PLAN DU MEMOIRE
Préface
Introduction
? Aspect méthodologique pour l'élaboration du
Mémoire de recherche
A/-CONSTITUTION ET PRESENTATION DU FEMINISME ISLAMIQUE
1/ Le féminisme islamique: Un militantisme contre la
domination masculine...
? A travers une réinterprétation des textes
religieux: « L'ijtihad »
? Prolifération et renforcement de ce mouvement:
Interprétation des textes religieux à la
lumière des valeurs républicaines: Revendication de
l'égalité et de leur spécificité religieuse.
2/ Un féminisme musulman ou un féminisme en terre
d'Islam?...
. Questionnement sur la dichotomie Orient/ Occident ? Analyse
des critiques et des discours sur la religion, les femmes et les droits
? Féminisme laïque et féminisme islamique :
deux courants différents mais une même motivation et faisant face
à des critiques similaires.
B/-FIGURES DE FEMINISTES MUSULMANES: 1/-Itinéraire et
parcours intellectuels de ces femmes engagées:
. Fatima Mernissi
Approche sociologique: La sexualité de la femme
musulmane comme socle de l'ordre social
traditionnel en terre d'islam.
. Irshad Manji
Une lutte moderniste pour un renouveau islamique.
. Amina Wadud
Un islam au féminin vu par une convertie , une lutte
pour une nouvelle lecture du coran
. Shahla Sherkat
Grande figure du féminisme islamique, quand ces
revendications soutiennent une totale réforme
politiquo-religieuse.
2/- Des postures différentes adoptées par ces
femmes:
? Quelle est l'attitude légitime à adopter?
Être féministe et musulmane: La question du regard
et de l'opinion publique sur cette posture intellectuelle.
CONCLUSION:
Comment maintenir une spécificité culturelle en
appliquant des concepts de droits humains universels?
Des droits dits occidentaux donc rejetés: Un
prétexte pour perpétuer la domination masculine en terre
d'islam?
SOMMAIRE
PLAN DU MEMOIRE
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i
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SOMMAIRE
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iii
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PREFACE
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- 1 -
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Méthodologie et Limites
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- 2 -
|
Introduction
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- 4 -
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A/- Constitution et représentation du féminisme
Islamique
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- 8 -
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1/-Le féminisme islamique : un militantisme contre la
domination masculine...
|
- 8 -
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2/-un féminisme musulman ou un féminisme en terre
d'islam
|
- 15 -
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B/-Figures de féministes musulmanes
|
- 23 -
|
Des postures différentes adoptées par ces femmes
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- 47 -
|
Conclusion
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- 52 -
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Bibliographie
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- 55 -
|
Remerciements
|
- 57 -
|
Résume
|
- 58 -
|
PREFACE
Le thème de recherche pour ce mémoire se
penche sur un sujet qui alimente encore les débats aujourd'hui et est au
centre des polémiques: L'islam et la situation des femmes. Le
Mémoire de recherche interroge plus particulièrement les
mouvements féministes islamiques reflétant cette fusion entre
modernité et anciennes valeurs islamiques. Comment ces mouvements,
aujourd'hui nés des transformations politiques et des bouleversements
sociaux, dessinent un nouveau paysage pour ces femmes qui tentent de rallier
religion et valeurs politique contemporaines.
L'islam étant une religion souvent associé
à une force opprimante et assujettissant les femmes au pouvoir
patriarcale, devient ici une arme luttant pour l'égalité des
sexes et une source sacrée pour ces femmes afin de revendiquer leurs
droits. C'est ainsi que se forme l'intérêt de cette étude
brisant un a priori mais aussi une manière de voir les réels
dessous sociologiques et culturels qui maintiennent le patriarcat concernant la
situation des femmes musulmanes: Est ce une question politique? Historique ? Ou
s'agit-il d'un pouvoir légitimé inconsciemment par les
populations concernées?
Ce sont donc les remises en causes profondes des
mouvements féministes islamiques qui nous permettrons de comprendre au
mieux les mécanismes qui favorisent cette place particulière
qu'occupent les femmes musulmanes dans les sociétés mais aussi
dans les esprits.
METHODOLOGIE ET LIMITES
Lorsque j'ai choisi ce sujet de recherche à savoir le
féminisme islamique, ce fut le fruit d'une réflexion au cours de
laquelle s'est constitué ce choix. J'ai commencé par
m'intéresser aux femmes et à la politique dans un pays arabe,
plus précisément la Mauritanie dont je suis originaire.
Puis après quelques lectures sur la place de la femme
en politique et en me focalisant sur des pays arabo-islamique, l'idée
d'une lutte pour l'égalité de ces femmes m'a amené
à réfléchir sur les mouvements féministes
islamiques. Ainsi, mon objet de recherche s'est constitué au fur et
à mesure de mes lectures et de mes recherches autour de la femme
musulmane et de son engagement dans la sphère politique et publique. Le
mouvement qui reflète selon moi la parfaite combinaison de cette posture
est celui du féminisme musulman qui se développe justement depuis
une vingtaine d'années mais qui prend ses racines à une
époque plus lointaine et qui a été soutenu au
départ par des motivations nationalistes.
Étudier les mouvements féministes en eux
même dans un cadre d'une enquête sociologique implique d'entrer en
contact avec des groupes et des personnes engagées dans de tels
mouvements, or ces groupements sont situés au Maghreb et dans d'autres
pays musulmans. J'aurais pu me pencher pour l'élaboration de ce
Mémoire sur un pays et enquêter auprès de ces femmes
engagées, mais étant donné que je suis en France et qu'il
faut se rendre à un autre pays pour être sur le terrain, j'ai du
abandonner cette idée pour des raisons de faisabilités. C'est
ainsi que j'ai abordé ce sujet sous un angle d'approche ne
nécessitant pas une présence sur le terrain mais qui demande des
recherches bibliographiques et une analyse des discours des femmes
concernées par ces mouvements. C'est ainsi que je me suis
intéressé à l'élaboration d'un travail qui regroupe
l'état actuel du féminisme islamique de manière
général (son origine, son Histoire, ses différents
discours ainsi que leur socle commun) ; puis dans un second temps tenter de
retracer le parcours de quelques grandes figures de féministes
musulmanes afin de comprendre leurs réelles motivations: leur parcours
social et intellectuel révèleraient selon moi des
réalités nous permettant de comprendre leur lutte.
C'est donc un Mémoire bibliographique rassemblant les
données essentielles sur ce type de mouvements et de mobilisations qui a
encore du mal à asseoir sa place.
Même si mon mémoire de recherche est un
mémoire bibliographique, la place de l'observation, du regard
porté sur la réalité sociale est central. On pourrait
même parler d'observation participante dans la mesure où mon sujet
de recherche est intimement lié à mes convictions personnelles.
De plus ma posture d'enquêteur se confond parfois avec les idées
annoncées par les figures féminines que j'analyse. En effet me
considérant comme étant féministe et de confession
musulmane, le féminisme musulman et ses portes parole entre en jeu avec
ma propre perception des choses. D'une manière empirique je vis ce que
c'est qu'être féministe et musulmane ; de part les multiples
situations dans lesquels j'ai du défendre des idées
féministes fondées sur les écrits religieux islamiques ou
plus simplement en tant que musulmane.
C'est à partir de l'observation des réactions
qu'ont pu suscitées mes propres idées mais aussi ceux auxquels
ces femmes militantes ont été confrontées) qu'une
réflexion sur l'image véhiculée par le féminisme
islamique s'imposa à moi et me sembla nécessaire. Se pencher sur
les portes paroles de ce courant et l'Histoire de ce mouvement est une
manière de comprendre les mécanismes qui soutiennent les
incessants débats et controverses concernant ce renouveau
féministe.
Cette étude étant bibliographique, il n'y a pas
de terrains d'observation précis à travers lesquelles j'aurais pu
faire des entretiens mais comme nous l'avons précisé c'est un
mémoire qui vise plus à construire un cadre théorique afin
d'appuyer une réflexion plus profonde l'an prochain en Master 2
recherche reprenant cette thématique de recherche. En effet, l'aspect
ethnologique (impliquant une observation directe et des entretiens) pour ce
mémoire se limitera à l'analyse ( l'observation) globale de
l'actualité et l'analyse de l'opinion publique. Mon expérience
personnelle a servit également de point d'appuis dans la façon
d'aborder cette étude.
INTRODUCTION
Femmes et Islam voila deux termes suffisant à eux seuls
pour nous rappeler les innombrables débats dont ils furent l'objet, les
idées reçues, mais aussi les luttes et les tournants historiques
qui ont découlé de cette question du genre en Islam.
L'intérêt sociologique ici serait pour nous de déconstruire
les conceptions que les uns et les autres se font de la femme dans le monde
musulman et de tenter de comprendre la réelle relation qu'entretiennent
les femmes avec l'Islam. Analyser les mouvements féministes islamiques
en passant par un travail d'historicisation de la question nous permettra de
comprendre l'état actuel de la situation des femmes dans le monde
arabo-musulman. Le féminisme islamique est le reflet parfait de cette
confrontation entre le monde moderne laïque et une culture religieuse
« archaïque ». La rencontre de ces deux mondes au sein de ces
mouvements aujourd'hui nous permet d'entrevoir les dessous sociologiques,
politiques et historiques qui régissent les motivations de ces
femmes.
Nous savons que partout dans le monde, le patriarcat
régit le fonctionnement des sociétés tant au niveau
politique qu'économique, le pouvoir est entre les mains des hommes en
occident oi l'Islam n'est pas la religion d'État. Ainsi, les
mécanismes qui soutiennent la domination masculine ne sont pas
imputés à une religion en particulier mais bien à un
système qui perdure depuis des siècles. Et c'est dans cet
état d'esprit que nous devons tenter de comprendre ce qui rend la femme
musulmane aujourd'hui au coeur des débats féministes et des
discours luttant contre la discrimination.
Le retour à une réalité bien plus
complexe auprès de ces femmes nous permet de voir le rapport qui existe
entre la religion et le Droit dans nos sociétés actuelles. Ce qui
nous permettra également d'entrevoir oi est aujourd'hui la place de la
religion dans les mobilisations sociales. La laïcisation des institutions
politiques tend t-elle à homogénéiser les populations de
manière à ne plus prendre en compte des revendications d'un
groupe dit « religieux ? ».
En nous intéressant ici au cas des femmes musulmanes,
cette étude nous invite à réfléchir sur un
débat plus large qui porte sur la place des femmes et leur rôle
dans la transformation des sociétés contemporaines, mais aussi
sur la place des religions dans ces évolutions. Ceci dit, nous allons
nous contenter d'étudier le féminisme islamique qui nous
apportera sans doute des éléments de réponse à ces
problématiques plus larges que nous venons de citer.
Le féminisme en tant que tel s'est développé
plus ou moins à l'échelle mondial avec l'arrivée des
notions universelles des droits de l'homme et du citoyen. Avec
l'émergence de concepts défendant
les droits de l'Homme et aspirant à
l'amélioration des conditions de vie humaine, le féminisme
constitue ainsi un mouvement en continuité logique avec ces
bouleversements sociaux-politiques qu'a connu le monde au cours de ces deux
derniers siècles.
La particularité de ce courant de pensée c'est
qu'il s'est développé dans des endroits différents
à des époques différentes avec des logiques variant d'une
région à une autre. En ce sens, il n'y a pas « un
féminisme » mais des féminismes propres aux
différentes nations dans lesquels ils émergent. Cette
pluralité s'explique par des besoins, des demandes, une Histoire et une
culture qui varie selon les sociétés. Ainsi, le féminisme
religieux (islamique, judaïque, protestant,...) ne s'oppose pas aux
principes républicains universels mais constitue un autre volet de cette
vague prônant les valeurs démocratiques mais qui s'inscrit dans
l'identité propre à ces différents groupes ethniques. Le
féminisme laïque ou protestant ne se fonde pas sur la même
idéologie pour défendre leurs intérêts mais ont
comme point commun de revendiquer l'égalité et une
amélioration de la condition féminine.
D'un point de vue historique, les premières
révolutions politiques et intellectuelles tendant vers les droits
humains ont émergé en Occident, d'où une association
automatique entre tout mouvement social revendicatif avec l'ère
culturelle occidentale.
Des révolutions qui se sont construites sur le
modèle de la séparation entre le religieux et le politique: une
laïcisation de la question politique. Ces principes n'ont vu le jour que
suite à une lutte contre le despotisme religieux. Ce point vient appuyer
cette dichotomie entre le religieux et les droits humains voir entre la
démocratie et la religion : c'est ainsi que se maintient cette
conception d'une impossible association de ces deux sphères.
En partant de ce constat, ceci nous amène à
réfléchir sur la condition et le statut d'un mouvement tel que le
féminisme islamique et dans un autre sens sur ce que être
féministe et musulmane: qu'est ce que ce statut implique socialement
dans un monde où la modernité rime avec laïcité.
Pour élucider cette idée d'identité
rendue complexe par l'état d'esprit prédominant dans nos
sociétés: il serait intéressant de se pencher sur ce qu'il
en est aujourd'hui de ce mouvement s'étendant à peu prés
à tous les continents ainsi que ses portes paroles. Analyser ces
postures et les discours tenus par ces femmes nous révèlerait les
différentes manières dont peuvent s'articuler le féminisme
et l'Islam.
C'est que le propre de notre propos tourne autour de ce
questionnement central: en quoi l'engagement de ces femmes illustre t'il une
relation complexe entre le religieux et la modernité laïque? V
a-t-il une posture légitime à adopter dans une lutte
féministe et religieuse à la fois?
C'est ainsi qu'il serait intéressant de se pencher sur
ces discours qui se situent entre ces deux volet, formant un pont reliant les
valeurs démocratiques modernes ( avec tous les facteurs
sociauxpolitiques qu'ils impliquent) aux prérogatives d'une religion.
Le mouvement du féminisme islamique tend à
s'institutionnaliser aujourd'hui et prend de plus en plus de place dans les
débats sur l'égalité hommes-femmes au sein des pays
musulmans.
Le premier Congrès International sur le
féminisme musulman à été organisé à
Barcelone du 27 au 29 octobre 2005 par la Junta Islamica Catalan (avec le
soutien du Centre de Catalogne de l'Unesco) à Barcelone. Des hommes et
des femmes appartenant à la communauté musulmane sont venus du
monde entier pour débattre d'un Islam libéral, égalitaire
et émancipateur. Ceci compte tenu bien entendu des différences
sociales et politiques que représente la pluralité des pays
concernés.
Naissance du féminisme islamique:
Le terme de "féminisme musulman" a vu le jour au
début des années 1990 principalement par des femmes iraniennes,
laïques et féministes. Ces femmes expatriées ont
participé à l'émergence d'un mouvement, depuis les
années 1980, qui reformulaient les problématiques
féministes à l'intérieur du paradigme islamique. Outre
l'Iran, cette expression circulait oralement en Afrique du Sud ( Shamima
Shaikh), en Égypte, en Turquie, et dans les pays occidentaux. C'est un
nouveau discours qui fut formulé au début par ces militantes
iraniennes à travers un journal intitulé « Zanan »
(« Femmes »). Un débat s'est ouvert autour de plusieurs
questions: l'Islam est il compatible avec le féminisme? Est-il possible
de parler de féminisme dans le cadre d'un discours musulman? Le
féminisme musulman est il une solution de rechange au fondamentalisme ou
est-ce une menace pour les discours et les mouvements laïques?
