UNIVERSITE OMAR BONGO
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE
Mémoire de D.E.A
Option : Anthropologie Africaine
L'or blanc
Le marché occulte et illégal du corps humain
à
Libreville
Présenté et soutenu par : Sous la
direction du :
Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY Pr Joseph
TONDA
Professeur titulaire des
universités
(CAMES)
« Soyez saints, car je suis saint, moi l'Eternel votre
Dieu ».
Lévitique, chapitre 19, verset 2.
Sommaire
Dédicace
Remerciements
Sigles et abréviations Liste des illustrations
Indexe des tableaux Sommaire
Introduction
générale<<<<<.
<<<<<<<<<< 1
Les préalables
épistémologiques<<<<<<<<<<<<<<<..<<<.<<3
Section 1 : Objet et Champ de
l'étude<<<. < <<<. <<<.<<<.<.
4
Section 2 : Construction du modèle
d'analyse<<<<<.<<..<.<<<<<<.< 8
Section 3 : Démarche
méthodologique<<<<<.<<..<
.<<<.<<<<<. 24
Première partie : Approche historique des
profanations des tombes<<. 34
Introduction de la première
partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<35
Chapitre I : Les reliques au Gabon
<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<.37
Section 1 : Le culte des ancêtres comme
illustration des pratiques reliquaires<<<37 Section 2 :
Les reliques comme symbole du
pouvoir<<<<<<<<<<<<..<. 41
Chapitre II : La conversion des africains au
christianisme et à l'islam<<<<<<45
Section 1 : Pourquoi la conversion ?
<<.<<<<.45
Section 2 : Criminalisation des pratiques
ancestrales par l'Église<<<<<<<<.60
Conclusion de la première
partie<<<<<<<<<<<<<<<.
<<< ..71
Deuxième partie : les profanations des tombes et
des corps à Libreville
corps<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<73
Introduction de la deuxième
partie<<<<<<<<<<<<<<<.<<<..74
Chapitre III : Le discours moraliste des
Églises sur les profanations
des
tombes<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<<.76
Section 1 : Prise de position de
l'Église et de l'Islam face aux profanations des
tombes et des corps
à Libreville
<<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<.76
Section
2 : Les profanations des
tombes<<<<<<<<<<.
<<<.<<<<<85
Chapitre IV : La modernité
insécurisée<<<<<<<<<<<<<<<.<<<.116
Section 1 : Agression sans retenue de l'espace
médiatique<<<<<<<<. <117
Section 2 : La profanation des
corps<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<...122
Conclusion de la deuxième
partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<126
Conclusion
générale<<<..<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<128
Références
documentaires<<<<.<<<.
<<<<<<<< <<<<<<.130
Annexes<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<137
Table des matières<
<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<
138
Dédicace
A ma fille, Merveilles
Asthine Janny ILEMBE-RENAMY,
pour la joie qu'elle m'apporte un peu plus chaque jour !
Remerciements
Mes remerciements vont d'abord à toute l'équipe
pédagogique du DEA Anthropologie Africaine, particulièrement
à mon directeur, le Professeur Joseph TONDA, pour sa
disponibilité et d'avoir bien voulu diriger ce travail. Profonde
gratitude !
À ma Floriane Melinda KAYIBA pour son soutien
matériel et sa présence.
À la promotion 2008/2009 du DEA Anthropologie Africaine
et les autres, pour leurs critiques et leurs encouragements.
Nous pensons aussi à la famille de monsieur Aloïse MAYOMBO
et à tous mes interlocuteurs pour l'aide apportée.
Enfin, je voudrais remercier ma mère madame Juliette
Jocelyne RENAMY, pour qui, j'ai une pensée toute particulière,
mon père monsieur Sylvain Claude IKOGOU, pour son implication à
sa manière. À mes frères : Axel Sydney BIYOGHEIKOGOU, Fred
LENDONYO, Marielle, Carelle, Frédérique et Ericka IKOGOU, Janny
DIVAGOU IBRAHIM KUMBA, Suzanna MOUSSONGOU IBRAHIM KUMBA , Ernestine
RENAMY-ISSEMBE, Tyrolle Mélia AKENDJAMBANI, Chantal NTCHOUNGOUWA-RENAMY,
Sandrine RENAMY, Stéphane AKENDENGUEDICK, Frédéric
IKOGHOU-YENO, Jean-Claude RENAMY, Bertrand OGOUERA, Jean-luc MBOUMBOU,
Stéphane ROGOMBE, Ghislaine ONANGA, Simone Ariane KOWET, Steeve RETENO,
Yvon Mauxer MONDJO, Raymond AKITA, Nickyta AZINGO , Christian ABESSOLO EKOUMA,
Yannick ALEKA ILOUGOU, Michelle KOUMBA IBINGA, Willy BOULINGUI, Joe Francis
DEMBA et Ernest TSATSABI.
À mes oncles, David IKOGHOU-MENSAH, Isaac IKOGOU,
Samuel IKOGOU, Jacques IKOGOU, Claude OPENDA, Victor AKENDENGUE, Philippe
OGOUERA, Martine KOKO-DICK, Flavienne WULINYAMIE, Jules DJEKI, Marc Louis
ROPIVIA, Mesmin-Noël SOUMAHO et à tous les membres de ma famille,
qui ne cessent de ménager leurs efforts et leurs encouragements.
Sigles et abréviations
D.G.S.T : Direction Générale des
Services Techniques de la Mairie de Libreville. Elle
est chargée de l'élaboration, la conception,
l'exécution et le suivi des travaux techniques communaux ; l'entretien
et la gestion, dans sa partie physique, du patrimoine bâti et roulant de
la Mairie de Libreville.
H.D.V. : Hôtel de Ville de Libreville.
P.V.C : Sigle dérivé de l'anglais
PolyVinylChlory de matière plastique. Il s'agit de
tuyaux utilisés en plomberie pour les canalisations de
la maison et qui servent pour l'évacuation des eaux usées. En
général, les tuyaux p.v.c sont utilisés pour les fosses
sceptiques. Pour la présente étude, nous avons pu constaté
que sur le terrain, ces tuyaux P.V.C sont utilisés par les profanateurs
pour aspirer l'or blanc dans les cimetières ; comme en témoignent
les photos dans la 2ème partie du Mémoire.
Liste des illustrations
La photo n°1 : « Une des
vues de la Mission protestante de Baraka de Libreville dans le 4ème
Arrondissement
»<<<<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<<.26
La photo n°2 : «Une vue
principale du cimetière de Baraka »<<<<.
<<<<..<< 27
La photo n°3 : «Un
aperçu de la Mission protestante de Baraka
»<<<<<<. <<...27
La photo n°4 : «Une vue
latérale de la cathédrale Sainte Marie de Libreville
».<<.<< 28
La photo n°5 : «Une vue
partielle du cimetière catholique de Sainte Marie » < <
<< 29
La photo n°6 : «Une prise
de vue faciale de Sainte
Marie>><<<<<<<<<<<<<29
La
photo n°7 : << Des stèles à
Sainte Marie
>><<<<<<<<<<<<<<<<<<
30
Figure n°1 : <<
Localisation géographique du cimetière de Mindoubé et
de la décharge
publique
»<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<
89
Photo n°8 :
<<Le portail principal du cimetière
>><<<<<<<<<<<..< <<<<
90
Photo n°9 :
<<Une tombe immergée dans les huiles de vidange
>><<<<..< <<<<<91
Photo n°10 : << La tombe
d'un chinois
>><<<<<<<<<<<<<<<.<.<<<<91
Photo n°11 : <<Le crâne
chinois>><<<<<<<<<<<<<<<.
<<.<.<<<<.92
Photo n°12 : <<
La face cachée d'une tombe
>><<<<<<<<<<<<<. <.<<<
93
Photo n°13 : << Un
exemple de tombes profanées
>><<<<<<<<<<. <<.<<<
93
Photo n°14 : << Une vue
d'ensemble du cimetière >><<<<<<<.
<<<< <<<<94
Photo n° 15
: << L'organisation sociale autour de la
décharge >><<.<<<<<<<<<
95
Photo n°16 : << Ce qui
reste de la décharge
>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<99
Photo
n°17 :<< Le logement du
gardien>><<<<<<<<<<<<.
<<<<<<< .99
Photo
n°18:<< La technique
classique>><<<<<<<<<<<<<<..<<<<<<.102
Photo n°19 :<< La
technique du
p.v.c.>><<<<<<<<<<<<<<.
<<<<< ..
|
102
|
Photo n°20 :<< Ce qui
reste d'un corps
profané>><<<<<<<<<<<.
<<<..<..
|
103
|
|
Photo n°21 :<< La veste
rouge>><<<<<<<<<<<<<<...<<<.
|
<<<..<..
105
|
|
Photo n°22 :<< Autre
manière de profaner
>><<<<<<<<..<<<<
|
<<<..<..
106
|
|
Photo n°23 :<< La tombe
vide
>><<<<<<<<<<<<..<<<<<
<<<..<..
|
107
|
|
Figure n°2 : <<
Histogramme des tombes profanées à Mindoubé de 2004
à 2009 »<<<<
108
|
|
Indexe des tableaux
> Tableau n°1 : Construction du
concept de «l'or
blanc>><<<<<..<<<<<<.24
>
Tableau n°2 : Les Églises
à proximité des
cimetières<<<<<<<<<<<. 25
Introduction générale
En sciences sociales, l'objet d'étude est toujours un
rapport social rappelant l'écart, la distorsion entre une situation
considérée comme « normale >> et une autre dite «
pathologique >> pour parler comme DURKHEIM. On notera que «
l'explication sociologique consiste exclusivement à établir des
rapports de causalité, qu'il s'agisse de rattacher un
phénomène à sa causalité, ou, au contraire, une
cause à ses effets utiles >>.1
Cette étude porte sur le rapport entre la mort et le
pouvoir politique au Gabon. Le constat qui la justifie est qu'en période
électorale au Gabon, et à Libreville singulièrement, les
élections politiques sont considérées comme la
période où « il ne se passe pas un seul jour où l'on
ne signale pas la découverte de corps d'hommes ou de femmes
délestés de leurs organes génitaux >>2 ;
et où les cimetières de Libreville sont profanés pour la
collecte des organes humains ou « pièces détachées
>>, alimentant le marché occulte et illégal des restes
humains.
Ce constat donne du pouvoir politique une image d'un pouvoir
mortifère, englué dans des croyances3 en la
sorcellerie et aux fétiches, confirmant ainsi que « l'impact des
forces occultes sur la politique nationale est devenu plus manifeste au cours
des dernières décennies >>4.
En effet, la profanation des tombes sert à
prélever des crânes, des langues, des cheveux, des coeurs, des
tibias, des fémurs, des phalanges, des foies, des poumons, des sexes,
des testicules, des clitoris, pour la fabrication des fétiches. Ces
organes humains, encore appelés « or blanc >>, sont
censés être chargés de mana, de charisme, de l'évus,
de l'inyèmba; qui permettrait de garantir les succès
électoraux, le maintien ou l'acquisition des postes politiques.
1 Émile DURKHEIM, Les règles de la
méthode sociologique, 11ème édition,
Paris, Puf/Quadrige, 2002, p.124.
2 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du
pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, (coll.
« Hommes et sociétés »), 2005, pp.19-21.
3 Florence BERNAULT, << De la
modernité comme impuissance. Fétichisme et crise politique en
Afrique équatoriale et ailleurs », p.749 in Cahiers
d'études africaines, XLIX (3), 195, 2009, pp.747-774.
4 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en
Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, (coll. << Les
Afriques »), 1995, p.23.
Pour tout dire, ce marché occulte et illégal des
restes humains à Libreville traduit un problème qui renvoie aux
rapports sociaux de domination, d'exploitation ou d'assujettissement d'une
classe sociale (c'est-à-dire ceux qui ont une position sociale
importante qui commandent et achètent ces fétiches) sur une autre
(c'est-àdire ceux qui ne possèdent rien). En un mot, pour tout
<< homme politique, pour devenir chef, il ne faut rien négliger et
être pragmatique. Tout ce qui peut contribuer à renforcer sa
stature est bon, y compris la magie, la religion, la sorcellerie dès
lors qu'elles constituent des schèmes d'interprétation
privilégiés pour la définition du vainqueur
>>5.
En l'occurrence, les profanations des tombes ou encore
l'économie occulte et illégale << fait désormais
partie de la panoplie profane des stratégies de survie en même
temps qu'elle sert les ambitions des dirigeants >>6 au
Gabon.
5 Marc-Eric GRUENAIS, Florent MOUANDA MBAMBI,
Joseph TONDA, << Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre
les "grands hommes" du Congo démocratique », p.166 in
Cahiers d'études africaines, année 1995, volume 35,
numéro 137, pp.163-193.
6 Jean et John COMAROFF, << Economies
occultes et nouveaux mouvements religieux : la privatisation du nouveau
millénaire », p.138, in Zombies et frontières
à l'qre néolibérale. Le cas de l'Afrique du Sud
post-Apartheid, Préface de Jérôme DAVID, Paris, Les
prairies ordinaires, (coll. << Penser/croiser »), 2010, 188
p.
Ce chapitre liminaire présente l'objet et le champ de
l'étude.
Section 1 : Objet et champ de l'étude
1. Le marché occulte et illégal de la
production et de la vente du corps humain à Libreville comme objet
d'étude
<< Face au réel, ce qu'on croit savoir
offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la
culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même
très vieux, car il a l'dge de ses préjugés. Accéder
à la science, c'est simplement rajeunir, c'est accepter une mutation
brusque qui doit contredire un passé ».7 Aussi,
« construire l'objet sociologique, c'est deviner sous les apparences
les vrais problèmes et poser les bonnes questions
>>.8
L'observation de la réalité sociale gabonaise
à l'orée des élections atteste que des profanations des
corps et des tombes sont pratiquées dans les différents
cimetières de Libreville que sont par exemple Lalala et Mindoubé
dans le 5ème arrondissement. D'où l'existence d'un marché
occulte et illégal de production et de vente du corps humain sous forme
de << pièces détachées >> ou << or blanc
>>. Par profanation des tombes et des corps, nous voulons dire
qu'au-delà de la violation d'un lieu considéré comme
sacré, telle une sépulture, il s'agit d'une appropriation, d'une
expropriation ou d'une dépossession du corps de l'autre pour un trafic
comme n'importe quel produit commercial, sauf qu'il s'agit d'un produit
chargé de mana, de charisme, de magie et donc sacré.
Cette économie occulte des corps explique le fait qu'il
y a des cimetières9 construits autour des Églises afin
de protéger les corps des religieux. Cette protection se fait contre la
profanation des tombes qui conduit à la marchandisation du corps
chargé de << charisme >>, de << mana >> et donc
de << puissance extra-quotidienne >> pour parler comme WEBER et
DURKHEIM. Ce qui est donc au coeur du problème de la profanation des
corps et des tombes, c'est la valeur « extraordinaire >> et <<
extra-
7 Gaston BACHELARD, La formation de l'esprit
scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance,
Paris, Librairie philosophique J.VRIN, 2004, p.16.
8 Madeleine GRAWITZ Méthodes des sciences
sociales, Paris, Dalloz, 11ème éd. 2001,
p.384.
9 Pour attester notre constat, nous vous proposons une
série de photos prises lors de notre enquête de terrain du mois de
juillet-août 2009, des pages 26 à 30.
quotidienne » accordee aux organes humains ou «
pièces detachees»10.Ce commerce des organes humains
existe en Occident et ne participe pas à la sacralisation des corps
puisque les parties du corps humain11 servent à fabriquer des
prothèses pour le corps vivant. On parlerait ici de la marchandisation
desacralisante.
En fait, en Occident ces « pièces detachees »
ne relèvent pas des mêmes logiques que les pièces detachees
produites au Gabon et en Afrique. Quand les tombes sont profanees en Afrique
pour prélever les organes humains, c'est dans l'optique de produire des
fétiches. Pour tout dire, en Afrique, nous sommes dans le registre de la
croyance des pouvoirs extraordinaires (le mana chez DURKHEIM, le
charisme de WEBER, l'évus des fang, le
dikundu des Punu ou l'inyèmba chez les
Myènè) des organes humains.
Ainsi, « les pièces detachees » que sont les
mains, le coeur, le foie, le crane, le clitoris, les testicules, les phalanges,
la langue sont des objets fetiches pour « le capitalisme occulte ».
Du coup, profaner c'est paradoxalement produire du fetiche, du charisme ou du
mana pour le marché d'un capitalisme particulier : le capitalisme de
l'occulte ou du fétichisme.
Autrement dit ce marche occulte et illegal de la production et
de la vente du corps humain nous rappelle que le « fetichisme de la
marchandise » de Karl MARX, theorise dans le Capital12
n'est qu'une métaphore de ce capitalisme de l'occulte. En effet, chez
MARX, le « fétichisme de la marchandise » designe le
phenomène par lequel, dans la production capitaliste, la marchandise
sert de support aux rapports de production entre les hommes, donnant ainsi
l'apparence que les rapports sociaux de production sont des rapports entre les
choses. A posteriori, le fetichisme de la marchandise opère une
confusion dans le système capitaliste entre les relations
10 L'expression est de Joseph TONDA in «
Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et
criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire
politique contemporain en Afrique Centrale) », p.5 in Voter
en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque
organisé par l'AFSP, Centre d'Étude d'Afrique
NoireInstitut d'Études politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, 13 p.
11 Markus GRILL et Martina KELLER, « Un
trafic légal de tissus humains. 42 € le fémur, 14 € la
trachée » p.42 in Courrier international, n°993
du 12 au 18 novembre 2009, 59 p.
12 Karl MARX, Le Capital, Livre I, Paris,
Garnier-Flammarion, 1969, 699 p.
sociales et les marchandises. Dans ce capitalisme de l'occulte
nous avons affaire à une situation dépassant la métaphore
marxiste.
2. L'anthropologie symbolique du pouvoir comme champ
d'étude
Tout objet d'étude doit pouvoir s'inscrire dans un
champ précis pour dégager les relations entre les
différentes composantes de l'objet. Mesmin-Noël SOUMAHO rappelle
que le champ d'étude est le « cadre théorique
général dans lequel s'intègre la problématique de
l'étude >>.13 De plus, « toute science cherche
à définir son domaine, à mettre en évidence des
faits en vue d'établir des lois >>.14
Le choix de l'anthropologie symbolique du pouvoir comme cadre
de référence de notre étude, nous permet de retrouver le
sens des pratiques des profanations des corps et des tombes. En outre, toute
culture est un ensemble de systèmes symboliques qui nous renseignent sur
la façon dont les hommes conçoivent et interprètent leurs
mondes et les rapports sociaux qu'ils établissent. D'ailleurs, «
tout objet symbolique est un instrument de communication (<) d'une pratique
sociale »15.
Nous avons montré qu'en introduction
générale, ce n'est pas seulement la logique capitaliste qui
régit la société gabonaise, mais un mixte entre les
logiques capitalistes et les logiques fétichistes. C'est ce que Joseph
TONDA appelle « le Souverain moderne », qui traduit une situation oil
les logiques capitalistes sont la métonymie des logiques
fétichistes et inversement.
L'anthropologie symbolique du pouvoir que nous convoquons nous
aide à lire un rapport social conflictuel, basé sur le pouvoir
d'exploitation et d'extorsion entre ceux qui possèdent et ceux qui ne
possèdent rien. De même, elle nous autorise en outre à
comprendre que dans la production des hommes de « pouvoirs », «
le discours de l'autre est donc constitutif des positions de pouvoir et des
rapports de
13 Mesmin-Noël SOUMAHO, Eléments de
méthodologie pour une lecture critique, Préface de J.COPANS
et Postface de J.G BIDIMA, (coll. « Recherche Gabonaises »)
mi-FuIPumumwo Bbanaux, C( 5* ( 3 1( CIMECNIg 1, 2002, p.123.
14 Gaston MIALARET, Introduction aux sciences
de l'éducation, Paris-Genève, Unesco-Delachaux et
Niestlé, 1985, p.25, cité par Max Alexandre NGOUA in La
sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de
l'économie et de l'Etat capitaliste, rapport de Licence en
Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Septembre 2003, p.5.
15 Marc AUGÉ, Le Dieu objet, Paris,
Flammarion, (« Nouvelle Bibliothèque scientifique »),
1988, p.46.
force. Cette réalité, quel que soit le domaine
envisagé (le système lignager, la vie politique), fondée
sur une théorie de la sorcellerie, des pouvoirs et de la personne,
relève nécessairement de l'univers des croyances< »16
16 Marc-Eric GRUENAIS, Florent MOUANDA MBAMBI,
Joseph TONDA, « Messies, fétiches et luttes de pouvoirs entre
les "grands hommes" du Congo démocratique », p.164, in
Cahiers d'études africaines, 1995, volume 35, numéro 137,
pp.163-193.
Section 2 : Construction du modèle d'analyse
La construction du modèle d'analyse est le cheminement
scientifique sur la base duquel nous bâtirons notre problématique
ou encore notre démonstration. Car << tout travail de recherche
s'inscrit dans un continuum et peut être situé dans ou par rapport
à des courants de pensées qui le précèdent et
l'influencent >>.17 Mieux, << la problématique
est l'approche théorique ou perspective théorique qu'on
décide d'adopter pour traiter le problème posé par la
question de départ. Elle est une manière d'interroger les
phénomènes étudiés >>.18
Ainsi commencerons-nous dans un premier temps par <<
exploiter les lectures et les entretiens et faire le point sur les
différents aspects du problème qui y sont mis en évidence
>>19, pour arriver dans un deuxième temps à
<< choisir et construire sa propre
problématique>>.20 Pour notre étude, nous
entamerons l'exploration des acquis scientifiques qui portent sur les
imaginaires (religieux) en Afrique, le fétichisme et le l'importance du
corps.
1. Les imaginaires fétichistes et le corps dans la
littérature occidentale
Pour DURKHEIM, le chercheur doit au préalable <<
définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache
bien de quoi il est question >>.21 Cela dit, nous devons
préciser ce que nous entendons par la notion d' << imaginaire
>>. Pour cela, nous avons retenu deux approches qui nous semblent
appropriées pour notre travail: celles de CASTORIADIS22 et de
GODELIER23.
17 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de
recherche en sciences sociales, 2ème éd, Paris,
Dunod, 1995, p.43.
18 Ibid., p.85.
19 Ibid., p.85.
20 Ibid., p.86.
21 Émile DURKHEIM, Les règles de la
méthode sociologique, 11ème éd., Paris,
PUF (coll. « Quadrige »), 2002, p.34.
22 Cornélius CASTORIADIS, L'institution de
l'imaginaire de la société, (3ème
édition revue et corrigée), Paris, Editions du Seuil, 1975, 497
p.
23 Maurice GODELIER, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie,
Paris, Editions Albin Michel, (coll. « Bibliothèque Albin
Michel Idées »), 2007, 287 p.
Pour Cornélius CASTORIADIS, << l'imaginaire
» dont il parle dans ses recherches est une << création
incessante et essentiellement indéterminée (socialhistorique et
psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il
peut être question de "quelque chose"».24 Cette
définition est intéressante parce qu'elle nous permet de retenir
finalement que l'imaginaire, c'est cette faculté de création des
images; ces mêmes images qui sont des symboles et l'imaginaire utilise
les symboles pour se faire voir.
Il en est de même pour Maurice GODELIER pour qui
<< l'imaginaire, c'est de la pensée. C'est l'ensemble des
représentations que les humains se sont faites et se font de la nature
et de l'origine de l'univers qui les entoure, des êtres qui le peuplent
ou sont supposés le peupler, et des humains eux-mêmes
pensés dans leurs différences et/ou leurs représentations
(<), l'Imaginaire c'est l'ensemble des interprétations (religieuses,
scientifiques, littéraires) que l'Humanité a inventées
pour s'expliquer l'ordre ou le désordre qui règne dans l'univers
ou dans la société, et pour en tirer des leçons quant
à la manière dont les humains doivent se comporter entre eux et
vis-à-vis du monde qui les entoure ».25 Retenons que
l'imaginaire s'incarne dans les réalités matérielles et
dans les pratiques.
Après avoir tenté une explicitation du concept
de << l'imaginaire » sur la base de deux approches qui
sont, nous le pensons, complémentaires, venons-en à
présent à la question relative aux imaginaires religieux et
l'importance du corps en Afrique dans la littérature occidentale.
Maurice GODELIER26 montre comment l'imaginaire
religieux gravite autour du corps humain et la place que ce dernier peut
occuper dans le système des croyances, des représentations et des
symboles. Pour le comprendre, il part d'une
24 Cornélius CASTORIADIS, L'institution de
l'imaginaire de la société, ibid.p.7.
25 Maurice GODELIER, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, ibid.,
p.38.
26 Maurice GODELIER, Le corps humain.
Conçu, possédé, supplicié, cannibalisé,
Paris, CNRS Editions, 2009, 546 p.
question dont la science n'a pas encore trouvé une
réponse qui se veut rassurante pour l'humanité ; à savoir
: pourquoi mourir ? Comment survivre ? De plus, de la naissance à la
mort, c'est par le corps c'est-à-dire cet habitacle que l'homme se situe
dans l'univers et fait l'expérience de ses congénères.
Toujours et partout on a imaginé une ou plusieurs
entités qui assurent la continuité de la personne à
travers le temps et en illuminent les traits : âme, ombre, double,
esprit, etc. Comment de telles entités accompagnent-elles le corps, le
fortifient, s'en détachent ou se dressent contre lui, c'est ce que
chaque culture a codifié à sa manière par des pratiques
que l'on nomme par exemple << épreuves initiatiques >>,
<< actes sorcellaires >>, << possession >> ou <<
cannibalisme. >> L'auteur nous présente ici les traitements et les
considérations réservées au corps humain et ce, quelque
soit la culture.
Jeanne FAVRET-SAADA27 se focalise sur l'ethnologie
religieuse classique. Dans cette démarche, elle s'intéresse aux
effets de la croyance à la sorcellerie et des pratiques magiques et
religieuses dans le Bocage. Elle insiste sur le fait que la sorcellerie et les
combats magiques sont réels et affectent la vie des populations du
Bocage : en témoigne le cas de la famille BABIN. Jeanne FAVRET-SAADA
retient notre attention parce qu'elle montre que les mots, la mort et les sorts
sont liés puisqu'ils désacralisent le corps humain pour le
resacraliser. Pour tout dire, être ensorcelé, c'est être
sous l'emprise du « diable >>28. Il faut à cet
effet se désensorceler en convoquant << les prêtres et plus
spécialement les exorcistes diocésains >>29.
Nous retiendrons que pour l'auteur, la sorcellerie et les pratiques magiques
sont réelles. Aussi le combat mené par les prêtres sur le
diable relève du quotidien.
27Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les
sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, (coll. «
Bibliothèque des Sciences humaines »), 1977, 332 p.
28 Ibid, p.167.
29 Ibid., p.167.
AGAMBEN a proposé le concept de "la profanation".
<< Il s'agit d'un terme qui provient de la sphère du droit et de
la religion romaine (droit et religion sont étroitement liés, et
pas seulement à Rome) ».30
Aussi précise t-il que << selon le droit romain,
les choses qui, d'une manière ou d'une autre, appartiennent aux dieux
étaient sacrées ou religieuses. Comme telles, elles se voyaient
soustraites au libre usage et au commerce des hommes et on ne pouvait ni les
vendre, ni les prêter sur gage, ni les céder en usufruit ou les
mettre en servitude. Il était sacrilège de violer ou de
transgresser cette indisponibilité spéciale qui les
réservait aux dieux du ciel (on les appelait<< sacrées
») ou à ceux des enfers (on les disait alors simplement <<
religieuse »). Tandis que consacrer (sacrare) désignait la
sortie des choses de la sphère du droit humain, profaner signifiait au
contraire leur restitution au libre usage des hommes. Ainsi le grand juriste
Trebatius peut-il écrire : "au sens propre est profane ce qui, de
sacré ou religieux qu'il était, se trouve restitué
à l'usage et à la propriété des
hommes">.31
Retenons que "profaner" c'est surtout restituer à
l'usage et à la propriété des hommes, quelque chose qui
fut certainement d'abord de la sphère du droit humain et qui fut par la
suite consacré au religieux. C'est donc là une définition
qui justifie les profanations des tombes à Libreville en périodes
électorales. Grosso modo, << la profanation est le
contre-dispositif qui restitue à l'usage commun ce que le sacrifice
avait séparé et divisé ».32
MARX a élaboré le concept de <<
fétichisme de la marchandise »33 qui
désigne le phénomène par lequel, dans la production
capitaliste, la marchandise sert de support aux rapports de production entre
les hommes , donnant ainsi l'apparence que les rapports de production sont des
rapports entre les choses. En fait, les rapports sociaux sont remplacés
par le marché d'échange des marchandises, qui semble
décider de lui-même qui fait quoi, et pour qui. Ces rapports
sociaux deviennent ainsi
30 Giorgio AGAMBEN, Qu'est-ce qu'un dispositif ?
Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Paris, Editions Payot &
Rivages, p.38.
31 Ibid., pp.38-39.
32 Ibid., p.40.
33 Karl MARX, Le Capital, Livre I, Paris,
Garnier-Flammarion, 1969, 699 p.
confondus avec la marchandise qui semble alors empreinte des
pouvoirs humains et qui devient le fétiche de ces pouvoirs. Par
ailleurs, les rapports de production sont essentiellement sociaux, mais cet
aspect social n'apparaît qu'être une relation entre les objets,
entre les marchandises. D'où, la marchandise devient le support de ce
rapport de production marchande.
La marchandise est alors l'objet fétiche ayant pour
rôle d'assurer la coordination de la production de toute la
société, et elle le fait en occultant le caractère social
de la production. En outre, les liens sociaux entre les unités de
production se font uniquement par l'intermédiaire de la marchandise,
lorsque celle-ci est mise sur le marché. Ce n'est qu'une fois qu'ils ont
mis leurs marchandises sur le marché que les producteurs privés
peuvent savoir si leur produit correspond aux exigences sociales, et si leur
mode de production particulier correspond au mode de production social. Le
marché opère donc une régulation de la production sociale,
mais exclusivement par l'échange des marchandises. Pour tout dire, le
fétichisme de la marchandise se traduit par un double mouvement : la
réification des rapports sociaux et la personnification des choses. Et
c'est ce qui arrive dans le marché occulte et illégal des restes
humains où il y a transposition du fétichisme de la marchandise
dans les rapports sociaux entre les hommes assujettis à leurs propres
productions.
Markus GRILL et Martina KELLER34 à travers
leur article « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le
fémur, 14 € la trachée >>, posent le
problème de la production des « pièces
détachées >> ou de la « matière première
>> pour le marché économique, pharmaceutique et
médical ; dans le contexte régi par le capitalisme occidental et
à l'ère de la mondialisation. A cet effet, les auteurs de
l'article parlent de la « fabrication des pièces
détachées humaines à partir des cadavres >> ou tout
simplement le recyclage des morts. C'est un recyclage destiné aux
grandes firmes médicales internationales américaines surtout.
L'objectif de cette production est donc l'approvisionnement à bas
coüt des chirurgiens américains.
En rapport avec notre mémoire, l'article fait un
parallélisme entre la sorcellerie des pièces
détachées chez nous au Gabon en périodes
électorales et celle du capitalisme qui parle aussi des <<
pièces détachées >>. Tout se passe comme si la
sorcellerie africaine était le reflet de la sorcellerie capitaliste ;
à tel point qu'on se demande si la notion de système n'est pas
plus englobante et ne correspond pas à l'ordre capitaliste mondial.
Cet article est donc en résonnance avec l'article des
COMAROFF35 où ils montrent les effets du capitalisme
néolibéral en Afrique du Sud post apartheid. Celui-ci
procède, dans un contexte marqué par une crise économique
et un chômage accru des sud-africains et la xénophobie, à
la production des << zombies >>. Pour tout dire, nous nous rendons
compte que le capitalisme et la sorcellerie ont en commun d'être des
producteurs de « matières premières >> ou <<
pièces détachées >>. L'un et l'autre ayant de fait
des affinités électives qui rendent ineptes les accusations de
sauvagerie portées contre la sorcellerie.
2. Les africanistes et universitaires gabonais face au
fétichisme et l'importance du corps
André MARY36 décrit le Gabon comme un
vrai carrefour des religions et où le fétichisme, les
Églises pentecôtistes, l'Islam, les sectes, l'argent, les cultes
syncrétiques et le paganisme africain se rencontrent et se
côtoient. Ce point de vue est partagé par Joseph TONDA avec le
concept du << Souverain moderne >>. Dans cet imaginaire <<
diabolique >>, selon André MARY, certains personnages
créés parfois par les Églises que sont << les
sorciers et les féticheurs, le diable et les démons, sont des
personnages omniprésents dans le Gabon d'aujourd'hui, dans les
médias comme dans la vie quotidienne. L'indifférenciation des
schèmes d'interprétation qui relèvent du registre
35 Jean et John COMAROFF, << Nations
étrangères, zombies, immigrants et capitalisme
millénaire », pp.19-32 in Bulletin du CODESRIA 3 et 4,
1999.
