III/
A/ Analyse des personnages
féminins dans les oeuvres de Miyazaki
Les femmes Miyazakiennes, comme nous pourrions les appeler,
sont des personnages complexes, montrant un panel étendu de
différentes caractéristiques et rôles. Leurs rapports avec
les hommes sont également très intéressants à
analyser, révélant ainsi des rôles dominants, traditionnels
ou encore rebelles. Nous pouvons analyser ces personnages à travers
différentes parties, dans lesquelles nous approfondirons un trait de
caractère particulier.
1) La femme de pouvoir
Dans un premier temps, nous allons observer les femmes de
pouvoir. Celles-ci sont nombreuses dans les films de Miyazaki et offrent des
perspectives d'analyses intéressantes.
1)a. Le rapport de domination
femme/homme
Plusieurs femmes dans les films sont puissantes, des femmes de
pouvoir, dans des positions où elles dirigent les hommes. Elles ont des
qualités traditionnellement vues au Japon comme
« viriles » : courage, force, capacité à
se battre. Celles-ci sont représentées par des personnages tels
que Nausicaä et Princesse Kushana dans Nausicaä de la
vallée du vent, San, Dame Eboshi et les femmes du village des
forgerons dans Princesse Mononoké, Dora dans Le
Château dans le ciel, Gran Mamare dans Ponyo sur la falaise
ou encore Yûbaba, dans le Voyage de Chihiro.
Plusieurs scènes permettent de voir un véritable
renversement des rôles traditionnels : les femmes au lieu
d'être dominées, sont en position de commandement, ou tout
simplement, dans une position de supériorité dans leur couple, ou
avec leurs enfants par exemple.
Nausicaä, héroïne de Nausicaä de la
vallée du vent, fait partie de ces femmes de pouvoir. De nombreuses
scènes la montrent dans ce rapport de domination sur les hommes.
Le personnage de Nausicaä, première
héroïne féminine de la filmographie de Miyazaki, est un
personnage fascinant car on pourrait la voir comme le porte-parole des femmes
de l'époque de la sortie du film, les années 1980. Alors que la
career woman fait son entrée dans le monde du travail, un
personnage féminin porte sur ses épaules un film dont elle est la
véritable héroïne, au milieu d'un monde d'hommes.
Nausicaä est à elle seule le pilier d'une histoire située
dans un monde apocalyptique, violent ; elle est la voix du
réalisateur protestant contre la violence, contre les technologies.
Nausicaä est un personnage intelligent. Elle découvre
seule comment sauver son peuple de la destruction, en étudiant les
plantes de la forêt toxique. Lors d'une scène avec son mentor,
maître Yupa, elle explique qu'elle a trouvé comment rendre aux
plantes leur pureté, et qu'il est inutile de détruire la
forêt. Seule à connaître cette vérité, elle
doit affronter les désirs de destruction de son peuple et des peuples
voisins. Tout son travail durant le film sera d'arriver à convaincre les
autres. Maître Yupa est alors étonné qu'une jeune fille ait
pu penser à prélever des échantillons de plantes, les
analyser, et découvrir un antidote. Preuve qu'il est étonnant
qu'une fille soit capable d'en savoir plus que ses aînés, et
surtout, que les hommes du village, il s'exclame, admiratif :
« Tu as découvert ça toute seule ? »
La première scène où nous découvrons
Nausicaä est celle d'une de ses excursions dans la forêt toxique.
Masquée, habillée comme un homme, nous voyons une jeune fille
athlétique, prélevant des échantillons de plantes pour ses
expériences botaniques. Elle parcourt la forêt avec
agilité, manie l'épée.