Il est évident que l'articulation du féminisme
et de l'Islam peut engendrer de tels questionnements et suscite des
débats afin de trouver un terrain où ces deux volets peuvent
fusionner de façon à promouvoir des valeurs démocratiques
et libérales.
C'est ainsi que c'est en Iran que les premiers débats et
controverses ont vu le jour autour de la question du féminisme
musulman: pour de nombreux laïques iraniens, ces deux termes de «
féminisme » et « musulman » sont contradictoires
étant donné que le féminisme s'inscrit dans la
tradition des Lumières qui remet en cause les
vérités religieuses; c'est donc un discours moderniste et
rationaliste ne pouvant s'accorder avec la spiritualité, ici la
religion.
Pour de nombreux musulmans l'Islam apporte toutes les
réponses concernant le comportement humain et la vie en
collectivité donc le féminisme est vu comme « un
phénomène déviant et une idéologie occidentale
étrangère » (P.44 Existe t-il un féminisme
musulman?) qui ne peut venir « compléter » une religion
finit dont le message est clair.
Cette conception manichéenne crée une dichotomie
qui orientalise et éxotise l'Islam. Le plus délicat est de
dépasser cette séparation simpliste mais répandue et de
comprendre l'aspect réformateur du discours féministe qui
contredit les forces fondamentalistes en terre d'Islam.
Ce mouvement converge en Iran autour de la revue
Zanan , fondée par Shahla Sherkat1, qui
soulève le débat des relations de genre à
l'intérieur de l'Islam, et de la compatibilité entre Islam et
féminisme. La revue Zanan a ouvert la voie au dialogue entre les
féministes laïques et les religieuses afin de favoriser la
participation des femmes aux doctrines et aux pratiques religieuses. Ce
magazine avança l'idée de cette lecture patriarcale du Coran qui
doit être révisée et remise en cause par les
concernés à savoir: les femmes musulmanes ; pour se faire un
discours structuré doit être mis en place de manière a
remettre en cause la différenciation naturel, « divine » des
genres à travers une approche historique et sociologique des
écrits sacrés afin de dénoncer la misogynie avec laquelle
les hommes ont interpréter le droit musulman. Le droit divin ne pouvant
être source de ségrégation et d'exclusion d'un genre, une
réinterprétation de ces textes s'impose.
C'est ainsi que l'ijtihad2 fut la première
prérogative de ces féministes, c'est-à-dire le droit des
femmes à réinterpréter les textes religieux ( le fiqh) et
la jurisprudence islamique.
1 Voir analyse du parcours De Shehla Sherkat Partie 2
2 Réinterprétation des textes religieux à la
lumière des valeurs démocratiques
A/- CONSTITUTION ET REPRESENTATION DU FEMINISME
ISLAMIQUE
1/-LE FEMINISME ISLAMIQUE : UN MILITANTISME CONTRE LA
DOMINATION MASCULINE...
L'Ijtihad :
Il est important de se pencher sur le concept de l'Ijtihad car
il est au coeur de la logique du féminisme musulman, en effet c'est un
concept qui va au delà de la simple optique de
réinterpréter le Coran en vue d'améliorer la condition
féminine mais il désigne une lecture appliquée et savante
des écrits religieux.
En arabe ce terme signifie « l'effort de réflexion
» c'est-à-dire ici s'évertuer à lire et
interpréter le Coran et tous les textes relatifs à la religion
musulmane. C'est le propre des savants et des érudits musulmans pour
interpréter les textes fondateurs de l'Islam et en déduire un
droit musulman régissant les actions des individus (distinguer ce qui
est interdit de l'autorisé).
Ce terme fut d'abord attribué aux premiers savants et
philosophes musulmans qui s'efforçaient de donner un sens juste et
rationnel du droit divin. L'Ijtihad est permis à tout savant musulman
ayant atteint un haut degré de savoir approuver par les maitres l'ayant
précédé3.
C'est dans cet état d'esprit que les femmes militant
pour les droits des femmes en terre d'Islam s'appuient sur une ancienne
tradition intellectuelle musulmane qui accepte une lecture
éclairée des écrits sacrés. L'engagement
féministe musulman illustre un renouveau islamique uniquement par le
biais d'un intérêt tout particulier pour la condition
féminine.
Le féminisme musulman entre donc dans ce qu'on appelle
la réforme musulmane. De nombreux intellectuels musulmans4 se
sont engagés dans des débats et des dialogues, notamment sur le
Coran et sur des questions telles que l'Islam et la démocratie, l'Islam
et les droits humains et Islam science et philosophie. C'est donc un mouvement
de réforme plus large au sein de l'Islam aujourd'hui mais qui n'est pas
accepté par toutes les communautés.
3 On peut prendre l'exemple du célèbre sociologue
et philosophe musulman Ibn Khaldoun ( 1332-1406), auteur de la « Muqaddima
» , essai qui fonde l'Histoire comme discipline positive.
4 Abdulkarim Soroush, Mohsen Kadivar, Hassan Yousefi- Eshkevari,
...
Le droit musulman établi et approuvé aujourd'hui
étant le fruit de l'Ijtihad , il est donc légitime d'appliquer
cette lecture savante dans l'optique d'atteindre une égalité des
sexes et une amélioration du statut et de la place de la femme
musulmane.
Les initiatrices de ce qui allait s'appeler «
féminisme islamique » menaient donc un nouveau
tafsir5 et « cherchaient dans les écritures des
réponses aux questions de genre, ainsi qu'aux questions
d'égalité et de justice »6.
Ainsi, ces femmes établissent une distinction entre ce
qui relève du culturel et ce qui relève du religieux. De tout
temps l'instrumentalisation de la religion par les groupes dominant a servi
à perpétrer une domination quelconque sur une population
donnée, c'est un état de fait universel. À partir de ce
constat, la lutte pour la libération des femmes et leur
émancipation devient une prérogative contre toute forme
d'oppression quelque soit le milieu ethnique ou social. Le féminisme
islamique accompagne donc cette vague de réformes en symbiose avec le
contexte mondial de la promotion des droits de l'Homme ; mais avec comme
spécificité ici de respecter l'identité religieuse.
5 Explication, interprétation
6 Page 53 par Margot Badran dans « Existe t-il un
féminisme musulman? » l'Harmattan.
Prolifération et renforcement de ce
mouvement:
La question de l'émergence du féminisme
islamique a suscité de nombreuses recherches sociologiques mettant en
évidence l'idée que ce sont les premières discours
féministes à base théologique qui ont rencontré un
tel écho et ayant attiré des femmes de milieux sociaux aussi
divers7.
Suite à un entretien avec Julien
Beaugé8 à l'Université de Picardie Jules Vernes
j'ai pu accéder à un certains nombres d'articles traitant de la
question du féminisme islamique, en particulier dans sa constitution
tout au long de l'Histoire et l'enjeu mondial que représente ce
mouvement dans sa diversité. Un des articles les plus riches en
informations dont Julien Beaugé a fait l'analyse pour la revue La
Découverte9 , est celui de Stephanie Latte Abdallah
s'intitulant « Le féminisme islamique» publié dans la
revue critique internationale.
Stephanie Latte Abdallah est chercheure a l'Institut de
recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM-CNRS)
à Aix-en-Provence Historienne et politologue, elle s'est d'abord
spécialisée sur la question des réfugiés
palestiniens, du genre, de l'engagement et des féminismes au
Proche-Orient, et travaille également sur le lien entre images et
politique sur le conflit palestinien.
L'intérêt de cet article et des travaux de
Stephanie Latte Abdallah se traduit par l'analyse historiquosociologique que
fait l'auteure de ces mouvements féministes nous permettant ainsi de
comprendre que au delà de ces revendications féministes ces
femmes tentent d'imposer leur place dans divers sphères de l'espace
publique.
Si on se penche sur l'article « Le féminisme
islamique », l'auteure aborde cette étude à travers une
première partie s'intitulant « Engagements féminins et ordre
traditionnel ~ en se référant a l'étude de Shaikha Saida
et Maggy Grabundzija au Yémen, l'auteur nous rappelle qu'au niveau de la
répartition du pouvoir entre hommes et femmes peut se traduire par le
concept d'honneur. En effet, les femmes peuvent user d'un pouvoir limiter a un
pouvoir de « conciliatrices » dans certaines sociétés
lorsque celles-ci bénéficient d'une certaine
respectabilité dans leur milieu social, un respect qu'on leur voue
uniquement si elles respectent les règles de conduites et les valeurs
auxquelles elles
7 « Ou en est le féminisme islamique? » par
Margot Badran
8 Julien Beaugé est ATER au CURAPP (Centre Universitaire
de Recherches sur l'Action Publique et le Politique, Epistémologie et
Sciences Sociales) de l'Université Picardie Jules Verne à
Amiens.
9 Des engagements féminins au Moyen-Orient (xxe-xxie
siècles)
Un dossier de la revue 'Le mouvement social' (La
Découverte, n°231, avril-juin 2010) par Julien Beaugé
doivent répondre. Bien que limité, ce pouvoir
leur permet d'agir indirectement dans des situations de conflits sociaux (tel
que divorce etc.) ; elles ne peuvent être juge mais on leur reconnait un
certain « sens de la justice ».
Cependant s'agissant du cas de la Palestine ( étant un
terrain de recherche majeur dans les travaux de notre auteure), ce concept de
l'honneur va même plus loin, en effet dans le contexte de l'occupation
israélienne, les femmes incarcérées sont en
majorités soupçonnées d'avoir été
violées par les soldats israéliens ou l'étaient
effectivement : d'abord soumises a une déconsidération par leur
« déshonneur sexuel » , ces femmes sont devenues ensuite le
symbole du « martyre » dans un contexte de lutte national pour la
libération de leur terre, elles usent ainsi de ce rôle pour
légitimer leur combat ( a l'intérieur même des prisons)
nationaliste pour la cause palestinienne.
Ensuite l'auteur se penche sur le charisme religieux dont
bénéficient certaines femmes (en Iran, en Egypte,...). Un
charisme au sens wébérien qui leur permet de légitimer
leur pouvoir, leur influence au sein des groupes religieux mais aussi sociaux.
Nous avons l'exemple du « leadership religieux féminin »
à Damas au sein du cercle Qubaysiyya issu d'une
confrérie Soufie (confrérie musulmane répandue dans cette
région).
S'agissant du charisme religieux l'auteure cite l'exemple du
personnage d'Umm Irini érigée en sainte martyre, dont la
biographie témoigne d'un véritable pouvoir religieux qu'elle a su
imposer dans le monachisme féminin copte10. Cette question du
charisme religieux se pose de manière plus accentué dans le
milieu des da'iyat11 en Egypte, ce sont des groupements
féminins dans les mosquées en perpétuelles
activités et qui regroupe de plus en plus de femmes ayant un capital
culturel assez imposant (études théologiques ou universitaires).
Des groupements qui tendent à s'institutionnaliser et faisant de plus en
plus l'objet de contrôle de l'État Égyptien. On voit bien
ici que ces femmes s'appuient sur un charisme religieux pour légitimer
leurs discours et donner une valeur religieuse sacrée à leur
engagement afin de se faire entendre.
D'un point de vue plus général concernant la
région des pays arabes de l'Afrique de l'Ouest et d'une partie de l'Asie
orientale: On a assisté à des bouleversements sociaux qui ont
affectés les femmes depuis une trentaine d'années expliquant
l'émergence de ces mouvements revendicatifs et cette volonté
organisée d'agir : la scolarisation de masse, l'accès a l'emploi,
l'élévation de l'âge au mariage, etc.
10 Communauté chrétienne en Egypte
11 Savantes et religieuses musulmanes d'Égypte issues
principalement de la classe moyenne de plus en plus imposante au Caire.
C'est cette capacité de tenir un discours religieux
savant, crédible se référant a une exemplarité
religieuse qui donne une valeur à leurs revendications. Ces femmes usent
de leur savoir mais aussi d'une voix sacrée dans ces milieux sociaux
qu'elles arrivent a atteindre certaines masses et légitimer leurs
actions. C'est le recours a la religion de manière plus savante qui
assoie leur place et leurs discours. Ainsi au delà de leur lutte pour
l'égalité ces femmes prouvent continuellement leur
capacité d'agir dans l'espace publique et d'entretenir une image
charismatique.
L'auteure se réfère a l'étude de S.Nehoua
expliquant la « salafisation > de la classe moyenne égyptienne
ou par le « puritanisme > constaté par C.Mayeur Jaouen de la
société égyptienne. On remarque ici un retour à des
valeurs religieuses comme un moyen « incontestable > de défendre
ses intérêts.
Dans une autre partie s'intitulant « Les espaces des
engagements féminins ~, l'auteure (en se référant
également aux travaux de Leyla Dakhli12) met en avant
l'approche sociologique utilisée pour l'étude des mondes
musulmans (dans ces pratiques, ses symboles, etc.) et ainsi rompre avec
l'ethnocentrisme qui a tendance a offrir une image jonchée d'aprioris
s'agissant de cet objet d'étude.
On comprend que le socle commun de ces engagements
féministes c'est le fait qu'ils font tous face à une même
problématique : En effet, qu'elles soient musulmanes, juives ou
orthodoxes, elles revendiquent toutes l'accès a l'espace publique, avoir
main mise sur des décisions publiques : Un espace traditionnellement
monopolisé par les hommes. Pour résumer leur attentes, on peut se
référer à l'analyse de Julien Beaugé dans laquelle
il cite une juive orthodoxe qui déclare : « Parler en public,
prendre des responsabilités, c'est féministe (...) Nous les
femmes religieuses ne souhaitons pas annuler toutes les obligations mais en
déplacer les limites. >.
Ainsi, on comprend que ces femmes ne se détachent pas
des limites que leur impose la religion mais elles considèrent que
l'émancipation ne va pas a l'encontre de leur religion respective.
Cependant, Stephanie Latte Abdallah nous apprend que l'étiquette «
féministe > est rejetée, réfutée par certaines
femmes engagées( notamment par les daiyat égyptiennes) ce qui
rend la question de leur engagement quelque peu ambigüe. C'est en ce sens
qu'il serait plus judicieux de parler d'engagement féminin au lieu de
« féministe > si on veut englober la totalité de ces
mouvements, mais ce qui rend cette « solution > sujette à
caution est le fait que certaines femmes se revendiquent comme étant
féministes.
12 Leyla Dakhli est agrégée et docteure en
histoire, spécialiste du Moyen Orient contemporain. Elle a
soutenu en 2003 une thèse sur les intellectuels
syro-libanais dans la première moitié du vingtième
siècle.
En ce sens, si on continue notre analyse de l'espace «
arabe »13 il serait important de noter ici que ces mouvements
féminins sont nés de mobilisations nationalistes contre les
forces coloniales.
Il s'agit donc d'une mobilisation historique et politique. Des
femmes religieuses ou non, engagées politiquement et se positionnant sur
différents terrains revendicatifs constitue la raison pour laquelle le
terme « féministe » serais assez réducteur. Leur
engagement est multiple : qu'ils s'agissent d'une lutte nationale (mouvements
de libération nationale palestinienne par exemple), d'une prise de
positions publiques, de revendications féministes, etc.... Ces femmes se
placent dans un cadre beaucoup plus large. D'oi le terme judicieusement choisi
par Stephanie Latte Abdallah et Leyla Dakhli qui est celui « des espaces ~
d'engagements et non « de l'espace » au singulier. Ceci rend la
question de l'engagement féminin au Moyen Orient une thématique
qui dépasse l'enjeu féministe pour l'égalité mais
devient un engagement multidimensionnel.