36 André MARY, << La violence
symbolique de la pentecôte gabonaise » pp.143-163, in
André CORTEN et André MARY (éds), Imaginaires
politiques et pentecôtismes. Afrique /Amérique latine, Paris,
Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »),
2000, 365 p.
de la sorcellerie et de la possession, du fétichisme et
de la magie, de l'anthropologie ou des sacrifices humains, mais aussi de la
démonologie est désormais chose commune. Les journaux locaux, les
médias, aussi bien que les rumeurs véhiculées par radio
trottoir ou les conversations privées, se font complaisamment, jour
après jour, le relais d'affaires de sorcellerie, de meurtres rituels, de
pactes diaboliques qui touchent tous les domaines de l'existence
>>.37
De même, c'est cet imaginaire diabolique qui prend forme
dans cette violence symbolique de l'Église pentecôtiste gabonaise
et constitue le lot quotidien de ces Églises à Libreville et qui
fait dire à Joseph TONDA que << la violence de l'imaginaire,
violence du fétichisme, s'exerce au moyen des images, des gestes
corporels, des mots, c'est-à-dire des fétiches, supports
d'idéologies. Cette violence a pour contexte privilégié
celui des camps, espaces de déshérence, espaces
déshérités, instables, mouvants, incertains ; autrement
dit, espaces de dérégulation des ordres symboliques coutumiers
>>.38
On se rend compte que l'Église pentecôtiste
gabonaise, pour mieux s'asseoir, amplifie l'enchantement de la
réalité sociale gabonaise. Cet enchantement introduit une sorte
de confusion où celui qui n'est pas converti est de facto responsable
des malheurs dans sa famille. C'est dans ce genre de contexte social
d'enchantement et de magification du monde social que << s'exerce la
violence de l'imaginaire violence du fétichisme, les gens croient
massivement à la réalité matérielle des
entités imaginaires mais cette croyance est travestie par
l'idéologie ~.39
Joël NORET40 nous propose une réflexion
axée sur l'imaginaire religieux et la place des morts au Sud
Bénin dans son article intitulé << De la conversion au
basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la
famille dans les milieux
37 André MARY, « La violence
symbolique de la pentecôte gabonaise », ibid.,
p.152.
38 Joseph TONDA, le Souverain moderne. Le corps du
pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, (coll. «
Hommes et sociétés »), 2005, p.39.
39 Ibid., p.44.
40 Joël NORET, « De la conversion au
basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la
famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin »,
pp.143-155, in Politique Africaine « Globalisation et illicite en
Afrique », n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.
pentecôtistes du Sud Bénin. » En
effet, cet article examine la problematique de la place reservee aux morts dans
les milieux pentecôtistes du Sud-Benin. Il s'appesantit à
clarifier les enjeux et les implications de ce qui s'apparente fortement
à « une evacuation des defunts ». Les morts, à travers
le culte des ancêtres, sont fortement vénérés parce
qu'étant les protecteurs des vivants ; les vivants leur doivent un total
dévouement. D'où, le culte des ancetres apparaît comme un
moment important dans la vie sociale des communautes du Sud-Benin, pour la
simple raison que la croyance au pouvoir des morts est fondamentale.
Florence BERNAULT41 utilise l'histoire coloniale
pour comprendre la naissance de ces representations modernes du lien entre la
religion et le politique, ou plus exactement les angoisses produites par
l'imaginaire historique de ce lien. Elle affirme que l'impuissance de l'Afrique
s'expliquerait par son encrage dans le fetichisme ; comme concept omnipresent
dans les imaginations religieuses et politiques. Pour cela, elle constate que
pendant la periode coloniale, le fetichisme africain fut une erreur religieuse
et politique. Et que si dans la metropole le concept de fetichisme est
abandonne par les chercheurs à ce qui semble, il demeure toujours
d'actualité en colonies ; comme modèle explicatif en vigueur.
En fait, BERNAULT pense que le fétichisme serait
jusqu'alors « une constellation de superstitions primitives ou degenerees,
responsables de la dissolution et de l'impuissance de l'Afrique
»42. Enfin, elle souligne l'idée suivante : pendant que
le christianisme occidental est perçu comme une instance principale du
declin des croyances, superstitions dans la societe, les analyses sur les
nouveaux christianismes africains insistent au contraire sur leur essor «
quasi-incontrôlables » « sous forme hautement dramatisee et
emotionnelle (lire irrationnelle) du pentecôtisme et des Eglises
universelles dont le succès sans cesse grandissant ne
41 Florence BERNAULT, « De la
modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en
Afrique équatoriale et ailleurs », pp.747-774 in Cahiers
d'Études africaine, XLIX, 195, 2009.
42 Ibid., p. 750.
peut, dans cette perspective, que confirmer le statut du
continent comme terreau inépuisable de tous les revivals
mystico-spirituels >>43.
Nous insistons également sur le lien qui unit les
représentations symboliques et le capitalisme classique en convoquant
les analyses des COMAROFF.44
À travers leur article que nous avons cité
supra, les COMAROFF parlent des effets du capitalisme classique
néolibéral dans les campagnes sud-africaines postcoloniales ;
envahies par des << zombies >>. Ils partent de la question <<
quel peut bien être le rapport entre les zombies et l'implosion du
capitalisme néolibéral à la fin du vingtième
siècle ? >> En fait, les COMAROFF disent que ces << zombies
>> ne sont autres que des travailleurs immigrés, la plupart du
temps clandestins qui, se savant en situation irrégulière et par
peur d'être expulsés, démoniser voire assassinés par
les autochtones, préfèrent vivre dans la discrétion et ne
sortent travailler que la nuit. De plus, ils représentent une
main-d'oeuvre bon marché pour les entrepreneurs, contrairement aux
autochtones qui revendiquent de meilleures conditions de travail et de vie.
Les COMAROFF ajoutent aussi que les Sud-africains, en
post-apartheid, sont frappés de pleins fouets pas le chômage.
Ainsi, étant victimes du chômage, ce sont plutôt les
étrangers, les immigrés qui trouvent du travail, créant la
xénophobie illustrée par la << zombification de
l'étranger >>. Cette situation, découlant d'une crise
économique, cause également une crise identitaire chez les
Sud-africains. Pour les auteurs, dans de telles conditions, les
étrangers, craignant pour leur sécurité, n'ont d'autres
choix que d'organiser leurs vies sociales que la nuit. Ainsi, les
étrangers, assimilés aux zombies qui viennent remplacer les
autochtones dans les usines, << sont des citoyens qui donnent le
cauchemar, le fait qu'ils soient sans racine risquant de
43 Florence BERNAULT, << De la
modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en
Afrique équatoriale et ailleurs », ibid., p. 753.
44 Jean et John COMAROFF, << Nations
étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaires
» pp.19-32, in Bulletin du CODESRIA 3 & 4,1999.
détourner ce qui reste de la prospérité de
la population locale, prospérité qui diminue rapidement
>>45.
Florence BERNAULT46 met en relief les symboles qui
gravitent autour du corps humain, aussi bien vivant que mort de la
période coloniale à la période postcoloniale africaine. En
effet, << il y a quelque chose de pourri dans le post-empire
>> signale que le pouvoir se construit sur la puissance extraordinaire du
corps humain resacralisé. Pour tout dire, l'existence et l'importance du
trafic des corps est une des clés du pouvoir politique au Congo et au
Gabon. Par ailleurs, il est évident que << le rapport entre
pouvoir moderne et corps des hommes >>47 est basé sur
l'exploitation et l'assujettissement du premier sur le second et dans cette
perspective de négation de la sacralité du corps humain. BERNAULT
en conclut que si on parle de la biopolitique ou primauté de la vie en
Europe, en Afrique postcoloniale, c'est plutôt la primauté de la
mort. Enfin, le corps humain est donc supplicié et transformé en
objet marchand, en matière première, mieux, en fétiche
politique.
Ceci est d'autant plus vrai que « le rapatriement des
cendres de BRAZZA au Congo rappelle ce que la pensée de la
modernité occulte quotidiennement : le trafic des corps humains est une
technique centrale de la politique moderne. La circulation des corps vivants
(la traite et les migrants), des corps morts (les spécimens
raflés par la science impériale, les os des Blancs
recyclés dans les charmes indigènes, les dépouilles des
héros statufiés, les transactions opérées sur les
organes et le sang (transplants, médicaments magiques), a
été, et reste, un enjeu central du pouvoir domestique, lignager
et finalement national dans le monde pré- et post-impérial
>>48.
Pour nous, Florence BERNAULT nous aide à comprendre que
le trafic du corps humain est une des clés du pouvoir politique
puisqu'il rend compte d'une réification des personnes et des corps
humains, présentés comme sacrés, << mais aussi
l'existence de processus intenses et profonds de resacralisation de ces
derniers à des
45 Jean et John COMAROFF, << Nations
étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaires
», p.25.
46 Florence BERNAULT, << Il y a quelque
chose de pourri dans le post-empire » pp.1-11; à
paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.
47 Ibid., p.1.
48 Ibid., p.1.
fins politiques, que ce soit en Afrique ou dans l'Occident
impérial. Sacré ici signifiant que le corps humain est
perçu comme dépositaire d'un pouvoir et d'une
valeur dépassant sa nature physique, mesurable et
dégradable. Ainsi la politique du trafic des corps, si essentielle aux
hiérarchies de pouvoir des gouvernements modernes, ne peut être
réduite à un échange de marchandises organiques et
quantifiables, ou de ressources politico-économiques
»49.
Enfin, dans le même ordre d'idée, Florence
BERNAULT50 montre bien qu'en Afrique centrale, le besoin d'insertion
et surtout d'acquisition du pouvoir politique au sein de la
société motivent les individus à s'adonner au commerce de
l'or blanc, dans l'optique d'aborder la mondialisation avec
sérénité. Elle nous rappelle ici que le corps humain est
un fétiche51, dépositaire d'une «
matière-sorcière >>, l'inyèmba, expliquant <<
le commerce des organes humains par des spécialistes des rituels, la
circulation internationale de charmes et l'utilisation des morts en tant que
travailleurs forcés pour le point de puissants appuis à des
équations intrigantes entre le corps humain, l'argent et le
pouvoir>>52. Au demeurant, l'auteur s'est penchée sur
les représentations sociales du corps humain en Afrique centrale en
rapport étroit au pouvoir, pour dire que << le corps n'a pas
été considéré comme une réalité
physique dont l'existence dérive de l'intégrité
biologique, mais comme un multiple fragment de l'entité qui a
conservé le pouvoir au-delà de la mort et de la mutilation
»53.
Après avoir convoqué les diverses contributions
de ces africanistes, venons-en à présent à la contribution
des universitaires et chercheurs gabonais face au fétichisme et
l'importance du corps.
49 Florence BERNAULT, << Il y a quelque
chose de pourri dans le post-empire » pp.1-2; à paraître
dans Cahiers d'études africaines en 2010.
50 Florence BERNAULT, << Corps, pouvoir et
sacrifice en Afrique équatoriale », pp.207-239 in Journal
de l'histoire africaine, juin 2006.
51 Ibid., p.210.
52 Ibid., p.209.
53 Ibid., p. 212.
Joseph TONDA54 se propose de rendre compte de
l'imaginaire politique et religieux au Gabon en conceptualisant les rapports
sociaux existant sous toutes ses formes par l'emploi d'une notion
chargée de sens : le Souverain moderne (il faut dire que cette notion de
souverain s'est retrouvée employée par Michel FOUCAULT). C'est ce
souverain moderne qui, selon Joseph TONDA, est mieux adapté pour
décrire les rapports sociaux existant au Gabon. Car il aurait pour
fondement la violence de l'imaginaire, qui s'exprime par la transgression de
l'ordre coutumier des traditions.
Celle-ci sera redoublée par la violence du
fétichisme, qui trouve pour sa part son soubassement dans la
reconnaissance de la réalité d'entités imaginaires tels
que les génies ou les ancêtres et dont l'action concrète
s'exerce à travers notamment des morts ou des images dans les espaces de
dérégulations. Partant du fait que l'imposition et la conversion
au christianisme constituent une resacralisation des corps, notons à ce
sujet que pour les missionnaires, « les Africains seraient, dans cette
perspective, des sujets sociaux du dieu du mal, ami du corps et de la
matière. C'est dans cette perspective que Charles De BROSSES a
défini "le fétichisme" c'est-à-dire la religion de
l'humanité primitive surtout africaine (mais, pour De BROSSES, on peut
douter de l'humanité des africains), caractérisée comme
non intellectuelle, résultant d'un "procès purement aveugle,
impulsif, affectif, " n'expriment que "des passions, des besoins, des craintes,
mais jamais aucun discernement"».55 En définitive,
Joseph TONDA évoque une disposition sociale singulière des
rapports sociaux basée sur« l'organisation et à
l'administration de la violence comme forme particulière des rapports
aux corps, aux choses et au pouvoir».56
Pour tout dire, la revue de la littérature a
consisté à présenter les travaux des chercheurs
(occidentaux, africanistes et gabonais) au sujet des imaginaires liés au
fétichisme et à l'usage du corps humain en Afrique, au Gabon
particulièrement. Cependant, nous voulons montrer que l'idée de
la profanation des tombes et des
54 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du
pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, (coll.
« Hommes et sociétés »), 2005, 297 p.
55 Ibid., p.21.
56 Ibid., p.23.
corps soit au coeur même de la production des rapports
sociaux et du pouvoir politique au Gabon, surtout en periodes electorales.
Autrement dit, nous considerons que le corps humain, sinon les
organes humains qui le composent sont dotes de pouvoirs surnaturels,
extraordinaires (tels le « mana », « le charisme », «
l'évus », « l'inyèmba ») pour permettre à
son utilisateur d'être « puissant », « un grand quelqu'un
»57.
3. Notre perspective sur la question du marché
occulte et illégal des restes humains à Libreville
En annee de Maîtrise, nous avons montre qu'il existe un
marché des restes humains mis en evidence par les profanations des
tombes58 en periodes electorales au Gabon. Ce qui atteste
effectivement que « de jour comme de nuit, les cimetières sont
visites. Les ossements humains foisonnent. Et il semble que dans cette affaire
là, les parties genitales sont recherchees et que les « clitos
» sont devenus des barres d'or >>.59 En effet, pour
Joseph TONDA, la collecte des organes humains ou «pièces detachees
»60 que sont la langue, les oreilles, le nez, le crâne,
les mains, les doigts, le fémur, coeur, les organes génitaux, est
l'objectif des acteurs politiques ou mandataires61 pour assurer
leurs divers succès electoraux. Neanmoins, il faut souligner qu'il
existe plusieurs sortes de profanation : la profanation des tombes ou des
sépultures, profanation de la mémoire d'un défunt,
blasphème en l'encontre
57 Expression gabonaise utilisée pour
qualifier ceux-là, c'est-à-dire, les grands barons qui
bénéficient des privil4ges, des avantages et des faveurs du
pouvoir politique mis en place depuis plus de 42 ans sous l're d'Omar BONGO
ONDIMBA.
58 Au sujet de ces profanations des tombes, nous
pouvons citer par exemple que le cimetière de Mindoubé en a fait
les frais; nous avions recensés plus de quatre-vingt dix tombes
profanées sur la période électorale de 2006 à 2008.
Pour être plus précis, il s'agit de 87 tombes, qui
présentaient une caractéristique commune : ces tombes
n'étaient pas carrelées.
59 Joseph TONDA, « Fétichisme
politique, fétichisme de la marchandise et criminalité
électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain
en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique : différenciations
et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre
d'Étude d'Afrique Noire-Institut d'Études politiques de Bordeaux,
7-8 mars 2002, p.4.
60 L'expression est de Joseph TONDA in
« Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et
criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire
politique contemporain en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique :
différenciations et comparaisons, p.3.
61 L'expression est de Pierre BOURDIEU in Choses dites,
Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987,
228 p.
d'une divinité ou encore, profanation des tombes
illustrées par le marché occulte et illégal des restes
humains en tant qu'objet de ce mémoire.
Avec la profanation des tombes, il est question de violer un
lieu considéré comme sacré (ici le cimetière), pour
aller prélever les organes humains qui servent à renforcer voire
consolider le pouvoir de son utilisateur. Toutefois il n'y a pas que les
mandataires politiques qui profanent. C'est fort des contributions de nos
prédécesseurs, que notre démarche est adossée
à l'idée que pour nous, le marché occulte et
illégal des restes humains est une pratique sociale réelle et
traduit la nature véritable des rapports sociaux au Gabon; dans un
contexte régi par le capitalisme.
Dans un tel contexte de commerce, tout est objet de
marchandise ; le corps humain n'en est pas en reste puisqu'il est devenu une
marchandise pour le marché fétichiste et aux politiques. À
la limite, la profanation conduit à une économie de la
réification des personnes et des corps. Pour cela, notre objet
d'étude s'inscrit donc dans le cadre théorique du
fétichisme de la marchandise d'intuition marxiste et inspirée par
les travaux des COMAROFF. Car ce sont ceux qui ont une position
sociale importante qui commanditent et achètent ces produits. Et c'est
le vécu des populations qui exprime un rapport social conflictuel,
d'exploitation, de domination et d'assujettissement entre ceux qui
possèdent et ceux qui ne possèdent rien.
4- Énonciation de notre hypothèse de
recherche
« L'hypothèse est une proposition de
réponse à une question posée. Elle tend à formuler
une relation entre les faits significatifs >>.62 Elle est
à la base du modèle d'analyse parce qu'elle se définie
comme une supposition (du grec « hypothesis »), « une
explication provisoire de la nature des relations entre deux ou plusieurs
phénomènes. L'hypothèse scientifique doit être
confirmée ou infirmée par les faits >>.63 Avant
d'émettre notre hypothèse, nous nous sommes posé la
question de savoir : quel lien existe-t-il entre d'une part les
économies occultes de la vente des restes humains et d'autre part le
pouvoir politique ?
A cela, nous proposons la réponse suivante : il
s'agit d'un lien de dépendance entre les économies occultes et le
pouvoir politique, car le pouvoir politique est un pouvoir mortifère,
alimenté par la mort. Par économies occultes, j'entends
la collecte ou la production des << pièces détachées
humaines >> dans les cimetières de Libreville (Mindoubé par
exemple) et leur mise vente en période électorale au politique,
dans l'optique d'assurer le succès électoral. C'est ce que nous
avons appelé le « fétichisme politique >>. Enfin,
<< par "pouvoirs"-au pluriel- il faut entendre les vertus efficaces
attribuées, dans les représentations<, aux différentes
instances psychiques de la personne, qui sont aussi fonction des positions
respectives<de l'individu qui est censé les exercer et de celui qui
est censé en subir les effets bénéfiques ou
maléfiques. Les "pouvoirs", en ce sens, correspondent à ce que
Leach a appelé dans Critique de l'anthropologie "influence
mystique" ou "agression surnaturelle". Les "pouvoirs" sont également
ceux des morts, des génies, des nains de la forêt, de ceux qui
savent voir clair et ceux qui peuvent guérir >>64.
La question des économies occultes dans la
société gabonaise c'est l'énigme du rapport à la
mort. Elle fonctionne sur la vente des restes humains, sur l'exploitation de la
mort. La mort qui permet d'alimenter tous les domaines de la vie sociale
(politique, familiale, économique, etc.). C'est donc un rapport de la
mort au pouvoir.
Une préoccupation est celle de voir aussi comment le
christianisme se situe par rapport à la relation entre le capitalisme et
la sorcellerie. Pour résumer, le véritable enjeu que nous posons
dans ce mémoire est que la profanation des corps et leur <<
consommation >> est commune au capitalisme et à la sorcellerie.
N'oublions pas que << ceci est mon corps qui est donné pour vous
>>65 dans l'Eucharistie où les chrétiens
<< consomment >> le corps du Christ<Non pas pour le profaner,
mais pour s'approprier ses qualités purificatrices. Et que le
pentecôtisme nous rappelle que le
64 Marc-Eric GRUENAIS, Florent MOUANDA MBAMBI,
Joseph TONDA, « Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre
"les grands hommes" du Congo démocratique », p.164, citant
Marc AUGE in Théories des pouvoirs et idéologies. Etude de
cas en Côte-d'Ivoire, Paris, Hermann, 1975,439 p.
65 Cf. les textes bibliques de Luc 22 v 19, Matthieu
26 v 26 ou 1 Corinthiens 11 v 24.
corps humain << est le temple du Saint Esprit
>>66, donc un objet sacré. Les photos des pages
26 à 30 montrent bien que
l'Église chrétienne protège les corps; elle les
protège de leur mise en vente sur le marché et du coup, elle se
range ainsi du côté de la loi, c'est-à-dire de
l'État. Aussi, ceux qui consomment les pièces
détachées dans la sorcellerie et dans la médecine
capitaliste, le font dans quel but ?
5- Définition et construction du concept
central
<< Le concept en tant qu'outil, fournit non seulement un
point de départ, mais également un moyen de désigner par
abstraction, d'imaginer ce qui n'est pas directement perceptible
>>.67 Plus important encore, pour le chercheur, c'est qu'il
doit << définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et
qu'il sache bien de quoi il est question >>.68 La
définition du concept, bien qu'étant qu'une simple «
convention terminologique >>, opère un tri des faits que cherche
à rendre intelligible le chercheur. Après être
prêtés à cette exigence méthodologique, nous avons
retenu le concept fondamental suivant de notre travail: l'or
blanc.
5.1. Définition du concept de « l'or
blanc» comme concept fondamental de notre étude
Nous entendons par le concept de << l'or blanc
», la collecte et la production des << pièces
détachées >> humaines dans les cimetières de
Libreville à travers la profanation des tombes et leur mise en vente en
période électorale au politique, sur le marché du
fétiche, dans le but de fabriquer les amulettes et autres artifices
cultuels pour assurer les succès électoraux.
Pour tout dire, << l'or blanc » que nous
proposons dans le contexte gabonais, se décline sous deux dimensions :
le marché illégal du corps humain et l'occulte.
66 Cf. I Corinthiens 6 verset 19.
67 Madeleine GRAWITZ, Méthode des sciences
sociales, op.cit., p.385.
68 Émile DURKHEIM, Les règles de la
méthode sociologique, 11ème éd., Paris,
PUF (coll. « Quadrige »), 2002, p.34.
5.2. Tableau n°1: Construction du concept de
«l'or blanc »
Concept
|
Dimensions
|
Indicateurs
|
L'or blanc
|
Le marché illégal du corps
humain
|
> La production et mise en vente des << pièces
détachées >>
> Problème juridique/ l'illégalité
> Désacralisation des cimetières
> Profanation des tombes/corps
|
Occulte
|
> Vénérer Satan
> Croyances aux pouvoirs des morts : la nécromancie
> << Ceux qui pratiquent >>
> Fabrication des fétiches
|
Section 3 : Démarche méthodologique
La notion de << terrain >>, notion clé en
sciences sociales en ce sens que c'est le terrain qui est le premier <<
guide du chercheur >>, il est également le laboratoire où
le chercheur va puiser le matériau brut de son enquête et il est
enfin le lieu idéal où l'on peut observer les pratiques sociales,
sinon la réalité sociale. En effet, << faire du terrain,
c'est avoir envie de se colleter avec les faits, de discuter avec les
enquêtés, de mieux comprendre les individus et les processus
sociaux >>.69 Il va de soit qu'il n'y a pas de recherche sans
terrain, surtout en sciences humaines.
1- Cadre empirique de la recherche
Indépendamment du cimetière de Mindoubé
comme cadre empirique principal de notre recherche, nous avons aussi retenu
deux autres sites : la Mission protestante de Baraka et la cathédrale
Sainte Marie de Libreville. Ces deux sites présentent une même
caractéristique : ils sont construits aux abords des cimetières
(comme le montrent les photos qui suivent). D'où le tableau suivant :
69 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide
de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données
ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La
Découverte, 2003, p.16.
Tableau n°2 : les Églises à
proximité des cimetières
Arrondissement
|
Église
|
Cimetière clôturé
|
Cimetière éclairé
|
Cimetière Gardé
|
Obédience
|
2ème
|
Sainte Marie
|
Oui
|
Non
|
Non
|
Catholique
|
4ème
|
La Mission Baraka
|
Partiellement
|
Non
|
De jour
|
Protestante
|
Nous voulons apporter quelques précisions. La Mission
protestante de Baraka est construite à côté de son
cimetière et comme nous l'a fait remarqué le pasteur Raymond
AKITA de la paroisse :
Énoncé n°1 :
- « La construction du cimetière
répondait déjà à un souci de sécurité
des morts. Depuis l'antiquité, les cimetières doivent être
mis en sécurité par les hommes d'Église pour éviter
les profanations des tombes. L'Église étant mieux placée
pour connaître les lois ésotériques. L'Église se
faisait garante de veiller sur les cimetières. Et l'Église a
compris et a réalisé que le pôle central de toutes les
Églises du monde entier doit regarder le coucher du soleil. Tout
simplement parce que le coucher du soleil est le repos de l'dme. Tout n'est que
la symbolique du reflet du visible et de l'invisible selon les enseignements de
l'Église et des dimensions supérieures. Alors quand tu viens
à l'Église le dimanche c'est pour chercher le repos de ton dme.
Et la porte centrale regardant le coucher du soleil c'est le symbole de l'homme
qui a travaillé toute la journée et qui rentre dans sa maison le
soir se reposer. Et l'Église, pour l'orientation de la
vérification de la porte centrale face au coucher du soleil,
l'Église a jugé mieux non seulement pour la
sécurité, pour éviter la profanation des tombes, a
trouvé mieux de mettre les cimetières derrière les
Églises. Et la tête et la croix se situent au niveau du
levé du soleil tout simplement parce que le levé du soleil est le
symbole de la résurrection, de la naissance, le réveil du matin.
Comme l'homme se réveille, celui qui est parti aussi a besoin d'un
réveil par l'orientation de la croix sur la zone du soleil
».70
Ce que montrent surtout ces propos, c'est que la mission de
l'Église est de protéger les cadavres de la profanation. Autre
fait, c'est que les propos du pasteur, le
70 Propos du pasteur Raymond AKITA, pasteur de la
Mission protestante de Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa. Entretien
réalisé le 6 août 2009 à 13 heures. Il exerce le
sacerdoce depuis 2000.
seul qui a bien voulu nous recevoir, nous éclairent sur
la façon dont sont disposées les tombes dans un cimetière
et cela peut expliquer les propos selon lesquels il y'aurait une vie
après la mort. La Mission protestante de Baraka est construite autour
des habitations et Sainte Marie, est plutôt entourée de
cimetières, nonobstant l'école catholique qui est située
dans sa concession. De même, pour avoir une idée précise de
ce que nous avançons ici, nous proposons aussi quelques photos de La
Mission Baraka et de la cathédrale Sainte Marie qui viennent illustrer
notre argumentation :
Photo n°1 : Une des vues de la Mission
protestante de Baraka
de Libreville dans le 4ème
arrondissement
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Au premier plan, on peut apercevoir la bâtisse en bois
construite dans les années 1880 par les missionnaires américains
au Gabon. On note également une route secondaire visible qui conduit au
cimetière de la Mission. Enfin, au second plan le nouvel édifice
abritant la paroisse et au milieu la route principale goudronnée. De
plus, le site est dans l'obscurité. Enfin, pour revenir au premier plan,
la bâtisse en bois sert de centre de documentation et peut, selon les
circonstances, prêter son cadre pour des réunions importantes
etc.
Photo n°2 : Une vue principale du
cimetière de Baraka
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Le portail principal du cimetière est fait de bois et
c'est un site qui n'est pas éclairé comme Plaine Niger,
Mindoubé et Lalala. On observe lors de notre passage un travailleur qui
préparait le caveau pour un enterrement. De plus, le pasteur AKITA nous
a rappelé qu'il n'y a aucune profanation dans ce site. Ce qui prouve que
l'Église protège de la profanation des tombes et des corps.
Photo n°3 : Un aperçu de la
Mission protestante de Baraka
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Notons que la paroisse est sans barrière de protection et
est traversée de jour comme de nuit par les habitants qui vivent aux
alentours.
Photo n°4 : Une vue latérale de
la cathédrale Sainte Marie de
Libreville
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Ici en premier plan, nous avons le cimetière catholique
de Sainte Marie qui est protégé par une barrière. Notons
que seules les tombes des missionnaires et les hommes qui ont servi
l'Église y sont enterrés. Le site toutefois est dans
l'obscurité. Dans la concession, il existe ce genre de cimetière,
surtout lorsque l'on fait le tour de la cathédrale. Il ya plus de 2 ans
que cette cathédrale fut fermée au public pour des travaux de
réfection et d'agrandissement. Il semblerait que ces travaux ne furent
qu'un alibi pour mieux déplacer la dépouille du défunt
archevêque Monseigneur ANGUILET qui fut enterré à
l'intérieur comme le veut la tradition catholique. Il fut
canonisé.
Photo n°5 : Une vue partielle du
cimetière catholique de
Sainte Marie
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
De près cette photo montre bien la disposition des
stèles dont faisait allusion le pasteur AKITA. Au second plan, nous
avons la cathédrale et juste sur son flan gauche, des statuettes
d'hommes d'église qui ont fait son histoire. C'est comme si il s'agit
d'un culte des morts un peu à l'européenne.
Photo n°6 : Une prise de vue faciale de
Sainte Marie
Toujours pour renchérir les propos du pasteur AKITA,
nous voyons que sur ce plan, une tombe a été érigée
juste à l'entrée de l'église et est toujours
disposée de telle sorte que le défunt puisse « ressusciter
» selon le levé du soleil.
Photo n°7 : Des stèles à
Sainte Marie
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
On se rend compte finalement que Sainte Marie est un grand
cimetière et nonobstant le fait que la cathédrale soit un lieu de
prière, ce qui fascine les visiteurs et donc l'Église est un
« cimetière » fait pour protéger les corps de la
profanation.
2- Caractéristiques de notre population
d'enquête
Sur un échantillon de cinquante-deux (52) personnes,
nous n'avons retenu que 25 personnes dont les réponses nous paraissent
plus pertinentes pour le travail. Aussi, en références
documentaires, nous avons détaillé cet échantillon de
vingt-cinq (25) personnes.
3. Techniques de collecte et de traitement des
données
3.1. L'entretien et la photographie comme techniques
de collecte des données
La technique utilisée pour collecter l'information
repose sur un guide d'entretien, technique que nous avons trouvé
pertinente car elle met en situation d'échange le chercheur et
l'informateur ; mieux, comme on dit, il s'agit d'« une technique qui
consiste à organiser une conversation entre enquêté et
enquêteur. Dans cet esprit, celui-ci doit préparer un guide
d'entretien, dans lequel figurent les thèmes qui doivent être
impérativement abordés ».71 De même, le
travail ethnographique est délicat puisque « être
ethnographe, en effet, c'est d'abord consigner les dires d'informateurs
indigènes convenablement choisis ».72
En somme, il existe plusieurs modalités d'organisation
des entretiens ; dont nous avons retenu l'entretien semi-directif
comme modalité utilisée. Cet entretien
semi-directif « suppose que le chercheur annonce à
son interlocuteur le thème de l'entretien. Il fait en sorte que celui-ci
se déroule le plus « naturellement » possible (non
standardisation de la forme et de l'ordre des questions), tout en abordant
l'ensemble des sujets fixés au départ ».73
La photographie pour sa part nous permet de mieux
apprécier le phénomène étudié parce qu'elle
raconte l'objet en le rendant plus vivant, plus concret. En fait, elle suscite
les émotions et la sensibilité du chercheur et des lecteurs face
à l'objet d'étude. Mieux, les « photographies pourront
(<) servir de document, d'aidemémoire »74 et font du
chercheur un « spectateur au carré, caisse de résonance du
spectacle»75 ou un témoin oculaire. La photographie est
donc une preuve
71 Alain BEITONE et al., Sciences sociales,
Paris, Sirey, (coll. « aide-mémoire »),
3ème éd., 2002, p.27.
72 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les
sorts, Paris, Gallimard, 1977, p.26.
73 Alain BEITONE et al., ibid., p.28.
74 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide
de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données
ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La
Découverte, 2003, p.154.
75 Ibid., p.155.
immensément importante au sujet de la nature même de
l'objet d'étude observé et sur le rôle que l'on occupe
souvent sans le savoir sur le terrain.
3.2. L'analyse de contenu comme technique d'analyse des
données
« L'analyse de contenu porte sur des messages aussi
variés que des oeuvres littéraires, des articles de journaux, des
documents officiels, des programmes audiovisuels, des déclarations
politiques, des rapports de réunion ou des comptes rendus d'entretiens
semi-directifs. Le choix des termes utilisés par le locuteur, leur
fréquence et leur et leur mode d'agencement, la construction du «
discours » et son développement constituent des sources
d'informations à partir desquelles le chercheur tente de construire une
connaissance ».76
En un mot, l'analyse de contenu est un des outils d'analyse
qui nous permet, en tant que technique de traitement des données, de
confronter l'idée selon laquelle les faits scientifiques sont à
la fois « conquis, construits et constatés ». Au coeur du
dispositif : le recueil des données et leur analyse. Elle nous permet de
rendre explicite l'implicite, pour lire au-delà des textes, pour
décrypter les idéologies de nature qualitative et quantitative.
Surtout, elle est à la base de la construction de notre concept
fondamental d'étude : l'« or blanc ».
3.3. Limites de l'étude
Une des difficultés majeures n'est pas tant celle de la
documentation en tant que telle, plutôt de pouvoir obtenir des entretiens
avec les différents responsables religieux de Libreville. En effet, nous
n'avons pas pu rencontrer un des prêtres du séminaire Saint
Augustin assermenté sur la question et ce ; indépendamment du
fait que nous étions recommandés. Cependant, seul le vicaire de
la Paroisse de Saint André, l'abbé Dieudonné nous a
apporté des informations précieuses. Il en est de même pour
le pasteur de la Mission protestante de Baraka qui a été
très coopératif.
76 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT,
op.cit., pp.229-230.
Par ailleurs, certains pasteurs des Églises dites de
réveil qui, lors de nos premiers passages, acceptaient de nous recevoir
puis, refusèrent sous prétexte qu'ils n'avaient jamais le temps
disponible.
Précisons que nous assistions à toutes les
messes comme ces pasteurs nous le recommandaient mais après, des parades
étaient mises en place pour ne plus nous recevoir. De même, nous
nous rendons compte que travailler de manière générale sur
la problématique de la mort à Libreville pose d'énormes
difficultés : la réticence de nos interlocuteurs de nous
recevoir. Parfois même, on a été victime d'injures (les
plus fréquentes faisaient toujours allusion à une possible
adhésion aux loges rosicrucienne et franc-maçonne de la place)
parce que selon eux, on ne peut pas travailler sur de tels sujets sans
être un des leurs.