Nausicaä prélève des échantillons de
plantes pour en révéler la pureté aux habitants dans
Nausicaä de la vallée du vent (00 : 04 : 40)
Seule dans la forêt, habillée pour l'aviation et
armée lors de ces excursions, dans Nausicaä de la vallée
du vent (00 : 05 : 48)
Nausicaä étant princesse d'une vallée, elle a
les responsabilités qui incombent à sa position, son père
étant malade. Supposée être sous la tutelle de Mito, son
oncle, c'est plutôt elle qui lui donne des ordres. En effet,
Nausicaä, tout au long du film, se révèle capable de diriger
ses hommes comme le ferait le chef d'une armée ; la mise en
scène de Miyazaki permet également de la voir comme
supérieure aux hommes, censés être plus
expérimentés qu'elle. Elle est toujours représentée
en mouvement, active, maniant les armes, sur les lieux d'action. Dans certaines
scènes, elle donne des ordres, faiblement contestés, et se fait
respecter par ses hommes. Elle est également souvent placée en
hauteur dans les plans, ce qui lui donne ainsi une image de
supériorité, de pouvoir. Ce type de mise en scène se
vérifie par exemple lors de la scène de l'arrivée du
vaisseau de Pejite au-dessus du village. Nausicaä est la première
prévenue, avant Maître Yupa- pourtant figure importante du
village- et se lance à la poursuite du vaisseau, seule. Nous la voyons
placée en hauteur sur ce plan, observant le vaisseau et lançant
l'ordre de préparer son planeur.
Nausicaä en première position, crie ses ordres aux
hommes du village, dans Nausicaä de la vallée du vent
(00 : 21 : 51)
L'une des dernières scènes du film montre
également son courage, sa capacité à se servir des armes
et intimider les hommes. Dans cette scène, Nausicaä tient en joue
deux hommes qui l'ont auparavant attaquée, sans succès, elle les
menace de les tuer s'ils interviennent dans sa mission.
Dans la première séquence, les hommes apparaissent
comme totalement soumis et vulnérables devant l'arme de Nausicaä.
Le plan 1, plan moyen, montre, au premier plan, l'arme tenue par la jeune fille
vue de dos, puis au second plan, les deux hommes agenouillés devant
elle.
Le plan 2 montre ensuite la scène sous un autre
angle : les hommes vus de dos au premier plan, et en arrière-plan,
Nausicaä en hauteur. Nous découvrons que cette arme est tenue par
Nausicaä. Cette mise en scène permet de montrer le pouvoir de
Nausicaä à cet instant précis, les deux hommes se trouvant
en bas du champ.
Nausicaä peut avoir ce rôle de chef car elle est
révérée par ses sujets. Lors d'une scène où
l'une des villageoises présente son bébé à
Maître Yupa, celle-ci dit : « Puisse-t-elle avoir autant
de force et de courage que notre princesse ».
(01 : 41 : 01) Nausicaä menace deux ennemis ; sa position,
en haut du cadre, montre sa position de supériorité et son
pouvoir sur les deux hommes forcés de se rendre, dans Nausicaä
de la vallée du vent
Un autre personnage de pouvoir, avec une capacité de
domination sur les hommes, est Princesse Kushana, une rivale de taille pour
Nausicaä. Elle est rousse, comme l'est Nausicaä ;
athlétique également et à la tête d'une
armée ; donc habile avec les armes et douée pour le
commandement.
Il s'agit d'un personnage très puissant et d'une grande
ténacité. Mutilée par les insectes de la forêt, elle
leur voue une grande haine et assouvit son désir de vengeance en
prétextant sauver la planète, avec la destruction de la
forêt et des insectes. Sans pitié, ce n'est pas un personnage
difficile à cerner puisqu'elle dévoile très vite son
tempérament meurtrier, ses idées destructrices, et son manque de
gratitude. En effet, après avoir été sauvée par
Nausicaä, pourtant son ennemie, alors que son vaisseau partait en flammes,
elle profite d'un instant de distraction de cette dernière pour la
menacer de son arme.
Contrairement au personnage de Dame Eboshi, version plus complexe
de ce type de personnage, Princesse Kushana n'a pas vraiment de facette plus
positive ou complexe.