Cette analyse nous amène à
réfléchir sur la notion même de « féminisme
islamique », serait t'il plus judicieux de parler « d'engagements
féminins »? De plus si on prend en compte le contexte
idéologique d'aujourd'hui on remarque que l'association de ces deux
termes : « Féminisme » et « Islamique » peut
être considéré comme une aberration, le premier
étant considéré comme purement occidental et opposé
à la culture islamique et le deuxième viendrait soutenir ce
« paradoxe ». Ceci dit il existe un réel militantisme contre
la domination masculine qui commence par une réinterprétation des
textes religieux s'agissant du coran ou des hadiths (les paroles du
prophète Mahomet); et c'est une lutte qui s'est
institutionnalisée et à donner naissance à des groupements
de femmes se disant « féministes musulmanes ».
Revendication de l'égalité et de leur
spécificité religieuse:
Contre le discours euro-centrique homogénéisant,
le féminisme comme tout autre mouvement social se forme en prenant en
compte les différences ethniques, nationales, religieuses, de classe,
propre à chaque culture. Ainsi le féminisme ici est
transposé dans un contexte différent de celui de l'Occident a
savoir au monde musulman avec d'autres attentes, d'autres préoccupations
et soutenue par une Histoire et un passé différent. C'est ainsi
qu'il serait inapproprié de comparer le féminisme européen
laïque au féminisme islamique.
13 Palestine, Egypte, Algérie, Maroc...
Paula el Khoury expose les principales revendications des
féministes musulmanes dans un article s'intitulant « Le
féminisme islamique aujourd'hui » 14, en effet parmi les plus
importantes revendications des féministes musulmanes, on apprend
qu'elles revendiquent un retour a la Shura désignant une
assemblée communale fonctionnant autour d'un pouvoir
délibératif ; elles dénoncent également la
polygamie, le droit a l'héritage, la valeur du témoignage
féminin en justice, etc.
Elles revendiquent même le droit de
décréter des fatwa (édits religieux). L'auteure cite ici
Amélie Le renard (ayant fait sa thèse sur les femmes citadines de
la ville de Riyad en Arabie saoudite) qui nous dit que les féministes en
Arabie » saoudite opposent « l'islam émancipant aux coutumes
sociales retardataires ~. L'auteure se réfère aussi au code de la
famille mis en place au Maroc en 2004 fondé sur la Shar'ia (lois
islamique) visant a promouvoir les droits de la femme et répondre aux
attentes des groupes féministes au Maroc.
Amira Sonbol, professeur de l'Histoire de l'Islam a
l'Université de Georgetown a démontré l'influence du
modèle étatique rationnel européen sur l'oppression des
femmes, ainsi ce modèle a participé a l'accentuation de la
discrimination subit par les femmes dans les pays musulmans. En effet la
déstructuration du cadre traditionnel de vie dans les pays anciennement
colonisés a participé à la dégradation de la
situation des femmes dans ces régions concernées. C'est en ce
sens qu'un certains nombres d'intellectuelles engagés pour la cause
féministe revendiquent une spécificité ethnique et
religieuse comme étant le fondement de l'égalité et de la
justice sociale entre les sexes.
14 « Le féminisme islamique aujourd'hui »,
Critique Internationale, n° 46, 2010.
2/-UN FEMINISME MUSULMAN OU UN FEMINISME EN TERRE
D'ISLAM
DICHOTOMIE ORIENT /OCCIDENT « L'orientalisme
»
Comme nous l'avons au préalable illustré, il
existe un antagonisme dans les esprits entre un occident démocratique,
moderne et un orient « traditionnel » et archaïque. Pourtant au
XIVème, XVème et XVIème siècle la civilisation
arabo-musulmane était considérée comme une civilisation
libertine aux moeurs légères par l'Europe du Moyen-âge; ces
discours relatifs à « l'Orient » ont évolué dans
la mesure où ces deux blocs ont construit leur identité par
opposition l'un à l'autre.
Cet état de fait est mis en évidence par
l'auteur Edward W. Said dans son ouvrage « L'orientalisme
»15 dans lequel il est question de cette dichotomie et son
impact sur l'évolution historique de ces deux cultures formant deux
entités opposées. Comme le sous titre de cet ouvrage l'indique
« L'Orient créé par l'Occident » , l'auteur nous expose
la manière dont l'impérialisme occidental dès le
19ème siècle à modeler une image d'un Orient formé
comme un tout homogène dont la culture « arriérée
» a longtemps légitimité les vagues d'occupations et de
colonisations de cette région par les pays du Nord. Un rapport de force
qui s'instaure entre eux et qui continue même durant notre période
postcoloniale ( on peut parler du néo-colonialisme).
Edward W Said expose sa réflexion en partant de ses
convictions humanistes, c'est-à-dire une considération du monde
comme un ensemble vivant et variant d'un contexte à un autre et surtout
d'un groupe d'individus à un autre. C'est ainsi qu'il déconstruit
les discours des uns et des autres pour expliquer la manière dont
l'Orient est issu d'un imaginaire occidental servant entre autre à
définir leur propre identité en l'opposant à cet ensemble
: « L'Orient ».
Le féminisme islamique est confrontée à
cette principale critique qui est de considérer tout mouvement
féministe comme étant un apport de la culture occidentale en
total opposition avec le monde islamique, c'est cette relation antagoniste
entre ces deux blocs qui nourrit les débats remettant en cause ces
mouvements pourtant légitime pour l'amélioration des conditions
de vie féminine. La réflexion de cet auteur et penseur humaniste
nous permet de comprendre les blocages intellectuels et idéologiques qui
se créent lorsqu'il est question du féminisme musulman.
15 L'Orientalisme- L'Orient créé par
l'Occident- Edward W Said - Editions du Seuil 1980
L'auteur retrace une histoire des discours, des discours qui
ont participé à la construction des identités. Il nous
expose le résultat de l'Histoire des productions intellectuelles faites
par l'Occident sur l'Orient. Dans sa préface il nous décrit sa
méthodologie analytique, ce qui nous permet de comprendre les enjeux et
les mécanismes qui ont soutenue la construction de tels discours.
C'est cette altérité maintenue dans les esprits
qui nous permet de comprendre pourquoi un mouvement aussi complexe que celui du
féminisme islamique est soumis à des critiques remettant en cause
sa crédibilité.
« La notion de discours définit par Michel
Foucault dans L'Archéologie du Savoir et dans Surveiller et Punir
m'a servit à caractériser l'orientalisme »16
.On remarque que l'auteur ne définit pas l'Orient d'un point de vue
géographique ni par une uniformité culturelle mais il aborde la
notion d'Orient en déconstruisant les discours politiques et
idéologiques nourrissant la domination de l'Occident sur cette partie du
monde. L'auteur explique que l'Occident a attribué à l'Orient une
histoire, une tradition, un mode de pensé, une réalité
propre à lui justifiant ainsi la « supériorité »
de la civilisation des pays du Nord. Il s'agit donc d'enjeux politiques et
économiques concernant les représentations que l'on a pu se faire
sur ce qu'on appelle l'Orient.
Il nous rappelle également que nous vivions dans un
monde de l'électronique postmoderne renforçant ainsi les
stéréotypes qui décrivent ce « bloc lointain »
(télévision, médias, films, etc.). Une des principales
conséquences de cette tradition intellectuelle dominante est
l'identification des arabes à l'Islam, de l'Islam à
l'archaïsme, et donc de l'archaïsme à l'Orient. C'est en ce
sens que l'association de concepts tels que les droits de l'homme, de la
justice, et de démocratie sont confrontées à une remise en
cause perpétuelle lorsqu'il s'agit des terres d'Islam. La vision
humaniste et critique de l'auteur lui permet de considérer les
réalités sociales comme le reflet d'une prolifération des
discours prononcés par les Hommes tout au long de l'Histoire.
« La géographie imaginaire et ses
représentations: Orientaliser l'Oriental »17,
l'intérêt de ce chapitre c'est la manière dont l'auteur
retrace l'Histoire de l'orientalisme devenu une discipline universitaire
à part entière18. On assiste donc à une
spécialisation scientifique révélatrice des amalgames et
des flous intellectuels relatifs à tout ce qui n'est pas l'Occident.
C'est cette spécialisation qui rend légitime toutes les
idées que l'on a pu attribuer à l'orient.
16 Ibid P.15
17 Ibid Chapitre 2
18 Ibid en 1312 prise de décision par le concile de Vienne
de créer « une série de chaires de langues Arabe,
Grecque, Hébraique et Syriaque » à Paris,
Bologne,...
L'originalité de l'analyse de Edward W.Said c'est qu'il
explique d'un point de vue historique et procède à une
déconstruction des discours pour comprendre l'état actuel de la
civilisation islamique aujourd'hui ( c'est ce qui nous intéresse ici
concernant le renouveau islamique). Aujourd'hui le monde musulman à
tendance à construire son identité uniquement par opposition
à l'Occident ( un Occident qui lui a donné une identité
qui n'est pas la sienne; d'où la disparition progressive dans la
tradition islamique de la pensée critique. L'auteur parle « d'un
désastre culturel majeur de notre époque » dans la mesure
où l'Ijtihad et l'interprétation personnelle ont disparues de la
pensée musulmane. L'Ijtihad représente désormais une
pensée critique mal accueillis par cette communauté religieuse
car considérée comme étant un apport néfaste du
mode de pensée Occidental.
C'est dans cet état d'esprit que nous devons comprendre
la difficile assise du projet du féminisme Islamique dans notre contexte
actuel. Avec cet antagonisme perpétuel entre ces deux cultures
attribuant des caractéristiques propres à chacun, les changements
ont du mal à être accepté et intérioriser par les
individus.
Analyse des critiques et des discours sur la religion, les
femmes et les droits :
« Aux yeux des féministes européennes
très eurocentrées et qui se sentent porteuses de valeurs
universelles , le féminisme est par essence laïque et donc
fondamentalement incompatible avec l'islam »19.
Ceci nous amène à réfléchir sur
cette trinité « religion, femmes et droits » , le
phénomène de la laicité a accentuer l'idée selon
laquelle spiritualité et égalité sont incompatible et en
particulier concernant l'Islam. Le droit des femmes a toujours
été confronté à des critiques virulentes, que l'on
se situe d'un point de vue politique ou religieux les controverses sont la
source de la perpétuation de la domination masculine. S'agissant du
féminisme religieux ces critiques peuvent donc être
considérés comme un prétexte de plus visant a freiner
l'émancipation féminine.
19 Laure Rodriguez Quiroga, présidente de l'Union des
femmes musulmanes d'Espagne
En effet, si on se penche sur la situation des discours
féministes de manière général, on constate qu'ils
font tous à des remises en causes profondes, des remises en question
internes et externes. C'est une mobilisation complexe et qui englobe des
diversités culturelles et historiques faisant de chaque revendication
l'objet d'un débat ou d'une controverses remettant en question la
crédibilité de cette contestation.
Féminisme laïque et féminisme islamique
: deux courants différents mais une même motivation et faisant
face à des critiques similaires.
L'ouvrage de Joan W. Scott20 questionne le
mouvement féministe laïque en France en retraçant l'Histoire
de celui ci pour en desceller les failles et les raisons pour lesquelles il
fait l'objet de certaines critiques. L'intérêt de cet ouvrage est
que l'auteure aborde le sujet du féminisme en déconstruisant son
discours tout au long de l'Histoire, c'est une réflexion critique qui
peut être considérée plus au service de ce mouvement
qu'à son encontre. Il serait intéressant d'exposer la
réflexion principale de notre auteure sur le féminisme
laïque.
« Comment, sans mettre en avant le problème de la
différence des sexes, lutter contre la discrimination quand celle-ci
attribue, en fonction de leur sexe, des caractéristiques de groupe
biologiquement féminin? »
C'est dans cet état d'esprit que Joan W.Scott
questionne les mouvements féministes dans leur discours dès la
Révolution, des discours qui se sont multipliés et qui ne cessent
de faire l'objet de débats et de controverses jusqu'à nos
jours.
Cette historienne américaine, est connue en France pour
ses travaux d'histoire ouvrière française et pour la
réflexion qu'elle a développée depuis les années
1980 sur l'écriture de l'histoire des femmes et du genre. S'inspirant
d'auteurs français (tels que Foucault, Derrida, ou Lacan), elle
mène une approche dé-constructive et élabore un champ
d'analyse en perpétuel relation avec le contexte et les multiples
significations des discours des catégories étudiées.
C'est à la lumière de cette technique analytique
que l'auteure nous offre une lecture nouvelle de l'Histoire du
féminisme.
20 Joan W. Scott, La citoyenne paradoxale : les
féministes françaises et les droits de l'homme, Paris, Albin
Michel, 1998
Elle commence dans un chapitre introductif par nous
présenter des personnages féminins clés de la
Révolution française de 1789. Des personnages ayant
marqués l'Histoire du féminisme en France par leur position forte
dans la lutte féministe et leur discours républicain. Il s'agit
entre autre de la révolutionnaire Olympe de Gouges, guillotinée
en 1793 ; la saint-simonienne Jeanne Deroin (1805- 1894), qui se
présente aux élections législatives de la Seconde
République et s'exile en Angleterre après avoir connu la prison ;
Hubertine Auclert (1848-1914), suffragette française accusée
d'hystérie et comparée à la Méduse ; Madeleine
Pelletier, première femme médecin des asiles, féministe
radicale qui finit sa vie à l'hôpital psychiatrique.
Toutes ces figures témoignent, de part leur parcours et
leurs idées, de la lutte idéologique et théorique qui
s'est développée dès la fin du 18ème
siècle. L'auteure nous expose le parcours et le discours de ces femmes
pour nous révéler les paradoxes qui sous tendent leurs
revendications.
Elle commence par nous expliquer que la différence
biologique entre hommes et femmes a longtemps justifié la
marginalisation des femmes de la scène politique et publique. C'est
cette différenciation sexuelle que l'on retrouve dans les discours
féministes, d'où nous dit l'auteure le paradoxe centrale de ces
revendications.
L'auteur cite Jeanne Deroin, ( Jeanne Deroin et la
révolution de 1848 ):« Le fait que les femmes soient aussi des
ouvrières , et que les décrets promettant le droit au travail les
reconnaissant comme telles, créait un problème. Car si le travail
conférait l'individualité et si les femmes travaillaient, comment
pouvait-on leur refuser la citoyenneté? » . Ici l'auteure nous
montre que les valeurs républicaines se sont retrouvées
confrontés à leurs propres contradictions. Les valeurs
prônées par la République ne sont pas respectées.
De plus l'auteure nous rappelle que ces mouvements ont
longtemps justifié leur droit à la citoyenneté par leur
devoir social accompli (celui de « mère », «
épouse »,...). Elles sont inconsciemment (ou non) soumises à
ce schéma traditionnel: page 103: « Elles fondèrent alors
leur revendications de la citoyenneté sur cette figure exemplaire du
devoir et du dévouement *...+ : la mère ».
On voit bien ici le lien qui se tisse entre le statut
politique des femmes et leur rôle social attendu. Ce qui renforce cette
conception de l'importance de ce rôle social lié à la
maternité, l'auteure nous rappelle que c'est une fonction sacrée
constituant un travail social de grande valeur et la référence
à la vierge Marie reflète parfaitement la capacité
féminine à produire en toute autonomie, sans l'intervention de
l'homme. Cette référence religieuse a été
longuement utilisée par quelques groupes féministes, c'est une
instrumentalisation du religieux pour justifier leurs revendications. C'est une
manière, bien que discutable, de révéler l'autonomie des
femmes. La maternité devient un support à la singularité
de leur identité.
