B/ Interprétation
face aux réalités du Japon contemporain
1) Femmes indépendantes, hors de
la sphère féminine
1)a.
Guerrières et career women
Les femmes des oeuvres de Miyazaki, comme nous l'avons vu, ont
toutes des caractéristiques similaires, quelque soit leurs types de
rôles : toutes sont courageuses, aux caractères forts. Elles
ont des qualités « viriles ».
Une grande majorité des femmes, outre leurs autres
caractéristiques, sont dans des positions de pouvoir. Nausicaä et
Kushana sont des princesses et dirigent des peuples, des armées. Dora
est chef d'une bande de pirates. Dame Eboshi est la maîtresse d'un
village entier, d'un peuple de sa création, et une grande
guerrière affrontant les seigneurs alentours. Enfin, Yûbaba est
une sorcière à la tête d'une entreprise, les Bains,
épicentre d'un monde surnaturel. Ces femmes sont dans des positions de
supériorité, dirigeant des villages, des peuples, des
armées.
Ces peuples, ces armées, peuvent être
apparentés à des entreprises. Ces femmes peuvent donc être
vues comme des chefs d'entreprise à part entière, aux lourdes
responsabilités et ayant beaucoup de pouvoir. Or, nous avons vu qu'au
Japon, il est très difficile pour une femme d'accéder à
une position élevée dans la hiérarchie du monde de
l'entreprise, un monde d'hommes.
Les femmes dans le cinéma de Miyazaki représentent
donc une sorte d'idéal, de modèles de femmes fortes et
puissantes, égales de l'homme. Leurs comportements avec les hommes,
tantôt manipulatrices comme Yûbaba ou encore Gran Mamare,
tantôt dominatrices et dirigistes comme Kushana, Eboshi ou Dora, laissent
paraître un désir de renverser les rôles
traditionnels : là où les femmes en entreprise sont
reléguées au statut d'office lady, ou de
secrétaire, apportant le café, ou peinant à faire entendre
leurs voix lors des réunions, les femmes de Miyazaki contrôlent
leur univers. Dans l'univers de Miyazaki, ce sont les hommes qui tiennent le
rôle de l'assistant. C'est le cas pour chacune des femmes de pouvoir dans
ses oeuvres : Princesse Kushana a un bras droit, Kurotawa, qui suit ses
ordres à la lettre, l'admire. Nausicaä est aidée par Asbel,
mais elle a aussi l'ascendant sur son oncle Mito, pourtant chargé de
s'occuper d'elle. Dora a pour « assistants » ses fils,
qu'elle contrôle totalement. Dame Eboshi a pour second Gonzo, rappelant
le personnage de Kurotawa : totalement dévoué,
obéissant, sous ses ordres, et probablement un peu amoureux de sa
maîtresse. Yûbaba a pour assistant le jeune Haku, qu'elle
possède.
Comme nous l'avons vu, les relations des femmes de pouvoir avec
leurs « assistants » comme nous pouvons les appeler, sont
pour la plupart caractérisées par une admiration de la part de
l'homme, fasciné par la femme de pouvoir, sensible à son
courage, soumis à ses ordres car il le veut bien.
Nous pouvons trouver un lien entre les femmes puissantes que l'on
trouve dans le cinéma de Miyazaki et des faits réels au Japon. En
effet, ces femmes en position élevée dans un monde d'hommes, nous
font penser aux career women des années 1980, dont
l'avènement changea la place de la femme dans le monde du travail.
En effet, les femmes jusque là cantonnées au
rôle de mère au foyer ou d'office lady avant le mariage,
commencent à faire de leur carrière une priorité.
Cependant, comme nous avons pu le voir, il est difficile, encore aujourd'hui,
de se faire une place dans le monde très masculin du travail. Les
femmes, si elles sont aujourd'hui plus nombreuses à conjuguer travail et
vie de famille, ont cependant du mal à accéder à des
positions élevées et sont souvent cantonnées à des
rôles les maintenant dans un environnement proche de la sphère
féminine traditionnelle.
Il est ainsi intéressant d'établir ce
parallèle entre les femmes dans un monde d'hommes, et les
héroïnes miyazakiennes. Ces dernières sont non seulement des
femmes de pouvoir dominantes dans un monde traditionnellement
réservé aux hommes, mais elles portent en plus le poids du
scénario sur les épaules. En effet, en plus de leur rapport de
domination sur les hommes et dans l'histoire, en tant que personnages
clés, les femmes ont aussi la capacité à communiquer avec
un autre monde, avec les esprits : capacités que n'ont pas les
hommes dans les films. Cela révèle un rôle primordial dans
les scénarios, les héroïnes véhiculant les
idées du réalisateur et étant ainsi les véritables
messagères, ses représentantes.
1)b. Image d'une femme
cultivée et puissante chez Miyazaki : limites des films et
réalité du système éducatif au Japon
Les personnages que nous avons cités
précédemment, les femmes puissantes et hors de la sphère
féminine, de par leur statut social élevé ou leur position
de domination, sont également des femmes cultivées, vives et
intelligentes.