A l'instar de Nausicaä, la mise en scène montre
Kushana comme un personnage puissant, puisque souvent placée en hauteur
dans les cadres. Le plan en contre-plongée, la montrant en position de
toute puissance, tout en haut du cadre, la positionne bien au-dessus de son
général, Kurotawa. Le canon au-dessus duquel elle se tient
symbolise également sa soif de destruction, sa volonté d'entrer
en conflit. Elle est également montrée sous des angles donnant
une impression encore plus négative sur son personnage : par
exemple, l'une des scènes la montre en position à demi
allongée, comme sur un trône, dans une pièce de couleur
rouge. La couleur rouge met en valeur sa soif de sang, sa violence, sa
négativité. L'allusion au trône, avec sa position et la
place des « sujets », lui faisant face, dos à nous,
montrant à la caméra uniquement le visage de Kushana,
suggère un personnage avide, sans pitié, avec une grande soif de
puissance.
Vue en contre-plongée de Princesse Kushana, montrant sa
puissance, Nausicaä de la vallée du vent
(00 : 34 : 08)
Dans cette scène, Princesse Kushana semble assise sur un
trône, face à ses sujets, dans Nausicaä de la
vallée du vent (00 : 38 : 04)
Princesse Kushana est montrée comme une femme dure. Lors
d'une scène où elle interroge de vieux villageois de la
Vallée du vent, la mise en scène suggère une grande
vulnérabilité chez eux ; Kushana au contraire, est
placée au-dessus d'eux, dos à la caméra, maîtresse
de cette vue plongeante sur les hommes.
(01 : 29 : 25)
Kushana regarde de haut les vieux villageois, captifs soumis
à sa puissance dans Nausicaä de la vallée du
vent
Le rôle de femme de pouvoir « ennemie »
de l'héros/héroïne semble avoir été repris
dans Princesse Mononoké. Les films Nausicaä de la
vallée du vent et Princesse Mononoké suivent en
effet tous deux un scénario similaire : une héroïne
forte face à une femme puissante, son ennemie. Dame Eboshi, que nous
savons être notre anti-héroïne désignée dans
Princesse Mononoké, est cependant difficile à
détester totalement et à ranger dans la catégorie des
« méchantes ». C'est un personnage plus complexe que
celui de Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent. Elle
force l'admiration par sa beauté, son élégance, sa force,
son pouvoir, sa témérité ; mais aussi par son
côté humain, social. En effet, s'occupant des lépreux, ou
en réintégrant des anciennes prostituées dans la
société, elle rend à ceux-ci une utilité, une place
dans la société. En leur rendant une raison de vivre et une
identité, Dame Eboshi inspire le respect de valeurs positives et
humaines. Mais il s'agit également d'une femme très puissante,
dégageant d'ailleurs cette impression par son physique, mais aussi son
comportement. Ses habits paraissent précieux, élégants,
nobles. Elle inspire l'idée de richesse, de pouvoir. Mais son pouvoir se
voit également par la position qu'elle occupe au sein du village des
forgerons, village qu'elle a crée. De nombreuses scènes rendent
compte de sa puissance, et surtout de sa domination sur les hommes du village.
La première vision que nous avons de Dame Eboshi est celle
d'une femme froide, voire cruelle. On voit dès sa première
apparition dans le film qu'il s'agit d'une femme de pouvoir. La première
scène où nous la voyons est celle des coups de feu entre les
hommes du village des forgerons et les Dieux loups de la forêt. Celle-ci
mène sa troupe à travers un sentier à pic avec Gonzo, son
second. Dans le premier plan de cette scène, nous avons une vue
générale sur le sentier et les hommes accompagnés de
boeufs, portant du riz. La pluie tombe fortement, rendant la scène
sombre. Un homme et une femme se tiennent debout, sans bouger, du
côté droit du sentier. Ils surveillent manifestement la troupe.
Dans le second plan, le plan américain sur ces deux
personnages nous montre au premier plan, un homme à l'aspect bourru. Il
semble être là en tant que bras droit, portant les lourdes armes
sous la pluie, plutôt qu'en chef. En effet, il ne dit pas un mot, c'est
la femme se trouvant au second plan qui donne un ordre : « Plus
tôt nous ramenons ce riz, plus tôt nous aurons mangé,
bougez ! ». Cette femme qui est, nous l'apprenons par la suite,
Dame Eboshi, est le chef de ce convoi. Elle est très calme, donne les
ordres d'un air détaché.