L'auteure continue son analyse du discours de Jeanne Deroin:
en effet, celle-ci dénonce l'attribution du nom du père à
la famille, elle propose comme Olympe de Gouge de donner le nom de la
mère. Ainsi la question de la maternité revient. L'auteure nous
expose la position du philosophe et économiste anarchiste Pierre Joseph
Proudhon qui s'oppose à ces vagues de contestations féministes en
émettant l'idée selon laquelle l'égalité politique
des sexes constitue « un de ces sophismes que repousse non seulement la
logique mais encore la conscience humaine et la nature des choses ». Ce
discours d'une misogynie classique et répandue en cette période
de naissance de la république illustre ceux contre quoi ces femmes
(Olympes de Gouges, Jeanne Deroin, ...) luttent au travers d'un discours
tentant de démontrer les qualités propres aux femmes faisant
d'elles des individus en mesure d'être des citoyennes à part
entière. Cependant la pensée de Jeanne Deroin met en
évidence la difficulté de formuler l'égalité des
femmes dans les termes de leurs différences. On revient à
l'idée centrale de l'auteure: comment penser l'égalité
donc la revendiquer en termes de différences : différences de
genres, de rôles, de statut,...On voit bien ici que J.W Scott
décrit la sérieuse difficulté à laquelle ont
toujours été confrontés les mouvements féministes :
c'est ce paradoxe dans leurs discours qui alimente les critiques des mouvements
qui s'y oppose. D'où une autre critique formulée par Proudhon :
« L'homme, à mesure que sa raison se développe, peut voir la
femme comme son égale, mais il ne la considérera jamais comme
semblable à lui ».
Si on revient sur le concept de la maternité selon
Jeanne Deroin, celle-ci oublie la part de l'homme dans la conception de
l'enfant, elle revendique une autonomie féminine dans la production des
enfants qui est en réalité est inexistante puisque l'apport de
l'homme est indispensable à cela.
Ce sont ces arguments suscitant une controverse
quasi-automatique qui décrédibilisent ses propos. Les critiques
faites par l'auteure et que l'on peut faire nous même des idées de
Jeanne Deroin continues s'agissant de sa conception de la femme en politique :
« En politique, l'opinion des femmes quelque soient leurs tendances
républicaines ou aristocratiques peut encore se résumer en une
pensée d'amour et paix »; alors que les hommes sont: « [...]
égoïstes, cruels, et faisaient preuve d'un penchant pour la
destruction... ». On voit ici que le discours de Jeanne Deroin n'est pas
fondé sur une approche rationnelle ou scientifique lui permettant
d'avancer de telles affirmations. Attribuer des traits spécifiques
à un sexe et à un autre va à l'encontre du principe
d'égalité revendiqué par le féminisme. Ce sont
là des contradictions qui vont à l'encontre de
l'intérêt des mouvements féministes.
En retraçant l'histoire du féminisme
français et en analysant les positions de ces figures féministes
françaises, J .W Scott nous amène à
réfléchir sur la réelle fonction des mouvements
féministes et ce qui découle de leurs discours. Cette
étude critique de l'auteure nous amène a se demander s'il faut
revendiquer l'égalité au nom de l'individu (abstrait) ou faire
une différenciation sexuelle dans l'expression politique?
Rappelons que à la différence du
féminisme laïque, le féminisme musulman revendique
l'égalité mais en affirmant une différence de droits et de
devoirs, une différence qui doit tendre à l'équilibre et
à la justice. Ainsi, ce courant ne fait pas face à un paradoxe
dans son discours dans la mesure où il prend en compte une
différence de genre mais revendique une égalité entre les
deux sexes. Ceci dit; ceci ne protège pas le féminisme musulman
de critiques virulentes mais qui eux sont d'ordres idéologiques,
politiques et religieux rendant ce mouvement soumis à une pression
encore plus forte de la part de l'opinion publique.
L'étude de J.W Scott on constate comme son titre
l'indique que la difficulté majeur à laquelle est
confronté ce mouvement c'est le paradoxe et les contradictions que le
féminisme à longuement connu. Ainsi, l'intérêt
serait ici de voir la manière dont est perçu un tel courant de
pensée qui s'étend sur à peu près tous les
continents. Perçu néanmoins de manières différentes
selon les sociétés, ce courant revendicatif reste
confronté à des critiques souvent violentes même dans le
contexte politique actuel où les valeurs républicaines y sont
souvent prônées.
Il est évident que l'opinion politique aujourd'hui est
souvent assez violente vis-à-vis du féminisme. Un mouvement ayant
pris une connotation quelque peu péjorative, souvent sujet de moqueries
ou de critiques le décrédibilisant. Les féministes sont
souvent étiquetées ou catégorisées.
Pourquoi un mouvement pourtant issu de l'aboutissement de
nombreuses luttes pour une véritable démocratie et en faveur des
droits de l'homme a connu tout au long de son histoire des difficultés
et des obstacles pour asseoir sa place sans être sans cesse perçu
comme étant « déplacé »?
Ceci dit le point commun de ces deux types de mouvements
féministes peut se résumer ainsi : tout comme le féminisme
français, le féminisme islamique se retrouve face à des
critiques remettant en cause le fondement même de ces revendications.
Pour certains intégristes et réactionnaires musulmans, l'Islam
(l'Islam patriarcal tel qu'ils l'interprètent) en lui même devient
un outil qui décrédibilise et fausse les théories
féministes islamiques même si ces femmes s'appuient sur des
interprétations religieuses pour défendre leurs droits.
Tout comme les femmes en France ont utilisé les valeurs
républicaines pour revendiquer leur droit à la
citoyenneté, les féministes musulmanes utilisent les
écrits religieux (et s'inspirent de la vie du prophète) pour
avancer l'idée selon laquelle c'est une religion qui offre autant de
droits à l'homme qu'à la femme.
Ces deux courants s'appuient sur un discours qui dans les
faits les opprime mais qu'elles remettent en cause pour mettre en valeur une
interprétation à leur avantage.
On comprend alors que ces deux aires culturelles21
ayant chacun une Histoire, une idéologie dominante et un système
social diffèrent présentes des similitudes dans leur
manière de traiter le féminisme: deux mondes renfermant des
inégalités certes différentes mais qui entretiennent une
relation souvent conflictuelle avec le féminisme.
Cette analyse nous permet d'avoir un autre regard sur la
manière dont se construit un discours revendicatif afin de comprendre
les maux et les difficultés de celui-ci à s'affirmer dans la
réalité des mouvements sociaux. Ceci nous permet d'avoir une
méthode analytique sociologique pour la compréhension et
l'explication de la place qu'occupe un mouvement social: selon un cadre
théorique, un contexte historique, politique et social, le discours d'un
mouvement revendicatif quel qu'il soit ne peut être détaché
des critiques auxquelles il fait face afin de comprendre son statut et sa place
dans la société.
21 l'Occident et les sociétés arabes et/ou
musulmanes
B/-FIGURES DE FEMINISTES MUSULMANES
L'émergence d'une nouvelle conscience
féministe à travers les sociétés musulmanes
et occidentales:
Mon sujet de recherche se concentre sur l'analyse des discours
féministes islamiques dans les pays arabo-musulman mais aussi ceux
prononcés par des femmes musulmanes dans le contexte occidentale pour
faire valoir leurs droits en tant que citoyennes avant tout. Le socle commun
à toutes ces femmes c'est qu'elles revendiquent l'égalité
en légitimant leur lutte en s'appuyant sur le coran et un droit
religieux. Pour se faire écouter ces femmes ont adopté
différentes postures à travers lesquelles elles peuvent vues,
reconnues et légitimes. C'est ainsi que j'ai prêté une
attention particulière à l'observation de ces femmes qui
présentent leur discours et leurs idées dans les médias,
sur la scène publique
Nous allons nous pencher sur le parcours de trois femmes
musulmanes militant pour le droit des femmes et qui restent attaché aux
valeurs islamiques mais en faisant une lecture démunie nouvelle,
démunie selon elles d'un patriarcat à l'origine des
inégalités des sexes.
L'intérêt pour nous est de se pencher sur trois
parcours qui présentent des similitudes mais aussi des
différences illustrant ainsi la diversité des voix
d'émancipation et de revendication.
En guise d'introduction nous allons analyser l'ouvrage de
Fatima Mernissi22, une sociologue marocaine engagée
activement dans les mouvements féministes arabo-musulman, c'est un
ouvrage central dans la réflexion sur la situation actuelle des femmes
en terre d'islam dans la mesure où elle aborde cette thématique
d'un point de vue sociologique et historique. Une réflexion sur la
sexualité en islam et la sexualité féminine avec toutes
les représentations et les idéologies qu'elles impliquent permet
à l'auteure de décrypter la situation des femmes dans l'ordre
social et moral islamique. C'est une sociologie féministe,
engagée et prenant ses racines dans la culture arabo-islamique.
22 « Sexe ideologie islam » Editions Maghrébines
1985
Puis nous nous pencherons sur trois femmes d'origine
différentes et s'étant approprié l'islam de manière
différente l'une de l'autre: Amina Wadud est une noire américaine
convertie à l'islam, Shehla Sherkat : une des fondatrices de la revue
iranienne féministe « Zanan »; et enfin Irshad Manji une
militante canadienne non voilée qui revendique son homosexualité
et lutte pour un renouveau islamique. Nous verrons que leur discours n'ont pas
la même portée et ne sont pas accueilli de la même
manière. Ceci nous permettra de cerner la relation dialectique qui
s'instaure entre le statut de ces femmes dans leur posture et leur
popularité, l'image qu'elles véhiculent.
Analyser leurs discours, leurs actions et le poids de leur
autorité nous révèle comment elles entreprennent une
présence active dans l'espace public. Quelle posture adoptent-elles?
Quelle est la posture légitime à leur sens? Voilées? Non
voilées? Que signifierais le port du voile si elles revendiquent
l'émancipation et l'égalité? Le non port du voile serait
t-il la posture légitime pour parler au nom d'une religion qui le
prescrit?
Tous ces questionnements et bien d'autres viennent soutenir
une réflexion sur l'attitude que peuvent adopter ces femmes afin
d'être écoutées et prises en considération. C'est
dans cette optique que mon mémoire de recherche se penche sur le
parcours de quelques figures féministes musulmanes: leurs discours, leur
posture, la place de leur engagement dans l'opinion publique et la
manière dont elles sont perçues.
De gauche à droite: Amina Wadud, Shala Sherkat
, Fatima mernissi et Irshad Manji
Présentation et analyse de l'ouvrage de Fatima
Mernissi:
Sociologue et écrivaine marocaine mondialement
reconnue. Elle s'est notamment fait connaître dans la défense des
femmes au Maroc et dans le monde arabe. Née en 1940 à Fès,
Fatima Mernissi est professeur à l'institut universitaire de recherche
scientifique de l'Université Mohammed-V de Rabat. Elle est
également membre du Conseil d'Université des Nations Unis.
En 1981, Fatima Mernissi fut à l'origine de la
création du collectif « Femmes Familles, enfants » ainsi qu'au
lancement de la collection « Approche » aux éditions le Fennec
afin de promouvoir les écrits traitant de la question des femmes et des
enfants au Maghreb.
Elle a publié une multitude d'ouvrages traitant de la
question des femmes en terre d'islam sous diverses angles ( politique, sociale,
moral, culturel,...). Al Jins Ka Handasa Ijtima'iya23,
Éditions Le Fennec, Casablanca 1987; Le monde n'est pas un
harem, Albin Michel, 1991; Sultanes oubliées : femmes chefs
d'État en Islam, Albin Michel / Éditions Le Fennec, 1990;
Le harem politique : le Prophète et les femmes, Albin Michel,
1987; La Peur-Modernité : conflit islam démocratie,
Albin Michel / Éditions Le Fennec, 1992 ; Sexe , idéologie ,
islam Éditions Maghrébines, 1985 Le Fennec et bien d'autres
revisitant l'Histoire et le système idéologique arabo-musulman
encadrant la vie des femmes dans ces pays.
Notre analyse se portera sur son ouvrage s'intitulant «
Sexe, idéologie, Islam » publié en 1985, un de ses ouvrages
les plus lue et qui reprend à travers une analyse sociologique et
historique des cadres moraux, politiques et religieux régissant la
condition féminine au Maroc. L'auteur part d'un aperçu historique
du temps du prophète Mahomet, ses relations avec les femmes, les
règles islamiques promulguées et établies à cette
époque. C'est une approche qui nous permet de comprendre les origines
sacrées des normes et des valeurs islamiques légitimant la
situation d'une large part des femmes aujourd'hui dans les pays
arabo-musulmans.
23 Le genre en tant qu'industrie sociale
L'intérêt de se pencher sur cet ouvrage
s'explique par l'approche de la situation des femmes en terre d'islam autour de
la thématique de la sexualité qui en réalité
encadre les rapports de force et de genres entre les hommes et les femmes.
L'auteure part d'un aperçut historique sur la sexualité et
l'institution matrimoniale dès l'apparition de l'islam et donc comment
ces règles de vie conjugales ont été instituées.
Ceci nous amène à comprendre les fondements de
la mise en place de ces normes et ces valeurs ainsi que la manière dont
ces valeurs prônées par l'Islam ont pu être
interprétées.
Dès le premier chapitre s'intitulant « Le concept
musulman d'une sexualité active des femmes », l'auteure commence
par nous présenter comment l'Islam définit l'instinct humain.
Contrairement à la dichotomie de l'instinct de chair et de la raison,
séparant ainsi le bien du mal dans l'idéologie chrétienne;
l'islam quant à lui est fondé sur une théorie des
instincts plus élaboré, proche du concept freudien de la libido.
En effet, l'instinct en lui même constitue l'énergie, une
énergie à l'état brut pouvant être utilisé
sous diverses formes. L'utilisation et la canalisation de cette énergie
doit être soumise a des normes et des règles. La question du bien
et du mal dans l'utilisation de l'énergie ne se pose qu'à
l'intérieur de l'ordre social établi par les prérogatives
religieuses: Comment utilisons- nous cette énergie naturelle propre
à tout être humain? C'est ainsi que l'auteure nous explique que
par conséquent « dans l'ordre musulman, l'individu n'est pas tenu
de supprimer ses instincts ou de les contrôler pour le principe, il lui
est demandé seulement de les utiliser conformément aux exigences
de la loi religieuse; »24 .
Par la suite l'auteure analyse la manière dont est
perçu le désir sexuel, un désir émanant de deux
anatomies différentes (sexe féminin et masculin) mais
complémentaires, une complémentarité constituant l'essence
même de la création divine, une création ayant pour but de
satisfaire les désirs charnels et de perpétuer l'existence
humaine sur terre. De plus, l'auteure nous explique que le fait
d'éprouver une volupté, satisfaire un désir charnel
amène l'individu à aspirer à la volupté parfaite et
éternelle promise au paradis, ainsi il accomplira les devoirs religieux
au cours de sa vie sur terre afin d'être récompensé comme
promis dans les écrits coraniques. C'est une stratégie divine
permettant donc de réguler les instincts naturels présents chez
l'Homme.
