2) Les femmes comme porte-parole de
messages : capacité des femmes à communiquer avec un autre
monde
Miyazaki, comme nous l'avons vu dans notre deuxième partie
présentant les thématiques de ses films, cherche à
véhiculer des messages particuliers. Le plus présent dans ses
oeuvres est celui d'une harmonie avec la Nature. Il est intéressant de
constater que dans ses oeuvres, ce sont les femmes qui sont les porte-paroles
les plus puissants pour ces messages. Les personnages féminins de
Miyazaki sont proches de la Nature, mais surtout, ouvertes à la
spiritualité, faisant d'elles des liens entre les croyances divines et
la réalité des hommes. Les femmes de Miyazaki sont des guides,
des messagères. En effet, Nausicaä devient par exemple, un guide
spirituel pour son peuple, proche de la divinité ; elle devient
« l'Etre vêtu de bleu », sauveur de son peuple.
Comme nous l'avons vu précédemment, rares sont les
hommes ayant des pouvoirs surnaturels. Les femmes, quand à elles, sont
bien plus nombreuses à avoir des pouvoirs ou tout du moins une certaines
proximité avec le Spirituel. Les magiciennes et sorcières sont
nombreuses, telles que Yûbaba et Zeniba dans Le Voyage de
Chihiro, Gran Mamare et Ponyo, qui a également des pouvoirs
magiques, dans Ponyo sur la falaise, Suliman et la sorcière des
Landes dans Le Château ambulant. Mais des personnages tels
qu'O-Baba et Nausicaä dans Nausicaä de la vallée du
vent, Hii-Sama dans Princesse Mononoké, mais aussi Chihiro
dans le Voyage de Chihiro, si elles ne sont pas magiciennes, sont
étroitement liées à l'idée de Spiritualité,
de Divinité.
Les femmes que dépeint Miyazaki sont des femmes fortes et
insoumises. Princesse Mononoké est un parfait exemple de la
présence et l'importance de la spiritualité, les légendes
japonaises y étant les plus vivantes. Par ailleurs, son
héroïne, San, est la Princesse Mononoké, celle qui
communique avec les esprits. Elle est la déesse des esprits de la
forêt. Nous ne rencontrons le personnage de San que' après ....
Min de film, mais il n'est pas anodin qu'en dépit d'un rôle moins
important -du point de vue quantitatif- que le héros masculin, Ashitaka,
elle ait donné son nom au film, Princesse Mononoké.
San est entre l'humanité et la divinité. La
première scène où nous la voyons permet de voir qu'il
s'agit d'un personnage empreint de mystère, semblant appartenir à
un autre monde.
La première scène où nous rencontrons San se
déroule dans la forêt. Nous la rencontrons avec les yeux
d'Ashitaka, qui observe la scène caché derrière des
feuillages. Cette scène est importante pour comprendre ce personnage car
San y apparait comme une personne mystérieuse. Nous y découvrons
sa spiritualité, son caractère plus proche des animaux et des
esprits que des humains. Elle a peu d'humanité en elle, se
révèle belle, sauvage, inapprochable. Elle prend alors pour
Ashitaka la place d'un idéal, d'un personnage mystérieux qu'il va
tenter d'approcher et de comprendre.
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00 : 23 : 01 images extraites de Princesse
Mononoké
Dans le premier plan, nous voyons Moro allongée au centre
de l'image, l'arrivée des loups et de la princesse Mononoké par
la droite. Nous observons ce plan d'ensemble à travers les yeux
d'Ashitaka.
Dans le second plan, nous voyons San/ Princesse Mononoké
en plan moyen et distinguons enfin ses traits tandis qu'elle s'approche de Moro
pour la soigner en suçant son sang et le recrachant.
Dans le troisième plan, celle-ci se retourne brusquement.
Cette impression de vitesse est amplifiée par le plan moyen devenant
soudain un gros plan sur son visage, tourné vers nous/ Ashitaka. Son
visage est couvert du sang de Moro, son regard farouche, méfiant.
Le quatrième plan montre un gros plan sur Ashitaka :
celui-ci se rend compte qu'il a été vu. La caméra le suit
avec une vue panoramique, sautant sur le rocher au-dessus de sa cachette. Dans
le cinquième plan, la caméra est placée derrière
Ashitaka, que nous voyons alors de dos, s'adressant à San. Ce sont les
premières paroles que nous entendons dans cette scène. Il se
présente et lui demande s'il se trouve dans la forêt des Dieux, et
s'il se trouve en leur présence. Il n'obtient pas de réponse.