Dans le troisième plan, une alerte s'est fait entendre,
annonçant l'arrivée des Dieux loups. Dame Eboshi et Gonzo, son
bras droit, se tournent en direction de la menace. Sur ce plan, il est
intéressant de noter que la position de Dame Eboshi indique clairement
son statut de supériorité par rapport à l'homme qui
l'accompagne. Cette position en hauteur dans le plan n'est pas sans rappeler
les plans montrant Princesse Kushana et Kurotawa.
Dame Eboshi, tout au long de cette scène, est clairement
en contrôle de la situation, d'un grand sang-froid. Alors que ses hommes
paniquent lorsque les loups approchent, celle-ci dit, d'un air calme :
« ne laissez pas les boeufs paniquer. Restez calmes. Gardez vos
positions. ». Elle donne ensuite l'ordre de tirer. Il devient alors
très clair qu'il s'agit d'une guerre entre les humains et les esprits de
la forêt, et que Dame Eboshi souhaite tuer : en effet, c'est elle
qui tire la première- avant ses hommes- sur Moro, la déesse
louve.
A la fin de la scène, ayant réussi à faire
fuir les loups et Moro, Dame Eboshi donne l'ordre de repartir. Des hommes ayant
été précipités du haut de la falaise par Moro,
Gonzo demande : « Mais que faisons-nous des hommes qu'elle a
poussés dans le précipice ? » Dame Eboshi
répond alors : « Ils sont morts. Ramenons ceux qui vivent
à la maison. » Cette réponse montre le pragmatisme, le
détachement de Dame Eboshi et sa capacité à rester en
contrôle de la situation. Tout au long du film, Dame Eboshi montre un
caractère très serein, très distant et froid.
00 : 19 : 14
00 : 19 : 17
00 : 20 : 17 images extraites de Princesse
Mononoké
Des personnages importants pour étudier le rapport de
domination sur les hommes sont les femmes du village des forgerons. Ce sont des
femmes mariées, mais nous n'apercevons pas d'enfants dans le film, nous
déduisons ainsi que ces femmes ne sont pas encore mères. Bien
qu'elles soient mariées, au sein de ce village, elles disposent d'un
certain pouvoir face aux hommes. Chacun tient un rôle bien défini,
mais les femmes sont plus proches de la maîtresse du village, Dame
Eboshi. Les femmes, toutes des anciennes prostituées que Dame Eboshi a
racheté pour leur donner une vie meilleure et une utilité dans
une société différente, ont un rôle clé dans
le fonctionnement du commerce du village. Elles fabriquent le fer, qui est
ensuite vendu par les hommes qui ramènent du riz.
Dans le village, les hommes mangent séparément des
femmes : en effet, nous remarquons cela lors d'une scène où
Ashitaka, après avoir ramené au village les survivants
jetés du haut de la falaise par la Déesse Louve Moro, est
invité à manger et passer la nuit. Les hommes mangent ensemble,
les femmes viennent à la porte, en groupe. Nous réalisons alors
qu'en dépit de cette séparation, les femmes sont loin
d'être soumises à leurs maris : elles les moquent, appellent
Ashitaka pour qu'il vienne les voir travailler,
« flirtent » librement et ouvertement avec lui. Quand les
hommes tentent de les renvoyer, elles leur répondent en leur faisant
remarquer qu'ils mangent grâce à elles, grâce au fer
qu'elles produisent. En groupe, ces femmes sont bruyantes, rieuses, moqueuses,
forment un clan fort face aux hommes.
Lorsque Gonzo, le général et bras droit de Dame
Eboshi tente de rassurer les femmes inquiètes de laisser leur
maîtresse partir se battre seule contre les Dieux de la Forêt, en
leur disant : « Ne vous inquiétez pas, je
protégerai Dame Eboshi », l'une d'entre elles lui
répond : « C'est bien ce qui nous inquiète !
