500m 400 à 500m Inférieur
à 400m
Route bitumée Route secondaire Limites d'Etat
Limites de Préfecture
N
KOKOU TAMBERMA
#
#
#
WARENGO
#
Koutantagou
#
Kouya - Kougou
#
Koutamagou
OSSACRE
þ# #
Koutapa
#
#
Lipouli 1
þ##
KOUTOUGOU
Lipouli 2
þ# #
þ# #
Tapounté
#
KPESSIDE
#
Koutougou Sola
#
KANTE
% # #
ATALOTE
#
HELOTA
#
Hélota
#
745' 10'00' 10'15'
10°15'
10°00'
7 45'
Naboulgou NADOBA
Nadoba
#
FIG 3 : Relief de la zona'étude par rapport
à celui de l'ensemble de la Préfecture de la
Kéran
LEGENDE
Source : NOYOULEWA A. (2005), sur la base
dela carte topographique, feuille Kara au 1/200 000.
3 0 3 6 9 12 15 Kilometers
31
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