Pour finir, signalons que l'anonymat et les agressions
verbales des interlocuteurs au cimetière ont constitué aussi des
limites. En effet, si certains de nos interlocuteurs ont accepté que
nous déclinions leurs identités dans ce mémoire, il n'en
demeure pas moins que la majorité de nos interlocuteurs (surtout les
familles des victimes des profanations des tombes et certains habitants de
Mindoubé) a préféré l'anonymat et les menaces
verbales à notre égard ; due certainement à la
sensibilité et à la délicatesse du sujet que nous traitons
présentement.
Introduction de la première partie
Cette partie intitulée << Approche historique
des profanations des tombes >> est centrée sur
l'interrogation du passé ; en tant que matériau indispensable et
susceptible de nous apporter des éclaircissements, afin de mieux
connaître la réalité sociale d'aujourd'hui. En effet, nous
pensons que la profanation des tombes et des corps prend ses racines dans le
culte des ancêtres et où les ossements humains,
particulièrement le crâne humain, en sont les principaux
éléments. Des éléments sans lesquels aucune
vénération, aucune supplication ne peut être faite aux
ancêtres.
En fait, le culte des ancêtres montre que les ossements
humains qui y sont conservés et utilisés, apparaissent comme des
fétiches (c'est-à-dire comme des choses, des objets censés
détenir un quelconque pouvoir surnaturel, surhumain ou extraordinaire et
se présentant comme des intermédiaires permettant aux vivants de
dialoguer avec leurs ancêtres).
Par ailleurs, dans ces sociétés symboliques et
lignagères, le culte des ancêtres (le << Byéri
>>, le << Melan >> chez les Fang, l'« Agombé
Nèrô >> chez les Myènè, le << Malumbi
>> chez les Eshira ou encore le << Ndjobi >> chez les Adouma,
les Massango et les Obamba ou encore du Bwiti chez les Mitsogho, etc.)
était exclusivement familial et clanique parce qu'on
vénérait ses propres ancêtres responsables des
lignées des vivants. Les Fang par exemple << mettaient le meilleur
d'eux-mêmes à vénérer leurs Ancêtres, dans le
culte. Le byer est le fondement des valeurs morales auxquelles les individus
doivent se conformer dans les usages, les rites, les croyances. Tous les
sacrifices et les formules invocatoires se réfèrent à lui
>>.77
Pour tout dire, le byéri est le socle de la
société Fang car << la société Fang
était inconcevable sans le byer >>.78 Il est <<
simplement une pratique rituelle -tout comme " la flamme du souvenir"-
consistant en un "culte" privé, familial, rendu aux mânes des
ancêtres, afin d'obtenir, à la fois leur bienveillance et leur
protection et d'honorer leur
77Paulin NGUEMA OBAM, Aspects de la religion Fang,
Essai d'interprétation de la formule de bénédiction,
Paris, Karthala/A.C.C.T, 1983, p.54.
78 Ibid., p.42.
mémoire ».79 Ce qui prouverait que la
puissance dans le crâne est sociale et elle est là pour
protéger, non pas pour détruire.
Nous verrons d'abord dans le premier chapitre, le rôle
des reliques au Gabon avec toutes leurs implications. Ensuite, dans le seconde
chapitre, nous montrerons comment la conversion des gabonais au christianisme,
donc à un autre sacré, conduira à la criminalisation de
leurs propres pratiques reliquaires.
79André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS,
Rites et croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques
religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Libreville, éd.
Raponda-Walker, (coll. « Hommes et société »),
2005, p.147.
Chapitre I : Les reliques au Gabon
Les reliques désignent les ossements humains ou alors
ce qui reste du corps d'une personne et qui a été conservé
à des usages divers. Par exemple, on parle des reliques des saints, ou
celles d'une personne qui, de son vivant, avait la capacité d'accomplir
des choses « extraordinaires » et dont les restes demeurent à
ce titre précieux. Ce chapitre s'attellera à montrer le
rôle prédominant des reliques dans l'organisation sociale des
gabonais à un moment donné ; en tête duquel le culte des
ancêtres.
Section 1 : Le culte des ancêtres comme
illustration des pratiques reliquaires
1. Le rôle du culte des ancêtres dans
l'organisation sociale
Le culte des ancêtres est une institution sociale qui
rassemble les individus d'un meme lignage autour d'un ancetre commun.
D'où le culte qui est voué à ce dernier parce
qu'étant ce médiateur entre ceux qui sont partis et ceux qui sont
restés. Le culte des ancetres permet d'asseoir l'autorité d'un
clan sur un autre et protège ses membres ; leur assure richesse,
fécondité. Pour nous, le culte des ancêtres est « un
fait social total » au sens de MAUSS ; parce qu'il est collectif et il met
en branle les différentes sphères de la société.
D'où, « il est religieux, mythologique, parce que les chefs
incarnent les ancêtres et les dieux ; il est économique et il faut
mesurer la valeur, l'importance, les raisons et les efforts de ces transactions
énormes. Il est aussi un phénomène de morphologie sociale
; la réunion des tribus, des clans et des familles, un
phénomène esthétique, par les fetes qui s'y
déroulent (<) »80
Pour tout dire, les ancêtres jouaient un rôle
prédominant dans la vie quotidienne des vivants parce qu'« ils
pouvaient ainsi punir ceux qui se conduisent mal envers leurs
congénères, récompenser ceux qui agissent bien et d'une
façon générale, veiller sur l'ensemble des membres du
groupe familial ou clanique pour les
protéger de toute menace venant du monde des vivants ou
celui des morts. C'est ce qui expliquait l'importance, chez tous les peuples du
Gabon antique, du culte des ancêtres qui était censé
assurer le lien entre les membres encore vivants de la famille et du clan et
ceux qui étaient déjà morts, manifestant ainsi leur
unité et leur solidarité à travers les siècles
»81.
Ce sont finalement eux qui régulaient l'existence
sociale des vivants parce que rien ne pouvait se faire sans les consulter,
étant donné que « les peuples du Gabon antique
étaient persuadés que tous ceux qui étaient morts
continuaient à côtoyer les vivants et à influencer leur
destin »82.
2. Qui en est le gardien et le prêtre ?
Comme nous venons de le voir, le culte des ancêtres est
« simplement une pratique rituelle -tout comme " la flamme du souvenir"-
consistant en un "culte" privé, familial, rendu aux manes des ancetres,
afin d'obtenir, à la fois leur bienveillance et leur protection et
d'honorer leur mémoire ».83 Et puisqu'il se pratique
strictement dans le cadre familial, l'honneur revient donc au chef de famille,
en tant que chef du clan, du lignage ou chef de la maison, d'en assurer la
garde et d'en etre le prêtre du culte. A cet effet, il « en donne
connaissance seulement à l'un de ses garçons lui transmettant
ainsi la charge et le pouvoir de perpétuer ce culte dans la famille
»84.
C'est donc un culte familial qui se transmet de
génération en génération, de père en fils
car par exemple, « quand un chef de famille fang choisit un de ses
garçons pour lui donner connaissance du Byéri, il s'agit d'un
jeune homme de 25 à 30 ans, environ, marié, avec des enfants,
afin que la perpétuation du culte puisse être assurée, et
qu'il juge digne de garder les reliques de famille et d'en transmettre le
81 Nicolas METEGUE N'NAH, Histoire du Gabon. Des
origines à l'aube du XXIe siècle, Paris,
l'Harmattan, (coll. « Études africaines »), 2006,
p.47.
82 Ibid., p.47.
83André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS,
Rites et croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques
religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Libreville, éd.
Raponda-Walker, (coll. « Hommes ,et ,société
»), 2005, p.147.
84 Ibid., p.147.
culte aux descendants >>.85 Plus important
encore, c'est que « chaque jeune homme n'a le droit de voir que les cranes
de ses propres ancêtres. Il n'est jamais permis de lui montrer ceux des
autres familles (<) car c'est de cette façon que Byéri garde
son culte familial et individuel >>86. Toute chose qui nous
amène à penser que les reliques des ancêtres ; sous la
forme d'ossements et en particulier sous la forme des crânes, « sont
la réplique exacte du culte des saints dans la religion catholique. Ces
cultes sont d'autant plus parlants, si l'on peut dire, qu'ils
établissent réellement, par l'intermédiaire de
phénomènes médiatisés par les transes, le contact
avec les défunts. Cette communication avec les défunts est
souvent établie dans un cadre thérapeutique, soit pour faire la
guérison, soit pour réparer les jeteurs de mauvais sorts et
conjurer ainsi, dans son sens littéral, le mauvais sort
>>.87
Par ailleurs, notons que la mise en ancêtre d'un
défunt (parfois d'une défunte dans la mesure où elle fut
à l'origine du clan) qui se serait distingué par une vie
exemplaire et « extraordinaire >>, ne nécessitait pas que
l'on aille profaner sa sépulture afin de « dépiécer
>> le cadavre de ses parties. Il pouvait arriver que la demande de mise
en ancêtre du défunt se fasse quelques jours par lui-même
avant son décès et se faisait devant un nombre restreint de
personnes ; généralement des initiés. C'est la raison pour
laquelle, « avant l'enterrement du défunt, on lui ôtait la
tête très souvent et quelques autres parties du corps (les gros
os). Le crâne et les autres os constituaient alors le patrimoine
jalousement gardé par les héritiers du disparu
>>.88 De même, « quand meurt le chef de famille,
son fils aîné, après maintes cérémonies
*<+ détache soigneusement le crane du mort, et le place ensuite dans
la
85 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS,
Rites et croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques
religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Libreville, éd.
Raponda-Walker, (coll. « Hommes et société »),
2005, p.147.
86 Ibid., p. 147.
87 Raymond MAYER, Histoire de la famille
gabonaise, 2ème éd. revue et augmentée,
Libreville, Éditions du LUTO, 2002, p.49.
88 Jonas OSSOMBEY, Société
Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie,
Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, p.70.
boîte d'écorce où, barbouillé de
rouge, il va rejoindre les aïeux et attendre son successeur
».89
L'entretien du culte des ancetres permet ainsi à celui
qui officie la cérémonie, en l'occurrence le chef ou le roi,
d'asseoir son autorité et son pouvoir. En ce sens qu'il exerce la
domination symbolique au sens bourdieusien, dans le double mouvement de la
reconnaissance (dans l'adhésion du dominé à l'ordre
dominant qui lui parait légitime, « normal », « naturel
») et de la méconnaissance (dans l'ignorance qu'il s'agit d'une
domination arbitraire, « non nécessaire », « non
naturelle »). Les fonctions du chef de clan sont de protéger ceux
qu'il gouverne, en dehors de l'entretien du culte des ancêtres. «
Cette protection s'exerce d'abord d'une manière matérielle : si
le chef possède des richesses, et reçoit un pourcentage sur le
commerce qui se fait sur son territoire, il se doit de les redistribuer aux
membres de son clan ».90 Puis, par le culte des ancetres qu'il
a la charge de présider, il protège moralement les siens ; car il
peut devenir juge pour toutes les affaires criminelles qui ont lieu à
l'intérieur du clan ; et pouvant se faire assister de l'oganga, ministre
du culte des esprits et guérisseur. Selon un interlocuteur :
Énoncé n°2 :
-« Pour moi, le culte des ancêtres est le
fondement des profanations des tombes car les restes humains étaient
vénérés pour de la protection, l'argent, la puissance.
Pour moi, il ne fait aucun doute que c'est la cause de ce que nous constatons
aujourd'hui. Or si les gens priaient Dieu au lieu des ancêtres, tu vois
qu'il ne devait pas avoir ces actes de fétichisme et d'occultisme
»91.
Pour tout dire, « le chef de clan ou de lignage est le
pont de jonction entre le clan (ou le lignage) actuel, constitué par les
vivants, et le clan (ou lignage) idéalisé,
89 Annie MERLET, Le pays de trois estuaires
(1471-1900). Quatre siècles de relations extérieures dans les
trois estuaires du Muni, de la Mondah et du Gabon, Libreville, CCF St
Exupéry/Sépia, (coll. « Découvertes du Gabon
»), 1990, p.283.
90François GAULME, Le pays de Cama. Un
ancien Etat côtier du Gabon et ses origines. Préface de Jean
PING, Paris, Karthala, 1981, p.215.
91 Propos de monsieur M.G.B, chrétien
catholique, 46 ans, cadre dans une entreprise privée. La tombe de son
oncle a été profanée à Mindoubé. Entretien
réalisé le 1er novembre 2007 au cimetière de
Mindoubé. Il a demandé l'anonymat. D'où nous mentionnant
ses initiales.
porteur des valeurs ultimes, symbolisé par la
totalité des ancêtres aux vivants, celle des vivants aux
ancêtres ».92
Section 2 : Les reliques comme symbole du pouvoir
L'univers socioculturel et politique au Gabon est un univers
de forces, de puissances. Et il peut arriver que ces forces ou puissances
puissent se révéler, selon les cas, antisociales. Et pour
réussir à les maîtriser, les populations utilisaient les
reliques considérées comme symbole d'autorité et de
pouvoir. Car « en suivant AGAMBEN, les corps vivants aussi bien que morts,
possèdent ou peuvent posséder, au-delà de leur valeur
biologique et biopolitique (c'est-à-dire le biologique en tant qu'il est
soumis à la régulation et à la surveillance de
l'État), une valeur sacrée »93.
1. Les reliques comme « objets-fétiches
»
Les reliques sont dépositaires du Mana pour parler
comme DURKHEIM ou MAUSS, du charisme chez WEBER, de l'évus,
de l'inyèmba ou du dikundu dans le sens local
gabonais, et apparaissent comme des << objets-fétiches >>
(c'est-à-dire des intermédiaires qui permettent de parler, de
communiquer avec les ancêtres). En fait, pour BERNAULT, les parties du
corps sont donc sacrées signifierait que << le corps humain est
perçu comme dépositaire d'un pouvoir et d'une valeur
dépassant sa nature physique, mesurable et dégradable
»94.
Le fétiche c'est aussi cet objet
considéré comme sacré (le talisman, un crane humain ou des
ossements humains ou animaux, une statuette, etc.) qui a la capacité
magique de répondre favorablement aux sollicitudes de son
propriétaire, à la suite de prières, d'offrandes voire des
sacrifices. Ces cultes reliquaires sont prédominants dans les
sociétés symboliques lignagères locales et permettent
d'attester d'une relation vraie unissant les populations autochtones à
leur sacré, à leurs ancêtres. C'est
92 Georges BALANDIER, Anthropologie
politique, Paris, Puf /Quadrige, 1999, p.118.
93 Florence BERNAULT, « Il y a quelque chose
de pourri dans le post-empire », p.3, à paraître dans
Cahiers d'études africaines en 2010.
94 Ibid., p.1.
ce que BERNAULT nomme << la religion de l'os
»95. Pour nous, nous parlerons de << pièces
détachées », mieux, << d'or blanc ».
Selon Albert ALEWINA-CHAVIHOT, l'adoration des reliques en
tant qu'objets-fétiches, conduit au fétichisme qu'il entrevoit
comme « un dialogue invocatoire à l'adresse des esprits
bienfaiteurs qu'ils matérialisent »96.Le
fétichisme serait donc la vénération des
objets-fétiches telles les reliques humaines. Ces restes humains
(organes génitaux, le foie, le coeur, la langue, le crane, les ossements
humains, etc.) sont supposés être les réceptacles de
l'énergie vitale d'un individu. De même, les reliques sont
<< des objets auxquels on attribue une vertu bénéfique ou
maléfique »97.
Toujours est-il que les reliques envisagées comme
objets-fétiches mettent en avant un point important dans l'univers
socioculturel et politique au Gabon ; influencé et géré
par des forces et des génies de tout genre : le pouvoir des corps ou des
parties du corps humain. Par ailleurs, cette réalité des pouvoirs
attribuée aux reliques humaines rejoint l'idée biblique selon
laquelle « notre corps est le temple du Saint Esprit que vous avez
reçu de Dieu »98. Pour résumer, les reliques
comme symbole d'autorité et de pouvoir traduiraient déjà
les rapports de force entre les populations autochtones elles-mêmes et au
sein des sociétés symboliques lignagères également.
Car c'est celui qui détenait le plus de reliques, donc de
fétiches, qui pouvait s'assurer d'être un « grand », un
homme puissant, adulé et respecté. Cela montre aussi que le
soubassement du pouvoir et de l'autorité en cette période
fût l'« or blanc » ou les fétiches.
2. Le crâne comme élément principal
du pouvoir
Le principal élément des reliques dans le culte des
ancêtres soit le crâne ; en tant qu'objet du pouvoir. On notera en
rappel que le Byéri, exemple retenu pour
95 Florence BERNAULT, « Il y a quelque chose
de pourri dans le post-empire », p.7, à paraître dans
Cahiers d'études africaines en 2010.
96 Albert ALEWINA-CHAVIHOT, Les Adyumba du Gabon.
De la petite Valise de Nènè. Préface de Jean-Avéno
DAVIN, Libreville, Éditions Raponda-Walker, 1999, p.140.
97 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS,
op.cit., p.262.
98 I corinthiens 6 verset 19.
notre étude, est la forme la plus
caractéristique du culte des ancêtres ; particulièrement
développé dans les tribus Fang. << Le prêtre en
était l'ancêtre vivant, le père, ésa, avec
une hiérarchie de fait correspondant aux différents niveaux de la
structure sociale et clanique, hiérarchie à caractère plus
religieux que politique, l'autorité qui en découlait étant
constitué par les crânes des ancêtres masculins,
gardés par le père, l'aîné, dans le panier à
cranes, évora biéri (éwolé
biéti), sorte d'arche que le groupe familial transportait avec lui
au cours des migrations. L'évora biéri était une
boîte cylindrique en écorce de ficus, ornée de perles et
d'emblèmes claniques (mindem), dont le couvercle portait la statue du
premier ancêtre ».99
Le crâne est un objet de pouvoir, une pièce
maîtresse du culte des ancêtres en ce sens que << quand un
nouveau village était créé par un cadet, le crâne du
fondateur était le premier à prendre place dans l'arche, le
village d'où il était parti conservant ceux des
précédents ancêtres de la lignée. On conçoit
dès lors que le gardien des crânes de la lignée ait eu une
certaine autorité, déléguée par les ancêtres
de rang supérieur ».100
Plus important encore c'est le fait que « les
crânes étaient, en effet le siège ou le réceptacle
de la capacité d'action de l'individu (rappelons : bo=faire, boo=
cerveau), et leur utilisation magique n'était pas restreinte aux seuls
cranes d'ancêtres : on conservait également les cranes d'ennemis
tués à la guerre ou sacrifiés dans les
cérémonies anthropophagiques qui la précédaient ou
la suivaient, ou bien des crânes volés à des voisins, de
même qu'on utilisait pour les rites de chasses des cranes d'animaux de
l'espèce qu'on désirait chasser. Il semble, toutefois, qu'une
distinction ait été faite entre les crânes familiaux et
crânes étrangers, les premiers seuls ayant place dans
l'éwolé biéti et prenant part aux rites familiaux. On
augmentait la force des crânes en les aspergeant du sang des sacrifices
».101
99 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe
pahouin (Fang-Boulou-Béti), Paris, l'Harmattan, 2005, p.110.
100 Ibid., p.110.
101 Ibid., p.111.
Dans la lutte du pouvoir (politique en l'occurrence) entre les
chefs de clans et des villages, il apparaît clair que les crânes
humains detenus par ces « grands hommes »102 structurent
les rapports sociaux voire les rapports sociaux de force et suscitent les
interpretations magico-religieuses de la longevite des chefs, leurs
façons de gerer les affaires quotidiennes incluant leurs prises de
decisions. Le crâne (surtout celui de son ancetre ou d'un grand guerrier,
d'un chef de village, etc.) est, comme nous l'avons dit, un puissant
intermédiaire permettant à son détenteur d'entrer en
contact avec ses ancêtres. Il est donc « charge » de puissances
(benefique ou malefique) et prêt à servir son proprietaire, pourvu
que ce dernier lui offrait des sacrifices et des cultes en hommage « dans
le but d'accéder à un avantage, politique en l'espèce, et
de protéger et de conserver cet avantage aussi longtemps que possible
»103.
Ce qui expliquera la persistance des profanations des tombes
dans les cimetières de Libreville à l'orée des
élections ou des conseils des ministres et pour seul et unique but du
recyclage des morts ; c'est-à-dire des « pièces detachees
» ou de « l'or blanc ». D'où, « de jour comme de
nuit, les cimetières sont visites. Les ossements humains foisonnent. Et
(<) sont devenus des barres d'or »104. Pour tout dire «
l'or blanc », c'est-à-dire les « pièces detachees
», a encore un avenir au Gabon.
102 Marc-Éric GRUÉNAIS, Florent MOUANDA MBAMBI,
Joseph TONDA, « Messies, fétiches et luttes de pouvoirs entre
les "grands hommes" du Congo démocratique », p.165, in
Cahiers d'études africaines, 1995, volume 35, numéro 137,
pp.163-193.
103 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et
politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.208, in
P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de
libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC,
2000, 295 p.
104
Joseph TONDA, « Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale)
», p.4, in Voter en Afrique : différenciations et
comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre
d'Étude d'Afrique Noire-Institut d'Études politiques de
Bordeaux, 7-8 mars 2002.
Chapitre II : La conversion des africains au
christianisme et à l'islam
Plusieurs significations du mot « conversion
» existent pour exprimer une réalité qui est a priori
ambivalente. Par exemple, pour le dictionnaire Larousse illustré 2008,
la conversion se définit comme l' « action de se convertir à
une croyance, et particulièrement, abandonner une religion pour une
autre : passage de l'incroyance à la foi religieuse ». Mieux,
Larousse précise un autre sens de la conversion comme le «passage
à une conviction, à une opinion, à une conduite nouvelle.
» Toutefois, le sens que nous voulons donner à la «
conversion » dont nous faisons allusion ici, se trouve mieux
élaborée en psychologie comme « changement complet
d'opinion, impliquant l'adhésion à une nouvelle croyance
(religieuse et par extension, politique ou idéologique) et de fait une
restructuration plus ou moins profonde de la personnalité
».105
Cette conversion traduit et illustre non seulement
l'inculturation mais surtout ce que nous appelons la domination politique,
physique et symbolique du colonisateur à travers le
christianisme106. C'est de cette conversion au sacré
judéochrétien que va naître la criminalisation des
pratiques reliquaires africaines par l'Église et par les autochtones
eux-mêmes, devenus les« nouveaux convertis ».
Section 1 : Pourquoi la conversion ?
Une première remarque s'impose quant à cette
notion de « conversion » et surtout son contexte de production.
Rappelons que nous sommes en pleine situation coloniale c'est-à-dire que
nous faisons face à un contexte régi par des logiques
capitalistes et de déstructuration sociale en Afrique. Par ailleurs,
n'oublions pas que la conversion se définit comme l'action qui consiste
à abandonner une religion pour une autre ; c'est le passage d'une
conduite à une autre mais surtout, c'est changer une chose en une autre,
donc une profanation des corps.
105 Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales,
7ème édition, Paris, Dalloz, 2000, 424 p.
106 Nous tenons à rappeler ici que le christianisme n'a
été qu'un alibi politique et économique dans « la
mission civilisatrice 1 pour asseoir l'hégémonie occidentale. En
effet, sur cette question, le discours du roi des Belges
LEOPOLD II illustre bien l'idée selon laquelle la colonisation n'a
pas eu pour but d'apporter Dieu étant donné que les peuples
indigènes le connaissaient déjà ; plutôt
d'assujettir l'indig~ne et le désintéresser de ses terres et de
ses richesses.
D'autant plus que « la conversion, soit à une des
formes du christianisme, soit à l'islam ou, à l'intérieur
de ces religions, à un nouveau courant de piété, a
suscité dans les années 1970 un débat qui trouvera ici de
nouveaux exemples. L'effet de contraintes extérieures accompagnant la
conquête coloniale, jihad des XVIIIe et XIXe
siècles, pénétration de marchands étrangers venus
de l'Atlantique ou du Sahel. Mais les faits les plus importants sont ceux qui
éclairent les crises internes des sociétés et des
religions "autochtones" et les inquiétudes ou les calculs des pouvoirs,
des groupes sociaux ou des personnes qui se portent vers une nouvelle foi
>>.107 En un mot, << la conversion s'effectue ainsi
comme un approvisionnement du secret des Blancs, du moins dans un premier temps
(<) >>108
1. Le christianisme et son rôle dans
l'hégémonie coloniale 1.1. La conversion comme appareil
idéologique d'État au Gabon
Selon Achille MBEMBE, << la conversion de
l'indigène a été tout, sauf neutre ou gratuite. En toute
hypothèse- et au risque de heurter une certaine théologie
romantique- elle n'a pas été, fondamentalement, le fait de
l'Esprit-Saint. Que les sociétés indigènes se soient, pour
ainsi dire, laissées << appâter >>, puis <<
capturer>> par certaines régions -et non la totalité- du
christianisme signifie précisément que leur << conversion
>> fut sélective. Mieux, elle prit constamment en compte les
perspectives de gains et de profits symboliques et matériels
qu'était de nature à entraîner le troc des idiomes
religieux ancestraux contre les idiomes des vainqueurs. Dès l'origine,
l'indigène s'avisa, par conséquent, d'instrumentaliser cette
modalité neuve >>.109
De toute évidence, il apparaît bien clair que la
conversion pour Achille MBEMBE et donc le christianisme, est un appareil
idéologique d'État qui fonctionne à l'idéologie, au
sens d'ALTHUSSER. La conversion a été et est cet outil qui
permet
107 Yves PERSON, << Pour une histoire des religions
africaines », p.237, in Jean-Pierre CHRETIEN,
L'invention religieuse en Afrique. Histoire et religion en Afrique noire,
Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés
»), 1993, 479 p.
108 Ibid., p.238.
109 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme,
pouvoir et État en société postcoloniale, Paris,
Karthala, (coll. << Chrétiens en liberté »),
1988, p.10.
d'asseoir l'hégémonie coloniale et donc, elle
n'a jamais été neutre. Bien au contraire, elle a
été orientée l'assise de l'hégémonie
coloniale car toute religion sert une politique. De même, ce point de vue
d'Achille MBEMBE est illustré par nos informateurs, même si ces
derniers a priori et inconsciemment ne le sentent pas mais ils le disent, quand
nous leur avons posé la question de savoir ce qu'ils entendent par la
conversion et à quoi sert-elle.
Les discours de nos interlocuteurs110 attestent
qu'il s'agit bien d'un contrôle social dans le but de << produire
» un être converti, totalement soumis et docile.
Énoncé n°3 :
- << La conversion est quelque chose qui nous permet
de changer nos vies. C'est pour devenir un soldat du Christ,
c'est-à-dire suivre le Christ en tout et pour tout.
L'élément qui m'a emmené à me convertir est d'abord
mon age et toutes les difficultés que j'ai rencontrées dans ma
vie comme problèmes de santé, la perte de ma grande soeur et la
perte d'un ami. Parce que je me suis dis que la vie est
éphémère, ce que nous faisons n'a pas de sens, que le
paradis se prépare sur Terre avant les cieux (<) La conversion m'a
apportée la stabilité dans ma vie, une prise de conscience de mes
actes et changement ; en fait toujours dans ma vie, comment il faut voir son
prochain ».111
Énoncé n°4 :
- << La conversion c'est quitter d'un état A
à un état B. C'est changer de direction, changer de vie, c'est
décider de changer sa manière de vivre, sa manière
d'être, de penser. On se convertit c'est pour devenir chrétien,
pour avoir une nouvelle vision des choses. Je me suis convertie depuis l'dge de
6 ans, mes parents m'ont amené à l'église et j'ai
été baptisée, j'ai suivi les soeurs. Je suis restée
jusqu'à présent ancrée dans ma religion. Ce sont les
parents qui ont décidé ; j'ai fais la volonté des parents
; j'étais inconsciente et au fur et à mesure, j'ai trouvé
mon compte. A l'église, on a appris les valeurs de la femme, du corps
humain et d'avoir l'amour du prochain, la patience. J'ajoute que j'ai pris un
chemin qui est celui que je suis
110 Nous précisons ici que pour mieux faire ressortir les
discours de nos interlocuteurs, nous avons décidé de rapporter
leurs discours in extenso.
111 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25
ans, chrétienne catholique, étudiante au département de
Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise,
Akélé-Punu.
depuis que j'ai 6 ans. 6 ans, c'est l'âge de
l'innocence. La conversion m'a appris à pardonner à pardonner
véritablement et à m'ouvrir aux autres. La conversion m'a
apportée l'ouverture aux autres, l'amour du prochain parce que je
n'étais pas ouverte aux autres ».112
Énoncé n°5 :
- « La conversion c'est l'acceptation des valeurs,
des us et coutumes qui sont totalement étrangères à nos
croyances. Le but de la conversion c'est de pouvoir rompre avec ce qui n'est
pas essentiel à la vie notamment les pratiques qui ne participent pas
à la compréhension du monde dans lequel nous vivons ;
c'est-à-dire nos coutumes africaines. Certaines pratiques n'ont pas lieu
d'être avec le modèle occidental que nous avons accepté. Un
exemple précis : le culte des ancêtres ; la
vénération des plantes, des totems, le sacrifice aux
génies. Ce sont des abominations qui limitent l'homme dans sa
réalisation ; c'est le refus du salut de Jésus-Christ. Tout
individu selon moi, à un moment de sa vie, se trouve le dos contre le
mur, et il m'est arrivé la même chose ; j'ai regardé autour
de moi, aucun secours, j'ai puisé dans nos coutumes sans succès.
C'est ma conversion en Christ qui m'a permis d'émerger à
nouveau<Oui je peux affirmer et soutenir que quiconque qui a de bonnes
motivations (réussir dans sa vie) avec Jésus-Christ, on
réussit toujours. Le socle est la parole de Dieu et c'est elle qui
change. La conversion m'a apportée la stabilité, la paix du coeur
; elle m'apportée ce qu'un parent, un homme, une mre, un père, un
individu ne peut apporter : l'amour ; le respect de l'autre et le désir
de voir un plus grand nombre s'accrocher au salut de Jésus-Christ car
c'est là où il ya la vraie vie ».113
Énoncé n°6 :
- « Le changement de mentalité d'une
étape à une autre ; changer ses habitudes, sa manière de
voir les choses. On se convertit c'est pour devenir meilleur, mieux que ce que
l'on était avant. C'est la recherche de Dieu dans la vie et vu ce qui se
passe dans nos traditions c'est-à-dire les méandres, il nous faut
quelqu'un qui soit notre assurance. Et étant issue d'une famille
catholique, il est normal de poursuivre dans ce chemin. La conversion a
changé ma vie,
112 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans,
chrétienne catholique, étudiante au département G-
6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé- G- BîAUs-, N] pEi-Sango.
113 Propos de monsieur John SATURDAY, 29 ans, chrétien
pentecôtiste charismatique, étudiant au département G-
6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé-1G- BîM-,:g XrXEB-Fang.
elle me permet de mieux voir, d'agir et d'appréhender
autrui. Elle m'a apporté la paix, pas totale, la confiance en moi et
avoir que je peux tout avec celui qui me fortifie ».114
Énoncé n°7:
- « La conversion c'est un changement de vie
positif. Quand on se convertit s'est pour se rapprocher d'avantage du Christ et
se détacher de tout ce qui n'honore pas le christ. Je me suis converti
parce que j'ai eu l'expérience de la grace en étant avec le
Christ et je veux toujours vivre cette grace. Elle m'a apporté des
graces, la sagesse, l'humilité et le pardon ».115
Énoncé n°8 :
- « Se convertir c'est accepter ouvertement le
Seigneur, c'est naître de nouveau. On se convertit c'est pour devenir une
nouvelle créature ; repartir sur de nouvelles bases. Je me suis
convertie dès la classe de CM2 comme ma maman a vu que je ne pouvais
grandir sans conversion. Ma décision est venue des parents. Ma mere me
l'a imposé. Selon les parents c'est un chemin obligatoire et on ne peut
pas échapper. Dès le bas age, c'était inconscient ; car
jusqu'à 26 ans, je ne mesurais pas la portée de mon acte. A 27
ans, j'ai réessayé et j'ai vu certaines réalités.
La conversion c'est le nouvel individu, quand il suit les normes de l'Eglise,
il obtient ce qu'il veut. Si tu ne suis pas le cheminement tu échoueras
».116
Énoncé n°9 :
- « La conversion c'est l'acte de s'engager et
d'aller mettre en pratique une philosophie spirituelle
révélée et non révélée. On se
convertit c'est pour devenir adepte d'une philosophie
révélée. C'est l'amour du sacerdoce qui m'a conduit
à me convertir parce que je suis issu d'une famille de cinq (5)
générations de cinq (5) pasteurs : OGOUERA, NDJAVE, OMBAGHO,
OGOULA-M'BEYE, etc. Elle m'a apportée beaucoup, j'ai une autre
appréhension du monde et que la vie est une vanité des
vanités devant la mort. Elle m'a
114 Propos de mademoiselle Carine PENDY BOUANGA, 25 ans,
chrétienne catholique, Nzébi, étudiante au
département de Géographie de l'UOB, en année de
Maîtrise.
115 Propos de mademoiselle Maéva Juliette
WAMBONGO YABOZO, chrétienne catholique, 23 ans, Sango, étudiante
au département de Lettres Modernes, en Licence 2.
116 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, agent
marketing à Multi-chimie/Haut de Gué-Gué,
chrétienne catholique, Fang/Odzipe.
amenée à comprendre que la plus grande
initiation c'est accepter Jésus car le plus grand temple du monde c'est
le coeur de l'homme >>.117
Nous voulons préciser ici que notre objectif n'est pas
d'aligner les points de vue de nos interlocuteurs et de faire une quelconque
apologie de la conversion ou son contraire. Ces divers points de vue illustrent
bien le travail d'acculturation faite par l'Église et qui, finira par
déboucher sur une nouvelle façon de vivre et de percevoir les
pratiques traditionnelles.