Le sixième plan accentue ce silence, avec un gros plan sur
San le fixant en silence. Cela accentue son mystère. Le plan suivant
monter à nouveau Ashitaka en gros plan. Cette mise en scène,
alternant leurs visages respectifs, montre l'échange de regards
silencieux et le mystère qui s'installe entre les deux personnages.
L'avant dernier plan montre à nouveau une vue d'ensemble,
comme au premier plan ; les loups partent un à un et San monte sur
l'un d'eux. Dans le dernier plan rapproché sur San, celle-ci sort du
champ en répondant enfin à Ashitaka :
« Vas-t-en ».
San est un personnage complexe : abandonnée par ses
parents, élevée dans la forêt par une Déesse louve,
elle considère les loups comme ses frères, et les animaux comme
sa véritable espèce. Elle ne se voit pas comme une humaine. Comme
Nausicaä, c'est un personnage au message en faveur de la nature et d'un
monde où vivent les esprits et les Dieux. Elle représente
l'Ancien Japon, avec ses anciennes croyances animistes : ses habits en
font aussi la démonstration. Habillée avec des peaux, des pierres
(pour faire son masque de guerrière), elle représente les
croyances déchues des humains, ainsi que l'arrivée d'un monde
moderne dont elle est tenue à l'écart.
Son personnage se complexifie et évolue lorsqu'elle tombe
amoureuse d'Ashitaka et réalise qu'elle est humaine. Sa haine envers les
humains doit alors être modérée : elle atteint ainsi
une plus grande maturité et une vision plus tempérée du
monde et des humains.
Une autre femme a ce pouvoir mystérieux de communiquer
avec les esprits. Son rôle ressemble à celui d'une chamane ;
elle est un personnage important dans son village. Il s'agit de Hii-Sama, femme
la plus âgée du village d'Ashitaka, que nous rencontrons au
début du film. Dans la première scène où nous
découvrons le personnage d'Hii-Sama, un Dieu de la forêt, Nago, a
attaqué le village d'Ashitaka. La vieille femme, chamane, sorte de
magicienne, lien entre les Dieux et les humains, arrive à dos d'homme.
Cela témoigne de l'importance de sa présence lors
d'évènements complexes et magiques pour les villageois, mais
monter aussi qu'elle est très respectée. Dans le second
photogramme, nous la voyons au premier plan, s'inclinant. Les hommes sont en
arrière-plan, inclinés également. Ils suivent visiblement
son exemple, imitent ses gestes, ce qui montre qu'elle est respectée et
écoutée. Dans le troisième plan, nous la voyons de dos,
dans un plan moyen la montrant face au Dieu écroulé au sol. Elle
paraît alors toute petite face à lui. (Sa prière au Dieu
révèle alors qu'une fois encore, la femme a pour rôle de
demander pardon pour les erreurs des hommes. En effet, dans cette
prière, Hii-Sama demande pardon au Dieu pour les offenses des
villageois ; elle prie alors pour qu'il parte en paix.
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00 : 07 : 01 images extraites de Princesse
Mononoké
Hii-Sama est une femme très spirituelle, qui
éclaire les hommes de ses connaissances sur les esprits et est capable
de communiquer avec eux.
Nous pouvons noter que de multiples figures religieuses,
bouddhiques ou shinto, apparaissent dans les films de Miyazaki : des
Bouddhas dans Mon voisin Totoro, lorsque Mei disparait, mais aussi par
exemple des statuettes shinto dans Le Voyage de Chihiro. Cette
idée de la spiritualité est omniprésente : les
statuettes sont de forme féminine, montrant une fois de plus que les
femmes sont seules capables d'entrer en contact avec le spirituel, le
surnaturel, selon Miyazaki. Placées à l'entrée du tunnel
qui mène Chihiro, telle Alice au pays des merveilles, vers un autre
monde, elles annoncent ce voyage vers l'ailleurs. De plus, le tunnel
débouche sur un temple shinto désert, annonciateur, une fois
encore, du caractère spirituel de cette histoire. Il n'est alors pas
anodin que Chihiro soit une petite fille, héroïne errant dans un
monde de l'au-delà, cerné de figures spirituelles. Les
scènes du début du film montrent Chihiro intriguée par un
autel shinto ; puis, effrayée par une statuette de déesse.
Chihiro, au début du film, est effrayée par ces
éléments surnaturels, spirituels. Mais elle a la capacité
de s'en rapprocher, d'arriver dans un monde d'esprits et de Dieux. Elle sera
mise à rude épreuve, car ce qui l'effraie deviendra son
quotidien, étant forcée de survivre dans un monde surnaturel et
étrange. La scène où elle traverse le tunnel avec ses
parents, pour arriver dans le temple shinto à l'abandon, avant de se
retrouver de « l'autre côté du tunnel », telle
Alice au pays des merveilles, est une métaphore pour le passage vers un
autre monde. Ce monde lui permettra de grandir et de sauver ses parents. Elle y
deviendra autonome, forte, plus téméraire et sûre d'elle.
