PHILIPOT Joanna
Université de Nice Sophia-Antipolis
UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines
Département des Sciences de l'Information et de la
Communication
Master 1 des Sciences de l'Information et de la
Communication
Sous la direction de Mme Christel
TAILLIBERT
L'IMAGE DE LA FEMME JAPONAISE DANS LE CINEMA D'HAYAO
MIYAZAKI
Année universitaire 2010/2011
INTRODUCTION
L'engouement pour le Japon aujourd'hui relève du
phénomène : où que l'on aille, il semble que le Japon
y laisse sa trace. Autrefois société discrète et
lointaine, il est impossible aujourd'hui d'échapper au Japon sous toutes
ses formes : sa gastronomie, sa mode extravagante, ses mangas, sa
technologie et bien sûr ses films d'animation. Régnant sur les
télévisions enfantines depuis les années 80, on en
viendrait à oublier son cinéma d'animation dont la lecture peut,
au-delà du divertissement pour enfants, nous révéler des
caractéristiques bien particulières de la société
japonaise, celle qui fascine tant l'Occidental par sa différence en bien
des points.
C'est cette thématique qui fera l'objet de mes recherches
pour ce mémoire. L'animation japonaise et ce qu'elle peut
révéler de son pays, le Japon, pays qui s'oppose à nous,
dont la société fonctionne si différemment : dans ses
aspects professionnels, familiaux, religieux mais également sexuels.
Effectivement la question des genres est abordée de façon
très différente dans la société occidentale et la
société japonaise, tant dans les représentations des
hommes que celle, particulièrement, des femmes. Il me semblait donc
intéressant de me demander en quoi nos visions diffèrent, ce que
je pourrais analyser à travers les différentes images de femme
qui nous parviennent du Japon.
En effet, l'étude de la représentation des femmes
est intéressante au vu de l'imagerie foisonnante que nous avons des
japonaises, fascinantes dans leurs contradictions : geishas, femmes au
foyer, adolescentes extravagantes dans les rues de Tokyo. Les
représentations que nous donne le Japon pour décrypter sa
société ne manquent pas et le cinéma d'animation nous
offre de nombreux exemples pour étudier l'image de la femme dans la
société japonaise. Tantôt hyper-sexualisée dans les
mangas ou anime populaires pour adultes et adolescents, tantôt
romancée, idéalisée, la femme est
représentée de mille façons, toujours contradictoire,
tiraillée entre modernité et tradition.
Le Japon, pays où la tradition se mêle à
l'hyper urbanisme et les hautes technologies de pointe, nous paraît,
à nous Occidentaux, énigmatique et complexe. Les femmes sont
l'illustration de notre incompréhension vis-à-vis de la
société japonaise. Soumises ? Indépendantes ?
Egales de l'homme ? Mères au foyer, épouses ? Nous les
apercevons aujourd'hui dans un cinéma représentant la crise que
traverse le Japon, ce tiraillement entre tradition et modernité :
nature et urbanisme, cérémonies, rituels, et fêtes
occidentales, art de vivre japonais et art de vivre européen,
américain.
Nous pouvons dans un premier temps, admettre que le
bouleversement des modèles féminins est l'expression la plus
manifeste des changements qui s'opèrent dans le Japon contemporain. En
effet, la façon dont une société représente ses
femmes témoigne de son système social et même politique,
car touchant à son fonctionnement profond : l'éducation,
l'école, les opportunités de travail, l'égalité des
chances, des sexes.
Le Japon traverse en effet aujourd'hui une
« crise » de ses modèles : avec un alignement
sur le modèle occidental, le Japon tente aujourd'hui de se trouver une
identité, entre ses traditions et la modernité, ce qui se
reflète dans l'évolution du statut des femmes ces
dernières années. Effectivement, depuis les années 60, la
femme trouve une place qui oscille entre la « ryosai
kembo », c'est-à-dire la tradition de « la bonne
épouse et la mère avisée » et la
« working girl ». Il est intéressant de noter que
cette longue évolution s'opère toujours aujourd'hui, tant les
images traditionnelles sont ancrées, et la séparation des mondes
féminins et masculins marquée. On assiste aujourd'hui à un
bouleversement qui se fait de façon lente mais qui engendre un
brouillage des identités : les groupes de musique, les stars de
cinéma par exemple, montrent de nouveaux modèles à la
jeune génération, où se joue une ambigüité des
sexes inédite. Les hommes jouent sur leur féminité et les
femmes embrassent des rôles et aspirations autrefois
réservées aux hommes.
La situation du marché du travail il y a encore peu de
temps, est révélatrice du travail que doivent accomplir les
femmes japonaises pour se débarrasser de leur rôle
traditionnel : aujourd'hui encore, le monde du travail est un monde
dominé par les hommes. Cela est particulièrement vrai en ce qui
concerne les médias, par exemple, ou la scène politique.
Difficile pour une femme d'être acceptée à un poste
à responsabilités, d'être prise au sérieux par les
hommes, tant une longue tradition de femmes effacées derrière
leurs maris et dont le seul but et métier était la famille et
l'éducation des enfants, pèse, encore aujourd'hui, très
lourdement dans les mentalités.
Il est donc intéressant de chercher à savoir
comment ces bouleversements sont vécus par les Japonais, et comment la
nouvelle génération se situe par rapport à cette longue
tradition de différenciation des sexes. Pour chercher à
comprendre à quel point la société japonaise change, et
dans quelle mesure le statut des femmes a changé et évolue
encore, il est nécessaire de comprendre comment le Japon a
fonctionné auparavant. En effet, la société japonaise a,
durant des siècles, fonctionné sur un modèle ancien issu
de la tradition confucianiste, lequel a influencé l'éducation, la
hiérarchie familiale et même professionnelle. La séparation
entre les sphères masculines et féminines en est l'expression la
plus forte. De telles habitudes sont dures à faire disparaître.
Ainsi, cette hiérarchisation à travers les coutumes sociales, et
même le langage, qui établit une différenciation entre
hommes et femmes, semble se ressentir toujours en filigrane de la
société aujourd'hui, malgré l'influence occidentale qui,
depuis la Seconde Guerre Mondiale, bouleverse les rôles traditionnels.
Ainsi, il est intéressant d'étudier le
cinéma japonais car celui-ci nous apporte un éclairage sur ces
bouleversements de modèles, ainsi que sur la place de la femme au sein
d'une société en plein essor international. Cela nous permettra
donc d'accéder à une meilleure compréhension de la
société japonaise dans son ensemble.
Pour illustrer ce propos et m'interroger sur la place de la femme
dans la société japonaise aujourd'hui, j'étudierais le cas
du réalisateur Miyazaki, dont les films d'animation ont la
particularité de présenter non pas des héros, mais des
héroïnes, tout en offrant un panel intéressant : femmes
jeunes, âgées, enfants, etc.
Ainsi les perspectives qui sont impliquées pour
étudier ce sujet sont sociologiques mais également
esthétiques. J'utiliserais donc l'analyse filmique pour étudier
les films de Miyazaki, en retenir une certaine lecture qui me sera ensuite
utile pour effectuer un comparatif avec la réalité de la
société japonaise, ce qui m'aura également demandé
d'effectuer auparavant des recherches dans les domaines de la Sociologie et de
l'Histoire. Ces disciplines me permettront ainsi de mettre en
corrélation la place de la femme dans la société japonaise
et le regard particulier d'un cinéaste sur sa société.
Ma problématique sera donc la suivante : Quelle image
de la femme Miyazaki offre-t-il dans son cinéma ?
Pour répondre à cette question, il va m'être
utile de développer plusieurs phases de recherches nécessitant
différentes méthodes. Tout d'abord, je rassemblerais un corpus
d'écrits sociologiques et historiques sur le Japon et en particulier sur
l'évolution de la femme, mais aussi de son image dans les médias
japonais. Je me servirais donc de magazines, d'articles, d'essais, de
documentaires ayant pour sujet la société japonaise. Les livres
écrits par des femmes japonaises ou directement sur les femmes
japonaises me permettront de saisir au mieux l'évolution de leur place
dans la société.
Les écrits sur la culture, sur l'art et les traditions
japonaises me seront aussi indispensables pour comprendre le fonctionnement de
cette société. Je rechercherais au maximum des traductions
directes d'articles issus des médias japonais, dans la mesure du
possible ; mais les analyses offertes par les spécialistes
occidentaux du Japon, de la femme japonaise et des médias japonais
seront ma principale ressource. Tous ces documents seront ainsi utiles pour mes
recherches sociologiques, historiques, me permettant d'analyser la
réalité de la place de la femme dans la société
japonaise contemporaine, ainsi que la représentation de ce rôle
féminin, que l'on trouve dans les différents médias.
J'étudierais ensuite de façon
générale, l'image de la femme dans le cinéma d'animation
japonais. J'utiliserais un axe purement historique et objectif pour cette
partie, dans lequel j'établirais une simple présentation des
principales images féminines que l'on retrouve dans le cinéma
d'animation. J'utiliserais donc des livres retraçant l'histoire du
cinéma d'animation, son évolution, les thèmes qui y sont
abordés et le type de personnages féminins que l'on y trouve de
façon générale, avant d'aborder la présentation du
réalisateur que j'étudierais plus particulièrement.
Je me servirais ensuite d'écrits ainsi que de
documentaires audiovisuels sur le réalisateur Miyazaki, sur ses
films : des critiques de films dans des revues spécialisées,
des biographies, mais également directement à la source : en
effet, j'utiliserais les dossiers de presse dont j'aurais au préalable
fait la demande au Studio Ghibli, studio de production de Miyazaki à
Tokyo.
Le but de ma recherche étant de voir quelle image de la
femme nous offre Miyazaki, en partant de l'hypothèse que ses films nous
permettent d'établir un parallèle avec la réalité
de la société japonaise aujourd'hui, je ferais une analyse de
certains films de Miyazaki pour illustrer ce propos. Ainsi, pour mon
étude filmique, j'ai restreint mes analyses à une certaine partie
de la filmographie de Miyazaki. En effet, j'analyserais les films
réalisés entre 1984 et aujourd'hui, afin de garder une
homogénéité entre les différents films et les
représentations féminines qui s'y trouvent. J'ai choisi ces dates
car 1984 est la date de sortie du premier grand succès de Miyazaki, avec
pour personnage principal, une héroïne, dans Nausicaä de
la vallée du vent, qui permit la création des studios
Ghibli. C'est en effet à partir de la création des Studios Ghibli
que Miyazaki put être réellement indépendant dans ses choix
et seul à la réalisation ; cela m'assurera un regard
vraiment personnel du réalisateur dans les films dont je ferais
l'étude.
Ainsi, la dernière partie de mémoire consistera en
l'analyse des personnages féminins des films de Miyazaki, ce qui
permettra de voir quelle image de la femme s'y trouve. J'analyserais ces films
d'un point de vue esthétique et thématique. Miyazaki explore
différents thèmes dans ses films mais je ne
m'intéresserais qu'aux personnages féminins: il faudra donc
analyser leurs types de rôles, l'importance de leur place dans
l'histoire. Je regarderais aussi leur aspect purement esthétique :
se ressemblent-elles ? Quelles sont leurs différences ? Quels
âges de la femme sont représentés ? Quels symboles
sont employés ? Il s'agira d'analyser les images qui ressortent des
films selon l'âge du personnage, son rôle, mais également sa
relation avec les autres figures dans les films, c'est-à-dire les
hommes. Il sera donc également nécessaire d'effectuer une analyse
des personnages masculins, mais dans leurs rapports aux femmes, leurs
rôles et l'image qu'ils projettent des femmes, à travers leurs
différences. J'espère ainsi pouvoir établir un
parallèle entre les modèles « miyazakiens »
et les modèles dans la société japonaise contemporaine.
Je vais donc étudier cette question en trois parties,
puisque ma problématique nécessite trois axes de recherche :
le cinéma d'animation, la femme japonaise, et le cinéma de
Miyazaki plus particulièrement.
J'ai choisi dans une première partie, d'étudier
l'aspect sociologique et culturel. Dans une première sous-partie,
j'étudierais l'évolution de la société japonaise,
son fonctionnement aujourd'hui, les ruptures avec le passé. Je
présenterais donc ce que nous percevons de la société
japonaise contemporaine dans son ensemble, son évolution ces
dernières années, d'un point de vue social et historique. Il
s'agira donc tout d'abord d'une présentation des conséquences de
l'influence occidentale après la Seconde guerre mondiale, sur le
système scolaire, l'organisation de la cellule familiale, sur le
marché du travail. Dans un second temps, les modes sociaux seront
étudiés plus précisément, de la
hiérarchisation sociale traditionnelle du Confucianisme, à
aujourd'hui.
Cela me permettra ensuite d'étudier la question de la
femme au sein de cette société, dans une seconde
sous-partie ; il s'agira de faire un constat de l'évolution de la
place de la femme dans les domaines autrefois exclusivement masculins : de
l'éducation des petites filles, au rôle de mère,
d'épouse, opposé à la place de la geisha. Il sera aussi
question de l'évolution de la place de la femme dans la
société japonaise à travers la
« révolution douce»* des années 80.
J'étudierais également dans cette sous-partie les
différentes représentations de la femme que l'on trouve à
travers les médias, vecteurs de communication essentiels pour analyser
l'évolution d'une société contemporaine.
La seconde partie sera consacrée au cinéma
d'animation et plus particulièrement au réalisateur qui fait
l'objet de ce mémoire, Miyazaki. Il est effectivement nécessaire
de donner au lecteur des bases de ce qu'est le cinéma d'animation au
Japon et du travail de Miyazaki afin de comprendre l'étude de
personnages féminins qui suit. Dans une première sous-partie, je
ferai donc un bref historique du cinéma d'animation japonais, avec ses
débuts et son évolution, des séries
« anime » aux longs-métrages. Les personnages
féminins de l'animation japonaise y seront également
présentés, en mettant en avant le type de rôles
généralement attribués aux femmes, ce qui permettra
d'étudier les stéréotypes féminins que l'on
retrouve dans le cinéma d'animation d'une façon
générale.
Dans une seconde sous-partie, je présenterais la
carrière de Miyazaki, de ses débuts à aujourd'hui, en
établissant une chronologie de ses plus grands succès, lesquels
seront étudiés de manière plus approfondie par la
suite ; je présenterais également les thèmes
principaux que le réalisateur exploite dans ses films, des thèmes
d'actualité, thèmes de société, ainsi que la
famille et, bien sûr, la femme.
Enfin, la troisième partie se divisera en trois
temps : dans un premier temps, l'analyse des films permettra de mettre en
évidence l'image qu'Hayao Miyazaki donne de la femme dans ses films, les
modèles féminins qui en ressortent. Une analyse faite en tenant
compte des âges représentés permettra d'établir des
différences et des liens entre chaque rôle, en leur attribuant
également différents degrés
d' « importance » dans les scénarios. Seront
également pris en compte, la valeur négative ou positive des
rôles, selon leur place : mère, héroïne,
sorcières, etc.
Dans une seconde sous-partie, il s'agira de présenter le
type de personnages masculins qui se trouvent dans ces films, afin de mettre en
avant la place que tiennent les femmes dans l'histoire, en établissant
un comparatif entre leurs rôles respectifs et l'importance qu'ils
tiennent dans le scénario. L'étude sur les personnages masculins
se fera donc uniquement en rapport avec les personnages féminins, visant
à mettre en avant les différences ou similitudes existant entre
les sexes. On étudiera donc leur valeur négative ou positive,
leur place par rapport aux héroïnes féminines, ainsi que les
rapports entre les personnages de sexe opposé : les relations
« mère-fils »,
« frère-soeur », etc.
Cela permettra donc dans une troisième sous-partie,
d'établir un parallèle, ou non, avec la société
japonaise ; à la lumière du regard de Miyazaki sur la femme,
nous pourrons interpréter ces messages face à la
réalité des rapports entre les genres, la réalité
de la place de la femme et des modèles féminins du Japon
d'aujourd'hui. Dans un premier temps, il s'agira de faire une
présentation des réalités de la société
japonaise en comparant les nouveaux modèles japonais aux personnages de
Miyazaki ; on cherchera ainsi à savoir si la séparation des
mondes masculins et féminins, ou leur lien, que l'on observe chez
Miyazaki, s'opère de la même manière dans la
société japonaise contemporaine.
*Anne Garrigue, Japonaises, la révolution douce,
Picquier poche, 2000, 342 p.
I/
Le Japon aujourd'hui :
évolution sociale, économique, éducative
1) Influence occidentale après la
Seconde Guerre mondiale
1)a. De la famille
traditionnelle du « ie » à la famille
nucléaire
La famille et sa structure sont les premiers
éléments à observer pour comprendre le fonctionnement
d'une société. Les conséquences de la Seconde Guerre
mondiale furent particulièrement importantes au Japon, modifiant
profondément les systèmes traditionnels touchant notamment
à la famille et l'éducation, éléments
révélateurs de la marche sociale d'un pays.
La famille traditionnelle est traditionnellement fondée
sur le principe du « ie », la maisonnée, principe
inspiré de la pensée Confucianiste qui influence le
fonctionnement politique, social et familial au Japon dès le
VIème siècle.1(*) Les mariages arrangés, seul moyen de se marier
dans la tradition, s'apparentent en réalité davantage à
l'entrée d'une nouvelle femme dans le « ie »,
qu'à l'union de deux êtres fondant une nouvelle famille. Le
« ie » comprend les membres vivants d'une famille mais
aussi les morts ; le « ie » est en fait une personne
morale, plus importante que l'individu : comme l'explique Nilsy Desaint
dans son ouvrage Mort du père et place de la femme au Japon,
« La pérennité de la descendance, le sacrifice des
intérêts personnels des membres au profit de la communauté
familiale caractérisaient ce système ».2(*)
Ainsi, le groupe prévaut sur l'individu, suivant la
pensée de Confucius. La famille du « ie » centre la
femme sur son rôle d'épouse et de mère, organisant la
famille selon une hiérarchie bien définie : le chef de
famille, le père, a la position la plus élevée ; puis
c'est le successeur, c'est-à-dire le fils aîné. Les autres
membres se rangent derrière eux suivant leur âge, puis leur
sexe : les frères cadets après le frère
aîné, et enfin les femmes, la belle-fille ayant le statut le plus
bas ; chacun obéit à la personne au statut supérieur
au sien.3(*)
Comme le dit Jean-Marie Bouissou dans Le Japon
contemporain, « la culture sociale japonaise est une
idéologie du lien familial et social centrée non sur l'individu
mais sur ses liens avec les autres et la communauté ».4(*)
L'aspect religieux du Japon est également à
observer. Durant l'époque Edo (1603-1867) la religion dominante
était le Bouddhisme. L'ère Meiji (1867-1945) connut un
affaiblissement du Bouddhisme, avec la création d'un Shintô
officiel. Après la Seconde Guerre mondiale, les religions se
diversifièrent, laissant place à l'émergence de nouvelles
religions, les « néo-nouvelles religions », preuve
du recul progressif des anciennes religions de tradition, faisant
également écho aux bouleversements que connut la famille
traditionnelle après-guerre.5(*)
En effet, la famille du « ie » fait place
à la famille nucléaire sans père, suite à la
Seconde Guerre mondiale, dans un Japon dévasté. Le Japon moderne
devient progressivement une société sans père, le
père quittant peu à peu sa fonction éducatrice
conséquemment à la guerre, les mères et l'école le
remplaçant.6(*)
Ce sont les forces Alliées qui précipitent les
changements au sein de la cellule familiale, y voyant des signes d'un
caractère non démocratique de la société japonaise.
Des réformes sont instaurées à l'initiative occidentale,
visant à modifier les aspects suivants : la règle
fondée sur l'autorité et l'obéissance, le manque d'action
individuelle et du sens de responsabilité, les sanctions sociales
liées à l'individualisme ou les opinions personnelles, et enfin
le contraste entre les liens de groupe et l'attitude hostile envers
l'extérieur.7(*)
En effet, le changement de position vis-à-vis de
l'individualisme et le respect de chaque individu à la différence
du respect du groupe, n'apparait que dans la Constitution
d'après-guerre : l'article 13 de la Constitution de
1946(d'inspiration américaine) stipule : « Le peuple tout
entier doit être respecté en tant qu'individu »,
idée nouvelle au Japon, opposée aux lois de l'époque
Taisho (1912-1925), où l'individualisme était
condamné.8(*)
Surviennent ainsi après-guerre deux grandes phases dans le
processus de démocratisation et d'alignement sur le modèle
occidental : la standardisation de la famille (le lien affectif primant
sur le rapport obéissance/domination confucianiste, la réduction
de la cellule familiale au noyau essentiel des parents et enfants). La
deuxième phase est la baisse du taux de natalité, la
contraception, et l'augmentation des divorces, menant à une
pluralisation de modèles familiaux, loin du principe
« ie » traditionnel.9(*)
Le père abandonne peu à peu son image patriarcale
autoritaire, représentant l'autorité et l'ordre, pour celle du
père absent, dévoué à un poste au sein des grandes
entreprises qui voient le jour après-guerre. Malgré ces
changements au sein de la cellule familiale, le rôle des femmes reste
longtemps défini selon le modèle traditionnel ; selon un
sondage effectué en 1991, la majorité des Japonais pense toujours
que « dans les relations maritales, l'homme doit avoir une position
plus forte que la femme ».10(*)
Cependant, nous verrons que la hiérarchisation sociale et
familiale de l'époque confucianiste reste profondément
ancrée dans la société japonaise, même
après-guerre. Cette hiérarchie persiste notamment dans le
système éducatif. L'école, en-dehors de la famille, est le
lieu de socialisation des enfants, où se forment leurs futurs
comportements et les futurs rapports entre les sexes. Ainsi, il est
intéressant de nous pencher sur la question du système scolaire
au Japon à partir de la Seconde Guerre mondiale.
1)b. Réformes du
système scolaire
Durant la guerre, l'éducation au Japon est sous
surveillance militaire : les manuels sont corrigés par les
militaires. En 1941, les phrases courantes trouvées dans les manuels
pour l'apprentissage de la lecture servent de propagande pour la guerre :
« il est bon d'aller à la guerre »,
« honorable », « en avant soldat ». En
période de guerre, l'école est donc très nationaliste,
dirigée par l'Armée. Les instituteurs doivent faire un stage de
cinq mois à l'Armée avant de prendre leur poste.11(*)
Les écoles qui forment les instituteurs sont sous
contrôle gouvernemental direct. Le gouvernement fixe aussi les
« caractères idéaux » des
élèves. L'éducation des filles est séparée,
dans une école spécialisée, dès le secondaire.
12(*)
L'école primaire prend alors le nom
d' « école du peuple » ; on y enseigne les
matières suivantes : la morale, la langue japonaise, l'histoire, la
géographie. Les enfants apprennent les mythes et dictons nationalistes
dans leurs manuels : « le mythe de la mère du
marin », racontant le contenu de la lettre d'une mère à
son fils parti à la guerre ; celle-ci s'étonne que son fils
n'ait pas encore tué, accompli de hauts faits de guerre. Celui-ci pleure
et a honte. 13(*)
Les enfants apprennent des phrases chauvinistes, comme le montre
l'exemple des cerisiers en fleurs : « ils sont en fleurs, ils
sont en fleurs les cerisiers ». Les cerisiers sont le symbole de la
caste guerrière des Bushi. 14(*)
En 1948, la démocratie et l'éducation
américaines font leur apparition au Japon. Les manuels scolaires sont
alors tous effacés et refaits pour embrasser la culture
américaine.
De nouvelles matières sont intégrées, telles
que les « études de la société ». Les
cours de morale sont abolis, ainsi que les cours d'histoire nationale et de
géographie, tous empreints de nationalisme. Les nationalistes et
ultra-militaristes sont expulsés de l'Education, qui est dès lors
décentralisée.15(*)
Le Japon est ainsi passé d'un système scolaire
national, centralisé, égalitaire, contrôlé par
l'Etat, à un système scolaire occidentalisé,
« qui tend de nouveau à devenir libre, devenu moins
uniformisé, plus communautaire »16(*).
2) Evolution des modes sociaux
2)a .Le
monde du travail, un monde d'hommes
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le monde de l'entreprise au
Japon a pris une importance économique et sociale telle, qu'elle permet
au pays de vivre un véritable miracle économique au sortir de la
guerre : première puissance commerciale dans les années
1970, puis première puissance financière mondiale dans les
années 1980, avant la crise financière et l'éclatement de
la bulle spéculative dans les années 1990.17(*)
Le monde de l'entreprise au Japon relève d'une
véritable sacralité, auquel on attend de l'employé qu'il
se dévoue corps et âme. Nilsy Desaint écrit en effet dans
son ouvrage Mort du père et place de la femme au Japon,
« de même que le culte des ancêtres sacralise le
modèle familial, l'ensemble des règles exige l'adhésion de
chacun à une entité fermée que constitue le clan ou la
compagnie. »18(*)
Chaque employé travaille de façon à assurer
la bonne marche de l'entreprise, autrement dit, l'harmonie de travail. Notion
séculaire au Japon, la notion de groupe ne disparait pas après
1945; le Japonais cherche toujours à s'adapter au groupe, à se
fondre dans la masse salariale sans se démarquer, dans une attitude
privilégiant la communauté et non l'individualisme, typiquement
japonaise.
Le Japonais « prend tous les visages, sans
révéler le sien propre »19(*), il s'adapte constamment aux
rôles qu'on attend de lui : père, employé,
époux. L'importance de l'entreprise pour laquelle le Japonais travaille
prend toute son ampleur quand on constate la façon dont ces derniers se
présentent : citant d'abord le nom de l'entreprise pour laquelle
ils travaillent, puis le nom de famille et le prénom. L'entreprise vient
en premier, l'individu vient en dernier: d'où l'importance de travailler
pour l'une des grandes entreprises japonaises, afin de montrer sa
réussite professionnelle et sociale.
On comprendra ainsi la course effrénée qui se livre
dès l'enfance, pour atteindre cette réussite, accessible si l'on
a réussi à intégrer brillamment les universités les
plus prestigieuses du pays. Ainsi, les nombreux cours du soir dans les
écoles privées spécialisées, nommées les
« juku », rencontrent un succès
phénoménal, étant donné qu'elles donneront une
meilleure chance à l'élève d'atteindre le niveau requis
pour ces grandes universités, souvent seules voies d'accès au
monde du travail et plus particulièrement au recrutement dans une
multinationale, telle que Mitsubishi, Hitachi, Sony, etc. Ces grosses firmes
attirent les jeunes diplômés car elles offrent de nombreux
avantages sociaux, difficiles à obtenir ailleurs.20(*)
Nous pouvons cependant observer qu'il existe une discrimination
qui a persisté même après la Seconde Guerre mondiale :
les grandes entreprises favorisent toujours des hommes plutôt que des
femmes, encore plus fortement s'il s'agit d'un poste à
responsabilités. En effet, au Japon, la séparation entre les
études dites « féminines » et celles dites
« masculines » est forte : « sur l'ensemble
de la population féminine accédant au cycle universitaire, une
fille sur quatre est inscrite dans une institution réservée
exclusivement au sexe féminin »21(*). En effet, la discrimination
des femmes sur le marché du travail remonte à la division
sexuée que l'on constate dans le monde estudiantin.
En effet, un traitement différencié persiste durant
les études, menant les jeunes filles à choisir des
filières « féminines », et non celles
« pour les hommes » : ainsi les femmes se retrouvent
souvent dans des filières littéraires, et les hommes dans les
filières scientifiques, où l'on trouve encore très peu de
femmes. Cette différenciation persiste et influe sur les postes que l'on
attribue aux femmes ou aux hommes dans le monde du travail : en effet,
« plus on monte dans la hiérarchie, plus les femmes se font
rares »22(*), et
les fonctions où l'on retrouve des femmes tendent à être
similaires à leur rôle « traditionnel » :
s'occuper des enfants, servir le thé, etc.
Le monde de l'entreprise est un monde d'hommes, où les
femmes ont du mal à trouver une place : les offres de postes sont
inégales pour les hommes et les femmes, et souvent cachées
derrière le prétexte de l'éducation, ou de la forte
concurrence. En réalité, les grands patrons ont, de façon
générale, la vision traditionnelle du rôle de la femme, qui
veut que celles-ci n'aient pas accès aux postes à
responsabilités car elles doivent s'occuper de la famille, tandis que
l'homme est tenu de ramener de l'argent au foyer. Dans Japon, le
consensus, ouvrage du CESEJ, comité de spécialistes du
Japon, datant de 1984, il est écrit : « dans la
mentalité japonaise, une femme mariée qui travaille est une
mauvaise mère et une mauvaise épouse ».23(*)
Les grandes entreprises ont ainsi vu le jour dès la fin de
la guerre, mais ont longtemps discriminé les femmes. C'est un monde
d'hommes, car ce sont les hommes qui s'éloignent du foyer familial pour
se consacrer à l'entreprise, y passant au moins 40 heures par
semaine24(*). Ce sont
également les hommes qui participent aux réunions très
fréquentes, aux sessions de golf avec les patrons ou clients, ou qui
peuvent être mutés, si besoin est, loin de la famille. L'important
pour maintenir une bonne image en entreprise, être bien perçu par
son patron et assurer sa place, est la disponibilité, ce que les femmes,
dans la tradition, ne sont pas disposées à offrir. Ainsi, les
employés restent de longues heures au travail, participent
également aux « omikai », soirées
arrosées entre patrons et employés, où les femmes sont
assez rares.25(*)
L'homme est aussi perçu de façon
générale par les Japonais et les Japonaises, comme étant
plus fort que la femme, et donc plus à même de supporter de
longues heures de travail comme le demandent les entreprises. Le discours des
femmes témoigne de ce consensus, comme le montre l'exemple de
l'entretien d'une jeune Japonaise, Fumiko, en 2005 : « Les
hommes sont bons pour travailler beaucoup. Les hommes ont plus de force que les
femmes et c'est bien (...) la plupart des hommes travaillent plus que les
femmes. ». Cela ressort également lorsqu'on parle des femmes
à postes à responsabilités : « la femme qui
ordonne de travailler à un homme, ce n'est pas
sympathique ».26(*)
A travers cette mise à l'écart de la femme dans
l'entreprise, cet éloignement de l'homme de la sphère familiale
depuis la Seconde Guerre mondiale, nous pouvons aborder la question de la
séparation des sphères masculines et féminines, ancienne
tradition qui se ressent encore en filigrane de la société
aujourd'hui.
2)b. Séparation des
sphères masculines et féminines
L'ancienne tradition japonaise qui sépare le rôle de
la femme de celui de l'homme est ancestrale. L'ère Muromachi
(XIIe siècle) connut le pouvoir des femmes et une
société matriarcale, où les femmes jouissaient de
nombreuses libertés, notamment dans le domaine de l'amour et du
mariage ; elles travaillaient également au même statut que
les hommes. Le recul de la place de la femme semble avoir débuté
durant l'ère Edo (dès le XVe siècle), avec la
perte de pouvoir de la maison impériale, qui avait commencé au
XIIIe siècle27(*). La montée de la pensée Confucianiste,
alors en plein essor au Japon, contribua largement à reléguer la
femme à une place inférieure à celle de l'homme,
identifiant la relation homme/femme à celle de souverain/sujet.28(*)
La place de la femme est donc d'être soumise et
obéissante, sans besoin d'être instruite, puisque sa seule
véritable vocation est d'être une mère et une
épouse, qui reste au foyer uniquement. Elle doit également
transmettre ces valeurs d'humilité, d'obéissance et de soumission
à ses filles.29(*)
Cette définition des différents rôles sociaux
de l'homme et de la femme persiste jusque dans la première partie du XXe
siècle, l'ère Meiji (1868-1912) étant l'époque
où cette hiérarchie sociale est la plus forte, avec une
société patriarcale et paternaliste, bouleversée
après 1945.30(*)
La femme est donc traditionnellement tenue de montrer soumission
et obéissance ; cela se ressent même dans son langage :
les hommes considèrent en effet qu'une femme n'a pas besoin d'apprendre
les kanji, mais seulement les kana, écriture
simplifiée du Japonais. La femme doit aussi s'exprimer d'une
façon différente, montrant respect et surtout,
humilité : cela signifie donc l'emploi de mots polis, sans exprimer
d'émotions fortes, et l'absence du « je » dans les
phrases, la Japonaise faisant partie de la communauté, sans
individualité. « Elle est l'exemple premier d'une disposition
à l'effacement de soi-même ».31(*)
Les mondes masculins et féminins sont clairement
séparés : la sphère privée, domestique est le
domaine féminin. La sphère publique, sociale, est masculine.
Ainsi, la femme est maîtresse du foyer ; gérant le budget
familial, c'est elle qui dispose des pleins pouvoirs, mais uniquement à
l'intérieur de la maison. Elle a un rôle défini :
celui de la mère et épouse, entièrement
dévouée à son « vrai métier ».
D'ailleurs son apprentissage se fait, jusqu'en 1945, avec sa belle-mère,
dont elle est le souffre-douleur.32(*)
Il est également révélateur du rôle
séculaire de la femme au sein de la maison, que son nom soit toujours
« okusan ». Dans la tradition, ce mot signifie
« celle qui habite au fond », pour désigner l'une
des concubines des seigneurs. Un autre terme désignant la mère et
épouse, par son époux uniquement, est
« kanai », autrement dit « l'intérieur de
la maison ». 33(*) La femme quant à elle, appelle son
époux « danna », mot signifiant « le
seigneur » ou « maître » ; c'est
également le nom par lequel la geisha appelle l'homme qui l'entretiendra
durant plusieurs années34(*).
La séparation des mondes masculins et féminins
marque les occupations du quotidien : on attend donc de la femme qu'elle
s'occupe de son intérieur, du foyer, des enfants ; aujourd'hui,
l'épouse japonaise sort, voit ses amies, participe à des
associations de consommatrices, apprend l'arrangement floral
(ikebana). Ces activités restent ainsi liées au
rôle traditionnel qui la relie à la maison, aux occupations ayant
trait au foyer et aux enfants. L'homme est donc maître de la
sphère sociale : ses activités sont situées à
l'extérieur, en contact avec autrui. Il part tôt le matin, rentre
tard le soir après sa journée de travail, après laquelle
il ira en général boire un verre avec ses collègues du
bureau, restant le plus longtemps possible hors du foyer, qui appartient
à sa femme. Les tâches ménagères sont du ressort de
la femme, ainsi l'homme ne participe que très rarement à la vie
du foyer, son rôle l'astreignant aux activités extérieures,
en retrait de sa famille.35(*)
Ainsi de nombreux hommes, encore aujourd'hui, ressentent une
grande frustration, leur rôle n'appartenant pas à la sphère
familiale ; la famille nucléaire sans père
d'après-guerre a également participé à
l'accroissement de ce phénomène, éloignant encore plus le
père de son rôle autoritaire sur la famille. C'est pourquoi nombre
d'entre eux se sentent exclus de la famille. Cela explique également
pourquoi cette frustration se reporte dans les fantasmes masculins sur l'image
de la femme-enfant d'autrefois ; fantasme que l'on retrouve dans les
mangas et animés pornographiques. 36(*)
2)c. Vers un partage des
sphères
Cette séparation des sphères masculines et
féminines est toujours perceptible dans la société
aujourd'hui, étant précédée par une très
longue tradition de hiérarchie confucianiste sur tous les plans sociaux,
économiques et familiaux, régissant ainsi un ordre particulier
des rapports hommes/femmes dans toutes les activités du quotidien.
Cependant, depuis la Seconde Guerre et la dernière Constitution
« occidentalisée » de 1949, nous pouvons observer
que des changements se sont opérés, bouleversant les
modèles traditionnels et amenuisant la différenciation entre les
mondes masculins et féminins.
De plus en plus de femmes travaillent, avec l'apparition de la
« working girl » des années 1980 ; elles sont
également plus nombreuses à aller à l'université et
poursuivre de longues études. Même si encore 70% des parents
japonais souhaitent voir leur fils aller à l'université, contre
30% pour leur fille, d'autres paramètres laissent penser que les
mentalités évoluent.37(*) En effet, avec l'augmentation des femmes à
l'université, et l'ouverture progressive sur le marché du travail
aux femmes, on peut penser que l'image du rôle différencié
des sexes ira en s'affaiblissant.
Le monde du travail représente l'évolution des
mentalités et l'acceptation progressive de la femme dans ce monde
autrefois exclusivement masculin. Les femmes, auparavant cantonnées
à la place d' « office lady », demandant peu
d'heures et peu d'investissement, sont désormais de plus en plus
nombreuses à occuper des postes plus élevés. Comme nous le
verrons plus loin, les nouvelles lois régissant l'égalité
hommes-femmes ont participé à cette évolution. En effet,
selon un sondage du ministère du Travail effectué en 1995, quatre
japonais sur cinq pensent que les femmes ont les mêmes chances ; 60%
des femmes veulent être promues, contre 30% en 1990. Ainsi, les femmes ne
se contentent plus du « métier » de mère et
d'épouse que la tradition leur réservait ; elles sont de
plus en plus nombreuses à souhaiter avoir une carrière, comme les
hommes, et sortir du rôle familial et de la sphère
intérieure qu'ont connu leurs mères et grands-mères.
38(*)
Dans les années 1980, on observait déjà une
nette différence d'opinion concernant la traditionnelle
séparation des sphères : en 1972, 83% des femmes et 84% des
hommes étaient favorables à cette distinction des sexes dans les
activités quotidiennes et le statut social. En 1980, ils
n'étaient plus que 17% chez les femmes et 55% chez les hommes à y
être favorables.39(*)
Cependant, en dépit de cette évolution des
mentalités, les femmes restent toujours souvent cantonnées aux
rôles subalternes, notamment dans les médias, encore
majoritairement dirigés par les hommes. La valeur de leur travail et de
leur éducation est encore difficilement reconnue, selon le milieu. En
effet, « dans le milieu journalistique, bien que les femmes
représentent une part de plus en plus importante des employés des
grands quotidiens, elles sont encore majoritairement présentes dans des
postes subalternes ». Comme le dit Ueno Chizuko, directrice de la
revue Nouveaux Féminismes : « dans un pays
où la critique littéraire est profondément liée au
monde universitaire, elles sont sous-représentées dans le monde
académique. Plus le niveau s'élève, plus la proportion de
femmes diminue ».40(*)
B- La Femme au Japon
1) Place de la femme dans le Japon
traditionnel
1)a.
L'éducation
Dès l'école primaire, la différenciation
entre la sphère masculine et la sphère féminine confirme
la longue tradition visant à enseigner aux petites filles la place
qu'elles auront à tenir en tant que futures mères et
épouses. Jusque dans les années 1980, il n'existe pas de
ségrégation à proprement parler, mais de
légères différences dans le type d'éducation. Les
garçons se voient enseigner avec des méthodes plus
« viriles », tandis que les filles se voient au contraire
reprendre lorsqu'elles sont trop turbulentes, caractéristique
considérée comme virile.41(*)
A la fin de la dernière année d'école
primaire, la tradition veut que les petites filles réalisent leur propre
kimono d'été en coton ; preuve que l'on pense
déjà au trousseau de mariage. Le mariage est en effet
l'aboutissement de toute l'éducation.42(*)L'accent est mis sur les arts ménagers à
partir de l'école secondaire pour les filles ; on prépare la
petite fille à « son vrai métier ».43(*)Dans la sphère
familiale, la différence d'éducation se ressent
également : Les adjectifs qu'on attribue aux enfants sont aussi
révélateurs. Lorsque la petite fille, l'o jôchan,
est qualifiée d'otonashii, c'est un compliment sur son
caractère calme. Tandis que ce même adjectif constituera un
reproche pour le petit garçon, l'o bochan, car on lui
reprochera son manque d'énergie. Cet exemple démontre bien
à quel point les attentes selon le sexe sont différentes.
Dès le début de leur vie sociale, on privilégie donc les
qualités de vivacité, d'audace chez les garçons, tandis
que l'on attend de la petite fille le silence, l'obéissance, la
passivité, la tendresse.44(*)
Les valeurs de groupe et l'enseignement des valeurs de chaque
sexe est ainsi enseigné au sein de la famille, mais aussi à
l'école. La lecture de contes traditionnels renforce les
stéréotypes : le héros, généralement un
homme doté des qualités viriles que l'on attend des petits
garçons (courage, force, sagesse, bonté) attise l'amour des
princesses, qui ont toutes les qualités féminines :
gentillesse, beauté, obéissance, piété filiale,
grâce, dévotion, etc. Dans les manuels scolaires, on note
également un favoritisme pour le sexe masculin, le plus souvent pris
comme exemple dans les exercices de lecture ; de plus, les textes et
illustrations dans les manuels tendent à représenter les
stéréotypes : l'homme au travail, la mère à la
maison.45(*)
Durant toute leur scolarité, jusqu'à
l'université, les filles vont se soumettre à ce que l'on pourrait
voir comme des rôles prédéfinis : dans l'inconscient
collectif, les filles s'intéressent plus aux études
littéraires, aux arts ; tandis que les garçons sont
meilleurs en sciences, en mathématiques. D'ailleurs, ce sont les femmes
elles-mêmes qui admettent ces différences. L'exemple d'une jeune
Japonaise interrogée dans l'ouvrage de Nilsy Desaint en est un exemple
parlant : « les filles n'aiment pas les cours scientifiques, de
biologie, de technologie » ; quand on lui demande pourquoi il y
a plus de garçons que de filles dans les filières scientifiques,
notamment en médecine, celle-ci répond : « Il y a
plus d'hommes parce que travailler comme docteur, c'est très dur. Il
faut porter les patients. Pour une femme, c'est trop difficile »
ainsi que « parfois il faut rester la nuit pour surveiller
l'évolution de l'expérience en cours, pour faire ça, la
force est nécessaire »46(*).