1.2. La production « officielle » des
convertis
A travers les discours de nos interlocuteurs, nous nous
rendons compte que le travail des missionnaires a été effectif
c'est-à-dire que l'évangélisation a bien fonctionné
comme l'avait recommandé le roi des Belges LEOPOLD II dans son
discours118 aux missionnaires : - « votre rôle
essentiel est de faciliter la tâche aux administratifs et aux
industriels. C'est dire donc que vous interprétez l'Evangile de
façon qui sert à mieux protéger nos intérêts
dans cette partie du monde (<) Vous devez les détacher et les faire
mépriser tout ce qui leur procure le courage de nous affronter. Je fais
allusion ici principalement à leurs fétiches de guerre. Qu'ils ne
prétendent point ne pas les abandonner et vous mettre tous à
l'oeuvre pour les faire disparaître. Votre action doit se porter
essentiellement sur les jeunes afin qu'ils ne se révoltent pas. Si le
commandement du Père est conducteur à celui des parents, l'enfant
devra apprendre à obéir à ce que lui recommande le
missionnaire qui est le père de son âme. Insistez
particulièrement sur la soumission et l'obéissance. Eviter de
développer l'esprit de critique dans vos écoles. Apprenez aux
élèves à croire et non à raisonner
>>.119
Comme nous l'avons dit supra, ces illustrations
témoignent à suffisance que l'Église a servi
l'administration coloniale pour « fabriquer >> des fidèles
obéissants, soumis et totalement dévoués au christianisme.
Et donc, qui n'opposeraient aucune résistance quant à l'irruption
du monde occidental et ses corollaires. Il en va de
117 Propos du Pasteur Raymond AKITA, 42 ans, pasteur à la
Mission protestante de Baraka de Libreville, Galoa, protestant. Il est au
sacerdoce depuis 2000.
118 Discours prononcé devant les missionnaires se rendant
en Afrique en 1883 ; voir en annexes.
119 Discours prononcé par le roi des belges devant les
missionnaires se rendant en Afrique en 1883.
même pour André MARY qui entrevoit << la
conversion comme choix personnel et sincère, comme réponse ferme
à une alternative tranchée, ou comme rupture radicale et
irréversible avec la "coutume" >>.120
Toute réflexion faite, André MARY soutient que
<< l'idéologie de la conversion est fondée sur la guerre
déclarée aux puissances des ténèbres et dans cette
guerre l'autre maléfique, satanique c'est le "païen".Le premier
travail de l'évangélisme colonial c'est la démonisation,
la diabolisation de la différence culturelle. Un bon chrétien ne
peut pas vivre nu, sale, habiter dans les huttes, etc. Toutes les conditions
étaient donc réunies pour que l'entreprise missionnaire des
non-conformistes prenne la dimension d'un conflit idéologique et d'une
guerre culturelle (une « guerre des esprits >>), sans
possibilité de compromis >>.121 Comme il le dit enfin,
<< la conversion attendue relève moins de l'adhésion
à une vérité que d'un "changement de vie", d'un changement
d'être qui fait du converti un "nouveau
né">>.122
Néanmoins, c'est Achille MBEMBE qui nous donne une
réponse assez pertinente comparativement à celle d'André
MARY, au sujet de la conversion. Pour MBEMBE, la conversion traduirait
plutôt une tactique, une stratégie des colonisés pour mieux
percevoir de << l'intérieur >> la logique culturelle des
croyances du colonisateur et pour mieux le combattre. Aussi, << en
répondant à la question de savoir " pourquoi se sont-ils
convertis ", l'on a trop souvent négligé la part de ruse et de
calcul qui convainquit les natifs de "fréquenter" les systèmes
religieux et symboliques victorieux des confrontations qu'ils ne pouvaient plus
différer. On n'a pas jeté suffisamment de soupçon sur ce
qu'il eut de simulacre dans la manière dont ils
théâtralisèrent ce qui s'apparente bel et bien à la
défaite de leurs dieux et de leurs codes de référence
>>.123
120 André MARY, « Conversion et conversation ;
les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.791 in Cahiers
d'Études africaines, 160, XL-4, 2000, pp.779-799.
121 Ibid., pp.779-799.
122 Ibid., p.787.
123 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme,
pouvoir et État en société postcoloniale, Paris,
Karthala, (coll. « Chrétiens en liberté »),
1988, p.77.
D'ailleurs à la suite de MBEMBE, nous pensons aussi
qu'il s'agit d'une conversion volontaire et qu'« au fond, il n'y a pas eu
de "vraie" conversion. Il eut surtout le désir d'épouser le genre
de vie missionnaire. Les exigences religieuses imposées par lui
n'étaient que le moyen d'obtenir des avantages matériels. Elles
étaient plus révérées qu'observées (<)
L'Église a réussi sur le point de l'éducation. Pour ce qui
est de l'ame, elle a échoué ».124 Finalement,
« le christianisme s'est toujours développé dans un type de
civilisation de cité-état-empire oil la paysannerie a perdu son
autonomie et est devenue tributaire. Il est plus facile à un peuple
déjà étatisé ou citadin de devenir chrétien,
qu'à des chasseurs-cueilleurs, à des nomades ou à des
agriculteurs indépendants. L'histoire montre que le christianisme ne
peut vivre que sur la mort de certaines civilisations -genres de vie
».125
En un mot, le colonisateur a démagifié et
démystifié l'univers symbolique et religieux des croyances des
colonisés. Achille MBEMBE pousse sa réflexion en soulignant que
« le refus de prendre institutionnellement en compte les symboliques
rattachées aux us et coutumes ancestraux coûte certes cher au
christianisme aujourd'hui, compte tenu de l'irruption d'autres concurrents sur
le marché religieux ».126 Ce qui conduit Florence
BERNAULT127 à parler de la reformulation du sacré en
Afrique avec la floraison de sectes transnationales (Rose-Croix,
Francmaçonnerie, Ekankar, Fraternité Blanche Universelle, etc.),
ou des cultes syncrétiques religieux ; mais surtout, la persistance et
la survivance des pratiques fétichistes telles les sacrifices humains,
la sorcellerie du Kong128, ou des profanations des tombes à
l'orée des élections politiques au Gabon. D'autant plus que cette
persistance traduit l'échec de l'évangélisation au
Gabon.
124 Guy MUSY, Après 75 ans..., dans
Au coeur de l'Afrique, t.15, 1975/4, p.227 in « Conversion
», prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de
l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur
www.google.fr
125 H.MAURIER, Religions africaines : Les paysans,
dans Vivant Univers, n°342, déc. 1982, p.39 in «
Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de
théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur
www.google.fr
126 Achille MBEMBE, Afriques indociles.
Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale,
ibid., p.76.
127 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie
et politique au Gabon et Congo Brazzaville » in MBEKALE
M.M
Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris,
l'Harmattan, 2005, 12 p.
128 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong
à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat
capitaliste, Rapport de Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH,
Septembre 2003, 25 p.
Nous ne saurions conclure ce débat consacré au
christianisme et son rôle dans l'hégémonie coloniale sans
convoquer la contribution de Chinua ACHEBE129. Il a qualifié
d'ambiguïté" l'action des missionnaires en Afrique. En effet, dans
son ouvrage intitulé << le monde s'effondre >>, le
romancier y relate l'histoire du peuple Ibo en pleine situation coloniale
occidentale sous l'impulsion des missionnaires qui, déterminés
à apporter << la civilisation >> et
l'évangélisation, profanent les lieux sacrés Ibo pour
imposer le christianisme. Cela a pour conséquences la
déstructuration de la vie tribale et la tragédie d'un homme dont
toute sa vie a tendu à devenir l'un des personnages les plus influents
de son clan et qui finit de façon << misérable ».
Sans omettre la conversion au christianisme de son fils
pourtant destiné à continuer la tradition de ses ancêtres :
à ce moment, le monde africain, symbolique et lignager s'effondre". Les
profanations des lieux sacrés ont été les actes quotidiens
que les missionnaires firent subir aux indigènes ; leur montrant la
puissance du Dieu chrétien sur les dieux ancestraux africains. Le roman
met donc en évidence les rapports sociaux de force.
En témoigne ce bref passage du roman qui met en
évidence cette dialectique de la profanation basée sur le
défit, l'imposition. C'est donc l'imposition de la violence symbolique
et religieuse occidentale en Afrique dont cet extrait en est une des
illustrations : << les missionnaires passèrent leurs quatre ou
cinq premières nuits sur la place du marché, et le matin se
rendirent au village pour prêcher l'évangile. Ils
demandèrent qui était le roi du village, mais les villageois
leurs dirent qu'il n'y avait pas de roi (<) Ils demandèrent une
pièce de terre pour bâtir leur église. Chaque clan et
chaque village avait sa "Forêt Maudite".Là étaient
enterrés tous ceux qui mourraient de maladie réellement mauvaise,
comme la lèpre ou la petite vérole. C'était aussi le
dépotoir des puissants fétiches des grands hommes-médecine
quand ils mourraient. Une << forêt maudite » était donc
tout animée de forces sinistres et de puissances de
ténèbres. Ce fut une telle forêt que les dirigeants de
Mbanta donnèrent aux missionnaires (<) Le lendemain matin ces hommes
fous se mirent bel et bien à
nettoyer une partie de la forêt et à bâtir
leur maison. Les habitants de Mbanta s'attendaient à ce qu'ils soient
tous morts dans les quatre jours. Le premier jour passa et le second et le
troisième et le quatrième, et aucun d'entre eux en mourut. Tout
le monde était intrigué. Et alors il devint connu que le
fétiche de l'homme blanc avait d'incroyables pouvoirs. On disait qu'il
portait des verres sur les yeux de sorte qu'il pouvait voir les esprits du mal
et leur parler ».130
Et n'oublions pas qu' « il était bien connu chez
les gens de Mbanta que leurs dieux et leurs ancêtres étaient
parfois d'une grande patience et laissaient délibérément
un homme continuer à les défier. Mais même dans de tels cas
ils fixaient la limite à sept semaines de marché ou vingt-huit
jours. Au-delà de cette limite on ne laissait personne continuer. C'est
pourquoi l'excitation augmentait au village tandis que la septième
semaine approchait depuis que ces impudents missionnaires avaient bâti
leur église dans la Forêt Maudite. Les villageois étaient
si certains du destin fatal qui attendait ces hommes qu'un ou deux convertis
jugèrent sage de suspendre temporairement leur fidélité
à la foi nouvelle. Enfin le jour vint où tous les missionnaires
auraient dû être déjà morts. Mais ils étaient
toujours vivants, et construisaient une nouvelle maison de terre rouge et de
chaume pour leur instructeur, M.Kiaga. Cette semaine là, ils
gagnèrent une poignée de convertis de plus
».131
Nous avons vu dans cet extrait que, bien qu'étant issu
d'une histoire imagée, la conversion repose néanmoins sur un fait
historique réel qu'est la colonisation en Afrique. Ce que nous voulons
montrer, c'est que l'Église, par l'entremise des missionnaires, aura
profané les lieux sacrés africains pour imposer le Dieu
chrétien tout en diabolisant les rites et les dieux ancestraux
africains. Par ailleurs, cet extrait nous renseigne sur la façon dont le
christianisme s'est implanté et comporté en Afrique : il a
été un mouvement religieux du défit, de
déstructuration de l'ordre social ancestral africain, un juge des
valeurs morales en présence et une mise en
évidence de l'européocentrisme. Or n'est-il pas
écrit dans la sainte Bible que le chrétien ne doit ni juger, ni
porter de faux témoignages sur son prochain, encore moins
blasphémer ? D'autant plus qu'on assiste à une diabolisation des
rites ancestraux africains depuis la colonisation jusqu'à la
postcolonie.
2. L'islam
2.1. Le rôle de l'islam dans
l'hégémonie coloniale
Nous avons vu finalement que la conversion ou la profanation
des corps en Afrique s'est faite par l'Église et surtout, que « les
missionnaires rejetaient les pratiques religieuses précoloniales et
cherchaient à imposer une morale victorienne qui légitimait la
hiérarchie coloniale >>.132 De même, l'Islam
s'est comporté de façon identique que le christianisme en Afrique
; c'est-à-dire qu'il a été également un appareil
idéologique d'État qui a servi à asseoir la domination
coloniale arabomusulmane. Et n'oublions pas que la structuration de la
population informe sur l'appartenance religieuse des groupes sociaux : on
retrouve les chrétiens, les musulmans, des animistes, sans oublier les
adeptes des sectes ésotériques.
Mais cela ne change en rien le rôle de la conversion
à l'islam comme une profanation des corps. Comme pour le christianisme,
nous avons recueilli les discours de deux (2) de nos interlocuteurs musulmans ;
dans l'édification de notre préoccupation. Aussi, il leur a
été posé la question de savoir ce qu'est la conversion.
Ils répondent à cet effet que :
Énoncé n°10 :
- « Être converti c'est être croyant,
c'est aimer sa religion. Se convertir c'est devenir
un vrai musulman et c'est pour avoir l'islam en soi, j'ai
grandi dedans. Ça m'a apportél'amélioration des
conditions de vie ; je ne fais plus de bêtises comme avant et
çà m'a appris à savoir me maîtriser quand je suis
dans les problèmes >>.133
132 Helen CALLAWAY, << Purity and Exotica in
Legitaming the Empire : cultural constructions of Gender, sexuality and
race » cité par André CORTEN et André MARY
(éds) in Imaginaires politiques et pentecôtismes
Afrique/Amérique Latine, Paris, Karthala, (coll. <<
Hommes et sociétés »), 2000, p.92.
133 Propos de monsieur Moussa TOGOLA, 35 ans, entretien
réalisé le 26 mai 2009 à 20h18 à son domicile. Il
est malien, coutume Dogon. C'est un musulman.
Énoncé n°11 :
- « La conversion c'est s'intégrer dans une
religion et changer d'habitudes ; suivre les instructions du Coran pour nous,
de la Bible pour les chrétiens. L'évenement qui m'a amené
à me convertir c'est mon opération chirurgicale. Quand je me suis
faite opérée, j'ai pensé que ce n'est pas tout le monde
qui peut revenir. Je me suis faite convertir parce que j'avais besoin d'une
assise, d'un endroit où je peux adorer mon Dieu ; Allah. Je dois dire
qu'elle m'a apportée beaucoup de choses ; le bien-être, l'humour,
la joie, mon coeur est libre car avant, je me cherchais vraiment ; tous les
jours je pouvais être malade, ce qui n'est plus le cas
».134
Rappelons ici que comme le christianisme, l'islam de Mahomet
s'est imposé et s'est diffusé en Afrique dans un contexte
colonial de déstructuration sociale de l'ordre social des
sociétés symboliques africaines. On se rend compte aussi que
« la mise en ordre religieuse par l'érection de monuments
procède d'un désir de visibilité et d'affichage public des
cultes. Les cultes, musulman comme catholique, s'affirment contre génies
et les esprits ancestraux, désormais retranchés dans l'espace
privé, les lieux obscurs et de la mémoire »135
des autochtones.
C'est dans cette déstructuration sociale que le temps
de la régulation et du contrôle social ont la coloration
coloniale. Il s'agit donc d'une conversion qui a la capacité
d'inscription du corps social colonisé dans un universel
irréductible à l'ethnologie et la (dé)tribalisation
coloniale ; voire une négation de son identité africaine sous le
prétexte colonial.
Dans ce marché religieux et politique, une bataille
à caractère religieux voit le jour mais dont les soubassements,
en filigrane, restent politico-administratifs; c'est le fait que face à
l'islam, « la préoccupation principale de l'Église est
d'imposer des pratiques religieuses orthodoxes pour faire pièce à
Mahomet *< et+ sa religion absurde et rétrograde qui a détruit
< Je dirais seulement qu'une religion qui s'est établie par la force,
et qui promet à ses adeptes des voluptés charnelles pour
134 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, gabonaise,
reprographe à l'UOB, 33 ans, coutume Punu, musulmane ; entretien
réalisé le 5 aoLt 2009 à 16h à l'UOB.
135 Mamadou DIOUF, « Assimilation coloniale
et identités religieuses de la civilité des originaires des
Quatre Communes du Sénégal » paru in Le
CODESRIA, Dakar, Sénégal, sans date, p.839.
récompenses ne pouvait que s'étendre rapidement
: l'État d'ignominie, de stupidité, de servitude, de corruption,
dans lequel sont plonges tous les peuples soumis à la loi de Mahomet en
est une demonstration evidente ».136
Le discours de ce pretre nous permet de voir les paradoxes de
l'entreprise missionnaire (de telle sorte qu'il ne s'agit pas de juger pour ne
pas etre juge, seulement de proclamer la Bonne Nouvelle dans le monde). Il va
plus loin dans son propos en affirmant qu'au sujet des Africains, « ils
etaient donc chretiens par le bapteme *<+ superstitieux comme les
mahométans et les fétichistes. Leurs moeurs etaient à peu
près les memes *<+ C'étaient des chrétiens sans
instruction, dans un pays eminemment mahometan ».137 Nous
rajouterons egalement que le processus de diabolisation des us et coutumes
africaines ne datent pas d'aujourd'hui, plutôt depuis la colonisation.
C'est d'ailleurs pour quoi « la revendication de
l'instauration d'un tribunal musulman doit se lire non comme une lutte pour un
regime juridique inscrit dans une tradition religieuse, mais la circonscription
d'un espace de production d'une identite indigène, soustraite à
la violence de la domination et l'arrogance culturelle coloniale. Lorsqu'on
suit à la trace les objets autour desquels se nouent l'opposition entre
communaute musulmane et les acteurs metropolitains (juges et fonctionnaires
coloniaux), sont en cause la polygamie, qui travaille l'imaginaire des colons-
et le fantasme d'une sexualité indigène torride,
débridée et fertile-, la gestion, par la communaute, des
orphelins- qui engage à la fois les problèmes d'héritage,
de succession, mais egalement de conversion (<) »138
Loin d'être un jugement de valeur, plutôt un
jugement de fait basé sur un constat, on se rend compte que le
pentecôtisme repose sur la capacite de diaboliser et de demoniser les us
et coutumes des autochtones en creant des images negatives.
136 L'abbé BOILAT, 1984 :232 cite par Mamadou DIOUF,
ibid., p.842.
137 L'abbé BOILAT, 1984 :214-215 cite par
Mamadou DIOUF in « Assimilation coloniale et identités
religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes du
Sénégal », ibid.,p.842.
138 Mamadou DIOUF, op.cit., p.842.
Sans oublier que le pentecôtisme participe à
renforcer les stratifications sociales en Afrique.
En résumé, par le pentecôtisme, l'espace
public est un espace de guerre où l'autre doit être «
démoli », consommé et consumé. On est dans un
discours métonymique.
2.2. Les effets de l'islam
Grosso modo, nous proposons aussi un passage, mettant en
scène le père de Samba DIALLO, un personnage central et un
instituteur, tiré du livre de Cheik HAMIDOU KANE139
titré << L'aventure ambiguë », dans le but de
montrer justement les paradoxes de la rencontre entre le <<
civilisé >>(l'homme blanc) et le « sauvage » (le noir) ;
dans une perspective d'une certaine résistance, d'un échec de la
gestion du champ religieux et symbolique africain par les européens
comme le pense Achille MBEME. << Il est certain que rien n'est aussi
bruyamment envahissant que les besoins auxquels leur école permet de
satisfaire. Nous n'avons plus rien<grace à eux, et c'est par
là qu'ils nous tiennent. Qui veut vivre, qui veut demeurer
soi-même, doit se compromettre. Les forgerons et les bûcherons sont
partout victorieux dans le monde et leur fer nous maintient sous leur loi. S'il
ne s'agissait encore que de nous, que de la conservation de notre substance, le
problème eût moins compliqué : ne pouvant les vaincre, nous
eussions choisi de disparaître. Plutôt que de leur céder.
Mais nous sommes parmi les derniers hommes au monde à posséder
Dieu tel qu'Il est véritablement dans Son Unicité<Comment Le
Sauver ? Lorsque la main est faible, l'esprit court de grands risques, car
c'est elle qui le défend< -Oui, dit l'instituteur, mais aussi
l'esprit court de grands risques lorsque la main est trop forte. Le
maître, tout à sa pensée, leva lentement la tête et
considéra les trois hommes. - Peut-être estce mieux ainsi ? Si
Dieu a assuré leur victoire sur nous, c'est qu'apparemment, nous qui
sommes Ses zélateurs, nous l'avons offensé. Longtemps, les
adorateurs de Dieu
ont gouverné le monde. L'ont-ils fait selon Sa loi ?
Je ne sais pas<J'ai appris qu'au pays des blancs, la révolte contre
la misère ne se distingue pas de la révolte contre Dieu. L'on dit
que le mouvement s'étend, et que, bientôt, dans le monde, le
même grand cri contre la misère couvrira partout la voix des
muezzins. Quelle n'a pas dii être la faute de ceux qui croient en Dieu
si, au terme de leur règne sur le monde, le nom de Dieu suscite le
ressentiment des affamés ? »140
En un mot, on s'aperçoit d'abord qu'il ya là
comme un discours sur la théodicée prophétique de Max
WEBER. Un détour chez Jean-François BAYART141 est
intéressant. En effet, dans cette perspective de la conversion des
Africains au christianisme et à l'islam et qui s'apparente à un
conflit symbolique de profanation des corps, BAYART attire notre attention en
nous apprenant que « le travail d'inculturation ne se fera que par les
Églises d'Afrique elles-mêmes. Et si le Pape préside, c'est
par la charité et non la culture. C'est entre autre pour ne pas avoir
compris cette distinction qu'il y a eu, au cours de l'histoire de
l'Église, les ruptures des mondes byzantin, slave et germanique (<)
Nos Églises ont été fondées par des missionnaires
venus du monde latin mais cela ne signifie pas que nous sommes devenus des
Latins. Les Occidentaux eux-mêmes ont été
évangélisés par des Judéochrétiens et des
Grecs ; ils sont restés latins et romains. De même les
Églises copte et éthiopienne ont été
évangélisées par Byzance. Cependant, elles se sont
développées selon leur manière et leur génie
propres (<) Les Occidentaux ont vécu jusqu'ici selon une vie culture
unifiée et monolithique. Ils ont fait d'une contingence (la
manière dont le christianisme s'est développé en Europe)
une nécessité et considèrent le mode européen comme
indispensable. Ils contestent la diversité culturelle, la seule culture
étant la leur (<) Il y a eu de fait confusion entre l'ordre de la
charité et l'ordre de la culture. Il faut donc reconnaître
qu'aujourd'hui encore, l'admission d'un
140 Cheik HAMIDOU KANE, L'aventure ambiguë.
Préface de Vincent MONTEIL, ibid., pp.20-21.
141 Jean-François BAYART, « Les Églises
chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau
ecclésial », CERI-CNRS, 26 p, document en pdf tiré sur
le site
www.google.fr
pluralisme culturel de la part de l'Occident est purement
théorique : il n'y a pas admission effective d'un tel pluralisme
».142
Section 2 : Criminalisation des pratiques ancestrales
par l'Église
« Ne portez de jugement contre personne, afin que
Dieu ne vous juge pas non plus. Car Dieu vous jugera comme vous jugez les
autres ; il vous mesurera avec la mesure que vous employez pour eux. Pourquoi
regardes-tu le brin de paille qui est dans l'oeil de ton frere, alors que tu ne
remarques pas la poutre qui est dans ton oeil ? Comment peux-tu dire à
ton frère : " laisse-moi enlever cette paille de ton oeil", alors que tu
as une poutre dans le tien ? »143
Cette maxime biblique est intéressante en ce sens
qu'elle nous permet de relever un des nombreux commandements auxquels les
chrétiens du monde entier doivent s'astreindre pour etre en phase avec
Dieu. Cependant, entre ce qui est recommandé et ce qui se fait sur le
terrain, nous nous rendons compte qu'il y a un écart. Autrement dit,
l'observation des faits empiriques de la réalité sociale et
historique montre que le christianisme (qu'il soit pentecôtiste
charismatique, catholique, etc.) est allé à l'encontre de cette
prescription divine, en jugeant, en diabolisant par exemple les us et les
coutumes autochtones, tout en créant des images négatives. C'est
du moins ce que plusieurs chercheurs (notamment Florence BERNAULT pour ne citer
qu'elle) ont appelé la criminalisation des pratiques ancestrales.
142 Jean-Francois BAYART, « Les Églises
chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau
ecclésial », CERI-CNRS, ibid., p.7.
143 3EIRleMliTNEDWIRIIIl4 NOOJIle dER1
IttICIENFICaSBIBI versets 1-4.
1. Criminalisation et persistance des pratiques
ancestrales
1.1. La criminalisation des pratiques ancestrales par
l'administration coloniale
La criminalisation découle d'un jugement de valeur
européocentriste imposé par l'administration coloniale et
partant, de l'Église, qui considérait que toute pratique
n'honorant pas le sacré judéo-chrétien et universel,
c'est-à-dire Yahvé, était qualifiée de "pratique
sorcellaire", de paganisme. D'ailleurs, Florence BERNAULT nous apprend que
<< le terme "sorcellerie" en français renvoyait
systématiquement à toute croyance religieuse qui tentait de
résister au christianisme, et qui servit de référent
intellectuel à la criminalisation des pratiques anciennes qui
composaient l'essence de l'ordre moral et social des sociétés
équatoriales >>.144
Puisque nous travaillons sur la mort, cela inclut
nécessairement les croyances qui y gravitent. Nous voulons montrer dans
cette partie relative à la criminalisation des pratiques reliquaires que
le cas de la mort et de tout rituel (exposition du corps, condamnation du
coupable, réconciliation jusqu'à l'enterrement du défunt),
nous permet d'évaluer l'ampleur des bouleversements imposés par
la colonisation, voire les missionnaires. Sans parler du fait que << la
législation française en effet interdit immédiatement
après la conquête la pratique des autopsies et l'exposition des
défunts. Elle décréta l'obligation simultanément de
l'enterrement dans les cimetières publics, la condamnation des reliques
sous la rubrique << profanation des tombes >>, et conduisit avec
l'aide des missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et
des reliquaires considérés comme << fétiches
>> et fatras sorcier indésirables >>.145
Par ailleurs, cette criminalisation des pratiques ancestrales
s'accompagnait également d'autres éléments importants que
nous ne pouvons omettre pour notre démonstration. Dans un tel contexte,
il n'y a pas de doute que « la fabrication rituelle
144 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et
politique au Gabon et Congo-Brazzaville », p.9, in MBEKALE
M.N, Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris,
l'Harmattan, 2005, pp.21-39.
145 Florence BERNAULT, « Économie de la mort
et reproduction sociale au Gabon », p.10, in Mama Africa :
Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile
GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.
des reliques des morts familiaux, par exemple, pouvait
s'avérer paradoxalement plus risquée. Sous l'oeil de la force
coloniale, que l'utilisation d'organes et ossements prélevés sur
des cadavres "discrets", mais extérieurs au lignage. Le vol ou
l'accaparement de reliques et d'organes hors des limites mais il est probable
que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux assauts de la
législation coloniale ».146
Pour beaucoup d'auteurs, cette criminalisation des pratiques
ancestrales par l'Église expliquerait les différents changements
sociaux vis-à-vis du sacré des autochtones.
En effet, s'agissant du christianisme, « on ne saurait
sous-estimer le traumatisme qui a été la conséquence de
l'abandon des dieux et des religions traditionnelles. Il serait maladroit
d'affirmer que leurs institutions sociales religieuses étaient
"mauvaises". Plus simplement, elles ont pris un coup sérieux pour la
pseudo-raison qu'elles ne cadraient pas avec le contenu de la dignité
humaine telle que l'entendait la théologie chrétienne
occidentale, tributaire vraisemblable de la culture et de la civilisation qui
l'ont construite >>.147
Nous pensons même que ces pratiques ancestrales sont
des marqueurs identitaires pour les autochtones ; les seuls moments qui leur
permettent d'unir et de renforcer l'ordre social, le lien social entre eux. Or,
« que ce soit l'église catholique ou protestante, toutes deux ont
conduit à la destruction des anciens systèmes de croyances.
Aujourd'hui, le chrétien qui ose encore parler du culte des
ancêtres est interdit de sacrements ou considéré comme un
paria. C'est la preuve que toutes les croyances et coutumes traditionnelles
sont jugées mauvaises par la religion chrétienne, contraire
à ce que dit la Bible ».148
146 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et
politique au Gabon et Congo-Brazzaville », ibid., p.10.
147 Bernardin MINKO-MVE, Gabon entre tradition et
postmodernité. Dynamique des structures d'accueil Fang. Préface
de Jean POIRIER, Paris, l'Harmattan, (coll. « Études
africaines »), 2003, p.183.
148 Ibid., p.206.
D'ailleurs pour l'Église, cela voudrait dire que
« vous annulez ainsi la parole de Dieu au profit de votre tradition
».149 Ce décryptage des pratiques coloniales dans la
criminalisation des us et coutumes autochtones nous poussent à dire que
puisqu'ils (les missionnaires et administrateurs coloniaux) interdirent les
cultes des ancêtres, cette prohibition conduisit les autochtones à
profaner. Notons ici que les cimetières publics naissent avec la
colonisation ; en tant qu'archive nécrologique et qui renforce le
contrôle social occidental. Pour rester dans cette pratique de
criminalisation, il faut noter que « dans son empressement à
interdire ce qu'elle assimilait à un (des) ordre rétrograde
criminel, voire à des pratiques cannibales, la colonisation
française attaqua ces cultes anciens, et ce faisant, commença de
démanteler la logique de la reproduction familiale et collective
».150
Florence BERNAULT nous permet de voire que le christianisme
est une religion de la guerre ; qui use de la violence physique et symbolique
pour imposer son sacré universel et donc ; pour se faire voir ;
connaître. Cette situation montre que « le premier travail de
l'évangélisme colonial c'est la démonisation, la
diabolisation de la différence culturelle »151 dans
laquelle le plus faible ou celui qui refuse la conversion est automatiquement
diabolisé.
Cette criminalisation « désagrège les
rapports familiaux en créant deux "camps" distincts: ceux qui sont
supposés être les adeptes de Satan: les inconvertis en un enfer
qui n'est pas censé avoir d'autres solutions que la conversion de tous
dans le "cercle" du sang de Jésus ».152
1.2. La persistance ou survivance des pratiques
reliquaires
À ce stade, la persistance des pratiques ancestrales au
Gabon apparaît ici comme une réponse à une interdiction par
l'administration coloniale de l'époque des
149 Lire à ce sujet le livre de Matthieu
chapitre 15 verset 6.
150 Florence BERNAULT, « Économie
de la mort et reproduction sociale au Gabon », p.7, in Mama
Africa ; Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par
Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, CI-F LIP aAAWTIELI, ILIS.
151 André MARY, « Conversion et
conversation: les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.787
in Cahiers d'Études africaines, 160 XL-4, 2000, pp.779-799.
152André MARY, « Actualité du
paganisme contemporanéité des prophétismes »,
p.384 in L'Homme, l'anthropologue et le contemporain: autour de
Marc-Auge, 185-186/2008, pp.365-386.
pratiques culturelles autochtones dites"païennes" et de
rendre hommage aux ancêtres ; ces médiateurs probables entre eux
et << Nzame >>, << Nzèmbi >>, <<
Anyambyè >> ; en un mot, Dieu. Pour Florence BERNAULT, << la
loi coloniale provoqua donc une extrême fragilisation de la reproduction
sociale basée sur le deuil et la collecte des reliques. Certaines
pratiques ne purent survivre qu'en devenant illégales et clandestines.
La fabrication rituelle des reliques familiales, par exemple, pouvait
s'avérer paradoxalement plus risquée, sous surveillance
coloniale, que l'utilisation d'organes et d'ossements prélevés
sur des cadavres "discrets", mais extérieurs aux lignages. S'il est
établi que le vol ou l'accaparement de reliques et d'organes hors des
limites lignagères existait devant la conquête coloniale, il est
probable que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux
assauts de la législation coloniale >>.153
Pour clore ce premier point, nous devons compter aussi sur
les différents points de vue de nos interlocuteurs sur la
criminalisation des pratiques ancestrales. En effet, en leur posant trois
questions fondamentales pour notre travail à savoir : << pour
vous, le culte des ancêtres signifie quoi et quelle est sa place dans la
société gabonaise aujourd'hui ? A qui profite la criminalisation
des reliques et enfin pourquoi cette criminalisation ? >> Nos
interlocuteurs ont des points de vue que nous vous exposons ici.
Énoncé n°12 :
- << Pour moi, le culte des ancêtres signifie
qu'on est attaché à la coutume à laquelle on appartient
car pour obtenir quelque chose de bien il faut invoquer les ancêtres. Sa
place dans la société gabonaise aujourd'hui ; il n'a plus
d'importance comme dans le passé car on a recourt au fétichisme ;
aux différentes sectes et à l'Église. Et la
criminalisation, ça profite aux prêtres qui exercent dans les
Églises, d'avoir un dessus sur les fideles. Parce que ces
prêtes;
153 Florence BERNAULT, « Économie de la mort
et reproduction sociale au Gabon » , p.8, in Mama Africa ;
Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile
GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.
par exemple lorsqu'ils se retrouvent dans une situation
qu'ils ne contrôlent plus, ils font recours à ces reliques qui
sont une deuxième puissance pour eux ».154
Le discours de notre interlocutrice suppose que la
criminalisation des reliques et pratiques ancestrales par l'Église, sert
cette même Église. Pour elle, un « homme de Dieu » qui
crie aux profanations des tombes, qui crie aux reliques humaines ou «
pièces détachées » humaines, tire certainement profit
de cette façon de faire et de ce comportement. Cela lui permet dans un
premier temps de remplir sa paroisse de fidèles pour la plupart du temps
incrédules pour s'assurer un profit financier important. Dans un second
temps, est-ce que ces reliques, qu'on leur apporte pour soit disant les
détruire à l'Église, ne sont-elles pas utilisées
par ces mêmes pasteurs pour consolider leurs pouvoirs de domination et de
contrôle de la vie des fidèles?