Même si tu étais une femme, tu serais toujours un
idiot ! ». Cette remarque montre bien que les femmes moquent
leurs hommes, disposent d'une grande liberté à leur
égard ; c'est un village résolument féministe,
où la domination sur les hommes est assez flagrante.
L'une des scènes montre bien ce rapport de domination sur
les hommes, et l'égalité qui existe cependant entre les femmes,
même avec Dame Eboshi, maîtresse du village : il s'agit de la
scène du retour des hommes abandonnés lors de la confrontation
avec les Dieux-loups au bord de la falaise. Ces derniers ont été
ramenés sains et saufs au village par Ashitaka. L'un d'entre eux,
Kokuru, est accueilli par sa femme, Toki. Les plans de cette scène
démontrent, entre autres choses, un rapport très clair de
dominant/dominé en faveur de sa femme.
Dans le premier plan de cette scène, Koruku a
été ramené vivant de la rencontre entre Dame Eboshi et ses
hommes et Moro. Toki, sa femme, accourt pour le voir. Mais en arrivant devant
lui, elle s'arrête et comme nous le voyons sur cette image, lui crie
après : « A quoi vas-tu servir maintenant que tu es
blessé ! ».
00 : 31 : 22
00 : 31 : 34
Dans le second plan, un plan rapproché de Toki la montre
de face. Elle dit à son mari : « J'étais morte de
peur ! J'aurais préféré que les loups te
mangent ! Alors j'aurais pu me trouver un vrai mari ! » Les
hommes autour hésitent entre la peur et le rire.
Dans le troisième plan, nous voyons Koruku en prise de vue
en plongée, face à sa femme,
« écrasé » par celle-ci et ses reproches.
Totalement impuissant devant ses reproches, il est ridiculisé devant ses
pairs, qui rient autour de lui.
00 : 31 : 38
00 : 31 : 50
Toki ne se contente pas de crier après son mari. Elle s'en
prend également à Gonzo, le bras droit de Dame Eboshi, qui aurait
dû ramener son mari sain et sauf, dans ce quatrième plan. Elle lui
reproche d'être un paresseux, de n'avoir rien fait. Ces reproches sont
relativement osés, étant donné que Gonzo est l'un des
chefs du village ; mais la femme ne semble pas impressionnée par
lui. Au contraire, Gonzo semble plus interloqué par ces critiques. En
effet, il réagit comme un petit garçon face à sa
mère : « C'est pas juste... et c'est
faux ! » Il ne réagit pas comme une personne de pouvoir
face à un inférieur, il semblerait qu'il réagisse plus
comme un enfant.
Le village semble fonctionner comme une société
matriarcale, où les femmes ont le pouvoir et traitent les hommes comme
des enfants, s'occupent d'eux. Elles prennent les véritables
responsabilités. De plus, Toki ne le laisse pas finir sa phrase et se
détourne vite de lui pour remercier Ashitaka.
L'intervention de Dame Eboshi dans le cinquième plan est
symbolique et très révélatrice de la position de pouvoir
de cette dernière. Dans ce plan général montrant les
villageois, l'escalier et Dame Eboshi située à leur sommet,
l'angle de prise de vue est très symbolique : en
contre-plongée, Dame Eboshi semble très puissante, grandie par
cet angle. Elle s'adresse tout d'abord à Gonzo : « Gonzo,
amènes-moi l'étranger plus tard ». Puis elle s'adresse
à Koruku : « Je suis contente de ton retour, et je suis
désolée. »
00 : 32 : 15
00 : 32 : 22
Dans le plan suivant, nous avons un angle de prise vue en
plongée très marqué. Koruku est impressionné par
Dame Eboshi ; les hommes autour de lui le sont également, ils ne
rient plus. Tous se taisent lorsque celle-ci parle. Koruku est même
hésitant et bégaie lorsque Dame Eboshi lui présente ses
excuses. Les hommes semblent très intimidés par cette femme.