On retrouve très souvent cette idée de force comme
atout exclusivement masculin, et source d'incapacité de la femme dans
les domaines dits « masculins ». La femme n'est pas assez
forte pour certains métiers, ou pour effectuer de longues heures de
travail, comme nous l'avons vu précédemment :
« Les hommes sont bons pour travailler beaucoup. Les hommes ont plus
de force que les femmes et c'est bien. »47(*)
Cette éducation stéréotypée
mène à l'acceptation par les femmes de leurs propres soi-disant
« faiblesses » ; les femmes sont ainsi conscientes de
leurs lacunes vis-à-vis de l'homme, de la place féminine par
rapport à l'homme. On constate qu'aujourd'hui encore, ces
stéréotypes persistent, ce que l'on observe dans les
médias par exemple : en effet, « les jeunes filles entre
18 et 24 ans s'identifient aux héroïnes des chansons
créées pour elles(...) qu'elles puissent s'émouvoir
lorsqu'on les chante comme des filles mignonnes, aux cheveux longs, qui
pleurent, qui sont aimées, qui font des câlins, qui ne disent rien
quand on les trompe, qui souhaitent servir l'homme (...) mais
lorsqu'elles-mêmes se mettent en scène en se décrivant
comme stupides, faibles, inconscientes, on ne comprend plus et l'on reste
sidéré à l'écoute des formules les plus
employées : « je ne suis rien du tout »,
« une femme est une femme » et surtout :
« après tout, je ne suis qu'une
femme » ».48(*)
Avant la Constitution de 1946, la femme reçoit une
éducation élémentaire, mais l'on ne juge pas
nécessaire qu'elle se spécialise ; les femmes ne sont
également pas admises dans la prestigieuse Université de Tokyo,
d'où la création d'universités réservées
exclusivement aux femmes, les tandai, ou tanki, qui
connaissent leur heure de gloire dans les années 1950. 49(*)
Ces écoles et universités privées
réservées aux femmes, qui constituent pour elles la seule
possibilité d'accéder au cycle supérieur avant la Seconde
Guerre, offrent une formation en deux ans seulement; leur but étant
d'apprendre les qualités nécessaires pour être une
épouse accomplie.50(*)
La Convention de 1946 cherche à lever toute discrimination
à l'encontre des femmes. Mais nous pouvons constater que dans le Japon
d'aujourd'hui, les stéréotypes persistent, divisant toujours les
études féminines et les études masculines. Malgré
leur baisse de popularité, les tandai existent toujours,
permettant ainsi aux jeunes filles de faire deux ans d'études seulement,
avant de se marier. En effet, les femmes représentent seulement 37,5%
des étudiants en cycles longs, sur quatre ans. En 1980, les femmes
constituaient un faible pourcentage des étudiants en universités
mixtes les plus réputées, celles de Tokyo ou Kyoto par exemple.
Or, au Japon, pour intégrer le milieu professionnel et obtenir un
travail en entreprise, le nom de l'université d'origine est essentiel.
Il faut être issu de l'une des meilleures universités mixtes et
publiques pour espérer obtenir un emploi ; ce qui n'est donc pas le
cas pour les femmes issues des cycles courts.51(*)
Cependant on constate une évolution : auparavant, les
filles privilégiaient des études en tandai afin
d'obtenir un emploi sur une courte période avant de se marier, en tant
qu'office lady, mais ces offres sont de moins en moins nombreuses
depuis une vingtaine d'années52(*). De plus, les filles cherchent aussi à rester
plus longtemps dans le cycle supérieur ; en effet, en 1986, elles
sont 14% en master et 12% en doctorat, contrairement à 9% et 5% en 1960.
Mais on constate une différenciation sexuée selon les
filières : les femmes restent le plus souvent dans des
filières littéraires et sociales, et les hommes en droit, en
sciences ; les femmes dans ces dernières filières sont
encore de nos jours extrêmement rares (20 femmes dans la fac de physique
de Kyoto).
Cette répartition stéréotypée des
sexes dans leurs filières respectives est entrée dans les
moeurs ; il parait normal pour tout Japonais et Japonaise d'admettre que
les professions telles qu'enseignante des petites écoles, pharmacienne,
aide de maison de retraite, secrétaire, par exemple, sont des
professions féminines ; et que le travail de médecin,
d'avocat, de politicien, haut fonctionnaire, sont des professions masculines.
En effet, les professions qu'exercent la majorité des femmes sont
cantonnées aux domaines « considérés comme
compatibles avec leur féminité ».53(*) Ainsi, les filières
littéraires, artistiques, de l'éducation et du travail social
sont majoritairement féminines.
De plus, pour les femmes étudiant en milieu scientifique,
il est dur de faire ses preuves. Une femme médecin citée dans
l'ouvrage Rising Suns, Rising Daughters de Joanna Liddle et Sachiko
Nakajima, explique ainsi : « Les professeurs masculins ne font
preuve d'aucun enthousiasme pour enseigner aux filles (...) ils pensent que les
filles ne peuvent de toute façon pas comprendre. »54(*)
Ainsi le système universitaire s'est ouvert aux femmes
après la Seconde Guerre Mondiale, mais les stéréotypes de
genre ont encore une forte emprise sur les différenciations dans
l'éducation à l'école et à la maison, mais aussi
jusque dans le milieu universitaire, où le choix des filières est
toujours répartis de façon sexuée dans l'inconscient
collectif.
Ces stéréotypes sont issus de l'image
traditionnelle de la femme, de son appartenance à des domaines
spécifiques de la sphère féminine privée et de
l'image de la femme confinée « à
l'intérieur ». Le rôle de la mère et
épouse traditionnel est ainsi intéressant à étudier
pour mieux comprendre comment se répartissent les rôles masculins
et féminins dans le Japon contemporain.
1)b. La ryosai kembo :
« la bonne épouse et la mère
avisée »
La division des sphères, telle que nous avons pu
l'étudier précédemment, fait l'objet d'une propagande
d'Etat après la Seconde Guerre mondiale. Cette propagande voit
apparaître le phénomène des kyoiku mama,
héritières du principe politique d'application sociale qui,
depuis l'ère Meiji, confère aux femmes le rôle de
ryosai kembo. Le terme signifie : « la bonne
épouse et la mère avisée ». Le terme de
« ryosai kembo » associe les femmes uniquement à la
maison et la famille.
Nous allons à présent analyser la place de la
ryosai kembo, qui fit naître la kyoiku mama,
rôles importants à comprendre car ces phénomènes
existèrent jusque dans les années 1960. Leur héritage sur
la société japonaise aujourd'hui est donc omniprésent.
L'expression ryosai kembo est encore présente
aujourd'hui, influant sur la façon dont les jeunes femmes
considèrent leur destinée, leur rôle, et l'importance
conférée au mariage : l'idée selon laquelle la femme
ne devient adulte que par le mariage, encore présente, découle
des principes appliqués lors du principe de la ryosai
kembo.55(*) En effet,
on comprend l'importance pour une femme d'être mariée lorsqu'on
sait à quel point il est honteux pour une femme d'être
« vieille fille », plus encore que d'être
hôtesse de bar par exemple. Comme il est écrit par Dominique
Buisson dans Regards sur la femme japonaise : « la
vieille fille est toujours considérée comme inférieure par
les femmes mariées et par les hommes. Seules les hôtesses de bar
ne subissent pas cet anathème. On peut les mépriser pour leur
profession mais en aucun cas pour leur célibat. On considère
qu'elles ont choisi cet état volontairement ».56(*)
La ryosai kembo a un rôle domestique uniquement.
Sa vie est clairement séparée de celle de son mari. Lorsque
celui-ci rentre du travail, sa femme doit l'accueillir ; mais celui-ci,
s'il sort après le travail, ira boire un verre avec des
collègues, jamais avec sa femme. A la différence de la femme au
foyer occidentale des années 1950-1960, l'épouse japonaise n'est
pas une hôtesse. Les évènements sociaux se font uniquement
à l'extérieur, sans la femme.57(*) Le rôle d'hôtesse appartient en effet
à la geisha ou aux hôtesses dans les bars, ces
dernières étant clairement séparées de la
respectable épouse.58(*) Lorsque la femme sort de chez elle, ses
activités sont celles qui sont liées au foyer :
réunions entre mères d'élèves, courses,
associations de consommatrices, etc.
Le foyer est donc le royaume de la femme, elle dispose d'une
grande autonomie budgétaire ; elle attribue
régulièrement une somme d'argent hebdomadaire à son mari,
elle gère les frais de l'éducation des enfants, etc. Mais
celle-ci reste néanmoins dépendante du mari
financièrement, car c'est lui qui rapporte un salaire pour la famille.
Inversement, le mari est dépendant de sa femme, qui le materne. Au
Japon, le mariage n'étant pas une affaire romantique, la relation entre
les deux époux est très différente de celle qu'ont les
époux occidentaux. En effet, les femmes japonaises plaignent les
Occidentales, ces dernières étant dépendantes
émotionnellement vis-à-vis de leur mari. Elles cherchent toujours
à leur plaire, à en être aimée : tandis que la
Japonaise accepte dès le début son rôle et ne s'attendra
pas forcément à un mariage passionné, mais plutôt
à un accord mutuel pour le bien de la famille. De même, les
critères que la femme aura étudiés au préalable
avant de choisir son époux sont les suivants :
sécurité sociale, famille respectable, santé, position
professionnelle d'avenir.59(*)
La femme, malgré son apparence soumise, dirige en
réalité la famille. Elle contrôle l'avenir,
l'éducation de ses enfants. La relation de la mère avec les
enfants développe souvent des complexes chez ces derniers, surtout les
fils, lesquels auront de la gratitude et de la culpabilité -la
mère s'étant sacrifiée pour ses enfants, et ne manquant
jamais de le faire savoir. C'est pourquoi les fils attendront chez leur femme
un comportement similaire à celui de leur mère : ce cercle
vicieux explique pourquoi au Japon les révolutions féministes ont
été aussi longues à se développer et s'implanter au
quotidien, la tradition étant très profondément
enracinée dans les moeurs.60(*)
Le but de la vie de la ryosai kembo est de marier sa
fille et que son fils ait un bon emploi. Cette course à la
réussite explique pourquoi le phénomène de la kyoiku
mama fait son apparition dans les années 1950. Les bons emplois
dans les grandes entreprises étant difficiles à obtenir, et
objectif ultime de la mère pour son fils, l'école devient vite un
haut lieu de compétition. La mère prend alors un rôle
éducatif à part entière, déjà présent
dans son rôle de ryosai kembo, mais encore plus important et
excessif lorsque celle-ci devient une kyoiku mama, signifiant
« la mère éducative ». En effet, cette
dernière cherche à tout prix la réussite de ses enfants,
en particulier de ses fils.
Cette lourde responsabilité de la réussite de son
fils pesant sur les épaules de la mère, on comprend bien pourquoi
au Japon une femme qui travaille a longtemps été
considérée comme une femme abandonnant son rôle de
mère éducative, abandonnant ses enfants à leur sort, et
donc une mauvaise mère. Cela explique ainsi que le marché du
travail ait été pendant de longues années fermé aux
femmes.
La « mère avisée » sait que les
bonnes écoles sont la clé du succès de son
enfant.61(*) C'est dans
cette course effrénée aux cours du soir, cours
supplémentaires de haut niveau pour les enfants, en plus de leur
scolarité régulière, que la mère devient une vraie
kyoiku mama, qui s'épanouit par procuration, à travers
la réussite professionnelle de ses enfants, surtout du fils :
celle-ci est alors à l'affut des cours dans les meilleures
juku, les écoles spécialisées qui permettent un
apprentissage accéléré, et donc d'être le meilleur
élève possible, promettant un avenir universitaire à
l'enfant.62(*)
Comme l'explique Nilsy Desaint dans Mort du père et
place de la femme au Japon : « la kyoiku mama,
c'est la mère qui, sans jamais rien demander à ses enfants,
s'occupe de tout pour libérer ces derniers de ce qui pourrait entraver
leurs études et donc leur réussite »63(*).
Aujourd'hui, le modèle de la ryosai kembo
s'amenuise. Les femmes ne sont plus seulement au foyer, elles sortent,
travaillent ; leur quotidien aujourd'hui ressemble plus au quotidien de
l'homme ; la séparation des sphères féminines et
masculines est moins prononcée.
Témoins de cette époque où le mariage est
une affaire importante pour l'avenir de la femme, et à choisir avec
raison, sans passion, de nos jours les mariages ne sont pas toujours une
affaire sentimentale comme dans les pays occidentaux. Lorsque le couple
rencontre des problèmes, il ne se sépare pas, pour le bien de la
famille. Les femmes mariées s'éloignent de plus en plus du
modèle idéal, de la « bonne épouse ».
Comme le constate le psychiatre japonais Takahashi Tôru citée dans
Homo Japonicus : « Vues de l'extérieur, elles
ont effectivement un mari qui gagne pas mal d'argent qu'elles sont libres de
dépenser comme bon leur semble (...) mais toutes ces femmes de
salariés sont très seules » et « celles dont
le mari fait carrière le trompent par dépit. Elles font tout ce
qu'elles peuvent pour faire entrer leur fils à l'université de
Tokyo, mais elles cherchent un palliatif dans les affaires extra conjugales.
C'est la fin d'un siècle, d'une ère, la
dégénérescence des moeurs »64(*).
En effet, celui-ci explique que lorsque le mariage n'est pas
heureux, encore aujourd'hui, « le couple ne se sépare pas pour
autant. Il reste ensemble par convenances, en ne nourrissant aucune
illusion »65(*).
Mais la ryosai kembo est encore un idéal pour
beaucoup d'hommes, difficile à effacer des mémoires.
1)c. Evolution des droits des
femmes et conséquences
Les années 1980 ont vu l'avènement des career
women, femmes qui concilient travail et vie de famille. En effet, comme le
constate Vera Angeloni dans le Consensus au féminin
écrit en 1984, depuis les années 1970, ce ne sont plus uniquement
les femmes célibataires qui ont un travail (lequel, dans les
années 1950 et 1960, n'est censé durer que durant les
brèves années de leur célibat, avant leur vrai travail,
mère au foyer). Un pourcentage de 55,6% des femmes qui travaillent dans
les compagnies sont mariées en 1979 ; cependant le montant des
salaires représente la moitié de ce que gagnent les hommes. En
1981, le pourcentage de femmes mariées parmi les femmes qui travaillent
est de 58%, 38% à temps plein, 26% à temps partiel66(*). L'auteur explique
également que de profonds changements commencent, dans les années
1980, à entamer le bastion des valeurs traditionnelles. Les jeunes
filles des nouvelles générations refusent l'existence qui a
été le lot des générations
précédentes. On observe une augmentation du taux de divorce, une
baisse de la natalité, et un désintérêt croissant
pour le mariage. En effet, 25% des célibataires de sexe féminin
déclarent ne pas vouloir se marier en 1979. De nombreux
phénomènes accompagnent ces constats, preuves de bouleversements
du statut des femmes : augmentation de l'adultère chez les femmes
mariées, banalisation de la prostitution des jeunes filles, nommé
le « enjo kosai », que nous verrons plus
loin67(*).
La contraception et la légalisation de l'avortement,
symbole de liberté pour les femmes, en 1949 avec la Convention de
Genève, sous l'impulsion américaine, participent à une
forte baisse de la natalité : 50% de naissances en moins à
partir des années 197068(*). En 1925, on notait environ 5 enfants par femme, puis
3,65 en 1950, et 1,57 en 1989. Aujourd'hui, la moyenne est de 1,23 par femme.
Parallèlement, on note l'apparition du phénomène
DINK : « Double Income-No Kids ». De plus en plus de
jeunes couples décident de ne pas avoir d'enfants. Une récente
publication du ministère japonais de la Santé, du Travail et des
Affaires sociales a montré le lien entre la baisse de la natalité
et les nouveaux choix de vie des femmes, dues à une difficulté
à effectuer des compromis : « Une cause importante de la
chute du taux de natalité est l'augmentation du nombre de
célibataires en réponse à un fardeau de plus en plus lourd
porté par les femmes du fait de leur double rôle de mère et
de travailleuse. »69(*)
Selon un sondage effectué en 1995, 50% des femmes
âgées entre 25 et 30 ans sont encore célibataires. En 1985,
elles ne sont encore que 30%. De plus, selon un sondage effectué par Dr
Ogawa Naohino en 1995, 75% des jeunes femmes japonaises sont en faveur du
phénomène des « nouveaux
célibataires », ou DINK, et souhaitent profiter de leur vie de
célibataires sans se soucier du mariage. Ce dernier a aussi
remarqué que, si 75% de ces femmes ne souhaitent pas se marier, leurs
compagnons ne sont que 50% à ne pas vouloir se marier également,
signifiant que les femmes sont de moins en moins nombreuses à être
intéressées par le mariage, et moins attachées aux
traditions que les hommes.70(*)
Deux mesures politiques ont permis aux femmes d'accéder
plus facilement au travail, et donc à une plus grande
indépendance, marquant ainsi le début de la
« dégénérescence des moeurs 71(*)» dont parle le
psychologue Takahashi Tôru dans Homo Japonicus, ou plus
simplement, l'avènement des career women et le recul de la
séparation des sphères traditionnelles : la Convention pour
l'Elimination de toutes les formes de Discrimination Envers les Femmes,
adoptée en 1977 par les Nations Unies ; et le Livre Blanc de 1981
sur la Vie des Citoyens Japonais72(*).
D'autres lois sont apparues après la Seconde Guerre
mondiale. En 1947, puis en 1986, deux lois importantes relatives à
l'égalité des chances entre hommes et femmes au travail sont
adoptées. La loi sur la protection au travail de 1947 vise à
protéger les femmes. Elle restreint les heures supplémentaires et
interdit les heures de nuit, travail jugé trop
« dangereux » pour la fragilité des femmes. Comme le
remarque Nilsy Desaint dans Mort du père et place de la femme au
Japon, ce que vise cette loi est surtout « la protection
de la femme en tant que mère potentielle qui risque, du fait de
conditions de travail difficiles, de mettre en péril (...) sa fonction
première de mère de famille »73(*).
A partir des années 1980, des travailleuses et des
féministes ressentent cette « protection » comme un
frein à l'égalité au travail, qui bloque
l'émergence de la femme moderne, « la femme qui souhaite faire
carrière sur un même pied d'égalité que les
hommes ». La loi sur l'égalité des chances de 1986 est
une réponse aux signes de discrimination les plus visibles envers les
femmes.
Mais ce texte de loi comporte aussi des lacunes. Comme nous
l'avons vu précédemment, du fait du type d'éducation qui
continue à être relativement différencié entre
hommes et femmes, et le plus grand nombre d'étudiants de sexe masculin
dans les grandes universités, nous comprenons que malgré des
textes sur l'égalité des chances, l'égalité entre
une femme issue d'une éducation « féminine »
et un homme issu d'une belle éducation « masculine »
n'existe pas aux yeux de l'employeur d'une grande entreprise. Le pourcentage
d'hommes embauchés est toujours plus élevé que le
pourcentage de femmes.
De nombreux obstacles barrent la route des femmes à la
« voie royale », qui permet de faire carrière dans
une entreprise, et accéder à une promotion à un poste
important : leur profil académique, inférieur aux hommes,
comme nous l'avons constaté, et la durée de leurs services,
causé par le besoin imminent de fonder une famille, ou tout du moins,
crainte des employeurs74(*). Cependant, on note tout de même une
amélioration : il n'y a plus que 3% de postes
réservés aux hommes en 1987, contre 23% avant la loi de 1986, et
les opportunités d'emploi sans distinction de sexe sont passées
de 32% à 72%. En 1995, selon un sondage effectué par le
ministère du Travail, un Japonais sur cinq pense que les hommes et les
femmes devraient avoir les mêmes chances.75(*)
Depuis les années 1980, où le statut des femmes a
réellement changé, le monde de la femme paraît très
différent de ce qu'elle vivait auparavant. La mère de famille
travaille à mi-temps ; elle s'instruit, fréquente des
centres culturels, voyage, étudie plus longtemps. Les hommes sont
considérés comme « des feuilles mortes
mouillées »76(*), expression japonaise choc (signifiant que les
hommes, comme les feuilles mortes mouillées, collent à la femme,
tels des fardeaux) utilisée pour la première fois par la
féministe Higuchi Keiko.
Un autre des phénomènes apparus avec
l'avènement de la femme moderne, l'un des plus manifestes et les plus
inquiétants, est la prostitution des lycéennes, devenue
très répandue, nommée « enjo
kosai »: des jeunes filles vendent leur corps aux
salarymen pour pouvoir s'acheter des vêtements de marque - un
atout mode très important dans les rues japonaises, les grandes marques
européennes étant très en vogue. Le psychologue Takahashi
Tôru cité dans Homo Japonicus y voit la preuve d'une
évolution des dernières générations montrant un
mauvais exemple aux plus jeunes, victimes du relâchement du rôle
paternel et de la baisse de transmission des valeurs morales. Celui-ci dit
également : « Si les lycéennes se prostituent
c'est parce qu'elles voient leur mère tromper leur
père »77(*).
Le Dr Sekiya Tohru, président de la clinique
neuropsychiatrique Sekiya, auteur de Ces hommes qui ont peur de rentrer
chez eux (Planet Shuppan, 1989), interrogé en 1995 et cité
dans Homo Japonicus, analyse la mort du système patriarcal et
ses conséquences, dues à l'avènement de femmes
désormais plus fortes, plus autonomes. Il décrit les souffrances
des hommes qui ne se sentent plus aussi autoritaires qu'avant, et encore moins
appréciés ; l'homme est même parfois totalement
ignoré par sa famille ; il se sent dévalorisé.
« Autrefois, le chef de famille avait l'habitude de remettre sa paie
à sa femme (...) sa famille lui était reconnaissante »,
aujourd'hui, explique le Dr Sekiya, « sa famille ne se gène
pas pour lui faire sentir qu'il n'a plus sa place et qu'il est de
trop »78(*).
Les hommes japonais souffrent de ces bouleversements au sein de
la famille, mais les femmes ont également matière à se
plaindre. Au Japon, une épouse japonaise supporte bien plus de la part
de son mari que ne le ferait une femme française. Comme dans une
relation mère-enfant, très répandue comme schème de
vie de couple au Japon, elle supporte en silence, tandis que son mari se
« défoule » sur elle, après avoir
ôté ce masque qu'il porte toute la journée devant ses
collègues de travail. Comme l'explique Muriel Jolivet, ce sont surtout
les femmes qui ont connu le monde du travail et l'autonomie qui souffrent de ce
genre de situation : « les femmes qui ont fait des études
ou qui avaient un bon métier avant leur mariage sont plus
vulnérables que les autres, car elles ont l'impression d'être
rabaissées au rang d'esclaves. C'est ainsi qu'elles viennent à se
détacher de leur mari, à l'exclure de leur
vie »79(*). Cela
explique le phénomène de plus en plus répandu ces
dernières années d'adultère chez les femmes, qui trompent
leur mari pour combler le vide de leurs vies. Ce genre de comportements,
inconcevables pour les femmes âgées de soixante dix ans
aujourd'hui, concerne les femmes de quarante à cinquante ans :
celles qui ont connu l'évolution de leurs droits dans les années
1980, et qui ont pu connaître plus de liberté, un monde
différent de celui de la ryosai kenbo.80(*)
Les hommes, passéistes, regrettent le temps où
leurs femmes les accueillaient « dans les formes »81(*), c'est-à-dire à
l'aide des formules consacrées. Elles ne les accompagnent plus sur le
pas de la porte pour leur souhaiter, à l'aide d'exquises formules de
politesse traditionnelles, une bonne journée. Moins le mari est
là, plus la femme est heureuse, comme le dit Dr Sekiya :
« je me souviens d'un groupe de femmes qui ne tarissaient pas sur les
voyages qu'elles s'offriraient... à la mort de leurs
maris ! »82(*)
Mais il convient d'analyser ces remarques avec du recul. En
effet, Dr Sekiya idéalise le système patriarcal : la
cohabitation est vue, par les hommes, comme étant plus harmonieuse. Mais
ce système n'arrange que le père, qui est chef de famille aux
pleins pouvoirs. Comme le dit Muriel Jolivet dans Homo Japonicus,
« il est difficile d'imaginer que les femmes acceptent de faire le
retour en arrière préconisé (...) il me semble que les
hommes subissent les dures répercussions de leur non-investissement dans
la famille »83(*).
2) L'image de la femme japonaise dans les
médias
2)a. L'image traditionnelle de
la femme dans les médias
Dans la tradition, comme nous avons pu le voir, l'idéal
féminin est que celle-ci reste dépendante de son mari, de la
maison et fidèle à son intérieur, à sa famille,
lieu de son « véritable travail ».
Le monde des médias, qui a vu fleurir une presse
spécialisée pour les femmes et des feuilletons
télévisés pour la femme d'intérieur, en particulier
dans les années 1980, est un monde régi essentiellement par des
hommes. Comme beaucoup d'industries, l'industrie médiatique appartient
au monde du travail et donc est un monde masculin où il est difficile
pour une femme de s'imposer à un poste important. Les messages ainsi
divulgués dans les médias s'adressent donc à des femmes,
mais à travers un regard principalement masculin.
Dans les années 1970 et 1980, on trouve
énormément de magazines pour femmes dont le contenu traite
toujours des mêmes sujets : l'homme, la mode, la famille,
l'intérieur. Ces magazines manquent généralement
d'informations sérieuses, comme si la femme n'était pas en mesure
de comprendre d'autres sujets ; on y trouve donc très peu
d'informations sur le monde extérieur, sur les actualités, ni de
politique. La femme doit rester dans des sujets qu'elle peut comprendre, vus
comme étant de son domaine: la cuisine, le foyer, les enfants, sa
beauté. On remarque aussi que plus le magazine s'adresse à un
lectorat féminin jeune, plus son contenu sera éloigné de
la réalité, coupé des faits du monde extérieur,
tourné vers des mondes irréels, idéaux,
rêvés. Ce qui n'affecte pas son monde immédiat, est donc
tu.84(*)
Il en va de même pour les feuilletons
télévisés, ainsi que les manga (les shojo manga,
adressés au lectorat féminin). En effet, on y présente les
bienfaits de l'amour, du mariage, de la famille.... La petite fille,
adolescente puis jeune femme est ainsi submergée d'images
médiatiques lui vantant les domaines qui la concernent, la ramenant
ainsi toujours à son véritable rôle et son but dans la vie,
selon la tradition de la ryosai kembo : se marier, avoir une
famille et s'occuper de son mari et ses enfants comme son but ultime. On
maintient les jeunes filles dans un monde « sirupeux », un
monde de rêves, leur présentant un idéal voulu par des
hommes passéistes, nostalgiques de l'époque des ryosai
kembo85(*).
Dans les années 1980, le téléfilm
sentimental trouve énormément de succès auprès des
femmes au foyer. Les femmes japonaises passant beaucoup de leur temps à
la maison, elles font le bonheur des chaînes ayant décidé
de s'adresser au public féminin avec de nombreux home drama et
émissions de variété. D'ailleurs ce ne sont pas que les
mères au foyer qui sont concernées par ce type de
programmes : les adolescentes et les jeunes femmes de moins de 25 ans sont
également visées. C'est le cas par exemple de la chaîne
Fuji Tv, qui dès les années 1980, s'est assuré un
succès fort grâce à ses téléfilms à
l'eau de rose qui ciblent les adolescentes et jeunes femmes. Aujourd'hui au
Japon, ce style de téléfilms est désormais appelé
« trendy drama », car ils mettent en scène
des histoires d'amour contemporaines86(*).
Les programmes télévisés s'adressant aux
femmes, les « okusan no bangumi », (signifiant
« programmes de femmes au foyer) sont très nombreux et
s'étalent sur toute la journée. Des programmes de cuisine, des
home drama, en passant par les jeux télévisés, de
6h du matin jusque tard dans la soirée, sont diffusés sur les
sept chaînes des télévisions japonaises.87(*) L'image des femmes que l'on
retrouve dans ces programmes télévisés met en valeur les
qualités féminines de douceur, de dévouement, de modestie,
alors qu'on accentue la virilité des hommes : pour les deux sexes,
on frôle la caricature, tant dans les attitudes et caractères, que
dans les voix, excessivement aigues chez les femmes et graves pour les
hommes.88(*)
Il est convenu que les médias exercent une très
grande influence sur les femmes, en particulier les femmes au foyer au Japon
qui passent beaucoup d'heures en intérieur, et donc devant le
téléviseur. Il est donc intéressant de se pencher sur les
sujets et types d'images que renvoient ces médias aux femmes japonaises,
pour comprendre comment leur mentalité en a été
affectée, et comment cette image a évolué.
Dans les années 1970-1980, les médias s'adressent
à la femme au foyer, la maîtresse de maison. Comme nous l'avons
vu, les hommes, dominant le monde des médias, cherchent à
maintenir cette image de ryosai kembo qui commence à
disparaître, grâce à l'entrée des femmes dans le
monde du travail à des postes désormais plus importants et
l'évolution des mentalités des nouvelles
générations : mais comme l'explique Vera Angeloni dans
Le consensus au féminin, en 1984, les femmes, dans le monde des
médias, sont encore en nombre très inférieur et
dévouées aux domaines féminins
seulement: « la moitié des 1% de journalistes femmes est
employée à la rédaction d'articles touchant la cuisine,
l'éducation, les soins destinés aux enfants... très peu
écrivent sur des sujets come la politique,
l'économie »89(*). Comme l'écrit Yoko Nuita dans Influence
des médias sur les comportements socioculturels des femmes au
Japon : « La radio-télévision, qui est
actuellement dominée par les hommes, ne devrait pas servir à
perpétuer l'image traditionnelle de la femme, avantageuse pour l'homme,
ni à consolider un mode de vie féminin conçu au
bénéfice de l'homme »90(*). Cette phrase reflète l'évolution des
mentalités féminines, qui souhaitent alors être pleinement
intégrées au monde du travail et des médias, et
s'affranchir de l'image traditionnelle.
Les médias d'aujourd'hui montrent une nouvelle facette des
femmes japonaises. L'évolution de leur statut ces dernières
années, grâce à la montée de l'égalité
des chances au travail qui leur assure désormais un plus grand pouvoir
décisionnel dans la famille, se reflète dans la presse et la
télévision contemporaine. Comme l'explique Nilsy Desaint,
« les médias se sont adaptés en s'adressant aux femmes,
non plus comme à des maîtresses de maison, mais comme à des
individus. 91(*) » et « en trente ans, les femmes
sont passées des marges de la société à un
rôle central en tant que consommatrices »92(*).
Ainsi, l'image des femmes que l'on trouve dans les médias
aujourd'hui correspond dorénavant à une image que celles-ci
veulent voir d'elles-mêmes : en effet, de plus en plus de femmes
sont embauchées au sein des entreprises publicitaires et
médiatiques, dans une stratégie marketing visant à
pourvoir aux besoins des femmes grâce aux femmes. Depuis les
années 1980, les femmes sont la principale cible du marketing, dans les
médias ou dans le commerce : cela coïncide avec l'augmentation
des revenus féminins, parallèlement à l'augmentation des
postes à responsabilités qui leur sont pourvus.93(*)
L'évolution des slogans publicitaires des années
1970 tels que « Comme je suis une okusan94(*), je suis rarement
invitée », ou « êtes-vous aimée,
okusan ? »95(*), devenant « Je suis une femme et j'ai
besoin d'une épouse » dans les années 1980, signale
l'évolution sociale des femmes, l'avènement des career
women.
A la fin des années 1970, la femme japonaise devient une
femme à multiples responsabilités : mère,
épouse, career woman. La nouvelle génération des
femmes actives, âgées dans les années 2000 de quarante ans,
est la cible favorite des journaux et émissions
télévisées contemporaines. Ces émissions et ces
magazines permettent d'étudier le type de comportements socioculturels
que reflètent les médias aujourd'hui au Japon. La femme active
aujourd'hui n'est plus contrainte, à la différence de la
génération précédente, de choisir entre travail et
vie de famille, elle a une plus grande liberté de choix96(*). La presse féminine
reflète les multiples contradictions de la vie de la femme aujourd'hui.
Il en résulte une pléthore de magazines
spécialisés, destinés à un type de lectorat
différent, divisé selon l'âge et la catégorie
sociale.
Les messages diffèrent selon le lectorat visé, mais
pour chaque magazine il s'agit de trouver un équilibre entre les
contradictions auxquelles sont soumises les lectrices : réussite
individuelle, élitisme, esprit d'entreprise sont mis en avant, face aux
impératifs de la vie quotidienne, soit les règles de groupe et
l'esprit de village, le poids du regard des autres. Ainsi on trouve des
magazines aux esprits différents, tels que Esse pour les
mères de famille de 25-35 ans, Crea, pour les
célibataires, Vingtaine, pour les BCBG ou Croissant
pour les femmes de 40-50 ans. On ne peut trouver de magazines
généralistes, étant donné la diversité de
modes de vie des femmes entre 30 et 40 ans : certaines sont des femmes
actives travaillant en entreprise, d'autres sont mères au foyer.
97(*)
2)b. L'image contemporaine des
femmes et le cas de la femme hyper-sexualisée
Après nous être interrogés sur l'image de la
femme que renvoient les médias à partir des années 1980
particulièrement, nous pouvons nous interroger sur le type de
représentations que nous percevons de la société
aujourd'hui, à la fois dans les médias japonais, mais aussi dans
les médias occidentaux.
Nous pouvons également effectuer une comparaison
significative entre les images qui nous parviennent au travers du cinéma
et des animés représentant les femmes de façon très
sexuelle, avec la réalité des rapports homme/femme au Japon.
Cette comparaison nous permettra de constater la différence entre les
images médiatiques et la société.
En effet, nous sommes abreuvés de nombreuses images nous
venant du Japon : manga, animés, photographies des rues
tokyoïtes... les femmes y montrent alors quelquefois un visage
traditionnel : ce que l'on voit dans des films tels que Geisha
réalisé par Rob Marshall, par exemple, film américain
adapté du roman du même nom du romancier Arthur Golden.
Présentant le monde des geishas avant la Seconde Guerre mondiale, ce
film adopte une vision « romancée » des femmes
japonaises, grâce à des images élégantes, à
la beauté des kimonos, vêtements traditionnels, coiffures et
rituels inchangés depuis des siècles.
Cette image traditionnelle qui fascine le public occidental
s'oppose à une image que nous croyons alors plus en accord avec la
société d'aujourd'hui : en effet, on trouve
fréquemment des images de femmes
« hyper-sexualisée », dans les manga, les
séries et films d'animation. Ce terme
d'« hyper-sexualisation » correspond bien à
l'abondance des images numériques, des différents médias
véhiculant cette image sexuelle de la femme japonaise, en telle
contradiction avec son image traditionnelle : on les retrouve sur
Internet, sur les écrans de cinéma, à la
télévision. De nombreux blogs, sites de vidéos en
streaming, offrent au monde entier cette image de la Japonaise 3.0, femme
médiatisée à l'extrême, en images réelles ou
en animation, qui paraît alors sous une forme sexuée à
l'extrême. Les dessins et films érotiques et pornographiques
japonais abondent et nous laissent croire que le Japon est une
société sans tabous sexuels, sans pudeur. Le Japon est en effet
plein de contradictions, et les images médiatiques qu'il nous renvoie
des femmes japonaises contribuent à maintenir une réelle distance
entre ses représentations et la réalité de la
société japonaise.
Ainsi, l'écrivain et spécialiste du Japon Ian
Buruma a constaté qu'en dépit d'une culture confucianiste qui
consiste à se cacher, pour maintenir les formes, il n'y avait pas de
culture plus ouverte que la culture japonaise du point de vue sexuel.98(*) On sent d'ailleurs très
bien ce manque d'inhibitions dans les dessins animés et manga japonais.
Les hentai, manga porno, ont d'ailleurs un nom signifiant
« perversion » : les Japonais excellent dans l'art de
mettre en scène les fantasmes sexuels les plus fous, sans tabous.
Cependant, face à ces moeurs en apparence
relâchées, les chiffres montrent un Japon beaucoup plus
conservateur : très peu d'unions se font en dehors du mariage, et
le désintérêt croissant pour le mariage explique la baisse
de la natalité. De plus, on assiste au phénomène des
« sexless » couples qui ne vivent pas leur sexualité
ou ne s'adonnent au sexe qu'à des fins procréatrices.99(*)
Les Japonais ont peu d'appétit sexuel : une a deux
fois par semaine pour les gens âgés de trente ans, une fois par
mois vers les trente cinq ans ; puis la fréquence va en
décroissant100(*).
Autre preuve de ce que nous pourrions voir comme un tabou
vis-à-vis de la sexualité, la pilule peu dosée n'est pas
encore autorisée comme moyen de contraception. Seule la pilule à
un dosage important (donc ayant des conséquences hormonales importantes)
est autorisée dans le cadre d'un traitement. Ceci explique
également le fait qu'il y ait de moins en moins de rapports, les jeunes
femmes redoutant une grossesse non désirée, le préservatif
n'étant pas fiable à 100%. Les jeunes femmes des nouvelles
générations souhaitant avoir des enfants plus tard et se marier
plus tard qu'autrefois, on comprend aisément que les rapports sexuels ne
soient pas aussi fréquents que dans d'autres pays. Selon le
gouvernement, l'interdiction de la pilule aiderait à lutter contre le
sida et la « promiscuité » (symbolisant par ailleurs
le caractère sacré du mariage). En réalité, selon
certains spécialistes, il s'agit d'une façon de contrôler
et d'avoir un pouvoir de pression101(*).
Parallèlement à ce manque d'appétit sexuel,
à la baisse de la natalité et au désintérêt
croissant pour le mariage, l'image actuelle que projette le Japon est en accord
avec les phénomènes complexes et contradictoires de la
société japonaise : d'un extrême à l'autre,
entre pudeur et mise en scène, politesse extrême et
vulgarité, dissimulation et exhibitionnisme.
Comme nous l'avons constaté plus tôt, nous nous
accordons sur le fait que les images qui nous parviennent des femmes japonaises
sont contradictoires : les femmes traditionnelles se retrouvent parmi leur
opposé total : hôtesses dans les bars, jeunes filles
délurées dans les rues, adolescentes prostituées, ce que
nous avons vu plus tôt comme étant le phénomène
tristement courant du « enjo kosai ».
Les médias véhiculent l'image d'une femme
moderne ; seulement celle-ci est vue à travers le regard des
hommes. L'idéal n'est plus une femme comme la ryosai kembo,
mais désormais, soit une femme forte, sexuellement puissante ; soit
son opposé, qui sera alors plus proche de l'idéal traditionnel,
une jeune femme soumise, objet du désir sexuel masculin.
Les magazines féminins empressent la femme d'affirmer,
voir d'afficher sa sexualité. Les jeunes adolescentes se prostituent
pour correspondre à l'idéal chic parisien, l'image sexy et
indépendante des jeunes filles des magazines occidentaux.
Le Japon se débat entre ses traditions et sa
modernité et les médias montrent ce combat à travers les
diverses images de femmes qu'on y trouve : nulle
généralisation est possible au Japon, tant les femmes vivent des
vies différentes selon leur milieu, leur profession, leur âge. Il
n'y a pas une seule image possible.
Les geishas existent toujours, « reliques »
d'un lointain passé, effacé depuis par la nouvelle
génération de filles modernes. Le Japon maintient ses traditions
mais la femme est bien loin de l'image d'autrefois : la geisha est certes
toujours en kimono, mais aujourd'hui elle mène sa vie comme une femme
moderne ; elle utilise un Ipod, un Iphone, un ordinateur portable. La
lycéenne s'exhibe dans des vêtements manga, une mode dite
« kawaii » ; elle crée une mode incongrue,
nouvelle, totalement déjantée et loin des modes occidentales,
même si afficher un sac de marque Vuitton ou Chanel ajoute un chic
incomparable à son aura.
Aujourd'hui la nouvelle génération s'exhibe avec
une mode inspirée à la fois de la culture pop manga, ou de la
culture occidentale ; mais si les médias véhiculent une
image « sexuelle » avec les publicités, les
mannequins et les photographies de rues, il est important de noter que la
notion de ce qui est sexuellement attirant au Japon est bien différente
de la nôtre. Ce qui nous paraîtra osé ne l'est pas du tout
pour les Japonais. Par exemple, la nuque est un endroit du corps
particulièrement attirant pour un Japonais. En revanche, les jambes et
les fesses ne l'intéressent pas du tout, contrairement aux Occidentaux.
Ainsi, les jeunes femmes qui montrent leurs jambes dans les rues ne sont pas du
tout perçues comme étant provocantes.
Nous pouvons conclure cette première partie en effectuant
le constat suivant : depuis la Seconde Guerre mondiale, la femme japonaise
a su évoluer, trouver une place plus proche de celle de l'homme, place
qui autrefois était si éloignée et séparée,
maintenue dans une sphère complètement opposée. La
distinction entre les sphères masculines et les sphères
féminines s'est affaiblie ; depuis qu'elle a réussi à
s'intégrer de façon plus « légitime »
dans le monde du travail, la femme des nouvelles générations
aujourd'hui ne choisit plus entre carrière ou famille, elle fait en
sorte de combiner les deux. Le mariage n'est plus son seul but dans la
vie ; la jeune Japonaise n'imagine plus sa vie sans une carrière,
un métier.