Énoncé n°13 :
- « Le culte des ancêtres c'est
vénérer les ancêtres, c'est faire appel aux morts
c'est-àdire les invoquer, car les morts ne sont pas morts, puisque nous
savons qu'ils nous protégent et qu'ils nous apportent la
guérison, le bonheur, ils viennent nous aider. Je sais que ce culte des
ancêtres, malgré l'évolution de la société,
occupe une grande place. Même les gens convertis ont toujours recours aux
ancêtres, ils n'ont pas fait une rupture totale. Aprés tout, on
est d'abord africain. Au sujet de la criminalisation, je dirai que ça
profite aux chrétiens car pour ceux qui sont ancrés dans la
tradition c'est une bonne chose et ceux qui sont à l'église c'est
une mauvaise chose. Car on ne doit pas travailler avec le crâne des
grands-parents. Cela apporte le pouvoir à ceux qui sont dans la
tradition. Cette criminalisation est là peut être parce que les
chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent ces actes. C'est tout ce
que je peux dire ».155 Ces propos nous
révèlent aussi que ce sont les chrétiens qui profitent de
cette criminalisation pour certainement drainer de nouveaux adeptes à la
conversion, donc à leur propre réification, leur propre
profanation.
154 Propos de mademoiselle Janny Esther
DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25 ans, chrétienne catholique, étudiante
au département de Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise,
Akélé-Punu.
155 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA,
27 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de
Sociologie de l'UOB, en année de Maîtrise, Nzébi-Sango.
Énoncé n°14 :
- « Le culte des ancêtres signifie pour moi la
vénération des morts. C'est vrai que les morts ne sont pas morts
et pour nous qui avons adopté la culture occidentale de la Bible ; nous
ne pouvons accepter le culte des ancêtres qui désigne l'invocation
des morts. On parle de retraits de deuil, sacrifices, l'invocation des totems
et donc en contradiction avec la parole de Dieu. Celui qui participe à
ces choses est un Nganga, un sorcier, un enchanteur en langage chrétien.
Et la Bible dit " dehors les enchanteurs" (Apocalypse 22). J'ajouterai qu'en
milieu citadin, sa place n'est pas omniprésente toutefois pendant les
vacances il est prédominant dans l'arrière pays et c'est un moyen
de se ressourcer dans les ancêtres. Il occupe une place importante et
comme la religion, il permet de s'affirmer dans la société. En
Afrique, la croyance autour des pouvoirs, privilèges et prestiges
s'articulent autour de la capacité d'un individu d'acquérir les
pouvoirs mystiques. "Être un grand"dans le sens africain du terme c'est
posséder les pouvoirs qu'avaient les ancêtres. C'est un trafic
d'influence à travers la capacité de pouvoir dominer son
semblable. Non seulement par le discours soit par la capacité de mettre
en pratique ce discours. Ce sont les politiciens qui ont un pouvoir
développé grâce à ces reliques ; et aussi aux
Ngangas car pouvoir guérir il faut qu'ils s'accaparent les forces des
génies qui ne parlent qu'à travers les reliques. Cette
criminalisation est là parce que le monde est ce qu'il est là
parce que le monde est ce qu'il est, un homme ambitionne de pouvoir être
grand au milieu de ses semblables ; qui est dépourvu de certaines
qualités spirituelles. Il a besoin d'autres choses ; les reliques, les
profanations de tombes sont un moyen d'arriver aux reliques. Les hommes
d'Église remplissent leurs Églises des gens en
dénonçant ces pratiques pour informer les populations face aux
dangers des pièces détachées. Les fidèles, par la
foi, affluent dans les églises pour être
protégés ».156
Les propos de notre interlocuteur témoignent d'un
certain engouement constaté pour la criminalisation des reliques et
autres pratiques ancestrales par l'Église. Par ailleurs, l'informateur
stipule que même les hommes politiques et les
Ngangas y ont recours mais il nous rappelle que la bible est
formelle dessus, on ne peut pas être chrétien et attaché
encore aux reliques.
Énoncé n°15 :
- << Le culte des ancêtres n'existe pas pour
nous, mais pour les profanes il s'agit de tenter de rentrer en contact avec des
entités surnaturelles." Laissez les morts enterrer les morts." Tout
culte d'ancêtre n'a pas d'apport positif pour notre société
c'est la vanité des vanités. D'ailleurs, la criminalité
des reliques profite à Satan, pas à aucun homme normal, aux
hommes politiques. Je peux te citer des grands noms du Moyen-Ogooué
où les familles connaissent la malédiction à cause de ces
reliques. Il ya criminalisation parce qu'il ya des hommes qui pactisent avec le
diable ; pour le paraître. Il faut accepter Jésus pour le salut de
son âme >>.157 Le point de vue du pasteur AKITA
vient confirmer l'idée d'une criminalisation des pratiques ancestrales
autochtones par l'Église. Or la Bible, en tant que Livre Saint contenant
la Parole divine, nous rappelle qu'il ne faut pas << porter de jugement
contre untel afin que Dieu ne nous juge pas non plus >>. Ce passage
biblique tiré de l'Évangile de << Matthieu >> montre
les paradoxes de la mission évangélisatrice de
l'Église.
Dans cette criminalisation, il faut dire que << tout
geste (ou toute parole) culturel à l'attention des défunts est
désormais considéré au mieux comme sans objet, au pire
comme satanique. Il n'est donc plus question de participer aux
cérémonies familiales dédiées aux ancêtres,
voie par lequel le non-converti marque périodiquement son inscription
dans la lignée croyante du culte familial. De même, les
pentecôtistes sont les seuls à considérer que les
défunts qui leur apparaissent en rêve sont de mauvais esprits,
éventuellement envoyés par un sorcier pour les amener à se
compromettre, et non les esprits des défunts eux-mêmes (qui ne
peuvent plus se
manifester), ce qui les pousse à prier pour chasser
ces esprits "au nom de Jésus" >>.158 C'est une sorte de
diabolisation des défunts.
Pour finir, << le pentecôtisme (<) sape non
seulement un fondement de l'institution familiale comme le culte des
ancêtres lignagers, mais encore le principe même de
l'échange symbolique avec les morts. C'est en effet autour de leurs
morts que les familles et, plus largement, les lignages se retrouvent
annuellement. Même les milieux qui tendent aujourd'hui à refuser
les cultes ancestraux (comme les chrétiens célestes ou les
catholiques engagés) organisent régulièrement des cultes
ou des messes pour les morts qui rassemblent une part non négligeable
des familles >>.159
2. Le respect de la mort
> Le culte des ancêtres
Le culte des ancêtres est une illustration du respect
de la mort. A ce sujet, on ne peut exclure que toutes les
représentations sociales africaines en général, gabonaises
singulièrement gravitent autour d'une vie après la mort. Autre
fait, « la science et la médecine sont en mesure de nous
protéger contre maintes maladies et dans une certaine mesure de
prolonger notre existence, elles ne proposent toutefois aucune solution au
problème de la mort. Nous devons nous tourner vers la philosophie et la
religion pour trouver des réponses ultimes >>.160
C'est dire donc que la place des morts demeure une des
préoccupations pour les vivants, mieux pour l'institution familiale qui
est « un des lieux par excellence de l'accumulation du capital sous ses
différentes espèces et de sa transmission entre les
générations >>.161 Ce qui voudrait dire que dans
la place des morts et la construction des sujets, << le refus des
cérémonies familiales (et en particulier des cultes aux
ancêtres) qui caractérise notamment les convertis born again
se présente comme un
158 Joël NORET, « De la conversion au
basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la
famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin »,
p.150, in Politique Africaine « Globalisation et illicite en Afrique
», n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.
159Ibid., p.151.
160 Daisâku IKELA, La vie à la lumiqre du
Bouddhisme. Traduit de l'anglais par Paul COUTURIAU, Monaco, Editions du
Rocher, 1985, p.237.
161 Joël NORET, op.cit., p.149.
rejet des rites d'institution familiaux et comme un refus de
s'inscrire dans la lignée croyante du culte familial, situation qui
débouche sur une forme de " sécularisation" de la famille
>>.162
Énoncé n°16 :
- « Les années 1940 et 1950 au Gabon ont
été caractérisées par le fait d'un fort respect de
la mort. En effet, il fut quasiment difficile de voir les corps exposés
sur les rues de Libreville ou dans les villes de l'intérieur du pays
parce que tout le monde a été élevé et
préparé à respecter la mort. Les morts ont toujours
occupé le temps des vivants et on devait leur préparer les
meilleures funérailles pour qu'ils ne viennent pas en songes demander.
Chez nous les Myènè, on a ce qu'on appelle Agombé
Nèrô ou culte des ancêtres ; qu'on faisait quelques temps
après le décès. Ce n'est pas une mauvaise chose mais ce
qui est mauvais ce sont plutôt les motivations des individus malveillants
dans nos familles qui pensent bénéficier de certaines faveurs de
ce culte. Même quand nos aînés nous racontent que quand ils
allaient à l'Église, les prêtres insistaient sur la
solidarité et notre respect des morts. Je te rassure même que les
femmes n'allaient pas au cimetière car il se passait souvent des choses
bizarres. Il pouvait arriver que le mort revienne à la vie. Retiens
aussi que quand on demandait aux gens de rentrer au cimetière avec le
cercueil on rentre toujours par la tête. Tout simplement parce que quand
un enfant naît, il sort des entrailles de sa mère par la
tête. Et quand tu retournes c'est-à-dire quand tu meurs tu
retournes avec tes deux pieds tu vas assumer ton arrivée au monde de ta
mère. Aujourd'hui on a tout oublié, on profane les tombes et les
corps, on coupe la langue, les mains, les testicules, le clitoris quand on tue
quelqu'un >>.163
D'autre part, « la croyance fondamentale sous-jacente au
culte des ancêtres est que les morts ne sont pas morts, mais continuent
à être liés au destin des humains visibles
>>.164 Les reliques des ancêtres ; sous la forme
d'ossements et en particulier sous la forme des crânes, « sont la
réplique exacte du culte des saints dans la religion catholique. Ces
cultes sont d'autant plus parlants, si l'on peut dire, qu'ils
établissent
162 Joël NORET, « De la conversion au basculement
de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les
milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.152.
163 Propos du pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de
Baraka.
164 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise,
2ème éd. revue et augmentée, Libreville,
Editions du LUTO, 2002, p.48.
réellement, par l'intermédiaire de
phénomènes médiatisés par les transes, le contact
avec les défunts. Cette communication avec les défunts est
souvent établie dans un cadre thérapeutique, soit pour faire la
guérison, soit pour réparer les jeteurs de mauvais sorts et
conjurer ainsi, dans son sens littéral, le mauvais sort
>>.165
Somme toute, « les messes catholiques pour les
défunts, assimilées à des cultes aux morts, sont
interprétées à partir de la même grille : la
position des prêtres (qui demandent de l'argent pour dire les messes) est
associée à celle des chefs de famille, les uns comme les autres
jouant le même rôle de spécialistes religieux ou rituels
à l'intérêt politique évident. Et l'on souligne que
la basilique Saint-Pierre a été construite sur le tombeau de
Pierre pour sceller le caractère déviant de l'Eglise catholique
>>.166
Nous voulons juste montrer que le respect des morts,
illustré par le culte des ancêtres représente la
mémoire collective des familles. Et dans l'imaginaire gabonais, la
croyance aux pouvoirs et l'influence des morts sur les vivants est bien
manifeste. Le culte des ancêtres a été une donnée
fondamentale dans la construction des identités des sujets. On se rend
compte que selon les propos du pasteur Raymond AKITA, il n'était pas
facile de faire des découvertes macabres à Libreville. Or
l'observation de la réalité sociale actuelle démontre
qu'aujourd'hui, la mort est banalisée voire désacralisée.
Ainsi, le corps du gabonais est, comme l'affirme Maurice GODELIER167
, « conçu, supplicié, possédé et
cannibalisé >>.
165 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise,
2ème éd. revue et augmentée, Libreville,
Éditions du LUTO, 2002, p.49.
166 Joël NORET, « De la conversion au basculement
de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les
milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.151.
167 Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain.
Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé,
Paris, CNRS Editions, 2009, 572p.
Conclusion de la première partie
Le recours à l'histoire montre que « les
historiens sont des sociologues qui s'ignorent. Et inversement, les sociologues
s'ils veulent construire et mettre à l'épreuve leurs
théories, doivent puiser dans les matériaux livrés par les
historiens >>168. Nous avons donc vu que le culte des
ancêtres demeure un culte prédominant au sein des
sociétés symboliques lignagères gabonaises ; et dont les
reliques jouent un rôle de premier choix. En témoigne l'exemple
des cranes humains qui en sont la parfaite illustration en ce sens qu'ils
« étaient, en effet, le siège et le réceptacle de la
capacité d'action de l'individu >>169 ; et
constituaient l'élément principal, le soubassement du pouvoir et
de l'autorité des chefs de lignages à travers le culte des
ancêtres.
En nous focalisant sur les reliques et le culte des
ancêtres, nous avons voulu, par là, choisir de revisiter
l'époque coloniale, sinon l'époque précoloniale, pour
comprendre d'une part les fondements du pouvoir de certains individus, en
l'occurrence les chefs de familles, de clans, de lignages etc., en relation
étroite avec le sacré, le religieux. Mais surtout, de voir que
cette période précoloniale et coloniale nous révèle
la « domination du religieux, du sacré sur la société
toute entière *<+ L'arrivée des occidentaux au
XVème siècle va changer la société
gabonaise >>.170
Il s'agit ici de voir l'influence de la période
coloniale sur la société lignagère gabonaise ; qui subit
surtout la domination du pouvoir religieux, donc du christianisme ; par la
criminalisation des reliques et l'ordonnancement de la destruction des autels
reliquaires en collaboration avec l'administration coloniale de
l'époque.
Après tout, nous nous sommes rendus compte de
l'importance et de l'intérêt accordés par les autochtones
sur les ossements humains ou l' « or blanc >> ; censés
168 Patrick CHAMPAGNE, La Sociologie, Toulouse, les
Essentielles Milan, 2005, p.28.
169 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe pahouin
(Fang-Boulou-Béti), Paris, l'Harmattan, 2005, p.111.
170 Davy Willis KOUMBI-OVENGA, Mort et pouvoir. Violence
politique et société initiatique Ndjembè en postcolonie
gabonaise, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville,
UOB/FLSH, 2006, p.82.
détenir des pouvoirs extraordinaires. Ce qui nous a
donc conduit à explorer cette piste pour comprendre l'origine des «
pièces détachées », ou de cet « or blanc »,
dans la persistance des profanations des tombes observées à
Libreville à l'orée des élections.
D'autant plus que « la démarcation entre ce qui
est " imaginaire" et ce qui est " réel" n'est pas si nette en ce
domaine. Si la croyance en l'efficacité de la sorcellerie est tellement
répandue dans la société, il est très probable que
certains individus au moins essayeront d'en profiter »171.
Introduction de la deuxième partie
Cette deuxième partie est consacrée à
l'analyse du marché occulte et illégal des restes humains en
présentant la prise de position de l'Église sur les profanations
des tombes et des corps à Libreville. D'une part, comme nous l'avons
montré dans nos préalables épistémologiques,
l'Église a pour mission de préserver les corps des religieux des
profanations des tombes, en construisant les cimetières sur son terrain
pour mieux les sécuriser.
Simplement parce que notre corps est le temple du Saint
Esprit172 et que, << le corps n'est pas une matière
première que l'on peut vendre à sa guise. Ce n'est pas pour rien
que de nombreuses personnes refusent de donner le corps d'un proche à la
science même à des fins médicales >>173.
D'autre part, on assiste à la production d'un discours moraliste contre
le fétichisme, tout comme l'existence du matraquage médiatique et
religieux, pour ce qui est des campagnes dites <<
d'évangélisation >> et d'un mysticisme exacerbé.
Par ailleurs, nous insistons sur le fait qu'au Gabon, tout est
devenu marchandise ; le corps humain dans cette perspective n'échappe
pas à cette logique d'objet marchand. Or << l'économie
marchande pervertit littéralement le système traditionnel et
trouve dans la sorcellerie son alliée naturelle puisque la
première implique la capture systématique d'êtres humains,
réduits en esclavage, et la seconde le sacrifice humain (<) Au lieu
de l'or et de l'argent et d'autres biens qui servent de monnaie ailleurs, ici
la monnaie est faite de personnes, qui ne sont ni or ni tissu, mais qui sont
des créatures >>.174
Ce qui justifie l'idée selon laquelle la croyance aux
pouvoirs des morts et de leur recours lors des élections politiques est
bien réelle. Parce que les pratiques
172 Lire à ce propos I corinthiens 6 verset 19.
173 Ingrid SCHEINDER cité par Markus GRILL et Martina
KELLER, « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le
fémur, 14 € la trachée », p.42 in Courrier
International, n°993 du 12 au 18 novembre 2009, 59 p.
174 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres
sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard,
2000, p.122.
occultes et fétichistes rythment le Gabon et «
font du corps de l'autre, et surtout de sa vie, une vulgaire ressource
politique qu'on peut actionner à sa guise >>175.
Pour finir, « il arrive aussi que l'on
prélève des morceaux choisis sur des cadavres ou qu'on les
achète sur le marché de trafic du corps humain qu'alimente la
criminalité dans certains pays africains >>176, en
particulier au Gabon ; et où la recrudescence des crimes rituels et
profanations de tombes et accusations d'actes de fétichisme se
multiplient à la veille des élections ; parce que « le
discours sur le pouvoir continue d'être marqué par des
références multiples et directes (<) aux forces occultes
>>177.
175 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et politique
: quelques exemples contemporains en Afrique », pp.220-221.
176 Ibid., p.209.
177 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La
viande des autres, Paris, Karthala, (coll. << Les Afriques
»), 1995, p.14.
Chapitre III : La production d'un discours moraliste
des Église sur les profanations des tombes
En tant que gardienne de la morale, l'Église, nous
rappelle vivement que le corps humain est << le temple du Saint Esprit
>>178 et qu'il est important de le protéger. Car
à Libreville, les profanations des tombes et des corps deviennent une
<< arme >> qui traduit l'exercice de la violence symbolique et
imaginaire par le pouvoir politique.
Section 1 : Prise de position de l'Église et
de l'État face aux profanations des tombes et des corps à
Libreville
1. Le point de vue de l'Église
1.1. Une dérive morale ?
L'Église, au sens durkheimien179, est un
rassemblement en une même communauté morale qui unit par les
croyances et les pratiques tous les individus qui y adhèrent.
L'Église se définit aussi comme un groupe dont les membres
défendent la même doctrine. Par ailleurs, << parce qu'elle
est la gardienne de la morale, l'Église ne pouvait continuer à
demeurer muette face aux phénomènes des crimes rituels,
prélèvements d'organes et même de destruction odieuse des
vies humaines devenus légion au Gabon ces derniers temps, même
s'il est vrai que ces crimes rituels ne datent pas d'aujourd'hui
>>.180
Nous retenons donc que pour l'Église, les profanations
des tombes et des corps à Libreville constituent << une
dérive morale >>.181 En effet, interrogé sur la
question par le journaliste Olivier NDEMBI de l'Union, organe de presse, «
le
178 Lire I Corinthiens 6 verset 19.
179 Émile DURKHEIM, Les formes
élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. <<
Le livre de Poche »), classiques de philosophie, 1991, 758 p.
180 L'Union Plus, premier quotidien d'informations
gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress,
Libreville/Gabon, rubrique << Société et culture
», page 6, en annexes.
révérend pasteur Gaspard OBIANG estime que la
protection des sépultures doit constituer une des priorités
gouvernementales ».182
Par ailleurs, « en sa qualité de citoyen, mais
encore et surtout de serviteur de Dieu, il dit condamner avec force, le
caractère pervers et infâme de la profanation des tombes et la
commercialisation des restes humains au Gabon. Ce, d'autant plus que, de son
point de vue, les taux de crimes rituels et des actes de sacrilège
deviennent impressionnants dans notre pays. C'est un déshonneur, un
opprobre pour le Gabon! Assène-t-il, ajoutant que (<) la profanation
des tombes à des fins commerciales ou fétichistes rime avec
abomination, colère divine et malédiction. Selon le pasteur
Gaspard, il est impensable qu'en ce millénaire dit de l'excellence, de
la compétence et de la performance, des personnes se livrent à un
commerce aussi criminel, au lieu d'utiliser leurs mains briseuses de tombes
pour pratiquer l'agriculture, la peche ou la menuiserie. De meme, il est
insoutenable que les autorités municipales se montrent incapables
d'entretenir et de sécuriser les cimetières existants et de
disponibiliser un autre site à l'heure où le taux de
mortalité augmente ».183
Le pasteur que nous avons rencontré nous a
édifié sur certaines questions ; entre autre, «
pourquoi cette recrudescence des profanations des tombes, surtout
en périodes électorales ? » Pour notre
interlocuteur, il y a recrudescence des profanations des tombes en
périodes électorales :
Énoncé n°17 :
- « Tout simplement parce qu'il faut d'abord partir
d'un principe ; pour ne pas rentrer dans la doctrine de la dichotomie et la
trichotomie ; il faut dire que Lucifer passe par la matière afin de
pouvoir donner à l'homme l'impression d'atteindre une lumiére
spirituelle qui n'est vraiment pas la volonté divine et le reflet divin.
C'est pour cela que les profanations des tombes sont des vecteurs qui
permettent au commun des mortels de briller. Alors que JésusChrist ; il
est le seul qui fait briller l'intérieur. La profanation des tombes
favorise l'être. Et
182
L'Union Plus, premier quotidien d'informations
gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress,
Libreville/Gabon, rubrique « Société et culture
», p.6.
pour prendre cette explication dans le Livre de 1 Samuel
28 je crois, lorsque Saül a voulu invoquer l'esprit de Samuel dans la
Bible. La Bible nous précise que Samuel, dans sa tombe, a dit à
Saül" ne me dérange pas je suis ici en paix. "Face à ce cas
là, la Bible nous montre qu'il peut avoir naissance de communication
entre celui qui est parti et celui qui reste. Et pour les initiés
pervertis, les initiés démesurés, les initiés qui
ne maîtrisent pas le respect de cette portée nécrologique
ancestrale, profitent des naïfs qui n'honorent pas le Seigneur, viennent
de temps en temps pour commettre des bêtises; en espérant avoir le
pouvoir, l'influence, l'argent
1
» .84
Les propos du pasteur AKITA nous donne une explication
ésotérique quant à la recrudescence des profanations des
tombes à l'orée des élections politiques. Par ailleurs, il
est clair que la croyance au pouvoir des morts est réelle et que la
Bible interdit la nécromancie, parce qu'elle n'honore pas Dieu
plutôt Lucifer. Au fond, en nous référant aux prescriptions
bibliques conseillées par notre interlocuteur, l'Église nous
apprend que « les pratiques païennes » souillent la
fidélité en Dieu d'où, « ne cherchez d'aucune
manière à entrer en contact avec les esprits des morts, car cela
vous rendrait impurs. Je suis le Seigneur votre Dieu ».185 De
même, comme le Révérend pasteur Gaspard OBIANG l'a
rappelé lors de son interview accordée à l'Union, «
quiconque touche un cadavre humain est impur pour une semaine
».186
À la suite de ces passages bibliques, le
Révérend pasteur Gaspard OBIANG termine en disant «
qu'un peuple qui n'est plus alarmé par la mort et banalise la vie
est comme un navire sans boussole. Il est voué à l'échec
et meurt lentement mais sûrement ».187 Ce qui nous
amène à nous poser la question de la perception des reliques
aujourd'hui à Libreville.
184 Propos du pasteur de la Mission protestante de Baraka de
Libreville, monsieur Raymond AKITA, 42 ans, en II IrncIEdIpuoEl'pnE2iii.
185 Parole biblique tirée du Livre de
Lévitique 19 verset 31.
186 Parole biblique tirée du Livre de Nombres
19 verset 11.
187 Propos du Révérend pasteur Gaspard OBIANG,
in l'Union du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, p.6, en
annexe.
Énoncé n°18 :
- « L'Église est contre ça, car en
Christ, on est une nouvelle créature. Il ne faut plus compter sur ces
choses parce que cela n'honore pas Dieu ; et on peut devenir fou
».188 Énoncé n°19 :
- « Moi je pense que la criminalisation des reliques
est faite par les chrétiens car c'est une mauvaise chose. On ne doit pas
travailler avec le crâne des grands-parents. C'est la nécromancie,
la divination, c'est même démoniaque. Et je crois que ceux qui
sont ancrés dans la tradition c'est une bonne chose pour eux puisque
cela leur apporte le pouvoir. Et cette criminalisation comme vous dites, est
là parce que les chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent
ces actes ».189
Énoncé n°20 :
- « Pour ma part, je pense que prendre le
crâne du papa et du grand-père je ne vois pas ce que cela peut
apporter à la personne qui garde ça. Même si les morts ne
sont pas morts, cela c'est de l'idolatrie. Cette criminalité est faite
par les convertis, ceux qui ne sont pas d'accord avec cette pratique. Si les
gens critiquent cet acte, c'est parce que c'est un acte inhumain immoral, un
acte déshonorable à la société. On ne peut pas
prendre le crane de quelqu'un décédé depuis et le mettre
dans un coin et le vénérer parce qu'il n'apporte rien. Pour nous
il n'ya que Allah qui résout les problèmes, c'est l'unique
créateur ».190 Selon le pasteur Raymond AKITA par
contre,
Énoncé n°21 :
- « Tout ceci profite à Satan, pas à
aucun homme normal, aux hommes politiques qui sont nécromanciens, je
peux te citer les grands noms du Moyen-Ogooué où les familles
connaissent les malédictions. Ces gens pactisent avec le diable ; pour
le paraître, il faut accepter Jésus pour le salut de son
âme ».191
188 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans,
chrétienne catholique, fang, agent marketing.
189 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA,
27 ans, chrétienne catholique, Nzébi-Sango, étudiante en
Maîtrise au département de Sociologie de l'UOB.
190 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, 33 ans, Punu,
musulmane, reprographe à l'UOB.
191 Propos du pasteur Raymond AKITA de la mission de
Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa, exerce depuis l'an 2000.
- << La criminalisation des reliques est faite par
l'Église car elle s'oppose aux reliques en affirmant que c'est de la
vénération des choses mortes. Les reliques n'honorent pas Dieu et
souillent ceux qui les pratiquent ; eux et leurs générations.
C'est la malédiction ».192
1.2. La protection des corps religieux et des
cimetières
En fait, il s'agit de l'assise du pouvoir et les reliques
serviraient les hommes du pouvoir. Selon les propos du pasteur AKITA, certains
individus ont le souci du paraître, de leur insertion sociale au sein de
l'appareil d'État ; au lieu de se préoccuper du salut de leurs
âmes. Ce qui explique les profanations des tombes. Face à ce
phénomène, l'Église se donne pour mission de
protéger les corps des religieux en construisant les cimetières
dans sa concession. En témoigne les photos n°2,4 et 5
des pages 26 à 29 de la
cathédrale Sainte Marie de Libreville et de la mission Baraka; et dont
nous avons fait mention dans la partie consacrée aux préalables
épistémologiques de notre travail.
Par ailleurs, il y a aussi la protection des
cimetières car << l'omniprésence de l'Église
médiévale dans la société s'amorce à partir
du moment où les chrétiens cessent d'attendre une fin du monde
imminente. L'Église s'investit, dès lors, dans la mise en oeuvre
de fonctions normatives et juridiques qui touchent pratiquement tous les
domaines de la vie, du mariage à l'usure, en passant par
l'état-civil, les procédures judiciaires, la création d'un
système scolaire, la sacralisation de l'autorité sociale, la
condamnation des hérésies, la définition des normes
régissant les usages du sexe et du plaisir ».193
À la question de savoir pourquoi l'Église a-t-elle
décidé d'enterrer les corps des religieux dans sa concession,
notre interlocuteur nous a répondu ainsi :
192 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU IBRAHIM KUMBA,
chrétienne catholique, 26 ans, étudiante en Maîtrise au
département de Sociologie de l'UOB, Akélé-Punu.
193 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala,
(coll. « Les Afriques »), 2000, p.209.
- << Pour l'Église, les
cimetières sont des lieux sacrés, selon le canon
1205194. Alors les cimetières méritent respect,
vénération, reconnaissance. De plus, le sacré nous renvoie
à l'invisible car nous croyons que la vie n'est pas finie, elle est
transformée : il y a la continuité des défunts. Par
ailleurs, comme la Bible bénit les tombes, alors l'Église
bénit les tombes des fidèles en ce sens que le cimetière
est un lieu sacré. Et elle protège les cimetières ce qui
fait qu'elle les construit sur sa concession. En outre, la profanation des
tombes est une malédiction ; un péché grave car c'est une
entrave à la volonté divine. Nous croyons à la
résurrection non à la mort. C'est pour cela que
l'Église condamne avec la dernière énergie les
profanations des tombes »195.
2. Le point de vue du législateur gabonais sur
les profanations des tombes
2.1. Le code pénal de 1963
Avant d'aborder le point de vue du législateur
gabonais sur les profanations des tombes, il est important d'apporter quelques
éclaircissements sur la violence du pouvoir au sens de Georges BALANDIER
au Gabon ; mais aussi, comme l'entend Florence BERNAULT qui se base sur le
concept dominant du << le Souverain moderne » de Joseph TONDA. De
prime abord, la violence ne s'exprimerait pas sans un appui sur le symbolique
et l'imaginaire ; étant entendu que ces deux modes d'expression laissent
entrevoir la violence.
Les recherches de BALANDIER sur la violence du pouvoir
montrent que la violence du pouvoir intervient dans toutes les
sociétés, qu'elle recourt à des moyens divers et que la
violence du pouvoir apparaît comme une agression indirecte et
masquée. Mieux, elle se présente comme une manipulation de
symboles et de forces à des fins offensives. Enfin, elle est
identifiée à partir de ses effets. Florence
194 Code De droit canonique Bilingue et
annoté.2ème édition révisée et
mise à jour, Montréal, Wilson & La fleur Itée,
1999, 1888 p. Ce canon 1205, réservé aux lieux sacrés,
stipule que « les lieux sacrés sont ceux qui sont
destinés au culte divin ou à la sépulture des
fidèles par la dédicace ou la bénédiction que
prescrivent à cet effet les livres liturgiques ». À
voir en annexes.
195 Propos du Père Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans,
Punu, vicaire de la Paroisse Saint André des 3 Quartiers de Libreville.
Entretien réalisé le 4 mars 2010 à 21 heures à
Saint André.
BERNAULT196 nous suggère une relecture de
Joseph TONDA, parce qu'étant un auteur complexe, on se rend compte que
« le Souverain-moderne est l'ensemble des rapports qui, pour TONDA,
gouvernent la production du monde de l'après-colonial, et imposent
à ceux qui sont pris dans ses rets une culture du tourment, de la
persecution et de la violence retournee sur soi ».197
On peut ajouter aussi que le « Souverain moderne »
, bien qu'étant complexe, présente l'avantage d'une lecture au
microscope des rapports sociaux qui predominent au Gabon ; mais surtout comment
ils s'enracinent et se diffusent dans la societe postcoloniale d'Afrique
centrale. D'ailleurs, « le Souverain moderne prive les hommes
d'eux-mêmes et de leur histoire, depossède les individus de leur
integrite (corps voles, depenses), de la possibilite de leur reproduction
sociale et biologique (organes sexuels arraches ou instrumentalises), le
fascine et les apeure par les violences quotidiennes dont ils sont
eux-mêmes les participants implacables ».198 En un mot,
« le Souverain moderne inaugure une nouvelle definition des rapports entre
imaginaire, fetichisme et symbolique »199 : la profanation des
corps et des tombes pendant les élections politiques
c'est-à-dire, le « fetichisme politique »200.
Enfin, le legislateur gabonais a elabore son code
penal201 et qui, selon son article 347, stipule que
« la presente loi sera exécutée comme loi de l'État
». Rappelons ici que l'élaboration de ce Code pénal a tenu
compte du fait que l'univers sociopolitique et culturel est un univers de
forces, de puissances. Et que ces puissances ou surpuissances peuvent, à
un moment donne, devenir antisociales, comme c'est le cas des profanations des
tombes qui s'observent en périodes electorales.
196 Florence BERNAULT, « Autour du livre
Joseph TONDA », le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique
centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p, in Politique
africaine, n°104, décembre 2006, pp.159-177.
197 Ibid., p.159.
198Ibid., p.161.
199 Ibid., p.162.
200 Par « fétichisme politique »,
nous voulons dire qu'il existe un marché occulte et illégal de la
production et de la vente des restes humains ou « pièces
détachées » jà Libreville. L'existence de ce
marché explique la profanation des tombes, notamment à l'approche
des élections politiques. D'où, il existe un rapport très
fort entre la mort et le pouvoir politique au Gabon.
201 Le Code pénal de la République gabonaise du 31
mai 1963, Libreville, 109 p, voir en annexes.
D'ailleurs, en illustrations, nous citerons par exemple le
Chapitre XIX, intitulé « De la sorcellerie, du
charlatanisme et des actes d'anthropophagie »202 ou
encore, et objet de ce sous-point, le Chapitre XIII,
intitulé « Des violations des sépultures et profanations
de cadavres ».203 En voici l'extrait de son
article 291 : « quiconque aura profané ou
mutilé un cadavre, même non inhumé sera puni d'un
emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à
120.000 fcfa. D'autant plus que dégrader tout tombeau et/ou ses
ornements (croix, couronnes, dalle, etc.) constitue un délit qui peut
rendre un individu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures
(qui) sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une
amende de 24.000 à 120.000 francs sans préjudice des peines
réprimant les crimes ou délits qui se seraient joints à
celui-ci ». Ce qui poserait problème ici, c'est certainement
l'applicabilité et l'effectivité de cette loi sur le terrain. Ce
qui nous permet de dire qu'il est certes bien de promulguer des lois, le plus
dur demeure leur applicabilité.