Dans le plan précédent, nous avons vu que les
hommes sont vus en plongée et donc montrés comme faibles par
rapport à Dame Eboshi, impressionnés et silencieux. Ce dernier
plan montre qu'au contraire, les femmes sont à un pied égal avec
Dame Eboshi. Ici, Toki s'adresse avec familiarité à Dame Eboshi,
en lui conseillant de ne pas s'excuser auprès de Koruku. Elle plaisante
avec elle. Nous voyons que cette aisance et cette familiarité sont
justifiées car Dame Eboshi les voit comme des égales,
contrairement aux hommes, qui lui sont plus soumis. En effet, cet angle montre
Dame Eboshi en plan américain, sans effet de contre-plongée comme
il était le cas pour sa discussion avec les hommes.
00 : 32 : 31
Cette scène et sa mise en scène
révèlent le fonctionnement du village et les rapports entre les
hommes et les femmes y habitant : les femmes dans une position de
liberté et de contrôle sur les hommes ; les hommes
réduits à l'état de garçonnets face à elles.
Les femmes sont égales entre elles mais aussi avec leur
supérieure, Dame Eboshi ; elles n'ont pas de rapport de domination
entre femmes.
Nous rencontrons également d'autres femmes exerçant
le rapport de domination sur leurs conjoints comme celui de Toki sur
Koruku : l'une d'elles est Gran Mamare. Gran Mamare, dans Ponyo sur la
falaise, mère de Ponyo et ses petites soeurs, est une déesse
de la mer de grande puissance. Gran Mamare est très grande, aux cheveux
roux flamboyants ondulant comme des vagues, indiquant son appartenance au
royaume de la mer. Son pouvoir lui permettra d'exaucer le rêve de sa
fille Ponyo, en la rendant humaine. Gran Mamare est souvent
représentée sous sa forme la plus grande, de plusieurs
mètres de haut. Ainsi les angles de vue qui la montrent sous souvent en
contre-plongée, représentant sa puissance, sa grandeur. Les
couleurs mauves, blanches et rouges qui la caractérisent, par la couleur
de ses cheveux, bijoux et vêtements, sont des symboles de chaleur et de
pureté. Le message transmis est donc que Gran Mamare utilise sa
puissance à des fins justes, dans le but de protéger les marins
par exemple (il s'agit du pouvoir que les humains lui attribuent). Elle sert
également de médiateur entre Ponyo et son père, Fujimoto,
qui refuse de laisser sa fille partir. Finalement, la décision
appartiendra à Ponyo et à Gran Mamare seulement, laquelle aura
réussi à convaincre Fujimoto d'accorder sa liberté
à leur fille.
Lorsque nous la voyons s'adresser à son mari, Fujimoto,
les angles de prises de vues la montrent dans le rôle dominant :
dans l'une des scènes où elle parle avec lui de l'avenir de leur
fille, elle plus grande que son bateau, elle l'enveloppe, comme si elle
l'envoûtait.
1 : 07 : 26
1 : 07 : 28
1 : 07 : 36
1 : 07 : 50
1 : 08 : 30 images extraites de Ponyo sur la falaise
Dans ces plans, nous voyons Fujimoto tout d'abord accroupi devant
sa femme, penché vers elle. Sa position ressemble à une position
de supplication, ou une prière : ses mains sont jointes, montrant
qu'il révère sa femme. Il est incliné devant elle.
Sur le second plan, nous voyons Gran Mamare dans un plan
général, mettant en valeur sa grandeur par rapport à
Fujimoto. Le troisième plan procède de la même
façon, mais montre cette fois Fujimoto de face, de la façon dont
sa femme le voit, c'est-à-dire très petit. Il paraît
presque insignifiant devant elle.
Le quatrième plan suggère la même
chose : nous voyons Fujimoto en plan rapproché, s'adressant
à sa femme. Son expression montre qu'il est honteux ; la position
de sa tête, enfouie dans ses épaules, traduit un sentiment de
vulnérabilité, de soumission.