Cependant on constate que les traditions ne sont jamais
très loin ; leur poids se fait encore sentir sur les épaules
des jeunes japonaises. Celles-ci se retrouvent alors confrontées
à des choix difficiles : une carrière, oui, mais elles
doivent aussi penser au mariage et à avoir des enfants ; même
si leur âge lors de leur mariage recule, il est inconcevable que ce jour
n'arrive pas. Même si elle veut une carrière, elle sait que
certains secteurs ne sont pas vraiment faits pour elle, « et c'est
bien comme ça »102(*), car elle n'a pas la force pour certains
métiers, comme médecin. En effet, les femmes japonaises pensent
qu'être médecin nécessite une force physique que les femmes
n'ont pas. Fumiko, jeune Japonaise interrogée par Nilsy Desaint dans
Mort du père et place de la femme au Japon, le dit très
clairement : « c'est très dur, il faut porter les
patients 103(*)». Elle n'est pas non plus faite pour un
métier à lourdes responsabilités. Elle peut évoluer
dans sa carrière, mais elle choisit le plus souvent une carrière
proche du rôle traditionnel de la femme : avec les enfants, avec les
personnes âgées, dans les domaines artistiques... car ce sont des
domaines plus « appropriés » aux femmes. Les
médias lui donnent envie de se façonner une nouvelle image, mais
celle-ci reste dominée par le regard masculin, puisque les hommes
dominent majoritairement le monde des médias. Elle est alors
montrée sous deux aspects : la femme forte et la femme soumise. Et
en Occident, elle est alors souvent perçue sous un angle sexuel.
La femme de la nouvelle génération cependant, ne
peut se compartimenter, se ranger dans des catégories aussi
facilement : les magazines féminins écrits par des femmes,
montrent bien que les Japonaises vivent des vies bien variées et
différentes selon leur âge, leur catégorie sociale, leur
profession... les messages des médias varient alors sensiblement.
D'une façon générale, nous pouvons conclure
sur le fait que la Japonaise moderne est encore dirigée dans ses choix,
elle garde un statut différent de celui de l'homme dans la
société : mais les évolutions de ces dernières
années lui permettent aujourd'hui d'avoir un métier, une
carrière, de l'indépendance, et d'ensuite concilier cela avec une
vie familiale. La Japonaise moderne n'a plus une seule vie : elle en a
plusieurs : mère, épouse, icône sexuelle,
étudiante, career woman.
Nous pouvons à présent nous intéresser au
cinéma d'animation japonais, l'un des médias les plus importants
au Japon, où les rôles féminins abondent et offrent de
multiples perspectives d'analyse.
II/
A-Evolution du
cinéma d'animation japonais
1) Historique
1)a.
Débuts de l'animation japonaise
L'histoire de l'animation au Japon débute en 1910, avec
la diffusion des premiers dessins animés américains de John
Randolph Bray à Tokyo. Les cinéastes japonais, fascinés
par ce nouveau procédé, se mettent eux aussi à
l'animation, avec des premières expériences fructueuses104(*). Le premier artiste à
s'y essayer est Seitaro Kitayamo, en 1913. Son film Le Garçon des
pêches, une expérimentation entièrement
réalisée à l'encre de Chine, est diffusé en France
en 1918 et marque la fondation du premier studio d'animation japonaise,
« Kitayama Eiga Seisakujo ».105(*)
Suivent alors d'autres réalisateurs : Junichi
Kouchi, qui introduit des nuances de gris, Noburo Ofuji, qui réalise ses
films avec des découpages de papier (le
« chigoyami ») apposés sur des plaques de verre,
puis réalise les premiers films sonores et en couleur. Mais c'est Yasuji
Murata qui introduit la technique de l'animation totale sur cellulo, à
la manière des Etats-Unis, en 1927 ; il crée
également les premiers personnages zoomorphes, comme dans sa principale
oeuvre, Le sabre flambant neuf de Hanawa Henokai,
réalisé en 1917. Les personnages zoomorphes vont par la suite
fortement marquer le style visuel japonais, comme on le constate dans les
dessins animés pour enfants. 106(*)
Durant la Seconde Guerre mondiale, l'animation connait une
baisse de production ; ne sont alors diffusés que des films de
propagande, dont le tout premier long-métrage animé, Momotaro
le divin soldat de la mer, réalisé par Mitsuyo Seo en
1945.107(*)
Dans le Japon de la reconstruction, l'animation tente de
passer du niveau individuel et artisanal au niveau industriel. La
« Nihon Doga » est crée en 1947, pour plus tard
devenir la « Toei Doga », à ne pas confondre avec la
«Toei », autre studio qui devient plus tard, dès 1956, le
plus grand studio du Japon. D'autres studios suivent le mouvement : la
« Otogi » est crée en 1955 par Ryuichi Yokohama,
considéré comme le père de l'animation japonaise
après la guerre.108(*)
La notion de spectacle se développe : l'animation
en couleur se popularise ; la reconnaissance internationale commence,
notamment grâce au film La Baleine réalisé par
Noburo Ofuji en 1952, qui remporte un succès d'estime au festival de
Cannes en 1953.
Le studio de production de la Toei crée en 1956 son
secteur d'animation et signe son premier grand succès en 1958, avec
Le Serpent Blanc de Taiji Yabushita. Cet engouement provoque le
début d'une nouvelle ère : celle de l'industrialisation du
dessin animé, qui va marquer les trente années suivantes.
Les studios se multiplièrent : le studio Kyodo, la
Nihon Eiga, le studio Toho. En 1960, les productions de dessins animés
pour la télévision se mettent en marche, marquées par
l'arrivée d'Astro Boy en 1963, création d'Osamu Tezuka,
le « dieu du manga ». La Toei devient alors le plus grand
studio d'animation, produisant des milliers de dessins animés, dont les
premiers en couleur pour la télévision, durant les années
1979 et 1980. En 1985, l'animation est devenue une telle industrie que l'on
trouve plus de mille artistes à la Toei de Tokyo, et plus de dix mille
professionnels de l'animation uniquement dans la ville de Tokyo.109(*)
En parallèle, des studios indépendants
s'ouvrent, avec des oeuvres auto-financées, telles que le Temple
Dojoji de Kawamoto, en 1976, au style plus artistique et artisanal, et aux
thèmes plus traditionnels. La particularité de Kawamoto est
d'utiliser des marionnettes dans ses animations. Parmi les studios
s'éloignant du modèle industriel de masse, nous pouvons noter la
présence du studio Tezuka Prod, et la Mushi, fondés par Tezuka en
1961 et en 1973, qui organisent des festivals présentant des films
internationaux.110(*) En
1960, la Kuri Sikken Manga Kobo produit des courts-métrages uniquement,
avec une forte notion d'un « anti-cinéma »,
anti-conformiste et anti-industriel. Il faut également noter la
présence de l'une des rares réalisatrices d'animation, Matsue
Jinbo, qui réalise le film La petite marchande d'allumettes,
produit par le studio Gakken et récompensé en 1967 au Prix de
Copenhague.111(*)
1)b. Les séries
télévisées
Les années 1970 et 1980 ont été
l'époque du règne de la série d'animation japonaise,
diffusée en Europe également, mais pas aux Etats-Unis, qui ferme
à l'époque son marché à l'exportation de dessins
animés japonais112(*). La promotion commerciale est indispensable :
les chaînes de télévision vendent une plage horaire aux
agences publicitaires ; celles-ci cherchent alors des sponsors parmi les
fabricants de jouets, de friandises, et autres. Les épisodes à
réaliser sont alors confiés à un studio sur la base des
éléments nécessaires à sa promotion commerciale.
Le marché de la cassette vidéo contribue
à la prolifération de séries animées et
longs-métrages ; une grosse partie esst alors sous-traitée
par des studios souvent situés en Corée. Les revues de presse
spécialisées voient le jour : Animage,
Animac, Animedia, etc.
Cette ère de l'industrialisation de masse du dessin
animé a commencé avec Osamu Tezuka et Astro Boy dans les
années 1960. Tezuka a en réalité appliqué les
principes de production des grosses sociétés américaines,
telles que Hanna Barbera : le principe est d'améliorer la vitesse
de production en réduisant le nombre d'images par secondes à 5 au
lieu de 15. Le résultat est alors d'améliorer la
rentabilité, mais cela se fait au détriment de la qualité
des productions. Comme l'écrit Giannalberto Bendazzi sur ce sujet, dans
son ouvrage Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à
1992 : « Tous les studios vont adopter ces principes et la
compétition à la plus grande productivité (au
détriment de la qualité) devient la norme »113(*).
La haute rentabilité, les grosses productions
deviennent donc la norme, et le succès est au rendez-vous. Le plus gros
producteur de séries télévisées de l'époque
est la Toei. 114(*)Suivant l'exemple d'Osamu Tezuka et son studio Mushi,
le studio d'animation de la Toei commence la production de dessins
animés inspirés des mangas à succès de
l'époque dès les années 1960.115(*)
Parmi les plus grosses productions de la Toei, connues
à l'échelle internationale, citons quelques exemples de
séries diffusées sur les chaînes de
télévision japonaises116(*) :
-Calimero, réalisé par Yugo Serikawa,
47 épisodes diffusés sur les chaînes japonaises du 15
octobre 1974 au 30 septembre 1975.
-Candy-Candy, de la scénariste Kyoko Mizuki et
la dessinatrice Yumiko Igarashi, série diffusée sur les
chaînes télévisées japonaises entre le 1er octobre
1976 et le 2 février 1979, en 115 épisodes.
- Capitaine Flam, série
réalisée par Tomoharu Katsumata, 52 épisodes
diffusés sur les chaînes télévisées
japonaises de 1977 à 1978.
-Albator, réalisé par Rintarô,
série diffusée sur les chaînes
télévisées japonaises entre le 14 mars 1978 et le 13
février 1979.
D'autres studios, tels que la Moshi ou la TMS, sont
également auteurs de séries à succès. La TMS
diffuse, entre autres, la série Lupin III, créée
en 1971, diffusée jusqu'en 1972, puis sont diffusés de nouveaux
épisodes entre 1977 et 1980. La série raconte les aventures de
l'arrière petit-fils d'Arsène Lupin ; à la mise en
scène, travaillent Isao Takahata et Hayao Miyazaki.117(*)
Citons encore les séries Goldorak,
Princesse Sissi, L'île au trésor,
Rémi sans famille, Sherlock Holmes, Conan le fils du futur ou
encore Tom Sawyer, emblématiques de cette ère de
production massive du dessin animé, et de la domination des
chaînes internationales par les studios japonais.
A la fin des années 1970, le regain
d'intérêt pour le long-métrage cinématographique
permet d'adapter de nombreuses séries pour le cinéma, propulsant
certains réalisateurs issus du gros studio de la Toei dans cette voie:
c'est le cas, entre autres, d'Hayao Miyazaki. Mais la véritable
reconnaissance de l'animation japonaise en tant qu'oeuvre
cinématographique doit se faire à la fin des années
1980.118(*)
1)c. Un souffle nouveau sur le
cinéma d'animation des années 1990
C'est durant les années 1990 que l'animation
cinématographique venant du Japon se fait connaître
internationalement, et suscite l'intérêt non plus des seuls
amateurs, mais de plus larges publics.
L'évolution progressive vers une plus grande production
cinématographique se fait dès les années 80, avec la
réalisation de films tels que Le Château de Cagliostro,
Nausicaä de la vallée du vent, réalisés
respectivement en 1979 et 1984, par Hayao Miyazaki, mais encore Le Tombeau
des lucioles, réalisé en 1988 par Isao Takahata.
Le succès étant au rendez-vous, d'autres
réalisateurs suivent le mouvement, et l'animation
cinématographique retrouve un second souffle, après la
parenthèse télévisée des années 1979-1980.
Akira, film réalisé en 1987 par
Katsuhiro Otomo, est inspiré d'un manga à succès du
même nom, publié en 1982. Akira, film futuriste au
scénario de science-fiction complexe et au graphisme soigné,
redonne définitivement ses lettres de noblesse à
l' « anime », oeuvre d'animation japonaise.119(*)
Les années 1990 marquent l'apogée de la
reconnaissance internationale des productions cinématographiques.
L'ouverture de nombreux festivals destinés au cinéma d'animation
japonais en sont une preuve, tels que le Festival international du film
d'animation d'Annecy, ou le festival Cinémanga à l'UGC
Cité des Halles à Paris.120(*)
En 1995, le film Ghost in the shell de Mamoru Oshii
sort dans les salles de cinéma japonaises. Le film participe à
créer une nouvelle image de l'animation japonaise, loin des
séries animées du petit-déjeuner des enfants :
adapté d'un manga de Masamune Shirow, l'histoire met en scène un
monde de science-fiction violent, destiné à un public adulte,
dans un monde menacé par l'informatique et les technologies.
Enfin, nous pouvons également citer l'exemple du film
Perfect Blue, réalisé en 1997 par Satoshi Kon, qui
rencontre également un franc succès au Japon et en Occident. Ce
film continue l'ascension des films d'animation japonais vers des
scénarios plus complexes, plus adultes, un graphisme travaillé et
de haute qualité technique ; Perfect Blue met en
scène une jeune chanteuse face à la gloire, sombrant peu à
peu dans la schizophrénie ; le scénario exploite ainsi des
thèmes plus psychologiques, profonds, adressés à un public
plus mature.
1)d. Les racines
traditionnelles du manga et du film d'animation
Le manga et l'animé sont
étroitement liés ; leurs origines sont communes. En effet,
souvent, les films d'animation sont réalisés à partir des
mangas : c'est également le cas pour de nombreuses séries
télévisées des années 1970-1980, adaptations des
scénaristes de leurs propres mangas. Il convient cependant d'apporter
quelques précisions sur le mot « manga »,
utilisé différemment en Occident et au Japon. Le mot
« manga » est crée par le célèbre
artiste japonais Hokusai au XIXe siècle. « Manga »
est le titre de ses recueils destinés à ses disciples,
composé de deux idéogrammes : man signifiant
« exécuté de manière rapide et
légère » et ga,
« dessin ». Ce n'est qu'au XXe siècle que le
mot « manga », retenu par d'autres artistes, prend le sens
de dessin animé. Aujourd'hui, le sens du mot a évolué.
Pour les gens nés avant la guerre, « manga »
désigne toujours une bande dessinée aux traits simples. Pour les
jeunes générations cependant, « manga »
désigne désormais les estampes de l'époque Edo. L'Occident
utilise donc le terme « manga », qui ne s'utilise plus au
Japon.121(*)
Entre les mangas et animés contemporains et rouleaux
enluminés de l'ère Edo, nous pouvons retrouver diverses
similitudes et retracer les origines de certaines caractéristiques de
l'animation japonaise.
Le réalisateur Isao Takahata explique dans son ouvrage
Les Dessins animés du XIIe siècle, les éléments
évocateurs du cinéma et des films d'animation dans les rouleaux
de peinture du XIIe siècle classés trésors Nationaux,
que les estampes des rouleaux traditionnels(les « emaki »)
sont l'origine directe du dessin animé : « les emaki que
l'on déroule peu à peu pour découvrir chaque scène,
rendent l'impression d'écoulement du temps et de progression de l'action
(...) comme les dessins animés. »122(*)
On retrouve la longue tradition de l'estampe dans les dessins
animés et mangas aujourd'hui : les Japonais ont toujours
excellé dans la personnification d'animaux, et ce depuis des
siècles ; c'est en effet un procédé largement
exploité par les maîtres de l'ukiyo-e (« images du monde
flottant »).123(*)
Les phylactères existent déjà à
l'ère Edo, et la composition des estampes en cases est
déjà pratiquée par le peintre Hiroshije durant
l'ère Meiji, dans les années 1880.124(*)
Mais on peut retracer l'apparition des mangas, proches de ceux
que l'on connait aujourd'hui, à l'époque où apparaissent
les petites maisons d'édition non spécialisées, au
XVIIe siècle. Les ouvrages qu'elles publient sont
destinés au peuple, contrairement aux rouleaux enluminés
destinés à l'élite ; ces ouvrages font une dizaine de
pages, racontent des récits allant du conte pour enfants aux drames du
théâtre Kabuki, aux histoires humoristiques. Les histoires se
présentent alors souvent sous forme de feuilletons, au texte simple et
aux multiples illustrations. On retrouve là les caractéristiques
qui marquent l'apparition des bandes-dessinées du XXe
siècle.125(*)
Il est cependant intéressant de noter que les mangas
que nous connaissons aujourd'hui, ainsi que les films d'animation japonais,
séries télévisées et cinéma confondus,
offrent deux styles de scénario. En effet, nous retrouvons une division
entre les scénarios adressés à un public adulte et
essentiellement masculin, et ceux adressés à un public plus
féminin, ou plus jeune. Nous pouvons étudier, dans une seconde
sous-partie, cette séparation à travers l'analyse des divers
thèmes qu'exploitent les films, ainsi que les stéréotypes
féminins qu'ils mettent en scène, symbolisant des messages
différents selon le public auxquels ils sont destinés.
2) Les images de la femme dans les films
d'animation japonais
2)a. La femme et la
sexualité censurées
Pour comprendre comment a évolué la place de la
femme dans le cinéma d'animation japonais, pour comprendre quelle est sa
place aujourd'hui et quels rôles lui sont dévolus, il est
nécessaire de savoir comment a évolué le cinéma au
Japon depuis ses débuts. Nous pouvons regarder de façon
brève les débuts du cinéma japonais, puis voir comment a
débuté l'animation japonaise, pour ensuite nous pencher de
manière plus spécifique sur les images féminines dans le
cinéma d'animation japonais.
Il est intéressant de noter que les débuts du
cinéma japonais sont marqués par la censure, essentiellement
tournée vers la présence de la femme dans le cinéma. La
femme n'y a pas sa place : à l'époque du muet, les femmes
sont bannies de l'écran. Les rôles féminins sont
interprétés par des acteurs travestis, nommés oyama, ou
onnagata. Ce diktat est imposé par les acteurs de kabuki, tradition
théâtrale au Japon, qui persiste longtemps dans le cinéma.
C'est l'influence du cinéma américain après la Seconde
Guerre mondiale qui réintroduit la femme au cinéma. 126(*)
Le baiser est autrefois censuré comme « atteinte
à la culture japonaise ». Dans toutes les cultures, la femme
est le symbole de la sexualité, de la tentation, du péché,
et chez les Japonais, d'un manque de respect de la place que doit tenir la
femme : mère, femme au foyer, ce que nous avons vu avec le
modèle de la ryosai kembo.
Les Américains, suite à la Seconde Guerre mondiale,
aident à l'émancipation des femmes, à la réforme de
l'éducation, au suffrage universel, participant à cette
libération des moeurs. Le cinéma se défait ainsi du carcan
traditionnel, permettant enfin aux femmes d'apparaître sur les
écrans. Cependant les films étrangers restent longtemps
censurés : la pilosité, la sexualité reste taboue au
Japon durant de longues années.
C'est avec la popularité grandissante des mangas et
dessins animés au Japon et à l'étranger, que la femme
prend une place centrale dans le monde du cinéma et des
médias.
2)b. Des thèmes
différents pour des publics différents
Les mangas, comme les animés, se divisent en deux
catégories bien distinctes : les mangas et animés pour
garçons et jeunes hommes, nommés les
« shônen », et ceux destinés à des
publics féminins, nommés les « shojo ». De
façon générale, ces mangas et animés ont des
thèmes bien distincts : « les bandes dessinées
pour garçons font preuve d'un minutieux dosage de suspense et d'humour,
avec des histoires de sport, d'aventures, de fantômes, de
science-fiction(...) les shôjô recherchent aussi cet
équilibre mais se distinguent par leurs récits d'amour
idéalisés. »127(*)
L'animation japonaise, malgré une séparation
évidente entre les animés pour hommes et ceux pour femmes,
s'adresse à des publics d'âges variés. En cela, l'animation
japonaise diffère des dessins animés occidentaux,
généralement destinés aux enfants. Les animés pour
filles et garçons au Japon peuvent en effet s'adresser aux jeunes
enfants, mais d'autres vont plutôt intéresser des publics plus
âgés, adolescents, et adultes128(*). Nous pouvons en effet retrouver des dessins
animés pour jeunes garçons, tels que Dragon Ball Z par
exemple, et des animés aux thèmes plus sérieux, plus
matures, comme on en trouve dans Ghost in the Shell, ou
Akira. Les thèmes des dessins animés japonais sont
très larges, allant de l'histoire à l'eau de rose pour jeunes
filles, aux récits de science-fiction complexes, jusqu'aux dessins
animés érotiques, nommés
« hentai ».
Les caractéristiques du shojo manga et du shojo
animé sont de mettre en scène des héroïnes, avec une
prédominance de personnages secondaires féminins, dans une
histoire centrée autour de l'Amour, recherché, vécu,
rêvé. L'expression des émotions y est plus
importante : les personnages sont alors dotés d'immenses yeux
brillants.
Les thèmes varient : les histoires peuvent
être situées autour de faits historiques, comme Princesse
Sissi, Marie Antoinette, Le Glorieux
Napoléon...129(*) Souvent les animés se situent dans le
passé, en Occident généralement, comme dans Candy
Candy, Lady Oscar, Les quatre filles du Docteur March,
etc. On trouve aussi des animés centrés autour du sport, de
l'école (Clamp, School detectives) ou de l'apprentissage de la
vie, le passage à l'âge adulte (Kodomo no omocha). Les
émotions, les relations entre les membres d'une famille, ou des amis,
priment sur le caractère aventurier des histoires.
Les shonen manga et shonen animés, adressés aux
garçons et jeunes hommes, exploitent des thèmes bien
différents. Les histoires se situent souvent dans des univers
futuristes, de science-fiction. Sean Boden, journaliste pour de nombreux
magazines d'animation et auteur de l'article Women and
anime prend l'exemple de Dragon Ball Z pour présenter
le type de scénarios que l'on donne aux jeunes garçons et
adolescents : « la série est centrée autour des
hommes, mettant l'accent sur la force, la discipline, le labeur, les
présentant comme les clés du succès. »130(*)
2)c. Stéréotypes
féminins : la femme fatale, la princesse, la sorcière...
Dans les oeuvres du cinéma d'animation auxquelles nous,
Occidentaux, sommes le plus habitués, c'est-à-dire les
productions Disney, le géant du dessin animé, la femme
revêt plusieurs déguisements. Nous employons le terme
« déguisement » car il s'agit souvent d'images
idéalisées, des personnages que nous pouvons appeler
conventionnels, car issus pour la plupart de la littérature classique.
La princesse s'oppose ainsi à la sorcière. En
réalité, nous constatons qu'une longue tradition Disney
décline ces deux stéréotypes sous toutes leurs
formes : la princesse prend tour à tour l'aspect de l'adolescente
naïve, de la petite fille en danger, la jeune femme cherchant son prince
Charmant, l'âme pure trouvant l'Amour. Nous pensons aux personnages de
Blanche-Neige, de La Belle, d'Ariel, Pocahontas, etc. Le même genre
d'histoire se décline dans divers décors, représentant des
jeunes filles à l'âme pure, romantique, auxquelles les petites
filles spectatrices s'identifieront. Le personnage de l'innocente Blanche-Neige
victime de la sorcière n'a en fait pas beaucoup évolué.
Cette opposition entre « gentilles » et
« méchantes » n'est en réalité pas si
différente dans le film d'animation nippon. Certes, les personnages
revêtent des costumes différents, mais l'opposition entre la jeune
fille innocente et la « sorcière » se retrouve
jusque dans les mangas. S'il est vrai que la plupart des animés ont des
caractéristiques très différentes du dessin animé
Disney, on peut retrouver des stéréotypes similaires.
On peut séparer, de façon
générale, comme nous l'avons vu précédemment, les
dessins animés nippons en deux catégories : comme on trouve
des mangas adressés à des publics féminins, on retrouve
des animés destinés essentiellement à ce même type
de public ; de l'autre côté, nous trouvons donc des
animés destinés à un public masculin. Les genres, et
même les graphismes, sont alors complètement différents.
Ainsi, nous constatons que les animés pour filles ont
toutes les caractéristiques des dessins animés de
princesse : jeunes filles innocentes à la recherche de l'amour,
histoires à l'eau de rose ; même le graphisme prend des
caractéristiques « douces », aux couleurs pastel,
rose, blanc, bleu, donnant alors un ensemble très mièvre.
L'animé Candy Candy en est un bel exemple : la jeune
héroïne aux grands yeux larmoyants, toute de rose vêtue,
attend l'Amour. Caractéristique non moins significative, l'histoire se
déroule à la fin du dix-neuvième siècle. Comme nous
l'avons vu, les animés pour filles se situent souvent dans le
passé. Candy représente particulièrement ces
héroïnes romantiques, à la recherche du Prince
Charmant : en effet, il n'est pas anodin qu'elle surnomme l'homme de ses
rêves « le prince des collines ».
Face à ces animés romantiques, se trouvent donc
les animés pour garçons et jeunes hommes : beaucoup plus
violents, voire hyper-violents, situés dans des mondes futuristes, les
personnages féminins qu'on y trouve sont sensiblement différents.
On y trouve souvent des femmes effacées, faire-valoir
des hommes, proches de l'image véhiculée dans les shojo manga
pour jeunes filles. Celles-ci tombent alors dans le stéréotype de
la « demoiselle en détresse » sauvée par les
hommes, seuls maîtres de la série animée131(*).
Mais face à ces stéréotypes
féminins effacés, soumis à l'homme, se dressent aussi des
femmes véhiculant une image totalement opposée, que l'on retrouve
dans les shonen manga, pour le lecteur et spectateur masculin. En effet, ces
femmes y sont « hyper-sexy », sûres d'elles,
indépendantes : une image radicalement opposée à
celui de Candy et autres Princesse Sissi. Ce sont des « bad
girls », dont les fans japonais sont si friands. Les « bad
girls » sont sexy, violentes, ne recherchent pas l'amour, mais le
pouvoir. Elles ont ainsi des caractéristiques considérées
comme purement masculines au Japon. Nous pouvons penser que ces « bad
girls », loin du modèle positif de la jeune fille du shojo
manga, reprennent en réalité le rôle des
« sorcières » de Disney; seulement, elles sont les
héroïnes de leur propre film. On peut les voir dans les
séries Le recueil des faits improbables de Ryoko Yakushiji,
l'histoire d'une policière de New-York, forte, indépendante,
sexuellement libérée ; ou encore Michiko et
Hatchin, où l'héroïne est également un
personnage fort, violent, loin du rôle traditionnel de la
femme.132(*)
Nous retrouvons donc deux types de
stéréotypes : la jeune fille, typique du shojo manga,
rêvant d'amour, la demoiselle en détresse, que l'on trouve aussi
dans les shonen manga ; puis, la femme sexy, la bad girl de certains
shonen manga. Notons aussi que ces deux types de personnages sont
sexualisés, et beaucoup représentés dans les animé
érotiques, les hentai, très populaires au Japon.
Malgré ces diverses représentations, dans les
shonen manga ou shojo manga, où la femme semble toujours enfermée
dans le stéréotype de la princesse, la demoiselle en
détresse, ou la femme sexy, il est intéressant de constater que
leurs rôles tendent, ces dernières années, à se
rejoindre. En effet, les deux genres d'animés pour hommes et pour
femmes, tendent à se réunir et montrer une image de la femme plus
indépendante, plus forte, bien que des différences subsistent.
133(*)
Nous allons à présent nous intéresser au
cas du réalisateur Miyazaki, qui dans ses films d'animation, nous donne
une image bien particulière de la femme. Nous pouvons ainsi analyser le
parcours de ce réalisateur.
B- Le réalisateur
Miyazaki : présentation
1) Biographie
1)a. Les
débuts
Hayao Miyazaki naît le 5 janvier 1941 à Tokyo.
Pendant la Seconde guerre mondiale, son père dirigeait l'entreprise
familiale « Miyazaki Airplane ». L'entreprise fabrique des
gouvernails pour les avions de chasse "Zero", lesquels sévissent pendant
la guerre.134(*)
Fasciné par ces avions, Hayao développe, dès l'enfance,
une passion dévorante pour les engins volants qui ne le quitte jamais.
On ressent bien cette passion dans ses films, avec une présence
considérable d'objets volants, fantastiques ou pas : avions dans
Porco Rosso, deltaplanes dans Nausicaä de la
vallée du vent, oiseaux fantastiques et dragons volants dans Le
Voyage de Chihiro, pour n'en citer que quelques uns. La guerre le marque
profondément, ce qui aura par la suite une influence importante sur son
travail et dirigera nombre de ses choix de sujets de film, prônant la
non-violence et la paix.
Le jeune Hayao Miyazaki grandit avec une mère absente,
celle-ci devant passer de nombreuses années confinée à
l'hôpital. Elle peut revenir au foyer en 1947 mais demeure alitée.
Miyazaki garde durant toute sa carrière le souvenir de la maladie, que
l'on retrouve dans son oeuvre (voir Mon Voisin Totoro). Le
caractère de sa mère va également influencer son travail
et sa vision des femmes : en effet, celle-ci était
déterminée, courageuse, « dotée d'un fort
caractère et de grandes capacités
intellectuelles »135(*). Les héroïnes de Miyazaki semblent
être le reflet de cette femme, tout du moins dans l'intelligence et la
détermination.
Adolescent, Miyazaki décide, comme beaucoup de jeunes
en cette période d'après-guerre où les mangas sont en
vogue, de se lancer en tant que dessinateur à la sortie du lycée.
Il est influencé par les grands mangakas de son temps : Tezuka,
Tetsuji Fukushima et Sanpei Shirato. Mais au lieu, comme tant d'autres,
d'aduler leur travail, il veut suivre sa propre voie, en essayant de ne pas
être trop influencé par le travail de ces « dieux du
manga ».
Après la Seconde Guerre mondiale, l'influence
occidentale se fait plus ressentir que jamais et l'animation, qui a
été apportée par les Occidentaux, reprend de plus belle
une fois la guerre terminée. L'animation japonaise recommence à
produire du divertissement pur, et non plus un cinéma de propagande.
C'est à la sortie du film Le Serpent blanc,
réalisé par Taiji Yabushita en 1958, que Miyazaki décide
de se diriger vers l'animation. Il déclare plus tard :
« J'ai une confession embarrassante à faire :
j'étais tombé amoureux d'une héroïne de dessin
animé (...) Le serpent blanc avait laissé une forte
impression sur mon immature personne »136(*).
De 1959 à 1963, Miyazaki étudie à la
prestigieuse université de Gakushuin, en ressortant avec une
thèse sur l'économie et l'industrie. Durant cette période,
il découvre les grands auteurs occidentaux, dont Antoine de
Saint-Exupéry, qui influence énormément son art de
narrateur et sa manière de concevoir des personnages. 137(*)
A la sortie de l'université, il rejoint l'équipe
du studio d'animation de la Toei, à Tokyo, où il débute en
tant qu'intervalliste.
En 1964 il est nommé secrétaire en chef du
syndicat de la Toei Doga, les studios d'animation de la Toei. Il y fait la
rencontre d'Isao Takahato, son futur collaborateur aux Studios Ghibli.
En 1965, il saisit l'occasion de travailler sur le
long-métrage Horus, prince du soleil : voyant la
progression incroyable et le succès considérable des
séries télévisées pour enfants, qui sont alors en
plein essor au Japon, il craint que les occasions ne se représentent
plus. Il travaille aussi sur des épisodes de séries
télévisées en tant qu'animateur. Le travail de son mentor
Yasuji Mori aura une grande influence sur lui d'un point de vue stylistique,
influence qui se reflètera dans les oeuvres des studios Ghibli.
En 1971, il quitte les studios de la Toei avec son ami Isao
Takahata et rejoint les studios A-Pro, et en 1973 Zuiyo Pictures. Durant cette
période, afin de s'inspirer des paysages étrangers pour les
séries télévisées sur lesquelles il travaille en
tant que concepteur scénique, telles Heidi ou 3000 miles en
quête de mère, il voyage beaucoup : Suisse,
Suède, Italie, Argentine.
En 1979, Miyazaki réalise son premier
long-métrage, mais n'en écrit pas le scénario :
Le Château de Cagliostro. L'année suivante, Miyazaki et
Takahata rejoignent le studio Telecom Animation Film et travaillent sur
l'animation et la réalisation de trois épisodes de la
série Lupin III, personnage du long métrage. A la même
période, Miyazaki entame la création d'un manga, Kaze no
tani no Nausicaä, qui remporte un franc succès dès sa
première publication. Il réalise et écrit alors son
premier film d'après ce manga, Nausicaä de la vallée du
vent, produit par les studios Topcraft.138(*) Film de science-fiction, comme beaucoup de films
animés au Japon durant les années 1980, Nausicaä se
déroule dans un Japon revenu à un état
quasi-féodal, après qu'une guerre apocalyptique a réduit
la Terre à une planète polluée. Dans ce film, Miyazaki a
exprimé ses préoccupations pour l'état de la Nature,
cherchant à mettre en garde contre les
« progrès » de l'Homme qui risquent de
précipiter la Terre dans un chaos. Ce scénario de science-fiction
est en réalité inspiré des intérêts qui
commençent à s'éveiller à l'époque pour
l'environnement et les méfaits de la pollution.
1)b. Le studio Ghibli
Le film rencontre un tel succès qu'il permet à
Miyazaki et son ami Takahata de fonder leur propre société,
Nibariki, à Tokyo, afin de gérer les droits de
Nausicäa. Ils décident ensuite de trouver un studio de
production, afin de ne plus se retrouver forcés à changer de
producteurs à chaque nouvelle réalisation, mais surtout
d'être libres dans leurs choix d'animation, de distribution, et de
s'assurer de la qualité de leurs films sans dépendre des choix
d'une autre société.
Pour trouver un studio, Takahata prend contact avec plusieurs
sociétés. Il se met finalement en accord avec un ancien ami de la
Tôei Animation, Toru Hara, qui avait fondé sa petite
société, Topcraft. Bien que le Ghibli n'existe pas encore,
beaucoup considèrent aujourd'hui que l'équipe de Topcraft a
été le point de départ du studio. Pourtant
lorsqu'après Nausicaä, le travail
sur Laputa commence, Topcraft a de nombreux problèmes
d'effectif si bien qu'il n'est plus possible de travailler avec eux. Takahata
cherche alors un autre studio, et c'est à ce moment que Tokuma Shoten,
qui a financé la production de Nausicaä, manifeste sa
volonté de continuer à produire des films d'animation sur un plus
long terme et de façon régulière.
Nausicaä vient en effet d'obtenir un
succès mérité (915 000 spectateurs et des critiques
très favorables), établissant qu'il est possible de
réaliser et de produire des animations de qualité pour le
cinéma. C'est donc grâce à cette réussite que Tokuma
accepte de financer la création du studio. Yasuyoshi Tokuma, PDG de la
branche éditions du groupe, en devient le président.
Ainsi, en 1985, le studio Ghibli (prononcer ji-bou-ri),
nommé d'après un vent saharien mais aussi d'après un avion
de chasse italien139(*),
ouvre à Kichijoji à l'ouest de Tokyo, pour produire le prochain
film de Miyazaki : Laputa, le château dans le ciel,
Takahata ayant la charge d'être producteur.140(*) Le film, sorti en
1986, s'inspire des îles flottant dans le ciel du roman Les voyages
de Gulliver de Jonathan Swift, mais aussi du roman L'île au
trésor de Stevenson, ce qui témoigne de la passion de
Miyazaki pour la littérature occidentale qu'il a découvert durant
ses études. Une fois de plus, Miyazaki met en scène un monde
alternatif, mettant en garde contre les technologies et les
« progrès » de la science, à travers une
chasse au trésor revue et corrigée, dans un monde fantastique.
Grâce à la bonne réception du public et le
succès d'estime de Laputa, le château dans le ciel, avec
775 000 entrées au Japon, la maison de production est bel et bien
lancée. Dans les années qui suivent, le studio Ghibli permet la
production de nombreux films d'animation, dont des grands succès
internationaux, outre les réalisations de Miyazaki, tels que
Pomporo ou Le Tombeau des lucioles d'Isao Takahata.
L'équipe s'agrandit : en plus d'Hayao Miyazaki et
Isao Takahata, se joint au groupe Toshio Suzuki, ancien rédacteur en
chef du magazine de manga Animage.
Mon Voisin Totoro, le film suivant de Miyazaki, sorti en
1988, en même temps que Le tombeau des lucioles d'Isao Takahata,
est un projet risqué. En effet, le projet a été
proposé une première fois par Miyazaki en 1980, à
l'époque du studio Telecom, et rejeté. Cependant, Miyazaki confie
dans une interview pour le magazine Animerica que le personnage de
Totoro le hantait depuis bien plus longtemps : il s'agit d'une
création de son imagination d'enfant, lorsqu'il se promenait dans les
forêts japonaises et craignait l'apparition de créatures
géantes141(*).
Les distributeurs et producteurs du studio craignent que le
public ne comprenne pas l'histoire de deux petites filles et d'un
«monstre», dans le Japon d'après-guerre. A sa sortie, le film
ne remporte qu'un succès d'estime, mais c'est avec la vente de produits
dérivés que Totoro se fait reconnaître et obtient un
succès considérable, atteignant même les amateurs
Occidentaux.
Situé dans un Japon encore très rural, à la
fin des années cinquante, Mon voisin Totoro est le premier film
de Miyazaki fondé sur les émotions, l'atmosphère et le
rêve, contrairement à l'action et le monde de science-fiction des
précédents. Véritable hommage à l'enfance, la
famille et l'imagination, d'une grande poésie et beauté
esthétique, ce film est aujourd'hui vu comme l'un des plus beaux films
d'animation jamais faits, et l'un des films favoris du grand Akira Kurosawa,
réalisateur des films Les Sept samouraïs,
Barberousse, Yojimbo, etc.142(*)
En 1989, seulement un an après Mon voisin Totoro,
Kiki la petite sorcière est le premier vrai succès
national du studio Ghibli, avec 2,6 millions d'entrées au Japon. Il
assure ainsi l'indépendance financière du studio. Pour la
préparation de ce film, Miyazaki se rend en Suède et s'inspire
des paysages et des villes de Visby et Stockholm pour planter le décor
de Kiki.
Kiki la petite sorcière est un film initiatique,
décrivant l'apprentissage d'une jeune adolescente devenant
indépendante, tiré d'un roman de Eiko Kadono. Situé encore
une fois dans un monde imaginaire, fantastique, Kiki la petite
sorcière n'est cependant pas un film de science-fiction, ou
épique, à l'instar de Mon voisin Totoro. Le monde
fantastique est empreint de réalité. Le réel se mêle
au rêve ; Kiki ne possède pas un don extraordinaire dans ce
monde-là, mais un talent que n'importe quelle petite fille dans notre
monde réel pourrait posséder. Cette « comédie
initiatique » s'adresse ainsi à un public de jeunes filles de
l'âge de l'héroïne.
Kiki la petite sorcière a fait l'objet d'un livre
écrit par Miyazaki, ce dernier considérant le roman de Kadono
comme étant « un très beau travail de
littérature pour enfants décrivant le fossé qui existe
entre l'indépendance et la dépendance face aux espoirs et
l'esprit des jeunes filles japonaises aujourd'hui ».143(*)
Miyazaki prépare ensuite un nouveau film, qui sort en
1992 : Porco Rosso. Ce film s'inscrit dans une démarche
différente des précédents. Miyazaki avoue en effet l'avoir
réalisé pour son propre plaisir. Mais sous une apparence
amusante, peu sérieuse (l'histoire extravagante d'un homme
transformé en cochon) Miyazaki s'adresse en réalité
à un public plus mature, donnant un ton plus sérieux que ses
précédentes oeuvres. Il ne s'agit pas d'un message
écologiste, mais plutôt d'une représentation des hommes
désabusés, loin de la morale. Dans une interview pour le magazine
Animerica, Miyazaki déclare : « J'ai choisi de
dessiner un cochon (...) parce que les cochons sont synonymes
d'obésité, de cupidité, de débauche. Le mot
« cochon » est une insulte(...) et je n'aime pas les
sociétés qui se proclament vertueuses. »144(*)
Le succès devient international et la
consécration totale lorsque les studios Disney passent un accord avec
Ghibli, obtenant les droits de distribution, en 1997, avec la sortie de
Princesse Mononoké. Le succès mondial est signé
avec cette collaboration.
Princesse Mononoké, ou la « princesse
des esprits vengeurs » est une création que Miyazaki a en
tête depuis longtemps -depuis les années soixante-dix plus
précisément ; se sentant vieillir, il voit ce film comme sa
dernière chance de faire un film d'action. La première version de
l'histoire de Miyazaki est en réalité largement inspirée
de La Belle et la Bête. Cela témoigne une fois de plus de
la grande part d'inspiration des contes occidentaux et de
l'intérêt de Miyazaki pour la culture étrangère,
l'intégrant à la culture nippone. L'histoire se situe dans un
Japon historique, bien que peuplé de créatures fantastiques. Ces
créatures sont par ailleurs issues de la mythologie traditionnelle, le
folklore étant une « source vitale » d'inspiration
pour Miyazaki.145(*)
Avec cette oeuvre, le réalisateur parvient à
conquérir les initiés, ainsi que les publics non avertis,
à l'échelle internationale.