2.2. L'obligation de saisir le tribunal
La loi prévoit en outre, après avoir
constaté l'acte de profanation, d'adresser une plainte contre X au
greffe correctionnel pour entamer des poursuites judiciaires. Cependant, nous
avons dit que nous sommes dans l'univers du Souverain moderne, au sens de
Joseph TONDA. Et selon nos constats et nos enquêtes
réalisés et après s'etre rapproché de plusieurs
victimes des profanations des tombes à Mindoubé, certaines
familles ont eu à porter plainte contre X sans succès. Dès
lors, monsieur MBADINGA204 affirme :
Énoncé n°24 :
- « Il y a au Gabon des prédateurs qui
chassent les gens dans la ville et ceux qui viennent profaner les tombes
à des heures tardives de la nuit. Comment expliquer que quand nous
sommes vivants on n'est pas en sécurité, à plus forte
raison mort ? Tu vois, porter plainte dans ce pays ne sert plus à rien,
surtout pour ce genre d'affaire, ces plaintes que nous
202 Le Code pénal de la République gabonaise du 31
mai 1963, Libreville, p.63.
203 Ibid., p.84.
204 Monsieur MBADINGA est l'un des parents des
trente victimes des profanations des tombes que nous avons eu à
rencontrer lors de notre passage le 1er novembre 2007 au
cimetière de Mindoubé, dans le cadre de notre mois de terrain et
dans la rédaction de notre Mémoire de Maîtrise.
adressons sont oubliées expressément par
l'État, il s'en fou puisque ces gens là n'enterrent pas leurs
parents ici. Ils font leurs caveaux familiaux et viennent prendre ce qui reste
de nos parents. C'est révoltant ce que l'État fait, il profane
nos tombes et fais semblant de réagir. La preuve c'est qu'il ne punit
pas les vrais coupables qu'il connaît >>.205
Les propos de monsieur MBADINGA attestent que nous sommes
dans les rets du << Souverain moderne >>, dans une culture du
tourment, de la persécution et de la violence ; violence de
l'imaginaire, du fétichisme exercée par le pouvoir politique.
D'où, « à l'ombre de la postcolonie ont ainsi grandi des
monstres (<) Il s'agit simplement d'administrer une violence lapidaire et
improductive dans le but de prélever, d'extorquer et de terroriser
>>.206 Car << le pouvoir ne peut s'exercer sur les
personnes et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte
légitimée, à des outils symboliques et à
l'imaginaire >>.207 D'où, « aucun groupement,
aucune organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est
à travers des symboles qui manifestent son existence
>>.208
C'est l'occasion de revisiter le code pénal parce
qu'il est caduque, désuet face à la situation présente en
postcolonie gabonaise ; surtout en matière de profanations des tombes.
Finalement, si l'État gabonais, qui se doit de veiller sur la
sécurité des biens et des personnes, et considérant que le
cimetière est une archive nécrologique qui figure dans le
patrimoine culturel du pays ; ne réagit pas devant cette violence, c'est
parce qu'il est << l'institution qui possède, dans une
collectivité donnée, le monopôle de la violence
légitime. Entrer dans la politique, c'est participer à des
conflits dont l'enjeu est la puissance - puissance d'influencer sur
l'État et par là même sur la collectivité
>>.209
205 Propos de monsieur MBADINGA, au cimetière de
Mindoubé le 1er novembre 2007.
206 Achille MBEMBE, << Désordres,
résistances et productivités », p.2 in
Politique africaine : << Violence et pouvoir »,
n°42, juin 1991, 163 p.
207 Georges BALANDIER, le Détour. Pouvoir et
modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.
208 Philip BRAUD, Sociologie politique, op.cit.,
p.103.
209 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de
Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. << Editions 10/18
»), 1963, p.32.
Toute chose qui indique que le pouvoir au Gabon est un
pouvoir mortifère, voulu et entretenu. Il s'agit de se nourrir de la
mort en la recyclant pour faire (re)vivre ; et donc, de (re)produire de la vie
à partir de la mort.
Section 2 : Les profanations des tombes et des
cadavres
« C'est en s'incarnant dans les pratiques et des objets
qui le symbolisent que l'Imaginaire peut agir non seulement sur les rapports
sociaux déjà existants entre les individus et les groupes, mais
être aussi à l'origine de nouveaux rapports entre eux qui
modifient ou remplacent ceux qui existaient auparavant
>>.210
À cet effet, l'image symbolique du mort, très
prisée par les mandataires en périodes électorales, est
celle d'un être humain enterré, couché, qui ne peut plus
bouger. Et comme le symbolique et l'imaginaire dominent l'univers culturel
gabonais, les hommes politiques, mandataires ou fétiches
politiques211, devenus autonomes et auto-consacrés, pour
conserver et consolider leurs acquis politiques, ont recours, grâce
à des subterfuges, aux profanations des tombes ; parce qu'étant
convaincus du pouvoir éventuel des morts ; dans la garantie de leurs
succès électoraux.
Il y a un parallèle entre la profanation des tombes et
celles des corps car la profanation des tombes est une manière de
profaner les corps via la tombe de quelqu'un ; en ce sens que la tombe est
symboliquement et métonymiquement son corps. La tombe étant
métonymiquement le corps de la personne, c'est comme la maison. À
ce propos, Jeanne FAVRET-SAADA pense que dans l'ensorcellement de quelqu'un,
« son corps et celui des siens, son domaine et l'ensemble de ses
possessions constituaient une même et unique surface criblée de
trous par où la violence du sorcier ferait irruption à tout
moment >>212. Pour dire simplement qu'attaquer ou ensorceler
quelqu'un, c'est aussi s'attaquer à tout ce qu'il possède
210 Maurice GODELIER, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie,
Paris, Editions Albin Michel, (coll. << Bibliothèque Albin
Michel Idées »), 2007, pp.38-39.
211 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de
Minuit, (coll. << Le sens commun »), 1987, p.187.
212 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts,
Paris, Gallimard, (Coll. << Folio essais »), 1977,
p.24.
métonymiquement. D'ailleurs, les discours de nos
interlocuteurs et des photos prises sur le terrain à ce sujet et que
nous proposons dans ce mémoire en sont l'illustration. D'où, nous
leur avons posé la question de savoir ce qu'est ce que la
profanation des tombes ?
Énoncé n°25 :
- « La profanation des tombes pour moi, c'est
pénétrer sans autorisation dans le cimetière surtout la
nuit pour faire le travail pour lequel on te paies très bien,
c'est-à-dire, aller récupérer les os surtout le crane ou
ce que l'on appelle sur le réseau et ce que les grands féticheurs
du pays appellent les articles ou ingrédients et qui sont utiles pour
les grands hommes du pays »213.
Énoncé n°26 :
- « La profanation des tombes est quelque chose de
diabolique à mon sens, il faut être vampireux et surtout ne pas
craindre Dieu pour venir voler les ossements humains dans les
cimetières »214.
Énoncé n°27 :
- « Pour moi, ce sont les gens qui viennent
détruire et casser les tombes la nuit pour dépouiller les morts.
Ces choses n'arrivent que quand il ya les élections. À
Mindoubé ici, c'est la 4ème fois que ça arrive.
Il y a même 1 qui venait voler les gerbes de fleurs pour aller les vendre
à Akébé et dans certaines pompes funèbres de
Libreville »215.
Énoncé n°28 :
- « Ce sont les gens qui viennent dans la nuit pour
casser et dépouiller nos morts de ce qui leur reste et troubler leur
repos éternel. Moi en tant que catholique, je condamne ça, il
faut
213 Propos de notre interlocuteur monsieur M.D, 43 ans,
Myènè, ancien profanateur devenu à la fois pêcheur
de poisson selon ses dires et croyant. Il a demandé l'anonymat.
Entretien réalisé à Ambow~, le 17 mai 2008 à 22
heures, lors d'une cérémonie des jumeaux à laquelle nous
avons assisté. La rencontre était une coïncidence.
214 Propos d'un ex personnel naviguant commercial de Air
Gabon, gabonais, Fang de Bitam, 46 ans, chrétien pentecôtiste
depuis 7 ans. L'entretien s'est déroulé au cimeti~re de
Mindoubé le 1er novembre 2007 vers 9 heures. Par ailleurs, il
fait parti des nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons
rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre en
insistant sur le fait que notre travail doit servir pour dénoncer ce
phénomène.
215 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du dudit
cimeti4re actuellement en poste. C'est un gabonais d'une quarantaine
d'années, qui travaille seul dans des conditions difficiles nous a-t-il
confié, de 8 h30 à 15heures.
que l'État et Basile MVE ENGONE prennent leurs
responsabilités car c'est un acte indigne, méchant, cruel et
diabolique »216.
Énoncé n°29 :
- « Ce que vous étudiez c'est simplement le
fait de déterrer les morts par des gens pas bien, des gens qui utilisent
les ossements pour se faire de l'argent. Ce n'est pas une bonne chose parce
qu'on se sert du corps humain cadavérique pour se faire de l'argent et
avoir du pouvoir. C'est un manque de respect pour nos morts car il ya les
huiles de vidange ici. D'autres viennent voler les costumes pour les revendre
après tout comme les gerbes de fleurs »217.
Énoncé n°30 :
- « C'est quand les grands hommes viennent voler les
os des morts la nuit. Ils n'ont pas de compte à rendre, ils font ce
qu'ils veulent, d'abord ils mentent, puis la fatale, ils pillent les tombes
comme en Egypte pour voler les cranes. J'habite juste à
côté du cimetière, derrière le garage, mais nous
voyons beaucoup de choses, des grosses cylindrées et beaucoup de gens la
nuit munis de torches et de lampes tempête. On est habitué car ce
n'est pas d'aujourd'hui. Alors on se dit, à qui le tour d'être
dépouillé cette nuit car ils font du bruit avec les motos pompes
qu'ils utilisent la nuit très tard surtout. Je n'ose pas sortir
»218.
Énoncé n°31 :
- « Pour moi et selon le constat des parents qui se
plaignent auprès de nous, ce sont les gens de la ville, ceux qui ont de
grosses voitures vitres fumées la journée qu'on voit passer et la
nuit qui reviennent qui font cela. Ils n'opèrent que la nuit. C'est
satanique, cruel, car pour
216 Propos de madame M.T, gabonaise, Punu-Fang,
secrétaire comptable, 37 ans, catholique. Elle aussi fait partie des
nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons
rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre pendant
la fête de la Toussaint le 1er novembre 2007.
217 Propos d'un jeune homme de 27 ans, chrétien
protestant, agent commercial à City Sport de Mbolo, que nous avons
rencontré le 26 mars 2007 à 10 heures, lors de notre
2ème passage à Mindoubé. Il habite tout
près du cimetière.
218 Propos d'un habitant à proximité du
cimeti~re de Mindoubé, il est garagiste, 38 ans, c'est un
chrétien et cela fait 15 ans qu'il habite le coin.
qu'on puisse profaner les tombes, il faut être dans
les loges, un féticheur, un homme politique car c'est quand il ya les
élections que l'on voit tout cela ici »219.
Énoncé n°32 :
-« C'est simplement venir nuitamment ou très
tard dans la nuit pour déterrer les morts dans les cimetiéres,
c'est un endroit sacré et on fait cela pour de l'argent, pour le
pouvoir. C'est tout simplement une abomination aux yeux de Dieu. Si vous
voulez, c'est même dégoatant car c'est tuer une
2ème fois le mort et surtout troubler son repos
éternel et le priver d'une résurrection. C'est toujours quand on
fait les élections que tu vas entendre ce genre de chose
»220.
De manière générale et en ce qui concerne
nos interlocuteurs, les profanations
des tombes montrent que le pouvoir des
morts et donc celui des « pièces détachées
»
ou de « l'or blanc »221 est bien réel car
il sert à se faire oublier lors des conseils des
ministres, ou lors
des élections ou alors pour ne pas bouger du poste administratif
que
l'on occupe. Car un mort ne bouge plus puisqu'il est allongé pour
l'éternité. Cela
montre aussi que certains individus sont
prêts à tout pour obtenir une quelconque
promotion sociale au
Gabon. Comme pour dire avec Max WEBER222 que le politique
a les
mains sales. De même, les discours exposés ici ne sont pas en
réalité
différents car ils confirment que le pouvoir
politique au Gabon est en fait un pouvoir
mortifère et
enraciné dans la mort. Enfin, il ya une étroite relation de
dépendance
entre les économies occultes de la production de
« l'or blanc » et le pouvoir politique.
Pour finir,
retenons que le chercheur en sciences sociales « a la
particularité,
qui n'a rien d'un privilège, d'être celui
qui a pour tiche de dire les choses du monde
219 Propos d'un protestant Fang, gabonais, 55 ans et
cela fait 7 ans qu'il habite à côté du
cimeti4re. Le monsieur est un retraité de gendarmerie.
220 Propos d'un monsieur victime des profanations des tombes que
nous avons rencontré le 1er novembre 2007 à 11 heures.
Il a 56 ans, gabonais, Nzébi de Koulamoutou et chômeur. C'est un
chrétien de l'Alliance chrétienne.
221 Cette expression « or blanc »
désigne ici les « pièces détachées »
puisque nous nous trouvons dans un marché occulte et illégal des
restes humains, nous pensons que l'or blanc illustre bien cette idée de
marché.
222 Max WEBER, Le savant et le politique.
Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. «
Bibliothèques 10- 18 »), 1963, 222 p.
social, et de les dire autant que possible, comme elles sont :
rien que de normal, de trivial même, en cela ».223
1. Le cimetière de Mindoubé dans le
5ème arrondissement de Libreville
Figure n°1 : Localisation
géographique du cimetière de Mindoubé
Le cimetière est situé dans le quartier
Mindoubé (que nous apercevons cidessus sur la présente carte avec
les croix en noir), précisément dans le 5ème
arrondissement oil il fait face à la décharge publique d'ordures
de Libreville. D'ailleurs, une description224 de celui-ci s'impose.
Par exemple, l'accès au site se fait par voie terrestre non
goudronnée, praticable véritablement qu'en saison sèche ;
les hautes herbes aussi bien à l'intérieur qu'à
l'extérieur du site sont visibles depuis la route, ce qui fait qu'on ne
puisse plus retrouver les tombes de nos disparus. A cela,
223 Claude JAVEAU, Leçons de
sociologie, Paris, coll. Armand Colin, 1997, p.5 citant Pierre
BOURDIEU.
224 Description que nous avons effectuée en
année de Licence le 26 mars 2007 dans le cadre du mois de terrain. Une
seconde visite en février 2008 a été faite pour voir les
éventuels changements après la fête de Toussaint de 2007
mais rien n'a été fait. Le site est resté dans les
mêmes conditions telles que décrites lors de notre premier
passage. Signalons que nous sommes repartis en avril et en novembre 2009, et il
est resté dans le même état, excepté les herbes qui
sont devenues encore plus hautes et la route qui se dégrade sans
cesse.
s'ajoute une forte concentration de débits de boisson
à proximité du cimetière. On note aussi que les
constructions anarchiques d'habitations et la présence de tas
d'immondices et des dépôts de ferrail. À ce propos, nous
proposons quelques photos pour présenter la description du
cimetière de Mindoubé tel qu'il a été
photographié lors de notre passage.
Photo n°8 : «Le portail principal
du cimetière »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
mars 2007
La photo n°8 nous présente, comme son titre
l'indique, une vue de l'entrée principale du cimetière. Au
premier plan de la photo, nous apercevons le portail amorti par le poids de
l'âge, il est rouillé, et se ferme à l'aide d'une vieille
chaîne et d'un cadenas. Ensuite, on voit bien sur cette photo que la
route qui nous conduit au cimetière de Mindoubé est, comme nous
l'avons dit plus haut, une route secondaire, praticable qu'en saison
sèche. S'ajoute aussi les hautes herbes que nous évoquions
déjà. Au second plan, nous voyons que le site est envahi des
hautes herbes mais aussi d'arbres fruitiers tels les manguiers ou d'arbres
à noix : des palmiers. C'est à peine si on peut apercevoir au
loin quelques stèles visibles par leurs couleurs blanches. Enfin, la
clôture qui existe mesure près de 1 m 70 et ne peut pas dissuader
les profanateurs.
Photo n°9 : «Une tombe
immergée dans les huiles de vidange »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Mindoubé n'est pas seulement victime que des
profanations des tombes. On peut aussi parler d'un autre type de profanation
orchestrée par les garagistes des alentours avec les huiles moteurs qui
se déversent sur le cimetière. Formant au passage un petit
ruisseau et noyant du même coup d'abord les quelques tombes encore
visibles mais méconnaissables pour les parents ; ensuite, et à la
longue, va faire tomber la barrière qui tient encore le coup. Au second
plan, on peut aussi apercevoir les hautes herbes qui ont occupé l'espace
et empêchant aussi la reconnaissance des tombes à cet endroit. Les
autorités de l'Hôtel de Ville sont pourtant au courant de la
situation actuelle du site mais restent silencieuses.
Photo n°10 : « La tombe d'un
chinois »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Mindoubé est un cimetière qui accueil tout le
monde. La preuve est là ; il s'agit de la tombe d'un chinois qui a
été profanée. Cette tombe est vidée de son contenu,
il ne reste qu'un fragment de crane que nous avons filmé aussi. La tombe
subit les incendies.
Photo n°11 : « Le crane chinois
»
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Comme nous venons de le dire, il s'agit du « crâne
chinois ». Le fait de voir aussi cette tombe profanée nous permet
d'émettre de nombreuses hypothèses. Mais celle qui nous vient
à l'esprit, c'est l'idée que l'homme est le même et que la
couleur de la peau, la race, etc. importe peu. Ce ne sont que des
détails car pour les profanateurs, un crane est un crane, c'est un
fétiche, un produit marchand, d'ailleurs, qui coûte
extrêmement cher. Ce crâne a été privé de tout
son corps et de la fontanelle. En outre, la fontanelle est cette membrane que
l'on voit battre sur la tête des bébés avant qu'elle ne se
solidifie. C'est elle qui permettrait au bébé de vivre et vient
d'être ici prélevée.
Photo n°12 : « La face
cachée d'une tombe »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Il s'agit d'une bonne dizaine de tombes qui sont dans
l'immersion des huiles de vidange. Cette situation nous permet de voir à
quel point le site demeure dans l'insalubrité ; en témoigne les
pneus de voitures et la barrière qui est pratiquement prête
à s'écrouler.
Photo n°13 : cc Un exemple de tombes
profanées »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Ces exemples de tombes illustrent bien le type de
sépultures profanées. On remarque aussi que ces stèles
présentent les mêmes marques de cassures. De même, on
observe une caractéristique commune : celle de ne pas être
carrelée. Cela nous permet de dire qu'il s'agit des tombes
abandonnées par leurs parents depuis longtemps.
Photo n°14 : « Une vue d'ensemble
du cimetiere »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Cette photo donne une vue panoramique du cimetière.
Notons que la question de l'entretien du site demeure une préoccupation.
L'arrière plan témoigne d'un récent passage d'un incendie.
A ce propos, les incendies peuvent avoir deux origines : soit humaine,
c'est-à-dire que le gardien met le feu pour brûler les herbes qui
surabondent sous son contrôle. Ou alors, les incendies sont dus en grande
partie à la chaleur225, à cause du méthane qui
se dégage des tombes profanées, donc qui restent ouvertes. En
effet, lorsque le corps est en décomposition, il y a la production du
méthane qui est un gaz incolore, inodore, inflammable et très
toxique. Ce gaz a des effets nocifs pour l'environnement puisqu'il perce la
couche d'ozone et expose les profanateurs à des brûlures de peaux
à long terme. De plus ; il y a de l'« azote ; le dioxyde de carbone
; l'ammoniac et l'acide sulfurique »226 qui sont produits lors
de la décomposition des corps.
225 Cette information émane des habitants qui
environnent le site et qui affirment qu'il fait tr~s chaud
dans leur quartier. Ce qui fait que des incendies sont souvent
enregistrés en période de saison sche. D'autre part, c'est le
gardien qui br~le parce qu'il ne peut pas désherber.
226 Cf. la revue scientifique SCIENCE & VIE, n°248,
hors série, « La mort. La comprendre. La vivre. La vaincre
», p.98, septembre 2009.
Photo n°15 : « L'organisation
sociale autour de la décharge »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Au premier plan, on voit l'état de la route mais
surtout, les ordures recyclées par les hommes, femmes et enfants que
nous avons photographiées sur le terrain. En effet, ils
récupèrent les ordures dans la décharge, pour venir les
trier, les laver et les laisser sécher sur la barrière du
cimetière. Ensuite, femmes les emballent dans des sacs de farine, pour
aller les vendre soit à la Gare routière de Libreville ou au
marché de la Peyrie. Il faut dire que c'est tout un nouveau
marché de la mort qui est reintroduit dans le circuit du marché
économique. Par ailleurs, Ce poteau électrique témoigne de
la volonté des pouvoirs publics d'éclairer le site.
Néanmoins, depuis vingt ans, le cimetière est dans
l'obscurité. Les femmes recyclent les ordures pour les vendre à
la Gare routière ; elles vendent des bouteilles plastiques, des
cannettes, et autres détritus susceptibles de rapporter un peu
d'argent.
Après avoir traité de la question de la
localisation géographique du cimetière et de sa description,
venons-en à présent à la question de l'historique du
cimetière proprement dit.
1.1. Historique du cimetière de
Mindoubé
Lors d'une séance de travail avec monsieur Toussaint
ELLANGMANE227, conseiller du D.G.S.T la Mairie de Libreville, il
ressort que le cimetière de Mindoubé a été
créé en 1950 et a été fermé vers 1980 pour
cause de difficulté d'accès dii essentiellement à la route
impraticable.
Énoncé n°33 :
- « Cela n'a pas nécessité la mise en
place de textes juridiques car on avait estimé qu'il fallait de
véritables travaux d'aménagements pour que les enterrements se
passent dans les conditions les meilleures >>.228 Puis,
à l'époque du maire DAMAS, 1996 voit la réouverture du
site.
Énoncé n°34 :
- « Je précise ici que Mindoubé n'est
pas totalement saturé, il reste encore de l'espace. On pense à le
réhabiliter sérieusement. Cela va nécessiter des moyens
humains et financiers importants car il s'agit du désherbage,
l'électrification, l'adduction de l'eau,la réhabilitation de la
maison du gardien dans le site car elle a brillé lors d'un incendie dil
à la forte chaleur qui y prévaut. Il faudra aussi refaire toute
la clôture qui est aujourd'hui quasi-existante. Tout cela
nécessite, comme je l'ai dis tantôt, des moyens financiers et
humains importants. J'ai soumis à cet effet le dossier à ma
hiérarchie depuis 9 mois, on m'a affirmé que c'est en
étude. Alors je continue à conjuguer le verbe attendre
>>.229
Au sortir de cette séance de travail, on retient qu'il
y a une volonté manifeste de la part des pouvoirs publics de ne pas
réhabiliter le site de Mindoubé. Nous affirmons ceci par ce que
le Conseiller et le gardien du site ne cessent d'attirer l'attention de leur
hiérarchie, afin qu'elle trouve des solutions (immédiates) pour
faire cesser les profanations. Or depuis 2007, date à laquelle le
conseiller ELLANGMANE a saisi sa hiérarchie, celle-ci est restée
muette. Enfin, c'est certainement pour avoir posé des questions et
proposer un plan d'action immédiat
227 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T
sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.
228 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.
229 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.
que la D.G.S.T s'est séparée de son conseiller
depuis 2009. Cela atteste que les pouvoirs publics tirent profit des
profanations des tombes, donc de « l'or blanc » parce qu'ils ne font
rien. D'où, le pouvoir se nourrit bien de la mort.
1.2. La sécurité des morts au
cimetière de Mindoubé
Par sécurité des morts, nous entendons ici
l'électrification, la clôture, une voie d'accès praticable
en toute saison de l'année, l'entretien du site tel le
désherbage. Cependant, Mindoubé est privé de ces normes de
sécurité, preuve aussi du non respect pour nos morts. Le respect
des morts s'effrite davantage. Mindoubé n'est donc pas le seul site qui
présente cette absence de normes de sécurisation ; Plaine Niger,
Baraka, Lalala, pour ne citer que ceux-là présentent les
mêmes difficultés. Face à une telle situation, comment ne
pas comprendre que nos cimetières soient visités à des
heures tardives de la nuit et ce, en périodes électorales ?
1.3. Mindoubé, un site particulier
Mindoubé est un site particulier parce qu'il s'agit
ici d'un endroit où s'exerce deux activités parallèles :
l'une étant la récupération des « pièces
détachées » pour le cimetière et l'autre, le
recyclage des ordures pour ce qui est de la décharge publique à
ordures. On comprend donc qu'il existe deux structures communales. Or ce site
est du domaine municipal, donc de la Mairie de Libreville. En outre, la
décharge publique et le cimetière sont des éléments
morts, c'est-à-dire que ce sont des lieux où l'on vient jeter ce
qui ne sert plus (le cas de la décharge publique) et pour l'autre,
où l'on vient déposer, enterrer les morts, ceux qui ne vivent
plus (le cas du cimetière).
Aussi, deux directions se déclinent : la
première est liée au pouvoir en relation avec l'occultisme et la
seconde, au recyclage des ordures qui vont être ainsi réintroduits
dans le marché économique. De toute façon, il s'agit d'un
recyclage général. En ce qui concerne la décharge publique
de Mindoubé, les populations habitant le site vivent d'elle. Ce sont des
hommes, des femmes et des enfants qui recyclent les ordures. Cette situation se
présente en Bolivie, au Pérou ou au Brésil, où l'on
parle de « bidonvilles » ou « favelas >>. Pour le
cimetière, il s'agit de la
problématique de la récupération d'ordre
magique et économique des restes humains. Cependant l'État est
incapable de rendre justice sur cette exploitation des corps ; ce qui fait que
l'État, in fine, organise les pratiques magiques. C'est aussi l'exercice
du pouvoir par des moyens symboliques ; puisque la commune est liée
à l'État et donc, il doit régir.
Ce que nous pouvons retenir ici c'est le fait que le pouvoir,
qui gère la cité, est impliqué dans le fétichisme
politique. Face à ces profanations des tombes au cimetière de
Mindoubé, des familles se plaignent mais l'État demeure incapable
de réagir. En filigrane, les profanations des tombes posent le
problème de l'État et du droit dans cette
récupération des restes humains.
Le cimetière se définit comme une archive
nécrologique qui renseigne sur la façon dont on conçoit et
traite les morts et partant, notre conception de l'au-delà. Par
ailleurs, il faut ajouter qu'il participe de la mémoire collective d'un
peuple. De plus, il est << le lieu liminal par excellence, situé
entre vie et mort, et pour d'aucuns, entre présent et futur
eschatologique >>.230 D'où, la profanation des tombes
à Mindoubé dans le 5e arrondissement de Libreville,
s'explique aussi bien lors des élections politiques au Gabon que dans
une << crise politique économique en tant que crise morale
>>231. Aussi partageons-nous le point de vue de J-L GROOTAERS
quant à <<l'importance de préserver la mémoire
collective, menacée par la crise économique et morale qui affecte
l'attitude que l'on a envers les morts >>.232
À Mindoubé233, c'est un
véritable recyclage de tout qui est produit ; on profane pour
récupère les stèles, les croix, les gerbes de fleurs,
parfois les cercueils pour être revendus. Les morts eux-mêmes
subissent le même sort, quand se ne sont pas les parties génitales
ou les organes vitaux ; ce sont les crânes qui sont collectés sous
le vocable d'« or blanc >> ou de << pièces
détachées >> et vendus aux politiques sur le
230 J-L GROOTAERS, « Mort et maladie au Zaïre
», p.39 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, Année
90, volume 8, n°31-32, 1998, 172 p.
231 Ibid., p.39.
232Ibid., p.40.
233 Toutes les informations que nous communiquons dans ce
Mémoire de DEA ont été produites lors de notre
enquête de terrain depuis l'année de Licence à celle de
Maîtrise ; tout comme les photos du site, aussi bien les photos de mars
2007 que celles du 2 novembre 2009.
marche économique et fétichiste. Il en est de
même pour leurs habits et autres objets de valeur et "énergies
vitales".
La photo n° 16 : Cc Ce qui reste de la
décharge »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Cette photo vient illustrer la particularité de
Mindoubé : ici c'est la décharge.
On aperçoit des résidus de détritus qui
étaient recyclés par les populations de Mindoubé. On
constate qu'aujourd'hui la décharge est devenue une bananeraie.
La photo n° 17 : Cc Le logement du
gardien »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
En face de la décharge, il y a le cimetière qui
est abandonné à lui-même. Le
réfection. Le gardien que nous avions rencontré
en mars 2007 nous avait confié que si il habitait sur place, il n'y
aurait pas trop de profanations.
Énoncé n°35 :
- << La mairie ne fait pas cas de ma demande de
logement sur le site alors qu'il faut que je sois dans de bonnes conditions
pour mieux faire mon travail. C'est pourquoi je viens ici à 8heures pour
rentrer chez moi vers 16heures. Ici c'est dans l'obscurité totale alors
comme je suis seul, je rentre tôt. Les clandos finissent tôt, 18
heures par là »234. C'est encore là la
preuve qu'il y a vraiment une volonté manifeste de la part des pouvoirs
publics de ne pas sécuriser le site. Ce qui nous conforte dans notre
idée comme quoi la mort alimente le pouvoir politique au Gabon.
Plus important encore, c'est que selon le pasteur Raymond
AKITA, il existe différentes techniques de profanations ; des
incantations sur les tombes235 à la technique des tuyaux en
p.v.c (PolyVinylChlory). Cela montre l'ingéniosité et la
créativité des profanateurs des tombes pour atteindre leurs
objectifs. Notons qu'ils opèrent très tard la nuit munis de
lampes tempêtes et torches, de marteaux, de burins aux dires des
populations riveraines.
Énoncé n°36 :
- << On est habitué, c'est monnaie courante
d'écouter des grosses cylindrées qui garent, puis s'en vont. Le
lendemain, nous ne pouvons que constater les dégâts et nous sommes
impuissants face à ça. Je constate que c'est un quartier
misérable, les gens vivent à cause de la poubelle. Tu es
là, tu écoutes, tu vois, tu appelles la police, elle te promet de
passer jusqu'à maintenant cela dure depuis près de 10 ans. On est
dans l'insécurité, pas de lumière publique, le gardien ne
vient que de jour jusqu'à 16 h. Il y a longtemps que nous, habitants du
coin, on n'enterre plus nos proches ici. On préf'ere repartir chez nous,
à l'intérieur du pays enterrer nos proches parce qu'on a peur
qu'ils finissent comme des trophées de foot chez les personnes
politiques ou chez les Nganga. Ce qui fait qu'on a peur, on est obligé
d'être vigilant vis-à-vis
234 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du
cimetière de Mindoubé. Propos recueillis en mars 2007.
235 Une technique très répandue au
Congo-Brazzaville et qui, selon un informateur de ce pays, marche très
bien et que les congolais connaissent sous le nom de «
Moudjoulamvombi ».
des autres ; on ne sait pas qui est qui
».236 Revenons aux techniques de profanations telles que
nous les rapportent le pasteur AKITA de la mission protestante de Baraka de
Libreville.
Énoncé n°37 :
- « Il y a des techniques de profanations comme la
technique du tuyau p.v.c. Qu'est-ce qu'ils font ? Vous voyez les tuyaux de
p.v.c, les gros tuyaux, ils cognent, cognent, cognent, ça rentre. Si le
cercueil était en bois, ils savent que cela n'a pas été
monté ; donc le bois va pourrir. C'est donc prendre les parties car
quand quelqu'un meurt ya l'eau qui ruisselle et c'est la preuve que des
pratiques occultes des profanations des tombes sont synonymes des profanations
des corps morts. Parce que profaner une tombe c'est une chose. Mais profaner
les corps des morts s'en est une autre chose. Déjà il faut
souligner que dans tous les cimetières du monde entier, après 1m
50 ce sont les tanières de rats ; parce que les rats bouffent le formol,
c'est leur meilleur aliment. Donc les rats bouffent d'abord le bois et
après le formol sur le cadavre. C'est pour cela qu'il existe des
cercueils en fer pour les empêcher de bouffer. Avec la méthode
d'incantation, ils placent les mains sur la tombe et ils se mettent à
faire une grande concentration spirituelle et ésotérique qui leur
permet de rentrer en contact avec certains corps spirituels de ceux qui sont
partis. Autre technique, c'est complètement ouvrir la tombe et puis
prendre les parties. Autre technique encore, c'est celle qui marche mieux
aujourd'hui, c'est que dans les cimetières, et je suis contre ça,
quelqu'un est enterré en bas ; on fait le reste en caveau
extérieur et on fait rentrer le cercueil comme une bière. Et
quand vous regardez ces enterrements, on met toujours des briques de 10 et non
les 15 ou de 20. On ne veut pas arranger. C'est facile à pousser avec le
pied, on tire la nuit on ouvre la bière, on prend les parties on ferme.
On refait le crépissage, personne ne viendra jamais regarder. Et
ça c'est ce qui passe bien à la une ces derniers temps avec les
grands initiés. On enterre dehors et ils viennent la nuit prendre les
parties ».237
236 Propos d'un ancien du quartier de Mindoubé, habitant
tout juste à proximité du cimeti4re , il a 57 ans, marié
et retraité, protestant, fang d'Oyem. Il nous a demandé
l'anonymat.
237 Propos du pasteur Raymond AKITA.
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Nous parlons de technique dite « classique >>
parce que c'est la plus utilisée par les profanateurs entre octobre 2006
et mars 2007. En fait, lors de nos précédents passages, nous
avons pu recenser plus de quarante tombes qui présentaient ce type de
cassure. C'est la preuve que le matériel utilisé est lourd pour
casser la tombe de cette manière. Mais ce n'est que l'une des techniques
qu'ils utilisent. Il existe aussi la technique du tuyau de p.v.c que nous
présentons dans les photos suivantes.