Ensuite l'auteure se penche plus particulièrement sur la
question de la sexualité féminine: « active » ou «
passive »? Elle commence par nous présenter une distinction faite
par Georges Murdock25 :
24 « Sexe, ideologie, Islam » Page 5- chapitre 1
25 Anthropologue américain
Régulation des instincts sexuels:
Société Occidentale
|
Société islamique ( «
traditionnelle »)
|
« Forte intériorisation des interdits sexuels au
cours du processus de socialisation primaire » pour maintenir le respect
des règles sexuelles.
|
« [...] barrières de précautions
extérieures
telles que les règles de conduites
ségrégationnistes » pour maintenir le respect des
règles sexuelles.
|
Il semble évident que s'agissant des
sociétés où le voile islamique est de rigueur, elles se
situent dans la catégorie des sociétés islamiques. C'est
en ce sens que nous comprenons que cette catégorie préserve la
chasteté des filles avant le mariage par une barrière non
seulement morale mais aussi physique dans la mesure où ces
sociétés mettent en place un mode vestimentaire adapté (le
voile), une haute surveillance, un chaperon constant (joug patriarcal), ...afin
de garantir cette chasteté. Contrairement aux sociétés
occidentales où les règles relatives à la
préservation de la chasteté et l'évitement de
l'adultère sont intériorisées au cours de la socialisation
de ces individus; la socialisation suffit à elle seule pour la garantie
de cet ordre moral. Dans ces sociétés on accorde donc une plus
grande liberté individuelle aux femmes sachant que les principes moraux
intériorisés suffisent. L'auteure poursuit cette analyse en se
référant à une réflexion faite par le
féministe égyptien Amin Kacem26 : dans une
société où il existe une ségrégation
spatiale et où l'isolement et la séparation de la femme
prédominent, cela témoigne de la capacité chez la femme de
contrôler ses instincts contrairement aux hommes qui doivent garder
éloigné le corps de la femme. Le concept de la sexualité
de la femme est donc implicitement actif dans la mesure où c'est
l'incapacité chez l'homme à se contrôler qui l'oblige
à rester éloigné et isolé de lui (par le port du
voile, la ségrégation spatiale,...). C'est donc un moyen de
protéger les hommes et non les femmes. Amin Kacem part du constat d'une
crainte de la « fitna »27 en Islam, c'est-à-dire de
la crainte du chaos, du désordre pouvant être
généré par l'absence d'un contrôle moral et sexuel
dans la société. « Fitna » signifiant également
« une belle femme » on peut penser que la crainte est liée
à la beauté dévastatrice du corps de la femme que l'on
doit maintenir caché étant donné ( si l'on suit sa
logique) que l'homme est faible et ne peut se contrôler.
C'est ainsi que l'auteure consacre une partie sur la «
peur de la sexualité de la femme » ; elle y rappelle la
théorie de la sexualité passive de la femme de Freud car selon
celui ci « l'agression chez la femme est tournée vers
l'intérieur en accord avec sa passivité sexuelle » (P.24);
conformément au règles sociales et aux normes dominantes la femme
se doit d'intérioriser ses pulsions et sa sexualité
26 Féministe musulman à l'origine de la
création du code du statut personnel de la femme dans la
législation tunisienne
27 Chaos, désordre social
expliquant cette tendance masochiste chez les femmes.
L'absence d'une sexualité active rend la femme « masochiste et
passive. ». C'est en suivant cette logique analytique que l'auteure
explique que la sexualité de la femme musulmane est
considérée comme étant active puisque tournée vers
l'extérieur elle est dotée d'une séduction fatale qu'il
faut cacher. C'est une attraction qui réduit l'homme à un
être passif qui subit cette attraction.
Cette attraction est vue comme une fatalité entrainant
le chaos, la « fitna » qu'il faut donc éviter et qui
caractérise l'agressivité sexuelle de la femme musulmane. Ensuite
l'auteure analyse la pensée populaire marocaine qui a une forte tendance
à diaboliser le sexe féminin comme étant source de
désordre et de destruction.
La femme est donc une force destructrice de l'ordre social est
ceci est valable dans la majorité des sociétés
musulmanes.
L'interprétation de la sexualité a pris deux
directions selon qu'on se situe dans la société occidentale ou la
société arabo-musulmane. En effet , selon l'analyse Freudienne ,
l'Occident chrétien attaque la sexualité en elle-même comme
étant la partie incarnant le mal dans chaque individu , une partie ( la
chair) qu'il faut surpasser pour atteindre la raison qui représente le
bien et la noblesse de l'esprit humain. L'individu serait divisé entre
ces deux parties qui s'opposent. Alors que la vision de l'Imam
Ghazali28 stipule que le mal est incarné en la femme elle
même, elle est « fitna » donc représente un danger et
détient un « potentiel destructeur démesuré
»29.
On comprend ici que dans la pensée islamique la
sexualité en soi n'est pas perçue comme étant
négative au contraire elle à des fonctions positives sur l'ordre
social; ceci dit le danger de celle ci s'exprime uniquement à travers la
femme qui peut être source de trouble.
Ensuite l'auteure nous expose le parcours du prophète
Mahomet dans ses relations avec les femmes, ses mariages et la manière
dont il percevait les liens matrimoniaux.
28.Célèbre penseur musulman perse dont l'influence
philosophique est considérable dans la civilisation musulmane
29 Ibid. Page 9.
La première femme du prophète fut Khadija (
riche et puissante commerçante âgée de 40 ans lorsqu'elle
demanda au prophète de l'épouser séduite par son
honnêteté); ensuite à la mort de Khadija il épousa
aicha, puis d'autres femmes dont Maria30 et deux
juives31, cependant mise à part Aicha les autres femmes
étaient des concubines avant l'établissement divin de la
règle limitant à 4 le nombre de femmes à épouser et
sous des conditions bien établies.
On en retient que le prophète exprimait une grande
vulnérabilité face aux femmes, une vulnérabilité
qu'il associait souvent à l'amour et à la tendresse (en
particulier vis-à-vis de la femme qu'il a le plus aimé : Aicha).
C'est à partir de la vie du prophète, de ses faiblesses, de son
expérience personnelle le rapprochant du commun des mortels qu'un
certain nombre de codes et des valeurs relatif a la vie conjugale et
matrimoniale ont été mis en place.
L'ordre social crée par le Prophète est un
État patrilinéaire où l'institution de la famille est une
composante centrale dans l'équilibre de la « Umma
»32.
Cependant aujourd'hui le processus de modernisation a
influé dans les structures sociales islamiques par l'entrée des
pays musulmans dans le marché mondial. C'est ce changement que
connaissent petit à petit les sociétés musulmanes
actuellement qui s'articule autour des luttes contre l'apport symbolique et
idéologique occidental.
L'analyse de cet ouvrage central de Fatima Mernissi nous offre
une explication sociologique et historique qui vient appuyer les discours
féministes musulmans, car on comprend que le statut de la femme en terre
d'islam est intimement lié à cette vision de la sexualité
ainsi que la construction historique de la culture musulmane.
L'engagement de cette sociologue consiste en la remise en
cause de certains hadith33 islamiques de la vie du prophète
afin de dénoncer les interprétations abusives ainsi qu'une
construction d'un édifice social fondé sur une misogynie
remontant à une période pré-islamique dont
l'héritage se ressent dans l'interprétation de certains
écrits. Elle se penche sur le cas du Maroc à la fin de son
ouvrage afin de mettre la lumière sur les répercussions de telles
constructions historiques sur la vie quotidienne des femmes
marocaines34.
30 Une chrétienne copte
31 Safiya Bint Huyay et Rayhana Bint Zayd
32 Désigne l'ensemble de la communauté musulmane
33 Récits de la vie du prophéte
34 Mariages précoces, mariages forcées,
dévalorisation de l'éducation féminine ( et ce surtout en
milieu rural)
Cette sociologue marocaine fait un travail de
déconstruction des discours religieux et une analyse sociologique fine
du quotidien d'un ensemble de femmes au Maroc35 afin de mettre en
évidence l'impact d'un « islam masculin » faisant de la femme
un être dangereux dont le confinement dans l'espace domestique est la
seule garantie du maintient d'un ordre social et moral.
L'approche de cette féministe est une approche qui
dénonce et dresse un bilan accablant des conséquences de
l'instrumentalisation de la religion pour légitimer la domination
masculine.
35 Entretiens et statistiques
Amina Wadud:
« La volonté de Dieu est la totalité de
la réalité cosmique et Dieu donna aux êtres humains
dotés du libre arbitre la faculté de préserver ou de
détruire cette harmonie qui se reflète partout dans l'univers
connu »36. C'est dans cet état d'esprit que Amina
Wadud aborde et vie l'islam en avançant l'idée d'une
tolérance et d'émancipation à travers cette religion.
Amina Wadud est une noire américaine voilée
convertie à l'islam depuis 1973, c'est une universitaire et une
importante figure du féminisme islamique. Professeure d'études
islamiques à l'Université du Commonwealth en Virgine, cette
militante veut bouleverser les convictions et révolutionner les
pratiques religieuses et la morale dominante en Islam. Elle part d'une lecture
critique du Coran par l'ijtihad et en s'intéressant à la
manière dont l'islam traite la femme pour en desceller les traces
patriarcales. C'est en 2005 que cette révolutionnaire défraie la
chronique en dirigeant la prière du vendredi dans une mosquée,
une prérogative traditionnellement dévolue aux hommes. C'est au
cours de la même année qu'elle contribue activement au lancement
du premier congrès international des féministes islamiques
à Barcelone par la Junta Islamica Catalan37. Parmi ses
revendications bousculant les conventions : elle se prononce en faveur du
mariage homosexuel.
C'est ainsi que ses positions sont rejetés par la
communauté musulmane en Europe et au Canada; ceci dit sa défense
du voile est reprise par les intellectuels musulmans plaidant pour une
libération de la femme dans et par l'islam38 dans ces
pays.
Amina Wadud se situe dans cette voie d'émancipation se
rapprochant de celle de d'Irshad Manji à l'exception de sa
défense du voile islamique.
36 Amina Wadud« Foi et féminisme: pour un djihad des
genres », dans Existe-t-il un féminisme musulman?,
livre issu d'un colloque à Paris, septembre 2006,
organisé par la Commission Islam et laïcité L'Harmattan-Page
75
37 Une association de musulmans espagnols.
38 « Frere Tariq » Caroline Fourest
Analyse d'un extrait de l'interview d'Amina
Wadud Motivations d'une conversion et d'une lutte
Son parcours intellectuel et social nous explique d'une
certaine façon la construction de ses idéaux, son
expérience de l'Islam a influé dans sa manière de se
l'approprier. C'est à travers une interview du 1 février
201139 que Amina explique sa réappropriation de l'islam (et
du coran) et comment elle perçoit la lecture critique dont il faut en
faire. Elle souligne avoir grandi dans la foi, son père étant
pasteur, la spiritualité l'accompagna depuis son enfance. Elle grandit
donc dans un questionnement sur l'humanité et la spiritualité.
Dans cette interview elle y invoque également les motivations de son
travail et les processus de ses pratiques.
Lors de sa lecture du Coran elle était Bouddhiste ,
elle y trouva des réponses à des questions dans sa quête
spirituelle, elle se convertit, porta le foulard , appris les fondements des
pratiques religieuse islamique mais partait du principe qu'elle pouvait quitter
cette religion si elle ne lui convenait pas.
Elle a donc entamé des études dans les
années 1970 sur l'Islam, et c'est en en mars 1973: « qu'une voisine
me donna une copie du Coran et c'est à ce moment que je suis
véritablement rentré dans l'islam
Elhamdoulillah40, c'est avec l'amour de l'Islam que j'ai
voulu changer et comprendre les choses »41.
39 Interview à la « Baraka Institut » par Shaykh
Fadhlalla Haeri
40 En arabe « Dieu Merci »
41 Ibid- Interview à la « Baraka Institut »
C'est ainsi que Amina Wadud appris l'arabe et appris à
intérioriser ce que ressentent les musulmans dit t'elle. « J'ai vu
une divergence entre ce que j'ai appris, intériorisé et ce que
vivaient les musulmans. Mon idéologie du divin était personnelle
*...+ pour moi la vie était parfaite car j'avais une nouvelle
compréhension, et je ne voulais que personne me dicte ce que j'entendais
par la... »42 . Amina explique qu'il n'existe pas de lecture
féminine du Coran et cette voix absente de la femme explique pour
beaucoup l'état actuel de la condition féminine dans les
sociétés musulmanes. La question du genre et du Coran est devenue
alors une thématique centrale pour cette militante, de plus elle a
compris que l'interprétation du coran et des préceptes islamiques
varie d'une région à une autre et cela l'amena à
réfléchir sur l'influence culturelle dans les lectures du
Coran.
Pour elle, sa foie s'exprime à travers ses
études, et ce qui la surprend c'est que les musulmans « ne lisent
pas assez le coran »43 car elle estime que toutes les
réponses y sont. Elle part du principe sous forme de
questionnement:« Si Dieu est juste pourquoi ya t'il des injustices dans
l'expérience humaine? ».
Ensuite cette auteure se penche sur la façon dont est
perçut « une bonne musulmane », elle dénonce
l'idée d'une piète féminine se définissant par la
patience, l'endurance des peines, le fait de consacrer son existence à
être une « bonne mère» ou une « bonne épouse
». En effet, on peut comprendre que la dimension de la relation
individuelle à Dieu et à la pratique de la foi est effacé
derrière ces prérogatives machistes, le rôle a jouer en
tant que croyante se mêle à un rôle social rendant cette
conception de la piété féminine peu crédible.
Amina Wadud se demande en pourquoi la définition d'une
bonne musulmane affecte la question des genres? Cette idée
révèle une force patriarcale qui soumet la femme à la
volonté masculine et cantonne son rôle à l'espace
privé (l'espace domestique). Elle invite alors les femmes à se
référer elles même au Coran. C'est l'une des raisons pour
lesquelles elle explique le rejet de l'islam par un certain nombre de femmes,
à cause d'un message divin à l'origine juste et libérateur
transformé par un monopole patriarcal tout au long de l'Histoire.
Elle insiste également beaucoup sur la
contextualisation de certains textes sacrés et l'utilisation qui en est
faite, s'agissant des femmes elle introduit l'idée d'une religion qui
dès son apparition bouleversa la société
profondément patriarcal pré-islamique par ses principes
libérateurs concernant les femmes: Pourquoi aujourd'hui les lectures qui
en sont faites tendent à opprimer la femme? Elle déclare que
cette révolution apportée par l'Islam fut assez vite
étouffée par la misogynie régnante.
42 Ibid
43 Ibid
Engagement de cette militante: Une (re)découverte de
l'Islam:
« The goal of islamic law is justice ,>44:
L'objectif des lois islamiques est la justice. Amina Wadud affirme qu'il y a
une implication sociale dans la théorisation de l'Islam et que le
rôle des femmes et de remettre en question cette lecture patriarcale en
s'appropriant elles même le Coran ainsi que sa compréhension.
C'est dans ses deux ouvrages Inside the gender Jihad et Qur'an and
Woman qu'elle revisite la question des genres et met en avant la
suprématie de l'âme en islam, le genre n'étant que
l'expression d'une complémentarité humaine pour la vie sur
terre.
Elle fait une analyse fine du vocabulaire arabe
(utilisé dans le Coran) qui selon elle admet des termes pour
désigner les êtres humains sans spécificité de
genre45 pour désigner les croyants et d'autres termes qui
soulignent leur complémentarité46 (n'impliquant donc
aucuns rapports de force).