Chihiro est capable d'arriver et de survivre dans ce monde de Dieux grâce
à sa capacité à comprendre la Spiritualité,
caractéristique propre aux personnages féminins des films de
Miyazaki.
Chihiro en présence d'une statuette féminine à
l'entrée d'un temple shinto, dans Le Voyage de Chihiro
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Nausicaä est également un personnage capable de
communiquer avec les animaux. Personnage similaire à celui de San, tant
par le style du scénario que dans le caractère du personnage,
elle est un être doué de spiritualité. Elle comprend les
animaux de la forêt, leur parle, tout comme fait San avec les esprits de
la forêt. C'est ce qui lui permet de devenir un Etre supérieur, un
guide pour son peuple. Miyazaki se sert de la voix des femmes pour faire
entendre ses messages personnels, ceux qui lui tiennent à coeur :
en faveur de la protection de l'environnement, des animaux, de l'harmonie entre
les hommes, contre la violence, les technologies destructrices, etc. Nous avons
vu précédemment que ces thèmes étaient chers
à Miyazaki, et omniprésents dans chacune de ses oeuvres.
Nausicaä est l'une des messagères les plus emblématiques.
Miyazaki utilise les femmes douées de capacités
spirituelles supérieures, en les mettant en opposition avec des hommes
beaucoup plus terre à terre, plus attirés par la guerre, ou tout
simplement dénué du talent visionnaire de certaines des
héroïnes. Par exemple, Nausicaä devient amie avec un jeune
garçon de son âge, Asbel ; celui-ci est par contre, beaucoup
plus animé qu'elle par un esprit de vengeance pour la mort de sa soeur.
Il cherche à l'aider, mais n'a pas les capacités pour comprendre
le monde dans lequel il vit et ne sait pas comment le changer ; c'est
Nausicaä qui aura le courage de se sacrifier et atteindra ainsi une
véritable spiritualité.
Sa relation avec Maître Yupa révèle
également ce fossé entre les capacités des hommes à
comprendre la Spiritualité, ou à véhiculer les messages de
Miyazaki. Celui-ci est en effet, comme les autres hommes, stupéfait pas
la compréhension qu'a Nausicaä de la Nature. Lorsque celle-ci lui
montre les résultats de ses expériences botaniques, il
s'exclame : « Tu as fait ça toute seule
Nausicaä ? », étonné peut-être, de ne
pas y avoir pensé lui-même.
La première scène où nous découvrons
les pouvoirs de communication avec les animaux de Nausicaä est celle
où elle sauve Maître Yupa de la mort. Lors de la scène de
cette poursuite, nous voyons en plans larges Yupa poursuivi par la
bête ; puis, encore en plan large, le plan suivant montre
Nausicaä s'approchant dangereusement. Yupa se met à l'abri. Une
série de gros plans alternent alors entre les yeux de l'insecte et le
visage de Nausicaä, lui parlant. Cette alternance de gros plans montre
qu'il s'établit un dialogue entre la jeune fille et l'insecte. Cette
scène est importante, puisque Nausicaä sauve l'homme, et nous
dévoile un pouvoir de communication avec les habitants de la
forêt.
Yupa, à la fin de la scène, suppose qu'une personne
capable de le sauver ainsi ne peut être qu'un homme. Il dit en
effet : « Il a réussi à le calmer ».
Cela prouve que de façon générale, il n'est pas de suite
évident qu'une fille en soit capable. Miyazaki montre ainsi qu'en
dépit des opinions masculines, les femmes peuvent avoir des rôles
décisifs et importants. Il choisit de faire des femmes les personnages
les plus puissants dans ses oeuvres, comme nous l'avons vu
précédemment ; mais cette puissance est également
conférée par leurs capacités spirituelles et leur lien
avec la Nature.
Ces femmes capables de communiquer avec le surnaturel, d'entrer
en contact avec les esprits et les Dieux de la nature, sont un moyen pour
Miyazaki de faire passer ses messages. Ses héroïnes luttent en
faveur de l'environnement, utilisant leurs dons pour parler avec les animaux ou
les Dieux, et ainsi faire valoir leur message. Nausicaä défend la
forêt car elle comprend les animaux et peut les aider, San a
été élevée par une Déesse louve, comprend
les esprits, et peut donc lutter contre les humains qui cherchent à
détruire ces esprits de la forêt, métaphore pour
défendre la préservation de l'environnement.
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