Photo n°19 « La
technique du p.v.c >>
La photo n° 18 : « La technique
classique »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Cette tombe témoigne bien des différentes
techniques dont le pasteur AKITA nous a parlé, telle celle des tuyaux en
p.v.c. Le constat qui se dégage de l'observation des tombes nous permet
de dire qu'à Mindoubé, deux groupes de profanateurs
opèrent. Il y a ceux qui cassent les tombes par-dessus pour faire sortir
le cercueil et ceux qui utilisent les tuyaux p.v.c, certainement pour limiter
les dégâts. Mais le but reste le même : prélever les
organes, en tête desquelles, le crâne, les fémurs, etc. tout
comme les vêtements, qui finissent étalés dans les
prêts-à-porter de Libreville.
La photo n°20 : « Ce qui reste
d'un corps profané »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Elle illustre bien le type de stratégies
adoptées par les mandataires à l'orée des élections
politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a
été vidée de son contenu. Il ne reste plus qu'un
vêtement détérioré et le crane fracassé. De
plus, il ne reste plus que la mâchoire inférieure. Il y a lieu de
préciser qu'à Mindoubé, s'est tissé un vaste
réseau de vente des restes humains, mais aussi, les vestes et autres
habits des morts, les gerbes de fleurs sont re-introduits
dans le marché économique238. C'est donc le recyclage
de << la mort >>.
Par ailleurs et selon les chercheurs du laboratoire <<
la Ferme des corps >> du département d'Anthropologie de
l'Université du Tennessee. Cette photo atteste que l'autolyse,
c'est-à-dire la destruction des tissus par ses propres enzymes, a
conduit d'abord à la décoloration du corps et à la
production de gaz toxiques tels l'azote, le dioxyde de carbone, l'ammoniac,
l'acide sulfurique. En outre, le processus de décomposition a
été bien effectué, ce qui fait qu'il ne reste que des os.
Car après tout, il est écrit << tu es né
poussière et tu retourneras poussière >>. C'est l'occasion
ici de dire, selon monsieur M.D que :
Énoncé n°38 :
- << Ces os sont parfaits pour travailler avec, en
les grattant pour en faire des poudres magiques que les grands hommes de ton
pays utilisent pour se protéger. Car en politique, les ennemis sont
visibles et invisibles. Donc il faut être fort et si tu veux, bien
blindé. Quand à l'époque je travaillais pour mon patron,
ses ngangas lui demandaient toujours d'aller récupérer les os
bien séchés car cela leur permettait de bien les gratter et
ensuite de les mélanger avec d'autres décoctions à base de
feuilles et d'huiles dont eux-mêmes ont les secrets. Alors j'avais pour
mission principale de faire des tours la journée dans les
différents cimetières ici à Libreville ou parfois à
l'intérieur pour regarder les tombes qu'il fallait profaner. Et le soir,
avec mon équipe, j'opérais. Je te le répète, mon
parton me disais toujours qu'il fallait qu'il se protege des attaques mystiques
de ses ennemis car la politique, c'est un monde sale et très
dangereux >>239.
238 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des
informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent
à Akébé dans un prêt à porté. En
février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été
enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une
veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis
septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à
Mindoubé en novembre 2007.
239 Ce sont les propos de monsieur M.D, ex- profanateur converti
à la pêche ; quand nous lui avons montré cette photo pour
recueillir son sentiment sur son ancien métier.
La photo n°21 : « La veste rouge
»
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Cette image montre les dégâts commis par les
profanateurs des tombes à Mindoubé. Juste en premier plan,
à droite, se trouve le crâne du défunt sur lequel une
partie seulement a été récupérée. Sur la
gauche, il y a les restes de la mâchoire et enfin, notons qu'il ne reste
que la veste du défunt. Le corps et le reste des vêtements ont
été emportés par les profanateurs. Les vêtements
récupérés peuvent être revendus sur le marché
économique comme nous l'a confirmé un interlocuteur, devenu
méfiant quant aux vêtements qu'il achète au marché
de Mont-Bouët, de la Peyrie ou dans les prêts-à-porter
d'Akébé.
Photo n°22: « Autre manière
de profaner »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
La tombe que l'on voit présentement est vide de son
contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les
membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne
sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été
clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère
pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de
faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes.
Énoncé n°39 :
- « Nous attendons les vacances pour taper le diable
au village et tant pis pour ceux qui ont fait ça et j'espère
qu'ils iront brIller en enfer, car de tels individus sans moralité ne
doivent pas aller au Ciel ».240 Il importe de dire que
tous nos enquêtés tiennent le même discours, en ce qui
concerne les profanations des tombes et les commanditaires à savoir que
ce sont les hommes politiques. À cet effet, nous avons retenu les
discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA, pour mieux rendre compte
du phénomène que nous étudions.
240 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations
à Mindoubé le 10 octobre 2006.
Photo n°23 : « La tombe vide
»
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné
de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des
profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel de « l'or
» en périodes électorales. La tombe que nous voyons cidessus
est vide de son contenu ; le corps de la dame qui a été
enterrée a été dérobé par les profanateurs.
Le fils de la défunte a entrepris des démarches auprès de
la Mairie et de la police judiciaire et a porté plainte contre X mais
sans succès. Ayant constaté que la tombe a été
visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007,
il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une
part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment
blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables
à la traditionnelle c'est-à-dire :
Énoncé n°40:
- « J'attends les vacances puisque la famille m'a
chargé d'aller à Fougamou pour frapper le diable. Dans ces
conditions, on n'est jamais mieux servi que par soi-même car la justice
c'est pour ceux qui gouvernent ».241
Le fétichisme se développe sur la base de la
faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables.
C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir,
aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut
une puissance pour rendre justice à la place du "Blanc". On «
frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les
expressions « frapper le diable », ou « fermer le
mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple
lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que
l'État ne peut pas réagir. Le mwiri242 est
convoqué parce qu'étant considéré comme une
façon de réduire les tensions et de demander aux génies
d'intervenir; quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne
fonctionnement pas.
Figure n°2 : Histogramme des tombes
profanées à Mindoubé de 2004 à 2009
Années (xi)
2004
2006
2007
2008
2009
Total
241 Propos de monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, Gisir, qui, pour la
circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre
canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des
tombes. Cet entretien s'est déroulé à 13 heures à 0
doub OKImars IM07 IIrs de notre 2ème passage.
242,Il s'agitRI'uQ- soIléyiinitiatique masculiQ-
IQet secrAte dEKpHCOMu Sud du01 abIVuLVMW
Effectifs (ni)
20
46
32
9
40
147
Comme on peut le constater, les chiffres que nous donnons dans
ce tableau, proviennent de notre propre comptage des tombes profanées
sur le terrain. Excepté les 20 tombes profanées en 2004 dont nous
avons reçu les chiffres par M. Toussaint ELLANGMANE, à cette
époque243, ancien conseiller du Directeur
général des services techniques de l'hôtel de ville de
Libreville. Aussi, nous pouvons émettre quelques points de vue ; par
exemple, en 2006, date des élections législatives de
décembre, on peut supposer qu'il s'agissait du renouvellement de la
classe politique des députés. Il en est de même pour 2007,
qui a vu les partielles et enfin, l'élection présidentielle de
2009 illustre donc la détermination pour les politiques de remporter
l'échéance électorale à tout prix.
Ce qui nous permet de donner la représentation sociale
de la fonction d'homme politique au Gabon à travers nos
interlocuteurs.
Énoncé n°41:
-« Ce sont les hommes politiques qui passent la
plupart de leur temps à féticher et à casser les tombes de
nos disparus, au lieu de s'occuper de faire leurs campagnes. S'ils le font
c'est parce qu'ils savent qu'on ne va plus les voter, ce sont des criminels,
des assassins, des menteurs, des gens sans aucun respect des morts. On
espère qu'ils ne vont jamais mourir et quand ils vont mourir, ils vont
être enterrés dans les nuages et non pas à Mindoubé,
car ce qu'ils font c'est cruel ; déranger des morts et s'attaquer
à ceux qui ne peuvent plus se défendre
».244
Énoncé n°42:
-« Je te dis que ce sont les hommes politiques. Moi
je travaillais pour un grand dignitaire du régime de BONGO. Il y a aussi
les ngangas, il ya même des pasteurs qui font ce genre de chose pour
seulement être nommés, pour avoir de l'argent, les clients, les
fideles, pour être de grands types et pour avoir le pouvoir. Même
moi, mon patron a voulu que je rentre dans la loge mais j'ai dis non. Et il
n'était pas content que je refuse. Aujourd'hui j'ai
243 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T
sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.
244 Extrait du point de vue général des familles
victimes des profanations à Mindoubé le 1er novembre
2007.
laissé tout çà, je fume mon gros
tabac, je bois ma biére, je m'occupe de ma pêche qui marche bien
et je prie quand même. Car j'ai fais du mal. La nuit je ne dors plus, je
vois des gens filchés dans un cimetière qui viennent me taper et
me couper la tête et jouent avec. Alors pour dormir, je fume beaucoup le
gros tabac et je prie un peu »245.
Énoncé n°43:
- « À mon avis, il n'y a que les gens qui
veulent le pouvoir, c'est-à-dire les politiciens du pays car il n'y a
qu'eux que pour faire çà, sans compter qu'on leur demande
çà dans leurs sectes et les loges pour rester au pouvoir
»246.
Énoncé n°44:
- « Les politiciens sont ceux qui font cela. Car
à chaque fois que j'ai appelé la hiérarchie pour venir
constater les déglits ici, elle ma toujours dit que ce n'était
pas mon travail, et que je devais juste garder, m'occuper d'ouvrir le
cimetiére le matin et le refermer le soir, c'est tout ce que j'ai
à faire. Le reste c'est pas mon problème. Alors je reste
tranquille dans mon coin »247.
Énoncé n°45:
- « Pour moi, il ne faut pas chercher loin. Vois
toi-même mon petit, ce sont les hommes politiques qui font ces choses
abominables et je crois qu'ils n'ont pas peur de Dieu. Et celui qui a peur de
Dieu ne peut pas faire çà tu comprends ? Il faut prier car notre
pays est en danger, le pouvoir tue ses concitoyens vivants et aussi les morts,
si je peux dire çà ainsi »248.
Énoncé n°46:
- « Pour moi, il n'ya plus aucun doute, ce sont ceux
là qui sont les grands hommes du pays qui font çà car
là où nous vivons, nous voyons pleins de choses, les grosses
voitures vitres fumées et noires qui font trop de tours ici la
journée et la nuit, tu vois du mouvement dans le cimetière et le
lendemain, le pauvre gardien ne peut que constater les déglits.
C'est
245 Propos de monsieur M.D, 43 ans, gabonais et se dit
« ex profanateur a~. L'entretien a été réalisé
à 22 heures au quartier Ambow~ de Libreville le 17 mai 2008, lors d'une
cérémonie de jumeaux.
246 Propos d'une dame de 32 ans, gabonaise, ethnie Lumbu,
catholique et agent commercial. La tombe de son parent a été
profanée à Mindoubé. L'entretien a été
réalisé le 1er novembre 2007 en matinée
à Mindoubé.
247 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du
cimetière de Mindoubé.
248 Propos d'un monsieur de 56 ans, retraité,
Nzébi de Koulamoutou, Il prie à l'Alliance chrétienne du
Gabon. Nous l'avions interviewé le 1er novembre 2007 à
Mindoubé alors qu'il était entrain de refaire la tombe de son
parent qui a été profané.
toujours quand on fait les élections que tu vois ce
phénoméne. C'est tout simplement triste et désolant
».249
Énoncé n°47:
-« Oh toi aussi, comment peux-tu me demander qui fait
ce genre de choses ? Ce sont vos fameux hommes politiques qui font des choses
pareilles. Pour moi, ce sont des vampireux mais ils oublient que qu'il y a Dieu
et Lui seul sait. D'ailleurs, cela ne sert à rien de porter plainte pour
çà, ce sont les mêmes gens là de la Sablière
qui font çà et tu vois que l'on ne va pas te suivre ou t'aider.
Alors en tant que chrétien, on remet tout entre les mains de Dieu. Lui
seul connaît »250.
Énoncé n°48:
-« C'est clair pour moi, ce sont les hommes
politiques et tous les charlatans du pays qui font tout ce désordre
spirituel. Ce sont des démons. Ils le font pour le pouvoir, la richesse,
ils veulent la gloire ici bas sans savoir qu'ils pactisent tous avec le Diable
et je crois qu'ils savent où ils iront après leurs morts. Chacun
fait ce qui veut dans ce pays au point que l'immoral est devenu
tolérable et on ne peut pas dire qu'on est dans un État de droit,
plutôt un État de force et de sorciers. Quelle tristesse et sache
que l'argent c'est le Diable incarné, ce qu'il te donne ne dure jamais
et t'es obligé de refaire l'immoral pour avoir encore. Il faut prier
»251.
En somme, il s'agit d'une vision négative et
sorcellaire des hommes politiques au Gabon et confirme les analyses de
BALANDIER sur la représentation sociale du pouvoir politique, en ce sens
que « le pouvoir sépare, isole, enferme ; c'est bien connu.
Surtout, il change celui qui y accède ».252 De
même, WEBER nous rappelle métaphoriquement que « celui qui,
en général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut
en faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes
éthiques
249 Propos d'une habitante à proximité du
cimeti4re depuis 15 ans. Elle a 40 ans, gabonaise d'ethnie Fang. Elle est
technicienne de surface. L'entretien s'est réalisé chez elle le
1er novembre 2007 à 16 heures. Elle prie chez les
pentecôtistes.
250 Propos de madame M.T, catholique, Punu-Fang,
gabonaise de 37 ans. Elle est secrétaire comptable. L'entretien a
été réalisé le 1er novembre 2007 et la
tombe de son défunt grand-frère a été
profanée.
251 Propos d'un monsieur de 46ans, chrétien
pentecôtiste depuis 7 ans. Il est Fang. Il est un ancien personnel
navigant commercial de l'ancienne compagnie Air Gabon. Enfin, nous l'avons
rencontré le 1er novembre 2007 à Mindoubé et la
tombe d'un de ses parents a été profanée.
252
Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, Paris,
Balland, 1992, pp.30-31.
et de la responsabilité de ce qu'il peut lui-même
devenir sous leur pression. Je le répète, il se compromet avec
des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute violence
».253
2. La banalisation de la mort en postcolonie
gabonaise
Il faut d'abord rappeler que « banaliser >>
désigne l'action qui consiste à dépouiller de son
originalité ou de son caractère exceptionnel quelque chose. De
là, la banalisation est synonyme de désacralisation. En effet, ce
sous-chapitre a pour objet de montrer qu'en postcolonie gabonaise actuelle, ce
qui passait pour quelque chose de sacré, dont on parlait avec le plus
grand respect ; voire un tabou : la mort, a été banalisée,
désacralisée.
2.1. La mort a-t-elle encore un sens aujourd'hui à
Libreville ?
Des mécanismes symboliques ont été mis en
place pour arriver à produire de tels résultats : les mutilations
des corps ou profanations des cadavres, les profanations des tombes.
DURKHEIM nous apprend que << le mort fait partie du
sacré, tout ce qui est ou a été en rapport avec lui se
trouve par contagion, dans un état religieux, exclut tout contact avec
les choses de la vie profane ».254 Il nous permet de voir toute
la complexité d'un phénomène plus social que biologique et
qui conduit l'homme à s'interroger sur sa nature même ; parce
qu'étant un fait social total. De même, si avec cet auteur, la
sacralité de la mort est mise en relief, la société
gabonaise, à un moment donné de son évolution vers le
<< modernisme », privilégiait ces valeurs de respect et de
sacralité accordées à la mort. Aussi, devant le passage
d'un corps (pendant la période précoloniale et pour quoi pas
coloniale), les Gabonais s'inclinaient chacun à sa manière en
signe de respect.
Aujourd'hui le Gabon présente un tout autre visage ; si
bien que le passage d'un corbillard dans les rues de Libreville, a perdu son
sens. Les Librevillois ne témoignent plus leur respect devant celui ou
celle qui vient de les précéder.
Certainement que les decouvertes macabres des corps «
depieces » ; mutiles deviennent leurs lots quotidiens. D'autant plus que
« le nombre de victimes des crimes rituels pour ce début
d'année 2008 ne cesse de croître à Libreville. Après
la découverte du corps mutilé d'une jeune lycéenne,
avant-hier , à la plage qui jouxte le siège du Conseil economique
et social (C.E.S) , le tour est revenu, hier, à un homme d'une trentaine
d'années, d'être retrouvé mort à proximité du
stade Omnisports Omar Bongo. De ce fait, la victime portait des signes de
mutilation. Il lui a ete preleve la langue et d'autres organes. Cette
découverte macabre a provoqué une véritable onde de choc
dans le quartier et même au-delà ».255
Ce qui vient conforter notre point de vue concernant la
banalisation de la mort aujourd'hui c'est que, selon le même journal,
« dès l'annonce de cette decouverte macabre, de nombreux riverains
ont deferle sur les lieux pour contempler le spectacle désolant
qu'offrait le corps gisant dans une mare de sang ».256
Cet article de presse met en evidence les effets du
«Souverain moderne ». Cet etat de fait plonge Libreville
dans une violence, qui n'est plus symbolique, mais bien physique. Au fond, nous
soutenons le point de vue de Joseph TONDA selon lequel, « absurdement
anachronique, le cannibalisme est revenu au galop dans notre societe. Il ne se
passe pas un seul jour où l'on ne signale la découverte de corps
d'hommes ou de femmes delestes de leurs organes genitaux. Non plus, il ne se
passe pas un seul jour où l'on arrête d'étranges voyageurs
avec des glacières remplies de restes d'humains soigneusement
dépiécés (<) Et jamais peut-être en aucun temps
comme le nôtre, la consommation de la chair humaine n'a été
si vive et si ouverte (<) Nos ancêtres avaient des methodes plus
discrètes, liees plus à la protection du clan qu'à la
promotion individuelle (<) Aujourd'hui c'est régulièrement que
l'on mange son semblable, et les consommateurs sont de tous âges. La
course aux nominations et la regeneration des cellules vitales expliquent la
voie sans issue oil tous sont engages (<) Toutes ces personnes n'ont pas le
sommeil tranquille, malgré la fortune acquise
pas l'effraction et l'éternelle jouvence. Satan, leur
maître, sur ce point, ne leur assure rien >>.257
2.2. Le sens ou les effets de cette
banalisation
Face à la banalisation de la mort, mais surtout, de la
description des rapports sociaux et de la production des corps et des
imaginaires en postcolonie gabonaise, << il découle que, parce que
le Souverain moderne produit, à notre sens, une forme de connaissance ou
d'imagination de la valeur des corps et des choses qui travestit les liens
sociaux intimes, il est producteur de rapports de connaissance et de pouvoir
constitutifs de rapports sociaux dont le principe est l'aveuglement et le
travestissement >>.258
Dans cette prédation, ce cannibalisme du corps humain
voire du corps social, Pierre LEMONNIER nous révèle que <<
l'esprit mauvais cannibale (mauvais pour ceux qu'il attaque) dévore les
vivants ou les morts, soit de l'intérieur, soit après avoir
découpé et emporté leur chair ou leurs organes lors des
festins collectifs >>.259 Pour sa part, Filip de
BOECK260 pense que << dans le processus de cette production
croissante de violence, les corps sont progressivement devenus des
entités à perturber et démembrer >>261 et
<< la logique du démembrement corporel est également
présente au niveau de l'imaginaire collectif >>.262
Autrement dit, << à travers une attaque contre le
corps humain par la violence, la mutilation, la torture, la sorcellerie, le
cannibalisme et l'inceste, il ya démembrement de ce corps individuel
mais social. Cela provoque un traumatisme révélé dans
l'incapacité d'oublier ce démembrement ou, autrement dit, de
re-
257 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir
en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, (coll. «
Hommes et sociétés »), pp.19-20 ; citant le Nganga,
55, 21 février 2003, p.2.
258 Ibid., p.14.
259 Pierre LEMONNIER, « Maladie, cannibalisme et
sorcellerie chez les Anga de Papouasie, Nouvelle-Guinée »
p.398 in Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain.
Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé,
Paris, Éditions CNRS, 2009, 546 p.
260 Filip DE BOECK, « Au-delà du tombeau :
histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre postcolonial »,
pp.129-169 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, volume 8,
1998, n°31-32, 172 p.
261 Ibid., p.160.
262 Ibid., p.160.
membrer (to re-membrer) ce qui fut déconnecté
(<), cela veut dire la destruction d'un habitus, d'une identité
sociale profondément incarnée >>.263
En un mot, << le démembrement transforme les
vivants en morts vivants, tandis que les morts, par leur désincarnation,
semblent de plus en plus étendre leur présence dans le domaine
des vivants >>.264
Pour tout dire, la banalisation de la mort aujourd'hui au
Gabon, produite par les cadavres en exposition et en décomposition dans
les rues et sur les plages de Libreville, laisse sans réactions les
autorités compétentes d'un côté et les populations
de l'autre côté qui subissent au quotidien ces violences
symboliques et physiques.
Surtout lorsqu'il s'agit de corps de femmes ou d'hommes
dépossédés de leurs organes génitaux et autres,
voire désossés. Ce type de constat qui s'impose à nous
avec force et récurrence, nous laisse déduire qu'« une
autorité qui dévore la vie est une autorité productrice de
morts, ou, ce qui revient au même, de morts-vivants, c'est-à-dire
des zombies, des vampires, au sens où l'imagination populaire donne
à ce mot au Gabon, à savoir les sorciers. Les "cités
africaines" sont, dans cette perspective, des cités de "vampires"
>>265 où prospère le commerce illégal et
occulte de << l'or blanc >>.
263Filip DE BOECK, « Au-delà du
tombeau : histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre
postcolonial », pp.162-163.
264 Ibid., p.163.
265 Joseph TONDA, op.cit., p. 10.
Chapitre IV : La modernité
insécurisée
Nous apprehendons la modernite comme le desenchantement du
monde et donc, de la promotion de l'ère de la rationalité et de
la rationalisation de tous les domaines de l'organisation sociale. Cependant,
l'observation de la formation sociale gabonaise postcoloniale sous l'ère
du souverain moderne révèle que nous faisons face à une
« modernite insecurisee »266 ; c'est-à-dire, une
« modernite associant dans ses fureurs les schèmes de la
destruction, de la collection et du cumul des corps et des choses dans les
domaines politique, economique, religieux, familial ».267
Aussi, nous voulons nous interesser au religieux qui, au lieu
de desenchanter le Gabon postcolonial, l'enchante davantage par la
création incessante d'images de guerre contre les demons ; contre les
inconvertis consideres comme des sorciers responsables des malheurs familiaux ;
tout en diabolisant ce qui n'est pas de l'ordre du christianisme et donc
replongerait dans l'obscurantisme. Toutefois, pour MBEMBE, « le projet de
modernite reposerait, entre autres, sur la possibilite de réalisation du
progrès et sur l'espoir d'une victoire definitive de la raison sur
toutes les formes d'obscurantisme ».268
266 L'expression est de Pierre-Joseph LAURENT, Les
pentecôtistes du Burkina Faso. Mariage, pouvoir et guérison,
Paris, Karthala, 2003, cité par Joseph TONDA in Le Souverain
moderne. Le corps du pouvoir en Afrique Centrale (Congo/Gabon), 2005,
(coll. « Hommes et sociétés »), p.15.
267 Joseph TONDA, op.cit., p.15.
268 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala,
(coll. « Les Afriques »), 2000, p.27.
Section 1 : Agression << sans retenue >>
de l'espace médiatique à Libreville
Cette section met un accent particulier sur le rôle et
la prédominance des Églises pentecôtistes et charismatiques
dites de « réveil >> au Gabon. Ces Églises sont donc
présentent au Gabon sur l'espace médiatique en proposant des
séminaires de délivrances, des veillées de prières
pour les malades mais aussi pour le Gabon, afin qu'il soit béni par
Dieu.
1. Le matraquage médiatique religieux
Pour mieux vendre leurs images auprès des populations,
toutes ces Églises pentecôtistes et charismatiques dites de «
réveil >> optent aujourd'hui pour la publicité. Elles
deviennent des entreprises commerciales qui vendent leurs produits, ce qui a
pour effet la concurrence. Et c'est l'Église qui aura fait plus de
publicité, qui se fera plus présente qui tirera son
épingle du jeu. D'où le « marketing religieux >> et l'
« instrumentalisation des médias privés >>.
1.1. Le << marketing >> religieux
De plus en plus, les quartiers de Libreville se dotent
d'Églises dites de « réveil >> qui se créent
rapidement. On peut citer par exemple qu'au quartier Kinguélé,
l'Église universelle du royaume de Dieu « Arrêtez de souffrir
>> ; la même Église au quartier Glass, ou de l'Église
Shékina au quartier Derrière l'hôpital ; etc., attestent le
fait que dans ce marché religieux, la promotion de séminaires de
guérisons et de délivrances programmées des «
possédés de Satan >> est une réalité. De
même, certaines chaînes de radio et de télévision
privées telles R.T.N269 au château d'eau de Sotega ou
de la radio Sainte Marie, ne vont pas de main morte dans ce matraquage
médiatique ; qui n'est qu'une autre forme de violence symbolique et
physique.
Les affiches religieuses déployées dans la ville
ne sont pas en reste : ainsi pouvons-nous lire sur certaines d'entre elles des
messages tels « la nuit du couvre-
feu spirituel décrétée à Satan
» selon le révérend pasteur Max Alexandre NGOUA, pasteur
d'une Eglise de réveil de la place. Ou encore, des spots
télévisés qui font dans la programmation des miracles de
Dieu qui, pour le constat, interviennent généralement lors des
périodes de fin du mois. Quand on sait qu'au Gabon, les fonctionnaires
en général, sont payés chaque fin de mois,
c'est-à-dire, des périodes allant du 25 au 5 du mois suivant.
Un autre fait, toutes ces Eglises disposent d'un
matériel de sonorisation performant qui conduit à une production
sonore de haute fréquence excédant les 22 heures jusqu'au
lendemain. Par ailleurs, nous étions obligé de passer plus de 8
heures dans une Eglise éveillée de la place pour assister au
culte de 19 h jusqu'à 21 h car étant l'une des conditions sine
qua none, dans l'espoir de pouvoir rencontrer le pasteur de ladite Eglise pour
notre travail. Nous nous sommes rendus compte que les prédications sont
plus orientées vers la traque de l'esprit du malin ; qu'à Dieu,
à la diabolisation des membres inconvertis de la famille270
et des us et coutumes. Comme nous l'avions dit plutôt, la conversion
(parfois immédiate pour la rédemption) demeure le leitmotive des
prédications dans ces églises.
1.2. L'instrumentalisation des médias
privés
Cette instrumentalisation des médias privés se
traduit par des consultations et prières en « directe » sur la
R.T.N271 ou sur la TV+272 où tous les dimanches
à 17 heures, l'animateur Joe Francis reçoit
régulièrement un pasteur (la plupart du temps c'est le Dr Louis
Francis MBADINGA, pasteur de l'Eglise Shékina de Derrière
l'hôpital) pour présenter « les guérisons miraculeuses
» à la suite des séminaires bibliques. A ce propos, «
il est par exemple banal, dans une Eglise pentecôtiste de Libreville
disposant de tranches horaires d'émission dans une radio locale,
270 A ce sujet, dans ladite Eglise du Bishop Sylvain EDZANG
située au carrefour Kanté au quartier Ozangué, le jeudi
est souvent consacré à ces délivrances et guérisons
miraculeuses. Pour cela, il est fortement recommandé de venir avec un
témoin, particulièrement un membre de la famille.
271 Notons que le révérend Georges Bruno NGOUSSI
anime une émission télévisée lui-même tous
les jeudis en soirée aux alentours de 21 heures. Emission
dénommée « Allo pasteur », (nous rappelant une vielle
émission de santé « Allo docteur » animée par le
Dr André Christ NGUEMBET, actuel ministre de la république qui
passait sur la RTG 1 dans les années 1980-1990) où le pasteur
répond à toutes les questions des téléspectateurs
en direct en proposant, prières, conseils bibliques, méditations
des versets selon les cas exposés.
272 Il s'agit d'un autre média privé.
d'entendre des "témoignages" de femmes qui accusent
publiquement leur père d'être soit leur "mari de nuit" ; se
glissant "diaboliquement" dans le lit conjugal, soit d'être des sorciers
responsables de leur chômage, stérilité ou célibat.
Banal aussi d'écouter des "soeurs et frères en christ" qui, une
fois "convertis", rejettent enfants, maris ou femmes sous prétexte que
les non-convertis qui sont dans le "monde" sont des gens de Satan, donc des
sorciers >>.273
Face au problème de << pollution sonore >>,
une rencontre avait été initiée entre les autorités
municipales en mai 2009 et les responsables de ces Églises, afin de
trouver une solution devant la récurrence de ce phénomène.
Car même si le Gabon, dans sa constitution, demeure un État
laïc et où la liberté d'association est proclamée, on
se demande pourquoi y a-t-il ce matraquage médiatique de la part de
certaines communautés religieuses, notamment sur la question relative
à la conversion ?
À cette question par exemple, Achille MBEMBE nous
propose un début de réponse en affirmant que << l'acte de
conversion participe aussi à la déconstruction des mondes.
Convertir l'autre c'est l'inciter à abandonner ce en quoi il croyait.
Théoriquement, le passage d'une croyance à une autre devrait
entraîner la soumission du converti à l'institution et à
l'autorité en charge de proclamer la nouvelle croyance (<) Toute
conversion devrait donc entraîner, du moins en théorie, une
altération fondamentale des modes de penser et de se conduire de celui
qui prend sur lui d'y procéder. Dans cette perspective, l'on sous-entend
que l'acte de se convertir devrait aller de pair avec l'abandon des
repères familiers, que ceux-ci soient culturels ou symboliques. Il
s'agirait donc d'une mise à nu >>.274
En fait, le converti est << formaté >> et
est << à la merci >> des pasteurs de ces Églises
pentecôtistes et charismatiques dites de << réveil >>.
Il apparaît clair que la modernité insécurisée
s'apparenterait plus à la maintenance d'un enchantement de l'univers
symbolique gabonais, amorcé déjà lors de la colonisation
et de la mission
273 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de
l'invisible en Afrique », p.10 in Politique Africaine
n°79, 2000.
274 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll.
« Les Afriques »), 2000, p.212.
civilisatrice. C'est un enchantement lié aux anges, aux
démons en conflits sur terre et dont l'enjeu s'avèrerait
être le gabonais ; oscillant entre diabolisation, syncrétisme
religieux et confessions chez les prêtres le dimanche.
L'Église de ce fait, en tant qu'appareil
idéologie d'État, est en fait un pan de la face cachée de
l'iceberg du Souverain moderne au Gabon, travaillant pour l'assise de
l'hégémonie du pouvoir politique au Gabon. D'où, « la
modernité au nord ou au sud, est fort peu synonyme de
désenchantement du monde >>.275
2. Le mysticisme exacerbé
Par << mysticisme exacerbé >> nous
entendons la prédominance manifeste de l'ésotérisme, des
esprits de toute nature, cohabitant avec les hommes et qui influenceraient
voire dicteraient leur conduite. Au Gabon, le mysticisme a pris de l'ampleur
à tel point que toute explication apportée à un fait
social est d'abord d'ordre symbolique et spirituelle.
> La persistance de
l'ésotérisme
Le mysticisme exacerbé, dans cette modernité
insécurisée, est le résultat des rapports sociaux
mortifères entretenus et voulus au Gabon postcolonial. Tous les corps
sociaux (Églises, politiques, etc.) sont incriminés de maintenir
ce climat mystique, dans un pays où la fracture sociale est importante.
À tel point que c'est dans ce même pays que << dominants
dominés partagent en effet la croyance, très prégnante au
Gabon, que "la réussite sociale", qui signifie l'accès à
la consommation des marchandises, trouve son principe dans l'appartenance aux
"sectes", "magies" et fraternités qui imprègnent dans
l'imaginaire la vie quotidienne diurne et nocturne du "Bord de mer" et des
quartiers populaires >>.276
Au Gabon, le fait que l'on voit des personnes aisées
(professeurs d'universités voyager tout le temps quand d'autres ne
peuvent pas le faire, des fonctionnaires et des étudiants
organisés, des cadres d'entreprises, etc.) ne pas vivre dans la
misère
275 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de
l'invisible en Afrique », p.5 in Politique Africaine
n°79, 2000.
276 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit.,
p.166.
comme la population en general, même quand ils habitent
dans des quartiers enclaves, le discours commun ou le Kongossa277 a
tendance à tirer des conclusions d'ordres mystiques (le plus souvent
sans preuve, parce que fonctionnant sur la base du « on m'a dit<, il
paraît que<, ») comme quoi ces personnes sont des
francsmaçons, des rosicruciens voire des homosexuels, etc. La
competence, les valeurs de travail, le gout de l'effort et de la
persévérance ont a priori été gommées pour
laisser la place à l'occultisme, mysticisme et au fétichisme.
Joseph TONDA poursuit son argumentaire en disant que «
les sectes visees sont la Franc-maçonnerie et la Rose-croix, mais
egalement les sectes locales. Même les Églises pentecôtistes
sont soupçonnees de se livrer à cette magie, notamment à
travers l'imposition des mains, censée rendre les gens idiots en pompant
leur "energie" ou leurs "etoiles" ("chance") ».278
Actuellement, le Gabon qui est plonge dans ce mysticisme exacerbe, est un Gabon
magifie, enchante, domine par les esprits (bons et mauvais) qui sont en
interaction avec les hommes, ceux qui sont en affaire avec eux. En effet, de
l'Église où l'on met l'accent sur le diable et ses demons qui
sèment la panique dans les familles ; les attaques des sorciers la nuit
qui « sortent en vampire » pour devorer leurs victimes ; aux «
fusils nocturnes » qui rythment le quotidien des gabonais ; à la
criminalisation des mandataires qui profanent les tombes dans les
cimetières de la capitale ; voilà le mysticisme exacerbe en
postcolonie gabonaise ; prise sous les rêts du Souverain moderne.