Fin 1999, tout juste un an après la sortie de
Princesse Mononoké, et objet de toutes les attentes, le nouveau
film de Miyazaki sort dans les salles japonaises en juillet 2001. Le Voyage
de Chihiro remporte un triomphe sans précédent, battant tous
les records d'entrées (plus de 23 millions de spectateurs) et de
recettes au box-office nippon (250 millions de $). Lors des Japan Academy
Awards, il est reconnu comme étant le meilleur film de l'année
2001. Le Voyage de Chihiro réunit également
près de 1.5 millions de spectateurs en France, et remporte l'Ours
d'or au Festival International du Film de Berlin et l'Oscar du meilleur film
d'animation en 2003.146(*) Si Princesse Mononoké a
marqué la reconnaissance mondiale pour Miyazaki, Le Voyage de
Chihiro hisse définitivement Miyazaki parmi les réalisateurs
d'animation japonaise les plus célèbres.
Le Voyage de Chihiro est un vrai film d'aventures
fantastiques, très proche d'Alice au pays des merveilles.
Plongée dans un monde extraordinaire, absurde, la jeune
héroïne doit apprendre à se plier aux règles d'un
autre monde afin de réintégrer le sien, au bout d'un tunnel, de
l'autre côté d'un temple. Mêlant des scènes
détaillées aux couleurs vives, avec des images plus
traditionnelles et plus sombres, Le Voyage de Chihiro marque une
nouvelle étape dans l'évolution de la mise en scène et du
graphisme du réalisateur.
Après le succès phénoménal de
Chihiro, Le Château Ambulant, sorti en 2004,
reçoit un accueil plus mitigé. Le Château ambulant,
adapté d'un roman américain de Diana Wynne Jones, est
similaire à Kiki la petite sorcière :
comédie également, il s'agit surtout, une nouvelle fois, d'un
apprentissage. L'héroïne part en voyage, apprend à faire
face à l'adversité (transformée en vieille dame, elle doit
accepter la dureté de ce sort) puis apprendre à avoir confiance
en elle, à retrouver l'indépendance. En effet, retrouvant peu
à peu son physique de jeune fille, Sophie reprend l'apparence d'une
vieille dame lorsqu'elle perd confiance en elle -le sort agit alors comme un
masque, une protection contre la vie réelle.
Ce film a eu moins de succès que les
précédents : sans doute est-ce dû aux messages mixtes
qui sont véhiculés par l'histoire. Entre l'histoire d'un parcours
initiatique, des guerres de sorcellerie dénonçant la violence et
la soif de pouvoir des puissants, et une histoire d'amour entre
l'héroïne et le sorcier, Miyazaki a sans doute brouillé trop
de pistes. Le film en ressort moins clair que ses autres oeuvres, moins
puissant.
Enfin, le dixième film réalisé par Miyazaki,
Ponyo sur la falaise, sort en 2008. Le film rejoint la
simplicité enfantine de Mon voisin Totoro. Une fois de plus,
Miyazaki adapte, à sa façon, des histoires occidentales. Dans ce
cas précis, il s'agit d'une adaptation libre de La Petite
Sirène d'Handersen.
D'une très grande simplicité, il s'agit d'un film
de pur divertissement, mettant en scène une histoire d'amour pour
enfants. Très coloré, avec un dessin simple, moins foisonnant de
détails que les paysages complexes de films tels que Princesse
Mononoké, Ponyo sur la falaise n'en reste pas moins d'une
très grande beauté visuelle, avec des scènes semblant
réconcilier les traditionnelles estampes japonaises et le dessin manga
d'aujourd'hui.
Le Studio Ghibli a vraiment rencontré un succès
phénoménal si l'on considère l'environnement
compétitif du domaine de l'animation au Japon : au sein des grandes
industries prolifiques du dessin animé, le studio est parvenu à
se forger une identité artistique propre. Miyazaki et Takahata
réussirent en effet à créer un style clairement
différent de celui des anciennes légendes du manga et de l'anime.
"Cette attitude esthétique fondée sur une attention
particulière portée au mouvement et aux gestes du quotidien est
radicalement opposée à l'autre grand courant de l'animation
japonaise initiée par Osamu Tezuka, qui procède davantage d'une
esthétique de l'immobilité sans véritable souci de
représenter le mouvement de façon convaincante."147(*) C'est ce style nouveau qui
fait l'originalité du studio, le démarquant d'un paysage qui
aurait pu s'avérer redoutable.
2) L'Univers visuel de Miyazaki
Le style d'Hayao Miyazaki a beaucoup évolué depuis
Nausicaä : le réalisateur aborde des thèmes
différents et utilise un graphisme différent. Nous allons
à présent analyser le style visuel de Miyazaki, les
caractéristiques de son graphisme ; nous verrons dans un second
temps les thématiques particulières qu'exploite le
réalisateur dans ses oeuvres.
2)a. Graphisme
Bien que le style de dessin de Miyazaki soit clairement
influencé par l'esthétique manga, il est différent
d'autres « anime »148(*) par sa fluidité d'animation et la
qualité du dessin : clair, simple, sans exagérations des
traits. Le style est plus réaliste que la plupart des dessins
animés japonais que l'on peut voir sur les écrans de TV,
reconnaissable entre tous : grands yeux brillants, petits visages,
exagération des expressions faciales. Ces caractéristiques
communes aux autres dessins animés ne se retrouvent pas dans le dessin
de Miyazaki, bien qu'un style japonais s'y retrouve, clairement
différent du dessin occidental typique des Disney. La qualité
cinématographique y est pour beaucoup : le dessin est donc de haute
qualité artistique, et la touche « miyazakienne »
réside dans quelques éléments que nous allons analyser.
Il faut tout d'abord signaler que le style de Miyazaki a
énormément évolué depuis Nausicaä,
jusqu'à Ponyo sur la falaise. Si l'on compare les graphismes de
ces deux films, que vingt-quatre ans séparent, l'évolution
apparaît très nettement.
Nous pouvons en effet séparer, d'un point de vue
stylistique tout d'abord, la période Nausicaä
jusqu'à Princesse Mononoké.
Cependant, même au sein de ce cycle, le style a
varié : les premiers films adoptent un style très
« manga » : grands yeux, traits simplifiés,
voire caricaturaux. On retrouve tout de même une qualité de dessin
supérieure, avec de véritables jeux de regards, une mise en
scène recherchée : des gros plans, des plans d'ensemble
montrant des paysages détaillés. Ainsi la densité des
paysages et la fluidité de l'animation laissent présager la
magnificence de Princesse Mononoké : paysages
détaillés, denses, aux couleurs douces, aux lumières
contrastées. Les traits des visages des personnages s'affinent
également, s'éloignant du style manga.
Les couleurs que choisit Miyazaki sont toujours assez
sombres : les tonalités de Nausicaä, le
Château dans le ciel et Mon Voisin Totoro en particulier,
restent dans les tons de gris, marrons, vert foncé, bleu foncé.
Les effets de lumière sont ainsi mieux mis en valeur lorsque le
réalisateur cherche à créer un effet de surprise, de
contraste, sur l'arrivée d'un élément important :
Laputa, l'île flottante du Château dans le ciel par
exemple, paraît ainsi à son apparition, radieuse, avec des tons de
verts clairs et des couleurs vives. Les paysages verts dans Mon Voisin
Totoro laissent alors transparaître la paix et la joie que
ressentent les personnages. Ce choix d'une majorité de couleurs pastel,
voire sombres, est particulièrement vrai lorsque l'on regarde cette
première partie de la filmographie de Miyazaki.
Cette première unité stylistique trouve son
apogée dans Princesse Mononoké : dès
Nausicaä, on voit en effet dans les films une très grande attention
du réalisateur aux détails : détails de couleurs, de
contrastes ; détails dans les paysages ; détails dans
les costumes portés par les personnages, toujours très
recherchés ; détails dans les animaux fantastiques
représentés, leur donnant presque un aspect réel.
Les paysages de Princesse Mononoké
témoignent de l'évolution du graphisme : les forêts
sont représentées de façon magnifique, contrastée.
Les couleurs sont sombres, mais lorsque Miyazaki cherche à mettre en
valeur des rayons de soleil passant dans les feuillages, l'image entière
est baignée de lumière. Miyazaki joue énormément
sur les contrastes : de Nausicaä à Princesse
Mononoké, on retrouve la même alternance entre images sombres
et images claires, lumières contrastées, scènes d'action
rapides et scènes de calme serein (voir images 1 et 2).
1
2
Miyazaki travaille dans le détail : dans
Princesse Mononoké particulièrement, les paysages sont
recherchés, recrées dans un détail minutieux
(rizières, villages) les vêtements historiques sont
élaborés, chaque élément a été
travaillé pour donner un aspect réaliste, historique. Les armes
de l'époque sont également fidèlement
redessinées.
Le style de Miyazaki, dans cette première partie de sa
filmographie, réside principalement dans le foisonnement de
détails dans les paysages : les contrastes d'ombres et de
lumières sont minutieusement recréés, les couleurs de
différents feuillages et troncs d'arbres choisis avec attention, les
couleurs sont extrêmement réalistes.
A partir du Voyage de Chihiro, le graphisme des films
rejoint celui de Princesse Mononoké, mais le style va encore
évoluer. On constate surtout une rupture avec le cycle narratif
précédent : on ne retrouve plus les scènes d'action,
les combats et les mondes proches de la science-fiction ou futuristes que l'on
avait dans Nausicaä ou le Château dans le ciel. La
seconde partie de la filmographie est ainsi moins unifiée, plus
libre : le graphisme de Princesse Mononoké annonce le
style des suivants, bien que celui-ci continue à changer comme nous le
verrons avec Ponyo. Quant aux scénarios, les thèmes
exploités seront différents, ce que nous analyserons dans un
second temps.
Dans Le Voyage de Chihiro, nous retrouvons un style
très détaillé, un graphisme de personnages proche de
Princesse Mononoké ; les couleurs restent dans des tons
pastels, mais le monde dépeint dans Le Voyage de Chihiro est
tout de même très coloré, la lumière y est
vive : on y retrouve des maisons traditionnelles rouges, des ponts rouges,
de la nourriture alléchante aux couleurs très vives ;
l'univers est fantastique, proche du pays des Merveilles et donc totalement
décalé, fou. Cette impression est bien redonnée par les
couleurs et surtout le style de personnages, de créatures
fantastiques.
Le Château ambulant marque une continuité
dans ce graphisme détaillé et foisonnant, mais devient beaucoup
plus vif et coloré, comme l'annonçait Le Voyage de
Chihiro. Mais c'est Ponyo sur la falaise qui crée un grand
contraste avec le style des premiers films : couleurs vives, paysages
chamarrés, abondance de textures et traits fins mais simplistes,
enfantins, avec un dessin réalisé avec des crayonnés et de
l'aquarelle.
Sôsuke dans Ponyo sur la falaise : paysage de
crayonnés et aquarelle, technique très différente des
précédents styles
Elément important à noter, le graphisme de
Ponyo assure un lien entre le graphisme des estampes traditionnelles
japonaises et le manga, notamment grâce aux images de mers
déchaînées, qui ne sont pas sans rappeler « La
Grande vague » d'Hokusai.
12
3
2)b. Images
traditionnelles
Ce retour à des images et un style graphique plus
traditionnel et surtout très spirituel a été
annoncé par petites touches dans les oeuvres précédentes.
Miyazaki a en effet toujours intégré des images spirituelles et
légendaires à ses films, lesquelles sont devenues de plus en plus
présentes.
Dans Mon Voisin Totoro, nous avons une image de Mei,
perdue dans la vallée, assise devant une rangée de statues
bouddhistes, déités protectrices des enfants. Dans Princesse
Mononoké, le Japon représenté est ancien,
traditionnel, et met en scène les légendes japonaises : les
esprits des forêts, la déesse montant à dos de loup, en
réalité une déité du fer au Japon, datant de cette
même époque (vers le 6e siècle) ; dans
le Voyage de Chihiro, la famille voit des autels et des offrandes aux
Dieux au début du film ; Chihiro passe dans un autre univers en
traversant un tunnel menant à un temple shintoïste.
Ainsi la spiritualité et les légendes du Japon
ancien sont des éléments présents dans toute la
filmographie de Miyazaki, devenant de plus en plus importants, jusqu'à
influencer le graphisme de Miyazaki, qui devient alors plus proche des
traditionnelles estampes, comme le prouve le graphisme de Ponyo sur la
falaise.
2)c. Mise en scène
La mise en scène de Miyazaki comporte certaines
caractéristiques. Tout d'abord, notons que l'on retrouve dans chaque
film des éléments du réel, témoins du souhait
d'exactitude du réalisateur, et de son attention aux
détails : ainsi par exemple les avions dans Porco Rosso
sont tous des reproductions d'originaux, de vrais avions de guerre :
même le personnage de l'acteur américain Donald Curtis est
inspiré du vrai Donald Curtis, acteur de cinéma des années
50 et 60.
Mais ce sont les scènes d'action qui font preuve de l'art
du réalisateur : rapides, fluides, prenantes. Cela réside
tout d'abord dans la fluidité de l'animation. En effet, pour rendre les
mouvements rapides et recréer une réelle impression de combat, le
réalisateur supprime le dessin des mouvements
intermédiaires : ainsi lorsqu'un personnage donne un coup
d'épée, on aperçoit surtout le scintillement de l'arme et
le mouvement est presque imperceptible, mais bien recréé.
D'autres éléments sont communs à chaque
film : Miyazaki a en effet intégré certains
éléments de la nature dans chacune de ses oeuvres, bien que
chacune soit différente dans ses thématiques et son style visuel.
Ainsi nous retrouvons à chaque fois l'eau, témoin une fois de
plus de l'importance de la spiritualité dans les films de Miyazaki. En
effet, selon les légendes japonaises, l'eau représente un passage
entre le monde des vivants et des morts ; nous pouvons penser que cette
thématique devient plus importante dans les derniers films de Miyazaki,
peut-être à cause des préoccupations plus accentuées
du réalisateur aujourd'hui, âgé de 70 ans. En effet,
Ponyo est une histoire qui se déroule presque exclusivement
dans la mer.
L'eau est présente sous toutes ses formes : dans
Nausicaä, il s'agit d'un lac acide ; dans Mon Voisin
Totoro, ce sont des lacs ; dans Kiki, la ville est
située en bord de mer ; Porco Rosso se déroule
près de la mer Méditerranée ; dans Princesse
Mononoké nous retrouvons des rivières et cours d'eau dans la
forêt ; enfin Le Voyage de Chihiro et Ponyo se
déroulent près de cours d'eau et dans les océans. Le vent
est aussi un élément omniprésent, que l'on retrouve dans
chacune des oeuvres : vent dans les cheveux des protagonistes, vent sur
les feuillages, vent sur les hautes herbes, etc.
Nous pouvons également constater qu'un point commun entre
chacune des oeuvres est que les histoires se situent dans des lieux
rêvés : futuristes, comme dans Nausicaä, dans
des mondes alternatifs, comme dans le Château dans le ciel ou
Kiki la petite sorcière, dans un passé nostalgique,
comme dans Mon voisin Totoro, ou alors dans une Europe telle que
Miyazaki la rêve, l'idéalise, comme dans Porco Rosso, ou
encore Le Château ambulant.
Miyazaki utilise énormément de plans d'ensemble,
permettant d'avoir une vue globale de l'environnement de ses histoires :
plans d'ensemble sur les villes, ou plus souvent, plans d'ensemble sur des
forêts, des paysages naturels. Miyazaki n'hésite pas à
utiliser des effets de zooms avant et zoom arrière, insistant sur la
présence d'un élément particulier au sein de cet ensemble.
Les zoom avant sont souvent employés dans ses films lors de
scènes d'action, où il prendra aussi le point de vue d'un des
combattants avec l'emploi de gros plans sur la personne opposée,
créant ainsi des effets de surprise pour l'audience et une
véritable mise en situation du spectateur. C'est par exemple le cas dans
Princesse Mononoké, où les scènes d'action
fluides, dynamiques, et mises en scène avec efficacité,
permettent au spectateur de suivre chaque instant du combat avec
intérêt : la caméra n'est jamais fixe lors de ces
scènes. Lors du premier combat entre San et Dame Eboshi en particulier,
Miyazaki a su utiliser divers éléments de mise en scène
afin de ne jamais essouffler l'action : lorsque San apparaît, c'est
avec les yeux d'e l'un des gardes que nous l'apercevons ; la caméra
la suit lors de sa course ; puis elle réapparaît avec des
gros plans et des très gros plans, alternant San et Dame Eboshi lors du
duel.
Miyazaki utilise aussi beaucoup d'inserts, focalisant sur
certains éléments particuliers, et les très gros plans,
pour mettre en valeur des échanges de regard.
Enfin, pour terminer cet aperçu du style de Miyazaki, nous
pouvons évoquer l'importance de la musique utilisée dans les
films, qui tient un rôle important quant à la mise en place d'une
ambiance particulière aux films.
2)d. La musique
La musique est très importante dans l'oeuvre de
Miyazaki : mêlant musique d'action de style occidental, très
« années 80 », typique des anime de l'époque-
ce que nous trouvons dans Nausicaä- et musiques inspirées
des musiques traditionnelles japonaises, la bande son des films apporte
beaucoup à l'atmosphère générale. La musique est
composée par Joe Hisaichi, compositeur au Studio Ghibli depuis les
débuts.
Souvent le thème principal des films est une musique
d'orchestre à cordes, pour recréer l'intensité des
émotions ; c'est un style de musique que l'on trouve surtout
à partir de Princesse Mononoké, dans lequel le
réalisateur et le compositeur ont cherché à provoquer
beaucoup d'émotions dans le public. Dans les premiers films, datant des
années 1980, la musique est assez « enfantine »,
excepté dans le Château dans le ciel, pour lequel le
compositeur s'est inspiré des compositeurs Hermann et Korngold, afin
d'obtenir un résultat plus dramatique.
Les musiques traditionnelles ont aussi une part importante :
dans Mon Voisin Totoro, Joe Hisaichi s'est inspiré de comptines
pour enfants et de chorales, recréant des chansons enfantines,
correspondant parfaitement au style de l'histoire.
Dans Princesse Mononoké, la musique
traditionnelle est également présente, à travers certains
styles de musiques typiquement japonaises, issues du théâtre
Kabuki ; ou encore, dans Le Voyage de Chihiro, des scènes
où l'on trouve des chansons chantées par les protagonistes dans
un style traditionnel.
Il est également intéressant de noter que l'usage
du silence est aussi important, lors des scènes où la simple
observation suffit, sans nul besoin de rajouter de l'émotion
musicale.
Nous allons à présent analyser les
différentes thématiques qu'Hayao Miyazaki exploite dans ses films
relatant divers sujets : son regard sur les avancées technologiques
et les questions de l'environnement, sujet de préoccupations dans la
société contemporaine ; les rapports sociaux ; la
famille ; la violence ; la quête identitaire, concernant tous
les âges et tous les sexes.
3) Les thèmes
3)a.
Importance de la Nature et avancées technologiques
Nous allons aborder la question des différents
thèmes que Miyazaki représente dans ses films. L'un des
thèmes les plus développés dans chacune de ses productions
est celui de la Nature, du respect de l'environnement. A travers des conflits
entre l'Homme et la Nature, Miyazaki met en scène les dangers que
peuvent représenter certaines avancées technologiques,
jusqu'où la notion de « progrès » peut
s'appliquer. Cependant, ses films ne dénoncent pas, et ne dressent pas
non plus un portrait manichéen dans lequel l'Homme détruit la
Nature ; il semble plutôt s'agir d'un constat, d'une
représentation des préoccupations actuelles sur l'environnement,
et des multiples possibilités de notre futur. Comme il le déclara
lui-même dans le magazine Animerica : « Une
oeuvre d'art a toujours reflété d'une façon ou d'une autre
son temps... Nausicaä est issue des nouvelles vues du monde
concernant la Nature, qui datent des années 70. »149(*)
Ainsi Miyazaki semble mettre en scène le conflit
séculaire entre la soif de pouvoir et d'argent de l'humain, au
détriment de la Nature, allant jusqu'à détruire les
forêts au nom du profit et de la croissance économique. Miyazaki a
été marqué par un évènement dans les
années 1970, qui lui a donné l'envie de mettre en avant les
dangers de la pollution, et le pousse à réaliser
Nausicaä de la vallée du vent : il s'agissait de
l'empoisonnement au mercure de la baie de Minamata au Japon.150(*)
Le conflit entre la Nature et les Humains est souvent
représenté mais l'issue est nuancée. Si l'on prend
l'exemple de Princesse Mononoké, on constate que le conflit
entre le village des humains et celui des dieux de la forêt ne
privilégie ni l'un ni l'autre des opposants. La Nature semble remporter
la victoire, mais finalement le village va se reconstruire et être encore
plus fort qu'auparavant. L'atmosphère de fin est celle de paix. La
nature est ainsi au centre des préoccupations de Miyazaki : elle
est mère de toute chose, et toujours vulnérable au pouvoir
destructeur des hommes.
Les préoccupations de notre société depuis
les années 1970 environ, se tournent de plus en plus vers la peur d'un
avenir incertain. De nombreux films dépeignent un avenir apocalyptique,
dû aux progrès de l'Homme, causant, à travers
l'avancée fulgurante des technologies, de plus en plus de pollution et
de déchets dans notre environnement. Miyazaki fut l'un de ces
réalisateurs qui voulurent montrer que progrès technologique ne
présageait pas nécessairement un avenir radieux pour
l'humanité, mais pouvaient au contraire, être précurseurs
de catastrophes naturelles. En effet, nous retrouvons ce sujet dans le
Château dans le ciel, dans lequel nous pouvons lire une mise en
garde contre l'aspect attractif de ces technologies : aujourd'hui, avec
l'abondance des offres (smartphones, ordinateurs, télévisions...)
il est difficile de ne pas succomber à la société de
consommation : et nous ne mesurons pas forcément l'ampleur des
conséquences que ces avancées technologiques pourront avoir sur
notre futur. Que ce soit dans Princesse Mononoké, le
Château dans le ciel ou encore Nausicaä de la vallée
du vent, Miyazaki semble montrer ces possibles conséquences
auxquelles nous ne réfléchissons pas.
3)b. Rapports sociaux :
la représentation des exclus de la société
Miyazaki met en valeur les rapports entre les humains, en mettant
en scène le sentiment d'exclusion que peuvent ressentir certains
humains. On retrouve ainsi les exclus de la société dans ses
oeuvres.
En effet, Dame Eboshi forme une communauté accueillant les
exclus de la société. Ici, l'intolérance sociale est
dénoncée, ainsi que ses injustices envers certains de ses
membres ; Dame Eboshi accueille les anciennes prostituées,
rejetées par la société, mais aussi les
lépreux : elle leur redonne du travail, un but, une utilité
et surtout une place à part entière dans un village, dans un
peuple : elle leur rend une place sociale.
Le personnage d'Ashitaka est également un exemple du
sentiment d'exclusion : le sort dont il est affligé symbolise sa
différence, ce qui le pousse à fuir son village,
s'éloigner des siens. Il trouve une amie en la personne de San, elle
aussi exclue de la société, adoptée par des loups et
vivant parmi les Dieux de la Forêt.
D'autres films exploitent cette thématique de la
différence, de l'exclusion : Kiki dans Kiki la petite
sorcière est la seule sorcière de la ville où elle
doit effectuer son apprentissage : elle est ainsi différente, hors
des groupes conventionnels.
Porco Rosso met également en scène un
homme affligé d'un sort, celui d'être transformé en
cochon : il s'est lui-même exclu de la société, mis en
exil.
3)c. La violence, la
guerre
La violence et les dégâts que celle-ci peut avoir,
non seulement sur les populations, mais aussi sur la Nature, sont un sujet que
Miyazaki exploite. Nous pouvons penser que le réalisateur a ce sujet
à coeur en raison d'une enfance passée dans le Japon
d'après-guerre, après les catastrophes nucléaires. Ce
dernier n'oubliera jamais les horreurs que l'Homme est capable d'engendrer et
à quel point il ne craint pas la destruction totale. Le film
Nausicaä de la vallée du vent montre bien ces
idées. Mettant en scène un monde apocalyptique, où l'Homme
a détruit sa planète et pollué chacune de ses ressources
vitales, Miyazaki met son public en garde contre les méfaits de la
pollution, des progrès qui provoquent cette pollution mais aussi contre
la facilité de la violence. En effet, l'héroïne,
Nausicaä, refuse de répondre à la violence des peuples
voisins qui cherchent à détruire la forêt, jugée
responsable de la destruction de la planète. Sachant que ce sont les
Hommes eux-mêmes qui ont détruit leurs terres, Nausicaä
préfère convaincre qu'entrer dans un conflit violent.
L'histoire met ainsi en scène la difficulté de
rester pacifique dans un monde violent, mais en montre les conséquences
positives. Connaissant les traumatismes qu'a laissés la Seconde guerre
mondiale au Japon, il est aisé de voir le lien à faire entre les
films de Miyazaki et les thèmes qui préoccupent la
société japonaise depuis ces évènements. Une
scène de Nausicaä de la vallée du vent montre clairement une
allusion aux dégâts nucléaires. La scène montre une
explosion en forme de « champignon », rappelant l'explosion
de la bombe atomique. L'un des personnages dit aussi :
« Incroyable, alors voici l'arme qui a détruit la
planète ». Miyazaki fait une allusion directe aux dangereuses
conséquences de l'arme nucléaire. Les paroles d'O-baba, vieille
sage du village, maintiennent cette allusion et étoffent le message
anti-guerre du réalisateur : « L'homme ne peut vivre en
harmonie sur cette planète s'il est esclave d'une arme aussi
puissante ».
Scène extraite de Nausicaä de la vallée du
vent, rappelant les explosions atomiques de 1945 (01 : 43 : 04)
Mais sa vision des personnages violents, des différents
partis lors de conflits, est nuancée. Ainsi, par exemple, les
personnages perçus comme négatifs par rapport à la
question de la Nature dans Princesse Mononoké ne sont pas
forcément des êtres mauvais, d'un point de vue social : Dame
Eboshi par exemple, meneuse du village des forgerons souhaitant détruire
les dieux de la forêt, croit réellement aider son peuple et agir
au mieux. Mais derrière ce souhait, se cache aussi le besoin de pouvoir,
à travers son marché de fer et d'armes, lui rapportant argent et
prospérité, au détriment de la forêt.
La façon qu'a Miyazaki de décrire ses personnages
violents nous permet de comprendre sa vision non-violente de ce qu'est un acte
juste. Ces derniers sont en effet souvent ridicules, belliqueux, sûrs de
leurs idées. Miyazaki nous dresse un portrait des défauts de
l'Humain, qui a trop souvent recours à la violence pour résoudre
chaque problème ; et Miyazaki cherche à montrer que la
violence n'est pas une solution. Dans Nausicaä de la vallée du
vent, l'héroïne refuse le combat ; dans Princesse
Mononoké, les combats laissent chaque parti avec des dommages
irréparables (dame Eboshi a le bras arraché, de nombreux hommes
meurent, le Dieu de la Forêt est tué).
3)d. Le
lien social : représentation de la famille
Outre cette volonté de montrer les rapports entre les
hommes dans un contexte de guerre, dans lequel la violence trouve toujours un
chemin, Miyazaki cherche aussi à montrer d'autres formes de lien social,
où priment l'amour, l'amitié, le lien familial, la
solidarité.
Le lien social est un sujet qui semble fasciner Miyazaki. Les
rapports entre les hommes sont développés de multiples
manières : en temps de guerre, mais aussi entre les hommes et les
femmes, et dans la famille.
En effet, aucun des personnages de Miyazaki n'agit totalement
seul : souvent une « équipe de héros»
est composée d'un homme et d'une femme ; les personnages
« mauvais » ont une autre facette selon leur rôle
social. Par exemple, dans Nausicaä, princesse Kushana est une
femme désobéissant à son père pour confronter le
village de la Vallée du vent ; elle cherche à mener une
guerre ; mais c'est également un personnage important et rassurant
pour son propre peuple, car elle en est la meneuse. Il en va de même pour
le personnage de dame Eboshi : perçue comme une femme cherchant le
conflit, elle est aussi vue comme symbole d'unité et de paix pour son
village.
Les héros sont souvent en équipe homme/femme :
dans Nausicaä de la vallée du vent, Nausicaä est
aidée par le jeune Asbel et la princesse Kushana a un homme de
main, Kurotawa; dans le Château dans le ciel, Sheeta est
accompagnée de Pazu ; dans Kiki la petite sorcière,
Kiki est courtisée par Tombo ; dans Porco Rosso, Porco est
aidé par la jeune Fio ; dans Princesse Mononoké,
San combat avec Ashitaka ; dans Le Voyage de Chihiro, Sen/Chihiro
est accueillie par Haku ; dans le Château ambulant, Sophie
aime Hauru ; enfin, dans Ponyo sur la falaise, le but de Ponyo
est de rejoindre Sôsuke.
En outre, nous retrouvons dans les films de Miyazaki une
description du lien familial. Dans la plupart des films, les héros font
partie d'une famille plus ou moins traditionnelle ; souvent, ils
reconstruisent des liens de substitution. Par exemple, Kiki se recrée
une famille de substitution loin de ses parents ; dans Mon voisin
Totoro, Grand-mère aide les deux petites filles durant l'absence de
leur mère ; dans Le Voyage de Chihiro, Chihiro fait tout
pour délivrer ses parents ; dans Princesse Mononoké
San est adoptée par des loups. Chaque film met en avant l'importance de
la famille, du sentiment d'union.
3)e. La quête
identitaire
Un autre thème important dans la filmographie de Miyazaki
est celui de l'apprentissage et de la quête d'identité. Miyazaki
met en scène des personnages qui se construisent, ou qui se retrouvent.
Dans Le Voyage de Chihiro, Haku retrouve, à la fin du film, son
vrai nom et sa véritable identité, ce qui le libère ;
Chihiro elle-même grandit grâce à son aventure ; la
princesse Mononoké se découvre une nouvelle facette, son
humanité ; Kiki doit apprendre à vivre seule et
découvrir son talent, sa voie ; dans Le château
ambulant, Sophie doit apprendre à avoir confiance en elle.
Dans The Art of Kiki's delivery service Miyazaki
explique qu'en effet, ce thème de la recherche d'identité est une
préoccupation centrale chez les jeunes adolescentes, et une étape
essentielle pour l'épanouissement. Ainsi ce dernier explique que le
pouvoir de Kiki ne la différencie pas d'une jeune fille ordinaire :
ce qu'elle vit s'apparente à l'apprentissage d'une japonaise
contemporaine : « A travers la vie de Kiki se reflètent
les vies de nombreuses jeunes filles japonaises aujourd'hui (...) la faiblesse
de sa détermination et de sa compréhension du monde
reflètent aussi le monde des jeunes d'aujourd'hui. »151(*) Il compare également
cette quête identitaire et la recherche de son talent et sa voie au
parcours d'un jeune dessinateur de manga arrivant à Tokyo, comme
lui-même l'avait vécu : « C'est comme une personne
qui veut être dessinateur et qui arrive à Tokyo (...) l'une des
caractéristiques de la vie moderne est qu'une fois les besoins
matériels du quotidien comblés, la question de
l'épanouissement personnel se pose vraiment. ».
Miyazaki dépeint les relations humaines dans leurs
défauts mais aussi dans ce qu'elles ont de bon, avec pour toile de fond
les problèmes de société et d'actualité qui
préoccupent le monde contemporain. Ces histoires mettant en scène
guerres, bêtise humaine, violence, pollution, soif de pouvoir et mise en
danger de l'environnement, ne masquent pas pour autant l'importance des liens
entre les personnages. Au contraire, sont mis en valeur l'importance de la
famille, du lien entre les humains, l'importance de la fraternité face
à l'adversité.
Nous pouvons ainsi voir que les héros de Miyazaki lui
permettent de mettre en images ses préoccupations concernant des sujets
d'actualité, importants pour comprendre le monde dans lequel nous
vivons. Il est alors intéressant de constater que le réalisateur
choisit très souvent d'avoir pour personnages principaux de ses
histoires, non pas des héros, mais des héroïnes.
C'est ce choix particulier d'héroïnes, fortes,
indépendantes, représentant les idées du
réalisateur et sa vision de la société et du monde, qui
nous permet de penser que le regard de Miyazaki peut être
révélateur d'aspects particuliers de la société
japonaise : en effet, la famille, le rapport fraternel, le lien social,
sont divers thèmes abordés par Miyazaki, qui ont pour objet
central, la femme.
Il est donc intéressant, et il peut être jugé
révélateur, qu'un réalisateur japonais souhaite avoir
comme porte-parole des problèmes d'actualité et de
société, des femmes. Nous pouvons donc penser que Miyazaki porte
un regard favorable sur le rôle social des femmes. Ainsi, le
cinéma de Miyazaki peut être perçu comme
révélateur du rôle de la femme au sein de la
société japonaise ; ou bien peut-être n'est-il qu'une
représentation entièrement formée par ce
réalisateur, et non fondée sur des réalités quant
au rôle social de la femme au Japon ? C'est ce que nous chercherons
à analyser dans notre troisième partie, en observant de plus
près l'image que Miyazaki donne des femmes dans ses films.
Après avoir vu le style visuel et les thèmes
qu'exploite Hayao Miyazaki dans ses films, nous nous intéresserons aux
personnages féminins qu'il met en scène. Nous étudierons
ces personnages et leurs rôles à travers une analyse
cinématographique de leurs différentes caractéristiques
ainsi que leurs rapports avec les personnages masculins.
III/
A/ Analyse des personnages
féminins dans les oeuvres de Miyazaki
Les femmes Miyazakiennes, comme nous pourrions les appeler,
sont des personnages complexes, montrant un panel étendu de
différentes caractéristiques et rôles. Leurs rapports avec
les hommes sont également très intéressants à
analyser, révélant ainsi des rôles dominants, traditionnels
ou encore rebelles. Nous pouvons analyser ces personnages à travers
différentes parties, dans lesquelles nous approfondirons un trait de
caractère particulier.
1) La femme de pouvoir
Dans un premier temps, nous allons observer les femmes de
pouvoir. Celles-ci sont nombreuses dans les films de Miyazaki et offrent des
perspectives d'analyses intéressantes.
1)a. Le rapport de domination
femme/homme
Plusieurs femmes dans les films sont puissantes, des femmes de
pouvoir, dans des positions où elles dirigent les hommes. Elles ont des
qualités traditionnellement vues au Japon comme
« viriles » : courage, force, capacité à
se battre. Celles-ci sont représentées par des personnages tels
que Nausicaä et Princesse Kushana dans Nausicaä de la
vallée du vent, San, Dame Eboshi et les femmes du village des
forgerons dans Princesse Mononoké, Dora dans Le
Château dans le ciel, Gran Mamare dans Ponyo sur la falaise
ou encore Yûbaba, dans le Voyage de Chihiro.
Plusieurs scènes permettent de voir un véritable
renversement des rôles traditionnels : les femmes au lieu
d'être dominées, sont en position de commandement, ou tout
simplement, dans une position de supériorité dans leur couple, ou
avec leurs enfants par exemple.
Nausicaä, héroïne de Nausicaä de la
vallée du vent, fait partie de ces femmes de pouvoir. De nombreuses
scènes la montrent dans ce rapport de domination sur les hommes.
Le personnage de Nausicaä, première
héroïne féminine de la filmographie de Miyazaki, est un
personnage fascinant car on pourrait la voir comme le porte-parole des femmes
de l'époque de la sortie du film, les années 1980. Alors que la
career woman fait son entrée dans le monde du travail, un
personnage féminin porte sur ses épaules un film dont elle est la
véritable héroïne, au milieu d'un monde d'hommes.
Nausicaä est à elle seule le pilier d'une histoire située
dans un monde apocalyptique, violent ; elle est la voix du
réalisateur protestant contre la violence, contre les technologies.
Nausicaä est un personnage intelligent. Elle découvre
seule comment sauver son peuple de la destruction, en étudiant les
plantes de la forêt toxique. Lors d'une scène avec son mentor,
maître Yupa, elle explique qu'elle a trouvé comment rendre aux
plantes leur pureté, et qu'il est inutile de détruire la
forêt. Seule à connaître cette vérité, elle
doit affronter les désirs de destruction de son peuple et des peuples
voisins. Tout son travail durant le film sera d'arriver à convaincre les
autres. Maître Yupa est alors étonné qu'une jeune fille ait
pu penser à prélever des échantillons de plantes, les
analyser, et découvrir un antidote. Preuve qu'il est étonnant
qu'une fille soit capable d'en savoir plus que ses aînés, et
surtout, que les hommes du village, il s'exclame, admiratif :
« Tu as découvert ça toute seule ? »
La première scène où nous découvrons
Nausicaä est celle d'une de ses excursions dans la forêt toxique.
Masquée, habillée comme un homme, nous voyons une jeune fille
athlétique, prélevant des échantillons de plantes pour ses
expériences botaniques. Elle parcourt la forêt avec
agilité, manie l'épée.
Nausicaä prélève des échantillons de
plantes pour en révéler la pureté aux habitants dans
Nausicaä de la vallée du vent (00 : 04 : 40)
Seule dans la forêt, habillée pour l'aviation et
armée lors de ces excursions, dans Nausicaä de la vallée
du vent (00 : 05 : 48)
Nausicaä étant princesse d'une vallée, elle a
les responsabilités qui incombent à sa position, son père
étant malade. Supposée être sous la tutelle de Mito, son
oncle, c'est plutôt elle qui lui donne des ordres. En effet,
Nausicaä, tout au long du film, se révèle capable de diriger
ses hommes comme le ferait le chef d'une armée ; la mise en
scène de Miyazaki permet également de la voir comme
supérieure aux hommes, censés être plus
expérimentés qu'elle. Elle est toujours représentée
en mouvement, active, maniant les armes, sur les lieux d'action. Dans certaines
scènes, elle donne des ordres, faiblement contestés, et se fait
respecter par ses hommes. Elle est également souvent placée en
hauteur dans les plans, ce qui lui donne ainsi une image de
supériorité, de pouvoir. Ce type de mise en scène se
vérifie par exemple lors de la scène de l'arrivée du
vaisseau de Pejite au-dessus du village. Nausicaä est la première
prévenue, avant Maître Yupa- pourtant figure importante du
village- et se lance à la poursuite du vaisseau, seule. Nous la voyons
placée en hauteur sur ce plan, observant le vaisseau et lançant
l'ordre de préparer son planeur.
Nausicaä en première position, crie ses ordres aux
hommes du village, dans Nausicaä de la vallée du vent
(00 : 21 : 51)
L'une des dernières scènes du film montre
également son courage, sa capacité à se servir des armes
et intimider les hommes. Dans cette scène, Nausicaä tient en joue
deux hommes qui l'ont auparavant attaquée, sans succès, elle les
menace de les tuer s'ils interviennent dans sa mission.
Dans la première séquence, les hommes apparaissent
comme totalement soumis et vulnérables devant l'arme de Nausicaä.
Le plan 1, plan moyen, montre, au premier plan, l'arme tenue par la jeune fille
vue de dos, puis au second plan, les deux hommes agenouillés devant
elle.
Le plan 2 montre ensuite la scène sous un autre
angle : les hommes vus de dos au premier plan, et en arrière-plan,
Nausicaä en hauteur. Nous découvrons que cette arme est tenue par
Nausicaä. Cette mise en scène permet de montrer le pouvoir de
Nausicaä à cet instant précis, les deux hommes se trouvant
en bas du champ.
Nausicaä peut avoir ce rôle de chef car elle est
révérée par ses sujets. Lors d'une scène où
l'une des villageoises présente son bébé à
Maître Yupa, celle-ci dit : « Puisse-t-elle avoir autant
de force et de courage que notre princesse ».
(01 : 41 : 01) Nausicaä menace deux ennemis ; sa position,
en haut du cadre, montre sa position de supériorité et son
pouvoir sur les deux hommes forcés de se rendre, dans Nausicaä
de la vallée du vent
Un autre personnage de pouvoir, avec une capacité de
domination sur les hommes, est Princesse Kushana, une rivale de taille pour
Nausicaä. Elle est rousse, comme l'est Nausicaä ;
athlétique également et à la tête d'une
armée ; donc habile avec les armes et douée pour le
commandement.
Il s'agit d'un personnage très puissant et d'une grande
ténacité. Mutilée par les insectes de la forêt, elle
leur voue une grande haine et assouvit son désir de vengeance en
prétextant sauver la planète, avec la destruction de la
forêt et des insectes. Sans pitié, ce n'est pas un personnage
difficile à cerner puisqu'elle dévoile très vite son
tempérament meurtrier, ses idées destructrices, et son manque de
gratitude. En effet, après avoir été sauvée par
Nausicaä, pourtant son ennemie, alors que son vaisseau partait en flammes,
elle profite d'un instant de distraction de cette dernière pour la
menacer de son arme.
Contrairement au personnage de Dame Eboshi, version plus complexe
de ce type de personnage, Princesse Kushana n'a pas vraiment de facette plus
positive ou complexe.