Lorsqu'Amina Wadud était étudiante a
l'Université de Pennsylvanie elle fréquentait une petite
association d'étudiants musulmans, période au cours de laquelle
elle a connue le mouvement des Black-Power aux États Unis ainsi que la
vague féministe des années 1970 qui a connu un essor
considérable. C'est ainsi que l'islam fut pour elle dans ce contexte un
« échappatoire au phénomène accablant de la double
oppression en tant que femme afro-américaine ,>47. Cette
féministe se lance au nom de l'Islam dans ce qu'elle appelle le «
gender jihad ,>48 , une lutte qu'elle considère comme
faisant partie intégrante de sa foie et de la pratique religieuse pour
représenter au mieux le message Divin sur terre. Cette mission s'est
concrétiser à travers ses écrits questionnant ces
thématiques, un engagement actif au sein de l'association Sister in
Islam en Malaisie et en participant au lancement du premier congrès
internationale en 2005 à Barcelone des féministes islamiques.
Amina Wadud est professeure aujourd'hui en études islamiques à la
Virginia Commonwealth University afin de transmettre un savoir
islamique « au féminin ,>.
44 Amina Wadud « Qur'an and Woman »
45 Insan,...
46 Zewj,...
47 Amina Wadud« Foi et féminisme: pour un djihad des
genres », dans Existe-t-il un féminisme musulman?,
livre issu d'un colloque à Paris, septembre 2006,
organisé par la Commission Islam et laïcité L'Harmattan-Page
77
48 Le djihad des sexes
L'analyse de ce parcours féministe et religieux est
à la fois nous montre qu'il s'agit pour elle non seulement d'une lutte
contre les discriminations faites aux femmes mais son discours invite les
femmes se reconnaître en tant que sujet de leur histoire aux cotés
d'autre femmes. Les femmes ayant intériorisé ces normes comme
étant authentiques et suivant le dogme religieux elles ne sont pas en
mesure de porter un regard critique sur la question ; une domination masculine
légitimé par une interprétation patriarcale
dénoncé par cette militante. Elle revendique donc une
réappropriation de la religion par les femmes et pour les femmes.
Shahla Sherkat
Shahla Sherkat est la fondatrice de la revue féministe
iranienne « Zanan » en 1992, interdite de publication aujourd'hui.
Née en 1956 en Iran, elle est à la tête d'un des premiers
mouvements féministes fort en Iran. Son engagement actif durant la
Révolution iranienne de 1979, cette militante a su éveiller les
consciences iranienne sur divers problématiques concernant la condition
féminine en Iran mais aussi d'un point de vu politique pour de nouvelles
réformes.
Libre et audacieuse, Shahla Sherkat a su continuer son combat
malgré plusieurs interpellations en Iran et une arrestation de quatre
mois en 2001 suite à son intervention dans une conférence
à Berlin dans laquelle elle a prononcé un discours sur les maux
sociaux et l'avenir politique en Iran. L'édition de sa revue Zanan fait
d'elle une des pionnières du mouvement de libération
iranienne.
Elle a entrepris des études de psychologie à
l'Université de Téhéran et a obtenue un certificat en
journalisme de l'Institut Keyhan (Téhéran). Depuis 2002, elle
étudie afin d'obtenir sa maîtrise en études
féminines à l'université Allameh Tabatabai. En 2005, elle
a également obtenue deux prix pour son engagement avant gardiste:«
Louis Lyons Award, The Nieman Foundation for Journalism » ainsi que «
The Courage in Journalism Award » à l'université d
'Harvard.
Le militantisme féminin en Iran a connue un essor
considérable au cours des révolutions politiques durant lesquels
ces mouvements ont joué un rôle important dans
l'amélioration des conditions féminines.
Pour comprendre l'enjeu et la portée de l'engagement de
cette féministe iranienne, il serait judicieux de faire un bref rappel
historique de l'évolution de la condition féminine en Iran:
De 1931 a 1979: Acquisition des droits politiques et
civiques des femmes:
C'est sous le régne des Pahlavi49 que la
condition féminine en Iran a connu les améliorations les plus
considérables. Fondé sur la Charia50 , l'institution
juridique avait mis en place un ensemble de lois visant a promouvoir les droits
de la femme et lui garantir une certaine autonomie.
· Age légal du mariage des femmes fixé
à 18 ans en 1973 ( au lieu de 9 ans)
· Droit au vote et de l'éligibilité
accordé en 1963.
· Une loi de la protection de la famille renfermant des
règles relatives au divorce, à la polygamie, au droit à
l'héritage,... afin de garantir une justice au sein de l'institution
familiale.
· Fondation de l'OFI (Organisation des femmes
iraniennes) en 1964 par la princesse Ashraf Pahvali51. Cette
organisation réunit divers organismes qui s'occupent de confort
familial, de protection des enfants, de formation professionnelle, de planning
familial et de conseil juridique.
· D'autres lois suivent ensuite, visant à faciliter
l'accès des femmes aux fonctions jusque là
réservées aux hommes (notamment dans le domaine juridique).
Dans ce contexte où le port du foulard était
interdit, les femmes constituaient 30% des étudiants de
l'Université de Téhéran et elles entrèrent
activement dans la sphère publique et politique. Cependant ces
avancées ne concernent que les femmes urbaines, les femmes rurales
étant peu éduquées ont même vu leur situation se
dégrader du fait de la montée de la modernisation et donc de
l'appauvrissement des zones rurales. La situation des femmes et leurs
engagements étaient intimement liés à la politique de
l'Iran, elle y joue un rôle déterminant dans la mise en oeuvre de
ces avancées. Ainsi la condition féminine iranienne est le reflet
du type de pouvoir en place dans cette nation qui a connue beaucoup de
bouleversements politiques.
49 La dynastie Pahlavi est la dernière dynastie iranienne
avant l'avènement de la république islamique.
50 Droit islamique
51 Née le 26 Octobre 1919 à Téhéran,
c'est la soeur jumelle de Mohammad Reza Pahvali, le dernier Shah
de la dynastie Pahvali d'Iran.
Révolution iranienne et instauration de la
république islamique:
Avec la révolution iranienne de 1979, l'arrivée
de Khomeini diminue considérablement le droit des femmes à cause
du conservatisme religieux. Cette république islamique privilégie
la restriction de la place des femmes à l'espace privé. Une des
premières modifications du droit des femmes s'illustre par l'abrogation
de la loi sur la protection de la famille, favorable aux femmes,
votée a l'époque du Shah. Le port du hijab devient obligatoire,
les femmes sont désormais soumises à la Charia, elles sont
écartées de toutes les hautes fonctions publiques, l'âge du
mariage est reculé à celui de 9 ans et ce gouvernement met en
place une ségrégation spatiale52; on assiste ainsi
à l'annulation de tous les acquis sociaux pour les droits des femmes
sous la dynastie des Pahlavi.
Mort de Khomeini et reprise du militantisme
féminin:
Les revendications de la société civile
recommencent a s'exprimer de manière assez notable,
particulièrement celles des femmes a qui l'État peut
difficilement refuser de reconnaître la participation a la
révolution, a la guerre, et l'implication dans la bonne marche du pays
alors que la majorité des hommes étaient au front (à la
guerre opposant l'Iran à l'Irak). Ceci dit les dirigeants qui ont suivit
Khomeini reste religieux dans leur discours et privilégient toujours la
limitation du rôle des femmes dans le cadre privé. C'est ce qui
entraina l'émergence de groupement de femmes instruites qui critique
cette position qu'elles ont longtemps combattues. Il existe à l'heure
actuelle 3 types de militantisme féminin en Iran : Les
musulmanes traditionalistes (issues de la classe moyenne
traditionnelle ou des familles cléricales ) elles prônent un
retour à la vie active mais dans les limites imposées par la
charia et dans la séparation avec les hommes; les musulmanes
modernistes (originaires de la classe moyenne traditionnelle mais
instruites et actives) elles veulent l'amélioration de la condition des
femmes et leur insertion dans la sphère publique et politique, une
émancipation de la femme fondé sur une
réinterprétation des textes religieux. Ce courant tire sa force
du journal Zanan de Shahla Sherkat. Shahla fait donc partie de ce mouvement
moderniste et religieux à la fois. Puis il y a les
modernistes laïgues (issues pour la plupart de
la classe moyenne moderne, très instruites suite aux changements
amenés par les Pahlavi). Elles revendiquent une séparation du
religieux et de l'État et ne prennent pas en compte la charia dans leur
militantisme.
52 Par exemple:ségrégation dans les bus (femmes
à l'arrière et hommes à l'avant)
Si nous revenons sur le parcours de Shehla Sherkat on
remarque donc qu'elle s'inscrit dans une tradition de militantisme propre
à l'Iran et son discours est un appel qui vise à reformer
l'esprit citoyen de son peuple pour la justice et la démocratie.
Après l'interdiction de publication de son journal, accusée de
peindre une image négative de la situation de la femme en Iran elle
continu à militer à travers des sites internet, des
conférences et encourage l'action politique féminine en Iran et
dans les pays musulmans.
«A l'instar du feu sous la cendre, ces mêmes
femmes simples, ordinaires, qui étaient négligées par les
intellectuels à l'époque du Chah, ce sont elles qui, aujourd'hui,
incarnent le mouvement. Étant sorties de quatre murs de leur maison
à la faveur de la révolution, elles ont commencé à
se rencontrer et à se raconter dans les files de ravitaillement et ont
enfin compris qu'elles ont une histoire, qu'elles sont l'histoire. »53;
c'est dans cet état d'esprit que Shahla considère les
mouvements féministes en Iran , dont elle rappelle le rôle
essentiel qu'ils ont joué dans la révolution et durant la guerre
opposant l'Iran à l'Irak, comme le reflet d'un renouveau islamique juste
et authentique. Au delà de la lutte féministe pour
l'émancipation de la femme, c'est un militantisme nationaliste pour des
meilleures perspectives d'avenir en terme politique et civique en Iran. La
spécificité des mouvements féministes islamiques ainsi que
les militantes musulmanes s'exprime par la multiplicité des terrains de
revendications dans la mesure où ce sont des luttes qui touchent
plusieurs sphères de la vie politique et sociale. C'est en ce sens que
l'on peut affirmer que ce ne sont pas seulement des luttes féministes
mais aussi d'ordre nationalistes, politiques et idéologiques.
On peut penser que l'aspect multidimensionnel de ce type
d'engagement est lié au fait qu'il est fondé sur une nouvelle
lecture de l'islam, en effet l'islam étant une religion qui régit
l'ensemble du fonctionnement social et politique de la communauté, il
est donc logique que ces discours réformistes visent plusieurs domaines
de la vie politique et sociale.
Dans un entretien paru dans le Figaro publié en Juin
2009, Shahla Sherkat déclare : « Zanan a jeté les fondements
d'un féminisme iranien, non calqué sur l'Occident. Nous avons
interviewé des ayatollahs progressistes, qui prônent une relecture
moderne de l'Islam et l'égalité entre les hommes et les femmes.
» ; Shahla déclare lutter contre des traditions archaïques
instaurées par le régime de Khomeini qui voit en la femme
uniquement une « mère ou une épouse ». Malgré
les forces rétrogrades en Iran et leur haute surveillance de ces groupes
féministes, ces femmes ont arraché malgré tout des
victoires54.
53 <<Zanan: le journal de l'autre Iran » Shahla
Sherkat , Editions CNRS- 2009
54 << le recul des députés conservateurs qui
souhaitaient rétablir la polygamie et une réforme de la loi
sur
l'héritage, qui permet désormais aux veuves
d'hériter des terres de leur mari » Être féministe
en Iran- Le figaro
Malgré son arrestation et la fermeture de son journal,
Shahla reste confiante :« Quand le magazine a fermé, toute mon
équipe pleurait. Pas moi. Je les consolais. Je suis une optimiste
farouche »55; elle soutient activement le candidat réformiste
Mohammad Khatami en espérant relancer un autre magazine à travers
lequel les femmes iraniennes pourront s'exprimer.
Cette militante dont le parcours fut périlleux et
semé d'embuches voit en sa lutte un combat légitime et
sacré, car ses motivations consistent à transformer ce qu'on a
fait passer comme étant « l'Islam » en le replaçant sur
la voie d'un message coranique portant sur l'égalité des sexes et
la justice social.
Ce parcours nous illustre les difficultés auxquels est
confronté ce type de positions en terre d'Islam; les consciences
politiques et collectives rejettent une association entre féminisme et
Islam. De plus la dichotomie entre Orient et Occident qui sont des
catégories construites, constitue un frein à
l'émancipation de ces femmes dont la posture est vue comme une «
trahison » aux valeurs islamiques puisque «
occidentalisées»; ceci malgré une légitimité
qu'elles revendiquent par leur attachement aux écrits religieux.
55 Ibid.
Irshad Manji
Le parcours intellectuel et la posture de cette militante
canadienne nous permet de voir un positionnement féministe fondé
sur une lecture de l'islam différente des principes du féminisme
islamique que l'on connait. En effet, son discours met en évidence la
diversité des discours féministe et musulman. Elle rejoint dans
un certain sens la majorité des mouvements féministes musulmans
dans la mesure où elle prône « l'ijtihad ».Ceci dit
l'aspect très libéral et innovant de ses idées pour un
renouveau islamique témoigne de l'émergence d'une nouvelle
facettes de féministes musulmanes dans les pays anglo-saxons qui
remettent en cause les principes les plus ancrées en Islam.
L'intérêt pour nous est d'analyser cette posture
militante différente de celle des autres femmes afin de voir l'impact
d'une telle attitude sur la portée de son discours.
Parcours social et intellectuel:
Irshad Manji est une journaliste et militante
féministe canadienne. Elle se définit comme étant
musulmane et lesbienne et critique de manière virulente
l'interprétation étroite et extrémiste du Coran en
prônant un « ijtihad », elle revendique une
ré-interprétation du coran à la lumière des valeurs
modernes. Elle soutient les courants de libre pensée et défend
l'idée d'un islam libéral où la condition féminine
serait améliorée. Considéré par le New York Times
comme étant « le pire cauchemar d'Oussama Ben Laden ». Elle
rejoint le mouvement du féminisme islamique dans sa volonté de
favoriser « lijtihad » pour une nouvelle lecture du coran.
Son ouvrage qui a connu un considérable succés
« Musulmane mais libre » (The Trouble with Islam Today) ,
traduit en plusieurs langues; elle publie également des articles
traitant de cette question de l'islam et de la femme. Étant très
médiatisé aux États Unis par les plus prestigieuses
chaines de télévision et les journaux les plus lus, l'opinion
publique américaine semble accueillir positivement ses idéaux et
son engagements.
Née dans une famille musulmane en 1968 en Ouganda,
elle avait quatre ans lorsque sa famille immigra au Canada. Elle est originaire
d'une famille sud asiatique , ayant vécue un enfance difficile elle
l'évoque dans son premier ouvrage pour expliquer sa volonté
d'émancipation et de donner un renouveau à l'islam.
Elle suit des études en Histoires à
l'Université de la Colombie Britannique ( au Canada), poursuit en
journalisme et travailla également au sein du parlement canadien ainsi
en tant que porte parole d'Audrey McLaughin ( leader d'un parti politique
canadien). Elle anima plusieurs émissions (QFiles sur City TV,
Public Interest sur Vision TV,...). Elle est actuellement
présidente d'une chaine de télévision canadienne
consacrée à la jeunesse dans des débats portants sur
divers thèmes de la vie citoyenne.
Son engagement et son audace dans ses discours lui
conféra plusieurs prix dont le prix du courage Simon
Wiesenthal ainsi que le premier prix Chutzpah Award
d'Oprah Winfrey. Elle a fait plusieurs apparitions sur la
scène internationale dont la Women's Forum Leadership
Conference.