D'ailleurs dans cette perspective d'un mysticisme exacerbe et
des pratiques occultes, Comi TOULABOR affirme que « dans les postcolonies
africaines existent de petits groupes d'individus qui s'y adonnent dans les
cercles restreints des pouvoirs en place. Bien qu'ils cherchent à
camoufler soigneusement par toutes sortes de
277 Expression gabonaise désignant les
commérages de tout genre. Le plus étonnant c'est que le Kongossa
est même tr~s présent à l'Université. Cette
même expression a donné lieu à une série gabonaise,
diffusée d'abord sur TV+, puis sur la RTG 1, le dimanche soir.
278 Joseph TONDA, Le Souverain moderne,
op.cit., p.187.
subterfuges les traces de ces pratiques, les échos
indirects de celles-ci parviennent jusqu'à l'extérieur,
embarrassé de savoir quelles utilisations en faire
>>.279
En résumé, << le Souverain moderne
apparaît comme un Souverain qui travaille à la destruction des
corps et à leur remplacement par l'incorporel" des spectres, des
fantômes (<) >>280
Section 2 : La profanation des corps à
Libreville
Désacraliser les corps c'est leur nier tout
caractère sacré pour ne les considérer que comme des
objets marchands, des choses. À Libreville, les profanations des corps
illustrent bien cette désacralisation des corps puisque l'on
découvre aussi bien sur les plages que dans les rues de Libreville des
cadavres d'hommes, de femmes et enfants mutilés de leurs parties
génitales. Les coupables, s'ils sont identifiés, ne sont pas
inquiétés tel que prévoit le code pénal en son
<< article 291 >>281. Aussi, la profanation des corps
à Libreville est envisagée sous deux angles : la
désacralisation des corps et l'économie de la sorcellerie.
1. La désacralisation des corps
GODELIER nous rappelle que << fabriqué
culturellement dans chaque société, le corps subit diverses
agressions culturellement programmées. Celles-ci expriment, tout autant
que les processus de fabrication, l'ordre en vigueur dans les
sociétés évoquées >>.282 Cette
idée nous conforte dans notre argument de la désacralisation et
de la réification des corps en ce sens qu'il s'agit en filigrane, d'une
violence exercée sur le corps. On peut aller plus loin, car cette
désacralisation des corps montre aussi que nous nous situons dans une
économie de la profanation ; en tant que point central dans une
société gabonaise ; et finalement, une << modernité
insécurisée >>.
279 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et
politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.207, in
P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de
libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC,
2000, 295 p.
280 Joseph TONDA, op.cit, p.187.
281 Cet article 291 du chapitre 13 du 31 mai 1963
stipule en son second paragraphe que << sera puni les
mêmes peines quiconque aura profané ou mutilé un cadavre,
même non inhumé ».
282 Maurice GODELIER, Le corps humain. Conçu,
supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, CNRS
Editions, 2009, p.375.
En tout point, parler de la profanation des corps, c'est
d'abord rappeler que le corps humain est une entité dotée de
sacralité, donc doté du mana, du charisme, de l'évus ou de
l'inyèmba. Le fait d'enterrer un corps est une étape qui marque
le passage de la nature vers l'état de la culture. Cela est perçu
comme un acte culturel; nous pensons que l'enterrement est un des nombreux
mécanismes qui nous permet d'étayer l'argument de la
sacralité du corps. On n'enterre pas seulement le corps parce que nous
répondons à une pratique culturelle, c'est parce qu'on est
guidé par le mobile du sacré et d'une vie dans
l'au-delà.
Pour tout dire, profaner un corps aujourd'hui à
Libreville, c'est lui ôter sa sacralité, c'est le banaliser, le
réifier en ce sens qu'il sert à maintenir et entretenir un autre
corps ; qui est peut être social ou politique. De même, Joseph
TONDA, pense que << des parties du corps comme le "coeur", la
"tête", et même un foetus peuvent être ainsi
détachées et circuler indépendamment (<) du corps
>>.283
Énoncé 49 :
-<< Il ne fait aucun doute que ceux qui profanent,
sont des gens de très mauvaise foi, ils sont prêts à tout
pour arriver à leur fin, même vendre leurs propres mères.
Car ceux qui profanent les tombes, ce sont des criminels et ne reculent devant
rien. Ils s'opposent farouchement à la volonté divine et c'est
grave pour le salut de leurs dmes. Je n'ai jamais été
confronté à la profanation des tombes ; je m'informe. Mais je
remarque que c'est en périodes des élections que les profanations
des tombes se passent dans le pays. Je déduis alors que ce sont des gens
qui cherchent le pouvoir, ce sont des politiciens de ce pays qui maudissent et
souillent le Gabon avec les profanations qu'ils pratiquent. C'est grave
figure-toi. Il n'y a plus de respect pour les morts
>>.284
Ces arguments prouvent bien que le corps profané fut
sacré ; d'où l'importance accordé aux parties du corps ou
<< pièces détachées >> qui servent à la
production d'autres corps, comme fétiches ; en tant qu'« objet
dépositaire de la puissance, de l'énergie présente qui
(<) justifie la force et l'intelligence (<) des
283 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit,
p.148.
284 Propos du vicaire Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans, Punu,
de la paroisse de Saint André des 3 Quartiers de Libreville, le 4 mars
2010 à 22 heures, après la messe dite de la
Miséricorde.
humains, c'est-à-dire leur existence, leurs differences,
leurs inegalites dans tous les domaines ».285
2. L'économie de la sorcellerie
Une autre caracteristique de cette « modernite
insecurisee » en postcolonie gabonaise ; en dehors des profanations des
corps, c'est certainement « l'économie de la sorcellerie ».
Par l'« economie de la sorcellerie », nous voulons dire qu'il s'agit
de la production et de la vente des « pièces detachees »
humaines aussi bien des corps morts que des corps vivants depieces, demembres
ou mutiles. Ce constat se fait generalement au Gabon lors des periodes
electorales286. Cette economie de la sorcellerie est mise en
evidence non seulement par les profanations des corps et des tombes ; qui
elles, produisent de la « matière première », «
l'or blanc » c'est-à-dire les organes humains ou «
pièces detachees » ; mais aussi par des acheteurs potentiels : les
entrepreneurs politiques et les autres hommes du pouvoir tels les ngangas.
Par ailleurs, avec cette notion d'« economie de la
sorcellerie », c'est surtout l'illustration de l'existence d'un reel
marche occulte et illegal des restes humains à Libreville postcoloniale.
Et l'existence de ce marché occulte et illegal explique la profanation
des tombes et des corps, notamment à l'approche des élections
politiques. Selon Comi TOULABOR, il existe aussi un commerce des organes
humains dans les pays de l'Afrique de l'Ouest (Togo, Ghana, Nigeria,
Bénin) qui aurait pris encrage à Libreville287. En
effet, comment comprendre la floraison des tradi-praticiens et Nganga à
Libreville ; qui promettent de « guerir » toutes sortes de
maladies288; de restaurer ce qui aurait ete derobe par « les
puissances du diable » en utilisant des philtres dont on ignore la
composition le plus souvent. Ou encore, des
285 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit,
p.149.
286 Nos recherches, entreprises depuis l'année
de Licence jusqu'en Maîtrise et sur le terrain, attestent bien de cette
économie sorcellaire en périodes électorales.
287 À ce propos, un de nos interlocuteurs nous
révèle que la nuit, le marché Mont-Bouët devient un
marché où l'on vend les piqces détachées sur
commande.
288 Pour Joseph TONDA, la maladie dont il serait
question à Libreville, c'est surtout une forme d'infortunes, de
malheurs, auxquelles la médecine traditionnelle propose ses services.
Lire à ce propos, « La santé en Afrique ou l'esprit
contre le corps » pp.65-89 in Palabres actuelles. Revue de la
Fondation Raponda-Walker pour la science et la culture, n°2 volume
A-2008, « L'homme et la maladie », Editions Raponda-Walker,
2009, 307 p.
guérisseurs qui laveraient leurs patients avec des
crânes humains289 ; sans l'intervention de l'État ? De
meme, dans l'existence d'une économie de la sorcellerie ; traduite par
la réalité d'un marché des « pièces
détachées », Comi TOULABOR nous apprend que « s'il se
développe actuellement un important trafic du corps humain dans nombre
de pays africains, cela suppose en amont l'existence de demande réelle
comme le laissent penser les faits divers à travers les
dépêches et les organes de journaux ».290 C'est ce
meme marché qui a priori serait présent à Libreville.
C'est dans le même sens que notre interlocutrice nous a affirmé,
au sujet de la profanation, ce qui suit :
Énoncé 50 :
-« La profanation des tombes c'est tout simplement de
la sorcellerie, un acte que je croyais voir seulement au village, maintenant il
se retrouve en ville, très franchement si de notre vivant on n'est pas
en sécurité et combien de fois mort ? Ce sont les hommes
politiques qui font çà, leurs pratiques occultes et
fétichistes leur imposent de faire ce genre de chose, comme ils savent
qu'ils sont boudés par les populations, alors ils utilisent
l'occultisme, le mysticisme et le diable pour gagner. Sache que nous les
protestants, nous condamnons ces actes fétichistes avec la
dernière énergie. On ne peut plus vivre comme aux temps de nos
ancêtres, toujours avoir recours à la sorcellerie, à la
magie, aux fétiches ou aux ngangas pour avoir le pouvoir, la richesse,
pour être bien vu dans la société, mais à quel prix
et pour combien de temps ? »291
Tous ces exemples attestent qu'il y a au Gabon une
économie de la sorcellerie, en tant que croyance très
présente et réelle dans les représentations sociales des
gabonais ; surtout très présentes dans la sphère du
politique. Ainsi, de toutes ces observations, nous pensons que la
modernité au Gabon postcolonial, est une « modernité
insécurisée ».
289 Pour le cas d'esp~ce, on peut retenir l'Union plus
du 3 juillet 2008, page 6, rubrique « VocFété
WWWFWre ».
290 Comi TOULABOR, « WcrFfFcWWWaFns et
polFtFqWWqWWWKWWpVes cWWVpWraFns en WfrFque », p.208, Fn
P.KONINGS, W.Van BINBERGEN et G. HESSELINGS (dirs.), VWectoFres
VWlFbératFoWWVVWFVVW WVWVpWraFnV, Paris, Karthala ; Leiden, ASC,
2000, 295 p.
291 Propos d'une interlocutrice, victime des profanations des
tombes et que nous avons pu rencontrer au cimetière de Mindoubé
le 1er novembre 2007. Elle a fortement demandé l'anonymat.
Notre interlocutrice a 47 ans, Myènè du Moyen-Ogooué,
protestante, agent comptable dans une entreprise privée de la place.
Conclusion de la deuxième partie
In fine, la situation postcoloniale gabonaise illustre bien
les rapports mortifères et les rapports sociaux de forces qui existent
au Gabon, et qui font de l'église gabonaise, un pouvoir de
décisions et d'influences non négligeables. Si nous avons vu en
début d'analyse que l'Église, par la construction des
cimetières, défend et protège les corps des religieux
enterrés dans sa concession, nous nous rendons compte qu'elle place les
morts au coeur de ses homélies. Ceci s'illustre par la
célébration de la fête de << Toussaint » chaque
année ; tout comme << les messes catholiques pour les
défunts, assimilées à des cultes aux morts, sont
interprétées à partir de la même grille : la
position des prêtres (qui demandent de l'argent pour dire les messes) est
associée à celle des chefs de famille, les uns comme les autres
jouant le même rôle de spécialistes religieux ou rituels
à l'intérêt politique évident
».292
Cela laisse à supposer que les morts ont un pouvoir et
que la croyance en leur pouvoir susciterait les hantises et les convoitises de
certains individus ; en quête de pouvoir, de position et d'ascension
sociales au sein de l'appareil administratif et politique de l'État.
Néanmoins, dans un contexte marqué par la
logique capitaliste de l'accumulation, de l'exploitation ou de
l'assujettissement, l'Église montre un autre aspect, celui de la lutte
contre les inconvertis, la diabolisation des us gabonais et une << guerre
» incessante contre les démons, les esprits qui habiteraient dans
les corps des gens.
Ceci pour dire que l'Église enchante et exerce son
hégémonie, et crée une forme de dépendance sociale
; par la légitimation de forces diaboliques et un matraquage
médiatique religieux important. C'est donc un Gabon postcolonial
magifié, enchanté, dominé et habité par les esprits
(bons et mauvais) en interaction avec les hommes et les profanations des
tombes, qui font que la modernité au Gabon soit une modernité
<< insécurisée ».
Les profanations des tombes et des corps observées
illustrent bien qu'il y a au Gabon, à Libreville singulièrement,
un marché occulte et illégal des restes humains et que cette
commercialisation des << pièces détachées >>
ou << or blanc >> en périodes électorales fait donc
des cimetières de Libreville des pourvoyeurs de << matières
premières >>. C'est dire que le fétichisme se
développe sur la base d'un contexte gouverné par le capitalisme
de l'occulte et de fétichisme.
Toutefois, le code pénal gabonais nous rappelle
fortement en son article 210 l'interdiction de la
commercialisation des organes humains ou «or blanc >>, ainsi qu'il
suit : << sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et
d'une amende de 50.000 à 200.000 francs, ou l'une de ces deux peines
seulement, quiconque aura participé à une transaction portant sur
des restes ou ossements humains, ou se sera livré à des pratiques
de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l'ordre public
ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété
>>.293
Pour tout dire, rappelons à toute fin utile qu'au
cimetière municipal de Mindoubé, il s'agit d'un recyclage de
tout, des gerbes des fleurs, à « l'or blanc >> en passant par
les vêtements des morts où tout est (ré)introduit dans le
marché économique et fétichiste. Par ailleurs,
l'État sera jugé aux pieds du mur par les populations, dans sa
capacité de réaction et dans le domaine de la sorcellerie et du
fétichisme, même si << la sorcellerie, par
définition, se cache et se fait insaisissable >>294, se
pratiquant de préférence dans le noir.
293 Le Code Pénal, chapitre XIX : « De
la sorcellerie, du charlatanisme et des actes d'anthropophagie »,
Libreville, le 31 mai 1963, p.45.
294 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La
viande des autres, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques
»), 1995, p.31.
Conclusion générale
À la lumière de ce qui précède,
nous nous rendons compte que notre analyse repose sur deux temps : d'un
côté, l'existence du marché occulte et illégal des
restes humains et de l'autre, une modernité insécurisée ;
illustrée par la magification et les luttes acharnées des
Églises dites de réveil aux esprits mauvais qui influenceraient
les vies des populations locales aujourd'hui. Sur un tout autre plan, Giorgio
AGAMBEN295 nous apprend que la profanation, se perçoit aussi
comme la restitution à l'usage commun ce qui a été
séparé dans la sphère du sacré,
c'est-à-dire, le corps humain.
Cependant, les profanations des tombes et des corps montrent
qu'il est question d'une violence du fétichisme organisée autour
d'un vaste recyclage de l'or blanc ou organes humains dans
l'illégalité et à des fins occultes par une certaine
catégorie d'hommes étant en compétition et à la
recherche du pouvoir. Ce qui fait que « la lutte entre les grands hommes
prend la forme de compétitions magiques »296 et fait des
cimetières de Libreville, de véritables centres
magico-économiques d'approvisionnement en matières
premières ou « pièces détachées » ;
censées leur assurer les succès aux élections politiques
ou lors des nominations en Conseils de Ministres.
Cela montre également que « l'or blanc »
constitue le socle du pouvoir politique au Gabon, de même que « la
magie et sorcellerie sont essentielles à la structuration des rapports
sociaux et partant, des rapports de forces (<) et les hommes politiques
n'échappent pas à l'emprise des interprétations
magicoreligieuses »297 comme à leur criminalisation.
À cet effet, le pouvoir politique au Gabon est un pouvoir
mortifère, issu d'un contexte où la croyance au pouvoir des
295 Giorgio AGAMBEN, Profanations.
Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Rivages Poche, (coll. «
Petite bibliothèque »), 2006, 123 p. et aussi dans
Qu'est-ce qu'un dispositif ? Traduit de l'italien par Martin RUEFF,
Paris, Editions Payot & Rivages, 2007, 50 p.
296 Marc-Éric GRUÉNAIS, Florent
MOUANDA MBAMBI, Joseph TONDA, « Messies, fétiches et lutte de
pouvoirs entre les "grands hommes" du Congo démocratique »,
p.165 in Cahiers d'études africaines, année 1995, volume
35, numéro 137, pp.163-193.
297 Ibid., p.166.
fetiches et des morts est bien manifeste. Alors, être un
« grand » au Gabon signifierait être un adepte du fetiche, un
grand feticheur parce que « l'or blanc » est un fetiche du
pouvoir.
Ainsi, les « rumeurs de meurtres diaboliques, politiciens
accusés d'utiliser associations secrètes et "medicaments" pour
assurer leur succès, psychoses urbaines d'enlèvements d'enfants
ou de jeunes femmes victimes de démembrements rituels
»298, deviennent le lot quotidien des Librevillois et ce,
durant les elections politiques ou aux lendemains de celles-ci. Ce qui atteste
que donc que « la sorcellerie n'a pas disparu en Afrique et s'affirme
aujourd'hui comme une catégorie incontournable de la vie publique et
privee ».299
Pour tout dire, « lorsqu'on analyse les
anxiétés contemporaines liées au trafic des organes
humains à la lumière de cette longue crise du sacre, il faut
remarquer d'abord une grande continuité avec les representations
anciennes : la qualite metonymique du corps humain, à la fois plus
etendu que son enveloppe charnelle et contenu entier dans chacune de ses
parcelles, reste bien aujourd'hui un attribut de la pensee equatoriale sur le
corps et le pouvoir »300.
Somme toute, notre travail repose bien sur la theorie du
« fetichisme de la marchandise » de MARX, inspiree surtout des
travaux des COMAROFF et de BERNAULT.
298 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, «
Dynamiques de l'invisible en Afrique et pouvoirs sorciers W, in
VoFWWWfWWWE n°79, octobre 2000, p.1.
299 ww, p.1.
300
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politique, fétichisme de la marchandise et criminalité
électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain
en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique : différenciations
et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre
d'Étude d'Afrique Noire-Institut d'Études politiques de Bordeaux,
7-8 mars 2002, 13 p.
73. TOULABOR C., « Sacrifices
humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique »,
pp.207-221, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS
(dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine,
Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.
74. L'Union plus, 1er
quotidien gabonais d'informations, du vendredi 29 février 2008,
Libreville, Multipress/ Gabon, et l'Union Plus du samedi 19 au
dimanche 20 juillet 2008, Libreville, Multipress/ Gabon.
V. Thèse(s) de Doctorat, Mémoire(s) de
Maîtrise et Rapport (s) de Licence
75. KOUMBI OVENGA D-W., Mort et pouvoir.
Violence politique et société initiatique Ndjembè en
post-colonie gabonaise, Mémoire de Maîtrise en
Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2006, 134 p.
76. NGOUA M.A., La sorcellerie du Kong
à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat
capitaliste, Rapport de Licence en Sociologie,
Libreville, UOB/FLSH, septembre 2003, 25 p.
77. OSSOMBEY J., Société
Kélè du Gabon précolonial : milieu de vie,
sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à
1910, Libreville, UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en
Histoire et Archéologie, sept.2005, 100 p.
VI. Documents officiels
78. Discours prononcé par le roi
LEOPOLD II devant les missionnaires se rendant en Afrique en 1883 ; tiré
de << L'Afric-Nature », n°005, octobre 1994, journal
camerounais et << Le Réformateur chrétien »,
n°004, p.11.
79. Le Code pénal de la République
gabonaise du 31 mai 1963, Libreville, 109 p. B. Source
phonographique
80. 1 heure d'enregistrement du 6 août
2009 avec le pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de Baraka de
Libreville.
C. Sources orales
81. Pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de Baraka de
Libreville, 42 ans, Galoa.
82. Mademoiselle Janny Esther DIVAGOU IBRAHIM KUMBA, 27 ans,
Punu-Akele, etudiante.
83. Mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, agent marketing,
Fang.
84. Mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 28 ans, Nzebi-Sango,
etudiante
85. Monsieur John SATURDAY, 29 ans, Yuruba-Fang, etudiant
86. Mademoiselle Juliette Maeva WAMBONGO YABOZO, 29 ans ;
Sango
87. Mademoiselle Carine PENDY BOUANGA, Nzebi, 27 ans.
88. Monsieur Moussa TOGOLA
89. Mademoiselle Kadjidjatou MAROUNDOU, 32 ans, Punu,
reprographe
90. Monsieur Toussaint ELLANGMANE
91. Monsieur MBADINGA
92. Un « ancien » du quartier Mindoube habitant
à cote du cimetière
93. L'abbé Dieudonne MOULOUNGUI, vicaire à la
Paroisse de Saint Andre des 3 Quartiers de Libreville, 35 ans, Punu
94. Une interlocutrice, victime des profanations des tombes et
que nous avons pu rencontrer au cimetière de Mindoube le 1er
novembre 2007
95. Monsieur M.G.B, chretien catholique, 46 ans
96. Monsieur Jean-Noël, gardien du cimetière de
Mindoube
97. Un interlocuteur, victime des profanations des tombes, 46
ans, Fang (Bitam), ex personnel navigant commercial Air Gabon, chretien
pentecôtiste depuis 7 ans
98. Madame M.T, 37 ans, Punu-Fang, secretaire comptable,
catholique, victime des profanations des tombes à Mindoube
99. Une habitante à proximite du cimetière de
Mindoube, 40 ans, Fang, chretienne pentecôtiste, technicienne de
surface
100. Un chômeur, chretien (Alliance chretienne), Nzebi
(Koulamoutou), 56 ans. Il fait parti des familles victimes des profanations des
tombes à Mindoube que nous avons pu rencontrer
101. Une interlocutrice, de 32 ans, Lumbu, catholique, agent
commercial, elle fait partie des familles victimes des profanations des tombes
à Mindoube que nous avons pu rencontrer
102. Un habitant à proximite du cimetière de
Mindoubé, 38 ans, chrétien, 15 ans d'ancienneté sur le
site, mecanicien
103. « Ancien profanateur a~, monsieur M.D, 43 ans,
aujourd'hui pêcheur et il croit en Dieu
104. Un interlocuteur de 27 ans, chretien protestant, agent
à City Sport de Mbolo, rencontre le 26 mars 2007.
105. Entretien avec, monsieur Guy-Joseph MBOUMBA au
cimetière de Mindoube en mars 2007 lors de notre 2'
passage.
D. Sitographie
106.
www.google.fr
Table des matières
Dédicace
Remerciements
Sigles et abréviations Liste des illustrations
Indexe des tableaux Sommaire
Introduction
générale<<<<<.
<<<<<<<<<< 1
Les préalables
épistémologiques<<<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<
3
Section 1 : Objet et Champ de
l'étude<<<. < <<<. <<<<<<.<.
4
1-Le marché occulte et illégal des
restes humains comme objet d'étude<<<<..<...4
2- L'anthropologie symbolique du pouvoir champ
d'étude<<<<<<<<<..< 6
Section 2 : Construction du modèle
d'analyse<<<<<.<<..<.< <<<<.< 8
1- Les imaginaires fétichistes et le corps dans la
littérature occidentale<<<<<. 8
2- Les africanistes et universitaires gabonais face au
fétichisme et l'importance du
corps<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<13
3- Notre perspective sur la question du marché occulte et
illégal des restes humains à
Libreville<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.20
4- Énonciation de notre hypothèse de
recherche<<<<<<<<<<<<<<<..21
5- Définition et construction du concept
central<<<<<<<<<<<<<<<...22
5.1-Définition du concept de « l'or blanc
» comme concept fondamental de notre
étude<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<..<.23
5.2-Tableau n°1: Construction du concept de
«l'or blanc
»<<<<<.<<<<..<<24
Section 3 : Démarche
méthodologique<<<<<.<<..<.
<<<<<.<<<. 24
1- Cadre empirique de la
recherche<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<..24
Tableau n°2 : les Églises à proximité des
cimetières<<<<<<<<<<<<<<.25
Photo n°1 : Une des vues de la Mission protestante de Baraka de
Libreville dans le 4ème
arrondissement<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<...26
Photo n°2 : Une vue principale du cimetière de
Baraka<<<<<<<<<<<<<27 Photo n°3
: Un aperçu de la Mission protestante de
Baraka<<<<<<<<<<<.27 Photo n°4 :
Une vue latérale de la cathédrale Sainte Marie de
Libreville<<<<...<28 Photo n°5 : Une vue partielle
du cimetière catholique de Sainte Marie<<<<<<..29
Photo n°6 : Une prise de vue faciale de Sainte
Marie<<<<<<<<<<<<<<.29 Photo
n°7 : Des stèles à Sainte
Marie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<30
2-Caractéristiques de notre population d'enquête
<<<<<<<<<<<<<<...30 3.
Techniques de collecte et de traitement des
données<<<<<<<<<<<..<.31
3.1. L'entretien et la photographie comme techniques de
collecte des données<<...31 3.2. L'analyse de
contenu comme technique d'analyse des
données<<<<<<<.32 3.3. Limites de
l'étude<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<32
Première partie : Approche historique des
profanations des tombes<<..<<34
Introduction de la première
partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.35
Chapitre I : Les reliques au Gabon
<<<<<<<<..<<<<<<<<<..<<.<37
Section 1 : Le culte des ancêtres comme
illustration des pratiques reliquaires<...<37
1. Le rôle du culte des ancêtres dans l'organisation
sociale<<<..<< <<<<<.37
2. Qui en est le prêtre ?
<<<<<<<<<38
Section 2 : Les reliques comme symbole du
pouvoir<<<..<<<<<<<<<<.41
1.Les reliques comme « objets-fétiches
>><<<<<<< <.
<<<<<<<<<<.41 2. Le crane comme
élément principal du
pouvoir<<<.<<<<<<<<<<<<42
Chapitre II : La conversion des africains au
christianisme et à l'islam<<<<<< 45
Section 1 : Pourquoi la conversion ? 45
1. Le christianisme et son rôle dans
l'hégémonie
coloniale<<<<<<<<<<.<46
1.1. La conversion comme appareil
idéologique d'État au Gabon<<<<<<<. 46
1.2. La production "officielle"des
convertis<<<<<<.<<<<<<<<<<<
50
2.
L'islam<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<
55
2.1. Le rôle de l'islam dans
l'hégémonie coloniale<<. 55
2.2. Les effets de
l'islam<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<<58
Section 2 : Criminalisation des pratiques
ancestrales par l'Église<<<<<<<..<60
1.Criminalisation et persistance des pratiques
ancestrales<<<<<<<<<..<<61 1.1.
La criminalisation des pratiques ancestrales par l'administration
coloniale<<.61 1.2. La persistance ou survivance des
pratiques ancestrales<<<<<<<<<<...63 2.
Le respect de la
mort<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.68
> Le culte des
ancêtres<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<68
Conclusion de la première
partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.71
Deuxième partie : les profanations des
tombes et des corps<<<<<...<..<..73
Introduction de la deuxième
partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<..74
Chapitre III : La production d'un discours
moraliste des Églises sur les profanations des
tombes<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<76
Section 1 : Prise de position de l'Église
et de l'État face aux profanations des tombes et des corps
à
Libreville<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<...76
1. Le point de vue de
l'Église<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<76
1.1. Une dérive morale ? 76
1.2. La protection des corps religieux et des
cimetières<<<<<.<<<<<<< 80
2. Le point de vue du législateur gabonais sur les
profanations des tombes<<<<81 2.1. Le code
pénal de
1963<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.81
2.2.L'obligation de saisir le
tribunal<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.<
83
Section 2 : Les profanations des tombes (voire
des cadavres)<<<<<<<<< 85
1. Le cimetière de Mindoubé dans
le 5ème arrondissement de Libreville<<<<<
89
Figure n°1 : Localisation
géographique du cimetière de Mindoubé
<<<<<<< 89
Photo n°8 : <<Le portail principal du
cimetière
>><<<<<<<<<<<<<<<<.90
Photo n°9 : <<Une tombe immergée dans les huiles de
vidange.>><<<<<<<<<.91 Photo
n°10 : « La tombe d'un chinois
>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<<91
Photo n°11 : «Le crane
chinois>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.92
Photo n°12 : « La face cachée d'une tombe
>><<<<<<<<<<<<<<<<<...93
Photo n°13 : << Un exemple de tombes profanées
>><<<<<<<<<<<<<<<.93
Photo n°14 : « Une vue d'ensemble du cimetière
>><<<<<<<<<<<<<<<94
Photo n° 15 : « L'organisation sociale autour de la
décharge >>< <<<<<<<< 95
1.1.Historique du cimetière de
Mindoubé<<<<<<<<<<<<<<<<<<..96
1.2.La sécurité des morts au cimetière de
Mindoubé<<<<<<<<<<<<<<97
1.3.Mindoubé, un site
particulier<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.
97 Photo n°16 : << Ce qui reste de la décharge
>><<<<<<<<<<<<<<<<<<99
Photo n°17 :<< Le logement du
gardien>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<...99
Photo n°18:<< La technique
classique>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.102
Photo n°19 :<< La technique du
p.v.c.>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<
102 Photo n°20 :<< Ce qui reste d'un corps
profané>><<<<<<<<<<<<<<<<103
Photo n°21 :<< La veste
rouge>><<<<<<<<..<<<<<<<<<<<<<<<105
Photo n°22 :<< Autre manière de profaner
>><<<...<<<<<<<<<<<<<<106
Photo n°23:<< La tombe vide
>><<<<<<<<<..<<<<<<<<<<<<<<107
Figure n°2 : Histogramme des tombes
profanées de 2004 à 2009<<<<<<. <108
2. La banalisation de la mort en
aujourd'hui<<<<..<<<<<<<<<<<<.112
2.1. La mort a-t-elle encore un sens aujourd'hui
à Libreville ? 112
2.2. Le sens ou les effets de cette banalisation
de la mort<<<<<<<<<<< 114
Chapitre IV : La modernité
insécurisée<<<<<<<<<<<<<<<<<<<116
Section 1 : Agression sans retenue de l'espace
médiatique à Libreville<<<<<.117
Le matraquage
médiatique
religieux<<<<<<<<<<<<<<<<<<<117
1.1. Le marketing
religieux<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.117
1.2. L'instrumentalisation religieuse des médias
privés<<<.<<<<<<<<<118
2. Le mysticisme
exacerbé<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<
120
> La persistance de
l'ésotérisme<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<
120
Section 2 : La profanation des corps
à Libreville<<<<<<<<<<<<<<<
122
1. La désacralisation des
corps<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<
122
2. L'économie de la
sorcellerie<<<<<<<<<<<<<<<<<<.
124
Conclusion de la deuxième
partie<<<<<<<<<<<<<<.
<<<<< 126
Conclusion
générale<<<..<<<<<<.<<<<<<<<<<.<<<<<<
128
Références
documentaires<<<<.<<<..<
<<<<<<<
<<<<<<<130
Annexes<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.137
Table
des matières<
<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<
138
Résumé du Mémoire
<< Corps désacralisé >>, <<
corps resacralisé >> à travers la profanation tels sont les
constats qui se dégagent de l'observation de la réalité
sociale gabonaise, surtout en périodes électorales dans la
postcolonie. Ce mémoire se propose d'étudier un
phénomène social complexe qu'est le « marché occulte
et illégal des restes humains >> sous deux modalités : la
première est lue à partir de la profanation des tombes et des
corps lors des consultations électorales et de la mise en vente des
<< pièces détachées >>. Enfin, la seconde est
perçue dans sa dimension occulte où la croyance aux pouvoirs des
morts fait partie de l'imaginaire collectif gabonais.
Toutefois, l'Église en tant qu'appareil
idéologique d'État, nous rappelle fortement que << notre
corps est le temple du Saint Esprit >> et a pour mission de sauvegarder
et de protéger les morts en construisant les cimetières sur son
territoire.
Retenons pour l'essentiel que par la « profanation
>>, nous voulons dire qu'audelà de la violation d'un lieu
considéré comme sacré, d'une sépulture, il est
plutôt question d' << une appropriation, d'une expropriation ou
d'une dépossession du corps de l'autre pour une resocialisation, voire
une recapitalisation dans l'optique de faire de ce corps ce que l'on en veut.
Mieux, la profanation aboutit une économie occulte et illégale de
la production et de la vente des restes humains >>.
Body desecrated "," body resacralization "through the
desecration are the findings that emerge from observation of the social reality
of Gabon, especially during election periods in post-colonial era. This thesis
proposes to study a complex social phenomenon that is the "secret and illegal
market of human remains" in two ways: the first is read from the desecration of
graves and bodies during elections and the setting sale of "parts". Finally,
the second is seen in its occult dimension where belief in the powers of the
dead is part of the collective imagination of Gabon.
However, the Church as an apparatus of ideological state,
strongly reminds us that "our body is the temple of the Holy Spirit" and a
mission of safeguarding and protecting the dead in cemeteries, building on its
territory.
Retain essentially by the "desecration", we mean that
beyond the violation of a place considered sacred, burial, it is more a
question of "appropriation, expropriation or dispossession of another body for
re-socialization, or a recapitalization from the perspective of this body do
what it wants. Better still, the desecration leads a hidden economy and illegal
production and sale of human remains. "
Mots clés : << Marché
occulte et illégal >>, << pièces
détachées >>, << situation coloniale >>,
<< situation postcoloniale >>, << profanation >>,
<< capitalisme >>, << Église >>, <<
cimetières >>.