A l'instar de Nausicaä, la mise en scène montre
Kushana comme un personnage puissant, puisque souvent placée en hauteur
dans les cadres. Le plan en contre-plongée, la montrant en position de
toute puissance, tout en haut du cadre, la positionne bien au-dessus de son
général, Kurotawa. Le canon au-dessus duquel elle se tient
symbolise également sa soif de destruction, sa volonté d'entrer
en conflit. Elle est également montrée sous des angles donnant
une impression encore plus négative sur son personnage : par
exemple, l'une des scènes la montre en position à demi
allongée, comme sur un trône, dans une pièce de couleur
rouge. La couleur rouge met en valeur sa soif de sang, sa violence, sa
négativité. L'allusion au trône, avec sa position et la
place des « sujets », lui faisant face, dos à nous,
montrant à la caméra uniquement le visage de Kushana,
suggère un personnage avide, sans pitié, avec une grande soif de
puissance.
Vue en contre-plongée de Princesse Kushana, montrant sa
puissance, Nausicaä de la vallée du vent
(00 : 34 : 08)
Dans cette scène, Princesse Kushana semble assise sur un
trône, face à ses sujets, dans Nausicaä de la
vallée du vent (00 : 38 : 04)
Princesse Kushana est montrée comme une femme dure. Lors
d'une scène où elle interroge de vieux villageois de la
Vallée du vent, la mise en scène suggère une grande
vulnérabilité chez eux ; Kushana au contraire, est
placée au-dessus d'eux, dos à la caméra, maîtresse
de cette vue plongeante sur les hommes.
(01 : 29 : 25)
Kushana regarde de haut les vieux villageois, captifs soumis
à sa puissance dans Nausicaä de la vallée du
vent
Le rôle de femme de pouvoir « ennemie »
de l'héros/héroïne semble avoir été repris
dans Princesse Mononoké. Les films Nausicaä de la
vallée du vent et Princesse Mononoké suivent en
effet tous deux un scénario similaire : une héroïne
forte face à une femme puissante, son ennemie. Dame Eboshi, que nous
savons être notre anti-héroïne désignée dans
Princesse Mononoké, est cependant difficile à
détester totalement et à ranger dans la catégorie des
« méchantes ». C'est un personnage plus complexe que
celui de Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent. Elle
force l'admiration par sa beauté, son élégance, sa force,
son pouvoir, sa témérité ; mais aussi par son
côté humain, social. En effet, s'occupant des lépreux, ou
en réintégrant des anciennes prostituées dans la
société, elle rend à ceux-ci une utilité, une place
dans la société. En leur rendant une raison de vivre et une
identité, Dame Eboshi inspire le respect de valeurs positives et
humaines. Mais il s'agit également d'une femme très puissante,
dégageant d'ailleurs cette impression par son physique, mais aussi son
comportement. Ses habits paraissent précieux, élégants,
nobles. Elle inspire l'idée de richesse, de pouvoir. Mais son pouvoir se
voit également par la position qu'elle occupe au sein du village des
forgerons, village qu'elle a crée. De nombreuses scènes rendent
compte de sa puissance, et surtout de sa domination sur les hommes du village.
La première vision que nous avons de Dame Eboshi est celle
d'une femme froide, voire cruelle. On voit dès sa première
apparition dans le film qu'il s'agit d'une femme de pouvoir. La première
scène où nous la voyons est celle des coups de feu entre les
hommes du village des forgerons et les Dieux loups de la forêt. Celle-ci
mène sa troupe à travers un sentier à pic avec Gonzo, son
second. Dans le premier plan de cette scène, nous avons une vue
générale sur le sentier et les hommes accompagnés de
boeufs, portant du riz. La pluie tombe fortement, rendant la scène
sombre. Un homme et une femme se tiennent debout, sans bouger, du
côté droit du sentier. Ils surveillent manifestement la troupe.
Dans le second plan, le plan américain sur ces deux
personnages nous montre au premier plan, un homme à l'aspect bourru. Il
semble être là en tant que bras droit, portant les lourdes armes
sous la pluie, plutôt qu'en chef. En effet, il ne dit pas un mot, c'est
la femme se trouvant au second plan qui donne un ordre : « Plus
tôt nous ramenons ce riz, plus tôt nous aurons mangé,
bougez ! ». Cette femme qui est, nous l'apprenons par la suite,
Dame Eboshi, est le chef de ce convoi. Elle est très calme, donne les
ordres d'un air détaché.
Dans le troisième plan, une alerte s'est fait entendre,
annonçant l'arrivée des Dieux loups. Dame Eboshi et Gonzo, son
bras droit, se tournent en direction de la menace. Sur ce plan, il est
intéressant de noter que la position de Dame Eboshi indique clairement
son statut de supériorité par rapport à l'homme qui
l'accompagne. Cette position en hauteur dans le plan n'est pas sans rappeler
les plans montrant Princesse Kushana et Kurotawa.
Dame Eboshi, tout au long de cette scène, est clairement
en contrôle de la situation, d'un grand sang-froid. Alors que ses hommes
paniquent lorsque les loups approchent, celle-ci dit, d'un air calme :
« ne laissez pas les boeufs paniquer. Restez calmes. Gardez vos
positions. ». Elle donne ensuite l'ordre de tirer. Il devient alors
très clair qu'il s'agit d'une guerre entre les humains et les esprits de
la forêt, et que Dame Eboshi souhaite tuer : en effet, c'est elle
qui tire la première- avant ses hommes- sur Moro, la déesse
louve.
A la fin de la scène, ayant réussi à faire
fuir les loups et Moro, Dame Eboshi donne l'ordre de repartir. Des hommes ayant
été précipités du haut de la falaise par Moro,
Gonzo demande : « Mais que faisons-nous des hommes qu'elle a
poussés dans le précipice ? » Dame Eboshi
répond alors : « Ils sont morts. Ramenons ceux qui vivent
à la maison. » Cette réponse montre le pragmatisme, le
détachement de Dame Eboshi et sa capacité à rester en
contrôle de la situation. Tout au long du film, Dame Eboshi montre un
caractère très serein, très distant et froid.
00 : 19 : 14
00 : 19 : 17
00 : 20 : 17 images extraites de Princesse
Mononoké
Des personnages importants pour étudier le rapport de
domination sur les hommes sont les femmes du village des forgerons. Ce sont des
femmes mariées, mais nous n'apercevons pas d'enfants dans le film, nous
déduisons ainsi que ces femmes ne sont pas encore mères. Bien
qu'elles soient mariées, au sein de ce village, elles disposent d'un
certain pouvoir face aux hommes. Chacun tient un rôle bien défini,
mais les femmes sont plus proches de la maîtresse du village, Dame
Eboshi. Les femmes, toutes des anciennes prostituées que Dame Eboshi a
racheté pour leur donner une vie meilleure et une utilité dans
une société différente, ont un rôle clé dans
le fonctionnement du commerce du village. Elles fabriquent le fer, qui est
ensuite vendu par les hommes qui ramènent du riz.
Dans le village, les hommes mangent séparément des
femmes : en effet, nous remarquons cela lors d'une scène où
Ashitaka, après avoir ramené au village les survivants
jetés du haut de la falaise par la Déesse Louve Moro, est
invité à manger et passer la nuit. Les hommes mangent ensemble,
les femmes viennent à la porte, en groupe. Nous réalisons alors
qu'en dépit de cette séparation, les femmes sont loin
d'être soumises à leurs maris : elles les moquent, appellent
Ashitaka pour qu'il vienne les voir travailler,
« flirtent » librement et ouvertement avec lui. Quand les
hommes tentent de les renvoyer, elles leur répondent en leur faisant
remarquer qu'ils mangent grâce à elles, grâce au fer
qu'elles produisent. En groupe, ces femmes sont bruyantes, rieuses, moqueuses,
forment un clan fort face aux hommes.
Lorsque Gonzo, le général et bras droit de Dame
Eboshi tente de rassurer les femmes inquiètes de laisser leur
maîtresse partir se battre seule contre les Dieux de la Forêt, en
leur disant : « Ne vous inquiétez pas, je
protégerai Dame Eboshi », l'une d'entre elles lui
répond : « C'est bien ce qui nous inquiète !
Même si tu étais une femme, tu serais toujours un
idiot ! ». Cette remarque montre bien que les femmes moquent
leurs hommes, disposent d'une grande liberté à leur
égard ; c'est un village résolument féministe,
où la domination sur les hommes est assez flagrante.
L'une des scènes montre bien ce rapport de domination sur
les hommes, et l'égalité qui existe cependant entre les femmes,
même avec Dame Eboshi, maîtresse du village : il s'agit de la
scène du retour des hommes abandonnés lors de la confrontation
avec les Dieux-loups au bord de la falaise. Ces derniers ont été
ramenés sains et saufs au village par Ashitaka. L'un d'entre eux,
Kokuru, est accueilli par sa femme, Toki. Les plans de cette scène
démontrent, entre autres choses, un rapport très clair de
dominant/dominé en faveur de sa femme.
Dans le premier plan de cette scène, Koruku a
été ramené vivant de la rencontre entre Dame Eboshi et ses
hommes et Moro. Toki, sa femme, accourt pour le voir. Mais en arrivant devant
lui, elle s'arrête et comme nous le voyons sur cette image, lui crie
après : « A quoi vas-tu servir maintenant que tu es
blessé ! ».
00 : 31 : 22
00 : 31 : 34
Dans le second plan, un plan rapproché de Toki la montre
de face. Elle dit à son mari : « J'étais morte de
peur ! J'aurais préféré que les loups te
mangent ! Alors j'aurais pu me trouver un vrai mari ! » Les
hommes autour hésitent entre la peur et le rire.
Dans le troisième plan, nous voyons Koruku en prise de vue
en plongée, face à sa femme,
« écrasé » par celle-ci et ses reproches.
Totalement impuissant devant ses reproches, il est ridiculisé devant ses
pairs, qui rient autour de lui.
00 : 31 : 38
00 : 31 : 50
Toki ne se contente pas de crier après son mari. Elle s'en
prend également à Gonzo, le bras droit de Dame Eboshi, qui aurait
dû ramener son mari sain et sauf, dans ce quatrième plan. Elle lui
reproche d'être un paresseux, de n'avoir rien fait. Ces reproches sont
relativement osés, étant donné que Gonzo est l'un des
chefs du village ; mais la femme ne semble pas impressionnée par
lui. Au contraire, Gonzo semble plus interloqué par ces critiques. En
effet, il réagit comme un petit garçon face à sa
mère : « C'est pas juste... et c'est
faux ! » Il ne réagit pas comme une personne de pouvoir
face à un inférieur, il semblerait qu'il réagisse plus
comme un enfant.
Le village semble fonctionner comme une société
matriarcale, où les femmes ont le pouvoir et traitent les hommes comme
des enfants, s'occupent d'eux. Elles prennent les véritables
responsabilités. De plus, Toki ne le laisse pas finir sa phrase et se
détourne vite de lui pour remercier Ashitaka.
L'intervention de Dame Eboshi dans le cinquième plan est
symbolique et très révélatrice de la position de pouvoir
de cette dernière. Dans ce plan général montrant les
villageois, l'escalier et Dame Eboshi située à leur sommet,
l'angle de prise de vue est très symbolique : en
contre-plongée, Dame Eboshi semble très puissante, grandie par
cet angle. Elle s'adresse tout d'abord à Gonzo : « Gonzo,
amènes-moi l'étranger plus tard ». Puis elle s'adresse
à Koruku : « Je suis contente de ton retour, et je suis
désolée. »
00 : 32 : 15
00 : 32 : 22
Dans le plan suivant, nous avons un angle de prise vue en
plongée très marqué. Koruku est impressionné par
Dame Eboshi ; les hommes autour de lui le sont également, ils ne
rient plus. Tous se taisent lorsque celle-ci parle. Koruku est même
hésitant et bégaie lorsque Dame Eboshi lui présente ses
excuses. Les hommes semblent très intimidés par cette femme.
Dans le plan précédent, nous avons vu que les
hommes sont vus en plongée et donc montrés comme faibles par
rapport à Dame Eboshi, impressionnés et silencieux. Ce dernier
plan montre qu'au contraire, les femmes sont à un pied égal avec
Dame Eboshi. Ici, Toki s'adresse avec familiarité à Dame Eboshi,
en lui conseillant de ne pas s'excuser auprès de Koruku. Elle plaisante
avec elle. Nous voyons que cette aisance et cette familiarité sont
justifiées car Dame Eboshi les voit comme des égales,
contrairement aux hommes, qui lui sont plus soumis. En effet, cet angle montre
Dame Eboshi en plan américain, sans effet de contre-plongée comme
il était le cas pour sa discussion avec les hommes.
00 : 32 : 31
Cette scène et sa mise en scène
révèlent le fonctionnement du village et les rapports entre les
hommes et les femmes y habitant : les femmes dans une position de
liberté et de contrôle sur les hommes ; les hommes
réduits à l'état de garçonnets face à elles.
Les femmes sont égales entre elles mais aussi avec leur
supérieure, Dame Eboshi ; elles n'ont pas de rapport de domination
entre femmes.
Nous rencontrons également d'autres femmes exerçant
le rapport de domination sur leurs conjoints comme celui de Toki sur
Koruku : l'une d'elles est Gran Mamare. Gran Mamare, dans Ponyo sur la
falaise, mère de Ponyo et ses petites soeurs, est une déesse
de la mer de grande puissance. Gran Mamare est très grande, aux cheveux
roux flamboyants ondulant comme des vagues, indiquant son appartenance au
royaume de la mer. Son pouvoir lui permettra d'exaucer le rêve de sa
fille Ponyo, en la rendant humaine. Gran Mamare est souvent
représentée sous sa forme la plus grande, de plusieurs
mètres de haut. Ainsi les angles de vue qui la montrent sous souvent en
contre-plongée, représentant sa puissance, sa grandeur. Les
couleurs mauves, blanches et rouges qui la caractérisent, par la couleur
de ses cheveux, bijoux et vêtements, sont des symboles de chaleur et de
pureté. Le message transmis est donc que Gran Mamare utilise sa
puissance à des fins justes, dans le but de protéger les marins
par exemple (il s'agit du pouvoir que les humains lui attribuent). Elle sert
également de médiateur entre Ponyo et son père, Fujimoto,
qui refuse de laisser sa fille partir. Finalement, la décision
appartiendra à Ponyo et à Gran Mamare seulement, laquelle aura
réussi à convaincre Fujimoto d'accorder sa liberté
à leur fille.
Lorsque nous la voyons s'adresser à son mari, Fujimoto,
les angles de prises de vues la montrent dans le rôle dominant :
dans l'une des scènes où elle parle avec lui de l'avenir de leur
fille, elle plus grande que son bateau, elle l'enveloppe, comme si elle
l'envoûtait.
1 : 07 : 26
1 : 07 : 28
1 : 07 : 36
1 : 07 : 50
1 : 08 : 30 images extraites de Ponyo sur la falaise
Dans ces plans, nous voyons Fujimoto tout d'abord accroupi devant
sa femme, penché vers elle. Sa position ressemble à une position
de supplication, ou une prière : ses mains sont jointes, montrant
qu'il révère sa femme. Il est incliné devant elle.
Sur le second plan, nous voyons Gran Mamare dans un plan
général, mettant en valeur sa grandeur par rapport à
Fujimoto. Le troisième plan procède de la même
façon, mais montre cette fois Fujimoto de face, de la façon dont
sa femme le voit, c'est-à-dire très petit. Il paraît
presque insignifiant devant elle.
Le quatrième plan suggère la même
chose : nous voyons Fujimoto en plan rapproché, s'adressant
à sa femme. Son expression montre qu'il est honteux ; la position
de sa tête, enfouie dans ses épaules, traduit un sentiment de
vulnérabilité, de soumission.
Enfin, le cinquième plan utilise une symbolique assez
forte : sa femme le prend entièrement dans le creux de sa main.
Gran Mamare use de ce geste afin de calmer son mari, ce qui l'aidera finalement
à le persuader qu'elle a raison, et empêchera ce dernier de
paniquer. Elle le tient au sens propre, comme au figuré, sous son
emprise. Diverses expressions utilisent une métaphore similaire, pour
exprimer cette même idée : « manger dans la main de
quelqu'un » en français, ou encore, l'expression anglaise,
très proche de cette image, « to have one wrapped around
one's finger » (tenir quelqu'un enroulé autour de son doigt).
Cependant, notons tout de même qu'ici, le geste est également
affectueux, sans méchanceté, mais révèle un certain
pouvoir de manipulation de la part de Gran Mamare.
Les femmes magiciennes et les sorcières sont des
personnages importants dans la filmographie de Miyazaki. Les hommes qui ont des
pouvoirs sont plus rares : Fujimoto, dans Ponyo sur la falaise,
ou Hauru dans le Château ambulant, en sont les rares exemples.
Nous trouvons encore d'autres femmes de pouvoir et surtout, ayant
des pouvoirs magiques leur permettant de régner en maîtres dans
leur monde : Suliman et la sorcière des Landes dans Le
château ambulant, ainsi que Yûbaba et sa soeur Zeniba, dans
Le Voyage de Chihiro.
Suliman et Yûbaba sont toutes deux des femmes très
puissantes, avec de grands pouvoirs. Ces pouvoirs leur donnent la
capacité de régner en reines sur des royaumes : Suliman est
sorcière pour le prince du royaume imaginaire dans Le Château
ambulant, et dispose des pleins pouvoirs. Recrutant les magiciens du
royaume pour l'état de guerre, elle décide de leur sort. C'est
aussi une personne très sage et clairvoyante, qui souhaite que justice
soit faite. Les sorts qu'elle retire ou crée sont toujours régis
par son sens de la justice. C'est elle qui retire à la sorcière
des landes, sorcière pourtant très puissante, tous ses pouvoirs
et lui redonne son véritable âge : cette dernière sera
transformée en vieille femme inoffensive. Mais elle est capable de se
montrer cruelle, poursuivant Hauru sans relâche pour qu'il lui rende
service en temps de guerre, ou bien en plongeant son pays dans un état
de siège à durée indéterminée. Elle semble
avoir perdu son humanité, et sa pleine puissance lui fait perdre contact
avec les gens plus vulnérables.
Yûbaba est également une femme qui semble loin des
réalités et qui manque de compassion. Yûbaba est une
sorcière cruelle : si on lui manque de respect -les limites
étant très vite franchies- elle utilise ses pouvoirs pour
transformer les malheureux. C'est ainsi que de nombreuses personnes se
retrouvent changées en boules de suie, ou en porcs, comme les parents de
Chihiro au début du film. Les premières images que nous voyons
d'elle dépeignent un personnage cruel, puissant.
En effet, le premier plan montrant Yûbaba est un gros plan
sur sa bouche, par laquelle elle ordonne d'une voix effrayante à Chihiro
de rentrer dans l'immense hall au bout duquel son bureau est dissimulé.
Sa bouche énorme montre des lèvres ridées, un nez immense
et pointu plissé également. La voix est rauque, forte.
image extraite du Voyage de Chihiro (00 : 35 : 14)
Le second gros plan montre la main de Yûbaba. Cette
dernière nous informe bien sur le type de personnage qu'est cette
sorcière. Les ongles vernis, les gros bijoux précieux et
brillants, montrent une personne attachée aux apparences, mais qui
souhaite surtout que sa puissance et sa richesse soient vues de tous. Il s'agit
probablement d'une façon d'assurer que personne n'oublie qu'elle
décide du sort de chacun, qu'elle a tous les droits.
Le Voyage de Chihiro (00 : 35 : 20)
Nous voyons ensuite le visage entier de Yûbaba,
écrivant à son bureau. Elle paraît très calme,
très froide. Lorsque Chihiro lui réclame un travail, elle
l'empêche de parler, avec l'un de ses tours, toujours très
calmement, avec malice.
Le Voyage de Chihiro (00 : 35 : 49)
L'angle de prise de vue du plan suivant permet de voir la
différence de taille entre Yûbaba et Chihiro. La tête de la
sorcière paraît énorme par rapport à la petite
fille. Loin d'elle, au fond de la pièce, Chihiro, en
arrière-plan, est rendue minuscule. Sa taille dans le cadre symbolise
son impuissance face à la sorcière.
Le Voyage de Chihiro (00 : 36 : 04)
Les plans suivants de cette même scène, montrent que
Yûbaba est un personnage laid, effrayant. Ses mains ressemblent à
des pattes d'araignée, ses yeux et sa tête sont
disproportionnés. L'effet voulu est de dégoûter le public,
de la montrer sous un jour monstrueux, inhumain.
Images extraites du Voyage de Chihiro, de gauche
à droite :
(00 : 36 : 59) (00 : 37 : 09)
(00 : 37 : 45) (00 : 38 : 07)
Nous pouvons ensuite analyser le personnage de Dora, une autre
femme de pouvoir et surtout, qui exerce une réelle domination sur les
hommes. Dora est un personnage du Château dans le ciel, femme
pirate dirigeant son propre clan, le clan Dora. Il est révélateur
de sa position de supériorité et de chef, que son clan soit
nommé après elle. Dora est un personnage important dans
l'histoire car elle se lance, avec ses fils, à la recherche de Sheeta,
la jeune héroïne. C'est aussi le premier personnage que nous
voyons : en gros plan, en contre-plongée, elle paraît
effrayante. Cette mise en scène et le fait qu'elle soit le premier
personnage qui apparaît à l'écran montre qu'il s'agit d'un
personnage de pouvoir. Cela se vérifiera par la suite, car nous verrons
qu'effectivement, ses fils lui obéissent en tout et agissent comme des
enfants face à elle. En effet, Dora dirige leurs actions ; ses fils
étant vraiment idiots, elle ne manque pas de le leur rappeler à
la moindre occasion : « espèce de crétin
dégénéré »,
« imbécile », « la ferme,
crétin », etc. Elle marque son autorité en les
insultant, ou en leur donnant des ordres pour effectuer des tâches,
auxquelles elle ne participe pas. Par exemple, lorsqu'elle leur demande de
jeter des wagons dans la vallée (scène de fuite de Sheeta et Pazu
poursuivis par les pirates), elle donne le rythme, mais n'aide pas, les
regardant travailler. Son personnage évolue : elle devient peu
à peu attachante, une tante pour Sheeta et Pazu qui finiront par
l'appeler « tantine ». Dora est une vraie
féministe : lors de scènes d'action, où elle tire sur
les agents du gouvernement, nous l'entendons dire : « vous allez
voir ce que c'est qu'une femme ! », ou encore « C'est
à pleurer ce qu'on est capable de faire pour sauver son
homme », signifiant que les rôles de sauveur/sauvée sont
ici inversés. Dora est loin du cliché de la ryosai kembo.
Insoumise aux hommes, elle n'est pas l'esclave de ses fils, il s'agit
plutôt du contraire. Mais en un sens, quand nous observons son
comportement avec ses fils (dirigiste, autoritaire), Dora correspond à
un certain aspect des mères japonaises, se mêlant des vies
personnelles de leurs fils, étouffantes. Mais Dora en est une version
beaucoup plus féministe, autoritaire, active, loin des sphères
traditionnellement féminines.
(00 : 00 : 33) Dora dans Le Château dans le
ciel
Nous allons en effet aborder cette question de
l'éloignement de ces femmes de pouvoir des sphères
féminines traditionnelles, en nous intéressant à
présent aux guerrières, qui sont nombreuses dans la filmographie
de Miyazaki.
1)b. Femmes dans la
sphère masculine : les guerrières
Plusieurs femmes sont hors de la sphère féminine,
hormis Dora : dans Porco Rosso, Fio Piccolo travaille dans un
garage d'avions, travail manuel souvent réservé aux hommes. Mais
celles qui sont le plus éloignées de cette sphère
traditionnelle des femmes en intérieur, ou travaillant dans des milieux
réservés aux femmes, sont les guerrières. Ces
dernières sont à l'extrême opposé des ryosai
kembo. Comme Dora, qui dirige un clan de pirates et donc utilise les
armes, les guerrières les plus impressionnantes sont Nausicaä,
Kushana, Dame Eboshi et San.
Nausicaä et Kushana sont deux princesses défendant
leurs idées respectives et opposées. Toutes deux portent les
armes, savent s'en servir et n'hésitent pas à les utiliser.
Lorsque Nausicaä découvre que son père a été
tué, elle tue à son tour les hommes responsables. La haine
s'empare d'elle. Kushana, quant à elle, utilise la violence sans les
mêmes motivations que Nausicaä : elle porte une haine
profondément ancrée en elle, et n'a pas d'état
d'âme, tandis que Nausicaä avait agi sous l'impulsivité.
Nausicaä tue les assassins de son père, seule contre
plusieurs hommes, dans Nausicaä de la vallée du vent
(00 : 31 : 42 et 00 : 31 : 53)
Kushana porte constamment une armure, c'est une véritable
guerrière qui ne vit que pour se venger.
Kushana menace Nausicaä, dans Nausicaä de la vallée du
vent (00 : 51 : 23)
Cependant, les guerrières qui offrent la
démonstration la plus spectaculaire de leurs capacités sont San
et Dame Eboshi. Ces dernières se livrent en un véritable duel au
sein du village, devant la foule des habitants admiratifs. La rapidité
du combat, sa violence et la maîtrise des armes dont font preuve les deux
femmes montrent que Miyazaki a souhaité prouver que les femmes
étaient capables de se battre comme des hommes, peut-être
même mieux. Cette impression est donnée notamment lorsque San
marche sur le visage de Gonzo, le surpassant lors de son attaque, souhaitant se
diriger au plus vite vers sa vraie ennemie, Dame Eboshi.
Ces plans montrent un duel acharné entre les deux femmes.
Le premier plan montre San en costume de guerre, avec sa fourrure et son
masque, afin de ne pas avoir le visage découvert. Les couleurs du masque
rappellent les peintures de guerre (rouge, ocre).
Dans le second plan, elle s'apprête à sauter ;
nous la voyons accourir vers la caméra, en contre-plongée, ce qui
montre qu'elle sera une combattante redoutable et rapide. L'action de
déroule ensuite très rapidement, en l'espace de quelques
secondes.
Dans le troisième et quatrième plan, nous voyons
Dame Eboshi accompagnée de deux femmes, tirer sur San. Remarquons que
les tireuses sont à nouveau des femmes.
Tombée à terre, San se relève, attaquant
Ashitaka dans le cinquième plan, puis sautant jusqu'à Dame Eboshi
en utilisant le nez de Gonzo comme tremplin dans le sixième plan.
Plans 7 à 10 : Eboshi et San s'affrontent.
Dans le onzième plan, nous voyons que la foule s'est
amassée en cercle autour des deux combattantes, les acclamant. Les
hommes regardent ce spectacle et encouragent leur maîtresse, Dame
Eboshi.
Dans le douzième plan, Ashitaka s'est interposé
entre les deux femmes. Il croise ici le fer avec Dame Eboshi, qui n'a
visiblement pas peur de lui, et persiste à vouloir se battre.
Cela prouve que ces guerrières ne redoutent pas les hommes
comme adversaires.
Une dernière image de Dame Eboshi montre sa qualité
de guerrière : au milieu de ses guerriers anonymes car
masqués, elle se détache comme étant la meneuse :
plus grande, par sa taille, elle surplombe la troupe. Point important à
noter : ses habits se détachent également du reste des
guerriers, étant de couleurs bleue et rouge, tranchant avec le blanc et
orange des guerriers. Cela montre qu'il s'agit d'un personnage unique parmi une
foule d'anonymes.
Dame Eboshi mène ses guerriers dans Princesse
Mononoké, (00 : 35 : 42)
2) Les femmes comme porte-parole de
messages : capacité des femmes à communiquer avec un autre
monde
Miyazaki, comme nous l'avons vu dans notre deuxième partie
présentant les thématiques de ses films, cherche à
véhiculer des messages particuliers. Le plus présent dans ses
oeuvres est celui d'une harmonie avec la Nature. Il est intéressant de
constater que dans ses oeuvres, ce sont les femmes qui sont les porte-paroles
les plus puissants pour ces messages. Les personnages féminins de
Miyazaki sont proches de la Nature, mais surtout, ouvertes à la
spiritualité, faisant d'elles des liens entre les croyances divines et
la réalité des hommes. Les femmes de Miyazaki sont des guides,
des messagères. En effet, Nausicaä devient par exemple, un guide
spirituel pour son peuple, proche de la divinité ; elle devient
« l'Etre vêtu de bleu », sauveur de son peuple.
Comme nous l'avons vu précédemment, rares sont les
hommes ayant des pouvoirs surnaturels. Les femmes, quand à elles, sont
bien plus nombreuses à avoir des pouvoirs ou tout du moins une certaines
proximité avec le Spirituel. Les magiciennes et sorcières sont
nombreuses, telles que Yûbaba et Zeniba dans Le Voyage de
Chihiro, Gran Mamare et Ponyo, qui a également des pouvoirs
magiques, dans Ponyo sur la falaise, Suliman et la sorcière des
Landes dans Le Château ambulant. Mais des personnages tels
qu'O-Baba et Nausicaä dans Nausicaä de la vallée du
vent, Hii-Sama dans Princesse Mononoké, mais aussi Chihiro
dans le Voyage de Chihiro, si elles ne sont pas magiciennes, sont
étroitement liées à l'idée de Spiritualité,
de Divinité.
Les femmes que dépeint Miyazaki sont des femmes fortes et
insoumises. Princesse Mononoké est un parfait exemple de la
présence et l'importance de la spiritualité, les légendes
japonaises y étant les plus vivantes. Par ailleurs, son
héroïne, San, est la Princesse Mononoké, celle qui
communique avec les esprits. Elle est la déesse des esprits de la
forêt. Nous ne rencontrons le personnage de San que' après ....
Min de film, mais il n'est pas anodin qu'en dépit d'un rôle moins
important -du point de vue quantitatif- que le héros masculin, Ashitaka,
elle ait donné son nom au film, Princesse Mononoké.
San est entre l'humanité et la divinité. La
première scène où nous la voyons permet de voir qu'il
s'agit d'un personnage empreint de mystère, semblant appartenir à
un autre monde.
La première scène où nous rencontrons San se
déroule dans la forêt. Nous la rencontrons avec les yeux
d'Ashitaka, qui observe la scène caché derrière des
feuillages. Cette scène est importante pour comprendre ce personnage car
San y apparait comme une personne mystérieuse. Nous y découvrons
sa spiritualité, son caractère plus proche des animaux et des
esprits que des humains. Elle a peu d'humanité en elle, se
révèle belle, sauvage, inapprochable. Elle prend alors pour
Ashitaka la place d'un idéal, d'un personnage mystérieux qu'il va
tenter d'approcher et de comprendre.
00 : 22 : 07
00 : 22 : 16
00 : 22 : 24
00 : 22 : 27
00 : 22 : 47
00 : 22 : 49
00 : 22 : 52
00 : 22 : 57
00 : 23 : 01 images extraites de Princesse
Mononoké
Dans le premier plan, nous voyons Moro allongée au centre
de l'image, l'arrivée des loups et de la princesse Mononoké par
la droite. Nous observons ce plan d'ensemble à travers les yeux
d'Ashitaka.
Dans le second plan, nous voyons San/ Princesse Mononoké
en plan moyen et distinguons enfin ses traits tandis qu'elle s'approche de Moro
pour la soigner en suçant son sang et le recrachant.
Dans le troisième plan, celle-ci se retourne brusquement.
Cette impression de vitesse est amplifiée par le plan moyen devenant
soudain un gros plan sur son visage, tourné vers nous/ Ashitaka. Son
visage est couvert du sang de Moro, son regard farouche, méfiant.
Le quatrième plan montre un gros plan sur Ashitaka :
celui-ci se rend compte qu'il a été vu. La caméra le suit
avec une vue panoramique, sautant sur le rocher au-dessus de sa cachette. Dans
le cinquième plan, la caméra est placée derrière
Ashitaka, que nous voyons alors de dos, s'adressant à San. Ce sont les
premières paroles que nous entendons dans cette scène. Il se
présente et lui demande s'il se trouve dans la forêt des Dieux, et
s'il se trouve en leur présence. Il n'obtient pas de réponse.
Le sixième plan accentue ce silence, avec un gros plan sur
San le fixant en silence. Cela accentue son mystère. Le plan suivant
monter à nouveau Ashitaka en gros plan. Cette mise en scène,
alternant leurs visages respectifs, montre l'échange de regards
silencieux et le mystère qui s'installe entre les deux personnages.
L'avant dernier plan montre à nouveau une vue d'ensemble,
comme au premier plan ; les loups partent un à un et San monte sur
l'un d'eux. Dans le dernier plan rapproché sur San, celle-ci sort du
champ en répondant enfin à Ashitaka :
« Vas-t-en ».
San est un personnage complexe : abandonnée par ses
parents, élevée dans la forêt par une Déesse louve,
elle considère les loups comme ses frères, et les animaux comme
sa véritable espèce. Elle ne se voit pas comme une humaine. Comme
Nausicaä, c'est un personnage au message en faveur de la nature et d'un
monde où vivent les esprits et les Dieux. Elle représente
l'Ancien Japon, avec ses anciennes croyances animistes : ses habits en
font aussi la démonstration. Habillée avec des peaux, des pierres
(pour faire son masque de guerrière), elle représente les
croyances déchues des humains, ainsi que l'arrivée d'un monde
moderne dont elle est tenue à l'écart.
Son personnage se complexifie et évolue lorsqu'elle tombe
amoureuse d'Ashitaka et réalise qu'elle est humaine. Sa haine envers les
humains doit alors être modérée : elle atteint ainsi
une plus grande maturité et une vision plus tempérée du
monde et des humains.
Une autre femme a ce pouvoir mystérieux de communiquer
avec les esprits. Son rôle ressemble à celui d'une chamane ;
elle est un personnage important dans son village. Il s'agit de Hii-Sama, femme
la plus âgée du village d'Ashitaka, que nous rencontrons au
début du film. Dans la première scène où nous
découvrons le personnage d'Hii-Sama, un Dieu de la forêt, Nago, a
attaqué le village d'Ashitaka. La vieille femme, chamane, sorte de
magicienne, lien entre les Dieux et les humains, arrive à dos d'homme.
Cela témoigne de l'importance de sa présence lors
d'évènements complexes et magiques pour les villageois, mais
monter aussi qu'elle est très respectée. Dans le second
photogramme, nous la voyons au premier plan, s'inclinant. Les hommes sont en
arrière-plan, inclinés également. Ils suivent visiblement
son exemple, imitent ses gestes, ce qui montre qu'elle est respectée et
écoutée. Dans le troisième plan, nous la voyons de dos,
dans un plan moyen la montrant face au Dieu écroulé au sol. Elle
paraît alors toute petite face à lui. (Sa prière au Dieu
révèle alors qu'une fois encore, la femme a pour rôle de
demander pardon pour les erreurs des hommes. En effet, dans cette
prière, Hii-Sama demande pardon au Dieu pour les offenses des
villageois ; elle prie alors pour qu'il parte en paix.
00 : 06 : 32
00 : 06 : 49
00 : 07 : 01 images extraites de Princesse
Mononoké
Hii-Sama est une femme très spirituelle, qui
éclaire les hommes de ses connaissances sur les esprits et est capable
de communiquer avec eux.
Nous pouvons noter que de multiples figures religieuses,
bouddhiques ou shinto, apparaissent dans les films de Miyazaki : des
Bouddhas dans Mon voisin Totoro, lorsque Mei disparait, mais aussi par
exemple des statuettes shinto dans Le Voyage de Chihiro. Cette
idée de la spiritualité est omniprésente : les
statuettes sont de forme féminine, montrant une fois de plus que les
femmes sont seules capables d'entrer en contact avec le spirituel, le
surnaturel, selon Miyazaki. Placées à l'entrée du tunnel
qui mène Chihiro, telle Alice au pays des merveilles, vers un autre
monde, elles annoncent ce voyage vers l'ailleurs. De plus, le tunnel
débouche sur un temple shinto désert, annonciateur, une fois
encore, du caractère spirituel de cette histoire. Il n'est alors pas
anodin que Chihiro soit une petite fille, héroïne errant dans un
monde de l'au-delà, cerné de figures spirituelles. Les
scènes du début du film montrent Chihiro intriguée par un
autel shinto ; puis, effrayée par une statuette de déesse.
Chihiro, au début du film, est effrayée par ces
éléments surnaturels, spirituels. Mais elle a la capacité
de s'en rapprocher, d'arriver dans un monde d'esprits et de Dieux. Elle sera
mise à rude épreuve, car ce qui l'effraie deviendra son
quotidien, étant forcée de survivre dans un monde surnaturel et
étrange. La scène où elle traverse le tunnel avec ses
parents, pour arriver dans le temple shinto à l'abandon, avant de se
retrouver de « l'autre côté du tunnel », telle
Alice au pays des merveilles, est une métaphore pour le passage vers un
autre monde. Ce monde lui permettra de grandir et de sauver ses parents. Elle y
deviendra autonome, forte, plus téméraire et sûre d'elle.
Chihiro est capable d'arriver et de survivre dans ce monde de Dieux grâce
à sa capacité à comprendre la Spiritualité,
caractéristique propre aux personnages féminins des films de
Miyazaki.
Chihiro en présence d'une statuette féminine à
l'entrée d'un temple shinto, dans Le Voyage de Chihiro
(00 : 04 : 14)
Nausicaä est également un personnage capable de
communiquer avec les animaux. Personnage similaire à celui de San, tant
par le style du scénario que dans le caractère du personnage,
elle est un être doué de spiritualité. Elle comprend les
animaux de la forêt, leur parle, tout comme fait San avec les esprits de
la forêt. C'est ce qui lui permet de devenir un Etre supérieur, un
guide pour son peuple. Miyazaki se sert de la voix des femmes pour faire
entendre ses messages personnels, ceux qui lui tiennent à coeur :
en faveur de la protection de l'environnement, des animaux, de l'harmonie entre
les hommes, contre la violence, les technologies destructrices, etc. Nous avons
vu précédemment que ces thèmes étaient chers
à Miyazaki, et omniprésents dans chacune de ses oeuvres.
Nausicaä est l'une des messagères les plus emblématiques.
Miyazaki utilise les femmes douées de capacités
spirituelles supérieures, en les mettant en opposition avec des hommes
beaucoup plus terre à terre, plus attirés par la guerre, ou tout
simplement dénué du talent visionnaire de certaines des
héroïnes. Par exemple, Nausicaä devient amie avec un jeune
garçon de son âge, Asbel ; celui-ci est par contre, beaucoup
plus animé qu'elle par un esprit de vengeance pour la mort de sa soeur.
Il cherche à l'aider, mais n'a pas les capacités pour comprendre
le monde dans lequel il vit et ne sait pas comment le changer ; c'est
Nausicaä qui aura le courage de se sacrifier et atteindra ainsi une
véritable spiritualité.
Sa relation avec Maître Yupa révèle
également ce fossé entre les capacités des hommes à
comprendre la Spiritualité, ou à véhiculer les messages de
Miyazaki. Celui-ci est en effet, comme les autres hommes, stupéfait pas
la compréhension qu'a Nausicaä de la Nature. Lorsque celle-ci lui
montre les résultats de ses expériences botaniques, il
s'exclame : « Tu as fait ça toute seule
Nausicaä ? », étonné peut-être, de ne
pas y avoir pensé lui-même.
La première scène où nous découvrons
les pouvoirs de communication avec les animaux de Nausicaä est celle
où elle sauve Maître Yupa de la mort. Lors de la scène de
cette poursuite, nous voyons en plans larges Yupa poursuivi par la
bête ; puis, encore en plan large, le plan suivant montre
Nausicaä s'approchant dangereusement. Yupa se met à l'abri. Une
série de gros plans alternent alors entre les yeux de l'insecte et le
visage de Nausicaä, lui parlant. Cette alternance de gros plans montre
qu'il s'établit un dialogue entre la jeune fille et l'insecte. Cette
scène est importante, puisque Nausicaä sauve l'homme, et nous
dévoile un pouvoir de communication avec les habitants de la
forêt.
Yupa, à la fin de la scène, suppose qu'une personne
capable de le sauver ainsi ne peut être qu'un homme. Il dit en
effet : « Il a réussi à le calmer ».
Cela prouve que de façon générale, il n'est pas de suite
évident qu'une fille en soit capable. Miyazaki montre ainsi qu'en
dépit des opinions masculines, les femmes peuvent avoir des rôles
décisifs et importants. Il choisit de faire des femmes les personnages
les plus puissants dans ses oeuvres, comme nous l'avons vu
précédemment ; mais cette puissance est également
conférée par leurs capacités spirituelles et leur lien
avec la Nature.
Ces femmes capables de communiquer avec le surnaturel, d'entrer
en contact avec les esprits et les Dieux de la nature, sont un moyen pour
Miyazaki de faire passer ses messages. Ses héroïnes luttent en
faveur de l'environnement, utilisant leurs dons pour parler avec les animaux ou
les Dieux, et ainsi faire valoir leur message. Nausicaä défend la
forêt car elle comprend les animaux et peut les aider, San a
été élevée par une Déesse louve, comprend
les esprits, et peut donc lutter contre les humains qui cherchent à
détruire ces esprits de la forêt, métaphore pour
défendre la préservation de l'environnement.
3) La femme indépendante, sans
homme
Nous trouvons d'autres jeunes héroïnes
indépendantes et fortes, dans des contextes plus proches du monde
contemporain. Gina et Fio dans Porco Rosso sont des
héroïnes de la vie quotidienne, porte-paroles de la liberté
des femmes car leurs rôles s'éloignent également des
rôles traditionnels de la femme japonaise. Gina est propriétaire
d'un hôtel ; d'une grande beauté, elle attire l'admiration de
tous les hommes. Indépendante, elle refuse de se marier. Certaines
scènes du film la montrent se révoltant contre la façon
dont le héros, Marco Pagot, traite les femmes. Elle défend la
cause des femmes ; lorsque Marco/Porco Rosso lui demande de transmettre un
message de défi à un autre pilote, cette dernière refuse
de lui rendre service. Elle lui reproche de la croire à sa disposition
et lui crie : « Vous les pilotes, vous êtes tous les
mêmes : vous considérez les femmes comme des objets
insignifiants ». Cette phrase montre que Gina refuse de se laisser
traiter comme un simple objet de convoitise et d'être utilisée.