Conviction politique et religieuse:
Irshad Manji est homosexuelle et condamne avec virulence la
condamnation de l'homosexualité par les États islamiques; une
condamnation qu'elle juge allant à l'encontre des principes même
islamiques étant donné l'image d'Allah véhiculé par
le coran: « Allah a rendu excellent tout ce qu'il a créé
». Si ont suit cette logique, aucune créature ne doit être
condamné ou attaqué.
Ses idées ainsi que son amitié et son soutient
pour Salman Rushdi56 lui ont valu des menaces de mort, elle vie donc
sous une haute surveillance. Elle participa à la rédaction du
manifeste « Ensemble contre le totalitarisme, le Manifeste des Douze
» (co-écri notamment par Salman Rushdi, Ayaan
Hirsi Ali* et Taslima Nasreen) en réponse aux menaces
suscitées
56 Auteur de « Les versets sataniques »
par la caricature danoise du Prophète musulman
Mahomet. Elle défend l'idée d'une liberté d'expression et
de pensée et cette signature avec ces auteurs « condamnés
» illustre cette prise de position en faveur d'une liberté qu'elle
souhaite « inculquer » à la culture islamique et plus
particulièrement arabo-islamique. En effet, elle souligna dans divers
intervention le poids de la culture arabe dans l'interprétation
extrémiste et masculine du Coran, elle est considérée par
les critiques comme étant anti-arabe et sa connaissance du monde arabe
est souvent remise en cause.
Les critiques à son égard ciblent son style de
vie et ses convictions, une posture qui selon eux ne donne aucune
validité à ses propos. Elle est perçut comme un outil
médiatique et politique occidental pour contredire les États
arabes et musulmans. Ils affirment que sa célébrité vient
du fait qu'elle dit ce que les médias occidentaux veulent entendre au
sujet de l'islam.
Son prochain ouvrage qui sera publié prochainement (en
juin 2011) :« Allah liberty and love » met en avant un message de
paix et d'amour universel inspiré d'une croyance islamique à
laquelle elle affirme son appartenance. Elle veut revisiter ce que l'on entend
par l'Islam et le message qu'il véhicule.
Irshad Manji donne vie à sa pensée à
travers un site web dans lequel elle invite le public musulman ou non a
débattre de sujets divers et variés et fait appel au sens
critique en exposant des analyses de la vie en communauté, de la
citoyenneté, de la place des femmes, de l'Islam et d'autres
thématiques sociologiques et politiques pour un renouveau spirituel et
intellectuel musulman.
Analyse de son engagement:
Si l'on se situe du point de vue des critiques auxquels elle
a fait face, il s'agirait de remettre en cause son opposition à la
culture arabe et islamique dont elle fait une association assez
stéréotypée. On lui reproche sa méconnaissance du
monde arabo-islamique dans la mesure où elle rejoint Ayaan Hirsi Ali en
catégorisant l'islam comme une religion appropriée et
imprégnée par la culture arabe d'où « le mal et
l'archaïsme » dans lequel ces populations vivent.
Irshad Manji ne porte pas le voile et a
témoigné de sa position contre la burqa voire contre tout voile
islamique. L'engagement de Irshad Manji n'est pas seulement féministe
mais elle mobilise ses discours sur plusieurs terrain, cependant sa vision de
l'islam nourrit la plupart de ses interventions.
En effet, le message principal qu'elle tente de transmettre
à travers ses écrits c'est que l'Islam est une religion de
tolérance et de justice mais que l'Histoire et l'interprétation
abusive du Coran est la source des maux des sociétés musulmanes.
Elle expose sa vision de cette religion comme celle de l'acceptation de l'autre
et celle du débats et de la réflexion opposée à un
obscurantisme rigide qui a longtemps été associé à
l'Islam par certain. C'est en ce sens qu'elle invite les musulmans, les savants
et toutes les instances islamiques a accepter les critiques et les nouvelles
interprétations des textes religieux afin de lui donner plus de
crédibilité dans notre monde moderne: « Islam deserve better
from us " *interview sur aljazeera english - Mars 2008; ce qui veut
dire que l'islam mérite mieux de notre part, c'est donc une invitation a
modifier le socle spirituel rigide d'après elle qui entoure l'islam.
Elle part de l'idée suivante: étant donné que l'islam
prône la tolérance, elle se doit en tant que musulmane mettre en
oeuvre ce message central qui est celui de donner la réelle image de
cette religion, une image démocratique fondée sur la
liberté de pensée, de culte. C'est un code qui régit la
vie en collectivité et la manière dont on doit traiter « les
autres " à savoir que ce soient les musulmans ou les non musulmans.
Cette militante ne se situe pas par rapport à un
mouvement féministe islamique, mais sa position en tant que femme
musulmane et sa position pour une émancipation de la femme en valorisant
l'égalité des sexes, la justice et une relecture du Coran et des
préceptes islamiques nous amène à dire qu'elle
présente des singularités avec les figures féministes
musulmanes qui émergent de plus en plus sur la scène
internationale. Il faut souligner cependant que son style de vie et ses
discours constituent une véritable révolution souvent mal
accueillis (et rejetés) par l'opinion publique des pays musulmans car en
effet au delà de ses idées novatrices, son homosexualité
et son engagement en faveur des mariages homosexuels ont suscité de
virulentes critiques et controverses. Des controverses remettant en cause son
statut de musulmane et donc mettent en péril ses discours et son opinion
sur l'Islam.
On constate qu'il s'agit, pour cette écrivaine et
journaliste canadienne, de redéfinir ce qui est véhiculé
par cette religion si nous souhaitons aspirer à l'égalité
des sexes et à la justice en terre d'Islam. Son engagement politique, sa
prise de position (par exemple: celle de soutenir Salman Rushdi, auteur de
« Les versets sataniques », son style de vie et son oeuvre dessine un
autre visage à la lutte féministe islamique.
Il est important de rappeler que le public qui accueille
positivement sa position est principalement le public occidental (canadien et
américain en particulier), sa voix n'est pas valorisée dans les
médias arabo-islamiques et les critiques à son égard dans
les pays musulmans prennent parfois aussi forme de menaces de mort.
On peut dire que son attitude et sa position
idéologique libérale ont eu un impact sur son discours et la
manière dont il est reçu. En fonction des espaces
géographiques son engagement n'est pas perçut de la même
façon. Cette réticence aussi violente à son égard
peut s'expliquer par le fait qu'Irshad Manji remet en cause des dogmes
religieux profondément ancrés dans l'idéologie musulmane
et elle s'adresse à toute la communauté en pointant du doigt
l'aspect néfaste de la culture arabe sur cette religion.
Elle se situe sur plusieurs terrains de revendications et sa
volonté de changer une « globalité » rend sa lutte
difficile dans la mesure où elle s'adresse à un ensemble qu'on a
du mal à définir: les nations arabes? Les musulmans et les non
musulmans? Les citoyens canadiens? ; c'est ce qui la différencie
également des mouvements féministes que nous avons au
préalable cités car ces groupes s'adressent à un ensemble
bien défini, c'est-à-dire à l'ensemble de la
communauté musulmane au nom d'une population donnée.
De plus Irshad Manji vit dans un pays où l'Islam n'est
pas la religion d'État ce qui nous amène à se demander au
nom de quelle population elle revendique un changement ? Est ce la raison pour
laquelle elle est violemment critiquée par les nations directement
concernées (les pays musulmans).
C'est ce flou autour de sa posture remettant en cause sa
pratique de l'Islam qui constitue un frein à son acceptation par la
communauté musulmane en tant que féministe musulmane.
DES POSTURES DIFFERENTES ADOPTEES PAR CES FEMMES
Quelle est l'attitude légitime à
adopter?
Ces postures sont différentes mais communes à
la fois dans la mesure où elles se situent sur un terrain de
revendication tirant une légitimé des textes religieux. On
constate que ce statut a une implication sociale considérable faisant de
ces femmes les ambassadrices d'un mode de pensée naissant en
contradiction avec les valeurs communes, à savoir des valeurs
démocratiques se greffant à la spiritualité.
La dichotomie Orient / Occident participe à
l'étiquetage de ces femmes comme étant «
occidentalisées » ou trahissant les valeurs des
sociétés musulmanes. Cette mise à l'écart des
féministes musulmanes se traduit par les critiques et les controverses
qu'elles suscitent dans leurs postures et leur discours
révolutionnaires. La particularité de leurs discours se trouve
dans sa portée révolutionnaire car ces femmes revendiquent une
réforme totale et globale du fonctionnement politico-juridique
islamique.
C'est une remise en cause profonde de l'institution islamique
aujourd'hui au travers d'une réinterprétation des textes
religieux. C'est une réforme visant à bouleverser le champ social
et culturel de ces sociétés par le biais de ce qui
régissait cet ordre social : la religion musulmane. Une autre
instrumentalisation de la religion mais cette fois-ci au service de
l'égalité et de la justice. Utiliser la source de leur oppression
pour leur libération met à mal leur posture de militante,
d'où leur difficulté à se faire entendre. De plus il
s'agit d'une lutte englobant toutes les sphères de la vie en
collectivité ce qui nous amène à dire que le
féminisme islamique peut constituer un phénomène
révolutionnaire à part entière.
Ces différentes façon de militer (écrire,
fonder des associations, diriger une prière, participer à une
révolution politique,...) sont autant de manières visant à
prouver à l'opinion publique, au reste de la société que
le pouvoir féminin peut servir la cause civique, politique et
intellectuelle. Les prix décernés à ces femmes et leur
médiatisation symbolisent le début d'une acceptation de leur
revendication dans un contexte où l'Islam est une religion de plus en
plus politisée.
Si on se penche sur le discours et les écrits de ces
féministes on comprend qu'elles se distinguent des féministes
laïques dans leur manière d'aborder l'émancipation
féminine. En effet, les féministes musulmanes
réfléchissent en terme de complémentarité: Les
genres sont différents, complémentaires et se complètent
soumis ainsi à une logique divine où « l'âme »
est jugée de façon égale mais dont « l'enveloppe
» sur terre peut revêtir la forme du genre masculin ou
féminin; deux genres ayant des droits et des devoirs différents
tendant à une justice sociale. S'agissant des féministes
laïques, il est question d'une égalité niant les
différences de manière à créer un équilibre
parfait entre les sexes.
· Être féministe et musulmane:
La question du regard et de l'opinion publique sur cette
posture intellectuelle:
Pour comprendre l'importance et l'impact de la notion du
regard s'agissant de notre objet d'étude il semblerait judicieux de se
pencher sur l'image et la manière dont est perçue la femme
musulmane en général et dans le contexte moderne. Ceci nous
permettra de comprendre un des aspects expliquant la place qu'occupent les
féministes musulmanes au sein de l'opinion publique.
Dans la tradition judéo-chrétienne (et dans une
certaine mesure la tradition islamique et préislamique dans les
sociétés patriarcales arabes), le corps de la femme a souvent
été associé au péché de chaire, à la
tentation et donc à tout ce qui attrait au diable, au mal. Le corps de
la femme alimentait les fantasmes les plus refoulées d'où
l'oppression que subissaient les femmes avant la Révolution. C'est ainsi
que petit à petit en réponse à cela les femmes ont
libéré leur corps du joug patriarcale et misogyne, une
libération qui est passée par le développement d'un mode
vestimentaire propre à elles. Ces femmes ont ainsi contré les
anciennes règles rigides qui encadraient la façon de s'habiller,
se tenir et de se montrer en public. On comprend que cette révolution
qui s'est mise en place en parallèle n'est pas seulement le
résultat d'une longue lutte mais reflète un fort symbole
d'affranchissement: Être libre de se montrer tel qu'on le souhaite est un
droit valable aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
Ne plus être perçu a travers un oeil
réprobateur mais comme une citoyenne jouissant des pleins droits
accordés par les valeurs républicaines. La lutte pour
l'égalité n'est pas seulement d'ordre politique mais on comprend
ici qu'il s'agit également d'une modification (plus ou moins
inconsciente) de la perception qu'on a des femmes. C'est ce changement du
paysage politique et historique qui transforme également notre
regard.
« Regarder » n'est pas seulement une
activité physique propre à chacun, et au delà des
sensibilités individuelles, il y a le contexte socioculturel de chaque
société à un moment donné de l'Histoire qui
façonne notre perception. Le regard porté sur une femme
aujourd'hui dans l'espace publique n'est pas le même que celui datant
d'il y a environ deux cents ans... On ne peut détacher l'étude de
la place du regard dans nos sociétés sans prendre en compte le
contexte.
Les femmes ont toujours été au coeur des
débats impliquant le regard posé sur elle: s'agissant de
motivations politiques ou religieuses, femmes objets ou femmes
opprimées, la question du regard est la principale source de ces
controverses.
Saba Mahmood souligne dans son ouvrage57 que la
caractéristique principale de la femme musulmane dans sa manière
« de se présenter au monde et à la société
» est la modestie. La modestie devient un critère de la femme
musulmane et ceci doit s'exprimer à travers plusieurs paramètres:
l'aspect vestimentaire, l'attitude, les paroles, etc...L'auteure insiste sur
cet aspect (la modestie) pour définir la femme musulmane, de plus la
« modestie58 » est prônée par les
féministes (les dayate59) égyptiennes issues de la
classe moyenne (population étudiée par l'auteure dans cet
ouvrage). Ce sont ces femmes prenant la parole dans les mosquées et les
conférences islamiques qui rappellent l'importance de la pudeur et de la
modestie s'agissant des femmes.
On remarque bien que la vision de la femme telle qu'elle doit
être varie selon ces femmes engagées: Certaines comme nous l'avons
vu au préalable revendiquent une présence affirmée et
forte de la femme dans l'espace public alors que d'autres (comme les
féministes égyptiennes du Caire étudiées par Saba
Mahmood) prônent plutôt la modestie et la discrétion qui
selon elles valorise ( et caractérise) la femme.
57 Politique de la Piété, Le féminisme
à l'épreuve du renouveau islamique - La Découverte
2009
58 Porter le voile islamique, servir son foyer: mise en valeur
de la sphere privée comme au coeur de la vie sociale.
59 Savante musulmane prêchant la parole divine.
S'agissant d'une valeur comme celle de la modestie
(s'illustrant principalement par le port du voile et l'occupation de la
sphère privée) on peut s'interroger sur la place de l'action
publique de ces femmes: Être engagée mais « modeste »
à la fois semble relever de l'ordre de l'impossible; comment peut on se
mobiliser, vouloir changer et améliorer l'ordre social établie en
adoptant une posture effacée et discrète? C'est cette attitude
pourtant que défendent un grand nombre de féministes musulmanes
en Egypte et en Arabie Saoudite.
Servir le privé pour améliorer le publique est
une manière de garder les femmes au sein de la sphère domestique,
c'est une position discutable. Pourquoi ce courant d'idées
établie un lien direct entre la « modestie » féminine
et la stabilité sociale (une stabilité qui tend vers une justice
sociale); un lien quelque peu paradoxal mais qui entre dans le schéma
normatif dans la mesure où les femmes sont maintenue dans un champs
d'action réduit ( sphère privée).
Cette volonté de ne pas sortir du cadre normatif
illustre cet état d'esprit répandu dans certains pays musulmans
à savoir la discrétion des femmes dans le paysage de l'espace
publique (incluant également le paysage médiatique). C'est cette
tendance contre laquelle luttent les féministes dont nous avons
analysé les parcours. Cette nouvelle vague de féministes
musulmanes qui revendiquent une totale implication dans le champ politique et
social s'oppose à la tradition qui enferme les femmes dans l'espace
domestique; ceci s'explique notamment par l'engagement nationaliste de ces
groupes féministes60.