Enfin, le cinquième plan utilise une symbolique assez
forte : sa femme le prend entièrement dans le creux de sa main.
Gran Mamare use de ce geste afin de calmer son mari, ce qui l'aidera finalement
à le persuader qu'elle a raison, et empêchera ce dernier de
paniquer. Elle le tient au sens propre, comme au figuré, sous son
emprise. Diverses expressions utilisent une métaphore similaire, pour
exprimer cette même idée : « manger dans la main de
quelqu'un » en français, ou encore, l'expression anglaise,
très proche de cette image, « to have one wrapped around
one's finger » (tenir quelqu'un enroulé autour de son doigt).
Cependant, notons tout de même qu'ici, le geste est également
affectueux, sans méchanceté, mais révèle un certain
pouvoir de manipulation de la part de Gran Mamare.
Les femmes magiciennes et les sorcières sont des
personnages importants dans la filmographie de Miyazaki. Les hommes qui ont des
pouvoirs sont plus rares : Fujimoto, dans Ponyo sur la falaise,
ou Hauru dans le Château ambulant, en sont les rares exemples.
Nous trouvons encore d'autres femmes de pouvoir et surtout, ayant
des pouvoirs magiques leur permettant de régner en maîtres dans
leur monde : Suliman et la sorcière des Landes dans Le
château ambulant, ainsi que Yûbaba et sa soeur Zeniba, dans
Le Voyage de Chihiro.
Suliman et Yûbaba sont toutes deux des femmes très
puissantes, avec de grands pouvoirs. Ces pouvoirs leur donnent la
capacité de régner en reines sur des royaumes : Suliman est
sorcière pour le prince du royaume imaginaire dans Le Château
ambulant, et dispose des pleins pouvoirs. Recrutant les magiciens du
royaume pour l'état de guerre, elle décide de leur sort. C'est
aussi une personne très sage et clairvoyante, qui souhaite que justice
soit faite. Les sorts qu'elle retire ou crée sont toujours régis
par son sens de la justice. C'est elle qui retire à la sorcière
des landes, sorcière pourtant très puissante, tous ses pouvoirs
et lui redonne son véritable âge : cette dernière sera
transformée en vieille femme inoffensive. Mais elle est capable de se
montrer cruelle, poursuivant Hauru sans relâche pour qu'il lui rende
service en temps de guerre, ou bien en plongeant son pays dans un état
de siège à durée indéterminée. Elle semble
avoir perdu son humanité, et sa pleine puissance lui fait perdre contact
avec les gens plus vulnérables.
Yûbaba est également une femme qui semble loin des
réalités et qui manque de compassion. Yûbaba est une
sorcière cruelle : si on lui manque de respect -les limites
étant très vite franchies- elle utilise ses pouvoirs pour
transformer les malheureux. C'est ainsi que de nombreuses personnes se
retrouvent changées en boules de suie, ou en porcs, comme les parents de
Chihiro au début du film. Les premières images que nous voyons
d'elle dépeignent un personnage cruel, puissant.
En effet, le premier plan montrant Yûbaba est un gros plan
sur sa bouche, par laquelle elle ordonne d'une voix effrayante à Chihiro
de rentrer dans l'immense hall au bout duquel son bureau est dissimulé.
Sa bouche énorme montre des lèvres ridées, un nez immense
et pointu plissé également. La voix est rauque, forte.
image extraite du Voyage de Chihiro (00 : 35 : 14)
Le second gros plan montre la main de Yûbaba. Cette
dernière nous informe bien sur le type de personnage qu'est cette
sorcière. Les ongles vernis, les gros bijoux précieux et
brillants, montrent une personne attachée aux apparences, mais qui
souhaite surtout que sa puissance et sa richesse soient vues de tous. Il s'agit
probablement d'une façon d'assurer que personne n'oublie qu'elle
décide du sort de chacun, qu'elle a tous les droits.