Fio Piccolo est également une jeune fille qui pourrait
plaider en faveur de la cause féminine. Plus jeune que Gina,
âgée de 17 ans seulement, elle est néanmoins
déjà très indépendante et a des qualités qui
pourraient être considérées comme
« viriles » : travaillant dans un garage d'avions avec
son grand-père, elle pratique un travail d'
« homme ». C'est elle qui s'occupe des réparations
sur l'avion de Porco Rosso ; lorsqu'elle demande à s'occuper seule
des réparations sur l'avion, elle dit : « Je ne peux pas
arrêter d'être une femme, mais laissez-moi faire ce
boulot ! ». Elle a bien cerné le personnage de Porco, un
homme machiste, séducteur, qui pense qu'une femme n'est pas capable de
s'occuper de mécanique. Mais Fio va le surprendre en dessinant des plans
d'avions et en faisant de son avion un véritable avion de chasse
performant, qui lui permettra de gagner la course finale. De plus, Fio n'est
pas la seule femme à savoir faire un travail traditionnellement
masculin : le garage Piccolo ne fonctionne qu'avec des femmes. En effet le
film se déroulant en Italie durant la Seconde Guerre Mondiale, les
hommes sont au front et les femmes prennent le relais. Cette période de
l'Histoire est donc propice à mettre l'indépendance et le travail
des femmes en avant.
Lisa, dans Ponyo sur la falaise, est également
une femme indépendante. Elle s'occupe seule de son enfant de quatre ans,
le père travaillant en mer et étant souvent absent. Nous ne la
voyons jamais accompagnée de son mari. C'est un personnage assez
drôle, car totalement impulsif. Elle est également très
jeune, donc vive et complice avec son enfant. Ce dernier l'appelle d'ailleurs
par son prénom, Lisa, et non « maman ». Cela peut
paraître assez étrange, comme si Miyazaki cherchait à
souligner sa jeunesse. Mais cela montre aussi un nouveau type de mère,
jeune, indépendante.
Lisa travaille, semble toujours très occupée,
pressée. Lisa est une mère très jeune, très fine.
Elle ne paraît pas avoir plus de vingt-cinq ans. Elle porte les cheveux
courts, s'habille exclusivement en pantalon. Energique, elle est aussi
très expressive : elle crie facilement. Cela se voit par exemple,
lorsque Fujimoto se tenant au milieu de la route, gêne sa voiture. Lisa
n'hésite pas à lui assener de nombreux reproches, puis part en
manquant de l'écraser avec sa voiture. Lorsque le père de
Sôsuke les appelle pour informer Lisa de son absence prolongée,
une fois de plus, celle-ci fait une véritable scène, partant
« bouder » dans sa chambre, après avoir jeté
la vaisselle. Miyazaki semble avoir mis l'accent sur sa jeunesse, notamment
avec sa façon de faire des caprices, assez puériles. Lorsque Lisa
se réfugie dans sa chambre, contrariée par son mari, son fils
vient la consoler comme si elle était l'enfant, il lui caresse les
cheveux ; les rôles sont inversés. Mais en dépit de ce
caractère presque enfantin, Lisa est une femme forte, qui se passe sans
problème de la présence d'un homme.
La façon dont Lisa conduit sa voiture est également
un aspect « coloré » du personnage. En effet,
celle-ci conduit très brusquement, excessivement vite, et semble n'avoir
peur de rien. Lorsque le tsunami se déclenche, au lieu de rester
à l'abri dans la maison de retraite où elle travaille, Lisa
ramène Sôsuke en voiture, passe le barrage malgré les
interdictions des hommes y travaillant, et mène une véritable
course contre les vagues pour arriver chez elle. Lisa semble ainsi avoir un
comportement de jeune fille, ne réfléchissant pas aux
conséquences ; elle est d'une grande impulsivité.
Conduite folle de Lisa contre le tsunami dans Ponyo sur la
falaise (00 : 47 : 33)
Lisa est une jeune femme très loin de l'image de la
mère japonaise, soumise et discrète. En rentrant chez elle, elle
boit une bière, comme le ferait un homme. Elle a une attitude et un
caractère « virils » : impulsivité,
vivacité et audace étant l'inverse des qualités
traditionnellement féminines (timidité, discrétion,
douceur).
Lisa, en colère, s'ouvre une bière dans Ponyo
sur la falaise (00 : 27 : 40)
Plusieurs autres personnages féminins sont
indépendants, vivent sans la présence d'un homme ou tout du
moins, sans son influence. Kiki, par exemple, dans Kiki la petite
sorcière, est un personnage intéressant car contrairement
à la tradition japonaise qui veut qu'une jeune fille ne quitte pas le
foyer de ses parents avant le mariage, cette héroïne quitte ses
parents, mais qui plus est à un très jeune âge, à
l'aube de son adolescence. A treize ans, Kiki part vivre loin de ses parents,
sans les contacter, sans leur aide, pendant une année entière. La
sorcellerie, histoire de fond du film, est en réalité un
prétexte pour montrer l'évolution d'une jeune adolescente, sa
quête d'identité, thème important chez Miyazaki. Kiki
devient ainsi une jeune fille indépendante : elle travaille pour
survivre, monte son entreprise. Les personnages qu'elle rencontre au fur et
à mesure de son histoire sont surtout des femmes, aux maris absents ou
effacés (par exemple, le mari d'Osono ne dit pas un mot durant le
film ; Madame est veuve ; Ursula est célibataire), qui
deviennent des exemples pour elle.
Ursula, jeune femme de dix-huit ans, est un modèle pour
Kiki. Artiste, elle vit seule dans les bois et semble autonome, libre d'esprit.
Il s'agit d'une jeune femme vivant pour ses rêves et ses passions, loin
des idéaux de mariage et de la recherche de l'amour. Elle est une
véritable amie pour Kiki, la conseillant lorsque cette dernière
est en proie au doute concernant ses capacités. Forcée de devenir
autonome, Kiki apprend ainsi à vivre seule, à se détacher
de ses parents. Il s'agit d'un apprentissage de l'indépendance. La perte
de ses pouvoirs de sorcière, au milieu du film, est symbolique :
comme toute jeune fille durant l'adolescence, Kiki apprend à retrouver
le don qu'elle possède, sa voie, et à devenir pleinement
autonome.
Autre femme indépendante dans Kiki la petite
sorcière, Osono, qui recueille Kiki et l'héberge, la
boulangère. Elle dirige son propre commerce. Nous avons même
l'impression qu'elle le dirige seule car son mari, bien qu'aux fourneaux, n'est
presque jamais en contact avec la clientèle. En effet, nous n'entendons
pas le son de sa voix, c'est sa femme qui est contact avec les clients et
surtout, qui décide seule, sans le concerter, d'héberger Kiki et
de l'embaucher comme livreuse. C'est donc une femme indépendante, qui
n'a pas besoin de son mari pour prendre des décisions, ni même le
consulte en ce qui concerne les affaires. On pourrait penser que son mari
s'occuperait des embauches, mais en réalité, Osono prend ce type
de décisions.
Sophie, héroïne du Château ambulant,
est un personnage qui vit également un apprentissage : celui de la
confiance en soi. Cet apprentissage de la confiance lui permettra d'atteindre
une vraie indépendance. Sophie est une jeune femme créative,
autonome : elle fabrique des chapeaux et tient la boutique de sa
mère, souvent absente. Le sortilège qui la transforme en vieille
femme fait ressortir son défaut : le manque de confiance en elle.
Lorsque Sophie reprend confiance en elle, son visage reprend ses traits de
jeune fille ; mais dès qu'elle doute de ses capacités, elle
reprend son aspect de vieille femme. Ici la magie est à nouveau une
métaphore pour l'apprentissage d'une jeune fille. Son
indépendance s'acquiert grâce à son instinct de
survie : devenue une vieille femme, elle ne peut compter sur personne
d'autre qu'elle-même. Elle devient donc femme de ménage pour Hauru
et trouve ainsi refuge chez lui, en se créant une nouvelle famille.
Une autre figure de femme indépendante émerge, dans
Le Voyage de Chihiro. Le personnage de Lin est une femme
indépendante, qui ne dépend d'aucun homme, mais elle montre
plusieurs facettes. De façon générale, nous voyons qu'elle
est âgée d'environ vingt ans, est célibataire et a un
travail. Elle travaille aux Bains -épicentre du monde surnaturel dans
lequel Chihiro a pénétré- et s'occupe de servir les plats
aux autres employés, ou de faire le ménage des bains.
Bien qu'ayant un travail de servante, Lin semble avoir un fort
caractère et l'esprit indépendant. Dans la première
scène où nous la voyons, Lin apporte à Kamaji, l'un des
employés des Bains, son repas. Mais elle n'est pas un personnage
effacé, bien au contraire, elle parle à Kamaji en lui donnant
toute une série d'ordres : « arrêtez
ça ! », parlant du vacarme que Kamaji fait avec ses
boules de suie, qui alimentent la chaudière des bains. Puis elle lui
lance : « Où est ton bol ? Je t'ai
déjà dit de le préparer ! ». Lin fait des
reproches, donne des ordres, soupire, se fait entendre. Lorsqu'elle
aperçoit Chihiro, sa première réaction est de la pointer
du doigt, stupéfaite et paniquée. En effet, les humains sont
interdits dans les Bains. Kamaji lui demaned d'amener Chihiro voir la
sorcière dirigeant les lieux, Yûbaba, prétextant qu'elle
est sa petite-fille. Lin accepte, clairement à contre-coeur. Sa
façon de parler à Chihiro est brusque. Elle la traite d'idiote,
la pousse. Lin paraît alors être un personnage négatif, une
femme forte et indépendante, qui semble savoir se faire respecter, mais
dénuée de gentillesse ou d'instinct protecteur.
images extraites du Voyage de Chihiro (00 : 29 : 07)
(00 : 41 : 50)
Son dégoût pour la petite fille semble
s'accroître : lorsque Chihiro, enfin embauchée par
Yûbaba, lui est attribuée en tant qu'apprentie, Lin fait savoir
que ce devoir ne l'enchante pas. Lin est assez vulgaire, parle avec un langage
familier de fille simple. L'image ci-dessus montre que la réaction de
Lin est de dire : « On va encore me la
fourguer ? » en parlant de Chihiro.
(00 : 42 : 13)
Mais Lin montre alors une nouvelle facette. Une fois seules, elle
la félicite, souriante ; elle se montre aimable et charmante. Elle
deviendra bientôt pour Chihiro une grande soeur protectrice. En
réalité, Lin est obligée de montrer un visage dur sur son
lieu de travail, pour être respectée. Mais lorsqu'elle sait que
Chihiro va faire partie de son quotidien, elle est fière et montre son
vrai jour. Lin joue un rôle de femme forte et râleuse, dure, devant
les autres employés, masque qu'elle fait tomber une fois que sa
confiance a été gagnée.
4) Femmes de sagesse
De nombreuses héroïnes des films de Miyazaki sont des
femmes de sagesse. Elles sont plus sages que les hommes, et certaines ont ainsi
une grande importance.
4)a. L'importance des paroles
de la femme de sagesse
Dans Nausicaä de la vallée du vent, O-Baba,
sage du village de la Vallée du vent, personne la plus âgée
des habitants, tient le rôle de conteuse de légendes. Vieille
aveugle, elle est pourtant clairvoyante, éclairant les héros et
ennemis de l'histoire de ses paroles sages. Elle prend même le rôle
de prédicatrice à la fin du film : en effet, c'est elle qui
nomme Nausicaä comme étant l'être vêtu de bleu, le
sauveur. Lorsque O-Baba parle de cette légende pour la première
fois dans le film, scène située dans la chambre du roi Jhil, nous
comprenons l'importance de ce type de personnage. En effet, la mise en
scène et la construction du dialogue mettent en valeur les paroles de
cette femme de sagesse.
Dans cette scène, les plans que nous avons d'O-baba
mettent en valeur cette image spirituelle, mystérieuse, de savoir, avec
des jeux de clair-obscur, des ombres sur son visage. Le plan durant lequel elle
raconte la légende de l'Etre vêtu de bleu révèle
l'importance de ses paroles : commençant avec un plan
rapproché sur Nausicaä, dès qu'O-Baba commence à
parler et que le regard de Nausicaä se tourne vers cette dernière,
la caméra effectue un panoramique de la droite vers la gauche. La
caméra suit en réalité la direction du regard de
Nausicaä, dirigé vers O-Baba. Cette mise en scène met en
valeur le fait que les paroles de cette dernière sont importantes. La
caméra montre qu'à ce point précis, quand O-Baba parle,
chaque personne dans la pièce l'écoute.
(00 : 18 : 53) Nausicaä en plan rapproché
(00 : 18 : 54)
(00 : 18 : 55) Gros plan sur O-Baba parlant de la prophétie,
scène extraites de Nausicaä de la vallée du vent
Nous pouvons ainsi souligner l'importance qu'ont les avis de
certaines femmes dans les films. Par exemple, Hii-Sama, chamane du village dans
Princesse Mononoké, n'est pas seulement une femme spirituelle,
lien entre les esprits et les hommes ; elle est également vue comme
quelqu'un d'extrêmement sage, et dont la parole est très
importante. Elle prend ainsi des décisions capitales pour son village,
celles qu'un chef de village prendrait normalement, comme celle de bannir un
villageois, par exemple.
La seconde scène où nous voyons ce personnage est
celle se situant juste après la lutte d'Ashitaka avec le Dieu devenu
Démon, Nago. Les hommes importants du village sont réunis avec
Hii-Sama autour d'Ashitaka, pour tenter de comprendre ce qui est arrivé
lors de cette attaque. Nous remarquons qu'Hii-Sama est la seule femme
présente, car son rôle est le plus important : donner les
réponses, car elle est proche du Spirituel.
Dans les deux premiers plans, nous découvrons le lieu de
la réunion : une grande pièce d'une cabane posée
contre les rochers. La vue générale situe les personnages dans
l'espace, les hommes en rang à gauche, Hii-Sama face à
Ashitaka.
00 : 07 : 43
00 : 07 : 51
00 : 07 : 54
00 : 08 : 17
00 : 08 : 24
00 : 08 : 29
00 : 08 : 30
00 : 09 : 01
00 : 09 : 09
00 : 09 : 15
00 : 09 : 25
00 : 10 : 32
Dans le troisième plan de cette scène, nous avons
un plan moyen montrant Hii-Sama lisant les pierres. Les regards sont tous sur
elle et chacun écoute ses paroles pendant qu'elle explique qui
était ce Dieu/Démon.
Le quatrième plan montre Ashitaka, en point de vue
objectif, de profil. Ces deux derniers plans sont vus en légère
plongée, comme si la caméra était située au-dessus
des hommes à leur droite. Ashitaka écoute attentivement les
paroles de la vieille femme, le discours s'adresse à lui. Elle lui
demande de montrer son bras, là où le Démon l'a
touché.
Lorsqu'Ashitaka s'éxécute, nous avons alors un
insert sur son bras, montrant clairement les dégâts causés
par le Démon.
Le sixième plan montre alors un plan moyen des hommes,
paniqués par cette vision. L'un d'eux se tourne directement vers
Hii-Sama. Ces hommes savent que cette dernière est la seule à
pouvoir leur apporter des réponses.
Un gros plan d'Hii-Sama permet de mettre en valeur son discours.
Ce gros plan révèle l'importance de ses paroles. Miyazaki alterne
alors ce passage avec des gros plans et des plans plus éloignés,
montrant à la fois la personne que nous écoutons avec attention,
ainsi que les autres protagonistes de la scène, tous tournés vers
elle : la caméra est en effet placée au-dessus des hommes,
que nous voyons de dos, montrant Hii-Sama en plongée, afin de mettre en
avant les gestes qu'elle effectue avec les pierres. Nous voyons
également ainsi que les hommes ne bougent pas, sont subjugués par
ses paroles.
Le neuvième plan est un insert sur la main d'Hii-Sama,
montrant aux autres personnages un objet d'importance, la balle de fer qui a
rendu le Dieu fou, et qui provoque le sort d'Ashitaka, hanté par le mal
du Démon. Dans le dixième plan, nous voyons Ashitaka en gros
plan, écoutant les paroles d'Hii-Sama, tandis que celle-ci lui
énonce son destin.
Le onzième plan montre Hii-Sama en plan rapproché,
filmée du point de vue d'Ashitaka, celui-ci étant assis en face
d'elle. Nous remarquons qu'elle est située exactement au centre du
cadre : sa coiffure, ses épaules, sa posture, s'alignent
parfaitement avec le décor autour d'elle. Cette mise en scène
montre bien l'importance du personnage et de ce qu'elle dit. Cet ordre donne
également la sensation de sagesse, de calme qui émane de ce
personnage.
Enfin, le douzième plan montre un plan
général situé derrière Hii-Sama, de façon
à montrer chaque personnage de la scène, tout en mettant en
valeur le départ d'Ashitaka. Nous sommes situés derrière
Hii-Sama afin de voir l'exil, comme étant surveillé par cette
dernière, tandis qu'elle lui ordonne calmement de partir.
4)b. La femme plus sage que
l'homme
Les femmes de sagesse ont un rôle de médiateur, soit
entre le spirituel et les hommes, comme nous l'avons vu
précédemment, soit pour excuser le comportement de ces derniers,
tout en se rebellant contre leurs décisions.
Elles apparaissent ainsi comme étant plus sages que les
hommes, car elles assument la responsabilité des actes, rectifient les
erreurs sans que les hommes le sachent ; ces derniers refusant toujours de
voir leurs torts. C'est le cas par exemple, lorsque les femmes de Pejite font
le bon choix sans l'accord de leurs hommes, ce que nous verrons dans une autre
partie.
Elles savent comment obtenir le pardon ; elles en prennent
la responsabilité à la place des hommes, et réparent les
erreurs de ces derniers. Hii-Sama, dans la scène où elle prie le
Dieu Sanglier, demande le pardon à ce dernier et lui demande d'excuser
les erreurs commises. Elle lui demande de pardonner les offenses des hommes qui
l'ont provoqué et l'ont rendu malade.
Les femmes ont souvent ce rôle, celui d'être
responsables des hommes, en demandant le pardon pour eux. Cela montre qu'elles
sont montrées comme étant plus sages, plus avisées que les
hommes. Elles agissent pour rectifier les erreurs commises par les hommes.
Leur sagesse se perçoit également dans leur
capacité à se sacrifier pour une cause plus grande. C'est le cas
par exemple de Sheeta, qui se sacrifie pour sauver Pazu, en se laissant
utiliser par Muska, l'agent du gouvernement à sa recherche depuis le
début du film ; sa noblesse d'esprit lui permettra finalement de le
vaincre et de sauver sa vie, celle de Pazu, ainsi que l'île dans le ciel.
Nausicaä est également une femme capable de se sacrifier ; cet
acte lui permettra d'ailleurs de se révéler comme un être
de grande sagesse, plus encore qu'O-Baba, la vieille femme du village. Son
sacrifice, en barrant la route des animaux pour sauver son peuple, fait d'elle
« l'Etre vêtu de bleu ». Elle devient ainsi un
être de sagesse.
4)c. Altruisme, pragmatisme et
capacité à apprendre des erreurs passées
Outre leur importance aux yeux des hommes, la capacité
à se sacrifier, la responsabilité pour les erreurs des hommes,
nous découvrons encore une nouvelle facette de la sagesse des femmes. Le
personnage de Dame Eboshi a une sagesse particulière. Elle est
respectée par ses hommes car elle est d'un très grand sang-froid,
pragmatique. Comme nous l'avions vu dans l'une des scènes du film, elle
est capable de laisser ses hommes morts sans été
d'âme ; mais cela témoigne d'une capacité à ne
pas être vulnérable, contrôlée par ses
émotions. Très calme, mais aussi une guerrière, c'est un
personnage qui a de multiples facettes.
Nous découvrons dans d'autres scènes une femme
altruiste, bien différente de cette première image que nous avons
eue d'elle. En effet, Dame Eboshi est la fondatrice d'un village, que nous
découvrons lorsque le personnage d'Ashitaka y ramène des
survivants. Dame Eboshi est la maîtresse de ce village de forgerons, et
en a fait une ville idéale, selon ses critères. Des
prostituées qu'elle a racheté aux bordels des grandes villes y
vivent et y sont mariées, leurs maris s'occupent du commerce du fer
qu'elles produisent. Ces femmes ont un rôle à part entière
dans le fonctionnement commercial du village, un travail important ; elles
n'ont pas d'enfants. Leur rôle n'est pas celui d'être
mère.
Dame Eboshi a également accueilli des lépreux, dont
elle s'occupe en les soignant, les nourrissant ; elle leur donne une
valeur sociale en leur faisant fabriquer des armes. Bien que son message ne
soit pas celui de la paix, Dame Eboshi a des valeurs humaines qui font d'elle
un personnage complexe, ni bon ni mauvais.
A la fin de Princesse Mononoké, Dame Eboshi est
punie pour les mauvais choix qu'elle a fait : en propageant un message de
haine, en cherchant à détruire les Dieux, elle croyait
protéger son village et ses habitants. Ainsi, nous ne pouvons dire si ce
rôle est négatif ou positif. Dame Eboshi peut être haïe
car elle se trompe d'ennemi, mais aussi admirée car elle se bat pour les
démunis, les faibles, les exclus de la société, et se
dévoue corps et âme à la cause qu'elle croit juste.
Sa punition pour avoir choisi les mauvaises batailles et
causé le chaos est la mutilation, son bras étant arraché
par les crocs de Moro lors d'une des scènes finales du film. Comme
princesse Kushana dans Nausicaä de la vallée du vent, elle
se retrouve amputée, blessée. Princesse Kushana est un personnage
très semblable à Dame Eboshi, mais sans la sagesse qui fait de
dame Eboshi quelqu'un de complexe et qui peut devenir un modèle. En
effet, son issue est plus positive. Au lieu d'en ressentir une haine encore
plus violente, elle comprend ses erreurs. Le message de fin du film est ainsi
heureux : le village renaît de ses cendres, Dame Eboshi
décide de « construire un meilleur village cette
fois-ci ». Au lieu de se laisser abattre par la défaite, elle
décide de reconstruire en ayant appris de ses erreurs.
5) Femmes s'affranchissant de la
domination masculine
L'une des caractéristiques principales des
héroïnes miyazakiennes est la capacité de s'affranchir de la
domination masculine. Les femmes dans les oeuvres de Miyzaki se rebellent,
rectifient les erreurs des hommes. Elles se rebellent aussi simplement afin de
se sauver elles-mêmes.
Dans Nausicaä de la vallée du vent, les
femmes adultes, les mères de famille, ont un rôle important.
Lorsque Nausicaä est emprisonnée, ce sont les femmes du royaume de
Pejite qui la libèrent. L'entrée de Nausicaä dans une
pièce remplie de femmes âgées et de jeunes mères,
montre la puissance de la volonté féminine : celles-ci se
rebellent contre la volonté de leurs hommes. Mais si elles choisissent
de libérer Nausicaä contre le gré des hommes, en organisant
sa fuite, elles cherchent tout de même à les excuser. Les femmes
se sentent responsables des hommes, qui sont les pères de leurs enfants,
leurs fils. Une vieille femme dit : « Pardonnez les Pejitiens
pour les mauvais traitements ». La mère de Lastelle et Asbel,
aidant Nausicaä à s'enfuir de sa cellule, dit à
celle-ci : « Pardonnez-nous mon enfant, notre peuple a commis de
graves erreurs ». Cette phrase montre également à quel
point les femmes se sentent responsables, répondent des actes de leurs
maris. Les femmes réparent les erreurs des hommes, tout en leur
pardonnant.
Les femmes, comme nous l'avons vu précédemment,
sont plus sages que les hommes dans les oeuvres de Miyazaki. Elles sont
écoutées, leur sagesse est mise en avant ; elles endossent
les responsabilités pour els comportements des hommes et demandent leur
pardon. Mais nous voyons ici qu'elles font leurs propres choix. Elles
choisissent de suivre leur propre conscience, et se rebellent ocntre la
volonté des hommes. C'est le cas des femmes de Pejite dans
Nausicaä de la vallée du vent, mais c'est aussi le cas des
femmes du village des forgerons dans Princesse Mononoké. Ces
dernières sont totalement affranchies des hommes, et
préfèrent avoir les responsabilités les plus importantes
dans la vie du village plutôt que de la laisser aux hommes qu'elles
jugent incompétents. D'ailleurs, comme nous l'avons vu dans la
scène où Toki crie après son mari blessé, et se
tourne vers Gonzo, elles n'ont pas peur de dire ce qu'elles pensent et de
traiter leurs hommes d'idiots.
Dans le Château dans le ciel, l'une des
premières scènes montre Sheeta emprisonnée par ses
ravisseurs. Elle va réussir à se révolter contre cette
situation. Lorsque la forteresse est attaquée par les pirates, lors de
la première scène d'ouverture du film, Sheeta n'attend pas de
voir si elle sera sauvée ou pas.
00 : 02 : 09
00 : 02 : 19
00 : 02 : 22
00 : 02 : 29
Sheeta attaque son ravisseur, scène extraite du
Château dans le ciel
Muska, l'homme en charge de son enlèvement, entre dans la
pièce où elle se trouve, les bombardements résonnant au
loin. Il lui ordonne : « ne reste pas là, à
terre». Dans un premier plan séquence, nous voyons Muska au premier
plan, se diriger vers la radio. En arrière-plan, Sheeta est
obéissante, effrayée, dos au mur, la main sur la poitrine. Puis
un gros plan sur le visage de Sheeta, montre son expression en train de
changer. Elle surmonte alors sa peur, saisit une bouteille, et assomme le
ravisseur, devenant ainsi une véritable « héroïne
miyazakienne » : forte, courageuse.
Le personnage de Ponyo dans Ponyo sur la falaise est
encore différent des précédents. A l'instar des autres
héroïnes dépeintes par Miyazaki, Ponyo est courageuse :
elle quitte le monde de la mer et la protection familiale pour explorer le
monde au-dessus. C'est la rencontre avec le petit garçon Sôsuke
qui lui donne la force de réclamer son indépendance. Comme le
conte de la petite Sirène, lequel a une fin plus dure pour
l'héroïne, Ponyo est une véritable métaphore pour
l'indépendance vis-à-vis du père. Ponyo, bien
qu'étant seulement une petite fille, représente la femme qui
souhaite s'affranchir de la protection masculine. Ponyo veut être comme
Sôsuke, être humaine ; elle souhaite en réalité
être l'égale d'un garçon. Son père souhaite que
Ponyo « reste pure et innocente à tout jamais ». Il
représente le père, le mari, l'homme qui idéalise la
femme, mais l'empêche d'être libre. Ainsi Ponyo, en souhaitant
devenir humaine, s'éloigne de son père, de l'oppression et de la
protection masculine, devient plus indépendante, plus libre, comme
Sôsuke, comme un garçon. Il s'agit d'une métaphore pour le
combat des femmes qui veulent être égales de l'homme, libres, et
non des images idéalisées de pureté, d'obéissance
et de douceur.
Le père de Ponyo ne veut pas son mal, il croit la
protéger, mais la maintient prisonnière. Dans l'une des
scènes, où il vient de récupérer Ponyo après
sa première fuite, il l'emprisonne dans une bulle afin d'être
sûr qu'elle ne s'échappe pas. Cette métaphore n'est
d'aillerus pas anodine : il la garde « dans sa
bulle », protégée du monde extérieur qui peut
faire mal, mais que Ponyo souhaite découvrir. Son combat est celui de
toute jeune fille, jeune femme, qui souhaite s'affranchir de son père
pour vivre sa vie ; lequel a du mal à s'en séparer.
Fujimoto garde Ponyo dans sa bulle, dans Ponyo sur la
falaise (00 : 32 : 22)
Mais les pouvoirs de Ponyo se sont développés et
elle parvient à lui échapper. Elle réussira finalement
à rejoindre Sôsuke, et sa mère convaincra Fujimoto de
laisser leur fille devenir humaine. A la fin, Ponyo réussit à
vivre sa vie comme elle l'entend, après s'être rebellée
contre les souhaits de son père.
6) Femmes dans la sphère
féminine
Dans cette partie, nous pouvons noter que la femme dans la
sphère féminine chez Miyazaki est reliée à la
famille. Il est par ailleurs intéressant de noter que le concept de la
famille traditionnelle japonaise n'existe pas dans les oeuvres de Miyazaki.
Miyazaki ne représente pas la famille comme la famille traditionnelle
japonaise. Souvent dans ses scénarios, les enfants sont plus ou moins
livrés à eux-mêmes. Nous pénétrons leur
univers, la présence des parents y est secondaire. C'est pourquoi
souvent les parents sont même parfois totalement absents, ou
remplacés par des figures de substitution qui ne sont là que pour
soutenir les enfants dans des moments difficiles : ils ont ainsi un
rôle plutôt secondaire. Au contraire, les enfants sont les vrais
héros des histoires.
Dans la plupart des films de Miyazaki, les familles sont donc
divisées, loin du modèle traditionnel du
« ie » japonais, qui regroupe père, mère,
enfants, voire grands-parents vivant sous le même toit, chacun avec une
place et un rôle défini. Nous trouvons alors des schémas
différents : dans Nausicaä de la vallée du
vent, la mère de Nausicaä est morte, son père est
tué au milieu de l'histoire. Dans Le Château dans le
ciel, les parents de Sheeta sont morts, ceux de Pazu également.
Dans Mon voisin Totoro, la mère est absente, à
l'hôpital, laissant le père avec deux petites filles. Kiki, dans
Kiki la petite sorcière, quitte ses parents et vit seule. Fio
Piccolo est élevée par son grand-père dans Porco
Rosso. Dans Princesse Mononoké, San est orpheline, ainsi
qu'Ashitaka. Chihiro, dans le Voyage de Chihiro, est
séparée de ses parents au début du film, pour ne les
retrouver qu'à la fin. Dans le Château ambulant, Sophie
n'a pas de père, nous ne voyons que sa mère, qui est souvent
absente. Enfin, dans Ponyo sur la falaise, Lisa élève
seule son fils Sôsuke, le père étant souvent absent en mer.
Chaque famille, dont les enfants sont héros de l'histoire, ou bien
adolescents et jeunes adultes, est éloignée du modèle
traditionnel.
Les enfants se retrouvent donc souvent dans des rôles plus
responsables, plus indépendants que le voudrait leur âge.
Par exemple, dans Mon voisin Totoro, Satsuki, en
l'absence de sa mère malade, veille sur sa petite soeur Mei. Elle n'a
que neuf ans, et déjà est très mature et autonome. Elle
s'occupe même plus de son père que celui-ci ne s'occupe de ses
filles. Bien que Mei suive sa grande soeur partout, et répète
tout ce qu'elle dit, comme dans n'importe quelle relation entre deux soeurs de
ces âges (quatre et neuf ans), Satsuki est pour elle une figure
maternelle qu'elle ne trouve pas ailleurs.
Satsuki coiffe sa petite soeur, reprenant le rôle de sa
mère ; elle fait également à manger. Une scène
montre bien que la petite fille occupe le rôle de maman depuis que sa
mère est à l'hôpital : un matin où son
père doit partir travailler, elle le réveille, prépare
à manger pour tout le monde, lui rappelle de déjeuner.
00 : 25 : 23
00 : 25 : 38
Satsuki, neuf ans, éveillée bien avant son
père, prépare le petit-déjeuner et le déjeuner pour
son père et sa soeur dans Mon voisin Totoro
La scène où Grand-Mère amène Mei
à l'école de Satsuki révèle également
combien la grande soeur a repris le rôle maternel, sa petite soeur ne
pouvant se passer d'elle et ne trouvant aucun réconfort ailleurs. Lors
de la disparition de Mei, Satsuki part à sa recherche. Elle n'est pas
une enfant dans ces instants où elle pense à sa soeur, en
étant responsable. Les seuls instants où nous retrouvons une
petite fille sont ceux où elle cherche du réconfort auprès
de Grand-Mère, leur voisine, craignant la mort de sa mère
à l'hôpital.
La « vraie » grand-mère pourrait
être Grand-mère dans Mon voisin Totoro : une vieille
dame habillée de façon traditionnelle, vivant dans la campagne,
une femme simple et attachante. Grand-mère se prend très vite
d'affection pour Mei et Satsuki, qu'elle console tour à tour, ces
dernières étant peinées par la maladie de leur
mère. Femme paysanne, elle vit simplement et leur fait découvrir
les plaisirs de la campagne. Son rôle est celui d'une grand-mère
de substitution, apportant aux petites filles un élément de
famille manquant.
Les larmes qu'elle verse lorsque Mei est retrouvée saine
et sauve après sa disparition témoignent de son attachement pour
les petites filles, et de son véritable rôle comme substitut
parental. Elle a un rôle traditionnel, en accord avec le rôle de la
femme dans la sphère qui lui correspond : s'occuper des enfants.
Grand-Mère n'a jamais eu de travail, c'est une femme de la
campagne ; elle s'est donc toujours occupée de sa maison, de ses
enfants. Elle s'occupe à présent des enfants de son voisin, et de
son propre petit-fils.
(01 : 23 : 55)
Grand-mère enlaçant Mei après sa
disparition, dans Mon voisin Totoro
Il est intéressant de noter que dans Mon voisin
Totoro, nous retrouvons un schéma correspondant aux modèles
féminins des années cinquante, l'histoire étant
située à cette époque : les sphères masculines
et féminines sont séparées -Satsuki s'occupe de sa soeur
et de la nourriture, cela étant probablement le travail de sa
mère avant son départ- mais la famille est bouleversée par
l'absence de la mère. Le père se retrouve donc dans un rôle
inhabituel à l'époque : s'occuper de ses enfants sans sa
femme.
D'autres femmes sont représentées dans des
rôles les montrant dans la sphère féminine : ainsi
Lisa, qui est pourtant représentée comme une femme moderne,
indépendante, travaillant, évolue tout de même dans un
monde qui « convient » aux sphères
traditionnellement féminines. Elle travaille dans une maison de
retraite, ce qui est un travail en rapport direct avec les sphères
réservées aux femmes : s'occuper des personnes
âgées, des enfants. Elle est très jeune, comme nous l'avons
vu, mais est déjà mère : ceci pourrait montrer un
attachement au rôle maternel que doivent jouer les femmes dans le Japon
encore ancré dans ses traditions, et cela le plus tôt possible,
pour ne pas être vues comme des « vieilles filles ».
Les femmes que nous rencontrons qui évoluent dans les
sphères féminines semblent être des personnages
attachés aux traditions. Elles demandent aux héros masculins de
protéger les héroïnes, notamment. En effet, dans Le
Château dans le ciel, la femme du patron de Pazu demande à ce
dernier de protéger Sheeta.
Sheeta semble être sur un pied d'égalité avec
le héros qui l'accompagne, Pazu. Mais celui-ci est tout de même
celui qui la protège. Les personnages du film, tels que la femme du
patron de Pazu, pensent qu'elle doit être protégée par un
homme, qu'elle ne peut pas se défendre sans un homme. Celle-ci explique
à Pazu : « elle est tellement mignonne ; il faut que
tu la protèges. » Cela signifie qu'une petite fille comme
Sheeta n'est pas assez forte pour être seule. Elle a besoin d'un
garçon, même si celui-ci a le même âge qu'elle.
Une autre caractéristique du rôle féminin
appartenant toujours à celui de la sphère domestique
réservée aux femmes est celle-ci : la bande des pirates
accueillant Sheeta et Pazu, sachant que Sheeta restera avec eux un moment, se
réjouissent de ne plus avoir à faire le ménage, la
vaisselle... il leur paraît tout à fait naturel que la fille
s'occupe des tâches ménagères, de la cuisine. Comme dans
Mon voisin Totoro, les petites filles ont un rôle de
« petite femme », mais sont aussi courageuses et
intrépides. Nous pensons ainsi à Sheeta, ou Chihiro, qui
évoluent dans un monde féminin : Sheeta s'occupe de la
vaisselle, de la cuisine chez les pirates, Chihiro nettoie les bains, mais font
en même temps preuve de courage.
7) Les rapports hommes/femmes
Nous pouvons à présent nous intéresser aux
personnages masculins dans les oeuvres de Miyazaki, les rapports des hommes
avec les femmes dans les films permettant d'approfondir notre étude.
7)a. Hommes dans la
sphère féminine
Notons tout d'abord que l'un des personnages masculins dans les
oeuvres est immergé dans un monde féminin et endosse un
rôle traditionnellement réservé aux femmes. Il s'agit de
Mr. Kutanabe, dans le très traditionnel Mon voisin Totoro,
situé dans les années cinquante. La mère étant
absente, le père s'occupe seul de ses filles. Comme nous l'avons vu
précédemment, c'est plutôt sa fille aînée qui
reprend le rôle de la mère, et qui s'occupe même de son
père. Mais ce dernier est tout de même dans une position atypique,
qui est intéressante à souligner.
7)b. Hommes fascinés
par la femme : rapport d'amour/amitié
Les films de Miyazaki regroupent souvent un duo homme/ femme qui
tiennent un rôle important et servent les messages
véhiculés dans les oeuvres.
Nausicaä et Asbel dans Nausicaä de la vallée
du vent
Sheeta et Pazu dans le Château dans le ciel
San et Ashitaka dans Princesse Mononoké
Chihiro et Haku dans le Voyage de Chihiro
Ponyo et Sôsuke dans Ponyo sur la falaise
Nous retrouvons également un même schéma dans
Nausicaä de la vallée du vent et Princesse
Mononoké : Princesse Kushana est accompagnée par
Kurotawa, son général, et Dame Eboshi a un second, Gonzo, qui est
cependant beaucoup plus fidèle que ne l'est Kurotawa. Il est
intéressant de constater que ces types de personnages sont très
similaires, les femmes comme les hommes.
Le premier aspect important du rapport homme/femme que nous
retrouvons dans ces duos, est celui de l'homme fasciné par la femme.
En effet, si Princesse Kushana et Dame Eboshi sont des
personnages semblables, comme nous l'avons vu précédemment, de
par leur statut social, leur caractère, leur pouvoir, leurs seconds le
sont également. Notons que Miyazaki a choisi de placer des femmes dans
la position de pouvoir dans ces deux films et de placer les hommes en position
inférieure. Par une analyse plus approfondie de leurs caractères,
nous pourrons également voir que ces hommes sont montrés comme
soumis à l'autorité féminine mais aussi montrés
comme étant plus faibles.
La mise en scène permet de constater que ces hommes sont
effectivement en position d'infériorité par rapport à ces
femmes. On trouve de nombreuses prises de vue montrant Princesse Kushana
placée en hauteur par rapport à Kurotawa, comme sur l'image
suivante :
01 : 17 : 36
00 : 34 : 08
01 : 29 : 37
01 : 29 : 49
Images extraites de Nausicaä de la vallée du
vent
Les deux plans ci-dessus sont extraits d'une même
scène, durant laquelle le Général Kurotawa se laisse aller
à la rêverie. Dans un premier plan, nous voyons Kurotawa
plongé dans ses pensées, le regard se dirigeant hors-champ ;
nous ne voyons pas encore ce qui le plonge dans cet état. Le second plan
montre qu'il regarde Kushana au loin. Celle-ci est placée au centre du
cadre, vue avec le regard de Kurotawa, placée à la distance
exacte où il la voit. Cette mise en scène montre Kushana comme
une icône : nous ne distinguons que sa silhouette ; sa posture
élégante la montre également comme une figure presque
irréelle, ressemblant à une statue. Kurotawa l'idéalise,
l'admire.
Les autres hommes sont également tous animés par le
besoin de protéger les femmes, ou tout simplement de les suivre, de les
connaître, en raison de cette fascination qu'ils ont pour elles. Ainsi,
Tombo, dans Kiki la petite sorcière, est fasciné par
Kiki, avec qui il veut absolument devenir ami. Pazu, dans le Château
dans le ciel, veut protéger Sheeta car sa première vision
d'elle, flottant dans le ciel, baignée par une lumière bleue, l'a
intrigué profondément. Cette impression est d'ailleurs
confirmée par une mise en scène montrant explicitement Pazu sous
l'emprise de cette fascination pour Sheeta : le plan le montre en
plongée, les yeux vers le ciel (vers Sheeta), soumis à cette
vision.
Pazu fasciné par Sheeta dans le Château dans le ciel
(00 : 09 : 02)
Dans Princesse Mononoké, Ashitaka souhaite sauver
San de sa haine envers les humains ; il est fasciné par ce
personnage sauvage, et cherche plusieurs fois à la sauver, la
protéger, au nom de cet amour. L'amour qu'il lui porte permettra
à San d'être en paix avec elle-même, d'accepter ses
faiblesses.
Dans Le Voyage de Chihiro, les deux héros tombent
amoureux (d'un amour enfantin, plus proche d'un rapport
frère/soeur) ; Haku aide Chihiro à survivre dans le monde
surnaturel. En retour, celle-ci lui permet de retrouver son identité. De
la même façon, Sôsuke aime Ponyo, dans Ponyo sur la
falaise, ce qui lui permettra de devenir humaine.