Ceci dit on pourrait si nous nous plaçons d'un autre
point de vue, on retrouve une autre interprétation de la notion de
modestie qu'implique le voile :
« Les filles voilées parlent » ouvrage
co-écrit par Ismahane Clauder, Malika Lateche et Pierre Tevanion. Ce
livre donne la parole aux femmes musulmanes voilées, ce sont des
entretiens qui se succèdent à travers lesquels on peut comprendre
la manière dont elles perçoivent et ressentent le regard des
« autres » sur elles.
Il est aisé de constaté que pour la plupart de ces
femmes le voile est une source de protection et fait partie entière de
leur identité individuelle.
L'islam est pour ces femmes plus une source de protection et
non d'oppression. Elles disent que la notion de liberté en Islam ne se
limite pas à l'aspect vestimentaire de l'individu, ce n'est pas en se
voilant qu'elles restreignent leur liberté.
60 Féministes Iranienne (ayant participer à la
révolution politique), palestiniennes( lutte pour la libération
des terres occupées) ,marocaines et algériennes ( ayant
participer à la décolonisation).
S'agissant de la manière dont elles sont
perçues, elles évoquent toutes le fait d'être
lassées par un regard de « compassion » les
catégorisant comme étant opprimées ou soumises. C'est ce
regard qui les opprime diront certaines. Leur principale revendication c'est
d'être perçues, vues comme les autres femmes, elles revendiquent
un regard « neutre » sans aprioris.
Un regard différent porté sur elles pourrait-il
changer le cours des événements? Donnerait-il un autre sens
à la posture à adopter par les femmes musulmanes et par les
féministes musulmanes?
Nous sommes tentés ici de répondre « oui
»... En tout cas, toutes proportions gardées car d'autres variables
peuvent venir expliquer ce phénomène. Ceci étant nous
pouvons entrevoir l'impact du regard sur le destin social d'un groupe
donné. Un regard ici qui reflète clairement une divergence
idéologique entre ceux qui « regardent » et ceux qui sont
« vues ».
La question du voile, du non port du voile (vu comme une
trahison des valeurs islamiques par certains), de la Burqa etc. témoigne
de l'importance de la place du regard concernant les femmes musulmanes et le
monde moderne dans lesquels elles vivent aujourd'hui. Ceci nous rend compte de
de l'impact d'une notion telle que celle de la perception dans les rapports
entre les genres mais aussi dans la logique de l'espace publique.
Cette réflexion et ces controverses aujourd'hui autour
de ces thématiques nous permettent d'affirmer que le regard sur la femme
est toujours imprégné des valeurs et des normes de la
société concernée à un moment donné de
l'Histoire lui assignant ainsi une place ou une catégorie souvent
difficile pour elle de s'en défaire.
CONCLUSION
« Il semble impossible de débattre d'une pleine
égalité des musulmanes sans une transformation complète
à l'intérieur de l'islam »61 c'est ainsi qu'il
faut percevoir le féminisme islamique aujourd'hui dans son expression
sur le terrain et dans les discours.
En effet la remise en cause du patriarcat implique en elle
même une réforme des valeurs et des normes qui entoure cette
religion. Il s'agit donc de débarrasser l'islam de la domination
masculine à travers une lecture objective et juste des écrits
religieux. Ceci demande une totale et profonde réforme au sein
même de la religion telle qu'elle est perçue actuellement par la
majorité (ou du moins par les hommes qui dirigent cette
communauté).
Stéphanie Latte Abdallah montre dans ses études
sur les femmes en Palestine62 que la spécificité des
pays arabo-islamiques s'illustre par le rapport étroit qui existe entre
la morale et la politique. En effet , l'influence de l'ordre moral et les
injonctions normatives régissent l'activité politique. C'est ce
phénomène qui participe au maintient des femmes à
l'écart de la scène publique. L'ordre traditionnel étant
intimement lié à la religion une réforme de celle ci
proposée par les féministes musulmanes rend cette initiative une
remise en cause profonde de l'organisation du pouvoir.
C'est en ce sens que l'analyse de cet objet d'étude
nous permet de cerner la particularité d'un tel mouvement dans la mesure
où comme nous l'avons vu ce sont des revendications féministes
mais qui rentrent dans une logique multidimensionnelle et peuvent revêtir
plusieurs formes selon les mouvements63 . Le pouvoir est
mondialement détenue par les hommes et ce malgré toutes les
révolutions féminines qu'a connu le monde. C'est ainsi que se
forme de nouvelles voix féministes à travers le monde pour
réaffirmer le droit à l'égalité entre les sexes, et
la montées des féministes musulmanes symbolise un renouveau
idéologique mettant le doigt sur ce qui à longtemps
été considéré comme uniquement « occidental
».
C'est en ce sens que se dresse un réel premier combat
pour ces femmes qui est celui de dépasser cette dichotomie Orient/
Occident présente dans les esprits pour légitimer leur lutte.
Briser cet a aprioris pour rendre leurs discours crédibles est la
principale difficulté que rencontre le féminisme
61 Amina Wadud, Inside the Gender Jihad p. 188.
62 Femmes réfugiés palestiniennes , PUF -2006
63 Les féministes iraniennes, les dayat
égyptiennes, ou les féministes musulmanes provenant des pays
anglosaxons, etc...
islamique dans un monde où les catégories
constitues un paysage intellectuel et politique normé dont on a du mal
à en sortir. Le propre du féminisme islamique est d'agir au nom
des droits de l'Homme universels en maintenant une spécificité
religieuse; et c'est ce que « la paresse intellectuelle
»64 définit comme étant un paradoxe.
Quand le féminisme musulman surmontera cette
barrière intellectuelle crée par l'imaginaire collectif , les
revendications seront sans doute mieux reçues et donc entendues et
légitimées. C'est ainsi que le féminisme islamique
rencontre une double difficulté: Dépasser l'association à
l'occident du terme « féminisme » et faire face au patriarcat
fortement ancré dans la société.
L'étude de ces différentes trajectoires
féminines et l'analyse de la place actuelle de cette posture dans les
débats nous amène à dire que ce féminisme regroupe
toutes les caractéristiques pouvant alimenter de virulentes controverses
étant donné le contexte normatif actuel.
De plus la question de la différence des sexes et du
droits des femmes ont tellement été politisées que cela a
provoqué de violentes réactions quand ces dernières sont
pensées en terme religieux.
Ceci dit le féminisme marocain qui a donné lieu
à une révision de la Charia donna naissance à la loi
Mudawana en 2004 en faveur des droits juridiques des femmes a constitué
une réelle avancée en terme d'émancipation féminine
et a octroyé de considérables droits aux femmes victimes
d'injustices; le féminisme iranien a également su asseoir sa
place grâce à sa participation active à la
révolution politique du pays... Tous ces éléments mettent
la lumière sur les changements concrets apportés par ces
revendications mais ceci reste limité si on considère le chemin
restant à faire...
Le plus rassurant c'est que le féminisme islamique
parle au nom de la modernité, dans l'optique de sortir de
l'obscurantisme et de l'archaïsme qu'aucun esprit rationnel et construit
ne peut accepter aujourd'hui...
Pourtant tout au long de l'Histoire
réinterpréter des textes religieux, se référer aux
droits de l'Homme, se baser sur les valeurs républicaines,... ont
constitués autant d'éléments qui ont servit à
dénoncer la discrimination faite aux femmes mais force est de constater
que les réalités sociales et culturelles ont élevé
des barrières ( les normes, les traditions, l'imaginaire collectif, les
a prioris etc...) entre ce qui doit être et ce qui est ; faisant du
féminisme une voix non écoutées ou peu prise en
64 Terme judicieusement choisi par Julien Beaugé pour
définir les aprioris et les idées concernant cette
thématique.
considération. C'est la raison pour laquelle toutes les
voix féministes doivent s'élever et se démarquer pour
dépasser les tabous et les normes qui perpétuent la domination
masculine.
Pour voir les femmes naturellement dans la politique et dans
une égalité de droit avec les hommes il est nécessaire de
briser cette invisibilité des femmes tout en légitimant cette
rébellion: C'est pourquoi le cas du féminisme islamique nous rend
compte de l'enjeu crucial des moyens mis en oeuvre pour cette révolution
féminine. En effet , réinterpréter les textes religieux
pour ces militantes musulmanes est une manière de contrer ce qui a
longtemps servi à légitimer leur oppression.
Ainsi, pour libérer les esprits il faut commencer par
les atteindre et pour se faire il est nécessaire de passer par une voix
prise en compte: En terre d'islam c'est celle du Coran. Pour légitimer
des revendications dans des sociétés où la
spiritualité est de rigueur il faut rendre cette dernière
l'origine de la liberté. Si l'ordre divin est un ordre
d'égalité, de tolérance et de justice , les croyants
suivront ce modèle avec conviction. Cette « occidentalisation
» du féminisme peut être considérée comme un
prétexte parmi d'autres pour rejeter ces voix d'émancipations en
terre d'islam.
Comme le souligne Pierre Bourdieu dans son ouvrage La
domination masculine , les femmes ont intériorisé la
domination des hommes de manière à consentir inconsciemment
à celle ci . Les femmes ont intériorisé tout au long de
leur socialisation leur statut inférieur à celui des hommes et
donc elles participent à la perpétuation de la domination
masculine. Il en va de même pour les sociétés musulmanes,
c'est un phénomène sociologique qui touche tous les univers
sociaux, et c'est en ce sens qu'une remise en cause profonde des codes
régissant et soutenant le patriarcat que l'on peut défaire cette
discrimination.
On peut appliquer ceci à l'ensemble des
sociétés. Ce qui nous amène à dire que la femme
musulmane comme toutes les autres femmes doit intérioriser l'idée
d'égalité des sexes comme allant de soit pour que le
phénomène de l'émancipation de la femme ne soit pas
considérée comme étant une spécificité
propre à une partie du monde mais à l'ensemble des
sociétés incompris le monde musulman.
BIBLIOGRAPHIE
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? Nulle part dans la maison de mon père- Assia
Djebar -Fayard 2007
? Assia Djebar, Une femme, une oeuvre, des langues-
Bio-bibliographie (1936-2009)- Boussad Berrichi-
Seguier 2010
· La Femme sans sépulture de Assia Djebar-
Albin Michel- 2007
Références articles:
· Des engagements féminins au Moyen-Orient (xxe-xxie
siècles)
Un dossier de la revue "Le mouvement social" (La
Découverte, n°231, avril-juin 2010) par Julien Beaugé
· Le féminisme islamique aujourd'hui
Un numéro de la revue Critique Internationale
(n°46, janvier-mars 2010) par Paula El Khoury : Chercheuse/membre de
(CADIS-EHESS)
· Femmes musulmanes entre « l'état sauvage
» et les « cultures civilisées » par Ahmed
Moatassime. 1984 Revue Tiers-Monde, numéro 97.
· Le féminisme islamique vingt après:
économie d'un débat et nouveau chantier de recherche-
Critique internationale n°46 Janvier-mars 2010 par Stephanie Latte
Abdallah
· Où en est le féminisme islamique?
Critique internationale n° 46 - janvier-mars 2010 Par Margot Badran
· Maroc: « Vers un féminisme islamique d'
État » -Critique internationale n° 46 - janvier-mars 2010
par Souad Eddouada et Reneta Pepicelli
REMERCIEMENTS
Ma réflexion pour l'élaboration de ce
Mémoire de recherche s'est faite tout au long de l'année
universitaire avec l'aide et le soutient de l'équipe pédagogique
des masters 1 sociologie de l'Université de Picardie Jules Vernes.
Je tiens d'abord à remercier la précieuse aide
de mon directeur de Mémoire Mr Didier Eribon dont les judicieux conseils
m'ont guidé pour mener à bien cette recherche et construire un
objet d'étude à la hauteur de mes espérances. Travailler
avec lui fut un plaisir et un réel enseignement en soit.
J'exprime également ma reconnaissance à Mr
Julien Beaugé grâce à qui j'ai pu accéder à
des références d'articles intéressants constituant une
aide considérable dans la manière d'aborder ce thème de
recherche, ce fut un entretien enrichissant.
Je remercie également toute la promotion de Master 1
sociologie 2010-2011 pour cette atmosphère d'entre-aide et de soutient
que nous avons su créer et qui a été un réel
encouragement pour nos travaux.
RESUME
Résumé du Mémoire de
recherche:
Mon objet de recherche se penche sur l'Histoire et l'analyse
des mouvements féministes islamiques. Un courant d'idée qui s'est
développé dès les années 1930 en Égypte,
donc récent et qui connait encore aujourd'hui des difficultés
à se faire entendre et dont les principales figures symbolisent une
lutte naissante mais qui se fonde sur une religion datant du 13ème
siècle.
L'intérêt sociologique est de déconstruire
ces discours afin de voir comment ces femmes parlent d'égalité en
terme religieux et la manière dont leur posture est perçue au
sein de l'opinion publique.
Le féminisme islamique est un mouvement revendicatif
propre aux pays musulmans et qui prend une place de plus en plus importante sur
la scène politique des pays arabo-islamiques dans l'optique de
consolider les valeurs démocratiques modernes d'aujourd'hui.
Ce Mémoire étant un mémoire
bibliographique, l'intérêt est de se pencher sur les ouvrages, les
articles, les discours traitant de ce sujet et dont les auteur(e)s sont pour la
plupart des féministes musulmanes. C'est en ce sens que ce
mémoire s'intéressera dans un deuxième temps à la
posture adoptée par ces femmes, des postures similaires ou
différentes d'une femme à l'autre, ce qui nous amènera
à réfléchir sur l'attitude légitime à
adopter: Voilée, non voilée, médiatisée ou non, sur
quel espace concentrent t'elles leur discours?... Tous ces questionnements
viennent soutenir une réflexion sur l'enjeu autour de l'image que ces
femmes doivent entretenir et son impact sur la crédibilité
apportée à leur propos. Cette constatation sera soutenue par
l'analyse du parcours de plusieurs femmes ayant des attitudes
différentes et un mode de pensée propre à chacune
d'elle.
Toutes ces constantes et ces variantes dans les discours et
les attitudes des féministes musulmanes nous rendent compte de la
pluralité et de la complexité de ce courant d'idées de
plus en plus diffus.
Il s'agit ici de retracer l'Histoire de ce mouvement et
comment ces discours ont émergé car ils ont la
particularité d'être nés de mouvements de luttes
nationalistes (pour la décolonisation) au cours du siècle dernier
au Maghreb et dans d'autres régions du monde. La lutte de ces femmes a
plusieurs visages mais aussi plusieurs figures le représentant, mais ont
comme socle commun un discours fondé sur une
réinterprétation des textes religieux à la lumière
des valeurs démocratiques.
C'est cette controverse alimentée par les aprioris sur
ce type de position qui nous permettra de comprendre en quoi la volonté
de ces femmes d'aspirer à l'égalité devient un combat
particulièrement difficile. C'est une forme de symbiose entre la
modernité et des valeurs archaïques datant de l'avènement de
l'islam, un mélange qui suscite des débats et des critiques
auxquels ce mouvement est confronté. Au delà de
l'intérêt porté à ce courant spécifiquement,
ce mémoire met la lumière sur un phénomène
sociologique diffus et fréquent à savoir les dessous historique,
politique et culturel régissant les logiques et l'évolution de
tout mouvement social revendicatif.
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