L'une d'entre elles, Nausicaä, est une jeune femme
intelligente, qui étonne son entourage masculin : son mentor,
Maître Yupa, s'étonne lorsqu'elle lui révèle ses
découvertes concernant la forêt. Il lui dit : « Tu
as fait ça toute seule ? », comme s'il lui paraissait
étonnant qu'une jeune femme ait pu faire de telles
expériences ; mais cette phrase révèle aussi un
sentiment de fierté de la part du mentor. Miyazaki montre par cette
exclamation de la part de Maître Yupa, ou par son étonnement
lorsque c'est Nausicaä qui lui sauve la vie -il supposait qu'il avait
été sauvé par un homme- que la société
japonaise n'admet pas au premier abord, qu'une femme ait un tel rôle. En
effet, le fait que son intelligence, ses qualités de guerrière,
son habileté en tant que pilote soient accueillies avec autant
d'étonnement de la part des hommes, montre bien qu'il ne s'agit pas de
quelque chose considéré comme étant habituel au Japon.
Cependant, nous pouvons constater que dans d'autres films, tels
que Princesse Mononoké, les femmes ont une place
supérieure à celle des hommes, sans ambigüité en ce
qui concerne leur légitimité à s'y trouver ou de doute sur
leurs capacités intellectuelles ou physiques. En effet, Dame Eboshi,
à aucun moment, n'admet une faiblesse due à son sexe, et son
entourage masculin n'évoque jamais le caractère étonnant
de son statut élevé dans le village. En outre, le village est
résolument féministe, les femmes y étant dominantes et
menant leurs hommes « à la baguette ».
La société japonaise sépare les
qualités des femmes de celles des hommes : les hommes sont
guerriers, cultivés (ils accèdent ainsi aux postes de
médecin, de militaire, de professeur d'université...) tandis que
les qualités des femmes les complètent : douceur, tendresse,
bonté, etc.
Or nous remarquons que les héroïnes de Miyazaki ont
des qualités « d'hommes » et qu'elles
étonnent les personnages masculins, lesquels ne s'attendent pas à
ce qu'elles soient « capables ». Nous avons vu, en effet,
que les femmes elles-mêmes ne se voient pas capables d'effectuer les
mêmes tâches qu'un homme. Elles se désignent ainsi,
d'elles-mêmes, à des carrières dans des sphères
« appropriées à leurs qualités
féminines » : professeur des écoles, assistante
sociale, pédiatre, métiers de l'art, etc.
Ainsi nous remarquons ces limites perçues à travers
le regard des personnages masculins dans les oeuvres de Miyazaki. Les
personnages de Porco Rosso nous en fournissent un bon exemple. En
effet, le personnage de Fio est un exemple de jeune femme indépendante,
intelligente, et qui, de plus, travaille dans un milieu très
masculin : dans un garage d'avions de chasse. Ainsi les réactions
du héros, Marco Pagot, nous confirment la difficulté des
personnages masculins à admettre les capacités des femmes dans
des domaines masculins.
Lorsque Fio souhaite réparer l'avion de Porco, ce dernier
est réticent, n'étant pas sûr qu'une jeune fille en soit
capable. Celle-ci se justifie en disant : « je ne peux pas
arrêter d'être une femme, mais laissez-moi réparer votre
avion ». Cette phrase montre bien à quel point le fait
d'être une femme est « normalement » incompatible
avec ce type de travail.
Une autre scène montre que la femme a une place à
tenir par rapport à l'homme : Fio conduit une camionnette pour
aller chercher Porco ; mais lorsque celui-ci arrive, elle lui laisse la
place du conducteur. Ce geste, anodin, pourrait tout de même montrer
qu'en dépit de ses qualités et ses capacités à
faire un travail « d'homme », elle doit laisser l'homme
tenir son « rôle d'homme ».
Le caractère « extraordinaire » de ces
femmes est ainsi involontairement souligné. L'impression qui en ressort
est que ces femmes sont perçues par les Japonais comme des femmes qui
sont, effectivement, hors de leur sphère féminine, et que
là n'est pas traditionnellement leur place.
Ayant observé que l'intelligence supérieure des
héroïnes miyazakiennes est fortement mise en valeur dans les films,
nous pouvons établir un parallèle avec la réalité
de la place des femmes dans le système éducatif, et leur place
dans les films.
Or, si les personnages féminins de Miyazaki sont
glorifiés, admirés par les hommes, lorsque nous regardons
l'éducation au Japon, nous remarquons qu'il existe toujours une division
sexuée selon les domaines d'études, et cela jusque dans le
travail.
Les femmes sont nombreuses dans les études de lettres, de
langues ou d'art ; comme nous l'avons dit précédemment,
elles se destinent majoritairement à un travail qui correspond à
la sphère féminine. Les hommes quant à eux,
étudient la médecine, les mathématiques, les sciences,
etc. De plus, les universités pour femmes, les tandai, existent
toujours, accentuant cette division sexuée.
Il est toujours difficile pour une femme d'accéder
à un poste élevé, que ce soit en entreprise, dans les
médias ou dans le monde de l'enseignement. De plus, les femmes ont
l'obligation de penser à leur devoir de mère, et la pression du
mariage persiste sur les jeunes femmes passées vingt-cinq ans.
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