Les femmes de pouvoir suscitent l'admiration des hommes. Lors de
la scène durant laquelle Ashitaka dîne avec les hommes du village
des forgerons, ces derniers font l'apologie de Dame Eboshi. Ils lui
décrivent les batailles qu'elle a gagné et comment elle a
crée le village. Leurs voix sont empreintes d'une forte admiration. Ils
complimentent sa beauté, sa force, son courage. Le portrait qu'ils font
d'elle, la façon dont ils vantent ses louanges, montrent qu'ils sont
conquis par cette femme puissante, qu'ils sont prêts à tout pour
elle et lui accordent toute leur confiance.
Dame Eboshi glorifiée par ses hommes dans Princesse
Mononoké (00 : 35 : 55)
L'image ci-dessus illustre la victoire racontée par les
hommes du village, vantant les mérites de leur maîtresse. Ici,
Dame Eboshi est glorifiée par ses hommes. Le plan la montre de dos,
admirant sa victoire, seule debout ; l'image, très
guerrière, baigne dans une lumière de feu symbolisant sa
conquête et sa violence.
7)c. Hommes tournés en
dérision
Miyazaki semble s'amuser à montrer les faiblesses des
hommes par rapport aux femmes, qui les fascinent. Les personnages masculins
semblent apprécier, d'une certaine façon, la puissance des
femmes. Elles les effraient mais leur paraissent alors idéales,
inaccessibles. Miyazaki accentue cette impression en tournant les hommes au
ridicule face aux femmes, insistant ainsi sur les défauts des hommes
quand ils se retrouvent face aux femmes. Miyazaki semble montrer que les femmes
sont peut-être plus à même d'être dans des positions
d'autorité que les hommes. Cette impression est confirmée lorsque
l'on analyse certaines scènes opposant les attitudes des hommes et
celles des femmes.
Un exemple est une scène extraite de Princesse
Mononoké, montrant Gonzo et Dame Eboshi, lors de la première
discussion avec Ashitaka. Cette scène met en évidence la
différence entre l'attitude de Dame Eboshi et celle de son second, qui
est l'homme caricaturé ici. Le comportement de Gonzo paraît
ridicule face au comportement de Dame Eboshi. Dans cette scène, Ashitaka
est venu à la demande de Dame Eboshi. Celle-ci est en train de faire les
comptes et de décider des quantités de fer qui seront
expédiées pour être vendues le lendemain. Gonzo se trouve
près d'elle, aidant les femmes qui réceptionnent le fer à
porter les paquets. Ashitaka accuse Dame Eboshi d'utiliser le fer pour
créer des armes destructrices. Lorsque celle-ci lui demande d'où
il vient, Ashitaka refuse de répondre. Gonzo grogne, fait un geste vers
son épée et lui crie : « Réponds à
la question de Madame !»
Princesse Mononoké (00 : 37 : 10)
Comme nous pouvons le voir sur cette image, l'attitude de Gonzo
est totalement opposée à celle de Dame Eboshi. Celle-ci est
assise très calmement. Pendant qu'Ashitaka lui disait qu'il ne lui
répondrait pas, elle continuait d'écrire, impassible. Gonzo
semble penser qu'Ashitaka manque de respect à sa supérieure. Mais
son attitude est bien exagérée, comparée au calme de Dame
Eboshi.
Gonzo est à plusieurs reprises tourné en ridicule
par les femmes du village, comme nous avons pu le constater
précédemment : lorsque Toki, l'une des femmes du village, le
traite de paresseux et l'accuse de n'avoir rien fait pour sauver ses hommes.
Dans une autre scène, les femmes du village, regroupées autour de
Dame Eboshi avant son départ pour un combat, se moquent à nouveau
ouvertement de lui, le traitant d'idiot, lui disant qu'il est incapable de
protéger Dame Eboshi.
Le personnage de Gonzo est similaire à celui de Kurotawa
dans Nausicaä de la vallée du vent : dans l'ombre
d'une femme de pouvoir, sa supérieure, belliqueux, souvent tourné
en ridicule par un comportement agressif et démesuré. Kurotawa
est cependant beaucoup plus antipathique, admirant ouvertement sa
supérieure de façon inappropriée, paresseux, mesquin.
Gonzo quand à lui, est montré seulement comme un homme à
l'apparence puissante, mais en réalité soumis à
l'autorité et aux ordres qui lui sont donnés, sans réelle
ambition ou prétention au pouvoir.
Miyazaki caricature cette admiration qu'ont les hommes pour les
femmes puissantes, mais aussi pour n'importe quelle femme : leur
présence semble faire ressortir leurs défauts et les rendre
risibles. Nous découvrons donc souvent des hommes aux
caractéristiques viriles caricaturées, à travers des
scènes de démonstration de force, ou montrant leur
timidité, servilité, soumission....
scènes extraites du Château dans le ciel (00 :
21 : 56)
Sur l'image ci-dessus, extraite d'une scène du
Château dans le ciel, nous voyons Pazu et son patron face aux
pirates, protégeant Sheeta. Leur posture est typique du mâle
protecteur : le dos droit, le torse bombé, les poings
serrés. Ils cherchent à intimider leurs adversaires. Pazu imite
son patron au geste près, de façon comique.
(00 : 22 : 07 et 00 : 22 : 15)
Nous voyons ici l'un des pirates, montrant ses muscles,
jusqu'à en faire sauter les boutons de sa chemise (image de
gauche) : l'image est caricaturale, montrant le ridicule des hommes
cherchant à savoir qui est le plus fort. La scène ne montre en
réalité aucun réel affrontement physique ; en effet
les hommes vont simplement faire des démonstrations de force, ce qui
accentue le caractère amusant de cette scène. La seconde image
à droite montre le patron de Pazu suivant ce jeu de démonstration
de force physique.
Ces mêmes pirates « effrayants » sont
ensuite dépeints comme des enfants face à l'autorité
maternelle : leur mère, Dora, les poussant sans arrêt
à lui obéir et surtout, les affublant de sobriquets loin
d'être flatteurs, tels que
« crétin dégénéré»,
« imbécile », etc.
Lorsque Sheeta monte à bord de leur vaisseau et leur
prépare à manger, les pirates tombent tous
« amoureux » d'elle. Bien qu'elle ne soit qu'une jeune
adolescente, ces hommes sont tellement intimidés et intrigués par
les femmes, étant sans doute très ignorants, qu'ils deviennent
timides devant une jeune fille. Cette situation permet de les montrer sous un
jour particulièrement moqueur : ils se cachent pour aller la voir,
rient bêtement, font tous la cuisine à sa place, croyant au
départ simplement l'aider. Mais celle-ci, rusée, profite un peu
de leur bonne volonté et leur naïveté et tous finissent par
travailler pour elle.
7)d. Le
rapport mère/fils
Le comportement des pirates face à leur mère nous
permet de constater les divers rapports entre les mères et leurs enfants
dans les oeuvres. Comme nous l'avons vu, Dora est une mère relativement
dure avec ses fils, les insultant, les dirigeant sans cesse. Elle correspond
ainsi à un modèle de mère possessive, autoritaire, qui
n'est pas sans rappeler la mère japonaise qui a le besoin de
contrôler la vie de son fils, notamment sa vie amoureuse. Les pirates
redeviennent des enfants face à elle, sont complètement soumis
à ses souhaits. Leur mère les
« démasculinise », les empêche de grandir
vraiment ; même si elle prétexte être obligée de
tout contrôler parce-que ses fils sont idiots.
Yûbaba, la sorcière dans Le Voyage de
Chihiro, est à l'opposé de Dora en ce qui concerne le
rapport avec l'enfant. Extrêmement puissante, comme nous l'avons
découverte dans l'une des scènes analysées
précédemment, elle révèle une nouvelle facette,
celle de la mère, dans la seconde partie de cette même
scène.
Yûbaba terrorisée par son bébé dans Le Voyage
de Chihiro (00 : 38 : 37)
En effet, le personnage change brusquement à un moment
précis de la scène. La sorcière passe d'un personnage
terrorisant à un personnage à son tour terrorisé. En
effet, le bébé de la sorcière se réveille tout
à coup. Nous ne le voyons pas encore dans cette scène, mais
entendons ses pleurs. Le visage de Yûbaba change soudain d'expression,
passant de la méchanceté envers Chihiro à une vraie peur.
Elle se dirige vers le rideau donnant sur la chambre de l'enfant, qui se met
alors à casser meubles, et murs, à faire voler livres et
feuilles. Yûbaba se cache derrière le rideau mais il devient
apparent que face à son enfant, la sorcière n'a plus aucun
pouvoir. Sa voix et ses expressions changent également : celle-ci
se fait mielleuse, douce. Yûbaba est en fait une mère
-malgré son âge- terrorisée par les caprices de son enfant
et qui en est l'esclave. Elle n'est plus puissante face à son enfant,
mais une vraie mère poule, aux petits soins pour son fils et
répondant à ses moindres désirs. Ce changement de
situation permet de voir le personnage de Yûbaba comme un personnage plus
complexe qu'au premier abord, puisque parallèlement à sa toute
puissance dans le petit monde surnaturel dans lequel a été
propulsée Chihiro, elle se retrouve esclave d'un bébé.
Mais cette faiblesse permet de lui redonner un peu d'humanité, lui
apporte un côté sympathique, sans lequel son personnage aurait
été entièrement négatif.
Yûbaba est donc une mère esclave de son enfant,
contrairement à Dora, qui rend plutôt ses fils esclaves
d'elle-même.
Entre ces deux opposés, nous retrouvons des mères
plus distantes : par exemple, la mère de Chihiro, qui semble assez
effacée et peu proche de sa fille, ou la mère de Sophie, dans
le Château ambulant, qui se désintéresse de sa
fille et préfère s'acheter de beaux vêtements ou voyager.
Lisa est un autre modèle de mère, son rapport avec
son fils est encore différent. Elle semble très proche de lui, a
plus un rôle de grande soeur que celui d'une mère.
Elle a en effet un rapport atypique avec son fils : il
l'appelle « Lisa » ; elle l'amène à
l'école, mais ne l'accompagne pas, partant travailler de suite. Elle
laisse une grande part d'indépendance à son fils, qui est
pourtant très jeune. Lorsqu'elle est triste, en colère contre son
mari, elle réagit de façon impulsive, irréfléchie,
ne veut plus faire à manger, s'ouvre une bière ; puis elle
part s'allonger sur son lit pour pleurer, comme une enfant. C'est son petit
garçon qui vient la consoler.
Lisa est tout de même une vraie mère pour
Sôsuke, qui voit en elle une figure d'autorité. Quand il parle
d'elle à Ponyo, il dit : « Ma mère est grande et
belle, mais elle peut être terrifiante. » Ponyo lui
répond : « La mienne aussi ». Ici, les
mères sont les figures d'autorité, et non les pères.
Malgré son côté puérile, impulsif,
têtu, elle est tout de même très maternelle et affectueuse,
recueillant Ponyo et la nourrissant comme sa fille ; elle accepte
également à la fin du film de l'adopter, afin que Ponyo puisse
rester auprès de Sôsuke.
8) Des femmes aux qualités
viriles
Nous pouvons conclure cette partie en analysant une
dernière caractéristique des héroïnes miyazakiennes.
Comme nous l'avons constaté, ces dernières sont fortes,
puissantes ; guerrières ; proches de la
spiritualité ; indépendantes ; rebelles ; mais
certaines d'entre elles évoluent également dans la sphère
féminine traditionnelle.
Cependant, nous pouvons analyser ces diverses
caractéristiques en y trouvant les preuves de certains traits de
caractère. En effet, les héroïnes ont des
personnalités proches de celles qu'ont les hommes,
traditionnellement.
Les qualités viriles, dans le Japon traditionnel,
sont : le courage ; l'audace ; l'impulsivité ; la
violence, si celle-ci est nécessaire ; l'assurance.
Nous constatons, au vu des nos précédentes
analyses, que ces traits de caractère sont présents chez chacune
des héroïnes de Miyazaki. Les qualités
« féminines » sont, au contraire : la
douceur ; la timidité ; la beauté ; le
calme ; la discrétion.
Chacune des héroïnes a ce caractère
traditionnellement « viril » au détriment, dans la
plupart des cas, des qualités « féminines ».
Nous pouvons voir, rapidement, que tous les personnages féminins des
films ont au moins l'une de ces qualités :
En effet, Nausicaä est une guerrière, et donc peut
être violente, armée ; elle est courageuse. En effet, lorsque
le vaisseau de Pejite s'écrase dans le village, elle est la
première sur les lieux ; elle est également prête
à se sacrifier, écrasée par les animaux. Princesse Kushana
est également une guerrière, violente, belliqueuse, courageuse.
Sheeta parvient à s'échapper et fuir ses
ravisseurs, en ayant prouvé son courage en assommant l'un d'entre eux.
Dora est aussi une femme qui n'accepte pas sa condition de femme sans se faire
entendre, elle est intrépide, guerrière.
Satsuki est aussi un personnage courageux, car elle part seule
à la recherche de sa petite soeur, n'attendant pas que des adultes s'en
chargent pour elle. Kiki fait preuve d'audace et de courage en quittant le
cocon familial.
Fio Piccolo et Gina sont toutes deux audacieuses, n'ont pas peur
de dire ce qu'elles pensent des hommes et de la place des femmes.
San et Dame Eboshi sont toutes deux capables de se battre, en
vraies guerrières, et toutes deux sont belliqueuses ; elles sont
également en position de pouvoir, et n'ont pas peur de se battre pour
leurs idées, sans besoin d'un homme à leurs côtés.
Chihiro fait preuve de courage pour survivre dans le monde
magique où elle se retrouve. Sophie apprend à avoir de
l'assurance, du courage, pour se refaire une place et se débarrasser de
son sort.
Enfin, Lisa est l'opposée de la femme
discrète : impulsive, courageuse -elle n'hésite pas à
conduire alors qu'un tsunami se déchaîne-, excessive dans son
comportement.
Ainsi, les héroïnes de Miyazaki, même celles se
retrouvant dans des sphères traditionnellement féminines, n'ont
pas pour autant les qualités traditionnelles. Leurs caractères
sont ceux des hommes, intrépides, courageuses. La majorité des
héroïnes, sont, de plus, libérée des sphères
domestiques, intérieures, et se retrouvent dans des mondes masculins.
Cependant, nous pouvons nous demander si cette image correspond
à l'image de la femme Japonaise d'aujourd'hui ?
Nous pouvons à présent interpréter les
images de femme que nous avons trouvées dans la filmographie de
Miyazaki, et les analyser face à la réalité du Japon
contemporain.
B/ Interprétation
face aux réalités du Japon contemporain
1) Femmes indépendantes, hors de
la sphère féminine
1)a.
Guerrières et career women
Les femmes des oeuvres de Miyazaki, comme nous l'avons vu, ont
toutes des caractéristiques similaires, quelque soit leurs types de
rôles : toutes sont courageuses, aux caractères forts. Elles
ont des qualités « viriles ».
Une grande majorité des femmes, outre leurs autres
caractéristiques, sont dans des positions de pouvoir. Nausicaä et
Kushana sont des princesses et dirigent des peuples, des armées. Dora
est chef d'une bande de pirates. Dame Eboshi est la maîtresse d'un
village entier, d'un peuple de sa création, et une grande
guerrière affrontant les seigneurs alentours. Enfin, Yûbaba est
une sorcière à la tête d'une entreprise, les Bains,
épicentre d'un monde surnaturel. Ces femmes sont dans des positions de
supériorité, dirigeant des villages, des peuples, des
armées.
Ces peuples, ces armées, peuvent être
apparentés à des entreprises. Ces femmes peuvent donc être
vues comme des chefs d'entreprise à part entière, aux lourdes
responsabilités et ayant beaucoup de pouvoir. Or, nous avons vu qu'au
Japon, il est très difficile pour une femme d'accéder à
une position élevée dans la hiérarchie du monde de
l'entreprise, un monde d'hommes.
Les femmes dans le cinéma de Miyazaki représentent
donc une sorte d'idéal, de modèles de femmes fortes et
puissantes, égales de l'homme. Leurs comportements avec les hommes,
tantôt manipulatrices comme Yûbaba ou encore Gran Mamare,
tantôt dominatrices et dirigistes comme Kushana, Eboshi ou Dora, laissent
paraître un désir de renverser les rôles
traditionnels : là où les femmes en entreprise sont
reléguées au statut d'office lady, ou de
secrétaire, apportant le café, ou peinant à faire entendre
leurs voix lors des réunions, les femmes de Miyazaki contrôlent
leur univers. Dans l'univers de Miyazaki, ce sont les hommes qui tiennent le
rôle de l'assistant. C'est le cas pour chacune des femmes de pouvoir dans
ses oeuvres : Princesse Kushana a un bras droit, Kurotawa, qui suit ses
ordres à la lettre, l'admire. Nausicaä est aidée par Asbel,
mais elle a aussi l'ascendant sur son oncle Mito, pourtant chargé de
s'occuper d'elle. Dora a pour « assistants » ses fils,
qu'elle contrôle totalement. Dame Eboshi a pour second Gonzo, rappelant
le personnage de Kurotawa : totalement dévoué,
obéissant, sous ses ordres, et probablement un peu amoureux de sa
maîtresse. Yûbaba a pour assistant le jeune Haku, qu'elle
possède.
Comme nous l'avons vu, les relations des femmes de pouvoir avec
leurs « assistants » comme nous pouvons les appeler, sont
pour la plupart caractérisées par une admiration de la part de
l'homme, fasciné par la femme de pouvoir, sensible à son
courage, soumis à ses ordres car il le veut bien.
Nous pouvons trouver un lien entre les femmes puissantes que l'on
trouve dans le cinéma de Miyazaki et des faits réels au Japon. En
effet, ces femmes en position élevée dans un monde d'hommes, nous
font penser aux career women des années 1980, dont
l'avènement changea la place de la femme dans le monde du travail.
En effet, les femmes jusque là cantonnées au
rôle de mère au foyer ou d'office lady avant le mariage,
commencent à faire de leur carrière une priorité.
Cependant, comme nous avons pu le voir, il est difficile, encore aujourd'hui,
de se faire une place dans le monde très masculin du travail. Les
femmes, si elles sont aujourd'hui plus nombreuses à conjuguer travail et
vie de famille, ont cependant du mal à accéder à des
positions élevées et sont souvent cantonnées à des
rôles les maintenant dans un environnement proche de la sphère
féminine traditionnelle.
Il est ainsi intéressant d'établir ce
parallèle entre les femmes dans un monde d'hommes, et les
héroïnes miyazakiennes. Ces dernières sont non seulement des
femmes de pouvoir dominantes dans un monde traditionnellement
réservé aux hommes, mais elles portent en plus le poids du
scénario sur les épaules. En effet, en plus de leur rapport de
domination sur les hommes et dans l'histoire, en tant que personnages
clés, les femmes ont aussi la capacité à communiquer avec
un autre monde, avec les esprits : capacités que n'ont pas les
hommes dans les films. Cela révèle un rôle primordial dans
les scénarios, les héroïnes véhiculant les
idées du réalisateur et étant ainsi les véritables
messagères, ses représentantes.
1)b. Image d'une femme
cultivée et puissante chez Miyazaki : limites des films et
réalité du système éducatif au Japon
Les personnages que nous avons cités
précédemment, les femmes puissantes et hors de la sphère
féminine, de par leur statut social élevé ou leur position
de domination, sont également des femmes cultivées, vives et
intelligentes.
L'une d'entre elles, Nausicaä, est une jeune femme
intelligente, qui étonne son entourage masculin : son mentor,
Maître Yupa, s'étonne lorsqu'elle lui révèle ses
découvertes concernant la forêt. Il lui dit : « Tu
as fait ça toute seule ? », comme s'il lui paraissait
étonnant qu'une jeune femme ait pu faire de telles
expériences ; mais cette phrase révèle aussi un
sentiment de fierté de la part du mentor. Miyazaki montre par cette
exclamation de la part de Maître Yupa, ou par son étonnement
lorsque c'est Nausicaä qui lui sauve la vie -il supposait qu'il avait
été sauvé par un homme- que la société
japonaise n'admet pas au premier abord, qu'une femme ait un tel rôle. En
effet, le fait que son intelligence, ses qualités de guerrière,
son habileté en tant que pilote soient accueillies avec autant
d'étonnement de la part des hommes, montre bien qu'il ne s'agit pas de
quelque chose considéré comme étant habituel au Japon.
Cependant, nous pouvons constater que dans d'autres films, tels
que Princesse Mononoké, les femmes ont une place
supérieure à celle des hommes, sans ambigüité en ce
qui concerne leur légitimité à s'y trouver ou de doute sur
leurs capacités intellectuelles ou physiques. En effet, Dame Eboshi,
à aucun moment, n'admet une faiblesse due à son sexe, et son
entourage masculin n'évoque jamais le caractère étonnant
de son statut élevé dans le village. En outre, le village est
résolument féministe, les femmes y étant dominantes et
menant leurs hommes « à la baguette ».
La société japonaise sépare les
qualités des femmes de celles des hommes : les hommes sont
guerriers, cultivés (ils accèdent ainsi aux postes de
médecin, de militaire, de professeur d'université...) tandis que
les qualités des femmes les complètent : douceur, tendresse,
bonté, etc.
Or nous remarquons que les héroïnes de Miyazaki ont
des qualités « d'hommes » et qu'elles
étonnent les personnages masculins, lesquels ne s'attendent pas à
ce qu'elles soient « capables ». Nous avons vu, en effet,
que les femmes elles-mêmes ne se voient pas capables d'effectuer les
mêmes tâches qu'un homme. Elles se désignent ainsi,
d'elles-mêmes, à des carrières dans des sphères
« appropriées à leurs qualités
féminines » : professeur des écoles, assistante
sociale, pédiatre, métiers de l'art, etc.
Ainsi nous remarquons ces limites perçues à travers
le regard des personnages masculins dans les oeuvres de Miyazaki. Les
personnages de Porco Rosso nous en fournissent un bon exemple. En
effet, le personnage de Fio est un exemple de jeune femme indépendante,
intelligente, et qui, de plus, travaille dans un milieu très
masculin : dans un garage d'avions de chasse. Ainsi les réactions
du héros, Marco Pagot, nous confirment la difficulté des
personnages masculins à admettre les capacités des femmes dans
des domaines masculins.
Lorsque Fio souhaite réparer l'avion de Porco, ce dernier
est réticent, n'étant pas sûr qu'une jeune fille en soit
capable. Celle-ci se justifie en disant : « je ne peux pas
arrêter d'être une femme, mais laissez-moi réparer votre
avion ». Cette phrase montre bien à quel point le fait
d'être une femme est « normalement » incompatible
avec ce type de travail.
Une autre scène montre que la femme a une place à
tenir par rapport à l'homme : Fio conduit une camionnette pour
aller chercher Porco ; mais lorsque celui-ci arrive, elle lui laisse la
place du conducteur. Ce geste, anodin, pourrait tout de même montrer
qu'en dépit de ses qualités et ses capacités à
faire un travail « d'homme », elle doit laisser l'homme
tenir son « rôle d'homme ».
Le caractère « extraordinaire » de ces
femmes est ainsi involontairement souligné. L'impression qui en ressort
est que ces femmes sont perçues par les Japonais comme des femmes qui
sont, effectivement, hors de leur sphère féminine, et que
là n'est pas traditionnellement leur place.
Ayant observé que l'intelligence supérieure des
héroïnes miyazakiennes est fortement mise en valeur dans les films,
nous pouvons établir un parallèle avec la réalité
de la place des femmes dans le système éducatif, et leur place
dans les films.
Or, si les personnages féminins de Miyazaki sont
glorifiés, admirés par les hommes, lorsque nous regardons
l'éducation au Japon, nous remarquons qu'il existe toujours une division
sexuée selon les domaines d'études, et cela jusque dans le
travail.
Les femmes sont nombreuses dans les études de lettres, de
langues ou d'art ; comme nous l'avons dit précédemment,
elles se destinent majoritairement à un travail qui correspond à
la sphère féminine. Les hommes quant à eux,
étudient la médecine, les mathématiques, les sciences,
etc. De plus, les universités pour femmes, les tandai, existent
toujours, accentuant cette division sexuée.
Il est toujours difficile pour une femme d'accéder
à un poste élevé, que ce soit en entreprise, dans les
médias ou dans le monde de l'enseignement. De plus, les femmes ont
l'obligation de penser à leur devoir de mère, et la pression du
mariage persiste sur les jeunes femmes passées vingt-cinq ans.
2) Femmes dans la sphère
féminine dans le cinéma de Miyazaki
2)a. La
ryosai kembo et les héroïnes miyazakiennes
Nous l'avons vu dans notre première partie, les femmes
japonaises jouissent dans leurs jeunes années de la liberté de
travailler ou de faire des études. Mais à partir de vingt-cinq
ans environ, la pression familiale exige de la femme qu'elle se marie
dès que possible, sous peine de finir « vieille
fille ». Si on assiste aujourd'hui à une baisse du nombre de
mariages et une augmentation de divorces, la société demande
toujours à ce que la femme sache concilier ses nouvelles aspirations et
son devoir traditionnel : celui d'être une épouse et une
mère.
Les femmes représentées dans les films de Miyazaki
ont souvent un rôle d'épouse et mère pour les hommes. Les
hommes japonais sont en effet soumis au complexe oedipien d'une épouse
au comportement maternel, celui qu'avait leur mère avec eux. Les hommes
dans les oeuvres de Miyazaki sont ainsi réduits à l'état
de petit garçon face aux femmes. Nous l'avons vu avec Gonzo, dans
Princesse Mononoké, ou les pirates dans le Château
dans le ciel, mais c'est également le cas dans Kiki la petite
sorcière, où le boulanger ne parle pas du tout durant tout
le film. Miyazaki montre une image de la femme plus forte que l'homme, plus
sage que lui, capable de le guider : les femmes sont les guides des
hommes. Les mères chez Miyazaki sont les plus fortes de toutes :
les femmes puissantes réduisent les hommes à l'état de
petit garçon, rappelant ainsi leur relation avec la mère. Notons
qu'au Japon, la relation entre la mère et le fils est formatrice et
explique beaucoup de leurs complexes et futurs comportements vis-à-vis
des femmes. Ainsi les hommes de Miyazaki sont soumis aux femmes, qu'ils
apparentent à leurs mères : les femmes, les mères,
sont les figures d'autorité, et non les pères.
La ryosai kembo est le modèle parfait de
l'épouse et mère traditionnelle ; en observant les
personnages de Miyazaki, nous voyons que celles qui se trouvent dans des
sphères féminines ne sont pas pour autant à ranger dans la
catégorie des ryosai kembo. En effet, ses héroïnes
correspondent à l'évolution qu'ont voulue les femmes dès
les années 1980. La mère de famille travaille, mais peut aussi
être une bonne mère. Les héroïnes de Miyazaki
répondent à ce critère : à la fois
mères et épouses, elles sont néanmoins
indépendantes.
Nous pouvons prendre comme exemples pour comparer les Japonaises
modernes et les personnages de Miyazaki, Yûbaba et Lisa, respectivement
héroïnes du Voyage de Chihiro et Ponyo sur la
falaise. Ces dernières nous permettent d'établir un
parallèle avec le statut des mères japonaises de la nouvelle
génération.
Yûbaba n'est certes pas une femme jeune, mais elle est une
mère et plus intéressant encore, n'a pas de mari. Nous l'avons
déjà remarqué, Miyazaki ne représente jamais de
famille traditionnelle : l'une des figures familiales est toujours
absente. Or il est intéressant de voir que dans le cas de Yûbaba,
son bébé semble avoir été conçu par sa
volonté seule, sans le besoin d'un père. De plus, Yûbaba
est une femme de pouvoir, directrice toute puissante d'une véritable
entreprise. Nous voyons ici un parallèle avec les réclamations
des femmes dès les années 1980 : plus de pouvoir dans leur
travail, une vraie carrière, moins de pression pour se marier, mais le
choix d'avoir des enfants ou pas. La femme japonaise veut plus
d'indépendance dans ses choix, se libérer des pressions qui lui
dictent de se marier le plus tôt possible et d'avoir des enfants, pour ne
s'occuper que de sa famille, sans autre besoin. Nous avons vu qu'avec le
phénomène DINKS (Double Income, No Kids) désormais
les couples ne choisissent pas forcément de suivre la tradition et de se
marier, en dépit des très fortes pressions qu'ils subissent via
leur famille ou encore les médias.
Lisa est quand à elle un personnage très
intéressant car elle représente très bien la femme
japonaise d'aujourd'hui, dans ses contradictions et ses nouveaux comportements.
En effet, Lisa est une très jeune femme, mariée. Nous ne voyons
jamais son mari avec elle : ainsi le foyer n'est réellement
composé que de Lisa et son fils Sôsuke. Lisa peut donc être
considérée comme une mère seule ; même si son
mari travaille, elle travaille également, bien que son enfant soit
encore très jeune. Elle laisse beaucoup d'indépendance à
son fils, et, en femme moderne, laisse ce dernier l'appeler non pas
« maman » mais « Lisa-san ». Son
caractère est également représentatif des nouveaux
comportements des Japonaises : plus revendicatrices, plus sûres
d'elles, moins soumises à leur mari. En effet, nous l'avons vu, Lisa est
un personnage très impulsif, aux caractéristiques
considérées comme masculines. Elle conduit très vite,
brave des dangers inconsidérés grâce à une
très grande confiance en elle -ce qui est une attitude
traditionnellement fortement déconseillée aux femmes. Lorsque son
mari la contrarie, elle se fait entendre et n'adopte pas une attitude soumise.
Elle boit de la bière. Lisa correspond donc à l'image des
career women, qui concilient leur vie de famille et leur travail, sans
abandonner leur profession dès la naissance de leur enfant. Elle est
ainsi très loin de la ryosai kembo : celle-ci ne se serait
jamais offusquée de l'absence prolongée de son mari- au contraire
elle aurait été heureuse de rester au calme dans son
intérieur- et elle ne l'aurait certainement pas disputé au
téléphone. La ryosai kembo ne conduirait pas non plus
ainsi, et ne travaillerait pas à plein temps, surtout si son fils unique
était encore aussi jeune.
Cependant nous constatons que Lisa a un travail très
proche de la sphère féminine traditionnelle : elle travaille
dans une maison de retraite. Cela correspond en effet à la
réalité au Japon : les femmes peuvent certes travailler et
être des mères et épouses respectées, mais la grande
majorité d'entre elles travaillent dans des milieux tels que la petite
enfance, les maisons de retraite, l'enseignement, l'aide sociale, et la plupart
du temps à mi-temps. Lisa ressemble donc à la mère
japonaise telle que nous la trouvons aujourd'hui, entre ses aspirations
professionnelles, et les limitations de son choix de travail, dues aux
distinctions de sphères féminines et masculines encore
présentes dans le monde du travail.
2)b. Le partage des
sphères
Mon Voisin Totoro est le seul film de Miyazaki où
le rôle des femmes est clairement opposé à celui des
hommes, mais aussi, dans lequel un homme prend la place d'une femme pour les
tâches féminines.
Miyazaki décrit donc un monde traditionnel, celui des
années cinquante, dans lequel les femmes ont un rôle
précis : celui de s'occuper des enfants, de faire la cuisine. La
grand-mère, voisine, garde les petites quand elles sont seules ; on
la voit s'occuper des récoltes de légumes, préparer
à manger. Satsuki, l'aînée des deux enfants, a le
rôle de « petite maman », comme nous l'avons vu
précédemment. Elle s'occupe de sa petite soeur comme le faisait
sa mère : la coiffant, l'habillant. Elle prépare
également les repas pour sa soeur mais aussi pour son père.
Ce dernier est par ailleurs le seul personnage masculin, comme
nous l'avons dit, à avoir un rôle non pas subalterne comme les
autres personnages, mais dans la sphère féminine. Il s'occupe du
ménage, de la lessive. Ce genre de tâches est habituellement le
travail des femmes au sein de la famille : s'occuper des enfants, leur
faire prendre le bain, s'occuper des tâches ménagères, de
l'intérieur, pendant que le père travaille. Travaillant comme
professeur d'université, il passe beaucoup de temps chez lui, ce qui lui
permet de surveiller ses enfants -en principe, car il oublie de surveiller sa
fille cadette dans l'une des scènes du film. Contrairement aux hommes
japonais dans les années cinquante, Mr Kutanabe passe beaucoup de temps
avec ses enfants. Alors que la majorité des hommes à
l'époque étaient exclus du cercle familial, passant le plus clair
de leur temps à travailler, ce personnage se différencie par sa
présence et son affection pour ses filles.
Dès les années cinquante au Japon, la famille
nucléaire sans père fait son apparition, et les hommes passent
moins de temps avec leur famille, et bien plus au bureau. Nous l'avons vu, les
employés japonais passent énormément de temps au bureau,
en voyage d'affaires, ou en réunions avec les collègues, bien
plus que dans les pays occidentaux. La relation avec les femmes n'arrange pas
cette séparation : tandis que l'homme peine à se trouver une
place dans le cocon familial, la femme cherche à tout prix à en
sortir, en partant, elle aussi, au travail. Mon Voisin Totoro
représente un monde idyllique. Basé sur la propre enfance du
réalisateur, nous pouvons penser que ce monde est pour lui une forme
d'idéal simple. Ce film nous permet donc de voir une famille où
les rôles sont inversés, dans un monde traditionnel ; cette
image est ainsi bien loin de la réalité, générale
bien sûr, du Japon à l'époque. Miyazaki inverse donc les
rôles que tenaient les hommes à cette époque, et
préconise une relation plus proche entre les pères et leurs
enfants, se rapprochant ainsi du rôle traditionnel de la mère.
Nous pouvons conclure cette troisième et dernière
partie sur ce point : Miyazaki représente un monde ressemblant
à son idéal dans ses films. Les rapports entre hommes et femmes y
sont caricaturés, mais c'est afin de montrer que la
société pourrait fonctionner différemment qu'elle
ne le fait. Nous trouvons dans ses films des sociétés
matriarcales, des femmes puissantes, des hommes dans la sphère
féminine. Miyazaki semble ainsi, en inversant les rôles
traditionnels, prendre parti pour un véritable partage des
sphères entre les hommes et les femmes. Mais il nous montre
également un monde dans lequel les femmes ont le premier rôle. Ces
dernières sont les messagères, les guides, les mères des
hommes, qui face à elles, n'en sont que les subalternes, les assistants,
les disciples fascinés. A travers cette analyse, nous avons
constaté que le réalisateur cherchait à montrer que le
monde ne peut fonctionner sans la participation active des femmes, et cela dans
toutes les sphères de la société.
CONCLUSION
Aujourd'hui le Japon est un pays moderne, ultra-technologique,
toujours à la pointe en matière de robotique et de nouvelles
technologies. Difficile d'imaginer que les relations entre les hommes et les
femmes sont encore ancrées dans une tradition passéiste, qui
persiste à influencer le monde du travail et s'insinue dans les lois
d'égalité des chances. Et pourtant, force est de constater que la
séparation entre les mondes masculins et les mondes féminins est
toujours importante et se ressent dans de nombreux éléments de la
vie des Japonais.
L'étude de la place et le rôle de la femme au sein
de sa société est capitale pour étudier le fonctionnement
sociétal d'un pays, son évolution. Ainsi, il est d'autant plus
révélateur d'aborder cette question par le biais de
l'étude des médias, miroirs de la société
contemporaine. C'est pourquoi nous nous sommes intéressés
à un style de cinéma bien particulier, très
représentatif, aux yeux des Occidentaux, du Japon : le
cinéma d'animation.
Nous avons choisi de nous pencher sur le cas du
réalisateur Miyazaki, cinéaste à succès dans son
pays, mais également à renommée internationale. Il est
intéressant, pour l'étude de l'impact sociétal que peut
avoir un tel média, de savoir que ces films s'adressent non seulement
à des enfants, mais attirent également des publics plus
adultes.
Hayao Miyazaki aime représenter des femmes. Ce sont les
femmes qui sont ses véritables héroïnes. L'analyse de ses
personnages féminins nous a permis non seulement de voir quelle image de
la femme le réalisateur souhaitait montrer, mais aussi quel rôle
l'homme tenait par rapport à elle.
Ainsi, nous avons tenté, avec ce mémoire, de
répondre à la question suivante : quelle image de la femme
Hayao Miyazaki offre-t-il dans son cinéma ?
Les femmes dans le cinéma de Miyazaki sont des femmes
indépendantes, courageuses, aux qualités viriles. Or, nous avons
vu que dans le Japon traditionnel, les femmes appartenaient à la
sphère intérieure : la famille, la maison, les enfants.
Toutes leurs activités touchent à ces domaines. Ainsi, les
médias leur offrent des magazines interpellant leurs seules
préoccupations : la décoration, la cuisine, la mode,
l'éducation. Les femmes sont traditionnellement tenues de se marier
jeunes, entre vingt et vingt-cinq ans. Avant de se marier, elles ont quelques
années de liberté, pour voyager, pour travailler. Mais ensuite
vient l'appel du devoir, de leur « vrai »
métier : mère et épouse.
Or, les femmes, dès les années 1980, commencent
à souhaiter travailler plus longtemps, concilier leur vie de famille
avec une vie plus complète, par le biais du travail. La
révolution douce s'est immiscée au Japon à l'insu des
hommes, qui ont encore aujourd'hui peine à prendre la mesure des
évolutions de sa société. Les femmes japonaises sont plus
que jamais, actrices des temps modernes et de l'évolution de la
société. Bien que le poids des traditions pèse encore bien
lourd sur leurs épaules, les femmes japonaises ont été ces
dernières années, en avance sur leurs compatriotes masculins. En
avance, car elles sont désormais plus extraverties que les hommes ;
elles ont également, et plus que les hommes, la possibilité de
voyager, d'apprendre des langues étrangères. Elles se sont plus
ouvertes au monde extérieur et leurs opportunités et choix de vie
ont beaucoup augmenté ces dernières années. Certaines
d'entre elles font aujourd'hui le choix de ne pas se marier, de ne pas avoir
d'enfants, ou de continuer à travailler après le mariage,
malgré une société qui fait toujours pression sur leurs
primes obligations.
C'est cette liberté qu'ont les femmes de voyager, de
s'intéresser aux autres cultures, et surtout leurs nouveaux choix, sans
l'obligation, comme pour les hommes, d'assurer directement un revenu au foyer
avec un bon travail en entreprise, qui nous permet de voir les femmes
d'aujourd'hui comme des précurseurs des évolutions sociales.
Dans le Japon contemporain, nous pouvons donc considérer
les femmes japonaises comme de véritables guides, face aux hommes ayant
encore du mal à comprendre cette évolution surprenante, ce
détachement des traditions précipité par les nouvelles
exigences féminines. D'ailleurs les hommes sont souvent victimes dans ce
nouveau fonctionnement de la société. Comme le dit Nilsy Desaint
dans son ouvrage Mort du père et place de la femme au Japon,
l'homme aujourd'hui semble répondre à trois
impératifs : « obéissance à la mère
quand il est jeune, à l'entreprise quand il est adulte, et à sa
femme quand il est à la retraite »152(*). Les hommes subissent de
plus en plus de pressions, et le changement du statut des femmes et de leurs
aspirations ne font que le déstabiliser. Ce dernier se réfugie
alors dans les mondes virtuels, fuyant le travail où il passe le plus
clair de son temps, et s'éloignant d'une femme qui ne se contente plus
d'un rôle d'épouse traditionnel. Il en résulte une
véritable perturbation psychologique chez les hommes, une crise des
modèles menant à une remise en question identitaire.
Nous pouvons ici établir un parallèle
intéressant entre l'image que Miyazaki donne des femmes et de leurs
rapports aux hommes dans ses oeuvres. Tout comme les femmes se sont
manifestées comme des précurseurs des évolutions sociales
ces dernières années, les héroïnes de Miyazaki sont
des guides, des messagères. Leurs capacités à communiquer
avec l'au-delà, leur relation au spirituel, sont des métaphores
pour leur faculté à comprendre, avant les hommes, ce qui les
entoure. Nous retrouvons cette capacité à comprendre leur monde
dans la crise des modèles que vit le Japon aujourd'hui.
Il est intéressant de noter que la réalité
semble petit à petit rejoindre la fiction. Aujourd'hui, en effet, les
femmes souhaitent de plus en plus s'affranchir de ce monde traditionnel qui les
maintient si loin des rôles qu'elles ont dans le cinéma de
Miyazaki : chez lui, les femmes sont guerrières, chefs, magiciennes
toutes puissantes. Dans le Japon contemporain, elles sont de plus en plus
nombreuses à vouloir être chefs d'entreprises, avoir une position
sociale élevée par le travail, plus de responsabilités,
une vraie indépendance. Elles souhaitent également avoir le choix
que leurs mères et grand-mères n'ont pas eu : celui de se
marier ou non, d'avoir des enfants ou non. Le phénomène du
« Double Kids-No Income » est révélateur des
évolutions de la société japonaise : les femmes se
rebellent contre les traditions qui leur ont été imposées
pendant très longtemps, avec des conséquences qui peuvent parfois
être désastreuses, tel le phénomène des enjo
kosai (adolescentes prostituées).