Le Voyage de Chihiro (00 : 35 : 20)
Nous voyons ensuite le visage entier de Yûbaba,
écrivant à son bureau. Elle paraît très calme,
très froide. Lorsque Chihiro lui réclame un travail, elle
l'empêche de parler, avec l'un de ses tours, toujours très
calmement, avec malice.
Le Voyage de Chihiro (00 : 35 : 49)
L'angle de prise de vue du plan suivant permet de voir la
différence de taille entre Yûbaba et Chihiro. La tête de la
sorcière paraît énorme par rapport à la petite
fille. Loin d'elle, au fond de la pièce, Chihiro, en
arrière-plan, est rendue minuscule. Sa taille dans le cadre symbolise
son impuissance face à la sorcière.
Le Voyage de Chihiro (00 : 36 : 04)
Les plans suivants de cette même scène, montrent que
Yûbaba est un personnage laid, effrayant. Ses mains ressemblent à
des pattes d'araignée, ses yeux et sa tête sont
disproportionnés. L'effet voulu est de dégoûter le public,
de la montrer sous un jour monstrueux, inhumain.
Images extraites du Voyage de Chihiro, de gauche
à droite :
(00 : 36 : 59) (00 : 37 : 09)
(00 : 37 : 45) (00 : 38 : 07)
Nous pouvons ensuite analyser le personnage de Dora, une autre
femme de pouvoir et surtout, qui exerce une réelle domination sur les
hommes. Dora est un personnage du Château dans le ciel, femme
pirate dirigeant son propre clan, le clan Dora. Il est révélateur
de sa position de supériorité et de chef, que son clan soit
nommé après elle. Dora est un personnage important dans
l'histoire car elle se lance, avec ses fils, à la recherche de Sheeta,
la jeune héroïne. C'est aussi le premier personnage que nous
voyons : en gros plan, en contre-plongée, elle paraît
effrayante. Cette mise en scène et le fait qu'elle soit le premier
personnage qui apparaît à l'écran montre qu'il s'agit d'un
personnage de pouvoir. Cela se vérifiera par la suite, car nous verrons
qu'effectivement, ses fils lui obéissent en tout et agissent comme des
enfants face à elle. En effet, Dora dirige leurs actions ; ses fils
étant vraiment idiots, elle ne manque pas de le leur rappeler à
la moindre occasion : « espèce de crétin
dégénéré »,
« imbécile », « la ferme,
crétin », etc. Elle marque son autorité en les
insultant, ou en leur donnant des ordres pour effectuer des tâches,
auxquelles elle ne participe pas. Par exemple, lorsqu'elle leur demande de
jeter des wagons dans la vallée (scène de fuite de Sheeta et Pazu
poursuivis par les pirates), elle donne le rythme, mais n'aide pas, les
regardant travailler. Son personnage évolue : elle devient peu
à peu attachante, une tante pour Sheeta et Pazu qui finiront par
l'appeler « tantine ». Dora est une vraie
féministe : lors de scènes d'action, où elle tire sur
les agents du gouvernement, nous l'entendons dire : « vous allez
voir ce que c'est qu'une femme ! », ou encore « C'est
à pleurer ce qu'on est capable de faire pour sauver son
homme », signifiant que les rôles de sauveur/sauvée sont
ici inversés. Dora est loin du cliché de la ryosai kembo.
Insoumise aux hommes, elle n'est pas l'esclave de ses fils, il s'agit
plutôt du contraire. Mais en un sens, quand nous observons son
comportement avec ses fils (dirigiste, autoritaire), Dora correspond à
un certain aspect des mères japonaises, se mêlant des vies
personnelles de leurs fils, étouffantes. Mais Dora en est une version
beaucoup plus féministe, autoritaire, active, loin des sphères
traditionnellement féminines.
(00 : 00 : 33) Dora dans Le Château dans le
ciel
Nous allons en effet aborder cette question de
l'éloignement de ces femmes de pouvoir des sphères
féminines traditionnelles, en nous intéressant à
présent aux guerrières, qui sont nombreuses dans la filmographie
de Miyazaki.
|
|