Mais les caractéristiques des héroïnes de
Miyazaki nous permettent également de voir que le réalisateur
cherche avant tout à montrer que les femmes n'appartiennent pas à
une sphère privée, intérieure ; il ne les
réduit pas au rôle traditionnel que les hommes leur ont
imposé pendant des années. Malgré la présence
d'éléments nous rappelant qu'aujourd'hui encore, la tradition est
encore bien présente et maintient la femme dans certains rôles
bien définis (nous pensons à certaines scènes de
déférence envers l'homme comme nous les avons vues dans Porco
Rosso) les films de Miyazaki montrent surtout des femmes
libérées de l'enfermement dans un rôle
traditionnellement« féminin ».
Miyazaki nous montre également les hommes sous un jour
différent : ce ne sont pas eux les héros. Ils sont loin de
l'image de valeureux chevaliers, de sauveurs de damoiselles en détresse
montrés dans les livres pour enfants. Les hommes y sont montrés
comme des assistants des femmes, des subalternes.
Ainsi, les traditionnels arguments prônant que les femmes
ne peuvent pas accomplir certaines tâches, ou ne sont pas capables de
faire certains métiers, en raison de leur faiblesse physique, sont
rejetés. Miyazaki montre des femmes aussi fortes, sinon plus fortes, que
les hommes, tant moralement que physiquement.
Miyazaki semble ainsi soutenir la quête des femmes pour
plus de liberté, en représentant des hommes ridicules face aux
femmes, des femmes sages et guidant les hommes vers la vérité, ou
encore en montrant que les hommes peuvent eux aussi, intégrer la
sphère féminine, comme il l'a montré dans Mon Voisin
Totoro.
Mais qu'en est-il réellement de l'évolution des
opinions japonaises ? Les traditions sont encore très importantes
pour un grand nombre de Japonais, et la révolution des femmes s'est
faite très doucement. Ce sondage d'opinion nous montre qu'il est encore
difficile pour les Japonais, hommes et femmes confondus, de se libérer
des rôles traditionnels. Miyazaki semble alors être
précurseur, puisque, comme nous l'avons vu dans certaines interviews,
même les jeunes Japonaises aujourd'hui réfléchissent
toujours avec ce schéma de pensée : les femmes, plus
faibles, ne peuvent pas faire certains métiers. Les femmes
s'intéressent uniquement aux arts, à la littérature ;
les hommes aiment les sciences, le droit, la médecine...
En effet, dans l'opinion des Japonais, le poids des traditions
persiste : une grande majorité pense qu'il est souhaitable que les
femmes donnent la priorité à la vie de famille avant le travail
(45%). Ils pensent également que « les femmes doivent
être responsables des travaux ménagers et de l'éducation
des enfants bien qu'il soit positif qu'elles aient une activité
professionnelle » à 86,4%. Mais la majorité soutient
qu'il est préférable que l'homme donne la priorité au
travail, devant sa vie de famille (62,4%)153(*).
Sans doute, le chemin est encore long à parcourir pour que
les femmes accèdent à une égalité totale avec les
hommes. Mais il faut aussi noter que les hommes japonais souffrent
énormément de ces évolutions. Ces derniers souhaitent
accepter les nouvelles exigences de leurs compagnes ; seulement tout le
défi réside dans leur capacité à comprendre que le
monde traditionnel et le monde moderne ne semblent pas compatibles dans le
monde du travail et familial, et qu'il conviendrait peut-être aujourd'hui
de les séparer pour de bon.
Nous avons ainsi observé que les personnages
féminins de Miyazaki accompagnaient les aspirations de la nouvelle
génération de Japonaises. Cependant, nous devons nous interroger
sur la capacité de films d'animation à retranscrire la
réelle évolution sociétale d'un pays. Le public qui est
adressé avec ces oeuvres est essentiellement jeune, adolescent, bien
qu'il ne soit pas rare que des adultes apprécient ce cinéma.
Ainsi, nous pouvons penser que la portée des messages est
limitée, et n'influence qu'une partie de la population. De plus, il ne
faut pas oublier que ces films retranscrivent la vision d'un auteur, qui n'est
ainsi pas forcément représentatif d'une large partie de la
population. Mais le succès phénoménal des oeuvres montre
toutefois, que les personnages et l'image des héroïnes correspond
aux attentes de son public.
Ce sujet et ses conclusions nous amène naturellement
à nous poser des questions quant aux thématiques y étant
liés et la façon dont celles-ci pourraient être
abordés. En travaillant sur l'angle sociétal de ce sujet, nous
pourrions étudier le Japon à nouveau mais à travers
d'autres médias, tels que la presse ou la télévision, en
élargissant notre sujet d'études : pas uniquement les
femmes, mais les hommes et les enfants également, afin de faire de
nouvelles découvertes concernant les particularités de la
société japonaise et les différences notables avec la
société occidentale.
L'étude de l'image de la femme dans le cinéma
d'animation japonais peut nous mener par la suite, à nous
intéresser aux images de femmes que l'on retrouve dans le cinéma
d'animation occidental. Cette étude nous permettrait ainsi
d'établir un parallèle sur les représentations
féminines que l'on y retrouve et la société occidentale et
ses clichés. De princesses sauvées par des princes charmants
à de nouveaux héros, nous pourrions étudier comment ces
stéréotypes évoluent avec le temps avec les
dernières sorties cinématographiques.
Ces pistes d'études nous permettront, ainsi, d'approfondir
l'analyse des évolutions sociétales de différents pays,
à travers divers médias représentatifs de ces
sociétés.
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES : en français
ANGELONI Vera, Le Consensus japonais au
féminin p 295 à 316, in Japon le consensus, mythes et
réalités, du CESEJ, Paris éditions
Economica, 1984, 452 p.
BARRES Patrick, Le Cinéma
d'animation, un cinéma d'expériences plastiques, Paris,
L'Harmattan, 2006, 19 p.
BARTHES Roland L'Empire des
signes, éditions du Seuil, 2005, 153 p
(édition originale 1970).
BENDAZZI Giannalberto, Cartoons, le
cinéma d'animation de 1892 à 1992, éditions Liana
Levi, 1991, 704 p. et ill.
BOUISSOU Jean-Marie, Le Japon
Contemporain, éd. Fayard Ceri, Paris, 2007, 613p.
CHOEL Raphaëlle, ROVERRO-CARREZ Julie,
Tokyo sisters, dans l'intimité des femmes japonaises,
éditions Autrement, 2010, 194 p.
COTTE Olivier, Il était une fois
le dessin animé... et le cinéma d'animation, Paris,
Dreamland, 2001, 343 p. et ill.
CSEJ, Japon Pluriel 6,
éd.Philippe Picquier, Arles, 2006, 484p.
DESAINT Nilsy Mort du père et place
de la femme au Japon : crise du modèle patriarcal et
égalité des sexes dans le Japon contemporain, Paris,
éditions L'Harmattan, 2007, 210 p.
DOUIN Jean Luc, Dictionnaire de la censure
au cinéma, Paris éditions Quadrige/PUF, 1998, 520p.
ELISEEF Danielle, Confucius. Des mots en
action, Découvertes Gallimard/Réunion des Musées
nationaux, 2003, 127p.
GARRIGUE Anne, Japonaises, la
révolution douce, Picquier poche, 2000, 342 p.
GIARD Agnès, L'imaginaire
érotique au Japon, éditions Albin-Michel, Paris, 2006, 332
p.
GRAVEREAU Jacques, le Japon au XXe
siècle, Paris, éditions du Seuil, 1993, 636p.
HOCHMAN Natacha et BUISSON Dominique,
Regards sur la femme Japonaise, éditions Hatier, Paris,
128p.
IWAO Seiichi, IYANAGA Teizo, ISHII Susumu,
Dictionnaire historique du Japon, vol.1, Maison franco-japonaise de
Tokyo, Paris, 2002, 1725 p.
JOLIVET Muriel, Japon, la crise des
modèles, Paris, éditions Philippe Picquier, 2010, 320 p.
JOLIVET Muriel, Homo Japonicus,
Picquier poche, 2002, 585 p.
JOLIVET Muriel, Un pays en mal
d'enfants : crise de la maternité au Japon, la
Découverte/essais, Paris, 1993, 269p.
KOYAMA-RICHARD Brigitte, Mille ans de
manga, Paris, éd. Flammarion collection Arts Graphiques, 2007,
245p.
LALOUX René, Ces dessins qui
bougent 1892-1992 : cent ans de cinéma d'animation, Paris,
Dreamland, 1996, 200 p.
RAFFAELLI Luca, Les Âmes
dessinées : du cartoon aux mangas (traduit de l'italien
par Marie-Dominique Fournier), Paris, Dreamland, 1996, 176 p. et ill.
TOCCOLI Vincent-Paul, BOLLUT Gersende,
Miyazaki l'enchanteur, éditions Amalthée, in collection
« Japon d'hier, d'aujourd'hui et de demain » 2008
OUVRAGES : en anglais
BEAUCHAMP Edward, Windows on Japanese
education, Greenwood Press, Westport, 1991, 334p.
CAVALLARO Dani , The anime art of Hayao
Miyazaki editions Jefferson, N.C. : McFarland & Co, 2006, 212p.
LIDDLE Joanna et SACHIKO Nakajima, Rising
Suns, Rising Daughters : gender, class and power in Japan, Zed books,
London, 2000, 320p.
MACKIE, Vera, Feminism in modern Japan,
Cambridge university press, Cambridge, 2003, 293 p.
Mc CARTHY Helen, Miyazaki, master of
japanese animation: films, themes, artistry, Berkeley,
California, Stone Bridge press, 1999 240 p.
McCARTHY Helen, The Anime Movie Guide:
Japanese Animation since 1983, Titan, London, 1996, 352 p.
McCARTHY Helen et CLEMENTS
Jonathan, The Anime Encyclopedia: Japanese Animation since
1917,
Stone Bridge
Press, Berkeley, 2001, 870 p.
NAPIER Susan J., Anime from Akira to
Princess Mononoke, experiencing contemporary Japanese animation, New York,
Palgrave, 2001, 311p.
SCHODT Frederick, Manga ! Manga !
The world of Japanese comics, USA, Kodansha International, 1983, 260p.
WATSON Leonard J, Caricaturing and
cartooning , éditions Scranton International Correspondance
Schools, 1948
WICHMANN Siegfried Japonisme :the japanese
influence on western art since 1858, Londres, Thames&Hudson, 2007, 432
p.
OUVRAGES TRADUITS DU JAPONAIS
Mineko IWASAKI avec Rande BROWN, Ma vie de
geisha, Michel Lafon Publishing, 2003, 349 p.
Ogawa HIKOKUR et Kashiwara KIYOUEMON, traduit
par Claire DODANE, La grande étude des femmes,
Monographies de la MJF, Séries classiques, Tokyo : maison
franco-japonaise, 1996, 25 p.
Tadao SATO, traduit par Gregory
BARRETT, Currents in japanese cinema, New York Kodansha
International USA, 1982, 288 p.
MIYAZAKI Hayao, Shuppatsuten, editions
Tokuma Shoten, Tokyo, 1997, 584p.
MIYAZAKI Hayao, «The Hopes and Spirits of
Contemporary Japanese Girls» in The Art of Kiki's delivery
service, editions Tokuma Shoten, Tokyo, 1989. 208p.
ARTICLES DE PRESSE
BELLEFONDS Francis, Histoire de
l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11 février
2011, revue Chronicart, <
www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>
BERGALA
Alain Ambiance jeunes filles in Cahiers du
cinéma, numéro 596, décembre 2004, pages 16-17
CHAUVIN Jean-Sébastien et HIGUINEN Erwan
Le triangle d'or de la "japanimation" in Cahiers du
cinéma, numéro 567, avril 2002, pages 16-17 et 19-21
HIGUINEN Erwan, Le monde selon
Ghibli, in Cahiers du cinéma, numéro 567, avril 2002, pages
14-15
HIGUINEN Erwan Au Japon, Chihiro enfonce
Titanic in Cahiers du cinéma, numéro 567, avril 2002
page 17
HOSHIGUSHI Takashi, traduit par Takayuki
Karahashi, The whimsy and wonder of Hayao Miyazaki, in
Animerica, vol.1, num.5, juillet 1993, p.7
JETBLACK, Historique : les
séries télévisées Tôei Animation, paru
en décembre 2008, page consultée le 14 février 2011, <
www.mata-web.com/anime-manga/index.php>
JETBLACK, Historique : TMS et Madhouse,
la qualité avant tout, paru en février 2009, page
consultée le 14 février 2011 <
www.mata-web.com/anime-manga/index.php>
LEFRANCOIS Mikaël,
« S'intégrer dans une entreprise japonaise, un parcours
initiatique », in Aujourd'hui le Japon, page
consultée le 4/03/11 <
www.japon.aujourdhuilemonde.com>
MALAUSA Vincent L'enfance ronde de
Miyazaki in Cahiers du cinéma, numéro 567, avril 2002,
page 18
PATTEN Fred, A capsule history of
Anime, paru en 1996 in Animation World network, page
consultée le 14 février 2011 <
www.awn.com/mag/issue1.5/articles/patten1.5.html>
SARRAZIN Stephen Anime
now : Les nouvelles tendances du ciné-manga in Cahiers du
cinéma, numéro 616, octobre 2006, pages 20-21
SARRAZIN Stephen Miyazaki de père en
fils, in Cahiers du cinéma, numéro 616, octobre 2006, pages
14-15
DOCUMENTAIRES AUDIOVISUELS :
BAUDER Thomas, Le Choc des cultures,
France 3, diffusion 15 janvier 2003, 10 min.
URATANI Toshio, Princess Mononoke:
making-of a masterpiece, Buena Vista Home entertainment, 2004, 58 min.
SITES Internet:
BODEN Sean, Women and Anime : popular
culture and its reflection of japanese society, nov. 2001, page
consultée le 18/02/11
<www.nausicaa.net/miyazaki/essay/files/SeanBoden_WomenandAnime.pdf>
FRIEDMAN Erica, Anime with strong, adult
female leads, oct 2008, page consultée le 22/02/11, <
www.okazublogspot.com/2008/10/anime-with-strong-adult-female-leads.html>
TAKAHASHI Nozomi « La femme de la
génération « arafou » à la recherche
du bonheur », in Panel 11 : le Japon des magazines,
exotisme et construction identitaire, page consultée le 31/03/11,
site du SFEJ, 2010, <
www.sites.google.com>
MIYAZAKI Hayao, «The current situation of
Japanese movies», in Course on Japanese movies 7, Iwanami Shoten,
janvier 1988, source <www.nausicaa.net>
NUITA Yoko, L'influence des médias
audiovisuels sur le comportement socioculturel des femmes au Japon, in
Influence des médias sur les comportements socioculturels des
femmes, site de l'Unesco, 1980, page consultée le 31/03/11,
<www.unesdoc.unesco.org>
OGAWA Naohino, Demographic trends and their
implications for Japan's future, mars 1997, site du ministère des
affaires étrangères au Japon, page consultée le 06/04/11,
<
www.mofa.go.jp>
Site de Fuji television, page consultée le 05/04/11, <
www.fujitv.co.jp>
Site officiel du ministère japonais de la Santé, du
Travail et des Affaires Sociales, page consultée le 4/03/11 <
www.mhlw.go.jp/english/>
FILMOGRAPHIE
§ 1984 : Nausicaä de la vallée
du vent (Kaze no Tani no Naushika)
§ 1986 :
Laputa, le
château dans le ciel (Tenku no shiro Rapyuta)
§ 1988 :
Mon voisin
Totoro (Tonari no Totoro)
§ 1989 :
Kiki la
petite sorcière (Majo no takkyûbin)
§ 1992 :
Porco
Rosso (Kurenai no buta)
§ 1997 :
Princesse
Mononoké (Mononoke hime)
§ 2001 :
Le Voyage de
Chihiro ( Sen to Chihiro no kamikakushi)
§ 2004 :
Le Château
ambulant (Hauru no ugoku shiro)
§ 2008 :
Ponyo sur la
falaise (Gake no ue no Ponyo)
ANNEXES
Fiches techniques
Nausicaä de la vallée du
vent
Titre :
|
Kaze no Tani ni Naushika (Nausicaä de la
Vallée du Vent)
|
Année de création
|
1984
|
Oeuvre originale, scénario, réalisation, mise en
scène, character design :
|
Hayao Miyazaki
|
Producteur du projet :
|
Toru Hara
|
Producteur exécutif :
|
Isao Takahata
|
Production :
|
Yasuyoshi Tokuma, Michitaka Kondo
|
Directeur de l'animation :
|
Kazuo Komatsubara
|
Direction artistique, décors :
|
Mitsuki Nakamura
|
Musique originale, composition :
|
Joe Hisaishi
|
Directeur du son
|
Shigemaru Shiba
|
Le Château dans le ciel
Titre :
|
Tenku no shiro Ryaputa a.k.a Laputa (Castle in the sky /
Le château dans le ciel)
|
Année de création
|
1986
|
Oeuvre originale, scénario, réalisation, mise en
scène, character design :
|
Hayao Miyazaki
|
Producteur du projet :
|
Yasuyoshi Tokuma
|
Producteur exécutif :
|
Isao Takahata
|
Production :
|
Tokuma Shoten
|
Planning :
|
Tatsumi Yamashita, Hideo Ogata
|
Directeur de l'animation :
|
Yoshinori Kanada
|
Direction artistique, décors :
|
Toshiro Nozaki, Nizo Yamamoto
|
Couleurs :
|
Michiyo Yasuda
|
Musique originale, composition et arrangements des
génériques :
|
Joe Hisaishi
|
Chanson du générique "Kimi wo Nosete" (Carrying
You):
|
Paroles de Hayao Miyazaki Composé par Joe
Hisaishi Chanté par Azumi Inoue
|
Son :
|
Shigearu Shiba
|
Effets spéciaux :
|
Gou Abe, Shinji Teraoka
|
Mon Voisin Totoro
Titre :
|
Tonari no totoro ( Mon voisin Totoro )
|
Année de création
|
1987
|
Oeuvre originale, scénario, réalisation
|
Hayao Miyazaki
|
Producteur du projet :
|
Yasuyoshi Tokuma
|
Planification :
|
Tatsumi yamashita, Hideo Ogata
|
Directeur artistique, décors :
|
Kazuo Oga
|
Directeur de l'animation :
|
Yashiharu Sato
|
Animateurs clés :
|
Tsukasa Tannai, Shinji Otsuka, Masako Shinohara, Masaaki Endo,
Toshio Kawaguchi, Makoto Tanaka, Yoshinori Kanada, Katsuya Kondo, Makiko
Futaki, Hiroomi Yamakawa, Hideko Tagawa
|
Chef coloriste :
|
Michiyo Yasuda
|
Prises de vue :
|
Hisao Shirai
|
Musique originale, composition et arrangement des
génériques :
|
Joe Hisaishi
|
Paroles originales :
|
Rieko Nakagawa
|
Responsable de production :
|
Eiko Tanaka
|
Chargé de production :
|
Hirokatsu Kihara, Toshiyuki Kawabata
|
Producteur exécutif :
|
Toru Hara
|
Kiki la petite sorcière
Titre :
|
Majo no Takkyubin (Kiki's delivery service / Kiki, la
petite sorcière)
|
Année de création :
|
1989
|
Oeuvre originale :
|
Eiko Kadono
|
Scénario, réalisation
|
Hayao Miyazaki
|
Directeur artistique :
|
Hiroshi Ono
|
Décors :
|
Kazuo Oga ,Satoshi Kuroda, Kazufiro Kinoshita, Kiyomi Ota, Kyoko
Naganawa, Yoko Nagashima, Kazuo Ebisawa, Yutaka Ito, Kiyoko Kanno, Hidetoshi
Kaneko, Midori Chiba, Ken Tokushige, Yuko Matsuura, Yuji Ikehata, Studio Fuga
(Tushiharu Mizutani, Kenji Kahiyama, Miyuki Kudo, Kumiko Ono)
|
Directeurs de l'animation :
|
Shinji Otsuka, Katsuya Kondo, Yoshifumi Kondo
|
Animateurs clefs :
|
Yoshinori Kanada, Makiko Futaki, Masako Shinohara, Masaaki Endo,
Toshio Kawaguchi, Atsuko Otani, Megumi Kagawa, Atsuko Fukushima, Toshiyuki
Inoue, Noriko Moritomo, Koji Morimoto, Yoshiharu Sato, Natsuyo Yasuda, Sachiko
Sugino, Hiroshi Watanabe, Hiroomi Yamakawa, Yoshiyuki Hane, Chie Uratani,
Masahito Sekino, Toshiya Niidome, Akiko Hasegawa
|
Chef coloriste :
|
Michiyo Yasuda
|
Photographie :
|
Juro Sugimura
|
Directeur audio :
|
Naoko Asari
|
Directeur des effets sonores :
|
Kazutoshi Sato
|
Mise en scène musicale :
|
Isao Takahata
|
Musique :
|
Joe Hisaishi
|
Producteur exécutif :
|
Yasuyoshi Tokuma, Mikihiko Tsuzuki, Morihisa Takagi
|
Producteur :
|
Hayao Miyazaki
|
Responsable de production :
|
Eiko Tanaka
|
Porco Rosso
Titre
|
Kurenai no Buta (Porco Rosso)
|
Année de création :
|
1992
|
Oeuvre originale, scénario, réalisation :
|
Hayao Miyazaki
|
Producteur du projet :
|
Yasuyoshi Tokuma
|
Producteur exécutif :
|
Toshio Suzuki
|
Directeur artistique, décors :
|
Katsu Hisamura
|
Directeur de l'animation :
|
Masashi Andô
|
Montage :
|
Takeshi Seyama
|
Photographie :
|
Atsushi Okui
|
Effets spéciaux :
|
K.Tanifuji, T.Hasizume, T.amai
|
Musique originale, composition et arrangements des
génériques :
|
Joe Hisaishi
|
Paroles originales (chanson du générique) :
|
Tokiko Kato
|
Son :
|
Naoko Asari
|
Porco Rosso :
|
Jean Reno
|
Fio Piccolo :
|
Adèle Carasso
|
Gina :
|
Sophie Deschaumes
|
Curtis :
|
Jean-Luc Reichman
|
Paolo Piccolo :
|
Gérard Hernandez
|
Feralin :
|
Eric Dufay
|
Mama Aiuto :
|
Jean-Pierre Carosso
|
Boss A et Boss F :
|
Julien Kramer
|
Princesse Mononoké
Titre
|
Mononoke Hime (Princesse Mononoke/Princess
Mononoke)
|
Année de création
|
1997
|
Oeuvre originale, scénario, réalisation
|
Hayao Miyazaki
|
Directeurs de l'animation
|
Masashi Ando, Kitaro Kosaka, Yoshifumi Kondo
|
Animateurs clés
|
Shinji Otsuka, Masako Shinohara, Noriko Moritomo, Megumi Kagawa,
Kenichi Konishi, Masaaki Endo, Hiroshi Shimizu, Tsutomu Awada, HIroko Minowa,
Michio Mihara, Atsuko Otani, Takeshi Inamura, Hideaki Yoshio, Makiko Futaki,
Kenichi Yamada, Shinsaku Sasaki, Eiji Yamamori, Kenichi Yoshida, Masaru
Matsuse, Ikuo Kuwana, Mariko Matsuo, Toshio Kawaguchi, Takehiro Noda, Sachiko
Sugino, Katsuya Kondo, Yoshinori Kanada
|
Chef coloriste
|
Michiyo Yasuda
|
Montage
|
Takeshi Seyama
|
Photographie
|
Atsushi Okui
|
Directeur audio
|
Kazuhiro Wakabayashi
|
Directeur des effets sonores
|
Muchihiro Ito
|
Musique
|
Joe Hisaishi
|
Paroles originales des chansons
|
Hayao Miyazaki
|
Producteur exécutif
|
Yasuyoshi Tokuma
|
Producteur
|
Toshio Suzuki
|
Responsable de production
|
Toshiyuki Kawabata
|
Le Voyage de Chihiro
Titre
|
Sen to Chihiro no Kamikakushi (Spirited Away, Le
Voyage de Chihiro)
Littéralement, on peut traduire par
"L'étrange disparition de Sen et Chihiro" ou en anglais "The Spiriting
Away of Sen and Chihiro".
|
Année de création
|
2001
|
Oeuvre originale, scénario, script, planning et
réalisation :
|
Hayao Miyazaki
|
Directeur artistique :
|
Yôji Takeshige
|
Directeurs de l'animation :
|
Masashi Ando, Kitaro Kosaka, Megumi Kagawa
|
Animateurs-clés (entres autres) :
|
Matsuo, Tamura, Hiromasa
|
Directeur technique :
|
Takeshi Inamura
|
Directeur d'animation en infographie :
|
Mitsunori Kataama
|
Photographie :
|
Atsushi Okui
|
Directeur audio :
|
Kazuhiro Hayashi
|
Musique :
|
Joe Hisaishi
|
Chanson de fin :
|
Yumi Kimura
|
Producteur exécutif :
|
Yasuyoshi Tokuma
|
Producteur :
|
Toshio Suzuki
|
Production :
|
Tokuma Shoten, Studio Ghibli, Réseau NTV, Dentsû,
Tohoku Shinsha, Mitsubishi Shôji, Disne
|
Le Château ambulant
Titre :
|
Hauru no Ugoku Shiro (Howl's Moving Castle) (Le
château ambulant)
|
Année de création :
|
2004
|
Scénario, mise en scène, réalisation :
|
Hayao Miyazaki
|
Histoire originale :
|
Howl's Moving Castle de Diana Wynne Jones
|
Directeurs de l'animation :
|
Akihiro Yamashita, Takeshi Inamura, Kitaro Kosaka
|
Directeur de l'animation numérique :
|
Yozi Takeshige, Noboru Yoshida
|
Chef coloriste :
|
Michiyo Yasuda
|
Effets sonores:
|
Toru Noguchi
|
Directeur audio :
|
Kazuhiro Hayashi
|
Camera :
|
Atsushi Okoui
|
Musique :
|
Joe Hisaishi
|
Thème chanté
|
Composé par Yumi Kimura et Interprété par
Chieko Baisho
|
Production :
|
Toho Company, Les Studios Ghibli, Tokuma Shoten, NTV,
Dentsu
|
Producteur exécutif :
|
Toshio Suzuki
|
Ponyo sur la falaise
Titre
|
Gake no Ue no Ponyo (Ponyo on the Cliff by the
Sea) (Ponyo sur la falaise)
|
Année de création :
|
2008
|
Réalisation :
|
Hayao Miyazaki
|
Storyboards :
|
Hayao Miyazaki
|
Scénario :
|
Hayao Miyazaki
|
Directeur de l'animation :
|
Katsuya Kondô
|
Directeur artistique :
|
Noboru Yoshida
|
Chef coloriste :
|
Michiyo Yasuda
|
Imagerie numérique :
|
Atsushi Okui
|
Montage :
|
Takeshi Seyama
|
Musique :
|
Joe Hisaishi
|
Chanson "Mother Sea" :
|
Paroles : Wakako Kaku et Hayao Miyazaki, Musique,
composition et arrangement : Joe Hisaishi, Interprétation : Masako
Hayashi
|
Chanson "Ponyo on the Cliff by the sea" :
|
Paroles : Katsuya Kondo et Hayao Miyazaki, Musique,
composition et arrangement : Joe Hisaishi, Interprétation : Fujioka
Fujimaki et Nozomi Ohashi
|
Ingénieur du son :
|
Shuji Inoue
|
Effets sonores :
|
Koji Kasamatsu
|
Producteur exécutif :
|
Koji hoshino
|
Producteurs associés :
|
Seiji Okuda, Ryoichi Fukuyama, Naoya Fujimaku
|
Production :
|
Toshio Suzuki / Studio Ghibli
|
* 1 Eliseef Danielle,
Confucius. Des mots en action, Découvertes
Gallimard/Réunion des Musées nationaux, 2003, pp.106-107.
* 2 Desaint Nilsy, Mort du
père et place de la femme au Japon, éd. L'Harmattan, Paris,
2007, p.20
* 3 Ibid, p.20
* 4 Bouissou Jean-Marie, Le
Japon Contemporain, éd. Fayard Ceri, Paris, 2007, p.268
* 5 Ibid, p.393
* 6 Jolivet Muriel, Un pays
en mal d'enfants : crise de la maternité au Japon, la
Découverte/essais, Paris, 1993, p.92
* 7 Desaint Nilsy, Mort du
père et place de la femme au Japon, éd. L'Harmattan, Paris,
2007, p.36
* 8 Ibid, p.60
* 9 Ibid, p.37
* 10 Ibid, p.39
* 11 Sabouret
Jean-François, L'éducation : la société du
diplôme, in Japon le consensus, mythes et
réalités, du CESEJ, éd. Economica, Paris, pp.
106-107
* 12 Seiichi Iwao et Teizo
Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, vol.1, Maison
franco-japonaise de Tokyo, Paris, 2002, p.1709
* 13 Gravereau Jacques, Le
Japon au XXe siècle, éd. du Seuil, Paris, 1993, p.209
* 14 Ibid, p.209
* 15 Seiichi Iwao et Teizo
Iyanaga, Dictionnaire historique du Japon, vol.1, Maison
franco-japonaise de Tokyo, Paris, 2002, p.1709
* 16 Galan Christian, Le
concept de réforme dans l'histoire de l'éducation au Japon,
in Japon Pluriel 6 du CEIJ, éd.Philippe Picquier, Arles, 2006,
p.363
* 17 Bouissou Jean-Marie,
Le Japon contemporain, éd.Fayard Ceri, paris, 2007, p.11
* 18 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.118
* 19 Garrigue Anne,
Japonaises, la révolution douce, op.cit., pp.51-52
* 20 Desaint Nilsy,Mort du
père et place de la femme au Japon, op.cit., p.49
* 21 Ibid, p. 104
* 22 Ibid, p.96
* 23 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, in Japon, le consensus, mythes et
réalités, du CESEJ, Paris, Economica, 1984, p.302
* 24 Site officiel du
ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires
Sociales, page consultée le 4/03/11 <www.mhlw.go.jp/english/>
* 25 Lefrançois
Mikaël, « S'intégrer dans une entreprise japonaise, un
parcours initiatique », in Aujourd'hui le Japon, page
consultée le 4/03/11 <www.japon.aujourdhuilemonde.com>
* 26 Desaint Nilsy,
« Entretien avec Fumiko » in Mort du père et
place de la femme au Japon, op.cit., p. 198
* 27 Ibid, p.8
* 28 Elisseeff Danielle,
Confucius, des mots en action, op.cit., p.106-107
* 29 Mineko Iwasaki, avec
Rande Browne, Ma vie de geisha, Michel Lafon Publishing, 2003, p.
155
* 30 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.7
* 31 Regards sur la femme
Japonaise, p.6
* 32 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, in Japon, le consensus. Mythes et
réalités, Paris, Economica, pp. 305-306.
* 33 Hochman Natacha et
Buisson Dominique, Regards sur la femme Japonaise, Hatier, Paris,
p.63
* 34 Golden Arthur,
Geisha, éd. Le Livre de Poche, Paris, p. 120
* 35 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.21-22
* 36 Hochman Natacha et
Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, op.cit. p.63
* 37 Sorifu (office of the
prime minister) «Comparative international survey on women's
issues», 1982.
* 38 Site officiel du
Ministère du travail, de la Santé et des Affaires sociales, page
consultée le 4/03/11, <www.mlhw.go.jp/english>
* 39 Nuita Yoko,
L'influence des médias audiovisuels sur le comportement
socioculturel des femmes au Japon, in Influence des médias sur
les comportements socioculturels des femmes, site de l'Unesco, 1980, page
consultée le 31/03/11, <www.unesdoc.unesco.org>
* 40 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme, op.cit., p.169
* 41 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, op.cit., p.301
* 42 Hochman Natacha et
Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, Hatier, Paris,
p.11
* 43 Ibid, p.11
* 44 Ibid, p.10
* 45 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 67
* 46 Desaint Nilsy,
« Entretien avec Fumiko », in Mort du père et
place de la femme au japon, op.cit., p. 195
* 47 Ibid, p. 198
* 48 Hochman Natacha et
Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, Hatier, Paris,
p.32
* 49 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.78
* 50 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, op.cit., p. 300
* 51 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p. 90
* 52 Beauchamp, Edward,
Windows on Japanese Education, Greenwood press, Westport, 1991, p.
239
* 53 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.97
* 54 Liddle Joanna et Sachiko
Nakajima, Rising Suns, Rising Daughters : gender, class and power in
Japan, Zed books, London, 2000, p.247
* 55 Desaint Nilsy, Mort
du père et place de la femme au Japon, op.cit., p.44
* 56 Hochman Natacha et
Buisson Dominique, Regards sur la femme japonaise, op.cit., p.62
* 57 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, op.cit., p.304
* 58 Ibid, p.304
* 59 Ibid, p. 305
* 60 Ibid, p. 309
* 61 Desaint Nilsy, Mort
du père.., op.cit., p.49
* 62 Ibid, p.48
* 63 Ibid, p.48
* 64 Jolivet Muriel, Homo
Japonicus, éd. Picquier Poche, Paris, 2002, pp.139-140
* 65 Ibid, p.141
* 66 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, op.cit., p.312
* 67 Angeloni Vera, Le
consensus..., op.cit., p.315
* 68 Ogawa Naohino,
Demographic trends and their implications for Japan's future, mars
1997, site du ministère des affaires étrangères au Japon,
page visitée le 06/04/11, <www.mofa.go.jp>
* 69 Desaint Nilsy, Mort
du père..., op.cit., p.153
* 70 Ogawa Naohino,
Demographic trends and their implications for Japan's future, mars
1997, site du ministère des affaires étrangères au Japon,
page visitée le 06/04/11, <www.mofa.go.jp>
* 71 Cité dans Homo
Japonicus, p.140
* 72 Angeloni Vera, Le
consensus...,op.cit. p. 316
* 73 Desaint Nilsy, Mort
du père..., op.cit., p.123
* 74 Ibid, p.129
* 75 Ibid, p.124
* 76 Ibid, p.139
* 77 Jolivet Muriel, Homo
Japonicus, éd. Picquier Poche, Paris, 2002, p. 140
* 78 Ibid, p.92
* 79 Ibid, p.125
* 80 Ibid, p.141
* 81 Ibid, p.92
* 82 Dr Sekiya Tohru, Ces
pères qui n'arrivent plus à rentrer chez eux, Planet
Shuppan, Tokyo, 1989, pp.4, 5, 8
* 83 Jolivet Muriel, Homo
Japonicus, op.cit., p.104
* 84 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, op.cit., p.298
* 85 Ibid, p.299
* 86 Site de Fuji television,
page consultée le 05/04/11, <www.fujitv.co.jp>
* 87 Ibid, p.299
* 88 Ibid, p.300
* 89 Angeloni Vera, Le
consensus au féminin, op.cit., p.298
* 90 Nuita Yoko,
L'influence des médias audiovisuels sur le comportement
socioculturel des femmes au Japon, in Influence des médias sur
les comportements socioculturels des femmes, site de l'Unesco, 1980, page
consultée le 31/03/11, <www.unesdoc.unesco.org>
* 91 Desaint Nilsy, Mort
du père... op.cit., p.150
* 92 Ibid, p.151
* 93 Ibid, p.151
* 94 Femme au foyer
* 95 Ibid, p.152
* 96 Takahashi Nozomi
« La femme de la génération
« arafou » à la recherche du bonheur »,
in Panel 11 : le Japon des magazines, exotisme et construction
identitaire, page consultée le 31/03/11, site du SFEJ, 2010,
<www.sites.google.com>
* 97 Desaint Nilsy, Mort
du père..., op.cit., p.152
* 98 Jolivet Muriel, Homo
Japonicus, op.cit. p.143
* 99 Jolivet Muriel, Homo
Japonicus, op.cit., p.201
* 100 Ibid, p.211
* 101 Desaint Nilsy, Mort
du père..., op.cit., p.250
* 102 Desaint
Nilsy, « Entretien avec Fumiko », in Mort du
père et place de la femme au Japon..., op.cit., p.200
* 103 Ibid,
« entretien avec Fumiko » in Mort du
père..., op.cit., p.195
* 104 Bellefonds Francis,
Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11
février 2011, revue Chronicart,
<www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>
* 105 Bendazzi G.
Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à 1992,
Mayenne, éd. Liana Lévi, 1991, p.131
* 106 Ibid, p. 132
* 107 Bellefonds Francis,
Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11
février 2011,
<www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>
* 108 Bendazzi G.
Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à 1992, Mayenne,
éd. Liana Lévi, 1991, p.133
* 109 Ibid, p.580
* 110 Ibid, p.584
* 111 Ibid, p 581
* 112 Ibid, p.580
* 113 Bellefonds Francis,
Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11
février 2011,
<www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>
* 114 Bendazzi G.
Cartoons, le cinéma d'animation de 1892 à 1992, Mayenne,
éd. Liana Lévi, 1991, p.275
* 115 Jetblack,
Historique : les séries télévisées
Tôei Animation, paru en décembre 2008, page consultée
le 14 février 2011, <www.mata-web.com/anime-manga/index.php>
* 116 ibid
* 117 Jetblack,
Historique : TMS et Madhouse, la qualité avant tout, paru
en février 2009, page consultée le 14 février 2011
<www.mata-web.com/anime-manga/index.php>
* 118 Bellefonds Francis
Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11
février 2011,
<www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>
* 119 Patten Fred, A
capsule history of Anime, paru en 1996 in Animation World
network, page consultée le 14 février 2011
<www.awn.com/mag/issue1.5/articles/patten1.5.html>
* 120 Bellefonds Francis
Histoire de l'anime, paru en janvier 2000, page consultée le 11
février 2011,
<www.chronicart.com/webmag/article.php?page=1&id=1067>
* 121 Koyama-Richard
Brigitte, Mille ans de manga, Paris, éd. Flammarion, 2007,
p.6-7
* 122 Ibid, p.12
* 123 Ibid, p.45
* 124 Ibid, p.58 et p.65
* 125 Ibid, p.42
* 126 Douin Jean Luc,
Dictionnaire de la censure au cinéma, Paris éditions
Quadrige/PUF, 1998, p
* 127 Schodt Frederick,
Manga ! Manga ! The world of Japanese comics, USA, Kodansha
International, 1983, p.15
* 128 Boden Sean, Women
and Anime : popular culture and its reflection of japanese society,
nov. 2001, page consultée le 18/02/11
<www.nausicaa.net/miyazaki/essay/files/SeanBoden_WomenandAnime.pdf>
* 129 Koyama-Richard
brigitte, Mille ans de manga, paris, éd. Flammarion, 2007,
p.190
* 130 Boden Sean, Women
and Anime : popular culture and its reflection on japanese society,
nov 2001, page consultée le 18/02/11
<www.nausicaa.net/miyazaki/essay/files/SeanBoden_WomenandAnime.pdf>
* 131 Boden Sean, Women
and Anime : popular culture and its reflection on japanese society,
nov 2001, page consultée le 18/02/11
<www.nausicaa.net/miyazaki/essay/files/SeanBoden_WomenandAnime.pdf>
* 132 Friedman Erica,
Anime with strong, adult female leads, oct 2008, page consultée
le 22/02/11,
<www.okazublogspot.com/2008/10/anime-with-strong-adult-female-leads.html>
* 133 ibid
* 134 Hayao
Miyazaki: son parcours (page consultée le 11 février 2011)
<www.buta-connection.net/studio/miyazaki.php>
* 135 McCarthy Helen,
Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone bridge press,
Berkeley, California, 2002, p.26
* 136 Miyazaki, «The
current situation of Japanese movies», in Course on Japanese movies
7, Iwanami Shoten, janvier 1988
* 137 Hayao Miyazaki:
son parcours (page consultée le 11 février 2011)
<www.buta-connection.net/studio/miyazaki.php>
* 138 McCarthy Helen,
Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone Bridge press,
Berkeley, California, p.39-40
* 139 Ibid, p.42
* 140 Origines et
création du studio Ghibli (page consultée le 11
février 2011) <www.buta-connection.net/studio/historique.php>
* 141 Miyazaki Hayao,
Shuppatsuten, editions Tokuma Shoten, Tokyo, 1997
* 142 Mc Carthy Helen,
Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone bridge press,
Berkeley California, 2002, p132.
* 143 Miyazaki Hayao, The
Hopes and spirit of contemporary Japanese girls in The Art of Kiki's
delivery service, Ghibli library, Tokyo, 2010 (1ère edition 1989),
p.8
* 144 Hoshigushi Takashi,
traduit par Takayuki Karahashi, The whimsy and wonder of Hayao
Miyazaki, in Animerica, vol.1, num.5, juillet 1993, p.7
* 145 McCarthy Helen,
Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone Bridge Press,
Berkeley California, 2002, p 183
* 146 Introduction :
le Voyage de Chihiro (page consultée le 11 février 2011)
<www.buta-connection.net/chihiro.php>
* 147 Chauvin
Jean-Sébastien et Higuinen Erwan Le Triangle d'or de la
japanimation, in les Cahiers du cinéma, numéro 567,
avril 2002, p.16
* 148 Terme désignant
la catégorie spécifique des dessins animés japonais.
* 149 McCarthy Helen,
Hayao Miyazaki, master of japanese animation, Stone Bridge Press,
Berkeley California, 2002, p 72
* 150 Idem, p 74
* 151 Miyazaki Hayao, The
Hopes and spirit of contemporary Japanese girls in The Art of Kiki's
delivery service, Ghibli library,Tokyo, 2010, (1ère edition 1989),
p.8
* 152 Desaint Nilsy, Mort
du père... op.cit., p. 178
* 153 Ibid, p.166
|
|